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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du mercredi 3 octobre 2007

1ère séance
Séance de 9 heures 30
3ème séance de la session
Présidence de M. Bernard Accoyer

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La séance est ouverte à neuf heures trente.

DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT SUIVIE D’UN DÉBAT
SUR LES RÉGIMES SPÉCIAUX DE RETRAITES

L’ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement sur les régimes spéciaux de retraites et le débat sur cette déclaration.

M. le Président – M. Jean-Claude Sandrier me demande la parole pour un rappel au règlement ; je la lui donne, mais uniquement par souci d’ouverture – c’est de circonstance (rires sur les bancs du groupe UMP) – et d’apaisement, afin que nos débats se déroulent dans les meilleures conditions possibles.

M. Jean-Claude Sandrier – Vous dites me donner la parole par courtoisie ; pourtant, le rappel au règlement est de droit.

M. le Président – Non, pas avant que le Gouvernement ne s’exprime. Je le fais donc à titre dérogatoire et exceptionnel.

M. Jean-Claude Sandrier – Je vous remercie. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 58, alinéa 1. Voilà cinq jours seulement que les députés ont été avertis de la modification de l’ordre du jour relative à la déclaration du Gouvernement sur les régimes de retraites. Quelle précipitation, s’agissant d’un débat sans vote qui se soldera par la simple signature d’un décret ! Comment le Gouvernement peut-il se comporter de la sorte envers les élus du peuple alors même qu’il prétend, avec le Président de la République, vouloir revaloriser le Parlement ? Cette hâte et cet acharnement à stigmatiser, sous prétexte d’égalité, quelques corporations gênantes pour mieux s’en prendre demain aux retraites de tous les Français n’est pas pour nous surprendre.

M. Patrick Ollier – Cela n’a rien à voir avec un rappel au règlement.

M. Jean-Claude Sandrier – Si, car le bon déroulement de la séance est en jeu. En cherchant à diviser ainsi les Français, vous espérez masquer le fait que la France est capable de nouvelles avancées sociales, notamment en matière de retraites, ce qui impose une redistribution des richesses. Cette justice, cette égalité, vous n’en voulez pas ! D’où ce simulacre de débat, sans vote – tel est l’objet de mon rappel au règlement –, dans la précipitation. Je proteste au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine contre une attitude qui frise le mépris envers la représentation nationale (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité – La question des retraites nous concerne tous. Les Français sont très attachés à leur système de retraite. C'est pour en assurer la pérennité que nous devons, comme l'ensemble des pays qui nous entourent, le moderniser régulièrement.

Voilà pourquoi la réforme des retraites procède par étapes : après 1993 et 2003, un nouveau rendez-vous est pris pour 2008, comme nous l’avions annoncé en 2003. Mais, si la réforme comporte plusieurs étapes, c'est aussi qu'il n'existe pas en France une, mais des retraites.

Les régimes spéciaux reflètent la construction de la couverture du risque vieillesse en France au cours des siècles.

M. Patrick Roy – Parlez-nous des régimes spéciaux des patrons !

M. le Ministre - Le plus ancien est le régime des marins, créé par Colbert en 1670 et suivi, en 1698, par celui de l'Opéra de Paris. Quant au régime de la SNCF, il est issu des différents régimes particuliers institués au XIXe siècle dans les compagnies de chemin de fer privées et unifiés au début du siècle dernier. C’est en 1909 qu’en ont été définies les caractéristiques fondamentales, dont l’âge d’ouverture des droits à la retraite – 50 ou 55 ans.

Le meilleur moyen de relever les défis futurs n’est assurément pas l’immobilisme ni le maintien du statu quo. Nous devons au contraire envisager l’avenir avec lucidité et faire preuve de responsabilité, c’est-à-dire faire évoluer les régimes spéciaux sans remettre en cause ni leur identité ni le statut des agents concernés.

M. Alain Néri – Parlez-nous donc des stock-options dont bénéficient les patrons !

M. le Ministre – Le Gouvernement a donc choisi de procéder sans idéologie aucune (protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Patrick Roy – Et les stock-options ?

M. le Ministre – Il ne s’agit ni de stigmatiser quiconque ni d’assurer la victoire des uns sur les autres : cela n'intéresse pas les Français, cela ne m'intéresse pas non plus (protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Alain Néri – Vous divisez pour régner !

M. le Ministre - Le Gouvernement et le Président de la République ne recherchent que la justice et la pérennité du système de retraites dans son ensemble.

Car les régimes spéciaux sont confrontés aux mêmes enjeux démographiques et financiers qui ont rendu nécessaires les ajustements des paramètres des retraites des salariés du secteur privé, des indépendants, des agriculteurs ou, plus récemment, des fonctionnaires, selon les lois du 22 juillet 1993 relative aux pensions de retraite et à la sauvegarde de la protection sociale puis du 21 août 2003 portant réforme des retraites. Le fait que ces lois ne s’appliquent pas aux régimes spéciaux en accentue la singularité et suscite bien des interrogations.

Avant le rendez-vous de 2008, il nous faut donc veiller à mettre tous les Français sur un pied d'égalité.

M. Patrick Roy – Et les patrons ?

M. le Ministre – C’est d’abord la durée de cotisations qui est en jeu. En effet, le financement de notre régime de retraite par répartition est déséquilibré en raison à la fois du vieillissement et de l'allongement de l'espérance de vie. Cette évolution, qui est une très bonne nouvelle pour les Français, constitue aussi un formidable défi collectif que nous devons relever si, comme nous y sommes déterminés, nous voulons sauvegarder notre système par répartition. Or, pour cela, il n'existe que trois solutions : soit réduire les pensions de retraite, ce que refusent les Français ; soit augmenter les cotisations, ce qui pénaliserait leur pouvoir d'achat ; soit enfin allonger la durée de cotisations.

C'est cette dernière solution que, comme l'ensemble des pays européens, nous avons retenue, car c'est la réponse la plus cohérente à l'allongement de l'espérance de vie : si nous vivons plus longtemps, nous devons aussi travailler plus longtemps pour garantir nos pensions.

S'agissant des régimes spéciaux, le déséquilibre financier est encore accentué par les évolutions démographiques qui leur sont propres : ils rassemblent aujourd'hui plus de 1 100 000 retraités pour environ 500 000 cotisants, ce qui entraîne cette année plus de 5 milliards d'euros de subventions d'équilibre inscrites au budget de l'État. Le principe de ces subventions me semble tout à fait justifié, comme est légitime la compensation démographique entre les différents régimes de retraite. C'est là tout simplement l'expression de la solidarité nationale, qu’il n'est pas question de remettre en cause.

Mais prenons garde : je ne veux faire croire à personne que la réforme des régimes spéciaux apportera une solution globale à nos régimes de retraite dans leur ensemble. Les enjeux ne sont pas les mêmes.

M. Alain Néri – Ce n’est pas faux !

M. le Ministre – Je vous remercie de votre franchise.

N'est-il donc pas tout aussi légitime que les salariés des régimes spéciaux travaillent davantage pour bénéficier d'une retraite à taux plein ? La solidarité sera d'autant mieux acceptée par nos concitoyens que les principales règles seront les mêmes pour tous.

Cette décision d’harmoniser la durée de cotisations n’est pas une nouveauté : il s’agit d’un engagement fort que le Président de la République a pris devant les Français au cours de la campagne pour l’élection présidentielle. Du reste, la nécessité de faire évoluer les règles des régimes spéciaux semble faire aujourd'hui l'objet d'un consensus large qui dépasse les clivages traditionnels.

Les conclusions des rapports les plus récents concordent, qu’il s’agisse de celui sur la sécurité sociale publié en septembre 2006 par la Cour des comptes qui se livre à une analyse approfondie des régimes de trois entreprises publiques : la RATP, la SNCF et les industries électriques et gazières, ou de celui du Conseil d'orientation des retraites – COR –, qui s’exprimait ainsi dès mars 2006 : « dans une perspective d'équité entre les cotisants, il est difficile de ne pas imaginer que la nouvelle étape de la hausse de la durée d'assurance prévue en 2008 ne s'accompagne pas de questions sur l’évolution des régimes spéciaux des entreprises publiques, dont la réglementation n'a jusqu'ici pas évolué ». Dans un rapport publié en janvier 2007, le Conseil souligne également que, si l'approche concernant les régimes spéciaux ne saurait être que différenciée étant donné leur diversité, des orientations générales conformes au principe d'équité peuvent être envisagées, au premier rang desquelles l'allongement des durées d'assurance en fonction des gains d'espérance de vie, mais aussi les logiques d'indexation des pensions. Or, vous connaissez tous la qualité des travaux du COR, qui font autorité, ainsi que la richesse et la diversité de sa composition, qui inclut des députés de différents courants politiques.

D’autre part, selon les chiffres publiés par le COR, l'espérance de vie des agents concernés par les régimes spéciaux se situe au même niveau que celle de l'ensemble des Français – à l'exception des marins et des mineurs, dont les régimes de retraite ne seront donc pas réformés, en raison de la pénibilité indiscutable de leur métier et d’une espérance de vie plus faible que celle des autres salariés.

M. Alain Néri – Il faut avoir une conception plus large de la pénibilité, Monsieur le ministre !

M. le Ministre - Les règles actuelles des régimes spéciaux remontent à 1946 pour les gaziers et les électriciens, à 1948 pour la RATP, et à 1966 pour la SNCF – c'est-à-dire à une période où l'espérance de vie des salariés de ces régimes était très inférieure à ce qu'elle est aujourd'hui.

Notre objectif est d'harmoniser les règles des régimes spéciaux et celles de la fonction publique. En effet, depuis la réforme de 2003, les principaux paramètres – à commencer par la durée de cotisations et le mode d'indexation des pensions – sont communs au régime général et à la fonction publique et amenés à évoluer de manière identique à l'avenir.

Mais le choix de faire converger les régimes spéciaux vers les règles de la fonction publique s'explique plus profondément par les exigences de service public auxquelles sont soumis les agents des entreprises concernées. Il n'est pas question de nier les contraintes particulières inhérentes à la mission de service public, ni la pénibilité de certains métiers.

Comme l'a indiqué le Président de la République, tous les sujets, sans tabou aucun, sont sur la table. Nous souhaitons aligner la durée de cotisation sur celle de la fonction publique, soit actuellement quarante années, instituer un système de décote et de surcote pour inciter les personnes concernées à prolonger leur activité, et indexer les pensions sur les prix, car sauvegarder notre régime de retraite, c'est aussi garantir le pouvoir d'achat des retraités et des futurs retraités.

Nous devons aussi mettre fin aux pratiques couperet de certaines entreprises qui mettent automatiquement leurs salariés à la retraite dès qu'ils remplissent les conditions pour bénéficier d'une pension, d'autant plus que nous préparons de nouvelles dispositions favorisant l'emploi des seniors. Les syndicats de salariés le souhaitent vivement ; de fait, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, le Gouvernement vous proposera des mesures tendant à empêcher les mises à la retraite d'office.

Nous devons permettre aux agents qui le souhaitent de poursuivre leur activité. Il y va de l’intérêt des salariés. Je connais par exemple dans le Saint-Quentinois – Mme Pascale Gruny pourra en témoigner – un agent de conduite de la SNCF âgé de 48 ans qui sera bientôt forcé de s'arrêter de travailler, alors qu'il préférerait continuer de le faire pour financer les études de ses enfants, qui entrent à l’université.

Plusieurs députés UMP - Mais bien sûr !

M. Alain Néri – Hors sujet !

M. le Ministre – Demandez donc aux syndicats de salariés si c’est hors sujet !

M. Roland Muzeau – Cela n’a rien à voir !

M. le Ministre – Cela fera plaisir aux salariés concernés, Monsieur Muzeau !

La concertation en cours porte aussi sur les clauses qui empêchent les salariés de ces entreprises de bénéficier du régime spécial, par exemple le fait de n’avoir pas atteint l’ancienneté minimale, qui est en général de quinze ans. Dans un contexte de mobilité des salariés, ces durées peuvent poser de vraies difficultés aux agents concernés.

Nous discutons également des mesures de bonification, qui sont souvent très différentes d’un régime à l’autre, voire même d’un salarié à l’autre. En outre, la pénibilité du travail a évolué ; toutefois ce n’est pas forcément par le biais des retraites que celle-ci doit être prise en considération, mais davantage au niveau de la prévention, des conditions de travail, de la rémunération, de la gestion des parcours professionnels. En toute hypothèse, les droits acquis, c’est quelque chose qui compte !

La réforme de 2003 a créé un dispositif de retraite additionnelle pour les fonctionnaires. Ne faudrait-il pas définir des mécanismes similaires pour les régimes spéciaux ? Tous les autres volets de la réforme de 2003 ont vocation à être discutés, sans tabou.

En ce qui concerne le rythme de la convergence avec la fonction publique, j’ai dit aux salariés des régimes spéciaux que cette réforme ne se ferait pas brutalement, qu’il ne s’agirait pas d’une réforme-couperet. Nous n’harmoniserons pas les durées de cotisations du jour au lendemain ; nous ne l’avons fait ni en 1993, ni en 2003 ; nous ne le ferons pas davantage pour les régimes spéciaux. C’est une question de respect des salariés. Vous ne pouvez pas dire à quelqu’un qui est à deux mois de la retraite qu’il lui faut cotiser deux ans et demi de plus.

Pour mener cette réforme nécessaire, nous avons fait le choix du pragmatisme et de la concertation. La meilleure façon de la mener à bien est de la mener avec les partenaires sociaux. Depuis quinze jours, je conduis une première série de concertations, qui doit dresser un état des lieux. J’ai réuni toutes les organisations syndicales représentées dans les branches et les entreprises concernées, ainsi que les directions de ces entreprises. Tous ont pu constater que la réforme n’était pas bouclée. Je leur ai demandé de me communiquer leurs propositions, et des réunions techniques continuent d’être organisées. D’autres organisations me transmettront des propositions par écrit.

Ce sens de l’ouverture et du dialogue, je veux aussi l’exprimer vis-à-vis du Parlement. J’ai souhaité, après avoir reçu les représentants des groupes et des commissions concernées, m’exprimer devant vous aujourd’hui, pour rendre compte de notre action à la représentation nationale, et montrer que le Gouvernement entend avancer dans la transparence.

