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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du mardi 15 janvier 2008

1ère séance
Séance de neuf heures trente
97ème séance de la session
Présidence de M. Marc Le Fur, Vice-Président

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La séance est ouverte à neuf heures trente.

ARTICLE 11 DE LA CONSTITUTION

L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi constitutionnelle de M. Patrick Braouezec et plusieurs de ses collègues visant à compléter l'article 11 de la Constitution par un alinéa tendant à ce que la ratification d'un traité contenant des dispositions similaires à celles d'un traité rejeté fasse l'objet de consultation et soit soumis à référendum.

M. Patrick Braouezec, rapporteur de la commission des lois – La proposition de loi constitutionnelle qui vous est soumise à l’occasion de la séance d'initiative parlementaire du groupe GDR vise à empêcher que le peuple ne soit dessaisi de la ratification du traité de Lisbonne, véritable déni de démocratie auquel l’Assemblée s’apprête à se livrer cet après-midi.

Le 29 mai 2005, le peuple français a décidé, par 54,67 % des suffrages exprimés, de rejeter le traité établissant une Constitution pour l'Europe, au terme d'une campagne électorale caractérisée par une mobilisation sans précédent du « non » de gauche et par un taux de participation proche de 70 % qui démontre l’intérêt porté par les Français à un texte pourtant complexe. Ce résultat – et celui, analogue, du référendum organisé aux Pays-Bas trois jours plus tard –, qui entravait le processus de ratification du traité constitutionnel, n’en a pourtant pas découragé les partisans : au lieu de proposer aux citoyens européens une alternative au projet libéral que contenait le texte, ils en ont « recyclé » les dispositions substantielles dans un nouveau traité dit « réformateur », signé le 13 décembre 2007 à Lisbonne. Craignant sans doute une réponse similaire à celle de mai 2005, le Président de la République a déjà annoncé que ce nouveau traité ne serait pas soumis au référendum.

Dans ces conditions, il est profondément malhonnête d’attribuer l'exigence du recours au référendum à la méfiance à l’égard du système représentatif : la nécessité de respecter le Parlement ne saurait servir de prétexte pour écarter la consultation directe du peuple, car le parlementarisme repose non pas sur la méfiance vis-à-vis du peuple – sauf dans les régimes censitaires – mais sur le principe de sa représentation.

M. Guy Geoffroy – Mais qu’ont-ils fait en 1962 ?

M. Patrick Braouezec, rapporteur – En effet, c’est l'élection par le peuple au suffrage universel qui fonde la légitimité de la démocratie parlementaire : les citoyens délèguent leur souveraineté à leurs représentants non parce qu’ils seraient incapables de décider eux-mêmes de leur avenir, mais pour des raisons pratiques évidentes. Dès lors, comment peut-on jouer la légitimité parlementaire contre la légitimité populaire, la première n'existant que par délégation de la seconde ? En contournant le peuple pour faire adopter le traité de Lisbonne par voie parlementaire, le président de la République risque même de creuser le fossé entre le peuple et ses représentants.

Du reste, l'origine de la pratique référendaire ne remonte ni au général de Gaulle ni aux plébiscites napoléoniens, qui en ont profondément dénaturé le sens, mais bien à la Révolution française, et le premier référendum de l'histoire de France a permis l'adoption de la Constitution du 24 juin 1793 – très démocratique, fondée sur le primat de la souveraineté populaire, et qui prévoyait la consultation directe des citoyens.

Voilà pourquoi cette proposition de loi constitutionnelle vise à rendre obligatoire le recours au référendum pour l'adoption de lois contenant des dispositions précédemment rejetées par le peuple lors d’un référendum. Si le peuple peut changer d’avis, son vote ne saurait être contourné, voire nié, parce qu’il n’a pas fourni la réponse attendue ! Le parallélisme des formes et le respect de l'expression directe de la souveraineté nationale exigent donc d'encadrer le pouvoir législatif du Parlement sur les sujets ayant précédemment fait l'objet d'une consultation populaire.

C’est le cas du traité de Lisbonne, dont les différences avec le traité constitutionnel rejeté par référendum sont purement cosmétiques. Ainsi le président Valéry Giscard d'Estaing explique-t-il que « la différence porte davantage sur la méthode que sur le contenu, les juristes n’ayant pas innové, mais pris pour point de départ le texte du traité constitutionnel, dont ils ont fait éclater les éléments, un par un, en les renvoyant, par voie d'amendement, aux traités existants », avant de conclure : « dans le traité de Lisbonne, rédigé exclusivement à partir du projet de traité constitutionnel, les outils sont exactement les mêmes ; seul l'ordre de la boîte à outils a été modifié ».

De fait, seuls l'abandon du vocabulaire constitutionnel ou des emblèmes de l'Union européenne, ou encore les nombreuses dérogations accordées au Royaume-Uni ou à la Pologne, distinguent les deux traités : le traité de Lisbonne a permis de faire des concessions aux États et aux courants politiques souverainistes et méfiants envers l'idée même de construction européenne. En revanche, la Charte des droits fondamentaux, dont l'inclusion dans le traité constitutionnel était régulièrement invoquée par les partisans du oui pour rassurer les partisans d'une Europe plus sociale, ne figure plus dans le texte même, qui ne s’y réfère que par le biais d'un renvoi. En outre, elle n'est plus applicable au Royaume-Uni.

De plus, malgré quelques modifications sémantiques, purement décoratives, le nouveau traité n’esquisse en rien la construction d'une autre Europe. Ainsi de la prétendue disparition de la référence au « marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée », renvoyée à un protocole. Quant au fond, les dispositions qui ont motivé le rejet du traité, c’est-à-dire celles qui excluent toute autre orientation que celles du marché, de la libre concurrence, d'une politique monétaire contrainte ou de la méfiance vis-à-vis des services publics, restent inchangées.

Ainsi, on a fait valoir que le traité de Lisbonne garantirait mieux les services publics que ne le faisait le traité constitutionnel. Mais, si les « services d'intérêt général non marchands », ou « services non économiques d'intérêt général », c'est-à-dire ceux qui ne sont pas directement payés par l'usager – éducation nationale ou services sociaux, de santé ou culturels –, semblent protégés des règles de la concurrence par l’article 2 du protocole 9, ni les traités ni les protocoles ne les définissent. Or, d'après une jurisprudence constante de la Cour de justice, « constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens et des services sur un marché donné » : toute activité peut être considérée comme économique dès lors qu’elle s’exerce sur un marché. Cet article n’apporte donc que peu de chose ; il précise en outre, s’agissant de la fourniture, de la mise en service et de l’organisation de ces services, que les dispositions des traités préservent la compétence des États membres, lesquels pourront donc procéder comme bon leur semble, y compris au détriment des usagers.

De même, si les « services d'intérêt économique général » directement acquittés par l’usager – l’eau, les transports publics ou l'énergie – figurent parmi les « valeurs de l'Union » – lesquelles ne sont nullement définies –, leur contenu est renvoyé à un acte législatif de l'Union, directive ou règlement, qui ne saurait favoriser notre conception exigeante du service public – d’autant plus que ce seront les législateurs qui, lorsqu'ils le jugeront opportun, autoriseront l'Union à adopter un règlement transversal établissant les principes et fixant les conditions, notamment économiques et financières. À l’instar des services d’intérêt général, les services d’intérêt économique général seront donc soumis aux règles de la concurrence, comme l’ont du reste reconnu les auteurs du texte en déclarant que la liberté d'établissement et la liberté de circulation des services – comme celles des personnes, des biens et des capitaux – continuent d’y revêtir une importance capitale. En somme, il est faux de prétendre que l’Union européenne protège les services publics, renommés services d'intérêt général.

Étant donné ces similitudes entre le traité de Lisbonne et le traité rejeté par les Français en mai 2005, de nombreux citoyens exigent un nouveau référendum.

M. Patrick Roy – Absolument !

M. Patrick Braouezec, rapporteur – Le recours au référendum devrait même être obligatoire ; voilà pourquoi nous demandons que soit modifié l'article 11 de la Constitution afin de tenir compte des résultats du référendum de 2005 et de leurs conséquences. Ainsi le référendum, traditionnellement mis au service, sous la Cinquième République, d’une tactique politique de l’exécutif, permettrait-il de consulter les citoyens sur les grandes questions qui les concernent. L’adoption de dispositions précédemment rejetées par référendum ne devrait donc plus désormais être possible que par référendum – et non par la voie parlementaire. Dans le cas particulier des traités internationaux, seul un référendum pourrait autoriser la ratification d'un traité contenant des dispositions qui figuraient déjà dans un précédent traité rejeté par référendum. Ainsi du traité de Lisbonne, qui se contente de reprendre, en en modifiant l’ordre et la présentation, les dispositions du traité établissant une Constitution pour l'Europe. Si le caractère similaire des dispositions en cause faisait l’objet d’appréciations divergentes, c’est au Conseil constitutionnel qu’il appartiendrait de se prononcer en dernière instance. Mais, en l’occurrence, il n’y aucune ambiguïté : à 90 %, le traité de Lisbonne est rédigé exactement dans les mêmes termes que le traité constitutionnel.

