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Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jeudi  30 juin 2011

Séance de 9 h

Compte rendu n° 22

Présidence de M. Claude Birraux, député, Président

Mission parlementaire sur la sécurité nucléaire et l’avenir de la filière nucléaire.

– Examen du rapport d’étape

– Sécurité nucléaire - Examen du rapport d’étape –

M. Claude Birraux, député, président. – Nos rapporteurs détailleront aujourd’hui les conclusions du projet de rapport d’étape sur la sûreté nucléaire, qui analyse les informations recueillies au cours de six auditions publiques et de sept déplacements. Le document, mis en consultation hier, sera enrichi d’annexes : entre autres, les comptes rendus des auditions, déjà disponibles en ligne, et des documents de référence tels que la liste des installations nucléaires françaises ou encore la comparaison des accidents de Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima établie par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

Ce rapport souligne la grande rigueur de notre dispositif de sûreté nucléaire. Avec la radioprotection et la protection physique, cette dernière constitue le cœur de la sécurité nucléaire. De fait, elle recouvre, aux termes de la loi du 13 juin 2006, l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets, notamment la conception des installations et l’organisation de leur fonctionnement.

La dimension proprement dynamique du dispositif constitue le premier aspect essentiel à sa robustesse : il n’est de sûreté nucléaire qu’en recherche permanente d’amélioration. D’où l’importance des visites décennales afin d’intégrer les « meilleures pratiques internationales » et de la poursuite de leur effort de recherche par les exploitants comme par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).

Le second aspect concerne la coopération internationale : le dispositif de sûreté est d’autant plus robuste qu’il s’appuie, via les inspections conjointes, sur une pluralité d’autorités nationales incontestables. Car, autant l’élaboration de normes internationales strictes va dans le bon sens, autant la concentration du contrôle aux mains d’un petit nombre d’autorités continentales ou mondiales accroîtrait l’exposition à une défaillance organisationnelle. D’ailleurs, durant la crise de Fukushima, l’Agence internationale de l’énergie automatique (AEIA) a délivré moins d’informations que l’ASN ou d’autres autorités nationales.

Pour finir, rappelons que notre rôle est de contrôler le fonctionnement du dispositif, non de nous substituer à l’ASN. Nous n’avons pas à suggérer des parades aux actes de malveillance. C’est une affaire de bon sens : nous ne saurions écrire un manuel de terrorisme nucléaire pour les nuls – et l’on sait le succès rencontré par cette collection. Nous n’avons pas plus à juger des situations sur le terrain. Il revient à l’ASN, seule, de rendre une décision après la troisième visite décennale du réacteur n°1 de Fessenheim, notamment quant à l'épaisseur du radier qui est de 1,5 mètre. Celle-ci devra être publique, claire et justifiée.

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l’Office, rapporteur de la mission parlementaire. – Premier axe : renforcer la recherche universitaire sur le nucléaire. De fait, après Fukushima, la priorité était d’étudier comment sont pris en compte les risques majeurs dans nos installations, à commencer par le risque sismique. En France métropolitaine, celui-ci est évalué de « moyen » à « très faible ». Notre situation n’est donc en rien comparable à celle de l’archipel japonais, situé dans une zone de subduction des plaques tectoniques. Sans compter que l’aléa tsunami, comme l’a reconnu le Japon dans un récent rapport à l’AEIA, avait été sous-estimé. D’après les données historiques disponibles, la survenue d'un tsunami de plus de 10 mètres était un événement prévisible avec une récurrence de trente ans.

En France, chaque installation est conçue, non pas selon un standard, mais en fonction des caractéristiques de son site, pour résister à un aléa calculé en fonction des observations historiques, puis majoré pour couvrir les marges d’incertitude. Dans ce domaine comme dans d'autres, la sûreté s’améliore continûment. Depuis 2001, l’évaluation du risque sismique intègre d’éventuels indices de paléo-séismes ainsi que les « effets de site » – l’influence des couches géologiques superficielles sur le mouvement sismique en surface. Autre exemple : à la suite de l’inondation partielle de la centrale du Blayais durant la tempête de décembre 1999, le risque d’inondation intègrera neuf événements supplémentaires, dont les pluies torrentielles ou les tsunamis, et l’on a renforcé les protections contre des événements déjà intégrés, telle la rupture d’un barrage.

Parce que le progrès des connaissances améliore la sûreté, via les réexamens de sûreté, il faut poursuivre les travaux de recherche afin de mieux évaluer les marges d’incertitude et leur traduction en marges de sécurité ; d’approfondir les connaissances historiques et paléo-historiques dans le domaine des risques majeurs ; et, enfin, d’étudier les combinaisons de risques d’origine diverse, car les difficultés majeures résultent rarement d’un risque réalisé isolément. Voilà pourquoi nous préconisons qu’un fonds, abondé par les exploitants nucléaires et géré par l'Agence nationale de la recherche (ANR), soit dédié à la recherche universitaire sur les risques naturels majeurs, leur impact sur les installations nucléaires et les moyens d’y faire face, sur la base d’un cahier des charges établi par l’ASN.

M. Christian Bataille, député, rapporteur de la mission parlementaire. – Deuxième axe : encadrer le recours à la sous-traitance. Celle-ci suscite l’inquiétude des représentants syndicaux, avons-nous constaté lors de nos visites d’installations nucléaires. Les représentants d’Areva et d'EDF, qui assurent y recourir dans des cas justifiés, par exemple, des opérations très spécialisées ou saisonnières, ne nous ont pas complètement convaincus.

Les procédures d’appels d’offres, imposées par la réglementation européenne, privilégient le critère du prix sur celui de la qualité, ont souligné nos interlocuteurs. Cette réglementation doit être améliorée pour l’industrie nucléaire, et les autres industries sensibles. La sous-traitance en cascade qui va, dans certains cas, jusqu’à huit niveaux, est particulièrement préoccupante. D’une manière générale, cette pratique est source de lourdeur partant, d’erreur et d’incompréhension. De fait, le « contrôleur », la personne nommée par le donneur d’ordre pour contrôler le prestataire, doit s’adresser uniquement au chef d’équipe du prestataire.

