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Congrès du Parlement

Compte rendu
analytique officiel

Séance du lundi 21 juillet 2008

Présidence de M. Bernard Accoyer

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La séance est ouverte à quinze heures trente.

OUVERTURE DE LA SESSION DU CONGRÈS

M. le Président – Le Parlement est réuni en Congrès, conformément au décret du Président de la République publié au Journal officiel du 18 juillet 2008.

Le Bureau du Congrès a constaté que le Règlement adopté par le Congrès le 20 décembre 1963 et modifié le 28 juin 1999 est applicable à la présente réunion.

MODERNISATION DES INSTITUTIONS DE LA VRÉPUBLIQUE

L'ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République.

M. le Président – Je vous informe que les délégations de vote pour le scrutin cesseront d’être enregistrées dans trente minutes.

La parole est à M. le Premier ministre (Applaudissements sur de nombreux bancs).

M. François Fillon, Premier ministre – Je m'adresse à vous fort de la conviction intime et déjà ancienne que nos institutions doivent être rénovées. Certes, l'organisation des pouvoirs ne dicte pas les pratiques politiques et les textes ne commandent pas les vertus humaines, mais ils les inspirent et les guident.

Je crois à la nécessité d'un État agissant et respecté, tel qu'il est garanti par la VRépublique. Mais cet objectif n'est pas, n'est plus dissociable d'un Parlement fort et influent, car l'équilibre des pouvoirs – qui nous fait aujourd'hui défaut – est à la source de l'efficacité politique et de la responsabilité démocratique.

Vous savez mieux que personne de quelle manière le temps a altéré l'exercice de vos droits. Vous savez comment l'élection du chef de l'État au suffrage universel, depuis 1962, puis l'instauration du quinquennat et l'inversion du calendrier des élections législatives ont érodé les traits originels du parlementarisme rationalisé.

Évidemment, nous pouvions nous accommoder de cette érosion. Rien n'obligeait le pouvoir exécutif, dans la position commode qui est la sienne, à proposer une révision qui bénéficiera d'abord au Parlement et aux citoyens. Pour tout dire, le Président de la République aurait pu se satisfaire d'une règle qui a profité à tous ses prédécesseurs. Mais nous avions pris l'engagement de rénover nos institutions ; aujourd’hui, nous tenons parole.

Pourquoi avons-nous choisi d'agir ? Parce qu'il existe un lien étroit entre la modernisation de la France et la rénovation des institutions. Parce que cette rénovation des pouvoirs aura des effets positifs sur la vie de nos concitoyens, sur la manière dont ils font valoir leurs droits et exercent leur citoyenneté.

À cet égard, je ne partage pas l’idée que la question institutionnelle relèverait d'un tropisme politique auquel les Français seraient étrangers. Sont-ils indifférents à la qualité de la loi ? Le seront-ils à la possibilité qui leur sera offerte de saisir le juge constitutionnel ? Le seront-ils au référendum d'initiative populaire ou au défenseur des droits ?

L'organisation de nos institutions et la vie de la nation sont unies par un lien étroit.

Pour insuffler dans notre pays une culture de la responsabilité, il faut, au sommet, responsabiliser les pouvoirs eux-mêmes ! Pour dégager des consensus autour des grands défis de notre temps, il faut pouvoir les bâtir ici ! Pour reformer et optimiser les politiques publiques, il faut renforcer les prérogatives de ceux qui sont chargés de les voter et de les contrôler ! Pour revivifier la République, pour orchestrer sa pluralité et réaffirmer sa laïcité, il faut rehausser la voix de la représentation nationale !

Mesdames et Messieurs les parlementaires, si vous n'incarnez pas la souveraineté nationale, qui l'incarnera à votre place ? Si vous n'équilibrez pas et n'éclairez pas le pouvoir exécutif, qui le fera ? Les sondages, la rue, les experts ?

La faiblesse du Parlement fait la force des slogans et des démagogues (« Très bien ! » et applaudissements sur de nombreux bancs). Est-il normal, est-il sain, que le cœur de notre démocratie ne batte pas davantage ici ?

Voilà pourquoi le Président de la République et le Gouvernement vous proposent de réviser nos institutions.

Évidemment, réunir les trois cinquièmes des suffrages exprimés au Congrès constitue un défi que la majorité ne peut relever à elle seule. La prudence aurait sans doute conseillé l'esquive. Les voix n'ont d'ailleurs pas manqué pour suggérer au Président de la République et à moi-même de temporiser, voire de renoncer…. Mais ce défi, je le relève avec vous, dans l'espoir de voir le sens du mouvement et de l'intérêt général prendre le pas sur la frilosité et les logiques d'appareil.

Notre Constitution n'est ni de droite, ni de gauche (Applaudissements sur de nombreux bancs), elle est notre loi fondamentale, celle qui régit, par-delà les partis et les alternances, le fonctionnement de notre démocratie.

Aujourd'hui, vous êtes invités à décider pour la République. À cette fin, j'en appelle à un esprit de responsabilité et de cohésion nationale. De responsabilité, car chaque voix comptera ; car votre vote dessinera le visage de notre démocratie pour plusieurs décennies, lequel n'est pas dissociable de celui de la France ; car si notre Constitution a connu vingt-quatre adaptations, les révisions importantes sont des procédures rares.

Il y eut, en 1962, l'élection du Président de la République au suffrage universel direct ; en 1974, la saisine du Conseil constitutionnel par les députés et les sénateurs, en 2000, l’établissement du quinquennat.

S'y ajoute – si vous en décidez ainsi ! – cette réforme, l'une des plus vastes depuis 1958.

Certes, les projets et les tentatives pour moderniser nos institutions ne manquèrent pas ; mais ils se heurtèrent aux habitudes et aux divisions.

En 1973, Georges Pompidou échoua à instaurer le quinquennat qui nous aurait pourtant soustrait au cycle délétère des cohabitations à répétition. Vingt ans plus tard, François Mitterrand, après avoir sollicité l'avis du doyen Vedel, ne put mener à bien sa tardive démarche.

Au regard de ces précédents, j'invite ceux qui hésitent à ne pas gâcher cette occasion, et ceux qui sont hostiles à ce projet au nom d'un hypothétique autre projet à ne pas sous-estimer le rendez-vous d'aujourd'hui, ni surestimer celui qu'ils préparent pour demain : ne lâchez pas la proie pour l'ombre !

En quatorze années de pouvoir, l'auteur du Coup d'État permanent ne jugea finalement ni opportun ni possible de passer aux actes, L'un de mes prédécesseurs, Lionel Jospin, a parfaitement résumé l'équation : « On a davantage tendance à vouloir réformer les institutions quand les autres les font vivre que lorsqu'on est soi-même au pouvoir ». À l'évidence, il est plus commode de disserter sur nos institutions que d'agir, plus facile de promettre que d'accomplir !

Aujourd'hui, nous voulons démentir cette impuissance. Notre rendez-vous est donc exceptionnel ; nul ne doit en minimiser les conséquences.

Ceux qui voteront pour cette réforme le feront pour l'Histoire, comme ceux qui s'y opposeront. Et l'Histoire, qui va toujours à l'essentiel, ne retiendra qu'une chose : soit ce 21 juillet marquera un renforcement des pouvoirs du Parlement et des citoyens, soit il consacrera le statu quo et pour longtemps ! (Applaudissements sur de nombreux bancs)

Voilà l'alternative ; tout le reste n'est que littérature.

Le choix du statu quo n'est pas indigne s'il est clairement assumé ou si l'on estime de bonne foi que notre Constitution ne mérite aucune retouche. Mais il est coupable dès lors qu'il se fonde sur des aspirations prétendument réformistes.

En effet, on ne peut regretter le déséquilibre institutionnel actuel et voter contre une réforme qui tend à le corriger  Très bien ! » sur quelques bancs). On ne peut dénoncer la prétendue « hyperprésidence » et repousser cette réforme, qui tempère les pouvoirs de l'exécutif en renforçant ceux du législatif ! (Applaudissements sur de nombreux bancs)

On ne peut rejeter cette réforme au prétexte qu'elle n’irait pas assez loin et faire mine de regretter le sur-place. En la matière, la surenchère n'est que le masque de l'immobilisme !

Pour être adoptée, cette réforme doit réunir une majorité d'hommes et de femmes qui, l'espace d'un instant, se rassemble autour d'un projet dont chacun pourra revendiquer le succès, dont la réalisation sera l'œuvre de tous, dans le seul intérêt de la nation. Sommes-nous capables de nous libérer des logiques de l'affrontement pour aller ensemble de l'avant ? Sommes-nous capables de ce sursaut commun, ou sommes-nous condamnés à rejouer la sempiternelle guerre de tranchées ?

Par le passé, nous avons fait la démonstration de notre capacité à avancer d'un même pas. Ainsi, en 2007, de l'inscription dans la Constitution de l’interdiction de la peine de mort ; du mandat d'arrêt européen, en 2003 ; du quinquennat, en 2000 ; de l'égalité entre les femmes et les hommes ; de l’instauration de la Cour pénale internationale en 1999 ; de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature et de la création de la Cour de justice de la République, en juillet 1993. Mais d'autres exemples contraires invitent à ne pas se tromper de combat.

En 1958 et 1962, plusieurs partis appelèrent au rejet de la Ve République, puis à celui de l'une de ses clés de voûte, l'élection du Président au suffrage universel. Qui, aujourd'hui, leur est hostile ?

En 1974, la gauche d'alors se levait comme un seul homme pour combattre la saisine du Conseil constitutionnel par 60 députés ou 60 sénateurs. Cette clause, qui constitue désormais l'une des garanties les plus fortes de notre démocratie, qui, parmi vous, la regrette ?

Enfin, en 1995, le parti socialiste s'opposait à la loi constitutionnelle du 4 août, qui prévoyait notamment l'élargissement du champ du référendum aux questions économiques et sociales. Qui s'y opposerait aujourd’hui ?

Ainsi, les divisions d'un jour font-elles souvent les consensus du lendemain. Alors, tentons, ici même, d'avoir raison maintenant et ensemble !

Mesdames et messieurs les parlementaires, depuis le discours prononcé à Épinal par le Président de la République, le 12 juillet 2007, nous nous efforçons de bâtir un consensus autour de la question institutionnelle.

L'ancien Premier ministre, Édouard Balladur, auquel je veux rendre hommage, a joué dans cette démarche un rôle décisif, présidant un comité composé d'experts et de personnalités aux sensibilités variées, voire adverses. Nous nous sommes largement inspirés de ses recommandations.

À la demande du Président de la République, j'ai reçu tous les responsables politiques qui m’ont tous m'ont dit leur souhait de voir le rôle du Parlement revalorisé.

Tout au long des débats, le Gouvernement, par la voix de Rachida Dati et de Roger Karoutchi, s’est par ailleurs montré ouvert à la discussion et aux amendements.

M. Jean-Pierre Brard – Comme une huître !

M. François Fillon, Premier ministre  Deux cent soixante et onze amendements ont été adoptés, près d’une cinquantaine émanant de l’opposition, dont ceux portant sur le référendum d’initiative populaire, sur les commissions d’enquête, et sur la saisine de la Cour de justice de l’Union européenne en cas de non-respect du principe de subsidiarité.