Si notre débat ne donne pas lieu à un vote, c’est que les paramètres des régimes spéciaux relèvent du domaine réglementaire. Nul besoin, donc, de polémiquer en prétendant que recourir au décret serait passer en force ; la loi n’est pas la seule garantie de la concertation, et on a déjà vu des lois faire fi de tout dialogue (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine). A contrario, il est tout à fait possible d’avancer par la voie réglementaire, après avoir écouté les uns et les autres (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Alain Néri – Et pourquoi pas des ordonnances ?

M. François Brottes – Monsieur le Président, c’est une atteinte au Parlement !

M. le Ministre – Nous devons avoir un débat de fond. J’attends de connaître vos positions et vos propositions ; j’attends que vous me disiez quelle doit être, selon vous, la durée de la convergence, le bon rythme de montée en charge du système de décote…

M. François Brottes – Le forceps !

M. le Ministre – …, que vous me disiez s’il faut mettre un terme aux mises à la retraite d’office et, si oui, à quel rythme.

Dans le courant du mois, j’organiserai un second tour de discussions avec les mêmes acteurs, à qui je présenterai un document d’orientation précisant ce qui relève de la responsabilité gouvernementale – les principes généraux d’harmonisation – et ce qui relève de la négociation dans les entreprises.

Les principes communs qui seront dégagés seront appliqués entreprise par entreprise, pour tenir compte de la spécificité de chaque régime, et des négociations s’ouvriront sans délai sur certains sujets, au sein des branches ou des entreprises. La réforme devra être prête d’ici à la fin de l’année, ce qui nous laisse trois mois pour poursuivre la concertation et expliquer aux agents le contenu de la réforme.

J’ai entendu, hier au Sénat et tout à l’heure ici, des remarques de forme, mais les Français attendent de connaître les positions des uns et des autres sur le fond. La réforme des régimes spéciaux est nécessaire. Nous pouvons nous retrouver sur l’essentiel : sur l’idée de la justice et la nécessité de garantir l’avenir des retraites des salariés concernés. Il ne s’agit pas d’un débat entre la droite et la gauche ; j’ai au contraire le sentiment que chacun peut aborder la discussion avec un regard serein, que le dialogue dans cet hémicycle peut être de même nature que le dialogue social : franc et constructif. Nous pouvons donner la preuve que la société française de 2007 est tout sauf une société bloquée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe Nouveau centre).

M. Denis Jacquat – C'est la première fois en vingt ans qu’il est débattu en séance publique des régimes spéciaux de retraite dans leur globalité. Certes, il n'appartient pas au Parlement de fixer les paramètres économiques et financiers d'un régime de sécurité sociale. Seuls l'existence, l'objet des prestations et le mode de gouvernance des régimes d'assurance vieillesse obligatoires relèvent de la loi, en application de l'article 34 de la Constitution.

Cependant, ce débat permet de confirmer que le Gouvernement peut modifier les paramètres des régimes spéciaux par décret. Certains régimes spéciaux, ceux des artistes de l'Opéra de Paris, de la Comédie-Française, ou des membres du Conseil économique et social, sont même entièrement régis par un décret. Dans le cas du CES, seule l'existence de la caisse figure dans une loi. Et c'est d'ailleurs grâce à ce statut purement réglementaire que le Gouvernement a pu réformer le régime de retraite des agents de la Banque de France, par le décret du 27 février 2007. En outre, si certains paramètres figurent dans la loi, le Gouvernement a toute latitude pour les en retirer après avis du Conseil d'État – pour les lois antérieures à la Cinquième République – ou du Conseil constitutionnel.

Les régimes spéciaux sont une spécificité française. En Allemagne, il n'en existe qu'un, celui des mineurs, qui disparaîtra en 2014. La France a multiplié non seulement les régimes spéciaux, mais également les régimes de base, dans le privé comme dans le public, alors qu'à la Libération, les députés avaient été élus pour mettre en place la sécurité sociale généralisée ! Pour instaurer le droit à l'information des assurés sur leur retraite, il a ainsi fallu coordonner 36 régimes, tous les régimes spéciaux n’étant de surcroît pas compris dans cette coordination. Je ne suis pas un partisan de l'uniformité, mais certains régimes couvrent quelques centaines d'assurés, et ont plus de retraités que d'actifs !

La loi du 9 juin 1853 a unifié le régime des fonctionnaires et institué la répartition. Sous l'impulsion de l'État, ce modèle a été décliné dans de nombreuses entreprises et établissements, par la création de caisses privées, permettant d'attirer et de conserver de la main-d'œuvre. C’est ainsi que sont apparus la plupart des régimes spéciaux : transport parisien, mines, chemins de fer, industries électriques et gazières…

Depuis, si le régime des fonctionnaires a évolué, la plupart des régimes spéciaux sont restés figés. Certains paramètres ont ainsi leur origine dans la loi du 9 juin 1853. La SNCF, par exemple, a conservé les âges de départ en retraite prévus par cette loi – 55 et 50 ans –, définis à une époque où l'espérance de vie à la naissance était de 39 ans ! De même, la règle des 37 ans et demi remonte à la loi du 20 septembre 1948 réformant la retraite des fonctionnaires. Certaines règles relatives à la bonification pour enfants, à la retraite anticipée pour les mères de trois enfants, à la majoration de pension et à la réversion sont, quant à elles, issues d’une loi de 1924.

Le caractère figé des régimes spéciaux n'est aujourd’hui, au nom de l’équité, plus acceptable. Dans son rapport de mars 2006, le Conseil d'orientation des retraites a souligné la nécessité de faire évoluer la réglementation des régimes spéciaux, notamment pour accompagner l’allongement de la durée d'assurance voté en 2003.

L'équité exige, en effet, que lorsque l'on réforme la fonction publique et le secteur privé, les régimes spéciaux ne soient pas tenus à l'écart. Les efforts doivent être partagés également par les Français. Aujourd'hui, le Gouvernement ne fait qu’appliquer ce simple principe d'équité.

D’aucuns prétendent que la réforme est précipitée.

M. Patrick Roy – Bien sûr !

M. Denis Jacquat – Au contraire : le Président de la République s’y est clairement engagé au cours de la campagne.

La concertation est indispensable. Elle a déjà porté ses fruits à la chambre de commerce et d’industrie, dont les agents ont intégré le régime général en 2006, et à la Banque de France cette année.

M. Patrick Roy – Une concertation au pas de charge !

M. Denis Jacquat – L’équité, c’est aussi le bon emploi des fonds publics. En 2020, presque tous les régimes spéciaux auront plus de pensionnés que de cotisants. C’est d’ailleurs déjà le cas de la SNCF, des clercs de notaire, des marins ou encore des mineurs. Or, sur sept euros de pension versés aux anciens fonctionnaires de l’État, six proviennent du budget de l’État. L’euro restant est financé par la cotisation, dont le taux n’a augmenté que de 1,85 % en quatre-vingts ans ! Je précise que cette répartition vaut pour les députés.

Pour autant, la prudence est de mise : évitons les comparaisons hasardeuses. Le régime de référence est celui des fonctionnaires de l’État, mais chaque régime doit être traité séparément, même si les règles communes doivent s’appliquer à tous.

Le Conseil d’orientation des retraites a proposé quatre pistes judicieuses : l’allongement à quarante années des durées d’activité et d’assurance, pour bénéficier d’une pension au taux maximal – c’est déjà le cas pour les fonctionnaires, pour les députés ou le personnel de la Banque de France –, ainsi que le réexamen des départs en retraite avant soixante ans ; la prise en compte de la politique de l’emploi dans chaque entreprise et de la pénibilité du travail ; l’harmonisation des avantages familiaux ; enfin, l’indexation des pensions sur les prix. À titre personnel, je propose aussi la création d’un mécanisme de décote et de surcote pour inciter ceux qui le souhaitent à travailler plus longtemps.

La notion évolutive de pénibilité n’est pas propre aux régimes spéciaux – dont certains, étrangement, conservent encore des règles dérogatoires figées depuis un demi-siècle. C’est une combinaison complexe de facteurs qu’il faut apprécier avec prudence. La compensation doit dépasser le simple cadre de l’adaptation des règles d’assurance vieillesse pour inclure l’amélioration des conditions de travail ou l’adaptation de la rémunération et du rythme de travail. Songez que les marins prolongent souvent leur activité au-delà de cinquante ans, alors que les agents de la SNCF, dont la pension est nettement supérieure, utilisent leurs avantages au maximum. Au nom de l’équité, les critères qui permettent de définir la pénibilité doivent être nationaux et interprofessionnels avant de se décliner dans chaque entreprise. En la matière, c’est au Gouvernement d’agir : les résultats font défaut, malgré la succession de réunions entre partenaires sociaux. Il y va de la clarté du débat qui s’annonce à l’occasion de la prochaine loi sur les retraites. Le consensus est possible : trouvons-le vite ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Marisol Touraine – Les Français s’inquiètent de la remise en cause de notre pacte social. Les actifs craignent de ne pas percevoir une retraite décente et le pouvoir d’achat des retraités diminue.

M. Patrick Roy – Oui, mais le ministre préfère ne pas en parler…

Mme Marisol Touraine – C’est dire combien le rendez-vous de 2008 sera décisif. Dès lors, pourquoi cette consultation factice et précipitée ? Personne n’envisageait le statu quo. Le débat d’aujourd’hui n’est-il pas un simple affichage politique ? Le Premier ministre a lui-même reconnu qu’un signe de l’Élysée suffirait pour qu’on publie le décret d’adaptation des régimes spéciaux. Notre discussion est d’autant plus frustrante qu’elle ne donnera lieu à aucun vote. Sans doute s’agit-il de donner des gages à votre majorité,…

M. Marc Dolez – Et au Medef !

Mme Marisol Touraine – …inquiète de la dégradation des comptes sociaux, de votre irréalisme budgétaire et de votre acharnement à baisser les impôts des plus riches. L’évolution des régimes spéciaux est indispensable, mais rien ne justifie de les dissocier ainsi de la négociation qui aura lieu en 2008. Comment prétendre que leur réforme est un préalable nécessaire à l’équilibre général des retraites alors qu’elle ne concerne que 500 000 salariés et un million de retraités, soit 6 % à peine des pensions ! Quant à en faire, comme l’a dit le Président de la République le 18 septembre, un préalable à la nécessaire revalorisation des petites pensions, c’est une supercherie quand on sait que des centaines de milliers de Français ne touchent que quelques centaines d’euros pour solde de toute une vie de travail !

M. Roland Muzeau – Le nez du Président s’allonge, comme celui de Pinocchio !

Mme Marisol Touraine – D’autres régimes déficitaires, des exploitants agricoles aux artisans, s’appuient sur la solidarité nationale.

Vous souhaitez harmoniser les régimes avant 2008. Faut-il comprendre que cette réforme n’est que la première d’une série ? Vous parlez d’équité – le Président de la République qualifie même les régimes spéciaux d’indignes. L’équité, à laquelle personne ne s’oppose, est pourtant loin d’être le socle de votre réforme !

M. le Ministre – Que proposez-vous ?

Mme Marisol Touraine – Ainsi, le Premier ministre a annoncé la révision des « carrières longues » permettant aux salariés ayant commencé à travailler jeunes de cesser leur activité avant soixante ans. Où est l’équité dans une simple réforme technique qui ne distingue même pas entre ouvriers et dirigeants très protégés ? Ce qui vaut pour les uns doit valoir pour les autres. Les dividendes des stock-options, qui rapportent en moyenne trente mille euros à leurs bénéficiaires, sont exonérés de cotisations. Le premier président de la Cour des comptes l’a dit : les niches fiscales qui encadrent ces jackpots font perdre plus de huit milliards à la Sécurité sociale ! L’équité commanderait de les supprimer, mais vous préférez distribuer des milliards d’avantages fiscaux à certains, en promettant aux autres des retraites revues à la baisse ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

Une évolution des régimes de retraite est nécessaire…

M. Daniel Mach – Régimes spéciaux pour tout le monde !

Mme Marisol Touraine – …si l’on veut assurer leur financement et maintenir la confiance des Français dans la solidarité. Mais certains principes doivent être respectés.

M. Dominique Dord – Aucune proposition !

Mme Marisol Touraine – Je n’aurai pas l’outrecuidance de faire des propositions précises pour les régimes spéciaux (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP) alors que je considère que c’est aux partenaires sociaux de le faire ! Mais les principes auxquels nous tenons, eux, sont précis.

Le premier, c'est qu’une réforme ne peut réussir sans une négociation au cas par cas, entreprise par entreprise, secteur par secteur. Mais quelle place laissez-vous au dialogue en annonçant que tout est prêt, qu'il ne vous reste plus qu’une signature à apposer au bas d’un décret !

M. Daniel Mach – C’est faux !

Mme Marisol Touraine – Chaque régime est différent. Vouloir gommer ces différences, c'est mépriser les salariés. Vous ne parlez que des conducteurs de la RATP ou de la SNCF, mais qu’en est-il des femmes clercs de notaire, qui gagnent 30 % de moins que les hommes mais qui partent à la retraite plus tôt ?

Plusieurs députés UMP – Vous vous trompez de loi !

Mme Marisol Touraine – On ne peut leur imposer de partir plus tard sans revoir leur niveau de salaire. Les deux questions sont liées. Et lorsque vous parlez des agents de la SNCF comme de privilégiés, dites aussi que la retraite des cheminots est de 62 % de leur salaire brut seulement, sans aucun avantage familial, et que, compte tenu d’une entrée tardive dans la vie active – ce qui n’était pas le cas en 1945 – ils ne peuvent pas bénéficier d’une retraite à taux plein.

M. Dominique Dord – Donc ? On ne touche pas aux régimes spéciaux ?

Mme Marisol Touraine – La Banque de France, elle, s’est attachée à apaiser les inquiétudes de ses agents. Elle a donc pu réformer leur régime de retraite et l'aligner sur celui de la fonction publique.