En outre, quid de la traçabilité du suivi radiologique des personnels et, surtout, des itinérants ? Pour remédier à cette situation, nous suggérons de créer un correspondant-référent de la médecine du travail pour chaque site, chargé de vérifier les dossiers de santé ; de confier à l’IRSN une étude sur la traçabilité du suivi radiologique des sous-traitants ; et, enfin, de donner à l’ASN une compétence de contrôle des modalités d’habilitation des entreprises et personnes travaillant dans les installations nucléaires.

Dans l’attente d’une nécessaire restriction de la sous-traitance, l’urgence est de limiter l’externalisation en cascade. Pour ce faire, nous demandons au gouvernement une étude juridique de faisabilité avant la fin de l’année, étude qui sera publiée dans notre prochain rapport.

M. Bruno Sido, rapporteur. – Troisième axe : afin de faire face à un cumul de phénomènes naturels extrêmes, ajouter à la défense en profondeur une capacité de réaction en arrière-garde, soit sous forme de moyens mobiles, soit par une technologie assurant un certain contrôle à distance. L’idée de constituer une flotte d’alternateurs et de pompes rapidement mobilisables n’est pas nouvelle. A cet égard, l’homogénéité et l’étendue du parc nucléaire français constituent plutôt un atout. Le but est de faire jouer la solidarité, y compris internationale, entre sites : si l’un est touché par un sinistre localisé, les autres lui servent de base arrière pour la fourniture de moyens de secours. Cela suppose d’encourager les sites à maintenir et projeter des moyens de secours, mais aussi de prévoir, dès la conception des installations, une capacité d’acheminement proche et une capacité de branchement, les aménagements nécessaires faisant l’objet de vérifications de sûreté.

Pour toutes ces raisons, nous préconisons que l’ASN nous transmette, avant la fin de nos travaux, une évaluation du renforcement en cours des dispositifs mobiles d’approvisionnement de secours en eau et en électricité. De plus, nous invitons l’IRSN et le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) à mener des recherches conjointes sur les instruments permettant d’effectuer à distance des mesures radiologiques et des pilotages d’équipements car leur développement mérite une attention particulière.

M. Christian Bataille, rapporteur. – Quatrième axe : consolider la maîtrise publique du contrôle de sûreté. Il ne faut pas banaliser l’industrie nucléaire, qui n’est pas une industrie comme les autres. Elle ne peut pas être dominée par la recherche du profit, objectif naturel en d’autres domaines, quand son échelle de temps est de l’ordre du demi-siècle. En conséquence, il convient que la filière nucléaire française reste sous le contrôle direct de l’État, et que les règles européennes de la concurrence ne s’appliquent pas sans discernement au marché de l’énergie. L’énergie nucléaire concerne la France plus que son environnement européen.

Le Gouvernement doit donner à l’ASN et aux Commissions locales d’information (CLI), dont nous avons mesuré l’importance lors de nos visites d’installations nucléaire, les moyens nécessaires à l'efficacité de leur action. Par exemple, l’ASN ne dispose pas d'un véritable régime d’astreintes garantissant sa capacité de réaction à une crise – nous demanderons au gouvernement de prendre rapidement les mesures nécessaires. Son budget est éclaté en quatre programmes, ce qui complique la gestion et fait obstacle à la transparence sur les moyens accordés à la sûreté – il convient de regrouper les moyens de l’ASN en un seul programme.

Quant aux CLI, leur financement par une part de la taxe sur les installations nucléaires, prévu en 2006, n’est toujours pas mis en œuvre – nous demandons au gouvernement de le faire. Une véritable transparence suppose également de les autoriser à faire appel à une expertise pluraliste. L’absence d’alternative à celle de l’IRSN, au reste, excellente, est une limite du système actuel – nous souhaitons la mise en place d’un fonds, géré par l’ANR, pour que les CLI puissent commander des études aux laboratoires universitaires.

M. Bruno Sido, rapporteur. – Cinquième axe : améliorer la gestion de crise. Nous demandons aux autorités publiques d'intégrer rapidement les nouvelles technologies (téléphonie mobile, réseaux sociaux, Internet) aux dispositifs d'alerte et de communication, tout en dimensionnant de façon suffisante les moyens techniques correspondants.

L’exemple des mesures prises au Japon pour faire face à la crise nucléaire doit inciter les pouvoirs publics et les exploitants à réétudier les modalités de formation et de mobilisation des personnels appelés à intervenir en cas de crise. Ils auront également à tester les conditions de mise en œuvre du volontariat lors de véritables exercices.

S’agissant de la sécurité civile, le Gouvernement doit réévaluer les plans de secours quant à la profondeur territoriale des dispositifs, au regard des connaissances nouvelles et du retour d'expérience de Fukushima. Les exercices d’alerte réalisés sur les centrales sont-ils vraiment représentatifs ? Il conviendrait d’organiser des exercices inopinés, impliquant uniquement les exploitants et les pouvoirs publics, mais aussi des exercices plus complets, incluant la gestion post-accidentelle et la logistique d’accueil des populations. Pour instiller une véritable culture de la sécurité, il faut renforcer les dispositifs préexistants, comme l’Institut français des formateurs en risques majeurs, qui agit à l’école et au collège.

La protection des populations en cas de crise nucléaire exige, enfin, de mieux maîtriser l’urbanisation aux abords des sites nucléaires où les projets se sont multipliés. Le guide que rédige l’ASN à ce sujet sera essentiel.

