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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du mercredi 3 octobre 2007

2ème séance
Séance de 15 heures
4ème séance de la session
Présidence de M. Bernard Accoyer

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La séance est ouverte à quinze heures.

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

TESTS ADN

M. François Hollande – Certains sujets dépassent les clivages politiques ordinaires, parce qu’ils touchent à notre conception de l’individu, à l’idée de la République et à l’image de la France. L’amendement relatif à l’usage de l’ADN en matière d’immigration a ainsi suscité une émotion légitime et une mobilisation qui dépassent largement les rangs habituels de la gauche.

Cet amendement heurte en effet trois principes : tout d’abord, la définition même de la famille, qui n’est pas fondée, en droit français, sur la biologie, mais sur la reconnaissance. Remettre en cause cette conception, c’est porter atteinte à nos principes, par-delà la seule question de l’immigration.

La seconde valeur remise en cause tient au rôle de la biologie dans notre société : nous sommes le seul pays au monde qui ait adopté des lois en matière de bioéthique. Or, ces lois restreignent l’usage des tests ADN à deux cas : les procédures judiciaires et les recherches médicales. Vous ouvrez donc une brèche dont les conséquences risquent d’être extrêmement graves.

Le refus de toute discrimination est le dernier principe en jeu : pourquoi demander à un étranger de faire valider génétiquement son lien avec sa famille ? En tant que Français, nous refuserions de nous soumettre à une telle procédure en cas d’expatriation ! Il s’agit d’une discrimination fondée sur le caractère français ou étranger de la personne.

Pour toutes ces raisons, cet amendement a suscité une émotion qui dépasse nos frontières. En témoignent l’intervention du président du Sénégal et celle du président de la commission de l’UEOA.

M. le Président – Veuillez poser votre question (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. Maxime Gremetz – Rendez-nous Debré !

M. François Hollande – Sous la pression, des corrections ont certes été apportées à cet amendement ; mais celui-ci deviendra alors, soit impraticable – et alors pourquoi le maintenir ? –, soit limité à quelques cas, ce qui serait une discrimination encore plus grave. Quand un amendement suscite une telle émotion, Monsieur le Premier ministre, la sagesse exige qu’on le retire (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. François Fillon, Premier ministre  La France est une nation d’intégration. Cela signifie que celui qui vient en France adopte la France, et que la France l’adopte en retour comme l’un des siens (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Il n’y a pas d’intégration possible sans valeurs communes, et il n’y a donc pas d’immigration sans contrôles ni exigences (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; interruptions sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

Afin de passer d’une immigration subie à une immigration choisie (Mêmes mouvements), nous entendons nous doter de tous les instruments nécessaires. Votre rapporteur, Thierry Mariani, a ainsi déposé un amendement sur les tests ADN, qui a fait l’objet d’un débat approfondi à l’Assemblée, avant d’être adopté à la majorité de 91 voix contre 45. Le débat se poursuit actuellement au Sénat, où certains ont fait part de leurs interrogations, tandis que d’autres ont émis des propositions. C’est la logique de nos institutions ! Mais il faut éviter, de grâce, les polémiques et les caricatures (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; huées sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

Personne ne propose d’instaurer un fichage génétique (« Mais si ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) ni de porter atteinte aux lois de bioéthique (Même mouvement). Il s’agit simplement de donner un moyen de prouver leur filiation aux demandeurs de titre de séjour qui ne disposent pas de documents d’état civil !

Douze pays démocratiques utilisent déjà ces tests ; sans prétendre qu’il faut procéder à l’identique, il me semble que rien ne justifie de rejeter d’emblée un système adopté par les travaillistes britanniques, les socialistes espagnols, la gauche italienne, et par la coalition démocrate-chrétienne et sociale-démocrate allemande (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

Il s’agit en effet d’accorder un droit nouveau aux étrangers de bonne foi (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) dans un cadre respectueux de nos principes juridiques. Ce texte suscite des passions et des interrogations, que le Gouvernement a souhaité entendre : le texte initial continue donc d’être amendé afin d’accroître les garanties de procédure.

Le Gouvernement tirera toutes les conséquences du débat qui se poursuit en ce moment au Sénat, mais nous sommes décidés, Monsieur Hollande, à utiliser les techniques modernes de biométrie au service d’une politique maîtrisée de l’immigration. Agir autrement, ce serait de la naïveté ou de l’inconséquence. Ce serait porter atteinte à l’intérêt général ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; huées sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

CONTAMINATION EN MARTINIQUE ET EN GUADELOUPE

M. Yves Cochet – Ma question porte sur la catastrophe écologique et sanitaire causée par le chlordécone en Martinique et en Guadeloupe. Les conclusions rendues par le Groupe d'études et de prospective, créé en avril 2005, sont d’une extrême gravité : la décontamination des sols pourra prendre plusieurs siècles ; le pesticide ne se concentre pas seulement dans les racines et bulbes des plantes, mais aussi dans les parties aériennes de la canne à sucre et de l’ananas ; enfin, 40 % des espèces animales marines sont aujourd’hui contaminés.

Vous avez rencontré, Monsieur Borloo, le responsable des « Verts » aux Antilles, Harry Durimel, et vous vous êtes engagé à établir un collège d’experts composé de scientifiques antillais et de métropole, mais aussi d’autres pays, afin de garantir la neutralité de l’expertise. Pouvez-vous confirmer la formation de ce collège d’experts, et nous indiquer quels mécanismes de solidarité vous entendez mettre en place ?

Cette catastrophe doit nous alerter plus largement sur les dangers posés par le modèle agricole intensif et productiviste qui domine dans notre pays : plus de 50 % des fruits et des légumes contiennent des pesticides, dont on trouve des résidus partout – dans l’eau du robinet, dans l’air, dans la pluie ou encore dans les rivières.

Les effets de ces substances sur la santé commencent pourtant d’être connus : cancers, malformations congénitales, infertilité, problèmes neurologiques, affaiblissement du système immunitaire…

Le 3 septembre dernier, vous avez déclaré, Monsieur le ministre, qu’un accord global sur la réduction de l’emploi des pesticides devrait être trouvé à l’issue du Grenelle de l’environnement. D’autres pays européens, comme les Pays-Bas, la Suède, la Suisse et désormais l’Allemagne également, sont parvenus à réduire chez eux de moitié l’usage des pesticides en dix ans. La France peut-elle s’engager à atteindre le même résultat ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État, ministre de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables – Conformément à ce que je vous avais dit à Nantes il y a quelques jours, j’ai rencontré Harry Durimel dimanche soir et me suis entretenu avec lui, en accord avec Christian Estrosi, Michel Barnier et Roselyne Bachelot, de la mise en place d’une mission d’expertise pluridisciplinaire sur cette question du chlordécone. Il s’agit de savoir ce qui s’est passé après l’interdiction de 1993 et de garantir que la transparence sera totale en tous points. Michel Barnier, pour sa part, réfléchit aux moyens de relancer la culture de la banane dans d’autres conditions.

D’une manière plus générale, notre pays a réduit de 37 % ces cinq dernières années l’usage des pesticides et des produits phytosanitaires – lesquels ne sont d’ailleurs pas utilisés seulement par l’agriculture, mais aussi dans les jardins, publics et privés. Michel Barnier et moi-même avons la ferme intention d’obtenir dans le cadre du Grenelle de l’environnement la réduction de l’utilisation de ces substances, en commençant par interdire les plus dangereuses d’entre elles, dont la liste est quasiment arrêtée. Nous tiendrons les engagements pris. Nous allons avoir l’occasion d’en traiter dans le débat qui va suivre cette séance de questions au Gouvernement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

RÉFORME DE LA CARTE JUDICIAIRE

M. Jean Dionis du Séjour – Ma question, à laquelle j’associe tous les membres du groupe Nouveau centre concernés, en particulier mes collègues Rudy Salles, Yvan Lachaud, Stéphane Demilly et Claude Leteurtre, s’adresse à Mme la garde des sceaux et concerne la réforme de la carte judiciaire (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche). Notre collègue de l’UMP, Jean-Claude Warsmann, vous a interrogée hier sur le même sujet. Votre réponse a, hélas, été d’une grande discrétion (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche). Or, la représentation nationale a besoin de savoir où en est la concertation et quelles sont les orientations retenues pour cette réforme majeure. Il ne serait pas acceptable qu’elle soit la dernière informée et consultée.

Nicolas Sarkozy s’est engagé dans son programme à réformer la carte judiciaire, projet que nous soutenons, ici comme dans nos circonscriptions. Mais la méthode technocratique un temps envisagée avec le slogan : une cour d’appel par région administrative et un tribunal de grande instance par département, nous a inquiétés. Cela aurait ainsi signifié, dans mon département du Lot-et-Garonne, la suppression de la cour d’appel d’Agen et du TGI de Marmande, mesures inacceptables aussi bien au regard de la rapidité avec laquelle doit être rendue la justice, de l’accès à la justice, de l’aménagement du territoire et même de la bonne gestion des deniers publics. Les réalités complexes du terrain, votre volonté de coupler cette réforme avec l’utilisation des nouvelles technologies de l’information ainsi que celle de réformer les procédures ont, heureusement, eu raison de cette vision de départ, très maladroite.

La semaine dernière, Le Monde a fait état d’orientations précises sur la manière dont vous allez conduire ce projet et annoncé que les premiers arbitrages seraient rendus avant la fin octobre. Madame la ministre, quels sont les objectifs politiques de cette réforme ? Comment pensez-vous les atteindre et selon quel calendrier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau centre et plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice Cette réforme de la carte judiciaire sera d’abord menée dans l’intérêt du justiciable, lequel souhaite une justice de qualité, lisible et rapide (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche). Nos moyens sont aujourd’hui dispersés avec 1 200 juridictions sur 800 sites. La loi du 5 mars 2007 m’impose de mettre en place les pôles de l’instruction, ce qui exige de regrouper les moyens. Je m’y emploierai. Par ailleurs, les progrès dans les technologies de l’information et de la communication nous permettent d’envisager de rendre la justice de manière plus efficace et plus rapide (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche). Pour le reste, cette réforme ne sera pas menée de manière technocratique, mais dans la concertation (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche), en tenant compte de la dimension d’aménagement du territoire. Pour ce qui est du calendrier, cette réforme ne se fera pas en un jour, mais s’étalera sur trois ans (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe Nouveau centre ; protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

FUSION ANPE-ASSEDIC

M. Fréderic Lefebvre – Madame la ministre de l’économie, des finances et de l’emploi, nous procédons actuellement avec mes collègues rapporteurs du budget de l’emploi, Gaëtan Gorce et Alain Joyandet, aux auditions sur ce budget. C’est l’occasion pour nous de faire le bilan de la convention tripartite conclue le 5 mai 2006 entre l’État, l’ANPE et l’UNEDIC. Bien qu’encourageant, ce bilan nous conduit à penser qu’il faut agir vite. Je me félicite donc de la rapidité avec laquelle vous avez présenté les grandes lignes du projet de fusion entre l’ANPE et l’UNEDIC, conformément à l’engagement pris par le Président de la République…

M. Jean-Pierre Brard – Que vient-il faire là, celui-là ?

M. Fréderic Lefebvre – Si la convention a permis de simplifier les démarches des demandeurs d’emploi, force est de constater qu’ils effectuent toujours un parcours du combattant : entretiens administratifs identiques à répétition, systèmes informatiques souvent incompatibles – Jean-Louis Borloo acquiesce…–, suivi insuffisamment personnalisé, 900 points d’accueil pour l’ANPE et 700 pour les ASSEDIC.

Pouvez-vous nous indiquer les grandes lignes du projet de fusion ? (« Allô ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche) Quelles améliorations peut-on en attendre ? Selon quel calendrier sera menée cette réforme, si attendue des chômeurs de notre pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l’emploi Je veux tout d’abord rendre hommage à Jean-Louis Borloo dont la loi de cohésion sociale a encouragé l’ANPE et les ASSEDIC à travailler ensemble pour améliorer le service rendu aux demandeurs d’emploi (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

Nous allons maintenant passer la surmultipliée (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche) en rapprochant l’ANPE et les ASSEDIC. Nous souhaitons mettre en place un guichet unique aussi bien pour les personnes à la recherche d’un emploi que pour les entreprises à la recherche d’un salarié. La fusion du réseau de l’ANPE et de celui des ASSEDIC donnera bien entendu naissance à une institution nouvelle, financée par le régime d’assurance-chômage, géré par les partenaires sociaux, et par l’État pour la part qui lui incombe.

L’objectif est aussi d’améliorer le service aux demandeurs. Aujourd’hui, pour les publics les plus éloignés de l’emploi, le ratio est d’un agent référent pour 60 demandeurs d’emploi.

M. Maxime Gremetz – C’est faux !

Mme la Ministre – Et la moyenne générale est d’un agent référent pour un peu plus de 100 demandeurs d’emploi. Notre objectif, pour les publics prioritaires, est de ramener ce ratio, au terme de la fusion, à un agent référent pour 30 demandeurs d’emploi.

S’agissant du calendrier, nous souhaitons mener une phase de concertation, avec les organisations représentatives des salariés, le patronat et les collectivités territoriales, dont je salue ici les efforts en faveur de l’emploi. ANPE, Assedic, même combat : faire baisser le chômage ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

EADS

M. Henri Emmanuelli – Monsieur le Premier ministre, l’autorité des marchés financiers a transmis au Parquet un document accablant, concluant à un « délit d’initiés massif » concernant les groupes d’actionnaires et les dirigeants d’EADS, et de sa filiale Airbus. Ma pensée va d’abord aux milliers de salariés qui subissent les rigueurs du plan Power 8 (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

Même si j’ai noté que le Gouvernement s’en remettait beaucoup à la justice, je souhaiterais néanmoins vous poser quelques questions. Confirmez-vous ou infirmez-vous l’existence d’une note de l’Agence des participations de l’État informant le Gouvernement des déboires du groupe et l’incitant – de manière stupéfiante ! – à vendre sa participation ? Sachant qu’il existe un pacte d’actionnaires incluant un droit de préemption, vous paraît-il possible que la SOGEADE – société holding qui porte la participation de l’État et celle du groupe Lagardère – ait pu céder les titres de ce dernier sans l’autorisation de l’État actionnaire, en ignorant le prix de la transaction et l’identité des acheteurs ? Quelles sont les directives données par le ministère des finances à l’APE pour que ne se reproduise pas ce genre de mésaventures ? Enfin, comptez-vous apporter un peu de transparence dans cette situation préoccupante, où se mêlent intérêt public et intérêts privés, qu’il s’agisse de personnes morales ou de personnes physiques ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l’emploi Je tiens d’abord à rappeler qu’EADS est une entreprise stratégique pour la France et pour l’Europe.

M. Bernard Roman – On le sait bien !

Mme la Ministre – L’État, depuis la constitution d’EADS, n’a jamais vendu une seule action du groupe : il n’est pas question d’invoquer un quelconque délit d’initiés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Henri Emmanuelli – Parlez-nous de la SOGEADE !

Mme la Ministre – Si cela vous intéresse, écoutez-moi ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Les services de mon ministère, en janvier 2006, ont bien recommandé de réduire la participation de l’État dans le groupe EADS, compte tenu des niveaux de valorisation atteints à l’époque. Il s’agit d’une pratique habituelle, afin de bien gérer le portefeuille d’actions et de participations détenu par l’État. Cette recommandation se fondait exclusivement sur des informations publiques à caractère financier et ne faisait mention ni des retards du programme A 380 ni de quelconques difficultés opérationnelles du groupe.

Le caractère stratégique de l’entreprise a conduit le ministre de l’économie de l’époque, Thierry Breton, à ne pas suivre cette recommandation. De la même manière, le Président de la République, dès le 16 juillet, a recommandé une modification de la gouvernance d’EADS et d’Airbus, dans l’intérêt de la France, de l’Europe et des salariés.

M. Arnaud Montebourg – Qu’en est-il du droit de préemption ?

Mme la Ministre – Il est important de laisser le groupe EADS poursuivre sa réorganisation et de permettre à MM. Gallois et Grüber de mener à bien leur tâche !

S’agissant des cessions d’actions par les dirigeants du groupe, il s’agit de décisions personnelles (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine). L’État, faut-il le souligner, n’est pas représenté au conseil d’administration de la société.

L’AMF et la justice sont saisies d’opérations effectuées par certains actionnaires d’EADS. Elles poursuivront leur travail de manière indépendante ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Arnaud Montebourg – Merci Madame Lagardère !

RÉCIDIVE

M. Guy Geoffroy – La récidive est au cœur des préoccupations de nos concitoyens, et à ce titre, le Gouvernement et le Parlement ont été amenés, dès la législature précédente, à prendre des dispositions nouvelles visant à mieux la prévenir et à mieux la punir. Une mission d’information a ainsi été mise en place au sein de la commission des lois. Notre regretté collègue Gérard Léonard en fut le rapporteur.

Le Président de la République, durant sa campagne électorale, a souhaité afficher des objectifs nouveaux. Dans cette optique, Madame la garde des sceaux, vous avez repris l’un des engagements de Nicolas Sarkozy, sous la forme d’un projet de loi contenant des dispositions complémentaires sur la prévention et la répression de la récidive, que j’ai eu l’honneur de rapporter.

Que n’a-t-on entendu sur ce texte ? On nous a accusés de mettre à mal le principe de l’individualisation de la peine, de vouloir remplir à l’excès des prisons déjà surpeuplées, de souhaiter en finir avec l’ordonnance de 1945 et la justice des mineurs. Mais le Conseil constitutionnel a validé l’ensemble des dispositions votées par le Parlement, faisant litière des assertions soutenues par de bonnes âmes donneuses de leçons !

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche – La question !

M. Guy Geoffroy – Ma question est simple : un peu moins de deux mois après la loi du 10 août 2007, quels enseignements et quelles conclusions peut-on en tirer ?

M. Bernard Roman – Allô ! allô !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice Les Français nous ont demandé de faire preuve de clarté et de fermeté face à la récidive. Nous avons satisfait leur demande par cette loi que je remercie le Parlement d’avoir adopté. Aujourd’hui, je suis prête, comme je m’y étais engagée lors de l’examen du projet, à rendre compte devant la représentation nationale de l’application du texte. Déjà 857 décisions ont été rendues au titre de la loi, dont deux tiers de peines planchers s’appliquant à des multirécidivistes reconnus coupables de faits graves – viols en réunion, vols avec violences, violence conjugale. Le texte permet donc bien de réprimer la récidive.

M. Henri Emmanuelli – Avec l’accord des magistrats !

Mme la Garde des Sceaux  Nous ne renoncerons pas à cette fermeté (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Michel Vauzelle – Respectez les magistrats !

FERMETURE DE L’USINE KLÉBER DE TOUL

Mme Nadine Morano – Madame la ministre de l’économie, les 826 salariés de l’usine Kléber, filiale du groupe Michelin, viennent d’apprendre, en même temps que leurs élus, que ce site – fleuron économique de la ville de Toul et du Toulois depuis 1969 – fermerait en 2009.

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche – Voilà !

Mme Nadine Morano – Ce sujet mérite un peu d’attention et de solidarité !

Même si la forte concurrence qui règne sur ce marché des pneus de tourisme milieu de gamme avait suscité des inquiétudes, relayées par les organisations syndicales, aucune information ne laissait présager une issue aussi fatale que rapide : c’est un véritable choc.

D’après les informations fournies par Michelin, le groupe doit restructurer ses sites pour améliorer sa compétitivité tant en France qu’en Espagne ; or, bien qu’elle ait consenti d’importants efforts d’investissement ces dernières années, bien qu’elle ait entrepris de rationaliser ses procédés industriels, l’usine de Toul, dont le coût de production dépasse de plus de 50 % celui de ses concurrents, n’est donc plus compétitive.

Je m’inquiète tout d’abord de l’avenir des familles touchées, qui pourront compter sur mon soutien et mon énergie et que je souhaite accompagner de manière constructive dans l’épreuve qu’elles traversent (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

Je m’inquiète également de l’avenir du bassin économique de Toul, qui a pourtant tout pour accueillir des investisseurs, sa situation géographique et ses infrastructures en ayant fait le bassin de vie lorrain au plus faible taux de chômage.

Le groupe Michelin s’est engagé d’une part à préserver l’emploi de l’ensemble du personnel – deux postes seront proposés à chacun en fonction de ses qualifications et aucun contrat ne sera rompu sans que les salariés concernés ne se voient offrir un débouché professionnel –, d’autre part à revitaliser le site et le bassin d’emploi, en étroite coopération avec les collectivités territoriales. À l’usine de Poitiers, qui a elle aussi connu une restructuration, ces engagements ont été tenus.

À Toul, nous refusons de nous laisser abattre par le destin (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche) : nous retrousserons nos manches, comme les Lorrains savent le faire dans les moments difficiles ; mais nous avons besoin de votre soutien, de celui de M. le Premier ministre, de M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité et de M. le ministre de l’écologie, également responsable de l’aménagement du territoire.

M. le Président – Posez votre question.

Mme Nadine Morano – Au nom des salariés, j’attends du Gouvernement une mise au point sur la situation de l’entreprise et je souhaite que les services de l’État fassent preuve de solidarité et d’efficacité en offrant à chaque salarié un accompagnement personnalisé, au cas par cas. Madame la ministre, quels engagements rapides prendrez-vous pour nous aider ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, des finances et de l’emploiJe mesure bien entendu le traumatisme et les difficultés qui affectent l’ensemble des salariés, leur famille et l’ensemble des habitants de la ville de Toul (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. le Président – Écoutez la réponse de Mme la ministre.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, des finances et de l’emploiDans cette affaire, tous s’étaient engagés, les salariés comme l’employeur, lequel, vous l’avez dit, a consenti des investissements considérables – 45 millions d’euros au cours des quinze dernières années. Mais la décision de fermer l’usine s’imposait, en raison non seulement de l’exiguïté du site, mais également des coûts de production élevés que vous avez évoqués.

Qu’allons-nous faire ? Tout d’abord, bien entendu, veiller à ce que soient respectés les engagements de la société Michelin, que vous avez énumérés – reclassement de l’intégralité du personnel avant la fermeture, prévue pour 2009 ; revitalisation du site pour limiter les dommages dont il pourrait pâtir. Quant aux services de l’État, ils seront, comme toujours, extrêmement attentifs et investis ; j’y veillerai personnellement (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

S’agissant d’une société telle que Michelin, il est naturellement indispensable que les engagements pris soient tenus selon une procédure rigoureuse et transparente non seulement pour les salariés, mais aussi pour leurs représentants syndicaux, pour les collectivités locales et pour les représentants politiques qui ont eux-mêmes pris des engagements à leur égard.