Face à la manière dont la ratification du traité de Lisbonne s’apprête à contourner le peuple, et qui constitue un véritable déni de démocratie, la proposition de loi constitutionnelle instaure donc un mécanisme de protection de l'expression directe du suffrage universel. Malheureusement, la commission des lois, faute de partager notre objectif, l’a rejetée (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC).

M. Guy Geoffroy – Eh oui !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice La présente proposition de loi constitutionnelle, pour n’être qu’un texte de circonstance (Vives protestations et exclamations sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC), n’en soulève pas moins des questions institutionnelles fondamentales.

La circonstance, c’est le débat sur la ratification du traité de Lisbonne. Le 13 décembre 2007, les chefs d'Etat et de gouvernement des vingt-sept pays membres de l'Union européenne se sont réunis à Lisbonne afin de signer le nouveau traité, témoignant ainsi de leur volonté de débloquer, grâce à ce texte, la construction européenne.

M. Patrick Roy – C’est au peuple de trancher !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Depuis l'échec du traité constitutionnel, cette construction était largement en panne. Il fallait la relancer. La France y a pris une part déterminante. Vous vous en doutez, Monsieur Braouezec, le Gouvernement ne partage pas votre appréciation sur le Traité de Lisbonne.

M. Jean-Pierre Brard – Le Gouvernement n’a pas d’opinion ! Napoléon décide de tout ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Ce n'est pas le même traité. C'est un bon traité, qui modifie les traités existants sans se substituer aux traités fondateurs.

Le traité de Lisbonne n'est pas une Constitution…

M. Alain Néri – Alors, c’est quoi ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux C'est un traité comme les autres. Comme pour les autres, sa ratification peut être autorisée par le Parlement. Bien sûr, il y a eu l'exception du traité de Maastricht, ratifié par référendum, mais ce traité était particulier : en créant l'euro, il supprimait la monnaie nationale, et la France consentait à un transfert de souveraineté sans précédent, avec une incidence immédiate sur la vie de nos concitoyens.

L'idée qui anime la France et ses partenaires européens, est simple : faire avancer le projet européen au service de la paix, du développement et de l'affirmation des valeurs que nous partageons.

L'Europe dont je parle, au nom du Président de la République et du Gouvernement, tournée vers l'avenir et ambitieuse, doit être en état de marche le plus rapidement possible. En proposant de modifier l'article 11 de la Constitution, vous vous fondez sur un événement certes important mais largement passé et dépassé (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Vous continuez en effet de vous référer au traité établissant une Constitution pour l'Europe signé à Rome le 29 octobre 2004 et dont l’entrée en vigueur était subordonnée à sa ratification par tous les membres de l'Union, selon les modalités en vigueur dans la Constitution de chaque État.

En France, le référendum a eu lieu le 29 mai 2005 avec le résultat, négatif, que vous savez. La Constitution pour l'Europe a été rejetée par référendum. Il fallait prendre acte de ce rejet, en comprendre les ressorts et trouver le moyen de rendre cette crise bénéfique pour l'Union européenne. Fallait-il accepter que l'Europe reste en panne, incapable de fonctionner après l'élargissement ? Le Président de la République n'a pas souhaité que l'Europe soit condamnée à l'inertie.

M. Guy Geoffroy – Il a eu raison !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Le traité de Lisbonne apporte ce que chaque État membre attend : retrouver l'envie d'avancer. L'enjeu n'est donc pas seulement juridique, il est aussi politique – politique sur laquelle le Président de la République s'est largement et clairement exprimé.

M. Jean-Pierre Brard – De quoi se mêle-t-il ? Il ignore sciemment l’article 5 de la Constitution !

M. Patrick Roy – Le président de la République a peur du peuple !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Nicolas Sarkozy avait clairement dit son intention de faire ratifier le traité par le Parlement. Les Français, lorsqu'ils l'ont élu, l'ont fait en toute connaissance de cause (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Patrick Roy – C’est faux !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Contrairement à ce que vous soutenez, Monsieur le député, le Président de la République ne tente pas de faire comme si le « non » au référendum du 29 mai 2005 n'avait pas existé. Précisément, il l'a bien entendu.

Le nouveau traité est un bon traité...

M. Alain Bocquet – S’il est bon, il faut le soumettre à référendum !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux …car il tient compte des préoccupations exprimées par les Français. Ainsi, la concurrence n'est plus un objectif fondant les politiques de l'Union : alors qu'elle figurait à ce titre dans les traités en vigueur, elle est reléguée au rang de simple outil par le Traité de Lisbonne. Les services publics sont protégés par un protocole qui a même valeur que les traités, et qui donne aux États membres une plus grande marge de manœuvre, puisqu’ils seront désormais compétents pour fournir, organiser et financer les services publics, avec l'objectif d'un haut niveau de qualité et de la garantie d'un service universel.

Pour la première fois, l'Union européenne se fixe pour objectif de protéger ses citoyens dans le cadre de la mondialisation. Une clause sociale générale est instituée, qui impose de prendre en considération certaines exigences dans la définition et l’application de toutes les politiques de l'Union. Quelles sont-elles ? La promotion d'un niveau d'emploi élevé, la garantie d'une protection sociale adéquate, la lutte contre l'exclusion sociale, un niveau d'éducation, de formation et de protection de la santé humaine.

M. Alain Néri – Tout cela, ce sont des mots !

M. Jean Mallot – Ce n’est pas l’objet du débat de ce matin !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Le traité oblige aussi à organiser un sommet social tripartite pour la croissance et l'emploi, et les équilibres fondamentaux de notre système de sécurité sociale ne peuvent être remis en cause par l'Union européenne.

Enfin, la Charte des droits fondamentaux, rendue opposable, garantit de nombreux et nouveaux droits sociaux et les citoyens européens pourront la faire valoir pour faire annuler des actes qui lui seraient contraires. Ainsi, le traité de Lisbonne donne à la Charte des droits fondamentaux la même valeur qu’aux traités. La Charte inclut notamment le droit de négociation et d'action collective, le droit à la sécurité sociale et à l'aide sociale, le droit d'accès aux services d'intérêt économique général et la protection contre les licenciements injustifiés. Il ne sera donc pas possible d'adopter, au niveau européen, une mesure qui remettrait ces droits en cause et, contrairement à ce que vous dites, la Charte n'est pas purement décorative.

Le traité de Lisbonne rend également les institutions de l'Union européenne plus démocratiques et plus efficaces. Je pense, disant cela, au droit d'initiative citoyen qui est créé et aux nouveaux pouvoirs reconnus aux parlements nationaux. Ceux-ci peuvent contrôler l'action de l'Union et adresser aux institutions européennes des avis motivés pouvant aboutir au retrait d'une initiative de la Commission. Ils peuvent aussi saisir la Cour de justice de l'Union européenne en cas de méconnaissance du principe de subsidiarité. Ils sont encouragés à entretenir un dialogue avec les autres Parlements nationaux.

Ce traité est donc un bon traité…

M. Alain Néri – Et ce que vous nous dites n’a rien à voir avec la proposition !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux …grâce auquel nous nous mettons en état de rétablir la capacité de décision de l'Union en améliorant ses règles de fonctionnement. Pour agir efficacement à vingt-sept, nous avons besoin, rapidement, de ce traité simplifié. Le traité de Lisbonne modifiant les textes issus des traités de Nice et d'Amsterdam, peut, comme eux, être soumis à la ratification parlementaire. Pour être crédibles vis-à-vis de nos partenaires, nous devons montrer l'exemple d'une ratification rapide…

M. Alain Néri – Le peuple peut vous répondre rapidement ! Il vous suffit de le convoquer rapidement !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux …pour achever les ratifications sous la présidence française de l’Union, en 2008, et permettre l'entrée en vigueur du traité le 1er janvier 2009.

Voilà pourquoi je pense la proposition de M. Braouezec dangereuse pour l'avenir de l'Europe (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Par ailleurs, en ma qualité de garde des sceaux, j'ai la responsabilité que la pression des circonstances politiques ne modifie pas de manière dangereuse l'équilibre de nos institutions. (Protestations sur les mêmes bancs) Or, c'est précisément ce que fait cette proposition, qui pose des problèmes de fond.

