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Commission des affaires sociales

Mercredi 16 décembre 2009

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 17

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président puis de M. Pierre Morange Vice-président

– Audition de M. Jean-François Chadelat, directeur du Fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie (Fonds CMU)

– Informations relatives à la Commission 16

– Présences en réunion 17

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 16 décembre 2009

La séance est ouverte à neuf heures trente.

(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la Commission)

La Commission des affaires sociales entend M. Jean-François Chadelat, directeur du Fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie (Fonds CMU).

M. le président Pierre Méhaignerie. Nous accueillons avec plaisir M. Jean-François Chadelat.

Monsieur, la célébration du dixième anniversaire du Fonds CMU – créé par la loi du 27 juillet 1999 – suffirait à justifier votre venue devant notre commission. Je souhaite que vous dressiez un bilan de l’application du dispositif CMU et que vous nous parliez de la question du refus de soins, qui a été évoquée à plusieurs reprises devant notre commission. Nous écouterons votre réponse à cette question avec intérêt, notamment en ce qui concerne la nouvelle campagne de testing réalisée fin 2008 auprès de 861 médecins et dentistes.

M. Jean-François Chadelat. Monsieur le président, comme vous venez de le souligner, nous venons de célébrer, le mot n’est pas trop fort, par un colloque qui s’est tenu au ministère des affaires sociales, le dixième anniversaire de la loi du 27 juillet 1999. Il s’agit d’une très grande loi, qui marque un tournant dans l’histoire de la protection sociale.

La sécurité sociale avait, certes, déjà été généralisée par une loi de janvier 1978, qui mettait en place l’assurance personnelle tout en maintenant symboliquement une cotisation, celle des plus démunis étant, en fait, prise en charge par les caisses d’allocations familiales, par l’action sanitaire et sociale, etc.

La loi de juillet 1999 a supprimé cette notion de cotisation. Même s’il existe une cotisation sur les revenus au-delà d’un certain plafond, celle-ci touche relativement peu de personnes. Surtout, cette loi a définitivement rompu le lien existant entre l’assurance maladie et la notion de cotisation : seule la présence sur le territoire de la République française, quelle que soit sa nationalité, fait que l’on se trouve affilié à la CMU.

Mais l’aspect le plus fondamentalement novateur de la loi du 27 juillet 1999 réside dans la création de la CMU complémentaire. Et puisque je suis vice-président du Comité d’histoire de la sécurité sociale, je ferai un bref rappel historique qui vous fera comprendre pourquoi j’ai été amené, en tant qu’inspecteur général des affaires sociales, à écrire un rapport sur les assurances complémentaires de santé.

Le système de sécurité sociale français, créé en 1945 dans un pays ruiné par la guerre et l’Occupation, instituait un ticket modérateur, et donc un reste à charge supporté par les ménages ; bref, une sécurité sociale « bas de gamme », car on n’avait pas les moyens de faire mieux.

Toutefois, les personnes ayant des moyens ou de hauts revenus ne pouvaient pas se contenter des prestations de la sécurité sociale : elles avaient besoin de prestations plus élevées, que ce soit en matière de décès, d’invalidité, d’indemnités journalières, voire de rente au conjoint survivant. Dès le 14 mars 1947, soit dix-huit mois après les ordonnances d’octobre 1945, les cadres créèrent l’Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC), sous l’impulsion de la Confédération générale des cadres ; en même temps, ils commencèrent à mettre en place des institutions de prévoyance. Les gouvernements de l’époque n’ayant pas d’argent, ils étaient très contents qu’un acteur extérieur, en l’occurrence les partenaires sociaux, crée ce système de prévoyance complémentaire. Jusqu’à la fin des années cinquante, les gouvernements appuyèrent la création de cette protection complémentaire, par des incitations fiscales et sociales, et donc des exonérations – de cotisations, d’impôt sur le revenu, d’impôt sur les sociétés.

En 1960, 31 % seulement de la population bénéficiait d’une complémentaire santé. En 1970, c’était le cas de 49 % ; en 1980, de 69 % ; en 1990, de 83 % ; et, au moment du vote de la loi de 1999, de 86%. C’est alors que, pour la première fois, un Gouvernement exprima explicitement ce qui était implicite, à savoir que, pour avoir un bon accès aux soins, il fallait disposer de la sécurité sociale de base « et » d’une assurance complémentaire : d’où la création de la CMU complémentaire. L’anniversaire qui a été célébré est donc, de fait, celui de la création de la CMU complémentaire.

En donnant une complémentaire santé gratuite à la frange la plus démunie de la population, on lui assurait la gratuité totale des soins et on prévenait tout renoncement aux soins pour des raisons financières. Auparavant, les prestations de la sécurité sociale étaient, en effet, complétées par celles de l’aide médicale départementale, plus ou moins développée selon les départements, ce qui générait d’importantes inégalités. Par la création de la CMU complémentaire, on permettait à tous d’accéder à tous les soins : les plus démunis y accédaient au même titre et de la même manière que tous les assurés sociaux – ils n’étaient plus cantonnés dans une « médecine de pauvres ». Bien entendu, en introduisant cet accès gratuit à tous les soins, on imposait une contrainte aux professionnels de santé, lesquels étaient dès lors obligés de respecter un certain nombre de règles.

La complémentaire santé, c’est la sécurité sociale de base plus le ticket modérateur, ce qui posait un problème en cas de dépassement, notamment pour les professionnels de santé du secteur 2. Le législateur de 1999 a donc décidé que ces derniers devraient pratiquer les tarifs du secteur 1 pour les bénéficiaires de la CMU complémentaire. Ces praticiens n’ont pas hurlé de joie ! Pour les dentistes, les opticiens, les audioprothésistes, on adopta une solution symétrique en leur imposant des tarifs pour les couronnes dentaires, les lunettes ou les prothèses auditives délivrées à des CMUistes. L’arrêté sur les prothèses dentaires de décembre 1999 provoqua une tempête chez les chirurgiens dentistes : une bataille épouvantable opposa la ministre de l’époque et les syndicats dentaires ; un recours fut formé devant le Conseil d’État, l’arrêté fut annulé et un nouvel arrêté fut pris en 2002. Il faudra attendre la négociation de la nouvelle convention dentaire, au printemps 2006, jumelée avec un arrêté spécifique revalorisant tous les tarifs des prothèses dentaires des CMUistes, pour que l’on sache à peu près à quoi s’en tenir concernant les tarifs de celles-ci.

En raison des contraintes qu’elle impose aux médecins du secteur 2, aux opticiens, aux audioprothésistes ou aux chirurgiens-dentistes, la CMU complémentaire a provoqué des refus de soins. Toutefois, malgré des débuts difficiles, elle est rentrée dans les clous et la loi du 27 juillet 1999 a été unanimement saluée comme étant une grande loi.