J’ajoute que Michelin a mis en œuvre une politique de recherche et développement, s’engageant à créer 4 000 emplois dans le domaine de l’innovation d’ici 2011 ; le Gouvernement, sous la direction du Premier ministre, est naturellement déterminé à favoriser cette initiative, comme en témoigne le crédit d’impôt recherche que nous vous soumettrons dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2008 (applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

EMPLOI ET POUVOIR D’ACHAT

M. Gaëtan Gorce – Nous ne sommes pas satisfaits, Madame la ministre, de la réponse que vous nous avez apportée à propos d’EADS, car nous aurions aimé entendre le Gouvernement s’indigner de l’indécence des comportements que la presse a dénoncés. Les enjeux moraux et politiques de ce dossier l’exigent (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

Vous affirmez vouloir agir en faveur de l’emploi et du pouvoir d’achat ; si nous n’avons aucune raison de douter de la sincérité de vos déclarations, notre devoir de parlementaires nous oblige en revanche à rapporter celles-ci aux moyens concrets qui leur sont consacrés. Or, vous qui êtes ministre de l’emploi et de l’économie, il nous semble que vous traitez l’emploi à l’économie ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

Ainsi – nous aurons l’occasion de le vérifier au cours des semaines à venir -, votre budget stagne et le nombre de contrats aidés, indispensables à la lutte contre le chômage de longue durée, diminue. De manière plus frappante encore, le « paquet fiscal », dont vous affirmiez hier qu’il permettait de soutenir l’emploi et le pouvoir d’achat des Français, repose sur un mécanisme extraordinaire : pour pouvoir rembourser les Français qui devraient acquitter un impôt supérieur à 50 % de leur revenu, on demande aux citoyens tout juste imposables de payer ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche) En quoi le chèque de 50 000 euros en moyenne que le Trésor public, au nom des Français et au détriment de tous les contribuables, adresse à ces citoyens, en particulier lorsqu’ils sont assujettis à l’impôt sur la fortune, peut-il contribuer à faire progresser l’emploi et le pouvoir d’achat de tous ? Je suis impatient d’entendre votre réponse, car je doute que vous puissiez invoquer la justice, en particulier la justice fiscale (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, des finances et de l’emploiJe tiens tout d’abord à vous rassurer : je suis encore capable de compter ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Jean Glavany – Vous n’avez donc aucune excuse !

Mme la Ministre – Notre principal objectif en matière d’emploi pour la fin du quinquennat est de ramener le chômage à 5 % et de porter le taux d’emploi à 70 %, au lieu de 63 % aujourd’hui.

Un moyen pour y parvenir est de créer les conditions d’un marché de l’emploi plus efficace et plus fluide, où les souhaits des demandeurs d’emploi et des entreprises puissent coïncider. C’est pour cela que nous souhaitons réaliser la fusion de l’ANPE et des Assedic.

Les maisons de l’emploi qui assurent aujourd’hui ces missions sont trop peu nombreuses.

M. Patrick Roy – La question !

Mme la Ministre – Pour favoriser leur développement, nous envisageons de mobiliser 90 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2008.

Mais nous voulons également améliorer la formation professionnelle et continue, et ceci fera l’objet d’autres concertations.

Un député du groupe de la Gauche démocrate et républicaine – Et le bouclier fiscal !

Mme la Ministre – Car c’est sur ce modèle que nous voulons changer la donne et réduire le chômage (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Patrick Roy – L’emploi est mal parti !

M. le Président – Veuillez cesser de hurler, Monsieur Roy (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

COURS LE SAMEDI MATIN

M. Benoist Apparu – Ma question s’adresse au Ministre de l’éducation. Un de nos concitoyens m’écrit : « Je suis un papa un peu amer. Divorcé depuis peu, j’habite à Châlons-en-Champagne et ma femme vit à Rouen avec nos deux enfants. Avec les cours du samedi matin, je ne verrai plus Sophie et Sébastien chaque week-end. Au mieux, je les verrai tous les deux mois, à l’occasion des vacances scolaires. Est-ce une vie pour eux ? Est-ce une vie pour moi ? » Monsieur le ministre, vous avez répondu à ce père de famille en annonçant la suppression des cours le samedi matin. Comment utiliserez-vous de manière efficace les heures ainsi libérées, notamment pour les enfants en difficulté ? Qu’est-il envisagé, ensuite, pour les enfants dont les parents travaillent le samedi ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale – Avec le Président de la République et le Premier ministre, nous avons effectivement décidé de libérer le samedi matin pour les élèves du primaire, dès la rentrée prochaine (Brouhaha sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine). Cette décision recréera un temps pour les familles le week-end. Le dispositif en vigueur était trop disparate, certains enfants travaillant le samedi, d’autres non, d’autres encore travaillant un samedi sur deux. Cela créait de grandes difficultés pour les familles.

En outre, le temps de travail à l’école primaire est actuellement très supérieur, en France, à la moyenne européenne (Même mouvement). Les heures ainsi libérées permettront aux enseignants de consacrer davantage de temps aux 15 % d’élèves en grande difficulté. Personne ne peut regretter que l’on s’occupe plus spécialement de ceux qui en ont le plus besoin (Même mouvement).

Il est clair que certains élèves auront besoin d’accompagnement. Nous allons dialoguer avec les collectivités (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine). Je doute que les maires considèrent qu’ils n’ont pas à s’occuper des enfants qui ont besoin d’être accompagnés (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

Nous allons donner de la liberté aux familles, sans oublier les élèves qui en ont le plus besoin (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

ÉCHEC À L’UNIVERSITÉ

M. René Couanau – Ma question s’adresse à la Ministre de la recherche et de l’enseignement supérieur. Madame la ministre, nous avons voté en juillet, à votre initiative, le « socle » de la réforme des universités : leur autonomie. Elles maîtriseront mieux leur gestion et leurs orientations, et s’ouvriront davantage vers l’extérieur, dotées des moyens d’assurer leur développement.

M. Jean Glavany – Quels moyens ?

M. René Couanau – Il dépendra à présent des responsables des universités et de l’accompagnement financier de l’État de faire en sorte que le pas soit franchi dans les faits également.

Sur 1,5 million d’étudiants en France, seul un tiers mènent des études qu’ils ont choisies en connaissance de cause. Les autres se sont orientés par défaut, et près de 100 000 quitteront l’université sans diplôme à la fin de l’année universitaire. C’est un immense gâchis et une grande injustice. Personne ici – je l’espère – ne considère qu’il y a trop d’étudiants en France. Mais la plupart d’entre nous pensent qu’il n’y en a pas assez qui réussissent. Quelles seront les étapes de votre action pour éviter que les étudiants s’engagent dans des impasses ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe Nouveau centre)

Mme Valérie Pecresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche – Votre diagnostic est exact : trop de jeunes échouent à l’université. C’est pour répondre à cette situation que nous avons adopté, dans l’urgence, une loi sur l’autonomie des universités…

M. François Brottes – Qui n’y répond pas du tout !

Mme la Ministre – …, que la communauté universitaire attendait depuis quinze ans (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Elle permettra aux universités de recruter sans délai les meilleurs professeurs, français ou étrangers, d’adapter leurs formations aux besoins des étudiants et de nouer de nouveaux partenariats avec le monde professionnel. C’est le socle d’une réforme plus vaste de l’enseignement supérieur.

Pour la réussite des étudiants, il faut aussi des moyens financiers (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche), et c’est pourquoi 1,8 milliard d’euros seront accordés cette année à mon ministère. Cette augmentation de 8 % est un effort inédit : le Gouvernement a compris que la connaissance était le seul vrai moteur d’une croissance durable et le garant de l’ascenseur social pour les nouvelles générations (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Le Gouvernement dépensera 405 euros supplémentaires par étudiant et par an, qui seront consacrés à rendre les universités plus accueillantes, à développer le tutorat, à réformer notre système d’aide sociale, pour que personne ne soit freiné dans ses ambitions.

Un député UMP - Très bien !

Un député SRCDV – Chiche !

Mme la Ministre – Le grand chantier de 2008 sera celui de la réussite en licence, qui implique d’instaurer une orientation active dès la Première et la Terminale, d’accompagner les étudiants dans leur première année à l’université, d’assurer davantage d’enseignements en licence, et enfin de préparer l’insertion professionnelle, qui devient la troisième mission de l’université. Il était temps ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe Nouveau centre)

CRISE IRANIENNE

M. Paul Giacobbi – Le Président de la République a exprimé, à propos de la crise du nucléaire iranien, une position claire et ferme, mais équilibrée et ouverte, qui marque une rupture salutaire que notre diplomatie peine malheureusement à défendre. L'utilisation du mot « guerre » – qu’il a regrettée – l’annonce inopinée d'un voyage à Téhéran – aussitôt qualifié d'inopportun – l’offre intempestive d'une médiation française ou encore l'accusation de manipulation lancée à l’encontre de la presse internationale ont laissé un sentiment de désordre et de confusion.

Nous venons de subir plusieurs revers assez humiliants. Le directeur général de l'AIEA, prix Nobel de la Paix, nous a rappelés au calme, non sans ironie, et a souligné que l'accord qu'il a passé avec l'Iran était un pas décisif. Les membres permanents du Conseil de sécurité et l'Allemagne ont repoussé notre demande de sanctions nouvelles. Au sein de l'Union européenne, plusieurs pays ont une position infiniment plus modérée que la nôtre, comme l'Allemagne, pour ne pas dire franchement critique, comme l'Autriche.

Il est donc important d’éclairer la représentation nationale sur ces questions essentielles. Le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche a demandé un débat sur ce sujet dont on nous dit qu’il est vital pour la planète, mais n'a pas encore obtenu de réponse. Mes questions sont simples.

M. le Président – Posez-les donc.

M. Paul Giacobbi – La France est-elle prête à mettre en œuvre des sanctions en dehors du conseil de sécurité, indépendamment de l'AIEA, et sans consensus européen ? Avec quels pays et selon quelles modalités entendrait-elle le faire ? La France exclut-elle de participer le cas échéant à un recours à la force, ou tout au moins de le soutenir ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et sur quelques bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. François Fillon, Premier ministre  La France, comme toute la communauté internationale, est inquiète de la volonté du gouvernement iranien de poursuivre l’enrichissement d’uranium en l’absence de programme nucléaire civil. La question de la prolifération est posée. Le Président de la République a clairement exposé la position française.

M. Jean-Pierre Brard – Et Judas, qu’a-t-il dit ?

M. le Premier ministre – Nous voulons des sanctions économiques renforcées, mais aussi plus d’initiatives diplomatiques. Nous pensons en effet que toutes les voies du dialogue avec cette grande nation qu’est l’Iran n’ont pas encore été explorées. C’est ce que nous défendons en particulier auprès de nos partenaires américains. Il ne faut ni sous-estimer la détermination des dirigeants iraniens, qui vient encore de s’exprimer à la tribune des Nations unies, ni désespérer de la diplomatie : l’exemple de la Corée du Nord montre que les situations les plus bloquées peuvent évoluer.

Le Gouvernement ne ménagera pas ses efforts pour faire prévaloir une logique de paix et de sécurité au Proche-Orient. Pour y parvenir, il faut convaincre l’Iran que pour une grande nation, une civilisation millénaire, la possession de l’arme nucléaire n’est pas un élément de statut international, et encore moins une garantie de sécurité. Lorsqu’on voit le trouble que suscite cette affaire dans cette région du monde, où la possession de l’arme nucléaire par l’Iran apparaît comme une menace pour la paix, on ne peut que vouloir convaincre que l’arme nucléaire n’est pas une voie d’avenir. C’est ce que nous ferons, dans le cadre du conseil de sécurité des Nations unies et aussi en accord avec nos partenaires européens. Bernard Kouchner (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche) a d’ailleurs demandé la réunion des ministres des affaires étrangères sur cette question dans les meilleurs délais (Exclamations ironiques sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche). Je ne pense pas qu’on puisse sourire d’un sujet aussi grave dans cet hémicycle, et encore moins sous le regard des Français (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe Nouveau centre).

POLLUTION DU RHÔNE

M. Philippe Meunier – Un des plus beaux fleuves de France, le Rhône, est gravement touché par une pollution aux polychlorobiphényls. Il est devenu strictement interdit de consommer tout poisson qui y serait pêché, jusqu'à son embouchure. Le 22 février, une première plainte a été déposée par le maire de Meyzieu pour connaître les responsables de cette pollution. Plusieurs communes s’y sont récemment associées et l'instruction est en cours. Vous avez demandé, Madame la ministre chargée de l’écologie, une cartographie complète de la pollution aux PCB du fleuve et vous avez reçu les maires des communes riveraines du Rhône pour leur communiquer les premiers résultats. Pouvez-vous aujourd'hui informer la représentation nationale sur le niveau de la pollution, ses conséquences sanitaires et les mesures complémentaires que vous comptez prendre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe Nouveau centre et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État chargée de l’écologie – Les conséquences sanitaires des PCB, communément appelés pyralène, sont désormais avérées. L’on connaît des risques dermatologiques et l’on soupçonne des risques cancérigènes et cardiovasculaires en cas d’exposition chronique. C’est pourquoi il est interdit depuis vingt ans en Europe d’utiliser des PCB dans la fabrication d’appareils. Néanmoins, il existe une pollution historique persistante, car ces produits sont très stables.

Pour y faire face, nous avons commencé par recenser les sites contenant des PCB – environ 500 000, principalement des transformateurs électriques – et mis en place un plan d’élimination qui devrait se terminer en 2010. Nous avons aussi organisé une surveillance, en lien avec le ministre de l’agriculture : c’est ce qui nous a permis de détecter la pollution du Rhône. Déjà 852 analyses ont été menées dans ce cadre. Enfin, des mesures d’interdiction de la consommation sont prises à chaque fois que les seuils de concentration sont atteints.

Depuis, Jean-Louis Borloo et moi avons décidé l’intensification des investigations, concernant tant les sédiments que les poissons. Nous avons demandé à l’Agence de sécurité sanitaire des aliments s’il était possible de cibler les catégories de poissons interdits à la consommation. Enfin, nous travaillons aux solutions de dépollution et de suivi qui vous tiennent à cœur, Monsieur le député. Je présiderai notamment le 10 octobre le premier comité de pilotage sur la pollution du Rhône par les PCB (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe Nouveau centre).

La séance est suspendue à 16 heures.

La séance est reprise à 16 heures 20.

DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT SUR LE « GRENELLE DE L’ENVIRONNEMENT » ET DÉBAT SUR CETTE DÉCLARATION

L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur le Grenelle de l’environnement et un débat sur cette déclaration.

M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État, ministre de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables – Je suis très heureux de faire, avec Nathalie Kosciusko-Morizet, Dominique Bussereau, Michel Barnier et Christine Boutin, un point sur ce qui est entré dans le langage commun comme le « Grenelle de l’environnement »…

M. Noël Mamère – Espérons que les députés de la majorité seront plus nombreux que les ministres ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre d’État – Ce point de rencontre démocratique un peu inédit est le fruit du débat présidentiel, où ces thèmes ont été placés au cœur du débat, chacun des candidats y accordant une large part. Le candidat Sarkozy s’était engagé sur deux points : doter notre pays d’une organisation plus efficace de la puissance publique, en regroupant des entités jusqu’alors séparées – en gros, les infrastructures et l’écologie -, pour créer un puissant ministère chargé de coordonner de manière stratégique l’action publique ; avoir un grand débat avec toutes les parties prenantes de la société française, en partant de l’idée que ces enjeux essentiels ne pouvaient être l’apanage d’un seul acteur.

Lancé en juillet, le Grenelle a réuni cinq collèges : les entreprises, les organisations syndicales, les ONG à tendance environnementale ou écologique, les collectivités territoriales et l’État. Il aborde l’ensemble des thématiques associées à l’environnement, qu’il s’agisse de la santé, de la biodiversité, des transformations climatiques, de la gouvernance, de la production ou de l’emploi. Les groupes de travail ont réuni des personnalités engagées, combatives et passionnées, exerçant des fonctions militantes ou des responsabilités d’élus. Cinquante-trois longues et riches réunions ont eu lieu, l’objectif des échanges n’étant pas de dégager des consensus mais de préciser les enjeux, de fixer des perspectives et de proposer quelques moyens, consensuels ou alternatifs, pour les atteindre.

Mille pages de rapport sont désormais à la disposition du Parlement et des Français, et plusieurs réunions vont avoir lieu dans les territoires à compter du 5 octobre, la première ayant lieu à Bourges, ville dont Serge Lepeltier est le maire. Puis viendront des contributions complémentaires, de façon à ce que nous puissions arrêter une véritable stratégie sur un sujet, qui, vous le savez, est à peu près crucial…

Mme Christiane Taubira – Tout est dans l’à-peu-près… (Sourires)

M. le Ministre d’État – Nous avons apprécié que des personnalités de grande qualité s’investissent autant dans les débats, quitte à mettre au vestiaire certaines certitudes. Au reste, la société française a déjà tranché : si l’on en croit un sondage récent paru dans un grand quotidien, 93 % des Français se disent déterminés à faire des efforts au quotidien en faveur de l’environnement. Nos compatriotes mesurent l’importance profonde de ces sujets, et ce changement d’attitude témoigne d’une grande évolution : les Français ont compris que la lutte contre le changement climatique ou les pollutions ne pouvait se réduire à quelques déclarations d’intentions ou à un dialogue entre experts ou chefs d’État. Il est temps de donner la priorité aux initiatives individuelles et de changer nos réflexes dans la vie quotidienne. Nos concitoyens ont compris qu’il y avait un lien entre leurs façons d’être au quotidien, leurs actes de consommation, et des phénomènes qui s’apprécient à grande échelle. Il faut dire que certains signes ne trompent pas et que chacun peut mesurer la dégradation de notre environnement. Il n’est pas, pour ce faire, besoin d’aller sur la banquise, même si elle n’est pas beaucoup plus loin qu’Agadir ! Cet été, le sud de l’Europe a souffert de la canicule, alors que le Royaume-Uni connaissait des inondations record, et 40 % des espèces vivantes sont menacées. Comme nous l’avons vu dans les questions au Gouvernement, le PCB a conduit le Gouvernement à interdire la consommation de poisson sur une partie du Rhône, et je ne parle pas du chlordécone aux Antilles…

Nous savons tous que ces phénomènes sont liés à l’activité humaine. Fort logiquement, une demande sociale en faveur de l’environnement a donc émergé, assortie d’une prise de conscience individuelle. Les Français savent que la défense de leur qualité de vie – et de celle des générations futures – suppose d’amplifier dès à présent un certain nombre d’actions.

Qui se satisfait de la pollution des milieux naturels, de l’eau que nous consommons et de l’air que nous respirons ? Qui se satisfait de l’excès de déchets ou des files ininterrompues de camions sur des autoroutes congestionnées, alors que certaines voies ferrées dédiées au fret sont désertées ? Qui ne se soucie du gaspillage d’énergie dans nos bâtiments, lequel explique une part non négligeable de la hausse des charges locatives et de la croissance de nos émissions de GES ? Qui ignore l’intérêt de préserver notre indépendance énergétique ?

M. Jean-Pierre Brard – Total !

M. le Ministre d’État – Les rapports issus du Grenelle ne disent pas autre chose et les constats de fond sont donc partagés, même si la façon de répondre aux problèmes ne fait pas toujours consensus.

Voilà pourquoi je préfère à un discours inutilement pessimiste – voire moralisateur – l’expression de convictions fortes. Tout le monde est d’accord pour lutter contre les excès de l’étalement urbain ; tout le monde a envie d’avoir des fleuves propres, une eau et un air de meilleure qualité ; tout le monde est d’accord pour que l’habitat, neuf et ancien, dévore moins d’énergie, les bâtiments utilisant 42 % de notre énergie finale ; tout le monde est d’accord pour moins de décharges, alors que l’on peut trier et recycler les déchets ; tout le monde aspire à des transports en commun de qualité, plus fréquents et plus confortables ; tout le monde souhaiterait voir moins de camions au pas, les uns derrières les autres, sur nos routes. Bref, tout le monde a compris que les ressources et l’espace ne sont pas illimités et que pour conserver notre niveau de vie et continuer à croître, il nous faut changer de modèle de développement.

Le développement durable, ce n’est pas le laisser-faire, mais ce n’est pas non plus l’idéologie de la restriction ou de la décroissance.

M. Yves Cochet – Oh, la, la !

M. le Ministre d’État – Il reste à transformer l’essai, en convertissant cette aspiration au changement en actions, publiques et privées. Le Grenelle de l’environnement doit nous aider à définir les programmes prioritaires, sur lesquels la collectivité nationale devra concentrer tous ses efforts, efforts que le Parlement examinera, évaluera et modifiera.

Cette démarche de concertation la plus large possible avec toutes les parties prenantes se prolonge, en ce moment même, par une consultation des Français sur Internet et par la présentation des rapports des groupes dans une quinzaine de villes. C’est indispensable.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire – Tout à fait !

M. le Ministre d’État – La conviction du Gouvernement, c’est que le changement n’est possible que si toute la société bouge en même temps, que si toute la chaîne qui relie le producteur au consommateur se mobilise, que si tout le monde décide de passer à l’action au même moment.

M. le Président de la commission – Très bien !

M. le Ministre d’État – Vu sous cet angle, l’environnement n’est pas seulement l’affaire de l’État. Il faut aussi convaincre tout un chacun, et en particulier les entreprises, que l’écologie n’est pas un facteur de dégradation de leur compétitivité, mais au contraire une chance de gagner de nouveaux marchés, d’offrir de nouveaux services et de créer de nouveaux emplois. L’écologie n’est pas l’ennemie du pouvoir d’achat, ni un luxe réservé à une minorité fortunée résidant dans les grandes zones urbaines. Elle est un investissement clé pour l’avenir. Cela nécessite de convaincre – et de se convaincre – que cela ne coûte pas plus cher de prendre un tramway agréable plutôt que sa voiture, que cela ne coûte pas plus cher d’investir dans les économies d’énergie que de la gaspiller en payant éternellement le prix fort ; et enfin que le développement durable n’est pas un drame, mais une formidable occasion d’investir et de réaliser des gains de productivité, de pouvoir d’achat, tout en améliorant son confort, sa santé et son bonheur. Il ne s’agit pas de choisir entre croissance économique et protection de la planète, mais de lier ces deux exigences. Ce nouveau chemin de croissance est à notre portée, car nous disposons des technologies, des filières industrielles, des ingénieurs, des entreprises, des services publics et des collectivités locales pour nous aider.

Par leur diagnostic partagé, les rapports de synthèse des groupes de travail dessinent les orientations possibles de l’action publique. Tout d’abord, chacun reconnaît qu’il n’existe pas de vérité absolue, car certaines connaissances scientifiques sont incomplètes, certains risques demeurent mal connus, certaines relations de cause à effet mal établies. Mais un tel constat ne doit en aucun cas servir de prétexte à l’inaction.

Il est tout aussi évident qu’aucune solution unique et miracle ne s’offrira jamais à nous. Nous ne pourrons pas compter sur une correction spontanée des marchés, qui devront être guidés et orientés, et il serait illusoire de tabler uniquement sur les nouvelles technologies : parce qu’il croit en elles, le Gouvernement encouragera vigoureusement la recherche, mais cela ne saurait être l’unique solution.

