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Commission des affaires sociales

Mercredi 29 septembre 2010

Séance de 11 heures 15

Compte rendu n° 81

Présidence de M. Pierre Morange, Vice-président

– Examen du rapport sur la mise en œuvre des conclusions de la mission d’information sur la prise en charge des victimes de l’amiante) (M. Guy Lefrand, rapporteur)

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 29 septembre 2010

La séance est ouverte à onze heures quinze.

(Présidence de M. Pierre Morange, vice-président de la commission)

La Commission des affaires sociales examine, sur le rapport de M. Guy Lefrand, la mise en œuvre des conclusions de la mission d’information sur la prise en charge des victimes de l’amiante.

M. Pierre Morange, président. Je rappelle que notre ordre du jour appelle la toute première application de l’article 145-8 du Règlement de l’Assemblée nationale tel qu’issu de sa révision de mai 2009, qui nous conduit à vérifier que les préconisations émises dans les rapports d’information sont suivies d’effets.

M. Guy Lefrand, rapporteur. C’est en effet avec grand plaisir que je dois vous présenter ce matin le bilan de la mise en œuvre des recommandations de la mission d’information sur la prise en charge des victimes de l’amiante. Cette mission, dont M. Patrick Roy était le président et dont j’étais le rapporteur, avait conclu ses travaux en novembre 2009, avec la publication d’un rapport formulant vingt et une préconisations.

J’insiste moi aussi sur le fait qu’il s’agit de la première application de l’article 145-8 du Règlement de l’Assemblée nationale.

Lors de l’examen en commission du rapport de la mission, le président Pierre Méhaignerie avait proposé la mise en place d’un comité de suivi des recommandations, composé d’un membre de chaque groupe politique, à savoir : MM. Patrick Roy, Maxime Gremetz, Claude Leteurtre et moi-même. Ce comité s’est réuni en juin dernier et hier, pour faire le point sur la mise en œuvre des recommandations de la mission.

Suite à la réunion de juin, nous avions décidé, avec M. Patrick Roy, d’adresser plusieurs courriers aux ministres compétents sur le dossier de l’amiante, pour connaître les suites qu’ils avaient données au rapport de la mission. Trois d’entre eux nous ont répondu de manière très détaillée.

Il nous semblait urgent que l’ensemble des préconisations formulées par la mission soient appliquées au plus tôt : nous avons tous déposé des rapports avec la crainte de ne pas voir leurs recommandations suivies d’effets. Et l’amiante demeure un problème majeur de santé et de finances publiques. En 2009, elle a été à l’origine de 66 % des décès liés à une maladie professionnelle en France et de 80,7 % des cancers professionnels en Europe. Depuis la création du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA) en décembre 2000, les dépenses d’indemnisation ont atteint 2,4 milliards d’euros. Il s’agit d’un effort sans précédent de notre pays en faveur de ces victimes, mais il reste encore des marges de progrès dans leur prise en charge.

Avant même de présenter les suites données à chacune des propositions de la mission, je tiens à évoquer trois décisions d’importance des plus hautes juridictions françaises intervenues en 2010.

Tout d’abord, dans une décision de juin 2010, le Conseil constitutionnel a ouvert la voie à une réparation intégrale des préjudices des victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles. Le conseil a en effet jugé que la limitation des postes de préjudices pouvant être indemnisés était inconstitutionnelle en cas de faute inexcusable de l’employeur.

Ensuite, dans un arrêt de mai 2010, la Cour de cassation a accordé la réparation d’un nouveau chef de préjudice aux bénéficiaires de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (ACAATA). Il s’agit du préjudice moral d’anxiété, caractérisé par la crainte permanente de voir se révéler une maladie liée à l’exposition à l’amiante.

Enfin, dans un arrêt de juin 2010, la Cour de cassation a précisé le point de départ et la durée du délai de prescription des demandes d’indemnisation adressées au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA) : le délai de prescription est de quatre ans et il court, en principe, à compter de la consolidation du dommage.

D’après les informations dont nous disposons aujourd’hui, il semblerait que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 revienne sur cette dernière décision en créant un délai de prescription de dix ans propre aux demandes d’indemnisation présentées devant le FIVA. Le point de départ de ce délai serait identique pour toutes les victimes : il se situerait à la date du certificat médical établissant le lien entre la maladie et l’exposition à l’amiante. De plus, un délai supplémentaire de deux ans serait accordé aux personnes dont les dossiers ont été rejetés en 2009 et 2010 pour prescription.

J’en viens maintenant au bilan de la mise en œuvre des recommandations formulées par la mission. Sur les vingt et une propositions, l’immense majorité a connu un début d’application ou se trouve à l’étude – je présenterai le suivi donné aux plus importantes – et seules deux propositions n’ont reçu aucune suite.

La proposition n° 1 préconisait de poursuivre les mesures de dépollution en Corse et en Nouvelle-Calédonie et de mettre en place un suivi épidémiologique des populations de ces territoires, notamment suite aux travaux de nos collègues, MM. Sauveur Gandolfi-Scheit et Gaël Yanno.

Pour la Haute-Corse, un projet de plan d’action a été élaboré en 2009, dans le cadre du deuxième plan national Santé-environnement (PNSE 2). Sa publication est cependant suspendue à la parution de l’avis sur la gestion de l’amiante environnemental de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), laquelle pourrait intervenir avant la fin de l’année.

En Nouvelle-Calédonie, la poursuite des mesures de lutte contre l’amiante environnemental dépend du gouvernement calédonien, qui considère ce problème comme prioritaire. Plusieurs actions sont en cours, telles que la cartographie des affleurements naturels d’amiante ou la réglementation du travail en terrain amiantifère.