La loi du 27 juillet 1999 prévoit que le Gouvernement doit remettre tous les deux ans au Parlement un rapport d’évaluation. Celui que nous avons rendu public le 1er septembre dernier, soit huit jours avant notre colloque, est le quatrième de la série. Le calendrier a donc été fidèlement respecté.

À l’occasion de la rédaction de ce rapport d’évaluation, j’ai reçu une lettre de l’association Médecins sans Frontières, dont je tiens à vous citer les dernières phrases :

« Pendant plus de dix ans, Médecins sans Frontières a soigné des personnes sans accès aux soins, dans l’attente de l’ouverture de leurs droits. Aujourd’hui, dans certaines villes, MSF n’a plus aucune activité médicale et le nouveau programme est consacré aux droits sociaux des étrangers. La loi CMU a permis la fermeture de certains centres médicaux et l’ouverture de programmes est désormais centrée sur d’autres activités.

« Les bénéficiaires de la CMU sont à l’intérieur du système de soins et non dans les salles d’attentes humanitaires. Nous avons cessé de faire de l’accès aux soins en général et de la CMU en particulier le centre de notre observation. »

C’est peut-être le plus bel hommage que l’on puisse rendre à la loi du 27 juillet 1999.

Quand la CMU complémentaire a été créée, elle a été assortie d’un plafond de ressources, afin de permettre aux plus pauvres et aux plus démunis d’accéder aux soins sans aucune contrainte financière. Cela avait suscité de violentes critiques, beaucoup considérant que ce plafond avait été fixé trop bas. Il est exact que, pour des raisons financières, il avait été placé à 50 % du revenu médian (définition de l’INSEE pour le seuil de pauvreté) et non à 60 %, ce qui aurait permis de faire rentrer dès le départ dans le dispositif les bénéficiaires de certains minima sociaux : allocation de solidarité spécifique, allocation adulte handicapé, minimum vieillesse…

M. Maxime Gremetz. Deux millions de personnes, parmi les plus pauvres, ont ainsi été exclues !

M. Jean-François Chadelat. Les autres critiques portaient sur le « terrible » effet de seuil. À moins d’inventer des usines à gaz effroyablement compliquées, des dispositifs assortis d’aides dégressives lissées, on est toujours confronté à ce genre de problème. Il n’empêche que certaines personnes ont mal vécu le fait d’avoir à supporter des coûts d’accès aux soins pour avoir gagné un euro de trop.

La loi du 13 août 2004 a atténué cet effet de seuil en créant ce qui s’est d’abord appelé « crédit d’impôt » – expression inadéquate pour des personnes non imposables –, puis « chèque-santé » – expression qui avait déjà été déposée par un médecin – et enfin aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS). Cette aide va du plafond de ressources de la CMU au plafond de ressources majoré de 20 %. Selon les rapports publiés sur le prix et le contenu des contrats y ouvrant droit, 50 % du coût d’une complémentaire santé ont pu, en moyenne, être pris en charge en 2008.

Deux autres mesures ont été prises par la suite. La première, qui figure dans la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « HPST », a fait passer, pour la tranche d’âge des 50-59 ans, le montant de l’ACS de 200 à 350 euros par an et, pour la tranche d’âge des 60 ans et plus, de 400 à 500 euros. Le projet de loi de finances pour 2010 a fait passer l’ACS destinée aux jeunes de 16 à 25 ans, de 100 à 200 euros par an. La prise en charge de l’achat d’une complémentaire santé sera donc améliorée.

L’ACS est un bon d’achat octroyé à une population au niveau du seuil de pauvreté. Qu’il soit utilisé dans 80 % des cas constitue un résultat absolument remarquable. Reste qu’elle demeure mal connue, compliquée, et que le problème que nous rencontrons ne tient pas à son utilisation, mais au fait que les gens ne viennent pas la demander.

Bien que ce soit toujours très difficile à évaluer, on estime la population cible de l’ACS entre 2 et 2,3 millions de personnes. Fin octobre 2009, 623 197 personnes étaient venues demander une attestation. Fin août, 504 952 attestations avaient été utilisées. Le faible nombre des personnes qui viennent demander l’ACS par rapport à la population cible est un des gros problèmes que nous rencontrons en cette matière.

Mais revenons sur la CMU complémentaire à proprement parler. Fin septembre, tous régimes confondus, nous en étions à 4 255 846 bénéficiaires. De 2006 à fin 2008, les effectifs ont été en décroissance régulière et n’ont recommencé à augmenter qu’à partir du mois de janvier 2009, et on peut prévoir pour fin 2009 un nombre de bénéficiaires identique à celui du printemps 2008. Il y a là de quoi s’interroger, dans la mesure où la crise économique et financière mondiale a commencé en septembre 2008.

Cette situation est, à mon avis, due à plusieurs phénomènes. Premièrement, pour bénéficier de la CMU complémentaire, on examine les ressources des douze derniers mois, ce qui est infiniment préférable au calcul qui fut un temps envisagé et qui portait sur les revenus fiscaux de l’année civile. Il en serait résulté, en effet, un décalage temporel considérable. Il n’en reste pas moins que ces douze derniers mois ont un effet amortisseur. Deuxièmement, l’effet de la crise se traduit essentiellement au niveau du chômage ; la masse salariale au sens de l’ACOSS a d’ailleurs connu une diminution de 1,9 % sur l’année 2009, résultant d’une baisse d’effectifs de 2,3 %. Or, une personne qui passe d’une activité salariée au chômage en raison d’un licenciement, de la fermeture ou de la liquidation judiciaire de son entreprise, va commencer par bénéficier des allocations de chômage, lesquelles sont proportionnelles à son salaire, et donc largement supérieures au plafond de la CMU ; ce n’est que lorsqu’elle aura épuisé ses droits à l’assurance chômage et basculé dans l’allocation spécifique de solidarité qu’elle pourra vraisemblablement bénéficier de la CMU — et encore, avec par exemple 8 mois de chômage et 4 mois d’allocation, elle restera au-dessus du plafond de ressources pris en compte. Cela signifie que la montée en charge de la CMU sera très progressive et que l’effet de la crise sur les bénéficiaires de la CMU se manifestera de façon très décalée dans le temps.

Avant d’aborder la question des refus de soins, je tiens à tordre le coup à trois idées reçues sur la CMU.

Premièrement, la CMU coûterait cher. Pourtant, selon le rapport annuel du Fonds CMU, le coût moyen de la CMU complémentaire, pour le régime général, est de 416 euros par an. Si l’on se réfère aux études de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère des affaires sociales (DREES) ou de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES), ce n’est pas cher pour une complémentaire santé de bon niveau. Par ailleurs, ce coût moyen n’a pas évolué plus vite que l’ONDAM, sauf en 2006, en raison de la revalorisation des prothèses dentaires. Non seulement, en valeur absolue, la CMU complémentaire ne coûte pas cher, mais, de plus, elle ne dérive pas.