Troisième conviction, l’action doit être aussi collective que la réflexion qui l’a précédée, et les sujets ne doivent pas être traités indépendamment les uns des autres : qu’il s’agisse de recherche fondamentale, de consommation, de recherche appliquée, ou encore de compétitivité, l’action isolée est condamnée à l’échec.

Sans préjuger des conclusions de la table ronde finale, qui se tiendra à la fin du mois d’octobre, il me semble que plusieurs orientations consensuelles se dégagent déjà, s’agissant notamment du potentiel de croissance de certains secteurs d’activité, comme les énergies renouvelables, le bâtiment, qui devra faire l’objet d’un grand chantier thermique, ou encore les services énergétiques. Ces secteurs à haute valeur ajoutée seront un des piliers de la croissance à venir.

Il est également impératif de ne pas faire de la protection de l’environnement un prétexte pour augmenter globalement la fiscalité (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP). Si la fiscalité peut être utilisée comme signal pour inciter les Français à adopter un meilleur comportement, elle ne doit pas devenir une variable d’ajustement budgétaire (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Brard – Et la TVA sociale ?

M. Arnaud Montebourg – Et les franchises médicales ? La taxe sur les malades ?

M. le Ministre d’État – La meilleure taxe écologique est celle qui disparaît à terme ! Le contraire serait un signe d’inefficacité.

M. Jean-François Copé – Très bien !

M. le Ministre d’État – Ne rompons pas le contrat passé par la majorité : toute taxation nouvelle appelle une compensation et un allégement. La feuille de route du Président de la République est très claire à ce sujet : nous devons raisonner à taux de prélèvement constant.

Troisième principe, il est impossible de demander un changement de mode de transport, sans proposer des alternatives efficaces et confortables. Je ne veux pas d’interdiction sans solution, ni d’injonction sans accompagnement. Cela implique naturellement d’inscrire chaque action dans un cadre global cohérent. Les mesures incitant à l’abandon de certains types de véhicules n’ont ainsi de sens que s’il existe une offre structurée, de qualité équivalente et à moindre coût. Il faut pour cela décloisonner les différents sujets et les modes opératoires.

Tous les participants considèrent enfin que seule une action territoriale au plus près des réalités quotidiennes, au sein des quartiers, des villes, des agglomérations, des départements ou des régions, permettra de changer les comportements et d’apporter des solutions efficaces. Les grands principes et les bonnes intentions ne remplaceront jamais le développement d’un métro, d’un tramway, d’un service de bus adapté aux rythmes de vie, ou de pistes cyclables. Le Grenelle de l’environnement a permis de se mettre d’accord sur des diagnostics partages et des principes d’action communs, mais il reste à définir les quinze à vingt chantiers structurants pour les années à venir.

Il est trop tôt pour annoncer les conclusions de la table ronde. Ce serait sortir de mon rôle et rompre les termes du contrat passé entre le Gouvernement et les différentes parties prenantes. Ce n’est pas non plus l’esprit dans lequel je viens devant la représentation nationale, car le Grenelle de l’environnement n’est pas une machine à fabriquer du consensus contre l’avis des acteurs, mais un moyen de répondre à un immense défi.

Sans être exhaustif, il est toutefois évident que nous devrons nous attaquer aux émissions de gaz à effet de serre, aux pollutions qui portent atteinte à notre santé, en lançant un vaste plan de maîtrise de la consommation d’énergie. La réduction de la demande est en effet la voie la plus efficace et la moins coûteuse pour diminuer la facture énergétique de chaque Français et de toute la France. Il faudra commencer par les secteurs qui offrent de vrais gisements d’économies et des marges de manœuvre suffisantes pour obtenir des résultats visibles. Je pense notamment à la réduction de la consommation du parc immobilier actuel, à la généralisation de constructions HQE et à l’élaboration de labels lisibles et identifiables. Il faut dire la vérité aux Français, en leur expliquant qu’il ne s’agit pas d’un coût mais d’un investissement. Mais il faudra aussi élaborer les instruments financiers nécessaires pour accompagner les mutations, et permettre un retour sur investissement grâce à la réduction de la facture énergétique, outre les créations d’emplois attendues dans les secteurs concernés si l’offre des entreprises se développe.

La restauration de la compétitivité des transports publics jouera également un rôle essentiel. Derrière cette notion un peu obscure, se cache une refondation de notre politique des transports : il ne s’agit pas seulement de programmer de nouvelles infrastructures, mais de faciliter la mobilité des personnes et des marchandises en développant des modes de transport faiblement polluants – le rail, la voie fluviale, le transport maritime, et les transports en commun. Pour y parvenir, il faudra non seulement des services nouveaux, mais également une organisation plus concurrentielle et une nouvelle façon de programmer nos infrastructures. Nous avons notamment besoin de plus de tramways et de trains de fret là où leur compétitivité globale est meilleure que celle des autres modes de transport. À cela s’ajoute un volet technologique destiné à réduire la pollution des véhicules, ainsi qu’une évolution de la réglementation.

La préservation de la biodiversité doit par ailleurs devenir une dimension essentielle de notre action – c’est l’un des plus grands consensus du Grenelle de l’environnement. En raison de l’extinction de certaines espèces, du réchauffement climatique, mais aussi d’une gestion inadaptée des ressources et de l’espace, notre avenir est menacé de façon irréversible. Face à cela, la meilleure solution est de consommer intelligemment pour améliorer notre santé et protéger notre environnement. Comment y parvenir ? Grâce aux éco-labels, à l’étiquette « énergie », aux « bilans carbone », à la publicité responsable et enfin grâce à la réduction du nombre d’intermédiaires et au développement des produits « bio » dans la restauration collective. C’est la santé qui en jeu, mais aussi le pouvoir d’achat, les coûts et la constitution de nouvelles filières.

Il faudra également que nous engagions une réflexion sur l’avenir de notre agriculture. C’est un objectif que je partage avec Michel Barnier, que je remercie d’être là.

M. Jean-Pierre Brard – On se souvient effectivement de la loi Barnier !

M. Jean-Charles Taugourdeau – Excellente loi !

M. le Ministre d’État – Il ne faut pas opposer artificiellement agriculture et écologie : au lieu de fragiliser notre filière agroalimentaire, nous devons l’aider à poursuivre ses efforts d’évolution, qu’il s’agisse de la marche vers l’autonomie énergétique ou d’une meilleure protection de l’environnement. Il faut en débattre sans anathèmes, en essayant de comprendre les problèmes qui se posent, notamment en matière de produits phytosanitaires et de pesticides. Je suis sûr que nous parviendrons à emprunter le bon chemin.

Parmi les sujets à traiter, il ne faut pas non plus oublier notre retard dans le domaine de l’assainissement : 146 stations d’épuration, couvrant 36 millions d’habitants, ne sont toujours pas en conformité avec la réglementation. Je souhaite que le Grenelle soit l’occasion de lancer un vaste plan de rénovation assorti d’objectifs précis et quantifiés.

J’ajoute que l’État doit se montrer exemplaire, car nous n’arriverons à rien si les services publics méconnaissent leur obligation de résultat. Comment persuader nos concitoyens qu’une évolution est rentable si la sphère publique ne l’adopte pas ? L’État doit en outre aider certaines filières à se développer, notamment en matière de transport automobile et d’agriculture biologique.

Dans ce processus très original qu’est le Grenelle de l’environnement, il ne faut pas se méprendre sur le rôle du Parlement. Nous en sommes au point de départ : viendront ensuite des chantiers, des lois, des contrats, des programmes et un suivi permanent des résultats, toutes étapes auxquelles les commissions parlementaires seront pleinement associées. Nous avons déjà eu des échanges fructueux, pour lesquels je veux notamment remercier le président Ollier. Il est ainsi apparu que trop de textes demeuraient inappliqués et trop de rapports parlementaires méconnus. Il reste que Parlement n’est pas l’un des cinq collèges du Grenelle.

Le Parlement, c’est le Parlement de la République, c’est l’alpha et l’oméga de notre démocratie (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Il fixe le cap dans l’intérêt général et est donc bien davantage qu’une « partie prenante ». C’est devant lui que devront in fine être débattues les propositions déterminantes pour l’évolution de notre société.

Notre action n’aurait pas de sens sans une dimension européenne et internationale. La France doit être exemplaire dans ces combats, mais elle ne peut agir seule. La présidence de l’Union au deuxième semestre 2008 et la Conférence de Bali de décembre prochain nous offrent une occasion de reprendre la main qu’il ne faut pas manquer.

Il faut aussi en finir avec des conflits artificiels que nos concitoyens eux-mêmes considèrent comme dépassés (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). Qu’est-ce que le développement durable ? Croissance, cohésion sociale et respect de l’environnement. La révision de nos critères de programmation des infrastructures ne signifie pas l’arrêt de l’effort d’équipement de notre pays.

Lors de la dernière conférence sur le changement climatique à New York, le Président de la République a insisté sur la nécessité impérieuse d’éviter le point de non-retour, évalué à une élévation de la température mondiale moyenne de deux degrés d’ici à 2050. Vu l’urgence, il est impératif d’apporter la preuve qu’une économie durable est possible. Or, l’humanité prélève actuellement plus sur l’écosystème qu’il n’est possible, les ressources naturelles n’étant pas inépuisables. Il y a eu des avancées dans certains pays sur tel ou tel sujet, mais nulle part dans le monde il n’a été démontré qu’une croissance soutenue, heureuse, sobre et respectueuse de l’environnement était possible. Que notre beau pays, qui est riche et puissant, qui est situé en zone tempérée, qui possède un littoral, des fleuves, des rivières, des montagnes, des forêts, des champs et de la matière grise, démontre qu’un développement durable est possible, voilà l’enjeu. Nous ne relèverons ce défi que grâce à la mobilisation de nos 62 millions de concitoyens de tous âges. Nous avons un allié extraordinaire en la génération des moins de vingt ans, qui a conscience que les ressources de la planète sont finies et qui, née avec l’Internet, dispose d’outils de communication, de sensibilisation et de mobilisation qu’aucune autre génération n’a jamais eus entre les mains.

M. Jean Dionis du Séjour – C’est vrai !

M. le Ministre d’État – M. Steiner, directeur du Programme des Nations unies pour l’environnement, s’exprimant devant 52 chefs d’État, disait récemment que ce Grenelle de l’environnement organisé par la France était sans doute un « laboratoire », et que si le succès était au rendez-vous, ce serait « une excellente nouvelle pour la gouvernance mondiale ». Nous avons la capacité de relever le défi, en gardant toujours à l’esprit que nous n’héritons pas la Terre de nos ancêtres, mais que nous l’empruntons à nos enfants (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe Nouveau centre).

M. Jean Dionis du Séjour – Le groupe Nouveau centre se réjouit de ce débat et souhaite faire part de sa position sur l’urgence nationale que constitue, à ses yeux, l’écologie.

Pourquoi les partis politiques n’ont-ils pas été invités au Grenelle de l’environnement ? Ne sont-ils pas « partie prenante », au même titre que les syndicats ou les ONG ? Ce serait en tout cas souhaitable, surtout au moment où il vous faudra, Monsieur le ministre, arbitrer. L’objectif du Grenelle de l’environnement n’est pas d’être un énième colloque, mais d’aboutir à des propositions concrètes. Il nous faut imaginer une politique nouvelle pour les générations futures, et nous tenons à cet égard à saluer la démarche que vous avez engagée, et à laquelle j’ai participé en tant que représentant du Parlement dans le groupe de travail n° 4 « Vers une production et une consommation durables », où mon suppléant était notre collègue André Chassaigne.

Quelques mots tout d’abord sur la méthode. L’intitulé constitue une référence historique à la résolution dans l’urgence de graves problèmes sociaux – on pense aux accords de Grenelle en 1968 et de Matignon en 1936.

M. Jean-Pierre Brard – Belles références !

M. Jean Dionis du Séjour – Je m’efforce de connaître l’histoire de France, qui ne vous appartient pas exclusivement…

Ce Grenelle de l’environnement se tient, lui, dans un contexte différent. En effet, si les problèmes environnementaux sont essentiels, ils doivent être traités dans une perspective de long terme, qui ne s’accorde pas nécessairement avec le temps court du politique. Les groupes de travail n’ont eu que trois mois, dont juillet et août, pour remettre leurs premières conclusions, ce qui ne leur a pas permis de travailler dans les meilleures conditions.

Collectivités, syndicats, entreprises, associations se sont réunis dans ces groupes de travail, et nous saluons le caractère innovant de cette démarche qui a notamment permis de donner la place qu’elles méritent aux grandes associations de défense de l’environnement. Ce Grenelle a déclenché au sein de l’ensemble de la société française, y compris chez les élus et dans les entreprises privées, un effort exceptionnel d’imagination et de proposition.

Pour autant, contrairement au Grenelle de 1968 ou au Matignon de 1936, où les « parties prenantes » avaient une réelle légitimité, les acteurs ici n’avaient pas tous la même légitimité ni le même niveau d’expertise. S’en est suivi un imposant catalogue d’opinions et de propositions, où font toutefois défaut les éclairages scientifiques qui permettraient d’arbitrer. Chaque « partie prenante » a eu le même temps de parole ; les législations existantes, nationales ou européennes, n’ont pas toujours été prises en compte ; les rapports, pourtant nombreux et de qualité, des missions d’information parlementaire n’ont été que peu utilisés ; l’expertise scientifique a été marginalisée. Il vous reste maintenant, Monsieur le ministre, à faire le tri dans cet ensemble de propositions, à choisir et à décider. Pour y réussir, vous aurez besoin d’une double boussole, celle de la légitimité démocratique et celle de l’expertise scientifique.

Le Parlement doit être saisi de ce dossier. Le Premier ministre avait évoqué une loi-cadre, ce dont nous nous félicitions. Je vois que vous acquiescez, Monsieur le ministre, ce qui me rassure. Il ne faudra surtout pas décréter l’urgence pour ce texte, quels que soient les arguments que l’on puisse vous donner pour vous y inciter. Laissez le dialogue s’instaurer en profondeur, et peu importe si cela doit prendre un an ou un an et demi. Ce sera le prix de la pertinence et de la crédibilité. Comme le dirait notre collègue Charles de Courson, qui est notre conscience…

M. Jean-Pierre Brard – Votre expert financier, oui. Votre conscience, il faut voir ! (Sourires)

M. Jean Dionis du Séjour – Dans le domaine budgétaire s’entend ! Il faudra bien s’interroger à un moment sur le coût de ces mesures et sur leur financement. Toute réforme ambitieuse suppose des moyens. Vous avez indiqué, Monsieur le ministre, que cela se ferait à fiscalité constante. Mais une fiscalité verte est sans doute plus facile à préconiser qu’à instaurer !

Deuxième boussole : l’expertise scientifique, et sur ce point je m’adresse plus particulièrement à votre secrétaire d’État à l’écologie. Cette expertise n’a pas eu jusqu’à présent la place qu’elle méritait dans la démarche. En effet, l’écologie, fût-elle politique, est d’abord une science. Il est donc urgent de faire précéder vos arbitrages d’une expertise pluridisciplinaire et indépendante. Rien n’est plus grave que la méfiance d’une partie des acteurs du secteur de l’environnement et de l’opinion publique vis-à-vis de l’expertise scientifique. Il faut y remédier, et pour ce faire les scientifiques doivent commencer par balayer devant leur porte. L’expertise a trop souvent été monopolisée par une seule discipline et inféodée à des intérêts économiques.

M. Yves Cochet – Dans le nucléaire en particulier !

M. Jean Dionis du Séjour – Nous attendons que les grands objectifs du Grenelle de l’environnement soient déclinés en propositions éclairées, concrètes et efficaces pour rompre avec les politiques actuelles. Ce Grenelle ne doit pas se résumer à quelques mesures de façade : il faut en faire un vrai projet d’avenir.

Permettez-moi, pour conclure, de faire quelques propositions. Nous gagnerions à fédérer tout un ensemble de propositions autour d’une véritable stratégie en faveur de l’emploi écologique. La plupart des entreprises du secteur de l’environnement sont étrangères : l’Allemagne compte un million d’emplois de plus que nous dans ce domaine. Il faut combler ce retard.

Evitons également l’affichage systématique d’objectifs de long terme, pour lesquels nous ne maîtrisons pas la quantification. Ainsi, personne n’est contre la proposition de porter la part du fret non routier de 14 % à 25 %. Mais à quoi correspond cet objectif, et comment pourrons-nous en quantifier les résultats ?

C’est pourquoi le groupe Nouveau centre propose que le Parlement examine chaque année un projet de loi environnemental, comme il le fait avec le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Ce serait là un outil concret, permettant de répondre au défi de l'environnement par une action à long terme, planifiée et financée. Tant que nous ne serons pas parvenus à articuler le court terme opérationnel et les engagements internationaux, liés aux directives européennes ou au protocole de Kyoto, l'ensemble de la démarche manquera de crédibilité.

Notre soutien à certaines idées populaires doit être fondé : faut-il, par exemple, imposer 20 % de produits bio dans les cantines ? (« Oui ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche) Si l’agriculture biologique mérite notre soutien, gardons à l’esprit que c’est de la santé des Français qu’il s’agit et que c’est avant tout en fonction de l'apport nutritionnel et des qualités gustatives des aliments qu’il faut prendre des décisions.

M. Yves Cochet – Justement !

M. Jean Dionis du Séjour – Le bio ne garantit en rien le plaisir de manger !

Plusieurs députés UMP – Très bien !

M. le Président de la commission – C’est plein de bon sens !

M. Jean Dionis du Séjour – Il en va de même pour les pesticides. Si nous sommes favorables à la suppression en deux ans des molécules les plus dangereuses, nous sommes très réservés sur l'objectif de réduction de 50 % des pesticides en dix ans, qui nous semble difficile à quantifier. C’est la raison pour laquelle nous devons nous appuyer sur un débat scientifique.

M. Yves Cochet – Consultez le professeur Belpomme !

M. Jean Dionis du Séjour – C’est un expert, mais confrontons-le à d’autres !

Le recours systématique à l'expertise scientifique doit nous aider à régler les conflits les plus exacerbés. Prenons le cas du débat sur les OGM, qui oppose nettement les agriculteurs bio et les associations environnementales au reste du monde agricole, aux chercheurs et à l'industrie phytosanitaire. Comme pour la question des déchets ultimes, nous n’en sortirons par le haut qu’en ayant recours à l’expertise scientifique. C'est pourquoi le Nouveau centre soutient la création d'une haute autorité des biotechnologies.

Pour conclure, permettez-moi, Monsieur le ministre, une métaphore « rugbystique » : vous avez fait une bonne première mi-temps !

M. Jean-Christophe Lagarde – Attention aux All Blacks !

M. Noël Mamère – Les Néo-Zélandais n’ont pas recours aux OGM !

M. Jean Dionis du Séjour – Mais l'important, c'est de gagner le match ! Nous avons souhaité aujourd'hui vous donner quelques idées pour remporter cette deuxième mi-temps et faire de l’écologie une priorité nationale. Espérons que, dans les vestiaires, vous ferez les bons choix stratégiques ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau centre et du groupe UMP)

M. Marc Le Fur remplace M. Bernard Accoyer au fauteuil de la Présidence.

PRÉSIDENCE de M. Marc LE FUR
vice-président

M. Jean-François Copé – Nicolas Sarkozy a fait du Grenelle de l'Environnement un axe fort de son pacte présidentiel. Grâce à vous, Monsieur le ministre d'État, le débat est ouvert à tous les Français. Il était impératif que le Parlement, et singulièrement notre assemblée, vous fasse part de sa vision. Au nom du groupe UMP, je souhaite vous indiquer quelques propositions.

M. Jean-Pierre Brard – Divine vérité !

M. Jean-François Copé – La réponse aux défis environnementaux ne réside pas dans la décroissance mais dans une dynamique d'innovation et de progrès : dans «développement durable», il y a « développement » et nous y voyons une opportunité économique et technologique majeure, créatrice de nouvelles filières. Le Gouvernement investit considérablement dans la recherche : consacrons donc une partie de ces crédits à l'innovation environnementale, la France ayant un intérêt économique à devenir championne dans ce domaine.

Cessons de présenter l'environnement comme une contrainte supplémentaire, imposée par des Père Fouettard moralisateurs, dont la seule obsession serait de taxer (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP). Ainsi, je tiens la réduction immédiate de 10 km/heure sur routes et autoroutes pour une fausse bonne idée : pour diminuer de 0,5 % les émissions de CO2 en France – ce que rejette la Chine en trois heures – on va freiner les automobilistes, alors qu'on a déjà du mal à faire respecter les limitations existantes ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP) Cela n’est pas à la hauteur de nos ambitions : je crois bien plus à l'incitation à l'achat de véhicules propres et au développement de notre filière hydrogène !

M. Noël Mamère – Vive le lobby automobile !

M. Yves Cochet – C’est de 30 km/heure qu’il faut réduire la vitesse !

M. Jean-François Copé – Nous devons conserver une approche intégrée et transversale du sujet, en évitant les mesures pointillistes. Ce serait tout l’intérêt d’une loi-cadre.

M. Jean Dionis du Séjour – Très bien !

M. Jean-François Copé – Nous plaidons pour le respect d'une approche équilibrée. Consommateurs, citoyens, entreprises, administrations, chacun doit assumer sa part de responsabilité. Evitons le manichéisme et la culpabilisation : Il n'y a pas d'un côté, les gentils défenseurs de la planète et de l'autre, les méchants pollueurs !

M. Jean Dionis du Séjour – Très bien !

M. Yves Cochet – Mais si !

M. Jean-François Copé – Les temps ont changé, comme les mentalités. Agriculteurs, industriels, automobilistes, consommateurs, nous avons commencé à prendre conscience de ce que nous devons faire individuellement. Il serait terrible de mettre en place des sanctions, alors que les mentalités sont en train d’évoluer.

Sur la question des OGM, gardons-nous des excès. Stopper net la recherche sur les OGM serait absurde.

M. Yves Cochet – Ce n’est pas ce que nous demandons !

M. Jean-François Copé – Celle-ci doit être poursuivie dans la transparence, avec le souci permanent de la protection des consommateurs et des producteurs. Personne n’imagine les choses autrement !

Enfin, il est important d’entrer dans une logique de résultats. Les députés de la majorité ont beaucoup planché sur l’évolution de la mission de contrôle du Parlement. Dans le domaine de l’environnement, nous devrons faire en sorte que les études d'impact préalables, le contrôle de l’application des lois et l’évaluation des lois soient des outils efficaces.

Enfin, Le défi à l’environnement est un appel à plus d’imagination à l’échelle française, mais aussi à l’échelle européenne et internationale. Il faut inventer de nouveaux modes de vie, de consommation et de travail. C’est l’intérêt de la France que de relever ce défi, c’est aussi son honneur (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du Nouveau Centre).

