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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du lundi 26 novembre 2007

1ère séance
Séance de dix-huit heures
64ème séance de la session
Présidence de M. Marc-Philippe Daubresse, Vice-Président

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La séance est ouverte à dix-huit heures.

CONCURRENCE AU SERVICE DES CONSOMMATEURS (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi pour le développement de la concurrence au service des consommateurs.

AVANT LE TITRE PREMIER (suite)

M. Jean Gaubert – Je reviendrai dans un instant sur l’amendement 74, qui vise à créer un fichier de l’endettement à la Banque de France. L’amendement 79 s’y réfère, puisqu’il tend à contraindre le prêteur à s’informer de la solvabilité de l’emprunteur auprès de la Banque de France, précisément, afin qu’en cas d’endettement, il soit tenu responsable de sa créance. Une déclaration sur l’honneur suffisait jusqu’ici pour ouvrir un crédit à la consommation. Or, on sait bien que cette procédure permet à l’emprunteur, surtout s’il a la corde au cou, de ne pas mentionner certains de ses crédits. Il s’agit donc de responsabiliser les établissements de crédit à la consommation – quoique la proposition vaille aussi pour certains crédits immobiliers.

M. Jean Dionis du Séjour – J’ai réprouvé d’autres amendements du groupe SRC, mais celui-ci est de bon sens. L’amendement 212 a le même objet : lutter contre le surendettement en responsabilisant les établissements de crédit. Songez que près des deux tiers des personnes surendettées ont souscrit jusqu’à sept crédits simultanés ! Les établissements prêteurs doivent être tenus de vérifier la solvabilité des emprunteurs. Nous avons souvent proposé à l’Assemblée d’adopter cette mesure déjà en vigueur dans quinze des vingt-sept États membres de l’Union. C’est un amendement qui renforce la protection du consommateur. Entre le souci de garantir un crédit utile et la nécessité de remédier aux situations de détresse, nous avons là un point de juste équilibre !

M. Michel Raison, rapporteur de la commission des affaires économiques – Avis défavorable à ces deux amendements. Vous proposez d’interdire au prêteur ne s’étant pas assuré de la solvabilité de l’emprunteur d’exiger le recouvrement de sa créance. Le sujet est délicat : vous risquez par là de provoquer la frilosité des établissements de crédit. Chacun sait combien certaines personnes ont du mal à obtenir un accord de financement ! Il serait dommageable de les mettre sous tutelle au détour d’un amendement.

M. Jean-Paul Charié – Ce n’est pas le sujet !

M. Michel Raison, rapporteur – Par ailleurs, comment les prêteurs pourront-ils mener les vérifications nécessaires dès lors qu’ils n’auront pas accès au fichier positif que vous prévoyez de créer par les amendements suivants ? Enfin, l’amendement de M. Dionis du Séjour pose un problème quant au respect de la confidentialité des informations et de la vie privée.

M. Luc Chatel, secrétaire d’État chargé de la consommation et du tourisme – Même avis. Je comprends l’esprit de ces amendements qui précisent les responsabilités des prêteurs, mais d’une part leur objectif est d’ores et déjà atteint par la jurisprudence de la Cour de cassation et, d’autre part, ils seraient inadaptés à un certain nombre de prêts tels que les prêts sur gage.

M. Jean-Yves Le Déaut – Vous mélangez les banques, qui gèrent les prêts sur gage, et les établissements de crédits à la consommation. La question de fond est ailleurs : les ménages s’endettent toujours davantage. L’Insee indique que le taux de pauvreté a augmenté de près de 12 % en 2005, et même un peu plus en 2006.

Le fait est que les établissements de crédit à la consommation – je ne parle pas des banques – ne tiennent pas à informer leurs clients de leur état d’endettement, et qu’ils les informent mal des conditions de crédit qu’ils proposent. C’est comme cela qu’on aboutit à des situations catastrophiques. J’ai rencontré ce week-end une personne surendettée, qui a souscrit à l’un de ces crédits qui sont proposés pour acheter un appareil photo ou de l’électroménager par exemple : elle a emprunté 2 500 euros et devait rembourser 100 euros par mois, en pensant donc que le prêt serait soldé en un peu plus de deux ans. Mais c’était sans compter les 45 euros de frais financiers et de frais de tenue de compte qui étaient prélevés sur chaque mensualité ! Elle n’en avait pas été informée et l’établissement ne s’était pas inquiété de sa situation d’endettement. Voilà comment des gens prennent des crédits peu élevés et n’arrivent pas à les rembourser. Si nous ne traitons pas cette question, le taux de pauvreté des ménages continuera d’augmenter. Pour ma part, je pense qu’il faut se saisir rapidement de ce problème.

M. Jean Dionis du Séjour – Il y a dix ans, la commission de surendettement recevait 56 000 dossiers par an. Elle en reçoit aujourd’hui 150 000. Il faut une réponse publique à ce phénomène. L’argument de la vie privée ne tient guère, étant donné que la CNIL a déjà autorisé des échanges entre banques dans des cas bien précis. Quant à l’opinion, 90 % des gens, selon un sondage, sont favorables au fichier positif. Alors de quoi a-t-on peur, de qui vient le blocage ? Tous les groupes ont déposé des propositions de lois sur ce sujet. Pourquoi ne pas saisir l’occasion d’avancer ce soir, sur une proposition sérieuse ?

M. Lionel Tardy – Je comprends le souhait des auteurs de ces amendements, mais leur solution n’est pas la bonne. Comment le prêteur pourrait-il s’informer de la solvabilité du souscripteur, dès lors que la Banque de France ne gère que des fichiers négatifs ? La solution serait un fichier central des crédits. Cela pose des problèmes de confidentialité, mais qui ont déjà été réglés dans d’autres cas, comme celui du casier judiciaire.

M. Jean Gaubert – Je ne comprends pas les raisons qui poussent le rapporteur et le Gouvernement à refuser cet amendement, qui présente toutes les garanties souhaitables – sauf à ce qu’ils soient vexés de ne pas l’avoir déposé eux-mêmes. C’est comme pour les amendements portant sur l’action de groupe : vous avez été tellement fâchés d’être pris de vitesse que vous avez préféré voter contre en disant que vous y reviendriez plus tard !

La semaine dernière, j’ai pu lire dans la presse locale de ma circonscription la « confession » d’un « marchand de crédit », un ancien employé d’un organisme prêteur qui racontait qu’il formait les vendeurs – rémunérés à 3 % en moyenne – à offrir un crédit le plus souvent possible. Selon lui, les sociétés de crédit ne font aucune vérification – elle se dissimulent derrière le porteur d’affaires – et ne demandent pas à voir les relevés de comptes de leurs clients.