Deuxièmement, les CMUistes ne seraient pas sages et ne respecteraient pas le parcours de soins et le système du médecin traitant. Si ce fut le cas au début, cela ne l’est plus aujourd’hui. Ainsi, au 31 mars 2009, les bénéficiaires de la CMU étaient plus nombreux que les autres assurés sociaux à avoir choisi un médecin traitant : 86,5 % pour les CMUistes, contre 84,6 % pour les autres assurés sociaux. Et les chiffres ont été améliorés depuis cette date. Certes, il nous a fallu du temps pour expliquer aux CMUistes le système du parcours de soins et du médecin traitant. Ce n’est pas évident, d’autant que le CMUiste, en général, n’est pas un polytechnicien ! Les CMUistes sont maintenant entrés dans le parcours de soins. Et je tiens à rendre hommage aux caisses de sécurité sociale qui ont fait un énorme effort de pédagogie auprès d’eux.

Troisièmement, la CMU serait un facteur de fraude.

Je remarque d’abord que l’on fraude plutôt pour obtenir une prestation en espèces, comme le RMI ou les allocations de chômage, et que l’on est moins enclin à frauder pour obtenir une prestation en nature, en l’occurrence pour avoir accès aux soins. Cela dit, je ne prétends pas que l’on ne fraude pas à la CMU, la principale des fraudes consistant à prêter sa carte Vitale à quelqu’un d’autre.

M. le président Pierre Méhaignerie. Monsieur Chadelat, permettez-moi de vous interrompre. On m’a demandé pourquoi, s’agissant d’une population ayant des revenus moyens identiques, le pourcentage de bénéficiaires de la CMU pouvait varier selon les régions. Par exemple, entre la Bretagne et le Languedoc-Roussillon, le rapport est de 1 à 3 – 9,5 % de la population en Languedoc-Roussillon et 3 % en Bretagne. Que répondre ?

M. Jean-François Chadelat. En 2008, le pourcentage de bénéficiaires de la CMU sur l’ensemble de la population était de 5,7 % en métropole – contre 32 % outre-mer, mais c’est un autre débat. Sa répartition géographique est très variable puisqu’il va de 4,2 % en Alsace, 9,6 % dans le Nord-Pas-de-Calais, 9,2 % en Languedoc-Roussillon, à 3,5 % en Bretagne, région où le nombre de bénéficiaires est le plus faible.

Pour lutter contre la fraude, on a créé la Délégation nationale à la lutte contre la fraude, avec laquelle je travaille en permanence, et il existe au sein des caisses de sécurité sociale des services dédiés. En 2008, ils ont dénombré 220 cas de fraude à la CMU de base, sur 1,5 million de personnes, et 588 cas de fraude à la CMU complémentaire, sur 4 millions de personnes, les fraudes les plus fréquentes étant liées aux conditions de ressources.

M. le président Pierre Méhaignerie. Votre réponse ne me permet pas de convaincre les personnes qui me demandent pourquoi il existe un rapport de un à trois entre le nombre des bénéficiaires de la CMU en Bretagne et dans d’autres régions, s’agissant de tranches de population disposant de revenus identiques.

M. Jean-François Chadelat. Je ne sais pas si les revenus sont différents en Bretagne et en Languedoc-Roussillon. Il est vrai que les recours à la CMU complémentaire sont moins nombreux à la Mutualité sociale agricole que dans les autres régimes. Il faut tenir compte des revenus, mais également des impacts sociologiques et idéologiques, selon que les personnes vivent en zone urbaine ou en zone rurale. En zone rurale, où tout le monde se connaît, elles hésitent à demander les aides sociales.

Pour en revenir à la fraude, je répète qu’il est certainement moins intéressant de frauder sur les prestations en nature que sur les prestations en espèces. De plus, depuis quatre ans, tous les textes législatifs, en particulier les lois de financement de la sécurité sociale, contiennent un article relatif à la lutte contre la fraude. Si l’on y ajoute les décrets, arrêtés et circulaires, nous disposons de l’arsenal juridique le plus complet que l’on puisse souhaiter.

En matière de lutte contre la fraude, depuis que je suis directeur du Fonds, de nombreux professionnels de santé sont venus me voir pour m’indiquer que l’un de leurs patients, bénéficiaire de la CMU, avait garé sa Porsche devant leur cabinet, mais aucun d’entre eux ne m’a jamais communiqué le numéro d’immatriculation du véhicule !

Le cas du bénéficiaire de la CMU roulant en Rolls-Royce, que la presse a beaucoup repris, a bel et bien existé. Ce châtelain anglais vivait dans un manoir de 77 pièces sur 50 hectares de terre, mais il n’avait aucun revenu en France. Et c’est à la suite d’une erreur d’un agent de la caisse primaire qu’il a obtenu sa carte. Ce dernier aurait dû la lui refuser, à charge pour le châtelain d’attaquer la caisse. Depuis, nous nous sommes dotés de textes permettant d’évaluer le train de vie des demandeurs et d’accéder aux revenus dont ils disposent à l’étranger. Je ne suis qu’un simple fonctionnaire chargé d’appliquer les textes législatifs et réglementaires, mais je dispose des outils nécessaires pour que ce cas ne se reproduise plus.

M. le président Pierre Méhaignerie. Nous sommes au cœur du débat. Selon le président des Semaines sociales de France, nous avons dépassé la Suède concernant les dépenses sociales, mais sans atteindre la même efficience. Ce ne sont pas les cas de ce châtelain ou celui de la famille BCBG qui posent problème, mais celui des 25 % d’ouvriers qui votent pour des idées extrémistes ! Nous avons le devoir de répondre à leurs attentes.

M. Jean-François Chadelat. L’impact de l’effet de seuil pose un réel problème. Dans la salle d’attente d’un dentiste, un ouvrier de base qui, bien que gagnant à peine plus que le SMIC, paie sa mutuelle et sa prothèse peut côtoyer une personne bénéficiant d’une prothèse gratuite.

M. Maxime Gremetz. C’est le problème que posent tous les effets de seuil !

M. Jean-François Chadelat. J’en terminerai avec le problème des refus de soins. En 2003, 2004 et 2005, des testings réalisés par Médecins du monde et Que Choisir ont fait apparaître un taux important de refus de soins de la part de professionnels de santé envers les bénéficiaires de la CMU. J’ai donc interrogé, en tant que directeur du Fonds CMU, les caisses de sécurité sociale et les ordres professionnels. Ils m’ont indiqué que très peu de cas de cette nature leur avaient été signalés. Face à une telle situation, j’ai réalisé en 2006 un premier testing, dans le département du Val-de-Marne, qui a fait apparaître un taux de refus tout à fait comparable à ceux cités par Que choisir et Médecins du monde, et ces chiffres ont été corroborés par une étude de la DREES. Le taux de refus de soins, de l’ordre de 3 ou 4 % pour les généralistes exerçant en secteur 1, atteignait près de 40 % pour ceux exerçant en secteur 2 et pour les chirurgiens dentistes.

