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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du mercredi 6 février 2008

1ère séance
Séance de 15 heures
117ème séance de la session
Présidence de M. Bernard Accoyer

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La séance est ouverte à quinze heures.

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

DÉLAIS DE PAIEMENT

M. Gérard Charasse – Vous comprendrez qu'un radical ne puisse prendre la parole un 6 février sans souhaiter un bon anniversaire à la République et à tous les parlementaires (Applaudissements sur tous les bancs).

« Je serai le président du pouvoir d'achat ». Nos concitoyens connaissent l’auteur de cette formule. Mais la seule promesse tenue, c'est que Nicolas Sarkozy est bel et bien président de la République. Pour le reste, nos concitoyens attendent encore, sauf ceux qui ont bénéficié du chèque de quinze milliards d’euros signé l’été dernier (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Le Gouvernement est comptable de l'ensemble des engagements, mais il ne les tient pas. Après les fonctionnaires, les chauffeurs de taxis, les cheminots et bien d'autres encore, les caissières de supermarchés et leurs collègues viennent de descendre dans la rue. Nous avons tous reçu des copies de bulletins de paie : 710 euros, par exemple, pour un travail quotidien haché, au bout de neuf ans d’ancienneté et sans possibilité de faire des heures supplémentaires.

Dans le même temps, le résultat net cumulé des dix-huit premières entreprises de la grande distribution avoisine 80 milliards d’euros. Ce bénéfice résulte pour moitié de la marge réalisée sur la vente des produits, et pour moitié des écarts entre les délais de paiement des clients et ceux des fournisseurs : trois jours pour les clients, mais jusqu’à 120 pour les fournisseurs !

Le Gouvernement cherche des gisements de pouvoir d'achat : En voilà un ! Qui plus est, dans un secteur hors d'atteinte de la concurrence internationale. Que comptez-vous donc faire pour exploiter ce gisement de pouvoir d’achat en faveur des salariés de ces petites entreprises qui sont les fournisseurs de la grande distribution et font vivre nos territoires ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. Hervé Novelli, secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur – Vous avez raison : les délais de paiement ne sont pas satisfaisants. Ils atteignent en moyenne 57 jours en Europe et 47 en Allemagne, contre 67 en France.

Le Président de la République a annoncé en décembre dernier que nous allions légiférer dans ce domaine. Dès le mois d’avril, Mme Lagarde présentera donc, dans le cadre du projet de loi de modernisation de l’économie, une mesure destinée à limiter à soixante jours les délais de paiement. Mais nous irons plus loin : au cours du premier semestre 2008, nous engagerons des négociations. J’ai demandé à Yvon Jacob de les mener branche par branche.

Je le répète : la situation n’est pas satisfaisante dans la grande distribution. Nous serons donc très attentifs : s’il n’y a pas d’accords de bonnes pratiques ni de calendriers de réduction des délais de paiement à la fin du premier semestre, nous légifèrerons une deuxième fois pour réduire les délais de paiement bien en deçà de 60 jours. Comme vous l’avez indiqué, le système actuel pèse injustement sur les plus faibles : les PME et les salariés de la grande distribution.

Nous conditionnerons enfin les baisses de charge à l’engagement de mener des négociations salariales au cours de l’année 2008.

Nous tenons donc nos promesses : le Président de la République a souscrit un certain nombre d’engagements pour la durée de son quinquennat. Nous avons commencé à les tenir et nous continuerons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC)

SITUATION DE DUNLOP À AMIENS

M. Maxime Gremetz – Le 22 janvier dernier, je vous alertais sur la grave menace pesant sur les entreprises Goodyear et Dunlop ainsi que sur l'avenir du site industriel d'Amiens. La direction américaine veut en effet imposer les quatre fois huit aux 2 700 salariés tout en supprimant 450 emplois. Consultés par référendum, les salariés ont dit « non ».

En compagnie du préfet et du président d'Amiens-Métropole, nous avons demandé à Mme Lagarde de rencontrer la direction du groupe pour lui rappeler ses devoirs. Il faut respecter le droit français et ouvrir de vraies négociations ! Le compte rendu des contacts pris par la ministre nous laissait espérer que l'engagement de pérenniser le site serait tenu.

Lors du comité central d’entreprise qui s’est tenu le 7 février dernier, la direction a malheureusement durci ses propositions, qui ont été condamnées unanimement par les syndicats : maintien de la suppression de 450 emplois, mais aussi obligation de travailler 31 dimanches dans l’année. La direction n’exige pas moins de 48 heures de travail hebdomadaire pendant 6 jours d'affilée, en pleine période d’été, et demande la suppression des ponts, tout cela contreparties sociales ou financières. Pour la direction, la santé des hommes ne compte pas – mais nous le savions !

Nous avons enfin appris que les 52 millions d'euros d'investissement prévus pour Amiens ont déjà été répartis sur d'autres sites du groupe. C’est une provocation contre laquelle les syndicats ont prévu de mener une riposte d'envergure à la mi-février. Nous les soutenons pleinement. La stratégie du groupe américain est visiblement de liquider les deux entreprises concernées.

Le Gouvernement a maintenant la lourde responsabilité de sauver ces 2 700 emplois, ces deux entreprises et ce site industriel.

M. le Président – Il va falloir poser votre question…

M. Maxime Gremetz – On comprend que les salariés, après avoir entendu le Président de la République annoncer l’engagement de l’État pour maintenir les sites d’Arcelor à Gandrange et de Michelin à Toul, n'en attendent pas moins pour eux. Le Gouvernement s’y engage-t-il ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC)

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l’emploi La situation des deux sites de Goodyear à Amiens, qui emploient plus de 2 600 salariés, retient toute notre attention. On sait que 52 millions d’investissement sont nécessaires pour les pérenniser et qu’une négociation a été engagée au sein de l’entreprise sur la durée et l’aménagement du temps de travail. Je me réjouis que les négociations aient repris le 1er février et qu’un comité central d’entreprise soit convoqué, dont l’ordre du jour pourra être modifié sous réserve que les négociations se poursuivent. Le dossier n’est pas simple. Les partenaires sociaux eux-mêmes ne s’accordent pas entre eux. En revanche, le groupe est prêt à reconsidérer sa décision et à procéder à l’investissement si le dialogue social permet de rétablir un bon équilibre. L’enjeu est important. J’espère que les partenaires sociaux, le groupe et les pouvoirs publics pourront continuer à travailler en bonne intelligence (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

RAPPORT ATTALI

M. Jean Dionis du Séjour – Le 23 janvier, la commission Attali pour la libération de la croissance remettait son rapport au Président de la République. Le Nouveau Centre salue la méthode de travail et le caractère novateur de l’ensemble. J'ai particulièrement apprécié le premier chapitre : « Au commencement, le savoir »… Mais Jacques Attali a singulièrement manqué d'humilité en prétendant que ce rapport n’était « pas un inventaire dans lequel le Gouvernement pourrait picorer à sa guise » (Applaudissements sur les bancs du groupe NC). Après tout travail de fond mené par des experts, l'exécutif et le législatif doivent prendre leurs responsabilités, ce pour quoi ils ont au contraire droit et devoir d’inventaire. Nous saluons donc la création par notre commission des affaires économiques d’un comité de suivi.

En effet, le rapport contient à la fois des propositions consensuelles d'intérêt général, à mettre en œuvre au plus vite, et de véritables âneries, telles que l’évaluation des professeurs par leurs élèves, ou certaines propositions sur les professions réglementées qui soulèvent des inquiétudes légitimes parmi les pharmaciens, les notaires, les avoués ou bien sûr les artisans taxis aujourd'hui en grève (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et sur quelques bancs UMP). Ces propositions doivent faire l’objet d’un débat avec les professionnels. Si leur bien-fondé est avéré au regard de l’intérêt général, il faudra alors régler avec eux le calendrier et les modalités de transition.

Comment le Gouvernement va-t-il exercer son droit d'inventaire ? Comment va-t-il associer le Parlement à sa réflexion et organiser la concertation avec les professions concernées ? (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et sur quelques bancs du groupe UMP)

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l’emploi C’est avec humilité pour notre part, mais surtout avec une grande détermination et un souci de concertation que nous allons mener le programme de réforme pour lequel nous avons été élus. La détermination est l’état d’esprit du Président de la République, la concertation la méthode du Premier ministre.

Dans toute réforme succède, au temps des experts, le temps du politique (Applaudissements sur les bancs du groupe NC).

M. Jean-Paul Lecoq – Ils ont plus de temps que nous !

M. Christine Lagarde, ministre de l’économie – Le temps des experts a vu la commission Attali rendre son rapport le 23 janvier. Le 1er févier, le Premier ministre (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) rassemblait l’ensemble du Gouvernement dans un séminaire pour fixer la méthode à suivre.

M. François Brottes – Avec M. Guéant ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie Le Premier ministre est déterminé à agir sereinement, à son rythme, dans la concertation (Applaudissements sur les bancs du groupe NC). Nous entrons maintenant dans le temps du politique, la réflexion qui précède la mise en œuvre. Une concertation doit d’abord avoir lieu avec le Parlement, les représentants des professions concernées et l’ensemble des partenaires économiques, après quoi chaque ministère devra proposer un plan d’action. Des groupes d’élus participeront ensuite aux réunions thématiques menées par les ministères, car il est indispensable que toute la représentation nationale soit associée à l’exercice.

M. Jean-Yves Le Déaut – C’est du pipeau !

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie J’aurai l’honneur de travailler, dans le cadre de la loi de modernisation de l’économie, sur le premier chantier prioritaire, et je souhaite associer la représentation parlementaire à l’ensemble de la réflexion (Interruptions sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). C’est avec les parlementaires, les partenaires sociaux et les professions réglementées que nous mènerons ce travail (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

CHIFFRES DU CHÔMAGE

M. Jean-Pierre Schosteck – Le chômage, qui fut durant de longues années l'angoisse des Français, ne figure plus aujourd'hui parmi leurs principales préoccupations (Exclamations et rires sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Je m’étonne que l’opposition ne s’y intéresse pas et préfère repasser sans cesse le disque rayé du pouvoir d'achat (Interruptions sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). L'objectif du Gouvernement est d'atteindre le plein-emploi, c'est-à-dire un taux de chômage de 5 %, d'ici à la fin de la législature. Le mouvement est déjà bien engagé puisque ce taux s’est établi à 7,9 % au troisième trimestre, ce qui, compte tenu de notre histoire récente, constitue une performance remarquable, mais il reste du chemin à parcourir. Quelles seront, Madame la ministre de l’économie, vos prochaines actions pour faire diminuer durablement le chômage et renvoyer aux livres d'histoire la sombre période du non-emploi, commencée dans les années 1980 ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC)

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l’emploi Mon objectif en matière d’emploi est double : ramener le taux de chômage à 5 % et porter le taux d’emploi à 70 %, soit sept points de plus que lors de notre arrivée au pouvoir. Les résultats des derniers mois confirment une baisse tendancielle continue du chômage, dont le taux s’établit désormais à 7,9 %. Nos entreprises ont créé plus de 312 000 emplois en 2007. De même, le nombre de demandeurs d’emploi inscrits à l’ANPE décroît régulièrement avec 195 000 demandeurs en moins l’an passé.

Ces évolutions favorables tiennent à ce que les Français ont retrouvé confiance dans leur économie et dans leurs entreprises (Exclamations sur les bancs du groupe SRC). Le Gouvernement, pour sa part, entend agir sur plusieurs leviers. Tout d’abord, celui des exonérations de charges comme avec la loi TEPA votée l’été dernier, qui exonère de charges sociales et défiscalise les heures supplémentaires au-delà de la trente-cinquième heure hebdomadaire. Deuxième levier : celui de la concurrence. En effet, les entreprises soumises à une concurrence accrue deviennent plus productives et une entreprise plus productive, toutes les études le démontrent, crée davantage d’emplois. Troisième levier : la réforme du marché de l’emploi avec la fusion de l’ANPE et des ASSEDIC, que vous avez votée et qui doit permettre un meilleur ajustement de l’offre et de la demande d’emploi. Il existe en effet aujourd’hui dans notre pays plus de 500 000 offres d’emplois non pourvues, dont j’espère qu’elles pourront être satisfaites par le biais de la nouvelle institution née de la fusion. Enfin, dernier levier : le levier fiscal. Avec la revue générale des prélèvements obligatoires, nous devons, à prélèvements constants, faire porter l’effort sur les dispositions de nature à encourager la croissance.