M. Philippe Martin – Le 21 mai, trois semaines après avoir appelé à liquider l’héritage de mai 68, le Président de la République plaçait l’enjeu environnemental sous le signe de Grenelle. Nous nous félicitons de ce choix aussi heureux qu’inattendu, mais plus encore d’une initiative qui est un authentique exercice de démocratie, les associations que nous avons reçues nous l’ont confirmé. Pourquoi ne pas le dire ? Nous souhaitons le succès de ce Grenelle de l’environnement ! À voir les bancs clairsemés de ce côté-là de l’hémicycle et le peu d’enthousiasme dont a fait preuve M. Copé, je ne suis pas certain qu’il en aille de même pour la majorité ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Christian Jacob, président de la délégation pour l’aménagement du territoire – Jusque-là, les interventions étaient de qualité !

M. Philippe Martin – Pour qu’il y ait succès, encore faut-il passer du conceptuel au décisionnel ! Des 150 propositions émanant des groupes de travail, le Grenelle de l’environnement va devoir aboutir à un plan d’action de 15 à 20 programmes concrets et quantifiables, recueillant l’accord le plus large possible des participants. Espérons que ces délais très courts et l’organisation géographique, partisane et lacunaire, de la phase des débats publics ne présagent en rien des intentions de l’État. Comment comprendre en effet qu’une région comme Midi-Pyrénées – qui concentre plus de 70 % des cultures OGM en plein champ – soit écartée de ces réunions territoriales ?

Et comment expliquer le choix des villes où se tiendront ces réunions, sinon par votre absence d’ouverture ? C’est toutefois moins la méthode adoptée que sa traduction concrète qui nous inquiète, d’autant plus que le Président de la République sera seul à décider de retenir ou non chaque proposition. Vous le savez mieux que quiconque, Monsieur le ministre : ce Grenelle serait un véritable désastre écologique et démocratique s’il se réduisait à une opération de communication au service des choix du prince, celui-ci fût-il éclairé par vos soins. Dans ce domaine, où le diagnostic de crise est très largement partagé, nous appelons de nos vœux la rupture à laquelle vous vous êtes engagés.

En effet, la dégradation de notre environnement n'est plus une théorie abstraite, mais un fait avéré : l'empreinte écologique de l'homme l’emporte désormais sur la capacité régénératrice de la planète, et nous ne pouvons plus laisser le temps faire son œuvre à notre place. Dans le rapport qu'il a remis à Gordon Brown le 30 octobre 2006, Nicholas Stern estimait ainsi que, si nous n’engageons pas sans tarder une action à l'échelle de la planète contre l'effet de serre, la récession économique pourrait faire chuter le PIB mondial de 5 à 20 %.

Si, à court et à moyen terme, la protection de l’environnement a incontestablement un coût, ne rien faire coûterait encore plus cher, d’un point de vue tant environnemental qu’économique, aux générations futures. Le moment d’agir est donc venu, d’autant plus que, depuis quatre mois, le temps a joué contre le Grenelle de l'environnement : adoption du « boulet fiscal », qui a réduit la marge de manœuvre financière de l'État de 15 milliards d'euros… (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Arnaud Montebourg – Boulet, c’est le mot !

M. Philippe Martin – …autrement dit, d’une somme qui aurait permis de financer pendant sept ans l'ensemble des projets de transport en site propre en cours de réalisation ; définition par la SNCF, entreprise publique, d’un nouveau « plan fret » aux termes duquel 262 gares cesseront, à compter du 30 novembre prochain, d’assurer le chargement et le déchargement de wagons de marchandises isolés, ce qui fragilise vos propos sur le transport et le réchauffement climatique.

De même, inutile d’évoquer le double étiquetage à propos du projet de loi de finances pour 2008 : c’est bien plutôt de double langage qu’il faudrait parler, car le texte n’apporte en réalité aucun changement majeur en matière d'écologie, sinon la disparition de 1 192 emplois qui relèvent de votre responsabilité.

Mais les attentes que vous avez suscitées ne sauraient être satisfaites par des demi-mesures ou de nouveaux slogans présidentiels sans lendemain. Dans ce domaine, nous avons déjà beaucoup donné : qui ne se souvient de la formule du président Chirac, en 2002, à Johannesburg ? La maison brûlait, mais, cinq ans et cinq ministres plus tard, on ignore toujours où sont passés les tuyaux !

Si les mesures débattues sont toutes intéressantes et, pour la plupart, réalistes, ce qui nous interdit de préjuger du sort qui leur sera réservé, la polyphonie du Gouvernement à propos de certaines d'entre elles a hélas entrouvert la porte aux groupes de pression contre-révolutionnaires, favorisant ainsi des revirements. Ainsi, lorsque, Monsieur le ministre, vous confessez à demi-mot votre intime conviction sur le gel des cultures d'OGM en plein champ, Henri Guaino, conseiller spécial du Président de la République, vous rappelle aussitôt à l’ordre d’un coup de sifflet pour demander que cette question ne soit pas traitée avec désinvolture ! Mais ce sont les ministres responsables de questions essentielles qui ne doivent pas être traités avec désinvolture par des conseillers sans mandat ni légitimité qui polluent le débat démocratique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et sur plusieurs bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. Philippe Martin – Nous attendons la révolution écologique que vous nous avez promise, et nous espérons que vous nous éclairerez sur les aspects que la première phase n’a pas permis de trancher : niveau de réduction des pesticides, évolution du schéma autoroutier, incinération des ordures ménagères, avenir du nucléaire ou moratoire sur les OGM.

S’agissant du nucléaire, il sera difficile de mettre d’accord les membres des groupes de travail qui ont exprimé des doutes quant à l’utilité d’une quatrième génération de réacteurs nucléaires avec un Président de la République devenu, à l’instar du président iranien, un véritable VRP du nucléaire civil dans le monde ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Cessons de prétendre qu’en matière de protection de l'environnement, on fera « quelque chose avec rien » : pour que les mesures décidées soient crédibles, une loi de programmation et une planification à long terme des financements sont indispensables, comme l’est un engagement honnête envers les acteurs – en particulier les collectivités locales – auxquels la responsabilité de les mettre en œuvre sera transférée.

Si tel n'était pas le cas, Monsieur le Ministre, votre « Grenelle de l’environnement » se transformerait en un « Groenland de l'environnement » et toutes vos belles intentions fondraient sous la chaleur étouffante du tropisme libéral de votre majorité (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine ; exclamations sur les bancs du groupe UMP) et des restrictions budgétaires voulues par le ministère du budget ! Dois-je vous rappeler qu’en mai 1968, Georges Pompidou, afin de convaincre les syndicats de sa volonté de « faire du social », avait écarté le ministre des finances des négociations de Grenelle ? Ayez la même audace, soustrayez à la censure du ministre des comptes une ambition et une espérance qui méritent mieux que cela !

Nous veillerons au respect de l’échéancier et au degré de réalisation des objectifs que validera le Grenelle. Le Parlement devra en être informé régulièrement, par exemple sous la forme d’une annexe à chaque loi de finances.

Aux yeux de notre groupe, si un certain nombre d’exigences ne sont pas satisfaites, nous ne pourrons parvenir à aucune avancée significative en matière de développement durable. Ainsi, dans le domaine de l’énergie, une diversification de la production énergétique doit donner la priorité, du point de vue financier comme en matière de recherche, aux énergies renouvelables. La réduction des consommations énergétiques devra également passer par la mise en oeuvre d'une « pollu-taxe climat énergie », socialement accompagnée et qui ne repose pas sur les seules énergies fossiles. Cette « fiscalité verte » ne recueillera notre approbation qu'à deux conditions : que sa recette soit entièrement et exclusivement dédiée au développement durable, au lieu de servir à maquiller un plan de rigueur ; qu’elle soit redistributive, autrement dit qu’elle ne pénalise ni les ménages modestes ni les territoires fragiles.

En matière d’habitat, un effort important doit être mis au service de l'isolation thermique de l'ensemble des logements, à commencer par les logements sociaux. En matière de transports, une politique globale doit assurer le développement des transports collectifs, du fret ferroviaire et du ferroutage, des transports collectifs urbains propres, en veillant corrélativement à la réduction du trafic routier. Quant à l’aménagement du territoire, nous devons chercher à la fois à limiter l'étalement urbain et à introduire davantage de mixité entre habitat et travail – et je doute que la « France de propriétaires » voulue par le Président de la République permette de parvenir à un « bilan carbone » satisfaisant ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Noël Mamère – Il a raison !

M. Michel Raison – Cela n’a rien à voir !

M. Philippe Martin – S’agissant des OGM, et puisque le groupe de travail que vous avez constitué sur cette question a conclu que nos connaissances scientifiques ne nous permettaient pas d’écarter tout risque de contamination, il vous faut passer de l'intime conviction à l’utile décision, en confirmant dès aujourd’hui que les cultures en plein champ seront gelées en 2008.

Enfin, en matière de déchets, nous appelons de nos vœux une politique tournée vers la protection de la santé et de l'environnement, qui applique effectivement le principe « pollueur-payeur », en particulier s’agissant des pesticides, en lieu et place du principe qui prévaut aujourd’hui dans ce domaine – « pollué- payeur », voire, dans certains cas, « pollueurs-payés » ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP)

« Une autre croissance est possible » : en vous entendant prononcer ces mots, j'ai d'abord cru que nous avions réussi l'ouverture à l'envers, ou que vous aviez été téléporté dans un forum alter-mondialiste ou dans une assemblée générale de « faucheurs volontaires » ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Monsieur le Ministre, Henri Bergson disait de l'avenir qu'il est « incertain parce qu'il dépend de nous ». Si vous voulez nous persuader que c’est bien l'avenir de la planète qui vous préoccupe, montrez-nous la profondeur de vos convictions et votre capacité à obtenir des résultats à la hauteur des exigences et des espérances nées de ce Grenelle. Si vous le faites, nous vous soutiendrons ; sinon, nous vous combattrons (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et sur plusieurs bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. Yves Cochet – Monsieur le ministre, je parlerai avec franchise : les mesures que les groupes de travail ont proposées sont, pour beaucoup, intéressantes, mais il est nécessaire – vous l’avez indiqué tout à l’heure – de les hiérarchiser. À mes yeux, le problème le plus important est celui que posent les énergies fossiles, notamment le pétrole, en particulier dans les transports. Ces énergies représentent 84 % de la consommation mondiale d’énergie – contre 3 % seulement pour le nucléaire, la part restante allant à la biomasse et à l’hydroélectricité –, dont 40 % pour le pétrole. Or, pour le pétrole comme pour le gaz naturel, la France est totalement dépendante de l’extérieur – comme en matière de nucléaire du fait de l’uranium, contrairement à ce que l’on entend dire. Or, dans le monde comme en France, le pétrole sert à 55 % aux transports ; en outre, c’est dans ce domaine que sa part croît le plus. Si c’est à juste titre que vous avez évoqué l’émission de gaz à effet de serre dans le bâtiment, notamment ancien – j’espère qu’un grand plan national d’isolation thermique viendra y remédier –, n’oublions pas que ce sont surtout, et de plus en plus, les transports, qui sont responsables de ces émissions !

Je vous l’ai demandé il y a peu et je vous le demanderai autant de fois qu’il sera nécessaire : êtes-vous prêt à décréter un moratoire sur la construction d’autoroutes dont la France n’a plus besoin ? Ce ne sont pas seulement l’écologie et la santé qui sont en jeu : qui ne connaît des enfants et des personnes âgées qui souffrent notamment de maladies respiratoires, sans parler de la manière dont la pollution stratosphérique affecte le climat ? ce sont aussi les dépenses extérieures qu’entraîne l’achat du pétrole et du gaz : le projet de loi de finances pour 2008 devrait montrer qu’elles s’élèvent à 50 milliards par an. Si nous voulons y gagner sur le plan écologique comme sur le plan économique, nous devons donc réduire non l’intensité énergétique, mais la consommation d’énergie, en commençant par la source d’énergie la plus importante – le pétrole.

M. Copé évoquait tout à l’heure l’éventualité de réduire de 10 kilomètres-heure la vitesse autorisée sur autoroute. Mais c’est jusqu’à 30 kilomètres-heure qu’il faut aller (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), conformément d’ailleurs aux recommandations de l’Agence internationale de l’énergie, et j’espère que cette proposition sera retenue lors des négociations finales du Grenelle.

En outre, vous parlez de développement durable ; c’est là une expression que je me refuse désormais à employer, car il s’agit, comme le sait bien Mme la secrétaire d’État chargée de l’écologie, d’un véritable oxymore ! La croissance exponentielle qui caractérise le développement est incompatible avec un monde dont les ressources ne sont pas infinies. À défaut de changer d’expression, modifions nos représentations du développement : le monde réel ne se compose pas de trois sphères distinctes – économique, sociale, environnementale – qui possèdent une intersection, mais bien d’une écosphère, qui englobe tout le reste ! La société humaine représente une sphère plus petite qui inclut celle, plus réduite encore, de l’économie.

Votre ministère est le plus important pour le XXIe siècle. Bonne chance ! Je suivrai de très près les arbitrages du Gouvernement (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. le Président de la commission – Dans son film « Une vérité qui dérange », sorti en 2006, Al Gore affirme : « Dix ans maximum : c’est le temps qu’il nous reste pour un ultime sursaut avant le point de non-retour ». Dix ans, c’est deux législatures, c’est très peu. Nous sommes donc loin des discours généraux selon lesquels la préservation de l’environnement relèverait d’une responsabilité envers les générations futures, car elle est bien plutôt notre actualité au quotidien ! Et vous avez eu raison, Monsieur le ministre d’État, d’engager ce Grenelle de l’environnement ; je vous félicite, vous et vos collègues, pour ce pari difficile, au-delà des clivages politiques, car vous avez réussi à faire dialoguer des gens qui, jusqu’alors, ne se parlaient pas.

Le réchauffement de la planète n’est pas une responsabilité de l’homme…

M. Yves Cochet – Pardon ?

M. le Président de la commission – …il est la conséquence d’une évolution de la planète qui nous échappe, mais l’homme est bien responsable de son aggravation et de son accélération. Oui, il faut donc arrêter. La politique de l’environnement n’est l’apanage d’aucun parti et ne doit pas non plus, Monsieur Cochet, être l’otage de l’un ou de l’autre ! La majorité veut construire cette politique aux côtés du Gouvernement.

Le Grenelle de l’environnement nous permettra de fixer des objectifs. Pour ma part, je souhaite que ceux-ci soient fixés dans le temps et que nous dégagions ensuite des pistes pour les atteindre. Suis-je trop cartésien ? Je suis en tout cas contre la dispersion des idées, qui affaiblit les effets.

Avec un premier rapport d’étape, le travail ne fait aujourd’hui que commencer. La commission des affaires économiques, en liaison avec la délégation à l’aménagement du territoire, a créé un comité de suivi qui réunit des membres de la majorité et de l’opposition. Monsieur le ministre d’État, je vous remercie d’avoir accepté de venir devant notre comité, qui préparera, avec celui du Sénat, un second rapport d’étape. Ce comité a vocation à perdurer, car si nous voulons être efficaces, il faut pouvoir, tout au long de la législature, suivre les progrès du Grenelle.

Plusieurs centaines de propositions émergeront fin octobre. Ce catalogue ne constituera pas une politique, et nous souhaitons que la politique qui doit en résulter soit faite ici, avec le Parlement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe Nouveau centre). Elle devra fixer, à vingt ans, des objectifs compatibles avec les exigences du développement et les contraintes budgétaires. Il nous faut écarter les passions, travailler dans la raison, pour ne décevoir aucun des Français qui comptent sur nous.

Je suggère que cette politique soit définie dans une loi de programmation ou d’orientation dont les dispositions seront échelonnées dans le temps et précisées par des lois ultérieures. L’intérêt général se heurte souvent aux intérêts catégoriels ; il faut donc éviter que des mesures contradictoires soient adoptées, et agir de manière coordonnée, en confrontant les mesures avec la réalité du terrain.

Je voudrais sincèrement que le passage au Parlement permette d’écarter les fausses bonnes idées. Je viens d’entendre un scientifique, prix Nobel de chimie, remettre en question le recours aux biocarburants…

Mme Geneviève Gaillard – Eh oui !

M. Yves Cochet – Il a raison !

M. le Président de la commission – …alors qu’on nous les avait présentés ici même comme la solution à tous les problèmes !

Réduire la vitesse sur les routes contribuera certes à la réduction des émissions de gaz carbonique, mais cela ne peut suffire sur le long terme. Le véritable défi est de faire en sorte que notre industrie soit capable, rapidement, de lancer sur le marché des véhicules moins polluants.

La taxe, un moyen simple pour tout régler ? Non, il ne faudrait pas que nos concitoyens ressentent le Grenelle de l’environnement comme une sanction.

Évitons également les débats faussés, fondés sur l’ambition politicienne, voire sur l’obscurantisme, et rejetons toutes les positions intégristes, non fondées scientifiquement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe Nouveau centre ; Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Yves Cochet – Les intégristes de l’UMP !

M. le Président de la commission – Je n’accepte pas la violence de ceux qui veulent empêcher la science de faire évoluer la société ! Je ne sais pas, aujourd’hui, si je suis pour ou contre les OGM, mais je fais confiance à la science, et je souhaite, moi aussi, la création d’une Haute autorité des biotechnologies, pour que la science vienne au secours de la loi.

M. Jean Dionis du Séjour – Bravo !

M. Yves Cochet – Tous les scientifiques ne sont pas d’accord entre eux !

M. le Président de la commission – Ce passage devant le Parlement nous permet également de prendre en considération les lois qui ont été votées par notre majorité ces cinq dernières années, pendant lesquelles l’Assemblée nationale a beaucoup travaillé pour donner corps à la notion de développement durable. J’ai été très étonné d’apprendre d’un de nos collègues, présent aux tables rondes du Grenelle, que ces lois – sur l’énergie, sur l’eau, sur le développement des territoires ruraux – étaient ignorées et que certains proposaient des mesures existant déjà !

M. Jean-Charles Taugourdeau – C’est vrai !

M. le Président de la commission – Voilà encore un faux débat. Je souhaiterais donc qu’un état de la loi soit réalisé au plus vite. Notre majorité a accompli en cinq ans un travail considérable, que je revendique, au nom de tous ceux qui y ont participé (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau centre et du groupe UMP).

Des initiatives peuvent déjà être prises, sans qu’il soit besoin d’une loi. Vous avez annoncé qu’un bilan carbone serait réalisé par les ministères avant le mois d’août 2008. Je propose que la représentation nationale s’associe à cette initiative, et que l’Assemblée réalise elle-même un bilan carbone.

Monsieur le ministre d’État, nous avons confiance dans votre capacité à faire prendre conscience aux Français de l’urgence. Cette majorité saura faire de la France une nation vertueuse et exemplaire, où nous pourrons regarder nos enfants dans les yeux, car nous aurons eu le courage d’agir, grâce au Grenelle de l’environnement. Poursuivons nos efforts pour sauver la planète ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe Nouveau centre)

M. le Président de la délégation – Monsieur le ministre d’État, je vous félicite à mon tour pour avoir réussi à mettre autour de la table des gens qui, bardés de leurs certitudes, ne se parlaient guère. Comme le Président Ollier l’a dit, la commission des affaires économiques et la délégation à l’aménagement du territoire ont réalisé, à l’occasion de Grenelle de l’environnement, un travail considérable.

Cinquante ans après la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier, l’Europe fait face aux mêmes défis – réduire sa dépendance énergétique et assurer sa sécurité d’approvisionnement –, avec, cette fois, la nécessité de tenir compte de la contrainte climatique.

L’objectif de 20 % d’énergie renouvelable d’ici à 2020 fait consensus, mais des divergences demeurent sur les voies à emprunter. Nous sommes confrontés à la fois à une forte attente de la société et à la nécessité de proposer des mesures cohérentes entre elles et viables économiquement.

Je prendrai deux exemples. Le bâtiment entre pour 40 % dans la consommation d’énergie de l’Union européenne. On sait aujourd’hui construire des maisons dites à énergie positive, qui produisent plus d’énergie qu’elles n’en consomment, pour un surcoût estimé entre 5 et 17 %. La norme certifiée HQE repose sur le volontariat des professionnels. Pourquoi ne pas s’en inspirer pour aboutir à une directive européenne susceptible d’être imposée à l’ensemble des acteurs du bâtiment ?

Le cadre européen est une évidence, et nous devrons profiter de la présidence que nous exercerons l'année prochaine pour avancer – pas seulement pour l’habitat, d’ailleurs : dans le domaine, stratégique, de la diversification des sources d'approvisionnement par exemple, une démarche commune permettrait à l'Union de peser davantage dans le monde. C’est la clef du succès contre le réchauffement climatique.

En ce qui concerne les transports, on sait que 30 % des gaz à effet de serre sont issus du transport routier, mais aussi que la route assure, en France, 88 % des déplacements de voyageurs et 81 % du transport de marchandises. Dans un tel contexte, rien ne sert d'opposer les modes de transport entre eux : mieux vaut jouer leur articulation, notamment en développant le fret ferroviaire et le transport fluvial. Cela impose de mettre en place un plan national des infrastructures de transport, piloté par l’Agence de financement des infrastructures de transport et qui implique les établissements publics, les collectivités territoriales et les opérateurs privés et publics. Un tel plan doit faire l'objet d'un programme de financement pluriannuel, auquel le Parlement doit être associé. Voilà pourquoi il est essentiel que le Grenelle de l'environnement débouche sur une loi-cadre, avec un programme pluriannuel crédible et qui soit évalué régulièrement.

Pour que ce plan fonctionne, il faut aussi veiller à l'équilibre entre l'application du principe pollueur-payeur et la préservation du pouvoir d'achat des Français, car c'est finalement sur eux que pèserait toute dégradation de la compétitivité de nos entreprises. La fiscalité incitative est une piste pour y parvenir. On peut par exemple inciter les constructeurs automobiles à développer la recherche sur les moteurs propres en adaptant le dispositif du crédit impôt recherche, ou définir un crédit d'impôt qui intégrerait les véhicules diesel au lieu de se limiter aux voitures électriques et au GPL. Le Grenelle de l'environnement réussira si nous trouvons des solutions gagnant-gagnant, conciliant protection de l'environnement et développement économique. Il ne réussira que si nous ne sommes pas le seul État à entreprendre des actions, qui n’auraient pas d’efficacité réelle à cette échelle mais qui pénaliseraient nos industries et, in fine, les consommateurs français.

Il est un domaine où le risque existe plus qu’ailleurs : celui des OGM. On ne peut s’orienter vers un gel des cultures et une interdiction des essais en plein champ et de la commercialisation, le tout sans aucune démonstration scientifique des risques réels, au moment où nos voisins, grâce à des variétés résistantes aux maladies et aux insectes, diminueront largement les pesticides et augmenteront leur productivité. Le risque de perte de compétitivité est grand. Il faut allier sécurité sanitaire et performance économique. C’est le défi auquel nous sommes confrontés, et nous vous faisons confiance pour le relever (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe Nouveau centre).

