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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du mardi 8 janvier 2008

3ème séance
Séance de 22 heures
94ème séance de la session
Présidence de M. Rudy Salles, Vice-Président

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La séance est ouverte à vingt-deux heures.

RÉTENTION DE SÛRETÉ (SUITE)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

M. le Président – Nous abordons la discussion générale.

M. Jean-Paul Garraud – Ce projet de loi d’importance concerne principalement les quelques dizaines de grands prédateurs qui se moquent des lois et surtout des êtres humains pour satisfaire leurs pulsions, qui sont toujours dangereux à leur sortie de prison, qui récidiveront parce qu’ils ne peuvent pas se réinsérer en l’état mais dont nous ne pouvons pas actuellement nous protéger faute d’outils juridiques adaptés. Ce projet de loi permet également de prendre en considération le sort des victimes, que l’auteur des faits soit pénalement responsable ou non – autrement dit, que sa dangerosité soit d’ordre criminologique ou psychiatrique.

Qui n’a pas été victime ne comprend pas toujours l’isolement et le sentiment d’injustice que celles-ci ressentent. Si le criminel décide de passer à l’acte, la victime, elle, subit toujours. Il faut donc saluer le travail remarquable réalisé par les associations de victimes ou de parents d’enfants assassinés. Je ressens beaucoup d’admiration pour ces personnes qui refusent la vengeance et qui font toujours confiance à la justice de leur pays malgré ce qu’elles ont vécu. Sommes-nous tous sûrs que face au viol et au meurtre de nos propres enfants, nous réagirions de même ? Cependant, le sentiment d’injustice est encore pire lorsque l’auteur des faits est déclaré irresponsable : un non-lieu intervient, comme s’il était reconnu innocent, et il échappe au judiciaire pour entrer dans un circuit médical sur lequel les victimes n'ont plus aucune information. Sans compter ces cas où la victime rencontre par hasard son tortionnaire au détour d'une rue...

S'il n'est pas question de juger les fous, il reste nécessaire de rappeler qu’être victime d'un responsable ou d'un irresponsable pénal provoque le même traumatisme, les mêmes dégâts physiques et psychiques. Il est important que la puissance publique s’en rende compte et prenne l'initiative de soutenir les victimes. C'est maintenant chose faite avec ce projet. Au stade de l'instruction, une véritable audience se déroulera devant la chambre de l'instruction, qui statuera à l'issue d'un débat contradictoire et pourra prononcer l'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Il sera toutefois clairement affirmé que l'infraction est bien imputable à son auteur : la différence est ainsi enfin consacrée entre l'imputabilité et la responsabilité.

Il en sera de même au stade du jugement : la décision ne sera plus la relaxe ou l'acquittement, mais une déclaration d'irresponsabilité pénale avec inscription au casier judiciaire de l'intéressé. Sachant qu'un individu peut être reconnu responsable pour certains faits et irresponsable pour d'autres, il est en effet important que l'autorité judiciaire ait à sa disposition toutes les informations sur l'intéressé. Le statut de la victime s’en trouvera renforcé.

Sans discuter de la technique procédurale, je voudrais insister sur le fait que les principes qui nous animent ne doivent pas être caricaturés. Certains membres de l'opposition agitent les peurs en dénonçant un texte liberticide, mais le problème à régler est clair : j’ai connu, en tant que magistrat, des individus ayant commis des faits particulièrement odieux et qui étaient libérés en fin de peine sans aucun contrôle, alors que la récidive ne faisait aucun doute. J’en ai connu un qui a été condamné trois fois à perpétuité pour meurtre et assassinat. N'était-ce pas deux fois de trop ? J’en ai connu qui refusaient de sortir car ils savaient qu'ils ne pourraient résister à leurs pulsions. J'ai connu également des juges d'application des peines qui, pour éviter que certains délinquants sortent sans contrôle, ont préféré prendre l’énorme responsabilité de les libérer de façon anticipée, en libération conditionnelle, afin de pouvoir les placer sous surveillance. Ce vide juridique doit être comblé ! Au lieu de se draper dans un angélisme béat, ne faut-il pas s’attacher à trouver les solutions ? Est-il responsable de s’indigner à chaque fait divers, d’assurer les familles de son soutien et de ne pas agir ? Nous ne vivons pas dans un monde parfait. Il est de notre devoir d'intervenir, dans le respect de nos principes démocratiques et de la Convention européenne des droits de l'homme – mais les droits de l'homme sont aussi ceux des victimes.

Nous ne légiférons pas sous le coup de l'émotion. Des réflexions sont menées depuis des années – pour ma part, j'avais formulé 21 préconisations dans un rapport d’octobre 2006. Plusieurs textes s'inspirent déjà des travaux menés sur la dangerosité criminologique, dont celui du 12 décembre 2005 qui instaure le bracelet électronique mobile. Au cours de la préparation de cette proposition de loi, nous avions d’ailleurs beaucoup travaillé sur la question de l'évaluation de la dangerosité. L’actuel projet de loi est donc l’aboutissement de toute une évolution. J’insiste pour qu’il nous permette d’aller au bout de notre logique et de rendre le système totalement cohérent. Avec le bracelet électronique, une étape importante a été franchie mais un tel dispositif reste très insuffisant pour un Fourniret, un Heaulme, un Bodein ou un Guy Georges. L'évaluation de la dangerosité exige, pour ces cas, une mesure de sûreté qui succède à la peine lorsque, manifestement, des précautions de défense sociale s’imposent.

Oui, il faut prendre, à l’encontre de certains individus et selon des conditions très précises, des mesures de protection. Il n'y a pas de honte à affirmer que c’est nécessaire pour éviter des drames tels que celui dont la jeune Anne-Lorraine Schmitt a été victime. À ceux qui assènent une morale issue d’un détournement de la théorie des droits de l'homme et qui veulent nous discréditer en diabolisant le texte, il faut rappeler les garanties que comporte le texte. Ainsi, seule l'autorité judiciaire pourra décider de l'application du dispositif, à des délinquants condamnés à quinze ans au moins de réclusion criminelle pour des faits de meurtre, d'assassinat, d'actes de torture ou de barbarie, ou de viol. La rétention de sûreté s’ajoute aux outils juridiques existants et la juridiction décidera souverainement de l’appliquer ou non.

Je suis par ailleurs heureux que la commission des lois ait étendu le champ d’application de cette mesure aux auteurs de faits criminels commis sur tous les mineurs, et non seulement sur les moins de quinze ans, ainsi que cela était initialement prévu. Aucune différence ne doit être faite entre les victimes selon leur âge. Comment expliquer aux familles qu’un criminel serait moins dangereux au motif que sa victime était majeure ?

M. le Président – Merci de conclure, Monsieur Garraud.

M. Jean-Paul Garraud – Nous évoquerons plus tard l’exemple des pays étrangers. Ce qui est sûr, c’est que ce texte répond à des impératifs de sécurité pour nos concitoyens, de fermeté dans le traitement des états dangereux mais aussi d'humanité, en permettant un traitement adapté des individus concernés mais un traitement qui vise aussi à les réinsérer dans le tissu social, ce qui est l’objectif final (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Élisabeth Guigou – Ce nouveau projet de loi nous est présenté à la suite de deux faits divers qui ont fortement ému l'opinion : l'agression sexuelle commise sur le petit Enis par un multirécidiviste, et le meurtre de deux infirmières de l'hôpital psychiatrique de Pau, commis par un malade mental. Évitons les réactions émotionnelles pour répondre aux deux seules questions qui vaillent : ce texte améliore-t-il l'efficacité de la loi, et respecte-t-il les valeurs dont la France se prévaut ?

On dénombre chaque année en France plusieurs milliers de viols sur mineurs et 80 homicides. Face à cette tragique réalité, j’espère que nous échapperons aux procès d'intention et aux accusations de laxisme. Tous les élus, sur tous les bancs, veulent éviter la récidive des délinquants sexuels une fois leur peine exécutée et veulent mettre ceux qui demeurent dangereux hors d'état de nuire.

Mais faire croire à nos concitoyens qu’en empilant lois sur lois, on va faire disparaître la délinquance et empêcher tout crime, c'est leur mentir. La seule vraie question est donc celle-ci : votre texte apporte-t-il des réponses efficaces contre la récidive des délinquants sexuels, dans le respect des grands principes qui fondent notre État de droit ? Je ne le crois pas, et voici pourquoi.

Tout d’abord, l'arsenal législatif est très complet. La loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs, que j'ai eu l'honneur de défendre, a institué l'injonction de soins dès le début de la peine de prison, le suivi socio-judiciaire à l’issue de celle-ci et le fichier national automatisé des empreintes génétiques. La loi Perben II portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, en 2004, et la loi Clément relative au traitement de la récidive des infractions pénales, en 2005, ont durci les peines en cas de récidive, prévu d'appliquer le suivi socio-judiciaire sans limitation de durée, étendu le fichier judiciaire avec obligation de se présenter à la police et élargi l'utilisation du bracelet électronique, créé en 1997. Enfin, la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs que vous avez vous-même présentée, Madame la ministre, instaure les peines planchers et rend les soins obligatoires.

Ce qui fait problème, ce n’est donc pas la carence de la loi, c’est l'insuffisance des moyens de l’appliquer.

Pendant l'exécution de leur peine, combien de délinquants sexuels bénéficient des soins prévus par les lois en vigueur ? On réduirait considérablement le risque de récidive s’ils étaient suivis médicalement dès le début de leur incarcération, mais les médecins psychiatres ne sont pas assez nombreux pour cela ; les plans de recrutement annoncés n'ont jamais été réalisés. Le service médico-psychologique régional du centre de détention de Caen, où a été détenu Francis Evrard, a fermé ses 12 lits en juillet 2005 par manque de psychiatres !

M. Serge Blisko – C’est scandaleux !

Mme Élisabeth Guigou – Vous dites que Francis Evrard a refusé de se soigner, mais le lui a-t-on proposé ? Dans quelles conditions ? Nous exigeons des réponses précises à ces questions, Madame la ministre. La misère de la psychiatrie en prison est d'autant plus alarmante que le nombre de détenus atteints de troubles mentaux a beaucoup augmenté ; la surpopulation carcérale ne fait qu’aggraver la situation. Il faut donc se concentrer sur les moyens, plutôt que sur le vote de nouvelles lois ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

Qu’en est-il à la sortie de prison des délinquants sexuels ? Ils devraient être soumis à un suivi socio-judiciaire au sens de la loi de 1998 si le jugement l'a décidé, ou à la mesure de surveillance judiciaire prévue par la loi de 2005. Avec 250 juges d'application des peines pour 180 000 personnes à suivre, soit en moyenne 750 dossiers par magistrat, on imagine la qualité du suivi individuel ! Comment se fait-il, Madame la ministre, que Francis Evrard, libéré une troisième fois après 32 ans de prison et alors qu'il avait déjà récidivé deux fois, n'ait pu avoir de rendez-vous avec le juge d’application des peines que sept semaines après sa libération ? Pourquoi n'a-t-il pas été soumis à la surveillance judiciaire ? Pourquoi n'avait-il pas de bracelet électronique ? Pourquoi a-t-il pu changer de département sans que personne ne s’alarme ? Là aussi, je vous demande des réponses précises.

Plutôt que de surfer sur l'émotion, il eût été plus utile de présenter à l'Assemblée un bilan de l'application des lois existantes.

Votre projet, de surcroît, tourne le dos à des principes fondamentaux de notre État de droit. Vous proposez en effet qu’après l'exécution de la peine de prison, on puisse prolonger, sans limitation de durée, l'enfermement des personnes considérées comme d'une particulière dangerosité et susceptibles de récidiver. Or, dans notre droit, une personne ne peut être condamnée sur le fondement d’une présomption de culpabilité future, d’une dangerosité virtuelle, mais seulement sur celui d’un acte commis et prouvé par la justice ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC) Vous tournez le dos à un principe issu de 1789 et vous nous proposez une justice d'élimination, s'appliquant aux citoyens non pour ce qu'ils ont fait mais pour ce qu'ils sont censés être ou devenir.