Lorsque, en tant qu’inspecteur général des affaires sociales et directeur du Fonds CMU, j’ai rendu public les résultats de ce testing, ils ont provoqué un certain émoi. Le ministre de la santé de l’époque, M. Xavier Bertrand, m’a demandé de rédiger un rapport contenant des propositions. Ce rapport, que j’ai présenté en décembre 2006, a été suivi en mars 2007 d’un décret donnant aux associations et aux caisses la possibilité de se saisir de toute conduite suspecte, au lieu de laisser le CMUiste se débrouiller seul.

Trois ans plus tard, j’ai organisé un nouveau testing, ce qui, pour le docteur en mathématiques statistiques que je suis, ne présente aucune difficulté : l’organisation d’un échantillon statistique est un exercice que je sais faire… C’est ainsi qu’avec l’IRDES – la référence en la matière –, nous avons réalisé un testing statistique sur un échantillon de 861 professionnels de santé exerçant à Paris intra-muros, où les situations médicales sont très diverses, ce qui nous assurait un caractère parfaitement représentatif. Je rappelle que le testing statistique consiste à évaluer les différences entre deux populations, de la même manière que l’on teste un médicament en prescrivant un placebo à une personne et le médicament à une autre. Ce testing a fait apparaître deux populations significativement différentes : le taux moyen des refus de soins est de 25 %, mais il atteint 31,9 % pour les dentistes, 9,2 % pour les généralistes en secteur 1, 32,6 % pour les généralistes en secteur 2, 9,1 % pour les ophtalmologistes en secteur 1 et 31 % en secteur 2, ou encore 17 % pour les gynécologues. Mais Paris n’est pas la France, me direz-vous.

Si nous avons choisi Paris, c’est que nous avions besoin d’un échantillon représentatif d’environ mille professionnels de santé – le Fonds CMU, comme tout établissement administratif, disposant de peu de moyens, je ne pouvais pas travailler sur un échantillon éparpillé sur tout le territoire –, d’une population homogène et de cas de figure très variés. Mais vous pourrez lire tout cela dans mon rapport qui, rédigé par un statisticien d’un naturel prudent, comprend 40 pages de méthodologie pour seulement 10 de résultats. Cet échantillon est représentatif de la situation à Paris intra-muros, au cours du printemps 2009, et n’est en rien comparable à celui réalisé en 2006 dans le Val-de-Marne. Vous y trouverez également une analyse qualitative, faisant apparaître que les refus de soins sont essentiellement motivés par des raisons financières.

Il faut savoir que le taux de télétransmission enregistré à Paris est l’un des plus faibles de France. Or, s’agissant de la CMU, c’est la caisse de sécurité sociale qui paie le professionnel de santé. Celui-ci ne s’aperçoit que son patient en est bénéficiaire que lorsqu’il introduit la carte Vitale et sa carte CPS dans sa machine, et, quatre jours plus tard, il reçoit le paiement correspondant de la caisse de sécurité sociale. S’il remplit la feuille de soins, il lui faudra attendre quatre semaines. Pourtant, certains professionnels de santé refusent encore la télétransmission.

Des études ont été réalisées sur les relations entre les professionnels de santé et les caisses de sécurité sociale. Il est clair que, pour un professionnel de santé, il est plus complexe de recevoir un CMUiste. Si les taux de rejet des bénéficiaires de la CMU passent de 1,5 à 3,7 %, c’est à la fois la faute des bénéficiaires dont la carte Vitale n’a pas été mise à jour, des professionnels de santé – qui, dans la mesure où il n’existe pas de case spécifique pour la CMU, cochent la case ALD, ce qui provoque un rejet de la caisse – et des caisses de sécurité sociale, dont les fichiers ne sont pas toujours à jour, sans parler des blocages informatiques. Voilà ce que je voulais vous dire au sujet des refus de soins.

M. le président Pierre Méhaignerie. Je précise que notre collègue Jean-Marie Rolland est président du conseil de surveillance du Fonds CMU, et que Martine Carrillon-Couvreur et Jacques Domergue en sont membres.

Nous devons porter notre effort en priorité sur les 4 à 5 millions de personnes qui ne disposent pas de couverture complémentaire, et réfléchir à la question de l’effet de seuil et à la nécessité d’informer les personnes sur l’aide à la complémentaire.

M. Jean-Marie Rolland. Jean-François Chadelat, qui représente la mémoire de la sécurité sociale et l’histoire de l’assurance maladie, a commencé son exposé en rappelant la façon dont a été mise en place la couverture médicale individuelle. Il a rappelé qu’en 1960, dans notre pays, 31% seulement des personnes disposaient d’une couverture complémentaire. Aujourd’hui, grâce à la CMU complémentaire, ce taux a considérablement augmenté.

L’effet de seuil pose de réels problèmes. Dans la loi dite « HPST », un amendement cosigné par notre président a permis d’étendre la couverture et l’accès à l’ACS – dont le nom, je le crains, restera un obstacle.

M. Chadelat met à mal certaines idées reçues, notamment le coût d’un bénéficiaire de l’assurance maladie et le taux de fraudes. Je suis d’accord avec lui : en dépit de quelques inégalités, il s’agit dans l’ensemble d’un service très performant.

Un léger différend oppose le directeur du fonds et le président du conseil de surveillance au sujet du testing et de la sanction. Nous avions eu de longs débats en commission et dans l’hémicycle lors de l’examen de la loi dite « HPST » à propos de la suspicion qui pesait sur les assurés sociaux et les professionnels de santé. Le texte initial inversait la charge de la preuve au détriment des professionnels de santé, ce qui était difficilement admissible. Nous avons fini par trouver une méthode qui consiste à demander aux caisses d’assurance maladie et aux représentants des ordres professionnels de résoudre ensemble les difficultés qui surviennent dans les territoires où la démographie médicale permet aux médecins de refuser des patients. C’est l’honneur du Parlement que de trouver une solution qui respecte les patients tout en levant la suspicion qui pèse sur les professionnels de santé.

M. Yves Bur. Je salue à mon tour l’historien de la « Sécu » qu’est Jean-François Chadelat. Les débats que nous avons eus lors de la création de la CMU nous paraissent aujourd’hui bien loin. Il est clair que nous n’avions pas d’autre solution que celle de permettre à l’ensemble des Français d’accéder aux soins.

