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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du jeudi 11 octobre 2007

2ème séance
Séance de 15 heures
9ème séance de la session
Présidence de M. Marc Laffineur, Vice-Président

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La séance est ouverte à quinze heures.

CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LES CONDITIONS DE LIBÉRATION DES INFIRMIÈRES BULGARES

L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions de la commission des affaires étrangères sur la création d'une commission d'enquête sur les conditions de libération des infirmières et du médecin bulgares détenus en Libye et sur les récents accords franco-libyens.

M. le Président – Le rapport de la commission porte sur les propositions de résolution déposées, d’une part, par M. Jean-Marc Ayrault et les membres du groupe SRC et, d’autre part, par M. Alain Bocquet.

M. Roland Blum, rapporteur de la commission des affaires étrangèresLa France, pays des droits de l'Homme, ne peut que s'émouvoir lorsque des innocents sont détenus injustement et dans des conditions très difficiles par la justice d’un pays dont ils étaient venus aider les citoyens malades, et que l'un des fils du chef de l'État reconnaît qu'ils n’ont été que des boucs émissaires. Saluons l'engagement personnel du Président de la République pour obtenir leur libération, et son succès.

Cette affaire a lourdement pesé sur les relations entre la Libye et les pays occidentaux, remettant en cause les progrès réalisés depuis quelques années dans la voie de la normalisation. Depuis la conclusion, le 9 janvier 2004, d'un accord privé entre les familles des victimes de l'attentat contre le DC10 d'UTA et la fondation Kadhafi, les relations franco-libyennes étaient ainsi entrées dans une phase de relance, avant que l'affaire dite « des infirmières bulgares » n’empêche d’aller plus loin. La levée de cet obstacle devrait permettre d'améliorer les relations de la Libye avec la France, mais aussi avec l'Union européenne.

C'est justement la conclusion de mémorandums d'accord entre la France et la Libye au lendemain de la libération des soignants bulgares qui est à l'origine du dépôt des deux propositions de résolution que nous examinons aujourd'hui.

Sans revenir en détail sur la chronologie des événements, rappelons que les intéressés, arrêtés à la fin de janvier ou au début de février 1999, ont été accusés d'avoir sciemment transmis le virus du sida à 426 enfants en cours de traitement à l’hôpital de Benghazi. Bien que plusieurs experts, notamment le professeur Luc Montagnier, aient estimé que la contamination des enfants avait été causée par de mauvaises conditions sanitaires, et bien que les accusés n'aient jamais soigné certains des petits malades contaminés, les six accusés ont tous été condamnés à mort le 6 mai 2004.

Après un recours devant la Cour suprême libyenne, ils ont été rejugés et à nouveau condamnés en décembre 2006, puis leur peine a été définitivement confirmée par la Cour suprême le 11 juillet 2007. Les mauvais traitements qu'ils ont subis pendant leur détention, et le fait que leurs aveux ont été obtenus par la torture, ont suscité une mobilisation de l'opinion publique et de la communauté internationale. Ni les autorités bulgares, ni les États qui ont successivement présidé l'Union européenne, ni la commissaire européenne chargée des relations extérieures ne sont pourtant parvenus à obtenir leur libération.

Le processus s’est accéléré après la confirmation de la seconde condamnation à mort : dès le lendemain, Mme Cécilia Sarkozy s’est rendue en Libye pour rencontrer les six condamnés, les familles des enfants contaminés et enfin le colonel Kadhafi. Trois jours plus tard, les familles ont accepté un dédommagement d'un million de dollars par enfant contaminé, soit 400 millions au total.

Une fois accordée l’extradition des cinq infirmières et du médecin, le transfert en Bulgarie s’est déroulé le 24 juillet dernier, grâce à l'avion de la présidence française utilisé deux jours plus tôt, pour se rendre en Libye, par Mme Ferrero-Waldner et Mme Sarkozy, accompagnées du secrétaire général de l'Élysée, M. Claude Guéant. Les six condamnés ont enfin été graciés et libérés dès leur arrivée à Sofia.

Les conditions dans lesquelles cette libération a été obtenue a retenu l'attention des médias. Celle-ci s'est d'abord portée sur l'intervention de Mme Sarkozy et sur le rôle joué par le Qatar, qui aurait versé les 400 millions de dollars destinés aux familles des enfants contaminés. Les médias se sont ensuite intéressés à la conclusion d'un mémorandum sur les relations entre la Libye et l'Union européenne et, enfin, aux contreparties qui auraient été accordées par la France.

Selon certaines sources, ces contreparties incluraient un mémorandum d'accord sur le nucléaire civil, prévoyant la fourniture d'un réacteur nucléaire destiné à dessaler de l'eau de mer, mais aussi un contrat d'armement. Ce contrat a été annoncé par l'un des fils du colonel Kadhafi, qui a ensuite précisé qu’il ne s’agissait pas d’une contrepartie à la libération des soignants bulgares.

Les deux propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête portent sur les conditions de la libération des six Bulgares et sur les contreparties qui auraient éventuellement été accordées à la Libye par la France.

La proposition de résolution n° 150, déposée par le groupe SRC porte ainsi « sur les conditions exactes de la libération des otages de Libye et sur les protocoles d'accord (mémorandum) entre la France et la Libye qu'a conclus le président de la République à Tripoli au lendemain de cette libération ». Celle de M. Alain Bocquet concerne les engagements exacts pris par notre pays, compte tenu du « flou » qui entourerait cette affaire.

M. Jacques Myard – Tu parles !

M. le Rapporteur – Je rappelle que le ministre des affaires étrangères s'est exprimé sur ce point devant la commission des affaires étrangères au cours du mois de juillet, et que le Président de la République, son épouse et le secrétaire général de l'Élysée ont fait de même par voie de presse. Il n'y a pas de raisons objectives de mettre en question leurs explications, mais le doute suscité par cette affaire est malsain et il importe que l'Assemblée nationale utilise ses pouvoirs pour achever de le lever.

Il apparaît en outre que ces deux propositions de résolution remplissent les trois conditions nécessaires à leur recevabilité : il n'y a pas eu de commission d'enquête sur le même sujet au cours de l’année passée ; les faits en cause ne font pas l'objet de poursuites judiciaires ; et enfin les deux propositions déterminent précisément les faits visés.

Une seule de ces deux propositions devant être adoptée, puisqu'il n'est pas question de créer deux commissions d'enquête, la commission des affaires étrangères a retenu la proposition n° 150. Celle de M. Alain Bocquet vise en effet les conséquences susceptibles de résulter des accords conclus, dimension « prospective » qui n'est pas acceptable, l'enquête de la commission devant porter sur des faits passés.

Sur ma proposition, la commission des affaires étrangères a modifié la rédaction de l'article unique de la proposition n° 150 sur deux points, et précisé son titre. Elle a ainsi remplacé le terme d' « otages », impropre puisque les personnes concernées étaient emprisonnées dans le cadre de poursuites judiciaires, par celui de « détenus », et elle a clarifié la rédaction de la fin de l’article. Le titre a également été complété, car il ne mentionnait que les infirmières et non le médecin. La commission a en effet souhaité que seuls soient évoqués les récents accords franco-libyens, et non tous les accords conclus entre les deux pays depuis qu'ils entretiennent des relations diplomatiques. Je précise que ces différentes modifications ne visent aucunement à changer l'objet de la résolution, mais seulement à le clarifier.

Dans ces conditions, la commission des affaires étrangères a adopté la proposition de résolution n° 150, ainsi modifiée, et vous demande de faire de même (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur les bancs du groupe S.R.C.).

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères Le 24 juillet dernier, les cinq infirmières bulgares et le médecin d'origine palestinienne, qui étaient détenus dans les prisons libyennes depuis plus de huit ans, rentraient enfin à Sofia où ils recouvraient la liberté. Après des années de mauvais traitements physiques et psychologiques, mais aussi après une succession d'espoirs de libération et de condamnations à mort, ils ont été graciés par les autorités bulgares.

La communauté internationale, qui s’était émue de leur sort à plusieurs reprises, n’a pu que se réjouir de cette issue heureuse, et la France s’en est d’autant plus félicitée qu’elle est intervenue grâce à l'intervention directe du Président de la République. Saluons ce succès diplomatique, qui a permis le retour à la vie normale des six Bulgares injustement accusés.

L'affaire était délicate : les tentatives menées par différents États, mais aussi par l'Union européenne elle-même, n'avaient pas eu de résultat. Le fait que la libération ait été finalement obtenue une semaine après la confirmation d’une seconde condamnation à mort, et à l'issue de deux visites de l'épouse du chef de l'État et du secrétaire général de l'Élysée à Tripoli, a suscité de nombreuses interrogations.

Dès le 31 juillet, M. Bernard Kouchner est venu apporter devant la commission des affaires étrangères des précisions sur les modalités de financement du fonds d'indemnisation des familles et des enfants victimes du sida, sur le mémorandum concernant les relations entre la Libye et l'Union européenne ainsi que sur le mémorandum relatif au nucléaire civil entre la France et la Libye.

En dépit de ces éclaircissements, deux propositions de résolution tendant à créer une commission d'enquête ont été déposées, l'une par le groupe SRC, l'autre par notre collègue Alain Bocquet. Toutes étant juridiquement recevables, comme le rapporteur vient de l’indiquer, seules des considérations d'opportunité auraient pu conduire à leur rejet. De telles considérations servent régulièrement à écarter des propositions de résolution déposées par l'opposition : au cours des législatures précédentes, les majorités successives n’ont pas manqué d’utiliser l’argument, tantôt à juste titre, tantôt pour éviter d'attirer l'attention de l'opinion publique sur des événements peu glorieux pour notre République. Dans le cas présent et bien qu'un grand nombre de personnes de nationalités et de statuts différents soient impliquées dans cette affaire, la commission des affaires étrangères a jugé légitimes les demandes formulées par l'opposition, et a souhaité que cette commission d'enquête voie le jour. Ces deux propositions ayant le même objet, elle a dû effectuer un choix. Je précise toutefois que l’adoption de la proposition déposée par le groupe socialiste satisfait pleinement la demande de M. Bocquet.