Notre objectif n’a pas varié : plus de croissance, moins de chômage, plus de pouvoir d’achat. C’est en ce sens que nous allons sans fléchir continuer de travailler (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

RELÈVEMENT DU MINIMUM VIEILLESSE

M. Bernard Lesterlin – Ma question s’adresse au Premier ministre. (« Il n’est pas là ! » sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) Je l’interrogerai quand même. Monsieur le Premier ministre, vous avez annoncé hier votre intention de relever le minimum vieillesse de 25 % d’ici à 2012 (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC). Quand cette augmentation aura-t-elle lieu ? Concernera-t-elle seulement les 600 000 allocataires du minimum vieillesse, ou bien les trois millions et demi de petits retraités ? Par ailleurs, le Président de la République ayant indiqué que les caisses étaient vides, le ministre du budget déploré qu’elles soient « plus vides que vides » et vous-même déclaré que notre pays était en faillite, qui paiera la facture ? Quel plan de rigueur nous préparez-vous pour le lendemain des municipales ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Je vous remercie par avance d’une réponse aussi précise que ma question est concise (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR.)

M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État, ministre de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables – Le Président de la République avait annoncé que l’amélioration de la situation des retraités serait l’un des axes prioritaires de sa politique. Vous n’ignorez pas que la conférence sociale se réunit aujourd’hui même à l’Élysée avec les partenaires sociaux sur ce sujet (Interruptions sur les bancs du groupe SRC). Oui, le relèvement du minimum vieillesse sera bien engagé en 2008 et le Président de la République a annoncé aujourd’hui même qu’un à-valoir de 200 euros serait versé pour le trimestre prochain (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe SRC).

M. le Président Merci de cette réponse courte à une question elle-même concise.

SOCIÉTÉ GÉNÉRALE

M. Louis Giscard d'Estaing – Madame la ministre de l’économie et des finances, vous avez dès lundi présenté au Premier ministre un rapport sur les dysfonctionnements constatés à la Société générale après l’annonce de fraudes présumées sur des opérations de marché ayant abouti à une perte d’au moins 4,9 milliards d’euros pour la banque. Je tiens d’ailleurs à souligner votre réactivité, qui vous a permis d’exposer devant notre commission des finances la teneur de ce rapport onze jours seulement après la révélation des faits.

Certes, la Société générale étant une entreprise privée, les contribuables n’auront aucune facture à payer en cette affaire, contrairement à celle qu’ils durent assumer il y a quelques années pour le compte du Crédit lyonnais et qui s’éleva tout de même à quelque 15 milliards d’euros (Marques d’approbation sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe SRC). Mais, la Société générale étant la troisième banque française, il est légitime de s’interroger sur les causes des pertes occasionnées, notamment sur l’insuffisance des mécanismes de contrôle.

La réglementation boursière a-t-elle été parfaitement respectée en cette affaire ? N’est-il pas nécessaire de revoir les conditions dans lesquelles la Commission bancaire et l’Autorité des marchés financiers exercent leurs missions de régulation ? Quels enseignements pourrait-on tirer, notamment sur le plan législatif, pour éviter que de tels dysfonctionnements ne se reproduisent ? Enfin, les marchés financiers étant par nature internationaux, la crise des prêts hypothécaires à risque aux États-Unis nous le rappelant hélas cruellement, quelles mesures des instances comme la Banque centrale européenne, la Réserve fédérale américaine et le Fonds monétaire international pourraient-elles prendre pour garantir une meilleure sécurité des marchés financiers ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP et du groupe NC)

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l’emploi J’ai en effet très rapidement diligenté un rapport d’enquête en cette affaire. Il ne s’agissait nullement d’établir les responsabilités ni la culpabilité de tel ou tel acteur en cette affaire mais de connaître le déroulement exact des faits, de savoir pourquoi les procédures de contrôle n’avaient pas fonctionné et comment améliorer les contrôles pour empêcher qu’une telle fraude puisse se reproduire.

La Société générale a-t-elle respecté la réglementation boursière ? C’est à l’Autorité des marchés financiers, autorité indépendante, de le déterminer. Elle a d’ailleurs immédiatement lancé une enquête. Mais vous l’aurez lu dans mon rapport, je conclus que les opérations de débouclage intervenues les 21, 22 et 23 janvier ont eu lieu de manière strictement professionnelle, comme nous l’ont confirmé les autorités de marché britanniques et allemandes sur lesquelles elles ont été conduites (Interruptions sur les bancs du groupe SRC).

S’agissant des règles d’information du marché sur les positions de la Société générale, dès lors que celle-ci a été informée des fraudes, la réglementation a là encore été respectée.

Pour ce qui est du fonctionnement de la Commission bancaire et de l’Autorité des marchés financiers, je conclus dans mon rapport que nous devons travailler avec elles pour étudier les conditions dans lesquelles toutes les autorités, au plus haut niveau de l’État, pourront à l’avenir, dans ce type de situation, être informées – dans le strict respect de la réglementation pour préserver les règles de confidentialité.

Je recommande en particulier que la gestion du risque opérationnel soit prise en compte par les services de gestion du risque et de contrôle du risque au sein des établissements bancaires.

Je me rendrai jeudi au G7, à Tokyo, où je ferai valoir auprès des ministres des finances la position qui est la nôtre depuis le 16 août : nous devons impérativement renforcer les principes de gouvernance, les règles de transparence et la régulation applicable aux acteurs et aux produits financiers (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

GRÈVE DES TAXIS

M. Jean-Marie Sermier – J’associe à cette question mon collègue Jean-Paul Charié. Dans le monde entier, les taxis français ont une réputation de sûreté. Grâce à leur savoir-faire et à leur répartition sur le territoire, ils participent de l’attractivité de notre pays, concourent à la mobilité et assurent les services à la personne.

Pourtant, il est de bon ton de les dénigrer : certains les accusent de ne pas être assez présents et recommandent une augmentation de leur nombre ; d’autres délivrent en province des droits refusés à Paris. La réaction des taxis est légitime : ils demandent des modifications réglementaires et législatives ; refusant d’être rendus responsables de la situation, ils veulent être présents là où la clientèle les demande.

Plusieurs députés des groupes SRC et GDR – Ils ont raison !

M. Jean-Marie Sermier – Aujourd’hui, ils protestent contre la proposition de déréglementation du rapport Attali. Le groupe UMP partage cette position.

Plusieurs députés du groupe SRC – Facile !

M. Jean-Marie Sermier – Cette nouvelle journée de mobilisation, à l’appel de la Fédération nationale des artisans taxis, montre le malaise grandissant dans la profession. J’ai rencontré dans ma circonscription un jeune homme qui avait signé un compromis pour reprendre une licence et qui s’est vu finalement refuser l’accord de sa banque, dans l’attente d’une décision politique claire. Madame la ministre de l’économie, comment comptez-vous apaiser les craintes exprimées par ces artisans ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Plusieurs députés du groupe SRC – En leur disant de faire du vélo !

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie – La commission Attali pour la libération de la croissance propose de réformer un certain nombre de professions réglementées, dont celle d’artisan taxi. Le texte du rapport est clair : il ne s’agit pas de « déréglementer », mais de moderniser la profession en substituant à une réglementation contraignante et ankylosante de nouvelles règles (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Cela permettra de mieux répondre aux besoins des usagers et de renforcer encore l’attractivité de la profession.

Nous privilégierons la concertation, en recevant les représentants des artisans taxis pour examiner avec eux comment rendre leur profession plus moderne, plus efficace et plus attractive. Le Premier ministre a demandé au préfet Chassigneux de mener à bien ce travail, en faveur d’une profession très utile, et à laquelle je veux rendre hommage (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ

M. Jean-René Marsac – Répondant à Bernard Lesterlin qui l’interrogeait sur la revalorisation du minimum vieillesse, M. Borloo a parlé d’un à-valoir de 200 euros pour 2008. Un rapide calcul montre que cela représente 16 euros par mois et 50 centimes par jour… et encore, cela ne concerne pas les 3,7 millions de retraités modestes qui réclament une revalorisation de leur pension ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC) !

Sept millions de Français vivent sous le seuil de pauvreté, soit 650 euros par mois. ATD Quart-Monde dénonce le décalage continu des minima sociaux par rapport au SMIC. Quelles sont vos propositions budgétaires, quelle politique de l’emploi comptez-vous mener afin de sortir nos concitoyens de la misère ?

Les faibles moyens alloués à M. Hirsch pour la mise en place du RSA ne peuvent tenir lieu d’une politique de lutte contre la pauvreté et d’insertion dans l’emploi. Après avoir consacré 15 milliards à des avantages fiscaux, il ne reste plus que des miettes pour les pauvres. Vous réduisez la politique des emplois aidés et les moyens accordés aux structures d’insertion par l’activité économique. Vous stigmatisez les chômeurs en les rendant responsables de leur inactivité. Vous supprimez les crédits de soutien au développement de l’économie sociale et solidaire. Vous avez engagé la fusion des ASSEDIC et de l’ANPE sans attendre les résultats du Grenelle de l’Insertion.

En neuf mois, vous avez encore renforcé une politique qui méconnaît la situation des personnes les plus éloignées de l’emploi. En neuf mois, vous avez vidé les caisses. Quelles sont vos propositions, et comment les financerez-vous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie – Vous avez parlé de miettes, je vous parle du gâteau : plus nous le ferons grossir, plus les parts en seront importantes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Je vais vous donner quatre exemples de ce que nous avons déjà fait.

M. Jean Glavany – Premièrement, augmenter la part du Président !

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie – Nous avons réformé le service public de l’emploi, afin que tout le monde puisse en bénéficier, y compris les chômeurs non indemnisés. Nous nous efforçons désormais de cibler les contrats aidés dans le secteur non marchand vers ceux qui en ont le plus besoin. Nous prévoyons de conditionner les allègements de charges à la conduite de négociations annuelles sur les salaires. Enfin, les minima sociaux seront alloués dans une perspective d’insertion dans l’emploi, et non plus dans une logique d’assistance.

Je ne vous laisserai pas dire que nous stigmatisons les chômeurs. Nous aidons les allocataires de minima sociaux, ceux qui ont le plus besoin de formation professionnelle ou d’emplois aidés.

MM. Jean-Paul Lecoq et Jean-Pierre Kucheida – Venez donc voir dans nos mairies !

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie Voilà pourquoi M. Hirsch a souhaité déployer le RSA, à titre expérimental d’abord, pour le généraliser ensuite à tous les départements : c’est ainsi que nous aiderons les personnes les plus éloignées du marché du travail à trouver un emploi durable, car c’est là la seule manière efficace de lutter contre le chômage ! Entre une économie administrée et une économie libérée, nous choisissons la seconde ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

DÉTENTION DU CAPORAL GILAL SHALIT

M. Jacques Kossowski – Ma question s’adresse à M. le ministre des affaires étrangères (« Guéant ! Guéant ! » sur les bancs du groupe SRC). Le 25 juin 2006, un commando palestinien du Hamas tuait deux soldats israéliens et en capturaient un troisième, le caporal Gilad Shalit. Ce jeune Franco-Israélien est depuis détenu quelque part dans la bande de Gaza et n’a donné d’autre signe de vie qu’un simple message adressé à ses parents et aux autorités israéliennes.