J’aimerais que le rapporteur fasse preuve de l’honnêteté intellectuelle à laquelle il nous avait habitués : nous n’assimilons aucunement les banques à ces établissements de crédit, qui souvent commissionnent des gens auxquels ils n’imposent aucune règle éthique. C’est parfois parce que les banques sérieuses lui ont refusé un crédit qu’un demandeur se tourne vers les établissements de crédit ; et si ces banques ne pensent pas qu’il puisse assumer un crédit à 6 %, comment pourrait-il rembourser à un taux de 18 % ? Il est donc indispensable de responsabiliser les établissements qui ne prennent pas un minimum de précautions.

L'amendement 79, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que l’amendement 212.

M. Jean Gaubert – La difficulté, pour les prêteurs, est de connaître la situation réelle des emprunteurs : tous les acteurs s’accordent sur ce point. La solution est que la Banque de France centralise un fichier, comme il en existe pour le casier judiciaire ou, depuis peu, pour les infractions au code de la route commises sur l’ensemble du territoire français – et peut-être au-delà dans quelque temps ! Ces fichiers fonctionnent très bien. Mais il ne faut pas autoriser le secteur bancaire à l’interroger lui-même : sinon les banques ne tarderaient pas à aller démarcher les clients les plus solvables, à proposer des systèmes de retraitement de créances… Seule la personne concernée doit pouvoir l’interroger, et communiquer l’attestation à l’organisme prêteur, lequel agirait ainsi en connaissance de cause : s’il est disposé à prendre des risques, il les assume. Voilà l’objet de l’amendement 79.

M. Jean Dionis du Séjour – L’amendement 213 a le même objet. Chaque crédit donnerait lieu à une inscription à la Banque de France, selon un dispositif qui garantirait le respect de la vie privée puisque la Banque de France serait déliée du secret professionnel pour la communication d‘informations nominatives. Une large part des personnes en situation de surendettement – 63 % – ont six ou sept crédits. Il n’y a rien d’exorbitant à demander au prêteur de s’assurer qu’il ne va pas consentir le huitième, c’est même une protection pour lui ! C’est une mesure de bon sens, d’ailleurs déjà adoptée par quinze pays en Europe.

Il faut engager le débat de fond. Qu’est-ce qui bloque : les banques – mais pourquoi ? Ont-elles peur que les conditions particulières qu’elles font à certains clients soient connues ?

En tout cas, ce n’est pas l’opinion qui bloque, puisqu’elle est à 90 % favorable à ce fichier. Le député UMP Masdeu-Arus avait d’ailleurs déposé une proposition de loi allant dans ce sens, notre collègue Lagarde en a déposé deux pour l’UDF et le groupe socialiste aussi… Où est le blocage ? Dites-le nous maintenant, parce que cette mesure de bon sens finira de toute façon par être adoptée.

M. Michel Raison, rapporteur – Dans son rapport sur le surendettement des particuliers présenté par Mme Crosemarie, le Conseil économique et social s’est montré très réservé sur l’instauration d’un fichier positif. De nombreux professionnels et associations de défense des consommateurs, ainsi que la CNIL, y sont en effet opposés. Il s’agit d’un dossier délicat. L’augmentation de la pauvreté n’a hélas pas de lien avec le surendettement. Le surendettement actif – celui qui est lié à une mauvaise gestion – représentait 36 % des dossiers en 2001 ; il n’en représente plus que 27 % aujourd’hui. Le surendettement passif – celui qui est lié à un aléa de la vie – représente donc 73 % des cas. L’instauration d’un fichier positif ne serait d’aucune utilité pour résoudre ces cas-là. Continuons à réfléchir au problème, mais avec prudence. Avis défavorable.

M. Luc Chatel, secrétaire d’État L’augmentation du nombre des dossiers de surendettement est liée à celle du nombre des crédits à la consommation, monsieur Dionis du Séjour. Du reste, la proportion des ménages concernés par le surendettement – ceux qui ont déposé un dossier de surendettement, ceux qui estiment leurs charges de remboursement beaucoup trop élevées, ceux qui déclarent que les dettes sont nécessaires – est pratiquement stable sur longue période : elle était de 4,4 % en 2006 contre 4,3 % en 2007, et oscille entre 3,9 % et 4,5 % selon les années. Ce n’est pas pour autant que nous ne devons pas œuvrer à la limitation du surendettement en amont. À l’issue de la table ronde organisée fin octobre à l’Élysée avec les établissements bancaires, le Gouvernement a demandé à la Banque de France d’apporter des améliorations au fichier des incidents de paiement. Mme Lagarde a donné un certain nombre de pistes au gouverneur de la Banque, lequel nous fera des propositions au premier trimestre 2008.

J’en viens au fichier positif. Ayant personnellement beaucoup travaillé sur cette question, j’ai pu constater qu’elle restait très controversée : on trouve autant d’associations de consommateurs favorables au fichier positif que d’associations qui y sont opposées ; les établissements de crédit sont pour, les banques sont contre ; la CNIL n’y est pas favorable, non plus que le Conseil économique et social. Cela doit nous inciter à rechercher un consensus. Faut-il exiger que 100 % des crédits soient recensés, alors que seuls 4 % posent problème ? C’est un vrai choix de société. Le Gouvernement est ouvert à la discussion, mais il estime que seul un consensus nous permettrait de légiférer sur la question. Dans cette attente, je vous demande de retirer ces amendements.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire – Les auteurs de ces amendements soulèvent un vrai problème, qui appelle de notre part une décision. Mais la solution proposée n’est pas satisfaisante. Ces amendements doivent être retravaillés : ils ne disent pas, par exemple, comment l’information parvient à la Banque de France. Nous souhaitons bien sûr trouver une issue. D’un commun accord avec le ministre et le rapporteur, je m’engage donc à créer, dès la fin de ce débat, une mission d’information – dont vous serez les premiers artisans, Messieurs Dionis du Séjour et Gaubert – afin de proposer des solutions concrètes d’ici quatre mois. Elle explorerait toutes les pistes, en s’attachant à sécuriser le dispositif. Si vous en êtes d’accord, vous pouvez donc retirer vos amendements.

M. Jean-Paul Charié – Je me félicite que nous soyons une nouvelle fois en phase, Monsieur le président de la commission. Voilà en effet un sujet de fond. Les exemples concrets qui ont été donnés prouvent que les dispositions législatives et réglementaires actuelles ne suffisent pas à protéger un certain nombre de nos concitoyens. Mais, si légitime qu’il soit, ce débat de fond ne peut avoir lieu aujourd’hui. Je suis donc pleinement d’accord sur l’idée d’une mission d’information – et je le dis avec la caution du président du groupe UMP, ici présent.