Il me semble très important que notre Assemblée fasse la lumière sur les conditions de la libération des infirmières et du médecin concernés. Comme l’a indiqué le Président de la République, celle-ci doit être irréprochable. Un même souci d'établir la vérité animera, j'en suis certain, l'ensemble des trente membres de la commission, qui viendront de tous les groupes parlementaires. Je ne doute pas que les travaux se dérouleront dans une atmosphère courtoise et constructive, et que les enjeux de fond l'emporteront sur les éventuelles questions de personnes.

C'est dans cet esprit, et conformément à la décision prise par la commission, que je suis favorable à la création d'une telle commission d'enquête (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur les bancs du groupe SRC).

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes – Cette proposition de loi illustre – et je m’en réjouis – le rôle croissant que le Parlement entend jouer dans la politique étrangère de la France, mais aussi l’intérêt profond que nos concitoyens portent à la libération des soignants bulgares détenus en Libye.

Ce succès de la France et de son Président n’est pas le fait de nos seuls efforts : les Européens, notamment sous l’active présidence allemande de l’Union, et avec l’active participation de la commissaire européenne aux relations extérieures, Mme Ferrero-Waldner, négociaient depuis longtemps. En fin de parcours, toutefois, lors de la nuit décisive surtout, la contribution de la France fut essentielle.

Afin de mieux éclairer les conditions de cette libération, revenons brièvement sur les relations, souvent heurtées, entre la France et la Libye. Ce pays soutenait jadis le terrorisme international. Chacun se souvient de l’attentat aérien qui, en 1989, a coûté la vie à 170 innocents de dix-huit nationalités, dont cinquante-quatre Français.

M. Jacques Myard – Exact !

M. le Ministre – Le Président de la République a rappelé la mémoire de ces victimes lors de la récente cérémonie organisée en leur honneur aux Invalides. J’ai rencontré leurs familles : aucune indemnisation, aucune décision de justice n’effacera leur douleur. N’oublions pas non plus que la Libye a fait preuve d’un intérêt suspect pour le développement clandestin d’armes de destruction massive.

Pourtant, à partir de 1999, elle a progressivement opéré un spectaculaire revirement jusqu’à se conformer aux exigences internationales, qu’il s’agisse d’indemnisation des victimes de l’attentat aérien ou du renoncement à ses programmes d’armement. La Libye d’aujourd’hui n’est plus celle d’hier : voilà qui justifie la levée des sanctions internationales et de l’embargo européen. Après le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie, les Vingt-sept se mettront d’accord dès lundi prochain pour relancer un partenariat actif avec elle. Le retour de la Libye au sein de la communauté internationale est une bonne nouvelle comme nous en avons peu ! Pour la Libye elle-même, bien sûr, mais aussi pour le Maghreb et la Méditerranée, dont le développement est une de nos priorités, avec l’appui de tous nos partenaires régionaux.

M. Claude Goasguen – Non, pas de tous les pays européens…

M. le Ministre – La Libye a d’ailleurs manifesté son intérêt pour le projet d’une Union euroméditerranéenne. Aucun projet de coopération, de la dépollution marine au sauvetage en mer, ne peut être envisagé sans sa participation. Aucune politique de l’immigration n’est possible sans dialogue avec ce pays de transit. Aucune crise africaine, et notamment la plus grave d’entre elles, au Darfour, ne saurait trouver de remède sans son concours.

Malgré les blessures du passé, l’évolution actuelle de la Libye est donc salutaire. Je me souviens de la rencontre inattendue entre MM. Mitterrand et Khadafi en Crète, puis de la visite, en 2004, de M. Chirac en Libye, suivie de peu par celle de la ministre de l’intérieur de l’époque. Je précise en effet que notre coopération militaire avec la Libye a repris dès la levée des sanctions internationales. De même, en matière nucléaire, le CEA et son interlocuteur libyen ont renoué le dialogue dès 2006. Ainsi, la récente visite du Président de la République en Libye, si elle n’a été possible qu’après la libération des personnels médicaux bulgares, a emprunté des pistes déjà balisées.

Cinq textes ont alors été signés par nos deux pays, en toute transparence. Le mémorandum d’entente sur le nucléaire civil, n’ayant pas le statut d’accord intergouvernemental, n’avait pas vocation formelle à être rendu public, mais j’en ai révélé la teneur à votre commission des affaires étrangères. L’accord de coopération en matière de défense, très classique, comporte comme c’est l’usage une clause de confidentialité n’en autorisant la divulgation qu’avec l’accord des autorités libyennes. C’est chose faite ! J’ai également signé un accord-cadre de coopération globale, et M. Bockel a signé des conventions de partenariat plus spécifiques, en matière de recherche notamment. Aucun de ces accords ne prévoit d’assistance militaire en cas d’agression, comme certains le prétendent.

L’accord de coopération en matière de défense comporte un volet industriel classique qui impose à l’État de juger, au cas par cas, les projets proposés par les entrepreneurs libyens. Ce n’est pas une nouveauté : des contrats de ce type ont déjà été signés depuis la levée des sanctions. Néanmoins, je précise qu’aucun contrat n’a été signé à l’occasion de la visite du Président de la République, même si des perspectives existent en matière d’armement, la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre ayant même approuvé certains projets, comme celui d’une filiale d’EADS par exemple.

Le mémorandum d’entente en matière nucléaire, qui ouvre la voie à la même coopération que nous menons avec le Maroc, l’Algérie, la Jordanie ou les Émirats arabes unis, a suscité quelques inquiétudes. Elles sont sans fondement : ce partenariat sera supervisé par Euratom et l’AIEA, qui travaille dans de bonnes conditions en Libye.

Telles sont les relations entre la France et la Libye : normales, prometteuses, sûres. Pourtant, la visite du Président de la République ne put avoir lieu qu’une fois libérés les infirmières et le médecin bulgares, injustement emprisonnés. Je me tiens naturellement à votre disposition pour répondre à toutes les questions que vous auriez sur les circonstances de cette libération.

Quoi qu’il en soit, la France peut être fière d’avoir apporté sa contribution, décisive, à ce dénouement heureux. Le travail accompli avec nos partenaires européens prouve que l’Europe est efficace lorsqu’elle est unie et déterminée. C’est l’honneur de notre pays que d’avoir fait fructifier ces efforts, en solidarité tant avec les enfants libyens contaminés et leurs familles qu’avec les infirmières et le médecin prisonniers. C’est parce que nous n’avons pas ignoré leur souffrance que les familles des enfants de Benghazi ont accepté de renoncer au prix du sang pour conjurer leur douleur. Aujourd’hui, ces enfants sont traités, certains sur place, d’autres en Europe. Nous renforçons notre coopération en matière médicale avec la Libye, notamment en aidant l’hôpital de Benghazi.

C’est précisément parce que nous avons été capables de porter ce regard sur le drame de Benghazi que nous avons pu demander aux Libyens de considérer la tragédie des infirmières bulgares de la même façon.

La France n’a pas à rougir d’avoir été efficace et d’avoir contribué à soulager des souffrances. Elle n’a fait que répondre à l’appel de ceux qui désespéraient (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

M. Claude Goasguen – Cette commission d’enquête rencontre une franche approbation de l’ensemble des parlementaires, toutes formations confondues. Je m’en réjouis parce que, outre qu’elles nous permettra d’aborder le sujet particulièrement grave de nos rapports avec la Libye, elle marquera une étape importante dans les relations entre le Parlement et l’exécutif, au moment d’ailleurs où une autre commission, présidée par Édouard Balladur, travaille sur la modernisation de nos institutions.

M. André Wojciechowski – Il est temps !

M. Claude Goasguen – Le groupe UMP approuve donc sans réserve ces propositions de résolution.

Le Président de la République a mené une action décisive dans le processus de la libération. Nous ne pouvons que nous féliciter, toutes tendances confondues encore une fois, qu’il ait dès ses premiers jours à l’Élysée tenu ses engagements sur ce point, qui était loin d’être le plus facile. Il est vrai que ses propos avaient été clairs : « Chaque fois qu’une femme est martyrisée dans le monde, la France doit se porter à ses côtés. La France, si les Français me choisissent comme président, sera aux côtés des infirmières bulgares condamnées à mort en Libye ». Après les si nombreux discours qui avaient été tenus, c’est par son investissement personnel que le Président de la République a permis une libération qui honore notre pays.

Pourquoi alors une commission d'enquête ? C’est que la Libye n’est pas un pays comme les autres. Son président porte une responsabilité à l’égard de nos compatriotes que nous ne saurions oublier, pas plus que les anathèmes qu’il a lancés pendant de longues années contre les pays démocratiques, et vous permettrez aux parlementaires d’entretenir quelque doute sur sa soudaine conversion. Sans compter que la libération a été suivie d’un embrouillamini dans les propos du président libyen et de membres de sa famille, laissant percevoir des querelles au sein du pouvoir qui ne laissent pas de nous inquiéter. Nous ne pouvons accepter l’idée même que la libération ait été le résultat d’un troc. Le début de réponse du ministre confirme cette position, et je n’ai pour ma part jamais eu aucun doute. Par ailleurs, la commission sera bien sûr souveraine pour choisir les personnes qui devront être entendues. Si j’en fais partie, j’entends bien ne pas perdre mon temps avec des échos de presse concernant des personnalités. Le sujet n’est autre que nos relations politiques avec un pays dont l’attitude n’est pas toujours en conformité avec ses paroles.

La création de cette commission d'enquête marquera aussi une évolution importante dans les relations entre le Parlement et le pouvoir exécutif. Pour la première fois, nous allons étudier une question de politique internationale. Il y a quelques années, la proposition faite par M. Mamère d’une commission d'enquête sur les otages libanais avait été refusée. Et lors du conflit du Kosovo, en pleine cohabitation, la France avait réussi ce tour de force – le RPR en tenant pour le domaine réservé du Président de la République et le groupe socialiste pour le domaine réservé du Premier ministre – de mener une intervention militaire et diplomatique majeure sans le moindre vote ni même la moindre information de l'Assemblée nationale ! La commission d'enquête nous permettra d’en finir avec ce temps, ce qui était d’ailleurs un engagement du Président de la République.