M. Christian Bataille, rapporteur. – Sixième axe : rendre plus transparents les coûts de la filière. Dans le domaine nucléaire, la sécurité n’a pas de prix, avons-nous l’habitude de dire avec M. Claude Birraux. La catastrophe nucléaire de Fukushima nous ayant rappelé cette cruelle évidence, puissions-nous enterrer définitivement l’idée de vendre des réacteurs à coût réduit à des pays qui ne disposent ni des moyens techniques, ni des personnels nécessaires, ni d’une autorité de sûreté indépendante.

Néanmoins, si la sûreté nucléaire n’a pas de prix, elle a un coût. Et la transparence exige que celui-ci soit connu de nos concitoyens. La Commission nationale d'évaluation du financement des charges de démantèlement des installations nucléaires et de gestion des déchets radioactifs, instaurée par la loi du 28 juin 2006, s’est réunie pour la première fois… le 7 juin dernier, soit cinq ans après sa création. Le Gouvernement doit fournir à cette commission les moyens nécessaires pour qu’elle puisse remettre son premier rapport d’évaluation avant la fin de cette année.

En outre, nous demandons à l’ASN d’établir, dans son rapport annuel d’activité, un bilan du coût des mises à niveau des installations et de l’organisation de la sûreté qu’elle impose aux exploitants lors des contrôles, des visites décennales et des évaluations de sûreté.

M. Bruno Sido, rapporteur. – Septième axe : garantir la cohérence internationale des évaluations de sûreté. L’idée de confier à une autorité internationale le soin de contrôler le respect des normes de sûreté nucléaire, intellectuellement satisfaisante, se heurte à la réalité des relations diplomatiques. De fait, des contrôles internationaux, contraires au principe de souveraineté nationale, sont suspendus à l’approbation des pays. En outre, la recherche d’équilibre entre intérêts nationaux divergents est parfois contradictoire avec la rigueur absolue qu’impose la sûreté nucléaire. Nous ne voyons donc pas dans la coopération internationale renforcée le germe d’une organisation supranationale, ayant vocation à se substituer aux contrôles publics nationaux.

Les suites données aux résultats des fameux stress tests réalisés sur les 143 réacteurs nucléaires européens en donneront l’illustration. Ces évaluations de sûreté, réalisées sur une base objective commune, rendront possible un classement des réacteurs par ordre de fragilité décroissante au regard des objectifs de sûreté. Gouvernement et ASN devront veiller à l’uniformité du degré d’exigence dans les pays membres. En effet, l’intégralité du parc nucléaire de certains pays membres est un héritage du monde socialiste, qui s’est dramatiquement distingué par l'accident de Tchernobyl. Les instances européennes se montreront-elles assez fermes pour exiger l’arrêt des réacteurs insuffisamment sûrs au risque de priver un pays d'une part importante de sa fourniture d'électricité ? Des aménagements transitoires seront certainement discutés. Les conséquences tirées des stress tests devront être fondées sur des critères homogènes afin que soient appliquées les mesures les plus rigoureuses aux réacteurs européens les plus mal classés. Au Gouvernement et à l’ASN de s’en assurer.

Enfin, la consistance d’une organisation internationale dépend souvent de l’alchimie complexe qui préside à la nomination de ses dirigeants et de ses agents, laquelle doit nécessairement respecter un principe d’équilibre entre les États-membres. En revanche, une coopération internationale renforcée constitue indéniablement un atout pour la sûreté dès lors que les normes de sûreté se calent sur le plus haut niveau d’exigence. Plus de regards indépendants se croisent, et meilleure est la détection des défauts. Le gouvernement doit donc défendre, dans les négociations internationales, l’adoption des standards de sûreté européens par l’AIEA.

M. Christian Bataille, rapporteur. – Malgré les difficultés, la France, avec l’ASN et les CLI, constitue l’un des pays nucléaires où la gestion de la sûreté nucléaire est la plus exigeante et la plus transparente. Néanmoins, parce qu’aucun pays n’est totalement à l’abri, notre industrie nucléaire doit pousser d’un cran son investissement dans la sûreté. Elle doit imaginer des événements d'une intensité plus élevée, des schémas accidentels en cascade avec des interactions entre sites industriels voisins. Priorité doit être donnée aux impératifs de sûreté sur toute considération économique. La maîtrise de cette industrie, qui n’est pas une industrie comme les autres, doit rester publique : seul l’État peut apporter des garanties solennelles à une population inquiète.

La sûreté repose d'abord sur les personnels qui travaillent dans cette industrie exigeante et essentielle à l’activité économique de la Nation. Il faut veiller à l’approfondissement de leur formation, a fortiori quand les départs à la retraite sont nombreux. Quant à la sous-traitance, il faut y avoir recours de façon responsable, et non pour des raisons mercantiles.

Ensuite, on doit développer la recherche, qui crédibilise toute la filière, et parvenir à des normes mondiales. L’urgence est de prévenir les risques dans les installations les moins sécurisées avant d’élever le niveau d’exigence de sûreté dans les chantiers en projet ou en cours. Espérons que le premier accord entre l’Europe et l’Amérique du Nord sera l’occasion de lancer ce chantier !

M. Claude Birraux, président. – Merci aux rapporteurs pour la qualité de leur travail et leur investissement : ils ont travaillé à un rythme effréné durant deux mois et demi pour parvenir à rendre ce rapport d’étape en temps et en heure. Merci également à nos collaborateurs, que nous avons soumis à rude épreuve.

Les premières conclusions de l’Académie des sciences, rendues publiques hier, convergent avec certaines de nos propositions, ce dont je me réjouis. Avant d’ouvrir le débat, précisons que j’ai reçu une contribution de la part de Daniel Paul, retenu par une réunion du Bureau de l’Assemblée nationale.

M. Daniel Raoul, sénateur. – Le projet de rapport et la fiche de synthèse des recommandations mettent l’accent sur la prévention des risques majeurs. Vu l’actualité récente, on peut le comprendre. N’oublions pas, cependant, que la catastrophe de Tchernobyl est le résultat d’une défaillance de la chaîne de commandement dans la gestion quotidienne de la production. Autrement dit, votre travail n’analyse pas l’amont, la prévention de la crise. Mais peut-être comptez-vous l’aborder dans la seconde partie de la mission.