M. Jean Dionis du Séjour – Au risque de me faire des ennemis, je ne retirerai pas mon amendement.

M. Patrick Ollier, président de la commission – Vous ne voulez pas de la mission d’information ?

M. Jean Dionis du Séjour – À vous de décider, Monsieur le président ! Désolé de vous décevoir, mais voilà cinq ans que nous parlons de ce sujet. Pourquoi ne pas accepter cet amendement ? Il sera toujours temps de l’améliorer au Sénat.

M. Jean-Paul Charié – Nous sommes dans une procédure d’urgence !

M. Jean Dionis du Séjour – Il y a eu depuis 2003 bien des propositions de loi sur le sujet – une de l’UMP, deux de l’UDF puis du Nouveau Centre, une du parti socialiste ; 15 pays de l’Union européenne ont mis en place ce fichier positif. Le ministre nous dit que la Banque de France doit apporter des améliorations au fichier des incidents de paiement. Fort bien, mais nous sommes toujours dans une logique a posteriori. Or, c’est la prévention qui nous intéresse aujourd’hui. Le ministre pose ensuite une vraie question : faut-il gêner les 96 % de la population qui empruntent sans problème pour 4 % de gens qui posent problème ?

M. François Brottes – Dans ce cas, pourquoi faire un code de la route ?

M. Jean Dionis du Séjour – Mais il n’y a aucune gêne pour les emprunteurs, puisque ce sont les établissements prêteurs qui font la déclaration à la Banque de France.

Le président de la commission nous dit que l’amendement n’est pas assez précis. Nous y travaillons depuis cinq ans avec la Banque de France et la CNIL ! Contrairement à ce que vous dites, l’amendement précise que ce sont les établissements de crédit qui sont tenus de déclarer à la Banque de France « les principales caractéristiques des crédits accordés ». On ne peut être plus précis ! L’amendement est prêt. Vous pourrez le parfaire encore au Sénat et en CMP. Laissez donc le Parlement jouer son rôle !

M. Jean Gaubert – Je remercie chaleureusement M. Ollier de sa proposition : ma grand-mère avait toujours rêvé de me voir devenir missionnaire ! (Sourires)

M. Dionis du Séjour – Ah ! Ces Bretons…

M. Jean Gaubert – Plus sérieusement, nous ne trouvons pas dans vos propos d’objection fondée – sauf à vouloir temporiser.

Le CES évoquait la création d’un fichier consultable par les banques : celui que nous proposons ne le serait pas. En revanche, de même que l’on peut demander à quelqu’un de fournir un extrait de casier judiciaire, ou encore une attestation de points de permis de conduire, on pourrait demander à l’emprunteur d’interroger la Banque de France sur son état d’endettement. Moi-même, d’ailleurs, lorsque je souhaite emprunter, je fournis à mon banquier un état de mes engagements. Et si c’est le mot « fichier » qui vous gêne, on peut le remplacer par celui de « répertoire ».

Enfin, ce n’est pas l’endettement qui est en cause, c’est le surendettement ! Même si seuls 4 % des Français sont concernés, il n’est pas inutile de leur rendre service en leur évitant des emprunts trop risqués ; quant aux autres, cela ne les dérangera pas beaucoup d’apporter un papier prouvant que leur situation est saine.

En fait, vous nous répondez sur le registre de la sanction, en parlant du fichier des incidents de paiement, alors que nous vous proposons un système de prévention. Nous ne retirerons donc pas notre amendement.

M. Patrick Ollier, président de la commission Monsieur Gaubert, sans passer en revue tout ce qui pourrait être amélioré dans votre amendement, j’évoquerai seulement un point : en proposant un fichier « recensant les crédits accordés », vous ne couvrez pas tout le champ de l’endettement – qui peut comporter aussi des dettes fiscales, des emprunts à autrui, des autorisations de découvert ou des loyers.

Le sujet mérite donc d’être approfondi. C’est pourquoi, Monsieur Dionis du Séjour, je ne peux pas accepter vos arguments : ce texte faisant l’objet d’une déclaration d’urgence, nous ne disposons pas du temps nécessaire pour parvenir à une rédaction satisfaisante. Je trouve regrettable que vous ne retiriez pas votre amendement, et je demande à la majorité de le rejeter ; mais je confirme mon engagement de lancer une mission d’information. Elle devrait nous permettre, Monsieur le ministre, de vous proposer dans les mois qui viennent un dispositif abouti.

M. André Chassaigne – Pour ma part, je considère que ces amendements sont bons – et s’ils avaient été retirés, j’en aurais sans doute repris un. Depuis le début de cette discussion, j’éprouve un sentiment de malaise : tous les arguments paraissent bons pour rejeter les propositions qui sont faites, même lorsqu’elles relèvent du simple bon sens. Vous-même, Monsieur le Président de la commission, vous nous dites que ces deux amendements ne sont pas assez précis, alors que d’habitude vous assurez que la loi ne doit pas trop entrer dans les détails ! En fait, on a l’impression que vous rejetez tout ce qui pourrait entraver la liberté de la grande distribution et des organismes de crédit. (M. Patrick Ollier, président de la commission, proteste). Pourtant, dans nos permanences, nous recevons tous des gens qui connaissent les pires difficultés : vous souhaiteriez certainement comme nous leur éviter cela.

Les amendements 74 et 213, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Jean-Yves Le Déaut – Notre amendement 316 vise à créer une autorité de la concurrence, qui exercerait les compétences aujourd’hui dévolues au Conseil de la concurrence – qui a un pouvoir décisionnel en matière de pratiques anticoncurrentielles, mais seulement un pouvoir consultatif en matière de concentration – ainsi que celles concernant la concurrence de la DGCCRF – qui, elle, dispose d’un corps d’inspecteurs. Il n’est pas bon que la police de la concurrence soit partagée. Nous l’avions déjà dit dans notre rapport 2000, et je crois que la commission Attali fait le même constat.

Cette autorité indépendante pourrait à la fois constater les infractions, les faire cesser et garantir leur réparation. Elle aurait le pouvoir de se saisir de toute question en matière de concurrence, d’imposer des pratiques uniformes pour les prix et les conditions de vente, de vérifier la réalité de la coopération commerciale, ainsi que de qualifier les clauses abusives et les abus de dépendance économique.

M. Michel Raison, rapporteur – Cet amendement n’a pas été examiné par la commission. Votre proposition part d’un bon sentiment, car les rapprochements sont toujours souhaitables, mais il faut rendre hommage à la DGCCRF et au Conseil de la concurrence, qui travaillent en meilleure intelligence que vous ne le laissez entendre. Et puisque vous avez évoqué la commission Attali, laissons-lui le temps de terminer ses travaux… Pour toutes ces raisons, avis personnel défavorable.