Il n’est pas pensable, dans une démocratie moderne, de tenir la souveraineté nationale systématiquement à l’écart de la politique internationale, au nom d’un domaine réservé qui est d’ailleurs loin de faire l’unanimité parmi les juristes. Il est temps de faire savoir fermement que l’Assemblée doit s’y intéresser. La commission d'enquête devra renforcer, par son caractère serein, par sa crédibilité, cette évolution institutionnelle. C’est pourquoi je souhaite que ses membres soient caractérisés, plus que par leur appartenance à la gauche ou à la droite, par une attitude de parlementaires, au sens le plus noble du terme. La bonne tenue politique et juridique de cette commission sera garante d’une nouvelle manière de fonctionner. Je suis fier que le groupe de l’UMP, avec l’ensemble des autres groupes, participe à cette révolution institutionnelle, en même temps qu’il contribuera à faire la lumière sur la libération des infirmières et du médecin bulgares. Le groupe UMP votera donc ces propositions de résolution sans hésitation (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, du groupe NC et du groupe SRC).

M. Pierre Moscovici – Notre groupe a proposé la création d’une commission d'enquête parlementaire chargée d’examiner les conditions de la libération des infirmières bulgares et du médecin d’origine palestinienne détenus en Libye ainsi que les accords franco-libyens.

Pourquoi une telle commission d'enquête ? La situation extrêmement douloureuse de ces personnes, détenues injustement en Libye pendant plus de huit ans, a connu un dénouement heureux le 24 juillet. La joie de cette libération, du retour dans leur pays de cet homme et de ces femmes, des professionnels dont chacun sait qu'ils sont innocents, est un sentiment commun à tous les députés. Notre proposition ne naît donc pas d'une volonté de critique systématique (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP) : elle reconnaît d'ailleurs le rôle d'impulsion décisif de la France – même s’il faut veiller à ce que la joie de cette libération ne nous fasse pas basculer dans la complaisance vis-à-vis du régime libyen, dans une sorte d'hommage de la vertu au vice. Le colonel Kadhafi, avant d'être le libérateur des infirmières et du médecin bulgares, est celui qui les a pris en otage, qui les a fait condamner, emprisonner dans des conditions terribles, torturer. Lui rendre exagérément hommage pour avoir finalement consenti à la libération serait parfaitement déplacé.

Toutefois, cette libération a suscité des interrogations : des zones d'ombre persistent, et il est de la responsabilité des parlementaires, dans leur rôle de contrôle de l'exécutif, de déterminer les tenants et les aboutissants de cette affaire. C'est pourquoi nous avons demandé cette commission d'enquête. Il s’agit d’abord d’établir précisément le calendrier des négociations ayant conduit à la libération. La mise en détention, le 9 février 1999, des infirmières et du médecin, ne s’est pas faite dans l’indifférence. La diplomatie européenne et celle de la France étaient actives. La libération constitue l’aboutissement d’un processus long et complexe. L’une des tâches de la commission sera de reconstituer la chronologie et de déterminer le rôle et l’importance exacte qu’y a tenus la France. Il faut aussi, par conséquent, établir le rôle de chacun. Quel a été celui du Qatar : une médiation, ou un financement ? Quel a été le rôle des industriels et des différents envoyés français, et celui de la diplomatie européenne et des présidences successives de l'Union ? Y a-t-il eu d'autres acteurs clés, et quel était leur statut ? Par souci d'efficacité peut-être, la diplomatie française a employé des canaux inhabituels. L'important, comme le disait Claude Goasguen, est d'évaluer son action. J'y vois une exigence démocratique, parce que cette question se rattache à celle de la légitimité. C’est une occasion pour nous de faire avancer les rapports entre le Parlement et l’exécutif sur ces questions.

Quant au thème central des travaux de la commission, ce seront sans doute les contreparties accordées à la Libye pour la libération. En effet, même si le terme est discuté, le fait est, lui, indiscutable : cette libération a donné lieu à des négociations et elle n'a pu se conclure sans concessions à la Libye. À ce jour, les grandes lignes des contreparties accordées par l'Union européenne semblent connues, le « mémorandum sur les relations entre la Libye et l'Union européenne », signé le 23 juillet à Tripoli ayant été rendu public par la présidence portugaise. Cette volonté de transparence à l'échelle européenne n'a pas tout à fait trouvé son pendant à l'échelle nationale. Je note, Monsieur le ministre, que vous avez ouvert des pistes à ce jour inédites, mais des questions demeurent.

Quelle est la nature de la coopération entre la France et la Libye dans le domaine nucléaire ? Le secrétaire général de l'Élysée a évoqué le projet d'une nouvelle installation qui serait consacrée au dessalement de l'eau de mer, projet formalisé dans un « mémorandum d'entente sur la coopération dans le domaine des applications pacifiques de l'énergie nucléaire » et confié au constructeur français Areva. Dans la mesure où le régime libyen ne correspond pas exactement à nos normes en matière d'État de droit, la vigilance s’impose sur le contenu de cet accord.

Une autre interrogation porte sur l'accord de coopération dans le domaine de la défense et du partenariat industriel de défense entre la République française et la Grande Jamahirya arabe libyenne populaire et socialiste, signé à Tripoli le 25 juillet 2007. Le voile a été en partie levé sur cet accord lors de sa publication, le 9 octobre, mais sa genèse reste à explorer, ainsi que son articulation avec la libération des infirmières et du médecin.

La convocation d'une commission d'enquête parlementaire devrait aussi permettre d'en savoir plus sur les autres accords de coopération signés par les deux pays. Il lui reviendra de démêler, dans les contreparties accordées à la Libye, le commercial de l'humanitaire et l'industriel du médical.

La commission d’enquête devra aussi examiner la nature des relations entre le régime libyen et la France. Il ne s'agit pas de remettre en cause les orientations de notre politique étrangère, car ce n'est pas le rôle d'une commission d'enquête, mais de comprendre les raisons et l'ampleur d'une réconciliation avec un régime controversé et dont vous fûtes, Monsieur le ministre, l’un des principaux contempteurs. Cette évolution est sans doute salutaire, mais il reviendra à la commission d'examiner si la France a obtenu des garanties suffisantes en matière de respect des droits de l'homme, pour déterminer jusqu'où peut aller notre coopération avec le régime libyen.

Quelques mots sur l'état d'esprit dans lequel le groupe SRC aborde ces travaux. Une commission d'enquête a pour objectif d'établir des faits, de rechercher la vérité, d'éclaircir des zones d'ombre. C'est un travail minutieux, qui doit être effectué dans un temps limité et qui obéit donc à une exigence d'efficacité. Une commission d'enquête n'est pas un tribunal, elle ne sert pas à nourrir une confrontation politique…

M. Claude Goasguen – Très bien !

M. Pierre Moscovici – …et les enjeux de fond doivent l’emporter sur les questions de personnes. Pour que cette première commission d'enquête de la commission des affaires étrangères soit un succès, elle devra viser à savoir et à éclairer. Cela implique un travail impartial et objectif, qui suppose une double discipline. Discipline de l'opposition, qui devra se refuser à toute tentation stérile de transformer la commission d'enquête en un procès ; discipline de la majorité, qui devra se départir d'une attitude tout aussi stérile de protection crispée ou de défense aveugle. Nous devrons, en un mot, nous comporter en parlementaires…

M. André Wojciechowski – …responsables.

M. Pierre Moscovici – Ce préalable posé, la commission d'enquête devra s’accorder sur les principes régissant son fonctionnement. Le premier relève, selon nous, de l’évidence : toute personnalité, je dis bien toute, dont la commission jugera, dans les limites prévues par la Constitution et les lois, l'audition utile pour le déroulement de ses travaux doit être entendue. Il pourra s'agir de personnalités européennes – la commissaire aux relations extérieures de l’Union européenne ou l‘ambassadeur non résident à Tripoli par exemple –, ou de personnalités étrangères – les autorités libyennes au plus haut niveau possible auront bien sûr une contribution à apporter, et le témoignage de victimes sera précieux. Il pourra s'agir également de personnalités françaises – ministres, fonctionnaires, ambassadeurs, diplomates, industriels ou envoyés personnels du Président.

Par ailleurs, la commission d'enquête parlementaire s'est placée, dès l’origine, sous le signe de la transparence. Je sais que, sur les bancs de la majorité, des parlementaires en jugent la création injustifiée…

M. François Rochebloine – Pas un seul !

M. Pierre Moscovici – Mais si ! Certains expriment publiquement des réserves car ils considèrent que l’exécutif pourrait être mis en cause. Mais quelle meilleure attitude, quand on n’a rien à cacher, que de tout dire ? Et quelle meilleure garantie de transparence peut-on trouver que la publicité des travaux et leur retransmission, assurée par la chaîne parlementaire?

Je conclurai par quelques mots sur le rapport de M. Roland Blum, rapport d’une grande hauteur de vue, objectif, équilibré et ouvert. Il propose trois amendements justifiés, qui améliorent la rédaction de la proposition initiale et démontrent qu’elle est acceptable sur tous les bancs. Nous les soutiendrons.

Tels sont les directions dans lesquelles le travail de la commission d'enquête pourrait s'orienter et l'état d'esprit qui devrait présider à des travaux qui, pour aboutir, doivent être menés avec objectivité et sérénité. J'ai confiance en la capacité de notre Assemblée à se montrer à la hauteur de l'enjeu ! (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Alain Bocquet – La libération, le 24 juillet dernier, de cinq infirmières bulgares et d'un médecin arrêtés arbitrairement en Libye en 1999, torturés et condamnés à mort par trois fois est un événement d'une portée exceptionnelle dont nous nous félicitons tous, comme nous nous félicitons que la France ait pris part à cet heureux dénouement qui, cependant, n'aura pas été un retournement de dernière minute. Les autorités libyennes, il suffit de lire le rapport 2007 d'Amnesty International pour s'en convaincre, conduisent l’État de manière impitoyable et féroce et répriment l’opposition dans le sang. Cette libération ne pouvait donc être que l'aboutissement d'un combat tenace, le fruit du lent travail de tous ceux qui s'y consacrèrent pendant huit longues années.

