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Commission des affaires sociales

Mercredi 16 septembre 2009

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 09

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président puis de M. Jean-Luc Préel, Vice-président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale 2

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 16 septembre 2009

La séance est ouverte à dix heures.

(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la Commission)

La Commission des affaires sociales entend M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale.

M. le président Pierre Méhaignerie. Je suis heureux d’accueillir M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, pour la présentation du rapport annuel de la Cour sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale.

Ce rapport traite de trois points principaux.

D’abord, il procède à une analyse de l’ensemble des comptes des organismes pour l’année 2008 ainsi qu’à un examen de la mise en œuvre de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM).

La deuxième partie, qui regroupe les travaux consacrés aux dépenses hospitalières, à l’organisation de l’hôpital et à la mise en œuvre de la tarification à l’activité (T2A), met en lumière la très grande hétérogénéité des résultats, donc l’existence de marges de progrès.

Parmi les travaux sur la gestion des risques sociaux, présentés par la Cour en troisième partie, on retiendra en particulier les observations relatives à la durée d’assurance dans le calcul des droits à retraite et à la prise en compte des enfants dans la durée d’assurance pour la retraite.

M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes. C’est toujours pour nous un honneur de présenter devant votre Commission le rapport annuel de la Cour des comptes sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale. Comme à l’accoutumée, le rapport de 2009 commence par l’analyse des comptes de l’exercice clos, en l’occurrence celui de 2008, et rassemble ensuite divers travaux, relatifs aux différentes branches et régimes de base de la sécurité sociale.

Certains sujets, vous le constaterez, sont totalement dans l’actualité : ainsi en va-t-il des travaux sur les avantages familiaux de retraite, qui devraient être révisés par la prochaine loi de financement de la sécurité sociale. Certains autres sujets sont plus techniques, mais tout aussi importants à mes yeux : ainsi en va-t-il des travaux relatifs à la durée d’assurance pour le calcul des retraites ou à la mise en œuvre de la T2A.

J’ai tout à fait conscience qu’en dépit de la variété des sujets traités, nous ne répondrons pas à toutes les curiosités : nous ne dirons rien sur la grippe A, vous vous en doutez – c’est trop tôt. Rien non plus sur la crise et ses conséquences éventuelles pour notre protection sociale : notre rapport porte sur l’application de la loi de financement pour 2008, année encore peu marquée par la crise.

Notre travail pourrait apparaître, de ce fait, comme « décalé » ou même « déphasé ». Il est en effet évident que la crise et les réponses qui lui ont été apportées ont désormais, en 2009, et auront encore en 2010, un impact majeur sur les comptes sociaux. On sait déjà que les résultats de 2009 vont se dégrader très fortement, notamment sous l’effet de la baisse des recettes et de la progression, toujours dynamique, des charges. Le déficit va sans doute dépasser les 20 milliards d’euros. Mais tout cela, nous l’avions déjà évoqué devant vous en juin dernier lors de la présentation de notre rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques devant votre commission et la Commission des finances. Inutile donc d’y revenir, d’autant que l’évolution de la situation n’a fait que conforter notre première analyse.

En outre, rien ne serait plus dangereux à nos yeux que de tirer prétexte de la situation conjoncturelle pour ne pas voir qu’avant même la crise, la sécurité sociale faisait face à un déficit structurel de plus de 10 milliards d’euros – dans l’hypothèse la plus favorable – et à une dette cumulée de plus de 100 milliards. C’est ce que montre ce rapport. Il est ainsi tout à fait actuel, car il traite du problème de fond, celui des causes du déficit structurel, c’est-à-dire de ce qui demeurera, voire se dégradera encore, une fois les effets de la crise dissipés.

Rien ne serait donc plus dangereux que de faire de la crise un prétexte pour différer les indispensables réformes de notre protection sociale et de son financement.

On ne peut plus, en effet, se contenter de demi-mesures. Il faut certes lutter contre la fraude, réexaminer certaines réglementations obsolètes : on peut toujours « optimiser » le système existant, mais cela ne pourra suffire ni à résorber les milliards de dette accumulée ni à répondre à l’explosion des dépenses. Il faudra des mesures de plus grande ampleur, tant pour les retraites que pour l’organisation et le fonctionnement du système de santé. Ces mesures seront douloureuses pour beaucoup et seront, à n’en pas douter, impopulaires. Mais elles sont nécessaires si l’on veut sauvegarder au profit des générations futures le bénéfice de ce que nous ont légué ceux qui nous ont précédés.

On en vient même à penser que certaines des mesures ponctuelles mises en œuvre ont eu, faute de vision d’ensemble, des effets contreproductifs, pour ne pas dire pervers. Que penser du report croissant de charges sur des mutuelles et des complémentaires, alors que l’on connaît le caractère antiredistributif d’une telle évolution ? Que penser également du réflexe consistant à faire porter sur le malade une charge croissante ? La logique de notre système était précisément d’organiser une solidarité entre les Français, entre les bien-portants et les malades, entre les actifs et les retraités.

Il n’y a pas à s’étonner de la situation que nous vivons. Nous sommes dans un contexte qui n’est plus du tout celui de la période de création du système : d’un côté, nous devons faire face à une explosion des dépenses sous l’effet du vieillissement, du progrès médical, de l’attention accrue portée à la santé ; de l’autre, la mondialisation fait du poids des charges sociales une hypothèque pour la compétitivité de notre pays. Tel est le problème structurel. Pour y répondre, il faut des réformes profondes, des réformes de fond, non des demi-mesures ou des ajustements ponctuels. Et ces réformes doivent porter autant sur les dépenses que sur les recettes. En d’autres termes, il faut rationaliser les dépenses et remettre à plat le système de financement en gardant à l’esprit deux impératifs : celui de la compétitivité de notre économie et celui de l’équité.

Le rapport que je vous présente au nom de la Cour n’a d’autre ambition, comme ceux qui l’ont précédé, que d’analyser à cette aune deux des réformes structurelles engagées, mais trop timidement à notre sens, en ce qui concerne les retraites et l’hôpital. Il passe en revue également plusieurs exemples de réformes, moins profondes mais qui seraient pourtant utiles et qui se trouvent trop souvent à peine amorcées ou renvoyées à plus tard.

Avant de revenir sur ces points, je commencerai, comme tous les ans, par rendre compte des résultats des régimes obligatoires de base et des fonds de financement. Je ne dirai rien cette année des tableaux d’équilibre, sauf pour signaler que nous continuons à contester la présentation retenue pour ces tableaux dans le projet de loi, présentation qui, par le jeu de contractions de produits et de charges – provisions et reprises de provisions, par exemple –, conduit à afficher des montants inférieurs à ceux résultant de la consolidation des comptes des régimes. Pour autant, les soldes, eux, ne sont pas modifiés.

De façon générale, des progrès très importants restent à faire en matière de tenue des comptes. Je le rappelle, la Cour a refusé de certifier cette année les comptes de deux branches du régime général : vieillesse et famille. Ce n’est pas la marque d’une sévérité particulière. En effet, les commissaires aux comptes privés n’ont pas certifié les comptes de quatre autres régimes, et non des moindres puisqu’il s’agit du régime des salariés et exploitants agricoles, du Régime social des indépendants, de la Caisse d’assurance vieillesse des professions libérales et de la Caisse nationale autonome de la sécurité sociale dans les mines. Au total, les comptes, qui ont fait l’objet d’un refus de certification, représentent 45 % de l’ensemble des produits et charges des régimes de base. Cela donne une idée de l’ampleur des progrès à réaliser pour disposer de comptes fiables ! Voilà un sujet qui, à notre sens, pourrait faire l’objet d’un examen tout particulier à l’occasion de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, afin de connaître les intentions du Gouvernement en la matière. Je referme la parenthèse.

Le solde 2008, pour l’ensemble des régimes de base et des fonds de financement, ressort à - 11,9 milliards d’euros, contre - 11 milliards en 2007, si l’on met à part la reprise des dettes du Fonds de financement des prestations sociales agricoles (FFIPSA) par l’État. Ce résultat traduit une légère dégradation par rapport à celui de 2007, mais il reste dans la ligne de ceux constatés depuis 2003, période au cours de laquelle les déficits ont toujours été supérieurs à 10 milliards d’euros.

Preuve que la crise n’avait que tardivement produit ses effets en 2008, les cotisations ont continué à augmenter, même si le rythme s’est un peu ralenti. La croissance de la masse salariale du privé, assiette des cotisations, s’est ainsi élevée à 3,6 % en 2008, contre 4,25 % en 2007.

Du côté des dépenses, de même, le rythme de progression ne s’est que peu infléchi : 5,5 % pour les prestations de retraites du régime général au lieu de 6,1 % en 2007, et 3,7 % pour les prestations en maladie au lieu de 4,1 % en 2007. Les déficits de ces deux branches restent donc importants : 4,4 milliards pour le seul régime général en maladie, soit une légère amélioration et 5,6 milliards pour la branche vieillesse du régime général, encore en dégradation sensible, soit un total de 10 milliards pour les deux branches.

Comme on le constate, l’effet de ciseaux entre l’évolution des produits et des charges s’était déjà, pour ces deux principaux risques, un peu accentué avant même la crise. Inutile de préciser qu’il va encore fortement s’accroître au cours des prochaines années. En 2009 et 2010, les recettes devraient au mieux stagner, alors que l’évolution des dépenses devrait rester inchangée.

En 2008, les résultats ont été améliorés par le rattachement à l’exercice de recettes non récurrentes : il s’agit notamment de la prise en compte de deux années de recettes de CSG sur les placements – du fait d’une réforme des règles de prélèvement –, ce qui améliore les résultats pour environ 1,4 milliard d’euros, et de celle de cinq trimestres de cotisations sociales dues par les employeurs indépendants, pour 0,9 milliard.

Au total, avec diverses autres opérations exceptionnelles, le résultat a été amélioré de près de 3 milliards d’euros. Ce qui signifie que l’on devrait en réalité retenir un déficit structurel – j’insiste sur ce terme – de l’ordre de 15 milliards d’euros en 2008.

Comme chaque année, la Cour a ensuite examiné les conditions de financement des découverts. Les déficits accumulés ont un coût : il est désormais nécessaire de consacrer plus de 7 milliards de prélèvements sociaux et fiscaux au paiement des intérêts et à l’amortissement de la dette sociale. Or, la sécurité sociale rencontre de plus en plus de difficultés à assurer le « portage » de cette dette. En témoignent les tensions intervenues entre l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) et la Caisse des dépôts et consignations, notamment pour le calcul des rémunérations liées aux avances faites au régime général. Là encore, le caractère structurel du problème semble négligé, puisque cette dette est traitée comme si elle correspondait à des découverts infra-annuels, alors qu’elle résulte de déficits accumulés, pour des montants croissants. La composante de l’endettement qui dépasse les seuls besoins infra-annuels devrait donc être isolée dans la loi de financement et sa reprise par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) doit être prévue, sans attendre que les déficits cumulés atteignent des dizaines de milliards d’euros. En effet, la pratique actuelle revient à priver de son sens la règle, pourtant posée par la loi organique, qui prévoit que l’endettement de long terme est porté par la CADES et que celle-ci doit disposer de ressources nouvelles en cas de reprise de dette, de sorte que son horizon d’apurement demeure inchangé. J’ajoute qu’en cas de remontée des taux d’intérêt, cette pratique s’avérerait immanquablement coûteuse.