En ce qui concerne le suivi de la proposition n° 2, qui recommandait de procéder à des études complémentaires sur les fibres courtes et fines présentes dans les bâtiments publics, deux mesures sont envisagées :

– le Gouvernement prépare actuellement un décret d’application précisant les modalités de réalisation des constats d’amiante, obligatoires depuis la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires ;

– une étude sur les fibres courtes d’amiante doit être menée à partir de la fin de l’année 2010.

Les propositions n°s 5 à 7 traitaient du suivi médical des victimes d’expositions professionnelles : elles ont toutes reçu au moins un début d’application.

Ainsi, la proposition n° 5 préconisait de mettre en place un suivi médical postexposition pour l’ensemble des salariés exposés à des substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR). Il s’agissait d’une demande spécifique de M. Maxime Gremetz. Nous avons le plaisir de constater que deux démarches sont aujourd’hui engagées :

– un dispositif expérimental de traçabilité des expositions professionnelles doit être mis en œuvre dans le cadre du Grenelle de l’environnement ;

– l’article 25 du projet de loi portant réforme des retraites, tel qu’adopté par l’Assemblée nationale en première lecture, consacre au plan législatif le carnet de santé au travail et prévoit la création d’une fiche individuelle d’exposition aux risques professionnels.

Les propositions n°s 6 et 7 portaient sur le suivi médical propre aux personnes ayant été exposées à l’amiante. La Haute Autorité de santé (HAS) a publié en avril 2010 un rapport sur le suivi postprofessionnel après exposition à l’amiante. Elle y recommande la mise en place d’un dispositif de suivi spécifique pour les victimes, avec comme examen de référence le scanner thoracique. Il s’agissait d’une demande ancienne des associations que la Haute Autorité de santé a finalement choisi de retenir.

La ministre de la santé et des sports s’est montrée réservée sur ce rapport. Elle nous a indiqué qu’une saisine complémentaire de la Haute Autorité de santé lui semblait nécessaire avant d’envisager la mise en place effective d’un tel suivi postprofessionnel car la Haute Autorité elle-même ne démontre pas clairement son bénéfice médical.

Quant aux programmes expérimentaux actuels de suivi, j’ai posé une question écrite, en juillet dernier, à Mme Roselyne Bachelot-Narquin pour savoir quand et comment pourrait intervenir la généralisation du programme Spirale à l’ensemble de la population. Je n’ai pas encore reçu de réponse.

Les propositions n°s 8 à 12 préconisaient plusieurs améliorations de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (ACAATA) et du Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (FCAATA).

J’avais, à ce sujet, déposé plusieurs amendements au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, en particulier un amendement pour modifier les conditions d’accès au fonds remplaçant le système de liste d’établissements par un système combinant une liste de secteurs d’activité et une liste de métiers à risques. Mais cet amendement, qui avait été adopté par la Commission des affaires sociales le 20 octobre 2009, a été retiré en séance par le rapporteur.

Cela étant, deux mesures importantes ont été prises depuis l’an dernier :

– tout d’abord, en réponse à la proposition n° 9, le montant minimum de l’ACAATA a été revalorisé de 20 % par un décret de décembre 2009 ;

– ensuite, conformément à la proposition n° 11, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a débuté une étude sur la possibilité de créer une voie d’accès individuel au FCAATA et sur son impact. J’espère que nous disposerons rapidement de ses résultats, car la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 prévoit que l’étude doit aboutir à un rapport avant le 30 septembre 2010, soit demain. M. Patrick Roy et moi-même suivrons avec attention la publication de ce rapport.

Les propositions n°s 13 à 16 recommandaient la poursuite de la réforme du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA), engagée à la suite du rapport critique de la mission commune menée par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l’Inspection générale des finances (IGF) en juillet 2008. Comme il l’indique dans son rapport d’activité de juin dernier, et comme en témoigne le contrat de performance 2010-2012 qu’il a signé avec l’État, le FIVA a accompli de grands efforts cette année dans cette direction :

– la cellule d’urgence, chargée d’apurer le stock des demandes d’indemnisation, a été mise en place en octobre 2009 ;

– et différentes mesures ont été prises pour réorganiser le fonctionnement du FIVA : recrutement temporaire de personnels, mise en place d’une permanence téléphonique pour les victimes, simplification des procédures, réorganisation du service chargé du contentieux subrogatoire.

Au-delà, dans le cadre de la présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, le Gouvernement a annoncé qu’une réforme du fonds interviendrait l’année prochaine pour en renforcer le caractère paritaire.

Les cinq dernières propositions préconisaient de réviser les règles de la responsabilité civile et pénale en matière de risques professionnels.

Deux d’entre elles sont à l’étude dans le cadre de la réforme de la procédure pénale. Il s’agit en particulier de la proposition n° 18 qui recommandait de permettre aux associations de se pourvoir en cassation contre les arrêts de la chambre de l’instruction. Cette proposition a été suivie d’effet compte tenu de la décision du 23 juillet 2010 du Conseil constitutionnel.

Quant à la proposition n° 17, elle faisait suite à deux arrêts des cours d’appel de Paris et de Bordeaux qui avaient condamné des employeurs fautifs à indemniser leurs anciens salariés ayant bénéficié d’une retraite anticipée pour la perte de revenus correspondant à la différence entre l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (ACAATA) et le salaire moyen en vigueur dans l’entreprise.

En mai 2010, la Cour de cassation a cassé ces deux arrêts en expliquant que les salariés, en choisissant de bénéficier de la préretraite, avaient accepté la baisse de revenus qui en découlait. Ils ne pouvaient donc pas, selon la cour, se prévaloir d’un préjudice économique en la matière par le biais de la responsabilité civile.

Enfin, conformément à la proposition n° 19, les moyens pour instruire les affaires pénales liées à l’amiante ont été renforcés. J’avais écrit une lettre à cet égard à la ministre de la justice dès février 2010 et une augmentation notable des effectifs de la cellule amiante de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique, passant de onze à quatorze enquêteurs, devait avoir lieu cette année. Le recrutement d’assistants de justice supplémentaires pour le pôle de santé publique de Paris est, de surcroît, en cours.