Cette captivité est insupportable, comme l’est celle d’Ingrid Betancourt. La diplomatie française doit agir pour obtenir la libération de notre compatriote. Au nom du groupe d’amitié France-Israël, je souhaite que le Gouvernement éclaire la représentation nationale sur ce que la France entreprend avec les autorités israéliennes et palestiniennes, notamment le président Abbas, afin que le caporal Shalit retrouve les siens au plus vite ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe SRC)

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes  Nous sommes très attentifs à la situation de tous les prisonniers, et particulièrement de celui-ci puisqu’il possède aussi la nationalité française, comme vous l’avez rappelé. Depuis son enlèvement, il ne s’est pas déroulé une seule rencontre avec les autorités israélienne ou palestinienne ou avec tout autre interlocuteur susceptible d’intervenir – y compris la Russie et le Qatar, qui entretiennent des relations avec le Hamas – sans que nous prononcions son nom et nous enquérions de son sort. Le Président de la République a reçu sa famille dès le mois de juillet dernier, comme je l’ai fait en septembre, et nous ne manquerons pas d’évoquer de nouveau le sujet lors de notre visite en Israël et dans les Territoires palestiniens les 15 et 16 février prochains. Cela, naturellement, ne suffira pas. Nous devons trouver les moyens d’une médiation pour, au moins, garantir sa survie. Hélas, vous savez combien cela est délicat dans la bande de Gaza, surtout pour quiconque n’entretient pas de relations avec le Hamas.

Mais notre diplomatie explore également d’autres chemins.

M. Julien Dray – Les chemins de Damas ?

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères – Soyez sûrs que nous demeurons très attentifs au sort du caporal Gilal Shalit et que nous ne cesserons d’exiger sa libération ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC)

PLAN CAMPUS

M. Jean-Michel Fourgous – Le Gouvernement réforme : enfin ! Il a déjà entrepris de moderniser les universités afin qu’elles retrouvent leur place au classement mondial, et je me réjouis qu’il ait autorisé les fondations universitaires à accepter des financements privés. Dès la rentrée de septembre, Madame la ministre, vous avez lancé plusieurs chantiers, telle la réforme du système d’aides sociales pour les étudiants ou le plan licence, opérationnel depuis le mois dernier.

M. Michel Lefait – Brosse à reluire !

M. Jean-Michel Fourgous – Par ailleurs, le Président de la République a annoncé la vente de 3 % des actions d’EDF pour financer la rénovation des campus universitaires, dont les dix premiers concernés doivent être sélectionnés cette année. Le plan Campus prévoit de créer des sites universitaires performants avec des salles informatiques, des laboratoires de recherche et des logements adaptés pour les étudiants. Il vise également à renforcer le lien qui unit les universités aux entreprises, et je m’en réjouis : c’est avec des équipes pluridisciplinaires que l’on fera l’université de demain. Universités et entreprises doivent travailler ensemble : notre modèle socio-économique et notre niveau de vie sont en jeu.

Où en est la mise en œuvre de ces engagements présidentiels ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Valérie Pecresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche – Priorité doit désormais être accordée à l’immobilier pour faire de nos campus universitaires des lieux d’échange avec le monde économique où les étudiants et les chercheurs pourront pleinement s’épanouir. L’enjeu est de taille : près d’un tiers de nos locaux sont vétustes. À situation exceptionnelle, solution exceptionnelle : le Président de la République a donc décidé de consacrer le produit de la vente de 3 % des actions d’EDF à un plan d’une ampleur sans précédent.

M. Christian Bataille – Vous vendez le patrimoine !

Mme Valérie Pecresse, ministre de l’enseignement supérieur  Désormais autonomes, les universités pourront elles-mêmes choisir les projets dont elles ont besoin. Les dix premiers projets seront d’ailleurs sélectionnés avant l’été selon plusieurs critères : l’ambition scientifique et pédagogique des établissements ; l’urgence de la situation immobilière ; la capacité du campus à être un lieu de vie ; son caractère structurant pour le territoire, enfin. Il va de soi que ces projets devront également montrer l’exemple s’agissant de la protection de l’environnement, de l’accessibilité aux personnes handicapées ou de l’intégration des nouvelles technologies.

Le plan Campus bénéficiera à toutes les universités, y compris les plus petites, qui pourront s’associer à d’autres pour présenter un projet commun. Quant aux universités qui ne seront pas sélectionnées, elles recevront les crédits libérés par mon ministère pour accélérer leur rénovation (Exclamations sur les bancs du groupe GDR). Oui, j’ai la conviction que c’est en changeant le visage de l’université que l’on redonnera confiance à notre jeunesse en son avenir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

IMPRIMERIE NATIONALE

Mme Catherine Quéré – M. Sarkozy a annoncé qu’il appliquerait 310 des 313 mesures du rapport Attali, dont celles qui concernent les taxis, les notaires, les pharmaciens et les commerces. Voilà pourquoi les députés UMP, tels un chœur de pleureuses, commencent à paniquer ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC)

Depuis plus de deux semaines maintenant, les salariés de l'Imprimerie nationale de Choisy-le-Roi occupent leur usine pour dénoncer la remise en cause du plan social négocié en 2005. Au mépris des engagements pris par le ministre de l'économie devenu entre-temps Président de la République, 77 emplois sur 120 vont être supprimés. Au delà des drames personnels qu’elle suscitera, cette décision renforce le sentiment de nombreux élus : l'État veut démanteler ce patrimoine national. Depuis 2002, les deux tiers des effectifs ont été supprimés, et les sites d'Évry et de Strasbourg ont été privatisés. Aujourd'hui, c’est l'usine de Choisy-le-Roi qui va être cédée à un repreneur, une usine ultramoderne construite grâce aux fonds publics apportés par l'État, la région, le département et la ville. Nous ne pouvons accepter que soit ainsi démantelé un savoir-faire, un patrimoine et des activités dont le caractère sensible – impression de documents officiels, passeports, examens et concours...– justifient qu'elles soient maintenues dans le secteur public.

Nous ne pouvons pas davantage accepter la politique du « deux poids et deux mesures ». Or, qu’en est-il ? Alors que les salariés de Choisy se battent pour sauver leurs emplois, le Président de la République a déclaré lundi aux salariés d'Arcelor-Mittal que l'État était prêt à investir dans cette entreprise pour sauver les emplois, ajoutant qu'« un pays qui n'a plus d'usine est un pays qui n'a plus d'économie ». Quel crédit les salariés d'Arcelor peuvent-ils accorder à la parole de l'État quand elle n'est pas respectée pour l'Imprimerie nationale, dont l'État est actionnaire à 100 % ? Madame la ministre de l’économie, les engagements pris en 2005 par le Président de la République, alors ministre des finances, seront-ils tenus ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. Hervé Novelli, secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur – Les engagements pris seront tenus (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC ; applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP). Permettez-moi de rappeler l’historique. En 2005, nous avons obtenu de la Commission européenne l’autorisation de soutenir l’Imprimerie nationale, qui était en grave difficulté, à hauteur de 200 millions, la contrepartie étant que l’établissement devait se recentrer sur son cœur de métier. La cession de l’usine de Choisy participe de cet engagement. De nombreux repreneurs potentiels se sont manifestés, dont un a été choisi, et la direction a engagé le processus normal d’information des salariés, qui se sont inquiétés. Mme la ministre de l’économie a alors désigné un médiateur. Celui-ci, qui a déjà rencontré et la direction et les représentants des salariés, les réunit cette après-midi même. Je puis déjà vous dire que l’engagement de soutien à chaque salarié affecté par les meures décidées sera tenu (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Mais, pendant ce temps, les difficultés de l’Imprimerie nationale perdurent, et chaque jour elle se fragilise un peu plus. L’information des salariés étant maintenant complète (Mêmes mouvements), il faut négocier (Mêmes mouvements). C’est le mandat du médiateur (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT

M. André Schneider – La mobilisation des financements pour le développement occupe, à juste titre, une place éminente dans le calendrier international. On l’a vu lors du sommet du Millénaire et encore en 2005 lors du sommet des chefs d'Etat et de gouvernement des Nations unies. Ces financements sont indispensables pour atteindre les objectifs du millénaire pour le développement. Or, les ONG françaises s'inquiètent du risque de voir la contribution française stagner, sinon diminuer, dans les années à venir. Vous avez dit, Monsieur le secrétaire d’État chargé de la coopération et de la francophonie, souhaiter «sanctuariser» cette contribution en lui donnant la forme d'engagements budgétaires pluriannuels – mais selon quelle procédure ? Vous avez aussi souhaité associer plus étroitement le Parlement à la définition de la stratégie d'aide publique française ; pouvez-vous nous en dire plus ? Je reviens de Bujumbura, où j’ai participé à la réunion du Bureau de l’Assemblée parlementaire de la francophonie, et je puis vous dire que la Françafrique attend beaucoup de nous (Applaudissements quelques bancs du groupe UMP).

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État chargé de la coopération et de la francophonie – L’aide publique française au développement s’est élevée à 8 milliards en 2007 et elle s’établira à 9 milliards en 2008 . Nous devons en effet consolider nos engagements pluriannuels pour la préserver et même l’accroître – avec l’objectif qu’elle atteigne 0,7 % de notre PIB en 2015 – tout en renforçant son efficacité, singulièrement en Afrique, où nous ne sommes pas seuls à agir. Pour cela, le Gouvernement souhaite que le Parlement soit davantage associé à la définition de notre stratégie d’aide au développement, qui suppose une meilleure gouvernance, le renforcement de la démocratie et la lutte contre la corruption. M. le ministre des affaires étrangères et moi-même élaborons par ailleurs des propositions de co-développement plus particulièrement tournées vers la jeunesse africaine. Je ne doute pas que le Parlement s’engagera résolument dans cette grande tâche. Je salue enfin l’importante contribution de l’Assemblée parlementaire de la francophonie à la défense de la langue française et, avec elle, de la diversité culturelle, essentielle pour l’avenir de l’humanité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président – Nous avons terminé avec les questions au Gouvernement.

La séance est suspendue à 16 heures.

La séance est reprise à 16 heures 15.

DÉPÔT DU RAPPORT ANNUEL DE LA COUR DES COMPTES

L'ordre du jour appelle le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes.

M. le Président –Monsieur le Premier président, en notre nom à tous, je vous souhaite la bienvenue. Vous avez la parole.

M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes – En application de l’article L. 136-1 du code des juridictions financières, j’ai l’honneur de déposer sur le bureau de l’Assemblée le rapport public annuel de la Cour des comptes (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Soisson – Faisons-en bon usage !

M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes – C'est en 1832 que la Cour a remis pour la première fois son rapport annuel au Parlement. C'était en quelque sorte l'acte inaugural d'une mission d'assistance qui n'a cessé, depuis, de se développer.

Notre travail à vos côtés n'a en effet plus grand-chose à voir avec ce qu'il était il y a quelques années à peine et dépasse désormais de loin le seul rapport public annuel. Cette formule pourrait donner à croire que la Cour ne publie qu'une fois l'an. Il n'en est plus rien, bien sûr.

Mais si nous maintenons ce rendez-vous annuel, c’est d'abord qu'il garde un sens pour nos concitoyens ; c’est aussi qu'il constitue une occasion de dresser un bilan de notre activité et de mettre en exergue des observations qui n'auraient pas forcément justifié un rapport public spécifique.

En tout cas, le rapport public annuel et nos observations sur l'exécution budgétaire, lesquelles remontent à 1822, ne sont plus les seuls supports de notre mission d'assistance au Parlement. Cette dernière a pris une nouvelle dynamique dans les années 1990, puis avec la LOLF. Et le Parlement français est désormais l'un des deux ou trois au monde qui reçoivent le plus d'information de leur institution supérieure de contrôle.

Nous vous livrons trois rapports par an sur l'exécution des lois de finances et de financement de la sécurité sociale : le rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'État, le rapport sur les finances publiques, le rapport sur la sécurité sociale. Ils sont accompagnés, depuis 2007, par deux autres rapports rassemblant les résultats de nos travaux de certification sur les comptes de l'État et sur ceux de la sécurité sociale.

Par ailleurs, nous réalisons des rapports à la demande des commissions des finances et des affaires sociales des deux assemblées. Nous en avons produit en 2007 une bonne quinzaine. Nous avons adressé à la commission des finances de l'Assemblée cinq rapports consacrés à l'immobilier du ministère de la défense, à l'imprimerie nationale, au financement de l'enseignement supérieur privé, au bilan de la réforme de la redevance audiovisuelle et aux exonérations de charges sociales. Parallèlement nous avons adressé à la MECSS de la commission des affaires sociales deux rapports sur le médicament.