Je suis bien conscient que le retour à l’équilibre, dont l’horizon n’avait d’ailleurs cessé de s’éloigner d’une loi de financement à l’autre, est maintenant hors d’atteinte tant que la croissance ne sera pas revenue. Il faut donc, en attendant, refinancer la dette en fonction de ses composantes et ne pas exclure de prévoir les recettes fiscales nécessaires à son amortissement.

Nous savons, par ailleurs, que les mesures d’économies ont rarement un rendement immédiat important. Cela ne dispense pas d’en prévoir, à condition qu’elles soient chiffrées de manière réaliste et effectivement mises en œuvre. Or, nous notons également, dans notre analyse de l’ONDAM, le rendement finalement amoindri, par rapport aux prévisions, des différentes actions d’économies ciblées. Toutes ces questions seront débattues, j’en suis sûr, lors de l’examen du prochain projet de loi de financement. Elles devraient inciter à relancer la recherche de redéploiements et d’économies partout où cela est possible sans fragiliser notre cohésion sociale.

Comme les années précédentes, une part importante de notre rapport porte sur les différentes politiques sociales et sur la gestion des organismes sociaux pour identifier des sources d’efficacité et d’efficience.

Je ne voudrais cependant pas que les membres de votre commission, et nos lecteurs en général, en retirent le sentiment que, pour la Cour, tout est négatif et contestable. Nous relevons, au contraire, nombre de progrès dans la gestion des organismes du régime général, dans la mise en œuvre du contrôle interne ou dans les performances des différentes branches. Le mouvement de regroupement des organismes, qui permet de leur donner la masse critique nécessaire, est désormais bien engagé. Dans le cadre des missions permanentes qui sont confiées à la Cour par la loi, nous rendons compte, en effet, du plus ou moins bon fonctionnement des organismes que nous contrôlons par l’intermédiaire du réseau d’alerte. Nous avons dans ce cadre spécifiquement examiné la situation des caisses générales de sécurité sociale dans les départements d’outre-mer, qui, elles, ne vont pas très bien. Il faut dire que leur mission à vocation multibranches et multirégimes est objectivement difficile. Nous appelons les caisses nationales à les soutenir davantage.

Nous montrons également, dans notre analyse des versements de cotisations sociales par l’État employeur, que celui-ci respecte généralement ses obligations, le ministère de la défense faisant cependant l’objet de nombreuses observations. Nous avons également analysé certains aspects des politiques de gestion du personnel des caisses du régime général, en relevant les progrès, encore hétérogènes il est vrai, vers une plus grande prise en compte des mérites individuels des personnels.

Ces diverses missions de contrôle, essentielles dans un État de droit et pour des services publics de cette importance, ont également pour mérite de nous aider à mettre en évidence les points sensibles. Elles nous permettent de relever les faiblesses dans la mise en œuvre des réformes en cours ou d’identifier diverses mesures susceptibles d’améliorer l’efficacité ou l’efficience des politiques sociales.

Sur le plan non plus de la gestion courante, mais de la mise en œuvre des réformes souhaitables, le constat est en effet beaucoup plus critique. Nombre de réformes qui pouvaient apparaître courageuses semblent ainsi se perdre dans les sables ou souffrir d’une application insuffisante ou trop partielle. J’en prendrai pour illustration deux réformes d’ampleur que nous avons examinées cette année : le plan Hôpital 2007, lancé en 2003, et la réforme des retraites de 2003. Je donnerai ensuite d’autres exemples de moindre portée, mais qui témoignent également, je crois, de cette difficulté et souvent de cette lenteur que nous constatons dans les évolutions indispensables des politiques sociales, difficulté et lenteur qui résultent souvent de l’insuffisante préparation des réformes, de la précipitation de leur mise en place ou des modifications de dernière minute dont la faisabilité est mal expertisée.

Premier exemple, la réforme hospitalière, initiée en 2003. Nous examinons successivement ses trois volets : la réforme de la gouvernance, avec notamment la création des pôles d’activité et, plus généralement, la question de l’organisation de l’hôpital public ; le volet immobilier du plan d’investissement « Hôpital 2007 » ; enfin la mise en œuvre de la tarification à l’activité.

Ces trois réformes auraient pu, auraient même dû sans doute, dessiner un cercle vertueux, au service d’un projet de restructuration de la carte hospitalière. Des tarifs fondés sur l’activité devaient pousser à rechercher une meilleure efficacité dans les différents services et à regrouper les établissements dont l’activité est insuffisante. Les aides à l’investissement devaient en priorité aider ces opérations de restructuration. Enfin, les outils nouveaux, dans les pôles et les services, devaient être désormais mis au service d’une approche intégrant le souci d’efficacité et d’efficience des soins, favorisant les regroupements de moyens et les synergies.

Or que constatons-nous ? L’enquête sur l’organisation de l’hôpital a confirmé l’étonnante disparité des performances, même pour des hôpitaux de taille comparable : les résultats économiques, la productivité des personnels, le coût des urgences, la part des examens dans ces urgences, le coût de la permanence des soins… Je pourrais multiplier les constats, détaillés dans le rapport, qui montrent des écarts souvent surprenants. Un seul exemple cependant : en chirurgie orthopédique, secteur où les comparaisons sont les plus aisées à établir, l’encadrement en personnel médical par lit varie de 1 à 10 selon les établissements considérés. Pour les personnels non médicaux, l’écart reste important, variant de 1 à 3. Et tout le reste à l’avenant… Aucun établissement n’obtenait d’ailleurs en 2006 des résultats satisfaisants dans les trois filières examinées – chirurgie orthopédique, obstétrique et pneumologie – ce qui laisse à penser que des progrès sont possibles dans tous les établissements. Autrement dit, que ces progrès restent à faire.

L’enquête a également permis de montrer que les recommandations de la Mission nationale d’expertise et d’audit hospitaliers (MEAH) – qui sera fusionnée dans la nouvelle Agence nationale d’appui à la performance –, restaient, par exemple en matière d’utilisation des blocs opératoires ou d’organisation des urgences, souvent ignorées ou non appliquées. On peut mettre ces constats en lien avec la mise en œuvre encore limitée des pôles, qui ne disposent qu’exceptionnellement des outils, des données et des délégations de compétence qui leur permettraient de contribuer à l’amélioration de la gestion des soins.

Deuxième constat, cohérent avec le premier, la tarification à l’activité a été introduite avec une rigueur insuffisante, ce qui a conduit tout d’abord à une succession de mesures correctives, le plus souvent prises en cours d’année, peu expliquées aux établissements, qui ont du coup davantage subi que compris les tarifs qui leur étaient notifiés. À mi-parcours – puisque, comme vous le savez, une période de transition est ouverte jusqu’à fin 2012 –, plusieurs questions de fond, posées depuis l’origine, n’ont toujours pas été véritablement traitées : quels coûts les tarifs doivent-ils couvrir ? Que peut signifier l’objectif de convergence entre les deux secteurs public et privé ? Quelle part donner aux dotations affectées au financement des missions d’intérêt général et à l’aide à la contractualisation (MIGAC) ? L’absence d’une stratégie d’ensemble se traduit également par une absence de cohérence dans l’évolution des différentes sources de recettes, qu’il s’agisse des arbitrages entre tarifs et dotations, du calcul des tickets modérateurs fondés sur des prix différents des tarifs T2A, ou de la tendance des hôpitaux publics à facturer des suppléments. Il en résulte une réduction insidieuse de la part des soins hospitaliers pris en charge par l’assurance maladie, même si cette part reste encore nettement plus élevée dans le secteur public que dans l’hospitalisation privée. Bref, le profit attendu de la mise en œuvre d’une tarification à l’activité, à savoir la mobilisation et la dynamisation des ressources dans les établissements, s’en est trouvé sensiblement amoindri.

Notre dernier constat concerne le volet immobilier du plan « Hôpital 2007 ». Certes, il fallait aider les établissements à se moderniser. C’était même indispensable. Mais, les moyens disponibles auraient dû être concentrés sur les projets réellement structurants, en complément des efforts d’adaptation imposés par le nouveau dispositif tarifaire. C’est bien ce qui était prévu, à l’origine, avec une enveloppe significative de 6 milliards d’euros. Mais, très vite, on a laissé dériver le montant des travaux aidés, porté dès le démarrage du plan à 10,6 milliards, puis encore accru au fil des mois jusqu’à plus de 16 milliards. Si quelques aides supplémentaires ont été mobilisées, à partir de la réserve ministérielle ou des réserves régionales des agences régionales de l’hospitalisation (ARH), le solde, soit près de 10 milliards, a été financé par les emprunts que les établissements ont dû contracter, dans des conditions parfois contestables, alors même que leur situation financière devenait plus fragile.

Quant à l’appréciation des effets qualitatifs du plan, elle est encore plus difficile en l’absence de recueil de l’information utile et de méthode adaptée. Des cas d’investissement peu efficaces ont été notés : ainsi en est-il du pôle mère-enfant, au Havre, analysé par la chambre régionale des comptes de Haute-Normandie, et de bien d’autres, non détaillés dans le rapport, qui ont mis en lumière des cas de suréquipement manifeste. Avant même la fin des travaux, une agence régionale a ainsi annoncé que certaines salles d’opérations neuves ne seraient pas ouvertes ! Les exemples donnés dans le rapport sont d’ailleurs équitablement répartis sur le territoire. À Tarbes, ce sont dix nouveaux blocs opératoires qui ont été construits – hors plan « Hôpital 2007 », faut-il préciser ? – alors que l’activité chirurgicale baisse dans cette ville depuis 2004.

Au total, aucune de ces réformes n’est critiquable sur le fond. C’est leur liaison défaillante et le manque de rigueur dans leur application qui a, au moins en partie, conduit à des résultats jusqu’à présent décevants. Je ne sous-estime évidemment pas la difficulté du chantier de la réforme hospitalière, dont témoigne d’ailleurs la récente loi Hôpital, patients, santé, territoires (dite « HPST »). Notre ambition est que les recommandations de la Cour soient utiles aux futures prises de décisions.

Deuxième sujet d’importance traité par la Cour cette année : les retraites. Nos travaux abordent en partie les effets de la réforme importante de 2003. Nous les avons concentrés cette année sur la durée d’assurance, l’un des paramètres du calcul des retraites réformé en 1993, puis en 2003. Je ne vous surprendrai guère en concluant que de nouvelles évolutions paraissent indispensables. Comme chacun sait, un nouveau rendez-vous concernant les retraites est prévu en 2010. Les temps ont en effet changé : la générosité des régimes de retraite, découlant de réformes mises en place dans les années 1970 et 1980, n’est aujourd’hui plus soutenable, en raison de la dégradation des rapports démographiques et leur corollaire, l’accroissement des déficits des régimes de retraite, et cela indépendamment de la crise économique actuelle.