M. Jean-Christophe Lagarde – Il est loin le temps où ceux qui se préoccupaient d’environnement passaient pour des idéalistes, voire de dangereux rêveurs. Progressivement, tous les secteurs de l’opinion et toutes les forces politiques du pays ont intégré ce souci, d’autant que la science démontre désormais l’irréversibilité de ce que nous sommes en train de faire vivre à la planète. Mais, comme toujours en France, si les gens comprennent la nécessité du changement des comportements, s’ils le demandent même, ils souhaitent également que leurs habitudes n’en soient pas affectées, que cela ne leur coûte pas cher, qu’on adopte une méthode douce. Au commencement d’une politique globale, je voulais donc attirer l’attention sur cette difficulté, que nous rencontrerons d’ici peu. Le premier mérite du Grenelle de l’environnement est d’avoir créé le débat tout autour, dans les médias. Mais en matière d’information, un clou chasse l’autre et le Gouvernement devra réfléchir à la façon de le prolonger – en matière d’éducation aussi, dans les lycées par exemple. Car s’il est une politique publique qui nécessite de la constance, c’est bien la protection de l’environnement.

Il ne faut pas laisser croire, comme on l’entend parfois, qu’il n’y aura pas de contraintes. Je ne crois pas une seconde qu’on puisse mener une politique efficace de façon légère et plaisante. Il est tout aussi important de ne pas faire passer la politique de protection de l’environnement pour une punition collective : l’échec serait inévitable, car elle serait rejetée. Mais il ne faut pas faire croire à nos concitoyens qu’elle ne coûtera rien. Il y aura des choses impopulaires. Le Grenelle de l'environnement permet à tous les acteurs de discuter, de dégager des consensus et des divergences. Il appartiendra ensuite à l'Assemblée nationale de trancher, ce qui exigera parfois du courage.

Les conclusions du Grenelle de l'environnement ressemblent à un catalogue de mesures nécessaires, utiles et pour la plupart consensuelles, mais il faut admettre qu’elles manquent de vision stratégique. D’abord, pour éviter que la protection de l’environnement devienne cette « punition » dont j’ai parlé, il faut l’envisager comme un défi et comme une chance. Pour cela, il faut établir des stratégies industrielles qui font défaut à la France aujourd’hui. Les entreprises françaises sont très rares dans le domaine de l’environnement. Nos efforts de recherche ne sont pas suffisamment coordonnés avec les universités. Nos capacités de développement de filières nouvelles, représentant des emplois valorisants et des richesses nouvelles, ne sont pas mises en avant dans une volonté nationale. Il faut montrer que cette politique peut être un moteur de croissance, au même titre que la révolution industrielle ou celle du multimédia. Dans ce domaine, la France est en retard. Elle aura besoin de l’État car, dans notre pays, qu’on s’en satisfasse ou qu’on le déplore, il faut toujours que l’État fixe des stratégies pour que les acteurs se rassemblent.

L’industrie automobile est un autre exemple flagrant de défaut de stratégie. Pourquoi un citoyen responsable, « éco-responsable » comme on l’appelle maintenant, qui désire un véhicule peu polluant, est-il obligé d’acheter étranger ? Où sont les modèles français à moteur hybride ? Où sont les prototypes français de voitures à hydrogène, tels qu’il en existe au Japon ou aux États-Unis ? Un grand responsable français a dit avoir l’ambition que sa société devienne la plus écologique d’Europe, sous prétexte qu’elle avait développé le système start and go – quel effort ! Où est la réflexion sur la production d’hydrogène, énergie propre et renouvelable ? L’État doit être un moteur dans tous ces domaines. Cela ne faisait pas partie des discussions du Grenelle de l'environnement, mais j’espère que le Gouvernement gardera cette nécessité présente à l’esprit.

L’absence de stratégie se remarque aussi dans le domaine de l’aménagement du territoire. Nous savons que notre consommation des ressources naturelles est excessive et que nous devrions repenser nos modes de production, de déplacement et de consommation. Pourtant, on ne trouve presque rien dans le Grenelle de l'environnement sur la façon d’aménager différemment nos villes et nos campagnes. Pourquoi concentrons-nous toute la population d’un côté et tout le travail ailleurs ? Pourquoi nos centres-villes se sont-ils vidés d’un certain nombre d’activités économiques, alors que c’est là que le logement est le plus dense – même s’il est aussi le plus cher ? En renvoyant l’activité en périphérie, on multiplie les occasions de transport et de dépense d’énergie. Là aussi, une stratégie est indispensable à la réussite.

Je voudrais maintenant soulever non seulement la question des moyens financiers qui seront nécessaires, mais surtout celle des moyens juridiques et politiques, tels que la commission parlementaire dont il avait été question pour suivre ces sujets transversaux. En ce qui concerne les moyens financiers, il ne faut pas se réduire à un débat idéologique entre partisans de la surtaxation ou de la non-dépense. Il faut être beaucoup plus pragmatique. Les moyens manqueront de toute façon, et il faudra faire des choix. Il me semble possible de s’accorder sur le fait qu’il faille surtaxer ce qui est polluant et défiscaliser ce qui est écologiquement propre. Cela nous permettrait de trouver des ressources, mais surtout de jouer sur les moteurs du marché. Cette incitation et cette pénalisation auront un résultat bien plus rapide que toutes les politiques publiques !

M. Jean Dionis du Séjour – Très bien !

M. Jean-Christophe Lagarde – Il faut aussi combattre l’a priori selon lequel aucune ressource supplémentaire ne serait nécessaire. Nous n’en savons rien tant que nous n’aurons pas défini et quantifié les objectifs. On ne peut donc écarter cette hypothèse. Ces crédits pourront être financés par des économies de fonctionnement de l’État, mais aussi consister en des ressources affectées. J’insiste sur ce terme, car la transparence est indispensable : on ne peut plus tolérer que la redevance d’assainissement, qui devait servir au traitement de l’eau, finance une dizaine d’autres politiques, au point que personne n’y comprend rien.

De la même façon, bien que vous n’ayez plus directement la charge de ces questions, je plaide, Monsieur le ministre, pour que les logements réhabilités sous l’égide de l’agence nationale de la rénovation urbaine respectent strictement la réglementation thermique en vigueur.

M. Noël Mamère – Très bien.

M. Jean-Christophe Lagarde – En créant une commission spécialisée à l'Assemblée nationale et au Sénat, nous nous donnerons aussi les moyens d’inscrire la politique de développement durable dans la durée, de mobiliser les collectivités locales et de surveiller l’action des administrations, qui se croient vertueuses mais n’évoluent que lentement. Demander du diester au groupement des achats publics relève de l’exploit, et l’on n’hésite pas à vous répondre qu’il vaut mieux continuer à se ravitailler en essence sans plomb pour ne pas compliquer les choses !

M. le Président – Veuillez conclure.

M. Jean-Christophe Lagarde – Il n’est que temps d’imposer le respect des normes de construction les plus exigeantes, de veiller au bon usage de l’eau et à la valorisation des déchets et de moduler les taxes en fonction des efforts réalisés pour « construire propre ».

Pour mener à bien sa politique volontariste, le Gouvernement aura besoin du Parlement. De notre côté, nous devons nous doter de commissions spécialisées sur ces thèmes. Je sais bien que la décision de les créer n’appartient pas au Gouvernement, mais je souhaite que le message passe et se diffuse dans toute la société (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau centre et sur plusieurs bancs du groupe UMP).

M. Serge Grouard – Le développement durable ne se résume pas aux enjeux environnementaux, si importants soient-ils. Engagé depuis de nombreuses années dans le combat pour le développement durable, je suis convaincu qu’il s’agit du thème majeur du siècle qui vient, et peut-être du seul à même de lui donner un sens. Le défi est immense, puisqu’il s’agit tout à la fois d’éviter de prolonger la catastrophe écologique à l’œuvre actuellement et de réinventer notre façon de faire de la politique. Alors, merci, Monsieur le ministre, d’avoir enfin lancé le débat dont notre pays avait tant besoin.

S’il est à l’origine strictement écologique, l’enjeu du développement durable me semble aujourd’hui plus vaste, puisqu’il s’agit de remettre l’humain au cœur de toutes les problématiques et d’inventer un nouveau modèle de régulation économique et sociale, conforme aux exigences éthiques de l’ère post-industrielle. Comme la philosophie des Lumières a fini par triompher, la développement durable doit devenir l’esprit du temps, et c’est en portant le débat à cette altitude que l’on se défera des vieilles références peu opérationnelles datant des années 1970. Permettez aux quelques vieux gaullistes que nous sommes encore dans cette Assemblée…

M. le Président de la commission – Très bien !

M. Serge Grouard – …de garder au cœur l’ambition que la France puisse être porteuse d’un modèle original d’organisation des relations internationales, fondé, précisément, sur le développement durable. D’aucuns trouveront sans doute tout cela un peu « planant »…

Mme Geneviève Gaillard – Pour l’instant, nous sommes plutôt au fond du trou !

M. Serge Grouard – Mais l’expérience montre qu’il est souvent nécessaire de prendre un peu de hauteur pour dégager finalement des solutions concrètes et efficaces. Faute de stratégie, les méthodes nouvelles n’émergent pas, et l’on reste enlisé dans les habitudes du passé. Alors, de grâce, arrêtons de décourager les initiatives réellement novatrices, de tout complexifier et de brider les élans porteurs de projets…

M. le Président de la commission – Très bien.

M. Serge Grouard – Les acteurs de terrain attendent des mesures incitatives, pas des règlements paralysants…

M. le Président de la commission – Excellent.

M. Serge Grouard – Nos concitoyens ont soif d’engagement et de participation. Les collectivités, et les villes au premier chef, veulent être à la manœuvre dans tous les domaines qui sont au cœur de leur action, qu’il s’agisse des transports collectifs, de l’habitat ou des équipements publics.

Cela nous impose, au-delà du Grenelle, d’envisager de nouvelles convergences et des partenariats enrichis, en vue d’élaborer, à l’échelle nationale, un Agenda 21 français qui prenne la mesure de la stratégie volontariste du Gouvernement. C’est à ce prix que nous prendrons des décisions dont nous pourrons être fiers, et dont les générations futures nous remercieront (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Geneviève Gaillard – Depuis qu’a été adoptée la Charte de l’environnement, l’article 34 de la Constitution dispose que le Parlement est compétent pour assurer la préservation de l’environnement. Dès lors, plutôt que de le voir réuni pour un débat sans vote, nous souhaiterions qu’il soit saisi de mesures concrètes, visant à nous faire entrer dans une ère nouvelle de protection de la planète, en vue de laisser à nos successeurs des espaces – et des espèces – les moins dégradés possibles !

Pour avoir participé au groupe sur les interactions entre la santé et l’environnement, je puis témoigner que les groupes de travail du Grenelle ont plutôt bien fonctionné et qu’ils ont réuni les acteurs idoines, même si le temps a manqué pour affiner nos approches. Sur la méthode, je regrette que la liste des villes dans lesquelles doivent se tenir les rencontres régionales ait été communiquée aussi tardivement…

M. le Ministre d’État – Elle est encore ouverte.

Mme Geneviève Gaillard – Et je m’interroge sur les critères de choix des sites. Rien n’est prévu dans ma région de Poitou-Charentes, et un seul débat aura lieu outre-mer, à la Réunion. N’aurions-nous pas gagné à pousser l’audace – à l’instar de ce qui avait été décidé pour la Charte – jusqu’à prévoir vingt-deux débats, un par région ? De fait, l’on peut se demander si l’ancrage territorial du Grenelle ne vise qu’à lui épargner la critique d’être un événement excessivement parisien – voire parisianiste – ou s’il procède d’une volonté sincère du Gouvernement de recueillir l’avis des territoires. Enfin, les préfectures ont parfois mal organisé les rencontres, les DIREN faisant ce qu’elles pouvaient pour rattraper le coup : on a vu des réunions plénières, censément ouvertes au public, n’être accessibles que sur invitations !

Il reste que de très nombreux thèmes ont été abordés, au point qu’il est souvent difficile de les hiérarchiser et de bien mesurer si l’exercice ne consiste qu’à fixer des objectifs ou à proposer aussi des solutions directement applicables. Il conviendrait d’être enfin plus clair sur le calendrier d’exécution des éventuels programmes, ainsi que sur leurs modes de financement. Plutôt que de conjecturer sur les enjeux ou sur les menaces de la crise écologique, nous demandons que chacune des mesures envisagées s’appuie sur un financement crédible, de sorte que la priorité prétendument donnée à l’environnement se traduise enfin dans le budget de l’État.

Il faut non seulement que l’engagement de l’État soit structurel, mais aussi qu’il porte sur un programme concentré. En vue d’évaluer l’impact des mesures qui seront proposées, nous attendons également un véritable suivi. Pourquoi ne pas en charger une Haute autorité, qui remettrait un rapport annuel au Parlement ? Nous donnerions ainsi corps au principe d’évaluation, qui faisait cruellement défaut dans la Charte de l’environnement.

Sur le fond, ce Grenelle de l’environnement permettra sans doute de formaliser un constat commun, ce qui est heureux ; mais il serait bon de résoudre aussi les points de discorde… Si nous avons eu des discussions intéressantes sur les OGM, cela n’a pas été le cas s’agissant du nucléaire. N’occultons pas le débat sur les énergies renouvelables qui a lieu dans d’autres enceintes – je reviens tout juste de Bruxelles, où se tenait une réunion interparlementaire sur les défis climatiques. Il ne faudrait pas oublier les générations futures, pas plus que les objectifs assignés par l’Union européenne !

Les participants du Grenelle de l’environnement se sont lancés avec sérieux dans un véritable travail de mise à plat et de recherche de solutions, mais je regrette que l’on ne soit pas réellement passé de la définition des objectifs aux moyens de les réaliser. C’était toute la difficulté, mais aussi tout l’intérêt de l’exercice…

Il est également regrettable que certains sujets aient été abandonnés : de l’aveu même de son président, le groupe 4 a ainsi restreint ses travaux à l’agriculture et à l’alimentation, sans prendre en considération la consommation en général ou encore les échanges internationaux. Rien ne justifiait par ailleurs que l’on passe totalement sous silence les éco-carburants, au moment au Bruxelles lève les obligations de jachère : nous avons besoin d’éco-bilans avant de nous lancer dans une production de masse. L’impact environnemental pourrait en effet être néfaste, tandis que la coexistence des filières énergétiques et alimentaires risque de se heurter à des limites de capacités, alors même que l’intérêt économique de ces productions n’est pas toujours évident.

Je déplore enfin la faiblesse des propositions issues du groupe 6, dont l’ordre de mission était pourtant de promouvoir des modes de développement écologiques favorables à la compétitivité et à l'emploi. Comment pourrait-on se contenter de vagues incantations en matière d’indicateurs environnementaux, d’information du public, d’effort de recherche ou de sensibilisation à l’écologie en milieu scolaire, notamment grâce à l’introduction d’une dose d’enseignement « vert » dans les cursus professionnels ? Nous avons besoin de véritables moyens pour impliquer l’économie toute entière. Je suis donc restée sur ma faim.

C’était effectivement une bonne idée d’organiser ce Grenelle, mais il faut aussi des financements et une évaluation. Voilà la vraie rupture qui est demandée par nos concitoyens ! Expliquez-nous clairement, Monsieur le ministre, comment vous vous y prendrez pour relever le défi (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. François de Rugy – Les Verts ont toujours soutenu le processus qui vient de toucher à sa fin, car il faut faire travailler ensemble les associations, les entreprises et les hommes politiques afin d’aboutir à des propositions communes. Pour avoir participé à l’un des groupes de travail, il me semble toutefois que nous aurions gagné à bénéficier d’un peu plus de temps, n’en déplaise à la culture de la précipitation à laquelle le Président de la République est si attaché.

M. le Ministre d’État – C’est une remarque de mauvais goût !

M. François de Rugy – Faute de temps, certaines propositions ont manqué d’ambition, et nous n’avons pas pu mener de vraies négociations. En matière de péage kilométrique, nous avons dû nous en tenir à un constat de divergence. Mais je m’interroge surtout sur la cohérence entre les actions qui seront proposées et le reste de la politique gouvernementale.

C’est parce que nous prenons ces négociations de Grenelle au sérieux que nous vous avons invité à participer à notre journée parlementaire de Nantes, Monsieur le ministre. Or, je ne vous cache pas que nous n’avons pas été totalement convaincus par certaines réponses. Nous nous inquiétons en effet des propos tenus par le président du groupe UMP – je crains que les gènes verts fassent défaut dans cette formation politique ! S’agissant notamment du modeste objectif d’introduire 20 % d’aliments « bio » dans les cantines, le conservatisme reprend déjà le dessus, alors qu’il existe une convergence entre les intérêts des producteurs et ceux des consommateurs et de la société dans son ensemble. Quel sera l’effet de belles déclarations d’intention si les autres ministères ne s’engagent pas ?

Quand le Président de la République défend urbi et orbi le nucléaire, qui produit les pires déchets qui existent, où est la cohérence ? Comment pouvez-vous restaurer la qualité de l’eau tout en subventionnant largement la production intensive des agrocarburants ? Comment atteindre les objectifs fixés en matière de transport sans changer radicalement les priorités en matière d’infrastructures ? Il faut transférer les crédits alloués aux projets contraires à la lutte contre l’effet de serre vers d’autres politiques. Il a notamment été question de doubler les réseaux de tramway et de bus dans les villes, mais vous savez très bien, Monsieur le ministre, que les projets sont sans cesse retardés faute de moyens.

N’en restez donc pas à votre catéchisme fiscal, en vertu duquel les prélèvements devraient rester constants. Je ne demande pas que l’État dégage des budgets nouveaux, mais il faut donner aux collectivités locales les moyens d’agir. Rien ne se fera sans elles ; certaines sont d’ailleurs déjà devenues des références. Au lieu de prôner les péages urbains, mesure injuste socialement, mieux vaudrait généraliser des mesures aussi simples que le versement « transport ».

Ce Grenelle doit être le point de départ d’une rupture, n’ayons pas peur du terme. Mais il faut cesser d’utiliser les recettes du passé si nous souhaitons un nouveau mode de développement, facteur d’une meilleure qualité de vie, de plus de pouvoir d’achat et surtout de nouveaux emplois durables, non délocalisables, dans l’agriculture, le bâtiment et les éco-industries. N’écoutez pas les frileux et les conservateurs de votre majorité, qui voudraient continuer comme avant. N’ayez pas peur, Monsieur le ministre : les Français sont prêts pour le changement ; ils le demandent (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. Nicolas Dupont-Aignan – Merci d’avoir organisé ce Grenelle, qui apporte beaucoup d’oxygène en ce début de législature. La question est de savoir comment nous parviendrons à ne pas décevoir l’immense attente de nos concitoyens, qui sont plus sages qu’on ne le pense.

Après avoir eu le courage d’ouvrir le jeu, le Gouvernement doit maintenant expliquer que nous n’arriverons à rien sans effort collectif, sans augmentant certaines taxes pour encourager certains comportements. Nous ne nous en sortirons pas en essayant de ne faire aucune vague. La déception serait immense, et ce Grenelle reviendrait comme un boomerang sur la majorité.

La première exigence est celle de la cohérence budgétaire. Comment pourrait-on, par exemple, concilier les résultats du Grenelle de l’environnement avec un schéma directeur qui continuerait à favoriser l’ouest de la région Île-de-France ? Qui pourrait accepter une liaison souterraine directe vers Roissy Charles-de-Gaulle, destinée aux hommes d’affaires, alors que les 450 000 usagers du RER D sont abandonnés par les pouvoirs publics ?

Il faut que ce Grenelle influe sur tous les budgets. Vous devrez veiller au changement des comportements, Monsieur le ministre. Rien ne sert de développer des couloirs de bus à Paris, si l’on ne renforce pas la mobilité des onze millions de Franciliens qui se heurtent à de grandes difficultés dans la grande couronne.

Je voudrais également revenir sur la question des aéroports, qui n’a pas été directement abordée. Orly et Roissy seront prochainement saturés. Cela posera de nouveau la question d’un troisième aéroport pour l’Ile-de-France, non que l’on cherche à tout prix à développer le transport aérien, mais il faut trouver un moyen de faire voler les avions au-dessus de zones inhabitées plutôt que de zones particulièrement denses.

Il faudra impérativement aider sur le plan financier les communes et les régions prêtes à investir dans les transports propres. Pourquoi ne pas instituer une « éco-pastille » qui responsabiliserait les acquéreurs de véhicules et permettrait de financer à hauteur suffisante la création de tramways ?

La cohérence, nécessaire sur le plan national, l’est également au niveau européen et international. Vous avez abordé, Monsieur le ministre, la question des OGM – était-ce une bévue ou un ballon d’essai ? Pourquoi ne pas interdire les cultures de plein champ, à condition de laisser se poursuivre les expérimentations sous serre ? Mais encore faudrait-il que les décisions prises au niveau national soient cohérentes avec celles de la Commission européenne qui estime que l’on ne peut plus revenir sur la question, la directive ayant été adoptée.

Comment, enfin, inciter à la protection de l’environnement dans notre pays sans revoir les règles des échanges internationaux dans le cadre de l’OMC ? Le Président de la République avait imaginé des « écluses » environnementales et sociales, seul moyen d’éviter le dumping de pays comme la Chine où se délocalisent certaines de nos entreprises, parce que les normes environnementales y sont inexistantes. Nous ne pourrons défendre la compétitivité des entreprises françaises et européennes que par l’instauration de ce droit de douane environnemental et social qui pourrait être progressif, passant par exemple, comme je l’ai moi-même proposé devant la Fondation Nicolas Hulot, de 5 % la première année à 50 % au bout de dix ans pour les entreprises ne respectant pas la norme ISO.

En conclusion, prenons garde à ce que le Grenelle de l’environnement ne se réduise pas à un feu d’artifice de mesures sans cohérence suffisante à tous les niveaux : sinon, outre que l’on irait à l’échec, on susciterait une immense déception.

M. Philippe Folliot – Le véritable sujet de ce débat, c’est notre irresponsabilité collective à l’égard des générations futures vis-à-vis desquelles nous avons une triple dette, fiscale avec les déficits cumulés de l’État ; sociale avec le déficit abyssal de la Sécurité sociale, générationnelle avec le manque de financement pour les retraites futures ; écologique enfin avec la surexploitation des ressources naturelles et le réchauffement climatique. Je doute personnellement que le Gouvernement ait pris la mesure de l’acuité du problème de la dette fiscale et sociale. La politique économique actuelle n’est pas à la hauteur de l’enjeu. S’agissant de la dette générationnelle, je pense en revanche qu’on est sur le bon chemin pour sauvegarder notre système de retraite par répartition. Enfin, pour ce qui est de la dette écologique, le Grenelle de l’environnement vient à temps. La méthode retenue est bonne : large concertation, mobilisation, analyse transversale des politiques publiques, interrogation sur nos comportements quotidiens, nos modes de production et nos modes de vie.