Ce qui nous préoccupe aujourd’hui, c’est l’accès à une couverture complémentaire pour les 7 à 8 % des Français qui n’en disposent pas. Si certains ont fait le choix de ne pas cotiser, estimant que leur contribution serait supérieure au bénéfice qu’ils en tireraient, d’autres ne peuvent tout simplement pas la payer, malgré les améliorations apportées par la loi dite « HPST ».

On entend dire que les bénéficiaires de la CMU consomment des soins parce que ceux-ci ne leur coûtent rien. C’est parfaitement faux, comme en témoignent les chiffres.

Comment lutter contre les refus de soins ? Les ordres professionnels font-ils bien leur travail ? Il semble qu’au cours du premier semestre, l’assurance maladie ait dénoncé au Conseil national de l’Ordre des médecins un certain nombre de praticiens pratiquant des dépassements excessifs. Pour toute réponse, l’Ordre a répondu qu’il avait invité les médecins à faire des efforts.

J’en viens au chiffre d’affaires des assureurs complémentaires. Le 30 juin, les cotisations encaissées par les assureurs complémentaires avaient augmenté de plus d’un milliard d’euros par rapport à l’année dernière. Par conséquent, le milliard prélevé par le biais de la taxe sur les assurances avait déjà été récupéré. Disposez-vous de chiffres plus récents ? Il est clair que les assureurs complémentaires n’ont pas perdu d’argent, qu’ils ont anticipé la taxe et les éventuelles augmentations des contributions.

En n’augmentant ses tarifs que de 3,5 %, contre plus de 12 % pour les assurances complémentaires, le secteur de la mutualité a fait preuve de sagesse. Mais un certain nombre d’organismes abusent de l’inquiétude des Français en pratiquant des augmentations injustifiées, alors même que l’ONDAM augmente de 3,5 % et que les déremboursements n’atteignent pas un milliard d’euros.

Mme Marisol Touraine. Je remercie moi aussi M. Chaudelat pour son exposé passionnant et je salue Yves Bur, qui reconnaît que la CMU fait l’objet d’un réel consensus. Les objectifs fixés par la loi peuvent-ils être, cependant, pleinement atteints dans le cadre du dispositif existant ?

Après le vote de la loi, nous avions assisté à une forte augmentation du nombre des personnes qui, après y avoir longtemps renoncé, avaient recours aux soins médicaux. Selon une étude du Secours populaire, 15 % des Français disent renoncer à des soins pour des raisons financières et 40 % disent les repousser, pour les mêmes raisons. On peut penser qu’une partie de ces personnes relèvent de la CMU. Comment rendre effectif l’accès aux soins pour les personnes en théorie solvabilisées grâce à la CMU ? La réponse ne relève pas uniquement du Fonds CMU, mais de la nécessaire lutte contre les dépassements d’honoraires. À ce titre, nous devons imposer aux médecins d’accueillir les patients au tarif opposable. Je ne pense que le fait d’instaurer un secteur optionnel puisse suffire à résoudre cette difficulté.

Contrairement à Jean-Marie Rolland, nous sommes favorables au testing. Notre collègue prétend qu’il jette la suspicion sur les professionnels de santé, mais s’agissant des assurés et de la lutte contre la fraude, il indique que ceux qui n’ont rien à se reprocher seront épargnés puisque seuls les fraudeurs apparaitront. Pourquoi ne pas tenir le même raisonnement pour les professionnels de santé, puisque le testing ne fera apparaître que ceux qui ne respectent pas la déontologie ? Notre objectif est de faire en sorte que tous les Français accèdent aux soins : certains relevant de la CMU ne peuvent y accéder du fait d’un refus de soins.

Parmi les 15 % de Français qui déclarent renoncer aux soins pour des raisons financières, un certain nombre appartiennent aux classes moyennes. De ce point de vue, les chiffres que vous avez cités concernant l’ACS sont préoccupants, d’autant que l’on assiste actuellement à une prise en charge accrue par les complémentaires. Une étude de l’IRDES a en effet montré un déplacement des remboursements de la sécurité sociale de base vers les organismes complémentaires de l’ordre de 2 % au cours des dernières années. L’ACS est-elle la bonne réponse ? Un dispositif glissant de la prise en charge par la CMU vous apparaît-il excessivement compliqué ? Que proposez-vous pour garantir l’accès aux soins de ceux qui ont atteint le plafond de la CMU ?

Mme Martine Carrillon-Couvreur. À mon tour, je salue la qualité du rapport de M. Chadelat. Dix ans après le vote de la loi instaurant la CMU, nous pouvons nous féliciter de ses avancées considérables, en particulier en direction des plus démunis.

Dans le cadre des discussions organisées par le conseil de surveillance, nous avons l’occasion d’entendre les associations qui sont confrontées quotidiennement aux problèmes des assurés et tentent d’apporter des réponses aux publics en difficulté. Le rapport, c’est vrai, balaie un certain nombre d’idées reçues. Dans les mois qui viennent, nous allons voir apparaître les effets de la crise. Je souhaite que nous anticipions ces difficultés et que nous fassions des propositions pour améliorer le dispositif existant, car les chiffres que vous avez cités vont certainement encore évoluer.

En matière de refus de soins, nous devons aller plus loin. Votre rapport, monsieur le directeur, contient un certain nombre de propositions. Quant aux 4 ou 5 millions de personnes qui n’ont pas accès à l’aide à la complémentaire, c’est un autre point sur lequel nous nous devons d’avancer dans les mois à venir.

Parmi tous les rapports qui ont été publiés, celui du Secours catholique fait état de l’augmentation des situations de précarité et de pauvreté chez les femmes. Ces chiffres sont inquiétants. Nous devons nous en préoccuper.

Quoi qu’il en soit, il était indispensable de mettre en place la CMU, et nous pouvons être fiers de permettre aux plus démunis d’accéder aux soins.

M. Jacques Domergue. Personne ne le nie, la CMU constitue une avancée sur le plan social, d’ailleurs les États-Unis s’inspirent du modèle français pour mettre en place une couverture maladie. La CMU a cependant des effets pervers, qu’il convient de supprimer. Il est certes regrettable que 8 % de personnes ne disposent pas de couverture complémentaire, mais il faut parvenir à isoler, sur les 4 ou 5 millions de personnes qui n’ont pas d’assurance complémentaire, celles qui en ont fait le choix – aux États-Unis, elles représentent 15 % de l’ensemble – et celles qui ne peuvent tout simplement pas le faire, en dépit des crédits que nous avons votés, à plusieurs reprises, pour que l’ensemble des Français accèdent aux soins.

Les membres de mon groupe étaient généralement favorables au testing, mais il a été vécu comme une véritable humiliation par les professionnels de santé. J’ai rencontré hier des représentants syndicaux : ils ne se sentent pas considérés. Pour eux, le testing a été vécu comme une intrusion de l’organisme de tutelle dans l’activité des cabinets médicaux, d’autant qu’il obligeait le professionnel de santé à démontrer qu’il n’était pas en tort. Le testing peut être considéré comme une mesure positive lorsque c’est l’organisme payeur qui vérifie l’exactitude des allégations du plaignant, aussi bien vis-à-vis de celui-ci que du professionnel. Les plaignants qui abusent de leurs droits doivent être eux aussi identifiés.

