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Commission des affaires sociales

Mercredi 2 juin 2010

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 53

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

– Audition de M. Dominique Liger, directeur général du Régime social des indépendants (RSI) sur la réforme des retraites

– Audition de M. Gérard Ménéroud, président de l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO) de M. Bernard Van Craeynest, président de l’Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC), et de M. Jean-Jacques Marette, directeur général de l’AGIRC-ARRCO, sur la réforme des retraites.

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 2 juin 2010

La séance est ouverte à dix heures.

(Présidence de M. Jean-Luc Préel, vice-président de la commission)

La Commission des affaires sociales entend M. Dominique Liger, directeur général du Régime social des indépendants (RSI) sur la réforme des retraites.

M. le président Pierre Méhaignerie. Dans le cadre de notre cycle d’auditions consacrées à la réforme des retraites, nous accueillons M. Dominique Liger, directeur général du régime social des indépendants (RSI), depuis sa création, en juillet 2006.

Monsieur le directeur général, pourriez-vous nous décrire l’assurance vieillesse gérée par le RSI, nous préciser sa situation démographique et financière et nous présenter ses perspectives d’avenir ?

Pensez-vous que les retraites des artisans et des commerçants doivent faire l’objet de réformes particulières ? Comment pourront être transposées d’éventuelles réformes des régimes de retraite des salariés ?

M. Dominique Liger, directeur général du régime social des indépendants (RSI). Le régime social des indépendants (RSI), créé le 1er juillet 2006, a réalisé la fusion des caisses d’assurance vieillesse des artisans et des commerçants. À ce titre, il est chargé de la gestion de deux régimes de base – alignés depuis 1972 sur le régime des salariés – et de deux régimes complémentaires obligatoires.

Si les artisans se sont dotés d’un tel régime complémentaire dès 1979, les commerçants n’ont créé le leur qu’en 2004 ; sans doute persévéraient-ils dans l’illusion qu’une partie de leur capital retraite serait assuré par la vente de leurs fonds de commerce, ce qui est de moins en moins le cas. Il s’agit, dans les deux cas, de systèmes intermédiaires entre la répartition et la capitalisation, fonctionnant suivant le principe de la répartition provisionnée, l’excédent de cotisations étant investi dans des actifs financiers.

Ce système a permis aux artisans de constituer une dizaine de milliards d’euros de réserves financières depuis 1979. Toutefois, cette somme est à rapporter au montant des pensions à verser dans les vingt-cinq prochaines années, soit plus de 40 milliards d’euros. Malgré l’existence d’un dispositif amortisseur, le régime de retraite des travailleurs indépendants est donc confronté aux mêmes difficultés que les autres.

Avec la direction de la sécurité sociale du ministère, nous envisageons la fusion des deux régimes complémentaires, peut-être par l’intermédiaire d’une disposition législative insérée dans le futur projet de loi portant réforme des retraites. Cette mesure, qui s’inscrirait dans la logique de la création du RSI, ne poserait guère de difficultés techniques, le principal obstacle étant d’ordre psychologique : les artisans pensent avoir un « trésor de guerre » de plusieurs milliards d’euros, alors que les commerçants sont encore dans la phase de montée en puissance. Toutefois, en faisant un effort de pédagogie, l’opération devrait être réalisable assez rapidement, dans une perspective de « gagnant-gagnant » pour les deux catégories.

Par ailleurs, nous observons depuis l’année dernière l’affiliation d’un très grand nombre d’auto-entrepreneurs – plus de 470 000 à l’heure actuelle –, pour les retraites et pour l’assurance maladie ; parmi les personnes ayant opté pour ce régime, seules celles exerçant une profession libérale ne sont pas inscrites au RSI.

M. le président Pierre Méhaignerie. Il s’agit des architectes et de tous les conseils, soit 110 000 personnes au total.

M. le directeur général. Cela fait problème car, si les auto-entrepreneurs bénéficient – du moins dans les premiers temps – d’une exonération de cotisations sociales, ils gonflent le nombre de nos cotisants, ce qui déséquilibre le rapport démographique entre les régimes vieillesse et, de ce fait, augmente les versements que nous devons effectuer, chaque année, au titre de la compensation démographique. Or, le succès du dispositif de l’auto-entrepreneur ne se dément pas en 2010.

Du point de vue financier, les cotisations des assurés – quelques 800 000 commerçants et 700 000 artisans – représentent environ les deux tiers des recettes du RSI, nos autres ressources provenant de la CSG, des produits financiers et du produit de la contribution sociale de solidarité des sociétés (CSSS), que le RSI recouvre pour le compte de l’État auprès des entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 750 000 euros. Cette taxe rapporte plus de 5 milliards d’euros par an.

M. le président Pierre Méhaignerie. Alors qu’elle ne concerne que les grandes surfaces ? C’est énorme !

M. le directeur général. À l’origine, elle ne touchait que les grandes surfaces, mais elle a été étendue à toutes les entreprises.

M. le président Pierre Méhaignerie. Même aux entreprises industrielles ?

M. le directeur général. Oui : le premier contribuable est le groupe Total.

Auparavant, nous assurions également le recouvrement de la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM), assise sur les grandes surfaces et dont le produit était réservé au petit commerce, mais l’État l’a récupéré dans le cadre de la réforme de la taxe professionnelle, afin d’affecter une partie de son produit – 750 millions d’euros par an – aux collectivités territoriales.

Une partie de la CSSS sert à combler le déficit des caisses dont nous assurons la gestion.

Mme Martine Billard. À quelle hauteur ?

M. le directeur général. Plus de 1,5 milliard d’euros.

M. le président Pierre Méhaignerie. Le RSI conserve-t-il la totalité du produit de la taxe ?

M. le directeur général. Non : nous en sommes le premier bénéficiaire, mais une partie est destinée à d’autres organismes, comme la Mutualité sociale agricole (MSA).

M. le président Pierre Méhaignerie. Les salariés n’en bénéficient-ils pas ?

M. le directeur général. C’est la direction de la sécurité sociale qui répartit le produit de la taxe. Elle en fait l’usage qu’elle veut.

M. le président Pierre Méhaignerie. Je note en passant que, dans le régime vieillesse de base des artisans, 23 % des produits viennent de la CSSS et 14 % de la compensation démographique : cela donne la mesure de la dépendance du système à l’égard des apports extérieurs !

M. Denis Jacquat. Les réserves financières des régimes complémentaires ont-elles été touchées par la crise financière ?

Quelles sont les caractéristiques des pensions de réversion attribuées par le RSI ?

Quel est le montant moyen des pensions versées au titre des régimes de base et des régimes complémentaires ?

Enfin, vous êtes, monsieur le directeur général, bien moins véhément que les représentants des professions libérales sur les déséquilibres financiers introduits par le dispositif de l’auto-entrepreneur. N’éprouvez-vous aucune inquiétude en la matière ?

M. le directeur général. Les réserves financières de nos régimes complémentaires ont bien évidemment été touchées par la crise financière, même si nous étions moins exposés sur les marchés que d’autres ; nous avons dû provisionner quelque 500 millions d’euros pour combler les pertes, ce qui nous oblige à redéfinir le plan de financement des régimes.

Certes, notre règlement limite – heureusement ! – nos initiatives en matière de placements financiers. Il n’empêche que, quel que soit l’arbitrage prudentiel, la gestion des actifs financiers est actuellement extrêmement délicate. Certains administrateurs ont la tentation de se réfugier dans l’immobilier mais, en termes de rendement, ce n’est pas la panacée, surtout dans la perspective d’un financement à l’horizon 2030 ou 2040.

S’agissant du dispositif de l’auto-entrepreneur, nous sommes aussi inquiets que les professions libérales. Les exonérations de cotisations sociales ont des conséquences directes sur notre équilibre budgétaire par l’effet de la compensation démographique, mais nous nourrissons aussi quelques inquiétudes s’agissant de la compensation que l’État est censé nous verser.

Il reste qu’il y a aussi des aspects positifs. Le succès du dispositif montre que les Français sont intéressés par la création d’entreprise, et qu’ils ne recherchent pas nécessairement la voie du salariat pour avoir des revenus. Par ailleurs, les appels de cotisations sociales posaient souvent des difficultés de trésorerie aux chefs d’entreprise établis depuis moins de deux ans. Un dispositif leur permettant d’échelonner dans le temps ces paiements est certainement bénéfique, à condition que l’on conserve la même protection sociale. La mission d’un régime des travailleurs indépendants spécifique est de défendre les intérêts de ses assurés. Sinon, autant que ces derniers soient rattachés au régime général !

La « petite retraite » des artisans et des commerçants est un mythe : les sommes versées ne sont ni inférieures ni supérieures à celles des salariés, puisque les deux régimes sont alignés. Les pensions sont corrélées aux revenus d’activité, qui peuvent être assez bas, près d’un tiers des commerçants ayant des revenus équivalents au SMIC. Par ailleurs, ceux dont nous liquidons les retraites sont souvent des polypensionnés : en moyenne, les gens ne travaillent qu’une quinzaine d’années sous le régime social des indépendants. La pension que nous reversons étant calculée sur cette base, cela peut laisser accroire qu’elle est particulièrement faible.