Nous vous avons également remis cette année dix-huit rapports sur les entreprises publiques, et les référés vous sont désormais communiqués trois mois après leur transmission aux ministres. Nous en avons adressés trente-trois en 2007.

Nous vous livrons également chaque année le résultat de nos travaux sur les thèmes les plus divers. En 2007, nous avons ainsi publié cinq rapports thématiques portant respectivement sur les grands chantiers culturels, les aides des collectivités territoriales aux entreprises, la recherche publique dans le domaine des sciences du vivant, la prise en charge des personnes sans domicile et les institutions sociales des industries électriques et gazières.

Nous avons également publié quatre rapports portant sur des organismes faisant appel à la générosité publique que nous vous avons fait parvenir.

Vous connaissez le prix que nous accordons aujourd'hui à cette mission d'assistance. J'ai moi-même à cœur que la Cour soit utile à vos travaux de contrôle…

M. Didier Migaud, président de la commission des finances – Elle l’est.

M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes – …Et qu'elle soit, grâce à votre propre travail, plus écoutée et mieux suivie.

Nous sommes à votre disposition pour assister dans leurs travaux d'évaluation et de contrôle la commission des finances et la commission des affaires culturelles. D'ailleurs, les magistrats de la Cour viennent régulièrement s'exprimer devant elles.

La confiance que votre Assemblée fait à la Cour vous a conduits à souhaiter élargir le champ de notre concours. Vous nous avez ainsi demandé, cette année, de procéder à un audit de gestion de l'Assemblée, dans le sillage des recommandations du Comité Balladur et de la décision du Président de la République de soumettre les comptes de l'Élysée au contrôle de la Cour. Cette nouvelle mission nous honore. Nous la remplirons avec le souci de respecter pleinement les prérogatives du Parlement.

Pour la troisième fois, le rapport qui vous est soumis comporte un deuxième volume consacré aux suites données à nos travaux. Il s'agit de mettre un terme à une idée fausse qui voudrait que la Cour parle le plus souvent dans le vide. Cette année, avec trente-huit insertions de suivi, nous battons d'ailleurs notre propre record.

Si ces résultats sont encourageants, je me garderai d'en attribuer à la Cour le seul mérite. Ces progrès sont dus notamment au travail de vos commissions et à l'attention qu'elles portent à nos travaux.

Je pense notamment à la taxation des stock-options consacrée dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 ; à l'intégration progressive dans le budget de l'Élysée de l'ensemble des dépenses qui lui sont rattachables ; à la plus grande autonomie conférée aux universités grâce à la loi du 10 août dernier ; à la consécration dans la loi d'un principe de continuité de la prise en charge pour les personnes sans domicile ou encore au redéploiement de certaines places d'hébergement d'urgence en un hébergement plus durable. Il y a aussi le meilleur encadrement des remboursements par l'assurance maladie des frais de transport ; la réforme de la protection juridique des majeurs par la loi de mars 2007 ; la simplification et la consolidation juridique du dispositif de crédit impôt recherche ; ou la toute récente suppression au profit du contrat initiative emploi du dispositif si contestable et inefficace de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise – ce qui devrait entraîner une économie budgétaire substantielle.

Je pourrais citer aussi les réformes intervenues à la Banque de France, dans le sens de nos préconisations ; la création par l'UNÉDIC d'un fonds de réserve pour lisser les conséquences financières des aléas conjoncturels ou l'amélioration de la gestion de l'action sociale à la Caisse des dépôts et consignations.

Dans certains domaines, les résultats sont même quantifiables. C'est le cas pour nos observations concernant les comptes de l'État dans le cadre de la certification. Plus de 90 % de nos recommandations ont été mises en œuvre.

Certes, le bilan n'est pas toujours positif. Mais force est de constater que les choses bougent. Et que la Cour, lorsque satisfaction ne lui est pas donnée, ne lâche jamais prise.

J'en viens aux insertions nouvelles.

Nous traitons à nouveau de la redevance audiovisuelle. À la demande du président de la commission des finances, la Cour s'était déjà attachée à dresser le bilan de la réforme. Nous avions montré qu'il en est bien résulté une simplification pour l'usager et une diminution de la fraude, ainsi que des économies, mais qu'un plein parti n'a pas été tiré des gains de productivité réalisés.

Nous avons poussé l'analyse sur le problème du financement de l'audiovisuel public, que la réforme ne règle en rien. Le niveau de la redevance augmente en effet moins vite que les dépenses des sociétés audiovisuelles. Son montant est resté fixé à son niveau de 2002 soit 116 euros : c'est deux fois moins que chez nos voisins allemands ou britanniques. Ce problème financier fait peser un risque de report de charge sur le budget de l'État. Le débat a resurgi il y a quelques semaines avec les hypothèses tout à fait nouvelles que vous savez. Vous ne trouverez évidemment pas dans ce rapport un avis de la Cour sur les propositions du Président de la République. En revanche, vous y trouverez les termes financiers du débat.

S’agissant en second lieu de l'Imprimerie nationale qui avait également fait l'objet à votre demande d'un rapport, nous en exposons les suites. L'Imprimerie nationale s'est trouvée fortement secouée par son entrée dans le champ concurrentiel au point de frôler le dépôt de bilan. La Cour avait préconisé en 2000 un certain nombre d'ajustements. Nous constatons aujourd'hui qu'un plan de redressement a été mis en œuvre et globalement bien mené. À son terme, le risque de disparition aura été écarté. Mais ce plan a coûté cher à l'État...

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales  Très cher !

M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes – …Et l'entreprise reste très dépendante de ses dernières activités de monopole. Elle doit encore faire un effort pour aligner sa productivité sur ses concurrentes.

En troisième lieu, la Cour avait apporté son concours à votre assemblée à propos de la gestion immobilière de l'État, soit un patrimoine estimé à environ 50 milliards. La Cour dénonce depuis longtemps les gaspillages, la faiblesse de la maîtrise d'ouvrage et la priorité souvent donnée aux opérations nouvelles sur les opérations d'entretien.

L'intervention de la mission d'évaluation et de contrôle créée par la commission des finances a été pour beaucoup dans l'annonce, en février 2006, d'une réforme de la politique immobilière de l'État, incluant la création de l'agence « France-Domaine » héritière du service des domaines de ce même ministère.

Ces décisions sont prometteuses de changements significatifs. Force est de constater qu'on n'y est pas encore. Les cinq exemples cités par la Cour dans ce rapport illustrent chacun un aspect différent des problèmes.

L'un est malheureusement « classique » : il s'agit de la rénovation du grand ensemble de bureaux des ministères sociaux, place de Fontenoy. Faute d'engagement politique et financier clair, l'opération, décidée en 1992, ne sera bouclée au mieux qu'en 2011 – quasiment 20 ans après – et les dépenses auront plus que doublé par rapport aux estimations initiales.

Deux autres cas illustrent les risques du recours à des montages « innovants », sortes de partenariats public/privé, pour financer des localisations nouvelles. Pour le ministère de l'intérieur, c'est la relocalisation des directions de renseignement à Levallois-Perret et pour le ministère des affaires étrangères, la construction d'un immeuble pour les archives diplomatiques. Ces « innovations », qui visent le plus souvent à faire face à l'insuffisance de crédits immédiatement disponibles, ont conduit à des surcoûts pour l'État, estimés à près 40 millions en valeur actualisée pour le seul ministère de l'intérieur, qui sont dus à l'intervention d'un tiers privé dans le montage, et au fait qu'on paraît avoir oublié que l'État emprunte à un taux plus bas que les sociétés auxquelles il fait appel.

Le rapport évoque également quelques cas bien connus de la mission d'évaluation et de contrôle : la restructuration de l'immeuble des Bons Enfants, resté sans occupant pendant plus de quinze ans en raison d’une querelle entre le ministère des finances et celui de la culture, ou encore les conditions du relogement des affaires étrangères sur l'ancien site de l'Imprimerie nationale. L'État a fait preuve dans toutes ces opérations d'une myopie coûteuse.

Le rapport contient de nombreux autres exemples illustrant la difficulté de l’État à réformer sa gestion interne. Ainsi, les pensions des fonctionnaires sont généralement versées dans les règles et à temps, mais le service reste de qualité médiocre et faiblement productif : on pourrait économiser environ 1 200 agents, soit 40 % des effectifs. Nous avions déjà signalé cette situation en 2003. La situation n'étant plus acceptable, nous revenons à la charge.

Le rapport aborde également cette « curiosité administrative » – c’est une litote – que sont les conservations des hypothèques. Bénéficiant d'un statut édicté en 1771, sous Louis XV, les conservateurs des hypothèques perçoivent des rémunérations qui comptent parmi les plus élevées du ministère des finances, sans lien avec leurs responsabilités véritables. De telles rémunérations expliquent sans doute que le nombre des conservations, donc des conservateurs, n’ait pas été modifié alors que le nombre des agents a beaucoup diminué. Dans le même temps, les usagers continuent à payer des tarifs élevés, sans que les prestations bénéficient de tous les progrès autorisés par l'informatisation. Là encore, ce n'est pas la première fois que la Cour préconise une profonde réforme, visiblement différée afin de maintenir un débouché particulièrement attrayant.

Outre la gestion interne de l'État, la Cour s'est intéressée à la manière dont l'État exerce sa fonction d'actionnaire.

La création de l'Agence des participations de l'État a renforcé le professionnalisme des opérations en capital et favorisé une meilleure gouvernance des entreprises publiques. Le problème est que l'État actionnaire a des intérêts contradictoires : les uns sont patrimoniaux et financiers, les autres stratégiques, si bien que l’on constate parfois une certaine schizophrénie. L’État doit-il se contenter de gagner de l'argent ou bien faut-il qu’il influe sur l'évolution des entreprises ? Sa situation financière, c’est-à-dire son déficit, le pousse parfois à vendre au détriment d'une vision de long terme de ses intérêts.

Dans certains cas, l'État vend mal et se défait de participations stratégiques. De plus en plus souvent, il se retrouve même dans une position d'actionnaire minoritaire, qui affaiblit ses positions et réduit sa maîtrise sur les décisions. La mauvaise gestion de l'affaire EADS le montre bien. Le rapport évoque également la privatisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes, qui n’a pas rapporté à l’État autant qu'elle aurait pu et qui n’a pas été assortie des précautions nécessaires à la protection des usagers en matière de tarifs (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe UMP).

La question des tarifs autoroutiers fait d’ailleurs l'objet d'un chapitre entier du rapport public. La Cour constate que les prix pratiqués ne correspondent plus aux coûts des investissements et de l'exploitation des autoroutes et que, trop souvent, l'usager paye plus qu'il ne devrait (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et NC).

Aucune remise en ordre n'a été effectuée, ni lors de l'ouverture du capital, ni lors de la privatisation des concessionnaires en 2006. Il faut revoir le système en vigueur. La Cour demande à l'administration, qui homologue chaque année les tarifs, de faire preuve de plus de rigueur, notamment dans ses relations avec les sociétés privées.

Le rapport présente également un bilan des défaisances qui ont concerné le Crédit Lyonnais, le Crédit Foncier de France, le Comptoir des Entrepreneurs et le GAN. La Cour a déjà examiné ce sujet, en 2000, dans un rapport sur l'intervention de l'État dans la crise du secteur financier, mais nous pouvons désormais dresser un bilan quasi-définitif.

La facture pour l'État est très lourde : elle s’élève à 20,7 milliards d'euros. Le choix de « cantonner » les actifs compromis dans des structures spécifiques vouées à la disparition n'a pas permis d'en tirer le meilleur parti. La réalisation de montages complexes a débouché sur de fréquentes confusions de responsabilités, aggravées par le fait que l'État ne pouvait guère se désintéresser de ces dossiers. On peut se demander s'il ne serait pas préférable, en de semblables circonstances, de responsabiliser les sociétés concernées en leur laissant la gestion directe des actifs compromis et des contentieux (Applaudissements de M. Charles de Courson).

Nous avons donc examiné les performances de l'État gestionnaire et celles de l'État actionnaire, mais aussi ses performances dans la conduite des principales politiques publiques.