Au terme de ce bilan contrasté, je tiens à remercier mon collègue M. Patrick Roy, qui a cosigné de nombreux courriers et accompli plusieurs déplacements avec moi ainsi que Mme Nicole Ameline, M. Jean-Yves Cousin et M. Jean-Pierre Decool qui nous ont accompagnés toute cette année dans la défense des victimes de l’amiante.

De nombreux chantiers ont été ouverts depuis l’an dernier. Il faudra aussi en suivre avec attention la mise en œuvre. Je compte donc sur le président de la Commission des affaires sociales, M. Pierre Méhaignerie, pour nous soutenir dans cette voie. Je vous remercie.

M. Patrick Roy (usant de la faculté que l’article 38 du Règlement de l’Assemblée nationale confère aux députés d’assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres). Tout comme le rapporteur, je ne peux que me féliciter de cette application positive de la réforme de notre Règlement – ce qui n’est pas toujours le cas – et du suivi des rapports des commissions. Il est en effet pertinent de procéder à des points d’étape afin d’éviter que nos rapports soient rangés dans des placards pour y prendre la poussière. Je suis très heureux d’avoir pu participer à ce suivi des conclusions de la mission d’information sur la prise en charge des victimes de l’amiante, à la fois sérieux, précis et objectif.

Il me paraît évident que sur un tel sujet, il est impossible de connaître des évolutions spectaculaires rapides, mais je constate qu’un grand nombre de propositions ont d’ores et déjà reçu des débuts de réponse intéressants : la préconisation de l’utilisation du scanner – même si le rapport de la Haute Autorité de santé peut nécessiter une relecture  – ou la vraisemblable pérennisation des mesures d’urgence prises pour permettre un meilleur fonctionnement du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA) et répondre ainsi à l’inquiétude que suscitait à juste titre ce problème chez de nombreuses victimes.

Je dois toutefois rappeler que si mon groupe n’a pas voté l’adoption du rapport en novembre 2009, c’est en raison de la rédaction des cinq dernières propositions relatives à la responsabilité civile et pénale en matière de risques professionnels. De fait, il nous faut constater que leur mise en application n’a effectivement que peu avancé : la proposition n° 17 était porteuse d’espoirs mais ces derniers ont été anéantis par la Cour de cassation ; la proposition n° 18 a reçu un début d’application grâce à la décision du 23 juillet 2010 du Conseil constitutionnel, qui a abrogé l’article 575 du code de procédure pénale, mais sans vouloir polémiquer, j’aurais préféré que la ministre de la justice reconnaisse d’elle-même le bien–fondé de nos propositions plutôt que d’y être acculée par le conseil.

Quant à l’attribution des moyens supplémentaires nécessaires à l’instruction des dossiers pénaux liés à l’amiante, on nous la promet depuis des années et on continue de nous la promettre. Or, si ces moyens avaient été réellement octroyés, la célèbre « marche des veuves des victimes de l’amiante » aurait disparu. Cette marche, dont les protagonistes sont d’ailleurs en contact permanent avec notre collègue M. Christian Hutin ici présent, ne perdure qu’en raison du sentiment persistant d’un enlisement du procès pénal de l’amiante et du manque de volonté du Gouvernement à cet égard. Cette marche avait été interrompue lors du regroupement des affaires liées à l’amiante au sein du pôle de santé publique du tribunal de grande instance de Paris, car les victimes avaient eu l’impression que leur cause avançait enfin. Ils ont été déçus et je vous informe que la prochaine marche des veuves aura lieu à Paris le 19 octobre prochain, autour de l’Assemblée nationale où nous recevrons – et vous êtes invités à nous rejoindre – une délégation. Je crains que ce mouvement continue. Enfin, la mise en œuvre des propositions n°s 20 et 21 se trouve également au point mort.

Je me félicite néanmoins de cette première application de l’article 145-8 du Règlement de l’Assemblée nationale. Sur le fond, il faut reconnaître les avancées qui ont eu lieu depuis un an dans le dossier de l’amiante, et continuer de dénoncer avec force ce qui n’évolue pas, le point majeur concernant la tenue d’un procès pénal. Celui-ci doit se tenir et avoir une valeur d’exemple pour l’avenir.

M. Georges Colombier. Je remercie le rapporteur pour son excellent travail sur le suivi des préconisations de la mission d’information sur la prise en charge des victimes de l’amiante, mais aussi le président et les membres de cette mission qui avaient en leur temps contribué à l’élaboration de ces préconisations.

Le rapporteur a eu raison de demander que les mesures recommandées soient appliquées au plus vite, ce qui est d’ailleurs le cas pour certaines d’entre elles. Je me félicite de la mise en place par le président Pierre Méhaignerie d’un comité de suivi des propositions du rapport de novembre 2009 comportant des représentants de chaque groupe : tous les parlementaires, de droite comme de gauche, sont en effet sensibles aux ravages causés par l’amiante. Ce rapport de suivi constitue de surcroît une étape importante pour les victimes.

M. Claude Leteurtre. Je remercie le rapporteur pour la clarté et la précision de son travail. Si son rapport est bienvenu, je m’interroge toutefois sur trois de ses préconisations. Je ne comprends pas la proposition n° 2, à savoir la nécessité de rechercher les expositions générales aux fibres courtes d’amiante. Il convient en effet de ne pas créer de psychose – on connaît le débat engagé par M. Claude Allègre – et de ne pas troubler les esprits. Quel est l’objectif visé par cette proposition ?

Sur la proposition n° 17, il semble que nous soyons actuellement dans un statu quo. En cas de conflit entre les magistrats et le Parlement, c’est à celui-ci que doit revenir le dernier mot, mais je m’interroge en l’espèce sur l’opportunité de la modification des textes puisqu’il n’existe qu’un désaccord entre la Cour de cassation et différentes cours d’appel. Devons nous rester dans le statu quo législatif ou faut-il intervenir ?