Par ailleurs, prévoir qu'une rétention de sûreté peut être décidée par une commission est contraire à la Constitution : une commission ne peut revenir sur un jugement ; seule une décision de justice peut le faire.

Ce texte comblerait-il un vide juridique ? Pas du tout ! La procédure de l'hospitalisation d'office, prononcée par le préfet sur certificat médical, permet déjà de traiter en hôpital psychiatrique des personnes qui refusent de se soigner et dont les troubles mentaux compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte à l'ordre public. Ce dispositif s’applique bien entendu aux détenus. L'hospitalisation d'office est une procédure administrative et médicale ; vous ne devez pas, Madame la garde des sceaux, en faire une décision judiciaire. Il est déjà suffisamment scandaleux que des malades mentaux soient en prison ! Au lieu d’aggraver cette évolution, votre rôle serait au contraire de l'enrayer en obtenant de votre collègue de la santé le recrutement de psychiatres.

À l’appui de votre dispositif, vous évoquez des exemples étrangers. Mais aux Pays-Bas, la « mise sous tutelle judiciaire » se substitue à la peine. Il en est de même en Belgique ; et en Allemagne, le système pénal est beaucoup moins répressif qu’en France.

M. le Président – Je vous prie de conclure.

Mme Élisabeth Guigou – Je vous demande de faire preuve de la même tolérance qu’avec d’autres, Monsieur le Président, car je voudrais évoquer encore la déclaration d'irresponsabilité pénale. Votre projet fait ressembler la chambre de l'instruction à une juridiction de jugement ; or c'est la distinction entre les deux qui garantit la présomption d'innocence.

Madame la ministre, vous nous présentez au nom du marketing politique un texte dangereux, qui autorise toutes les dérives, toutes les escalades, comme le montrent certains amendements. Madame la ministre, Monsieur le rapporteur, anciens magistrats, vous tournez le dos à Beccaria, nourri de la philosophie des Lumières, vous choisissez Lombroso et son « homme criminel ». Or, vous le savez, c'est cette philosophie positiviste qui a conduit aux pires débordements de l'Allemagne nazie (Très vives protestations sur les bancs du groupe UMP). Je vous demande, mes chers collègues, de rejeter ce texte dangereux et d'exiger un bilan des lois existantes, en vue de dégager les moyens nécessaires à leur application (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. le Président – Je rappelle que chacun doit respecter son temps de parole.

Mme Jacqueline Fraysse – Ce énième projet de loi touchant au droit pénal traite sans aucun doute de questions très importantes. Cependant, tous ceux qui l’ont précédé au cours de ces cinq dernières années n’ont rien résolu et, de surcroît, relevaient de conceptions inacceptables. Pour éviter les crimes, il faut d’abord mener une politique de prévention, même si ce n’est pas directement notre sujet aujourd’hui. Nous devons également nous interroger sur le rôle de la prison. Au-delà de la protection immédiate de la société, elle doit permettre un travail de réflexion de la personne elle-même sur son geste. Elle doit également permettre de traiter tous ceux qui en ont besoin et préparer la réinsertion : cela exige des moyens. Mais votre démarche est bien différente. Après la loi d'août dernier sur les peines planchers, qui a suivi celle de décembre 2005 sur la surveillance judiciaire, vous nous en proposez une troisième. Que signifie cette juxtaposition de textes, alors que les mesures votées n'ont pas encore dépassé le stade de l'expérimentation – je pense notamment au bracelet électronique ?

Certes, la récidive est une question en soi. Même si elle concerne seulement 1 % des criminels libérés, c'est encore trop ; mais ce n'est pas en multipliant les textes que vous réglerez le problème.

Force est de constater qu'il s'agit pour vous avant tout de jouer sur l'émotion légitime suscitée par des actes criminels. Cette posture démagogique est indigne. On ne mène pas une politique en surfant sur le malheur des gens !

L'affaire Evrard, qui est à l'origine de votre texte, est surtout emblématique de l'incapacité de notre système à prendre en charge efficacement les auteurs de ces tragédies. Or, non seulement ce que vous proposez ne permettra pas de résoudre les difficiles problèmes posés, mais vous instaurez de fait une peine perpétuelle sanctionnant l’hypothèse d’un acte.

Le fil conducteur de ce texte est, en effet, la « dangerosité », qui serait caractérisée par « le risque particulièrement élevé de commettre à nouveau » une infraction. Point n’est besoin d'être grand juriste pour mesurer l’arbitraire d’une telle disposition et les dérives qu’elle permet ou, pire, qu’elle promet. Notre histoire a pourtant montré jusqu'où cela pouvait conduire et comment des considérations pseudo-scientifiques se référant à la génétique, telles qu’en livre volontiers le Président de la République, pouvaient être interprétées.

Une réforme pénitentiaire devrait avoir pour ambition d'apporter des soins dignes de ce nom et un suivi social au détenu dès le début de sa détention. Pourquoi attendre que la peine soit effectuée pour lui proposer une prise en charge médicale et sociale ? Je rejoins sur ce point les critiques du président de l'Union nationale des magistrats – qui déplore l'absence de mesures relatives au suivi en milieu carcéral et l'absence de moyens pendant l'incarcération –, et celles de la présidente du Syndicat de la magistrature – qui souligne que « c'est la peine de prison qui doit être le temps utile pour travailler sur le passage à l'acte et préparer la sortie ».

Pourquoi l'État ne prend-il pas ses responsabilités, dans le cadre d'une obligation de moyens, dès la condamnation ? Pourquoi attendre la fin de la détention pour envisager le placement du condamné dans un centre « socio-médico-judiciaire » ?

Vous prétendez que cette nouvelle privation de liberté, prononcée une fois accomplie l’intégralité de la peine décidée par un jury souverain, ne serait pas une peine. C'est faux ! La « rétention de sûreté » conduit à prolonger, de surcroît avec des possibilités de renouvellement à l’infini, un emprisonnement de fait.

La distinction entre mesure de sûreté et peine n'est pas neuve, et elle a déjà fait l'objet d'une décision du Conseil constitutionnel en 2005, au lendemain de l’adoption de la loi sur la surveillance judiciaire autorisant l’utilisation du bracelet électronique et l’injonction de soins. Mais la « rétention de sûreté », malgré toutes les précautions de langage, est bien une peine privative de liberté, et l’exposé des motifs du projet est d'ailleurs on ne peut plus clair puisqu’il précise que « pendant cette rétention, la personne bénéficiera de droits similaires à ceux des détenus ».

Par ailleurs, si la « rétention de sûreté » est censée être limitée à des cas exceptionnels, vous devez mesurer, Madame la ministre, que ce texte ouvre la porte à de futures lois qui étendront son champ d'application. D'ailleurs, comme vous le savez, la commission des lois a déjà décidé d'étendre cette peine aux crimes commis sur les mineurs de plus de 15 ans et le rapporteur a déposé un amendement qui l’étend à tous les criminels sexuels. Qu'en sera-t-il demain ? Souvenons-nous de ce qui s'est produit avec le fichage initialement conçu pour des infractions à caractère sexuel : il est aujourd'hui étendu à la presque totalité des infractions pénales.

De nombreux professionnels, dont votre éminent prédécesseur, M. Badinter, le dénoncent : ce projet marque un grave changement d’orientation pour notre justice qui, désormais, punira le crime avant même qu'il soit commis. Comme vous le savez, la plupart des associations telles le Genepi ou l’OlP, mais aussi les syndicats des personnels pénitentiaires et de la magistrature contestent votre philosophie et rejettent ce texte.

Faute de donner les moyens de traitement, de suivi et de soutien social nécessaires pour offrir une chance de reconstruction aux personnes concernées, votre texte manque définitivement au devoir d'aide à la réinsertion et se limite à prolonger, inefficacement, l'enfermement. Alors que M. Sarkozy multiplie les discours sur « politique de civilisation » et « politique de l'homme », ce projet constitue un grave recul, particulièrement choquant dans notre pays, berceau des droits de l'homme et du citoyen, de l'école de Jules Ferry, de la laïcité, de la sécurité sociale, du droit du travail, des congés payés et du service public – autant de progrès que vous vous appliquez consciencieusement à démolir l’un après l’autre, ce que le Président de la République a omis de dire ce matin (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Votre politique, Madame la garde des sceaux, marque décidément un véritable recul de civilisation, et nous n’envisageons nullement de voter ce texte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC)

M. Michel Hunault – Mme Guigou, s’exprimant au nom du groupe socialiste, a assimilé ce projet à ce qui s’est passé dans l’Allemagne nazie… (Vives protestations sur les bancs du groupe SRC)

Mme Élisabeth Guigou – Je n’ai pas dit cela !

M. Michel Hunault – C’est pourtant ce que nous avons entendu… (Vives exclamations sur les mêmes bancs)

M. Jean-Paul Garraud – Et c’est scandaleux !

Mme Élisabeth Guigou – Rappel au Règlement !

M. Michel Hunault – Si ça vous chante ! (Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. le Président – Poursuivez, Monsieur Hunault ! (Vives protestations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Michel Hunault – Quand, en 1998, alors garde des sceaux, vous avez proposé, Madame Guigou, un texte que la commission des lois a salué ce matin comme une étape importante dans la lutte contre la délinquance sexuelle, vous avez trouvé à vos côtés une opposition constructive, qui s’est efforcée d’améliorer ce projet. Il s’agit ici de tenir compte de la dangerosité de certains détenus et de s’attaquer ainsi à un problème qui, parce qu’il est très difficile de le résoudre, demande beaucoup de modestie. Nous ne légiférons pas sous le coup de l’émotion mais dans la sérénité… (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Serge Blisko – Eh bien ! Que serait-ce !

M. Michel Hunault – … et je suis convaincu que chacun dans cet hémicycle, majorité et opposition confondues, vise le même objectif. Il y a, dans les tribunes, des parents dont les enfants ont été assassinés, et je souhaite que nous pesions nos mots lorsque nous chercherons à améliorer le texte, car le Gouvernement est ouvert à la discussion. Notre rapporteur a réalisé un remarquable travail d’écoute pour relever le défi que représente la lutte contre la récidive des détenus les plus dangereux. Qui, depuis six ans, a proposé des budgets successifs augmentant les moyens de la justice ? Qui, lors de l’examen de la dernière loi de finances, a proposé d’accroître de 7 % les moyens alloués à l’administration pénitentiaire ? Jamais un aussi vaste plan de modernisation des lieux privatifs de liberté n’avait été proposé, et Mme la garde des sceaux a lancé le chantier de la loi pénitentiaire, qui vise notamment à réduire la surpopulation carcérale. Tout cela, nous dites-vous, n’est pas suffisant ; mais alors, aidez-nous en votant des budgets permettant d’accroître encore les moyens de la justice !

M. François Sauvadet – Très bien !

M. Michel Hunault – Il le faut car, sur ce point, nous vous rejoignons : le juge doit pouvoir prescrire un suivi médico-socio-judiciaire effectif, sinon cette loi sera vide de sens. Or les moyens sont catastrophiquement insuffisants.

La rétention de sûreté est contestée. Je suis pourtant cosignataire d’un amendement qui vise à étendre le champ de la mesure, car je considère qu’il n’y a pas lieu de faire des distinctions entre les victimes. Le Nouveau Centre considère le projet comme un texte de protection de la société. Est-il utile de légiférer ? a demandé Mme Guigou. Selon nous, oui, car les cas cités par Mme la garde des sceaux signalent des failles dans notre législation.