Je pense à la mobilisation d'associations humanitaires et d'organisations non gouvernementales, aux médias gagnant les consciences à la cause de ces innocents, aux collectifs d'avocats déterminés à défendre les inculpés dans un contexte de mépris du droit qui demeure la réalité inacceptable de l'État libyen.

Je pense aux personnalités scientifiques et médicales affirmant la vérité des faits à propos de la contamination de quelque 450 malheureux enfants atteints du sida et dont près de 60 sont morts. Je pense, en particulier, à ces 114 lauréats du Prix Nobel cosignant, le 9 novembre 2006, une lettre ouverte appelant à un procès juste, au nombre desquels le professeur Luc Montagnier, co-découvreur du VIH-sida et qui, le 3 septembre 2003, témoignait déjà au procès des otages bulgares en s’appuyant sur les conclusions de la mission d'expertise qu'il avait dirigée avec le professeur Vittorio Colizzi – et l’on sait le sort que la justice et les dirigeants libyens réservèrent à ce rapport, bafouant ainsi la vérité, la science et le droit.

Je pense aussi au rôle joué par les États et par les institutions internationales mais, avant de les évoquer, je souhaite citer le politologue François Burgat, qui éclaire la réalité du régime libyen avec lequel nous renouons des liens hasardeux de coopération et des partenariats industriels, bancaires et militaires qui font s’interroger. « Kadhafi, souligne François Burgat, a redouté en 2003 de subir le même sort que Saddam Hussein. Ayant fait "un véritable hara-kiri nationaliste”, il a estimé n'avoir pas été rémunéré pour ses multiples concessions, ni par les États-Unis, ni par l'Union européenne (...) Dans ce contexte, il se pourrait que le dossier des infirmières ait constitué (…) l'arme du pauvre, une sorte d'"os nationaliste" à offrir à ses partisans, une manière de signifier qu'il n'avait pas complètement perdu sa capacité à défier la communauté internationale. » Voilà l'homme avec lequel ont été négociées la vie et la libération de six innocents !

L'État libyen, condamné pour les attentats terroristes de Lockerbie et du Niger, n'a jamais fait mystère de sa stratégie guerrière ni de sa quête de l'arme nucléaire. La France des années 1970 ne craignait pas de commercer avec ce régime et de faciliter l'acquisition de Mirages F1 ou d’hélicoptères. C'était aussi l'époque, à laquelle renvoient les accords brusqués de juillet 2007, de la concession à Thomson de la couverture radar de la Libye. On a vu la suite de tout cela !

Par ailleurs, les recherches pétrolières très prometteuses reprises depuis trois ans par des compagnies étrangères en Libye ont pesé dans la balance. Le pays allant s’enrichir encore, il fallait, comme la presse l’a souligné, « redonner à Kadhafi le minimum de respectabilité suffisant pour permettre de lui vendre ces "choses" qu'on ne peut décemment vendre qu'aux gens bien... »

« Tout le monde a payé ! », résume pour sa part le chef de la diplomatie libyenne… Un diplomate européen en poste à Tripoli constate pour sa part que, face au chantage, « l'Union européenne a cédé parce qu'elle y trouve son compte ». La commissaire européenne aux relations extérieures ne dit rien d'autre en replaçant le dénouement dans un processus de négociations qui avait pris son essor dès 2005, sous la présidence britannique de l'Union, et en relativisant l'intervention de la France.

En l’espèce, la France est le pays qui cède à la Libye 300 millions d'euros d'armements. Qu'en est-il, à ce sujet, des affirmations du ministre de la défense contestant tout lien avec la libération des otages ? Quels documents attestent le déroulement d'une réunion interministérielle sur ces ventes d'armes et un accord qui aurait été donné cinq mois plus tôt, en février 2007, selon le calendrier évoqué par M. Hervé Morin ?

La France est aussi le pays qui fournit un réacteur nucléaire à la Libye – « pour le dessalement de l'eau de mer », précise le secrétaire général de l'Élysée. Il semble que ce doive être une première technologique, et il semble aussi qu'Areva lorgne vers les réserves d’uranium de Tripoli. Quelles technologies nous apprêtons-nous à livrer ? Qu’est-ce donc qu’une sécurité nucléaire assurée « par un système permettant de désactiver une centrale de l’extérieur » – je cite le Président de la République ? Comment l’accord du 25 juillet qui officialise cette coopération nucléaire est-il conciliable avec la déclaration faite la veille par Nicolas Sarkozy et selon laquelle « il n’a pas été question d’un quelconque accord dans le domaine nucléaire » ?

Le fils du colonel Khadafi a fait état d’un « projet de manufacture d’armes pour l’entretien et la production d’équipements militaires ». Quels engagements ont été pris en ce sens ? Un autre élément a été « le versement par les autorités libyennes d’un million de dollars par famille », comme l’a indiqué M. Kouchner le 31 juillet dernier devant notre commission des affaires étrangères. Si j’ai bien compris, le Qatar a payé la Fondation Khadafi qui a payé les familles. Mais qui a payé le Qatar ou qui va le faire, sachant, comme l’a dit M. Kouchner, « qu’aucun versement n’avait été consenti par la France. » ?

Quels pays ont effacé les dettes de la Libye à leur égard ? Pour quel montant ? La France en fait-elle partie et si oui, pour combien ?

Vous l’aurez compris, si nous demandons une commission d’enquête, c’est que nous n’avons pas eu de réponse fiable à la question de savoir à quoi s’est au fond engagé notre pays. Quels engagements ont été réellement pris ? Les accords passés contiennent-ils des clauses secrètes ?

Toutes ces questions renvoient également au fonctionnement de nos institutions. Le Gouvernement pilotait-il les tractations touchant à la défense nationale ou au nucléaire ou en était-il pleinement informé ? Quel est le centre de décision en matière de politique internationale et militaire dans notre pays ? Où a-t-on apprécié l’opportunité de négocier du nucléaire avec la Libye ? Où ont été débattus les dangers pour l’avenir et les garanties à prendre ? Fallait-il, comme cela fut fait, exclure totalement le Parlement de la réflexion ? Demain, d’autres situations semblables peuvent se reproduire. C’est pourquoi nous souhaitons que la commission d’enquête traite, à partir du dossier libyen, de cette question de manière plus générale et débatte notamment des pratiques dans le « domaine réservé », où la non-transparence ne peut être la règle, même si la confidentialité est parfois indispensable.

Lorsque le ministre allemand des affaires étrangères, Günter Gloser, rappelle que « c’est l’approche commune qui fait la force de l’Union européenne et non l’action de pays faisant cavalier seul », il pointe, et ce n’est pas à l’avantage de notre pays, des relations intra-européennes défaillantes, pouvant être préjudiciables à la sécurité même de nos peuples. L’intervention française a jeté le trouble chez nos partenaires dont certains étaient mobilisés de longue date sur cette affaire.

M. André Wojciechowski – C’est le résultat qui compte.

M. Alain Bocquet – On est bien loin des principes qui devraient guider notre politique étrangère en matière de sécurité, de coopération, d’accords militaires ou nucléaires dans un contexte mondial tendu.

Tout cela pose la question de l’image et de la crédibilité de la France, mais aussi celle de sa capacité à se doter d’une diplomatie nouvelle…

M. André Wojciechowski – C’est fait.

M. Alain Bocquet – …reposant sur l’éthique, la transparence, des valeurs et des choix comme la fraternité entre les peuples, la coopération au service de la paix ou bien encore le projet euro-méditerranéen, hélas aujourd’hui pervertis par les intérêts financiers de groupes avides de profits et peu regardants sur les droits de l’homme. Une commission d’enquête réfléchirait utilement aux réorientations qu’appelle cette affaire libyenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR)

M. François Rochebloine – Au moment où nous allons nous prononcer sur la création d'une commission d'enquête sur les conditions de libération des infirmières bulgares et du médecin d’origine palestinienne, arrêtons-nous un instant sur cette image simple et belle de la joie des personnes libérées, de leurs proches et de leur peuple tout entier, joie à laquelle il est légitime d'associer le président de la République, son épouse et le secrétaire général de l’Elysée qui ont été à la peine et ont réussi à faire libérer six personnes que le monde entier savait injustement condamnées. Huit ans sans liberté, à l'ombre de la mort, c'est long, très long ! Sans aucune arrière-pensée, nous ne devons donc pas ménager notre reconnaissance à ceux qui ont, chacun à sa place, contribué à mettre un terme au cauchemar des prisonniers.

La première justification politique de la commission d'enquête est de mettre en lumière, c'est-à-dire en valeur, les responsabilités positives de tous ceux qui, jusqu'au sommet de l'État, ont œuvré à la libération. Trêve de la polémique qui a immédiatement suivi l'heureux dénouement de cette affaire ! Les auteurs des propositions de résolution ont, eux aussi, salué l'issue positive de cette affaire. La suspicion que certains ont jetée sur les modalités de la libération révèle peut-être, à côté de préoccupations légitimes, une certaine jalousie devant un succès obtenu, de surcroît, alors que la diplomatie française est désormais conduite par un ministre d'ouverture.

Aujourd'hui, heureusement, le climat a évolué. Chacun reconnaît qu'il ne s'agit pas, en créant cette commission d'enquête, de faire le procès de la France et de son gouvernement. Il s'agit de permettre au Parlement de se faire, dans un climat apaisé, une idée complète des modalités, des enjeux et des suites de cette négociation. Il s'agit aussi d'aider à comprendre comment certains milieux libyens en sont venus à un tel déni obsessionnel de l'évidence et à une telle imputation de responsabilités à l'étranger, à l'Europe et au monde développé.