Enfin, je reste perplexe sur le contenu de la proposition n° 21, car je viens du Calvados, un département où l’amiante a été utilisé pendant des décennies. Au Centre hospitalier universitaire de Caen, qui va être détruit pour cause d’amiante, l’ancien directeur est actuellement poursuivi pour avoir exposé son personnel à cette substance, alors qu’il ne disposait d’aucun moyen pour empêcher les expositions. Ne faudrait-il pas que le législateur se saisisse de ce problème ?

M. Pierre Morange, président. Monsieur Claude Leteurtre, M. Thierry Mariani, rapporteur du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité vient à juste titre de rappeler dans notre hémicycle que la loi devait en effet être élaborée par le Parlement et non par les instances judiciaires.

M. Claude Leteurtre. Nous savons bien comment les choses se passent : les magistrats mandatent des experts. Or, la mission d’information parlementaire a effectué un travail de fond, grâce auquel nous avons tous acquis des compétences sur l’amiante et qui valent bien celles, isolées, d’un expert étudiant divers cas particuliers. N’est-il pas de notre rôle, compte tenu des compétences que nous avons acquises, de définir les règles applicables ?

M. Élie Aboud. Je tiens à remercier moi aussi le rapporteur pour son exposé très clair et souhaiterais revenir sur la question du suivi médical postexposition, traitée par les propositions n°s 5 et 6 du rapport. Aujourd’hui, nous constatons l’opacité complète du système de suivi des personnes exposées qui comporte quatre acteurs : la médecine du travail, les centres de soins de proximité, les centres de cancérologie et les fameux centres d’investigation clinique qui suivent un certain nombre de patients dans le domaine de la recherche en cancérologie. Or, au moins deux de ces quatre acteurs sont soumis à une obligation de confidentialité, ce qui ne facilite pas la circulation d’informations. C’est pourquoi dans le cadre de la mise en œuvre du deuxième plan Santé au travail 2010-2014, je m’interroge : par qui sont centralisées l’ensemble des données relatives au suivi des patients victimes de l’amiante ?

Mme Cécile Gallez. J’adresse également à M. Guy Lefrand mes félicitations pour son rapport et je me réjouis des avancées constatées : le carnet de santé au travail, la fiche individuelle d’exposition aux risques professionnels, l’augmentation de 20 % du montant minimum de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante et le renforcement des effectifs de la « cellule amiante » de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique. Ce sont des points très positifs.

Je souhaite néanmoins soulever un problème : l’entreprise Eternit, située dans un arrondissement de Valenciennes et fabriquant des produits amiantés, a employé des hommes qui, pour une très grande part d’entre eux, sont morts entre cinquante-cinq et soixante ans. Leurs très nombreuses veuves, associées au sein d’un « Comité amiante prévenir et réparer » (CAPER), ont engagé une action judiciaire qui a conduit à leur indemnisation. Toutefois, peu de temps après, l’entreprise ayant interjeté appel et un nouveau jugement ayant été rendu en sa faveur, il a été demandé aux bénéficiaires, qui disposent de très faibles ressources, de rembourser les indemnités perçues. Une telle situation est dramatique et devrait être évitée à tout prix à l’avenir.

M. Pierre Morange, président. Merci, Madame Cécile Gallez, de nous faire part de ce témoignage émouvant.

Mme Catherine Génisson. Il n’est pas émouvant, il est dramatique !

M. Pierre Morange, président. Mon expression ne met nullement en cause le caractère tragique des faits qui nous ont été relatés.

M. Vincent Descœur. Le sujet étant effectivement très grave, j’ai quelques scrupules à évoquer la question suivante : alors que nous venons d’examiner pour avis, en commission, le projet de loi organique relatif à la gestion de la dette sociale, je souhaiterais connaître la nature des ressources du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, dont vous nous avez rappelé que ses dépenses d’indemnisation s’élevaient à 2,4 milliards d’euros depuis sa création. Ces ressources relèvent-elles du même agrégat que celui que nous avons évoqué hier ? Par ailleurs, toutes les victimes de l’amiante ont-elles été recensées ? Enfin, quel serait l’impact de l’allongement de la durée du délai de prescription de quatre à dix ans ?

Mme Michèle Delaunay. Je souhaiterais quant à moi établir un lien entre le dossier qui nous occupe aujourd’hui et celui des retraites. Plusieurs d’entre nous l’ont évoqué lors du récent examen du projet de loi portant réforme des retraites : la question de l’amiante est un exemple spectaculaire qui doit nous faire réfléchir à ce que doit être une politique de prévention et de suivi efficace. On ne saurait confondre invalidité, incapacité et pénibilité. La pénibilité de l’exposition à l’amiante n’existe que dans certains cas, pour des travailleurs longuement exposés. Il est cependant évident – et la proposition n° 12 en montre la difficulté – qu’elle doit être prise en compte d’une part pour les cessations temporaires d’activité et d’autre part pour les cessations anticipées d’activité, c’est-à-dire pour les préretraites. Nous aurions dû tirer les leçons de l’expérience dramatique de l’amiante pour envisager, lors de la réforme des retraites, la solution de la cessation d’activité.

M. Bernard Perrut. J’ai apprécié la qualité du rapport qui nous a été présenté sur un sujet douloureux qui concerne un grand nombre de nos concitoyens. Je souhaite attirer votre attention sur deux points. Nous avions prévu, dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, que l’Inspection générale des affaires sociales remette un rapport, avant le 30 septembre de cette année, évaluant la faisabilité d’une voie d’accès individuelle au dispositif de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante. Disposerons-nous de ce rapport pour la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 ? Il est en effet important de connaître le nombre de personnes qui pourraient être concernées par une telle voie d’accès individuelle.