Il est injuste – car il s'agit de justice sociale, et pas seulement d'équité – de ne considérer un statut que sous l'angle de la retraite. Tout doit être mis sur la table : carrières, salaires, égalité entre hommes et femmes…

Plusieurs députés UMP – C’est ce que nous voulons !

Mme Marisol Touraine – Il est essentiel aussi, mais vous semblez l’accepter, de ménager une longue période de transition avec le nouveau régime.

Le deuxième principe, c'est de garantir le taux de remplacement des pensions. On ne peut verser des larmes de crocodile sur les titulaires de petites retraites tout en rognant leur pouvoir d'achat. La réforme de 2003 a décidé un allongement de la durée de cotisations. Il est vrai que les Français vivent plus longtemps : on peut donc comprendre, même si une autre position est possible aussi, qu'une partie de ce temps soit consacré à travailler… (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

M. Dominique Dord – C’est une révolution culturelle, pour vous !

Mme Marisol Touraine – … mais à condition que le niveau des pensions soit maintenu ! Sinon, c’est une supercherie. Or, depuis 2003, le taux de remplacement et le pouvoir d'achat des retraités ont baissé, du fait notamment de l'augmentation des prélèvements sur les retraites. Depuis la réforme Balladur de 1993, le taux de remplacement – autrement dit, le montant des pensions – ne cesse de fondre, ainsi que le constate le conseil d'orientation des retraites. En vingt ans de retraite, les retraités perdent 22 % de leur pouvoir d'achat. À terme, cette réforme amputera le pouvoir d'achat de plus de 35 %, sans compter que l'allongement de la durée de cotisations reste sans effet sur le maintien dans l'emploi des seniors – ils seraient 22 seulement à avoir bénéficié du plan d'emploi senior entre 2003 et 2005 ! Les Français doivent travailler plus longtemps pour bénéficier d'une retraite à taux plein,…

M. le Ministre – Comme dans tous les pays.

Mme Marisol Touraine – … mais les entreprises refusent toujours de former leurs salariés quinquagénaires et d'embaucher des plus de 55 ans. La France reste à la traîne en Europe pour ce qui est de l'emploi des seniors.

M. le Ministre – Vous voterez le projet de loi de financement de la sécurité sociale, alors !

Mme Marisol Touraine – Vous pouvez annoncer de nouveaux plans, Monsieur le ministre, mais ce sont les entreprises qu’il faut convaincre, plus que nous !

Aucune réforme ne sera acceptable si elle ne garantit pas le niveau des pensions, en particulier des plus petites – et il ne s’agit pas que de statistiques : il faut tenir compte du fait que de plus en plus de Français ont des carrières hachées ou ne trouvent pas d'emploi après un certain âge : non seulement ils vont devoir cotiser plus longtemps, mais leur retraite sera plus faible ! En annonçant que le mécanisme de la décote n'est pas négociable, Monsieur le ministre, vous préparez des lendemains de misère à des millions de Français qui n'auront eu d'autre tort que de ne pas trouver d'emploi lorsqu'ils en cherchaient un. Le retournement de tendance est déjà là : le taux de pauvreté des plus de 65 ans est désormais supérieur à la moyenne, alors que la pauvreté des plus âgés avait quasiment disparu au cours des trente dernières années.

M. Patrick Roy – Mais on ne touche pas aux stock-options !

Plusieurs députés SRCDV – Le ministre reste muet !

Mme Marisol Touraine – Les femmes sont directement touchées, en particulier celles qui perçoivent une pension de réversion. Vous en êtes en partie responsable, puisqu’un décret de 2006 a diminué la couverture sociale des veuves qui ne travaillent pas et ont moins de trois enfants. « La retraite c'est le patrimoine de ceux qui n'en ont pas ». Vous dites faire du pouvoir d'achat une priorité, mais le décalage avec les faits est flagrant. On peut dès lors craindre que la solidarité nationale soit ramenée au minimum, le complément étant renvoyé à des assurances complémentaires ou à des revenus d'intéressement. Le développement des fonds d'épargne salariale, qui ne sont pas contestables en soi, ne doit pas être l'alibi d'une révision à la baisse des retraites de base.

Le troisième principe est la prise en compte de la pénibilité des emplois et la revalorisation du travail. Une réforme juste doit tenir compte des conditions de travail et de la pénibilité de certains métiers. Une négociation a été engagée entre les partenaires sociaux, dont les résultats se font attendre. Son aboutissement est un préalable nécessaire à toute nouvelle étape dans l'évolution des régimes de retraite. Bien sûr, il reste difficile de définir des critères de pénibilité. L’espérance de vie est un des facteurs à prendre en compte, à condition de neutraliser le fait que les femmes, toutes choses égales par ailleurs, vivent plus longtemps.

Cette question de la pénibilité doit être un des piliers de la poursuite de la réforme. Mais j’insiste également sur la nécessite d'accorder davantage de considération – concrètement ! et pas comme un slogan de campagne – à ceux qui travaillent dans des conditions difficiles. Le monde du travail est de plus en plus dur, épuisant, injuste. Ceux qui aiment leur travail, ceux qui en trouvent après 50 ans, ceux qui se sentent considérés ne cherchent pas à partir à tout prix. Vous ramenez toujours la retraite à des paramètres techniques. L'enjeu financier est réel, bien sûr, mais il n’épuise pas la question. L’anxiété des Français face à l'avenir, leurs doutes sur la stabilité du pacte social sont importants Aucune réforme ne réussira si on n’en tient pas compte. Le sort réservé aux retraités dit beaucoup de notre société. Ce sont eux qui ont bâti notre pays, avec leurs mains, leurs idées. Il ne faut pas parler de la protection sociale en termes techniques et financiers sans jamais se demander ce que peuvent attendre, en droit et en justice, les millions d'hommes et de femmes qui font au quotidien de la France ce qu'elle est. Là est l'essentiel (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. Roland Muzeau – Grandes déclarations, et marche forcée : voilà à quoi se résume la conception du dialogue social et du débat démocratique du Gouvernement. Nous en avons aujourd'hui une parfaite illustration avec ce débat sans vote, organisé dans la précipitation, qui ne vise qu’à informer le Parlement de ses intentions.

Le chef de l'État n'a accordé que quinze jours à la discussion entre partenaires sociaux. Est-ce bien sérieux ? Est-ce sérieux de prétendre que vous êtes les seuls à vouloir réformer ? Y aurait-il vraiment d'un côté les hommes d'action et de l'autre, d'incurables nostalgiques ?

M. Dominique Dord – Ben oui !

M. Roland Muzeau – Nous ne sommes pas dupes du procédé : il ne s'agit au fond que d'imposer l'idée que vos réformes sont les seules possibles car les seules proposées.

Le constat est partagé sur les difficultés financières que la sécurité sociale connaît depuis vingt ans et sur le fait que des réformes de grande ampleur soient nécessaires. Nul ne peut accepter un déficit de 12 milliards pour 2008, et 42 milliards de déficit cumulé en cinq ans – cinq ans de gouvernement de droite. Chacun est également parfaitement conscient, y compris chez les partenaires sociaux, des déséquilibres qui affectent les comptes de la branche vieillesse – 4,5 milliards de déficit en 2007 – et les régimes spéciaux. Rappelons qu'en 2002, tous les comptes de la sécurité sociale étaient excédentaires et que depuis que vous appliquez votre politique, ils sont dramatiquement dans le rouge !

M. Patrick Roy – Cinq ans de droite !

M. Roland Muzeau – Lorsque vous dites vouloir réformer les régimes spéciaux, vous voulez tout bonnement les supprimer. Ce n'est pas une solution. Au moment où les plus hauts dirigeants d’EADS – Forgeard, Lagardère, Enders et quelques autres – …

M. Patrick Roy – Des amis de qui ?

M. Roland Muzeau – … sont pris la main dans le sac pour des centaines de millions d’euros, vous présentez la liquidation des régimes spéciaux comme une mesure d'équité et de justice, comme une décision rationnelle. C’est un tour de passe-passe. Vous vous gardez bien, par exemple, de détailler le fonctionnement de ces régimes, d’exposer la situation concrète des salariés et retraités de ces secteurs, et bien sûr d’expliquer la part de responsabilité de la majorité dans les déséquilibres actuels. Votre propos vise simplement à faire des salariés relevant des régimes spéciaux des boucs émissaires de l'échec social et financier de vos réformes et à préparer l'opinion à de nouveaux reculs sociaux, dont l'allongement de la durée de cotisation à 42 ans pour tous dès 2012.

Mais penchons-nous d'abord sur les éléments de diagnostic, lesquels s'écartent pour le moins de vos arguments démagogiques ! Votre projet de réforme des régimes spéciaux vise essentiellement les trois principaux: EDF – Gaz de France, SNCF et RATP.

Ces trois régimes touchent près de 500 000 personnes et comptent environ 360 000 cotisants actifs. Bien entendu, ces salariés et retraités ne sont nullement des privilégiés, et, contrairement à ce que vous laissez entendre, ils ne vivent pas aux crochets de l'État ou de l'ensemble des cotisants du régime général, puisqu’ils financent eux-mêmes les acquis de leurs régimes. Les taux de cotisation sont 12 % supérieurs à ceux du régime général et correspondent au financement des dispositions particulières visant l'âge du départ à la retraite, la durée de cotisation et l'absence de décote lorsque la durée de cotisation maximale n'est pas atteinte. Les régimes spéciaux, Monsieur le ministre, apportent solidairement 3,8 milliards au titre de la compensation, et ne reçoivent globalement que 400 millions.

La vérité, c’est que l'État n’intervient qu’en compensation des déséquilibres démographiques de ces régimes, et nullement pour servir des droits spécifiques. La suppression des droits spécifiques que vous visez ne changera donc rien à la situation. Ces droits disparaîtront, mais pas la contribution de l'État. Au vrai, ce que vous préparez, c'est précisément la suppression de la contribution de l'État, laquelle aura pour conséquence de faire peser le déficit démographique des secteurs concernés sur tous les salariés. Cela vous vous gardez bien de l'ébruiter !

Votre but est de désengager l'État dans le financement des déséquilibres démographiques, en vue de le faire supporter directement à l'ensemble des cotisants, fût-ce en les invitant à se tourner vers les assurances privées.

Votre approche est inacceptable, car il est de la responsabilité de l'État, au nom de la solidarité nationale, de contribuer au financement des régimes de retraites. Cette contribution est d'autant plus nécessaire que les déséquilibres des régimes se sont aggravés du fait des politiques d'emploi menées par les entreprises publiques concernées, politiques que vous avez soutenues ou même lancées. Si les entreprises publiques ont vu fondre leurs effectifs au cours des dernières années, si la SNCF ne compte plus que 163 000 actifs pour 310 000 pensionnés, vous en portez une lourde part de responsabilité.

Quand EDF annonce 6 000 suppressions d'emploi cette année, et que seulement la moitié des 22 000 départs à la retraite seront remplacés entre 2010 et 2015, sans que vous leviez le petit doigt, il y a matière à interrogations. Cette responsabilité, l’État doit l’assumer.

Il est tout aussi scandaleux de continuer à faire peser sur le régime général et sur celui de la fonction publique – donc sur les seuls cotisants –, le financement des régimes autonomes déficitaires, comme c'est le cas depuis trente ans. Vous faites ainsi l'impasse sur tous les régimes autonomes : celui des exploitants agricoles, le régime des salariés agricoles, celui des commerçants et artisans. Tous connaissent pourtant des déficits abyssaux et une érosion démographique inéluctable. Il est donc indispensable d’envisager une remise à plat des compensations et surcompensations financières accordées par le régime général aux régimes autonomes, à concurrence de plusieurs milliards et au seul bénéfice de l'État.

Vous faites du désengagement de l'État votre priorité. Partant, vous trompez nos concitoyens sur les objectifs et sur les conséquences de votre réforme. Vous passez sous silence – et on le comprend – les conséquences désastreuses de vos précédentes initiatives, lesquelles s'inscrivaient dans le même schéma et aveuglement dogmatique que celui qui préside à vos velléités actuelles.

M. le Ministre – Dogmatique ?

M. Roland Muzeau – Parfaitement ! Vos erreurs passées sont à l'origine de nombre des difficultés que nous rencontrons aujourd'hui, et elles sont la cause de l'inquiétude légitime de nos concitoyens, pour leur avenir comme pour celui de leurs enfants.

Je pense en premier lieu à l'échec social et financier de la réforme des retraites de 2003, conduite par le Premier ministre actuel, alors en charge des affaires sociales.

M. Denis Jacquat – Excellente réforme !

M. Roland Muzeau – Cette réforme s'est en effet traduite, et vous le savez bien, par la dégradation du taux de remplacement, davantage d'injustices – notamment pour les femmes – et par l'augmentation du nombre des très petites pensions : un million de retraités se situent aujourd’hui en dessous du seuil de pauvreté ! En outre, le fonds de réserve des retraites n’a été que très faiblement abondé depuis quatre ans.

M. Patrick Roy – Eh oui ! Les stocks-options pour les uns et le fonds de réserve pour tous les autres !

M. Roland Muzeau – On pourrait donc s'étonner que vous persistiez à vouloir conduire des réformes qui, depuis quinze ans, ont démontré leur nocivité ! Las, vous tenez à prendre votre revanche sur l'échec retentissant que le mouvement social vous avait fait subir en 1995, et l’on doit au moins reconnaître que votre politique ne manque pas de cohérence ! D’aucuns pourraient saluer votre acharnement dogmatique à reprendre à votre compte les recettes de MM. Bush et Reagan ou de madame Thatcher ; autant dire, celles de Mme Parisot aujourd'hui !

Plusieurs députés UMP - Vous avez oublié Tony Blair !

M. Roland Muzeau – Oh, je ne l’ai jamais porté dans mon cœur ! Qu'il s'agisse de la limitation du droit de grève, des franchises médicales, de la réforme des retraites ou des atteintes à venir au code du travail, vous poursuivez le même objectif : remettre en cause l'ensemble des droits collectifs. Vous prétendez promouvoir de nouveaux droits, mais votre action ne vise qu’à « liquider » – pour reprendre la formule tristement célèbre de l'ancien patron du Medef – l'héritage de la Libération et les mécanismes de solidarité qui sont au fondement de notre pacte social, pour leur substituer une invitation de plus en plus pressante à recourir aux assurances privées.