Comme cette affaire l’a dramatiquement montré, la Libye est un pays déroutant, où les structures de pouvoir sont complexes, concurrentes et entremêlées : c’est tantôt le Gouvernement, tantôt l'entourage immédiat du colonel Kadhafi, tantôt d'autres structures qui prennent les décisions, selon une logique difficilement compréhensible de l’extérieur. C’est ainsi qu’il faut appréhender avec précaution les propos provocateurs du fils du colonel Kadhafi et ses déclarations sur les contreparties consenties par la France. Au-delà de leur contenu apparent, il faut chercher à en comprendre le sens.

Comprendre, tel doit être pour nous le maître mot de la future commission d'enquête. Comprendre par quel enchaînement de détresse, de ressentiment et d'incompétence certains en sont venus, en Libye, à imputer aux infirmières une situation tragique dont il est scientifiquement établi qu'elles ne pouvaient être tenues pour responsables. Comprendre les rouages du système qui a fait que ces personnes ont été exposées huit années durant à l’oppression et à des vexations, souvent accompagnées de décisions arbitraires prenant la forme de sentences judiciaires. Comprendre grâce à quels arguments, grâce à quelles pressions, au prix de quelles ouvertures les responsables français ont pu obtenir la libération des détenus. Comprendre, enfin, et cette énumération n'est pas limitative, les implications européennes et internationales de l'événement.

C'est dans un esprit constructif de rassemblement que le groupe Nouveau Centre participera aux travaux de la commission d'enquête. Nous souhaitons comprendre ce qui s'est passé pour éclairer l'opinion et associer le Parlement à la préparation de l'avenir.

Patrie des droits de l'homme, la France est particulièrement attachée au respect de la dignité humaine, de la liberté et des garanties fondamentales procurées par le droit démocratique. Ces valeurs n’inspiraient, hélas, pas les procédés dont les six prisonniers ont été victimes. Le président de la République a raison de considérer que les violations des droits de l'homme constituent un obstacle au développement de relations convenables avec les pays où elles sont commises – cela vaut notamment pour la Libye. Il a également raison de dire qu'il faut chercher par tous les moyens efficaces à dialoguer avec les autorités de ces pays, y compris la Libye, pour leur montrer que leur intérêt politique bien compris exige qu’ils modifient des pratiques condamnées par la tradition démocratique.

Plus largement, le développement de la politique méditerranéenne de la France, que notre groupe soutient pleinement, s'accommode mal d'une impasse sur les relations franco-libyennes, d’autant qu’il existe apparemment, à Tripoli, une certaine volonté de les réactiver. La commission d'enquête permettra d'apprécier dans quelles conditions cette volonté peut être accueillie et encouragée.

Je n'aurai garde d'oublier l'autre fruit du dénouement heureux de cette affaire : le renforcement de l'amitié entre la France et la Bulgarie. Au-delà d'une information éventuelle sur les conditions dans lesquelles les autorités des deux pays ont coordonné leurs efforts, la commission d'enquête peut donner l'occasion, comme le suggère notre rapporteur, de réfléchir aux données géopolitiques qui confèrent une importance particulière au développement de relations bilatérales entre les deux pays. N'oublions pas que la francophonie est en Bulgarie une réalité, hélas méconnue mais certaine, depuis le dix-neuvième siècle où les intellectuels hérauts de la libération nationale exprimaient en vers français leurs aspirations.

Si la commission d'enquête permet de connaître en toute transparence les conditions de la libération des infirmières, de mettre en valeur les responsabilités assumées avec succès, d'éclairer le Parlement et l'opinion sur les développements que le dénouement de cette affaire laisse prévoir pour notre action diplomatique et humanitaire, alors elle aura rempli son rôle. C'est dans cet espoir que le groupe NC appuie sans réserve cette proposition de résolution (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et du groupe UMP).

M. François Loncle – La qualité de ce débat, excellemment introduit par le rapporteur, l’engagement du président Poniatowski pour valoriser le rôle de notre commission des affaires étrangères, notamment dans son travail de contrôle du Gouvernement, le contenu des interventions précédentes, notamment celles de M. Goasguen, Moscovici et Bocquet avec lesquelles je me sens en accord, invitent à la brièveté et à la modestie.

Le contrôle du Parlement sur le Gouvernement passe par la constitution de commissions d’enquête, hélas trop peu nombreuses sur les questions internationales. Deux ont tout de même eu lieu de 1997 à 2002, l’une sur la tragédie du Rwanda, l’autre sur les massacres de Srebrenica, qui ont été utiles à la recherche de la vérité et des responsabilités. J’ai regretté qu’entre 2002 et 2007, on n’ait pas accédé à la demande formulée à deux reprises par le groupe socialiste de création d’une commission d’enquête sur les événements de Côte-d’Ivoire. Cela aurait été utile sur le plan politique comme sur le plan militaire. En effet, les évolutions positives aujourd’hui dans ce pays échappent progressivement à notre pays.

Mais aujourd’hui, vous avez fort heureusement fait droit à notre demande. Je rejoins ici Claude Goasguen : la réforme de nos institutions à laquelle réfléchit actuellement la commission présidée par M. Balladur passe à l’évidence par un rééquilibrage des pouvoirs au profit du Parlement et donc par la mise en valeur des commissions d’enquête parlementaires, à l’instar de ce qui se passe dans toutes les grandes démocraties.

Pierre Moscovici a demandé à juste titre que soient entendus tous les protagonistes de ce dossier. Il y a eu un certain nombre de polémiques à propos du rôle tenu par Mme Cécilia Sarkozy et du refus – probable – de son audition. Personne, y compris au groupe socialiste, n’a exigé l’audition de Mme Sarkozy. Nous la souhaitons, c’est vrai, parce qu’elle est l’une des protagonistes de cet heureux dénouement. Christophe Barbier, le talentueux rédacteur en chef de l’Express, qui est loin d’être un adversaire du pouvoir actuel, s’exprimait ainsi dans son éditorial du 9 août : « Dans la politique moderne, héros et héraut sont confondus. Cécilia Sarkozy fut l’héroïne de l’affaire libyenne, elle nous en doit le récit. À l’Elysée, elle a trouvé une place inédite, toute d’influence et de mutisme. Ni potiche ni pythie, elle impose son style. Qu’elle s’affirme encore plus en mettant un terme aux rumeurs et aux racontars : Madame Sarkozy, racontez-nous… » C’est exactement la demande que nous formulons – avec respect (Sourires).

Tout ce qui s’est passé depuis le 24 juillet, toutes les questions ô combien pertinentes posées ici cet après-midi, justifient pleinement la constitution de cette commission d’enquête – y compris dans les termes où nous l’avons demandée avec Alain Bocquet. Pierre Moscovici l’a dit, une commission d’enquête n’est pas un tribunal : c’est la recherche des informations utiles, ce sont des investigations pour la connaissance de la vérité. C’est pourquoi nous y participerons avec responsabilité et détermination (Applaudissements sur divers bancs).

M. le Ministre – Je vous remercie. Comme vous, je souhaite que le ton que vous avez adopté, le brio dont vous avez témoigné et la retenue qui fut la vôtre, demeurent la règle dans cette commission d’enquête. Je serai le premier heureux de vous répondre. Quelques zones d’ombre ont pu échapper à ma sagacité : avec vous, elles disparaîtront ! Je suis réellement heureux que la représentation nationale s’intéresse de plus près à la politique extérieure de notre pays. Je suis très satisfait du début de ce débat et prêt, je le redis, à répondre à la commission d’enquête quand elle le souhaitera (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La discussion générale est close.

M. le Président – J’appelle maintenant l’article unique de la proposition de résolution dans le texte de la commission. Avant de le mettre aux voix, j’indique à l’Assemblée que conformément aux conclusions de la commission, le titre de la proposition de résolution est ainsi rédigé : « proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les conditions de libération des infirmières et du médecin bulgares détenus en Libye et sur les récents accords franco-libyens ».

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Noël Mamère – La création d'une commission d'enquête parlementaire sur le rôle joué par la France dans la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien détenus en Libye fait l’objet d’un consensus. C'est une excellente nouvelle pour qui connaît le nombre des commissions d’enquête mort-nées, dont certaines concernaient le nucléaire civil français. La gauche comme la droite n'ont jamais voulu dissiper l’opacité qui protège notre complexe nucléaire depuis sa création. Nous nous réjouissons donc de la création de cette commission d’enquête. Il faut maintenant qu’elle ait la feuille de route permettant de faire toute la lumière sur cette affaire, c’est-à-dire sur le processus qui a conduit à la libération des prisonniers, sur le contenu des accords qui ont accompagné cette libération et sur les conséquences susceptibles d'en résulter.

Oui, il y a un sérieux doute quant à l'action de la diplomatie française et des plus hautes autorités de l'État. Ce doute s'est insinué non seulement dans une partie de l'opinion, mais également dans les institutions européennes, qui ont déploré d'avoir été instrumentalisées au service exclusif de la Présidence de la République française.

La politique étrangère de la France n'est pas un jeu de télé-réalité. Kadhafi est au pouvoir depuis 1969 ; ce n'est pas un enfant de chœur. Il n'a pas cédé ce qu'il faut malheureusement qualifier de « prise de guerre » par la seule magie de la Première dame de France et du secrétaire général de l'Élysée. Il faut donc entendre tous les acteurs de cette affaire. Il n'y a pas de zone de non-droit en France, pas plus à l'Élysée qu'ailleurs, et la commission d'enquête doit recevoir tous ceux qui détiennent des informations susceptibles de l'éclairer, notamment l'épouse du Président de la République, titulaire d’une mission officielle et qui doit en rendre compte. Ne laissons pas croire, à l’heure où nous discutons de l'évolution de nos institutions, que les contre-pouvoirs du Parlement ne seraient que des faux-semblants ! Le Parlement, comme la presse, n'a pas à se voir imposer la liste des personnes qu'il peut ou doit auditionner. Il n'est pas le vestibule de la chambre royale. Il est libre et souverain, parce qu'il tient ses pouvoirs de l'élection et non d'un monarque, fût-il républicain. Nous sommes donc en droit d'exiger l'audition de Mme Sarkozy et nous le ferons. Faire respecter la Constitution est notre premier devoir. Ce n'est pas à nous de définir un statut extraconstitutionnel pour Cécilia Sarkozy.