M. le président Pierre Méhaignerie. En outre, il existe une retraite complémentaire…

M. le directeur général. Ainsi que de nombreuses mutuelles spécialisées !

M. Michel Issindou. Il importe en effet de rappeler que les retraites des artisans et des commerçants ne sont pas aussi faibles qu’on le dit.

Le statut de l’auto-entrepreneur répond à une appétence indéniable des Français, mais je ne vois pas comment, avec le déficit actuel de nos régimes de protection sociale, on pourra se priver durablement des cotisations des auto-entrepreneurs. Vous prenez les choses avec beaucoup de recul !

Quel est aujourd’hui l’âge moyen de départ en retraite des artisans et des commerçants et quel est leur état d’esprit par rapport à un éventuel report de l’âge légal ?

M. le directeur général. Si je suis optimiste, c’est que je pense que le « vrai » auto-entrepreneur est une personne qui utilise la filière microsociale pour lancer un projet sérieux d’entreprise individuelle ; elle est appelée à renoncer assez rapidement à ce statut, parce que le plafond de chiffre d’affaires annuel est bas – 70 000 euros – et que diverses dispositions l’incitent à le faire.

Le plus inquiétant, c’est le « faux » auto-entrepreneur ; il existe même des chefs d’entreprise qui incitent leurs collaborateurs à devenir auto-entrepreneurs. C’est pourquoi nous allons, avec les URSSAF, faire la chasse aux faux auto-entrepreneurs.

M. le président Pierre Méhaignerie. Nous dresserons également un bilan en la matière – mais cela ne remet pas en cause l’idée de départ.

M. le directeur général. En ce qui concerne l’état d’esprit de nos assurés, il m’est difficile de me prononcer au nom de deux millions de personnes. A priori, les artisans et les commerçants sont dans les mêmes dispositions que les salariés. D’ailleurs, ils prennent leur retraite à peu près en même temps, vers soixante et un ou soixante-deux ans. Ce qui motive leur décision, c’est la possibilité de transmettre leur entreprise, plutôt que le montant de leur pension.

Les dispositifs de cumul emploi-retraite sont peu développés. En revanche, le conjoint, qui peut être salarié, conjoint collaborateur, ou n’avoir aucun statut, a tendance à prendre sa retraite plus tôt, tout en continuant de travailler dans l’entreprise.

M. Jean-Luc Préel. Il existe encore trente-huit régimes de retraite différents. Êtes-vous favorable, comme semble l’être la MSA, à la création d’un régime universel, ou à un régime de base par points, permettant un départ « à la carte » ?

Pouvez-vous préciser le montant moyen de la pension de retraite de vos pensionnés, en additionnant la retraite de base et la retraite complémentaire ?

Pour les polypensionnés, le calcul est réalisé sur la base des vingt-cinq meilleures années. Sachant que vos assurés n’ont passé en moyenne que quinze ans au RSI, pensez-vous que la prise en compte des vingt-cinq meilleures années, tous régimes confondus, soit possible ?

Comment envisagez-vous le problème des carrières longues et de la pénibilité du travail, pour les artisans notamment ?

M. le directeur général. Nous donnons l’illustration que l’on peut regrouper des régimes de retraite sans difficultés particulières, à condition que cela se fasse avec un accompagnement et de manière échelonnée dans le temps. Les seuls travailleurs indépendants qui n’ont pas voulu nous rejoindre sont les professions libérales, qui ont eu peur de perdre leur autonomie ; pourtant, la spécificité de certains régimes, comme ceux des notaires ou des géomètres, aurait pu être conservée.

Avec la création du dispositif des auto-entrepreneurs, se pose d’ailleurs à nouveau le problème de l’émiettement des régimes de retraite. Je suis prêt à faire des offres de service en la matière. La Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse (CIPAV), qui regroupe les professions libérales ne dépendant pas d’un ordre, rencontre ainsi de grandes difficultés à la suite de l’arrivée massive des auto-entrepreneurs. Le cas de la MSA, qui regroupe à la fois des travailleurs indépendants – 350 000 agriculteurs – et les salariés de Groupama et du Crédit agricole, est plus complexe ; il serait plus logique que ces derniers rejoignent le régime général.

La moyenne des pensions versées, en additionnant la retraite de base et la retraite complémentaire, s’établit à environ 1 500 euros, soit une somme équivalente à ce que touchent les salariés. Il faut prendre garde aux idées reçues.

M. le président Pierre Méhaignerie. De même, pour les agriculteurs, il convient de tenir compte de la retraite versée au conjoint sans que celui-ci ait eu à payer de cotisations. Dans le débat à venir, il faudra s’appuyer sur des faits concrets.

M. le directeur général. S’agissant de la pénibilité du travail, il existe des études sur les salariés employés dans des entreprises artisanales ou commerciales, mais très peu sur les commerçants et artisans chefs d’entreprise. Pourtant, certains métiers, comme celui de carreleur, sont de ce point de vue particulièrement difficiles. Nous nous proposons d’engager des études sur le sujet.

M. Maxime Gremetz. Vous semblez soutenir le statut d’auto-entrepreneur. Pourtant, beaucoup de commerçants se plaignent d’une concurrence déloyale !

M. le directeur général. Étant directeur général du RSI, je me dois d’appliquer la loi ! En revanche, les commerçants et artisans qui siègent au conseil d’administration de la caisse nationale ou des caisses régionales sont vent debout contre le statut d’auto-entrepreneur.

M. Dominique Dord. Combien d’auto-entrepreneurs sont d’anciens artisans en retraite ?

M. le directeur général. Je doute qu’ils soient très nombreux.

Pour s’inscrire comme auto-entrepreneur, il suffit d’aller sur internet. Mais cela n’implique pas que l’activité soit effective.

M. le président Pierre Méhaignerie. En particulier, certaines entreprises, qui rencontrent des difficultés passagères, demandent à leurs salariés de devenir auto-entrepreneurs. Toutefois, cela ne remet pas en cause l’intérêt du dispositif, qui favorise l’esprit d’initiative.

M. Jacques Domergue. Pourquoi est-ce le RSI, et non l’État, qui compense l’exonération des cotisations ?

M. le directeur général. L’État est censé compenser…

M. Maxime Gremetz. Mais il ne le fait pas !

M. Jacques Domergue. Les auto-entrepreneurs qui ne déclarent pas de chiffre d’affaires se situent de facto dans l’illégalité. Le système de compensation fonctionne-t-il pour eux aussi ? Si tel était le cas, ce serait un moyen de se constituer une pension de retraite sans cotiser !

M. le directeur général. Le dispositif est tout de même verrouillé : si une personne inscrite comme auto-entrepreneur ne déclare aucun chiffre d’affaires, ses trimestres de retraite ne sont pas validés au-delà du premier, et elle ne bénéficie que de l’assurance maladie. Cela permet de limiter un éventuel effet d’aubaine.

Mme Marie-Christine Dalloz. Vous estimez que l’adoption de la loi de 2003 sur les carrières longues a entraîné, entre 2004 et 2007, le départ anticipé de plus de 17 000 artisans et commerçants. Le rythme est-il toujours le même ?

Par ailleurs, on sait que l’âge moyen de départ à la retraite est de plus de soixante ans pour les artisans et de soixante et un ans et demi pour les commerçants. Mais qu’appelez-vous l’« âge moyen corrigé de la démographie » ?

Enfin, sur les 5 milliards d’euros recouvrés par le régime au titre de la CSSS, vous avez précisé qu’une partie seulement bénéficiait au RSI, tandis qu’une autre partie était attribuée à la MSA. Quelle est la clé de répartition ?

M. le directeur général. En ce qui concerne l’âge moyen corrigé, je préfère, pour éviter toute erreur, vous répondre plus tard.

Quant à la répartition du produit de la CSSS, elle est effectuée chaque année par la direction de la sécurité sociale, c’est-à-dire par l’État. Sur un total de 5 milliards d’euros, environ 1,5 milliard est affecté au régime social des indépendants, pour la partie retraite comme pour la partie maladie. La MSA en est également bénéficiaire, pour un montant qui dépend de sa situation financière.

Mme Marie-Christine Dalloz. Il s’agit donc d’une mesure de compensation calculée à partir de l’évaluation des déficits.

M. le directeur général. Exactement. Chaque année, des arrêtés de répartition fixent les modalités d’affectation du produit de la contribution. Il serait sans doute intéressant d’en connaître la répartition moyenne sur cinq ans, mais c’est à l’État qu’il convient de poser la question.

M. Michel Heinrich. Dans un cas au moins, l’alignement du RSI sur le régime général semble présenter un inconvénient pour les assurés. C’est du moins ce qu’a mis en évidence la semaine dernière M. Lardin, président de l’Union professionnelle artisanale (UPA). En effet, pour bénéficier d’une année complète, il faut dégager un bénéfice équivalent à 800 heures de SMIC. Cela signifie qu’un artisan ou un commerçant qui a subi des pertes peut ne pas parvenir à valider quatre trimestres de cotisations, même s’il a fait 2 000 heures dans l’année, ce qui est injuste. Sont-ils nombreux dans cette situation ? Songez-vous à corriger ce problème dans le cadre de la future réforme ?