L'avenir des familles modestes, de tous ceux qui vivent déjà dans la précarité, de ces jeunes qui entrent de plus en plus tard dans la vie professionnelle et voient se profiler les 42 – ou, bientôt, 45 – annuités de cotisations : de tout cela, vous ne vous souciez pas ! « Chacun pour soi, Dieu pour tous » : telle est la formule que vous rêvez de voir inscrire au frontispice de nos bâtiments publics ! (Rires sur les bancs du groupe UMP)

Bien entendu, nous voyons les choses autrement. Votre proposition de réforme des régimes spéciaux sert de paravent à votre volonté de pousser l'ensemble des salariés vers la capitalisation, au risque de réduire les droits de tous les salariés. Car les régimes spéciaux sont là pour rappeler combien les réformes engagées par la droite depuis 1993, avec M. Balladur, ont dégradé les droits de l'ensemble des salariés. On comprend donc que vous cherchiez à les faire disparaître, comme vous vous acharnez à refuser toute amélioration de la situation des salariés du privé victimes de la pénibilité de leur travail. De fait, vous n'avez rien fait pour inciter le patronat à revenir à la table de négociation sur ce sujet majeur.

Par contre, vous n’êtes pas en reste d’initiatives pour dégrader les comptes sociaux. Pas plus tard que cet été, vous avez fait voter de nouvelles exonérations patronales…

M. le Ministre – N’oubliez pas de dire qu’elles seront intégralement compensées !

M. Roland Muzeau – La vérité, c’est qu’il manque 2,5 milliards au titre des exonérations de cotisations retraite sur l’épargne salariale et que l’exonération sur les stock-options représente un manque à gagner de 3 milliards ! L’ensemble des exonérations pèsent de 25 milliards sur les comptes sociaux, dont 10 milliards pour les retraites. Ce n’est pas moi qui le dis mais l’ancien mentor et ami de M. Fillon, M. Séguin, aujourd’hui Premier président de la cour des comptes…

M. René Couanau – Oh, vous savez, qui est l’ami de qui en ce moment ? (Sourires)

M. Roland Muzeau – Vous voulez créer une situation de non-retour en vous cachant derrière l'évolution démographique. Or si cette évolution incite à rechercher de nouvelles sources de financement, elle ne peut servir de prétexte à une stratégie de liquidation.

À nos yeux, l'État, au titre de la solidarité nationale, doit prendre toute sa part dans le financement de notre système de retraite pour compenser le déficit démographique. Retirez vos œillères, et attachez-vous moins à réduire les dépenses publiques – avec les effets désastreux que l'on sait pour nos services publics – qu'à garantir les recettes !

Les exonérations de cotisations patronales que vous avez multipliées depuis cinq ans privent les comptes sociaux d'importantes ressources financières. Les baisses d'impôts, accordées aux entreprises comme aux ménages les plus aisés, pèsent aussi sur les finances de l'État, et les 15 milliards accordés aux plus riches cet été auront du mal à passer pour de l'équité, non plus que les quasi exonérations d’ISF. Et je ne parle pas de la TVA sociale, dont l’entrée en vigueur a été repoussée après les municipales !

Plusieurs députés UMP – Mais non !

M. Roland Muzeau – Oh, chers collègues, ne vous avancez pas car vous ne savez pas tout ! (Murmures) Monsieur le ministre, il n’est que temps d’envisager la taxation des revenus financiers. La Cour des comptes vous y invite du reste, en relevant que 3 milliards d'euros seraient rendus disponibles par la seule taxation des stock-options. Il semble qu’il vous a aussi échappé que la part des salaires dans le PIB a chuté de 12 % en vingt ans, et que cette anomalie singulière plombe l'équilibre de nos comptes sociaux.

Il est indispensable d'engager un mouvement inverse, et plus encore de ne plus faire reposer le financement de notre régime de retraite sur les seules cotisations, en cherchant les voies et moyens d'une taxation efficace des revenus financiers, lesquels – faut-il le rappeler ? – ne sont pas tirés de ce « travail » que vous prétendez défendre.

Vous l'aurez compris, nous ne partageons rien de vos décisions. Nous refusons d’adhérer au discours qui se veut de « bon sens », car ce bons sens, dans la bouche du Medef,…

M. Denis Jacquat – C’est une obsession !

M. Roland Muzeau – …des nantis ou des plus réactionnaires de vos amis, détruit des vies et plonge toujours plus de nos concitoyens dans les difficultés et les injustices. Comptez sur notre mobilisation et celle des salariés pour faire obstacle à vos projets de réforme, lesquels ne procèdent que de la volonté de clouer au pilori les valeurs d'égalité, de justice et de solidarité (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

Plusieurs députés UMP – C’est faux !

M. Jean-Luc Préel – D’abord, Monsieur le ministre, permettez-moi de vous remercier d’avoir demandé un débat au Parlement (Rires sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine). J'espère qu'il ne sera pas de pure forme. Une société se juge aussi à la place qu'elle réserve aux anciens qui l'ont façonnée, auxquels nous devons un haut niveau de pension. Or l'avenir de notre système de retraite est préoccupant. Notre devoir est d'en assurer la pérennité, dans un souci d'équité entre les Français. N'entendons-nous pas souvent des jeunes désabusés nous dire : « je cotise aujourd'hui, mais, demain, je n'aurai pas de retraite » ?

Alors, Monsieur le ministre, merci. Ce débat est une excellente initiative. Il démontre votre souci d'écoute et de dialogue, et nous souhaitons qu'il soit utile. Tiendrez-vous compte de nos propositions ?

M. Roland Muzeau – Non !

M. Jean-Luc Préel – Car, bien que l'on parle de la nécessité de revaloriser le Parlement, force est de constater que nous ne voterons pas à l'issue de ce débat. Il semble même que vous vous disposiez à prendre des mesures par décret. Par définition, nous ne pourrons alors ni en discuter, ni les amender.

Pourtant, au nom du Nouveau Centre, et contrairement aux socialistes, j'ai des propositions à vous faire. Nous souhaitons relancer le dialogue social et responsabiliser les partenaires sociaux. Nous voulons l'équité entre tous les Français, qu’il s’agisse de la durée de cotisations, du taux de cotisation ou du salaire de référence. Nous attendons que la solidarité nationale prenne en compte la pénibilité avérée et permette de revaloriser les plus petites retraites.

Placé au cœur du pacte républicain, notre système de retraite est fondé sur le principe généreux de la répartition, propice à une grande solidarité entre les générations, puisque ce sont les actifs qui paient pour les retraités.

Mais il est soumis à de fortes contraintes en raison du « papy boom » – 800 000 Français nés en 1946 arrivent à l’âge de la retraite – et de l’allongement de l’espérance de vie au rythme d’un trimestre par an.

Les deux réformes intervenues étaient courageuses, mais partielles. La réforme Balladur de 1993, après des années d’atermoiements socialistes, allongeait la durée de cotisation à 40 ans, retenait les 25 meilleures années comme salaire de référence et indexait les retraites sur l’inflation, mais ne concernait que les salariés du privé. La réforme Fillon de 2003 ne concernait, elle, que les fonctionnaires et, si elle augmentait la durée de cotisation, ne touchait ni au salaire de référence ni au taux de cotisation. Il subsistait ainsi des différences importantes, par exemple entre enseignants du public et du privé, puisqu’on n’appliquait pas le principe « à cotisation égale, prestation égale ». Par ailleurs, cette réforme comportait nombre d’autres mesures portant sur la décote, la surcote, la pension de réversion et la prise en compte des longues carrières, mesure attendue mais assez coûteuse.

Elle fondait aussi l’équilibre financier sur des hypothèses optimistes d’une croissance forte et d’une baisse importante du chômage. Or cette année, le déficit du régime de base est de l’ordre de 4,6 milliards et de grandes inégalités subsistent en ce qui concerne la durée et le taux de cotisation, le salaire de référence et l’espérance de vie à l’âge de la retraite. Une nouvelle réforme est donc indispensable si nous voulons sauvegarder notre régime de retraite.

Les propositions du Nouveau Centre, qui concernent tous les régimes, y compris les régimes spéciaux, reposent sur la nécessité de relancer le dialogue social et sur un principe d’équité prenant en compte la pénibilité réelle du travail.

Il convient de responsabiliser les partenaires sociaux en ce qui concerne le chômage, les accidents du travail et maladies professionnelles, qui devraient constituer une branche réellement autonome, les retraites complémentaires et la retraite de base. Aujourd’hui, au conseil de la CNAV, ces partenaires ne gèrent que les prestations sociales mais ne décident pas de leur niveau, ni de celui des cotisations. Le Nouveau centre demande donc que la CNAV dispose d’une réelle autonomie et évolue vers un régime par points, dont les partenaires sociaux fixeraient chaque année la valeur d’achat et la valeur de liquidation de façon à assurer l’équilibre financier. Un tel régime permettrait aussi à chacun de prendre sa retraite à la carte lorsqu’il estimerait avoir atteint un nombre de points suffisant. Il permettrait également des bonifications de points pour les trimestres non cotisés par les mères de familles, en fonction d’accidents de la vie, du travail au delà de l’âge légal, et surtout de la pénibilité.

Quant aux régimes spéciaux, ils ont chacun leur histoire. Les avantages obtenus par rapport au régime général tenaient notamment à la pénibilité. Mais désormais, il est sans doute plus pénible de ramasser des œufs dans un poulailler industriel ou de travailler aux abattoirs que de conduire un TGV.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales  Bien sûr.

M. Jean-Luc Préel – Cependant, en entrant à la SNCF ou à EDF, le salarié considérait que la retraite faisait partie du statut. Il n’est donc pas question d’appliquer un changement radical, même si M. Sarkozy, au cours de la campagne présidentielle, a évoqué clairement la suppression des régimes spéciaux.

Le Nouveau centre propose donc d’une part leur mise en extinction progressive, qui est de simple bon sens…

M. Roland Muzeau – Le bon sens populaire ?

M. Jean-Luc Préel – …de sorte que les entrants relèveraient du régime général, et d’autre part l’harmonisation avec ce dernier. Elle devra se faire par la négociation, de façon progressive mais dans un délai raisonnable et surtout concerner non seulement la durée de cotisation mais le taux et le salaire de référence. Il n’est pas acceptable que celui-ci soit des 25 meilleures années contre les six derniers mois pour les régimes spéciaux et les fonctionnaires, voire le dernier mois afin de permettre des promotions « coups de chapeau ». Il faudra discuter aussi de l’intégration progressive des primes. Il semble que vous proposiez un rapprochement avec le régime des fonctionnaires. Cela laisserait subsister de grandes inégalités avec le régime général.

M. le Ministre – Dites pourquoi.

M. Jean-Luc Préel – Il s’agit d’une première étape avant la réforme de 2008. Celle-ci sera-t-elle applicable aux régimes spéciaux ?

M. Roland Muzeau – Le ministre a dit non, hier.

M. Jean-Luc Préel – Bien entendu, les propositions du Nouveau centre ne règlent pas tout. Agriculteurs, commerçants et artisans perçoivent de trop petites retraites. La réforme de 2003 a supprimé la condition d’âge pour les veuves mais a transformé la pension de réversion en allocation sociale révisée chaque année. La pénibilité est réelle dans certaines professions comme en témoignent les maladies professionnelles et la durée de vie. Et notre société a un problème spécifique d’emploi des seniors qui constitue un véritable gâchis.

En organisant ce débat, vous nous avez permis d’exposer nos propositions. J’espère que vous en tiendrez compte, même s’il n’y a pas de vote, même si de mauvaises langues annoncent que tout est déjà bouclé…

M. Roland Muzeau – Mais bien sûr ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Luc Préel – …ce qui serait inacceptable.

Nous souhaitons sauvegarder notre régime de retraite, en assurant l’équité entre les Français notamment grâce à la prise en compte de la pénibilité avérée ; en responsabilisant les partenaires sociaux et en leur confiant la gestion réelle du régime général ; en évoluant vers un régime par points assurant l’équilibre financier et une retraite à la carte ; en mettant en extinction les régimes spéciaux et en les harmonisant progressivement, ainsi que le régime des fonctionnaires, avec le régime général pour parvenir à un régime unique.

Alors qu’on leur a promis l’équité, nos concitoyens ne pourraient accepter que subsistent de grandes inégalités (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau centre et les bancs du groupe UMP).

M. le Président de la commission – Comme l’a bien dit M. Jacquat, la commission des affaire sociales soutient la réforme proposée par le Gouvernement. C’est en effet une réforme progressive, qui ne remet pas en cause brutalement les acquis ; une réforme juste qui tient compte de l’évolution de la pénibilité depuis 40 ans ; une réforme exemplaire, et à cet égard les parlementaires devront apporter leur contribution pour ce qui est de leur propre régime de retraite ; une réforme nécessaire enfin, après celle, courageuse, de 2003.

Nous sommes désormais dans un monde ouvert, ce que certains semblent ne pas comprendre, y compris à propos du paquet fiscal. Le travail, sa pénibilité ont changé. L’espérance de vie s’est accrue de 9 ans en 40 ans, ce qui fait que pour certains la retraite est plus longue que la période d’activité. Comment ne pas en tenir compte ? Pouvons-nous augmenter les charges qui pèsent sur l’emploi, alourdir les prélèvements obligatoires ?

Mme Bérengère Poletti – Non.

M. le Président de la commission – L’État providence représente aujourd’hui plus de 30 % de la richesse nationale et, avec 617 milliards de prestations, nous sommes sur le point de dépasser la Suède. Ne pas agir sur les régimes spéciaux conduirait à faire payer au contribuable, ou à l’emploi, une charge trop lourde.

La France est le seul pays pourvu d’une multitude de régimes catégoriels.

Mme Bérengère Poletti – C’est vrai.

M. le Président de la commission – En Belgique il n’en existe que pour les marins et les mineurs, en Allemagne que pour les mineurs. L’Italie, qui avait huit régimes spéciaux dans le privé et de nombreux autres dans le public, a programmé leur alignement sur le régime général par la loi Dini du 4 août 1995.