Nous nous devons de protéger la société, ce qui n’empêche nullement d’être pénétré des principes essentiels, dont celui du respect de la dignité humaine. Pour avoir, en qualité de rapporteur de la Charte pénitentiaire pour le Conseil de l’Europe, visité des établissements privatifs de liberté dans les lieux les plus éloignés, j’ai pu mesurer leur état et l’atteinte à cette dignité qui en résultait. Cependant, tout prisonnier a vocation à sortir un jour et, dans le cas des plus dangereux, c’est une obligation pour la société de prévoir un suivi et d’évaluer d’abord leur degré de dangerosité.

M. François Sauvadet – Très bien.

M. Michel Hunault – On ne peut admettre que des criminels bénéficiant de remises de peine aient récidivé.

Ce texte ne doit certes pas mettre en cause les principes dont nous sommes garants. Un amendement du Gouvernement porte sur le cas des détenus déjà jugés. Il pose une difficulté. Nous en débattrons avec le souci de veiller à la non-rétroactivité de la loi. En tout cas, et je le dis avec humilité et modestie, nous n’avons pas à recevoir de leçons de la gauche sur des principes auxquels nous sommes très attachés.

Au nom du respect que nous portons aux parents des victimes, restons dignes. Il n’y a chez eux aucun esprit de vengeance mais une force de vivre, le sens du pardon, et aussi l’exigence d’améliorer la loi afin que ne se reproduisent pas les tragédies qui ont frappé les leurs. Certes, une loi n’arrêtera pas le crime, mais nous devons tout mettre en œuvre pour éviter celui-ci. C’est donc avec confiance, Madame la garde des sceaux, que nous vous apportons notre soutien, dans la fidélité à nos valeurs communes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et les bancs du groupe UMP)

Mme Élisabeth Guigou – Rappel au Règlement, fondé sur l’article 58, alinéa 1. Sur un sujet aussi grave, nous devons éviter tout procès d’intention (vives exclamations sur les bancs du groupe UMP). Il faut s’en tenir aux mots utilisés, et j’ai pesé ceux que j’ai employés (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Je les répète : « Madame la ministre, Monsieur le rapporteur, anciens magistrats, vous tournez le dos à Beccaria nourri de la philosophie des Lumières, vous choisissez Lombroso et son “homme criminel”. Or c’est cette philosophie positiviste qui a conduit à des débordements qui sont ceux de l’Allemagne nazie » (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Mme Marie-Louise Fort – C’est un scandale !

M. Richard Mallié – Où est le rappel au Règlement ?

Mme Élisabeth Guigou – C’est cela qui est en jeu. Il faut faire très attention.

M. le Président – Le rappel au Règlement est terminé.

Mme Élisabeth Guigou – Le rappel au Règlement, c’est pour dire que je n’ai jamais prétendu que l’on voulait aboutir aux mêmes débordements, mais que c’est ce même type de loi qui avait conduit à ces débordements.

M. le Président – Votre rappel au Règlement est terminé.

Mme Élisabeth Guigou – Je veux utiliser le temps de parole qui me revient (Brouhaha sur les bancs du groupe UMP). Nous sommes solidaires de la douleur des victimes, mais nous devons faire attention.

M. Gérard Voisin – C’est honteux !

M. Charles de la Verpillière – Excusez-vous !

M. le Président – Votre rappel au Règlement est terminé.

Mme Élisabeth Guigou – Nous ne voulons pas d’un texte qui va autoriser tous les dérapages… (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Charles de la Verpillière – C’est vous qui dérapez !

Mme Élisabeth Guigou – …comme les amendements du rapporteur le montrent.

M. Serge Blisko – Rappel au Règlement !

M. le Président – Nous allons poursuivre la discussion générale. Non, Monsieur Blisko, il n’y aura pas de deuxième rappel au Règlement. La parole est à M. Mallié.

M. Serge Blisko – Je demande une suspension de séance et elle est de droit !

M. Richard Mallié – La conception moderne de la prison est née avec la Révolution française et l’instauration de la privation de liberté comme sanction.

M. Serge Blisko – Je demande une suspension de séance immédiatement.

M. le Président – Non, Monsieur Mallié a la parole.

M. Richard Mallié – La mission de l’administration pénitentiaire… (M. Blisko continue à demander une suspension de séance) Monsieur Blisko, ayez la courtoisie de m’écouter !

M. le Président – Monsieur Blisko, vous n’avez pas la parole. Vous demanderez une suspension de séance au nom de votre groupe après l’intervention de M. Mallié (Protestations sur les bancs du groupe SRC).

M. Richard Mallié –. La mission de l'administration pénitentiaire est triple : assurer la sanction du condamné, permettre sa réinsertion et protéger la société.

Cependant, comme l'a souligné Jean-Paul Garraud, qui travaille depuis des années sur ces questions, il existe des personnes très difficilement réinsérables, voire pas du tout, et des personnes qui représentent un danger élevé pour nos enfants et pour la société.

Le viol, la torture, et les actes de barbarie sont encore plus odieux lorsqu'ils sont commis sur des enfants.

La loi du 12 décembre 2005 avec le bracelet électronique, celle du 5 mars 2007 avec le fichier judiciaire national et celle du 10 août 2007 instaurant les peines planchers ont permis de mieux lutter contre la récidive, sans protéger suffisamment la société contre les criminels les plus dangereux. En effet, même si le cadre juridique de l'injonction de soins a été renforcé, la prise en charge psychiatrique et l'offre de soins en détention restent insuffisantes. De plus, rien n'oblige aujourd'hui un condamné à se soigner. Peut-on laisser sortir de prison un individu extrêmement dangereux pour nos enfants ?

Les exemples de récidives de la part de criminels sexuels se multiplient. Celui qui a commis à vingt ans un viol sur mineur peut se retrouver en liberté à quarante ans. Ce n'est pas normal. Si la rupture consiste à dire qu'un individu ne doit pas être relâché dans la nature tant qu'il représente une menace pour nos enfants, alors je suis pour la rupture !

Un des principes de la République est d'assurer la protection de la société, et tout particulièrement des plus faibles. C'est pourquoi j'avais déposé en octobre 2004 une proposition de loi visant à ce que ne puissent être libérés avant l’âge de 70 ans les auteurs de crimes commis sur mineurs. Plus de cent parlementaires ont soutenu mon initiative. Peut-être avais-je raison trop tôt ?

Si la prise en charge en milieu ouvert ne suffit pas, si ces personnes représentent encore un danger, si elles ne veulent pas se soigner, il nous faut les placer en rétention à l'issue de leur détention. En effet, il s'agit, tout d'abord, de protéger nos enfants.

Ce texte traite de deux thèmes essentiels : le cas des agresseurs d'enfants et l'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

D'une part, il instaure une procédure de rétention de sûreté permettant de retenir dans des centres fermés les auteurs de ces crimes commis sur mineurs de moins de 15 ans présentant un risque élevé de récidive. Un tel dispositif est en vigueur depuis plus de quatre-vingts ans aux Pays-Bas, et aussi en Allemagne, en Belgique, au Canada.

Condamné à vingt-sept ans de prison, Francis Evrard est sorti au bout de dix-huit ans alors que trois expertises soulignaient une dangerosité et un risque de récidive élevés. Il est facile de déclarer dans la presse que ce texte marque un changement radical du droit, une dérive dangereuse au motif de combattre un délit virtuel. Mais qui a pensé au parent du petit Enis, qui a pensé à toutes ces familles brisées ?

Mme Jacqueline Fraysse – Il faut faire plus que penser !

M. Richard Mallié – Ce n'est pas l’angélisme qui nous apportera la réponse.

Il faut aujourd'hui agir et user du principe de précaution quand il existe des raisons suffisantes de croire qu'un individu risque de causer des dommages graves et irréversibles.

D'autre part, le texte améliore le traitement des auteurs d'infractions déclarés pénalement irresponsables. Il n'est pas acceptable que, dans ce cas, le juge d'instruction rende un « non-lieu » qui, pour les familles de victimes, signifie que rien ne s’est passé. Désormais, il y aura débat sur les éléments à charge et les déclarations d'irresponsabilité pénale seront inscrites au casier judiciaire.

Pour protéger les plus vulnérables, il est urgent de modifier l'état de notre droit pénal. J'espère sincèrement que ce texte va assez loin. Seul l'avenir nous le dira (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Serge Blisko – Jusqu’à présent, même si nos positions sont divergentes, opposition et majorité se sont écoutées. On n’a pas essayé de déformer les positions des autres. Mais M. Hunault a mis le feu aux poudres en engageant une polémique contre Mme Guigou. Celle-ci a relu ses propos, sans en retirer un mot : ils n’avaient rien à voir avec la caricature bassement politicienne qu’en a faite M. Hunault !

Je regrette donc, Monsieur le président, que vous n’ayez pas pu – ou voulu – me donner la parole avant M. Mallié. Le débat mérite d’être recentré sur l’essentiel, hors des caricatures et des approximations. Je demande donc une suspension de séance au nom de mon groupe (Murmures sur les bancs du groupe UMP).

M. Michel Voisin – Pourrait-on avoir des excuses avant ?

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois – Je ne partage pas entièrement l’avis de M. Blisko sur l’origine de cette tension, mais il me semble en effet opportun de suspendre la séance quelques instants pour pouvoir reprendre les débats dans un climat plus calme et dans le respect des opinions de chacun.

M. le Président – Telle était bien mon intention. Je n’ai pas refusé la parole à M. Blisko. Simplement, je l’avais déjà donnée à M. Mallié : il était normal qu’il puisse poursuivre. Je pense que les propos qui ont été tenus étaient excessifs d’un côté comme de l’autre. L’incident est clos. Je suspends donc la séance pour quelques instants.

La séance, suspendue à 23 heures, est reprise à 23 heures 10.

M. Jean Jacques Urvoas – Il est des sujets qui se prêtent davantage à s'opposer. Comment, en effet, ne pas partager la compassion que vous témoignez aux victimes et à leurs familles ? Comment ne pas vous suivre quand vous refusez de rester impuissante face à ces drames humains ? Comment ne pas comprendre votre souci d'adapter notre justice pour mieux protéger la société ?

Et pourtant, en conscience, je ne puis voter votre texte, tant sa genèse et sa philosophie me semblent aux antipodes de ce dont notre pays a besoin. Ce texte a une histoire. Vous l’avez vous-même revendiquée, Madame la ministre, estimant qu'il était logique de légiférer en tenant compte des questions que pose l’actualité. Je ne vous reproche pas ce point de vue. Mais de la prise en considération des inquiétudes de l’opinion à l’élaboration de politiques fondées sur l’émotion, il y a un fossé – que vous avez franchi.

Ce n'est pas là une première. Le fait divers semble être devenu ces dernières années le moteur exclusif de l’action gouvernementale en matière judiciaire. Il nourrit les rapports d'expert, régit l'ordre du jour du Parlement, engendre les lois. À chaque fait divers, son indignation populaire ; à chaque indignation populaire, sa réaction présidentielle ; à chaque réaction présidentielle, son texte législatif ; et à chaque texte législatif, son durcissement des peines. La nouveauté, c'est que nous sommes passés subrepticement de la démocratie d'opinion à la démocratie d'émotion. À l’inverse de ce que professait votre prédécesseur, Pascal Clément, on légifère désormais en fonction d'une seule affaire. Toute souffrance individuelle se doit d'obtenir une réponse publique, rapide à défaut de pouvoir être immédiate.