Selon l’article 3 de notre Constitution, « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Nous avons fait le choix de la démocratie représentative et les élus du peuple que vous êtes, rassemblés ici, ont la même légitimité que le peuple se prononçant par la voie du référendum. Une voie n’est pas plus noble que l'autre. Or, votre proposition ouvre la porte à la déconsidération du Parlement (Très vives exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Alain Néri – Vous n’avez jamais été élue ! Vous ne savez pas de quoi vous parlez ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Alain Vidalies – Vous ne croyez pas à ce que vous dites !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Alors que le Président de la République et le Gouvernement souhaitent renforcer le Parlement…

M. André Gerin – Selon le fait du prince !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux …votre proposition fait du Parlement un deuxième choix puisque, si elle était suivie, la voie parlementaire deviendrait moins légitime que la voie référendaire. Il existerait alors trois types de loi : les lois référendaires, les lois ordinaires adoptées par référendum et les lois ordinaires adoptées par le Parlement, qui ne pourrait plus intervenir sur une loi adoptée par voie référendaire.

Votre proposition est d'ailleurs très difficilement applicable…

M. Jean-Pierre Brard – Rappelez-vous Mirabeau face à Dreux-Brézé ! Vous êtes dans le rôle du marquis !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux À partir de quel pourcentage de reprise d’un texte antérieur devrait-on dire qu'un projet de loi ou de traité comporte des dispositions « analogues » ou « similaires » ? Comment la mesurer, alors qu’il suffit de très peu pour que les mêmes mots aient un sens différent ? Le Parlement devra-t-il s'interdire d'adopter un texte parce que, vingt ans plus tôt, un texte « similaire » a fait l'objet d'un « non » au référendum ? S'interdira-t-on de modifier des textes sur des points mineurs…

M. Patrick Braouezec – Nous ne parlons pas de la même chose !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux …parce que le texte initial a été adopté par voie référendaire ? Si une telle proposition avait été en vigueur, le Parlement n'aurait pu adopter la loi de décentralisation de 1982, puisque la révision de 1969 avait été rejetée. Il aurait fallu recourir à nouveau au référendum.

Cette proposition n'est pas utile ; elle est même dangereuse. Elle ne correspond ni à notre volonté de faire avancer l'Europe ni à celle de moderniser nos institutions. Le Gouvernement n'y est pas favorable. Il vous invite à la rejeter (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Paul Lecoq – Cette proposition nous appelle à prendre une décision capitale pour la démocratie, les droits de l’homme et la société européenne tout entière. Le Gouvernement affirme que le traité modificatif de Lisbonne n'est en rien semblable au projet de traité sur la constitution européenne rejeté par les Français en 2005, et que l’objectif de ce texte sera, en outre, de garantir un meilleur fonctionnement des institutions communautaires. En réalité, l’enjeu est celui de la démocratisation, qui suppose un autre modèle de société que celui que le Gouvernement et les politiques néo-libérales de l'Union européenne sont en train d'imposer aux peuples européens.

Pour faire accepter le futur traité, les chefs d’État et de gouvernement en ont modifié l'habillage mais la substance du texte reste la même. On constitue une Europe qui fonctionne selon les principes et les règles de la concurrence et l’on oppose les peuples les uns aux autres en appliquant une politique néolibérale dont l'objectif est la destruction systématique des droits et des acquis sociaux. Voilà l’Europe, si éloignée de leurs besoins, que l’on veut à nouveau imposer aux citoyens, celle-là même que les Français ont majoritairement rejetée en 2005 parce qu’elle brade depuis de longues années les biens et les services publics. Voilà ce que les gouvernements, bafouant l'expression populaire, veulent réintroduire.

Les références à la Charte des droits fondamentaux ou aux services publics ne modifient en rien l’objectif affiché, qui est d'aller vers la libéralisation de plus en plus poussée des marchés financiers. De plus, la Charte des droits fondamentaux sort fort affaiblie de l’exercice, puisqu'elle n'a pas valeur juridique contraignante pour les pays membres…

M. Guy Geoffroy – Mais si ! C’est une affirmation gratuite et fausse !

M. Jean-Paul Lecoq – Nullement ! Elle n’est contraignante que pour les États qui l'accepteraient.

M. Guy Geoffroy – Certes ! Mais si les États ne l’acceptent pas, elle n’entrera pas en vigueur !

M. Jean-Paul Lecoq – Je rappelle que dans sa décision du 20 décembre dernier, le Conseil constitutionnel a estimé que « hormis les changements de numérotation, les stipulations de la Charte, à laquelle est reconnue la même valeur juridique que celle des traités, sont identiques à celles qui ont été examinées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 19 novembre 2004 ». Pourtant, nous venons d’entendre la garde des sceaux dire le contraire ! Je le répète, le Gouvernement bafoue la voix du peuple français et celle des autres peuples européens. C'est la démocratie même qui est en jeu. Ce nouveau traité, « copié-collé » mal dissimulé du projet de Constitution européenne, comme l’a remarqué M. Giscard d’Estaing, doit impérativement être soumis à référendum. Pour que le peuple souverain puisse construire une Europe démocratique et sociale, respectueuse des droits des peuples, J’en appelle à tous nos collègues pour qu’ils votent en faveur de cette proposition (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC).

M. Pierre Lequiller – Monsieur Braouezec, cette proposition vient bien tard…

M. Alain Bocquet – Il n’est jamais trop tard.

M. Braouezec, rapporteur – Elle vient à temps.

M. Pierre Lequiller – …Nous discuterons en effet du projet qu’elle vise dès cet après-midi, et le Congrès aura lieu dans deux semaines. Elle est, en fait, de circonstance, puisque votre exposé des motifs est consacré au traité de Lisbonne. Opposer référendum et ratification parlementaire est contraire à l’esprit de la V e République, (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) qui consacre l’égale légitimité de ces deux voies de ratification. Alors que nous voulons tous revaloriser le rôle du Parlement,…

M. Alain Néri – Mais pas dévaluer celui du peuple !

M. Pierre Lequiller – …il serait paradoxal que, sept mois après notre élection, nous remettions en cause notre rôle consacré par l’article 3 de la Constitution. Nous sommes bien ici par la volonté du peuple.

M. Jean-Pierre Brard – Et vous la trahissez.

M. Pierre Lequiller – En outre, deux textes sont conformes ou différents, mais la « similitude » dont vous parlez n’a pas de valeur juridique. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs dit que le traité n’était pas identique au projet de Constitution européenne.

Sur le plan politique, vous parlez de contournement, et même de malhonnêteté. Mais reconnaissez que lors de son discours d’investiture, le 14 janvier 2007, Nicolas Sarkozy, candidat, avait annoncé que l’urgence était que l’Europe puisse fonctionner de nouveau en adoptant par la voie parlementaire un traité simplifié.

M. Alain Bocquet – Mais au premier tour, 70 % des Français n’ont pas voté pour lui.

M. Pierre Lequiller – Il y a deux tours, et il a été élu avec 53 % des voix. Mais bien avant cela, il avait dit la même chose, à Bruxelles, dans les médias, dans le débat avec Mme Royal, au Parlement européen. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) On ne peut que reconnaître la transparence de sa démarche.

M. Alain Néri – Il avait dit aussi qu’il serait le président du pouvoir d’achat. Où en est-on ?

M. Pierre Lequiller – La souveraineté populaire s’est exprimée aux élections présidentielles. Refuser le choix de celui qu’ils ont démocratiquement élu, c’est refuser le choix qu’ont fait les Français en l’élisant.

M. Jean-Pierre Brard – Casuiste !

M. Pierre Lequiller – Les parlementaires UMP ont ensuite été élus en disant clairement, comme je l’ai fait, qu’ils feraient adopter le projet simplifié par la voie parlementaire.

Il est en effet indispensable, et urgent. Nous ne sommes pas seuls en Europe. La ratification rapide par voie parlementaire est un signe fort pour nos partenaires européens. Certains d’entre eux, de gauche comme de droite, s’étaient émus lorsque certains candidats à l’élection présidentielle avaient envisagé d’organiser un référendum en 2009, au risque que les institutions ne soient pas en place lors des prochaines élections européennes. En France, des personnalités de gauche comme de droite s’étaient prononcées dès février 2007 pour la procédure parlementaire, en particulier les deux anciens ministres du gouvernement Jospin. Hubert Védrine proposait ainsi dans Le Monde trois étapes : l’annonce d’une pause dans l’élargissement, une nouvelle politique commune à 27 et un traité constitutionnel simplifié ratifié par les parlements.