La cohérence voudrait que cet esprit constructif se manifeste jusqu’au bout : on ne peut, d’une main, enrichir le contenu d’un texte dont on rejette de l’autre l’application.

Jusqu’à ces derniers jours, le Président de la République lui-même s’est montré à l’écoute des craintes éventuelles et ouvert à des évolutions, notamment sur le temps de parole qui lui est alloué. Sur ce sujet, j’invite l’opposition à la réflexion. Le chef de l’État n’est pas un responsable politique tout à fait comme les autres. Au cours des septennats de François Mitterrand, nul parmi nous n’a jamais dénoncé ce statut singulier qui s’attache à la fonction présidentielle.

Le CSA, saisi de cette question du temps de parole, formulera ses propositions. Et Nicolas Sarkozy s’est engagé à garantir que l’opposition pourrait répondre chaque fois qu’il s’exprimera sur des sujets qui relèvent de la politique française.

Le sens du compromis n’a cessé de guider notre démarche. Nous en avons collectivement fait preuve au cours de nos débats ; j’en remercie la majorité et vos deux rapporteurs, MM. Jean-Luc Warsmann et Jean-Jacques Hyest.

Ce fut notamment le cas sur la rédaction de l’article 88-5, qui prévoyait un référendum automatique pour les nouvelles adhésions à l’Union européenne au-delà d’un certain seuil de population.

Pour les uns, cette clause était vexatoire vis-à-vis de certains grands États qui aspirent à rejoindre l’Union, au premier chef la Turquie. Pour d’autres, elle était une remise en cause du pouvoir d’appréciation du Président de la République, qui doit pouvoir choisir entre la voie du Congrès et celle du référendum. Pour d’autres encore, le référendum automatique n’était pas négociable.

Nous avons trouvé ensemble un accord qui respecte les convictions de chacun. Pour tout élargissement, la voie du référendum restera la règle sauf exception dont vous serez seuls les initiateurs. L'Assemblée nationale et le Sénat pourront ainsi proposer au Président, l’une et l’autre à la majorité des trois cinquièmes, de ratifier un traité d’élargissement par un vote au Congrès.

Sur d’autre sujets, le compromis était, à l’évidence, impossible : c’est le cas sur les modes de scrutin, ou sur le vote des étrangers. Chercher et vouloir le compromis : la tâche, j’en conviens, n’est pas simple.

Sur la question institutionnelle, chacun d’entre nous a ses opinions, ses préférences, ses priorités. Mais voilà, il n’y a qu’une Constitution, et celle-ci ne peut être la somme de toutes nos exigences. Personne ne peut nous reprocher de ne pas avoir cherché à rassembler ! Et nul ne peut suspecter la réalité et la densité du compromis que nous avons bâti !

Ce compromis, mesdames et messieurs, repose d’abord sur un choix clair : celui de nous inscrire dans la Ve République. Depuis 1789, quinze régimes se sont succédé dans une démonstration presque permanente de fébrilité politique. La Ve République a rompu avec cette détestable tradition française. Elle a confirmé la prescience du général de Gaulle, qui faisait de notre stabilité politique le cadre du développement économique et social de notre pays. Il s’agit là d’un héritage inestimable.

Dans ce XXIe siècle qui s’annonce difficile, confronté à des défis considérables, la France a besoin d’être dirigée et non ballottée au gré des humeurs du jour. La logique de la stabilité et de l’efficacité est excellente, et actuelle. Nous ne renonçons à aucun des principes qui la conditionnent. Ce projet ne modifie pas les articles 5, 20 et 21 de notre Constitution. Il respecte la définition d’un domaine de la loi, la possibilité d’avoir recours au vote bloqué, la maîtrise de la procédure pour les lois de finances, l’encadrement strict de la mise en cause de la responsabilité du Gouvernement, et naturellement, le droit de dissolution en cas de grave blocage. Pour tout dire, le pouvoir exécutif conserve le pouvoir d’agir !

Nous restons dans la Ve République, mais nous la rénovons. Cette rénovation renforce sa pérennité plus qu’elle ne la menace. Car la menace – si menace il devait y avoir ! – se trouve dans le déséquilibre actuel des pouvoirs et le déficit démocratique qu’il induit. Elle n’est pas dans ce projet.

Mesdames et messieurs les parlementaires, nous sommes nombreux ici à afficher pour le général de Gaulle une admiration et une estime immenses. Ces sentiments nous portent à la fidélité mais aussi au mouvement.

M. Christian Poncelet, Président du Sénat Oui !

M. François Fillon, Premier ministre  La Constitution de 1958 n’est pas un texte intouchable. Le général, lui-même, y apporta des retouches à trois reprises. Quant à son initiative de 1969, elle n’aurait eu d’autre conséquence que de mettre un terme au bicaméralisme. La question institutionnelle n’a donc jamais été figée !

Du reste, à quel texte songent ceux qui suggèrent de sanctuariser notre Constitution ? À celui de 1958, de 1962, de 2000 ? Un texte a été promulgué il y a un demi-siècle. En réalité, c’est un autre que nous pratiquons aujourd’hui.

Je l’ai indiqué, la force de la légitimité politique du Président issue du suffrage universel et l’« effet de souffle » induit par l’inversion du calendrier électoral ont privé le Parlement d’une partie des pouvoirs dont il était doté et, ce faisant, ont asséché l’une des sources de notre démocratie.

C’est cette lacune que nous vous proposons de corriger. Les 47 articles modifiés ou créés par ce projet de révision constitutionnelle vont dans le même sens : plus de pouvoirs au Parlement, plus de droits pour les citoyens. Je défie quiconque de trouver dans un seul de ces articles un recul pour les libertés ! Tous convergent pour élargir les champs de notre démocratie et mieux équilibrer les pouvoirs.

Après plusieurs semaines de débat, l’heure du choix approche et chacun, en conscience, va devoir répondre à des questions simples.

Souhaitez-vous la maîtrise de la moitié de l’ordre du jour de vos assemblées ? (« Oui ! » sur de nombreux bancs)

Voulez-vous augmenter le nombre de vos commissions permanentes ? (« Oui ! » sur de nombreux bancs)

Jugez-vous utile d’autoriser la prolongation des interventions militaires au-delà de quatre mois ? (Mêmes mouvements)

Voulez-vous débattre en séance publique sur la base du texte issu de vos commissions ? (Mêmes mouvements)

M. Jean-Pierre Brard – Amen !

M. François Fillon, Premier ministre  Estimez-vous raisonnable d’encadrer l’usage du 49-3 ? (Mêmes mouvements)

Voulez-vous être associés au pouvoir de nomination de l’exécutif ? (Mêmes mouvements)

Souhaitez-vous disposer de la possibilité d’adopter des résolutions ? (Mêmes mouvements)

M. Jean-Pierre Brard – Ce ne sont pas les vêpres !

M. François Fillon, Premier ministre  Voulez-vous activement contribuer à la qualité de la loi à travers les études d’impact, des délais minima d’examen et l’encadrement de la procédure d’urgence ? (Mêmes mouvements)

Voulez-vous affirmer vos fonctions de contrôle et d’évaluation des politiques publiques ? (Mêmes mouvements)

Voulez-vous élargir les droits de l’opposition en lui ouvrant une part de l’ordre du jour et en vous saisissant des propositions concrètes du Président Accoyer ? (« Non ! » sur quelques bancs et rires)

M. Benoist Apparu – On hésite !

M. François Fillon, Premier ministre  J’arrête ici la liste de dispositions nouvelles qui donneront au Parlement un véritable poids démocratique (Applaudissements sur de nombreux bancs).

La réforme ne s’arrête pas à ses portes : nos concitoyens, eux aussi, sont invités à se saisir de nouveaux droits.

Êtes-vous favorables à la faculté qui sera donnée aux Français de saisir le juge constitutionnel, comme cela existe dans toutes les démocraties modernes ? (« Oui ! » sur de nombreux bancs)

Voulez-vous le référendum d’initiative populaire ? (Mêmes mouvements)

Êtes-vous pour l’institution d’un défenseur des droits ? (« Olé ! » sur quelques bancs et mêmes mouvements)

Souhaitez-vous permettre aux justiciables de saisir le Conseil supérieur de la magistrature ? (Mêmes mouvements)

Voulez-vous renforcer le droit à la parité dans le champ professionnel et social ? (Mêmes mouvements)

Estimez-vous juste d’offrir à nos langues régionales une plus large reconnaissance ? (Applaudissements sur quelques bancs)

Voulez-vous affirmer les principes de liberté et d’indépendance des médias et conforter celui du pluralisme ? (Rires sur de nombreux bancs et huées) Voilà les questions qu’il vous faut trancher.

Personne ne peut nier que chacune d’entre elle recouvre des avancées considérables pour notre démocratie. L’opposition fait mine de ne pas voir ces avancées, allant jusqu’à jurer que cette réforme est destinée à amplifier les pouvoirs du Président de la République (« Oui ! » sur quelques bancs).

Cela n’est pas sérieux ! D’ailleurs, les Français ne s’y trompent pas ! Le combat politique n’exige pas de tronquer les faits. On ne peut accuser Nicolas Sarkozy de vouloir le contraire de ce qu’il propose ! (Protestations sur certains bancs)

Il vous propose, par ce projet, de limiter à deux le nombre des mandats présidentiels et de limiter les prérogatives du Président en matière de nomination. Il suggère des garanties nouvelles en cas de mise en œuvre de l’article 16, une limitation du droit de grâce et de mettre fin à sa présidence du Conseil supérieur de la magistrature.

Quant au droit de message devant le Parlement, qui peut sérieusement l’assimiler à un « coup de force » ?

M. Jean-Pierre Brard – C’est le 18 Brumaire !

M. François Fillon, Premier ministre  Ce droit de message est encadré, ainsi que vous l’avez voulu par vos amendements.

Il sera exercé dans le cadre de moments solennels et réservé au Parlement réuni en Congrès. Il se substituera à une règle de 1873, dont le caractère désuet n’échappe à personne.

M. Jean-Pierre Brard – C’est Napoléon !

M. François Fillon, Premier ministre  Ce droit de message contribuera à hausser le prestige du Parlement plutôt que celui des plateaux de télévision. Laurent Fabius s’était montré favorable à cette procédure, dès lors qu’elle était ordonnée : c’est ici le cas (Applaudissements sur de nombreux bancs).

Le 22 mai dernier, dans une tribune libre et courageuse (« Ah ! » sur quelques bancs), dix-sept députés socialistes écrivaient : « Rien dans cette réforme ne donne des pouvoirs nouveaux au Président de la République, si ce n’est la possibilité toute symbolique de se rendre devant le Congrès. » Voilà la réalité !

Alors peut-on pour une fois échapper à la thèse du « coup d’État permanent » ? (« Non » sur de nombreux bancs) Peut-on espérer que les enjeux de ce Congrès ne soient pas occultés par ceux d’un autre congrès ? (Applaudissements sur de nombreux bancs)

Peut-on, simplement, être cohérent et constructif ? En 1981, François Mitterrand proposait de limiter le nombre de mandats présidentiels. En 1988, il proposait le référendum d’initiative populaire. En novembre 1992, il marquait son intention de limiter l’application du 49-3, d’élargir le nombre des commissions permanentes, et de permettre aux citoyens de saisir le Conseil constitutionnel. En 1996, le parti socialiste suggérait la création d’un défenseur des droits. En 1997, Lionel Jospin proposait d’instaurer un statut pour l’opposition.