M. Maxime Gremetz. J’ai vécu la mise en place de la CMU. Pour moi, c’était une bonne mesure, mais si notre sécurité sociale était plus étendue et fonctionnait comme il était prévu lors de sa création, nous n’aurions pas besoin aujourd’hui de CMU !

Si nous avions ajouté des branches supplémentaires à la sécurité sociale, nous n’en serions pas là, mais vous refusez de le faire ! Je considère pour ma part que la CMU est la sécurité sociale des pauvres. Il aurait suffi d’ajouter une branche pour la dépendance, une autre pour la pauvreté… Par un tour de magie, nous avons éliminé deux millions de personnes du dispositif de la CMU. Tel qu’il a été fixé, le seuil de pauvreté élimine de la CMU les bénéficiaires du minimum vieillesse et les handicapés! À l’époque, j’avais protesté avec véhémence contre cette disposition.

Outre les effets de seuil, qui existent toujours et qu’on ne sait pas traiter, l’étude sur laquelle nous nous étions fondés faisait état de 7 à 8 millions de pauvres, alors que seulement 6 millions de personnes bénéficieraient de la CMU. Le nombre des bénéficiaires de la CMU est demeuré stable, alors même que le nombre de personnes en dessous de seuil de pauvreté a vraisemblablement augmenté. Autant dire que beaucoup de personnes qui devraient bénéficier de la CMU en sont exclus ! À l’époque où la CMU a été créée – à juste titre –, la condition de ressources retenue était déjà trop restrictive. C’est encore plus vrai aujourd’hui, puisque la situation générale a empiré.

M. Dominique Dord. Monsieur le directeur, je voudrais faire état d’une divergence sémantique et politique. Le choix de la CMU s’inscrit dans la culture politique des Français – ce que nous avons peut-être eu tort de ne pas comprendre en 1999. C’est pourquoi je ne dirais pas, comme vous l’avez fait, que la CMU ne coûte pas cher. Elle revient en effet à près de 2 milliards d’euros. Il faut assumer, et même revendiquer ce choix politique, dont il ne faut pas sous-estimer le prix. Ce qui ne coûte pas cher ne relève pas d’une grande politique, et ouvre le droit à toutes les dérives. La CMU coûte cher, et nous nous grandissons en la défendant. Je l’affirme avec la même ardeur militante que celle dont vous faites preuve.

À l’époque de sa création, nous avions été gênés par le problème posé par les effets de seuil. Les Français les plus modestes qui ne bénéficient pas de la CMU voient passer le train sans pouvoir y monter. Certes, la loi de 1999 a été corrigée par celle de 2004, mais celle-ci reste peu appliquée. Quelles mesures peuvent être prises afin de remédier à cette situation ?

Mme Michèle Delaunay. Monsieur le directeur, je vous remercie de nous avoir éclairés et passionnés sur un sujet malgré tout austère.

Je propose à M. Méhaignerie une hypothèse mathématique pour expliquer les écarts de nombre de bénéficiaires de la CMU entre des régions dans lesquelles le revenu moyen est le même. Peut-être y a-t-il plus de personnes très riches dans le Languedoc-Roussillon qu’en Bretagne, ce qui expliquerait qu’il y ait aussi plus de très pauvres.

M. le président Pierre Méhaignerie. Il n’y a pratiquement pas de différences entre les catégories de revenus dans ces deux régions.

Mme Michèle Delaunay. Peut-être alors les Bretons sont-ils vertueux… N’est-ce pas ce que certains veulent entendre ?

Monsieur Chadelat, ceux d’entre nous qui sont médecins sont touchés par la question du refus de soins. Vous avez eu raison de mettre ce refus en rapport avec le secteur auquel appartient le médecin. Nous restons cependant sur notre faim, comme lorsque nous lisons le rapport de la Cour des comptes car, même si les faits sont dénoncés, aucune action n’est engagée par la suite. Puisque vous possédez un droit de réquisition, ne pouvez-vous exercer une forme de sanction pour limiter ces refus? À cet égard, j’aimerais savoir quel est le rôle de l’Ordre des médecins : exerce-t-il son pouvoir de sanction ?

D’autre part, quand nous avons voté la loi dite « HPST », qu’avons-nous fait pour limiter les dépassements d’honoraires du secteur 2 ? Nous recourons toujours à la même formule – « le tact et la mesure » – qui n’a malheureusement plus de sens aujourd’hui, où prévalent partout l’absence de tact et la démesure. Les médias nous en fournissent des exemples tous les jours. J’aimerais que nos collègues prennent en charge la revendication de la gauche : agir sur les dépassements d’honoraire du secteur 2 permettra d’agir aussi sur le refus de soins.

M. Dominique Tian. Monsieur Chadelat, je vous remercie d’avoir évoqué le travail considérable de l’Assemblée nationale qui, loi de financement après loi de financement, a permis de rationaliser dépenses et ressources et de lutter contre la fraude. Personne n’aime évoquer le sujet, mais notre action a été efficace dans ce domaine. Le rapport d’activité du Fonds est d’ailleurs un peu ambiguë sur ce sujet. Vous indiquez, dans la conclusion, que la lutte contre la fraude n’est pas rentable sur le plan financier, et qu’elle vise seulement à maintenir la confiance des citoyens dans un système de solidarité. Ailleurs, cependant, vous reconnaissez que les lois successives ont permis de mieux gérer ce problème.

En novembre 2007, un rapport de la commission indiquait, lorsque la Caisse nationale d’assurance maladie a commencé à réfléchir au sujet, qu’on avait identifié un taux d’anomalie de 16,45 %, compte tenu des ressources des patients, pour l’attribution de la CMU. Le chiffre est plus élevé que celui de 4,8 % que vous signalez, et les sommes en jeu sont considérables.

Par ailleurs, lorsque la loi de décentralisation a transféré aux conseils généraux le financement du RMI, certains départements ont pris des mesures pour nettoyer les fichiers afin d’exclure certaines personnes qui le percevaient de manière indue. Ces mesures ont concerné près de 20 000 personnes dans les Bouches-du-Rhône, qui bénéficiaient en même temps de la CMU. L’évolution législative a été extrêmement favorable sur ce point. De même, grâce à une mesure de la loi de financement, on ne délivre plus de CMU à partir d’une simple attestation sur l’honneur.