La loi de 2003, en rendant encore plus complexe un corpus de règles déjà particulièrement dense et peu lisible, a rendu très difficile la prévisibilité des évolutions affectant les retraites. Néanmoins, il apparaît d’ores et déjà que le coût des départs en retraite anticipée pour carrières longues – 8,3 milliards d’euros pour le seul régime général depuis 2003 – a été très largement supérieur aux prévisions, en raison du recours massif à des systèmes de validation de trimestres mal calibrés et mal encadrés, faute d’avoir été réformés en temps utile. Le nombre de bénéficiaires a ainsi été supérieur de 80 000 au nombre initialement prévu. Au total, l’âge moyen de départ à la retraite a diminué entre 2001 et 2007, passant de 62 à 61 ans. On constate donc un effet exactement inverse du résultat espéré !

En matière de retraites, l’heure n’est plus à la multiplication des avantages catégoriels. Cette idée simple mérite encore d’être rappelée. Sans entrer dans le détail des mesures dont ont bénéficié les assurés du régime des travailleurs indépendants en 2009, je me contenterai de souligner que, pour gratifier les quelque 6 000 volontaires ayant participé à l’organisation de la Coupe du monde de rugby en 2007, on aurait quand même pu trouver un autre moyen que l’octroi de trimestres pour la retraite, partiellement financé par l’État !

La Cour recommande donc que l’équilibre des règles d’acquisition de trimestres pour la durée d’assurance soit modifié, dans le sens d’une contributivité renforcée, pour toutes les catégories d’assurés et pour toutes les générations.

Dans cette perspective, les pistes de réformes proposées dans le rapport sont nombreuses – je vous invite à vous y reporter. Parmi elles, certaines concernent plus spécifiquement la prise en compte des enfants dans la durée d’assurance pour les retraites. Les constats relatifs à la complexité du dispositif de l’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) ou à la nécessité de réformer la majoration de durée d’assurance (MDA) pour éviter son extension aux pères, apparaissent largement partagés. Ces dispositifs sont aujourd’hui inadaptés et peu compatibles avec l’objectif d’une augmentation du taux d’activité des femmes fixé par la stratégie de Lisbonne. Chacun convient qu’une réforme est indispensable.

Encore faut-il en dessiner les contours, clarifier les enjeux et les contraintes. En premier lieu, il n’appartient pas, selon nous, aux régimes de retraite de compenser l’effet sur le niveau des pensions des différences de salaires entre hommes et femmes, mais uniquement les interruptions de carrière dues aux jeunes enfants. Les prestations minimales sous condition de ressources sont précisément destinées à compléter les revenus trop faibles de certains retraités : c’est là leur objet même.

En second lieu, le contexte démographique et financier de la branche vieillesse nous paraît disqualifier toute solution qui consisterait seulement à partager des droits existants entre les parents ou à les étendre sans conditions aux pères, ce qui coûterait au moins 3 milliards d’euros.

La perspective sur laquelle nos travaux débouchent est donc celle d’une réforme des deux dispositifs, pour mieux cibler leurs effets et pour améliorer leur articulation. Ainsi, une assurance vieillesse des parents au foyer simplifiée compenserait les interruptions de carrières des parents motivées par l’éducation des jeunes enfants et une majoration de durée d’assurance réduite serait attribuée aux seules femmes en raison de l’accouchement ou de l’adoption.

Au-delà des deux chantiers d’ampleur que constitue la réforme hospitalière et des retraites, d’autres études confirment également le caractère trop partiel ou trop lent des réformes conduites jusqu’à présent.

Premier exemple développé dans le rapport, celui des centres d’examens de santé qui offrent aux assurés du régime général, tous les cinq ans, un examen de prévention. Nous mettons en évidence que le contenu de cet examen est très variable et que les liens avec les médecins traitants sont peu rigoureux – ce « peu rigoureux » étant une nouvelle illustration de ces litotes qu’affectionne la Cour ! Nous rappelons que, depuis des années, les spécialistes de santé publique interrogés par la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAMTS) doutent de l’utilité même de ces examens et que les efforts pour les recentrer vers les publics précaires sont restés largement lettre morte. Dans ces conditions, comment justifier encore que près de la moitié des crédits de prévention de la caisse nationale, soit environ 150 millions d’euros par an, aille vers ces structures où travaillent plus de 2 000 personnes, personnel médical et surtout administratif ? Nous préconisons de les reconvertir, partout où c’est utile et possible, en centres de santé et de les supprimer dans les autres cas. Le diagnostic de lenteur des évolutions est ici d’autant plus évident que la Cour avait déjà formulé cette remarque en 1999.

De même, notre constat sur le contrôle médical de la caisse nationale reprend celui fait il y a près de dix ans, même si depuis lors une réforme structurelle importante – ou ressentie comme telle – a été réalisée. Depuis 2004, les services liquidant les prestations et les services du contrôle médical travaillent ensemble. Pour autant, le basculement de l’activité du service du contrôle médical vers des missions de contrôle a posteriori à partir d’une analyse préalable des risques, que nous appelons de nos vœux, n’a pas encore été accompli. Les quelque 9 000 médecins et personnels administratifs de ce service restent encore, pour l’essentiel, accaparés par des tâches d’instruction des autorisations préalables à certains soins, d’autant moins utiles que les taux de rejet sont le plus souvent très faibles. Par ailleurs, le contrôle des admissions en affection de longue durée (ALD) serait plus efficace, selon nous, s’il était exercé a posteriori, au moins pour les affections où les taux de rejet sont très faibles. En contrepartie, les moyens rendus disponibles par un allégement des contrôles a priori devraient être affectés au contrôle de la facturation des soins à l’hôpital, encore trop peu développé.

Toujours en ce qui concerne la gestion de l’assurance maladie, nous revenons également, cinq ans après de premières observations, sur les politiques de maîtrise, très insuffisantes, des dépenses de radiologie et de biologie, respectivement de 5,6 milliards et de 6,1 milliards d’euros. Dans ces deux secteurs, les évolutions technologiques permettraient des baisses de tarifs très supérieures à celles qui ont été jusqu’ici pratiquées. Les données disponibles sur le coût comparé des analyses biologiques montrent ainsi que les prix en France sont deux à trois fois supérieurs à ceux de pays voisins. Un seul exemple, l’analyse microbiologique d’urine, qui coûtait en 2004 2,74 euros en Suède et 6,93 euros en Italie, s’élevait à 18,90 euros en France, selon les données rassemblées par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Nous préconisons donc à la fois de poursuivre les baisses tarifaires et de supprimer les entraves actuelles au regroupement des laboratoires. Le potentiel d’économies est très élevé dans ces deux domaines.

Une trop grande lenteur caractérise aussi la réforme du régime des mines, qui a été tardive et qui reste inaboutie. Son système de soins – cabinets médicaux ou dentaires – ne s’ouvre qu’à grand-peine aux assurés des autres régimes et sa gestion assurantielle devrait être totalement déléguée. Ce n’est pas encore le cas pour l’assurance maladie, les projets en ce sens ayant pris du retard, alors que la gestion des retraites et le recouvrement des cotisations ont été délégués à la Caisse des dépôts. Je citerai un chiffre à valeur de symbole : les actifs assurés par ce régime étaient 400 000 en 1950, ils ne sont plus que 10 000 aujourd’hui, dont 30 % sont des agents administratifs des caisses minières ! Ce régime devrait donc être mis en extinction.

Et que dire des quelque 4 000 travailleurs sociaux des caisses d’allocations familiales – leur nombre n’est connu que de manière approximative – dont l’activité est très peu encadrée au niveau national, alors même qu’elle ne l’est que très inégalement sur le plan local ? Seules 35 caisses sur 123 disposaient d’un projet de travail social formalisé, et seules 38 avaient un volet correspondant dans leur contrat pluriannuel de gestion. Plus grave, seules 40 avaient signé une convention d’action sociale départementale avec les conseils généraux en 2008, alors que ce sont les départements qui ont la responsabilité de droit commun de l’action sociale. Pour les différentes aides financières individuelles, examinées en particulier par la Cour, seules quatre caisses avaient coordonné leur versement avec les différents partenaires. L’enjeu, à savoir le traitement de la précarité et de l’insertion, devrait cependant mobiliser toutes les énergies, au-delà du principe du « chacun chez soi » ou même de celui du « pour vivre heureux, vivons cachés ».

Ces quelques exemples montrent que les réformes sont, non pas inexistantes, mais lentes, et qu’elles ne sont pas à la hauteur de l’évolution du contexte et des besoins – quand elles ne produisent pas des effets contraires à ceux initialement recherchés, comme on l’a vu pour les retraites.

Certes, vous lirez dans le rapport que nombre de nos recommandations sont suivies d’effet, complètement ou partiellement. Pour autant, plusieurs sujets examinés cette année, que j’ai brièvement résumés, révèlent souvent une forme de résistance, au fond assez naturelle contre les adaptations. Résistance des organismes, quitte à s’inventer, comme pour les centres d’examens de santé, d’étonnantes missions dans le cadre d’enquêtes de santé publique, résistance des régimes qui défendent la spécificité de leurs missions même quand la réalité sociologique qui les fondait a disparu – comme aux mines – routine des procédures du contrôle médical qui empêchent, sous la masse des autorisations préalables, un ciblage qui pourrait être plus rentable… Ce qui est moins naturel, en revanche, c’est la trop grande passivité des tutelles et des décideurs, seuls porteurs de l’intérêt général, devant ces pesanteurs dont les coûts, additionnés, finissent par compter.

La crise économique et ses conséquences sur les finances publiques et sur les déficits ne font que renforcer notre conviction de la nécessité de réformes structurelles fondées sur des principes clairs et sur des priorités, tenant compte des équilibres démographiques et des capacités de financement. Il faut avoir le courage de repenser certaines prestations, fruit d’une sédimentation de réformes et qui ne correspondent plus au contexte social et économique du XXIe siècle. De même, la recherche d’une plus grande efficacité et d’une plus grande efficience plaide pour que soient remis en cause les particularismes catégoriels non justifiés. Économie et équité doivent guider des réformes qui, je le sais, sont très difficiles dans le domaine social où le concept de droits acquis reçoit une définition extensive, pour ne pas dire excessive.

Dès lors, il peut paraître provoquant, dans le contexte médiatique actuel, d’insister sur la nécessité de restructurer les hôpitaux pour améliorer la sécurité sanitaire et pour accroître la productivité, ou encore d’affirmer que la remise en cause partielle des avantages familiaux de retraite est nécessaire. Il nous arrive parfois de nous sentir un peu isolés.

Mais, comment justifier le report sur les générations suivantes du coût des inadaptations structurelles entre les dépenses, que nous n’arrivons pas à maîtriser, et les recettes, que ne voulons pas augmenter ?

La Cour n’est pas seule à penser que la recherche d’économies ne suffira pas à équilibrer notre protection sociale obligatoire et qu’il faudra chercher des ressources nouvelles, en commençant par réduire les « niches sociales », comme votre commission s’est déjà employée à le faire. À défaut, cela reviendrait à faire financer le coût de ces exonérations, dont la Cour a démontré la justification souvent contestable, par des économies supplémentaires sur les dépenses au moyen, par exemple, de moindres remboursements de soins. Cela ne paraît pas très juste !