Par ailleurs, s’agissant de l’information des salariés sur les substances dangereuses, il avait été suggéré un renforcement du rôle des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Il n’a pas été donné suite à cette proposition pourtant essentielle car elle permettrait d’améliorer la formation et les règles applicables au sein des entreprises.

M. Christian Hutin. Je tiens également à saluer la qualité du travail réalisé et, comme M. Patrick Roy, je considère qu’il résulte d’une des avancées issues de la réforme du Règlement de l’Assemblée nationale. Le suivi a été intéressant et objectif.

M. Patrick Roy a évoqué la « marche des veuves de l’amiante ». Elle a trouvé son origine à Dunkerque pour une raison simple : 80 % de l’amiante en France y a été déchargée en vrac. Des jeunes dockers ont pu se battre avec des boules d’amiante récupérées de sacs éventrés, comme ils l’auraient fait avec des boules de neige… D’où la gravité de la situation actuelle dans le Dunkerquois : dans ma circonscription et celles de MM. Michel Delebarre et Jean-Pierre Decool, on compte, selon l’édition locale de La Voix du Nord, trois décès liés à l’amiante par semaine, chiffre très impressionnant à l’échelle d’une simple agglomération.

Que veulent les associations de défense des victimes de l’amiante ? Principalement, que la justice soit dotée des moyens lui permettant de retrouver les responsables. Nous avons assisté à des réunions sur ce sujet au ministère de la justice. Une première entrevue avec M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État à la justice, nous a laissé l’impression qu’il n’était pas très au courant du dossier ; j’ai cru du coup un instant qu’il s’en emparerait, au vu du faible nombre de questions qu’il avait à traiter, mais tel n’a pas été le cas. Au cours d’une deuxième réunion, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la justice, nous a promis d’étudier le dossier du recrutement d’assistants de justice supplémentaires. Je loue sur ce point la transparence du rapport et notamment le bilan qu’il établit des suites données à la proposition n° 19. Il montre bien qu’au 29 septembre 2010, nous ne savons toujours pas où nous en sommes, tant en ce qui concerne l’affectation de cinq gendarmes supplémentaires à l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique que s’agissant du recrutement des assistants de justice, qui serait pourtant d’un coût très modéré mais fort utile pour tout le travail de classement et d’archivage qu’il reste à effectuer. Les « veuves de l’amiante » ont repris leur marche pour pousser le Gouvernement à améliorer les choses sur ce point, mais nous sommes pour l’instant déçus des résultats obtenus.

Les victimes de l’amiante ne cherchent pas à se venger de qui que ce soit ; il s’agit pour elles de punir ceux qui connaissaient la nocivité de l’amiante et qui ont malgré tout persisté à y exposer des personnes. On connaît les dates à partir desquelles les dangers de l’amiante ont été reconnus ; on connaît également les grands industriels en cause, dont certains sont déjà d’un âge respectable et qu’il ne s’agit pas de poursuivre par vengeance. Mais tant que vivent des victimes de l’amiante, nous devons aller jusqu’au bout de ce combat. Il ne s’agit pas d’attaquer des petits patrons ou artisans – bien différents de ceux qui siègent dans les hedge funds – qui travaillaient dans des ateliers et qui sont d’ailleurs parfois eux-mêmes membres des associations de défense des victimes de l’amiante. Ce n’est bien évidemment pas à eux que souhaitent s’en prendre les associations : elles souhaitent que ceux qui savaient et n’ont rien fait soient juridiquement responsables. Pour cela, il faut des moyens ; d’où l’intérêt d’associations de victimes combatives car nous risquons de connaître d’autres drames, par exemple dans le monde agricole, aux conséquences comparables.

Mme Valérie Boyer. À mon tour de remercier M. Guy Lefrand pour ce rapport fort intéressant. Je rappelle que lors de l’examen du projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires, nous avions adopté, suivis en cela par le Sénat, trois amendements concernant l’obligation de recherche des risques d’exposition au plomb, au radon et à l’amiante. Il me semble nécessaire d’attirer l’attention sur les difficultés rencontrées aujourd’hui par les bailleurs sociaux : dans le cadre d’opérations de rénovation de logements sociaux menées à Marseille, nous avons trouvé des traces d’amiante dans des endroits totalement inaccessibles. Ces traces compromettent les opérations envisagées : soit on effectue les travaux de confinement ou de démolition mais à un coût prohibitif, soit l’on décide de ne pas rénover. Bien évidemment, tout le monde ne peut que souscrire à la protection et l’indemnisation des victimes. Mais ne devrait-on pas envisager une information différenciée sur les risques encourus en cas de présence d’amiante, afin d’éviter des situations trop anxiogènes et qui conduisent certains à « faire monter les enchères » de manière abusive lorsque des traces sont détectées, dans des copropriétés dégradées par exemple ? C’est l’ensemble de la rénovation urbaine qui peut être en effet compromis à la suite de certains constats.

À Marseille a d’ailleurs été mis en place un suivi particulier pour les personnes susceptibles d’être exposées à des risques liés l’amiante – même si selon l’Académie nationale de médecine, ces risques ne sont pas toujours avérés. Car il existe chez nous une réelle anxiété liée à l’amiante : aux chantiers navals de La Ciotat, nous avons, nous aussi, connu un grand nombre de victimes. Ma suggestion d’information différenciée doit être mise en relation avec la recommandation n° 2 qui concerne la réalisation d’études complémentaires sur les fibres courtes et fines dans les bâtiments qui datent des années soixante et soixante-dix. Une réflexion conjointe sur l’accompagnement des bailleurs sociaux et les programmes de rénovation urbaine me semble aujourd’hui nécessaire.

Nous avons précédemment évoqué le cas de l’ancien directeur du Centre hospitalier universitaire de Caen. Je ne voudrais pas que soit incriminée de la même manière la gestion de bailleurs sociaux qui ont pu faire construire des bâtiments sans savoir que les matériaux utilisés comportaient des traces d’amiante, et que soient ainsi jetés sur eux l’opprobre et le discrédit alors qu’ils ont investi pour leur ville et ses habitants.