Nicolas Sarkozy le disait déjà en juillet 2006 : « Les droits de l'homme, pour moi, ce sont avant tout les droits de la victime ». La victime devient le cœur de l'appareil judiciaire, et sa douleur fait l'objet de ce qui s’apparente à une instrumentalisation. Je ne doute donc pas que les criminels seront plus durement châtiés que par le passé. Mais les victimes y trouveront-elles pour autant leur compte ? Les placer au centre du procès pénal est certes électoralement payant, émotionnellement stimulant et médiatiquement cohérent, mais cela ne rend pas la peine plus efficace. En outre, l’émotion peut être mauvaise conseillère, car elle est une invitation permanente à l'excès. Or la justice a besoin de mesure, et d'un garde des sceaux qui en soit le garant.

Il n’est pas sain que les plus hauts dignitaires de l’État, en bons propagateurs d’un populisme pénal, satisfassent la colère des victimes au détriment d’une justice équitable (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Le drame d’Outreau, auquel vous vous référez souvent, nous a au moins enseigné ceci : la justice doit rester à distance de l’opinion.

Loin de l’émotion, la loi doit être le fruit de mûres réflexions. En surfant sur la vague de l’immédiateté, vous songez sans doute à rallier momentanément l’opinion à votre politique répressive, mais vous sacrifiez du même coup la prévention et la réinsertion, et préparez ainsi l’aggravation inéluctable du taux de récidive. Il faut traiter les pédophiles et les malades mentaux, au lieu de les reléguer dans des asiles qui sont autant de bunkers coupés du monde (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Des années de recherche seront nécessaires au développement de thérapies plus efficaces, mais il faut persévérer, plutôt que d’alimenter le fantasme d’un monde exempt de tout risque (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Étienne Blanc – Au nom du groupe UMP, je tiens à vous féliciter pour le sang-froid dont vous faites preuve, Madame la garde des sceaux, face aux accusations d’obscurantisme dont vous êtes l’objet. Nous connaissons vos convictions, et vous savons au-dessus de tout soupçon. Le texte que vous nous présentez ne cache aucune intention sournoise. Au contraire, il met clairement la victime au cœur de notre droit – et, en l’occurrence, de l’article 122-1 du code pénal. Le système actuel est bien curieux, en effet : qu’une personne ayant commis un crime en état de démence soit déclarée non responsable est certainement une bonne chose, mais en prononçant un non-lieu, on laisse accroire à la famille que les faits ne se sont pas produits. Vous apportez enfin la réponse que les juristes souhaitent depuis si longtemps. Plutôt qu’un non-lieu, on saura désormais si les faits ont été commis ou non, s’ils sont imputables à la personne inculpée et, le cas échéant, si elle était en état d’irresponsabilité.

Par ailleurs, la victime d’une personne démente doit aujourd’hui saisir une juridiction civile après un non-lieu prononcé par le juge pénal, et en supporter la charge. En l’autorisant à se constituer partie civile devant le juge pénal, nous lui ouvrons un droit nouveau.

S’agissant de la rétention de sûreté, certains entretiennent une confusion, que les étudiants pénalistes ne commettent plus depuis longtemps, entre dangerosité psychiatrique et dangerosité criminologique.

Plusieurs députés du groupe SRC – Pas du tout !

Mme Élisabeth Guigou – C’est précisément ce que nous voulons éviter !

M. Étienne Blanc – Madame Guigou, vous avez été, en tant que garde des sceaux, confrontée à des affaires dramatiques. Nul ne vous soupçonne de ne pas en avoir été émue. Chacun sait qu’aujourd’hui, certains détenus achevant leur peine ne peuvent être hospitalisés d’office sous prétexte qu’ils ne présentent pas de dangerosité immédiate. Le présent texte comble cette faille en préparant la sortie des détenus longtemps à l’avance et en leur donnant les moyens de se réinsérer convenablement.

La politique et la justice ne sont pas affaire d’histoire : c’est pour l’avenir que nous légiférons ! Je me refuse à choisir entre Lombroso et Beccaria. Je suis persuadé qu’ils n’auraient pas écrit aujourd’hui ce qu’ils écrivirent jadis ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Élisabeth Guigou – Quel aveu !

M. Nicolas Dhuicq – Les mânes de Philippe Pinel, libérateur des aliénés, dont la statue orne l’entrée de la Salpêtrière, et celles de mes ancêtres aliénistes seraient, nous dit-on, choqués du texte qui nous est soumis.

M. Serge Blisko – Et même épouvantés !

M. Nicolas Dhuicq – Pourtant, c’est un texte révolutionnaire. Au sens premier du terme, d’abord : nous revenons enfin à la situation où la victime est au centre de l’appareil judiciaire. Ensuite, nous regardons la réalité en face : non, le monde n’est pas peuplé que de frères humains qui ont notre structure psychique. Y vivent également des pervers qui n’ont aucune empathie pour leurs victimes, qui n’attribuent aucune émotion à celles et ceux qu’ils violent et tuent, notamment les enfants.

Voici donc une loi juste et bonne dont nous pouvons être fiers. Certains rappellent que 1 % seulement de la population est atteinte de schizophrénie, mais ce ne sont pas ces personnes que la loi concerne. D’autres accusent l’émotion, ce défaut, d’être mauvaise conseillère. Pourtant, c’est cette capacité à éprouver des sentiments – y compris la culpabilité – qui fait de nous des êtres humains. Voilà ce qui manque aux pervers, à ceux qui ne considèrent l’autre que comme un objet de jouissance, à ceux qui, après vingt ans de prison, peuvent recommencer leurs crimes. Voilà ce que cette loi corrige !

Un grand débat sur la psychiatrie s’impose : nous n’y consacrons que 4 % de notre budget de la santé, contre 11 % ailleurs. Cependant, là n’est pas la question ce soir (« Si ! » sur les bancs du groupe SRC). Non, il s’agit aujourd’hui de morale. Il s’agit de reconnaître les victimes et de permettre aux familles de faire leur deuil en paix. Je serai fier de voter cette loi et de soutenir votre démarche courageuse, Madame la ministre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Martine Aurillac – Ce projet de loi tombe à point nommé pour répondre à l’inquiétude des Français, née de crimes odieux qui ont récemment frappé des enfants ou des soignants. Vous tenez ainsi, Madame la garde des sceaux, l’un des engagements du Président de la République auquel nos concitoyens sont particulièrement sensibles, et prouvez votre courage et votre fermeté en rétablissant l’équilibre entre les deux fonctions de l’autorité judiciaire – protection de la société et personnalisation de la peine. Ainsi, l’abandon du non-lieu, ce terme qui fait offense aux victimes d’agresseurs irresponsables, devrait faire consensus.

S’agissant de la rétention de sûreté, mesure judicieuse, je souhaiterais que vous puissiez rassurer nos concitoyens sur ses modalités d’application. D’une part, le bracelet électronique, pour être efficace, suppose, outre un contrôle, un dialogue effectif avec l’intéressé. Par ailleurs, le texte n’ayant pas de portée rétroactive, qu’envisagez-vous pour les condamnés en passe d’être libérés mais présentant un risque grave de récidive, notamment au cas où aucun examen de leur situation n’a été prévu ? Enfin, je veux évoquer ici une affaire atroce qui a endeuillé la France entière, et notamment le VIIe arrondissement de Paris, où le père de la victime exerce et où il est connu et très apprécié. La jeune Anne-Lorraine Schmitt a été assassinée un dimanche matin dans un train de banlieue par un violeur récidiviste qui tentait d’abuser d’elle. Elle avait vingt-trois ans.

Le viol est un crime particulièrement odieux et je ne vois guère de différence d'âge qui justifie un traitement différent du risque de récidive, à moins d'admettre qu'une jeune femme majeure mérite une moindre protection contre le viol qu'une mineure, ou que le violeur d'une majeure ne s'attaquera jamais à une mineure.

Voilà pourquoi j'ai cosigné un amendement tendant à étendre le champ des mesures envisagées à l’encontre des auteurs de crimes pédophiles. Les travaux de la commission des lois ont devancé fort heureusement mon intention et je souhaite ardemment que le Gouvernement s'y rallie.

Confirmez-nous, je vous en prie, Madame la garde des sceaux, que le calvaire d’Anne-Lorraine ne pourra plus jamais se reproduire. Sous le bénéfice de ces observations, je voterai bien sûr ce projet de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Dominique Orliac – Une fois encore, ce gouvernement nous propose un texte fondé sur l'émotion et le pathos, mais aussi sur le mythe illusoire et liberticide du « risque zéro », c’est-à-dire celui de la sécurité absolue. Il est évident que ce projet de loi ne repose pas sur les valeurs républicaines de justice, d'éthique et d'humanisme qui doivent guider au quotidien les professionnels de la justice et de la santé, et que nous devons partager en tant que législateurs.

Par-delà les objectifs affichés, nécessairement consensuels lorsque la communication prend le pas sur la complexité du réel, ce projet de loi est particulièrement dangereux. C’est pourquoi les députés radicaux de gauche ont fait le choix, en conscience, de le rejeter.

Avec ce texte, vous faites encore pencher la balance de la justice du côté de l’émotion au détriment de la raison. Si l'émotion est parfaitement légitime devant l'horreur des faits, la noble mission du législateur est d’en faire abstraction, de sorte que la règle de droit ne soit jamais le produit d'une récupération politique des affects. Tous ces faits atroces ont suscité une réelle et légitime émotion, mais celle-ci ne saurait guider la politique pénale (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), qui doit être au contraire le fruit d'une réflexion associant tous les spécialistes de la justice, de la prison et de la psychiatrie.

Votre projet de loi, Madame le garde des sceaux, est un leurre : il n'est bâti ni sur la réflexion, ni sur l'expertise, mais d'abord sur l'émotion. Du discours qui associe émotion et populisme à l'illusion législative, il n'y a qu'un pas, que vous franchissez de la façon la plus décomplexée qui soit. En voulant apporter de fausses réponses aux victimes et à leur famille, vous oubliez totalement les délinquants et vous faites fausse route.

À la raison, à l'éducation ou encore aux soins, vous préférez l'enfermement prolongé, le chemin le plus court de la facilité et du manichéisme simplificateur, qui oppose « prédateurs » et « victimes », « coupables » et « innocents », « méchants » et « gentils » (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Prendre en compte les premiers n'a jamais signifié abandonner les seconds, et pourtant vous présentez un texte destiné aux seules victimes, reposant sur le postulat que la sécurité absolue dépend d’une prédiction de dangerosité : tout condamné devient pour vous un récidiviste potentiel qu'il faut à tout prix neutraliser au-delà de la peine qui a été prononcée, au mépris de la présomption d'innocence et des possibilités de réinsertion.

Cette illusion de sécurité absolue mine les libertés fondamentales puisqu'elle tend à maintenir enfermées des personnes qui ont purgé leurs peines et n'ont commis aucune nouvelle infraction. Votre dispositif repose sur une philosophie de l'enfermement qui, sous prétexte de lutter contre la récidive, instaure une législation purement répressive et attentatoire aux libertés publiques (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Il s'agit, ni plus ni moins, de procéder à des enfermements préventifs sur la base d'une présomption d'infractions à venir. Ce glissement d'une justice de responsabilité vers une justice de dangerosité est inacceptable ! (Même mouvement)

Dans une note qui vient d’être publiée, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) a fait part de sa vive inquiétude quant à l'introduction du concept très flou de dangerosité. L’appréciation de ce risque se fondera sur une simple expertise médicale, ce qui témoigne d'une grave confusion entre délinquance et maladie mentale : tous les professionnels reconnaissent que le lien entre dangerosité psychiatrique et dangerosité criminologique n’a rien d’automatique. Pourquoi nous présenter un texte fondé sur de telles simplifications ?

En remplaçant la réalité de l'infraction par un diagnostic subjectif de dangerosité, vous supposez une prédisposition innée ou acquise à commettre des crimes, et vous déniez toute possibilité de changement, de guérison ou de réinsertion. C'est probablement pour cela que vous refusez de faire porter les efforts humains et financiers sur les conditions de détention dans nos prisons, pourtant régulièrement qualifiées d'humiliantes pour notre République.