Autre question essentielle : le contrat portant sur le nucléaire civil. Au vu des informations contradictoires et tronquées et des éléments d'investigation dont nous disposons, il apparaît en effet que cette libération a été obtenue dans le cadre de négociations concernant une coopération nucléaire avec le régime libyen. Cette affaire doit être tirée au clair : vous nous disiez vous-même le 31 juillet, Monsieur le ministre, que ce n'était qu'une hypothèse – ce qui est révélateur de la manière dont on traite le Parlement. La question qui se pose va donc au-delà de la transparence. Nous devons réfléchir sur notre politique de « deux poids, deux mesures » en matière nucléaire et sur la relation entre nucléaire civil et militaire. Nous avons aidé l'Irak de Saddam Hussein dans les années 1970, ainsi que l'Iran du Shah : nous avons bien vu alors que la technologie utilisée dans le nucléaire civil pouvait être exploitée à des fins militaires. Le nucléaire n'est pas une technologie neutre. Il faudra donc que la commission entende les scientifiques qui mettent en garde contre ce risque.

Dernier élément important, la question des ventes d'armes à la Libye. La France est un des premiers fournisseurs d'armes dans le monde ; mais il nous faut interroger les fondements de cette politique. On ne peut pas en même temps demander l’intervention d’une force internationale au Darfour et accepter que nos armes soient utilisées contre les populations civiles et contre nos propres soldats. La politique de Janus a ses limites ! Rappelons qu’on estime à près de 300 millions d'euros les contrats de fourniture de missiles Milan signés par le régime du colonel Kadhafi avec le groupe EADS.

M. le Président – Veuillez conclure.

M. Noël Mamère – Les principes qui doivent guider notre politique étrangère sont incompatibles avec les intérêts d’actionnaires qui traficotent d’ailleurs à la Bourse pour augmenter leurs bénéfices (Murmures sur les bancs du groupe UMP). Les déclarations du fils du colonel Kadhafi à un quotidien du soir sont éclairantes : « Il y a un projet de manufacture d'armes, pour l'entretien et la production d'équipements militaires. » Nous devons savoir à quoi s'est engagé notre pays, qui a engagé sa parole, quelle est la nature du matériel livré à la Libye et quelles garanties nous avons que ces armes ne seront pas livrées à des tiers.

Il est plus que temps que la clarté soit faite sur cette affaire. Le groupe GDR, ses membres Verts, communistes et d’outre-mer voteront donc la constitution de cette commission d'enquête, mais resteront vigilants tout au long de ses travaux.

M. Alain Bocquet – Très bien !

M. Claude Goasguen – Décidément, M. Mamère ne perd rien de sa verdeur ! Qu’il n’oublie cependant pas que c’est la commission d’enquête – et elle seule – qui choisira souverainement sa méthode d’investigation. Je souhaite bien sûr qu’elle mène ses investigations en toute transparence et qu’elle accepte, comme l’a souhaité notre collègue socialiste, une publicité des débats qui ne gêne personne. Nous voterons pour la constitution de cette commission d’enquête. Permettez-moi d’ailleurs de rappeler que le Président de la République n’a pas hésité à en accepter le principe – ce n’est pas si fréquent dans l’histoire de la République – et que le secrétaire général de l’Élysée n’a pas davantage hésité à accepter de témoigner devant elle. D’autres possibilités s’ouvriront peut-être…

M. Noël Mamère – Vous pensez à Mme Sarkozy ?

M. Claude Goasguen – …Mais laissez la commission d’enquête le demander ! Je pense que tout cela se passera dans le meilleur esprit. Le débat que nous avons eu a été exemplaire. Espérons qu’il se poursuivra sur le même ton. Au-delà de la question principale, n’oublions pas l’attentat qui a coûté la vie à nos compatriotes. N’oublions pas non plus que la création de cette commission d’enquête s’inscrit dans la volonté d’établir de nouvelles relations entre le Parlement et le Gouvernement. À l’heure du grand débat sur nos institutions, sachons nous conduire en parlementaires dignes de ce nom et ouvrir une nouvelle dimension à l’institution parlementaire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC)

L'article unique de la proposition de résolution, mis aux voix, est adopté.

M. le Président – À l’unanimité !

Les candidatures à la commission d’enquête devront être transmises avant le mardi 16 octobre à 17 heures, la réunion constitutive ayant lieu le mercredi 17 octobre à 11 heures.

CONVENTION FISCALE FRANCE-JAPON

L'ordre du jour appelle le vote, selon la procédure d’examen simplifié, du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’avenant à la convention fiscale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Japon.

L'article unique du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

TUNNEL ROUTIER DE TENDE

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord cadre entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne, relatif au tunnel routier de Tende.

Mme Rama Yade, secrétaire d’État chargée des affaires étrangères et des droits de l’homme – La « route du sel » , qui reliait la Ligurie maritime aux alpages de la haute Roya, fut dès le Moyen Âge une préoccupation des comtes de Provence puis des comtes et ducs de Savoie. En 1592, sous l’impulsion de Charles-Emmanuel Ier, les passages difficiles entre le col de Tende et le col de Brouis furent libérés.

M. Noël Mamère – Cela remonte loin ! (Sourires)

Mme la Secrétaire d'État – Au cours du XVIIIe siècle, le gouvernement savoyard ordonna l'aménagement d'une route carrossable ainsi que le percement d’un tunnel sous le col de Tende. Toutefois, le trafic demeura muletier jusqu’à l’unité italienne, qui précéda de peu le début des travaux. Le tunnel fut finalement livré à la circulation en 1882.

Devenu franco-italien lors du rattachement de Tende à la France, en 1947, ce tunnel, long de 3 200 mètres, relie la RN 204 à la SS 20, côté italien. Ne possédant qu’une voie dans chaque sens, il est très étroit et ne répond plus aux normes modernes de sécurité, d’autant que le trafic moyen journalier, qui est de 3 700 véhicules par jour, peut atteindre 6 200 véhicules par jour l’été.

Le 26 novembre 1993, lors du sommet franco-italien de Rome, la France et l'Italie convinrent de négocier un accord portant notamment sur la reconstruction du tunnel. Une commission intergouvernementale « Nice-Cuneo », réunie le 17 octobre 2003, constitua un groupe de travail binational chargé de préciser les dispositions techniques. Sur la base de ce travail, deux accords furent signés : l’accord de Lucques, du 24 novembre 2006, traite des dispositions pouvant être mises en œuvre sans autorisation parlementaire préalable ; l’accord de Paris, du 12 mars 2007, porte sur la gestion unifiée du tunnel et la réalisation des travaux du tunnel neuf. Ce dernier accord, qui précise les conditions d'exercice de la maîtrise d'ouvrage unique – confiée à l’Italie – et qui détaille les engagements financiers des deux pays, entre dans le champ d'application de l'article 53 de la Constitution.

L'accord de Lucques précise le rôle de la CIG dans la gestion du tunnel, dans la constitution d’un dossier de sécurité commun et dans la définition de pratiques communes de gestion. Par ailleurs, il fonde l'existence du comité de sécurité et lui donne un mandat clair. L'accord de Paris a vocation à se substituer à celui de Lucques.

La réalisation de l'ouvrage sera financée à 58,35 % par l'Italie et à 41,65 % par la France, répartis par tiers entre l'État, la région PACA et le département des Alpes-Maritimes. Les coûts d'entretien et d'exploitation sont répartis suivant la même clé, qui pourra être réajustée tous les cinq ans.

L'objectif n'est pas d'augmenter la capacité sur l'itinéraire, mais d'améliorer la sécurité des usagers qui l'empruntent, question à laquelle les élus locaux attachent, je le sais, beaucoup d’importance. Les conditions de gestion de l'infrastructure actuelle seront significativement améliorées, au grand bénéfice de la sécurité : la CIG est instituée comme autorité administrative ; la gestion sera unifiée et confiée à un seul gestionnaire désigné par l'Italie. Les compétences en matière de sécurité d'exploitation et de circulation relèvent, côté français, selon les sujets, du préfet des Alpes-Maritimes et du directeur général des routes. Le conseil général, qui sera – décentralisation oblige – substitué à l'État au 1er janvier 2008, est associé à la préparation des phases de décision.

Compte tenu de l'urgence, cet accord, adopté par le Sénat le 25 septembre, vous est soumis dès aujourd'hui. Je vous demande de l’approuver (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jérôme Lambert et M. François Loncle – Très bien !

M. Jean-Claude Guibal, rapporteur de la commission des affaires étrangèresIl y a longtemps que le plus ancien tunnel d’Europe, mis en exploitation en 1882, ne répond plus aux exigences de sécurité.

M. Michel Bouvard – Il n’est pas le seul !

M. le Rapporteur – Autant dire qu’il constitue un danger permanent, malgré d’importants travaux déjà réalisés. C’est la raison pour laquelle la France et l’Italie ont envisagé, dès 1993, de réaliser un nouvel ouvrage. L’accord du 12 mars 2007, qui prévoit la construction d’une nouvelle galerie et le réalésage du tube existant, est soumis aujourd’hui à votre approbation. Constituant la dernière phase préalable au lancement des travaux, il détermine les conditions techniques, juridiques et financières de la construction du nouveau tunnel et les modalités de la future gestion unifiée.

Long de 3 185 mètres, dont 1 485 en France, le tunnel de Tende permet de rejoindre depuis la province italienne de Cuneo, dans le Piémont, la côte méditerranéenne à hauteur de Vintimille, via la vallée de la Roya. Le trafic moyen annuel, de 3 700 véhicules par jour, s'élève pendant les mois d'été à 6 700 véhicules par jour, les poids lourds représentant 3 % à 4 % de ce trafic. Madame la ministre, permettez-moi d’insister sur le fait que la vallée de la Roya est superbe et que la RN 204 et la SS 20 sont des routes locales, dédiées au tourisme, où la vitesse autorisée n’excède pas 90 km/h. Compte tenu de l’importance du fret routier entre la péninsule ibérique et l’Europe orientale, il est à craindre que cette opération ne provoque un afflux de poids lourds dans la vallée de la Roya, qui n’y survivrait pas ! Il est important d’envisager des mesures techniques et réglementaires pour empêcher une telle évolution.