Nous ne revenons pas directement cette année sur le sujet des recettes, même si une insertion du rapport traite de la question sensible des contrôles réalisés par les URSSAF, de leur ciblage, des suites qui leur sont données, de leur organisation qui peut être améliorée selon nous par un regroupement des moyens au plan régional.

Si nous avons privilégié le volet dépenses, il doit être cependant clair que la Cour juge éminemment dangereux de laisser filer des déficits sociaux, qui pourraient bientôt constituer de l’ordre de 10 % des flux annuels. Ces déficits mettent en danger le socle même de notre protection sociale obligatoire. Dès lors, on ne peut plus exclure une augmentation des prélèvements sociaux. Ce serait une capitulation et l’explosion assurée du système. Je sais que cette idée reste taboue. Mais, si on ne la traite pas frontalement, on n’aboutira jamais qu’à de fausses solutions. Mieux vaut mettre la question du financement sur la table pour trouver les solutions les plus satisfaisantes, notamment en termes de compétitivité et d’équité.

Je souhaite pour finir que ce rapport contribue à éclairer votre commission, et au-delà, toute l’Assemblée nationale, au moment où des décisions pas forcément populaires doivent être envisagées. Votre commission a déjà montré les années passées tout l’intérêt qu’elle porte à nos travaux en reprenant dans ses propres réflexions certaines propositions de la Cour.

Ce treizième rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale fait partie de la mission qui incombe à la Cour, aux termes de la Constitution, d’« assister le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de la sécurité sociale ». Mais bien évidemment, par l’intermédiaire du Parlement, c’est aussi à l’opinion que ce rapport rendu public s’adresse. C’est une exigence démocratique de transparence, mais c’est aussi et en même temps une exigence d’efficacité, tant il est vrai qu’aucune réforme ne peut progresser sans que les débats publics utiles aient pu au préalable avoir lieu. C’est particulièrement vrai dans le domaine de la sécurité sociale.

L’ouverture de cette séance de votre commission à la presse, que vous avez décidée cette année, monsieur le président, est une initiative particulièrement symbolique de ce double souci, de transparence et d’efficacité.

M. le président. La situation que vous nous avez présentée est grave, M.  le Premier président. Derrière les exemples que vous avez cités, nous avons tous notre part de responsabilité : élus, organisations syndicales, médias…

M. Maxime Gremetz. Sans oublier les patrons et le MEDEF !

M. le président. Pour 2010-2011, nous devons tous nous engager pour une meilleure maîtrise de la dépense publique – les marges de productivité sont énormes – et pour la mise à plat de notre système fiscal.

Il faut poursuivre le débat sur les niches. Tant que nous ne sommes pas sortis de la crise, tant que le problème essentiel est le chômage, donnons-nous un peu de temps pour mettre à plat notre système fiscal et pour adapter notre modèle social. C’est ce que je souhaite profondément, et je veux que notre commission et la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) y travaillent en 2010. Le poids des déficits est tel, qu’il peut remettre en cause beaucoup de nos convictions, y compris européennes. Chacun doit prendre sa part à cet effort.

M. Yves Bur, rapporteur du projet de loi de financement de la sécurité sociale, pour les recettes et l’équilibre général. C’est un rapport éloquent de justesse et de réalisme. La Cour souligne tous les travers de l’organisation institutionnelle française, ces travers qui retardent des réformes que nous savons pourtant indispensables. Trop souvent peut-être, nous considérons qu’aller plus loin n’est pas possible et nous faisons la réforme possible au lieu d’engager la réforme nécessaire. Dans le domaine social, le pays arrive à la limite de ce qu’il peut supporter financièrement. La pratique consistant à implorer « encore une minute, monsieur le bourreau » ne sera plus longtemps possible.

Le rapport met en évidence la difficulté de mise en œuvre des réformes engagées, souvent incomplètes, insuffisantes et déployées selon un rythme trop lent. Quelles recommandations générales la Cour pourrait-elle formuler pour accélérer ce rythme ?

La Cour analyse également une situation financière dont on voit bien qu’elle va se dégrader rapidement. L’ACOSS se retrouvera bientôt dans une situation inédite, celle de devoir porter un déficit de plus de 22 milliards d’euros pour 2009 et un déficit prévisionnel approchant les 30 milliards pour 2010. Envisager un retour à l’équilibre les années suivantes sans réforme profonde n’est pas réaliste. Avec un besoin de trésorerie de plus de 60 milliards pour 2009-2010, l’ACOSS ne devra-t-elle pas compter sur la CADES pour l’accompagner dans la gestion de son déficit ?

S’agissant du contrôle exercé par les URSSAF, les missions des inspecteurs deviennent de plus en plus complexes, à cause non du nombre de contrôles mais de la superposition de dispositifs ajoutés chaque année – et à chaque fois dans des intentions louables. Il me semble que c’est la complexité législative et réglementaire qui est d’abord en cause. Ainsi, il est reversé annuellement près de 300 millions d’euros aux entreprises à la suite d’erreurs qu’elles ont commises en leur défaveur.

Quelle appréciation la Cour porte-t-elle sur la réforme, pour le moins calamiteuse, visant à mettre en place un interlocuteur social unique ? Il semble bien qu’il restera une incompatibilité entre les systèmes informatiques du Régime social des indépendants et des URSSAF.

Par ailleurs, comment le dispositif de la T2A pourra-t-il jouer pleinement son rôle et catalyser les restructurations nécessaires ? Comment clarifier le débat sur la convergence intrasectoriellle puis intersectorielle – ce dernier objectif étant du reste reporté à 2018 ? La stabilisation que la Cour appelle de ses vœux semble souhaitable. Les contrats de retour à l’équilibre financier passés pour la période 2004-2008 ont été peu probants. Qu’en est-il des contrats engagés depuis ?

Enfin, si la France était retenue comme pays organisateur du championnat d’Europe de football en 2016 – et je sais, monsieur le Premier président, que vous vous y intéressez vivement –, pourrait-on veiller à ce que cela ne pèse pas davantage sur les régimes de retraite ?

M. le Premier président. Le préalable à la mise en œuvre des réformes nécessaires est que tous ceux qui interviennent dans le processus, de la phase législative à la phase d’application, sachent prendre leur temps. Ensuite, il faut tirer tout le parti possible des modifications récemment apportées à la Constitution. Le Parlement doit notamment se montrer féroce en matière d’études d’impact. Il faut que l’on comprenne que vous n’êtes pas prêts à vous satisfaire d’études réalisées à la va-vite. Beaucoup de projets présentés ne seraient pas les mêmes si l’on avait passé le temps nécessaire à cet exercice. Je vous invite à vous montrer extrêmement exigeants lorsque les premières études réalisées en application des nouvelles dispositions constitutionnelles vous seront transmises.

L’évaluation pose également des problèmes juridiques et méthodologiques complexes. Ce n’est pas une démarche à laquelle on est habitué en France, ce qui explique d’ailleurs nombre de nos déboires. Il faudra veiller à ce qu’il y ait complémentarité entre les dispositions de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale en la matière et les dispositions issues de la modification du Règlement de l’Assemblée. Il faudra aussi y mettre l’argent nécessaire. S’il y a des investissements productifs, c’est bien ceux que l’on consacre à l’évaluation des politiques menées !

Comme vous, monsieur Bur, la Cour pense que l’ACOSS ne peut supporter son déficit. La seule solution est le transfert à la CADES, assorti des ressources nécessaires à l’amortissement. Sinon, je le répète, la situation sera insoutenable.

Concernant les URSSAF, la complexité des règles explique en effet les situations que nous avons constatées. Notre propos porte principalement sur les insuffisances de gestion des programmes. L’exemple de l’interlocuteur social unique et des difficultés de dialogue entre le RSI et les URSSAF est révélateur. Nous avons abordé le sujet dans le cadre de la certification et nous nous appuyons également sur des travaux plus anciens de l’IGAS. La principale difficulté provient des écarts importants entre les fichiers de cotisants gérés par les URSSAF et ceux qui sont gérés par le RSI. On trouve des cotisations qui sont connues dans un réseau mais pas connues dans un autre ; pis, on trouve des cotisants identifiés de façon différente selon le réseau ! Le Gouvernement a annoncé une remise en ordre avant la fin de l’année. Je lui laisse ce pronostic… Cela dit, le dysfonctionnement a eu aussi, de façon perverse, des effets heureux pour certains dans la mesure où de nombreuses cotisations n’ont pas été recouvrées. Si le nombre des satisfaits et celui des mécontents s’équilibrent sans doute, nous sommes, nous, très mécontents de la façon dont les choses se passent.

Mme Rolande Ruellan, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes. La Cour a en effet souhaité une pause dans la mise en œuvre de la T2A. Elle n’a jamais contesté la pertinence et l’utilité de cette réforme importante, mais celle-ci intervient au moment où un plan de maîtrise des dépenses d’assurance maladie – tout à fait justifié lui aussi – est également lancé. Sa logique s’en est trouvée quelque peu perturbée.

Ainsi, on ne sait toujours pas dans quelle mesure les tarifs correspondent aux coûts. Ceux-ci sont éminemment variables : dans une clinique qui se spécialise dans un certain type d’acte, le coût de l’acte et du séjour est forcément plus faible que lorsque l’acte est exécuté marginalement dans un hôpital public. On le sait, la panoplie des groupes homogènes de malades (GHM) est bien plus large dans les établissements publics.

Pour autant, nous ne contestons pas l’idée d’une convergence intersectorielle. Il faut seulement se donner le temps, comme vous l’avez choisi en votant le report à 2018. Il y a trois ans déjà, la Cour avait souligné que cette affaire nécessitait de nombreux prérequis.

À l’intérieur de chaque secteur, la logique de la T2A s’est trouvée perturbée par la montée en charge des missions d’intérêt général et des aides à la contractualisation (MIGAC). Nous ne disons surtout pas qu’il y aura un financement exclusif par tarif : il y aura toujours des dotations forfaitaires, à condition toutefois qu’elles correspondent à des dépenses bien identifiées et chiffrées. Or, autant les missions d'enseignement, recherche, référence, innovation (MERRI) et certaines missions d’intérêt général (MIG) sont bien identifiées, autant la partie « aide à la contractualisation » (AC) constitue un point noir. Son accroissement de 43 % en quelques années ne correspond à rien d’autre qu’à la nécessité de combler les difficultés des établissements, en leur apportant des ressources au-delà des tarifs. Cette aide, destinée à financer l’amortissement des investissements, sert en fait à financer les contrats de retour à l’équilibre. Voilà pourquoi la Cour prépare pour l’année prochaine une étude sur la situation financière des hôpitaux. Au-delà des questions qu’elle a déjà soulevées au sujet des emprunts dangereux, elle souhaite expertiser le problème des déficits – dont on soutient qu’ils diminuent cette année.