Il est temps d'admettre certaines vérités : le « risque zéro » n'existera jamais, pas plus que la sécurité absolue, quels que soient les textes répressifs que vous pourriez être tentés de présenter à notre assemblée.

L’évaluation de la dangerosité d'un individu ne sera jamais une science exacte, et le diagnostic médical n’aura jamais valeur de pronostic. Enfin, la justice ne saurait se confondre avec la vengeance, ni même avec la compassion pour les victimes. Le risque est grand, Madame le garde des sceaux, que l'autorité judiciaire dont vous avez la lourde charge cesse d’être synonyme de justice (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

Mme Françoise Hostalier – En tant que citoyenne, j'adhère totalement à votre volonté de prévenir la récidive des crimes odieux dont nous avons récemment connu plusieurs exemples. Ce texte pose pourtant bien des problèmes à mes yeux.

Je regrette tout d’abord l’amalgame, sans doute involontaire, entre les criminels particulièrement dangereux qui pourraient récidiver et les personnes atteintes de troubles mentaux. Toutefois, je n'ai rien à dire contre le second volet du projet de loi, relatif à l'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental : ces dispositions me semblent nécessaires pour conforter les victimes dans leur dignité et leur droit, tout en garantissant l'état d'irresponsabilité de l'auteur d'un délit ou d'un crime s’il est atteint d’un trouble mental.

Cela étant, je crains qu’une fois de plus nous n’examinions une loi de pure opportunité qui vienne compléter, touche après touche, un arsenal juridique « en mouvement ». Cela ne me semble pas un gage d’efficacité… Comme le précise le rapporteur, ce texte participe à la réponse apportée aux événements tragiques qui ont récemment ému l'opinion publique, notamment les affaires Evrard et Dupuy. Il fait également suite à l’adoption de trois autres lois et de trois rapports en deux ans, ce qui m’inquiète fort du point de vue de la responsabilité politique : au lieu de réagir au coup par coup, nous devrions surmonter l’émotion, en particulier celle de l’opinion publique, et nous référer à des valeurs intangibles. Celles que je défends, pour ma part, sont celles des droits de l’homme.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission – C’est la conception de tous les députés ici présents !

Mme Françoise Hostalier – Malgré le vote récent de trois textes sur ce même sujet, nous allons encore adopter une loi spécifique pour quelques cas particuliers dont personne ne peut donner le nombre exact. Et dans le même temps, la plupart des juristes se plaignent des modifications permanentes de textes parfois modifiés avant même d'être appliqués pour la première fois.

Nous avions pris l'engagement de simplifier la vie de nos concitoyens, mais j'ai peur que nous ne fassions le contraire, car la dérive se poursuit : à chaque problème, sa loi. Quand on cherche à résoudre un problème très particulier par une loi très spécifique, on ne voit pas les « dommages collatéraux », les effets boule de neige que va avoir la modification d'un texte sur d'autres dispositifs. Il faudrait pour cela disposer d’études d’impact, que nous sommes nombreux dans cette assemblée à appeler de nos vœux avant l'examen de chaque texte législatif.

À cela s’ajoutent quelques problèmes d’ordre rédactionnel. La perle est sans doute l'alinéa 28, qui crée l'article 706-53-20 du code de procédure pénale, et ne renvoie pas à moins de huit articles de deux codes différents ! À l'alinéa 30, le flou des termes employés et leur homonymie pose également problème : « particulier » et « particulièrement » reviennent sans cesse, malgré leur dimension subjective qui ne facilitera pas le travail des juges.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission – La commission a fait son travail !

Mme Françoise Hostalier – Qu’est-ce qu’un « risque particulièrement élevé » de récidive ? Comment peut-on l'évaluer ? Qui le fera ? Qui sera responsable en cas d’erreur ? Les décrets d'application apporteront peut-être des réponses, mais tout cela ne simplifiera guère l’application de la loi.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission – Il n’y a pas de décret d’application pour la loi pénale !

Mme Françoise Hostalier – Plusieurs procès retentissants ont démontré tout à la fois le rôle immense joué par les experts et sa fragilité. Ils seront pourtant encore en première ligne…

Enfin, je trouve bien complexe le parcours effectué en commission.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission – Nous avons fait très sérieusement notre travail !

Mme Françoise Hostalier – Les personnes reconnues « particulièrement » dangereuses seront condamnées à une année de prolongation – indéfiniment renouvelable, ce qui revient à la prison à vie – sur le fondement d’une présomption de criminalité potentielle. Cela va à l’encontre des principes de la peine et de l'emprisonnement : une sanction doit répondre à une infraction commise, non à une présomption d'infraction que l'on pourrait commettre. Là encore, je m’interroge.

Pour le reste, moyennant des aménagements rédactionnels et parce qu'il faut bien trancher, je vous rejoins sur la nécessité de protéger les personnes les plus vulnérables de notre société. Mais nous sommes loin de bien utiliser tous les outils déjà à notre disposition (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC).

M. Jean-Frédéric Poisson – On a accusé ce texte de sacrifier aux exigences du positivisme juridique au mépris d’une approche psychosociale du crime, notamment sexuel. Je crois que c’était le sens de votre référence à Beccaria, Madame Guigou.

Mme Élisabeth Guigou – Je n’ai pas dit « psychosocial » !

M. Jean-Frédéric Poisson – Certains font comme si les personnes en cause étaient de parfaits innocents, indûment accusés… (Exclamations sur les bancs du groupe SRC)

M. Serge Blisko – Mais non !

M. Jean-Frédéric Poisson – …et accordent la priorité au doute sur le risque de récidive plutôt qu’à la certitude des crimes déjà commis. On veut également croire que quinze années de détention auront permis de réparer le psychisme abîmé de criminels malades, alors qu’elles n’ont fait que solder une dette à l’égard du corps social, ce qui bien sûr n’est pas rien.

On craint enfin, ou bien l’on feint de croire, que ce texte est porteur des germes les plus noirs, en oubliant que l’esprit même de la rétention de sûreté est déjà présent dans notre droit positif.

Permettez-moi d’apporter quelques éléments de réponse à ces objections. Il y a, je le crois, des criminels inguérissables, ou du moins des criminels que la détention n’a pas guéris. Il faut en prendre acte. Comme vous, je pense donc qu’une loi pénitentiaire est aujourd’hui nécessaire, ainsi qu’un effort très important d’accompagnement des détenus vers leur réinsertion. Une loi psychiatrique est également urgente, quoique pour des raisons différentes. En revanche, je pense que certains criminels ne peuvent pas, au terme de leur peine, vivre en société sans représenter un danger.

Alors, que faire ? Vous partez du principe qu’un accroissement des moyens d’insertion réglera la question. Nous pensons que dans certains cas, aucun moyen supplémentaire n’y fera. Aucun de nous ne peut avoir de certitude dans de telles matières, où se rejoignent, en se narguant presque, la faiblesse du criminel et l’imperfection du juge et de l’expert. Il s’agit donc d’un choix politique, mais fondé sur le constat partagé que certains criminels ne sont pas mûrs pour la liberté à la fin de leur peine. La rétention de sûreté n’est pas autre chose que la volonté de faire primer la sûreté de tous sur la liberté de circuler de quelques uns. C’est une manière de régler le conflit qui existe dans l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Je comprends que votre solution au même problème soit différente, mais il me semble que ce projet de loi présente toutes les garanties nécessaires au respect des personnes.

Rendre la justice aux victimes est la première forme et la première exigence de la justice. Il est normal de leur permettre d’obtenir la condamnation d’un coupable, quel que soit son état mental. Je ne partage pas les craintes qui ont été exprimées à ce sujet. Enfin, je ne pense pas qu’il faille faire des différences entre les victimes. J’ai déposé un amendement à ce propos et j’ai cru comprendre, Madame le garde des sceaux, qu’un accord était envisageable.

Conscient de la grande complexité du sujet, j’apporterai mon soutien à ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – La rétention de sûreté est une privation de liberté (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

C’est donc une atteinte à un droit fondamental qui doit avoir une cause, répondre aux critères de nécessité et de proportionnalité et éviter toute modalité infamante.

Toute politique pénale implique une réflexion sur le droit de punir, le sens de la peine et les droits de chacun. Le premier devoir de l'État, dans la conduite d’une telle politique, est celui de la vérité et du réalisme. Sa plus haute responsabilité, c'est que cette politique n'altère jamais sans raison les libertés individuelles.

M. Guénhaël Huet – Ben voyons !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Ce projet de loi est inspiré par une émotion légitime, suscitée par des drames dont personne ne sous-estime la gravité. Mais il s’inscrit dans la surenchère répressive que la majorité a instaurée comme unique réponse. Il met en lumière les limites du mythe de la tolérance zéro et du risque zéro. Il est un désaveu cinglant à la politique du tout-carcéral menée depuis six ans, au détriment d’une véritable politique pénale qui implique une coordination étroite entre tous les acteurs de la chaîne pénale, les scientifiques et le corps médical, mais aussi des études d'impact, d’une évaluation des lois en vigueur, d’une distance à l’égard d’une opinion publique versatile et d’un strict respect des principes fondamentaux de notre droit positif, intégrant les normes internationales des États démocratiques, le fruit du progrès d’une société civilisée.

Que peut-on attendre d'une loi dictée par l'émotion, élaborée dans la précipitation, sans aucune concertation avec ceux qui peuvent construire notre intelligence collective et qui devront l’appliquer – alors que nous attendons encore les décrets d'application des lois déjà votées ? C’est tout un arsenal juridique qui existe déjà, avec des outils parfois tout récents, comme le suivi socio-judiciaire, le bracelet électronique ou la surveillance judiciaire, qui méritent à tout le moins qu’on fasse le point sur leur efficacité. L'indigence du secteur psychiatrique dans le monde carcéral, les conditions de détention, la faiblesse des moyens d'insertion et de probation, les conditions de travail du personnel pénitentiaire, l'insuffisance du nombre de juges d'application des peines : c’est cela, le cœur du problème ! Il faut faire de la longue peine un temps utile permettant d’envisager la sortie du détenu avec un projet de vie et un véritable suivi thérapeutique.

M. Guénhaël Huet – Bref, il faut plus protéger les voyous que les victimes ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Cette loi est donc un rendez-vous manqué. Fonder l’enfermement sur un état de dangerosité, sans commission d'infraction, consacre une justice virtuelle – une non-justice à l'opposé de nos valeurs républicaines et de notre tradition juridique, où l'individu est appréhendé comme un être en devenir, quoi qu'il ait fait. Ce que vous introduisez, c’est une élimination sociale (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Votre dispositif ne repose pas sur le fait commis, mais sur le risque d'en voir commettre un autre. Êtes-vous prêts à assumer ce bouleversement, sachant que la dangerosité n’a aucune définition scientifique et est une notion trop subjective pour ne pas aboutir à des décisions arbitraires ?

Cette loi qui procède d'un raisonnement simpliste n’est pas capable de protéger les victimes. Au premier acte qui nous plongera à nouveau dans l'horreur, vos certitudes seront démenties. Que proposerez-vous alors ? Quelles autres brèches dans les valeurs de notre corps social ? Jusqu'à quels reniements notre démocratie ira-t-elle en prétendant vouloir se défendre ? Ce projet donne à ces questions une réponse des plus préoccupantes (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

Mme Pascale Gruny – C’est avec un grand soulagement que j’accueille ce projet de loi : je souhaite profondément que nos enfants vivent dans une société qui ne connaisse plus de nouveaux crimes comme ceux qu’ont subi Enis ou Anne-Lorraine. En tant qu'élue, j'ai pu mesurer l'attente des parents à ce sujet, angoissés à l’idée que la route de leurs enfants croise un jour celle d'un ancien délinquant sexuel qui verrait ses démons revenir.