Plusieurs députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine – Nous sommes en France !

Mme Jacqueline Fraysse – Il existe d’autres disparités qui ne vous gênent pas !

M. le Président de la commission – Mais nous ne pouvons ignorer nos voisins. Au moment où la convergence européenne s’impose à la France, le Parlement se doit donc de réfléchir sur cette singularité que représentent nos régimes spéciaux.

Certes, les salariés des régimes spéciaux ont considéré que leur avantage de retraite était un élément à part entière de leur contrat de travail, au même titre que leur salaire. Mais nul ne pouvait imaginer il y a 40 ans gagner 9 ans de vie supplémentaires.

Lors de son audition par notre commission, le président du COR a rappelé la répartition de ces gains d’espérance de vie retenue en 2003 : deux tiers pour le temps de travail, un tiers pour la retraite. Il conviendrait de réexaminer, en fonction de cela, les âges de départ en retraite et les durées d’assurance.

Certes, des considérations peuvent entrer en ligne de compte pour justifier les spécificités, comme la pénibilité du travail. À cet égard, je voudrais rappeler à Marisol Touraine qu’il a fallu attendre 2003 pour corriger une inégalité majeure : les écarts d’espérance de vie en France. Les gouvernements précédents ne s’étaient pas saisis de cette question et laissaient ainsi ceux qui avaient l’espérance de vie la moins élevée conserver la durée d’activité la plus longue !

M. Roland Muzeau – Nous avons déposé des propositions de loi à ce sujet !

M. le Président de la commission – C’était une inégalité majeure…

M. Simon Renucci – Non, ce sont les conditions de travail qu’il faut prendre en compte !

M. le Président de la commission – …et – cela vaut la peine de le redire – il aura fallu attendre 2003 pour qu’on s’attaque à ce problème ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Je peux vous assurer que dans un bassin d’emploi de ma circonscription, où 32 % des actifs sont ouvriers, la possibilité de prendre sa retraite avant 60 ans dès lors qu’on avait cotisé dès l’âge de 14, 15 ou 16 ans a été particulièrement bien accueillie par les 400 000 personnes concernées !

M. Roland Muzeau – Oui, cela a été la seule bonne mesure de 2003 !

M. le Ministre – Pourquoi ne l’avez-vous jamais dit ?

M. le Président de la commission – Nous n’avons pas de leçons à recevoir en matière de réforme des retraites ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La liberté de choix doit également être prise en considération : certains, pour des raisons familiales, sociales ou personnelles, pour des raisons de santé aussi, peuvent souhaiter anticiper ou au contraire reporter leur départ à la retraite. Pourquoi ne pas leur en donner la possibilité, en faisant jouer davantage la surcote et la décote ?

La réforme des régimes spéciaux est parfaitement réalisable dans la concertation : la négociation a déjà permis de fermer le régime spécial de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, ou de rapprocher le régime spécial de la Banque de France du régime des fonctionnaires de l’État. Cela étant, je note votre prudence, Monsieur le ministre. Beaucoup de bénéficiaires des régimes spéciaux partent encore après seulement 32,5 années d’activité : et il y a donc une exigence de progressivité. Mais nous avançons étape par étape, cherchant à répondre aux exigences d’équité et de solidarité financière, tous les espoirs sont permis. Faisons confiance à Xavier Bertrand pour mener à bien ces réformes, dans la concertation ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Bérengère Poletti – La réforme des retraites est inéluctable et indispensable pour la survie de notre système par répartition. Les baby boomers arrivent aujourd’hui au terme de leur carrière professionnelle, la population française vieillit : le problème du financement des retraites se pose de manière de plus en plus cruciale chaque année. Que faut-il faire ? Diminuer les pensions ? Les Français le refusent ! Augmenter les cotisations ? Cela pèserait sur le pouvoir d’achat… Augmenter la durée d’activité ? Cela a été le choix de nos partenaires européens.

Les réformes de 1993 et de 2003 ont permis l’alignement progressif entre la fonction publique et les salariés du privé. Aujourd’hui, et bien que la réforme des régimes spéciaux ne nécessite pas de vote, vous avez fait le choix, Monsieur le ministre, d’en débattre au Parlement et de consulter les partenaires sociaux. Nous nous en félicitons.

Dans son rapport de 2006, la Cour des comptes a mis en lumière les « avantages spécifiques » dont bénéficient les retraités de ces régimes spéciaux : durée d’assurance moindre, départ à la retraite plus précoce. Pourquoi ne pas permettre à ceux qui le souhaitent de travailler plus longtemps ?

Les régimes spéciaux ont été créés pour compenser la pénibilité ou la dangerosité des métiers. Aujourd’hui, ils sont tous déficitaires et leur existence est mal admise par la majorité des Français. Ils concernent 1,6 million de personnes, dont seulement 500 000 cotisants, et représentent 6 % des pensions versées, l’État abondant leurs caisses de 5 milliards chaque année.

La réforme ne pourra se faire que dans la concertation. Elle devra prendre en compte la notion de pénibilité – pour tous – et adapter les conditions d’accès à la retraite selon des critères tels que l’espérance de vie ou la catégorie socioprofessionnelle.

En 1993, il a fallu dix ans pour installer la réforme. Celle de 2003 demandera cinq années. Il faudra compter à peu près le même temps pour mener à bien la réforme des régimes spéciaux. N’oublions pas qu’une réforme globale devrait permettre une revalorisation des « petites » retraites et du minimum vieillesse : elle sera difficile, mais elle est attendue par les Français. Et c’est le prix à payer pour conserver notre système par répartition (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Christophe Sirugue – Le débat sur les régimes spéciaux de retraite est-il illégitime ? Non, car chacun sait que la question de leur financement à long terme doit être posée et que les conditions de travail ont évolué. Mais il ne faut pas se laisser aller à un discours de nature à culpabiliser leurs bénéficiaires, ni oublier les spécificités de certains des métiers concernés. Il ne faut pas davantage monter les salariés les uns contre les autres, comme d’aucuns l’ont fait, comparant les conducteurs de TGV et les ramasseurs d’œufs. Enfin, il faut de garder des idées simplistes et des amalgames, comme ceux qui laisseraient accroire que c’est en réglant la question des régimes spéciaux que l’on traitera le problème des retraites !

Faut-il le rappeler ? Les régimes spéciaux couvrent 6 % du montant des retraites et concernent 500 000 cotisants seulement, lorsque le régime général concerne 16,7 millions de personnes. Les éliminer semble dérisoire, sauf à vouloir donner à cette réforme valeur de symbole (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

Les Français veulent plus d’équité ? Faut-il alors vraiment commencer par les régimes spéciaux ? Ne faut-il pas plutôt maintenir des dispositifs spécifiques lorsque l’on constate qu’à 60 ans, un ouvrier a une espérance de vie inférieure de cinq ans à celle d’un cadre de l’industrie et de sept ans et demi à celle d’un cadre de la fonction publique ? L’espérance de vie d’un ouvrier de 60 ans est passée de seize à dix-sept ans entre 1960 et 1996. Celle d’un cadre du même âge a augmenté – sur la même période – de trois ans ! La durée de retraite n’est pas la même selon la nature et l’environnement de l’activité exercée, et à défaut d’un régime spécial, cela nécessite un traitement spécial !

Le dispositif à venir devra donc faire la part juste entre le système par répartition et la prise en compte des spécificités réelles de certaines activités. À cet égard, la question de la pénibilité mérite d’être posée, à l’aune de l’espérance de vie. Admettons qu’un métier puisse être pénible sans pour autant influer sur l’espérance de vie : ce sont les conditions de travail qu’il faudra alors améliorer si l’on veut que les personnes restent plus longtemps en activité. Mais si la pénibilité a un effet à long terme sur la santé, elle peut légitimer un départ anticipé à la retraite. Des chercheurs ont ainsi mis en évidence trois types de circonstances qui peuvent réduire le nombre d’années passées en retraite : le travail de nuit, les efforts physiques très violents et les expositions aux toxiques cancérigènes.

Monsieur le ministre, nous vous entendons très peu sur le scandale des retraites « chapeau » et des stock-options qui bénéficient aux grands patrons pour 3 milliards d’euros !

M. le Ministre – Si, j’en parle, ce matin encore !

M. Christophe Sirugue – Mais comme à votre habitude, vous remettez à plus tard, à une commission, à une discussion, ce débat, pour mieux y mettre un terme …

M. le Ministre – Vous vous trompez ! Cela figure dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale !

M. Christophe Sirugue – Votre position est purement idéologique.

Pour conclure, une question : le Chef de l’État, évoquant les questions de santé, de dépendance et de solidarité, a indiqué clairement que la solution consistait à recourir davantage aux assurances privées. Est-ce la même issue que vous préparez, s’agissant du financement des retraites ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. François de Rugy – Monsieur le ministre, à quoi sert cette discussion si tout est déjà décidé ? Pensez-vous qu’un débat d’à peine plus de deux heures suffise pour traiter d’un sujet aussi important que celui des retraites ? Pour ceux qui entretenaient encore quelques illusions sur une éventuelle revalorisation du Parlement, voilà une démonstration supplémentaire de l’hyperprésidentialisme actuel !

Monsieur le ministre, vous vous drapez dans les habits du réformateur ; mais, pour les Verts, eux aussi partisans de réformes, il ne suffit pas d’en appeler aux réformes, encore faut-il les réussir ! Et, pour cela, il faut négocier. Vous vous contentez de brandir devant l’opinion des symboles, au lieu de dire la vérité : ces fameux régimes spéciaux, lorsqu’ils ont été négociés, répondaient à des besoins spécifiques. Si les choses ont changé, si l’amélioration des conditions de travail peut justifier des changements de régime, ceux-ci doivent faire l’objet d’une discussion secteur par secteur, et non d’une mesure autoritaire et générale. Il est paradoxal d’ailleurs de vous voir imposer cette dernière méthode, vous qui la stigmatisiez à propos des trente-cinq heures, qui ont pourtant fait l’objet d’une négociation sans précédent au sein des entreprises et des branches.

Le devoir de vérité devrait aussi vous conduire à refuser des mesures aveugles et à cesser de vous focaliser sur les régimes spéciaux, au lieu de prendre la mesure de la diversité des situations que l’on rencontre au sein de chaque secteur de l’économie, voire d’une seule et même entreprise. Prenons donc l’exemple de la SNCF, auquel vous aimez à recourir : la pénibilité du travail n’est pas la même pour un conducteur de TGV ou pour un conducteur de TER ou de RER, exposé aux surcharges, aux pannes dues à la vétusté du matériel, voire à l’agressivité de certains voyageurs ; quant aux cheminots chargés de l’entretien des voies, qui travaillent en permanence à l’extérieur et doivent monter sur des échelles pour réparer des caténaires, qui pourrait nier que leur travail est resté pénible, voire dangereux ? Et que dire de la différence entre l’espérance de vie des ouvriers et celle des cadres ou entre celle des ouvriers du bâtiment, par exemple, et celle d’autres ouvriers dont les conditions de travail sont meilleures ? S’il est juste de modifier les régimes spéciaux de retraite lorsque les conditions de travail des personnes concernées se sont améliorées, il n’est pas moins juste de tenir compte de la dégradation de ces conditions dans d’autres secteurs.

Voilà pourquoi vos prétendues réformes, à sens unique, ne sont à nos yeux ni plus ni moins qu’une régression ! Mais votre refus de prendre en considération les situations que vivent réellement les salariés n’est guère surprenant, puisque – vous l’avez dit vous-même, Monsieur le ministre – l’objectif de votre politique n’est pas le progrès social, mais la seule réduction du coût de la protection sociale afin de faire des cadeaux aux plus riches (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. Denis Jacquat – Mais non ! C’est une maladie !

M. François de Rugy – Si !

M. le Président de la commission – Changez de discours, vous êtes ridicule !

M. François de Rugy – Écoutez ma démonstration, Monsieur Méhaignerie, et vous serez convaincu !

Mme Isabelle Vasseur – Des propositions !

M. François de Rugy – En effet, tout se tient : dès lors que vous mettez le doigt dans cet engrenage fatal pour la protection sociale, rien ne pourra suffire !

M. le Ministre – Respectez-nous !

M. le Président de la commission – Oui, un peu de respect !

M. François de Rugy – Vous ne supportez pas que l’on vous confronte à vos contradictions ! En accordant les fameux cadeaux fiscaux votés au mois de juillet, vous commencez par creuser les déficits, ceux de la protection sociale comme ceux de l’État, avant de crier à la faillite !

M. le Président de la commission – N’importe quoi !

Une députée UMP – La faillite, ce sont les trente-cinq heures !

M. François de Rugy – Vous n’êtes guère crédibles dans le rôle des pompiers, après vous être comportés en pyromanes ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Denis Jacquat – Mais non !

M. le Président de la commission – Remontez au XIXe siècle !

M. François de Rugy – Je rappelle que vous êtes ainsi allés jusqu'à intégrer dans le bouclier fiscal la CSG – que vous avez soutenue, Monsieur Méhaignerie, à l’époque où le gouvernement de Michel Rocard la proposait –, la supprimant ainsi de fait alors même qu’elle permettait de faire contribuer d’autres sources que les salaires au financement de protection sociale. Et ne me dites pas que la question de la fiscalité n'est pas liée à celle de la protection sociale puisque vous envisagez vous-même d'augmenter la TVA – l'un des impôts les plus universels – pour financer la baisse des cotisations sociales.

Si vous étiez vraiment préoccupés par le maintien à long terme de notre système de retraite par répartition, vous accepteriez de traiter la question de son financement de façon ouverte, par la négociation. Vous n'auriez pas peur de discuter avec les salariés et leurs représentants et d’explorer toutes les possibilités qui s’offrent à nous. Ainsi, s’agissant à nouveau de la loi votée en juillet et de l’octroi de cadeaux fiscaux, au lieu de chercher à rééquilibrer le financement des retraites en créant des emplois et en réduisant le chômage, vous avez choisi non seulement de favoriser les heures supplémentaires au détriment de la création d’emplois…

M. Denis Jacquat – Les deux ! Quelle mauvaise foi !

M. François de Rugy – …mais encore de les exonérer de cotisations, privant ainsi le système de protection sociale d’une nouvelle ressource !