M. Michel Bouvard – Très bien !

M. le Rapporteur – Si j’insiste, c’est parce que le futur gestionnaire unique de ce tunnel, qui est l’Agence d’exploitation des autoroutes et des routes nationales italiennes, ne sera peut-être pas aussi sensible que nous à ce risque !

Cet ouvrage à circulation bidirectionnelle présente des dimensions trop modestes pour permettre le croisement de caravanes ou de poids lourds. De telles caractéristiques ne peuvent perdurer sans mettre en péril les usagers. Des travaux de sécurité, d'un montant de 19,8 millions d'euros pour la seule partie française, ont été réalisés dans l’attente de la modernisation du tunnel.

Je rappelle également que les relations franco-italiennes en matière de sécurité des tunnels ont toujours été très fructueuses. Tout tunnel transfrontalier est en effet régi par une convention, qui en confie la gestion à une commission intergouvernementale, ou CIG.

Dans le cas du tunnel de Tende, la CIG Nice-Cuneo a été créée à l’issue du sommet franco-italien du 26 novembre 1993, puis rebaptisée « CIG pour l’amélioration des liaisons franco-italiennes dans les Alpes du Sud ». Lors du sommet de Florence, qui s’est tenu le 6 octobre 1998, la France et l’Italie ont fait de la sécurisation du tunnel une priorité absolue, puis le sommet de Périgueux a validé, en 2001, la proposition de la CIG, qui demandait la réalisation d’un nouvel ouvrage. Le 18 avril 2005, les ministres des transports ont ensuite adopté les conclusions d’un groupe de travail, qui avait retenu la solution dite « haute », à savoir la construction d’une nouvelle galerie à la même altitude que le tunnel actuel. Une autre solution aurait été de construire deux galeries nouvelles à moindre altitude mais cela aurait occasionné des difficultés budgétaires et environnementales.

La France et l’Italie ont enfin signé deux accords, l’un en date du 24 novembre 2006 et tendant à améliorer la gestion du tunnel actuel, dans l’attente de la réalisation du tunnel définitif, l’autre en date du 12 mars 2007. C’est ce dernier accord qui est aujourd’hui soumis à votre ratification, et qui devra se substituer au premier texte une fois que les travaux seront terminés.

Il s’agit de construire une galerie nouvelle de 3 250 mètres de long, qui sera rendue unidirectionnelle après le ré-alésage de la galerie actuelle. Du côté français, la route sera réaménagée sur 900 mètres afin de conserver deux lacets et un pont de 45 mètres de long, selon un tracé élaboré en concertation avec les services de l’environnement. Les installations et les dispositifs de sécurité seront placés sous la responsabilité du préfet des Alpes-Maritimes et des autorités de la province de Cuneo.

La prochaine CIG devrait ratifier en novembre 2007 un calendrier prévoyant l’approbation du projet définitif et la réalisation de la procédure d’appel d’offre avant la fin de l’année 2008.

J’ajoute que le contrôle de l’ouvrage sera placé sous la responsabilité de la CIG, et que l’ANAS en deviendra le gestionnaire unique.

M. le Président – Veuillez conclure, Monsieur le rapporteur.

M. le Rapporteur – Le contrôle de la sécurité incombera à la CIG, tandis que le contrôle de l’état du tunnel et la surveillance de la gestion reviendront à une entité indépendante. La constitution de patrouilles mixtes sera autorisée, et chaque État pourra envoyer ses propres unités de l’autre côté de la frontière intérieure.

J’en viens au coût du tunnel, dont 41,65 % sera à la charge de la partie française. La moitié du coût de construction, évalué à 141,2 millions d’euros hors taxe, à la valeur de 2002, sera répartie également pour une moitié entre la France et l’Italie, tandis que l’autre moitié sera financée en fonction des trafics, les trafics nationaux étant pris en charge par chaque pays et le trafic international réparti à parts égales.

Cette clef de répartition vaut également pour l’exploitation du tunnel, dont le coût reviendra, pour la partie française, au département des Alpes maritimes. À compter du 1er janvier 2008, la RN 204 deviendra en effet départementale. Les frais de construction à la charge de la France seront partagés également entre l’État, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et le département des Alpes Maritimes.

Ce projet ancien, mais urgent, qui touche à de véritables problèmes de sécurité, est sur le point d’être enfin réalisé : dès que nous aurons, comme je vous y invite, adopté ce projet de loi, les appels d’offre pour la réalisation des travaux pourront en effet commencer, la partie italienne ayant déjà achevé sa procédure de ratification (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Alain Bocquet – Vous pourriez vous étonner que le septentrional que je suis s’exprime sur un projet qui concerne le sud de la France… (Sourires)

Plusieurs députés UMP – Pas du tout !

M. Alain Bocquet – Vous me permettrez d’élargir mon propos à la politique des transports menée dans notre pays. Le Grenelle de l’environnement concentre en effet toute l’attention… De la lutte contre les gaz à effet de serre à la promotion du développement durable, le Président de la République et sa majorité ont fait part d’une volonté d’agir que nous souhaiterions examiner d’un peu plus près.

Le domaine des transports est en effet un secteur clé, compte tenu du défi énergétique et du réchauffement climatique. Dans le contexte actuel d'augmentation des échanges et des déplacements, le transport est la principale activité consommatrice de pétrole et productrice de pollution atmosphérique. Elle contribue pour près de 30 % aux émissions françaises de gaz à effet de serre, contre 21 % en 1990 ! Or, vous continuez à investir dans les infrastructures routières. Si rien ne change, les transports représenteront 80 % de l'accroissement des émissions de gaz à effet de serre en 2050, et cette évolution annulera tous les efforts entrepris dans les autres secteurs.

Face au défi climatique, certains modes de transport sont plus écologiques que d'autres. Le rail, mode de transport le plus sûr et le moins polluant, est en plein recul malgré la saturation du réseau routier, responsable d’importantes pollutions. Alors que le transport de marchandise a plus que doublé depuis les années 1970, le fret ferroviaire a perdu un quart de ses parts de marché. Entre 1970 et 1998, le transport par route a en revanche été multiplié par 2,5, et a gagné 87 % de parts de marché en volume, au détriment du rail.

Malgré l'augmentation du transport de marchandises, et alors qu'il serait nécessaire de réaliser de forts investissements sur le réseau ferroviaire, l'Agence de financement des infrastructures de transport de France a été privée de sa principale source de financement depuis la privatisation des autoroutes (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). La répartition de son budget témoigne d'un choix clair en faveur de la route, qui bénéficie de 45 % des moyens. Le « bleu » budgétaire n’étant pas encore public, une bonne surprise reste toutefois possible… Si le transport ferroviaire est en difficulté et en recul, c'est avant tout à cause d’un manque de volontarisme politique. (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

S’agissant de la région alpine, nous nous réjouissons du projet ferroviaire Lyon-Turin, qui devrait assurer le transport des voyageurs et des marchandises, et ainsi réduire la circulation des voitures et des poids lourds. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP). C’est qu’il y a urgence : en vingt ans, la part du rail transfrontalier a chuté de plus de moitié, tandis que le nombre de poids lourds traversant les Alpes franco-italiennes n'a cessé d'augmenter : un million en 1984, 2,8 millions en 2004, sans doute 4 millions en 2025. Or, malgré les nuisances dont souffrent les habitants de la région et son équilibre écologique, le projet a souffert de lenteurs considérables.

Comment votre majorité pourra-t-elle respecter les objectifs de Kyoto sans un véritable renouveau du chemin de fer ? Pour lui donner la priorité, tant pour le transport de marchandises que de passagers, il faudra une politique volontariste de rééquilibrage, après des décennies durant lesquelles les pouvoirs publics ont favorisé le secteur routier en finançant le développement des infrastructures et en accordant des cadeaux fiscaux au patronat – je pense notamment au fioul détaxé (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Il est aujourd’hui indispensable de mener une politique d'investissement résolue en faveur du ferroutage et des transports combinés, tout en accélérant la réalisation de la liaison Lyon-Turin. Comme l’avait recommandé en 2000 la commission de la production, alors présidée par mon ami André Lajoinie, il faudrait lancer un grand emprunt européen pour réaliser en Europe un réseau de ferroutage efficace. C’est en effet un véritable gisement d’emplois qui pourrait être mis au service du développement durable.

Plusieurs députés UMP – Ce n’est pas faux !

M. Alain Bocquet – Le « merroutage » pourrait également être développé entre les ports du sud de la France et ceux du nord de l'Italie. Or, seule une expérience privée est en cours, au départ de Toulon. Pourquoi ne pas soutenir le développement de ce moyen de transport ? Las ! Votre gouvernement n'a guère donné de signes en sa faveur.

La promesse du Président de la République d’augmenter d’un quart la part du fret non routier risque donc de rester lettre morte.

M. André Wojciechowski – Mais non : il tient ses promesses !

M. Alain Bocquet – Le Gouvernement nous a certes habitué aux affichages mensongers (Protestations sur les bancs du groupe UMP), du pouvoir d’achat à la continuité des services publics.

M. André Wojciechowski – Sortez de votre tunnel !

M. Alain Bocquet – Pour aboutir à un aménagement du territoire digne de ce nom, nous devons imposer une maîtrise publique et planifiée – pardon si le mot vous fait peur – des transports.

Nous ne voterons pas contre ce texte, dont l’utilité est incontestable, mais toutes nos réserves nous empêchent de l’approuver. Du tunnel de Tende au développement durable, il faut franchir l’étape !