M. Luc Chatel, secrétaire d’État – Notre système de contrôle de la concurrence est efficace, car il existe une véritable complémentarité entre le Conseil de la concurrence, autorité administrative indépendante, et la DGCCRF, dont l’organisation décentralisée assure un excellent maillage territorial, au plus près des réalités économiques locales.

En témoignent les nombreuses décisions rendues en matière de pratiques abusives dans le domaine des activités industrielles et commerciales, ainsi que plusieurs condamnations récentes, notamment celle des opérateurs de téléphonie pour entente et entrave à la concurrence, celle de distributeurs de parfum pour entente verticale, ou encore celle d’un opérateur de téléphonie pour abus de position dominante sur le marché de l’internet. Le système actuel marche bien.

Faut-il pour autant s’interdire de l’améliorer ? Je ne le crois pas. La commission Attali, dont le rapport sera rendu au début de l’année prochaine, a déjà émis plusieurs propositions à ce sujet, et le Gouvernement y sera très attentif. Nous nous pencherons également sur la qualité du service rendu aux usagers à la faveur de la revue générale des politiques publiques. N’agissons pas dans la précipitation, Monsieur Le Déaut ! Je vous demande de retirer votre amendement, faute de quoi je devrais émettre un avis défavorable.

M. François Brottes – Merci, Monsieur le ministre, d’en avoir dit un peu plus que le rapporteur, qui se contente généralement de trois réponses types : tout va bien ; le moment est mal venu ; ou bien la réflexion doit se poursuivre… Pourtant, nous ne vous mettons pas le couteau sous la gorge : le nouveau dispositif n’entrerait pas en vigueur avant le 1er janvier 2009, ce qui laisserait tout loisir de compléter ses modalités d’application.

Le Conseil de la concurrence adopte déjà des décisions nombreuses et souvent pertinentes, mais nous peinons à dépasser le stade du bricolage : de nouveaux secteurs ont été ouverts à la concurrence, ce qui donne lieu à de nouveaux comportements défavorables aux consommateurs ; les actions de groupe demeurent interdites ; les régulateurs des réseaux se soucient essentiellement des opérateurs et non des consommateurs ; ces derniers vont pleurer leur misère auprès de médiateurs qui n’ont aucun pouvoir pour faire droit à leurs revendications, si justifiées soient elles. Et si la DGCCRF réalise un excellent travail, comme l’indique le ministre, pourquoi réduisez-vous ses effectifs de 20 personnes ? (Signes de dénégation du ministre). Elle a plus de missions, plus de marchés à surveiller, et pourtant moins de moyens !

Les droits des consommateurs ne sont pas aussi bien défendus dans notre pays qu’ils devraient l’être. Voilà pourquoi nous demandons l’instauration d’une autorité unique et indépendante à leur service.

M. Jean Dionis du Séjour – Il n’y a pas de développement de la concurrence sans régulateur. C’est un sujet de fond qui mérite un débat aussi large que possible. Le régulateur doit-il être sectoriel – comme la CRE et l’ARCEP – ou bien transversal, comme le propose cet amendement ? En outre, doit-il être national ou bien européen ? S’il y a bien un principe au cœur de la construction européenne, c’est bien l’organisation de la concurrence… Le contrôle doit-il enfin porter sur les seuls rapports entre opérateurs, ou bien, comme le suggère M. Brottes, s’étendre au partage de la valeur ajoutée entre opérateurs et consommateurs ?

Le groupe SRC a le mérite d’ouvrir ce débat. Mais comment traiter par voie d’amendement un sujet aussi essentiel pour l’évolution de notre modèle économique ? Donnons-nous le temps de débattre vraiment et respectons les échéances prévues : d’abord le rapport « Attali », puis une proposition de loi.

M. Jean-Paul Charié – Avec toute la compétence qu’on leur connaît, MM. Brottes, Gaubert et Le Déaut posent de vraies questions. Un journal se demandait d’ailleurs ce matin qui a réellement autorité sur le Conseil de la concurrence…

Afin de corriger certaines pratiques, il faudra toutefois mener une réflexion d’ensemble, notamment sur la négociabilité des prix…

M. Jean Dionis du Séjour – Très bien !

M. Jean-Paul Charié – Le véritable enjeu n’est pas tant de réformer le droit, que de le faire appliquer. Les actions de groupe, sur lesquels un engagement a été pris, devraient y contribuer.

Pour ce qui est de l’instauration d’une instance unique, il faudrait tout revoir si cet amendement était adopté dès maintenant – les abus de dépendance économique, les clauses abusives, la question des incidences sur le marché… On ne peut traiter séparément les sujets, comme vous l’avez vous-même reconnu, Monsieur Le Déaut. C’est pourquoi une réflexion globale aura lieu dans les meilleurs délais.

M. Jean Gaubert – Nous avons fait des propositions globales sur tout ce qui touche à la consommation, qu’il s’agisse du Conseil de la concurrence, des actions de groupe, du surendettement… Vous évoquez une réflexion globale, mais nous n’attendons que cela ! Pourquoi refuser des amendements qui élargiraient le champ des mesures concernées ? C’est une contradiction !

Il est enfin regrettable que le Gouvernement ait déclaré l’urgence sur ce texte, car nous n’aurons pas le temps d’affiner sereinement les mesures adoptées à l’Assemblée et au Sénat. Chacun devra se contenter de jouer sa partition de son côté, et il faudra s’ajuster au mieux en CMP.

Ce texte était l’occasion de mener un travail global, ce qui nécessite de se donner du temps pour travailler. Pourquoi nous demander systématiquement d’attendre le mois de mars ? Qu’attend-on ? Il n’y a pas d’élections présidentielles ou législatives, que je sache (Sourires)

Mme Martine Billard – Nous demandons une approche globale. Faudrait-il s’en tenir aux articles proposés par le Gouvernement, qui seul pourrait autoriser nos débats ? Ce serait une singulière conception du travail parlementaire !

En outre, il est regrettable d’examiner un texte en urgence lorsque l’on sait que l’on devra recommencer sur le même thème dans six mois ! Les lois sont mal écrites, les décrets ne sont pas encore sortis qu’une nouvelle loi est votée, les citoyens ne parviennent plus à suivre les modifications. Ce gouvernement, et ceux qui l’ont précédé depuis 2002, sont responsables de l’inflation législative dont tout le monde se plaint. D’ailleurs, je ne pense pas qu’il y ait dans ce texte une seule disposition de caractère urgent, avec un impact économique tel que l’on ne pourrait attendre trois mois avant de l’adopter.