La cohérence porte à être constructif, et l’intransigeance mène à l’impuissance. Ceux qui prétendent que ce texte n’est pas parfait se réfugient sur des sommets qui les condamnent à l’inaction. Quant à ceux qui affirment qu’il ne va pas assez loin, ils n’avaient qu’à agir lorsqu’ils en avaient l’opportunité ! (Applaudissements sur de nombreux bancs)

Mesdames et messieurs les parlementaires, de cette réforme naîtra une profonde mutation politique. Vous aurez plus de droits, mais aussi plus de devoirs. Si le fonctionnement de l’exécutif devra changer pour être davantage à votre écoute, votre fonctionnement s’en trouvera, lui aussi, modifié.

Dans le partage de l’ordre du jour, dans l’élaboration et l’évaluation de la loi, dans la gestion de l’État, dans les nominations, dans la mise en œuvre de la politique étrangère et de défense, le Gouvernement vous rendra davantage de comptes, et vous devrez, a fortiori, en rendre davantage à nos concitoyens. Le regard qu’ils porteront sur vous sera sans doute plus exigeant. Celui que vous porterez sur le Gouvernement le sera aussi. C’est ainsi que la responsabilité, l’efficacité et la confiance seront confortées, et que la République se grandira.

Mesdames et messieurs les parlementaires, ce projet est entre vos mains. Et chacun, en conscience, va se prononcer. À ceux de mes amis qui craignent les évolutions proposées, je demande : « Êtes-vous sûrs que la situation actuelle soit si favorable au fonctionnement de notre démocratie qu’il faille ne rien y changer ? » À ceux qui, à gauche, rêvent d’une autre réforme, je demande : « Êtes-vous certains de vouloir refuser un progrès au nom d’un autre projet, pour l’heure improbable ? »

Tous les votes sont respectables. Cela étant, ceux qui diront « non » aux droits nouveaux accordés au Parlement et aux citoyens devront s’en expliquer devant les Français (Protestations sur quelques bancs). Ceux qui le feront au nom du statu quo devront expliquer pourquoi ils ont si peu confiance dans le renforcement de notre démocratie. Ceux qui le feront au nom du changement devront expliquer pourquoi ils n’ont pas saisi l’opportunité de tendre vers leur idéal. Les yeux dans les yeux, ils devront expliquer aux Français les raisons pour lesquelles ils leur ont refusé des droits nouveaux (Protestations sur de nombreux bancs).

Mme Martine Billard – Facile !

M. François Fillon, Premier ministre  Mesdames et messieurs les parlementaires, les assemblées qui furent saisies d’une révision constitutionnelle aussi profonde sont rares. Vous faites partie de celles-là. Votre choix dessinera le visage de notre démocratie et enrichira les contours de notre loi fondamentale, celle qui protège nos libertés, arbitre nos différences et rassemble la nation.

La France a la force de croire que ce qui la concerne concerne tous les peuples. Au cœur de cette vocation universelle, il y a notre démocratie et notre République. Vous déciderez pour la Démocratie. Vous agirez pour la République (De nombreux parlementaires se lèvent et applaudissent).

EXPLICATIONS DE VOTE

M. le Président – Je donne maintenant la parole aux orateurs pour présenter les explications de vote de chacun des groupes de l’Assemblée et du Sénat.

M. Bernard Frimat (Groupe socialiste – Sénat) – Il faut attacher à un article de presse la même valeur juridique qu’à un article de la Constitution. C’est à cette étonnante affirmation que l’on nous demande de croire depuis la parution dans Le Monde des propos du Président.

Le Président a parlé. Inclinez-vous devant ces nouvelles tables de la loi élyséenne, réjouissez-vous de ces ultimes promesses qui répondent à un appel dérisoire et pathétique !

Quelle inconvenance a donc été la nôtre de présenter au même moment au Sénat des amendements correspondant à certaines des déclarations présidentielles ! Nous n’avions rien compris ! Il fallait adopter sans en changer une virgule le projet de révision voté par l'Assemblée nationale, mais nous féliciter que des engagements différents soient gravés dans un marbre un peu tendre – le papier journal.

Les sénateurs UMP refusaient un amendement reprenant la proposition du Comité Balladur de faire évoluer le collège électoral sénatorial, et nous étions invités à nous satisfaire de la très modeste proposition de loi du sénateur de Raincourt dont on nous annonçait l’exhumation après dix ans de sommeil.

De qui se moque-t-on ? Du Parlement, sans aucun doute. Curieuse manière de revaloriser ses travaux que d’attendre l’achèvement du débat pour promettre ce que l’on refuse d’inscrire dans la Constitution !

Laissons donc de côté ce qui n’est qu’une opération de communication montée selon le procédé bien connu du teasing – un, l’expression du désir ; deux, la réponse attendue ; trois, le remerciement enthousiaste – pour venir aux raisons qui conduisent les sénateurs socialistes à voter contre votre projet de révision constitutionnelle.

Nous sommes opposés à tout renforcement des pouvoirs du Président de la République. Ils sont assez étendus, d’autant plus que le Président n’hésite jamais à s’en arroger de nouveaux que ni la Constitution ni la loi ne lui accordent. Le droit de s’adresser au Congrès participe de l’omniprésidence. Il réduit à un exercice formel la déclaration de politique générale du Premier ministre. J’ai l’intime conviction que cette prise de parole devant un Congrès muet est la raison essentielle de cette révision. Ainsi verrons-nous peut-être dans le lieu le plus illustre de la monarchie, selon les termes de Robert Badinter, « la monocratie triomphante en majesté à Versailles » (Applaudissements sur de nombreux bancs).

Le retour automatique des ministres dans leur assemblée d’origine accentue leur responsabilité directe devant le Président. Il pourra ainsi les nommer et les congédier à sa guise, sans craindre une sanction électorale. L’application immédiate de cette mesure peut certes rassurer les ministres en exercice devant le remaniement annoncé, mais ce privilège rétroactif n’en reste pas moins choquant par le sort qu’il réserve aux parlementaires qui les ont suppléés, qui deviennent de simples intérimaires.

L’encadrement du pouvoir de nomination du Président, présenté comme une avancée, est pourtant plus virtuel que réel. Donner au Parlement le droit de s’opposer à la majorité des trois cinquièmes, c’est fixer le seuil d’approbation aux deux cinquièmes. Quel exploit pour le Président, qui dispose de la majorité, de recueillir l’assentiment de 40 % des parlementaires ! Nous sommes donc en présence d’un droit formel, d’un leurre. Ce faux semblant ne contribue pas à favoriser une démocratie respectueuse du pluralisme d’opinion.

La modernisation des institutions implique au moins que soit respecté le principe le plus élémentaire de la démocratie : l’expression du suffrage universel détermine la majorité d’une assemblée parlementaire. Or ce n’est pas le cas du Sénat.

Le comité Balladur avait reconnu la nécessité de lever le verrou constitutionnel qui interdit toute évolution du collège électoral du Sénat. Dans son projet initial, le Gouvernement a admis qu’une prise en compte de la population était indispensable. Mais ses bonnes intentions se sont envolées : toute référence à la population a disparu. Le Gouvernement a cédé aux injonctions des sénateurs UMP, qui conserveront leur mode d’élection si confortable et leur pouvoir de bloquer toute révision tentant de mettre fin à cette anomalie. Peu importe que les citoyens accordent une large majorité à la gauche dans les collectivités territoriales, le Sénat, censé en assurer la représentation, doit rester inexorablement à droite !

Il faut beaucoup d’aveuglement pour voir là une démocratie irréprochable.

Revaloriser le Parlement ne consiste pas à augmenter les pouvoirs de la majorité, mais à garantir par la Constitution les droits de l’opposition, le pluralisme de la représentation et le droit d’amendement.

Les droits de l’opposition ne sont pas inscrits dans la Constitution : ils sont relégués dans le Règlement de chaque assemblée. Ils dépendront donc exclusivement du bon plaisir de la majorité qui, seule, décidera des concessions qu’elle daignera octroyer (« Très bien ! » sur quelques bancs).

Même la journée mensuelle d’abord réservée à l’opposition, n’a pas survécu dans son intégralité. C’était sans doute trop pour vous. Ce temps sera partagé avec les groupes minoritaires. La réalité du nouveau pouvoir de fixation de l’ordre du jour – un des fleurons de votre révision – se déclinerait donc ainsi : tout pour le Gouvernement et l’UMP, sauf un jour à partager entre tous les autres groupes. Quelle curieuse façon de respecter le pluralisme !

Le pluralisme, parlons-en. Vous acceptez – avec difficulté – d’en faire figurer le principe dans votre texte, mais vous vous opposez à sa réalisation. Or, le seul moyen de garantir ce pluralisme, c’est d’inscrire dans la Constitution l’obligation d’une dose de proportionnelle à l'Assemblée nationale. Vous avez rejeté tous les amendements qui le proposaient, quels qu’en soient les auteurs, refusant ainsi de conjuguer nécessité d’une majorité et respect de la diversité politique. La revalorisation du Parlement exige pourtant l’amélioration de sa représentativité.

Le droit d’amendement, aujourd’hui garanti par la Constitution, fait l’objet d’une grave mise en cause : les conditions de son exercice seraient fixées par le Règlement des assemblées. Quelles garanties pour l’opposition ? Aucune. Rien n’assure à un parlementaire qu’il conservera le droit d’amendement en séance publique. Quel paradoxe de prétendre revaloriser le Parlement et de faire dépendre l’exercice d’un droit qui devrait être intangible du bon plaisir de la majorité !

Quelle que soit l’issue, ce Congrès sera celui des occasions gâchées.

Vous avez une nouvelle fois refusé d’accorder le droit de vote aux élections locales aux étrangers installés dans notre pays depuis plusieurs années (Applaudissements sur de nombreux bancs) ; vous avez refusé de garantir, dans les médias, l’expression pluraliste et équitable des différentes opinions politiques face à la lancinante présence du Président (Applaudissements sur quelques bancs) ; vous avez, enfin, refusé le dialogue constructif avec l’opposition pour privilégier un monologue interne à l’UMP et la quête inlassable, par tous les moyens dont le pouvoir dispose, des voix qui vous sont nécessaires.

Débauchage, découpage et marchandage n’étaient pas la bonne stratégie pour recueillir l’adhésion – du moins la nôtre.

Vous avez délibérément recherché la victoire d’un camp sur ceux que le Président qualifiait récemment d’ennemis.

Là où nous attendions des progrès pour la démocratie, vous nous proposez le renforcement de la monocratie. Les sénateurs socialistes rejetteront donc votre révision (Applaudissements sur de nombreux bancs).

M. Jean-Michel Baylet (Groupe du Rassemblement démocratique et social européen – Sénat). – Ils n’étaient pas nombreux, en 1958, les dirigeants de la gauche non communiste qui s’opposaient à l’adoption de la Constitution de la Ve République. Ils s’appelaient Pierre Mendès France, Jean Baylet – et oui –, Maurice Bourgès-Maunoury, ou encore François Mitterrand.