Cette année encore, nous nous sommes penchés sur l’enseignement supérieur et la recherche, thèmes sur lesquels la Cour vient de réaliser de nombreux contrôles. Je vous renvoie notamment au chapitre consacré au CNRS : en dépit d'une meilleure gestion, cet établissement a souffert de l'instabilité de ses équipes dirigeantes et des hésitations portant sur son rôle. Il y a aujourd'hui trois solutions pour le CNRS : être un fédérateur de compétences, un opérateur direct de recherche ou bien une agence de moyens au bénéfice de la recherche universitaire. Il faudra choisir, et trouver en tout cas des équilibres durables avec l'université.

La Cour s'est également intéressée aux quatre universités des villes nouvelles d’Île-de-France, toutes créées au début des années 90. Leur dynamique semble avoir pris au dépourvu l'État. Ces établissements sont dans une situation financière tendue, qui ne leur permet pas de répondre aux besoins d'une population étudiante toujours plus nombreuse.

Nous abordons ensuite la question de l’emploi au travers du fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, fonds qui a été créé en 2005 sur le modèle du fonds géré par l'AGEFIPH dans le secteur privé.

Le parti pris d'aligner le dispositif prévu pour les fonctions publiques sur celui du privé était difficile à tenir – je parle en connaissance de cause. Les objectifs retenus peuvent légitimement être transposés, mais les moyens employés doivent nécessairement différer, au moins partiellement. Pour l'avoir oublié, on en arrive aux résultats que nous avons constatés : le fonds dispose de ressources financières élevées qu'il ne parvient pas à utiliser, et le taux d'emploi des personnes handicapées dans la fonction publique reste très en deçà de l'objectif fixé.

La raison principale tient aux modes de recrutement dans la fonction publique, sans rapport avec ceux du secteur privé. La voie du concours est en effet privilégiée et l’on exige des candidats, hors concours, une équivalence de diplômes. C'est en amont du processus de recrutement qu'il faut donc agir, notamment en améliorant la formation des personnes handicapées, quitte à élargir le champ d'intervention du fonds. Il faut imaginer un dispositif d'intervention plus adapté à la fonction publique.

Deuxième sujet concernant l'emploi : la fusion de l'ANPE et de l'UNÉDIC. Cela fait plusieurs années que nous préconisions un rapprochement et nous avons réexaminé la question en 2007 dans la perspective de la fusion.

Nous avons constaté certains progrès, notamment la création de quelques guichets uniques, mais les améliorations restent très limitées. Les deux réseaux ont plus divergé que convergé au cours des dernières années. Nous avions notamment dénoncé en 2006 la stratégie d'implantation territoriale de l'UNÉDIC, qui semblait chercher à éviter toute proximité avec l'ANPE, ce qui devrait compliquer la fusion.

Nous avons également examiné les conditions de recours à des opérateurs privés de placement pour les demandeurs les plus éloignés de l'emploi. La sous-traitance a coûté cher sans que son efficacité soit prouvée pour autant. Une méthode d'évaluation plus rigoureuse a été mise en place. Il faudra être vigilant sur ses résultats.

On trouvera plus loin dans le rapport les résultats d'un contrôle effectué par la Cour sur la gestion des ressources humaines au sein de l'ANPE. L'enjeu est de taille : avec 30 000 agents, l'ANPE est le plus gros opérateur de l'État. Ses dépenses de personnel ont crû de plus de deux tiers entre 1999 et 2006 et dépassent désormais le milliard d'euros. Ces dépenses ont augmenté plus vite que les effectifs, notamment grâce à une politique de primes et indemnités très favorable. Le contrôle de la Cour fait ressortir des pratiques en matière que l'on peut estimer, par euphémisme, peu rigoureuses. La fusion devra être l'occasion d'une remise en ordre.

La Cour aborde également deux sujets de moindre importance financière, mais qui illustrent chacun des aspects particuliers de politiques publiques importantes.

Il s’agit tout d’abord des relations entre la métropole et les départements et territoires d'outre-mer en matière de continuité territoriale. L'État a instauré un dispositif financier d'aide aux déplacements entre les territoires d'outre-mer et la métropole. Contrairement à ce qui était prévu, l'État finance seul ce dispositif, alors que ce sont les collectivités concernées qui déterminent les critères d'attribution. Outre des abus et des effets d'aubaine, il ressort que les objectifs n'ont pas été atteints. La Cour pense donc qu'il faut revoir ce dispositif.

Un mot également sur la politique d'aide au développement agricole. Les conclusions de la Cour sont sévères : il conviendra de recentrer les objectifs et de mieux évaluer les résultats atteints.

J'en arrive au terme de cette présentation. Je n'aurai pas passé en revue toutes les insertions, mais nous avons préparé à votre attention des synthèses sur chacune d'entre elles. Comme chaque année, le rapport annuel de la Cour est également accompagné du rapport annuel de la Cour de discipline budgétaire et financière, la CDBF, sous forme d'un fascicule distinct.

Puisque j'ai parlé tout à l'heure des défaisances, je dois signaler que le Conseil d'État vient de confirmer l'arrêt rendu par la CDBF dans le dossier d'Altus Finance, filiale du Crédit Lyonnais. Deux dirigeants ont été condamnés à des amendes très significatives et le Conseil d’État a conforté la jurisprudence de la CDBF sur la faute grave de gestion. Cela pourra être utile lorsqu’il faudra donner un fondement au régime rénové de responsabilité des gestionnaires que le Président de la République a appelé de ses voeux.

Telles sont les quelques observations dont je voulais vous faire part. J’espère que nos travaux vous apporteront, une fois encore, des analyses et une expertise susceptibles d’éclairer vos débats. C’est dans cet esprit que nous avons travaillé et que nous continuerons à travailler pour vous (Applaudissements sur tous les bancs).

M. le Président – Monsieur le Premier président, vous nous avez présenté de manière précise, complète, passionnante et parfois piquante les activités de la Cour des comptes. Au nom de l'Assemblée nationale, je vous en remercie vivement.

Comme vous, je forme le vœu que les relations de travail entre le Parlement et la Cour, notamment au sein de la commission des finances et de la commission des affaires sociales, continuent à s’approfondir et à s’intensifier.

Au nom du Bureau de l’Assemblée et en mon nom personnel, je veux également vous remercier d’avoir accepté que la Cour procède, pour la première fois, à un audit de la gestion administrative et comptable de notre institution dans le respect de sa parfaite indépendance dans l’exercice de ses missions constitutionnelles : sa mission législative et sa mission de contrôle.

Nous aurons toujours le même plaisir à vous recevoir, Monsieur le Premier président, dans cette maison qui est aussi la vôtre. (Applaudissements sur les tous les bancs)

M. Didier Migaud, président de la commission – Je salue également cet événement qu’est toujours la publication du rapport public annuel de la Cour des comptes. La commission des finances attache une grande importance à l’assistance que lui apporte la Cour dans sa fonction essentielle de contrôle.

La LOLF, en modifiant profondément l'architecture du budget de l'État, en donnant plus de liberté aux gestionnaires, en assouplissant les contrôles a priori, a modernisé la gestion publique pour privilégier une démarche de performance. Dans cette optique, elle a aussi considérablement renforcé les pouvoirs de contrôle du Parlement pour vérifier l'utilisation optimale des ressources disponibles.

Mais la nature même du contrôle a changé. La LOLF, beaucoup plus précise que ne l’était l'ordonnance organique de 1959, a pris soin de distinguer deux missions pour les commissions des finances des deux chambres. La première, classique, consiste à suivre et à contrôler l'exécution des lois de finances. C'est pourquoi les rapporteurs spéciaux sont désignés pour l'année entière, et souvent renouvelés, pour assurer la continuité du contrôle. Mais la deuxième, plus nouvelle, est de procéder à l'évaluation de toute question relative aux finances publiques. Cette mission correspond à la conception contemporaine des finances publiques, qui suppose de suivre l'ensemble des administrations publiques. La perspective est davantage qualitative : il s’agit de se prononcer sur l’efficacité de la gestion, alors que le contrôle porte simplement sur la conformité au vote du Parlement. Pour la représentation nationale, l'évaluation est donc tout autre chose qu'une idée plaisante, nouvelle et bientôt périmée. Ce doit être le cœur de l'activité du Parlement, qui s'est résolument engagé sur cette voie. C'est pour l'État une obligation, et pour nous-mêmes un devoir.

En juin 2007, à l'occasion de la loi de règlement du budget pour 2006, le Parlement a examiné ses premiers rapports annuels de performances. Ces lois de règlement vont progressivement devenir un moment essentiel de la discussion budgétaire, car c’est en mesurant les performances de chaque politique publique que nous pourrons juger des orientations prévues dans les projets de loi de finances. En juillet dernier, malgré un ordre du jour chargé, la commission des finances a procédé à l'audition de plusieurs responsables de programme. La discussion a été parfois serrée, toujours instructive. Cette année, nous allons développer ces auditions. En effet, si l’évaluation des politiques publiques n’est bien sûr pas du seul ressort du Parlement – et il est heureux qu’elle devienne la préoccupation du plus grand nombre – elle est son affaire en premier lieu. La loi organique fait obligation au Gouvernement d'associer à chaque programme des objectifs précis et les résultats attendus. Elle lui fait obligation de présenter au Parlement des objectifs stratégiques. Elle a créé les indicateurs de performance et les rapports annuels de performances. À ce propos, il faut souligner que ce sont les mêmes indicateurs de performance qui devraient être utilisés par le Gouvernement pour évaluer ses propres ministres, afin d’assurer la cohérence de l’évaluation.

La Cour des comptes est d’une aide précieuse pour le Parlement, une aide qui est devenue permanente. Outre les trois rapports bien connus sur l’exécution des lois de finances, la situation des comptes publics et la certification des comptes, qui sont devenus des documents de travail incontournables, la LOLF a explicitement confié à la Cour une mission d'assistance au Parlement, que peuvent demander le président et le rapporteur général des deux commissions des finances. La commission peut en outre demander à la Cour des enquêtes sur la gestion des services ou organismes qu'elle contrôle – la MEC engage fréquemment son analyse à partir des constatations réalisées par la Cour dans le cadre de telles enquêtes. Des représentants de la Cour sont présents à chacune de ses auditions. J’attire votre attention sur cette participation aussi discrète qu'utile – deux ou trois magistrats, une ou deux fois par semaine – qui assure une plus-value réelle à nos travaux. Ce fut le cas notamment à propos des programmes d'équipement naval ou des opérations immobilières de l'État, qui sont depuis plusieurs années un cheval de bataille de notre commission – nous lirons avec beaucoup d’attention, Monsieur le Premier président, vos observations à ce sujet. Je tiens à rendre hommage à la disponibilité de vos magistrats ainsi qu'à l'esprit d'ouverture dont ils font preuve pour enrichir les débats de la MEC, loin de tout tapage médiatique.

La Cour apporte aussi une assistance fructueuse à nos quarante-neuf rapporteurs spéciaux, bras armé de la commission des finances en matière de contrôle et d'évaluation. Depuis cet automne, sur la proposition du Premier Président, plusieurs d'entre eux ont rencontré les présidents de chambre de la Cour compétents dans leur domaine et ont pu s'entretenir de l'exécution budgétaire, mais aussi confronter leurs analyses sur les sujets d'actualité. De même, la commission des finances organisera régulièrement des auditions à partir des audits et référés que la Cour lui adresse et qui sont trop longtemps restés sans suite. Cette coopération est une composante de la nouvelle démarche du Parlement, qui doit passer d’une culture de soumission à une culture de contrôle et d’évaluation. L’exemple des autoroutes est une illustration de sa démission face aux propositions de l’exécutif – mais on en trouverait des exemples sous quelque gouvernement que ce soit. On parle beaucoup de restauration du rôle du Parlement : ce n’est pas une question de textes, mais de volonté. Je pense que le contrôle et l’évaluation doivent dépasser les clivages politiques et vos travaux, Monsieur le Premier président, montrent que cela peut être le cas.