M. Henri Emmanuelli – Et il s’est présenté aux élections ?

M. Pierre Lequiller – Et Pierre Moscovici, qui s’est présenté aux élections, dans L’Europe est morte, vive l’Europe, a mis en garde contre le piège du référendum : celui-ci doit être réservé à l’adoption des textes essentiels, et le Parlement exercer son rôle de ratification des traités.

M. Jean-Pierre Brard – Et que dit M. Dupont-Aignan ?

M. Pierre Lequiller – Il ne fait pas partie de ma formation politique.

Faire l’Europe, c’est dépasser un point de vue strictement français et tendre la main aux autres. Dix-huit pays avaient ratifié le traité constitutionnel. Si le nouveau traité y était similaire, pourquoi se donneraient-ils la peine de le ratifier maintenant ? C’est que celui-ci a sensiblement changé. Les critiques en France et aux Pays-Bas ont été entendues. Il ne s’agit plus d’une Constitution, mais d’une modification du traité de Nice. Les symboles de l’Union ont été supprimés.

M. Henri Emmanuelli – C’est dommage.

M. Pierre Lequiller – Oui, mais il ne fallait pas prôner le non. Ce sont les Britanniques qui ont demandé cette suppression. Le contenu des politiques communautaires retranscrit dans la troisième partie de la Constitution n’a pas été repris, et la « concurrence libre et non faussée » ne figure plus parmi les objectifs de l’Union, à la demande expresse du Président de la République. Ce traité donne plus de pouvoirs aux parlement nationaux en ce qui concerne la révision des traités et le contrôle de la subsidiarité. La France aura désormais 74 députés et non plus 72 au Parlement européen et la majorité qualifiée au Conseil des ministres en fonction de la population lui est favorable.

M. Alain Néri – Mais qui a dit qu’il ne fallait pas accepter tout cela ? Pas le peuple !

M. Pierre Lequiller – La clause sociale, le protocole sur les services publics, une meilleure protection des citoyens contre la mondialisation sont autant d’avancées apportées par ce texte, encore une fois à la demande du Président de la République, pour tenir compte des inquiétudes exprimées lors du référendum de 2005. Contrairement à ce que vous avez dit, monsieur Lecoq, la charte des droits fondamentaux est liée juridiquement au traité.

Cette proposition n’est donc qu’un artifice de circonstance. En tant qu’ancien conventionnel,…

M. Jean-Pierre Brard – N’insultez pas 1789 !

M. Pierre Lequiller – …je peux attester que votre proposition est dépassée et mal fondée, par le recours à la notion vague de « similitude ».

Adopter ce traité replacera au cœur de l’Europe une France marginalisée depuis trois ans. Toute la classe politique devrait se réunir autour de cette idée.

M. Henri Emmanuelli – La classe politique, je ne sais pas ce que c’est !

M. Pierre Lequiller – Mon homologue à la tête de la commission des affaires européennes tchèque a dit, après le « non » français, que la France était jusque là le phare de l’Europe mais que sa lumière venait de s’étendre. L’UMP veut rallumer la flamme et votera donc contre cette proposition inopportune. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC)

M. Le Guen remplace M. Le Fur au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Jean-Marie LE GUEN
vice-président

M. Alain Vidalies – Cette proposition touche doublement à l’actualité, d’une part en raison de l’imminence du débat sur le traité de Lisbonne, d’autre part en raison de la réflexion en cours sur la nécessaire réforme de nos institutions.

Qu’elle soit directement liée au traité de Lisbonne n’a rien de scandaleux. Ce n’est pas la première fois que le Parlement débat d’un projet dont la nécessité est dictée par l’actualité. Et il est difficile de reprocher à un groupe de l’opposition de défendre une proposition de circonstance, quand c’est une pratique à laquelle le Gouvernement recourt systématiquement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) Il y a quelques jours, Madame la ministre, n’avez-vous pas expliqué que votre projet sur la rétention de sûreté était directement inspiré d’un fait divers ?

M. Pierre Lequiller – On est ici dans le domaine constitutionnel.

M. Alain Vidalies – Sur le contenu, M. Lequiller a répondu à M. Emmanuelli qui regrettait l’abandon des symboles de l’Europe, qu’il ne fallait pas prôner le non au référendum. Mais on n’en est plus au débat entre le oui et le non, c’est le peuple français qui a choisi le non. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) La question est désormais de savoir quelles conséquences nous en tirons.

Ce sont ceux qui font fi du résultat de 2005 qui ont un débat de retard !

M. Guy Geoffroy – C’est exactement l’inverse !

M. Alain Vidalies – Le traité de Lisbonne est un succédané de celui qu’ont rejeté les peuples français et néerlandais. M. Valéry Giscard d’Estaing, dont chacun connaît l’expertise en la matière, juge lui-même que ce n’est qu’un catalogue illisible d’amendements aux traités précédents qui reprend intégralement, mais dans le désordre, les propositions institutionnelles du traité constitutionnel. Nous voilà rassurés !

Le Président de la République fait une lecture contestable de l’article 89 de la Constitution, qui établit clairement le recours au suffrage populaire comme procédure de droit commun et, dans un deuxième temps seulement, le vote en Congrès comme solution alternative à n’utiliser, dans l’esprit des constituants, que pour des réformes mineures telles que la modification des dates de session parlementaire adoptée en 1963, par exemple.

M. Guy Geoffroy – Ce n’est pas du tout le sujet de cette proposition de loi !

M. Alain Vidalies – Cette intention initiale s’est perdue avec le temps. La plupart des réformes constitutionnelles ont fait l’objet d’un vote par le Congrès. Pour autant, s’agissant d’un texte qui reprend les dispositions que le peuple a rejetées il y a moins de deux ans, le recours au référendum va de soi, et le refuser serait un déni de démocratie. Seul le peuple peut défaire ce que le peuple a fait (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) !

M. Nicolas Dupont-Aignan – C’est évident !

M. Alain Vidalies – Au-delà de son seul exposé des motifs, cette proposition de loi mérite un débat approfondi.

Elle s’inscrit ensuite dans le débat sur la réforme de nos institutions, à l’heure où le comité Balladur rend ses conclusions censées inspirer une future révision constitutionnelle et dont les plus audacieuses, hélas, ne seront pas retenues. Ainsi, elle complète les propositions de ce comité, suggérant l’instauration d’un droit d’initiative populaire à l’article 11. Ce droit, déjà préconisé dans le rapport Vedel de 1993, renforcerait la souveraineté populaire que les constituants de 1958 souhaitaient déjà garantir grâce au référendum, notamment. La dernière révision de l’article 11, en 1995, élargit d’ailleurs le champ du référendum aux questions économiques et sociales.

La présente proposition de loi est une synthèse féconde et indispensable entre démocratie directe et démocratie représentative. Notre Constitution ne prévoit aucune disposition particulière en cas de rejet d’un projet de loi par référendum, qui engage naturellement la responsabilité politique. Ainsi, en 1969, le général de Gaulle a tiré les conséquences du vote des Français.

M. Guy Geoffroy – Vous préfériez alors le terme « plébiscite » !

M. Alain Vidalies – De même, les Français ayant réprouvé le projet de Constitution en mai 1946, on procéda à l’élection d’une nouvelle Assemblée constituante. Dans l’esprit des fondateurs de nos institutions, le vote du peuple était l’expression directe et irrévocable de la souveraineté nationale. Le vote populaire ne pouvait être contourné par un vote parlementaire. Comment penser que le Parlement, qui tient sa légitimité du peuple, peut contredire celui-ci ? Avec cette proposition de loi, nous écrirons noir sur blanc ce que le bon sens impose déjà : quand le peuple a tranché, la représentation s’incline (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Nicolas Dupont-Aignan – Très bien !

M. Alain Vidalies – En l’adoptant, nous protègerons l’expression du suffrage populaire. Au-delà du seul traité de Lisbonne, elle évitera tout contournement futur de la volonté du peuple qui, je le répète, peut seul défaire ce qu’il a fait. En préférant la voie parlementaire, vous défiez le peuple. Pire encore, vous cédez à une condition imposée par nos partenaires. Vous dénaturez le rôle du Parlement en l’utilisant pour contourner le peuple. Adoptons cette proposition de loi : elle seule permettra d’éviter de tels errements ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Le Fur remplace M. Le Guen, au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Marc LE FUR
vice-président

M. François de Rugy – Pour ratifier le traité prétendument simplifié, les Verts prônent un référendum européen qui aurait lieu le même jour dans tous les pays membres. Le général de Gaulle lui-même défendait cette procédure, seule apte à confirmer l’adhésion des peuples au projet européen.