En l’état actuel, la T2A ne peut répondre à toutes les difficultés. Il faut stabiliser le système, car les hôpitaux pâtissent de l’évolution constante de la réglementation. Le passage de 950 à 2 500 groupements homogènes de séjour (GHS) est en soi une bonne chose, puisqu’elle permet de distinguer les établissements selon la difficulté des cas qu’ils accueillent. On remarque d’ailleurs que les CHU n’en tireront pas forcément bénéfice, puisque 90 % de leur activité s’apparente à celle de centres hospitaliers qui traitent de cas tout aussi difficiles.

Mme Marie-Anne Montchamp, rapporteure pour avis du projet de loi de financement de la sécurité sociale au nom de la Commission des finances. La Cour relève qu’il faut désormais consacrer 7 milliards d’euros au paiement des intérêts et à l’amortissement de la dette sociale. N’y a-t-il pas là un « risque dans le risque » ? Comment assurer de façon performante et consolidée le financement de la protection sociale ? Dans le cadre d’une saisine conjointe, la Commission des affaires sociales et la Commission des finances ont interrogé la Cour sur cette question d’autant plus aiguë que l’effet de levier de la crise risque d’être considérable.

Au-delà des recommandations présentées dans le rapport, quelle est votre analyse des risques couverts par la protection sociale ? Les risques pris en compte au moment de la mise en œuvre de notre système n’ont-ils pas profondément changé ? Ne faut-il pas les repenser et distinguer les risques importants – comme les affections de longue durée – et les « petits » risques ? Notre système de prise en charge peut-il continuer à traiter les risques de façon aussi homogène ?

M. le Premier président. Vous soulevez là des problèmes politiques.

Je crois comme vous que, d’une certaine manière, c’est la pertinence même des choix effectués en 1945 qui doit être vérifiée et que leurs modalités doivent être, le cas échéant, adaptées. Le magnifique pari lancé à cette époque, et qui a longtemps été gagné, correspondait à un certain état de la société, à un certain contexte international, à un certain état de la médecine, à une certaine situation démographique, etc., toutes choses qui ont évolué. Le progrès médical a pris un caractère exponentiel, par exemple. Surtout, il est devenu impossible de prendre des décisions autarciques.

Un travail de refondation est donc nécessaire pour rétablir une cohérence, tant interne qu’extérieure. Nous avons dépassé les limites de la cohérence du système actuel avec son environnement. Pendant vingt ou trente ans, on a pu s’en tenir à des mesures ponctuelles – ce qu’on a appelé « maîtrise comptable » des dépenses, puis rebaptisé « maîtrise médicalisée » pour faire moins peur, bien que cela revienne à peu près au même ! Désormais, une remise à plat est nécessaire, quelles que soient les réponses que l’on donnera.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour l’assurance maladie et les accidents du travail. L’analyse de la Cour est claire et incontestable. Il faut engager des réformes structurelles le plus vite possible.

S’agissant de la T2A, rappelons que les Français sont très attachés au double système public/privé. Une polémique a été soulevée récemment concernant les tarifs respectifs des deux secteurs. La Cour a certes rappelé que les charges couvertes ne sont pas les mêmes, mais dans quelle mesure pourrait-elle mettre son expertise au service d’une analyse de cette question qui soit plus objective que celle que les médias et les fédérations hospitalières ont relayée ?

Madame Ruellan a souligné à juste titre le problème des MIGAC, qui sont différentes dans les deux secteurs. À quoi correspondent réellement ces missions, et comment les définir ?

Près de 10 millions de Français relèvent du régime des affections de longue durée. Ce dispositif représente 65 % des remboursements de l’assurance maladie, soit plus de 80 milliards d’euros par an. J’ai trouvé la Cour un peu timide au sujet de la réforme de ce régime, alors même qu’il faut engager un chantier structurel.

Quant à la maîtrise médicalisée des dépenses, elle ne marche pas si mal. Il lui manque cependant un outil très important, le dossier médical personnel (DMP), que l’on tarde à mettre en place. Comme ministre des affaires sociales et de l’emploi, monsieur le Premier président, vous avez été un des précurseurs de la maîtrise médicalisée. Plus de vingt ans après, quelle est votre analyse ? A-t-on évolué ? A-t-on perdu du temps ?

M. le Premier président. En 1986 et 1987, nous étions encore à une époque où la maîtrise médicalisée pouvait donner des résultats. Et en effet, grâce à des mesures dont la popularité fut toute relative, nous sommes parvenus à trois ou quatre années d’équilibre. Ce n’est plus possible aujourd'hui. Beaucoup de responsables de tous bords estimaient que l’on pouvait attendre ; aujourd'hui, on ne le peut plus.

Quant à la polémique que vous évoquez, elle est née de la publication, sur le site Internet de la Fédération de l’hospitalisation privée, de certaines comparaisons de coûts. Or, je crois qu’il est très difficile, même en se donnant beaucoup de temps, de réaliser des comparaisons équitables tant les systèmes sont différents. La Cour des comptes pourrait apporter son expertise si elle avait le moyen d’entrer dans les cliniques privées. Mais elle n’a pas compétence pour cela ! C’est un thème de réflexion que je vous livre…

Mme Jacqueline Fraysse. C’est pourtant la sécurité sociale qui paye !

M. le Premier président. Notre « timidité » à propos des affections de longue durée tient simplement au fait que nous n’avons abordé le sujet cette année que sous l’angle du contrôle. Nous ne pouvons pas tout couvrir. Lorsque nous y reviendrons, nous n’encourrons pas le reproche que vous avez formulé, croyez-moi !

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure du projet de loi de financemenet de la sécurité sociale pour la famille. Monsieur le premier président, la Cour pourrait-elle préciser la réforme de l’assurance vieillesse des parents au foyer qu’elle préconise et les économies qu’elle en attend le cas échéant ?

Les bénéficiaires de cette assurance sont, pour une part importante, des personnes isolées et à faible revenu. Quelles seront les conséquences de la réforme en termes de baisse de leur pension et de la durée d’assurance validée ? En outre, avez-vous mesuré les conséquences d’une diminution des droits familiaux sur les dépenses au titre du minimum contributif ou du minimum vieillesse ? La compensation qui en résulterait ne risque-t-elle pas d’annuler l’effet financier escompté ?

Par ailleurs, en 2000, la Cour avait étudié les conditions d’accueil des usagers dans les caisses d’allocations familiales. Elle relève aujourd'hui des améliorations, notamment en matière d’aide aux familles en difficulté, mais aussi un fort recoupement des champs d’intervention et une insuffisante coopération entre les collectivités, les caisses et les services de l’État. Pensez-vous que la généralisation des conventions d’action sociale permettrait de remédier à ces problèmes ? Faut-il préciser le champ d’intervention des caisses et définir des priorités en matière d’action sociale ?

M. le Premier président. La réforme suggérée par la Cour porte à la fois sur l’assurance vieillesse des parents au foyer et sur la majoration de durée d’assurance. Ces deux prestations, qui ont les mêmes finalités, se superposent en partie. Il convient donc de mieux les articuler pour éviter les incohérences.

S’agissant de la première, la réforme proposée par la Cour comporte deux aspects.

D’abord une série d’ajustements techniques qui pourraient simplifier le dispositif, par exemple en généralisant la condition d’une activité professionnelle, en améliorant l’information des bénéficiaires ou en harmonisant les conditions de ressources. Ces mesures ne dégageraient pas d’économies, mais donneraient un minimum de lisibilité au dispositif.

Ensuite, une réforme plus profonde qui ferait de cette assurance le dispositif unique de compensation des interruptions de carrière en raison de l’éducation des enfants pour les bénéficiaires de prestations familiales. Le chiffrage des économies attendues ne peut se faire qu’en prenant en compte les effets d’une réforme simultanée de la majoration de durée d’assurance, laquelle compenserait les seules interruptions liées à la maternité. D’après le schéma réalisé par la Caisse nationale d’assurance vieillesse et examiné par le Conseil d’orientation des retraites, l’économie annuelle pourrait s’élever à 1 milliard d’euros.

Vous avez raison de souligner qu’une part importante des bénéficiaires de l’assurance vieillesse des parents au foyer est constituée de personnes isolées et à faible revenu.

Pour ce qui est des personnes isolées, nous n’avons pas analysé les conséquences de la réforme faute d’études disponibles. Aujourd'hui, ces personnes peuvent bénéficier de l’assurance même si elles exercent une activité professionnelle. Avec la réforme préconisée, ce ne serait plus le cas. Cela dit, est-il pertinent de passer par un avantage de retraite pour inciter les personnes isolées à travailler ? Pour notre part, nous en doutons. Si l’on considère – comme nous le pensons – que le maintien dans l’emploi des personnes isolées est une priorité, d’autres solutions pourraient être trouvées, par exemple dans le cadre de mesures relevant de la politique familiale ou de la politique de l’emploi.

En matière d’articulation entre droits sociaux et prestations familiales, le rapport reprend une orientation générale de la Cour : qu’il s’agisse ou non de personnes isolées, la Cour considère que la compensation des faibles revenus d’activité ne relève pas principalement du système de retraite. Si des personnes ou des ménages ne disposent pas d’autres revenus, le minimum vieillesse a précisément pour objet de compenser l’insuffisance des ressources. Il met en jeu la solidarité nationale à l’égard des plus démunis, et non la solidarité professionnelle.

J’ajoute que les retraites doivent aller vers une contributivité renforcée.

Votre dernière question concerne les caisses d’allocation familiale. La Cour s’est efforcée d’actualiser les observations qu’elle avait formulées en 2000 au sujet des conditions d’accueil des usagers. L’objectif d’amélioration a été pris en compte. Il est incontestable que la qualité de l’accueil téléphonique a progressé. Mais, s’agissant de la qualité du service rendu – et compte tenu, rappelons-le, d’une charge de travail accrue pour les caisses –, on ne peut dire que les résultats soient aussi significatifs concernant l’accueil aux guichets et le traitement des dossiers. Nous avons constaté des insuffisances en ce qui concerne l’accueil des personnes en difficulté, notamment celles qui maîtrisent mal le français.

La coordination entre la branche famille et les collectivités territoriales reste notoirement insuffisante. Une caisse sur trois seulement a signé une convention d’action sociale départementale, et ces conventions se limitent généralement au champ de la petite enfance. Seules quatre caisses en France ont coordonné leur financement avec celui des départements. En matière d’aide sociale, la coopération est vraiment marginale, alors que l’on sait depuis des années que des améliorations sont absolument nécessaires.

M. Denis Jacquat, rapporteur du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour l’assurance vieillesse. La récente jurisprudence de la Cour de cassation va nous obliger à réformer à très court terme la majoration de durée d’assurance dans le régime général. Le rapport de la Cour des comptes préconise une réduction de cette majoration, dans un souci de cohérence et d’harmonisation et en s’inspirant de ce que l’on a réalisé pour la fonction publique en 2003. Cela vous semble-t-il encore possible, compte tenu des vives critiques émises par la Commission européenne au sujet de ce dispositif ? Si vous étiez ministre des affaires sociales aujourd'hui – comme vous l’avez été dans une vie antérieure –, quelles solutions recommanderiez-vous ?

Les déséquilibres de l’assurance vieillesse se confirment encore cette année. Quelles sont, selon vous, les priorités pour revenir à l’équilibre ?