M. Charles de Courson – Très bien !

M. Didier Migaud, président de la commission – Les parlementaires vont maintenant étudier avec un grand intérêt le rapport déposé aujourd’hui, qui est pleinement en phase avec leurs préoccupations. Le rapport public de la Cour des comptes est la partie la plus visible de nos échanges. Il en illustre la qualité. Je m’associe au souhait de notre président que cette coopération se renforce et nous permette de mettre le contrôle et l’évaluation au cœur de l’action du Parlement (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances – Je voudrais tout d’abord saluer la qualité des relations qui unissent notre commission avec la Cour des comptes, et qui s’exercent, bien au-delà du dépôt du rapport annuel, par le biais de la mission d’évaluation et de contrôle ou des missions spécifiques de l’article 58 de la LOLF, mais aussi par un travail au quotidien, qui n’est pas formalisé mais qui prend de l’ampleur, entre les rapporteurs spéciaux ou pour avis et les conseillers et magistrats de la Cour.

Je n’aborderai aujourd’hui qu’un sujet : celui de la dépense fiscale.

M. Charles de Courson – Excellent sujet !

M. le Rapporteur général – Les dépenses fiscales deviennent pour nous une préoccupation majeure, du point de vue tant de l’efficacité de la dépense publique que du rétablissement des comptes publics. Pourtant, elles sont très récentes. Elles n’ont été formalisées qu’à la fin des années 1970 et la notion même n’est apparue qu’à l’occasion de la loi de finances pour 1980, avec un fascicule pour les évaluer. Bientôt trente ans plus tard, elles sont devenues un enjeu essentiel.

Un enjeu d’abord de maîtrise budgétaire : en 2007 ainsi, les recettes de l’impôt sur le revenu ont été inférieures de plus d’un milliard à ce qui avait été prévu en loi de finances initiale. Ce n’était jamais arrivé depuis dix ans. Les niches fiscales sont en train de miner véritablement un certain nombre de recettes de l’État. Sans que nous nous en rendions compte, des dépenses non évaluées ont explosé, comme celles relatives aux économies d’énergie dans les logements ou encore la prime pour l’emploi, cette dernière sous l’effet de la baisse du chômage. Elles sont aussi un enjeu de simplification de notre fiscalité, parce que quand des centaines de dispositions dérogatoires existent, plus personne n’y comprend rien. Enfin, elles sont un enjeu essentiel en matière d’équité de la loi fiscale. Le bouclier fiscal, c’est-à-dire le plafonnement de l’impôt par rapport aux revenus du contribuable, a instauré cette notion essentielle que l’impôt ne doit pas être confiscatoire. Mais qui dit plafond dit plancher : un contribuable aux revenus confortables ne doit pas pouvoir s’exonérer complètement du paiement de l’impôt (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP et du groupe NC). C’est pour nous une préoccupation majeure, et nous réfléchissons beaucoup à un plafonnement des niches fiscales, voire à une notion d’impôt minimal.

Dans le budget pour 2008, qui dépasse un peu les 300 milliards, les dépenses fiscales représentent un peu plus de 73 milliards et sont divisées en 486 types différents. C’est là une singularité française, même s’il faut le reconnaître, les dix premières dépenses fiscales représentent à elles seules près de 40 % du coût total. Mais la progression de ces dépenses ne cesse de s’accélérer : ainsi augmentent-elles de quelque 7 % en 2008 par rapport à 2007, alors que les crédits budgétaires ne progressent, eux, que de 1,6 %, en vertu de la règle de la croissance zéro en volume. Leur augmentation représente cinq milliards d’euros en valeur absolue, soit à elle seule la marge de manœuvre autorisée par la règle précitée.

Il nous faut donc absolument réagir. En 2003, le Conseil national des impôts, devenu depuis le Conseil des prélèvements obligatoires, animé par la Cour des comptes, remettait un remarquable rapport sur la dépense fiscale, concluant que, très mal évaluée, elle était de surcroît d’une efficacité incertaine. L’article 51 de la LOLF permet certes désormais de mieux la chiffrer par le biais des programmes et des rapports annuels de performance. Mais 20 % de cette dépense ne sont toujours pas évalués et pour le reste, la moitié ne fait l’objet que d’ordres de grandeur, toujours largement dépassés.

Par ailleurs, toute dépense fiscale ne coûte en général pas grand-chose la première année, à peine plus la deuxième, avant que son coût n’explose les années ultérieures. Ainsi, le prêt à taux zéro, qui n’est autre qu’une dépense fiscale puisque les banques le distribuant bénéficient en contrepartie de réductions d’impôt sur les sociétés, ne coûtait-il que 200 millions d’euros la première année, mais un milliard cinq ans plus tard.

Pour la dépense fiscale, comme pour les crédits budgétaires dont elle n’est après tout qu’une forme, des indicateurs de performance seraient nécessaires. La Cour des comptes y travaille. Dès la loi de finances pour 2007, elle a proposé des indicateurs pour une douzaine de ces dépenses. Le Gouvernement s’est, pour sa part, engagé à nous présenter, lors de l’examen de la loi de règlement 2007, une évaluation de quelques-unes des très grosses dépenses fiscales comme l’application de la TVA à taux réduit pour les travaux dans le logement, les exonérations liées à l’assurance-vie, les réductions d’impôt pour l’emploi d’un salarié à domicile, le crédit d’impôt développement durable… Le travail est immense. Il est urgent de s’y atteler.

Il nous faut par ailleurs absolument maîtriser la prolifération de ces dépenses. Plus la norme de progression de la dépense est rigoureuse, plus les crédits budgétaires sont rationnés, plus il est tentant pour les ministères de tenter d’obtenir par le biais d’exonérations fiscales à peu près ce qu’ils auraient obtenu autrement. Il conviendrait, dès la loi de finances pour 2009, comme le propose la Cour des comptes, d’intégrer dans la norme générale de dépense – ou dans une norme spécifique –, une partie de la dépense fiscale (M. de Courson applaudit), comme nous avons intégré dans la loi de finances pour 2008, les prélèvements sur recettes, réel progrès que M. le Premier président a salué. Ainsi pourrions-nous demander à tout ministre nous proposant une exonération fiscale l’économie de crédits proposée en contrepartie. Cela est difficile, mais indispensable.

M. Jérôme Chartier – Très bien ! Il faut être courageux.

M. le Rapporteur général – C’est en équipe que nous pourrons être courageux. Mais je sais que le président de la commission des finances partage mon avis sur ce point.

Il conviendrait enfin, mais cela suppose une révision de la Constitution…

M. Maxime Gremetz – Encore !

M. le Rapporteur général – …de réserver aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale la possibilité de créer de nouvelles dépenses fiscales (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et du groupe UMP). Dans cette attente, le Sénat vient d’adopter une proposition de loi tout à fait intéressante conditionnant le maintien de toute exonération de cotisations sociales à une ratification par la loi de financement de la sécurité sociale.

Autant de pistes de travail, Monsieur le Premier président, sur lesquelles votre aide nous sera précieuse. En conclusion, je vous remercie à nouveau de la qualité des relations de travail entre la Cour des comptes et notre Assemblée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC et sur plusieurs bancs du groupe SRC).

M. le Président – Monsieur le Premier président de la Cour des comptes, l'Assemblée nationale vous donne acte du dépôt du rapport annuel de la Cour.

La séance, suspendue à 17 heures 10, est reprise à 17 heures 15 sous la présidence de M. Le Guen.

PRÉSIDENCE de M. Jean-Marie LE GUEN
vice-président

RÉTENTION DE SÛRETÉ (CMP)

L'ordre du jour appelle la discussion du texte de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion sur le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

M. Georges Fenech, rapporteur de la CMPLa commission mixte paritaire, réunie lundi, est parvenue sans difficulté à rapprocher les positions de l'Assemblée nationale et du Sénat sur les dispositions du projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale.

La CMP a repris, à quelques exceptions près, les dispositions adoptées par le Sénat sur la rétention de sûreté. La décision de placement est prise par une juridiction régionale, après avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté et évaluation de la personne pendant une durée minimale de six semaines dans un centre spécialisé du type de celui de Fresnes. La CMP a repris également le dispositif de surveillance de sûreté introduit par le Sénat.

Les dispositions transitoires prévues à l'article 12 sont celles prévues par le Sénat : les personnes exécutant, au 1er septembre 2008 ou à partir de cette date, une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à 15 ans à la suite de plusieurs condamnations ou d'une condamnation unique pour les crimes mentionnés à l'article 706-53-13 du code de procédure pénale, pourront être soumises, dans le cadre d'une surveillance judiciaire, d'un suivi socio-judiciaire ou d'une surveillance de sûreté, à une obligation d'assignation à domicile sous le régime du placement sous surveillance électronique mobile – PSEM. Si cette obligation apparaît insuffisante pour prévenir la récidive, ces personnes pourront être soumises à un placement en rétention de sûreté, à la condition que la chambre de l'instruction ait préalablement averti la personne qu'elle pourra faire l'objet d'un réexamen de sa situation.

La chambre de l'instruction statue en chambre du conseil après avoir fait comparaître la personne condamnée assistée par un avocat. Si elle constate qu'il résulte de la ou des condamnations prononcées une particulière dangerosité de cette personne, caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu'elle souffre d'un trouble grave de la personnalité, elle avertit celle-ci qu'elle pourra faire l'objet d'un examen de dangerosité pouvant entraîner son placement en rétention de sûreté.

La CMP a modifié le texte du Sénat sur deux points. A mon initiative, elle a repris la distinction entre victimes majeures et victimes mineures supprimée dans la rédaction – certes plus élégante et concise – du Sénat. S'agissant de la prise en charge dans les centres socio-médico-judiciaires de sûreté, le Sénat avait ajouté aux volets médical et social, une « prise en charge éducative, psychologique et criminologique adaptée ». La CMP a rejeté les termes « éducative » et « criminologique », le premier étant inapproprié, le second renvoyant à une science encore trop nouvelle.

M. Serge Blisko – C’était en effet problématique !

M. Georges Fenech, rapporteur de la CMPLa CMP a par ailleurs procédé à d'utiles coordinations en permettant la prolongation du PSEM en cas de surveillance de sûreté, et en définissant dans le code de procédure pénale l’obligation d’assignation à domicile prévue par le Sénat, et ce, dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire ou d'une surveillance judiciaire.

S'agissant des dispositions relatives à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, la CMP a confirmé les dispositions adoptées par le Sénat.

Pour ce qui est de l'injonction de soins, la CMP a confirmé le vote du Sénat, qui prévoit que les fonctions de médecins coordonnateurs peuvent être exercées par des médecins non psychiatres, spécialement formés, ce qui permet de pallier la pénurie de psychiatres. Elle a souhaité maintenir en vigueur la disposition qui permet de substituer au médecin traitant en charge de l'injonction de soins un psychologue traitant, ce qui s’avère utile dans les cas de violences conjugales. Enfin, ayant constaté l'absence de mesure réglementaire mettant en œuvre le dispositif du psychologue traitant – issu de la loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales –, elle a proposé de préciser que cette fonction était réservée aux psychologues ayant exercé au moins cinq ans.

Au bénéfice de l'ensemble de ces remarques, je vous invite, mes chers collègues à adopter le texte élaboré par la CMP sur ce projet de loi.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice Le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental est un texte important et attendu, qui vise à mieux protéger les Français.

Il offre une prise en charge nouvelle aux personnes particulièrement dangereuses en fin de peine et permet de tirer toutes les conséquences d'une infraction commise par une personne déclarée pénalement irresponsable, tout en respectant l’équilibre entre les droits des personnes et les attentes de la société.

Le Parlement, et particulièrement votre assemblée, soucieux de répondre aux préoccupations des Français, a contribué à améliorer le texte du Gouvernement. Que le président de votre commission des lois – M. Jean-Luc Warsmann – et votre rapporteur – M. Georges Fenech – en soient ici remerciés.

Les dispositions relatives à la nouvelle procédure de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental n'ont pas fait l’objet de modifications substantielles de la part du Sénat. De même, la CMP a repris pour l'essentiel le texte adopté par le Sénat sur le volet sanitaire de ce texte.