M. le Ministre – C’est faux ! La compensation existe ! Elle a été votée !

M. François de Rugy – Pourtant, le système reste déséquilibré et, alors que la majorité est au pouvoir depuis cinq ans, le niveau de déficit n’a jamais été aussi élevé, pour l’État comme pour la Sécurité sociale !

Une députée UMP – Les Français ont choisi !

M. François de Rugy – Si, une fois encore, nous jugeons nous aussi une réforme nécessaire (« Ah » sur les bancs du groupe UMP), il nous semble indispensable de ne pas faire l’impasse sur des négociations. C'est une question d'honnêteté et de respect, c'est aussi une question d'efficacité. Car les réformes seront acceptées si elles sont justes et seront justes si elles sont porteuses de progrès durables. C'est ce que l’on appelle une négociation gagnant-gagnant. Pour l'instant, nous en sommes loin !

Nous voulons conforter le régime de retraite par répartition car nous pensons qu’il s’agit du meilleur système pour les salariés. Contrairement à vous, les retraites financées par le privé ou organisées par des assurances privées ne nous font pas fantasmer ! Nous voulons défendre ce régime, non comme une sorte de relique, mais comme un système d'avenir qui seul garantit la solidarité entre les générations. De ce point de vue, nous devons débattre des moyens les plus justes et les plus efficaces pour garantir son financement. Pour votre part, même si vous ne le dites pas ouvertement, vous avez choisi l'allongement de la durée de cotisation, le report à 65 ans de l'âge du droit à la retraite et la baisse des pensions versées – baisse qui, contrairement à ce que vous affirmez, s’ensuivra nécessairement ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre – C’est faux !

M. Denis Jacquat – Vous ne savez pas calculer !

M. François de Rugy – J’espère, Monsieur le ministre, que vous me répondrez, au lieu, comme tous les membres du Gouvernement lorsqu’on les interroge, de vous mettre en colère, ce qui montre bien que nos questions vous embarrassent ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

De notre côté, nous défendrons le droit à la retraite à soixante ans. Si des personnes souhaitent travailler plus longtemps, elles le pourront, mais ce droit sera la meilleure protection pour celles qui subissent des conditions de travail difficiles.

Si la durée de cotisation peut être discutée, c'est moyennant deux contreparties : la prise en considération de la pénibilité du travail et la garantie que le calcul des pensions versées assurera à chaque retraité au moins l’équivalent du SMIC – et non à 75 ou 80 % de celui-ci, comme on l’entend parfois. Car, une fois encore, vous cherchez à dissimuler les conséquences de vos réformes des retraites, celle de 2003 comme celle que vous préparez : la dégradation du niveau des pensions notamment pour les salariés, de plus en plus nombreux, qui ont connu des périodes de temps partiel ou de chômage. Ainsi, après avoir recréé des travailleurs pauvres, vous allez recréer des retraités démunis, alors que ce problème avait été progressivement résolu à partir de 1981 (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Enfin, nous voulons poser la question des ressources et des cotisations. Combien de temps continuerez-vous de baisser peu à peu ce que vous appelez – et ce n'est pas innocent – les charges ? Soyons bien clairs : il n’est pas question de proposer de taxer encore et encore les classes moyennes, comme vous le faites par l’intermédiaire des franchises médicales ou des futures hausses de la TVA, de la CSG et de la CRDS.

Combien de temps continuerez-vous de dissimuler aux Français que certains revenus importants ne contribuent absolument pas au financement de la protection sociale, par exemple les stock-options ?

M. Patrick Roy – Ah !

M. François de Rugy – Et ne me dites pas qu’il serait irréaliste ou irresponsable de modifier cette situation, car c’est ce que propose la Cour des comptes, dont le président, Philippe Séguin, n’a rien d’un dangereux gauchiste ou d’un archaïque.

Monsieur le ministre, ne nous resservez pas un énième discours qui désigne certains salariés à la vindicte des autres, répondez plutôt à nos questions en nous annonçant ce que vous préparez pour le régime général. Ne nous faites pas attendre jusqu'à ce que les élections municipales soient passées !

M. Denis Jacquat – Cela n’a rien à voir avec les élections municipales !

M. François de Rugy – Les Français ne sont pas dupes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. Charles de Courson – La question de l’existence et de l’avenir des régimes spéciaux de retraite hante le débat politique français depuis plus de soixante ans. En effet, à la Libération, le Conseil national de la résistance était partisan d’un grand régime général unique, les régimes spéciaux ne devant être que provisoires, comme le montre l’article 17, alinéa 2, de l’ordonnance du 4 octobre 1945. Le groupe Nouveau centre espère que nous reviendrons à cet esprit qui animait la Résistance.

Certes, un petit nombre de régimes spéciaux ont entamé une réforme : ainsi ceux de la Banque de France ou de la Chambre de commerce. Mais, comme la réforme Balladur en 1993, et comme – sous la pression des manifestants – le plan Juppé en 1995, la loi Fillon a dû exclure les régimes spéciaux de son champ, contre l’avis de la famille centriste. Aujourd’hui, le Gouvernement a le courage d’ouvrir le débat : il doit en être remercié, car ce débat est utile.

Au nom du groupe Nouveau centre, je souhaite formuler deux propositions touchant au fond et une relative à la forme. Il s’agit tout d’abord de mettre en extinction l’essentiel des régimes spéciaux, pour quatre raisons fondamentales. Des raisons politiques, tout d’abord : la majorité s’y est engagée – ainsi le futur Président de la République en appelait-il, le 14 janvier 2007, à Paris, à « une République qui met les retraités des régimes spéciaux à égalité avec ceux du secteur privé et de la fonction publique ». En outre, selon le contrat de législature 2007-2012, auquel ont souscrit l’ensemble des élus de la majorité présidentielle, il est nécessaire de « réformer les régimes spéciaux de retraite dans un souci de justice et d’équité, afin que chacun prenne sa juste part de l’équilibre des régimes de retraite ».

M. le Ministre – Tout à fait.

M. Charles de Courson – Pour la première fois depuis 1945, les Français nous ont mandatés pour que nous réformions les retraites !

La deuxième raison tient aux évolutions de la société. Les réalités qui justifiaient l’existence des régimes spéciaux ont disparu. Dans les industries électriques et gazières, la constitution de grands groupes internationalisés sous la forme de sociétés anonymes rend nécessaire une évolution du régime de retraite de leurs salariés. Le régime très favorable des mines visait, quant à lui, à attirer de la main-d’œuvre vers ces métiers durs ; or, toutes les mines de charbon françaises ont été fermées. De même, la création de la Banque centrale européenne rend impossible le maintien du statu quo pour les retraites de la Banque de France. L’internationalisation des sociétés a abouti à la coexistence de différents régimes de retraite au sein des mêmes entreprises, coexistence qui suscite de graves difficultés.

Si le maintien des régimes des députés et sénateurs et de celui des fonctionnaires parlementaires se justifie par le principe de séparation des pouvoirs, cela ne devrait pas nous empêcher de chercher à rétablir l’égalité entre les parlementaires issus du public et les parlementaires issus du privé.

L’évolution des technologies doit également être prise en compte. Si la retraite à cinquante ans était justifiée pour le personnel roulant de la SNCF à l’époque des machines à vapeur, aujourd’hui le travail d’un conducteur de TGV n’est pas plus « usant » que celui d’un routier, qui part pourtant en retraite beaucoup plus tard.

La troisième série de raisons est de nature financière. Le maintien des régimes spéciaux n’est possible que grâce à la solidarité nationale, dont la part dans le financement des prestations vieillesse s’élevait à 59 %, en 2005, et atteindra 70 % si rien n’est fait. Le déficit, pris en charge par le budget de l’État, des trois régimes de la SNCF, des marins et des mineurs, est supérieur à cinq milliards. Est-il juste de mettre à la charge de la solidarité nationale l’écart des prestations entre le régime général et ces régimes spéciaux ?

En outre, en vertu des normes comptables internationales, les entreprises publiques gestionnaires des régimes spéciaux devront les provisionner. Or, les capitaux propres de ces entreprises sont inférieurs, et parfois de beaucoup, à ce qu’il serait nécessaire d’inscrire en provisions, si bien que l’application des normes internationales les mettrait en faillite ! Ainsi, alors que la SNCF devrait provisionner 111 milliards d’euros, elle ne dispose que de 5,9 milliards de capitaux propres. C’est pourquoi la présidente de cette société a demandé, devant la commission des finances, que les retraites soient garanties ; mais avons-nous, du point de vue de l’équité, le droit de les garantir sans les réformer ?

Avant l’adossement, EDF aurait dû provisionner 60 milliards, GDF 12,5 milliards, alors qu’elles ne disposent, respectivement, que de 13,8 et 9,2 milliards de capitaux propres. L’adossement, qui consiste à scinder les prestations en trois parts, une pour le régime général, une pour le régime complémentaire, une pour un régime chapeau, n’est pas une bonne solution, car il a conduit, pour financer cette dernière part, à créer un nouvel impôt et à autoriser la répercussion du surcoût sur le consommateur, un surcoût qui représente désormais plus de 4 % de la facture d’électricité.

La quatrième série de raisons tient à l’équité. Certains affirment que l’écart entre régimes se justifie par la différence des durées de vie. Or, alors que l’espérance de vie d’un salarié du régime général est de 80,4 ans, elle est de 81,8 ans à la SNCF, de 82,2 à la Banque de France, et de 81,7 dans la fonction publique d’État. Les régimes spéciaux où elle est inférieure sont ceux des mineurs – 78,8 ans –, et de la RATP – 79,3 ans. Le critère de la durée de vie ne justifie donc pas, globalement, les écarts entre régimes.

D’autant que la durée de retraite moyenne dans les industries électriques et gazières est de 23,9 ans, de 24,8 à la RATP, de 26,2 à la SNCF, alors qu’elle n’est que de 17,7 ans dans le régime général. Et ce dernier chiffre ne tient pas compte des différences de situation, entre manœuvres et cadres supérieurs, par exemple, les seconds vivant en moyenne sept ans de plus que les premiers. De sorte que la durée de retraite d’un manœuvre est en fait comprise entre dix et douze ans, soit moitié moins que celle d’un agent de la SNCF. Ce n’est pas acceptable, en termes d’équité sociale.

M. le Président de la commission – Absolument !

M. Charles de Courson – À quoi s’ajoute le fait que plus un régime est avantageux, moins est importante la part de son financement assurée par les cotisations, et donc plus la solidarité nationale est mise à contribution. À la Banque de France, les cotisations des salariés n’assurent que 13 % du financement du régime ; à EDF, 15 %. C’est le peuple français qui paie pour des positions dominantes ou des monopoles (Exclamations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine ; applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau centre et du groupe UMP).

M. Roland Muzeau – C’est un discours de droite pour la droite !

M. Charles de Courson – Ma deuxième observation de fond sera brève : conduits à l’extinction, ces régimes devrons néanmoins être réformés, et ce non sur un seul point, comme vous paraissez le penser, Monsieur le ministre, mais dans leur ensemble.

J’en viens à la méthode. Pour réformer, la concertation est certes nécessaire, régime par régime. Pour certains, il faudra 30 ou 35 ans pour parvenir à l’harmonisation souhaitée. Les nouveaux entrants seront couverts par le régime général ainsi que par des régimes complémentaires négociés entre les partenaires sociaux.

D’autre part, nous sommes inquiets quant à la déconnexion entre la première phase et les discussions de la grande réforme, au printemps prochain, et nous souhaiterions que vous disiez clairement que, si certaines améliorations doivent être apportées aux régimes spéciaux, il ne s’agit que d’une étape avant la grande réforme générale.

M. Roland Muzeau – Ce n’est pas ce que le ministre a dit !

M. Charles de Courson – Voilà les positions claires et – je crois – pleines de sagesse du groupe Nouveau Centre (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau centre et du groupe UMP).

La séance, suspendue à 11 heures 40, est reprise à 11 heures 50.

M. Hervé Mariton – Qu’est-ce qu’un régime spécial ? C’est un régime souvent bien intégré à la vie de l’entreprise et qui permet de prendre une retraite précoce – c’est du moins ainsi que nos compatriotes perçoivent les choses. De nombreux progrès ont été accomplis en la matière. Ainsi, cette année, la création d’une caisse de retraites autonome à la SNCF a mis fin à de nombreuses inquiétudes.

M. le ministre a parlé d’équité…

M. le Ministre – Et de justice sociale.

M. Hervé Mariton – C’est précisément au nom de l’équité que les régimes spéciaux doivent évoluer, comme les autres. Cette réforme juste profitera aux entreprises et participera à la sauvegarde de nos finances publiques.

Vous proposez à raison une convergence vers le régime de la fonction publique. Toutefois, lorsque celui-ci a été réformé, plusieurs catégories n’ont pas été affectées. Or, certains étant plus égaux que d’autres, il demeure des carrières – dans la douane et la police, par exemple – où les bonifications et les départs anticipés permettent de cotiser quarante années en trente ou trente-cinq ans. La question essentielle de la durée réelle de cotisation sera-t-elle abordée dans le débat sur les retraites ?

M. le Ministre – Le Président de la République lui-même l’a annoncé.

M. Hervé Mariton – Ne pas traiter le problème des bonifications nuirait en effet au débat sur la pénibilité.

M. Patrick Roy – À droite toute !

M. Hervé Mariton – En la matière, le décalage entre théorie et pratique est souvent source d’inégalités. Quarante-deux années de cotisation doivent s’effectuer en quarante-deux ans, et non moins ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Guénhaël Huet – Sauf à se réfugier dans une idéologie ou un corporatisme surannés, personne ne conteste plus la légitimité de la réforme des régimes spéciaux.