Ils refusaient de façon courageuse et isolée la nouvelle loi fondamentale, car ils la regardaient non seulement comme une ratification du 13 mai, mais comme sa consolidation par le déséquilibre patent des pouvoirs au profit de l’exécutif.

M. Jean-Pierre Brard – Cela reste vrai !

M. Jean-Michel Baylet – François Mitterrand alla jusqu’à condamner « le coup d’État permanent » opéré par la Constitution de 1958 et par sa pratique.

Les principales réformes constitutionnelles intervenues depuis, celle de 1962 sur l’élection du Président au suffrage universel et celle de 2000 sur le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, ont encore renforcé ce déséquilibre, dont les conséquences les plus visibles sont la permanence du fait majoritaire et l’effacement progressif du Premier ministre.

Pour leur part, les radicaux n’ont pas changé de position. Nos aînés étaient hostiles à la Constitution de 1958 : nous y restons opposés. Nous avons milité pour l’avènement d’une VIe République dans laquelle la Constitution garantirait la stricte séparation des pouvoirs, de même que l’épanouissement des libertés individuelles dans le respect des principes de justice, de solidarité et de laïcité. Nous avons même déposé lors de la précédente législature une proposition de loi constitutionnelle visant à l’instauration de cette « République moderne » au Parlement libéré et aux citoyens replacés au cœur de l’action publique. Nous avions déduit les conséquences logiques de la situation actuelle : tous les inconvénients de la présidentialisation sans les avantages du régime présidentiel. Nous proposions donc la suppression de la fonction de Premier ministre et l’abolition symétrique du droit de censure et du droit de dissolution.

En conséquence, les radicaux n’ont pas dissimulé leur déception lors de la présentation du projet de loi constitutionnelle : nous sommes encore loin de la réforme en profondeur que nous appelons de nos vœux ! Ils n’ont toutefois pas caché non plus leur intérêt pour ce texte (« Ah ! » sur divers bancs). Dans ses dispositions essentielles, celui-ci propose des améliorations que nous réclamions depuis bien longtemps.

Tout en défendant leurs propres amendements – de même que le RDSE au nom duquel je m’exprime aujourd’hui – les radicaux de gauche ont participé, de manière loyale, constructive et pragmatique aux travaux des deux assemblées sur cette réforme. Et ils ont exprimé cet intérêt lors de chacun des votes, tant à l'Assemblée nationale qu’au Sénat, en précisant que leur abstention était une position ouverte et attentive.

Nous voici à l’heure du bilan de ce travail et je le dis sans ambages : les radicaux de gauche dans leur grande majorité – et les autres membres du RDSE – vont approuver la réforme qui nous est proposée (Applaudissements sur de très nombreux bancs).

Et puisque la polémique s’est installée – sans trop de spontanéité d’ailleurs – autour de cette position, je veux dire ici, dans la solennité de notre Congrès, en pesant chacun de mes mots mais avec la plus grande fermeté, que nul n’est autorisé, hors nos électeurs, à juger le choix des radicaux (Exclamations sur de nombreux bancs), un choix dicté par nos convictions, un choix libre, opéré en conscience et à mille lieues des spéculations que certains ont cru bon de nous prêter.

Je n’ai donc pas à justifier la position prise par les radicaux. Je veux cependant l’expliquer, en fonction des valeurs constitutives du radicalisme.

D’abord, nous sommes républicains et nous regardons comme un progrès tout ce qui tend à rééquilibrer les institutions au profit des citoyens et de leurs représentants. Il en va ainsi du respect du pluralisme politique, du droit d’initiative législative des citoyens et de leurs représentants. Il en va ainsi du respect du pluralisme politique, du droit d’initiative législative des citoyens, du droit permanent de réponse de l’opposition au Président de la République et des nombreuses améliorations du travail parlementaire, qu’il s’agisse de la procédure législative ou des pouvoirs de contrôle et d’investigation des deux assemblées. Bien loin de nous satisfaire totalement, ces différentes avancées contribuent indéniablement à une plus large respiration de notre démocratie.

Ensuite, les radicaux ont la raison pour méthode. Et il nous semble que la raison ne trouve pas son compte si l’on voit des formations politiques voter contre des réformes qu’elles ont toujours demandées ou si l’on voit, tout à l’heure peut-être, un Parlement refuser l’extension de ses prérogatives. J’entends les motifs qui sont avancés pour des choix aussi paradoxaux et je connais ceux qui ne sont pas exprimés : on a voulu transformer une réflexion nationale en une action partisane.

Un parlementaire – Et le cadeau à Nanar ?

M. Jean-Michel Baylet – Quels que soient les motifs des uns et des autres, je dis qu’on peut avoir de bonnes raisons sans avoir raison.

Les radicaux ont aussi une vision pragmatique de l’action politique. Ils savent que le mieux est souvent l’ennemi du bien et que l’on ne peut rêver d’idéal sans composer avec la réalité. Je l’ai dit, nous regrettons que la réforme ne soit pas allée plus loin, en particulier dans le sens d’une concrétisation effective du pluralisme politique dans les modes de scrutin et dans la redéfinition du corps électoral du Sénat. Mais si nous refusions, au nom de ces regrets, tout ce que nous approuvons par ailleurs, nous aurions perdu sur les deux tableaux.

Surtout, les radicaux de gauche sont laïques. La laïcité n’est pas, comme ses adversaires voudraient le faire croire de façon caricaturale, une pensée du combat anti-religieux. C’est bien plus et bien mieux. La laïcité, c’est l’exigence d’un rempart de neutralité qui garantit la liberté des choix de conscience, la liberté d’entreprendre et la liberté d’opinion. Voilà pourquoi notre République laïque affirme le rôle fondamental des partis politiques tout en proscrivant les mandats impératifs. La discipline de vote que l’on souhaiterait – à droite comme à gauche – imposer dans ce débat n’est pas l’interdiction de penser. Et nous considérons que, sur un sujet aussi capital que la réforme des institutions, nous devons dépasser les clivages partisans habituels (Applaudissements sur de nombreux bancs) en nous laissant guider par la seule préoccupation du bien public.

Pourtant, nous n’estimons pas que ces clivages soient désuets ou inutiles. Les radicaux de gauche sont dans l’opposition et ils s’y tiennent fermement (Murmures). Comme plusieurs membres du Gouvernement, vous avez pu éprouver, Monsieur le Premier ministre, cette fermeté dans le débat depuis plus d’un an : les radicaux de gauche s’opposent sans réserve à votre politique et à ses effets sociaux. Soyez sûr qu’ils ne seront pas moins déterminés demain qu’hier !

Pour aujourd’hui, nous avons à nous prononcer sur un sujet qui dépasse l’opposition habituelle entre la droite et la gauche. Voulons-nous, oui ou non, faire un pas significatif dans le sens de la modernisation et de la démocratisation de notre Constitution ? Pour les radicaux de gauche comme pour l’ensemble du RDSE, la réponse est clairement oui (« Bravo ! » et applaudissements sur de nombreux bancs – Huées sur plusieurs bancs).

M. Henri de Raincourt (Groupe Union pour un Mouvement Populaire – Sénat). – Cette journée est l’aboutissement des réflexions menées par nos deux assemblées au service d’un objectif clair : offrir à nos concitoyens une modernisation de notre démocratie. Dès janvier 2007, le Président de la République avait dessiné les contours d’une réforme courageuse en reconnaissant la nécessité d’adapter et de rééquilibrer nos institutions. Sous son impulsion, un travail considérable – éclairé par le comité Balladur – a été accompli pour défendre ce projet novateur et équilibré.

La France d’aujourd’hui n’est plus celle de 1958 : les Français veulent être davantage associés à la vie démocratique, la décentralisation s’est imposée, l’Europe a pris une place importante dans notre vie, le monde a changé. Notre société a ainsi connu de profondes mutations.

Parallèlement, le passage au quinquennat et l’inversion du calendrier électoral ont bouleversé l’équilibre institutionnel. L’accélération du rythme de la vie politique, le renforcement du rôle du chef de l’État et la réalité de notre société nous imposent aujourd’hui de traduire ces évolutions dans le fonctionnement de nos institutions et d’inventer un nouvel équilibre des pouvoirs.

Aujourd’hui est un rendez-vous historique : jamais, depuis 1958, le constituant ne s’était attelé à une tâche aussi exigeante et ambitieuse, parce que globale. C’est également une chance pour notre démocratie, car la présente révision repose sur trois piliers essentiels : encadrer les pouvoirs présidentiels, renforcer ceux du Parlement, et créer des droits nouveaux pour nos concitoyens.

Dans une démocratie responsable, le Président doit pouvoir expliquer sa politique devant les représentants du peuple réunis en Congrès. Dans une démocratie transparente, le Parlement doit pouvoir donner son avis sur certaines décisions de l’exécutif. Il doit avoir les moyens de contrôler l’action du Gouvernement et de participer à la programmation de ses propres travaux. Dans une démocratie moderne, les citoyens doivent disposer d’outils leur permettant de s’impliquer dans la vie démocratique et de faire reconnaître leurs droits.

Notre groupe n’aurait pas accepté une réforme qui aurait mis à mal la force et l’adaptabilité de notre loi fondamentale. Chacun connaît notre attachement aux institutions de la Ve République. Depuis leur origine, celles-ci ont fait la preuve de leur efficacité, mais aussi de leur souplesse, avec des majorités et des configurations politiques très différentes.

Nous voulons préserver les principes de ce socle institutionnel contre les attaques de ceux qui pourraient être tentés, un jour, de le dénaturer. C’est donc parce que nous croyons dans la force de nos institutions que nous voulons les adapter.

La présente révision répond à une double exigence : tout en préservant la nature profonde de nos institutions, elle les inscrit dans une démarche moderne d’efficacité et de transparence.

Placés sous le signe de l’écoute et du respect de chacun, les travaux parlementaires ont permis de bâtir un édifice harmonieux, équilibré et novateur. Je tiens à remercier les deux présidents rapporteurs, Jean-Jacques Hyest et Jean-Luc Warsmann pour leur talent, leur travail et leur volonté constante de trouver les convergences nécessaires. Je veux aussi exprimer notre reconnaissance au Premier ministre et au Gouvernement, pour avoir compris nos préoccupations et nos priorités. Je salue la qualité de notre dialogue avec l'Assemblée nationale, qui a entendu nos arguments et - n’en déplaise à ceux qui ont versé dans la caricature – admis la légitimité de notre contribution.

La plupart des dispositions de ce texte sont le fruit de cet état d’esprit constructif entre les deux chambres. C’est la preuve que le bicamérisme est utile à la démocratie.

M. Christiant Poncelet, Président du Sénat Très bien !

M. Henri de Raincourt – Je pense par exemple à la référence aux langues régionales, (Quelques applaudissements), auxquelles nous sommes tous attachés et qui ont trouvé leur juste place dans notre loi fondamentale (« Très bien ! » sur plusieurs bancs).

Pour la majorité sénatoriale, plusieurs autres points étaient primordiaux. Ainsi, les dispositions relatives aux modalités de ratification des adhésions à l’Union européenne répondent à la volonté de laisser la parole au peuple sans stigmatiser quiconque. En tant que représentants constitutionnels des collectivités territoriales, les sénateurs tenaient d’autre part à réaffirmer le lien privilégié qui doit exister entre les élus locaux et le corps électoral. Au reste, la proposition de loi que j’avais déposée en 1999 n’était pas aussi modeste que Bernard Frimat a bien voulu le dire tout à l’heure. C’est nous qui avons réduit ce mandat à six ans (Applaudissements sur de très nombreux bancs). C’est nous qui avons abaissé l’âge d’éligibilité. C’est nous qui avons fixé la proportionnelle à compter de quatre députés.