M. le Premier président. Je ne puis, vous le savez bien, me placer dans l’hypothèse que vous évoquez : je ne suis ici que le porte-parole de la Cour et je vous rends compte de ses délibérations.

Vous avez mentionné les motifs qui rendent la réforme de la majoration de durée d’assurance inéluctable : après la jurisprudence de la Cour de cassation, l’avis motivé de la Commission européenne, dont nous avons eu connaissance cet été, conclut au non-respect par la France du principe d’égalité hommes-femmes dans le cas d’espèce, c'est-à-dire pour les enfants nés avant la réforme de 2003.

Nous craignons cependant que le diagnostic préalable à cette réforme ne repose sur une base quelque peu biaisée. La majoration concerne la durée d’assurance validée pour les femmes. Si des inégalités de pensions entre hommes et femmes demeurent, elles ne tiennent pas à titre principal à une moindre durée d’assurance validée – puisque celle des femmes s’est beaucoup rapprochée de celle des hommes –, mais à des inégalités de salaire. Or, nous le répétons, il ne nous semble pas que les régimes de retraite contributifs aient pour vocation de compenser l’effet sur les pensions de ces inégalités de rémunération.

La Cour propose donc une solution globale et cohérente qui permet d’éviter le cumul entre les deux dispositifs, la majoration n’étant pas attribuée dès lors que deux trimestres ou plus d’assurance vieillesse des parents au foyer sont validés dans l’année.

M. Jean-Luc Préel. Faut-il comprendre, à partir de votre intervention liminaire, que vous n’êtes pas très favorable au report des charges vers les assurances complémentaires ?

Le fait que les comptes des branches famille et vieillesse n’aient pas été certifiés en 2008 a-t-il conduit à la prise en compte des remarques de la Cour, ce qui pourrait augurer une certification en 2009 ?

Pour ce qui est du déficit, deux mesures avaient été prévues cette année, dont une ponction sur le Fonds de solidarité vieillesse (FSV). Mais aujourd'hui que ce dernier est à son tour en déficit, comment va-t-on pallier la difficulté, alors que la baisse de 0,3 % des cotisations chômage et l’augmentation à due concurrence des cotisations retraite a été décidée en octobre 2008, bien que la crise fût déjà en cours, et n’a pas été finalement supprimée ? Si nous sommes tous d’accord pour dire que l’on ne peut reporter sur nos enfants nos propres dépenses, j’ai cru comprendre, en réponse à ma question au Gouvernement hier, que le ministre du budget, M. Éric Woerth, souhaitait cantonner les déficits dans les différentes branches plutôt que les transférer à la CADES. Un tel transfert me semblerait au contraire logique, ce qui impliquerait bien entendu des recettes supplémentaires telles que l’augmentation de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS). À cet égard, l’élargissement de la base de cette contribution vous semble-t-il possible, éventuellement par la suppression de niches fiscales ? Les plafonds de trésorerie accordés atteignent aujourd'hui des niveaux insupportables qui ne permettent pas d’aller plus loin.

S’agissant du contrôle médical, la loi dite « HPST » a créé les agences régionales de santé. Si l’on veut que ces dernières soient efficaces, ne faut-il pas qu’elles disposent du contrôle aussi bien en ville qu’à l’hôpital et qu’elles bénéficient à ce titre de données statistiques ?

Enfin, seule l’Assistance publique-hôpitaux de Paris – qu’un amendement, adopté à mon initiative, a fait entrer dans le droit commun – peut présenter un état prévisionnel des recettes et des dépenses en déséquilibre. Estimez-vous judicieux d’étendre cette possibilité à l’ensemble des établissements, ce qui n’améliorerait certes pas les comptes de la sécurité sociale ?

M. Roland Muzeau. L’adoption de la loi « HPST » souligne l’absence complète de contrôle sur les tarifications et sur l’usage des codifications par les cliniques privées, alors que la largesse de ces pratiques coûte cher à l’assuré social.

M. Woerth attribue à la crise le déficit exceptionnel de plus de 20 milliards d’euros envisagé pour 2009, oubliant que le déficit, comme la Cour l’a souligné, est aussi structurel. En 2007, la Cour a ainsi eu l’audace de souligner le poids des niches sociales – dont le coût est aujourd'hui estimé à 30 milliards d’euros pour les exonérations de cotisations sociales liées à la politique de l’emploi et à 46 milliards pour les exemptions d’assiette –, proposant une évaluation de l’impact en termes d’emplois des nombreuses exonérations et une remise en cause de certains dispositifs. Aucune des recettes potentielles – taxation des retraites chapeaux, cotisations sociales des plus-values des stock-options et des indemnités de départ des dirigeants d’entreprise, etc. – qui pourraient se chiffrer à plusieurs dizaines de milliards d’euros n’a été mise en œuvre, mis à part le forfait social de 2 % sur les formes particulières de rémunération, qui n’a rapporté que la somme dérisoire de 400 millions d’euros. Pendant ce temps, le reste à charge des assurés est passé de 8,4 % en 2005 à 9,4 % en 2008, sans parler de la situation dramatique de la population aujourd'hui dépourvue de complémentaire santé.

Que penser dans ces conditions des deux solutions ayant la faveur gouvernementale, à savoir un bouclier sanitaire – avec franchise proportionnelle aux revenus et taux de reste à charge unique – ou un nouveau déplacement vers les mutuelles et assureurs de la prise en charge des dépenses de santé ?

Enfin, que préconisez-vous en matière de recettes ainsi que de pistes visant à élargir l’assiette des cotisations ?

M. Dominique Dord. Si, selon votre constat, les nombreuses réformes en profondeur du système de santé n’ont pas donné les effets escomptés, en tout cas sur le plan financier, elles n’en démontrent pas moins que notre pays ne manque pas de volonté de réformes ambitieuses. Quant à dénoncer certains dysfonctionnements, par exemple ceux d’organismes agissant dans le secteur de la prévention, ne pourrait-on pas plutôt se demander si l’absence de mesures dans un tel domaine n’aurait pas conduit à un coût encore plus important ? Je suis par ailleurs réservé, pour des raisons plus politiques peut-être, quant à l’idée de recettes nouvelles, même si vous les jugez quasi inéluctables.

En revanche, certains dysfonctionnements me scandalisent, qu’ils concernent une mauvaise application des réformes votées par le Parlement ou des disparités dans la manière dont elles sont appliquées, à l’exemple de la différence pouvant aller de 1 à 10 en matière de personnels encadrant le même acte hospitalier.

À cet égard, ne conviendrait-il pas de recommander, d’abord, d’assurer une gouvernance efficace et transparence, ensuite de dégager d’autres pistes de réforme, enfin et seulement de trouver des recettes supplémentaires ? Dans ce contexte, la loi dite « HPST » vous semble-t-elle suffisante en matière de réforme de la gouvernance ? Mieux vaut taxer davantage un système plus juste et plus efficace qu’un système qui ne marche pas.

M. Bernard Perrut. Si je partage l’analyse que vous portez sur les hôpitaux au niveau national, elle peut cependant donner l’impression d’être en léger décalage avec la réalité du terrain.

M. le Premier président. Pardonnez-moi, monsieur Perrut, mais pour avoir été moi-même vingt-cinq ans député de terrain et vingt ans président d’hôpital, soyez persuadé que mon décalage avec la réalité est loin d’être stratosphérique !

M. Bernard Perrut. Je faisais simplement allusion aux difficultés que nous-mêmes pouvons parfois rencontrer pour faire avancer des projets sur le terrain – par exemple pour lutter contre la vétusté de certaines installations – du fait d’exigences avancées par la tutelle. En tout cas, les propos que vous avez tenus concernant le pilotage imparfait des dépenses, notamment en termes d’investissement, me semblent justes – même si l’établissement hospitalier dont je préside le conseil d'administration figure parmi les 123 qui ont fait l’objet d’investissements au cours de cette année.

À cet égard, la meilleure performance des outils de pilotage passe-t-elle par les restructurations hospitalières, c'est-à-dire par des réorganisations internes et par un meilleur fonctionnement des pôles – je fais là allusion à l’insuffisante association des médecins à la gestion de l’hôpital ?

La mise en place de communautés hospitalières de territoire peut-elle être l’une des réponses à la recherche de l’efficience que vous exprimez dans votre rapport et que nous partageons ?

M. Jean Mallot. Si votre description de la situation financière de la sécurité sociale ne nous surprend guère, il serait surtout intéressant de savoir comment on en est arrivé là.

Vous avez chanté à juste titre les louanges des études d’impact, mais les projets de loi de financement de la sécurité sociale n’y sont pas soumis, contrairement à ce qu’avait demandé l’opposition. À cet égard, une évaluation ne pourrait-elle être à tout le moins envisagée ? Pour prendre l’exemple des franchises médicales – auxquelles la Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS), que je copréside avec Pierre Morange, s’intéresse plus particulièrement –, si une étude d’impact aurait effectivement été utile, une évaluation pourrait d’ores et déjà se pencher sur les conséquences du dispositif, notamment quant à l’accès aux soins.

Pour revenir sur les déficits que vous avez soulignés, – il est vrai qu’il ne fallait pas être grand clerc en novembre dernier pour deviner que les hypothèses d’évolution de la masse salariale sur lesquelles était fondé le projet de loi de financement pour 2009 ne tiendraient pas longtemps – nous regrettons également tant le transfert de charges du régime général vers les mutuelles, et son caractère antiredistributif, que la croissance de la charge sur les malades – et ce n’est pas à cet égard la hausse considérable du forfait hospitalier qui la réduira. Pour contenir l’effet ciseaux qui va ainsi s’accentuer, vous avez évoqué la nécessité de prendre des mesures drastiques, revenant sur le sujet des niches sociales. Après les petits pas effectués l’an dernier à ce sujet par l’Assemblée nationale, quels grands pas nous suggéreriez-vous d’effectuer ?

Quant à la disparité assez surprenante des performances entre les hôpitaux que vous avez évoquée, quels remèdes efficaces peut-on envisager – même si le contexte local peut en justifier certaines ?

S’agissant des retraites, si la situation n’est pas simple puisque l’hypothèse de transfert de cotisations de l’UNEDIC s’est volatilisée avec la crise, les mesures envisagées, telles que l’allongement de la durée de cotisation, sont extrêmement fragiles dans la mesure où l’emploi des seniors reste très faible dans notre pays. Le dispositif voté dans la loi de financement de l’an dernier, pour essayer d’encourager l’emploi des seniors, n’ayant pas été appliqué pour des raisons que l’on peut comprendre, auriez-vous des suggestions pour traiter cette question ?

Enfin, que pensez-vous de la situation faite au Fonds de réserve pour les retraites (FRR) qui, n’étant pas abondé comme prévu, fera défaut le moment venu en 2020 ?