Mme Catherine Génisson. Personne n’a ici le monopole des témoignages de victimes de l’amiante, mais il convient de rappeler que ce drame intervient, dans les départements du Nord, après celui de la silicose. Je souhaiterais insister pour ma part sur la proposition n° 6 du rapport d’information et sur l’élaboration du cahier des charges à définir en matière de dépistage et de suivi des pathologies des personnes ayant été exposées à l’amiante. Il devrait systématiquement comporter comme examen de base un scanner thoracique car les performances sont très supérieures à l’examen radiographique classique, même si la Haute Autorité de santé en relativise le bénéfice. Il peut ensuite conduire à des examens plus élaborés, par imagerie par résonance magnétique (IRM) par exemple. Il est donc vraiment nécessaire d’actualiser, dans un délai de six mois, comme le prévoit la proposition, les conclusions de la conférence de consensus de 1999 sur le protocole de suivi médical.

M. Pierre Morange, président. Monsieur Patrick Roy, en tant que président de la mission, vous souhaitiez compléter votre propos par une intervention, brève afin de respecter un certain équilibre des temps de parole.

M. Christian Hutin. M. Pierre Morange ferait un excellent président de l’Assemblée nationale !

M. Pierre Morange, président. Je n’ai point cette prétention et nous avons la chance de disposer d’un excellent président de l’Assemblée nationale, auquel j’apporte tout mon soutien.

M. Patrick Roy. Pour revenir au fond du dossier, à partir de quand peut-on parler de responsabilité dans le domaine de l’amiante ? Les associations de victimes soulignent souvent que la connaissance des dangers de l’amiante remonte à plus d’un siècle, la référence étant alors le rapport Auribault de 1906. Il convient cependant de distinguer un texte qui attire l’attention sur un risque, comme c’est encore le cas aujourd’hui, par exemple, au sujet des téléphones portables, des études des années 1950, publiées dans différents pays, qui établissent avec certitude cette fois les conséquences mortelles de l’exposition à l’amiante. Certains pays ont réagi rapidement, alors qu’ailleurs, comme en France, le poids des groupes de pression, du Comité permanent amiante (CPA) par exemple – aux mensonges éhontés– , a bloqué pendant près d’un demi-siècle l’interdiction totale de l’amiante.

Le cas du Centre hospitalier universitaire de Caen illustre la nécessité d’un procès pénal unique et global par opposition à la multiplication de recours isolés. L’ancien directeur de ce centre a certes exposé un certain nombre de personnes à l’amiante, mais nous autres aussi, élus locaux, qui pouvons être considérés comme continuant d’exposer les enfants de nos écoles ou les habitants de nos logements sociaux. Ce serait la vertu de ce procès pénal de clarifier les responsabilités de chacun, et d’éviter que se reproduisent des catastrophes du même ordre, aux conséquences humaines immédiates mais aussi, à plus long terme, économiques. Rappelons que le désamiantage, aujourd’hui techniquement possible, est d’un coût prohibitif.

Sur la pénibilité, je rappellerai que les personnes qui bénéficient de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante ont été exposées à cette substance mais ne sont pas forcément malades à cinquante ans. Si l’on a décidé qu’elles pouvaient bénéficier d’une retraite précoce, c’est que, malheureusement pour elles, elles vivront, pour la majorité d’entre elles, bien moins longtemps que les personnes non exposées et dans des conditions parfois terribles : les derniers mois d’une personne atteinte d’un mésothéliome sont bouleversants. Reconnaître la pénibilité, c’est donc tenir compte de conditions qui aboutissent à une espérance de vie plus courte.

M. Fernand Siré. J’ai suivi mes études médicales il y a plusieurs dizaines d’années sous la direction du professeur Henri Pujol, grand cancérologue, lequel nous présentait les produits cancérigènes. Parmi eux l’on trouvait l’amiante, les goudrons de tabac, les substances radioactives et les phénols. Le risque, pour certaines personnes, de contracter un cancer de la plèvre en cas d’exposition à l’amiante était donc déjà connu. Il m’apparaît en conséquence douteux d’affirmer que « l’on ne savait pas » à l’époque ; d’ailleurs la relation entre travail à la mine et silicose était également établie et on ne fermait pas pour autant des mines. Je ne pense pas qu’on puisse prétendre que les ministres chargés de la santé ignoraient le caractère nocif de l’amiante ; les responsabilités ont donc sans doute été partagées. Il ne faut pas accuser les seuls employeurs : on continue aujourd’hui à vendre du tabac et l’État en profite alors que tout le monde sait qu’il peut provoquer le cancer. Ne tombons pas dans la mauvaise foi.

J’en viens à un cas particulier, celui des militaires qui ont travaillé durant des années à bord de navires, comme le Clemenceau, ou dans des chars isolés par de l’amiante. Ils sont soumis à une réglementation spécifique : en cas d’affection, ils sont indemnisés au titre de l’article L. 115 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre et non pas selon les règles civiles. Avez-vous étudié cette différence dans votre rapport ?

Mme Laurence Dumont. En préalable, je souligne que je partage l’avis de M. Patrick Roy sur la question des retraites et de la pénibilité. S’agissant de la date à partir de laquelle les dangers de l’amiante ont été identifiés, permettez-moi de vous livrer un témoignage personnel : il y a trente-cinq ans, j’assistai à mon premier cours de chimie à la faculté de Jussieu. Mon professeur débuta par un exposé sur l’amiante ; elle était en effet la raison pour laquelle toute la faculté – la plus grande de France – fut en grève d’octobre à décembre 1975. Tout cela remonte à des décennies et nous semblons avoir la mémoire courte. C’est pourquoi la tenue d’un procès pénal s’impose pour la mémoire des victimes et des travailleurs de l’amiante.