Je centrerai mon intervention sur deux points. Tout d’abord, ne faisons pas de la route un bouc émissaire. Le transport routier ne représente que 26 % des émissions de gaz à effet de serre. Les travaux du groupe de travail n° 1 ont par ailleurs montré que ces six dernières années, ces émissions s’étaient stabilisées. Les progrès permanents des constructeurs pour réduire la pollution des véhicules et améliorer le rendement énergétique des moteurs, ainsi que l’essor des véhicules diesel, y sont pour beaucoup. L’essentiel de la pollution automobile est causé par 10 % seulement des véhicules, les plus vieux. Il faut respecter la directive européenne relative aux émissions maximales de CO2 pour les véhicules neufs, tout en continuant bien sûr de développer les transports en commun, les circulations douces en site propre et le fret non routier.

Mais, et les acteurs du Grenelle de l’environnement comme le Gouvernement ne peuvent l’ignorer, certains secteurs du territoire ne bénéficient pas des infrastructures de transport qui leur seraient nécessaires. L’agglomération de Castres-Mazamet, qui compte 100 000 habitants, n’est desservie ni par autoroute, ni par TGV, ni par aéroport international, ce qui la handicape fortement. C’est pourquoi je me bats, avec l’ensemble des élus et des professionnels du Tarn, pour que l’autoroute Castres-Toulouse, décidée par l’État, soit réalisée comme prévu d’ici à 2013 et que le Grenelle de l’environnement ne retarde pas le projet. Le développement durable n’a-t-il pas pour objectif de concilier compétitivité économique, aménagement du territoire, progrès social, respect de l’environnement et de la santé ? Nous savons tous dans le Sud-Tarn que sans cette autoroute, notre bassin d’emploi, qui a déjà dû faire face à la crise du textile, ne pourra pas se désenclaver et sera définitivement aspiré par la métropole toulousaine, pourtant au bord de l’asphyxie.

Certains territoires ruraux sont totalement dénués d’infrastructures de transports, ce qui accélère leur désertification et accroît la fracture territoriale. À la campagne, où il n’existe plus de transports non polluants depuis que la SNCF a fermé presque toutes ses lignes, et où les lignes de bus sont rares et souvent malcommodes, on ne peut bien souvent faire autrement qu’utiliser sa voiture. Si l’on souhaite éviter que ne se créent des déserts français et que l’on oppose une France utile et une France inutile, il faut adopter une approche spécifique pour les territoires ruraux. J’y insiste car bien des experts et des associations représentées au Grenelle de l’environnement nourrissent souvent des préjugés défavorables à l’égard des ruraux.

Le deuxième point de mon intervention portera sur les OGM. En ce domaine, il faut en finir avec l’inquisition. Je regrette l’absence de débat à l'Assemblée nationale, alors même qu’une mission d’information, dont j’ai eu l’honneur d’être vice-président, a remis en avril 2005 un excellent rapport sur le sujet. Cela traduit une forme de mépris à l’égard de la représentation nationale. Depuis 1998, aucun gouvernement, de quelque bord qu’il soit, n’a eu le courage d’aborder cette question et de faire adopter la loi qu’exige l’Union européenne. Cette pusillanimité a conduit à une surenchère dans l’obscurantisme. L’opacité maintenue par certaines multinationales a, hélas, conforté le comportement des faucheurs qui violent la propriété privée en invoquant le droit à la désobéissance civique, ce qui est inacceptable.

M. le Président de la commission – Très bien !

M. Philippe Folliot – Comment notre société pourrait-elle tolérer ces comportements alors qu’elle condamne sans appel les militants pro-vie qui invoquent également ce droit à la désobéissance civique lorsqu’ils organisent des raids contre les hôpitaux pratiquant des IVG ? Force doit revenir à une loi votée par le Parlement.

Notre mission d’information avait formulé plusieurs propositions : création d’un conseil supérieur des biotechnologies, susceptible de se prononcer de manière éclairée et indépendante sur le sujet ; promotion de l’information, de la pédagogie et bien sûr de la transparence sur la nature et la localisation des essais de cultures d’OGM, notamment en prévoyant l’information systématique des maires ; distinction claire entre les risques putatifs des OGM et ceux avérés des pesticides en matière de santé, et des engrais en matière de pollution de l’eau ; distinction entre les OGM réalisés au sein d’une même espèce comme forme poussée de sélection et ceux qui transgressent les frontières d’espèces, les deux n’ayant pas du tout la même portée éthique, scientifique et environnementale ; appréciation précise du risque de dissémination qui n’est pas le même selon qu’il s’agit d’un champ de colza ou d’un champ de betteraves où il n’y a pas de pollinisation ; nécessité de sortir de l’hypocrisie actuelle où la quasi-totalité du soja consommé est transgénique ; enfin, ne pas négliger la question de l’avenir de nos semenciers et de notre industrie des biotechnologies car il existe un risque réel de décrochage par rapport aux firmes étrangères, en particulier américaines, et de dépendance ultérieure.

Ces deux questions du transport routier et des OGM sont emblématiques du Grenelle de l’environnement. Elles sont en effet complexes, donnent lieu à des affrontements idéologiques passionnels mais sont aussi porteuses d’enjeux majeurs sur le plan économique, social et environnemental. Il vous faudra, Monsieur le ministre, user de tout votre art du dialogue et de l’écoute pour ouvrir des pistes correspondant aux attentes des acteurs que vous avez su intensément mobiliser. Mais il vous faudra aussi entendre les élus et redonner au Parlement son rôle qui est de voter la loi dans le seul souci de l’intérêt général. (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau centre)

M. Jean-Jacques Guillet – J’adopterai dans cette intervention un angle d’approche quelque peu différent des orateurs précédents. Depuis cinq ans, j'appelle au nom de la commission des affaires étrangères dont je suis membre, à l'exemplarité de notre pays en matière de développement durable et d'environnement, qui constituent depuis Johannesburg un levier essentiel de la politique internationale de la France. Nos concitoyens, qui ont parfaitement pris conscience des enjeux, sont prêts à des décisions courageuses dont ils savent l'urgence. Le Grenelle de l'environnement, engagé sous l'impulsion du Président de la République et sous votre autorité, répond à leurs vœux comme à la responsabilité qui est la nôtre sur le plan international.

Aucune politique environnementale ne peut réussir sans une dimension mondiale. Fidèle à l'approche multilatérale, la France appelle à la création d'une Organisation mondiale de l'environnement, pouvant passer, dans un premier temps, par la transformation du PNUE en ONUE. Cela explique l'Initiative française de mobilisation internationale de l'expertise scientifique pour la biodiversité (IMOSEB). Cela explique notre volonté de voir l'OMC intégrer les critères environnementaux dans ses décisions. Ces engagements ont été, même si ce n'était pas l'objet premier des débats, pris en compte par les groupes de travail du Grenelle, qui ont souligné la nécessité de regrouper des moyens humains et des compétences – qui existent – au service de ces initiatives, en particulier dans la perspective de la présidence française de l'Union Européenne. Cette présidence sera en grande partie centrée sur la délicate équation entre énergie et climat qu’il faudra bien parvenir à résoudre.

Dans un contexte de mondialisation, notre sécurité énergétique passe par la fluidité et la transparence des marchés. On comprend que le Président de la République ait affirmé, il y a quelques jours à New York, que « le défi climatique sera une priorité absolue de l'action de la France », soulignant l'impératif d'un cadre multilatéral pour relever le défi. Nous sommes de ce point de vue à un moment-clé. Même si on ne peut attendre d'avancées spectaculaires de la conférence de Bali, en décembre prochain, on doit constater des changements importants dans l'attitude des États-Unis et de la Chine, déterminante pour la préparation et la réussite de Kyoto II.

Les États-Unis bougent désormais, et vite, ayant pris conscience que la foi dans le progrès technologique est insuffisante et que l'intervention publique est nécessaire. J’ai ainsi été heureux d'entendre la présidente de la commission de l'environnement du Sénat américain nous dire, lors d'une récente visite, qu'elle soumettrait une proposition de loi créant un système d'échange de quotas à l'échelle fédérale sur le modèle et en liaison avec le système européen, et que ce texte avait une chance d’aboutir assez rapidement.

On peut penser à une évolution notable dès la fin de la présidence Bush, concordant avec la présidence française de l'Union européenne. Peut-être serait-il utile, Monsieur le ministre d'État, d'accompagner cette évolution, à l’image du gouvernement britannique, qui a pris l'initiative d'un accord organisant des liens entre les mécanismes de marché carbone anglais et californien.

De son côté, la Chine – sans doute le premier émetteur de gaz à effet de serre en 2009 – a pris conscience qu'elle était aussi la première victime du réchauffement climatique : un système embryonnaire d'échanges de quotas existe désormais, et le Congrès du Parti communiste chinois devrait décider dans quelques jours de donner la priorité à l'environnement et de maîtriser la croissance. Encourageons donc les transferts de technologie sobres en carbone ; pour sa part, la Chine développe la recherche sur les technologies du charbon propre. La prise en compte de la tonne de carbone dans les coûts de production permettra d'accélérer le déploiement de technologies propres.

Enfin, il faut évoquer les problèmes des pays pauvres, en particulier d'Afrique, qui sont les plus vulnérables aux effets du réchauffement climatique. La commission des affaires étrangères a indiqué quelques pistes, en particulier sur les transferts de technologie en matière énergétique. Là encore, la France peut être exemplaire et entraîner l'Europe dans une politique qui ne peut être que globale (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Christiane Taubira – Une heure n’aurait pas suffi pour exposer ce qu’il est urgent de vous faire entendre. Sur le vaste territoire que je représente, dont moins de 10 % de la surface sont occupés, la sécurité énergétique n’est pas assurée, faute d’une diversité suffisante des ressources, et la distribution est difficile dans les zones enclavées. Dans ce milieu équatorial, les normes édictées par le code de la construction sont peu adaptées. La modernisation du réseau d’incinérateurs et de déchetteries commence à peine. Les orpailleurs clandestins se moquent de l’interdiction du mercure et l’usage des pesticides est peu conforme à la réglementation. Les maladies d’environnement, comme le paludisme, la dengue, la maladie de Chagas et la papillonite, sont en forte recrudescence. Quant au contrôle de la qualité de l’air, il est trop épisodique.

Depuis plusieurs années, les acteurs institutionnels, administratifs, associatifs et même économiques proposent des mesures comme un dispositif législatif global, spécifique à l’Amazonie, qui intégrerait, dans l’esprit de la loi Montagne de 1985, les modifications nécessaires du code minier, du code de l’Habitat et du code général des Impôts. Ils préconisent l’application des dispositions de Natura 2000 – qui permettent de préserver la biodiversité et de valoriser les territoires –, une fiscalité plus incitative et un accès moins coûteux aux données recueillies par les satellites, au service des politiques publiques.

Il s’agit surtout de créer les conditions d’un développement respectueux de l’environnement et de la santé, et créateur d’emplois. Pour l’Amazonie, le développement durable – version Yves Cochet ! – constitue un gisement d’emplois beaucoup moins destructeurs que les activités minières et pétrolières.

Je voudrais appeler votre attention sur la question des ressources génétiques, et sur l’obligation morale et politique que vous avez de veiller à leur préservation. Matière première stratégique du troisième millénaire, elles attirent la convoitise de grands groupes pharmaceutiques, agrochimiques ou agroalimentaires. Après avoir été dépouillée de ses ressources naturelles comme l’or, et bientôt, le pétrole, la Guyane exercera la plus grande vigilance et exigera de l’État qu’il lutte sans complaisance contre la bio-piraterie.

Le parc amazonien de Guyane a été créé par la loi d’avril 2006 et mis en place en février dernier. Au cœur des engagements internationaux de la France, il relève de la Convention sur la biodiversité. Il renvoie à la propriété intellectuelle et à la reconnaissance des droits des populations locales sur le patrimoine génétique. Enfin, il peut être le référent pour la détermination des crédits carbone.

Les Guyanais ont renoncé à l’idée de connaître de leur vivant le développement de leur territoire. Après avoir vu les réserves d’or, soumises à la pression productiviste, s’appauvrir considérablement, ils assistent à la destruction des écosystèmes. Les exigences dictées par le développement durable doivent désormais porter sur les activités industrielles.

C’est ce que pourrait permettre le statut écologique pour les Outre-mer, préconisé par Serge Letchimy, député de la Martinique, membre du groupe de biodiversité, qui interviendra prochainement à la Réunion dans le seul Grenelle décentralisé concernant les Outre-mer.

Les Outre-mer vous projettent dans le monde et dans ses contradictions ; ils vous contraignent à concilier l’urgence du développement et la nécessité de l’excellence écologique. Ils obligent à inventer des passerelles et à être créatifs, pour peu que vous preniez le temps de les entendre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. Alfred Marie-Jeanne – Le genre humain serait en train de vivre un moment crucial de son existence. Nous devons changer de base au plus vite pour éviter d’autres désastres. Le problème étant global, la mobilisation doit l'être tout autant.

Lors d’un colloque à la Martinique en décembre 2006, sur le thème « Changement climatique, la Caraïbe en danger », les petits pays de la Caraïbe ont rappelé les conséquences que pourraient avoir I'élévation du niveau des mers et des océans, la fréquence et l'intensité plus fortes des cyclones tropicaux et la destruction des zones côtières.

La Martinique, condensé de ces phénomènes, a été frappée de plein fouet par l'ouragan Dean le 17 août. Un mois plus tard, elle était montrée du doigt pour l’usage de pesticides dangereux, situation critique que l'on fait semblant de découvrir aujourd'hui. C'est vous dire que la protection de l'environnement, la sauvegarde de la biodiversité, la réduction des gaz à effet de serre, le traitement des déchets, la dépollution de nos sols et de nos eaux, le développement des énergies renouvelables, l'amélioration du bâti sont des chantiers qui s'imposent avec la même urgence en Martinique.

Mais voici un exemple aberrant : pour répondre à nos besoins croissants en énergie électrique, il est prévu d'utiliser comme combustible 95 % de charbon et 5 % de bagasse en Martinique. Est-ce cela le développement durable ? C’est pourquoi nous voulons un pouvoir réel de décision, afin d’appliquer les solutions les meilleures et les plus adaptées à notre situation, et pas seulement un statut écologique dérogatoire.

Le Conseil régional de Martinique a lancé avec d'autres partenaires un programme de maîtrise de l'énergie, un programme de maîtrise des déchets et de l'environnement, ainsi que des actions visant à la préservation et à la valorisation du patrimoine naturel, pour un coût de 13 millions d'euros, intégré dans le Schéma martiniquais de développement économique.

Bien qu’encore riche, la biodiversité est fortement menacée : certaines espèces ont disparu, d'autres sont en voie d'extinction rapide. J’ai préconisé ici même, le 28 février 2006, la création d'un pôle de compétitivité endogène couvrant l'ensemble Guadeloupe-Guyane-Martinique, afin de corréler la recherche au développement. Monsieur le ministre, c’était là l’une de mes propositions.

Concernant la sécurité alimentaire et le problème des pesticides, il faut d’abord déplorer le manque d'écoute du Gouvernement lorsque l'élu, quelle que soit sa sensibilité politique, l'interpelle sur des sujets épineux et dérangeants. Le 10 mai 2000, dans cet hémicycle, j’exposais au ministre de l'agriculture de l'époque la nécessité « d'optimiser la vérification au titre du respect de la réglementation, d'approfondir substantiellement la législation sur la sécurité alimentaire et d'instaurer un laboratoire d'analyse médical techniquement performant, afin d’effectuer le plus grand nombre possible de contrôles sur place et de remédier à la faiblesse des données épidémiologiques ». C’était là une autre de mes propositions ; depuis lors, sept ans se sont écoulés.

En 2003, j’ai de nouveau appelé l'attention du ministre sur les taux de pesticides présents dans les eaux et les sols de Martinique et de Guadeloupe. Je lui demandais en outre « de déterminer les responsabilités liées à une défaillance des contrôles ». En l’occurrence, malgré la gravité de la situation, le principe de précaution n'a même pas été respecté : aucune mesure n’a restreint l'usage de produits dont la nocivité était pourtant avérée de longue date. C'était là une autre de mes propositions ; depuis lors, quatre ans se sont écoulés.

Le 11 mai 2006, lors de l'examen du projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques, j’ai de nouveau interpellé la ministre de l'environnement de l'époque « sur une véritable politique de dépollution, sur l'institution d'un fonds spécifique à cette fin et sur l'indemnisation du préjudice causé ». Voilà une autre de mes propositions. Faudra-t-il attendre que la situation soit littéralement gangrenée pour que l’on en tienne compte ?

Quant à l’énergie, l’approvisionnement de la Martinique en énergies fossiles la fait aujourd’hui dépendre à 97 % de l'extérieur : il est donc indispensable et urgent de recourir à une exploitation plurale des sources d'énergie de substitution. Ainsi le conseil régional a-t-il contribué à la création de la première ferme éolienne, dont la production, certes encore modeste au regard des besoins qu’elle doit satisfaire, s’élève à 1,1 MW. Voilà donc une autre proposition.

En somme, lorsque des propos passés demeurent d’actualité, il est parfois plus utile de se les remémorer que de prononcer un long discours. « Nous nous sommes enrichis de l'utilisation prodigue de nos ressources naturelles et nous avons des raisons d'être fiers de notre progrès. Mais le temps est venu d'envisager sérieusement ce qui arrivera quand nos forêts ne seront plus, quand le charbon, le fer et le pétrole seront épuisés, quand le sol aura été davantage appauvri et lessivé vers les fleuves, polluant leurs eaux et dénudant les champs. » Ainsi s’exprimait Theodore Roosevelt, ancien président des États-Unis, en 1909. Depuis lors, cent ans ont passé ! Or, aujourd’hui, le président des États-Unis est loin de donner l’exemple : au nom de la croissance américaine, il préfère opposer son veto à toute véritable proposition de changement. À ce rythme, l’attente risque d’être longue – le temps, sans doute, de se familiariser avec toutes les technologies du futur afin de tenter de rester toujours maître de la situation ! Pour se dérober, voire se disculper, certains prétendent que le développement thermo-industriel des pays émergents aggraverait les difficultés de la planète : ils n’ont pas tort, mais oublient que l'effort doit venir de tous, en premier lieu des pays développés.

Combien de temps encore nous limiterons-nous à des mesures palliatives ? Comme le souligne Michel Serres, « nous pouvons certes ralentir les processus déjà entamés, légiférer pour consommer moins de combustibles fossiles, replanter en masse les forêts dévastées – autant d’initiatives excellentes, mais qui évoquent en définitive un officier de quart qui commanderait un vaisseau filant à vingt-cinq nœuds vers une barre rocheuse et réduirait sa vitesse d'un dixième sans changer sa direction ! »

Une ère semble s'achever. Que faire pour changer de cap ? La question reste posée. S’agissant des moyens à mettre en œuvre, c'est aux experts – climatologues, océanographes, économistes – d’indiquer aux politiques les choix les plus judicieux. Quant aux objectifs, nous devons privilégier la réduction du déséquilibre social et écologique, car le développement durable est l'affaire de tous. Ainsi, si les réponses à apporter au problème doivent être plurielles, car adaptées à chaque pays, elles doivent toutes converger vers le même résultat.

Je tiens à saluer l’initiative opportune que représente le Grenelle de l’environnement ; pour ma part, si je n’ai jamais cherché à affoler quiconque, je suis effrayé de la lenteur et de l’égoïsme avec lesquels les politiques en viennent à traiter ce problème. Car, comme le dit un proverbe créole, « pli ta, pli tris » – plus tard, plus triste (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. Alfred Almont – Au terme de cette première étape du Grenelle de l’environnement, nous prenons conscience du fait que l’outre-mer devra constituer un enjeu primordial dans la politique de développement durable que la France entend désormais promouvoir de manière active et concertée.

Vous avez raison, Monsieur le ministre, d’affirmer qu’« il est urgent d'agir pour réconcilier la nature avec le progrès et le développement ». Quelles que soient nos convictions, l'épuisement des énergies issues du pétrole, celui des ressources naturelles et les changements climatiques résultant du réchauffement de la planète nous confrontent à des menaces inévitables et nous imposent de modifier nos comportements afin de parvenir à garantir à nos régions une croissance économique durable.

Ces régions d’outre-mer, notamment les Antilles françaises et plus particulièrement la Martinique offrent un ensemble d’écosystèmes particulièrement riches mais aussi extrêmement fragiles ; cette biodiversité unique justifie que nous repensions sérieusement notre relation à la nature et nos modes de production, de consommation et de vie. Car le patrimoine naturel exceptionnel de la Martinique – comme celui de la plupart des îles de l'arc antillais –, source de richesse écologique pour la France et pour l’Europe, rend également l’île particulièrement attractive, ce qui encourage des activités touristiques à nos yeux indispensables à un véritable développement. Il est essentiel de préserver ce patrimoine, par des moyens appropriés, afin de favoriser durablement la croissance économique et la cohésion sociale.

Après avoir examiné attentivement les propositions des groupes de travail, je reste convaincu que ces caractéristiques naturelles ajoutent à la spécificité des régions d'outre-mer, justifiant par là même une adaptation des mesures exigées par l'écologie et le développement durable, adaptation qui mettrait un terme à des comportements d'un autre âge. L'article 73 de la Constitution ne dit-il pas que « le régime législatif et l'organisation administrative des départements d'outre-mer peuvent faire l'objet d'adaptations spéciales nécessitées par leur situation particulière » ? À l’occasion du Grenelle de l’environnement, l'outre-mer devrait par conséquent être considéré comme un domaine de travail spécifique, ce qui pourrait se traduire par la création d'une structure responsable de son patrimoine naturel et réunissant tous les acteurs concernés, conformément à l’esprit qui anime ce grand rendez-vous, autour des ministres chargés de l'écologie et du développement durable, de l’agriculture, des transports et – bien entendu – de l'outre-mer.

Depuis une vingtaine d’années, la santé de l’environnement s'est sensiblement dégradée ; en témoignent le blanchiment des coraux, la dégradation des mangroves, la menace qui pèse sur la biodiversité, la pollution des cours d'eau ou encore l'accumulation des déchets, sans compter l'exiguïté et l’insularité du territoire et les risques naturels auxquels il est exposé – autant d’obstacles au développement et à l’usage approprié de l'espace. Une politique de développement concertée devrait permettre à la Martinique de faire face à quelques-unes des menaces auxquelles l’exposent la consommation d'eau potable, la globalisation de la pollution, le changement climatique ou le vieillissement de la population. Car ces dérèglements interviennent au moment où la mondialisation confronte la Martinique à d’autres défis – économiques, environnementaux, mais aussi énergétiques –, dans un contexte de croissance démographique généralisée.