Si, pour la première fois depuis des années, le nombre de bénéficiaires de la CMU a baissé, c’est en partie parce que l’Assemblée nationale a fait son travail en recommandant une meilleure gestion. Quand tout le monde se donne les moyens de lutter contre la fraude pour défendre le pacte républicain, les résultats sont au rendez-vous. C’est pourquoi, à mon sens, il ne faut pas hésiter à rappeler que la CMU coûte cher, et qu’on risque toujours une dérive des dépenses. La fraude n’est pas une idée reçue, mais un fait avéré. Heureusement que le législateur s’en est occupé !

M. Rémi Delatte. Techniquement, on constate des excédents depuis 2007 dans le budget de la CMU complémentaire. Ce sera encore le cas en 2009 et 2010. Ils s’expliquent en partie par la hausse de 3,4 % de la contribution des organismes de protection complémentaire, qui est passée de 2,5 % à 5,9 %. Cette situation va-t-elle se pérenniser, puisqu’on attend une montée en puissance différée des effets de la crise ? Dans ce cas, comment ces excédents seront-ils utilisés ? Faut-il envisager de diminuer le prélèvement auprès des organismes contributeurs ?

M. Christian Hutin. Je remercie à mon tour M. le directeur de son exposé empreint d’humanisme et même, pour faire référence à un mouvement philosophique français, lumineux. En tant que médecin de secteur 1 dans une ville en zone urbaine sensible et en tant que député, je considère qu’un fonctionnaire comme vous honore notre pays.

Dans mon cabinet, il m’arrive souvent d’être confronté à des fraudeurs. Soit le médecin est dupe. Tant pis. Soit il s’en doute. Mais, dans ce cas, peut-on assimiler la volonté de se soigner à un vol à l’étalage ? On va rarement chez le médecin par plaisir, et on sait en outre que les très rares cas de nomadisme médical sont rarement identifiés par la Sécurité sociale. Le problème de la fraude n’est donc pas spécifique à la CMU, dont les bénéficiaires ont même, on l’a souligné, un taux de désignation d’un médecin traitant supérieur à la moyenne.

J’ajoute que, dans notre profession, il est possible d’effectuer des actes gratuits. Bon nombre de médecins en font, même si ces actes ne sont pas comptabilisés dans les chiffres de la santé publique. Les délégués de la sécurité sociale ne les prennent pas en compte quand ils établissent le profil d’un médecin. Il suffirait de prévoir une rubrique « acte gratuit » dans le dispositif informatique pour remédier à cette anomalie, qui fausse actuellement toutes nos statistiques de santé publique dans une proportion importante. Pour ma part, j’effectue un tiers de mes actes médicaux à titre gratuit.

M. Simon Renucci. Je regrette que beaucoup de nos collègues aient quitté la salle au terme de l’exposé humaniste et porteur de progrès que nous avons entendu.

Commençons par rendre à César ce qui est à César, et donc aux créateurs de la CMU et de la CMU complémentaire – donc à la gauche – ce qui leur revient.

J’insiste à mon tour sur l’importance de faire parvenir à ceux qui peuvent bénéficier de la CMU l’information qui les concerne.

D’autre part, je rappelle que, du fait de la disparition de certains organismes paritaires, il existe un vide en matière de politique contractuelle entre l’État et les médecins. Je déplore qu’aucune mesure ne soit prise pour le combler. Si l’on veut bien traiter les médecins – à cet égard, je suis hostile à tout testing –, il importe qu’ils sachent à la fin de chaque mois combien de patients ils ont soigné au titre de la CMU. On peut sans doute réaliser des économies dans ce domaine. Pour avoir exercé longtemps en secteur 1, présidé un syndicat et participé à des organismes paritaires, je sais que nous manquons d’une véritable politique conventionnelle, qui permettrait d’instaurer un rapport de confiance entre les caisses et les médecins.

Beaucoup de progrès ont été réalisés grâce à la CMU et à la CMU complémentaire, dont on mesure l’importance, à l’heure où la crise aggrave bien des situations. On dit souvent que la sécurité sociale coûte cher, mais rendre aux patients leur santé est un premier pas qui nous permettra de mieux vivre ensemble.

(M. Pierre Morange succède à M. Pierre Méhaignerie à la présidence de la séance).

M. Michel Issindou. À mon tour, je remercie M. Chadelat pour son intervention sur cette belle invention de la gauche qu’est la CMU.

Puisque les gens ont de plus en plus de mal à se soigner, n’est-il pas temps de relever le seuil ou de trouver un système permettant d’en supprimer l’effet sur ceux qui perçoivent de très faibles revenus sans pour autant bénéficier de la CMU ?

D’autre part, je suis aussi choqué par les fraudeurs que par les médecins qui refusent de soigner les bénéficiaires de la CMU. Existe-t-il des sanctions possibles contre ces médecins, qui, à mon sens, méritent d’être punis ? Ne sont-ce pas, eux aussi, des fraudeurs, puisqu’ils ne respectent pas la loi ?

M. Jean-François Chadelat. Je réponds d’abord d’un mot à la question technique de M. Delatte sur les excédents du Fonds CMU, dont les textes prévoient qu’ils soient reversés à la Caisse nationale d’assurance maladie. Puisque le Fonds CMU rembourse sur la base d’un forfait par bénéficiaire, celle-ci perd de l’argent en gérant la CMU. Il me semble donc normal que les excédents lui soient reversés. Je serais très défavorable à une diminution du prélèvement de 5,9 % sur les complémentaires. J’ai d’ailleurs milité pour le relèvement de ce taux.

Il est plus difficile de répondre aux autres questions, qui tournent autour de deux sujets.

Le premier concerne la situation des 7 à 8 % de Français qui ne disposent pas d’une complémentaire santé. La moitié d’entre eux considère qu’elle n’a pas les moyens d’y accéder ; l’autre, que l’acquisition d’une complémentaire n’est pas rentable économiquement.

Je m’étonne à ce sujet que personne n’ait signalé la grande différence qui sépare une complémentaire haut de gamme appartenant à la convention collective d’une très grande entreprise, qui, grâce aux exonérations fiscales et sociales, est pratiquement prise en charge par l’employeur, et la complémentaire de misère acquise par un salarié au SMIC d’une entreprise de trois personnes. Et que dire des retraités, pour lesquels la loi Evin prévoit, certes, une limite à 50 % ? De ce fait, une personne qui travaille dans une entreprise, où 75 % de la cotisation sont pris en charge par l’employeur, devra, une fois à la retraite, payer la totalité de la cotisation, qui passera en outre de 100 % à 150 %. Cette augmentation de 25 % à 150 % l’obligera vraisemblablement à renoncer à la complémentaire ou à en souscrire une de très mauvaise qualité, dont l’utilité sera plus que contestable. C’est un véritable problème. Le premier facteur d’inégalité aux soins tient à la qualité des complémentaires santé, entre lesquelles il existe des écarts considérables. C’est pour cela que je ne suis pas favorable, je le répète, à une éventuelle baisse de leur contribution actuellement fixée à 5,9 %.