L’écoute et le souci du dialogue ont également primé avec nos collègues de l’opposition. Nous avons notamment répondu à leur souhait que la Constitution fasse référence, c’est écrit, à la liberté, au pluralisme et à l’indépendance des médias. Nous avons également retenu leur proposition de consacrer les commissions d’enquête dans notre loi fondamentale.

Mes chers collègues, chacun doit mesurer en conscience ce qui est en jeu aujourd’hui. Dès octobre prochain, peut-être pour longtemps, il sera difficile à une majorité de réunir les trois cinquièmes des membres du Parlement pour adopter une réforme aussi ambitieuse. Voilà le défi qui nous est posé. Pour le relever, nous avons voulu faire nôtres des propositions qui figuraient également dans d’autres programmes électoraux. Si ce texte contient quarante-cinq mesures, la moitié d’entre elles proviennent de la gauche.

Ce projet favorise une démocratie plus à l’écoute de ceux que nous avons l’honneur de représenter. Exception d’inconstitutionnalité, référendum d’initiative populaire, défenseur des droits : comment les Français pourraient-ils comprendre que certains parmi nous refusent de telles avancées ?

Ce texte propose un renforcement des pouvoirs du Parlement. N’est-ce pas ce que nous appelons tous de nos vœux ? Partage de l’ordre du jour, discussion en séance publique du texte des commissions, droits de l’opposition… Je ne puis croire que l’opposition se prive de ce renforcement sans précédent du rôle du Parlement. Au nom de quoi refuserait-elle ce qu’elle réclame depuis si longtemps ?

Mes chers collègues, j’en appelle à l’esprit de responsabilité de chacun. Seule l’ambition de servir l’intérêt général doit nous animer. Nous sommes ici à Versailles : ne nous trompons pas de Congrès ! (Quelques applaudissements)

Nous avons aujourd’hui entre nos mains un outil qui redonnera de l’oxygène à notre démocratie. Démontrons notre capacité à nous rassembler autour de cet intérêt qui nous dépasse : en votant ce texte, nous moderniserons et rajeunirons la démocratie française (Applaudissements sur de très nombreux bancs).

Mme Marie-George Buffet (Groupe de la gauche démocrate et républicaine – Assemblée nationale) – Oui, il faut de nouvelles institutions pour notre République.

Il nous faut une nouvelle Constitution, non pour dépoussiérer la République ou pour rejouer les vieux conflits entre les partisans d’un régime présidentiel et ceux d’un régime parlementaire, mais pour rendre à la politique ses lettres de noblesse : un pouvoir sur le cours des choses ; et une maîtrise partagée entre tous nos concitoyens sur les choix politiques qui fondent leur vie.

Il faut une nouvelle Constitution pour établir les conditions d’une démocratie réelle et globale.

Pour qu’elle soit bénéfique aux peuples, la mondialisation impose que l’on dépasse l’exercice centralisé de tous les pouvoirs, mais aussi leur éclatement. Il nous faut de nouvelles institutions pour réinventer la politique dans le monde tel qu’il est aujourd’hui.

On le voit, chaque jour, avec la montée en puissance des questions de l’alimentation, de l’énergie, du climat ; on le voit avec l’ouverture possible des frontières de la connaissance et des savoirs à tous les hommes et femmes de la planète, on le voit avec l’exigence d’une nouvelle citoyenneté : c’est toute l’humanité qui est désormais confrontée au défi d’une démocratie nouvelle, une démocratie enfin capable d’affronter les grands défis de notre époque.

Cette réforme institutionnelle que j’appelle de mes vœux, je sais qu’elle ne se fera pas en un jour, car c’est un chantier difficile. Votre texte en contiendrait-il quelques prémices ? Non, mille fois non.

Dans une large mesure, ce projet de loi constitutionnelle se contente de maigres redistributions de pouvoirs entre le Parlement, le Gouvernement et le chef de l’État. L’article 16 étant déjà tombé en désuétude, cela ne vous coûte rien de l’amender à la marge. Le Gouvernement perdra certes une partie de sa maîtrise sur l’ordre du jour mais il la retrouvera vite, tant la relation de dépendance des majorités parlementaires envers le Président assure à ce dernier leur soutien plein et entier.

Quant aux ouvertures du Président à l’égard de l’opposition, dont la presse s’est fait l’écho, je constate qu’elles relèvent quasi systématiquement de la loi ou du règlement de nos assemblées. En dictant notre futur Règlement, le Président envoie un signal assez paradoxal sur sa prétendue volonté de couper le cordon entre l’Élysée et les représentants du peuple…

On pourrait considérer comme utile le toilettage prévu par certaines des dispositions qui sont soumises à notre vote. Mais encore faudrait-il que cela s’accompagne d’une réelle volonté de transformer le système des pouvoirs de la Ve République. Or, c’est là que le bât blesse ! Aucun des fondements de la soumission du Parlement au chef de l’État n’est remis en cause. Comment s’en étonner quand une des motivations premières de cette réforme constitutionnelle est de complaire au Président de la République, qui souhaite s’exprimer du haut de la dernière tribune qui lui reste encore interdite, celle du Congrès ? Ce qui compte dans ce projet de loi, ce ne sont pas les quelques articles que l’on nous demande de récrire, ce sont tous les articles – les plus importants – qui resteront inchangés. Cette réforme réaffirme ainsi le caractère intouchable de la toute-puissance présidentielle. Votre conception de la légitimité du pouvoir présidentiel ne souffre visiblement aucune contestation, quels que soient l’évolution de l’opinion et les changements de la situation politique. Cette réforme confirme enfin votre volonté de polariser la vie parlementaire autour de la fonction présidentielle.

Avec ce texte, notre vie politique sera encore plus structurée qu’elle ne l’est aujourd’hui entre, d’un côté, les soutiens du Président et, de l’autre, l’opposition, quelle que soit sa diversité. Cela enrégimentera encore davantage le débat public qui deviendra ainsi complètement aseptisé et bipartite.

Avec les mesures tendant à restreindre le droit d’amendement et la durée des débats en séance publique, vous cherchez visiblement à instaurer une vie politique scénarisée, dans laquelle tout pourrait se régler d’avance, loin du contrôle d’un peuple « spectateur », d’après les instructions d’un metteur en scène doté de pouvoirs considérables.

De timides avancées étaient pourtant possibles. Je pense notamment au référendum d’initiative populaire, que vous n’avez eu de cesse de restreindre, mais aussi à la réforme du mode d’élection de chacune de nos assemblées. Tout cela a été sacrifié sur l’autel du conservatisme (« C’est faux » sur plusieurs bancs).

De votre résistance à toute forme d’audace, témoigne la consécration constitutionnelle de l’objectif d’« équilibre des comptes des administrations publiques ». Derrière cette victoire de la courte vue comptable se cache une certaine défaite de la politique.

M. Jean-Pierre Brard – Très bien !

Mme Marie-George Buffet – Comme moi, vous vous rendez régulièrement sur le terrain, chers collègues. Imaginez-vous honnêtement, ne serait-ce qu’un instant, que ce texte contribuera à rétablir un peu de la confiance perdue entre notre peuple et ceux qui le dirigent ?

M. Benoist Apparu – Mais oui !

Mme Marie-George Buffet – Cette confiance en la capacité de la politique à changer leurs vies, nos concitoyens ne pourront la retrouver avec des institutions empreintes d’une telle méfiance à l’égard du peuple et de son intervention.

Ainsi, il n’y a plus de décision possible au niveau européen en raison de l’opacité qui règne aujourd’hui.

Vous prétendez renforcer les pouvoirs du Parlement mais sans avouer que 80 % des lois ne sont plus que des modalités d’application de directives avalisées à Bruxelles par le Gouvernement, en violation manifeste du principe démocratique selon lequel le Parlement vote la loi et le Gouvernement, ne fait que l’exécuter. Il est temps de reconnaître que le Parlement a le droit de participer réellement aux choix de l’Union européenne.

C’est un minimum nécessaire avant toute remise à plat du fonctionnement de l’Union et des relations entre l’Europe et les États membres.

C’est indispensable compte tenu du peu de cas fait du vote du peuple irlandais. Bel exemple de démocratie que de faire revoter le peuple tant qu’il ne se prononce pas dans le sens souhaité par de prétendues élites ! (Applaudissements sur quelques bancs)

Le sentiment de ne pas peser sur les grandes orientations politiques de l’Europe est tout aussi vif en France. Il faut s’efforcer de mieux partager les pouvoirs et de mieux associer nos concitoyens.

Il est impératif que nos concitoyens aient véritablement accès à tous les lieux de pouvoir.

Voilà pourquoi nous demandons la proportionnelle à toutes les élections, l’instauration d’un véritable statut de l’élu, et une plus grande rotation des mandats.

Voilà pourquoi nous demandons l’élargissement du droit de suffrage à toutes les intelligences, à toutes celles et ceux qui vivent dans notre pays, c’est-à-dire aux résidents étrangers (Applaudissements sur quelques bancs).

Voilà pourquoi nous demandons la reconnaissance de la démocratie participative, à commencer par un véritable référendum d’initiative populaire.

Voilà également pourquoi, alors que seuls les salariés sont intéressés au développement de leur entreprise, les actionnaires ne pensant qu’à leurs dividendes, nous demandons la consécration d’une véritable citoyenneté pour les salariés à l’intérieur de leur entreprise.

Voilà pourquoi nous demandons enfin, à mille lieues de la télévision aux ordres que vous êtes en train de construire, l’instauration d’un véritable pluralisme dans les médias.

Je n’ai pas le temps de développer toutes nos propositions en faveur d’une République démocratique et solidaire, mais nous les avons défendues au cours des dernières semaines à l’Assemblée et au Sénat.

Je les ai moi-même défendues auprès du Président de la République et je les ai exposées devant la commission présidée par M. Balladur. Je vous en ai fait part, Monsieur le Premier ministre. Mais vous avez fait le choix de les repousser d’un revers de main.

Je ne m’en étonne pas, car votre volonté de concentrer les pouvoirs à l’extrême est radicalement inconciliable avec notre souhait d’un partage. Les députés de la gauche démocrate et républicaine rejetteront donc avec la plus grande fermeté ce projet de réforme constitutionnelle (Applaudissements sur de nombreux bancs).

M. Arnaud Montebourg (Groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche – Assemblée nationale) – Les députés socialistes ont défendu, avec la même constance et la même fidélité, tout au long des débats, une vision ambitieuse de la démocratie française.

Ils ont dessiné, par leurs contre-propositions, en héritiers dignes et raisonnables de Jean Jaurès, l’esprit et la lettre de la VIe République, qu’ils seront certainement amenés à instaurer avec les Français, si ces derniers les appellent aux responsabilités.

C’est au nom de cette ambition exigeante que nous avons affirmé, sans jamais varier d’un pouce, notre disponibilité pour un compromis – même imparfait – dans lequel nous aurions pu nous retrouver, et que nous souhaitions pour la République et pour la France.