Je dirai un mot du Centre hospitalier universitaire de Caen pour préciser que la mise en cause de son ancien directeur ne se limite pas à la seule question de l’amiante. La ministre chargée de la santé a annoncé la reconstruction de ce centre – ce qui est positif – mais elle a ajouté – et c’est un point important – que le chantier de désamiantage du centre actuel serait poursuivi car la construction d’un nouveau centre n’aura lieu, au mieux, que dans dix ans.

Mme Catherine Génisson. Je fais évidemment mienne l’analyse de mes collègues concernant la pénibilité.

Au-delà, je reconnais qu’il y a, dans la situation actuelle, une responsabilité « globale » des entreprises et des pouvoirs publics et qui appelle, comme l’a dit Mme Laurence Dumont, une réponse pénale.

Je note cependant que les comportements ont été très différents selon qu’on a eu à traiter des risques liés à l’amiante ou de la silicose. Pour l’amiante, malgré les alertes des uns et des autres, on n’a rien fait pendant très longtemps et les choses sont restées en l’état. Tel n’est pas le cas concernant la silicose, aux conséquences plus immédiates et donc peut-être plus visibles : elle a donné lieu à des recherches permanentes menées par les employeurs, d’abord privés puis Charbonnages de France, pour limiter ses effets ainsi que ceux de l’anthracose, et à des actions efficaces. Mourir d’un mésothéliome de la plèvre dure peut-être peu de temps mais c’est une chose horrible.

M. Guy Lefrand, rapporteur. Je remercie l’ensemble des orateurs de notre commission dont les interventions traduisent leur implication dans le dossier de l’amiante, comme d’autres collègues tels que M. André Wojciechowski. Il est important que nous ayons été en mesure de travailler ensemble au-delà de nos divergences politiques. Je vais maintenant tenter de répondre de façon synthétique aux questions que vous avez posées.

M. Patrick Roy a soulevé la question du procès pénal unique. Je voudrais rappeler que Mme Françoise Baïssus, chef du bureau de la santé publique, du droit social et de l’environnement à la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice nous avait indiqué qu’il n’était pas envisageable de joindre l’ensemble des dossiers suivis en matière d’amiante en une seule et même procédure ni d’ouvrir un procès pénal qui regrouperait toutes ces affaires. Juridiquement, en vertu de l’article 203 du code de procédure pénale, cette jonction est difficile compte tenu de l’absence de connexité entre les procédures. À supposer que cela soit juridiquement possible, le regroupement risquerait même de retarder l’issue des procédures en cours. C’est un sujet important qui nous divise peut-être, mais il ne me paraît pas souhaitable de faire attendre les victimes dans la perspective d’un procès « grand soir » pénal de l’amiante.

M. Georges Colombier a apprécié les suites positives données aux propositions que nous avions formulées et je l’en remercie. M. Claude Leteurtre a demandé des précisions sur la nocivité des fibres courtes et des fibres fines d’amiante : l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (AFSSET) a démontré le pouvoir cancérigène des fibres fines et s’est interrogée sur celui des fibres courtes ; nous avons donc repris la proposition de l’agence de faire des études complémentaires sur leur présence dans les bâtiments publics. Une étude sera engagée cette année par le Centre scientifique et technique du bâtiment pour deux ans et des tests sont déjà en cours.

J’ai suivi moi aussi mes études au Centre hospitalier universitaire de Caen. Les cas de décès liés à l’amiante qui y sont intervenus ont concerné des personnels techniques travaillant notamment sur le calorifugeage et le chauffage du bâtiment même si de l’amiante reste fixée dans les parties des bâtiments fréquentées par les personnels administratifs, soignants et les visiteurs.

Comme le constatait Mme Valérie Boyer, l’anxiété est majeure chez les personnes qui ont été reconnues comme exposées à l’amiante, mais elle ne doit pas être majorée chez les personnes qui vivent dans des bâtiments amiantés. Or la différence est très importante et il est essentiel de ne pas mélanger les deux types de population. C’est ainsi, comme le remarquait justement Mme Laurence Dumont, que le risque au Centre hospitalier universitaire de Caen n’est aujourd’hui réel que dans le cadre des opérations de désamiantage, au moment où l’on intervient justement sur les fibres. Je me réjouis de la reconstruction du centre puisqu’il nous a été signalé qu’aujourd’hui, du fait des opérations de désamiantage, chaque travail qui y est effectué entraîne 30 % de surcoûts.

Le carnet de santé au travail évoqué par M. Élie About est un sujet très important. Il convient de bien séparer le carnet de santé proprement médical relevant du secret professionnel et réservé aux médecins et le suivi du carnet professionnel qui aujourd’hui dépend à la fois du médecin du travail et de l’employeur. Nous devons encore beaucoup progresser sur la connaissance des produits cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR), y compris les mieux identifiés, comme les éthers de glycol, afin de les recenser tous et de mieux les prendre en compte à l’avenir.

Mme Cécile Gallez évoquait l’entreprise Eternit, on pourrait aussi évoquer l’entreprise Tréfimétaux que mentionnent souvent Mme Nicole Ameline et M. Jean-Yves Cousin. Il est nécessaire que les employeurs responsables soient effectivement reconnus comme tels, en particulier pour que leurs salariés puissent bénéficier des droits qui leur sont dus. Il est hors de question de ne pas impliquer ces entreprises, mais il est nécessaire également que soient prises et appliquées les décisions de justice.

S’agissant de la question posée par M. Vincent Descoeurs sur les ressources du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA), je rappelle qu’il est alimenté par une contribution de la branche Accidents du travail – maladies professionnelles (AT-MP) du régime général et une contribution de l’État, votées respectivement en loi de financement de la sécurité sociale et en loi de finances initiale. Elles s’élevaient respectivement, en 2009, à 315 millions d’euros et à 47,7 millions d’euros. Quant à l’impact du délai de prescription de dix ans envisagé dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, des éléments chiffrés devraient nous être fournis prochainement.