J’appuie totalement vos préconisations sur la sous-traitance, problème que j’ai soulevé à plusieurs reprises au Sénat. La maîtrise de l’énergie nucléaire doit rester publique.

M. Claude Birraux, président. – La prévention n’est pas absente du rapport. Nous l’abordons sous l’angle de la défense en profondeur et de la formation des personnels. A Gravelines, celle-ci constitue 10% des heures travaillées. Quand, tous les matins, chacun se lèvera en se demandant : « Que puis-je faire de plus pour la sûreté nucléaire ? », nous serons enfin parvenus à une véritable culture du risque.

M. Christian Bataille, rapporteur. – Lorsque nous avons rédigé le projet de rapport, nous avions surtout à l’esprit les catastrophes majeures de Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima. Pour autant, comparons ce qui est comparable… Les centrales françaises ont un système de redressement automatique des défaillances humaines. Nous l’avons constaté via des tableaux de simulation lors de nos visites. D’ailleurs, celui-ci est mis en œuvre régulièrement au cours d’une année.

M. Bruno Sido, rapporteur. – La question est importante : tout est dans le commandement et l’exécution, disait Napoléon. En cas d’accident, la chaîne de commandement est claire : à l’exploitant, épaulé par l’ASN, de gérer la crise au niveau de la centrale ; au préfet d’informer et d’évacuer la population de l’hinterland. Il y a d’ailleurs redondance au niveau de la préfecture et des centrales.

M. Claude Birraux, président. – J’ajoute que la prévention repose, aussi, sur l’existence d’une autorité indépendante. A Tchernobyl, il n’y en avait pas : le directeur de la centrale était le secrétaire du parti communiste. Le regard de l’ASN est extrêmement puissant. Dotée d’un droit de visite inopinée à toute heure du jour et de la nuit, l’autorité a les clés pour entrer partout. Cette pression permet de maintenir sous tension les exploitants.

Mme Marie-Christine Blandin, sénateur. – Merci pour ce rapport. L’Office est bien dans son rôle : l’évaluation d’une technologie. En revanche, les rapporteurs, dans leur exposé, préemptent quelque peu les conclusions définitives de la mission. De fait, toutes vos propositions vont dans le sens de l’amélioration de la filière et, donc, de son maintien. Entre autres, vous préconisez d’investir massivement dans le nucléaire. Qui pourrait refuser l’argent de la sécurité ? Celui qui est nécessaire à la recherche publique ? Sauf à considérer que la recherche publique en énergie est déjà consacrée à 95% par le nucléaire… Ce n’est pas ainsi que l’on avancera dans la recherche sur les énergies alternatives.

Je commencerai par les recommandations. Une étude juridique pour éviter la sous-traitance en cascade dans le nucléaire ? Très bien, si ce n’est que l’instance spécifique de garantie de l’indépendance de l’expertise, dont le Sénat avait voté le principe à l’unanimité il y a trois ans, n’a jamais été créée. Bref, il faut des propositions plus radicales. Un correspondant-référent pour les travailleurs du nucléaire ? Evidemment, sauf que le gouvernement a refusé l’amendement en ce sens que les sénateurs Verts avaient présenté sur le texte relatif à la médecine du travail. Gardons à l’esprit le contexte dans lequel nous évoluons… Enfin, je n’ai pas trouvé trace, dans le projet de rapport, du droit de recours au budget de l’ANR accordé aux CLI pour obtenir des contre-expertises.

On me dira que, durant les visites, j’ai fait ma moisson dans un sens partisan. Néanmoins, vos recommandations, notamment quant au radier de Fessenheim, disent l’opacité qui règne. Vous avez repéré nombre de difficultés : Comurhex I ne résiste pas un séisme de 5,5 ; Gravelines n’a pas anticipé le risque tsunami consécutif à un glissement ; le radier de Fessenheim est trop fin. On pourrait mentionner également les dérives de la sous-traitance, les périmètres trop étroits des plans particuliers d’intervention (PPI), le laxisme dans l’urbanisation périphérique ; la mobilisation médiocrement orchestrée des secours mobiles, les dispositifs de secours en bord de mer et, enfin, l’absence d’arrêt automatique des centrales en cas d’alerte sismique. Tout cela ne dessine pas un beau paysage…

Certains points méritaient de plus amples développements : les problèmes spécifiques aux piscines, signalés par les experts hier ; l’oubli du cas de Superphénix ; le sous-dimensionnement du dispositif anti-marée noire de Gravelines – quel dommage que nous n’ayez pas vu le boudin de Gravelines, ridiculement petit ! – ; la modélisation inexistante des effets de crue en cas de contournement des digues ; les risques majeurs liés au transport, maritime et terrestre, du minerai et des déchets ; et, enfin, les effets du nucléaire sur l’environnement dans la durée. J’insiste sur ce dernier point : après le drame au Japon, des centaines, voire des milliers d’hectares, sont devenus incompatibles avec toute activité humaine : on ne peut plus y vivre. Quelle tragédie ! Concernant la gestion de la crise, les plans Orsec, confiés aux préfets, sont nettement insuffisants : une semaine après la crise, rien n’est prévu pour les populations évacuées.