À chaque instant, nous avons pris soin de tendre la main, en donnant ses chances à cette réforme qui aurait pu être celle de tous.

Nous avons multiplié les occasions publiques de dialogue. Nous avons présenté, avec la même patience et le même goût de construire au-delà des graves désaccords qui nous opposent sur d’autres terrains, nos justes et raisonnables revendications.

Les réformateurs passionnés et les amoureux de la démocratie ont malheureusement été dédaignés dans nos rangs et leurs propositions ont été le plus souvent rejetées.

Si nous avons défendu avec force l’exigence de la séparation des pouvoirs, c’est parce que nous déplorons un peu plus chaque jour les pratiques actuelles de confusion et de concentration des pouvoirs (« Très bien ! » sur plusieurs bancs).

Las, cette réforme institutionnalise dangereusement une forme nouvelle de monocratie, dans laquelle tous les pouvoirs dérivent d’une seule personne.

La première victime de cette réforme, c’est vous, Monsieur le Premier ministre, vous et votre gouvernement. De nombreuses dispositions accroissent en effet l’emprise du pouvoir présidentiel – incontrôlable – au détriment du pouvoir du Gouvernement, qui est en revanche contrôlable. Vous perdez ainsi le pouvoir de prononcer seul le discours de politique générale qui sera désormais celui du Président s’adressant au Congrès.

M. Jean-Pierre Brard – Un discours du trône !

M. Arnaud Montebourg – À cet amoindrissement s’ajoute une perte croissante d’autorité sur vos ministres, qui seront révocables au gré de la volonté capricieuse du Prince. Si les ministres peuvent retrouver leur siège de parlementaire sans repasser devant les électeurs, il en résultera une instabilité ministérielle d’origine présidentielle.

Les ministres perdront très vite la substance de leur pouvoir, et seront de fait remplacés par les collaborateurs directs du Président de la République, comme c’est déjà en partie le cas des conseillers ne répondant de rien devant qui que ce soit et n’étant soumis à aucune autorité et aucun contrôle parlementaire (Applaudissements sur de nombreux bancs).

Cette réforme consacre donc l’accroissement de l’irresponsabilité politique, l’affaiblissement des possibilités de contrôle sur l’exécutif, et au total l’augmentation du danger de l’hyperconcentration des pouvoirs présidentiels qui est implicitement inscrite dans votre texte ! C’est l’avènement non-dit d’une monocratie à la française.

La deuxième victime de cette réforme, c’est en effet nous, l’opposition, ou plutôt les oppositions ! (« C’est faux ! » sur plusieurs bancs) C'est-à-dire les contre-pouvoirs, tous ceux qui, un jour ou un autre, sous un forme ou sous une autre, ne seront pas d’accord avec les choix, les décisions, les pratiques de cette monocratie et de celui qui tente de l’établir aujourd’hui.

Pis, elle renvoie de façon aussi spectaculaire qu’inacceptable à dix-neuf lois organiques, ordinaires ou au Règlement des assemblées, dont la connaissance nous a systématiquement été refusée. Nous n’aurons aucune espèce d’influence dans ce domaine, puisque c’est la majorité qui décidera de nos droits, dans sa bonté et sa souveraineté. Elle pourra les réduire, voire les anéantir. Comme nous, le président du groupe de l’UMP avait demandé à connaître ces dispositions « à la virgule près » (Applaudissements sur de nombreux bancs). Il serait pourtant si simple de dire clairement à quelle sauce vous entendez nous manger. Ni lui ni nous n’en connaissons ni les virgules, ni ce qui devrait figurer entre !

Le Parlement, c’est la majorité, mais aussi l’opposition. Donnez-lui donc des droits !

Pour prémunir la France et les Français de ces dangers préoccupants, nous avons demandé avec une patience exemplaire, des garanties sérieuses. Mais nos amendements ont été lamentablement repoussés.

Nous avons demandé des garanties précises de l’indépendance de la justice et de la protection des magistrats contre le risque d’intrusion de l’exécutif et de ses intérêts partisans : nos amendements ont été rejetés.

Nous avons demandé des garanties de pluralisme et de représentativité dans notre système tout entier, et particulièrement à l’intérieur d’un Sénat antidémocratique (Protestations sur plusieurs bancs ; applaudissements sur plusieurs autres) : nous avons été éconduits.

Nous avons demandé la fin de la monopolisation du temps de parole médiatique par le pouvoir : non seulement notre proposition a été rejetée, mais le Président de la République a annoncé que le pouvoir prendrait le contrôle direct de la télévision publique, assumant sans scrupule la restauration de l’ORTF et ouvrant la voie à une forme nouvelle d’absolutisme médiatique ! (Applaudissements sur plusieurs bancs ; protestations sur plusieurs autres)

Nous avons reçu in extremis un courrier du Président de l'Assemblée nationale – dont je salue les efforts –, contenant des engagements sur les droits du Parlement et de l’opposition ; et le Président de la République a fait publier dans la presse, après la clôture des débats parlementaires, un entretien sur le même thème. Mais pourquoi nous promettre pour plus tard ce qu’on nous a refusé avec obstination depuis des mois et qu’on aurait pu inscrire ensemble dans le marbre de la Constitution ? (Applaudissements sur plusieurs bancs)

M. Jean Glavany – C’est cela, le respect des droits du Parlement !

M. Arnaud Montebourg – C’est toute la différence entre les mots et les actes : les mots du pouvoir sont aussi enjôleurs que ses actes sont brutaux !

Beaucoup de nos compatriotes ont mesuré ce que valaient les engagements du candidat Sarkozy, devenu Président de la République. Pourquoi nous laisserions-nous prendre à notre tour par ses promesses ?

Incapable de bâtir un consensus, préférant jouer à la loterie une réforme aussi importante, le pouvoir en est venu à user d’expédients déshonorants avec les députés de sa propre majorité (Protestations sur plusieurs bancs).

Une élue de la majorité a hier publiquement réprouvé que tantôt on l’ait menacée de la faire battre, et tantôt on lui ait proposé une mission parlementaire rémunérée. Un autre élu s’est déclaré « choqué par des méthodes qui relèvent de la menace, du chantage et de la tentative d’achat ».

M. Benoist Apparu – Chez les socialistes, il n’y a aucune pression, bien sûr !

M. Arnaud Montebourg – Quand on met des coups de règle sur les doigts pour faire passer une réforme, n’apporte-t-on pas la preuve du caractère contestable de celle-ci ? (Applaudissements sur plusieurs bancs)

En vérité, le pouvoir s’est replié sur ses forteresses conservatrices. Là où le pays demandait de grandes avancées démocratiques, Monsieur le Premier ministre, vous vous êtes enfermé avec les plus antiréformateurs pour faire cette réforme, la faisant rétrécir au lavage de chaque lecture à quelques avancées – que vous avez énumérées sous les rires du Congrès –, noyées dans un programme d’accroissement de la concentration des pouvoirs.

Cette réforme est une scandaleuse et triste occasion manquée. On aurait pu démontrer que les partis politiques qui s’affrontent sur de nombreux terrains sont capables de définir ensemble les règles du jeu dans l’intérêt des citoyens et de la République.

Il aurait pu se produire ce qu’il advint lorsque Simone Veil défendit courageusement la légalisation de l’avortement en 1974 : la gauche sauva la réforme, que la droite ne voulait pas voter.

M. Jean-Pierre Balligand – Eh oui !

M. Arnaud Montebourg – C’est ce que nous étions prêts à faire si cette réforme constitutionnelle avait contenu les avancées démocratiques que nous avons proposées.

Les refus obstinés, provocants et parfois infantiles de nous donner satisfaction auront assuré la conjugaison de tous les conservatismes, au détriment de la République et des Français.

Nos concitoyens ont une grande soif de démocratie. Pour leur donner toute leur place, il faudra ouvrir les portes et les fenêtres de la République, en construisant un nouveau système politique, plus représentatif des Français, plus délibératif, plus participatif, mieux équilibré, moins dangereux, et au total plus constructif pour la France.

Ce nouveau système politique que nous désirons ardemment, nous le nommons VIe République. Nul doute, quel que soit le résultant de ce soir, que les Français finiront par l’imposer. C’est donc avec les regrets d’une occasion manquée et armés de ces espoirs que, malheureusement, Monsieur le Premier ministre, nous voterons contre votre projet (Applaudissements sur de nombreux bancs).

M. François Sauvadet (Groupe Nouveau Centre – Assemblée nationale) – Nous n’avons pas rendez-vous cet après-midi pour un jeu de rôles ; c’est un rendez-vous important pour l’avenir de la démocratie française.

Les débats autour de cette modernisation ont été passionnés, parce qu’ils touchaient le cœur même de nos institutions. Les députés du Nouveau Centre y ont participé avec engagement car ils attendaient depuis longtemps une telle occasion de repenser globalement nos institutions. Cette modernisation aurait dû, sans nul doute, être conduite dès l’année 2000, en même temps que l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral qui ont changé la nature de nos institutions. Mais aujourd’hui, il s’agit de savoir si nous allons saisir l’opportunité d’une évolution et d’un rééquilibrage au profit du Parlement, ou bien si nous allons préférer le statu quo, au seul motif que nous ne serions pas allés assez loin.

Pour moi, le mieux est l’ennemi du bien : il n’y aura pas de plan B pour la réforme institutionnelle ! (Applaudissements sur les quelques bancs) Je ne comprends pas la logique de tous ceux qui critiquent jour après jour l’hyper-présidentialisation du régime et qui se refusent aujourd’hui à voter un rééquilibrage de nos institutions en faveur du Parlement !

La question de la présidentialisation du régime s’est posée au moment de l’instauration du quinquennat, qui a fait du Président le meneur de jeu. Les Français veulent un Président qui agit, qui assume, mais un Président dont les pouvoirs soient encadrés et contrôlés par un Parlement, lui aussi en capacité d’agir et d’assumer ses fonctions. Tous les candidats à l’élection présidentielle ont d’ailleurs évoqué cette nécessité, parce c’est un enjeu démocratique.

Force est de constater que Nicolas Sarkozy est le premier Président de la République à proposer un tel rééquilibrage. Combien de présidents, après avoir critiqué les dérives présidentialistes du régime, ont fini par se lover dans ce costume institutionnel et embrasser le rôle du monarque républicain ?

M. Jean-Pierre Brard – De monarque tout court !

M. François Sauvadet – Je le redis à mes collègues socialistes : je ne comprends pas leur attitude. Ils devront s’expliquer devant les Français, ainsi que tous ceux qui auraient la tentation de voter « non », car si nous n’adoptons pas ce projet, le Parlement restera corseté.

Je salue à mon tour le travail du comité présidé par Édouard Balladur, auquel ont participé des personnalités de toutes sensibilités, et qui a rappelé que l’adaptation de nos institutions était une impérieuse nécessité démocratique. Il a souligné leurs dysfonctionnements et les errements qui ont été, pour une part, provoqués par les révisions constitutionnelles successives – j’en ai connu neuf en quinze ans. Celle qui nous est soumise aujourd’hui est la première depuis cinquante ans à nous proposer une vision globale.

C’est conscient de cet enjeu que le groupe Nouveau Centre est entré avec beaucoup de conviction dans ce débat.