Sous la Quatrième, on disait que, lorsqu’un problème se posait, on créait une commission. Avec cette majorité, on se contente d’installer une mission !

M. Patrick Ollier, président de la commissionVous n’êtes pas membre de la commission des affaires économiques, cela se voit !

M. Jean Dionis du Séjour – C’est l’élite !

Mme Martine Billard – Nous travaillons aussi beaucoup à la commission des affaires sociales. Et cela devrait nous donner le moyen, lorsqu’il le faut, de trancher un problème politique.

L'amendement 316, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. André Chassaigne – Si nous évoquons, avec ce projet de loi, les consommateurs, il ne faut pas oublier les salariés de la grande distribution, et en particulier les caissières – j’emploie à dessein le féminin car il s’agit en grande majorité de femmes.

Celles-ci travaillent le plus souvent à temps partiel, non par choix, mais parce que c’est souvent la réalité de l’offre. Les horaires, décalés et tardifs dans la journée, ne leur permettent guère de concilier vie professionnelle et vie familiale. En outre, elles viennent grossir les cohortes de salariés pauvres : payées pour 30 heures ou 32 heures, elles ne peuvent même pas prétendre à un SMIC complet – ce qui est très peu lorsque l’on est chef de famille.

Cela pose aussi la question de l’égalité salariale, que l’on n’a tendance à examiner que sous l’angle des femmes cadres. Or, ces postes pénibles – faits de tâches répétitives et ennuyeuses, exécutées dans une tension permanente provoquée par le règne des petits chefs, le flicage généralisé et le comportement des clients – sont essentiellement réservés aux femmes.

Nous proposons donc par l’amendement 309, deuxième rectification, que le Gouvernement dépose devant le Parlement, avant le 31 janvier 2008, un rapport sur l’ampleur et l’opportunité du travail à temps partiel, ainsi que sur le pouvoir d’achat des salariés dans le secteur de la grande distribution.

M. Michel Raison, rapporteur – Le temps partiel n’est pas – hélas – le lot des seuls salariés de la grande distribution. Même s’il fait le lien avec le salaire et le pouvoir d’achat, cet amendement est hors sujet et appartient davantage au domaine du code du travail. Avis défavorable.

M. Luc Chatel, secrétaire d’État – Même avis. L’organisation du travail à temps partiel – dont les statistiques sont suivies de très près par les ministres concernés – fait l’objet d’une concertation par le biais d’une convention, d’un accord collectif de branche étendu, ou d’un accord d’entreprise.

S’agissant du pouvoir d’achat, je ne pense pas que cette question doive être traitée de manière spécifique. De nouveaux indicateurs seront pris en compte pour calculer l’évolution du coût de la vie, les « paniers » n’étant pas les mêmes selon la taille et la composition des foyers.

M. Jean Gaubert – Je ne suis pas étonné de la réponse du Gouvernement, qui montre toujours quelque aversion à déposer des rapports devant le Parlement et qui, en revanche, aime à renvoyer à plus tard les questions importantes. Ce n’est pas le travail à temps partiel en tant que tel qu’il faut condamner, mais le travail à temps partiel subi, surtout lorsqu’il s’accompagne de coupures. Il n’est pas rare qu’une femme, convoquée à 11 heures, puis à 16 heures 30 voie ses horaires changer à la dernière minute et doive travailler plus tard que prévu : ces conditions de travail sont très difficiles à vivre, surtout lorsque l’on a charge d’enfants.

Nous aurions pu déposer le même amendement : un rapport permettrait en effet de dresser l’état des lieux et de préconiser certaines améliorations – à commencer par un changement de comportement de la part des clients. En outre, il serait utile à la préparation du débat probable sur le travail le dimanche, lequel peut être aussi « subi » par les salariés.

M. Richard Mallié – Pas toujours !

M. Jean Gaubert – J’ajoute qu’il n’y a pas de concertation, d’autant que le personnel est peu syndicalisé.

Par ailleurs, je sais gré au Gouvernement de rechercher de nouveaux indicateurs du pouvoir d’achat, car l’indice des prix actuel ne s’applique qu’au consommateur « moyen », et ne prend pas en compte les nombreux cas atypiques, comme les célibataires ou les familles monoparentales.

Enfin, le plus médiatique des présidents de chaînes de grands magasins a expliqué qu’il voulait redonner du pouvoir d’achat aux consommateurs, glissant au passage que, pour sa part, il avait trop d’argent. Je lui suggérerai de commencer par en redistribuer à ses salariés.

M. Jean-Paul Charié – Très bien !

Mme Martine Billard – Cet amendement est intéressant, d’autant que devrait découler de la recodification du code du travail – que nous examinerons dans dix jours –, la suppression des rapports remis aux comités d’entreprises – en particulier ceux sur le travail à temps partiel et le travail de nuit.

Si cet amendement porte précisément sur la grande distribution, ce n’est pas un hasard car ce secteur offre, en grande majorité, des contrats à temps partiel. Les salariés, à qui l’on fait miroiter la possibilité d’heures supplémentaires, acceptent ces conditions, en espérant qu’elles déboucheront sur un travail à temps plein, ce qui se produit très rarement, les entreprises de la grande distribution n’y ayant pas intérêt, en raison des heures creuses auxquelles est soumise leur activité. Or, la grande distribution réalise des bénéfices pharamineux ; il serait donc normal qu’elle en fasse profiter les consommateurs, les producteurs locaux – trop souvent pressurés –, mais aussi leurs salariés qui, avec des SMIC à temps partiel, ont souvent de la peine à s’en sortir.

L'amendement 309, deuxième rectification, mis aux voix, n'est pas adopté.

AVANT L'ARTICLE PREMIER

Mme Martine Billard – L’amendement 240 traite de la vente liée, qui figure déjà dans le code du commerce, sans que les dispositions qui y sont relatives ne soient malheureusement appliquées.

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez affirmé, lors de la discussion générale, qu’il était aujourd’hui possible d’acheter un ordinateur sans logiciel. Or, c’est impossible dans les établissements de la grande distribution, où le consommateur n’est pas en mesure de comparer les prix entre un ordinateur équipé et un autre qui ne le serait pas. La vente de logiciels pré-installés est une vente forcée, où la transparence des prix fait complètement défaut. En outre, si un logiciel d’exploitation est certes utile, d’autres logiciels le sont beaucoup moins, sans que le client sache combien il paie pour des outils dont il ne se servira peut-être jamais. De même, les versions des logiciels pré-installés sont souvent bridées, contrairement à celles qui sont vendues à part. Enfin, alors que les logiciels sont très chers – le logiciel Vista coûte 213 euros de plus en Europe qu’aux États-Unis –, Microsoft se permet d’équiper les ordinateurs de versions défaillantes, dont le remplacement ou la mise à jour ne sont évidemment pas gratuits.