Certaines considérations paraissent trop optimistes. La France est l’un des pays où la gestion de la sûreté est la plus transparente ? Pourtant, en 2009, ni l’ASN ni le plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR) ne mentionnaient l’exportation de tonnes d’uranium en Sibérie. Il a fallu que la presse aille fouiller pour que nous en soyons informés ! Autre exemple, vous parlez d’une gestion parfaitement rigoureuse de la sécurité des installations nucléaires. Les dernières photos de fuites à Paluel et Penly, que m’ont transmises des sous-traitants, témoignent du contraire : on croirait voir de vieilles chaudières poussives. L’existence de risques majeurs serait prise en compte dès le choix d’installation, affirmez-vous. A considérer le niveau de Gravelines par rapport à celui de la mer ou encore la centrale de Tricastin située en plaine alluviale et inondable (Georges Besse II a été surélevé), le propos paraît un peu abusif. Une progression continue de la transparence ? Souvenez-vous ! A Tricastin, j’ai dû sortir de mon sac à main la carte IGN pour qu’on nous donne les points cotés, l’altitude du canal et des fonds de réacteur. A Fessenheim, il a fallu que je les soumette à un tir de questions pour que nous apprenions, dix minutes avant de quitter le site, que l’épaisseur du radier est de 1,5 mètre, selon l’ASN, et de 1,3 mètre, selon EDF. Et trois minutes avant de monter dans le bus, un ingénieur de m’appeler : « Rassurez-vous ! Nous élaborons un projet pour ajouter 80 centimètres de béton en dessous du réacteur n° 1 ». Bref, vous êtes trop indulgents ou peut-être « pas assez curieux ». Moi, j’ai eu l’impression de devoir arracher les données à des gens qui n’étaient pas pressés de partager leurs incertitudes.

Quant aux conclusions du rapport, je souhaite des positions plus radicales. Vous avez su interdire la sous-traitance, sauf dérogation, dans la loi bioéthique, pourquoi n’en serait-il pas de même pour le nucléaire ? Le principe doit être le travail dans la maison mère, sous contrôle public. Il faut également exiger des scénarios de crise dépassant les premiers jours.

Ce commentaire ne préjuge pas de ma position sur le rapport définitif, même si vous devinez déjà sur quels points j’interviendrai.

M. Claude Birraux, président. – Chaque chose en son temps : ce n’est qu’un rapport d’étape… Le programme a été dense : six auditions publiques auxquelles ont assisté 23 membres de la mission et sept déplacements auxquels ont participé 17 parlementaires ; le tout en deux mois ! Dans ces circonstances, le temps a manqué pour s’intéresser à toutes les questions de sécurité hors des centrales, notamment le transport du minerai. D’ailleurs, concernant le stockage d’uranium en Sibérie, j’avais organisé une conférence de presse au Sénat pour rappeler la règle internationale : l’uranium appauvri reste stocké dans le pays qui l’a enrichi.

Mme Marie-Christine Blandin. – Mon grief s’adressait à l’ASN, non à l’Office ! Ce stockage n’a pas été mentionné dans le PNGMDR.

M. Claude Birraux, président. – Normal, puisque l’uranium n’a pas été enrichi en France !

M. Christian Bataille, rapporteur. – Ce rapport d’étape ne préempte en rien notre position finale : en toute honnêteté, nous avons soulevé les points qui méritent d’être corrigés, tel le recours à la sous-traitance, pour consolider la filière. Consolider la filière ne signifie pas exclure des hypothèses. Je me rendrai en septembre prochain en Allemagne pour étudier les conséquences de l’arrêt des centrales, car cette option pose également des problèmes de sécurité.

Soit, la transparence n’est pas idéale dans une industrie longtemps marquée par ses origines militaires. En revanche, les progrès sont continus : EDF, Areva et le CEA n’ont plus du tout le même comportement qu’il y a vingt ans.

M. Claude Birraux, président. – Juste ! Et l’ASN publie sur son site internet toutes les lettres de demandes, les réponses d’EDF et les avis qu’elle rend.

M. Christian Bataille, rapporteur. – Oui, parfois, il faut « tirer les vers du nez ». Nul ne doute que Mme Marie-Christine Blandin sait y réussir ; quant à nous, nous avons fait notre possible dans la limite physique des deux mois et demi. Le délai sera identique pour le rapport définitif : il doit être prêt en décembre et des élections sénatoriales auront eu lieu en septembre.

M. Bruno Sido, rapporteur. – On ne peut pas nous reprocher d’avoir répondu à la question posée : comment améliorer la sécurité nucléaire ? Ce travail n’exclut pas une éventuelle sortie du nucléaire. Si la France s’alignait sur l’Allemagne, l’arrêt des centrales prendrait vingt ans, durée pendant laquelle la sécurité nucléaire serait tout aussi importante. Arracher les informations ? Je sais gré à Mme Blandin d’avoir sorti sa carte IGN au 500 millième. D’ailleurs, à Gravelines, il aurait été bien utile d’avoir aussi une carte marine. Quant au suivi radiologique, on nous a affirmé que tous ceux qui travaillent sur un site nucléaire, du lampiste en passant par le peintre, possèdent la fameuse petite carte et profitent donc d’un suivi complet. Enfin, concernant les CLI et leur droit de recours au budget de l’ANR, il est abordé à la page 107 du rapport.

M. Claude Birraux, président. – J’ajoute que les études universitaires seront financées par les producteurs via un fonds géré par l’ANR. J’y vois le moyen de parvenir à une pluralité d’opinons et d’analyses.

Remerciez-moi d’avoir refusé la solution de stockage des déchets dans des piscines aux pieds des centrales que la commission du débat public me présentait comme consensuelle en 2006 ! On sait, depuis Fukushima, tous les risques qu’elle fait courir…

M. Yves Cochet, député. – Je vous ferai parvenir ma contribution écrite.

Page 14 du rapport, il est écrit que la sécurité et la sûreté nucléaires sont gérées du mieux possible en France : je m’interroge sur cette promotion modérée mais patente de la filière nucléaire.

Ne serait-il pas préférable que l’État maîtrise la sûreté nucléaire ? L’indépendance de l’ASN déresponsabilise l’exécutif.

Si je n’ai pas eu le temps d’aller à Fessenheim, j’ai entendu dire que les turbo-alternateurs n’étaient pas fixés sur des amortisseurs, comme dans les autres centrales nucléaires : en cas de séisme, ils seraient immédiatement ébranlés.