Mme la présidente de la sixième chambre. Les disparités entre hôpitaux résultent de problèmes d’organisation et de fonctionnement qui plongent leurs racines dans l’histoire des établissements. Leur analyse, délicate dans le passé, est aujourd'hui possible grâce par exemple aux travaux de la Mission nationale d’expertise et d’audit hospitalier. C’est ainsi que des comparaisons en termes de productivité ont fait apparaître, à l’intérieur d’un même hôpital, là où existe bien entendu une comptabilité analytique, la coexistence de services les uns en équilibre, les autres en déficit. Chaque service se vivant comme une petite entreprise, le directeur n’arrive pas à répartir correctement les moyens, ici excédentaires, là insuffisants. Le problème est avant tout organisationnel. Peut-être les futures agences régionales de santé auront-elles plus de pouvoir en ce domaine ? En tout état de cause, la mission nationale d’expertise donne de bonnes recettes qu’il appartient aux hôpitaux d’adopter pour se réformer.

M. le Premier président. Pour ce qui est des niches, monsieur Mallot, notre rôle, hors de toute position politique, est de permettre aux parlementaires de prendre leur décision : nous n’avons pas de doctrine. En revanche, nous nous autorisons à considérer comme un consensus préétabli, l’attachement de tous à un système de sécurité sociale financièrement équilibré et efficace pour la prévention de différents risques. Il nous appartient d’étudier les moyens de parvenir à un équilibre financier garant de la pérennité de ce système et, compte tenu de la situation financière, de faire en sorte qu’il soit d’une efficacité optimale.

Bien sûr, la schizophrénie nous guette, puisque l’analyse que nous faisons sur le plan national pourrait paraître en contradiction avec celle que nous ferions spontanément sur le plan local – n’est-ce pas, monsieur Perrut ? Cela étant, c’est au politique d’arbitrer.

Pour ce qui concerne les recettes, nous estimons, après avoir fait l’inventaire de ce qui était possible, qu’il vous faudra activer ce levier si vous voulez rééquilibrer les comptes sociaux, compte tenu de tout ce qu’il y a à rattraper. Mais qu’il s’agisse d’augmenter les prélèvements obligatoires ou de faire donner à plein les règles qui ont pu souffrir, pour des raisons qui peuvent être tout à fait honorables, des dérogations – les niches –, c’est au politique de décider. Nous nous inscrivons, nous, dans le contexte de la loi, quitte, si celle-ci devait changer, à nous inscrire dans une autre perspective. Cela étant, je crois me souvenir, à propos des niches, qu’en matière de stock-options des mesures sont imminentes. Un quotidien ne titrait-il pas ce matin sur une super-taxation sur elles ?

M. le Président. Pour avoir été mis en cause avec Gilles Carrez sur le sujet des niches fiscales et sociales, je me permets d’apporter une précision. Si le projet de loi de financement permettra d’aborder le problème de trois ou quatre d’entre elles, cela ne sera pas, nous l’avons dit l’un et l’autre, à la mesure de nos déficits. De plus, il convient, dans le même temps, de tenir compte du calendrier afin de ne pas entraver la politique en faveur de l’emploi et la confiance. Pour autant, j’ai bien souligné qu’une mise à plat de notre système fiscal et des niches devait être faite au premier semestre de l’année 2010, ce qui suppose des études d’impact. Le sort de l’allègement de 30 milliards de charges sociales sur les bas salaires ne peut se décider en quatre ou cinq semaines. Un débat public préalable est essentiel.

M. Roland Muzeau. La TVA à 5,5 % a bien coûté d’un seul coup 3 milliards !

M. le Président. Quelques niches, en tout cas, seront, n’ayez aucune crainte, remises en cause dans le projet de loi de financement.

M. Maxime Gremetz. Ce n’est plus de niches dont il faut parler, mais de vol !

M. le Président. N’oublions tout de même pas que le plafonnement, qui a été décidé, n’a pas été sans conséquences. Quant à parler de recul des acquis sociaux, si je compare les mesures sociales – et pas seulement la prise en charge du chômage partiel – adoptées par la France, je ne peux que constater qu’elles ont été plus nombreuses que chez nos voisins européens.

En tout cas, le problème des niches nécessitera une mise à plat en sortie de crise.

Mme Jacqueline Fraysse. Il faudra des mesures concrètes !

M. le Premier président. Pour répondre à la question du report de charges des assurances de base vers les assurances complémentaires, je répète que tout déplacement du remboursement en tout ou partie d’une dépense depuis la sécurité sociale vers la mutuelle a un effet antiredistributif. Il ne s’agit pas là d’un jugement, mais d’une simple constatation.

Quant à la prévention, monsieur Dord, qui peut tout de même avoir des effets heureux sur la santé des gens, mais également sur les résultats financiers de la sécurité sociale, ce que nous reprochons au système actuel est justement de ne pas faire de réelle prévention. C’est un problème de ciblage. Quitte à faire de la prévention, autant se tourner vers les publics particulièrement exposés, plutôt que se contenter de mettre en œuvre un droit théorique de chacun à pouvoir effectuer un examen tous les cinq ans, sans même que cela donne lieu à une ordonnance.

S’agissant des dysfonctionnements que vous avez évoqués, les réformes n’ont certes pas d’effet magique. Mais que se serait-il passé sans les réformes intervenues depuis trente ans ?

Enfin, la priorité est incontestablement la gouvernance, car elle est la condition du reste. Je parle d’une gouvernance éclairée, qui se fonde à la fois sur des études d’impact
– sous les réserves rappelées par monsieur le Président – et sur une évaluation, de manière que l’on sache et que, dès lors que l’on sait, on se donne les moyens de faire.

En ce qui concerne les deux solutions de financement auxquelles vous avez fait allusion, monsieur Muzeau, celle du bouclier sanitaire semble avoir été écartée. Quant au report vers les mutuelles, je vous renvoie à mes précédentes réponses.

Pour ce qui est des laboratoires, je confirme mon propos antérieur, sachant qu’un certain consensus existe, y compris dans les milieux professionnels, sur la nécessité de fournir un effort répercutable en termes d’économies sur l’assurance maladie.

S’agissant, monsieur Préel, de votre question portant sur la certification, laissez au moins aux comptes 2009 le temps de s’établir ! Une période d’ajustement est incontestablement nécessaire pour parvenir à établir la fiabilité des comptes des organismes de sécurité sociale. Une fois cette priorité dépassée, il sera temps ensuite de s’attaquer, dans des conditions à débattre, au chantier des hôpitaux s’agissant des modalités de la certification, des répartitions entre les uns et les autres, des critères d’éligibilité à la certification hospitalière et du rythme et des modalités de l’intervention. Il ne faudrait pas que l’opération se traduise simplement par un surcroît de charges dans la colonne « fonctionnement » des établissements hospitaliers, sans véritable profit en regard.

Quant à l’avenir du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), la seule solution est de lui apporter des recettes. Il n’y a pas de miracle. De même que pour le Fonds de réserve des retraites, il y a un moment où, comme au bonneteau, il faut lever le bon cornet !

Pour ce qui est de l’élargissement de la base de la CRDS, l’assiette est déjà très large. C’est une réalité qu’il faudra avoir à l’esprit quand la réflexion sera menée sur ce point.

Enfin nous verrons s’il convient que le contrôle médical s’orient vers les agences régionales de santé. Nous ne pouvons nous déterminer avant de savoir comment le système fonctionne.

M. le Président. C’est une question qui a trait à la gouvernance globale.

M. le Premier président. Tout à fait.

M. Maxime Gremetz. Que pensez-vous d’un monde où un homme doit dans son pays se battre contre les conservateurs pour mettre en œuvre une sécurité sociale pour tous, alors que dans le nôtre on assiste, d’année en année, à la remise en cause des principes mêmes de notre sécurité sociale, qui a pourtant une valeur universelle ? Pour ma part, je vois dans le combat de cet homme une source d’espoir pour le futur.

Où serions-nous d’ailleurs si l’on avait retenu ce que la Cour des comptes préconisait à l’époque, après avoir montré, en particulier, que les exonérations considérables de cotisations patronales – soit des dizaines de milliards d’euros – n’avaient pour l’essentiel qu’un effet d’aubaine ? Tous ces groupes, comme Goodyear et Continental, qui partent pour permettre à leurs actionnaires de gagner plus, et auxquels on a donné beaucoup d’argent, vont finalement représenter moins de richesses produites et moins de cotisations pour la sécurité sociale, qui devra néanmoins payer pour les mises en retraite anticipées.

Voilà d’ailleurs la vraie grosse niche à laquelle il faut s’attaquer, et c’est bien pour cela que nous préconisons une modification de l’assiette des cotisations – en prenant en compte ceux qui créent de l’emploi pour les différencier de ceux qui en détruisent –, ainsi qu’une taxation des revenus financiers. Sinon, ceux qui auront les moyens pourront se soigner, comme aux États-Unis aujourd'hui, tandis que ceux qui ne les auront plus – comme on commence à le voir – ne pourront plus se soigner. Vraiment, où serions-nous si, avec raison, l’on vous avait écouté ?

M. le Premier président. Vous ne vous étonnerez pas, monsieur Gremetz, que je ne puisse que vous donner acte des rapprochements que vous avez effectués entre notre propre situation et celle d’un pays d’un autre continent en matière de couverture maladie. Je ne peux faire davantage, sinon suivre avec intérêt l’évolution des choses. Sachant que l’un des prédécesseurs de M. Obama avait chargé sa propre femme de mettre en place le même système, c’est dire – si je puis me permettre une opinion personnelle – combien son successeur aura beaucoup à faire !

Quant à savoir où l’on en serait si certaines de nos observations avaient été prises en compte, je constate à tout le moins que les exonérations de charge profitent plus au secteur tertiaire qu’au secteur industriel, ce qui peut être considéré comme une contradiction dans la mesure où normalement le secteur tertiaire est moins aisément délocalisable que le secteur industriel.

Pour le reste, nous pouvons poser la question de l’utilité des dispositifs d’aide décentralisée à l’emploi, soit 6 milliards, tout en soulignant qu’une grande diversité régnait d’une région à l’autre. Faute d’évaluation autre que quelques études des chambres de commerce et d’industrie, nous n’avons pu que constater que si telle ou telle décision d’investissement avait été dictée par l’avantage proposé, il apparaissait en revanche que c’était bien souvent un moyen pour une entreprise d’arbitrer son implantation soit entre les régions, soit, à l’intérieur d’une région, entre les départements, soit, dans un département, entre les communes. Autrement dit : « Montre-moi ta taxe professionnelle, et je te dirai si je viens » !

Nous ne disposons pas d’éléments concernant les autres types d’aides qui permettraient d’établir avec certitude que celles-ci servent vraiment à quelque chose. On discerne bien certains avantages de-ci de-là, mais le fait est que, pour l’instant, on ne peut pas dire à quoi sert tel ou tel dispositif. J’espère que les dispositions constitutionnelles permettront d’ouvrir ce type d’investigation, mais il faudra y mettre des moyens. Pour l’instant, nos estimations relèvent davantage du doigt mouillé que de méthodes d’investigation sérieuses !

M. Jacques Domergue. Si, comme vous l’avez fait remarquer, nous sommes arrivés au bout de la méthode – comprenons au bout du système –, nous ne pouvons que constater que les parlementaires et les gouvernements ont beaucoup de mal, en raison des aléas de la vie politique et du seuil de tolérance de la population, à mettre en pratique les recommandations de la Cour. En tout cas, sachant que l’année prochaine, s’ajouteront aux causes structurelles de nos déficits des causes conjoncturelles – puisque ce qui nous manque aujourd'hui, ce sont des rentrées financières –, il n’est pas faux de dire que le système est à bout de souffle. Dans ces conditions, existe-t-il une autre voie ou est-ce qu’il faut carrément changer de paradigme ?