Il ne suffit pas qu’un délinquant sexuel exécute sa peine : encore faut-il qu'il ne représente plus de danger pour la société. Mais, en fin de peine, il n'y a pas que deux catégories de délinquants : ceux qui ne sont plus dangereux et ceux qui le sont encore. Il y a aussi tous ceux qui peuvent le redevenir. Le code de la santé publique offre diverses garanties à leur sujet, comme l'injonction de soins, le placement sous surveillance électronique mobile ou le suivi socio-judiciaire, mais les tentations sont très présentes. À cet égard, Internet représente un important instrument de récidive. Il existe certes un système de surveillance internationale de la cybercriminalité, et la loi rend punissable le seul fait de consulter en ligne des images pornographiques de mineurs. Reste que cette consultation est à la portée de tous, sans compter la possibilité, extrêmement difficile à contrôler, de participer à des « chats » avec des enfants.

Bien sûr, Internet est aussi un formidable outil de réinsertion, presque indispensable dans la recherche d'un emploi – et le travail est une des clés qui évite les tentations, parce qu'il donne un sens à la vie et offre des relations sociales. Mais il faut aussi prendre en considération le revers de la médaille. Il en est de même pour le tourisme sexuel : comme Internet, le tourisme est un signe d'ouverture au monde et d'échange culturel, mais il peut devenir un outil de récidive. Ce qui est mis en place aujourd’hui pourra peut-être servir à lutter contre cet autre danger, et il faut garder cette possibilité en tête. Comptez-vous donc, Madame le garde des sceaux, contrôler les possibilités d'accès à Internet des délinquants sexuels fraîchement sortis de prison ? Quoi qu’il en soit, je voterai bien sûr ce projet de loi, mais, je vous en prie, pensez avant tout aux enfants (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Paul Jeanneteau – Dans la nuit du 28 décembre 2003, Damien, 27 ans, est à moto sur une route du Maine-et-Loire. Un automobiliste qui souhaite se suicider fonce sur lui. Damien est tué sur le coup, le conducteur légèrement blessé. Après des expertises et une instruction qui s’éternisent, sa maman Marie-Claire apprend le non-lieu, l'automobiliste se trouvant – au moment des faits – atteint d'un trouble psychique. Il avait, il est vrai, séjourné à plusieurs reprises en hôpital psychiatrique, et cessé de prendre son traitement… Elle accepte cette décision avec dignité mais elle souhaite aujourd’hui, comme tant d'autres familles, que notre législation évolue.

Le 1er janvier 2006, le corps lardé de coups de couteau de Charlotte est retrouvé au fonds d'un puits près d'Angers. Dix-huit mois plus tard, le juge d'instruction rend un non-lieu, l’auteur des faits étant atteint d’une schizophrénie évolutive et pénalement irresponsable. La famille de Charlotte accepte. Elle ne fait pas appel de l’ordonnance de non-lieu. L’auteur du crime, lui, est censé être placé dans une unité de soins fermée mais il y a un mois, les parents de Charlotte apprennent qu’il se trouve dans un hôpital psychiatrique ordinaire, à quelques kilomètres de son domicile où il a tué son amie âgée de 24 ans. Ils s’angoissent de le savoir si « libre ».

Actuellement, lorsque l'auteur d'une infraction est déclaré pénalement irresponsable, le juge d'instruction rend une ordonnance de non-lieu. Cette dénomination est mal perçue par les familles de victimes, qui l’interprètent comme l'affirmation que le crime ou le délit n'a pas été commis. Le non-lieu arrêtant l'instruction et l'enquête, que leur reste-t-il ? Elles demandent simplement que la justice établisse par qui et comment a été commis le crime, et elles veulent être informées des mesures prises à l'égard de l'auteur.

La procédure que le Gouvernement propose de mettre en place répond à leur demande : l’audience publique devant la chambre de l'instruction permettra la comparution de la personne mise en examen et donnera la possibilité d'entendre les témoins.

Deux autres mesures constituent des avancées majeures. Tout d'abord, si la partie civile le demande, la chambre de l'instruction renverra l'affaire devant le tribunal correctionnel pour qu'il statue sur les demandes de dommages et intérêts. D’autre part, cette même chambre prononcera, s'il y a lieu, une ou plusieurs mesures de sûreté à l'encontre de la personne. À ce sujet, je soutiens pleinement l'amendement du rapporteur instaurant deux nouvelles mesures de sûreté, la suspension et l'annulation du permis de conduire. L’inscription des déclarations d'irresponsabilité pénale au casier judiciaire est également une avancée importante.

Madame le ministre, je serai très heureux de voter cette loi, qui apporte des réponses concrètes à des familles durement éprouvées. Permettez-moi cependant deux remarques.

S'agissant d'auteurs d'infractions pénales souvent très graves, les conditions qui permettent au préfet de décider d'une hospitalisation d'office sont presque toujours remplies ; mais il serait bien préférable que ces criminels soient placés non pas en hôpital psychiatrique, mais en unités pour malades difficiles, structures beaucoup plus adaptées à leur prise en charge.

Par ailleurs, lorsque l'auteur d'un crime fera l'objet d'une déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, son sort continuera de dépendre de l'administration – le placement d'office étant décidé par le préfet – et des médecins. Il faudrait pourtant que la justice puisse suivre le parcours de ces criminels (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

Mme Marylise Lebranchu – J’ai été très étonnée, alors que nous débattons d’un sujet extrêmement difficile et sérieux, d’entendre certains cris. Non, les socialistes ne défendent pas les voyous contre les victimes ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) La démocratie, c’est d’abord de s’écouter les uns les autres et d’échanger des arguments.

M. Guénhaël Huet – Et Mme Guigou, qu’a-t-elle dit ?

Mme Marylise Lebranchu – Revenons aux cas qui ont motivé ce texte. Sommes-nous sereins en pensant à cette personne sortie de prison, dont les surveillants avaient dit qu’il était dangereux, dont personne ne s’est soucié du fait qu’il habitait dans un garage, qui n’avait pas de rendez-vous avant un mois pour son suivi socio-judiciaire, et qui a commis un acte terrible ? Comment se fait-il que les choses se soient passées ainsi ? Telle est la question. Il faut donc faire le bilan de l’application des textes existants.

M. Lionnel Luca – Et la compassion pour les victimes ?

Mme Marylise Lebranchu – Monsieur Luca, je vous dénie le droit de dire que je n’en aurais pas !

M. Guénhaël Huet – Mme Guigou avait-elle le droit de dire ce qu’elle a dit ?

M. le Président – Mme Lebranchu a seule la parole !

Mme Marylise Lebranchu – M. Copé est debout dans les travées depuis quelques minutes, je ne sais ce qui l’anime…

M. Jean-François Copé – Le souci de peser chaque mot que j’entends !

Mme Marylise Lebranchu – Je pèserai aussi les vôtres, mais je reviens à mon propos.

Tout le monde reconnaît que nous manquons de moyens pour appliquer les textes existants.

Par ailleurs, je rappelle que toute personne déclarée dangereuse pour elle-même ou pour les autres peut être placée ; c’est un acte administratif, lié à une maladie. Comment se fait-il qu’une personne qui a commis un acte odieux n’ait pas, en prison, une obligation de soins et qu’il faille, selon ce que vous nous proposez, attendre dix, quinze ou vingt ans pour qu’il soit placé dans un lieu où sa maladie sera prise en charge ?

La législation pénale existe, la législation de sûreté existe pour les malades nécessitant un placement. Donnons-nous les moyens d’appliquer les textes existants, plutôt que de tomber dans des excès dont on ne sait pas où ils vont nous conduire (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

La discussion générale est close.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice Monsieur Garraud, vous avez raison de souligner que ce projet n’a pas été rédigé sous le coup de l’émotion suscitée par un fait divers, mais qu’il est l'aboutissement du travail mené depuis la loi de 1998, relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ou commises contre les mineurs, présentée par Mme Guigou. Depuis 2005, trois rapports ont conclu à la nécessité de renforcer la lutte contre les délinquants dangereux ; le vôtre a tout particulièrement alimenté la réflexion du Gouvernement.

Les Français ne comprennent pas que l'on puisse libérer à la fin de leur peine des individus extrêmement dangereux qui refusent de se soigner. Nous répondons à leurs attentes, tout simplement parce que c’est notre rôle.

Madame Guigou, j'ai été stupéfaite et attristée en entendant la fin de votre discours. Je me suis dit : pas vous, pas ça !

Sous-entendre que le dispositif que nous proposons, celui qui existe aux Pays-Bas, en Belgique, en Allemagne ou au Canada…

Mme Marylise Lebranchu – Ce ne sont pas les mêmes !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux …s’apparentent à la philosophie de la barbarie nazie me paraît un glissement injustifiable et intolérable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Je suis profondément choquée. Pas vous, et pas à moi ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC)

Je suis allée visiter le centre Pieter Bann aux Pays-Bas avec Jean-Paul Garraud ; contrairement à ce que vous indiquez, la tutelle judiciaire, équivalent de la rétention de sûreté, commence après la peine si une incarcération est possible. En Allemagne, la détention-sûreté prolonge la peine et se poursuit d'ailleurs en établissement pénitentiaire. La moitié de ces mesures concernent des auteurs d'infractions sexuelles.

Vous avez raison de dire qu’il faut assurer la prise en charge des individus dangereux en prison ; elle existe, et il faut saluer toutes les personnes qui l’assurent, tout en étant conscient qu’elles ne peuvent pas contraindre quelqu’un à se soigner.

Hier à Melun, nous avons constaté combien le travail accompli était exceptionnel. Nous travaillons avec Roselyne Bachelot pour que cette prise en charge soit encore améliorée ; nous avons décidé de développer des groupes de parole pour assurer le suivi des délinquants sexuels.

Actuellement 971 professionnels de santé, dont 288 psychiatres, travaillent dans ces unités spécialisées ; ce nombre ne comprend pas les professionnels des 149 établissements de santé qui prennent en charge la psychiatrie dans les établissements pénitentiaires.

Nous allons mettre en place des unités hospitalières spécialement aménagées pour les détenus. 700 places seront créées d'ici 2012. Le nombre de médecins coordonnateurs chargés de suivre les personnes condamnées à une injonction de soins sera porté à 500 dès cette année. Une équipe mobile sera mise en place dans chaque SMPR. Sept centres de référence ont été installés depuis à la fin de l'année 2007 pour conseiller les professionnels de la psychiatrie dans la prise en charge d'auteurs de violences sexuelles.

Comme vous le voyez, nous nous donnons les moyens de notre politique. En revanche, si tout le monde a salué la création du suivi socio-judiciaire par la loi du 17 juin 1998, les mesures d'application n’ont été prises que trois ans après...

Mme Élisabeth Guigou – Pour le fichier, pas pour le reste !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux  Malheureusement, les criminels dangereux refusent parfois de se soigner.

Vous avez jugé le dispositif actuel largement suffisant – il ne l’est pas. Si la possibilité judiciaire avait existé que M. Evrard ait dû porter un bracelet électronique mobile ou s’il avait pu faire l’objet d’une rétention de sûreté, le petit Enis n’aurait peut-être pas été violé.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – L’hospitalisation d’office, elle, était possible.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Je reviendrai sur ce point. Pour l’heure, je tiens à souligner que la loi instituant le suivi socio-judiciaire a été votée sans moyens correspondants, et que rien non plus n’avait été prévu s’agissant des agents de probation avant que nous y pourvoyions (Protestations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

Madame Fraysse, vous considérez que la rétention de sûreté est une peine après la peine, et qu’il s’agit de détenir à vie un individu alors qu'il n'a commis aucune nouvelle infraction. Or, la rétention de sûreté n'est pas une peine mais une mesure de sûreté prise pour assurer la sécurité des citoyens. Elle vise à s'assurer qu'une personne qui présente encore une extrême dangerosité à la fin de sa peine en raison d'un trouble grave du comportement n'est pas mise en liberté sans aucun contrôle. La rétention de sûreté n'est pas une privation de liberté à vie, puisqu’elle est prononcée pour un an et qu’elle ne pourra être renouvelée qu'après une expertise pluridisciplinaire et sur décision collégiale de trois juges.