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Vous avez évoqué la situation des conjoints des artisans et commerçants, dont la position ne semble pas toujours confortée, ce qui pose un réel problème au moment de la liquidation des pensions. Les personnes concernées – souvent des femmes – nous alertent régulièrement sur la complexité de leur situation. Avez-vous une idée de leur nombre ? Existe-t-il des possibilités de rachat d’annuités ou de rattrapage pour les conjoints ? Des études sont-elles effectuées à leur sujet, notamment par les chambres consulaires ? Voilà un domaine dans lequel le rôle d’accompagnement joué par votre organisation peut prendre tout son sens.

M. le directeur général. Ce point est au cœur des préoccupations des travailleurs indépendants, qu’ils soient commerçants ou artisans. Aujourd’hui, le conjoint a le choix entre deux solutions : il peut être salarié de l’entreprise, et relever alors du régime général, ou bien adopter le statut de conjoint collaborateur, spécifique au secteur des travailleurs indépendants. Une disposition adoptée dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 permet au conjoint collaborateur de bénéficier automatiquement d’un certain nombre de trimestres de retraite. Cependant, elle n’est pas encore appliquée, car son financement fait l’objet de négociations avec l’État. Je compte d’ailleurs revenir à la charge d’un moment à l’autre sur ce dossier cher au président du RSI.

M. le président Pierre Méhaignerie. Les conjointes de commerçants et d’artisans souhaiteraient en fait bénéficier des mêmes droits que les conjointes d’agriculteurs. Or, ces dernières bénéficient d’un dispositif soutenu fortement par l’État.

M. le directeur général. À cet égard, ma proposition que le RSI assume pour les trois premières années le financement du dispositif n’a pas soulevé un réel enthousiasme.

M. Michel Liebgott. Le statut d’auto-entrepreneur pose réellement un problème. Ainsi, dans ma collectivité, il existe un fonctionnaire qui est à la fois sapeur-pompier et auto-entrepreneur. Il en résulte des situations complexes s’agissant du cumul des cotisations.

M. le directeur général. On peut également être député et auto-entrepreneur…

M. Michel Liebgott. La création de ce statut avait un double objectif : permettre à des chômeurs de trouver du travail, et permettre à des gens qui travaillaient déjà de gagner plus. Mais au final, nous sommes confortés dans notre opinion : il ne s’agit pas d’un bon dispositif.

On pouvait penser que le régime des indépendants avait un caractère très particulier mais, à vous entendre, il s’agit d’un système comme un autre, même s’il recouvre des situations qui peuvent être très différentes en termes de pénibilité, d’espérance de vie ou de montants de pension : certains touchent sans doute une somme très inférieure à la moyenne de 1 500 euros, alors que d’autres perçoivent une somme très supérieure. Et je ne parle pas des différences en matière de capital accumulé !

M. Georges Colombier. Avant tout, monsieur le directeur général, je souhaite que l’on remédie définitivement aux dysfonctionnements constatés, notamment dans l’Isère.

Vous avez raison de ne pas limiter la gestion financière des cotisations à l'achat de biens immobiliers : comme on dit chez nous, il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier.

En ce qui concerne les auto-entrepreneurs, le Gouvernement a pris un certain nombre de dispositions applicables à partir d’avril 2010 et destinées à limiter les abus. Ainsi, dans le secteur du bâtiment, les auto-entrepreneurs devront désormais disposer de diplômes, s’inscrire dans les chambres de métiers et cotiser pour l’assurance décennale. De telles dispositions ne sont-elles pas de nature à limiter l’engouement pour ce statut, qui n’est pas toujours justifié ?

J’ai été également surpris d’apprendre que le montant moyen des pensions versées aux commerçants était sensiblement égal à celui dont bénéficient les salariés. Mais, il n’en va pas de même pour les conjoints, dont la situation s’apparente à celle des conjoints d’agriculteurs, du moins pour ce qui concerne les plus âgés d’entre eux : n’ayant jamais cotisé, ils se retrouvent sans rien.

Enfin, dans le cadre de la réforme des retraites conduite par François Fillon, le Gouvernement avait laissé aux partenaires sociaux, branche par branche, le soin de régler le problème de la pénibilité. En effet, même si le caractère pénible de certaines professions est avéré, la difficulté consiste à le démontrer. De même, lorsqu’on a défini le périmètre de la pénibilité, le problème est d’en financer la prise en charge.

M. le directeur général. Les artisans font pression pour que les auto-entrepreneurs soient soumis aux mêmes obligations qu’eux-mêmes en matière, notamment, de diplômes ou de codification. M. Novelli s’apprête à faire adopter des dispositions en ce sens. L’artisanat est en effet un statut très réglementé, dont on ne peut se prévaloir du jour au lendemain. Le contrôle des auto-entrepreneurs, assuré par les chambres de métiers, devrait conduire à une certaine uniformisation. Mais, cela est beaucoup moins vrai en ce qui concerne le commerce.

Quant à la situation du conjoint, elle est en effet une des spécificités des assurés commerçants et artisans. Il y a encore quelques années, les conjoints n’étaient ni salariés, ni conjoints collaborateurs. Ils n’avaient aucun statut : les URSSAF pouvaient même les considérer comme travailleurs au noir et leur infliger une pénalité ! Même si elle a lentement évolué, leur situation pèse donc lourdement sur les retraites.

M. Jean-Claude Leroy. Vous avez évoqué le « trésor de guerre » constitué par le régime complémentaire des artisans sous la forme d’un fonds de réserve doté de 10 milliards d’euros. À partir de quand et pour combien de temps sera-t-il mis à contribution ?

M. le directeur général. Nous commençons dès cette année à puiser dans ces réserves pour financer les prestations. Cela montre que le régime est structurellement déséquilibré.

M. Bernard Perrut. Il semblerait que, pour les artisans ou commerçants, la pension de réversion soit versée plus tardivement que dans les autres régimes. Quels sont les chiffres ?

M. le directeur général. Je ne dispose pas des chiffres relatifs à la pension de réversion, mais celle-ci, je le rappelle, est alignée sur le régime général. Elle n’est donc pas versée plus tardivement que dans les autres régimes. En revanche, il est exact que le délai de liquidation est plus long dans le cas des polypensionnés, qui sont nombreux à être affiliés au RSI, car celle-ci nécessite un accord entre de nombreuses caisses de retraite. C’est un phénomène contre lequel il convient de lutter.

M. le président Pierre Méhaignerie. Le nombre de départ à cinquante-sept ans, dans le cadre du dispositif sur les carrières longues, a de quoi surprendre. A-t-on une idée de l’activité exercée par les bénéficiaires de retraite anticipée ? On a du mal à imaginer, en effet, qu’un artisan cesse de travailler à cet âge.

M. le directeur général. Je ne dispose pas de statistiques ni d’études sur ce sujet. Mais je pense tout simplement que certains s’arrêtent parce qu’ils sont fatigués. N’oublions pas que beaucoup ont commencé à travailler dès l’âge de seize ou dix-sept ans, en tant qu’apprentis, par exemple.

M. Fernand Siré. Il me semble que, dans l’esprit du législateur, le statut d’auto-entrepreneur était destiné à faire remonter à la surface une part du travail souterrain, lequel, par définition, n’était pas soumis aux prestations sociales. On sait bien, en effet, que de nombreux chômeurs de longue durée ou salariés aux faibles revenus pouvaient recourir au travail au noir.

Ce système a-t-il permis à certaines vocations d’éclore ? Combien d’auto-entrepreneurs se sont-ils transformés en entrepreneurs traditionnels après s’être affiliés à votre régime ?

M. le directeur général. Vous avez raison : un des effets très bénéfiques du statut d’auto-entrepreneur est de légaliser le travail au noir.

M. Maxime Gremetz. Si je vous comprends bien, « auto-entrepreneur égale voleur » ! Je le ferai savoir aux intéressés !

M. le directeur général. Combien d’auto-entrepreneurs ont rejoint le droit commun ? Il est encore trop tôt pour le savoir : le système n’existe que depuis un an et demi. On devrait pouvoir apporter un début de réponse l’année prochaine.

M. le président Pierre Méhaignerie. Toutes les questions qui ont été posées à M. Liger sur le statut d’auto-entrepreneur méritent que la Commission des affaires sociales s’en saisisse. Mais, elles ne remettent pas en question la dynamique engendrée par ce dispositif.

M. Jean-Luc Préel. Quel est le montant des compensations que l’État vous doit en raison des exonérations de charges liées à ce statut, et quel est celui des compensations effectivement versées ?

M. le directeur général. Nous allons présenter pour l’année 2009 une première facture d’environ 600 millions d’euros. Elle va s’ajouter aux autres demandes de compensation – pour les zones franches, par exemple. D’une manière générale, les régimes de protection sociale sont directement impactés par les exonérations de charges.