Pour augmenter le nombre de bénéficiaires d’une complémentaire, l’ACS, mise en place par la loi du 13 août 2004, a été une bonne idée. Cependant, on n’arrive pas à la développer. En 2008, les caisses d’allocations familiales ont recensé tous ceux qui, compte tenu de leur niveau de revenus, étaient susceptibles de bénéficier d’une aide et transmis leur nom aux caisses primaires, qui leur ont envoyé une lettre personnalisée leur indiquant qu’ils pouvaient bénéficier de cette aide. Cette opération a permis d’augmenter de 60 % le nombre de titulaires d’une complémentaire. Elle a cependant engendré pour les caisses un travail considérable, que l’on ne peut pas leur demander de répéter trop souvent. Un point n’a pas été signalé à ce sujet : les caisses de sécurité sociale, sur leur fonds d’action sanitaire et sociale, et les conseils généraux complètent souvent l’ACS. De ce fait, il est possible d’acquérir une complémentaire à très peu de frais. Encore faut-il faire comprendre aux personnes ce que représente le bon d’achat qu’on leur propose. Dans le courrier que je reçois, je constate que près de 5 % des personnes concernées répondent qu’elles n’ont pas demandé l’ACS, au motif qu’elles bénéficient déjà d’une complémentaire santé. Elles n’ont donc pas compris le bénéfice qu’elles pouvaient retirer du dispositif.

L’aide à la complémentaire santé, qui résulte d’un rapport que j’avais remis à M. Mattei au début de 2003, est une véritable réponse à ce problème. Je préconisais d’utiliser à cette fin la niche que représente l’exonération de cotisations sociales et fiscales des contrats collectifs, souvent haut de gamme. Sans doute faut-il à présent développer l’ACS, qui est née de cette proposition.

Le second sujet autour duquel tournent vos questions est le refus de soins. Comme M. Rolland, avec lequel je suis en complet accord, je considère qu’en choisissant d’inverser la charge de la preuve, nous serions allés trop loin. En revanche, je regrette que le testing juridique, qui constitue un élément de preuve, ne soit pas utilisé. Loin de moi l’idée de jeter la suspicion sur les professionnels de santé, mais il faut savoir que le CMUiste qui essuie un refus de soins ne le signale pas. De lui-même, en effet, le médecin qui refuse de le soigner l’oriente vers un confrère voisin ou un centre de soins, de sorte que le refus de soins, condamnable sur le plan de la déontologie et de la morale, n’est pas signalé puisque la personne est finalement soignée. La mise en place dans les caisses de sécurité sociale de conciliateurs de caisse a constitué un progrès considérable à cet égard. Son rôle est moins de procéder à une conciliation – qui s’opère d’elle-même entre le CMUiste, le praticien conseil et le médecin –, que de repérer le professionnel de santé qui a opposé un refus de soins. Après plusieurs incidents, il sera possible d’intervenir. Lorsque le conciliateur appelle le professionnel de santé, tout rentre dans l’ordre. Mais, il va de soi qu’il n’existe pas de réponse simple à ce problème, sans quoi je l’aurais depuis longtemps proposée à Mme la ministre de la santé.

M. Pierre Morange, vice-président de la Commission. Au nom de la Commission, je vous remercie de votre intervention.

Je pense que vous n’avez aucune inquiétude sur le financement par les complémentaires du Fonds CMU, qui bénéficient actuellement de 5 à 7 milliards d’exonérations fiscales.

Pour limiter la fraude sociale, un travail important a été entrepris par les caisses primaires d’assurance maladie et les caisses d’allocations familiales afin de mieux connaître la population concernée, qui reste aujourd’hui dans une zone d’ombre. L’interconnexion des fichiers de 750 organismes sociaux permettra de repérer non seulement les fraudeurs, mais aussi ceux qui pourraient bénéficier d’une complémentaire santé et n’en disposent pas. Ainsi, cet outil automatisé permettra la promotion, donc l’optimisation de notre système de protection sanitaire et sociale.

——fpfp——

Informations relatives à la Commission

La Commission des affaires sociales a désigné M. Jean-Patrick Gille rapporteur sur la proposition de loi de M. Jean-Marc Ayrault relative à la protection des missions d’intérêt général imparties aux services sociaux et à la transposition de la directive services (n° 2149).

La Commission a désigné M. Germinal Peiro rapporteur sur la proposition de loi de M. Germinal Peiro relative à l’extension du régime de retraite complémentaire obligatoire aux conjoints et aides familiaux de l’agriculture (n° 357).

Mme Marisol Touraine a regretté à nouveau que la Commission se saisisse trop peu pour avis de textes qui comportent pourtant des dispositions relevant de sa compétence, évoquant notamment la loi pénitentiaire ou la loi sur les jeux en ligne.

Le président Pierre Méhaignerie a indiqué que ce point sera abordé lors de la prochaine réunion du bureau de la Commission.

La séance est levée à onze heure quarante.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 16 décembre 2009 à 9 h 30

Présents. - Mme Edwige Antier, M. Jean Bardet, Mme Véronique Besse, Mme Gisèle Biémouret, Mme Valérie Boyer, M. Yves Bur, Mme Martine Carrillon-Couvreur, M. Gérard Cherpion, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Georges Colombier, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Rémi Delatte, Mme Michèle Delaunay, M. Jacques Domergue, M. Jean-Pierre Door, M. Dominique Dord, Mme Laurence Dumont, Mme Cécile Dumoulin, Mme Catherine Génisson, M. Jean-Patrick Gille, M. Maxime Gremetz, Mme Anne Grommerch, M. Michel Heinrich, M. Christian Hutin, M. Michel Issindou, M. Denis Jacquat, M. Paul Jeanneteau, M. Yves Jégo, M. Régis Juanico, M. Jean-Marie Le Guen, Mme Catherine Lemorton, M. Claude Leteurtre, M. Céleste Lett, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Guy Malherbe, M. Jean Mallot, M. Pierre Méhaignerie, M. Pierre Morange, M. Philippe Morenvillier, Mme Marie-Renée Oget, Mme Dominique Orliac, M. Germinal Peiro, M. Bernard Perrut, M. Étienne Pinte, M. Jean-Frédéric Poisson, Mme Bérengère Poletti, M. Jean-Luc Préel, M. Simon Renucci, M. Arnaud Robinet, M. Jean-Marie Rolland, Mme Valérie Rosso-Debord, M. Christophe Sirugue, M. Dominique Tian, Mme Marisol Touraine, M. Jean Ueberschlag, Mme Isabelle Vasseur

Excusés. - M. Pierre Cardo, Mme Danièle Hoffman-Rispal, Mme Monique Iborra

Assistait également à la réunion. - M. Gérard Bapt