M. Jean-Pierre Brard – Conviction, ça veut dire quoi, au Nouveau Centre ?

M. François Sauvadet – Je tiens en particulier à saluer l’engagement de Jean-Christophe Lagarde. Nous avons dit ce que nous pensions juste et utile pour le pays.

Avec nos amis du groupe Union centriste du Sénat, nous nous sommes prononcés contre l’instauration d’un bipartisme réducteur. Reconnaître le pluralisme dans la Constitution, reconnaître que la diversité politique est une chance pour la vie démocratique, c’est donner de la vitalité à nos institutions, c’est faire preuve d’une conception moderne de la démocratie.

Cette bataille du pluralisme, nous l’avons également menée pour que les droits des groupes minoritaires – et non pas simplement les droits de l’opposition – soient reconnus. Nous souhaitons que chaque courant de pensée soit reconnu comme tel et puisse être représenté au Parlement. La reconnaissance du pluralisme était pour nous un point essentiel.

Le groupe Nouveau Centre a aussi mené la bataille de la responsabilité en matière financière, pour que soit inscrit dans la loi fondamentale l’objectif d’équilibre budgétaire en termes de fonctionnement. C’est pour nous une exigence morale vis-à-vis des générations futures.

Pour la première fois, dans la Constitution, est affirmée la nécessité de concilier deux exigences, la pluri-annualité budgétaire et l’objectif d’équilibre des comptes publics. Nous aurions aimé aller plus loin, mais c’est déjà un premier pas, qui ouvre au juge constitutionnel la possibilité d’apprécier les futures lois de finances.

Nous avons également œuvré pour que plus de droits soient donnés aux citoyens : grâce au référendum d’initiative populaire, proposé par mon collègue Lagarde, et grâce à l’exception d’inconstitutionnalité qui vient corriger un retard démocratique, ils se verront davantage impliqués et protégés.

Ce texte traduit aussi le respect des engagements pris à l’égard de nos compatriotes pour ce qui concerne la question de l’élargissement de l’Union européenne : le peuple aura son mot à dire dans la définition des frontières de l’Union.

Nous menons aussi depuis longtemps le combat pour l’impartialité de l’État. Faire en sorte que les nominations décidées par le Président soient encadrées, voilà une avancée réelle, comme l’est aussi le fait que le Conseil supérieur de la magistrature ne soit plus présidé par le chef de l’État.

On ne saurait oublier le renforcement des pouvoirs de contrôle du Parlement et l’évaluation par lui de nos politiques publiques, activité à laquelle il consacrera une semaine sur quatre ; l’encadrement de l’article 49, alinéa 3 ; le contrôle des interventions militaires.

Fidèles aux idées institutionnelles que le centre a toujours portées, les députés de notre groupe Nouveau Centre voteront ce projet parce qu’il contient de vraies avancées en matière d’impartialité de l’État, de pluralisme, de démocratie et de renforcement du rôle du Parlement. Bien sûr, nous aurions aimé aller plus loin, mais rejeter ce projet reviendrait à condamner la Ve République à continuer sur la voie d’une démocratie déséquilibrée. Chacun d’entre nous est donc placé devant sa responsabilité.

À l’issue de ce Congrès, le vainqueur ne sera pas le Président de la République, mais bien la démocratie française ! (Applaudissements sur de nombreux bancs)

M. Michel Mercier (Groupe Union Centriste-UDF – Sénat) – Notre groupe a essayé, tout au long du débat, de faire vivre les idées du centre en matière constitutionnelle.

M. Jean-Pierre Brard – Il en a ?

M. Michel Mercier – Autant que vous ! Nos idées sont simples.

M. Jean-Pierre Brard – On l’avait remarqué ! (Rires sur plusieurs bancs)

M. Michel Mercier – Nous voulons à travers nos institutions avancer vers le gouvernement de la liberté.

De quoi s’agit-il ? De faire en sorte que le Gouvernement puisse gouverner, bien sûr. Mais nous savons aussi que certaines règles du parlementarisme rationalisé ont conduit à brider le Parlement, et que nos institutions ne fonctionnent pas correctement parce que les citoyens n’y ont pas toute leur place. Nous avons donc essayé de défendre l’idée, simple, du pluralisme, selon le sens qu’elle revêt à nos yeux.

L’ambition affichée par le comité Balladur était de susciter « une Ve République plus démocratique », en renforçant les pouvoirs du Parlement et les droits des citoyens. En ce qui concerne les droits des citoyens, pour certains membres de mon groupe et moi-même, l’inscription dans la Constitution de l’exception d’inconstitutionnalité est quelque chose d’essentiel, qui permettra à nos concitoyens de s’appuyer directement sur la règle fondamentale, en arguant de celle-ci devant le juge. Nous sommes le seul pays où cette possibilité n’existe pas. Demain, si le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi, parce qu’on a oublié de le faire ou qu’on a veillé à ce qu’il ne le soit pas, il pourra l’être par renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation. Le citoyen retrouve ses droits !

S’agissant des pouvoirs du Parlement, il me paraît important, par exemple, que l’on puisse discuter du texte issu de la commission : j’y tiens.

Mais ces nouvelles prérogatives ne valent que s’il y a un rééquilibrage des pouvoirs. Il est vrai que l’on développe un exécutif tempéré, avec la limitation des pouvoirs du Président en matière de nomination, le droit de résolution – on aurait pu être plus clair sur cette disposition, mais c’est un premier pas –, la ratification expresse des ordonnances… Cependant, là n’est pas l’essentiel. Comme le dit l’exposé des motifs du projet de loi : « Un Parlement fort est un Parlement plus représentatif. » Au terme de longues discussions, nous avons fait accepter un amendement qui dispose que la loi garantit les expressions du pluralisme.

M. Jean Arthuis – Très bien !

M. Michel Mercier – Nous n’avons jamais demandé, ni ne demanderons jamais, un scrutin proportionnel intégral, qui est le scrutin des causes perdues, comme on l’a vu la dernière fois qu’un tel scrutin a été utilisé. Nous souhaitons un scrutin mixte, qui, tout en permettant au fait majoritaire de s’exprimer, corrige les effets pervers du scrutin majoritaire : c’est la condition d’un Parlement suffisamment représentatif, donc plus fort, et de l’équilibre entre pouvoirs exécutif et législatif.

Cette réforme comporte des garanties, qui demandent à être affirmées et affinées, et un grand nombre des membres de notre groupe ont accepté de la soutenir. Mais après le vote, la révision n’appartiendra plus à ceux qui l’ont décidée, elle appartiendra aux Français, qui la feront vivre et auront, demain, l’occasion de rendre leur République plus démocratique.

D’autres membres du groupe – plus sensibles au contexte qu’au texte – ont décidé de ne pas la voter : c’est leur droit, et nous le respectons. Si ce texte devient la Constitution, nous souhaitons en tout cas qu’il permettre une République plus démocratique (Applaudissements sur de nombreux bancs).

M. Guy Fischer (Groupe communiste, républicain et citoyen – Sénat) – Si vous votez cette révision constitutionnelle, vous vous retrouverez ici-même, dès le premier jour de la session, pour écouter le Président de la République, vous indiquer, sous le feu des caméras, votre feuille de route.

La venue du Président de la République devant le Congrès est symbolique de la dérive de nos institutions depuis l’instauration de la Ve République, et plus particulièrement depuis 1962 et l’élection du Président au suffrage universel. Au motif qu’il fallait mettre un terme à l’instabilité de la IVe, notre République se caractérise par un exécutif hypertrophié. Or, loin d’y porter remède, ce projet de loi aggrave l’hypertrophie présidentielle. Pourtant, cette « nouveauté », le discours au Congrès, vous n’en parlez même plus, alors même que l’article 8 est d’application immédiate, sans passer par une loi organique, ni une modification du Règlement.

Or, ce discours digne d’un monarque, asséné aux parlementaires sans que ceux-ci puissent répondre ni même s’exprimer par un vote, modifie profondément l’équilibre des pouvoirs. Le Président devient Premier ministre, sans toutefois en endosser la responsabilité politique. Il est le chef de la majorité et du parti de la majorité. Son droit de dissolution n’est pas remis en cause, non plus que les pleins pouvoirs de l’article 16.

Ce présidentialisme à la française consacre un exécutif à une tête, doté d’une majorité captive, et une confusion des pouvoirs sans exemple en démocratie. C’en est fini de la fonction d’arbitrage que conférait au Président la Constitution de 1958.

Depuis des mois, vous agitez un leurre. Cette réforme constituerait un renforcement des pouvoirs du Parlement, que les parlementaires seraient bien ingrats de refuser ! Le ministre chargé des relations avec le Parlement a même qualifié les dispositions concernées de « révolutionnaires ».

Or, malgré des sondages manipulés de dernière minute, et une désinformation systématique (Exclamations sur de nombreux bancs), vous avez du mal à convaincre. L’ordre du jour ? En guise de partage, deux semaines par mois pour le Gouvernement, une pour le Parlement – dont une journée pour l’opposition ! Est-ce cela le statut de l’opposition ?

Le travail en commission ? Est-ce le Parlement européen qui vous inspire ? La bureaucratie et le lobbying qui le caractérisent n’en font pourtant pas un modèle ! Mais l’objectif est clair : réduire le débat en séance publique et remettre en cause le droit d’amendement des parlementaires, corseté comme jamais. Il faut parler de mise à mort.

Le projet instaure un véritable 49-3 aux mains de la majorité présidentielle. Le droit de résolution n’apporte aucun pouvoir au Parlement – voyez ce qu’il en est au plan européen ; les débats thématiques non plus : on peut d’ailleurs se demander s’ils ne sont pas un moyen de contourner la responsabilité du Gouvernement. Quant à l’intervention du Parlement sur les nominations présidentielles, elle est rendue inopérante par le seuil des trois cinquièmes.

Le projet ne pallie nullement le déséquilibre structurel des pouvoirs, qu’il aggrave, au contraire. Il tourne même le dos aux évolutions démocratiques largement soutenues par la population : la proportionnelle, la limitation du cumul des mandats, le vote des immigrés aux élections locales, l’initiative citoyenne…

D’évolution démocratique au Sénat, il n’en est pas question. Celui-ci restera aux mains de la droite. Le respect du pluralisme et la représentativité du Parlement ne sont-ils pas constitutifs d’une démocratie irréprochable, pour reprendre les termes de M. Sarkozy ? Loin d’apporter des garanties au pluralisme, ce texte renforce systématiquement le fait majoritaire !

Les tractations de dernière minute, l’intervention du Président par voie de presse en disent long sur vos conceptions d’une démocratie irréprochable et mettent en lumière la vraie nature du projet : l’hyper-présidentialisme. Ces méthodes sont d’autant plus choquantes que les citoyens ont été écartés des débats. Comment justifiez-vous de mener la réforme constitutionnelle « la plus importante depuis 1958 » – selon vous – sans consulter le peuple ?

Notre groupe est convaincu que, même s’il n’est pas parfait, le régime parlementaire est le plus démocratique. Une réforme constitutionnelle doit tendre avant tout à donner plus de pouvoir aux citoyens et à leurs représentants, dans le respect du pluralisme. Nous avons voté contre ce texte en première et deuxième lectures ; nous votons solennellement contre aujourd’hui et vous appelons à faire de même : ce sera rendre un grand service à la République (Applaudissements sur de nombreux bancs).