Mme Catherine Lemorton. Étant moi-même commerçante, je vous remercie d’avoir rétabli certaines vérités au sujet du niveau des pensions des commerçants et des artisans. Il reste que ces derniers ont pour spécificité de pouvoir revendre, avec plus ou moins de facilité, leur entreprise au moment de prendre leur retraite, ce qui leur permet de bénéficier d’un complément de revenu.

J’ai cru comprendre que vous alliez entreprendre une étude sur le thème de la pénibilité. Il est vrai qu’un indépendant peut y être confronté, notamment s’il est seul. Mais un chef d’entreprise a plus facilement qu’un salarié la possibilité de moduler le temps consacré au travail physique. La pénibilité ne peut donc, dans son cas, être envisagée de la même façon.

L’existence d’un régime spécifique pour les artisans et les commerçants a été l’un des éléments qui ont empêché la création du régime unique envisagé par le Conseil national de la Résistance en 1945. Seriez-vous partisan d’aller vers un régime universel, compte tenu des difficultés qu’entraînent les disparités entre les différents systèmes – je pense notamment aux professions libérales, qui bénéficient de l’assurance maladie du RSI, mais qui ont leur propre système de retraite ?

Enfin, vous avez recours aux marchés financiers pour placer le produit des cotisations. Quelle confiance pouvez-vous leur accorder au vu des crises que l’on a connues, que l’on connaît encore et que l’on connaîtra sans doute à l’avenir ?

M. le directeur général. En ce qui concerne la pénibilité, nous allons, en effet, entreprendre des études concernant les chefs d’entreprise indépendants. Aujourd’hui, elles ne concernent que les salariés. Il est probable, en effet, qu’un chef d’entreprise qui a des salariés et s’occupe avant tout des devis est moins exposé que celui qui doit tout faire tout seul. Mais cette intuition mérite d’être démontrée.

Pour ma part, je ne plaide pas en faveur d’un régime universel, car je suis convaincu de l’intérêt, pour les travailleurs indépendants, de disposer d’un régime spécifique. Même s’il est totalement aligné sur le régime général de protection sociale, le RSI prend en effet en compte les attentes particulières d’assurés qui sont des chefs d’entreprise. Nous essayons de leur proposer une offre globale de services susceptible de les accompagner depuis le moment où ils créent leur entreprise jusqu’à celui où ils partent en retraite.

Dès lors qu’ils sont assez robustes et ne posent pas de problème en termes d’équité, il me semble qu’il y a de la place pour certains régimes particuliers bien ciblés. En l’occurrence, les financements du régime de base du RSI relèvent, comme pour le régime général, de la loi de financement de la sécurité sociale, tandis que nous seuls avons la responsabilité de l’équilibre du régime complémentaire. Cela étant, des regroupements sont encore possibles, et sont sans doute économiquement et financièrement souhaitables : il subsiste de nombreuses « tribus gauloises » dans les régimes de retraite !

Quant à ma confiance dans les marchés financiers, elle est évidemment limitée. Dans le cas des commerçants, le nombre de pensionnés étant encore très faible, nous nous interrogeons sur la façon de placer le produit des cotisations. Les décisions, en la matière, sont difficiles à prendre, car elles ont des conséquences sur le financement à vingt ou trente ans du régime de retraite. Il faut arbitrer entre deux exigences, le rendement et la prudence.

M. Dominique Tian. Le RSI, lui-même issu de la fusion de plusieurs caisses – artisans, commerçants, professions libérales –, connaît actuellement de grosses difficultés. Les dysfonctionnements, qui durent depuis plusieurs mois et seraient notamment liés à des problèmes informatiques, plongent de nombreux affiliés dans une situation préoccupante. Pouvez-vous nous donner des précisions à ce sujet ?

Par ailleurs, je crois savoir que vous avez demandé à l’État une aide financière assez conséquente pour réussir la fusion entre les différents régimes.

M. le directeur général. La réforme du RSI est une très bonne réforme, mais nous avons peut-être voulu trop en faire, et en trop peu de temps. Nous avons, en effet, souhaité également mettre en place un guichet unique et unifier la collecte des cotisations. Nous avons donc confié aux URSSAF le soin d’effectuer cette collecte au nom du RSI, mais les systèmes informatiques des deux institutions se sont révélés largement incompatibles. Et si 95 % des problèmes techniques sont désormais réglés, des milliers de dossiers restent en souffrance, notamment en raison de l’absence d’appels de cotisations ou d’erreurs de calcul.

Cela étant, le principe du guichet unique ne me semble pas devoir être remis en cause, d’autant que les URSSAF disposent d’une grande expérience en matière de collecte des cotisations. Désormais, le cap le plus difficile est passé, mais il est certain que cette affaire n’a pas facilité la mise en place du régime.

En revanche, aucune demande d’aide n’a été adressée à l’État. La création du RSI n’a rien coûté à ce dernier : bien au contraire, elle a permis de réaliser des économies. J’ai ainsi négocié avec l’État une diminution du budget de fonctionnement et le non-renouvellement des départs en retraite pendant cinq ans. Il est donc possible de faire des économies de gestion dans un régime de sécurité sociale, grâce aux gains de productivité réalisés sur les fonctions support – système de paye, gestion du personnel, etc.

M. Paul Jeanneteau. Je vous félicite pour ce souci de saine gestion, qui gagnerait à faire école.

D’après le document qui nous a été remis sur le RSI, depuis la mise en place de la surcote en 2004, le nombre de départs en retraite avec surcote n’a cessé d’augmenter. Ainsi, en 2007, les bénéficiaires de la surcote étaient plus nombreux au RSI que dans le régime général. Savez-vous pourquoi ?

M. le directeur général. Il n’existe pas une explication unique à ce phénomène, d’ailleurs encore plus sensible pour les commerçants que pour les artisans. Je suppose que les commerçants ont une plus grande tendance à prolonger leur activité.

Mme Valérie Rosso-Debord. Contrairement à ce que disait Michel Liebgott, le régime des indépendants n’est pas un régime comme les autres : c’est le seul dans lequel on peut être amené à cotiser sans valider un trimestre. J’aimerais donc savoir combien de personnes sont concernées, et pourquoi un tel système perdure. En effet, pour valider un trimestre, il faut non seulement cotiser, mais aussi réaliser un bénéfice minimal.

Mme Martine Billard. Le salarié aussi doit effectuer un nombre minimum d’heures !

Mme Valérie Rosso-Debord. Il suffit au salarié de cotiser pour valider ses trimestres. L’indépendant est soumis à une condition supplémentaire.

M. Christian Hutin. M. Liger a qualifié de « boîte à outils pour l’assurance sociale » la contribution sociale de solidarité des sociétés. Compte tenu de l’ampleur de son produit, de l’identité des cotisants – des entreprises aussi florissantes que Total ou Carrefour –, et de l’effet de levier non négligeable qu’elle a sur notre système de retraite, il serait utile que la Commission des affaires sociales reçoive des informations spécifiques sur cette cotisation.

M. Pierre Morange. On ne peut que louer les efforts de gestion accomplis par le RSI, qu’il s’agisse du recours à des systèmes informatiques ou des économies d’échelle obtenues sur les fonctions support. Ils rejoignent les préconisations de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS). Je rappelle qu’en tant que rapporteur j’avais pu obtenir en 2004 le non-renouvellement d’un départ à la retraite sur deux dans les services de gestion de l’assurance maladie en raison des gains de productivité liés à la télétransmission, et cela permet d’économiser chaque année 150 millions d’euros.

Les coûts de gestion de l’assurance maladie étaient justement le premier thème de réflexion abordé par la MECSS, sur le rapport de Jean-Pierre Door. Il s’agissait de réduire les coûts, tout en améliorant le service rendu aux assurés. Nous préconisions dans ce cadre une logique de fusion des caisses et de guichet unique. Or, nos collègues de l’opposition s’étaient opposés à cette proposition – je le précise par souci de pédagogie.

M. le directeur général. Pour vous répondre, madame Rosso-Debord, il faudrait que je sache exactement ce que vous a dit le président de l’UPA. Quoi qu’il en soit, la variation des revenus des artisans ou des commerçants ne conduit pas nécessairement à l’absence de validation d’un ou plusieurs trimestres.

M. Michel Heinrich. Prenons le cas d’un artisan qui cotise sur 600 heures de SMIC dans l’année et dégage un bénéfice de 6 000 euros : il ne valide que trois trimestres, même s’il a travaillé 2 000 heures.

M. le président Pierre Méhaignerie. La précision nous sera apportée plus tard.

Ce que les députés retiendront de cette rencontre, monsieur Liger, outre votre sens de l’objectivité, c’est le fait que les différences entre le régime des indépendants et les autres régimes sont moins grandes qu’on aurait pu le croire, et qu’il existe un vrai problème s’agissant des auto-entrepreneurs. Par ailleurs, il conviendra d’approfondir la question soulevée par Michel Heinrich, ainsi que celle de la réaffectation du produit de la CSSS. Nous aimerions donc recevoir de votre part quelques compléments d’information sur ces sujets.