Je vous remercie, Monsieur Hunault, d'avoir rappelé que ce texte répond à une nécessité et qu'il respecte tous les principes d’un État de droit. Je remercie aussi M. Mallié de son soutien à cette mesure de protection de la société et M. Urvoas d’avoir souligné que la justice est d’abord faite pour les victimes.

M. Blanc a rappelé la différence entre un malade psychiatrique et un criminel atteint de trouble du comportement, ce dernier étant responsable de ses actes. La différence entre la dangerosité criminologique et la dangerosité psychiatrique exclut de placer en hospitalisation d'office les criminels visés par le projet. Ceux-là sont atteints de troubles graves du comportement. Ils ne sont pas fous… (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

Mme Marylise Lebranchu – On peut être dangereux pour soi ou pour les autres, mais être « fou » n’existe pas !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux ...et ne relèvent pas de l'hospitalisation d'office. Ils doivent pourtant faire l'objet de soins pour ne plus présenter de risques : c’est l'objet de la rétention de sûreté.

La qualité de psychiatre de M. Dhuicq donne à son propos un retentissement particulier et je le remercie de son soutien à ce texte innovant, « révolutionnaire » pour reprendre son terme.

Madame Aurillac m’a m'interrogée sur les modalités d'application de la rétention de sûreté aux criminels actuellement détenus. Le respect de la Constitution et de nos engagements internationaux est un devoir ; nous avons estimé qu’il impose que la possibilité de prononcer une mesure de rétention de sûreté ait été prévue lors du jugement initial. Les parlementaires ont constaté que cette règle empêcherait de prononcer une mesure de rétention de sûreté pour les criminels dangereux condamnés avant l'adoption du projet. Certes, ils pourront être mis sous bracelet électronique et, dans la plupart des cas, cette mesure sera efficace. Mais, pour les criminels les plus dangereux – les tueurs et violeurs en série – encore atteints de troubles graves du comportement en fin de peine, cette solution peut être insuffisante.

Comme l'a suggéré votre rapporteur, nous avons donc continué à travailler en nous inspirant de l'exemple allemand. Depuis 2004, l’Allemagne place en rétention de sûreté des personnes à la fin de leur peine sans que leur condamnation ait été explicitement prévue car ils considèrent que cette mesure découle de la condamnation d'origine. Cette loi a été jugée conforme à la Constitution allemande. Pour les tueurs et les violeurs en série, la condamnation montre clairement la dangerosité. On doit donc pouvoir maintenir les violeurs et les tueurs en série en rétention de sûreté à la fin de leur peine lorsqu'ils présentent encore une grande dangerosité.

Mme Orliac a estimé que les psychiatres ne peuvent pas déterminer la dangerosité d'un individu et le risque de récidive présumé qu’il présente. La rétention de sûreté repose sur la notion de particulière dangerosité de certains criminels. Je rappelle que, depuis 1994, la libération conditionnelle intervient après une expertise psychiatrique des pédophiles, les psychiatres évaluent alors la dangerosité de l’individu. Ces évaluations existent dans d'autres pays, et notamment aux Pays-Bas, où un protocole d'évaluation de la dangerosité a été mis au point. De plus, l’expertise ne sera qu'un élément d'appréciation de la dangerosité des criminels. Elle sera utilisée par la commission pluridisciplinaire qui décide actuellement de l’utilisation des bracelets électroniques, et une mesure de rétention de sûreté sera prononcée collégialement par trois juges.

Madame Hostalier, le texte ne fait aucun amalgame. Le dénominateur commun aux deux volets du projet, c'est la dangerosité. J'ai insisté, dans mon discours introductif sur le fait que les criminels dangereux, susceptibles de relever d'une rétention de sûreté, ne sont pas des malades mentaux.

Je suis d'accord avec vous, Monsieur Poisson : la rétention de sûreté, c'est la sûreté de tous au prix de la liberté de quelques-uns.

Monsieur Le Bouillonnec, votre expression caricaturale a nui à votre démonstration (Protestations sur les bancs du groupe SRC). Je continue de penser que, dans certains cas, des drames peuvent être évités en ne laissant pas sortir des individus dangereux qui refusent de se soigner. Allez à Melun : vous verrez des criminels condamnés à vingt ans de prison et qui refusent les soins qui leur sont proposés. C’est cela la réalité ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Et, bien entendu, nous n’en savons rien, ou nous ne sommes pas en mesure de l’apprécier !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux La rétention de sûreté est un dispositif tourné vers la réinsertion des personnes dangereuses. Même si tout ce qui a pu être proposé au détenu quand il était incarcéré a échoué, ce n'est pas une raison pour faire un pronostic définitivement fataliste. La prise en charge pluridisciplinaire, au sein du centre socio-médico-judiciaire, vise à maîtriser la dangerosité identifiée. Si on devait d'emblée considérer qu’elle est incurable et irrécupérable, la logique d'« élimination sociale » dont vous nous avez accusés l'emporterait, mais ce n’est pas le projet que Mme Bachelot et moi-même portons.

Madame Gruny, vous me demandez de limiter l'accès à l'Internet pour les pédophiles à la sortie de prison. Cette restriction est d’application malaisée. En revanche, vous le savez, le Gouvernement a défini une politique de lutte contre la pédophilie sur Internet et le démantèlement récent d'un réseau pédophile à Rouen a montré notre implication dans ce domaine.

Les drames que vous avez rappelés, Monsieur Jeanneteau, illustrent les lacunes de notre législation auxquelles le texte remédie.

Madame Lebranchu, le parcours de M. Evrard est celui d'un délinquant pédophile et reconnu dangereux et l'illustration même de l'insuffisance des dispositifs actuels de prise en charge et de surveillance des criminels dangereux. Libéré le 2 juillet 2007, il était convoqué pour le 24 août par le juge de l'application des peines d'une autre juridiction puisqu'il avait déclaré une adresse dans le ressort d'un autre tribunal. Le 15 août, il a enlevé et violé le petit Enis. En l’état du droit, nul n'aurait pu éviter la remise en liberté, et la récidive qui s’est ensuivie. Seule l’aurait permis la rétention de sûreté (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président – J’ai reçu de M. Jean-Claude Sandrier et des membres du groupe GDR une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 7, du Règlement.

M. Michel Vaxès – Nous aurions dû discuter avant la fin 2007 d'un texte sur la réforme pénitentiaire mais nous l’attendons toujours, et avec impatience. Ce projet faisant défaut, nous devons nous prononcer sur un autre texte relatif, celui-là, à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale. Pourtant, la réforme annoncée devrait notamment porter sur la redéfinition des missions de l'administration pénitentiaire, les régimes de détention et le développement des aménagements de peine. On aurait pu aborder dans ce cadre la question des détenus que vous qualifiez de « particulièrement dangereux » et dont le risque de récidive est « extrêmement élevé ». Mais, plutôt que de traiter leur prise en charge dans le cadre d'une réforme pénitentiaire ambitieuse, vous préférez l'aborder dans un projet spécifique et vous n'envisagez réellement leur prise en charge qu'au terme de leur détention, c'est-à-dire après quinze ans au moins d'incarcération. Vous proposez de retenir ces personnes dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté, où leur sera proposée une prise en charge médicale et sociale destinée à permettre la fin de la mesure.

Pourquoi ne pas le faire durant la détention ? Probablement parce que vous prenez acte de l’échec de notre système carcéral. Vous maltraitez les principes fondamentaux de notre droit plutôt que de prendre à bras-le-corps la véritable réforme pénitentiaire, qui permettrait de prendre en charge ces détenus particulièrement dangereux de façon efficace sur le plan médical et social dès le début de leur incarcération.

Pour nous rassurer sur le respect des exigences constitutionnelles et des libertés individuelles, vous faites valoir que la rétention serait entourée d’importantes garanties et ne s’appliquerait qu’aux cas extrêmes. Mais seuls les nostalgiques de la peine de mort seront convaincus par ces « garanties ».

D’abord, ne seraient visés que les condamnés coupables de crimes sur mineurs. Mais nul n’ignore que ce qui est exceptionnel aujourd’hui peut devenir ordinaire demain. Ainsi le fichier national automatisé des empreintes génétiques ne devait concerner que les personnes ayant commis des agressions sexuelles ; il concerne aujourd’hui presque toutes celles qui ont commis des infractions pénales. Cette rétention ne concernerait, pour l’instant, que les personnes condamnées à quinze ans de privation de liberté. Qui dit que, bientôt, ce ne sera pas dix ans ? Elle ne concernerait que les crimes commis sur les mineurs. Mais demain ? Les amendements de la majorité ouvrent bien des possibilités. D’ailleurs, avec un de ses amendements, on étendra le champ des crimes commis sur les mineurs de moins de quinze ans à ceux commis sur les mineurs de plus de quinze ans.

Vous faites également valoir que la rétention ne sera possible qu’après évaluation par des experts. Mais ils peuvent se tromper, les acquittés d’Outreau en ont fait la douloureuse expérience. D’ailleurs, le concept de dangerosité est incertain. S’appuyer sur lui confine à la naïveté, quand ce n’est pas à la duperie. Et pensez à la pression qui pèsera sur les juges. Oseront-ils prendre la responsabilité d’une remise en liberté, sachant que si d’aventure un condamné récidive, c’est eux qui seront désignés à la vindicte populaire ?

Nous partageons la conviction que la société doit lutter contre la récidive des délinquants sexuels les plus dangereux. Mais cela ne peut signifier un enfermement ad vitam aeternam sur simple présomption de dangerosité. Ce qu’il faut, c’est traiter ces criminels. La loi de 1998 pose le principe des soins en prison pour les délinquants sexuels et a instauré le suivi socio-judiciaire. La prise en charge peut commencer dès le début de la détention et se poursuivre après la sortie. S’y ajoute l’usage du bracelet électronique. Mais l’institution ne dispose pas des moyens nécessaires. C’est là qu’il faut porter l’effort, et non sur la mise en place d’une peine perpétuelle réelle, car toujours reconductible.

Pourquoi attendre la fin de l’exécution de la peine pour assurer un suivi ? Pourquoi même ne pas placer la personne condamnée en centre socio-médico-judiciaire dès le début de sa peine ? Nous n’avons pas de réponse, et devons constater votre choix d’une simple logique d’enfermement.

Celle-ci vous conduit à des choix irrationnels. D’abord, des experts psychiatres devront se prononcer sur la dangerosité du condamné. La Haute Autorité de santé, distinguant dangerosité psychiatrique et dangerosité criminologique, réserve l’évaluation de cette dernière aux psychiatres et psychologues ayant une formation complémentaire en psychocriminologie. Le psychiatre ne saurait se substituer au juge pour décider la mise en rétention d’un détenu ayant effectué sa peine.

Vous bafouez les principes fondamentaux du droit pénal. En décidant la rétention non pour un crime commis mais dont on craint qu’il le soit, vous créez le concept inquiétant de crime virtuel. Vous renouez avec les positivistes italiens, Lombroso et Ferri, et, selon les mots de Robert Badinter, « vous faites réapparaître le spectre de l’homme dangereux et la conception d’un appareil judicaire voué à diagnostiquer et traiter la dangerosité pénale. On sait à quelles dérives funestes cette approche à conduit le système répressif des États totalitaires ». Je vous en donne acte, vous prenez vos distances avec une telle approche, mais l’introduire dans notre système pénal aura des conséquences pour la démocratie.