M. Jean-François Copé (Groupe de l’Union pour un mouvement populaire – Assemblée nationale) – Nous y sommes ! Le moment décisif est arrivé.

M. Jean-Pierre Brard – Nous voilà soulagés !

M. Jean-François Copé – Puisque je parle le dernier, puisque vous avez déjà tout entendu sur ce projet de réforme, j’irai à l’essentiel et tenterai de vous livrer ma part de vérité. Non pas seulement comme président d’un groupe de la majorité, mais comme un parlementaire ; un parmi 906. Je ne m’adresserai pas aux membres de groupes politiques, pas à la majorité ni à l’opposition, mais à des hommes et à des femmes qui détiennent, aujourd’hui, et aujourd’hui seulement, le pouvoir de moderniser notre règle commune dans des proportions inédites.

Du reste, ce n’est pas un hasard si les constituants que nous sommes siègent dans ces travées par ordre alphabétique plutôt que par appartenance partisane. Le sujet qui nous occupe n’est ni de droite, ni du centre, ni de gauche, il ne relève d’aucun calcul partisan. Aujourd’hui, nous venons tous à Versailles pour honorer le même rendez-vous : un rendez-vous de vérité devant les Français.

En relisant ces derniers jours les plates-formes de nos partis politiques respectifs, je constatais certes de nombreuses différences sur le temps de travail, l’immigration ou la fiscalité, mais de nombreux points communs quant à la question institutionnelle.

Certes, nous ne partageons pas toujours la même conception de ce que doit être le meilleur régime pour notre pays. Mais, paradoxalement, par-delà nos différences, des points de convergence majeurs nous réunissent. Tous, nous plaidons pour un meilleur équilibre des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif ; tous, nous plaidons pour une transformation profonde du travail parlementaire, qui est aujourd’hui totalement obsolète.

Voilà pourquoi nous sommes si nombreux – je parle sous le contrôle de M. Warsmann – à avoir demandé le partage de l’ordre du jour entre le Gouvernement et le Parlement ; à nous être battus pour que soit examinée en séance publique la version amendée par la commission et non plus celle du Gouvernement ; à avoir plaidé pour l’exception d’inconstitutionnalité ; à avoir revendiqué un meilleur encadrement du pouvoir de nomination présidentiel.

Or, le projet de loi prend en considération toutes ces avancées. Considérons-le tel qu’il est, sincèrement, indépendamment du microcosme politique dans lequel nous nous trouvons toute l’année ; honnêtement, en renonçant aux œillères partisanes. Considérons-le comme nous avons considéré, en 2001, la LOLF, constitution budgétaire, proposée par la gauche et qu’à droite nous avons majoritairement votée au nom du seul intérêt supérieur de notre pays ! (Applaudissements sur de nombreux bancs) Reconnaissons que ce projet de loi correspond, point par point, à une série d’engagements que nous avons pris, à droite comme à gauche, lors de la dernière élection présidentielle.

Une fois n’est pas coutume, commençons par la gauche. Depuis un an, lorsqu’on évoque les institutions de notre pays, un mot revient sans cesse à gauche dans tous les colloques, dans toutes les tribunes, sur toutes les radios, tous les sites Internet : celui de l’« hyperprésidentialisation ».

Que les choses soient claires : à mes yeux, la volonté du Président de la République de s’engager résolument sur tous les grands chantiers ne pose aucun problème, bien au contraire : c’est ce que demandent les Français.

Ce qui fait difficulté lorsqu’on parle d’« hyperprésidentialisation », ce n’est pas le Président de la République, mais la place mineure faite au Parlement, surtout depuis l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral.

Nous étions majoritairement favorables à ces deux décisions, mais nous n’avons pas fini le travail ! Nous n’avons pas tiré toutes les conclusions des changements engagés ; voilà ce qui risque de déséquilibrer notre démocratie.

Garant de nos institutions, le Président de la République propose justement de remédier à ce problème, au lieu de se contenter de la situation actuelle qui, après tout, lui profite plutôt.

Après avoir travaillé d’arrache-pied des mois durant, nous aboutissons à un texte qui, s’il n’est pas parfait – comment pourrait-il l’être ? – réunit les conditions d’un consensus républicain.

Quoi qu’on en dise, les préoccupations de la majorité et de l’opposition ont été largement prises en considération, et c’est à l’honneur de notre démocratie.

À l’UMP comme au centre, nous avons particulièrement insisté sur la nécessité de renforcer le contrôle et l’évaluation du Gouvernement par le Parlement et de rester fidèles à nos engagements sur la question du référendum pour les adhésions à l’Union européenne.

Quant au parti socialiste, plus de vingt de ses propositions, qui plus est substantielles, figurent dans le texte proposé à notre vote. Ainsi de l’institution d’un référendum d’initiative populaire, issue d’un amendement d’Arnaud Montebourg. À ce propos, je tiens à rendre hommage à M. Montebourg pour son joli discours (Exclamations sur plusieurs bancs) : il faut être talentueux pour aller aussi loin dans la caricature (Applaudissements sur de nombreux bancs). Le Président de la République vient en outre de vous donner de nouvelles garanties en matière de temps de parole dans les médias, de réforme de la carte électorale ou de droit d’amendement ! (Exclamations sur de nombreux bancs).

Et pourtant, à gauche, on cherche encore des raisons de dire non ! On dit qu’il est « trop tard » ; alors que le vote n’a pas encore eu lieu. On dit que cette réforme n’intéresserait pas les Français. Mais soyons lucides : c’est le Parlement qui ne les intéresse pas. Nos concitoyens, qui connaissent la politique et le fonctionnement de nos institutions, savent que c’est le Président de la République qui détient les clés du changement ! Ils savent qu’au Parlement l’essentiel est rarement en jeu. Voilà pourquoi ils en viennent à considérer l'Assemblée nationale et le Sénat comme deux théâtres où depuis cinquante ans, dans les mêmes décors, majorité et opposition jouent la même pièce, se contentant d’en échanger parfois les rôles.

Or, cette pièce commence à lasser acteurs et spectateurs car la mise en scène a vieilli ! (Vifs applaudissements sur de nombreux bancs) Si les textes changent un peu, en définitive, c’est la même histoire : la majorité vote oui, l’opposition vote non ! Les rebondissements sont rares ; quelques coups de théâtre artificiels, quelques couacs inattendus permettent de se désennuyer pendant quarante-huit heures. Mais lorsque les lumières se rallument, on voit bien que la salle et la scène sont désertées… Voilà pourquoi les Français, comme le montre un sondage paru hier – et que l’on feint d’oublier à gauche – approuvent massivement cette réforme constitutionnelle, et ils ne comprendraient pas que la gauche la refuse !

Depuis un an, les députés UMP ont commencé de renouveler le genre, grâce à la « coproduction législative ». Il s’agit d’une avancée immense et fructueuse dont nous ne pouvons cependant nous contenter.

Seule la réforme soumise aujourd’hui à notre vote permettra aux parlementaires de la majorité et de l’opposition de revenir au cœur du jeu institutionnel. Certes, la majorité sera, plus que l’opposition, en première ligne, mais nul n’ignore que l’alternance viendra.

À en croire M. Hollande, la réforme sera votée de toute façon sans le vote des socialistes. Mais chacun doit prendre sa part de l’effort de modernisation de nos institutions. En outre, quand on aspire à conduire le pays, comment se prononcer sur une telle réforme uniquement par calcul arithmétique ? J’ai conscience qu’à gauche, la situation est délicate pour ceux qui constatent les avancées de la réforme et aimeraient peut-être voter oui – je pense aux fameux 17 –, mais ne veulent pas donner l’impression qu’ils offrent une victoire à la majorité : Versailles et Reims sont deux villes sacrées…

Pourtant, tout le monde sortirait gagnant d’une telle réforme. Personne n’a jamais pensé que la LOLF constituait une victoire de la gauche contre la droite ; il s’agit d’un succès républicain, qui perdure et dont nous pouvons être fiers et reconnaissants à Didier Migaud comme à Alain Lambert ! (Applaudissements sur de nombreux bancs)

Enfin, je veux m’adresser à ceux de mes amis parlementaires qui, à droite ou au centre, hésitent à voter oui ou s’apprêtent à voter non. Au nom de tout ce qui nous unit depuis un an, je vous le dis en conscience et avec gravité : j’ai besoin de vous. Du bulletin que vous glisserez tout à l’heure dans l’urne dépendra…

M. Jean-Pierre Brard – Ton avenir !

M. Jean-François Copé – …ce que sera le Parlement au cours des années, voire des décennies futures, puisque la gauche se prépare hélas à dire non.

De votre bulletin dépendra notre capacité à participer pleinement aux grandes réformes à venir. L’enjeu est considérable : il y va d’une transformation profonde du mandat de parlementaire ! Depuis des décennies, les réformes sont préparées et décidées dans les ministères qui les appliquent. Les parlementaires, quant à eux, se sentent trop souvent peu entendus, voire incompris et marginalisés.

Or, avec la modernisation de nos institutions, ceux qui sont en prise directe avec les Français, en permanence à leur écoute sur le terrain, seront associés d’emblée à la préparation des réformes. Aucune loi ne pourra plus être mise à l’ordre du jour et votée sans une véritable coproduction, en amont, entre le Gouvernement et le Parlement, et, en aval, sans de véritables études d’impact. Aucune politique publique ne sera plus à l’abri d’un contrôle rigoureux et transparent.

Pour conclure, avant de voter, posons-nous une question, une seule, la dernière et sachant que la victoire du non maintiendrait le statu quo, que chacun se demande en conscience s’il préfère le statu quo aux indéniables avancées proposées ici.

J’ai l’intime conviction que cette réforme nous permettra de mieux remplir notre mission au service des Français. Désormais, tout dépend de nous. L’histoire ne repassera pas les plats. Chacun d’entre nous est face à ses responsabilités et à son destin. C’est maintenant ou jamais ! (De nombreux parlementaires se lèvent et applaudissent)

M. le Président – Nous en avons terminé avec les explications de vote. Je vais maintenant mettre aux voix le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République.

Le scrutin est ouvert.

La séance, suspendue à 17 heures 30, est reprise à 18 heures 15.

M. Bernard Accoyer, président du Congrès – Le scrutin est clos. Je rappelle que le Bureau du Congrès a décidé que le résultat du vote serait vérifié par comptage manuel, sous le contrôle des secrétaires du Congrès.

La séance, suspendue à 18 heures 16, est reprise à 18 heures 30.

M. le président – Voici le résultat du scrutin sur le projet de loi constitutionnelle :

Nombre de votants : 905

Suffrages exprimés : 896

Majorité requise pour l’adoption du projet de loi constitutionnelle (trois cinquièmes des suffrages exprimés) : 538

Pour l’adoption : 539

Contre : 357

Le Congrès a adopté le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République (Applaudissements prolongés sur de nombreux bancs ; protestations sur divers bancs). Il a été approuvé à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le texte sera transmis au Président de la République.

La séance est levée à 18 heures 35.

Le Directeur du service
du compte rendu analytique,

Michel KERAUTRET

© Assemblée nationale