M. Pierre Lequiller – C’est impossible : le référendum n’existe pas en Allemagne !

M. Henri Emmanuelli – La démocratie n’a pas été inventée en Allemagne, que je sache !

M. François de Rugy – La voie parlementaire ne suffit pas. On y a certes recouru pour ratifier la plupart des traités européens, mais n’oublions pas le résultat du vote de 2005 ! Je le dis d’autant plus que j’avais alors fait campagne pour le oui.

M. Jean-Pierre Brard – Sans grande réussite…

M. François de Rugy – Même sans être d’accord, il faut accepter le verdict populaire, qui illustre la crise de désamour entre les peuples et les politiques européennes. Ne nous y trompons pas : ce n’est pas l’idée européenne que le peuple a rejetée, n’en déplaise à ceux qui tiennent la souveraineté nationale pour l’horizon indépassable de la démocratie. Il a bien plutôt manifesté son refus de politiques souvent aberrantes, en matière fiscale par exemple : on rejette certaines de nos propositions au motif qu’elles ne sont pas eurocompatibles mais l’harmonisation européenne se fait toujours attendre ! Prenons donc acte de ce divorce démocratique sur la question européenne, que l’absence de référendum ne ferait qu’aggraver. Les Verts voteront donc naturellement en faveur de cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

Mme Nicole Ameline – Si l’instant n’était pas si grave, je dirais que nous vivons un pur moment de diversion politique. Dans l’incapacité de s’accorder sur le vote de la loi de ratification du nouveau traité européen, l’opposition pense-t-elle vraiment servir son image, déjà bien floue, par cette initiative injustifiée et inopportune, ou servir celle du Parlement, dont vous affaiblissez la légitimité au moment même où l’Europe la renforce ? C’est oublier nos partenaires européens, dont la quasi-totalité s’était déjà prononcée sur le projet de constitution…

M. Pierre Gosnat – Sans référendum !

Mme Nicole Ameline – …et dont dix-sept d’entre eux ont donné leur accord au traité de Lisbonne, à l’instar de l’Espagne, qui, après avoir obtenu un référendum favorable, se prononcera aujourd’hui par voie référendaire. C’est oublier, de même, les peuples européens, qui ont tout à gagner d’un renforcement de l’Europe. C’est oublier la France, enfin, qui se bat pour retrouver sa place en Europe, à quelques mois de la présidence française de l’Union. L’histoire jugera. Si elle ne retiendra sans doute rien d’une proposition éphémère, elle sera en revanche sévère pour ceux qui auront préféré l’immobilisme au changement.

Vous déposez une proposition de loi de circonstance, censée être consensuelle, alors que l’on vous sait si divisés sur la construction européenne. En cela, vous prenez une lourde responsabilité, non seulement devant les gouvernements et les partis européens, de droite comme de gauche, qui s’accordent largement sur ce sujet, mais aussi devant les générations futures.

Votre proposition remet en cause la compétence propre du Président de la République pour l’organisation d’un référendum législatif, ce que rien ne justifie.

M. Pierre Gosnat – Le respect du peuple !

Mme Nicole Ameline – Votre proposition ne pourrait même pas être appliquée, puisque le traité de Lisbonne n’est plus la Constitution. C’est un traité classique, et qui l’est devenu justement parce que les Français ont rejeté l’évolution constitutionnelle ; si une comparaison doit être faite, c’est donc plutôt avec le traité de Nice, et le parallélisme des formes appelle donc à l’évidence le recours à la voie parlementaire.

Si les deux textes – la constitution et le traité – présentent des avancées communes, ils offrent aussi des différences notables, ne serait-ce que la disparition même du nom de Constitution.

M. Pierre Gosnat – Ce n’est pas ce que dit M. Giscard d’Estaing !

Mme Nicole Ameline – Les inquiétudes exprimées par nos concitoyens ont été entendues : l’identité nationale, la protection des citoyens, la subsidiarité, la définition stricte des compétences de l’Union, figurent bien dans le traité.

Ce traité s’inscrit dans une vision nouvelle de l’Europe, la vision d’une Europe qui protège et s’affirme en même temps dans la mondialisation. C’est l’engagement du Président de la République, comme c’était le sien, il y a un an, d’engager un processus de ratification par le Parlement en cas de victoire aux élections présidentielles. C’est grâce à sa volonté que nous sommes sur le point de relancer aujourd’hui une dynamique institutionnelle européenne.

Cette Europe que nous voulons est une Europe qui assure la paix et la démocratie, qui affirme une vision européenne de la mondialisation. La Charte des droits fondamentaux a désormais valeur contraignante ; la Cour de justice pourra annuler des lois sur son fondement. De même, la clause sociale exige dorénavant la prise en considération des références sociales dans toutes les politiques de l’Union ; quel autre ensemble régional met à ce point en avant des valeurs sociales ? Comment dénier à l’Europe la nécessité de renforcer son poids dans les organisations internationales, où se décident les grandes régulations sociales et économiques ?

Le monde change, et nous devons conduire ces changements. Tous les moments forts de l’histoire de la construction européenne ont fait grandir la France. Le moment est venu de changer la Constitution dans un esprit de progrès : c’est l’objet du texte qui sera examiné cet après-midi (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

Mme Aurélie Filippetti – L’Europe influe de plus en plus sur la vie de nos concitoyens, par l’économie, la législation, mais aussi par la culture et des échanges universitaires de plus en plus nombreux qui contribuent à créer une véritable identité européenne. Les débats de 2005 ont montré que le peuple français se passionnait pour la chose européenne, contrairement à ce que pensaient certains. Je ne m’inscris pas dans une vision populiste consistant à stigmatiser les élites,…

M. Jean-Pierre Brard – Les élites d’extraction populaire, c’est autre chose !

Mme Aurélie Filippetti – …mais il est vrai que certains milieux pensaient que l’Europe était une chose trop sérieuse pour être confiée au peuple. Les débats ont au contraire montré que l’Europe était un sujet populaire.

Je fais partie de ceux qui, au parti socialiste, ont fait campagne pour le « oui »,…

M. Alain Bocquet – Merci pour la Lorraine ! Bravo !

Mme Aurélie Filippetti – …mais étant en faveur de l’expression populaire, je souhaite qu’un référendum ait lieu de nouveau.

M. Jean-Paul Lecoq – Ça, c’est bien !

Mme Aurélie Filippetti – Parmi ceux qui ont voté « non » en 2005, beaucoup étaient sincèrement pro-européens,…

M. Guy Geoffroy – Ceux qui ont voté « non » au parti socialiste ne sont pas nombreux ce matin !

Mme Aurélie Filippetti – …mais ils voulaient une autre Europe, moins libérale. À cause des délocalisations, beaucoup avaient peur de cette Europe qu’on leur proposait, souhaitant voir leurs préoccupations sociales davantage prises en considération. Mais ils voulaient aussi une Europe plus proche et plus démocratique ; comment proposer aujourd’hui à ceux qui ont rejeté par référendum une Europe trop libérale et pas assez démocratique, d’approuver un processus exclusivement parlementaire et les priver ainsi de s’exprimer à nouveau sur ces enjeux ?

Plusieurs députés du groupe GDR – Très bien !

Mme Aurélie Filippetti – Le fossé entre les aspirations participatives des citoyens et les pratiques trop souvent bureaucratiques des gouvernements est l’une des causes de la paralysie de l’Union. À trop souvent refuser d’associer les peuples aux grandes décisions, à croire que l’élection nationale vaut brevet de politique européenne, les dirigeants européens n’ont pas vu monter la déception des catégories populaires vis-à-vis de l’Europe, à cause de l’absence de réponse aux problèmes du chômage, des inégalités, des délocalisations, de la vie chère.

La majorité porte à cet égard une responsabilité écrasante, elle qui n’a cessé de se défausser de ses échecs sur l’Europe. C’est donc en permettant aux citoyens de se prononcer…

M. Jean-Pierre Brard – À Versailles, comme les femmes de Paris pendant la Révolution !

Mme Aurélie Filippetti – …et de se réapproprier l’enjeu européen que nous ferons reculer l’idée que l’Europe est opaque et lointaine, cette idée même qui la rend si impopulaire. Le choix du référendum ayant été soutenu par Ségolène Royal durant toute sa campagne, notre groupe votera la présente proposition, en dépit de nos réserves sur son exposé des motifs.