Page 23, vous évoquez les risques d’inondations. La centrale du Blayais a été inondée lors de la tempête de 1999 et douze ans après, les règles fondamentales de sécurité sont encore en cours de révision, et un guide en cours de rédaction ! N’est ce pas un peu long ?

Page 25, cinq lignes sont consacrées à la sècheresse. Si dans les années à venir le climat change et les sècheresses s’intensifient, comme le prévoit le GIEC, il faudra suspendre l’exploitation de près de la moitié de nos centrales. Or, le rapport ne fait pas référence au risque de pénurie d’électricité.

Et puis, vous n’évoquez pas du tout plusieurs autres risques : M. Birraux estime qu’il ne faut révéler aucun point susceptible d’intéresser d’éventuels terroristes. Pourtant, hier soir au collège des Bernardins, lors d’un débat sur la convergence énergétique entre la France et l’Allemagne, M. Christian Hey, secrétaire général du German Advisory Council on the Environnement, a rappelé que l’hostilité des citoyens allemands au nucléaire était principalement due au risque terroriste, surtout après le 11 septembre. Nous aurions intérêt à nous pencher plus sérieusement sur ce risque, quitte à ce que les études sur le sujet restent secrètes pour ne pas divulguer d’éventuelles failles de nos centrales. Pourquoi ne pas créer un organisme auprès du Premier ministre dédié à ces questions qui pourrait être composé de spécialistes et de parlementaires ? Je me souviens que lors de l’explosion de l’usine AZF le 21 septembre 2001, le Premier ministre de l’époque avait convoqué un comité de défense, car nous ne savions pas si l’explosion était accidentelle ou non. Une réflexion approfondie sur les risques terroristes est donc indispensable.

Vous n’évoquez pas non plus l’éventuel crash d’un avion gros porteur sur une centrale nucléaire. Imaginez les dégâts que ferait un A 380 plein de kérosène sur une centrale !

Autre risque passé sous silence : les tempêtes électromagnétiques solaires. Richard Carrington a associé son nom à celle de 1859. Il n’y avait pas de grands réseaux électriques à l’époque, mais les télégraphes avaient grillé. Si un tel événement venait à se reproduire, tous les transformateurs seraient touchés. Il ne faudrait pas un jour ni même une semaine pour les changer tous. Vous imaginez la France sans électricité pendant des mois, et donc sans eau, parce que les pompes ne fonctionneraient plus ? Ce serait une catastrophe majeure, naturelle en ce cas, mais qui peut également être provoquée par des bombes spécifiques. Ne croyez-vous pas qu’il conviendrait de se pencher sur cette question ?

La semaine dernière, l’AIEA a tenu une conférence sur la sécurité et la sûreté des réacteurs nucléaires et Mme Kosciusko-Morizet y est allé délivrer le discours officiel de la France : l’AIEA n’a pris aucune décision ! Son inefficacité en la matière est patente.

M. Claude Birraux, président. – Dans mon exposé liminaire, j’ai rappelé le mutisme de l’AIEA sur les événements de Fukushima.

M. Yves Cochet. – Elle n’a procédé à aucune révision de norme ou de seuil ! Le rapport devrait insister sur l’impuissance de l’AIEA.

Enfin, peut être faudrait-il s’interroger sur la transparence des informations en cas d’accident.

Bref, je ne pourrai voter le rapport, mais je salue l’intensité du travail accompli.

M. Claude Birraux, président. – Pourrez-vous me communiquer ces réflexions par écrit d’ici la semaine prochaine ? Je souhaiterais que Mme Blandin fasse de même.

Sur le rapport de l’Allemagne au terrorisme : ce pays a connu la bande à Baader. La branche française était dirigée par Nathalie Ménigon qui a assassiné Georges Besse, alors qu’il venait de redresser Renault au bord du dépôt de bilan. Et puis, Cesare Battisti…

M. Yves Cochet. – Je vous arrête tout de suite ! Cela n’a rien à voir…

M. Claude Birraux, président. – Lors de la mission de l’Office sur les déchets faiblement radioactifs, vous aviez fait un vibrant plaidoyer contre l’information officielle dispensée par une autorité aux ordres de l’État. Vous réclamiez son indépendance ; vous voulez aujourd’hui que l’ASN soit rattachée à l’État : est-ce pour revenir à l’époque où nous ne pouvions pas consulter les rapports d’audit, et avoir connaissance des réflexions d’experts et des lettres de réprimandes ?

Sans doute avez-vous des différends avec le président André-Claude Lacoste…

M. Yves Cochet. – Cela n’a rien de personnel. J’estime que l’État doit être responsable de la sûreté nucléaire. Si l’ASN n’est pas un comité Théodule, ses experts sont formés à la même école que ceux de l’exploitant. Je préfèrerais que des organisations vraiment indépendantes, comme la Criirad, disposent de moyens suffisants.

M. Claude Birraux, président. – N’oubliez jamais la compétence !

M. Christian Bataille, rapporteur. – Si nous n’avons évoqué la sècheresse que brièvement, c’est qu’elle n’a pas de conséquence sur la sûreté nucléaire.

Il ne faut pas non plus mélanger l’attaque d’une centrale par un avion militaire ou civil transformé avec la chute accidentelle d’un aéronef. Cette dernière hypothèse est hautement improbable. Peut être faudrait-il nous intéresser aux itinéraires des lignes aériennes pour voir si certaines passent au-dessus des centrales.

La tempête solaire de 1859 ? Cela mériterait une étude de l’Office.

M. Claude Birraux, président. – Pourquoi pas ?

M. Bruno Sido, rapporteur. – Je ne sais pas si les turbo-alternateurs de Fessenheim sont montés sur amortisseurs, mais les bâtiments sont désolidarisés les uns des autres afin d’éviter, en cas de séisme, un effet domino. Quant au crash d’un gros porteur sur une centrale, je rappelle que le 11 septembre, l’avion qui visait le Pentagone a manqué son coup. Il est beaucoup plus facile d’atteindre des buildings que des bâtiments bas. Le risque est d’ailleurs estimé à 10-7 : il est donc quasi nul.