M. Noël Mamère – Très bien !

M. le Président – Vous êtes sorti du tunnel depuis longtemps !

M. Michel Bouvard – La population alpine attendait cette ratification, qui est une étape importante de la modernisation des infrastructures de transports dans la région. Autre bonne nouvelle : les travaux de mise aux normes de sécurité sont commencés – ils l’étaient d’ailleurs déjà avant même la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc.

Le présent texte aurait sans doute mérité la présence de plus de députés – je déplore notamment l’absence de nos collègues socialistes. Il s’inscrit en effet dans un mouvement d’amélioration des voies de transport entre la France et son deuxième partenaire économique, l’Italie. Les infrastructures de cette région accidentée sont à la merci d’événements géologiques ou physiques parfois désastreux (« Tout à fait ! » sur les bancs du groupe UMP). Pourtant, l’échange de marchandises augmente de 6 % par an, notamment à Vintimille. Le schéma interrégional de massif adopté par le comité du massif des Alpes, que j’ai l’honneur de présider, fixe les priorités en matière d’infrastructures. La maîtrise du trafic de poids lourds en est une. La modernisation de certains itinéraires, notamment dans les cols alpins, doit y être soumise. D’autre part, la rénovation de la galerie de sécurité du tunnel du Fréjus permettra d’éviter que ne se reproduisent des accidents mortels. Enfin, le renversement des flux en faveur du train doit se poursuivre : songez que les trois quarts des échanges entre la France et l’Italie se faisaient par le rail en 1970, contre deux tiers par la route aujourd’hui !

Le ministère des affaires étrangères est concerné à plusieurs titres. Notre politique de transports dans les Alpes d’abord : la fragmentation des compétences entre commissions intergouvernementales – il en existe quatre pour ce seul massif ! – est nuisible à un dossier qui requiert une vision d’ensemble. Les élus alpins souhaitent une meilleure coordination en la matière.

Le projet de liaison ferroviaire entre Lyon et Turin ensuite : M. Bocquet en a rappelé les étapes et la Commission européenne a, semble-t-il, accepté de participer au financement du tunnel de base à hauteur de 725 millions. Tous les problèmes ne sont pas pour autant résolus, tant s’en faut : restent les financements nationaux, le choix d’un opérateur, l’établissement de partenariats entre public et privé. Gravons d’abord dans le marbre l’accord qui confie la charge de 37 % des crédits à la France et 63 % à l’Italie. Cela suppose de passer un avenant au traité de Turin de 2001, et je souhaite que le sujet soit à l’ordre du jour du prochain sommet franco-italien.

La prochaine mise en service de l’autoroute ferroviaire alpine enfin : les travaux dans le tunnel du Mont-Cenis – commencé en 1857 – permettront d’y reporter une partie du trafic routier, pourvu que l’on améliore les capacités de chargement dans l’Est lyonnais.

Les problèmes, nombreux, sont d’ordre économique, mais aussi environnemental. Ainsi, des tunnels routiers traversent les massifs protégés du Mont-Blanc et de la Vanoise. Le littoral souffre lui aussi de l’augmentation du trafic routier, devenu insupportable pour les riverains. Je précise que cette augmentation est due aux normes de sécurité plus exigeantes imposées aux tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus, où les temps de passage s’allongent au point que relier Barcelone à Milan par la côte ne prend que quelques minutes de plus que par la montagne.

Les populations alpines attendent la modernisation des infrastructures de transport, et leurs élus, pas seulement UMP, s’y sont engagés, qu’il s’agisse des axes existants ou de la liaison entre Lyon et Turin. Je suis sûr que le Gouvernement les entend. Quant à ce texte, le groupe UMP l’approuve, cela va de soi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme la Secrétaire d'État - Votre rapporteur a évoqué son attachement à la préservation de la vallée de la Roya, qui l’honore. Nous avons d’ailleurs privilégié la réduction du nombre de déblais qui y sont stockés. J’ajoute que les travaux ne visent qu’à améliorer les conditions de sécurité dans le tunnel. L’itinéraire reste relativement étroit, et précédé de nombreux lacets : le risque d’explosion du trafic n’existe donc pas. L’ANAS sera bien responsable de la gestion du tunnel, mais sous le contrôle de la CIG des Alpes du Sud, qui pourra ou non en approuver les propositions d’exploitation.

M. Bocquet a rappelé que la route est plus utilisée que le rail. C’est bien pourquoi le Gouvernement s’est donc engagé dans une démarche volontariste, avec l’objectif de rééquilibrer les investissements et les trafics. La discussion budgétaire et les conclusions du Grenelle de l'environnement le feront apparaître clairement. Dans la région alpine, la liaison Lyon-Turin répond à cet objectif.

Enfin, je voudrais assurer M. Bouvard que les services du ministère des affaires étrangères sont fortement mobilisés. La création de la commission intergouvernementale était une nécessité opérationnelle, afin de répondre au mieux aux problèmes, très différents, du tunnel du Mont-Blanc et de celui de Tende. La coordination existe. Elle se fait notamment par l’intermédiaire de la Mission des Alpes. M. Bouvard n’a pas l’air convaincu…

M. Michel Bouvard – La Mission des Alpes ne fait que de l’information !

Mme la Secrétaire d'État - Mais c’est justement le plus important, puisque l’essentiel est de faire passer l’information entre les commissions !

La discussion générale est close.

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Noël Mamère – Il est effectivement opportun d’élargir le débat à la question des transports en général. M. Bouvard a évoqué l’inquiétude des élus de la Savoie. J’appartiens à ceux qui, bien que d’un autre département, se sont battus contre la réouverture du tunnel du Mont-Blanc au trafic routier, car la question des transports ne concerne pas seulement les Alpes, mais l’ensemble des citoyens, dans la mesure où il s’agit d’aménagement du territoire et d’environnement. Certes, le tunnel de Tende a besoin d’améliorations, mais bien d’autres combats sont menés sans que le Gouvernement leur donne la moindre suite. C’est le cas de la ligne ferroviaire historique de Pau-Canfranc, toujours abandonnée alors qu’elle était un atout primordial pour le transport combiné entre l’Espagne et la France. Quant au grand contournement autoroutier de Bordeaux du Premier ministre Raffarin, c’est par un comité interministériel qu’il a été décidé, stoppant net le grand débat public qui était en cours – je rappelle qu’il passe aujourd’hui près de 7 500 camions par jour près de Bordeaux, et que l’on en prévoit 12 000 pour 2020. Si la démarche du Gouvernement était sincère, il ne ferait certainement appel contre la décision du tribunal administratif de Bordeaux qui l’a condamné pour ne pas avoir respecté le débat public !

C’est une triste exception française de plus : 85 % des marchandises qui traversent notre pays sont transportées par camion. J’attends qu’on m’explique par quel coup de baguette magique vous comptez réduire ce chiffe, quand il est habituel d’aller pêcher des crevettes au Danemark et de les décortiquer au Maroc, ou de cueillir des patates en Hollande et de les conditionner en Italie – causant au passage la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc. C’est ce qu’on appelle les économies d’échelle, le « juste à temps », la gestion des stocks dans les camions. Cela conduit à une politique totalement folle, qui fait de la SNCF le premier transporteur routier de France, grâce à sa filiale Geodis. Pendant ce temps, la vitesse moyenne d’un train de marchandises en France est de 18 kilomètres à l’heure, mais la SNCF continue à réduire le nombre de ses gares de triage et profite de la mise en place de nouvelles plateformes pour réduire encore le transport des marchandises par train !

Nous ne pouvons que condamner l’esprit dont fait montre le Gouvernement en excluant quatre secteurs des discussions du Grenelle de l'environnement, dont les projets routiers et autoroutiers. Des routes supplémentaires ne peuvent qu’amener plus de voitures et de camions.

M. le Président – Monsieur Mamère, vous avez dépassé votre temps de parole.

M. Noël Mamère – Cette logique doit être combattue. Je profite du présent débat pour le rappeler. Un Grenelle de l'environnement ne se contente pas de petits bricolages : il faut une véritable fiscalité écologique, qui fasse payer les pollueurs et qui rééquilibre la concurrence entre le camion et le train.

M. Michel Bouvard – Comme la TGAP, qui a servi a financer les 35 heures !

M. Noël Mamère – Comme la taxe que la Suisse a mise en place depuis longtemps, et dont le fruit est totalement réinvesti dans le transport ferroviaire. Il n’y a plus de camions de plus de vingt tonnes qui traverse la Suisse autrement que sur des trains !

La responsabilité du retard de la France est collective : on a connu un ministre des transports de gauche, ancien cheminot, promettant que la privatisation des Autoroutes du sud de la France permettrait de dégager 250 millions qui seraient investis dans le transport par train. Ils n’ont servi qu’à éponger le déficit abyssal d’ASF. Cette responsabilité est donc partagée !

M. Michel Bouvard – C’est bien de le reconnaître !

M. Noël Mamère – La lutte contre l’effet de serre est une urgence. Il faut prendre les dispositions politiques qui s’imposent. On ne peut pas faire un cadeau de 15 milliards aux plus riches et ne rien faire pour cela.

Les Verts ne peuvent bien sûr pas s’opposer à l’amélioration d’un tunnel, mais, n’étant pas favorables au développement du transport routier, ils s’abstiendront sur ce texte.

M. François Loncle – Le groupe socialiste votera pour cet accord, tout en rappelant la nécessité d’accorder une priorité absolue au transport ferroviaire. Mon investissement personnel sur ces questions est ancien, et je regrette qu’une remarque peu courtoise de M. Bouvard ait pu laisser penser le contraire.

M. Michel Bouvard – Je m’étonnais justement de votre absence !

M. François Loncle – Je n’étais pas loin et je vous ai entendu. C’est pourquoi je rappelle l’engagement du groupe socialiste et le mien propre, lorsque j’étais président de la commission des affaires étrangères, dans le dossier de la liaison Lyon-Turin. Pour conclure, j’aimerais remercier Mme la ministre pour la connotation historique qu’elle a donné à son fort intéressant exposé liminaire.

L'article unique du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

Prochaine séance mardi 16 octobre à quinze heures.

La séance est levée à 17 h 25.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

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