M. Guy Geoffroy – C’est laborieux !

Mme Aurélie Filippetti – Redonnerons-nous aux Français confiance en l’Europe si nous les empêchons de donner leur avis ? Est-il acceptable qu’ils n’aient plus rien à dire lorsque l’on essaie de refaire ce qu’ils ont défait ? Il faut rétablir la confiance entre l’Europe et les Français, en leur permettant de valider eux-mêmes le traité. Il y certes un risque, car le résultat est incertain, mais c’est le jeu démocratique, et le risque est bien moins grand que ceux qu’entraînerait une adoption à la va-vite par la voie parlementaire.

L’adhésion des Français au traité est nécessaire ; elle marquerait la réconciliation de la France et de l’Europe ; elle apporterait à cette dernière une validation populaire qui lui fait, aujourd’hui, cruellement défaut et l’empêche de repartir ! Gilles Deleuze disait : « La différence entre la gauche et la droite, c’est que la gauche a toujours intérêt à faire le pari que le peuple pense. » C’est pourquoi nous devons avoir confiance dans le référendum (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Nicolas Dupont-Aignan – Une fois n’est pas coutume, je soutiendrai la proposition de loi du groupe GDR, en associant à mon propos Mme la députée Besse.

Car cette proposition rappelle une évidence : le Parlement, qui est l’émanation du peuple, ne peut aller contre le peuple.

M. Jean-Pierre Brard – Très bien !

M. Nicolas Dupont-Aignan – Or, pour la première fois depuis la Libération, le Parlement est appelé à voter un texte que le peuple a rejeté il y a deux ans par référendum. La situation est surréaliste. A-t-on déjà vu un pays démocratique appeler ses représentants à contredire la voix du peuple ?

M. Alain Bocquet – Très bien !

M. Nicolas Dupont-Aignan – Le traité de Lisbonne est la copie conforme de la « Constitution Giscard ».

M. Pierre Lequiller – C’est faux !

M. Nicolas Dupont-Aignan – Ne faites pas semblant de l’ignorer ! M. Giscard d’Estaing a, quant à lui, la franchise de le dire : « Une dernière trouvaille consiste à vouloir conserver une partie des innovations du traité constitutionnel et à les camoufler en les faisant éclater en plusieurs textes. Les dispositions les plus innovantes feraient l’objet de simples amendements aux traités de Maastricht et de Nice. Les améliorations techniques seraient regroupées dans un traité devenu incolore et indolore. L’ensemble de ces textes serait adressé au Parlement, qui se prononcerait par des votes séparés. Ainsi l’opinion publique serait-elle conduite à adopter sans le savoir les dispositions que l’on n’ose pas lui présenter en direct. » C’était dans Le Monde du 14 juin 2007. M. Giscard d’Estaing avait raconté, à l’avance, la trame du film d’aujourd’hui.

M. Guy Geoffroy – Le traité n’était pas fait à cette date !

M. Nicolas Dupont-Aignan – Il était déjà bien préparé.

Madame la garde des sceaux, vous avez évoqué le prétendu engagement du Président de la République à refaire voter la « constitution Giscard ». Tout au contraire, il a clairement dit, tout au long de sa campagne, et notamment lors du débat avec Ségolène Royal, devant des millions de Français, que la constitution européenne était morte. Il a d’ailleurs repris dans sa campagne tous les arguments que nous avions développés pour le « non » : libre-échange déloyal, surévaluation de l’euro, fonctionnement anti-démocratique du système…

M. Alain Bocquet – Très bien !

M. Nicolas Dupont-Aignan – Alors comment dire aujourd’hui qu’il avait annoncé le retour de la « constitution Giscard » ? Il avait, c’est vrai, parlé de « mini-traité », lequel, vous le savez très bien, n’avait rien à voir avec le traité de Lisbonne : toute l’ambiguïté, que je crois malheureusement très calculée, est venue de là.

C’est en outre la première fois depuis la Libération que le Parlement est amené à voter une révision constitutionnelle ayant des conséquences aussi lourdes sur le fonctionnement de notre démocratie : c’est un changement de régime, c’est la fin de notre souveraineté nationale. Le passage à la majorité qualifiée dans 52 domaines d’importance considérable nous dépossède du pouvoir législatif ; en échange, on nous donne comme une charité un simple pouvoir de pétition ! À propos des négociations à l’OMC, déterminantes pour les délocalisations, le Président de la République nous avait réunis à l’Élysée pour nous dire qu’il mettrait son veto si M. Mandelson trahissait les intérêts français, mais un après-midi de juin à Bruxelles il a accepté de supprimer le droit de veto pour les négociations commerciales internationales ! Comment pourrons-nous redresser notre pays si nous nous privons de tous les instruments permettant de faire valoir notre point de vue ?

Quant aux clauses passerelles, elles nous font abandonner le pouvoir constituant : si les vingt-sept chefs d’État se mettent d’accord sur des modifications des traités de Lisbonne, de Maastricht et de Nice, il n’y aura pas de ratification – ni parlementaire, ni référendaire –, pour la première fois dans l’histoire de la République. Bien évidemment, ces clauses sont fort discrètes.

Enfin, notre politique étrangère et de défense va se trouver encadrée ; la sujétion à l’OTAN est gravissime et contraire à l’idée, que vous prétendez défendre, d’une Europe indépendante.

Comment pourriez-vous réconcilier les Français avec la politique alors que vous organisez dans leur dos le vote d’un projet constitutionnel qui va empêcher de mettre en œuvre les politiques promises lors des élections présidentielle et législatives ? Où que nous soyons placés dans cet hémicycle, nous sommes un certain nombre à lutter contre cette dépossession. Comment le Président de la République et la majorité pourraient-ils tenir leurs promesses avec un euro à un dollar cinquante, et alors que ce nouveau traité ne contient aucune réforme de la BCE ? Comment allons-nous lutter contre les délocalisations si nous abandonnons le droit de veto sur les négociations commerciales internationales ?

Ce traité ligote les peuples, il donne tous les pouvoirs à des organismes non élus – Commission de Bruxelles, Banque centrale européenne, Cour de justice des Communautés européennes. Comment peut-on construire l’Europe en se défiant des peuples ? Le vote de ce texte scélérat sera une triste date dans l’histoire de la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur de nombreux bancs du groupe SRC)

M. Daniel Garrigue – Il y a au moins un point sur lequel je suis d’accord avec les auteurs de la proposition : le texte dont nous engagerons la discussion cet après-midi est de même nature que le traité qui avait été soumis à référendum en 2005 : celui-ci était la codification des traités antérieurs ; celui de Lisbonne, c’est la modification des traités antérieurs (Exclamations sur les bancs du groupe GDR). J’ai néanmoins quelque peine à comprendre une conception aussi formelle que la leur de la démocratie (Mêmes mouvements) car depuis deux ans, il s’est passé beaucoup de choses.

Sur le plan de la légitimité, il y a eu l’élection à la présidence de la République (« Hors sujet ! » sur les bancs du groupe SRC) d’un candidat qui, pendant sa campagne, avait clairement indiqué qu’il proposerait un traité simplifié et utiliserait la voie parlementaire (Protestations sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC, applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Alain Néri – Ce n’est pas parce qu’un président a été élu qu’on est obligé de tout avaler ! Où est la démocratie ?

M. Daniel Garrigue – Si vous aimez la démocratie, laissez-moi parler ! Nous-mêmes, pendant la campagne pour les élections législatives, nous avons clairement indiqué que nous soutiendrions cette démarche. Nous sommes aujourd’hui majoritaires, devrions-nous nous dédire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Par ailleurs, sur des sujets qui faisaient problème en 2005, en particulier la directive services et les services publics, on a considérablement avancé.

M. Marc Dolez – Ce n’est pas vrai !

M. Daniel Garrigue – À l’époque, certains pays venaient d’entrer dans l’Union. Depuis l’arrivée du Président de la République à l’Élysée, des contacts étroits ont été noués avec eux (Exclamations sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC)

M. Alain Néri – Vous vous moquez du monde !

M. Jean-Paul Lecoq – Tout se passe à la Lanterne !

M. Daniel Garrigue – Quant à la surévaluation de l’euro par rapport au dollar, franchement, Monsieur Dupont-Aignan, croyez-vous que le mode d’adoption de ce traité y change quelque chose ?

Troisième élément très important : dans quelques mois, la France prendra la présidence de l’Union européenne.

M. Alain Néri – Et alors ?

M. Daniel Garrigue – Nous devons aborder cette présidence dans une position aussi forte que possible. À l’exception de l’Irlande, tous nos partenaires, même ceux qui avaient choisi précédemment la voie du référendum, ont choisi cette fois la voie parlementaire.