M. Jean-Luc Préel. Signalons que le document qui nous a été distribué apporte des précisions sur le montant des pensions versées aux artisans et commerçants. Ainsi, alors que la pension mensuelle globale des retraités du RSI correspond en moyenne à 1 110 euros tous régimes confondus, pour ce qui concerne les droits acquis dans le régime de base, les pensions moyennes sont très faibles : 271 euros pour les commerçants et 311 euros pour les artisans.

Mme Catherine Lemorton. Il serait bon que la Commission obtienne également des précisions sur la situation des conjoints, laquelle constitue toujours un sujet de préoccupation.

M. le président Pierre Méhaignerie. Monsieur Liger, je vous remercie.

Puis la Commission entend M. Gérard Ménéroud, président de l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO), M. Bernard Van Craeynest, président de l’Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC), et M. Jean-Jacques Marette, directeur général de l’AGIRC-ARRCO, sur la réforme des retraites.

M. le président Pierre Méhaignerie. Nous poursuivons nos auditions sur la réforme des retraites en accueillant aujourd’hui les responsables des régimes complémentaires des salariés du secteur privé, l’Association des régimes de retraites complémentaires (ARRCO) et l’Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC) pour les cadres.

Nous recevons donc M. Gérard Ménéroud, président de l’ARRCO où il représente le MEDEF, M. Bernard Van Craeynest, président de l’AGIRC où il représente la CFE-CGC, et M. Jean-Jacques Marette, directeur général de l’ARRCO et de l’AGIRC, ainsi que du GIE AGIRC-ARRCO.

Vous nous direz quelles sont les situations actuelles de ces deux régimes complémentaires, dont les pensions occupent une place grandissante dans les revenus des retraités, et leurs perspectives d’avenir, tant d’un point de vue démographique que financier.

Vous nous direz s’ils doivent faire l’objet de réformes particulières et quelles seront pour eux les conséquences de la réforme préparée par le Gouvernement.

M. Gérard Ménéroud, président de l’ARRCO. Je rappelle que nous intervenons aujourd’hui en complément des régimes de base pour l’ensemble des salariés du privé, soit 18,5 millions de personnes. Pour mémoire, dans les années 1990, nous avons procédé à la fusion des régimes de l’AGIRC et de l’ARRCO pour les salariés dont la rémunération est inférieure au plafond de la sécurité sociale. J’insiste enfin sur la gestion paritaire des régimes ARRCO et AGIRC, associant les trois organisations patronales et les cinq organisations syndicales représentatives.

Nous avons toujours eu un souci d’efficacité et de maintien de l’équilibre de nos régimes, en tenant compte de l’allongement de la durée de la vie, qui s’est accélérée depuis les années 1960 et de l’évolution de l’assiette des cotisations.

Par ailleurs, depuis 1996, nous menons un effort commun de rapprochement de l’AGIRC et de l’ARRCO, d’ajustement du rendement des régimes (c’est-à-dire le rapport entre la valeur d’achat et la valeur de liquidation des points de retraite) et d’économies de gestion. Nous avons ainsi constitué des réserves, dont le montant doit permettre de faire face à l’évolution des régimes de base et de maintenir nos régimes à l’équilibre. Ces réserves, que je qualifierais de « lissage », assureront une certaine progressivité dans l’adaptation de nos régimes.

Je souhaite insister sur nos dispositifs de solidarité, tels que la validation des périodes de chômage, ou les avantages familiaux, qui représentent 20 % du montant des cotisations, contre 30 à 35 % pour les régimes de base. Il est impératif de maintenir ces avantages non contributifs tout en restant dans des limites raisonnables, car nous ne sommes pas, comme vous le savez, autorisés à recourir à la dette pour les financer. Cela entraîne une exigence de responsabilité qui est partagée par l’ensemble des partenaires.

Concernant l’évolution des régimes de base, il revient à ses gestionnaires, c'est-à-dire les pouvoirs publics et les conseils d’administration des caisses, de se prononcer. Je peux, en revanche, affirmer que l’augmentation de l’espérance de vie nous oblige à réfléchir aux moyens d’assurer un service de qualité à nos concitoyens, afin de leur garantir un revenu de remplacement suffisant par rapport à leurs revenus d’activité.

Les retraites complémentaires versées par l’ARRCO représentent environ 40 % de la pension globale versée aux salariés du privé, le solde – soit 60 % – provenant des pensions du régime de base de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV).

Enfin, depuis l’an 2000, nous avons fait des efforts considérables de rationalisation du système de gestion, qui ont abouti à la mise en place d’un système d’information unique pour l’ensemble des caisses de retraite complémentaire. Nous avons également amélioré la lisibilité du système et sommes des membres actifs du groupement d’intérêt public (GIP) Info-retraite. Les gains de productivité ainsi réalisés devraient permettre de dégager des économies destinées à la résorption du déficit technique. Il ne s’agit cependant pas d’un gisement financier immense, dans la mesure où les coûts de gestion ne s’élèvent qu’à 2 % des cotisations. Il n’y a donc pas d’économies significatives à attendre d’une réforme systémique ou d’un meccano institutionnel.

M. Bernard Van Craeynest, président de l’AGIRC. Pour mémoire, l’AGIRC a été créé le 14 mars 1947, afin d’assurer aux cadres un niveau de pension en corrélation avec leur contribution au financement des retraites. Aujourd’hui, notre régime compte 3,9 millions de cotisants, parmi lesquels les cadres et les techniciens et agents de maîtrise relevant de l’article 36 de la convention collective de 1947. Leur retraite globale est issue à 35 % des régimes de base et à 65 % de l’AGIRC et de l’ARRCO.

Je souhaite insister sur la baisse brutale de la masse salariale qu’a subie notre régime cette année. En effet, alors que la masse salariale a baissé en moyenne de 1,3 % au niveau national en 2009, celle de l’AGIRC a baissé de 2,6 %. Deux facteurs expliquent ce phénomène. D’une part, l’évolution du plafond de la sécurité sociale est plus rapide que celle des salaires ou de la richesse nationale. De l’autre, de plus en plus de cadres ou assimilés ont connu une forte baisse de leur rémunération, du fait de l’importance prise par les parts variables individuelles dans cette rémunération.

Enfin deux éléments essentiels doivent être soulignés. Tout d’abord, l’AGIRC connaît ce que l’on appelle un « déficit technique » depuis 2003, c’est-à-dire que les cotisations ne couvrent pas les allocations versées. C’est l’ARRCO qui compense aujourd’hui ce déficit, en application du mécanisme de solidarité ARRCO-AGIRC. À la création de l’ARRCO, c’était l’AGIRC qui compensait le déficit de celui-ci. La situation s’est donc inversée.

Par ailleurs, nous avons ce que nous appelons des cotisants « fantômes », c’est-à-dire des salariés dont le salaire est inférieur au plafond de la sécurité sociale et même au salaire charnière de l’AGIRC (soit 10 % au-delà du plafond). Ils se voient appliquer une cotisation forfaitaire annuelle de 742 euros environ, correspondant à une garantie minimale de 120 points de cotisation. Or, la part de ces cotisants dans notre régime augmente de façon préoccupante. Elle est, en effet, passée de 14 % au début des années 1990, à un tiers aujourd’hui. Autre source de dépenses, les majorations de points de cotisation pour enfants à charge, qui varient entre 10 % et 24 % pour 7 enfants et plus.

M. Jean-Jacques Marette, directeur général de l’AGIRC-ARRCO. Si la gestion paritaire a permis jusqu’à maintenant de maintenir nos régimes à l’équilibre, les effets de la crise sont considérables.

Indépendamment des travaux du Conseil d’orientation des retraites auxquels nous participons, l’AGIRC et l’ARRCO établissent leur propre scénario, qui correspond au scénario C du COR (1,5 % de croissance de la productivité et un chômage à 7 %). Avec un tel scénario, nos régimes sont en déficit.

Ainsi, indépendamment de la réforme des régimes de base, les réserves constituées au cours de ces dernières années, qui devaient permettre de maintenir l’équilibre jusqu’en 2024, ne l’assureront, en raison de la crise, que jusqu’en 2017 ou 2018. La crise économique rapproche donc l’horizon pour le pilotage économique de nos régimes de 7 à 8 ans.

M. Denis Jacquat. Je n’aurai que quatre questions. Tout d’abord, pourriez-vous expliciter le fonctionnement de l’Association pour la gestion du fonds de l’AGIRC et de l’ARRCO (AGFF) ? Par ailleurs, mais vous y avez partiellement répondu, quel est le montant des réserves et quel a été l’effet de la crise sur vos régimes ? Pourriez-vous également nous éclairer sur les conséquences pratiques de la fixation du taux d’appel à 125 % ? Enfin, quelles sont les différences fondamentales entre le régime de base et les régimes complémentaires dans le domaine des pensions de réversion ?