Pour les entreprises qui souhaiteraient distribuer d’autres logiciels, se pose en outre un évident problème de concurrence. Face à cette situation, la DGCCRF ne répond pas aux plaintes, et la réunion qui devait avoir lieu sur le sujet a été annulée. Quand le consommateur pourra-t-il enfin acheter des ordinateurs non équipés sans avoir à passer par les magasins spécialisés ou Internet ?

M. Michel Raison, rapporteur – Les accords d’exclusivité ne constituent pas tous des abus de position dominante. L’amendement est donc très dangereux. Avis défavorable.

M. Luc Chatel, secrétaire d’État Même avis. Le législateur s’est toujours efforcé de concilier la liberté du commerce et la défense de l’ordre public économique. Si l’amendement était adopté, un fabricant de matériel ne pourrait plus bénéficier, par exemple, de l’appui d’un distributeur pour assurer la promotion de ses produits. Le recours abusif aux accords d’exclusivité est déjà sanctionné ; la jurisprudence prend notamment en considération la situation de dépendance qui peut en résulter. Il n’est donc pas opportun de légiférer sur le sujet.

M. Jean-Yves Le Déaut – M. Chatel n’avait pas la même position lorsqu’il était député, puisque, comme un certain nombre d’entre nous, il avait alors posé une question écrite dans laquelle il demandait la lisibilité des prix du secteur informatique, en précisant : « Le prix du logiciel pré-installé, qui peut être théoriquement refusé par l’acheteur, n’est pas indiqué, ce qui laisse croire que c’est une offre gratuite, alors que l’on peut estimer le coût de ce logiciel à près de 25 % du coût total ». Vous appeliez donc de vos voeux un affichage détaillant les prix, en vue d’une meilleure information du consommateur.

Vous aviez raison de poser cette question, et nous la posons de nouveau aujourd’hui. Même si l’amendement a quelques défauts de rédaction, on ne peut pas s’en tirer en disant que la situation n’appelle aucune attention particulière. Le marché européen est dominé par des produits américains : un seul opérateur réalise 95 % des ventes de logiciels au grand public. Quelle poule aux œufs d’or pour ces 30 ou 35 millions de Français qui possèdent un ordinateur, ou un téléphone mobile, sur lesquels on peut à présent trouver des logiciels ! Nous ne pouvons tolérer cette situation.

Mme Laure de La Raudière – C’est n’importe quoi !

M. Jean-Yves Le Déaut – Les consommateurs apprécieront la pirouette par laquelle vous esquivez la question.

Mme Martine Billard – Cette réponse ne vous fait pas honneur, Monsieur le secrétaire d’État, car il y a bien un débat de fond, que vous avez vous-même porté. Avec notre amendement, nous demandons que les accords de vente liée ne puissent avoir pour objet de limiter l’accès au marché ; tous ne sont donc pas concernés, contrairement à ce que vous prétendez.

Le consommateur doit avoir le choix, et doit pouvoir se prononcer en connaissance de cause, grâce à des prix lisibles. Les nombreuses plaintes n’avancent pas ; manifestement, la DGCCRF a reçu instruction de ne pas intervenir. Vous répétez souvent que vous êtes un libéral et que vous défendez le droit de la concurrence : trouvez-vous normal que les consommateurs n’aient aucun choix dans les enseignes de la grande distribution ?

M. Luc Chatel, secrétaire d’État Évitons de confondre concurrence et consommation. L’article 122-1 du code de la consommation interdit déjà la vente liée. Cette disposition n’est certes pas strictement appliquée par le juge, qui considère que le bon fonctionnement de l’ordinateur est primordial. Le Gouvernement a donc confié à la DGCCRF une mission d’expertise, qui est suspendue mais reprendra lorsque seront connus les résultats de l’action intentée par une association de consommateurs – soit au début de l’année prochaine. Nous verrons alors si la jurisprudence évolue. Quoi qu’il en soit, la loi en vigueur satisfait déjà votre requête !

L'amendement 240, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean Gaubert – Chacun connaît le flou qui entoure la question des marges des distributeurs. Au fil des lois, nous avons tenté de les moraliser : en vain. Pourquoi ? Sans doute parce que l’ensemble du système est à remettre en cause, mais aussi parce que nous avons péché par ignorance. Pour y remédier, les amendements 114 et 113 visent à confier à la commission d’examen des pratiques commerciales pour l’un ou à la DGCCRF pour l’autre la rédaction d’un rapport annuel sur ces marges, à remettre au Premier ministre. Faites votre choix – même si, M. Brottes l’a rappelé, on étend souvent les missions de la DGCCRF sans en adapter les moyens.

M. Jean-Paul Charié – C’est vrai !

M. Michel Raison, rapporteur – Avis défavorable. C’est un amendement d’autant plus judicieux qu’il est déjà satisfait ! En effet, Mme Lagarde a annoncé le 5 novembre dernier la création d’un observatoire des prix et des coûts. En outre, chaque année, la CEPC rend public un rapport d’activité comprenant l’analyse détaillée des infractions en matière de pratiques commerciales, ainsi qu’une étude des décisions de justice qui ont été rendues en la matière. Ne l’avez-vous pas reçu ? Il est pourtant adressé au Gouvernement et au Parlement…

M. Luc Chatel, secrétaire d’État  Même avis : en sus de la création d’un observatoire des prix et des coûts, il n’est pas souhaitable de charger la CEPC d’une tâche supplémentaire. La DGCCRF, quant à elle, a pour mission de contrôler les relations entre fournisseurs et distributeurs, et non les marges stricto sensu.

M. Jean Gaubert – J’ai bien lu le rapport de la CEPC, Monsieur le rapporteur, et je sais tout ce qu’il y manque ! Vous savez bien que cette commission ne peut être saisie que s’il y a plainte. Or, nombre de pratiques répréhensibles ne font l’objet d’aucune plainte. Les choses seraient différentes si la CEPC pouvait s’autosaisir !

Les amendements 114 et 113, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. André Chassaigne – Comment parler de revalorisation du pouvoir d’achat – objectif avoué de ce texte – sans aborder la question des salaires ? Le Gouvernement prétend que le pouvoir d’achat est au cœur de ses préoccupations. Ne s’agirait-il pas simplement du pouvoir d’achat du Président de la République ? En attendant, celui des Français peut attendre !