M. Patrick Roy – Bien sûr que si ! C’est toujours sur les mêmes que vous tapez !

M. Guénhaël Huet – L’opinion publique, dont la sagesse devrait toujours nous inspirer sur ces bancs, l’a réclamée. Plusieurs raisons de fond l’imposent. Notre système de protection sociale, conçu à la Libération pour être appliqué à tous, s’est beaucoup diversifié au point de ressembler aujourd’hui à une mosaïque que même les plus avertis ont du mal à comprendre. Il faut rendre à l’assurance vieillesse la cohérence qu’elle n’a plus. Qui conteste les principes d’unité et d’indivisibilité de la République ?

D’autre part, de nombreux régimes spéciaux sont des survivances du passé, conçus pour des métiers pénibles. Or, les évolutions technologiques et juridiques ont heureusement changé la donne. Ensuite, l’allongement régulier de la durée de la vie a considérablement modifié nos habitudes. Il faut en tirer toutes les conséquences sur l’organisation des régimes de retraite, notamment pour leur équilibre financier.

Enfin, dans un contexte économique et social difficile, l’équité est plus que jamais nécessaire. Nos concitoyens n’acceptent plus les distorsions entre les régimes, qu’il s’agisse de la durée des cotisations ou du montant de prestations. Il n’est qu’à considérer la situation des retraités de l’agriculture, du commerce ou de l’artisanat pour comprendre, ainsi que l’a expliqué le Président de la République, qu’il existe des régimes spéciaux qui ne correspondent pas à des métiers pénibles, mais que l’inverse est aussi vrai.

Telles sont les raisons qui expliquent le soutien de la majorité à ce projet de réforme, un soutien d’autant plus résolu qu’une concertation très large a lieu avec l’ensemble des partenaires sociaux. C’est de cette manière que le fond et la forme peuvent se rejoindre : la légitimité d’une réforme souhaitée par la grande majorité de nos concitoyens et la volonté du Gouvernement d’y associer toutes les parties concernées permettront de concilier justice sociale, simplification juridique, efficacité économique et en fin de compte de maintenir notre système d’assurance vieillesse (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Patrick Roy – On entend beaucoup parler du sujet qui nous intéresse ce matin, et depuis longtemps. Le Gouvernement, le Président de la République, le Premier ministre, s’il existe bien…

Plusieurs députés UMP – Oui !

M. Patrick Roy – C’est vrai, des fois, on le voit passer…

M. le Ministre – Si l’opposition existait, ce serait bien, aussi !

M. Patrick Roy – Tous ces gens donc se disent particulièrement soucieux d’équité, et même de justice sociale. Cela s’appelle la « suppression des privilèges ». En son temps, une autre assemblée nationale avait, dans une nuit du 4 août, supprimé d’autres privilèges (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). C’était un autre grand moment de la nation.

Plusieurs députés UMP - Oh là là !

M. Patrick Roy – L’intention est louable, incontestablement. Mais elle ne sert qu’à cacher votre dessein véritable, qui est de protéger les vrais privilégiés et, en France, ce ne sont pas ceux qui bénéficient de régimes spéciaux, lesquels sont souvent la contrepartie de désavantages,…

Plusieurs députés UMP – Lesquels ?

M. Patrick Roy – … mais ceux qui ont reçu cet été des cadeaux fiscaux parfaitement immoraux (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Cet été, vous avez donné encore plus à ceux qui avaient déjà beaucoup. Vous ne pouvez pas le nier, et tous les Français le savent.

Pour faire passer la réforme, vous utilisez une tactique vieille comme le monde : opposer les uns aux autres, les salariés entre eux (« Oh ! » sur les bancs du groupe UMP), ce qui permet de ne pas parler des vrais privilégiés. Je soulève ainsi depuis deux heures la question des stock-options, et le ministre n’a rien entendu ! Bien sûr qu’il faut remettre le système à plat – tout le système ! En commençant par souligner que la réforme de 2003 a fait augmenter le nombre des plus petites retraites.

M. le Ministre – C’est faux !

M. Patrick Roy – On compte aujourd’hui un million de retraités en dessous du seuil de pauvreté. Plus on va et plus il y a de retraités pauvres, de retraités qui ont besoin des Restaurants du cœur.

M. le Ministre – L’Observatoire de la pauvreté dit le contraire !

M. Patrick Roy – Comment est-il possible de vivre aujourd’hui en France avec quelques centaines d’euros ? Pour faire une réforme des retraites, il faut parler de cela aussi, et trouver le moyen d’éradiquer ce mal bien français. Mais vous n’apportez aucune solution. Vous avez donné des milliards cet été, mais qu’allez-vous faire pour lutter contre ce fléau des retraités pauvres ? Pour permettre aux victimes de l’amiante de partir en retraite avec l’allocation qui leur est réservée, l’ACATA ? Ils ne le font pas, parce que leur pension est bien trop faible !

Plusieurs députés UMP – Hors sujet !

M. Patrick Roy – Mettre en parallèle vos cadeaux fiscaux et des impératifs de justice sociale, ce n’est pas le sujet ? Parler du montant des retraites les plus modestes, c’est hors sujet ? Tous les retraités que je rencontre me disent qu’ils comptent sur moi pour les défendre. Ils ont raison, mais il y a du travail. La droite se précipite, elle précipite le débat : elle va droit vers le précipice social ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. Jean-Frédéric Poisson – Je commencerai par remercier le ministre d’avoir organisé ce débat, dont je ne pense pas que nous ayons à nous plaindre…

M. Roland Muzeau – Un débat donne lieu à un vote. Là, c’est une causerie.

M. Jean-Frédéric Poisson – Cela ne vous a pas empêché d’y prendre part, ce qui montre bien l’intérêt de l’exercice.

J’accorde tout mon soutien à cette réforme, Monsieur le ministre, mais je voudrais formuler quelques remarques. D’abord, la pérennisation du financement du système des retraites, qui est bien entendu un des objectifs de la réforme, est certes une question très technique, mais qui pose également le problème de la distribution des richesses dans notre pays. Il y a un équilibre à trouver entre ceux qui cotisent et ceux qui reçoivent. Il faut aussi faire évoluer notre organisation relative à la production et la conservation des richesses, qui est très insatisfaisante aujourd’hui. À ce propos, je fais partie de ceux qui ne sont pas effrayés par l’encadrement et la fiscalisation des stock-options. Il faudra en arriver à un système de ce genre, comme le préconise le président de la Cour de comptes.

M. Roland Muzeau – C’est ça, l’ouverture ! (Rires)

M. Jean-Frédéric Poisson – Pour moi, cela date de bien plus longtemps.

Il faudra donc trouver des solutions à la question non seulement de la balance entre capitalisation et répartition, mais aussi de la fiscalisation des richesses aujourd’hui défiscalisées.

La question de l’équité est également très importante. Je ne crois pas que le Gouvernement cherche à montrer du doigt les allocataires des régimes spéciaux, mais l’on ne peut que constater que ces derniers suscitent chez beaucoup de nos concitoyens une grande incompréhension, voire une sentiment d’injustice qu’il faut traiter comme tel. C’est une deuxième raison pour soutenir cette réforme.

Enfin, la question de la pénibilité a été évoquée par de nombreux orateurs ce matin. Il est vrai que c’est une notion extrêmement difficile à cerner. On privilégie généralement, pour l’évaluation de cette pénibilité, des critères physiques tels que le bruit, le travail de force ou l’exposition à des produits chimiques. Ce sont des éléments objectifs, quantifiables, sur lesquels on peut parvenir à s’entendre.

M. Roland Muzeau – Cela fait trois ans qu’on n’y parvient pas !

M. Jean-Frédéric Poisson – C’est vrai, mais cela devrait être possible, sur des données par nature objectives. Toutefois, ces critères sont issus d’un monde marqué par la prédominance de l’industrie. Aujourd’hui, les services prennent une importance croissante. Or, dans les métiers de service, qu’ils soient du secteur public ou privé, l’univers du travail est devenu – c’est un chef d’entreprise qui vous le dit – extrêmement brutal. Certains types de métiers, comme ceux de l’enseignement ou de l’éducation spécialisée ou ceux des forces de l’ordre, génèrent stress et dépression – j’en passe, et des pires. Dans une étude d’avril 2006, Gérard Lasfargues, du Centre d’études de l’emploi, indique que les éléments de précarisation des parcours professionnels – chômage, précarité des contrats, temps partiel imposé – ont des effets sur la santé. Aujourd’hui, même dans les métiers du service, la nature même du travail porte atteinte à la qualité de la vie et produit donc de la pénibilité. J’espère que les partenaires sociaux adopteront cette question comme thème de travail le 13 novembre. Je suis prêt à m’y consacrer autant que de besoin, de même qu’à soutenir votre réforme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Ministre – Le débat est d’importance. Votre présence tout du long, Monsieur le président, prouve qu’il s’agit d’un rendez-vous essentiel et je vous en remercie (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Je voudrais tout d’abord remercier Denis Jacquat, certes pour le soutien qu’il nous apporte, mais surtout pour avoir formulé des remarques et des propositions – propositions qui n’ont hélas pas été légion et je le regrette profondément. Car, si je suis devant vous ce matin, c’est pour vous rendre compte précisément de l’état des discussions avec les partenaires sociaux, mais aussi pour savoir comment vous voyez les choses. Je le sais désormais pour ce qui est de la majorité, moins pour d’autres.

Ce débat va nous permettre d’alimenter la réflexion non seulement du Gouvernement, mais aussi des partenaires sociaux. Vos remarques sur l’équilibre entre uniformité et spécificité des régimes étaient particulièrement intéressantes, Monsieur Jacquat. En effet, il faudra bien déterminer ce qui relèvera de la responsabilité du Gouvernement et ce qui incombera aux entreprises. Nous devons respecter des règles du jeu transversales, mais il faut aussi conserver certaines spécificités, liées à l’identité des régimes. J’aurai du reste l’occasion de présenter, dans le courant du mois d’octobre, ce qui relève de la responsabilité du Gouvernement et ce qui sera discuté dans les entreprises, aussitôt après qu’un document d’orientation aura été soumis à la concertation.

Vous avez également repris – et je sais que vous les faites vôtres – les suggestions du Conseil d’orientation des retraites. Tout le monde s’accorde sur l’utilité de cette instance, au sein de laquelle chacun s’efforce de laisser de côté l’idéologie. Las, aucun consensus ne semble pouvoir se dégager, alors que le diagnostic de départ est, lui, partagé. Je le regrette profondément, d’autant que dans nombre d’autres pays, il est possible, sur de tels sujets, d’aller plus loin que le diagnostic partagé ! En France, il semble presque impossible de se retrouver aussi sur les solutions, et je le déplore sincèrement.

Alors, oui, vous avez raison, cher Denis Jacquat, de reprendre les pistes du COR, notamment pour ce qui concerne l’allongement de la durée d’assurance, le mode d’indexation des pensions, ou même les avantages familiaux. Il me semble que ces principes généraux commencent à faire l’objet d’un consensus. Comment accepter que les antagonismes ressurgissent dès lors qu’on pénètre dans un hémicycle ?

Enfin, à l’instar du président Méhaignerie, vous avez évoqué la notion importante de liberté de choix, liée à celles de décote et de surcote. Chacun doit pouvoir choisir de partir librement, plus tôt, parfois, en assumant les conséquences de cette décision. Cela était d’ailleurs prévu dans la réforme de 2003, même si je ne suis pas certain que le principe du libre choix ait été bien compris par les uns et les autres.

J’en viens à l’intervention de Marisol Touraine. J’ai entendu beaucoup de remarques sur la forme, au point que j’aurais pu croire, Madame la députée, que vous vous évertuiez à les multiplier pour ne pas vous prononcer sur le fond. Je ne vous ferai pas de procès d’intention, mais l’on pouvait sincèrement avoir ce sentiment. (« Tout à fait ! » sur les bancs du groupe UMP) Au reste, que penser de ce que vous avez dit : qu’il ne fallait pas que ce débat ait lieu ?

Mme Marisol Touraine – Mais si ! Et il aurait même fallu voter !

M. le Ministre – Même si le sujet relève à l’évidence du domaine réglementaire, j’ai jugé souhaitable d’innover, en venant entendre vos remarques et vos critiques, alors même qu’en droit, rien ne m’y obligeait. Dès lors, en bonne logique démocratique, êtes-vous fondée à me le reprocher ? (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Lionel Tardy – Bravo ! Nous n’avons rien à cacher.

M. le Ministre – Le débat aurait aussi pu avoir lieu en commission, mais y aurait-on gagné ? Je rappelle qu’un débat analogue a eu lieu sur le décret relatif à l’interdiction de fumer dans les lieux publics. Même pour les débats d’essence réglementaire, je considère qu’il y a tout intérêt à venir dans le Parlement pour débattre en toute transparence de l’ensemble des enjeux.

La question de l’âge de départ actuel dans les entreprises concernées par les régimes spéciaux ne doit pas être esquivée. Certains partent sans pouvoir prétendre à une retraite à taux plein du fait des mises à la retraite d’office. Ce sujet est sur la table et il est bon de se prononcer ouvertement sur le maintien ou non des retraites couperets, puis d’examiner, le cas échéant, le rythme de leur suppression. J’ai posé la question tout à l’heure et il n’y a aucun piège sur ce point.

S’agissant des questions de calendrier, je dirai simplement que c’est à la suite de la demande des organisations syndicales d’être toutes reçues au cours de la même semaine que la date du présent débat a été avancée, de manière à vous rendre compte aussitôt des résultats de cette première phase de négociation. Il n’y a donc aucune accélération du calendrier, qu’il s’agisse des rencontres au ministère ou du présent exercice.

Quant aux déclarations du Président de la République et du Premier ministre, je vous demande, Madame la députée, de les citer intégralement. Cela évite d’y revenir. Qu’a dit le Premier ministre ? Que nous étions prêts, lorsque le Président de la République donnerait le signal, à lancer les négociations. Voilà l’intégralité de la phrase. Car, voyez-vous, moi, je ne sais pas réformer sans concertation ! Donner le départ d’une réforme, c’est, forcément, donner le départ de la concertation.

À la différence de vous, Madame Touraine, M. Huet a repris très exactement les propos du Président de la République et je l’en remercie. Qu’a dit le Président Sarkozy ? Qu’il y avait des régimes spéciaux pour des métiers dans lesquels la pénibilité n’était pas certaine, alors que certains métiers pénibles n’étaient pas forcément couverts par des régimes spéciaux. C’est cette différence de traitement qui est indigne, et le Président de la République n’a donc stigmatisé personne (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Roland Muzeau – Mais si !