M. Jean-Paul Garraud – Les communistes sont experts en totalitarisme !

M. Michel Vaxès – Je suis capable de critiquer tous les pays totalitaires, ceux de l’Est comme ceux qui le sont en raison d’un système économique que vous soutenez !

Et quel effet aura le système sur les condamnés ? Ils supportent leur détention parce qu’ils en attendent le terme. Comment supporteront-ils de ne plus en connaître la date réelle et le fait de dépendre d’un avis d’expert ?

Dire que d’autres pays appliquent ce dispositif n’est pas un argument. En fait, ce que font les Pays-Bas et la Belgique, ce n’est pas du tout ce que vous nous proposez.

M. Jean-Paul Garraud – C’est la même inspiration.

M. Michel Vaxès – Dans ces pays, le placement pour les personnes irresponsables pénalement intervient pour l’essentiel en remplacement de la peine. Et en Allemagne, où le système pénal est moins répressif qu’en France, la rétention de sûreté est issue de l’époque hitlérienne. Que ce rappel historique vous heurte et vous conduise à des réactions passionnelles nous pose problème.

J’en viens aux dispositions relatives à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, elles aussi inspirées d’un fait divers. La dérive que je dénonçais depuis longtemps est en effet devenue la règle : la question pénale est désormais un enjeu de la compétition politique. Les lois se succèdent au rythme des faits divers. Ce n’est pas ainsi que l’on construit une politique pénale digne de ce nom !

L’article 3 du texte crée un nouveau titre dans notre code de procédure pénale. Il met en place une nouvelle procédure d’instruction pour l’application de son article 122-1, relatif à l’irresponsabilité pénale d’une personne à raison d’un trouble mental. Si le juge d’instruction estime que cet article est applicable, le procureur ou les parties civiles pourront demander la saisine de la chambre de l'instruction, qui devra statuer en audience publique et contradictoire sur son application. Si l'article s'applique, elle rendra un arrêt de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Cette décision sera inscrite au casier judiciaire, et la chambre pourra assortir cette déclaration de mesures de sûreté. L'individu qui ne les respecte pas pourra être condamné à une peine de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. Une personne pénalement irresponsable pourra donc faire l'objet d'une condamnation pénale.

Des dispositions en faveur des victimes existent déjà en cas d’irresponsabilité pénale pour cause de démence. La victime, constituée partie civile, peut présenter des observations ou formuler une demande de complément d'expertise ou de contre-expertise, laquelle est de droit. Si le juge d'instruction décide d'un non-lieu, elle peut interjeter appel, ce qui a pour effet de remettre en cause le sort de l'action publique. Une fois le dossier mis en état, les débats et l'arrêt peuvent avoir lieu publiquement, la chambre de l'instruction pouvant refuser cette publicité si elle est de nature à nuire à l'ordre public ou aux bonnes mœurs.

Le but que vous poursuivez par ces nouvelles dispositions est louable. Mais êtes-vous bien certains qu'il est de l'intérêt des victimes d'assister au jugement de l'auteur de l'infraction ? Selon les psychiatres, le processus de deuil est trop complexe pour qu'il soit aisé de mesurer l'effet thérapeutique d'un procès. Ils s'interrogent en effet sur la façon dont les victimes et leurs familles peuvent entendre l'auteur malade mental quand il présente – ce qui est fréquent – une psychose chronique, souvent à l'origine d'une audition marquée par la froideur, l'absence d'autocritique et l'incapacité à exprimer remords ou compassion. La comparution du malade risque donc de réactiver la souffrance des victimes et de leurs familles. Si l'état de la personne n’est pas compatible avec une comparution, votre texte ira à l'encontre des intérêts des victimes.

Permettez-moi de rappeler une évidence qui semble perdue de vue : le premier droit des victimes est le respect de leur dignité et de leur souffrance. Mais ce respect n'est ni l'exhibition de leur souffrance, ni – pire – son instrumentalisation pour justifier des atteintes aux droits fondamentaux.

Du reste – et nous aurions pu et dû traiter de cette question dans une réforme pénitentiaire – les criminels considérés comme partiellement irresponsables sont aujourd'hui très nombreux dans nos prisons. Certains établissements accueillent ainsi entre 4 et 10 % de détenus présentant une psychose schizophrénique. Ils ne peuvent être traités comme les autres détenus et relèvent d’un traitement spécifique. Or le Comité européen de prévention de la torture a estimé, dans son rapport du 10 décembre dernier, que les conditions de prise en charge des troubles psychiatriques dans les prisons françaises étaient contraires à la dignité humaine.

Pour toutes ces raisons, nous vous demandons d'adopter cette motion de renvoi en commission, dans l'attente de l'examen du projet de loi de réforme pénitentiaire (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC).

M. Georges Fenech, rapporteur de la commission des lois – Je ne pense pas qu’il faille renvoyer ce texte en commission. Nous avons longuement débattu en commission, et nous avons eu le temps de mûrir notre réflexion et d’enrichir le texte.

M. Vaxès parle de principes fondamentaux bafoués et de lois de circonstance. Oui, c’est une loi de circonstance ! C’est une loi pour les disparues de l’Yonne, pour Delphine, pour Céline, pour toutes les victimes de Fourniret, de Bodein et de bien d’autres – et nous l’assumons pleinement. Nous sommes tous d’accord sur la douleur des victimes. Mais ce qui nous différencie, c’est que vous prenez le risque de laisser en liberté des criminels encore dangereux (Protestations sur les bancs du groupe SRC), alors que nous préférons prendre celui de les priver de liberté pour protéger la vie d’innocents (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Jacqueline Fraysse – Comme si nous avions envie que nos enfants soient violés !

M. Georges Fenech, rapporteur – Je mets sur le compte de la maladresse, Madame Guigou, les propos que vous avez tenus à l’égard de la garde des sceaux et de moi-même. J’aurais tout de même aimé vous entendre rectifier le tir : je suis sûr que tel n’était pas le fond de votre pensée – ou alors cela appelle en effet des excuses (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe SRC).

M. Éric Ciotti – Le groupe UMP appelle évidemment au rejet de cette motion de renvoi en commission. De quoi s’agit-il ? De protéger notre société des criminels les plus dangereux. Vous avez parlé de crimes virtuels, Monsieur Vaxès. Mais c’est à des crimes dramatiquement réels que nous nous attaquons !

M. Michel Vaxès – Vous ne m’avez pas écouté !

M. Éric Ciotti – Il me semble que nous aurions pu nous retrouver là-dessus. Car Mme la garde des sceaux ne souhaite rien d’autre que protéger notre société. Nous ne mettons pas sur le même plan la protection d’une victime et la privation de liberté d’un délinquant extrêmement dangereux.

Une nouvelle fois, votre naïveté est à la mesure de votre coupable inconscience face à ces menaces.

Les propos qu’a tenus Mme Guigou… (Exclamations sur les bancs du groupe SRC)

Mme Élisabeth Guigou – Encore !

M. Éric Ciotti – …sont tout à fait scandaleux. Mme Lebranchu a su défendre ses convictions avec mesure et tolérance – et nous les respectons. Mais vous avez dérapé : vous avez insulté Mme la garde des sceaux, et vous vous honoreriez en retirant vos propos.

Mme Élisabeth Guigou – Ils sont à votre disposition ! Relisez-les !

M. Éric Ciotti – Faire référence au nazisme sur ce texte est tout simplement honteux.

Ce texte est utile, pertinent et efficace. On parle beaucoup du principe de précaution. Nous choisissons ce soir de l’appliquer en matière pénale.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Cela s’appelle le positivisme !

M. Éric Ciotti – Il faut protéger notre société d’individus pour lesquels tout a été tenté. Les garanties existent, les menaces sont réelles. Nous privilégierons toujours les victimes sur les délinquants ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Serge Blisko – M. Vaxès nous a montré que ce texte reposait sur des insuffisances tragiques, notamment l’insuffisance criante du traitement psychiatrique des personnes détenues et des structures pouvant accueillir – avant même qu’elles ne passent à l’acte – les personnes présentant des caractères de dangerosité.

Il a également critiqué – de façon modérée mais juste – l’instrumentalisation des victimes et de leurs familles dans ce texte. L’opposition refuse d’entrer dans ce type de débat. J’ai pourtant eu l’impression de me retrouver dix ans en arrière ! Personne ne souhaite que des criminels restent impunis, Monsieur Ciotti : nous souhaitons simplement éviter qu’un dispositif attentatoire aux libertés publiques et aux principes de notre Constitution s’applique à ceux qui ont déjà payé leur dette à l’égard de la société. M. Fenech s’est employé à citer les noms de grands criminels. Pourquoi ne pas avoir évoqué celui qui, dément, a massacré en quelques minutes un jeune codétenu dans la cour de Fresnes ? Ou encore celui qui a cannibalisé un codétenu à la prison de Rouen ? (« Cela n’a rien à voir ! » sur les bancs du groupe UMP)

M. Guénhaël Huet – Comment pouvez-vous comparer ces victimes avec des enfants ? Nous parlons ici de pédophiles !

M. Serge Blisko – Je vous prie de me laisser terminer, Monsieur. Vous n’avez cessé d’invectiver mes collègues tout au long de la soirée en étalant votre ignorance et votre intolérance. Dans combien de prisons avez-vous donc mis les pieds ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC ; protestations sur les bancs du groupe UMP) C’est parce que de graves problèmes demeurent que nous voterons en faveur du renvoi en commission ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Michel Hunault – Le groupe Nouveau Centre rejettera cette motion de renvoi en commission. Nous sommes tous ici attachés aux droits des victimes. Face au manque de moyens et à l’état des prisons que vous déplorez, Monsieur Blisko, le Gouvernement, lui, agit ! Puisque vous évoquez la commission Outreau, parlons-en : c’est pour permettre à la justice d’exercer loin de toute émotion populaire que Mme la garde des sceaux a courageusement entrepris de réformer la carte judiciaire et de créer des pôles départementaux de l’instruction. Or, vous avez combattu ce texte, comme vous avez combattu cet été le contrôle des prisons, et vous ne participez pas non plus à la préparation de la grande loi pénitentiaire. Le mérite du Gouvernement est de se saisir des problèmes, même difficiles, avec courage et détermination. Grâce à ce texte, une commission évaluera désormais la dangerosité des détenus un an avant leur libération : c’est une mesure nouvelle qui fera honneur à ceux qui la soutiennent, comme l’ensemble de ce texte qui se place résolument du côté de la victime et autour duquel nous aurions dû nous rassembler. Il y a urgence à agir : la justice ne peut attendre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission Absolument !

Mme Jacqueline Fraysse – Le groupe de la gauche démocrate et républicaine votera naturellement la motion de renvoi en commission qu’il a déposée. Je ne peux laisser le rapporteur insinuer qu’il y aurait d’un côté des députés vertueux soucieux du sort des victimes et, de l’autre, des députés s’en désintéressant : c’est à la fois simpliste et insultant. Nous sommes, au moins autant que vous, attachés à la compassion envers les victimes et à la protection de tous les citoyens. Je n’ai pas pour habitude d’évoquer le drame de Nanterre, que j’ai vécu, mais vous m’y poussez : l’expérience de cette tuerie m’autorise à critiquer l’absence de moyens accordés au suivi psychiatrique, pour ne pas parler du contrôle du port d’armes. Quoi qu’il en soit, j’ai une conscience de ces drames au moins aussi aiguë que vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) Faites donc preuve d’un peu d’humilité et de respect : ce serait la moindre des choses ! (Même mouvement)

Plusieurs députés du groupe UMP – Dites-le donc à Mme Guigou !

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, mercredi 9 janvier, à 21 heures 30.

La séance est levée à 1 heure 10.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

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