Plusieurs députés du groupe GDR – Écoutez la voix du peuple !

M. Daniel Garrigue – Je parle au nom de la nation ! Nous nous sommes engagés devant les électeurs qui ont ratifié notre choix ; le recours à la voie parlementaire est la seule légitime aujourd’hui pour ratifier ce traité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Daubresse remplace M. Le Fur au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Marc-Philippe DAUBRESSE
vice-président

Mme Chantal Robin-Rodrigo – Les radicaux de gauche ont toujours été en pointe dans le combat pour la construction d'une Europe forte, laïque, solidaire, humaniste et démocratique. Sincèrement européenne et attachée plus que tout aux valeurs républicaines, je salue et approuve l’initiative de nos collègues communistes.

M. Fréderic Lefebvre – Ce qui est rassurant, c’est que tous les radicaux de gauche ne sont pas d’accord avec vous.

Mme Chantal Robin-Rodrigo – Oui, nos concitoyens attendent de leurs représentants qu'ils respectent leur expression et leur souveraineté. Le traité de Lisbonne doit donc faire l’objet d'un référendum : c'est une nécessité démocratique.

M. Marc Dolez – Une exigence démocratique.

Mme Chantal Robin-Rodrigo – Sur un sujet aussi essentiel que l'Europe, qui a des répercussions sur la vie quotidienne des Français – n'oublions pas que 80 % des lois adoptées ici viennent de l'Europe –, nous ne pouvons priver nos concitoyens du débat. Dans l'histoire de la construction européenne, le peuple français a d’ailleurs toujours été consulté par référendum, que ce soit en 1972 sur l'élargissement des Communautés européennes, approuvé à 68,3 %, en 1992 sur le traité de Maastricht, approuvé à 51 %, ou en 2005, sur le projet de traité instituant une constitution européenne, rejeté à près de 54 %.

Le « non » français et le « non » néerlandais ne sont pas des incidents de parcours. Deux peuples ont dit « non » aux orientations trop libérales de l'Europe. Ils n’ont pas exprimé un refus de l'Europe, mais ils ont rejeté une certaine manière de la faire.

Le nouveau traité que le Président de la République a décidé de faire ratifier par voie parlementaire est quasi identique au précédent texte.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois – Ce n’est pas vrai.

Mme Chantal Robin-Rodrigo – C'est antidémocratique : lorsqu'une question a été tranchée par référendum, on ne court-circuite pas le peuple en lui disant que désormais, cela ne le concerne plus et que les parlementaires auront le dernier mot ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC)

Il est trop facile de changer les règles du jeu en cours de route. Imaginez qu'au milieu d'un match de rugby, surtout si l’une des parties entrevoit sa défaite, l'arbitre, complice, change le nombre de remplaçants ! Il y aurait une émeute !

M. Jean-Marc Roubaud – Il n’y a pas d’émeute…

Mme Chantal Robin-Rodrigo – J'entends dire que, dans l'intérêt de la construction européenne, il ne faut pas retomber dans « le piège dont rêvent à nouveau les opposants ». Mais qui sont les opposants ? Serait-ce le peuple français ? Belle conception de la démocratie que celle de considérer le peuple comme un empêcheur de tourner en rond !

J'entends dire aussi que les Français ont été avertis, Nicolas Sarkozy ayant indiqué clairement qu'il choisirait la voie parlementaire. Croyez-vous qu'il ait été élu sur cette promesse ? Au demeurant, n’a-t-il pas aussi fait des promesses sur le pouvoir d’achat ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

Cet acte politique éloignera encore les citoyens de la construction européenne, qui n'aura plus la moindre légitimité car elle se fera sans eux. Pourtant, la campagne référendaire a montré combien ils s’y intéressent ; ils ont des attentes fortes en matière d'emploi, de croissance, de protection, et ils ont compris qu’il ne nous faut pas une Europe réduite à un vaste marché.

Nous sommes tous de fervents démocrates, attachés à une Europe fondée sur l'adhésion des peuples. Notre Constitution elle-même consacre la souveraineté du peuple.

Il ne s’agit pas ce matin du contenu du « mini-traité ». La seule question qui vaille est la suivante : est-il admissible de faire valider par le seul Parlement un texte rejeté par référendum en 2005 ? (« Non ! » sur plusieurs bancs du groupe GDR et du groupe SRC) Pour le groupe radical de gauche, la réponse est non ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe GDR et du groupe SRC)

Certes, le vote du Parlement est l'expression de la représentation nationale, mais il ne remplace en rien celle de la société librement consultée. Il y a même parfois un gouffre entre les deux : en février 2005, le Congrès avait voté à plus de 80 % le projet de loi constitutionnelle ; trois mois plus tard, le peuple s'est prononcé contre à 54 % ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe GDR)

L'organisation d'un nouveau référendum est donc une exigence démocratique. Parce qu’ils ne sauraient trahir le vote de leurs concitoyens, les radicaux de gauche voteront cette proposition de loi constitutionnelle. N’ayons pas peur de redonner la parole aux Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. le Président – La commission des lois a conclu au rejet de l’article unique de la proposition de loi constitutionnelle. Conformément à l’article 94, alinéa 2, du Règlement, l’Assemblée est donc appelée à voter sur ces conclusions de rejet. Si elles sont approuvées, la proposition de loi est rejetée ; dans le cas contraire, elle est adoptée. Je le rappelle pour que chacun vote en toute connaissance de cause !

Sur le vote de ces conclusions de rejet, je suis saisi par le groupe GDR d’une demande de scrutin public.

M. Patrick Braouezec, rapporteur – Cette proposition de loi revêt certes un aspect circonstanciel, mais sa discussion aura eu le mérite d’éclairer nos concitoyens sur les intentions des uns et des autres. Je salue ceux qui ont compris que, quelle que soit l’appréciation que l’on porte sur ce traité, il est légitime que le mot de la fin revienne au peuple. Certains, sur les bancs de la gauche, sont favorables à ce traité…

Un député UMP – Où sont-ils ?

M. Patrick Braouezec, rapporteur – …mais ils ont reconnu que ce n’était pas cela qui comptait ce matin. Le traité constitutionnel a été rejeté il y a moins de deux ans. Il y a donc une grande différence avec le seul précédent qui nous ait été proposé, celui du référendum sur la décentralisation de 1969, puisque les lois de décentralisation n’ont été votées que treize ans après, et que tout un travail de pédagogie avait été conduit dans l’intervalle. Aujourd’hui, c’est moins de deux ans après que vous voulez imposer, en choisissant la voie parlementaire, un texte similaire à celui qui a été rejeté par le peuple de France !

M. Jean-Paul Charié – Ce n’est pas le même texte !

M. Patrick Braouezec, rapporteur – Vous avez développé des arguments contradictoires : Mme Ameline nous a dit que ce n’était pas le même texte, M. Garrigue que c’était le même. Quoi qu’il en soit, si vous êtes aussi sûrs de vos arguments, pourquoi ne pas débattre comme en 2005 avec l’ensemble du peuple français de dispositions qui auront – comme l’a rappelé M. Dupont-Aignan – de graves conséquences sur la vie de nos concitoyens ? Je retiendrai de ce débat qu’il y a ceux qui veulent respecter l’avis du peuple français, même si celui-ci ne leur plaît pas, et ceux qui en ont peur ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR)

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Jean-Claude Sandrier – Y a-t-il seulement une raison de refuser la parole au peuple français sur une question qui engage son avenir et sur laquelle il s’est déjà exprimé par référendum ?

M. André Gerin – Aucune !

M. Jean-Claude Sandrier – Non : il n’y en a pas !

On nous dit que le Président de la République avait déclaré avant son élection qu'il ne ferait pas de référendum. Mais qui peut vraiment croire que même les 31 % d’électeurs qui ont voté pour lui au premier tour – et à plus forte raison ses 53 % d’électeurs du deuxième tour – ont voté pour ses 200 propositions, alors même que tous les autres candidats avaient promis un référendum s'ils étaient élus ? Cet argument qui consiste à dire qu'en votant pour M. Sarkozy, les Français ont renoncé au droit de s'exprimer par un nouveau référendum sur la constitution européenne ne tient donc pas !

On nous dit encore que le Parlement a toute légitimité pour ratifier le traité constitutionnel. Certes, mais qui peut sérieusement accorder la même valeur à l'expression de chacun de nos concitoyens et au vote d'un Parlement dont la commission Balladur a discuté la représentativité ? En 2005, d’ailleurs, une écrasante majorité du Parlement aurait dit oui au traité constitutionnel, alors que les Français ont voté non à 55 %. Cet argument ne tient donc pas davantage.