M. Pierre Lasbordes, député. – Le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale traite spécifiquement des questions de terrorisme. Il est donc à même de répondre aux risques que vous évoquez. Il suffit de l’interroger.

Un autre risque n’a pas été évoqué, celui de la cybercriminalité. Nous avons assisté depuis quelques temps à une recrudescence de piratages informatiques. Sony et Air France en ont été récemment victimes. Les centrales nucléaires sont-elles protégées ?

M. Claude Birraux, président. – Elles ne sont pas reliées à l’extérieur.

M. Pierre Lasbordes. – Il y a des risques…

Mme Élisabeth Lamure, sénateur. – Le premier point fort du rapport que je voudrais relever est que nous avons une très belle filière industrielle. Elle est très importante pour notre tissu économique, et je me félicite de notre savoir-faire en la matière. Votre rapport dresse des constats satisfaisants et rassurants en la matière : compétence, rigueur et transparence sont de mise. Un seul bémol : la sous-traitance, trop importante.

L’Europe a procédé à des tests sur ses 140 réacteurs. Mais qu’en est-il pour les pays limitrophes qui construisent des centrales ? La Lituanie a ainsi fermé sa centrale en 2009, et elle s’inquiète de la construction, à une vingtaine de kilomètres de sa frontière, d’une centrale en Biélorussie. Ce pays n’a pas procédé à des études d’impact et il n’a pas organisé les consultations bilatérales prévues dans les textes internationaux. L’AIEA ne peut-elle pas faire respecter les procédures ?

Au point 7 de vos recommandations, vous préconisez le renforcement de la recherche universitaire sur la sécurité nucléaire et sur la prévention des accidents. Y a-t-il des recherches sur la décontamination des sites et des régions touchées après un accident ?

M. Claude Birraux, président. – L’IRSN mène des recherches dans ce domaine. Il est intervenu pour la réhabilitation des sites après l’accident de Tchernobyl.

M. Didier Guillaume, sénateur. – Je veux rendre hommage aux travaux menés par l’Office, même si le temps a été compté à nos excellents rapporteurs. On ne pouvait pas traiter de tous les aspects du sujet, mais je considère que des réponses ont été apportées à la question qui était posée.

Dans le nucléaire, il y a ceux qui sont pour – j’en fais partie –, et ceux qui sont contre. Évitons les uns et les autres de tomber dans la caricature : tout n’est pas parfait dans cette filière, mais tout ne mérite pas non plus l’opprobre. Évitons d’effrayer nos concitoyens par des propos à l’emporte-pièce. Si un Fukushima avait lieu en France, le gouvernement, l’ASN et l’exploitant ne réagiraient certainement pas comme au Japon.

M. Yves Cochet. – Et nos concitoyens ?

M. Didier Guillaume. – Des moyens supplémentaires doivent être alloués à la sûreté et à l’information de la population. La loi TSN est dépassée : il faut aller vers plus d’information et plus de réalisme. L’ASN est le meilleur gendarme du monde, et il ne faut pas qu’il soit raccroché à l’État : son indépendance est indispensable. Mon département subventionne la Criirad, dont je ne sais si elle est plus indépendante que l’ASN ou l’IRSN.

M. Yves Cochet. – Elle l’est bien évidemment davantage !

M. Didier Guillaume. – Je n’en suis pas si sûr…

La sous-traitance, maintenant. S’il est compréhensible que les industriels y aient recours, la sous-traitance en cascade doit être bannie, car elle entraîne la déresponsabilisation à tous les échelons. Et puis, nous devons prendre garde au cumul de risques : dans ces cas là, la situation devient très vite ingérable.

L’information de nos concitoyens, notamment ceux qui habitent à proximité des centrales, doit être améliorée. Les CLI doivent avoir les moyens suffisants pour remplir leur mission.

L’accident de Fukushima ne doit pas nous pousser à jeter le bébé avec l’eau du bain. Le retour d’expérience nous permettra de renforcer la sécurité de nos centrales. A chaque fois que des recommandations ont été faites à la centrale de Tricastin, que je connais bien, elles ont été suivies d’effet. Hélas, ce n’est pas le cas partout. Mme Blandin a remarqué, à juste titre, qu’il était parfois nécessaire d’arracher les informations aux exploitants. Cela ne peut continuer ainsi.

M. Jean-Marie Bockel, sénateur. – C’est la première fois que je suis associé aux travaux de l’Office et je veux rendre hommage à l’excellence de son travail. Si les comparaisons internationales sont toujours utiles, soyons conscients que la part d’électricité nucléaire dans notre mix énergétique est une des plus élevées au monde. Nous sommes donc bien loin des pays dont la part du nucléaire est limitée, comme de ceux qui s’acheminent vers une sortie du nucléaire. Il serait d’ailleurs intéressant de voir quel est le niveau d’entretien des centrales allemandes. A-t-on vraiment envie d’investir dans des centrales en fin de vie ?

Le rapport évoque brièvement les visites que nous avons faites.

M. Claude Birraux, président. – Tous les comptes rendus d’auditions seront publiés.

M. Jean-Marie Bockel. – Tant mieux !

Si je suis en total désaccord avec les conclusions de Mme Blandin, j’approuve en revanche certaines de ses remarques, notamment lorsqu’elle appelle EDF à plus de transparence. Ainsi, quand nous avons visité Fessenheim, aucun des responsables n’a évoqué les risques d’inondation. Le lendemain, une étude financée par le conseil général du Haut-Rhin paraissait dans la presse : en cas de rupture de la digue principale, les digues arrière ne permettraient pas d’éviter l’inondation de la centrale. Or, les responsables que nous avions rencontrés la veille ne nous avaient rien dit. Bref, EDF a encore des progrès à faire en matière de communication et d’information. Mêmes interrogations en matière de risque sismique : sur place, on nous a assuré que la sécurité de la centrale avait été renforcée et on nous a montré, pour preuve, des tôles boulonnées sur du béton : je dois dire que ce bricolage m’a plus surpris que rassuré. Cela dit, je ne suis pas expert en ce domaine…

Enfin, il y a sous-traitance et sous-traitance : certaines entreprises sous-traitantes sont extrêmement performantes.