M. Jean-Paul Charié – Quel raccourci !

M. André Chassaigne – Vous nous dites que rien ne peut se faire du jour au lendemain, mais voilà six mois que vous êtes au pouvoir ! Pour résoudre le problème, nous proposons par l’amendement 300 rectifié l’organisation d’un Grenelle des salaires qui rassemblerait l’État, les syndicats et le patronat autour d’une même table pour déboucher sur des accords avant l’été prochain. Plutôt que de faire passer en catimini des mesures aussi scandaleuses que la loi TEPA, vous auriez là une véritable occasion de laisser s’exercer la démocratie sociale !

M. Michel Raison, rapporteur – Le pouvoir d’achat est à l’intersection entre prix et revenus. Seul le premier de ces deux thèmes est ici pertinent. Cela ne signifie pas que le Gouvernement se désintéresse du second, bien au contraire ! La Conférence sur l’emploi, instaurée le 23 octobre dernier, permettra de l’aborder en profondeur. Votre amendement est donc hors sujet.

M. Luc Chatel, secrétaire d’État C’est exact. Il est d’ailleurs satisfait par l’ouverture d’un cycle de réflexion sur le travail et le pouvoir d’achat que vous pouvez considérer comme un Grenelle, et qui permettra aux partenaires sociaux de s’accorder sur des questions telles que la conditionnalité des allégements de charges, le mode de revalorisation du SMIC ou encore les indicateurs de l’INSEE. Vous le voyez : le Grenelle du travail est lancé !

M. André Chassaigne – Quelle provocation !

M. Jean Gaubert – Espérons que le chemin ne sera pas aussi long pour nos concitoyens qu’il l’a été pour ceux, par exemple, qui croyaient aux négociations de Doha, cet autre « cycle »… En outre, M. le rapporteur a bien mal écouté les ministres : ne s’agit-il pas par ce texte de donner du pouvoir d’achat aux Français ? Tiens donc : c’est précisément l’objet de l’amendement que vient de défendre M. Chassaigne, qui est tout sauf hors sujet !

M. Michel Raison, rapporteur – Disons plutôt que vous n’avez pas écouté ma réponse !

M. Jean Gaubert – La seule chose que vous puissiez dire est que notre solution ne vous convient pas. La Tribune elle-même, qui n’est pourtant pas violemment gauchiste, titrait aujourd’hui sur la consommation des ménages qui s’essouffle et les déceptions économiques qui s’accumulent. Cet amendement est donc loin d’être hors sujet !

L'amendement 300 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. André Chassaigne – De plus en plus de personnes ont recours à des associations telles que les Restaus du cœur alors même qu’elles occupent un emploi. Les 15 % des actifs payés à hauteur du SMIC – et pas seulement en début de carrière – alimentent ces cohortes de travailleurs pauvres. Ces salariés n’arrivent pas à satisfaire des besoins élémentaires : se loger, se nourrir, se déplacer… et la baisse de quelques centimes du prix du beurre que leur offriront peut-être Carrefour ou Casino n’y changera rien, pas plus que la non-facturation du temps d’attente des hotlines. Les dépenses contraintes ont augmenté de toutes parts depuis 2002 : l’ouverture à la concurrence du secteur de l’énergie a provoqué une hausse sans pareille du prix du gaz, des franchises médicales ont été introduites, et les attaques contre le service public, comme la « réforme » de la carte judiciaire ou la disparition des services de l'État dans certaines parties du territoire, contraindront nombre de nos concitoyens, surtout dans les zones rurales, à utiliser plus encore leur voiture, avec le coût que cela implique…

Ces atteintes portées au pouvoir d'achat des ménages les plus modestes ne sont pas le fruit de la fatalité, mais de choix politiques désastreux : mise à mal du service public, cadeaux fiscaux… L’insuffisante revalorisation du SMIC rapproche une part importante des ménages français de la précarité.

M. Patrick Ollier, président de la commission – Mais quel est le rapport avec le texte ?

M. André Chassaigne – Pour ces personnes, la priorité absolue est le salaire. C’est pourquoi l’amendement 313 demande au Gouvernement de déposer un rapport sur les conséquences de la très faible revalorisation du SMIC au cours des dernières années. La représentation nationale doit disposer de données précises afin de pouvoir lutter en toute connaissance de cause contre la pauvreté et la faiblesse du pouvoir d'achat. Il y a un rapport direct avec le texte, Monsieur le président de la commission : rien ne sert d’agiter la muleta devant les prix si l’on ne s’occupe pas de l’essentiel, l’augmentation des salaires !

M. Jean Dionis du Séjour – Belle image !

M. Michel Raison, rapporteur – M. Gaubert nous avait habitués à moins de mauvaise foi : il suffit de reprendre le compte rendu des débats pour savoir que je n’ai pas résumé le pouvoir d’achat ainsi qu’il l’a dit ! Mais la consommation et la concurrence sont les piliers du pouvoir d’achat, et à ce titre, l’amendement de M. Chassaigne est encore hors sujet. Je voudrais par ailleurs lui rappeler qu’une des premières tâches de la majorité, en 2002, fut de remettre un peu d’ordre dans la pagaille que la gouvernement précédent avait laissée –pas moins de six SMICs, réévalués de très peu durant les cinq années de gouvernement de M. Jospin ! Nous avons la fierté d’avoir unifié le SMIC et de l’avoir augmenté de 11 % (« Très bien » sur quelques bancs du groupe UMP). Ne venez donc pas nous donner de leçons sur les salaires. La commission a repoussé cet amendement hors sujet.

M. Luc Chatel, secrétaire d’État – Le Gouvernement vient de lancer un cycle de conférences avec les partenaires sociaux – que vous souhaitez qualifier de « Grenelle » – sur l’emploi et le pouvoir d’achat, et le précédent gouvernement avait revalorisé le SMIC entre 2002 et 2007 de 23,2 %, tout en l’unifiant. Mais cette revalorisation du SMIC conduit à un écrasement de la grille des salaires : entre 1994 et 2006, la proportion de salariés payés au SMIC est passée de 8 à 15 %. C’est pourquoi nous avons chargé une commission indépendante de travailler sur des évolutions, en s’inspirant notamment des modèles étrangers. Nous souhaitons aussi subordonner les allégements de charges à la tenue de négociations collectives sur les salaires. L’objectif est de favoriser le dynamisme des négociations salariales, pour tous les niveaux de salaire, en évitant l’écrasement de la grille salariale. Avis défavorable.

M. Jean Gaubert – Je regrette que le rapporteur se lance, alors que le terme de la séance est proche, à de telles provocations.

M. Jean-Paul Charié – C’était juste une mise au point !

M. Jean Gaubert – Entre 1997 et 2002, le pouvoir d’achat augmentait de plus de 3 % en moyenne par an. Depuis, l’augmentation ne dépasse guère les 2 %.