Dernier argument : le texte aurait été modifié en tenant compte du non de 2005 ! Mais si tel est le cas, pourquoi avoir peur de le soumettre à nos concitoyens? Seraient-ils assez idiots pour ne pas reconnaître un texte modifié afin de prendre en compte leurs souhaits ? Le problème est plutôt qu'ils ne le sont pas, et qu’ils savent qu'avec le traité de Lisbonne « la différence porte davantage sur la méthode que sur le contenu et « rien ne va changer », pour reprendre les déclarations respectives de M. Giscard d’Estaing et de Mme Merkel. Il y a donc toutes les raisons de consulter le peuple !

Quel est donc le seul argument sérieux, mais gardé secret, de ceux qui ne veulent pas de ce référendum ? Reconnaissons à M. Kouchner le mérite de la franchise, car il nous l'a donné ici même le 11 décembre dernier. Parlant de l’opportunité d’un référendum, il a dit : « Il y en a déjà eu un : on a vu le résultat ! » C’est affligeant !

M. Maxime Gremetz – Vous avez peur du peuple !

M. Jean-Claude Sandrier – Autrement dit, puisque le peuple français n'a pas voté comme quelques-uns le souhaitaient, le mieux est de ne pas le consulter. Curieuse conception de la démocratie qui consiste à ne faire des élections que lorsqu'on est sûr du résultat !

Je veux dire à nos amis et collègues socialistes qui sont favorables à ce référendum qu'ils ont la possibilité de l’imposer par leur vote au Congrès du 4 février. Cela est certes délicat pour eux, mais on ne surmonte pas des désaccords politiques par des artifices de procédure ou par l’absence. Outre la possibilité que vous offrez au Président de la République de fuir le verdict du peuple français, quel sens aurait alors pour l'avenir de l'Europe et de la France un acte imposé à notre peuple alors même qu’il souhaite dans une proportion des deux tiers pouvoir s’exprimer ?

En votant notre proposition de loi et en s’opposant le 4 février à la modification de la Constitution, les parlementaires peuvent imposer le recours au suffrage universel ! Alors, permettons aux Français de s’exprimer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR)

M. Jean-Marc Ayrault – Après en avoir débattu, le groupe SRC a décidé par un vote de se prononcer pour cette proposition de loi qui permettrait de consulter le peuple français par référendum sur le projet de traité constitutionnel. Mon ami et collègue Jean-Claude Sandrier sait bien que la majorité de notre groupe votera la ratification du traité de Lisbonne. Il y a donc un désaccord entre nous, et le rapporteur y a fait allusion avec honnêteté. Mais la question posée aujourd’hui – que nous poserons nous-mêmes à nouveau dans cette Assemblée – est celle du mode de ratification. Ce n’est pas là quelque chose d’anodin. En 2005 comme en 1992, le peuple français a eu à se prononcer sur un traité européen. Au moment de Maastricht, les désaccords n’existaient pas qu’entre les socialistes et les communistes : le débat sur l’avenir de l’Europe traverse tous les courants de pensée, toutes les formations politiques. Le président François Mitterrand, faisant fi des mises en garde, n’en avait pas moins demandé au peuple français de se prononcer sur le traité après la modification de la Constitution. Le vote a été acquis de justesse, après un long débat, et aujourd’hui l’euro existe.

En 2005, alors que la modification de la Constitution avait été votée par le Congrès à une écrasante majorité, le traité de 2005 a été rejeté par référendum. Un nouveau traité est aujourd’hui proposé à nos concitoyens. Il est vrai que le candidat Sarkozy avait dit lors de la campagne présidentielle qu’il n’y aurait pas de référendum ; mais notre candidate avait annoncé qu’elle négocierait un nouveau traité et le soumettrait au peuple par référendum. Nous sommes donc cohérents : parce que nous voulons sortir l’Europe de l’ornière, nous sommes favorables au traité de Lisbonne. Mais nous voulons aussi que les citoyens puissent à nouveau se prononcer. Voilà pourquoi nous voterons contre les conclusions de la commission des lois, afin que la proposition de loi puisse être examinée par notre Assemblée (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR ; exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. Guy Geoffroy – Lorsque l’opposition n’est pas d’accord,…

M. Roland Muzeau – C’est la France qui n’est pas d’accord !

M. Guy Geoffroy – …lorsque la difficulté à définir une position – quant au fond comme sur la forme – plonge le principal de ses groupes dans le marasme, l’on se saisit d’une « niche » parlementaire et l’on propose – excusez du peu – de réviser la Constitution ! (Protestations sur les bancs du groupe GDR)

M. Patrick Braouezec, rapporteur – Eh oui !

M. Guy Geoffroy – Soyons sérieux : cette question est bien trop importante pour être traitée à la légère ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) On aura tout entendu ce matin, de nos collègues communistes, auxquels leur éternelle opposition à l’Europe (Vives protestations sur les bancs du groupe GDR) confère au moins quelque cohérence, à ceux des socialistes qui avaient prôné le non au référendum du 29 mai 2005 – quasi les seuls présents ce matin, puisqu’un seul s’est manifesté pour faire savoir qu’il avait voté oui, les grands Européens du PS ayant préféré s’absenter pour ne pas cautionner cette parodie de démocratie ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Ainsi M. Vidalies a-t-il tenté, dans un discours apparemment cohérent, mais en réalité fort laborieux, de nous faire croire – peut-être parce qu’il le croyait lui-même – que la modification de l’article 11 portait sur le mode de révision de la Constitution. Le compte rendu témoignera de l’incertitude de son propos à ce sujet ! Quant à nos quelques collègues féminines du groupe SRC, qui ont eu le mérite de prendre la parole (Protestations sur plusieurs bancs du groupe SRC), elles ont déclaré benoîtement qu’après avoir voté « oui » au référendum, elles étaient favorables à la modification constitutionnelle proposée, dans l’espoir de préserver un semblant d’unité ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

Venons-en à l’acte II : le recours aux grands mots avec la dénonciation d’un « déni de démocratie ». À l’heure où nous affirmons tous, devant le peuple, la nécessité de restituer au Parlement sa légitimité et sa représentativité (Protestations sur les bancs du groupe GDR)

M. André Gerin – Menteur !

M. Guy Geoffroy – …on prétend ainsi que le Parlement ne pourrait légitimement voter la loi de la République ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Ces grands mots rappelleront à nos concitoyens, qui n’ont pas la mémoire aussi courte que vous, la formule du président du Sénat lui-même à propos du désaccord qui opposa en 1962 une partie de la gauche au Président de la République, le général de Gaulle. À l’époque, c’était une « forfaiture » que de demander directement au peuple de se prononcer sur l’élection du Président de la République au suffrage universel ; mais aujourd’hui, ce serait un déni de démocratie que de saisir la représentation nationale dans la plus grande transparence, conformément à nos engagements lors des campagnes présidentielle et législative ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Lequiller, qui a toujours fait preuve de la plus grande clarté sur ces sujets, a formulé tout à l’heure une évidence : ce traité n’est pas le traité constitutionnel – à moins que vous ne considériez comme des imbéciles les dix-huit pays, et leurs gouvernements, qui, alors qu’ils avaient déjà ratifié celui-ci, ont accepté sans hésiter de ratifier celui-là ?

Face à ces gesticulations destinées à faire croire au peuple français que vous le défendez, alors que vous vous servez de lui pour masquer vos divergences (Protestations sur les bancs du groupe GDR), j’invite l’ensemble du groupe UMP à se prononcer en faveur des conclusions de rejet de la commission des lois (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président – Nous allons maintenant procéder au vote sur les conclusions de rejet présentées par la commission. Je rappelle que ceux qui sont favorables à l’examen de l’article unique de la proposition de loi constitutionnelle doivent voter contre ces conclusions ; si ce vote l’emporte, nous examinerons l’article unique (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Ceux qui ne souhaitent pas examiner la proposition devront voter en faveur des conclusions de la commission (Même mouvement). Je rappelle que le vote est personnel (« Honteux ! » sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

À la majorité de 176 voix contre 140 sur 316 votants et 316 suffrages exprimés, l’Assemblée décide d’adopter les conclusions de rejet de la commission.

M. le Président – En conséquence, la proposition de loi constitutionnelle n’est pas adoptée.

Prochaine séance : cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 11 heures 25.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Le compte rendu analytique des questions au Gouvernement
est également disponible, sur Internet et sous la forme d’un fascicule spécial,
dès dix-huit heures

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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