L’essentiel de nos débats a porté sur la rétention de sûreté, mesure qui existe depuis longtemps en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne ou au Canada. Le texte issu de la CMP reprend la volonté, exprimée par votre assemblée, de bien préciser le champ d'application de la loi. Vous aviez en effet souhaité que les nouvelles dispositions s'appliquent aux auteurs de crimes commis sur des mineurs, qu'ils aient moins ou plus de 15 ans, ainsi qu’aux auteurs de crimes commis – avec des circonstances aggravantes – sur des victimes majeures.

Votre assemblée avait également souhaité mieux définir les critères justifiant une rétention de sûreté. Je me souviens notamment d’un débat fourni sur la nécessité de prévoir un régime distinct de celui de l'hospitalisation d'office. Le texte issu de la CMP précise que les personnes visées sont celles qui présentent une grande dangerosité parce qu’elles souffrent d’un trouble grave de la personnalité. Responsables de leurs actes, elles ont commis un crime qui démontre leur dangerosité et la nécessité de suivre des soins.

Nous avons longuement débattu de la nécessité d’assurer ces soins dès le début de la détention. Le texte issu de la CMP prévoit un examen systématique au centre national d’observation – CNO. Si la dangerosité initiale de certains criminels est évidente lors du jugement, il est plus difficile d’évaluer la dangerosité au terme de la peine. La CMP a prévu qu’un nouvel examen aurait lieu au CNO, conduit par deux experts pendant six semaines. Les trois juges qui prononceront la mesure de rétention seront donc éclairés.

La rétention de sûreté, ne doit pas, vos débats l’ont souligné, s'apparenter à un enfermement indéfini. Le texte issu de la CMP prévoit un suivi médical et psychologique adapté, afin de permettre aux personnes de remédier à leur trouble et de réduire leur dangerosité : prise en charge médico-sociale renforcée, traitement anti-hormonal avec le consentement de l'intéressé, psychothérapie individuelle ou de groupe, structuration sociale par le travail et la formation. J’espère d’ailleurs que le travail réalisé dans ces centres – et notamment celui de Fresnes, qui mettra en place cette dynamique – permettra de faire progresser nos connaissances dans ce domaine.

Le texte prévoit que la rétention de sûreté pourra s’appliquer aux tueurs et violeurs en série qui sortiront de prison dans les années à venir. Soyons clairs, les Français ne comprendraient pas que l'on attende quinze ans avant de voir ce dispositif appliqué à des psychopathes qui refusent de se soigner. La rétention de sûreté est une mesure de sûreté, ce n’est pas une peine. Elle est donc immédiatement applicable, comme en a jugé une décision du 5 février 2004 de la cour constitutionnelle allemande.

Le Sénat a renforcé le caractère exceptionnel et subsidiaire de ce dispositif transitoire, en prévoyant qu’une rétention de sûreté ne pouvait être envisagée que si une assignation à domicile sous PSEM était insuffisante et en précisant que les personnes incarcérées au moment de l’entrée en vigueur du dispositif devront être averties par la Chambre de l’instruction que leur dangerosité peut relever d’un placement en rétention de sûreté à la fin de leur peine.

Je suis convaincue que ce texte respecte nos principes constitutionnels fondamentaux ainsi que la Convention européenne des droits de l’Homme.

M. Jean-Jacques Urvoas – On verra !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux – Le Gouvernement veillera à ce que les délais prévus par la loi soient respectés. Il s’assurera que les plus larges garanties seront accordées aux condamnés relevant de la rétention de sûreté. Je rappelle, pour conclure, ce considérant de principe du Conseil constitutionnel : « La prévention d’atteintes à l’ordre public, notamment d’atteintes à la sécurité des personnes, est nécessaire à la sauvegarde de principes et droits à valeur constitutionnelle. Il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre ces objectifs de valeur constitutionnelle et l’exercice des libertés publiques constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figurent la liberté individuelle et la liberté d’aller et venir. »

Le Parlement a su concilier ces deux exigences et ainsi accomplir son devoir de protection de nos concitoyens. Je vous demande donc d’adopter le texte issu de son remarquable travail ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

EXCEPTION D’IRRECEVABILITÉ

M. le Président – J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe SRC une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Serge Blisko – Le texte de la commission mixte paritaire, comme celui dont nous avons débattu en première lecture, est contraire à notre Constitution, ainsi qu’à la Convention européenne des droits de l’homme. L’article 1er, particulièrement inquiétant, introduit dans notre droit une notion qui lui est étrangère, puisque vous privilégiez la protection de la collectivité au détriment de celle de l’individu. Nous entrons dans l’ère du soupçon. Pourtant, notre droit pénal est fondé sur la responsabilité personnelle que chacun a de ses actes, et sur le principe qu’il n’y a pas de peine sans loi. Or, tout condamné soupçonné de pouvoir récidiver pourra désormais être condamné à une deuxième incarcération, renouvelable tant qu’il n’aura pas rassuré sur son compte. Qu’est-ce d’autre qu’une deuxième peine prononcée sans qu’aucun fait nouveau ait été commis ? C’est le premier motif d’irrecevabilité de votre texte.

Deuxième motif : il s’agit bel et bien d’une peine, ne vous en déplaise, comme le démontre le rapport du sénateur Lecerf. La commission interdisciplinaire saisie à l’issue d’une première condamnation sera confrontée à deux obstacles insurmontables. Tout d’abord, elle ne saurait enfermer en centre de rétention un condamné ayant commis un crime quinze ans auparavant sans enfreindre un principe général du droit : non bis in idem – nulle action ne peut être jugée deux fois. Vous m’objecterez certainement que le centre de rétention ne sanctionne pas le crime déjà commis. Précisément, c’est le second obstacle : comment juger quelqu’un pour ce qu’il n’a pas encore fait, ou pour ce qu’il est soupçonné de vouloir faire, sans bafouer la règle selon laquelle il n’y a pas de peine sans loi ?

J’ajoute que le texte initial ne s’adressait qu’aux criminels les plus dangereux, notamment les violeurs et les assassins d’enfants. En quelques jours, il a été élargi aux crimes les plus graves commis sur des enfants, mais aussi sur des adultes : vous utilisiez donc les victimes mineures comme alibi pour faire adopter un durcissement exceptionnel de notre droit pénal. Aucune autre solution n’est envisageable, nous dit-on : c’est faux. Je me réjouis par exemple que le Sénat ait tenu compte de l’expérience de Fresnes pour y rénover le centre national d’observation et lui accorder davantage de moyens. De même, vous savez bien que de nombreuses solutions ont été expérimentées ces dernières années, et qu’elles sont encore trop récentes pour en faire l’évaluation. Dès lors, il ne sert à rien de créer de nouveaux dispositifs si l’on ne donne pas les moyens à ceux qui existent de fonctionner correctement. Ainsi, le texte sur la récidive que vous nous avez proposé l’été dernier ne pouvait qu’être mal appliqué, et vous y ajoutez pourtant déjà une loi, irrecevable de surcroît. En outre, le texte de la CMP bricolé sous pression par M. Portelli introduit une forte dose de subjectivité, puisque la rétention ne pourra être décidée qu’à « titre exceptionnel » en cas de « probabilité » de récidive.

Troisième motif d’inconstitutionnalité : la condamnation au centre de rétention pourra être renouvelée année après année et ce sans limite dans le temps, et le condamné subira en permanence une prise en charge médicale, sociale et psychologique. Certes, M. Fenech a reconnu qu’une prise en charge « criminologique » n’était pas souhaitable, compte tenu de la jeunesse de cette discipline. Pour autant, cela n’éclaire en rien la nature de la prise en charge ! Et c’est de nouveau la subjectivité qui présidera à la décision de la commission de prolonger ou non la rétention. C’est sans précédent : toutes les mesures de sûreté actuelles, qu’il s’agisse du bracelet électronique ou du suivi socio-judiciaire, sont limitées dans le temps ! À force d’être prolongée, la rétention, elle, pourra finir par dépasser la peine initiale. On ne pourra donc plus inscrire dans un continuum modéré les mesures déjà mises en œuvre, telles que le placement sous bracelet.

Quatrièmement, la rétention de sûreté est une peine sui generis aux résultats illusoires. Treize années d’emprisonnement ne manquent pas de changer la personnalité d’un condamné. Sinon, à quoi sert la première condamnation ? Voilà de bien nombreux motifs d’inconstitutionnalité pour un seul texte, inefficace qui plus est !

Un mot sur les contorsions de procédure : les auditions furent certes complètes, mais rapides. La déclaration d’urgence a ensuite permis au Gouvernement d’amender le texte à son gré au point d’en changer l’esprit, et de créer une nouvelle entité sans aucune étude préalable. Cette commission administrative pluridisciplinaire sera le maître d’œuvre de la rétention, de sorte qu’elle se substituera au procureur de la République, au juge des libertés et de la détention et au juge d’application des peines. Or, cette commission n’est pas judiciaire, mais bien administrative, puisque magistrats, médecins et psychologues s’y côtoient. Pourtant, elle jouera le rôle d’un magistrat. C’est une atteinte à la séparation des pouvoirs !

J’en viens à la rétroactivité, deuxième volet de ce bricolage. Un amendement gouvernemental de dernière minute permet l’application de la loi non seulement à des faits antérieurs à sa publication, mais aussi à des affaires en cours, voire déjà jugées. La commission des lois du Sénat a jugé cela anticonstitutionnel et je salue à ce titre l’honnêteté dont M. Lecerf a fait preuve dans son rapport. Hélas, la rétroactivité a été réintroduite dans le texte. Les personnes condamnées exécutant au 1er septembre 2008 une peine de plus de quinze ans d’emprisonnement seront passibles d’une mesure de rétention. Ainsi, le législateur s’apprête à remettre en cause la chose jugée pour aggraver la situation du détenu. Je rappelle qu’en droit pénal, la rétroactivité des lois est proscrite, sauf pour les lois les plus douces. Peu importe que vous proposiez une gradation des peines, de la simple surveillance judiciaire à l’enfermement à titre prétendument exceptionnel dans des centres ad hoc : en ajoutant les peines aux peines alors que le jugement a été rendu sous une loi plus douce, vous violez la Constitution. J’ajoute que la rétention, initialement prévue pour une poignée de prédateurs, est désormais envisagée pour cinquante, voire cent personnes chaque année. Nous légiférons vraiment à l’aveugle ! Et que la procédure soit purement judiciaire ne change rien : le problème n’est pas la compétence de ceux qui prendront la décision, mais bien celui de la rétroactivité de la peine. Chacun sait que le principe d’application de la loi la plus douce est fondamental, mais là encore, vous le violez.

Quant au volet relatif à l’irresponsabilité, Madame la ministre, vous nous avez fourni une réponse bâclée, même si le texte améliorera quelque peu la situation actuelle.

Au fond, ce projet de loi rompt le lien essentiel entre le fait punissable et la sanction qui punit son auteur. Il remet en cause le principe selon lequel on ne peut être condamné qu’à l’issue d’une procès équitable et à une peine prévue par la loi pour des faits commis et dont on a été déclaré responsable. En autorisant une commission à juger en toute subjectivité de la dangerosité d’une personne, vous réintroduisez dans le débat la prétendue prédisposition de l’individu à commettre un crime encore tout virtuel. Au contraire, c’est au cours de sa peine que le condamné doit recevoir les soins adaptés.