Mme Michèle Delaunay, évoquant la spécificité du dispositif de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, a regretté les insuffisances du projet de loi portant réforme des retraites sur la prise en compte de la pénibilité. Je souhaiterais rappeler, sans rouvrir l’ensemble du débat, que le dispositif spécifique aux travailleurs exposés à l’amiante subsiste. Le départ sera toujours possible à cinquante ans pour les malades et l’État accompagnera bien sûr le dispositif de départ anticipé pour les autres, comme le rappelait hier M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État chargé de l’emploi, pendant la séance des questions au Gouvernement.

M. Bernard Perrut s’est interrogé sur le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) évaluant la faisabilité d’une voie d’accès individuelle au Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (FCAATA). Nous allons, avec le président de la mission M. Patrick Roy, insister auprès du Gouvernement pour qu’il soit disponible avant l’examen du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, afin d’être en mesure de déposer des amendements si nécessaire.

Le renforcement du rôle des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) est pour moi une priorité. Ils ne remplissent plus leur rôle pour différentes raisons, dont la principale est le manque de formation de ses membres, qui ne sont pas toujours les plus intéressés ni les plus compétents, qu’ils représentent l’entreprise ou les salariés.

M. Christian Hutin a évoqué l’augmentation des effectifs de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique. Il nous a été répondu que les recrutements et les premières affectations étaient en cours. Je suis moi aussi convaincu de l’importance du rôle des associations de défense des victimes de l’amiante, comme la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés – association des accidentés de la vie (FNATH) ou l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (ANDEVA) dont le rôle est aussi d’interpeller les pouvoirs publics. Mais d’autres catégories professionnelles, comme les agriculteurs victimes des pesticides, doivent pouvoir s’organiser et être reconnues dans leurs droits en suivant le modèle de l’amiante. Cela étant, malgré toutes les insuffisances que nous avons relevées, nous sommes aujourd’hui le pays qui protège le mieux les victimes de l’amiante.

Mme Catherine Génisson a insisté sur l’importance du scanner thoracique comme examen de référence par rapport à la radiographie pulmonaire ou thoracique. Si je me félicite que la Haute Autorité de santé se soit emparée rapidement de ce dossier, ses conclusions sont en revanche assez imprécises. Aussi la demande d’informations supplémentaires que lui a adressée la ministre de la santé et des sports est-elle bienvenue. Nous sommes en effet nombreux, avec les associations, à vouloir privilégier le scanner comme examen de référence, mais les éléments aujourd’hui disponibles sont insuffisants face aux risques liés aux examens radiographiques eux-mêmes ou à l’accroissement de l’anxiété chez les personnes concernées.

En réponse à M. Fernand Siré, je rappellerai que la proposition n° 12 du rapport est d’uniformiser les règles des dispositifs de cessation anticipée d’activité entre les différents régimes de sécurité sociale incluant le régime des militaires. Cette proposition n’a pas encore eu de suite. Il convient toutefois d’être conscient de l’importance de ce travail d’uniformisation qui suppose de prendre en compte l’ensemble de la réglementation, comme nous avons pu le constater lors de nos travaux sur la proposition de loi visant à améliorer l’indemnisation des victimes de dommages corporels à la suite d’un accident de la circulation. Elle devra cependant aboutir.

Mme Laurence Dumont a évoqué l’Université de Jussieu. Les associations de victimes que nous avons reçues nous ont permis de constater que c’était un cas presque caricatural des problèmes posés par l’amiante.

Je vous remercie pour la qualité de nos échanges et de l’intérêt que vous avez porté au dossier de l’amiante.

M. Patrick Roy. À propos de la proposition n° 12 qui vient d’être évoquée, et qui n’a connu aucune suite, je tiens à attirer votre attention sur le fait que les salariés du secteur public – dont on ne cesse de pointer les avantages – sont, sur ce sujet de l’amiante, défavorisés par rapport à ceux du secteur privé.

M. Guy Lefrand, rapporteur. Et d’une manière plus générale en matière de santé au travail…

La commission, à l’unanimité, autorise, en application de l’article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.

M. Patrick Roy. Je tiens à réaffirmer l’excellence de ce travail de suivi. C’est un véritable travail parlementaire et il faudrait qu’il serve d’exemple sur d’autres sujets.

La séance est levée à douze heures trente.

Présences en réunion

Réunion du mercredi 29 septembre 2010 à 11 heures 15

Présents. - M. Élie Aboud, Mme Edwige Antier, M. Jean Bardet, Mme Valérie Boyer, M. Gérard Cherpion, M. Georges Colombier, M. Rémi Delatte, Mme Michèle Delaunay, M. Vincent Descoeur, Mme Laurence Dumont, Mme Cécile Dumoulin, Mme Cécile Gallez, Mme Catherine Génisson, Mme Anne Grommerch, M. Michel Heinrich, M. Christian Hutin, M. Denis Jacquat, M. Paul Jeanneteau, M. Yves Jégo, M. Guy Lefrand, M. Jean Leonetti, M. Claude Leteurtre, M. Guy Malherbe, M. Pierre Morange, M. Philippe Morenvillier, Mme Dominique Orliac, M. Christian Paul, M. Bernard Perrut, M. Arnaud Robinet, Mme Valérie Rosso-Debord, Mme Françoise de Salvador, M. Fernand Siré, M. Dominique Tian

Excusés. - Mme Gisèle Biémouret, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Jacqueline Fraysse, M. Maxime Gremetz, Mme Danièle Hoffman-Rispal, Mme Catherine Lemorton, M. Pierre Méhaignerie, M. Jean-Luc Préel, M. Jean-Marie Rolland

Assistait également à la réunion. - M. Patrick Roy