En attendant, ne serait-il pas utile que la Cour des comptes puisse contrôler également les établissements privés, ce qu’elle n’a pas le droit de faire bien que ceux-ci gèrent de l’argent public ?

Enfin, estimez-vous que la loi dite « HPST » est de nature à améliorer les équilibres ?

M. le Premier président. S’agissant du système – vous avez en effet bien fait de corriger mon expression –, nous arrivons, je le répète, à son terme. Il faut maintenant se remettre à réfléchir, comme ce fut le cas en 1945. Nous n’avons en effet connu aucun moment semblable depuis, car même les ordonnances de 1967 n’ont pas constitué une totale remise à plat. Ce qu’il faut donc, c’est réfléchir à ce qui est couvert ou pas, à ce qui relève de la responsabilité individuelle ou collective, bref tout repenser.

Pour ce qui est des difficultés rencontrées dans la traduction des recommandations de la Cour, il convient de les relativiser puisque, même si leur portée est diverse, deux tiers des recommandations sont prises en considération, un tiers totalement et un tiers partiellement
– étant précisé que celles qui auraient le plus d’impact dans le domaine financier relèvent plutôt de ce dernier tiers voire ne sont pas prises en compte du tout !

Quant à savoir s’il faut contrôler les établissements privés, il faut d’abord se souvenir que le principe même du contrôle de la sécurité sociale par la Cour ne date pas de 1945, mais de 1949, certains ayant défendu à l’époque le caractère privé et non public de l’argent en question. Tout cela pour souligner qu’un contrôle des établissements privés n’est pas aussi évident que dans le cas d’une subvention d’État ou d’un conseil général en faveur d’une entreprise ou d’une association. De plus, le caractère commercial de ces établissements doit être pris en compte, dans la mesure où nos observations étant par définition publiques, elles ne doivent pas devenir un élément perturbateur dans leur fonctionnement. J’en veux pour preuve le luxe de précaution que nous prenons vis-à-vis des banques en veillant au caractère le plus anonyme possible de nos observations, de manière à éviter certaines réactions des épargnants craignant pour leur établissement financier sous prétexte que l’on aurait dit ou prévu des choses désagréables à leur encontre.

Quant à la loi dite « HPST », nous verrons plus tard, faute pour l’instant de pouvoir formuler un pronostic à son sujet.

Présidence de M. Jean-Luc Préel, vice-président

Mme Edwige Antier. Pour avoir été pédiatre à l’Assistance publique – mais également dans le privé –, je puis témoigner que la mise en place de la gouvernance y a changé les mœurs et coordonné les pratiques, et que si elle rencontre des résistances, il ne faut rien lâcher. Quant au secteur privé, l’accréditation permet tout de même à l’État d’y mener un contrôle des bonnes pratiques qui, certes, peut paraître lourd à certains établissements, mais qui représente déjà un premier effort de coordination important.

Pour ce qui est des retraites, je me félicite des efforts accomplis en faveur des mères. Pour autant, justifier les majorations de durée d’assurance en raison de l’acte d’accouchement me paraît un peu réducteur – même s’il représente un séisme pour le corps humain. Ne tend-on pas ainsi à mépriser les efforts accomplis par les femmes pour l’éducation de leur enfant, parfois jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans, tous ces efforts qui pénalisent leur carrière, donc leur salaire et leur retraite ? Les indicateurs dont dispose la sécurité sociale le montrent, le soutien des mères – qu’il s’agisse ne serait-ce que du nombre de congés parentaux et de congés pour enfant malade pris par les femmes – dans le développement des enfants représente un apport énorme pour notre société, un vrai travail qui va à l’encontre de l’avancement de leur carrière. Dans ces conditions, vouloir faire sur le dos des femmes une économie de 1 milliard sur la majoration de durée d’assurance accordée aux mères qui s’occupent à 90 % des enfants, reviendrait à ne pas valoriser leur travail et donc à ne pas encourager les hommes à y participer.

M. le Premier président. Je ne peux que regretter que vous n’ayez pu vous rendre à Bruxelles pour convaincre la Commission qui a jugé pour sa part ce dispositif comme discriminatoire, car bénéficiant de fait essentiellement aux femmes – alors que vous avez souligné vous-même la participation relativement modeste des hommes en la matière ! Il est vrai que Bruxelles pourra toujours prétendre que l’évolution en ce domaine, à savoir un partage des tâches, est inéluctable.

Mme Michèle Delaunay. La tarification à l’activité a été mal codifiée, au point que des services, comme celui d’hématologie à Bordeaux, sont déficitaires, du fait en l’occurrence d’une sous-évaluation de la prise en charge des leucémies. À ce propos, la Cour a-t-elle eu l’occasion d’évaluer la version 11 des groupes homogènes de malades dans le cadre de la T2A, et la prise en compte correctrice du caractère social de certaines prises en charge et de la complexité de certains actes ?

À un moment où les hôpitaux sont quelque peu mis sur la sellette en raison de leurs dépenses, je me fais l’écho de la volonté, que je crois générale ici, de voir la Cour contrôler les comptes des cliniques privées, non seulement parce que celles-ci sont financées par des fonds publics et que leur fonctionnement impacte, par un effet de dumping, celui des hôpitaux publics, mais aussi parce que la Cour doit pouvoir évaluer la fongibilité asymétrique que la loi dite « HPST » a instituée.

S’agissant de la prévention, la Cour a-t-elle pour mission d’évaluer les retombées financières des actions entreprises en la matière, sachant que la différence de coût entre un cancer traité par un simple acte chirurgical après avoir été décelé très tôt et un cancer non immédiatement traité, peut aller de 1 à 100 ? Dans le même ordre d’idée, les effets de la politique de lutte contre le tabac ont-ils été évalués ?

Quant aux études d’impact et aux évaluations, vous nous demandez, avec raison, d’y être extrêmement vigilants. Je ne prendrai à cet égard que l’exemple de la loi relative aux jeux en ligne, dont le caractère addictogène explique, du fait notamment de toutes ses conséquences médicales, que nous soyons en droit de demander une étude d’impact et une évaluation.

M. le Premier président. Pour revenir, de façon générale, sur la question de l’évaluation, tout dépend de ce que l’on entend par là. S’il s’agit de s’en tenir au domaine organisationnel et financier, c’est un travail auquel procède souvent la Cour. En revanche, si l’on entend par évaluation un exercice pluridisciplinaire permettant de prendre en considération toutes les dimensions d’un sujet, c'est-à-dire aussi bien ses avantages ou ses inconvénients en matière économique et financière que son impact en termes de santé publique, etc, il faut bien avouer que tant l’administration que nous-mêmes ne pratiquons que modestement l’interdisciplinarité, à savoir mettre autour de la table, pour user d’une image, des gens de différentes disciplines.

C’est la raison pour laquelle, prenant appui sur la disposition constitutionnelle qui charge la Cour d’assister le Parlement dans sa mission d’évaluation, nous cherchons à nous réformer en ce sens, afin d’avoir demain la possibilité soit de le faire nous-mêmes, soit de collaborer avec des gens qui nous permettront d’apporter une réponse, par exemple sur la dimension médicale d’un système. Nous avons commencé à le faire de façon très empirique, en particulier sur les effets du tabagisme en menant des travaux communs notamment avec l’Institut national du cancer. Mais il s’agit d’une démarche radicalement nouvelle qui améliorera les conditions d’éclairage de la gouvernance.

Cela dit, il restera toujours un moment où le responsable de la gouvernance devra prendre ses responsabilités, car on n’apportera jamais de solution clé en main. C’est à lui qu’il reviendra de franchir le Rubicon, lequel sera plus ou moins large selon la situation.

Mme Catherine Génisson. Je tiens à mon tour à souligner la légitimité pour la Cour des comptes de s’intéresser au secteur hospitalier privé, dans la mesure où, au-delà des questions budgétaires, la loi dite « HPST » a prévu, outre la fongibilité de l’activité, un transfert de missions de service public de l’hôpital public vers l’hôpital privé.

Pour revenir sur l’importance des études d’impact et de l’évaluation, l’expérimentation ne vous parait-elle pas également une possibilité de mieux légiférer ?

Par ailleurs, si vous avez eu raison, à propos de la gouvernance interne, de souligner la juste place que doit prendre la gouvernance médicale dans la gouvernance globale des établissements hospitaliers – sujet qui nous a beaucoup occupés lors du débat sur la loi dite « HPST » –, ne pensez-vous pas, s’agissant de la gouvernance externe, qu’il a manqué avec la mise en place des agences régionales de santé, qui vont traiter non seulement de l’hospitalisation, mais de toute l’organisation du système de santé et encore plus du médico-social, une courroie de transmission entre les anciennes agences régionales de l’hospitalisation et le ministère de la santé, c'est-à-dire entre la politique définie nationalement et celle déclinée régionalement ?

Concernant nos dépenses, que vous avez estimées somptuaires en matière de radiologie et de biologie, ne serait-il pas possible de dissocier l’achat de la machine de l’acte médical, afin d’éviter l’augmentation continue du coût de l’acte médical du fait du coût de l’amortissement de la machine, alors même que l’acte médical n’est pas devenu plus sophistiqué ?

M. le Premier président. S’agissant du contrôle des structures privées, je précise à l’attention également de madame Antier que le contrôle de l’État est une chose et que celui de la Cour des comptes en est une autre, puisqu’il s’agit d’un contrôle externe indépendant. Nous n’avons pas par exemple à rechercher tel ou tel accord.

Pour ce qui est de l’expérimentation, elle est une nécessité, et ce n’est pas au sein de la Commission présidée par M. Pierre Méhaignerie, qui en a été longtemps le chantre, que je me hasarderai à dire le contraire – je ne parle pas bien sûr de l’expérimentation des traitements ! C’est une formule à laquelle il faudra recourir de plus en plus, pas seulement d’ailleurs pour apporter la preuve du bien-fondé d’une mesure à ceux que l’on veut convaincre, mais aussi pour éclairer ceux qui voudraient la mettre à leur tour en pratique.

Concernant la gouvernance externe, les disparités que nous avons rapportées justifient votre observation selon laquelle des problèmes d’inégalité ont pu apparaître dans la qualité de la transmission entre le ministère et chaque agence régionale de l’hospitalisation. La situation, nous dit-on, s’est améliorée. Cela étant, il est arrivé, à propos de problèmes de responsabilité qui n’étaient pas si simples à régler, que l’on soit parfois désavoué par le ministère – ce qui n’était pas la meilleure façon de procéder. Toujours est-il que le système a paru perfectible puisque l’on y substitue une autre formule. Nous verrons ce que celle-ci donnera.

Quant à dissocier la cotation de l’acte du coût de l’amortissement de la machine, c’est une question à laquelle nous allons réfléchir.

M. Jean-Luc Préel, président. Je vous remercie de vos réponses.

La séance est levée à treize heures.