Ainsi, il est indispensable que nous réduisions notre dépendance énergétique, qui s’élève aujourd'hui à 97 % pour les énergies fossiles – de plus en plus chères et en voie d'épuisement. Ce chantier prioritaire appelle des décisions ambitieuses adaptées à nos climats, lesquels permettent d’exploiter abondamment l'énergie solaire, l'énergie thermique et l'énergie éolienne. N’oublions pas pour autant la maîtrise des déchets ménagers et industriels, dont la collecte, le traitement et l'élimination doivent encore être améliorés ; la reconquête de la qualité de l'eau, qui impose de réduire les sources de pollution ; la nécessité de promouvoir un mode d'urbanisation qui respecte notre environnement en économisant l'espace comme les ressources naturelles ; l'adoption d'une politique active de gestion du littoral, des aires marines et des ressources halieutiques.

En somme, le débat sur l’environnement constitue une formidable opportunité pour l’outre-mer, qui peut et doit tirer profit de ses atouts naturels pour y jouer un rôle moteur. Voilà pourquoi la loi-cadre qui pourrait être votée à l’occasion du Grenelle de l’environnement devrait en faire un territoire d’expérimentation servant de laboratoire à la préservation de l’environnement et permettant une gestion globale des sols et du littoral, au service du grand mouvement de production que nous appelons tous de nos vœux.

Une telle dynamique implique une stratégie de recherche, en particulier afin d’améliorer les pratiques agricoles par la diminution drastique du recours aux pesticides et des engrais – nul n’ignore les conséquences de l’utilisation de pesticides de la famille des organochlorés dans les exploitations bananières de 1981 à 1993 –, dont l’État, au plus haut niveau, doit tenir les citoyens largement informés afin de gérer au mieux le risque sanitaire qui semble les menacer et d’éviter le pire. Il s’agit également d’élaborer des techniques permettant d’éviter l'érosion des sols. Cette stratégie entraînera nécessairement des effets économiques positifs : le recrutement des chercheurs rejaillira sur l’emploi, les technologies mises au point pourront déboucher sur des brevets, l’application de ces recherches générera des activités, l’organisation de congrès et l’accueil de spécialistes du développement durable renforceront l'attractivité du territoire. Sa mise en œuvre nécessite la création en Martinique d’un pôle de compétitivité.

M. le Président de la commission – Très bien !

M. Alfred Almont – Ce pôle pourrait regrouper le conseil régional, le conseil général, l'université des Antilles et de la Guyane, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, l’Institut national de la recherche agronomique, les chambres consulaires et, bien entendu, les communautés d'agglomération. Je formule ce vœu à l’occasion d’un débat dont je me félicite, car il est temps d’agir, et seul le renouvellement est source de progrès. Merci, Monsieur le ministre, des efforts que vous rendez possibles (applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président de la commission – Bravo !

Mme Chantal Berthelot – L’urgence écologique est désormais évidente ; mais le Grenelle de l’environnement permettra-t-il d’agir de manière proportionnée à l’enjeu, ou ne donnera-t-il lieu qu’à quelques « mesurettes » ne changeant guère la donne ? A l’issue de la première phase de discussion, qui a suscité un certain nombre de propositions, un grand flou demeure. Comment passera-t-on de ce catalogue de préconisations au choix de quinze programmes d'action ? À partir de quels critères ? Quel sera le rôle des réunions locales, organisées au pas de charge ? Et celui de l'Assemblée nationale, dont le comité de suivi a exprimé de nombreuses interrogations ? Quid du financement, alors que le Premier ministre parle de faillite de l’État et que le budget 2008 est marqué du sceau de la rigueur ?

Monsieur le Ministre, vous affirmez vouloir la « révolution écologique ». Je suis sceptique. La France, présente sur deux continents et trois océans, a une responsabilité particulière dans la mobilisation mondiale pour la préservation de la biodiversité. Or, le bilan est désastreux outre-mer. Aux Antilles, des dérogations sont accordées pour l'utilisation du chlordécone. Nos déchetteries et nos systèmes de traitement des eaux usées sont loin d'être aux normes européennes. En Guyane, les cours d'eau portent les marques catastrophiques de l’orpaillage illégal, sans que les moyens pour éradiquer ce fléau ne viennent.

Le parc amazonien de Guyane, dont la création était un engagement du Président Mitterrand, en 1992, réaffirmé par le Président Chirac en 2002, a vu le jour le 27 février, quinze ans après. Et pour son financement, l'État puise dans les fonds de tiroir. Il y a certes eu des réticences au plan local, car le respect de la biodiversité ne peut faire l'impasse sur l'homme, et la Guyane hésitait à geler une partie de ses ressources. Le développement durable ne peut avoir un sens pour la population guyanaise que s'il associe la durabilité et un progrès économique et social créateur de richesse et d'emplois.

De nombreuses propositions du Grenelle sont intéressantes à ce titre, notamment le refus du projet minier Cambior-Iamgold, qui menace l'une des dernières populations de caïmans noirs d'Amazonie. J'espère que le Président de la République tranchera la divergence qui existe au sein du Gouvernement sur ce dossier dans le sens de l'impératif environnemental. Parallèlement, les communes concernées par l'orpaillage doivent bénéficier des plans de développement alternatif.

Le plan d'action pour la biodiversité ainsi que le critère « biodiversité et carbone » dans le calcul de la dotation globale de fonctionnement me paraissent également très positifs, tout comme le développement des sciences de l'écologie et de l'enseignement, dont l’université guyanaise, que nous appelons de nos vœux, pourrait devenir un pôle.

En matière d'aménagement du territoire, l'État doit inscrire dans le schéma national des nouvelles infrastructures les grands équipements dont la Guyane a besoin pour se désenclaver.

Si j’approuve, par ailleurs, l'objectif de faire des départements d’outre-mer une vitrine de l'excellence climatique, en visant un taux de 50 % d’énergie renouvelable en 2020, encore faudrait-il que les besoins locaux soient pris en considération, ce qui n’est pas suffisamment le cas actuellement. J'approuve également le recours à la norme HQE.

Les communautés autochtones de Guyane, qui, par leurs pratiques traditionnelles et leur culture, participent à la conservation de la biodiversité, doivent être reconnues comme des partenaires à part entière dans la gouvernance de la politique environnementale.

Le chantier est immense, mais exaltant. À mes yeux, la notion d'environnement forme un tout, qui comprend la nature, mais aussi l’activité économique et le cadre socioculturel de l'homme. Voilà la « révolution écologique » que j'appelle de mes voeux. La France est-elle prête pour cette ambition ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. André Chassaigne – S'il est nécessaire de débattre de la crise écologique que nos sociétés traversent, encore faut-il que des réponses concrètes soient apportées, et qu’elles se traduisent dans les faits.

La question écologique ne date pas d'hier. Aux débuts de la révolution industrielle, la dissémination des déchets dans l'atmosphère ravageait la santé des travailleurs. Les syndicats, constatant la dégradation des milieux de vie et de travail, se mobilisaient déjà contre ses causes. Il est vrai que les atteintes à l'environnement ont connu une terrible accélération depuis les années 1950, avec l'utilisation massive du pétrole, le développement de l'automobile, l'introduction des intrants chimiques dans l'agriculture, et pour résultat ce fait indéniable, constaté depuis longtemps par la communauté scientifique, que la vie de millions d'êtres humains est aujourd'hui en danger. L'existence même de l'humanité est menacée ! La prise de conscience de ce phénomène conduit à poser la question écologique avec davantage d'acuité : le Grenelle de l'environnement en est la dernière illustration, dont il convient de se féliciter.

Les solutions avancées sont rarement insérées dans le contexte économique et social. Or, il n'y aura pas de solution durable à ces problèmes tant que sera ignoré le lien entre la destruction de l'environnement et la logique du profit capitaliste – sans nier le bilan environnemental catastrophique du socialisme réel.

Résoudre la question environnementale implique de sortir du cadre de la recherche effrénée du profit, car la dégradation de l’environnement, le changement climatique, l’épuisement des ressources naturelles, la pollution de l’air et de l’eau, la destruction des forêts, les catastrophes industrielles ne sont pas des ratés du système ; ils en sont la logique.

Le capitalisme, qui impose de produire dans des délais très courts, ne permet pas de prendre en considération le temps nécessaire au renouvellement des ressources naturelles. Le marché pousse en outre à la fabrication de produits inutiles, voire nuisibles : la publicité, les drogues, l'armement. Les abandons d’activités aux opérateurs privés entraînent la violation de la réglementation, l’usage de substances toxiques, le rejet sauvage de déchets. Situation particulièrement criante dans les pays du Sud, conséquence, pour partie, de notre impérialisme économique à leur égard, mais également tangible dans les pays développés. L'expansion incontrôlée des villes conduit à une forte dégradation de l'environnement urbain. L'exploitation incohérente des sols, au profit d'une zone industrielle, d'un centre commercial, d'une cité-dortoir, allonge la durée des déplacements nécessaires.

Crise écologique et crise sociale sont alimentées par les mêmes mécanismes. L'influence grandissante des multinationales, la mainmise des marchés sur nos sociétés, les politiques de l'OMC, du FMI, de la Banque mondiale, du G8 conduisent à l'épuisement des humains comme de la nature.

Or, les propositions qui émanent des groupes de travail évoquent à peine les moyens financiers immenses et les bouleversements économiques qu’elles nécessiteraient pour leur mise en oeuvre. Vous courez le risque, Monsieur le ministre, de retrouver demain ces propositions dans un bocal rempli d’alcool de serpent, avec une étiquette « Grenelle de l’environnement » dessus, posé sur la cheminée.

M. Jean-Charles Taugourdeau – Quel pessimisme !

M. André Chassaigne – Le groupe de travail n° 1 propose un plan national de développement du fret non routier, accompagné d'un durcissement de la réglementation sur les poids lourds. Il s'agit certes de bonnes propositions, mais a-t-on conscience que leur application nécessitera de remettre en cause la logique libérale de l'Europe, qui impose de réduire le réseau ferroviaire aux lignes les plus rentables, favorisant ainsi le tout-routier ? La SNCF a récemment décidé de fermer, dès novembre, 262 gares au transport de marchandises.

M. le Président de la commission – Seulement pour les wagons isolés !

M. André Chassaigne – Le Gouvernement est bien responsable de ce choix, puisque la SNCF est sous tutelle de l'État. En même temps, il décide de bloquer les crédits européens pour l'étude de la liaison TGV Lyon-Turin.

M. le Ministre – C’est faux !

M. André Chassaigne – Deux décisions qui n'ont rien de fortuit, puisqu’elles s'inscrivent dans la logique du plan Véron, qui a déjà conduit à un recul du fret ferroviaire de 13 % en trois ans.

Seule une logique de service public est à même de répondre aux problèmes écologiques. Seul l'État peut débloquer les 10 milliards d'euros nécessaires à la réalisation d'un réseau de fret ferroviaire digne de ce nom. Une telle volonté peut-elle voir le jour, alors que la baisse des dépenses publique est érigée en dogme ? La réduction des transports les plus polluants, les plus destructeurs et les plus coûteux en énergie nécessite le développement des transports publics, de voyageurs et de marchandises. Ces exigences écologiques rejoignent les exigences sociales d’un transport bon marché, desservant l’ensemble du territoire et appliquant des niveaux de salaires et des normes de travail acceptables.

Le groupe de travail n° 4 recommande de développer fortement les pratiques agricoles respectueuses de l'environnement, en préconisant notamment d’augmenter les surfaces de l’agriculture biologique et de réduire l'usage des pesticides. Ces mesures vont dans le bon sens, mais comment les appliquer dans le contexte actuel ? C’est une nouvelle preuve de ce que les logiques économiques dominantes épuisent la nature et réduisent les emplois. Ainsi, l'agro-industrie contribue à la désertification des campagnes, en réduisant à la fois la variété des paysages, la biodiversité et les emplois agricoles. La plupart des mouvements agricoles prennent d’ailleurs progressivement conscience qu'une politique de protection de l'environnement ne peut se conjuguer avec l’agriculture que s'il y a rupture avec l'ordre établi. Comment prétendre développer les bonnes pratiques sans remettre en cause le système agroalimentaire dans son entier ? Les paysans, étranglés, sont bien obligés d'utiliser engrais et pesticides s'ils veulent survivre ! Cette situation n'est pas la conséquence de contingences climatiques sur lesquelles nous n'aurions aucune prise, mais des réformes successives de la politique agricole commune, qui s'inscrivent dans le sillon de la libéralisation dictée par l'OMC. Seule une authentique préférence communautaire et une aide aux exploitations les plus vulnérables, qui sont par ailleurs celles qui participent le plus à l'aménagement du territoire et aux équilibres environnementaux, permettront un retour à des prix rémunérateurs et une rupture avec un type d’agriculture aux effets désastreux.

M. le Président – Cher collègue, il va falloir conclure.

M. André Chassaigne – Le groupe de travail n° 5, cherchant à promouvoir une démocratie écologique, propose de veiller à la transparence dans les décisions publiques, de confier de nouvelles missions dans le domaine de l'environnement aux comités d'entreprise et de donner un statut nouveau aux acteurs de l'environnement, avec notamment une meilleure représentation au Conseil économique et social. Ces propositions, certes positives, sont-elles bien à la hauteur de l'enjeu ? La crise écologique exige de prendre en compte des contraintes de très long terme, les rythmes naturels étant bien différents de ceux du marché. Nos politiques doivent intégrer cette exigence, qui fait entrer en jeu la solidarité intergénérationnelle. Pour cela, j’insiste auprès du président de la commission des affaires économiques sur le fait qu’il faille réhabiliter la planification, mais sous une forme résolument démocratique. Il n'y aura pas de démocratie écologique tant que les orientations décidées ne feront pas l’objet d’un débat large et permanent. Une telle démarche nous manque. Et de ce débat, aucune grande question ne doit être évacuée, comme la place du nucléaire dans le bouquet énergétique ou celle des OGM dans l'agriculture.

M. le Président – Monsieur Chassaigne, il faut conclure.

M. André Chassaigne – J’en termine. Les déclarations péremptoires des ministres sur ces deux sujets, avant même que les conclusions du Grenelle ne soient tirées, semblent montrer que le Gouvernement cherche au contraire à éluder les sujets les plus épineux. Ce qui est valable au niveau national l'est tout autant à celui des entreprises : tant que les salariés ne seront pas associés aux orientations décidées, les logiques anti-écologiques de court terme prévaudront sur la santé des travailleurs comme sur la protection de la nature.

Ainsi que vous l’aurez compris, je ne crois guère à une écologie d’accompagnement du libéralisme. L’écologie pose la question du type même de notre développement économique, de l’organisation de notre société. Pour qu'il y ait de vrais changements, il faudra une intervention très forte de la puissance publique, s'appuyant sur un secteur public puissant et une intervention citoyenne développée. La crise écologique implique des transformations radicales dans la façon de produire, de consommer et de répartir les richesses.

À la suite du Grenelle de l'environnement, le Gouvernement devrait formuler un plan d'action d'une vingtaine de mesures. Il eût été souhaitable, ne serait-ce que pour être cohérent avec le concept même de « Grenelle », que ce plan ne soit pas décidé en haut, mais issu d’une réelle négociation, menée jusqu’au bout. Les députés communistes et républicains resteront par conséquent vigilants afin que le Parlement ait toute sa place dans la discussion et que les mesures décidées reçoivent une traduction concrète. Nous nous impliquerons en toute lucidité – mais la lucidité n’est-elle pas, selon René Char, « la blessure la plus proche du soleil » ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. Alain Gest – Si le débat qui nous réunit aujourd'hui suscite beaucoup d’interrogations, voire d’inquiétudes, il est à mes yeux prometteur. À l'heure où les origines humaines du réchauffement climatique ne sont plus que très rarement contestées, il s'avérait nécessaire de définir dans la concertation un certain nombre d'orientations, ainsi que s’y était d’ailleurs engagé Nicolas Sarkozy. C'est l'occasion de rendre hommage à notre majorité, qui avait déjà été à l’origine du premier ministère de l'environnement, de la première – comme de la seconde – loi sur l'eau ou de l'introduction d'une charte pour l'environnement dans la Constitution. Ce Grenelle de l'environnement constituera une nouvelle étape à mettre à son crédit.

M. le Président de la commission – Très bien !

M. Alain Gest – Ce débat est aussi l'occasion de mettre le Parlement au cœur d'une démarche qu'il lui appartiendra de toute façon de conclure. C’est à lui seul qu'incombera la responsabilité de faire le choix des mesures à mettre en œuvre. C’est pourquoi nous avons parfois regretté que les discussions du Grenelle ignorent ou aient omis de mentionner ses travaux sur le sujet, dont ceux de la mission d’information sur l’effet de serre dont Mme Kosciusko-Morizet était la rapporteure. Je m’en inspirerai donc dans mon propos.

L’habitat, une des principales sources de consommation d’énergie, est aussi un formidable gisement d'économies. Nos voisins anglais ou allemands ont déjà expérimenté des quartiers entiers d'habitations à énergie passive ou même positive. À l'intérêt écologique s'ajoutent des gains de pouvoir d'achat. Cela justifie une politique d’incitation fiscale ou de subvention en faveur de certains matériels ou équipements, de type pompe à chaleur, ou de l'utilisation des granulés de bois par exemple. La production d'électricité solaire doit aussi être encouragée, comme c'est le cas à Fribourg par exemple. Cela impose, en France, de simplifier les démarches nécessaires : la fiche technique que j’ai en mains ne peut que décourager toute initiative, de particuliers et même de collectivités ! C'est d'autant plus regrettable que les collectivités locales peuvent aisément développer l'énergie solaire, en utilisant les toitures des bâtiments scolaires par exemple. Un plan à long terme de rénovation énergétique des bâtiments existants doit être engagé, pour atteindre l'objectif de 50 kilowattheures par mètre carré et par an. Il faudrait également rendre obligatoire la mise aux normes énergétique des immeubles lors des mutations, et intégrer les normes « Haute performance énergétique » dans les programmes de l'ANRU.

La fiscalité constitue un autre levier d'importance pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, sous réserve de conserver une pression fiscale constante. L’idée serait que la fiscalité environnementale vienne se substituer à celle, par exemple, du travail. La mission d'information avait beaucoup insisté sur ce principe. C’est ce qui la fera accepter de nos compatriotes, qui ne manqueront pas de considérer, dans le cas contraire, que les nouvelles taxes ne sont qu’une méthode pour générer des recettes supplémentaires. La mission préconisait aussi de supprimer progressivement les incitations fiscales à polluer qui peuvent exister dans les transports aériens et routiers, ou d'affecter des centimes de TIPP aux infrastructures de transports publics.

Un autre domaine n’a pas été suffisamment mis en valeur : celui de la recherche. Les États-Unis par exemple, même s’ils n’ont pas signé le protocole de Kyoto, investissent des milliards de dollars pour travailler sur les énergies propres. Nous devons développer nos investissements dans la filière hydrogène, la biomasse, les motorisations hybrides ou les piles à combustibles.

M. le Président – Il est temps de conclure.

M. Alain Gest – Enfin, il ne servira à rien que la France soit le bon élève de la planète si son action ne s’exerce pas dans un cadre européen. Or, il existe de grandes disparités selon les États membres.

Nous souhaitons donc la fixation d'objectifs ambitieux en matière de développement durable. Encore faut-il éviter deux écueils : d’abord la multiplication des offices, agences et hautes autorités en tous genres, qui ne sont guère compatibles avec la simplification souhaitée, et ensuite des propositions dont le côté spectaculaire l'emporterait sur la pertinence. Nos efforts ne doivent pas être masqués par la nécessité de nous protéger des excès de ceux qui ont du mal à concilier croissance et protection de l'environnement. C'est pourquoi nous ferons preuve de vigilance quand le moment sera venu de tirer les conclusions de ce grand exercice de réflexion commune (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Michel Raison – Ce grand débat, tant attendu des Français et promis par le Président de la République, débouchera sans nul doute sur des mesures constructives. Entre la compétence de nos ministres et la sagesse des députés, j’espère que nous parviendrons à trouver les bonnes solutions. Il faudra toutefois veiller à ce qu’elles soient équilibrées : on ne peut répondre aux excès actuels par des mesures exagérées. Les excès des employeurs du XIXe siècle n’ont pas trouvé de bonne réponse dans le marxisme. Pour être efficace, il faudra aussi déterminer un point zéro : ce n’est qu’ainsi que le suivi et les évaluations auront un sens.

Au vu des débats très riches qui ont eu lieu ces dernières semaines, il me semble nécessaire de rappeler la raison de l’arrivée, en agriculture, des produits phytosanitaires et autres désherbants. J’encourage aussi mes distingués collègues à se reporter aux revues agricoles les plus sérieuses du milieu du XIXe siècle. Les agriculteurs d’alors avaient le même souci que ceux d’aujourd’hui : comme les cheminots s’efforcent de faire arriver les trains à l’heure ou les médecins de guérir leurs patients, ils voulaient être fiers de leurs récoltes et répondre aux besoins alimentaires du pays. C’est pour cela qu’après certaines disettes ou invasions de limaçons, ils ont mis au point, avec l’aide des scientifiques, un certain nombre de produits, destinés à rendre l’alimentation plus régulière et plus saine.

M. Jean-Charles Taugourdeau – C’est vrai !

M. Michel Raison – C’est ainsi que certaines maladies mortelles, pour les humains comme pour les animaux, ont reculé.

Depuis un demi-siècle, nombre de progrès considérables ont encore été accomplis, de sorte que notre pays ne connaît pratiquement plus de pépins sanitaires. Soulignons-le, ne serait-ce que par honnêteté intellectuelle, et reconnaissons par exemple que la tuberculose, la brucellose ou le ténia n’existent presque plus. Des progrès notables ont également été obtenus dans l’utilisation des produits eux-mêmes : réduction des doses, procédures d’homologation plus sévères, usage raisonné des engrais et des produits phytosanitaires.

Cependant, une marge de progrès subsiste, et il faut que naissent des initiatives tendant à mieux utiliser encore ces différentes substances. Ainsi, le prescripteur doit veiller à ce que les agriculteurs continuent de se former et n’utilisent pas trois litres de produit lorsqu’un demi-litre est suffisant. Si tout va déjà plutôt bien, je suis convaincu que l’on peut faire mieux encore, et ce sera l’une des pistes à explorer dans le domaine de l’utilisation des produits de soins aux plantes ou aux animaux.

Je conclus en évoquant l’agriculture biologique. On en parle beaucoup, et j’indique d’emblée que je suis pour ! C’est un créneau commercial non négligeable, et il est anormal que l’on soit contraint d’importer des produits alors qu’une demande existe et que nombre de producteurs y croient.