Mme Marisol Touraine. J’ai une question beaucoup plus générale. Quelle est votre appréciation sur l’articulation du système français entre régimes de base et complémentaires ? La réforme annoncée n’aborde certes pas cet aspect de la question, mais l’Allemagne a quant à elle réorganisé l’ensemble de la gouvernance de son système. La répartition des missions entre les deux niveaux est-elle satisfaisante ? Le principe même de cette dualité continue-t-il de se justifier ? Les choix qui ont conduit à adopter l’organisation actuelle demeurent-ils pertinents ?

M. Jean-Luc Préel. Je vous adresse mes félicitations pour la responsabilité dont vous avez su faire preuve dans votre gestion. Face à la progression de l’espérance de vie, vous avez réagi de façon exemplaire, car les régimes complémentaires ne pouvaient constituer de dettes et ont su évoluer sous l’impulsion des partenaires sociaux. Dès lors, ceux-ci ne seraient-ils pas bien placés pour gérer à terme un régime universel ? Par ailleurs, comment le niveau des pensions a-t-il évolué au regard de l’inflation depuis 10 ans ? En matière d’avantages familiaux, les critères retenus par les régimes complémentaires sont différents de ceux des régimes de base, notamment s’agissant de la réversion : est-il envisagé de remédier à cette situation ? Enfin, bien que l’AGIRC et l’ARRCO disposent d’un directeur général commun, leur fusion est-elle vraiment intervenue ?

Mme Martine Billard. Je souhaite également savoir quelles sont les conséquences de la crise sur les réserves et comment ont évolué les pensions ainsi que la valeur du point. En outre, l’âge de départ à la retraite demeure fixé à 65 ans dans les régimes complémentaires, même si des dispositions ont été prises pour assurer le respect de l’âge légal : quelles seront les conséquences de la réforme sur ce point ? Vous avez souligné l’augmentation du nombre des cotisants, jeunes ou non, sous le plafond, d’autant que celui-ci croît rapidement : pour résoudre cette difficulté, faut-il diminuer le plafond ou bien augmenter la garantie minimale ? Enfin, dans quelle mesure serez-vous contraints de majorer les cotisations pour faire face aux besoins futurs ?

M. le président de l’ARRCO. Ce qui différencie notamment les régimes complémentaires des régimes de base, c’est la manière dont doit être prise en compte la solidarité. Une des pistes de réflexion consiste donc à bien distinguer ce qui relève du contributif et ce qui relève de la solidarité.

L’effort éventuel de simplification de la gouvernance du système de retraite français ne concerne pas, à mon sens, le secteur privé. En effet, le système y est organisé de manière relativement simple. Nous nous sommes efforcés de réduire les difficultés qui pourraient résulter de la distinction régime de base – régimes complémentaires : la gestion est portable d’une caisse à l’autre de telle sorte qu’en fin de carrière, la dernière caisse à laquelle cotise le salarié peut facilement établir l’historique de l’ensemble de sa carrière. La faible lisibilité du système vient davantage de la multiplicité des autres régimes qui ne regroupent qu’environ un quart de la population : régimes spéciaux, Régime social des indépendants (RSI), Mutualité sociale agricole (MSA) ; ces stratifications historiques rendent les parcours professionnels plus complexes à appréhender dans ces secteurs.

Quant à savoir si les partenaires sociaux doivent gérer les deux niveaux de retraites, c’est d’abord à ceux qui ont actuellement la responsabilité des régimes de base de le dire, la décision étant essentiellement de nature politique et relevant non pas des partenaires sociaux mais des pouvoirs publics et de la Représentation nationale. Les partenaires sociaux ont assumé la responsabilité des régimes complémentaires : ils ont fait évoluer la valeur du point et aligné les pensions sur les prix au lieu des salaires, mais la pension moyenne n’en a pas moins augmenté en raison de l’accroissement des périodes validées depuis les années 1990. Durant certaines périodes, la pension a même évolué moins vite que l’inflation, tandis que le coût d’acquisition du point augmentait plus vite que les salaires. Le patronat a consenti à une hausse des cotisations, tandis que les organisations syndicales ont su expliquer à leurs mandants que ces décisions étaient nécessaires.

Dans les régimes complémentaires, l’âge de départ à la retraite n’est pas de 65 ans, mais, formellement, de 55 ans : des abattements sont pratiqués entre 55 et 60 ans, ainsi que de 60 à 65 ans. Cependant, ces derniers abattements sont pris en charge par l’Association pour la gestion du fonds de financement (AGFF), moyennant une cotisation de 2 %, pour les seules tranches A et B ; pour la tranche C, les abattements ne sont pas compensés jusqu’à 65 ans. Ce dispositif viendra à échéance le 31 décembre prochain : il sera renégocié à la lumière des décisions intervenues entre-temps pour les régimes de base.

M. le président de l’AGIRC. Je partage le point de vue du président Ménéroud sur l’architecture du système de retraite. Il nous paraît extrêmement urgent de traiter la question des polypensionnés. En effet, la diversification des parcours professionnels se traduit par une plus grande mobilité entre secteurs privé et public, mais aussi entre différents statuts (salarié, agent public, travailleur indépendant). Comme dans le cas des expatriés, ces carrières variées méritent donc une harmonisation des dispositifs.

Dans le système actuel, les régimes complémentaires portent l’essentiel des éléments contributifs, reflets de la carrière du salarié. Notre souci est donc d’offrir à nos assurés une visibilité à 20 ou 30 ans, pour les assurer que le taux de remplacement de leur pension ne sera pas fortement minoré. Or, même si notre système n’est évidemment pas à prestations définies, nous n’en devons pas moins assurer un taux de remplacement correct. Il est donc nécessaire de définir clairement ce qui relève de la solidarité nationale, financée par la fiscalité, et du contributif, financé par des cotisations sociales dont le salarié est en droit d’attendre un retour, reflet de sa carrière.

Alors qu’il n’était que de 75 % dans les années 1960, le taux d’appel s’élève aujourd’hui à 125 %. Cela signifie qu’une cotisation de 125 ne permet d’acquérir des points qu’à hauteur de 100. Il paraît difficile d’aller plus loin. La prochaine négociation sur l’AGFF permettra de revoir l’ensemble du dispositif à la lumière de ce qui aura été fait dans les régimes de base.

Sur l’idée consistant à confier la gestion de l’ensemble du système de retraite aux partenaires sociaux, je suis réticent, à titre personnel et de même que l’organisation syndicale que je préside, au vu de l’exemple de l’assurance maladie, où les partenaires sociaux sont responsables de la seule gestion stricto sensu, sans disposer de beaucoup d’éléments de décision. En effet, ce ne sont pas eux qui fixent les principales règles applicables. En tant que parlementaires, vous êtes bien placés pour le savoir. Cela étant, pour ce qui est des régimes complémentaires de retraite, le pilotage n’en est pas moins difficile, car beaucoup de variables évoluent indépendamment des gestionnaires et la crise a aggravé cette difficulté à anticiper au mieux les évolutions. Mais, nous avons fait preuve de lucidité, de courage et de responsabilité afin d’éviter les conséquences d’une cessation de paiement pour les assurés, et ce, sans pouvoir recourir à l’endettement.

Les taux de cotisation devront être revus à l’issue de la réforme, lorsque tous les autres paramètres l’auront été, mais il faut d’ores et déjà être conscient qu’il est délicat de recourir à cette solution compte tenu des conséquences d’une hausse sur la compétitivité des entreprises et le pouvoir d’achat des salariés. Nous avons une responsabilité pour ce qui est d’éclairer l’avenir, quand on voit le taux d’épargne en France, qui reste l’un des plus importants au sein de l’OCDE, qui ne risque pas de diminuer face au mur de la dette et aux incertitudes sur l’avenir des revenus de remplacement.

M. le directeur général de l’AGIRC-ARRCO. Sur le montant des réserves, j’évoquais à l’instant le chiffre de 60 milliards d’euros placés. En 2008, la valeur de marché a diminué de 5 milliards, soit - 9 % d’indicateur de performance, alors qu’en 2009, elle regagnait 11 % si bien qu’on est remonté à un niveau à peu près équivalent. Il reste néanmoins, comme les différents présidents l’ont indiqué, qu’on se situait jusqu’en 2009 en excédent technique, et que ce portefeuille n’a donc pas été vendu. Quelle sera sa valeur fin 2010 dans une situation particulièrement chaotique ? Nul ne le sait. Cette problématique va se poser au vu du déficit technique qui arrive ; il faudra donc utiliser ces réserves, qui sont d’ailleurs faites pour cela, puisqu’elles ne constituent pas des provisions mais sont destinées à offrir une possibilité de lissage. Le chiffre de 60 milliards d’euros correspond à la valeur des réserves placées, auxquelles s’ajoute un fonds de roulement qui porte la valeur totale à 90 milliards d’euros. Mais, le montant qui permet aux partenaires sociaux de prendre des mesures de rééquilibrage correspond bien à 60 milliards d’euros, avec une répartition, à l’heure actuelle, de 23 % en actions et de 77 % en obligations.