M. Claude Birraux, président. – Je partage votre avis.

M. Ladislas Poniatowski, sénateur. – J’apprécie l’objectivité de ce rapport, quoique l’on vous sache favorables à la filière nucléaire. En effet, vous n’êtes pas tombés dans la caricature.

Certaines des autorités de sûreté nucléaire rencontrées au fil de mes déplacements à l’étranger ne sont que de simples directions de ministères. La nôtre, sans conteste la plus indépendante et la plus sévère du monde, cherche sans cesse à renforcer les mesures de protection. Lorsque je siégeais à l’Assemblée nationale, j’ai visité de nombreuses centrales nucléaires, et j’ai toujours apprécié l’utilisation qui était faite des retours d’expérience. Tel a été le cas, par exemple, après l’accident de Three Mile Island. N’oublions pas non plus qu’en cas d’accident, il faut regarder ce qui se passe sur le site, mais aussi beaucoup plus loin. L’accident de Fukushima a ainsi eu des répercussions jusqu’à Tokyo. Lors du prochain rapport, il faudra peut être se pencher sur ces questions.

Lors de nos visites dans les centrales, nous avons évoqué la sous-traitance et nous avons noté à chaque fois une grande réticence de la part de nos interlocuteurs. Certains syndicats représentent à la fois les personnels des centrales et les sous-traitants, et nous avons parfois entendu des propos désagréables. Sur les sept points forts soulignés dans votre rapport, la question de la sous-traitance est abordée en priorité, ce qui démontre l’importance de la question. Il convient toutefois d’opérer des distinctions, comme l’a fait Jean-Marie Bockel.

Enfin, ne risque-t-on pas d’affaiblir la portée de notre rapport sur la sûreté et la sécurité nucléaire en traitant du terrorisme alors que ce problème est un peu hors-sujet ?

M. Claude Birraux, président. – Aucune réglementation internationale n’oblige M. Loukachenko à consulter ses voisins. La Lituanie a dû, lorsqu’elle a demandé son adhésion à l’Union, démanteler sa centrale d’Ignalina, qui était de type RBMK, comme celle de Tchernobyl.

Plusieurs d’entre vous ont évoqué la sous-traitance : lorsqu’il faut changer un générateur de vapeur construit par Areva, il est préférable que ce soit cette entreprise qui procède au remplacement. Alstom qui construit les turbines, ou Hartman et Braun, qui a produit le contrôle-commande, sont mieux placées pour en assurer la maintenance qu’un génial bricoleur d’EDF. Ce qui pose véritablement problème, c’est la sous-traitance en cascade et l’exposition de certains travailleurs aux radiations. Je ne suis pas persuadé que le suivi radiologique de ces personnels soit véritablement assuré, contrairement à ce que l’on nous assure.

Deux fautes graves ont affecté la sûreté : à Gravelines, des vis pleines au lieu de vis creuses ont été posées sur les soupapes d’un pressuriseur. En cas d’incident, les conséquences auraient été graves et il a fallu attendre un an avant que ce problème ne soit détecté. A Belleville-sur-Loire, des boulons et des écrous ont été retrouvés dans certaines canalisations, mais la maintenance avait été effectuée par EDF…

M. Daniel Paul, député. – J’ai été retenu par la réunion du Bureau de l’Assemblée nationale, d’où mon arrivée tardive.

Comme M. Poniatowski, je me souviens d’un déjeuner à la centrale de Gravelines : j’étais assis à côté d’un « nomade » syndiqué, qui était intervenu au cours du débat sur la sous-traitance avec des paroles fortes. Cette question va bien au-delà des interventions de certaines entreprises très spécialisées et très compétentes. A La Hague, les syndicats nous ont mis devant des situations problématiques. Pour sortir de ce problème, M. Poniatowski avait proposé que le coût soit le même pour EDF, qu’il y ait appel à la sous-traitance ou non. En tant que responsables de collectivités territoriales, nous connaissons tous les limites du mieux-disant, dont fait état le rapport. Or, il ne s’agit pas ici de trottoirs ou de ronds-points, mais de nucléaire !

Il faut attirer l’attention du gouvernement – c’est l’objet de ma contribution – sur ce qui se passe dans l’opinion. Comment laisser se développer une forme de travail contradictoire avec les nouvelles règles de construction, de fonctionnement et de gestion du nucléaire ? A chaque fois qu’EDF a recours à la sous-traitance, il serait souhaitable qu’une négociation avec les syndicats s’engage pour éviter une montée en puissance de la protestation syndicale. C’est un ses sujets majeurs à l’heure actuelle. Nous ne répondrions pas aux attentes des salariés si nous ne le marquions pas fortement. Pour ces raisons, vous comprendrez que je m’abstienne sur ce rapport.

M. Claude Birraux, président. – Chacun ayant pu s’exprimer, je vais mettre aux voix les conclusions de ce rapport et vous demander l’autorisation de le publier.

Les conclusions du rapport sont adoptées

M. Didier Guillaume. – Que va-t-il se passer ensuite ?

M. Claude Birraux, président. – Nous allons enchaîner sur la deuxième étape.

M. Christian Bataille, rapporteur. – J’effectuerai un voyage en Allemagne en septembre et je vous invite à participer à ce déplacement. Il nous restera ensuite deux mois pour achever notre programme de travail, ce qui sera particulièrement court, alors que j’aurais voulu organiser de multiples déplacements en France mais aussi à l’étranger, ainsi en Corée, pays champion des réacteurs nucléaires low cost.