M. Richard Mallié – Vous aviez la croissance !

M. Jean Gaubert – Nous l’avons créée ! M. Juppé avait dissous l’Assemblée en 1997 parce qu’il n’y arrivait plus…

L'amendement 313, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. André Chassaigne – Vous admettrez que l’amendement 314 rectifié se place au cœur du débat. Il s’agit des produits de première nécessité.

M. Patrick Ollier, président de la commission – Encore un rapport !

M. André Chassaigne – Si le principal problème reste celui des salaires, une autre cause de la dégradation du pouvoir d'achat se trouve du côté de la hausse des prix. Nombreux sont les ménages à s’en plaindre, alors que l’inflation est censée être limitée. Loin des explications psychologiques douteuses, l’analyse des statistiques officielles explique ce paradoxe. L'indice des prix à la consommation calculé par l’INSEE n’est en effet qu'une moyenne. Il ne peut pas rendre compte de la situation de ménages très divers. L'inflation a été plus forte, par exemple, pour les locataires que pour les propriétaires, ou pour les ménages qui se chauffent au gaz que pour les autres. Si certains produits tels que les ordinateurs portables et autres produits de haute technologie voient leurs prix diminuer, la flambée des prix de l'alimentation de base pèse fortement sur les ménages les plus modestes.

Avec l'augmentation des prix agricoles, le pain a augmenté en septembre, et les produits laitiers et certaines viandes n’ont pas tardé à suivre. D’après l’association Consommation, logement et cadre de vie, le principal problème, ce sont les dépenses contraintes, qui ont explosé depuis trois ou quatre ans – fioul domestique, logement, produits alimentaires ou frais de santé non remboursés… Le super sans plomb a augmenté de 15 % depuis un an alors que dans le monde rural, il est fréquent de devoir faire trente ou quarante kilomètres en voiture pour se rendre à son travail. Trois pleins, cela fait presque 200 euros… Et le prix de l’énergie alourdit aussi les factures de chauffage. Selon Familles rurales, la consommation de 400 grammes de fruits et de légumes par personne et par jour représente 57 euros par mois pour un couple et 115 pour une famille avec deux enfants de plus de 10 ans – soit entre 5 et 12 % du SMIC. Il apparaît donc nécessaire que le Gouvernement établisse un rapport avant le 31 janvier sur l'évolution des coûts des produits de première nécessité depuis 2002. Ce sera un outil intéressant pour l’examen de la prochaine loi sur la consommation.

M. Michel Raison, rapporteur – Deux bonnes nouvelles : non seulement vous n’êtes plus hors sujet, mais sur le fond, je suis entièrement d’accord avec vous. L’évolution des prix des produits de première nécessité doit forcément nous inquiéter. La création de l’Observatoire des prix et des coûts annoncée par Mme Lagarde devrait améliorer le suivi.

Votre amendement pose le problème de la qualité et de la fiabilité de l’indice des prix : il est vrai que les moyennes ne suffisent pas et que des analyses plus fines sont nécessaires. Prenons le cas des produits laitiers : une moyenne d’évolution des prix ne veut strictement rien dire lorsque le lait entre pour 10 % dans le prix d’un yaourt et 80 % pour l’emmental ! Le décalage existe donc entre l’évolution de l‘indice et la perception des consommateurs – il faut continuer à parler de perception, car tout ce qui ressort de l’indice n’est pas faux ! – et des outils de mesure plus personnalisés ont été mis en place, tels que le chariot type, qui permet au consommateur de construire son indice en fonction de son profil de consommation.

Vous proposez un rapport, et le président de la commission parle souvent d’une mission d’information. Il y a notamment eu celle sur les relations commerciales présidée par Luc Chatel, avec d’excellents rapporteurs ici présents. La mission d’information commune qui doit être créée demain sur la mesure des grands indices statistiques permettra de faire une analyse de fond de cette question. Il me semble que M. Gagnaire devrait y occuper des responsabilités importantes pour le compte du parti socialiste. Votre amendement est donc satisfait, cher collègue : vous ne pouvez que le retirer !

M. Luc Chatel, secrétaire d’État Même avis.

M. Jean-Yves Le Déaut – Vous nous répondez toujours que c’est trop tôt, que nos amendements sont déjà satisfaits ou – quand vous voulez être aimables – que nous avons de bonnes idées. Mais ce n’est pas parce que nous avons de bonnes idées qu’il vous est interdit de donner les bonnes réponses ! En l’occurrence, vous ne le faites pas. Le rôle du Parlement est de contrôler le Gouvernement. Mais quand nous demandons – comme ici notre collègue Chassaigne – des moyens pour le faire, vous nous dites que ce ne sera qu’un rapport supplémentaire. Le Parlement doit pourtant disposer de rapports fiables. Je lis dans la presse que le Président a augmenté de 18,8% – ce n’est pas de la cote de popularité de M. Sarkozy qu’il s’agit, mais du prix du camembert ! Celui des pâtes a augmenté de 30 %. Que dire de celui de l’énergie ou de la baguette ? Certains d’entre vous ont connu la baguette à 1 franc…

M. Jean-Paul Charié – Elle existe toujours. Simplement, les meilleures sont plus chères.

M. Jean-Yves Le Déaut – Il faudra que vous nous donniez vos adresses…

M. Jean-Paul Charié – À Pithiviers !

M. Jean-Yves Le Déaut – Aujourd’hui, la baguette de base est à 85 centimes d’euro, et les baguettes à l’ancienne à plus d’un euro. Notre collègue Chassaigne a raison de dire que le pouvoir d’achat des familles modestes a baissé. Le Parlement se trouve donc parfaitement dans son rôle lorsqu’il demande à disposer chaque année d’éléments d’information lui permettant d’interpeller le Gouvernement.

M. André Chassaigne – Je remercie le rapporteur et le ministre de prendre la peine de répondre précisément sur chaque amendement : c’est loin d’être toujours le cas. J’espère que cela durera jusqu’à la fin de la discussion ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

En ce qui concerne mon amendement, je vais vous prendre au mot : je le retire, mais je n’oublierai pas les réponses que vous m’avez faites. Vous avez parlé de l’observatoire mis en place par Mme Lagarde, Monsieur le ministre : j’en conclus que ses travaux nous permettront de disposer d’éléments sur l’évolution des coûts des produits de première nécessité. Vous m’expliquez quant à vous, Monsieur le rapporteur, que la commission des affaires économiques va créer une mission d’information : je ne doute pas qu’elle précisera ses objectifs, en particulier sur l’évolution du coût des produits de première nécessité. Je compte donc que dans six mois, nous aurons toutes les précisions utiles !

L'amendement 314 rectifié est retiré.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 20 heures 20.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

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