M. le Ministre – Mieux vaut se référer à des citations complètes : cela évite les mauvaises interprétations ! (Même mouvement)

Mme Touraine a également déploré que ce débat ne soit pas suivi d’un vote. Madame la députée, vous connaissez trop bien la matière parlementaire pour ignorer le partage qu’opèrent les articles 34 et 37 de la Constitution. Or voilà que vous voudriez voter dans un domaine qui relève du réglementaire ? Vous savez bien que cela n’est pas possible ! Expliquez-moi comment je pourrais, une fois que les discussions dans les entreprises auront eu lieu, déposer un projet de loi sur un sujet d’essence réglementaire, au risque de le voir déclasser par le Conseil constitutionnel ? On ne joue pas ainsi avec nos institutions et croyez bien que nous n’avons pas agi par commodité. Au reste, nombre de syndicats partagent cette analyse et ont reconnu, dans mon bureau, que nous étions bien dans le domaine réglementaire.

S’agissant des pensions, ne vous inquiétez pas, même si le Gouvernement ne parvient pas à vous rassurer, car il y aura une commission. Cette commission de revalorisation des pensions, je ne suis pas en train de la créer devant vous, puisqu’elle a été instituée par la réforme de 2003. C’est cette instance indépendante qui va nous dire si, oui ou non, le pouvoir d’achat des retraites a été garanti depuis la réforme de 2003. Je gage que cela permettra de dissiper les fantasmes qu’entretiennent certains et de remettre les pendules à l’heure. Il faut renoncer à propager des contrevérités.

Permettez-moi, pour conclure, de faire une remarque. Vous avez, Madame Touraine, été élue en 1997. Dix ans après, s’agissant des retraites, vous êtes toujours sur la même ligne de refus de la réforme… (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Marisol Touraine – Pas du tout !

M. le Ministre – Et c’est, en définitive, la célèbre maxime de Queuille qui résume le mieux votre posture : « Il n’est pas de problème si complexe qu’une absence de solution ne finisse par régler » (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Je me tourne à présent vers Roland Muzeau, pour lui dire que jamais il n’entendra de ma bouche, dans cet hémicycle ou ailleurs, des propos de stigmatisation. La justice sociale, nous la devons à l’ensemble des Français, notamment en les mettant sur un pied d’égalité pour ce qui concerne la durée de cotisation, mais aussi à ceux qui relèvent des régimes spéciaux, car la vérité nous conduit à dire que, pour nombre d’entre eux, le niveau des pensions versées est inférieur à la moyenne. Même si la pension moyenne n’est pas inférieure à celle versée dans les autres régimes, nombre d’agents perçoivent une retraite très faible, notamment si leur carrière est incomplète…

M. Roland Muzeau – Et pas seulement pour cela !

M. le Ministre – Il faut aussi noter que nombre de primes ne sont pas prises en compte dans le calcul de la pension. Au reste, je répète une fois encore que nous ne cherchons pas, Messieurs Préel et de Courson, à faire disparaître les régimes spéciaux, mais à les réformer, en vue de garantir les retraites de leurs ressortissants.

Plusieurs orateurs ont parlé des stock-options : ne soyez pas impatients ! Ce débat vient, et je le dis volontiers devant le président Méhaignerie, qui a décidé de le mettre à l’ordre du jour du PLFSS pour 2008. Le ministre de la solidarité que je suis aussi ne redoute pas ce débat. Au contraire, il l’attend ! Car il donnera l’occasion de préciser les sources de financement de la sécurité sociale, en gardant à l’esprit ce sur quoi nous avons été élus, soit le pouvoir d’achat. Et cela m’amène d’emblée à faire une différence entre les stock-options, l’intéressement et la participation. Un mode de taxation indifférencié de ces trois sources de revenus pourrait en effet avoir des conséquences désastreuses sur le pouvoir d’achat. Le débat aura lieu, et l’on verra alors que les plus progressistes ne sont pas forcément ceux qui parlent le plus fort ! (M. Roland Muzeau proteste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

S’agissant de la taxation des revenus du capital, il n’y a, Monsieur Muzeau, aucun tabou ! À travers la CSG – qui alimente le Fonds de solidarité vieillesse – et la taxe de 2 % sur les revenus du capital – qui alimente le Fonds de réserve des retraites –, les revenus du capital contribuent déjà à la solidarité. Alors, de grâce, n’allez pas faire croire que vous allez régler le financement des régimes spéciaux avec une telle taxe !

M. Roland Muzeau – Je n’ai pas dit cela.

M. le Ministre – Car vous aurez du mal à utiliser la même recette pour régler le financement de l’ensemble des retraites. Évitez de faire croire qu’il y aurait des solutions miracles !

Pour ce qui concerne la compensation entre les régimes, M. Muzeau a indiqué que 3,8 milliards seraient dus aux régimes spéciaux. La vérité, c’est que la commission des comptes de la sécurité sociale a très clairement indiqué qu’ils étaient bénéficiaires, à hauteur de 116 millions, au titre de la solidarité nationale.

M. Denis Jacquat – Sans doute M. Muzeau a-t-il lu le document à l’envers !

M. le Ministre – Je partage la volonté de dialogue social exprimée par Jean-Luc Préel. Elle explique du reste la volonté du Gouvernement de conduire cette réforme dans la concertation. Pourtant, dès que l’on ouvre le dialogue, certains nous reprochent d’avoir déjà tout ficelé ! Pour avoir piloté la réforme sur l’interdiction de fumer dans les lieux publics, je puis témoigner que le point d’arrivée diffère parfois sensiblement du point de départ. C’est la concertation qui permet d’éviter certaines erreurs et de trouver la bonne voie de passage.

Des repères ont été fixés, et nous savons, chère Bérengère Poletti, en combien de temps s’est faite la progressivité pour le régime général comme pour la fonction publique. Cela vaut la peine de prendre le temps de discuter, pour trouver les bons réglages et la voie de passage. Voilà pourquoi nous jouerons jusqu’au bout la carte du dialogue social. Voilà pourquoi je laisserai aussi toute leur place aux négociations dans les entreprises, voire au niveau des branches lorsque c’est nécessaire, notamment pour les IEG.

Comme vous, nous souhaitons aussi que la pénibilité soit prise en compte, tant pour les régimes spéciaux qu’à l’occasion du rendez-vous de 2008. Ce n’est pas un sujet facile, et je le sais d’autant mieux que c’est moi-même qui, en tant que rapporteur de la loi de 2003, ai incité les partenaires sociaux à rouvrir la négociation. Peut-être faudrait-il à présent les obliger à la conclure, mais cela, en droit français, n’est pas pensable !

En 2008, ce sujet sera central, et ce n’est pas parce que d’autres pays européens n’ont pas trouvé la solution que nous devons nous dispenser d’essayer. Différents critères ont été évoqués tout à l’heure : je les reprends, car je pense que nous devons faire preuve d’imagination et de créativité. Si nous renoncions à traiter un tel sujet, nous ne serions pas dignes d’exercer des responsabilités politiques (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

Au nom de la justice entre les Français, plusieurs d’entre vous ont posé la question des six derniers mois et des vingt-cinq meilleures années. Soyons clairs : si le régime de la fonction publique – vers lequel doivent tendre les régimes spéciaux – retient la règle des six derniers mois, c’est tout simplement parce que les primes ne sont pas – ou mal – prises en compte dans le calcul des droits à pension. Si l’on allait vers les 25 meilleures années, cela conduirait, par souci d’équité, à intégrer l’ensemble des primes. Quels sont les enjeux financiers d’une telle évolution ? Le régime général y gagnerait-il vraiment ? Je n’en suis pas persuadé. Au surplus, serait créée une vraie disparité entre les fonctionnaires qui touchent, du fait de leur niveau de responsabilités, des primes importantes et d’autres agents publics, notamment dans la fonction publique territoriale, qui ne sont pas du tout égaux devant les primes…

Plusieurs députés UMP – Tout à fait !

M. le Ministre – Voilà pourquoi le choix des six derniers mois peut être clairement assumé. Sur ce point, notre objectif de convergence est parfaitement justifié.

Si nous traitons le sujet des régimes spéciaux aujourd’hui, ce n’est pas pour rouvrir le dossier tous les six mois (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). Nous devons aux agents des critères de réforme susceptibles de leur donner des assurances pour le futur, notamment en matière financière. Je gage que nous nous retrouverons sur ce point, car il y a va du respect dû à ces salariés.

M. Méhaignerie a eu raison de se placer dans une perspective européenne. Nos voisins vont vers l’harmonisation des régimes. Rappelons à ce propos qu’en France un salarié de plus de 55 ans sur trois continue à travailler dans l’entreprise, contre 70 % en Suède, et une moyenne de 50 % en Europe, ce qui est l’objectif de la stratégie de Lisbonne. Inutile de faire de nouveaux discours pour demander aux entreprises de faire leur place aux salariés âgés ; cela ne fonctionne pas. Nous prendrons donc des mesures qui les inciteront à ne pas persévérer dans leurs pratiques. Pour 2008, nous proposerons peut-être un système de bonus-malus. Mais nous en traiterons déjà dans le PLFSS.

Le président Méhaignerie a souligné aussi qu’en 40 ans, l’espérance de vie s’est accrue de neuf ans. Dans ces conditions, demander aux régime spéciaux de s’adapter n’est pas les stigmatiser : si nous vivons plus longtemps, il est logique de travailler un peu plus longtemps.

Je sais que la question de la pénibilité vous tient à cœur, Monsieur le président de la commission. Elle n’est pas facile à traiter. Mais si les partenaires sociaux n’avancent pas, nous devrons certainement donner un coup d’accélérateur pour qu’en 2008 le sujet ne soit pas laissé de côté. Il n’y a là aucune fatalité et nous devons prendre nos responsabilités. Mais je mènerai la concertation jusqu’au bout.

Mme Poletti a bien situé les enjeux du débat. Elle a proposé de retenir pour les régimes spéciaux la même durée de convergence que pour la fonction publique, soit cinq ans. C’était dix ans pour le privé. Le choix du rythme est un point essentiel. J’attends les propositions des dirigeants d’entreprise et des syndicats pour constituer un dossier d’orientation. Effectivement, nous ne pouvons conserver des petites retraites et des pensions de réversion d’un niveau aussi bas, et ce sera un des enjeux de la réforme de 2008.

Monsieur Sirugue, la question des mises à la retraite d’office sera abordée dans le PLFSS. J’ai cru comprendre que vous ne trouviez pas ce débat illégitime. Des propositions de votre part ne l’auraient pas été non plus (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

L’intervention de M. de Rugy était, je dois le dire, caricaturale et décalée. Je ne peux accepter d’être accusé d’idéologie par qui y semble complètement plongé. En revanche je n’ai rien entendu sur les régimes spéciaux – sur les stock-options, j’ai dit que le débat va avoir lieu. Certains propos m’ont choqué, sur la forme et sur le fond, car nous devons nous respecter, même si nous ne sommes pas d’accord (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Denis Jacquat – Très bien !

M. le Ministre – Monsieur de Courson, oui, ce débat sur les régimes spéciaux est utile. Vous proposez leur mise en extinction. Nous avons choisi l’harmonisation avec la fonction publique, qui correspond aux spécificités du service public assumé par la RATP ou la SNCF. Nous assurerons ainsi le financement dans la cohérence, sous la réserve de la période de référence, sur laquelle je me suis déjà exprimé.

M. Mariton a mis le doigt sur un point saillant de la réforme. Mais pour moi, il y en a plusieurs. La durée de cotisation n’est pas le moindre. Et je n’ai pas abandonné la question de la décote. Cet instrument est à manier avec dextérité, sinon on peut aboutir, dans certains régimes spéciaux où le niveau des retraites est plus faible, à un allongement de la durée de cotisation et à une baisse des pensions. Je ne le veux pas. La question des bonifications est sujette à débat, le Président de la République l’a dit. Mais les questions essentielles sont celles de l’allongement de la durée de cotisation et de la décote. Celle de l’indexation n’est pas non plus accessoire. Aucune n’est tabou. Je comprends bien qu’on examinera si, finalement, cette réforme apporte aussi des réponses sur le financement de ces régimes et donc que nous avons une obligation de résultat.

Je suis tout à fait sensible à la nécessite de l’égalité entre les Français sur laquelle a insisté M. Huet. En mettant à plat les régimes spéciaux, nous pourrons être au rendez-vous de la justice sociale.

Monsieur Roy, je suis très attentif au pouvoir d’achat des retraités. C’est pourquoi j’ai demandé en 2003 qu’il y ait des outils pour que l’augmentation des retraites ne puisse avoir d’effet négatif sur ce pouvoir d’achat. Mais ce n’est pas au ministre d’en apporter la garantie, c’est à la commission qui en est chargée. Par ailleurs, l’Observatoire de la pauvreté a bien montré que depuis une trentaine d’années, le pouvoir d’achat des retraités n’a pas diminué.

Monsieur Poisson, la réforme du financement n’est pas celle des droits, et c’est cette dernière dont nous nous occupons aujourd’hui. Mais il est important aussi d’avoir le débat sur le financement, lequel doit faire l’objet de règles.

Pour conclure, j’ai indiqué aux présidents de groupe ou à leur représentant que je suis à leur disposition pour poursuivre cet échange sous quelque forme que ce soit. À vous de me dire comment vous voyez les suites de la concertation. Mais je vous invite tous à jouer le jeu. La rénovation de la vie politique, c’est celle des institutions, mais aussi de la pratique et du discours politique. Pour qu’un tel débat soit vivant, il faut des propositions de part et d’autre. J’aimerais donc avoir affaire à une opposition qui s’oppose, mais aussi qui propose. Or je suis resté sur ma faim…(Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président – Le débat est terminé.

Prochaine séance : cet après-midi à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 40.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Le compte rendu analytique des questions au Gouvernement
est également disponible, sur Internet et sous la forme d’un fascicule spécial,
dès dix-huit heures

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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