M. Jean-Charles Taugourdeau – C’est vrai.

M. Michel Raison – Par contre, n’en faisons pas une religion. Il me choquerait que l’on rende quasi obligatoire la fourniture exclusive des cantines scolaires en produits issus de l’agriculture biologique… (Mme Taubira s’exclame)

M. Jean-Charles Taugourdeau – Tout à fait, les maires doivent rester libres d’en décider.

M. Michel Raison – Car il ne faut pas laisser s’installer l’idée que seul le produit issu de l’agriculture biologique est bon, alors que celui façonné avec le plus grand soin par un agriculteur raisonnable ne le serait pas. De même, il serait absurde de mettre deux régions entières en agriculture biologique : les nuisibles risqueraient d’y proliférer, il y aurait des problèmes de quantités, les prix monteraient du fait des moindres rendements et de la faible mécanisation et l’on ne peut écarter la survenue d’un risque sanitaire lié à l’alimentation. Ce n’est pas parce que c’est naturel que c’est bon. Lorsqu’un humain est malade, il se soigne. Certes, le microbe est naturel, et l’antibiotique a été fabriqué par l’homme, mais la septicémie, on n’est quand même pas trop pour ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Christian Hutin – Le député novice que je suis présente la particularité d’être l’élu de la circonscription sans doute la plus industrielle de France. Dunkerque abrite le pôle énergétique le plus important d’Europe, et nous avons aussi la plus grande centrale nucléaire, le fleuron – désormais italien – de l’industrie métallurgique, de la pétrochimie, de la chimie pure, des pétroliers et de l’aluminium. Si je plante ainsi le décor, c’est pour annoncer que mes propos seront équilibrés.

D’un côté, il y a les risques – parfois importants – qui planent sur notre population, et l’on ne peut oublier des drames comme celui d’AZF. Je rappelle au passage que la Commission européenne a récemment indiqué que plus de 350 000 décès prématurés étaient imputables aux particules fines qui empoisonnent l’atmosphère.

D’un autre côté, il y a, dans ma circonscription comme dans d’autres, un bassin d’emploi extrêmement important, noyé dans un bassin de chômage et de précarité. Il est donc difficile de ne pas faire la part des choses et je considère qu’il sera important, dans le Grenelle, de bien articuler les enjeux sociaux et environnementaux. Il ne faut pas penser qu’aux 4X4 polluants avec lesquels certains font leurs courses, mais aussi aux ouvriers qui vont travailler avec de vieilles guimbardes ou des mobylettes hors d’âge. Et n’oublions pas les chômeurs qui doivent se déplacer pour chercher du travail. Nos approches doivent par conséquent rester équilibrées.

Dans notre pays, nous avions pris un peu de retard et la prise de conscience collective des problèmes environnementaux ne date que d’une dizaine d’années, grâce, notamment, à la loi sur l’air. Depuis lors, vous avez réussi, Monsieur le ministre, à réunir des gens qui ne se parlaient pas, et vous ne m’en voudrez pas d’évoquer les associations agréées de surveillance de la qualité de l’air, dont j’ai l’honneur d’être le président national. Ces associations fonctionnent déjà sur un mode assez « grenellien », puisque les entreprises, les associations, les ONG et l’État se réunissent depuis dix ans pour surveiller la qualité de l’air. Il faudra envisager d’étendre leurs compétences, notamment aux questions climatiques et à la lutte contre les polluants émergents, dioxine et pesticides. Sans doute faudra-t-il aussi donner la priorité à la surveillance de l’air intérieur, lequel est déjà analysé dans certaines gares et dans d’autres lieux publics. Je n’ose imaginer les résultats si l’on en venait à surveiller la qualité de l’air dans le métro ! En tout cas, je suis prêt à organiser une surveillance de la qualité de l’air dans le milieu clos de l’hémicycle : cela serait assez symbolique et nous serions sans doute édifiés.

Un mot sur les particules fines, auxquelles je suis très attentif, en ma qualité de médecin. Elles portent une atteinte grave à la santé et il n’est pas normal que les transports routiers soient exonérés de la TGAP. Il y a là un sujet majeur, à traiter en priorité dans le cadre du Grenelle.

Dans deux crises majeures, Tchernobyl et l’amiante, les réponses de l’État n’ont pas été convenables. Personne ne croit plus que le nuage radioactif de Tchernobyl a été stoppé par la ligne bleue des Vosges. Quant à l’amiante, je ne puis oublier que 70 % des stocks ont été déchargés en vrac dans le port de Dunkerque, ce qui fait redouter des dizaines de milliers de morts dans les années qui viennent. Je souhaite que le Grenelle permette aussi à l’État de mieux répondre aux crises environnementales majeures.

Monsieur le Ministre d’État, nous nous connaissons bien et je sais votre capacité quasi « oranginesque », du nom d’une célèbre boisson, à secouer l’ordre établi. Je souhaite sincèrement que les conclusions du Grenelle ne ressemblent ni à des paillettes ni à des particules nocives, et, qu’en toute hypothèse, elles ne restent pas en suspension (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. Bertrand Pancher – Les décisions liées à l'environnement, à la santé et aux transports ont souvent été l'occasion d'affrontements entre la population, les associations et les politiques. Voulus par le Président de la République, les groupes de travail du Grenelle de l'environnement ont réussi à regrouper près de 500 animateurs d'horizons différents, donnant ainsi, pour la première fois, à l'opinion publique une image de responsabilité collective face aux grands défis qui nous attendent, nous-mêmes comme les générations futures.

Une nouvelle gouvernance, fondée sur de vrais processus de concertation, à tous les niveaux et avec tous les acteurs, est attendue par nos concitoyens. Cette participation se fonde sur le principe de l'engagement, du dépassement individuel et du respect de l'autre ; elle permet donc de mieux accepter les décisions prises. Garantie d'une décision apaisée, la participation est un pari sur l'intelligence collective.

Dans une société saturée d'informations et où le niveau de culture s'est considérablement élevé, les grandes catastrophes environnementales ou de santé – les pluies acides, Tchernobyl, le sang contaminé, l'amiante – ont rendu nos concitoyens méfiants, voire hostiles aux discours des responsables politiques et de la communauté scientifique. Il nous appartient donc de redéfinir nos mécanismes de décisions, en prenant le temps de l'écoute, de l'explication et du dialogue.

La bonne gouvernance, celle de la démocratie participative – terme souvent galvaudé – ne remet aucunement en cause la démocratie représentative, qui s'en trouve, au contraire, renforcée. Afin de répondre à ce défi, nous pouvons désormais nous appuyer sur les nombreuses propositions du groupe de travail n° 5 relatif à la gouvernance, auquel j'ai participé, ainsi que sur les pratiques des autres pays occidentaux. Je profite de cette tribune pour saluer l'engagement de Nicole Notat et de Michel Prieur, présidents de ce groupe, ainsi que l'excellent travail mené par ses rapporteurs, Dominique Bureau et Bertrand Galtier.

De l'avis de tous les acteurs, ce nouveau schéma de société doit à présent se structurer. Cinq thèmes devront être approfondis au cours des prochains mois.

D’abord, les décisions qui doivent procéder d’une vraie concertation : quelles décisions – nationales, régionales ou locales – doivent donner lieu à une participation effective de tous ? Au plan national, cela commande de préciser les rôles respectifs de l'État et du Parlement. À l’échelon local, se posera la question des territoires pertinents en matière environnementale, le domaine étant souvent divisé entre plusieurs collectivités. Bien entendu, cette réflexion devra tenir compte des propositions de la commission Balladur sur la réforme des institutions. J’en viens à la consultation des acteurs : quelles organisations faudra-t-il saisir ? Quel sera leur rôle et quels moyens allons-nous leur octroyer ? Il a été question de donner une nouvelle mission au Conseil économique et social et à ses homologues régionaux, mais qu'en sera-t-il au plan local ? Il faudra naturellement choisir les organismes les plus pertinents.

Sur quels outils de concertation du grand public allons-nous également nous appuyer ? Il est possible d’élargir les missions confiées à la Commission nationale du débat public, mais dans quels domaines et avec quels moyens ? Quid des consultations locales ? Il faudra que le rôle les commissaires enquêteurs évolue en liaison avec celui de la CNDP. Rien ne pourrait être entrepris sans veiller à ce que la consultation soit menée par des experts indépendants et bien formés.

En matière d’information, on ne pourra pas se contenter de porter des chiffres en caractères minuscules sur les produits de consommation ; mais quels indicateurs faudra-t-il publier ? Sous quelle forme, et par qui ?

Quels avis solliciterons-nous enfin sur les grandes controverses techniques et scientifiques, dont les médias sont si souvent friands ? Quel sera le rôle du Parlement, notamment de son Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques ?

Que nous soyons de gauche ou de droite, nous avons tous l’expérience de réactions locales épidermiques suscitées par des décisions non concertées. Nous avons dû bien souvent passer soit en force, soit en catimini ou bien renoncer. Prenons donc quelques mois supplémentaires afin de bien définir les moyens techniques et financiers dont nous avons besoin. Nous pourrons ensuite mettre en mouvement tous ceux qui ont compris l’intérêt de ce travail commun. La nouvelle gouvernance est en marche. II ne tient qu'à nous de tracer sa route (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Charles Taugourdeau – On ne saurait exagérer l'importance et le caractère exceptionnel de ce Grenelle de l’environnement. Merci, Monsieur le ministre d’État, d’avoir su organiser ce processus, grâce auquel le développement durable va enfin sortir de la nasse. L’écologie n’appartient plus à un parti, mais à tous les acteurs de la vie politique, et le Président de la République a donné à notre pays la possibilité de jouer un rôle moteur dans le monde. Nul doute que les propositions du Grenelle de l’environnement seront étudiées avec attention dans tous les pays. Il faut s’en féliciter, car la France ne pourra pas protéger toute seule notre bonne vieille terre.

Le premier intérêt de nos travaux est d’avoir établi une liste quasiment exhaustive des mesures que nous devrons adopter. C’est en effet à nous, parlementaires, qu’il reviendra de voter une grande loi environnementale. Tout ne pourra pas se faire en une seule législature, mais l'axe sera tracé : nous saurons enfin où nous allons.

La France ne pourra pas avancer seule sur ce chemin, car de nombreuses mesures devront être adoptées à l'échelon européen, voire mondial. Je pense notamment aux transports terrestres routiers, ferroviaires, fluviaux et maritimes, dont l’échelle est européenne, ou encore à la protection nécessairement planétaire des forêts, poumons de notre atmosphère. Par son action, la France pourra inciter les autres pays à adopter une meilleure protection des salariés en matière d'hygiène et de sécurité au travail et à se doter de moyens d’assainissement, de traitement des déchets, de protection des rivières et de traçabilité des produits agroalimentaires. Tout cela a un coût, ce qui tendra à gommer progressivement les incitations à délocaliser la production.

Quand les étiquettes seront enfin lisibles et obligatoires partout, le consommateur pourra en effet exercer un choix éclairé. Il ne faudrait pas oublier qu’en achetant de moins en moins cher, on nuit de plus en plus gravement à l'environnement. Dans ces conditions, pourquoi ne pas généraliser les avertissements que l’on trouve déjà sur les paquets de cigarettes ? La santé du consommateur, mais aussi celle des producteurs, y trouveraient un grand intérêt.

Une fois alerté et éclairé, le consommateur comprendra que payer plus cher un produit fabriqué dans le respect des normes n’est pas seulement bon pour lui, mais aussi pour la société dans son ensemble : c’est notamment ainsi que nous pourrons régénérer certaines productions dans le monde. Nous gagnerions à appliquer cette nouvelle forme du principe de subsidiarité qui consiste à ne pas faire venir de l’autre bout du monde des produits que l’on peut produire ou consommer à côté de chez soi.

Je souhaite enfin, Monsieur le ministre d’État, que ce Grenelle de l'environnement soit l’occasion de rendre plus intelligente l'application des lois environnementales. Il faut certes rendre hommage à tous ceux qui ont été les premiers à lutter en faveur de l’écologie nonobstant le laxisme ambiant, mais il faut également prendre conscience que certaines dispositions, difficilement applicables par les collectivités locales, doivent désormais être réécrites. Il est certes utile de se soucier des zones inondables, mais toute la France n’est pas dans la même situation que Vaison-la-Romaine. Je pourrais également évoquer les périmètres rapprochés de captage d'eau potable… L’excès nuit en tout et le mieux est parfois l’ennemi du bien.

Il faudra ensuite veiller à ne pas imposer de nouvelles distorsions de concurrence à nos agriculteurs, artisans, commerçants et industriels… Cela ne ferait qu’inciter à acheter et produire de plus en plus loin, donc à polluer de plus en plus, au détriment de notre santé. La boucle étant bouclée, il me reste à vous souhaiter à tous bon air et bonne santé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Marie Le Guen – J’insisterai à mon tour sur les liens entre la santé et l’environnement : les études montrent en effet que l’offre de soins influe deux fois moins sur notre santé que les facteurs environnementaux ou biologiques. Plusieurs orateurs ayant évoqué ce sujet, je n’y reviendrai pas, sauf pour vous rappeler mon soutien aux six grands principes retenus par le groupe 3.

Que nous soyons piétons ou consommateurs, nous nous préoccupons tous de notre santé, mais c’est au travail que l’essentiel se joue. Or, il reste beaucoup à faire dans ce domaine en France : l’État doit intervenir pour clarifier les responsabilités, sans déléguer sans cesse, qu’il s’agisse de veille sanitaire, d’alerte ou d’épidémiologie. Il faut renforcer le lien entre la santé au travail et l’environnement. Les produits phytosanitaires peuvent ainsi être dangereux pour le consommateur, mais aussi pour l’exploitant agricole ou les distributeurs. Pour toutes ces raisons, mais aussi parce que nous devons faire en sorte que nos concitoyens aient la possibilité et l’envie de travailler plus longtemps, la santé au travail doit être entièrement repensée.

Il me semble également que la question de l’alimentation n’a pas été suffisamment évoquée. On pense de plus en plus souvent à la qualité des sols et aux produits phytosanitaires utilisés, c’est vrai, mais on ne réfléchit pas assez aux modes de production agricoles. Ceux-ci doivent permettre une alimentation tout à la fois sûre et bonne pour la santé. Comme le rappelle le plan national « nutrition santé », il est notamment indispensable que l’alimentation comporte suffisamment de fruits et légumes pour prévenir efficacement l’obésité, les maladies cardiovasculaires ou le cancer. Au moment où nous allons revoir notre politique agricole, il ne faudrait pas oublier la contribution de l’alimentation à notre santé, que ce soit par sa qualité et sa diversité.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État chargée de l’écologie – Je voudrais vous remercier d’avoir participé à ce débat, ainsi qu’aux groupes de suivi mis en place par M. Ollier et présidés par M. Jacob, et enfin aux ateliers du Grenelle. M. Pancher évoquait tout à l’heure sa participation au groupe 5, mais je sais que nombreux sont ceux qui ont donné de leur temps. Nous avons besoin de vous. La boussole décrite par M. Dionis du Séjour est effectivement nécessaire, pour réinventer la politique, selon l’expression de M. Grouard, qui faisait également référence à un « agenda 21 » national. Cette boussole nous sera indispensable car le Grenelle de l’environnement n’est pas chemin balisé. M. Lagarde a ainsi appelé à ne pas masquer les difficultés aux Français, et M. Dupont-Aignan à l’effort et au courage collectifs.

Nous avons besoin de vous, mais aussi de l’ensemble des Français. Tel est le sens de la consultation lancée sur Internet et dans les forums régionaux. M. Martin, Mme Gaillard, Mme Berthelot ont critiqué l’organisation de ces forums. Peut-être avons-nous eu tort de demander aux collectivités locales de se porter candidates, mais cela était cohérent avec la démarche du Grenelle qui était de mobiliser tous les acteurs. Quoi qu’il en soit, nous sommes encore disponibles, M. Borloo et moi, pour organiser des réunions là où cela est possible et souhaité. Ces réunions, je le redis, sont publiques. Des instructions très claires ont été données aux préfets en ce sens.

Plusieurs d’entre vous, dont MM. Copé, Ollier, Jacob et Lagarde ont insisté pour que la fiscalité environnementale ne soit pas punitive. Comme l’a rappelé le ministre d’État dans son introduction, l’environnement ne doit pas être prétexte à lever de nouveaux impôts. Il faut éviter le double écueil d’une fiscalité de financement avec une base large et des taux faibles, et d’une fiscalité en effet punitive, où on taxe par idéologie et sans projet. Nous recherchons, nous, une fiscalité incitative là où existe une alternative – je pense à la taxation du kérosène sur les lignes à destination de villes desservies par TGV – et là où elle peut aider au développement de technologies innovantes.

L’environnement, ce sont aussi les technologies, les marchés et les emplois de demain. M. Dionis du Séjour a appelé à une stratégie pour l’emploi environnemental avec le développement de filières nationales. M. Lagarde a invité, lui, parlé, à une véritable stratégie industrielle. Nous pourrions ouvrir le débat sur le sujet avec M. Cochet qui devrait convenir qu’il existe une croissance et une économie vertes, assises notamment sur des emplois non délocalisables. Je pense par exemple à la rénovation de l’habitat ancien. Mais pour cela, comme pour toutes nos politiques environnementales, nous avons besoin de formations adaptées. M. Gest a d’ailleurs souligné la difficulté de parvenir à des rénovations thermiques de qualité, non pas seulement pour des raisons de coût, mais aussi par manque d’artisans qualifiés. L’un des groupes de travail du Grenelle a proposé la mise en place de nouvelles filières de formation, et c’est une excellente proposition.

Vous avez été nombreux, notamment Mme Gaillard, MM. de Rugy et Lagarde, à évoquer le rôle des collectivités locales. Celles-ci ne peuvent tout faire et l’État prendra ses responsabilités. Mais on ne peut non plus faire sans elles. L’une des pistes est de leur donner plus de libertés, ainsi que cela a été fait dans d’autres pays européens comme l’Espagne. S’appuyer sur elles, c’est aussi l’assurance de ne pas oublier la spécificité des territoires. Comme l’a souligné M. Folliot, la problématique est différente à la ville et à la campagne. Mmes Taubira et Berthelot, MM. Marie-Jeanne et Almont ont insisté sur la spécificité de l’outre-mer. Nous avons bien entendu la proposition de Mme Taubira sur la nécessité d’une loi ad hoc, à l’instar de la loi montagne ou de la loi littoral. La richesse exceptionnelle de l’outre-mer nous impose en tout cas des devoirs, vis-à-vis de l’humanité tout entière d’ailleurs.

Il nous faut aussi garder un œil sur l’international, et je remercie M. Guillet de son analyse sur le sujet. Merci aussi à ceux d’entre vous qui ont parlé de l’Europe, notamment M. Dupont-Aignan qui a eu raison d’appeler à des « écluses » sociales et environnementales. Pour l’Europe, la politique environnementale doit être un projet. M. Gest a évoqué la recherche en matière d’environnement, dont l’Europe serait certainement l’échelon pertinent. Alors qu’elle s’est initialement construite sur la politique agricole commune, l’environnement peut être la nouvelle frontière de l’Europe. M. Taugourdeau a, pour sa part, évoqué la question de la traçabilité des produits, qui gagnerait en effet à être améliorée.

Je ne pourrai reprendre ici tous les thèmes abordés comme l’alimentation ou les incidences de l’environnement sur la santé, évoqués par M. Le Guen.

Un mot sur les OGM, évoqués par MM. Dionis du Séjour, Martin, Jacob, Folliot et Chassaigne. Un excellent travail a été mené sur le sujet dans le cadre du Grenelle et les participants s’accordent à regretter l’absence de débat au Parlement l’an passé, les directives ayant été transposées par décret -ce qui a toutefois permis à la France d’éviter une amende.

Pour ce qui est de l’agriculture biologique, évoquée par MM. du Séjour et Raison, un accord peut être trouvé sur la nécessité d’être au moins auto-suffisants, alors que nous importons aujourd’hui jusqu’à 50 % de certains produits bio, notamment d’Allemagne… d’où ils viennent par camion.

Concernant la SNCF, je ne peux laisser dire, Monsieur Chassaigne, que le Gouvernement attaque le fret. Il est de l’intérêt général que la SNCF remobilise ses moyens sur d’autres segments de marché.

Il est enfin des sujets sur lesquels le Grenelle n’a pas permis d’aboutir à un accord. C’est le cas du nucléaire et des agro-carburants. Le ministre d’État l’avait dit aux responsables des différents groupes de travail, il ne souhaitait ni consensus mou ni sujet tabou. Son vœu a été respecté, et sur ces sujets, le débat se poursuit sur internet et dans les forums régionaux.

Pour terminer, je reprendrai le vœu formulé par M. Hutin : il nous revient, il vous revient de faire que ce Grenelle de l’environnement soit un temps fort et fondateur (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Ministre – Nous venons de vivre trois mois intenses. Si la tâche avait été facile, cela se serait su. Nous sommes au carrefour de toutes les contradictions. Nous en sortirons pourtant par le haut. Ne me demandez pas comment, car il s’agit d’un exercice totalement nouveau, d’une pratique démocratique inédite. La seule chose certaine est que nous avançons de bonne foi.

Nous travaillons et sur des problèmes matériels très concrets et sur des questions de civilisation. D’un côté, des mesures opérationnelles peuvent être prises sans tarder, tandis que de l’autre, nous avons à régler des questions systémiques extrêmement complexes, comme le fait que notre économie soit fondée sur les énergies fossiles et que cela ne pourra pas durer. Espérons qu’une solution aura été trouvée avant un réchauffement climatique irrémédiable ! Oui, il faudra un jour changer nos modèles de production et de consommation. Mais cet horizon lointain ne doit pas nous interdire de faire ce que nous pouvons faire tout de suite.

Je le redis à M. Almont, qui insiste depuis longtemps sur le sujet, soutenu par l’ensemble de ses collègues des Antilles : oui, il existe une spécificité de nos départements et territoires d’outre-mer, qui regroupent notamment 8 % de la biodiversité mondiale. Quelles qu’en soient les modalités, un programme exceptionnel sera mis en œuvre et les moyens de la République seront au rendez-vous, soyez-en assuré.

Enfin, nos petites personnes, celles de Nathalie Kosciusko-Morizet et la mienne n’ont aucune d’importance. Soyez sûrs que nous ne nous laisserons pas manipuler non plus que nous ne succomberons au vertige de succès personnels. Faites-moi crédit d’un peu plus d’orgueil et de moins de vanité. La vérité est que, quoi qu’il arrive, nous sommes déterminés à surmonter tous les conservatismes sans pour autant céder à la surenchère. Une rupture est nécessaire, radicale mais responsable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président – Nous en avons terminé avec ce débat.

MODIFICATION DE PROCEDURE D’EXAMEN D’UN PROJET DE LOI

M. le Président – J’informe l’Assemblée que la président du groupe GDR a fait opposition à la discussion selon la procédure d’examen simplifiée du projet, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de l’accord entre le Gouvernement français et le Gouvernement italien relatif au tunnel routier de Tende. En conséquence, l’examen de ce projet de loi inscrit à l’ordre du jour du jeudi 11 octobre 2007 ne donnera pas lieu à l’application de cette procédure.

Prochaine séance mardi 9 octobre, à 9 heures 30.

La séance est levée à 20 heures 25.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Le compte rendu analytique des questions au Gouvernement
est également disponible, sur Internet et sous la forme d’un fascicule spécial,
dès dix-huit heures

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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