Sur la question des pensions de réversion, il y a une différence fondamentale entre le régime de base et les régimes complémentaires, qui n’obéissent pas à la même philosophie. En effet, pour les régimes complémentaires, les réversions ne sont pas soumises à des conditions de ressources. De plus, l’AGIRC et l’ARRCO ne fixent pas le même âge pour la réversion ; il est de soixante ans pour l’AGIRC et de cinquante-cinq ans pour l’ARRCO, sachant que ces conditions d’âge peuvent être supprimées si les personnes qui bénéficient de la réversion ont encore des enfants à charge. On pourrait imaginer qu’on simplifierait le système en l’unifiant mais, personnellement, je ne suis pas sûr qu’on disposerait de la sorte d’une couverture aussi large.

Mme Marie-Christine Dalloz. Le nouveau statut de la Poste a imposé des cotisations auprès de vos organismes pour les nouveaux entrants, dont certains avaient cotisé précédemment à l’IRCANTEC. Y aura-t-il bien, chaque année, des négociations portant sur le différentiel ? La question est d’importance, car nous avons été abreuvés à ce sujet de beaucoup d’inepties par messages électroniques.

Par ailleurs, pour les régimes AGIRC et ARRCO, on se situe approximativement aujourd’hui à 1,6 cotisant pour 1 retraité et la dégradation va s’accélérer jusqu’aux années 2020, voire 2025. J’ai bien compris que vous avez un an de réserves. Dans ces conditions, combien d’années pouvez-vous tenir si rien n’est changé au niveau paramétrique ?

S’agissant de la réforme de 2003, on a constaté que 15 % de nouveaux retraités bénéficieraient du dispositif des carrières longues. Considérez-vous qu’il s’agit là d’une approche concrète de la pénibilité ou non ?

M. Dominique Tian. Certains ont parlé d’un « siphonage » de l’AGIRC et de l’ARRCO pendant cinquante ans au profit de l’IRCANTEC. De telles données ne peuvent qu’interpeller la représentation nationale. Par ailleurs, j’ai noté qu’une convention financière devait être signée au premier semestre 2010 et ce sujet nous intéresse beaucoup.

Pour finir, seriez-vous favorable à la création d’une caisse de retraite de la fonction publique ?

M. Patrick Roy. J’ai noté que vous déploriez une stagnation des salaires que je constate également dans mon entourage, mais qui est parfois contestée par les parlementaires d’un certain bord… Quel est l’impact de cette stagnation sur votre situation financière, étant prises en compte également les conséquences de l’augmentation du chômage ? On parle enfin beaucoup d’équilibre et de perspectives, mais j’aimerais ramener le débat aux valeurs humaines, en vous demandant de fixer un ordre de grandeur du montant minimum d’une retraite pour vivre dans des conditions décentes.

M. Vincent Descoeur. Si j’ai bien compris, l’un des régimes est interdit de déficit tandis que le second compte sur le premier au titre de la solidarité, sur la base de réserves de 60 milliards d’euros. Combien de temps ce système peut-il perdurer ? Nous avons entendu une date fixée d’abord à 2024, puis corrigée à 2017. S’agissant des 1,3 million de « cotisants fantômes », pouvez-vous nous indiquer pourquoi ils sont ainsi dénommés ? Leur situation résulte-t-elle d’une durée de travail à temps partiel ou d’une rémunération insuffisante ? Est-ce que ces « cotisants  fantômes » déséquilibrent vraiment le système ?

M. Maxime Gremetz. Je souhaiterais parler de la crise et de ses conséquences directes sur l’AGIRC et l’ARRCO. Concrètement, puisque vous avez dû ponctionner les réserves, quel est aujourd’hui le manque à gagner ? Est-ce que la précarité salariale n’est pas également un élément du débat ? De notre côté, nous ne sommes pas favorables à un régime universel pour tout le monde, mais l’idée d’une maison commune des régimes de retraite, distincte d’un régime unique, est parfois avancée. Qu’en pensez-vous ? Cela éviterait un « saucissonnage » des régimes sans vision d’ensemble. Je suis personnellement favorable à une gestion paritaire qui doit être privilégiée, et je regrette, à cet égard, la suppression peu démocratique des élections pour la sécurité sociale.

M. Michel Issindou. Vous avez évoqué l’idée d’un allongement de la durée des cotisations, du report de l’âge légal et le problème démographique. On ne pourra toutefois pas maintenir les retraites si on ne joue que sur ces paramètres. Est-il saugrenu d’envisager de mettre à contribution l’intéressement et la participation, aujourd’hui faiblement taxés du fait du forfait social ? Il s’agit, en effet, très souvent, de salaires déguisés, qui échappent aux cotisations et représentent un manque à gagner pour les régimes de retraite.

M. le président de l’ARRCO. S’agissant du dossier de la Poste, la loi de février fixe une échéance au 30 juin, pour aboutir à une convention financière entre l’AGIRC, l’ARRCO et l’IRCANTEC. Il s’agit d’une convention légitime destinée à aboutir à une compensation, comme il en existe au sein des régimes par répartition. Je peux vous assurer que la négociation se déroule bien et qu’elle aboutira avant le 30 juin. Elle fixera des rendez-vous annuels. Compte tenu des incertitudes qui pèsent sur les projections de la période 2010-2080, il n’est, en effet, pas question de prendre pour argent comptant des prévisions à des horizons aussi lointains. Ces révisions auront lieu annuellement sur la base des évolutions des effectifs et de la masse salariale de la Poste. Nous avons clairement comme objectif qu’aucun des deux régimes ne soit lésé. Ceci fait l’objet d’un consensus presque total, sachant que nous disposons d’encore un mois pour finaliser cette négociation. Nous avons d’ailleurs, cet après-midi, une quatrième réunion avec les représentants de l’IRCANTEC, avant validation par les instances compétentes des régimes. Je peux affirmer qu’il n’y aura aucun « siphonage » des régimes ou de déséquilibre entre eux. L’objectif est de rechercher des solutions qui préservent les intérêts de tout le monde. Tous les messages électroniques que vous avez reçus sur ce sujet sont donc un tissu d’inepties !

S’agissant de l’intéressement, ce n’est pas un salaire déguisé mais un moyen de motivation et d’association des salariés dans de nombreuses entreprises. Par ailleurs, les volumes concernés sont faibles, puisqu’on compte 100 milliards d’actif accumulés au titre de l’intéressement et de la participation depuis trente ans et que les flux annuels sont inférieurs à 10 milliards. L’intéressement et la participation peuvent certes constituer une assiette de cotisations, mais il ne faut pas oublier qu’il existe également des obligations de blocage ainsi que des critères liés à la performance individuelle et collective. Je crois en définitive qu’il serait dommage, et que cela constituerait une erreur, de supprimer ces deux instruments qui nous sont plutôt enviés au niveau européen. La taxation de l’intéressement et de la participation n’est, en outre, pas à la hauteur des défis économiques.

M. le président Pierre Méhaignerie. Le passage de 4 à 10 points de cotisation n’est-il pas un moyen d’apporter une certaine dose de solidarité sans remettre en cause le système ? Nous avons, en effet, nombre d’entreprises qui paient leurs salariés au SMIC et leur versent parallèlement un treizième ou un quatorzième mois. De ce fait, le salarié a toujours le sentiment d’être un « smicard » sans disposer d’une reconnaissance par le salaire. Est-ce une solution acceptable ?

M. le président de l’ARRCO. Si l’entreprise ne dispose que de salariés au SMIC, le niveau des charges est relativement limité. C’est plutôt la partie intéressement et participation qui serait alors plus taxée, en raison du forfait social. L’impact est, certes, plus grand dès que l’on remonte dans l’échelle des rémunérations. Ceci dit, étant également en charge d’une société d’épargne salariale, je pense que votre proposition aurait pour effet de baisser très fortement les flux liés à l’intéressement – la participation relevant d’une formule légale – et supprimerait, de ce fait, un outil important dans la gestion des ressources humaines. J’appelle l’attention sur le fait que le passage de 4 à 10 points représenterait un saut très fort et ne résoudrait pas le problème des retraites.

M. Michel Issindou. Il y a pourtant des symboles !

M. le président de l’AGIRC. Concernant les compléments de rémunération, il existe en France une réelle pression sur les salaires, qui résulte notamment du contexte de globalisation et de mondialisation de l’économie. Depuis longtemps, les pouvoirs publics ont souhaité mener des politiques en faveur du développement de la participation ou de l’intéressement : si l’on ne se réfère qu’à la situation qui prévaut depuis le début du siècle, on dénombre déjà de multiples lois, qu’il s’agisse de la loi Fabius de 2001 ou de la loi de 2006, pour ne citer que ces deux exemples.

Sur ce sujet, il est essentiel de mettre l’ensemble des mesures adoptées en perspective et de rester cohérent. Pour ce qui est tout particulièrement du forfait social, celui-ci a déjà fait l’objet d’une augmentation. J’ajoute que les revenus tirés de la participation sont soumis à la CSG ainsi qu’à la CRDS. Or, lorsque l’on étudie la question du financement du système de solidarité, il faut aussi prendre garde à ne pas, dans le même temps, porter atteinte à certains aspects contributifs des politiques menées.

L’institution, par la loi du 21 août 2003, du dispositif carrières longues, a permis pour 700 000 ou 800 000 personnes un départ à la retraite plus précoce. Mais, s’agissant de la question de la pénibilité du travail, je ne crois pas qu’on traite de manière logique et cohérente le problème des conditions d’emploi au travers de la seule question de la retraite, et que sont requises de réelles politiques d’amélioration des conditions de travail et de gestion des carrières.

On observe, depuis la suppression du dispositif de mise à la retraite d’office par l’employeur au 31 décembre 2009, une augmentation du recours au mode de rupture conventionnelle du contrat de travail. De fait, plus de 80 % des personnes âgées de plus de soixante ans ne sont plus en activité. Si ces personnes ne bénéficient pas de droits à la retraite, elles seront prises en charge par d’autres dispositifs : l’assurance chômage, la sécurité sociale (incapacité, invalidité, affections de longue durée, etc.) ou encore les minima sociaux.

Pour ce qui est de la définition d’un seuil minimal de rémunération des personnes à la retraite, je rappelle qu’il existe aujourd’hui un minimum vieillesse. La difficulté vient de ce que certaines personnes ne bénéficient pas d’un revenu égal à ce minimum, même au titre d’une pension de réversion. Nous avons tous à l’esprit le fait que 8 millions de personnes vivent aujourd’hui en France en dessous du seuil de pauvreté. En tout état de cause, la définition de ce seuil pour les retraités est malaisée, tant elle dépend de facteurs multiples, tels la situation patrimoniale ou le niveau d’épargne des intéressés.

Certaines interrogations ont également porté sur la création d’une caisse de retraite dans la fonction publique. Depuis la loi du 21 août 2003, il existe un régime additionnel. Mais il reste beaucoup à faire aujourd’hui pour l’améliorer, notamment pour ce qui concerne la définition de l’assiette des cotisations retenue, plafonnée à 20 % du traitement indiciaire brut total perçu au cours de l’année considérée. Il n’est pas possible, d’un coup de baguette magique, de biffer le code des pensions ou le régime de la fonction publique, pour les transposer sur le modèle du régime du secteur privé. La constitution de nouvelles caisses de retraite complémentaire, donc aussi de base, soulèverait la question d’un transfert de la gestion de ces régimes à la caisse nationale d’assurance vieillesse. Je ne crois pas que ce soit pour demain matin…

M. le président de l’ARRCO. Cela créera de la lisibilité, pas nécessairement de l’efficacité !

M. le président de l’AGIRC. La population des cotisants dits « fantômes » est une population pour laquelle une cotisation forfaitaire annuelle permet l’acquisition d’un certain nombre de points (120 points par an), indépendamment du niveau du salaire annuel. Si ces personnes restaient durablement dans ce dispositif de garantie minimale de points, elles ne pourraient acquérir un nombre de points suffisant pour bénéficier d’une retraite au titre de l’AGIRC équivalente à la retraite moyenne perçue aujourd’hui.

M. le président de l’ARRCO. Mais, elles percevraient une pension au titre de l’ARRCO.

M. le président de l’AGIRC. Le Conseil d’orientation des retraites est très prudent dans les hypothèses démographiques qu’il retient, même pour les projections pour 2050. Nous attendons en effet, pour la fin de l’année, des données réactualisées de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), qui prendront en compte les derniers chiffres de la natalité. Il faudra aussi trancher sur l’évolution récente du solde migratoire et l’augmentation de la population active.

En outre, une difficulté est liée à l’appréciation du retour vers la situation de plein emploi. En effet, le taux de chômage moyen observé au cours des 27 dernières années est de 8,6 % : cela montre combien les scénarios reposant sur un taux de 4,5 % de chômage, et même de 7 %, sont optimistes. La solution, évoquée lors du débat de 2003, d’un transfert d’une partie des cotisations de l’assurance chômage vers le régime d’assurance vieillesse n’est plus d’actualité, à l’heure où le déficit cumulé de l’assurance chômage excède 10 milliards d’euros.

M. le directeur général de l’AGIRC-ARRCO. Je souhaiterais revenir d’un mot sur les conséquences de la crise pour les régimes de retraite. En 2009, les cotisations salariales ont diminué de 2,6 % s’agissant des cotisants à l’AGIRC et de 0,4 % s’agissant des cotisants à l’ARRCO. Le taux est, je crois, de 1,4 % pour le régime de base.

En 2007, avant même le début de la crise, des prévisions établies pour les années 2008 à 2010 avaient tablé sur un excédent cumulé de 5,8 milliards d’euros. Aujourd’hui, il semble que l’on arrivera, au contraire, à un déficit cumulé de 3,5 milliards d’euros fin 2010, soit un différentiel, par rapport aux prévisions, de plus de 9 milliards d’euros.

Mme Martine Billard. Vous avez évoqué tout à l’heure l’existence d’une cotisation permettant la prise en charge des abattements mis en œuvre pour le calcul de la retraite des personnes âgées de soixante à soixante-cinq ans : dans l’hypothèse où le projet de loi qui nous sera soumis procéderait à une augmentation de l’âge légal de départ à la retraite, dans quelle mesure ce dispositif évoluera-t-il ? Le niveau des cotisations sera-t-il abaissé ? Mais quelles seraient alors les conséquences ?

M. le président de l’ARRCO. Cela peut faire partie des pistes de négociations. Les conséquences de la réforme sur les régimes complémentaires seront tirées lors de la négociation qui est prévue au quatrième trimestre de cette année.

Pour ce qui est de la création d’une maison commune des régimes de retraite, déjà aujourd’hui, dans le secteur privé, des échanges réguliers permettent une bonne coordination de la gestion mise en œuvre respectivement par l’AGIRC et l’ARRCO ainsi que par la Caisse nationale d’assurance vieillesse. En particulier, le traitement des dossiers d’information sur les retraites des cotisants est partagé selon le caractère pair ou impair du mois de naissance de l’intéressé. Par ailleurs, une étude a été entreprise pour déterminer un point d’entrée unique – Caisse nationale d’assurance vieillesse ou centres d’information de conseil et d’accueil des salariés de l’AGIRC-ARRCO – pour le déclenchement de la liquidation de la retraite.

Quant à établir un véritable endroit de concertation, on peut se demander si le Conseil d’orientation des retraites ne pourrait pas devenir un lieu de débat sur l’avenir des régimes de retraite.

M. Fernand Siré. Le régime applicable au conjoint survivant dépend-il de son sexe ? J’ajoute que nous n’avons pas abordé la question de la situation des partenaires liés par un pacte civil de solidarité.

M. le président de l’ARRCO. La transformation des modes d’organisation familiale n’est pas toujours aisée à prendre en compte. Pour ce qui est du régime applicable aux conjoints survivants, il s’agit bien du conjoint, même si, en pratique, ce sont souvent plutôt les femmes qui sont concernées.

Je rappelle que l’espérance de vie d’une ouvrière de 65 ans est supérieure à celle d’un cadre masculin du même âge.

La séance est levée à douze heures quarante-cinq.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 2 juin 2010 à 10 heures

Présents. – M. Élie Aboud, Mme Edwige Antier, M. Jean Bardet, Mme Véronique Besse, Mme Gisèle Biémouret, Mme Martine Billard, Mme Valérie Boyer, Mme Martine Carrillon-Couvreur, M. Gérard Cherpion, M. Jean-François Chossy, M. Georges Colombier, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Rémi Delatte, M. Vincent Descoeur, M. Jacques Domergue, M. Jean-Pierre Door, M. Dominique Dord, Mme Cécile Dumoulin, Mme Cécile Gallez, M. Jean-Patrick Gille, M. Maxime Gremetz, Mme Anne Grommerch, M. Michel Heinrich, M. Christian Hutin, M. Michel Issindou, M. Denis Jacquat, M. Paul Jeanneteau, M. Guy Lefrand, Mme Catherine Lemorton, M. Jean Leonetti, M. Jean-Claude Leroy, M. Claude Leteurtre, M. Céleste Lett, M. Michel Liebgott, M. Guy Malherbe, M. Pierre Méhaignerie, M. Pierre Morange, M. Philippe Morenvillier, Mme Dominique Orliac, M. Christian Paul, M. Bernard Perrut, M. Étienne Pinte, Mme Martine Pinville, Mme Bérengère Poletti, M. Jean-Luc Préel, M. Arnaud Robinet, M. Jean-Marie Rolland, Mme Valérie Rosso-Debord, M. Fernand Siré, M. Christophe Sirugue, M. Dominique Tian, Mme Marisol Touraine, M. Jean Ueberschlag, M. Francis Vercamer

Excusés. – M. Pierre Cardo, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Guy Delcourt, Mme Laurence Dumont, Mme Catherine Génisson, Mme Danièle Hoffman-Rispal, Mme Monique Iborra, M. Simon Renucci

Assistaient également à la réunion. – M. Régis Juanico, M. Jean Mallot, M. Patrick Roy