Vouloir protéger les victimes est nécessaire, mais ne doit pas vous conduire à bafouer les principes fondamentaux de notre état de droit. C’est pourquoi nous nous opposerons à ce texte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Michel Hunault – Le groupe Nouveau Centre votera contre l’exception d’irrecevabilité. M. Blisko a défendu des principes auxquels nous sommes aussi attachés que lui, et répété une argumentation déjà entendue ici même il y a un mois. Mais faut-il rappeler de quoi nous parlons ? Il s’agit de prévenir la récidive des crimes les plus graves, par un texte qui a été amélioré au cours de nos débats. Ainsi ne tient-on plus compte de l’âge des victimes, mais de la seule dangerosité des criminels au moment de la fin de l’exécution de leur peine. Ce faisant, Mme la garde des sceaux se montre fidèle aux engagements du Président de la République. Ainsi en finira-t-on avec les remises de peine automatiques – et, à ce sujet, dois-je vraiment rappeler la litanie des noms des victimes de criminels récidivistes ? Le dispositif qui nous est proposé tend à faire que les condamnés dangereux soient soignés avant d’être libérés. Nos collègues socialistes n’ont cessé, et M. Blisko aujourd’hui encore, d’insister sur le principe de non-rétroactivité de la loi pour agiter la menace d’un recours devant le Conseil constitutionnel en arguant de l’inconstitutionnalité supposée de ce texte. N’ayons crainte : le Conseil, je n’en doute pas, dira que le projet est conforme à la Constitution. Entre temps, il y a urgence à agir, et à évaluer la dangerosité des condamnés pour les crimes les plus graves avant de les libérer. C’est pourquoi l’exception d’irrecevabilité doit être rejetée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Étienne Blanc – Le groupe UMP souhaite le rejet de l’exception d’irrecevabilité, défendue au motif d’une prétendue inconstitutionnalité du texte. Une fois de plus, référence a été faite à l’article 5 de la Déclaration européenne des droits de l’homme, dont les dispositions seraient, nous dit-on, violées. Avec la même constance, je rappelle donc qu’il ne s’agit ni d’un nouveau jugement ni de nouvelles sanctions, mais d’une mesure de sûreté. Autant dire que l’argumentation tombe. On nous explique aussi que le dispositif, parce qu’il n’est pas assez encadré, présenterait un risque pour les libertés individuelles. Je le répète donc : la décision de placement en rétention de sûreté ne sera prise qu’après une expertise précise de la dangerosité du condamné. On évoque encore le risque d’une détention à vie, alors que la situation de la personne concernée sera réexaminée chaque année par une commission régionale composée de magistrats chevronnés et que la décision sera prise après que la personne concernée aura été examinée pendant six semaines au moins dans un centre spécialisé. Ce n’est pas une commission administrative qui sera appelée à se prononcer, mais des magistrats aguerris. J’ajoute que la rétention de sûreté est une mesure subsidiaire, une exception au principe, qui demeure la surveillance par bracelet électronique ou l’assignation à résidence. J’insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une nouvelle peine et que les magistrats se prononceront, certes, en fonction de la condamnation initiale mais surtout en fonction de la dangerosité appréciée au terme d’une expertise précise.

Le groupe UMP, qui se prononcera contre l’exception d’irrecevabilité, aimerait connaître quelles solutions propose l’opposition…

M. Serge Blisko – Nous les avons dites !

M. Étienne Blanc – Vous parlez de réformer les conditions de l’hospitalisation d’office. Pour notre part, nous considérons qu’une décision prise par juridiction présidée par un magistrat garantit mieux les libertés individuelles qu’une décision prise par une commission administrative présidée par le préfet…

M. Serge Blisko – Il suffirait qu’elle se réunisse sous l’autorité d’un magistrat !

M. Étienne Blanc – Le texte n’a rien d’inconstitutionnel, et il garantit très largement les libertés individuelles (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

M. Michel Vaxès – Le groupe GDR votera l’exception d’irrecevabilité, que l’on a tenté de contrer par des arguments déjà entendus. Quelle solution proposez-vous, nous a-t-on demandé ? À ce sujet, je souligne que si Mme la garde des sceaux a fait référence aux expériences menées à l’étranger, elle a omis de préciser que dans les pays cités, les soins commencent dès le début de l’incarcération ! Donnez-nous les moyens nécessaires pour procéder de la sorte, et nous obtiendrons les mêmes résultats, c’est-à-dire un taux de récidive en chute libre dès la première année ! Comme, d’autre part, le texte fait peu de cas du principe de non rétroactivité de la loi la plus dure, l’exception d’irrecevabilité doit être adoptée (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC).

M. Jean Jacques Urvoas – Je vous appelle à la prudence, car nous sommes dans un débat de droit, et le droit est affaire d’interprétation. Je salue donc l’indépendance d’esprit du rapporteur du Sénat, qui a dit ses doutes sur les risques d'inconstitutionnalité en raison du principe de non rétroactivité de la loi pénale la plus dure. Le groupe socialiste votera l’exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

L'exception d’irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. le Président – Nous abordons la discussion générale.

M. Étienne Blanc – Le texte tel qu'il avait été adopté par le Sénat n'était pas très éloigné de celui qui avait été adopté par notre assemblée, et la commission mixte paritaire a pu régler sans difficulté les quelques points de divergence. Les débats ont d'abord porté sur la rétention de sûreté. Le Sénat avait adopté une disposition qui visait à traiter différemment les victimes mineurs de 15 ans et les autres mineurs ; cette différence n'était pas justifiée, et la CMP est revenue au texte adopté par notre assemblée.

Par ailleurs, s’agissant de l'évaluation de la dangerosité de la personne, la CMP a apporté des garanties supplémentaires, en prévoyant que la décision de placement en rétention de sûreté serait prise par une juridiction régionale – constituée de magistrats – après avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté. En outre, la décision de placement en rétention ne sera possible qu'après une évaluation de la personne dans un centre spécialisé, pendant six semaines au moins.

S’agissant des dispositions transitoires de l'article 12, la CMP a retenu les dispositions arrêtées par le Sénat, qui confirment le caractère subsidiaire de la rétention de sûreté. En effet, pour les personnes exécutant au 1er septembre 2008 ou à partir de cette date une peine de réclusion criminelle d'au moins 15 ans pour une ou plusieurs condamnations pour les crimes d'assassinat, de torture, d'acte de barbarie ou viol, cette mesure ne sera applicable qu'à titre exceptionnel et seulement si l’assignation à résidence sous surveillance électronique mobile apparaît insuffisante.

De plus, la CMP a subordonné le placement en rétention de sûreté à l'obligation pour la chambre de l'instruction d'avertir préalablement l’intéressé qu’il pourra faire l'objet d'un réexamen de sa situation et, spécialement, au vu de la ou des condamnations prononcées, d'un examen de dangerosité pouvant aboutir à une telle décision. Ainsi, dûment averties, ces personnes accepteront peut-être des traitements qu’elles refusaient jusqu'alors.

Ces précisions sont autant de garanties supplémentaires de respect des libertés essentielles.

En ce qui concerne la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, la CMP n’a pas modifié substantiellement le dispositif adopté par notre assemblée : la juridiction pénale se prononce sur les faits et sur leur imputabilité et est amenée à examiner l'indemnisation de la victime. Il s’agit d’éviter l’effet désastreux que produisait la décision de « non-lieu » : les victimes avaient le sentiment que tout se passait comme si les faits ne s’étaient pas produits.

Sur l'injonction de soins, la CMP a retenu les dispositions du Sénat, considérant que cette injonction imposait de renforcer les effectifs des médecins coordinateurs et des médecins psychiatres, mais aussi de recourir à d'autres médecins dès lors qu'ils auront reçu une formation appropriée.

Ce texte ne répond pas à des événements circonstanciels mais à la demande de sécurité des Français, face au risque de récidive que présentent les auteurs de faits particulièrement graves qui, une fois leur peine achevée, recouvrent la liberté sans l'encadrement qui pourrait leur éviter de réitérer. La rétention de sûreté est une réponse appropriée qui ne porte pas atteinte aux principes fondamentaux de notre droit, ni aux libertés individuelles. C’est une réponse appropriée pour les victimes qui avaient subi des souffrances parfois extrêmes et pour lesquelles l’indemnisation était un parcours du combattant. Le renforcement de l'injonction de soins est aussi la réponse adaptée à la situation des délinquants sexuels.

Rien dans ce texte ne heurte les principes de notre droit ni n’affaiblit la garantie des libertés individuelles. Le groupe UMP le votera (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Génisson remplace M. le Guen au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de Mme Catherine GÉNISSON
vice-présidente

Mme Élisabeth Guigou – Notre vote sur ce texte sera emblématique. Dans notre société où les repères manquent, où les principes deviennent confus, il exprimera l'idée que nous nous faisons de la loi et de la justice.

Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires, disait Montesquieu. Cette nouvelle loi était-elle utile ? Peut-être. Mais jamais cette question n'a été soumise à notre Assemblée.

Ce projet a-t-il été précédé d'un bilan de l'application des lois existantes contre la récidive des délinquants sexuels criminels ? A-t-on débattu de l'injonction de soins dès le début de l'incarcération ou du suivi socio-judiciaire à la sortie de prison institués par la loi de 1998 ? De la surveillance judiciaire instituée par la loi Perben du 9 mars 2004 ? De l'utilisation du bracelet électronique mobile ?

M. Jean-Paul Bacquet – Bien sûr que non.

Mme Élisabeth Guigou – Nous sommes-nous interrogés sur les moyens mis à disposition de notre système pénitentiaire pour faire appliquer ces lois ? Avons-nous assez de médecins, de psychiatres, de psychologues, de surveillants, de conseillers d'insertion et de probation, de juges d'application des peines ?

Plusieurs députés du groupe SRC – Non !

M. Michel Hunault – Il fallait voter le budget.

Mme Élisabeth Guigou – Ces personnels ont-ils les moyens d'exercer correctement leur tâche ?

M. Guy Geoffroy – Plus aujourd’hui qu’hier.

Mme Élisabeth Guigou – Le crime odieux de Francis Evrard continue à nous horrifier. Mais, alors que le suivi psychiatrique des condamnés à une longue peine est prévu dès le début de leur incarcération, Francis Evrard a-t-il été soigné en prison où il a passé trente-deux ans ? Non ! Le service médico-psychologique régional du centre de détention de Caen a fermé ses douze lits en juillet 2005, deux ans avant sa libération, faute de psychiatres !

M. Serge Blisko – C’est scandaleux.

Mme Élisabeth Guigou – Pourquoi Francis Evrard n'a-t-il eu un rendez-vous avec le juge d'application des peines que sept semaines après sa libération en juillet 2007 ? Ne serait-il pas possible de réduire ces délais si un juge d’application des peines n'avait pas 750 dossiers à suivre ? Francis Evrard était-il obligé de se présenter régulièrement au commissariat, ce qui aurait permis de constater qu'il avait quitté la ville de Caen ? Nous savons que non ! Pourquoi ? Portait-il un bracelet électronique mobile qui aurait évité qu'il ne séjourne dans sept départements différents avant d'enlever le petit Enis ?

Plusieurs députés du groupe SRC – Non !

Mme Élisabeth Guigou – Pourquoi ? Enfin, a-t-on seulement envisagé son hospitalisation d'office dans un hôpital psychiatrique, mesure prévue par la loi depuis 1938 et inscrite au code de la santé publique ? Non ! Pourquoi ? Il n'y avait pourtant aucun obstacle juridique à une telle mesure, prise sous le contrôle d’un magistrat, Monsieur Blanc !

L'enlèvement du petit Enis eût mérité que la nation s'interroge sur son système pénitentiaire et sur l'organisation de la psychiatrie. J'avais, en août 2007, proposé que soit créée une mission d'information conduite conjointement par la commission des lois et la commission des affaires sociales. Jean-Marc Ayrault en avait fait la demande à la conférence des présidents. Elle a été refusée. Pourtant une commission d'enquête qui aurait interrogé tous ceux qui ont eu la responsabilité de s'occuper de Francis Evrard depuis ses premiers crimes, – car il a récidivé trois fois : chaque fois qu'il a été libéré –, aurait probablement montré, comme la commission d'enquête sur Outreau, la misère de notre système pénitentiaire et de la psychiatrie en France.

M. Michel Hunault – Vous n’avez jamais été aux responsabilités ?

Mme Élisabeth Guigou – Faudra-t-il continuer à voter une loi chaque fois qu'un crime odieux nous bouleverse ? La fuite en avant produit de faux espoirs, elle conduit à la surenchère. Et si, après une rétention de sûreté, un criminel récidive, que fera-t-on ? Que dira-t-on à l'opinion, à qui on aura laissé croire que cette mesure protège la société des criminels dangereux ?

Aucune réponse n'a été apportée à ces questions, aucun bilan sérieux sur les lacunes de notre système pénitentiaire et psychiatrique n'a été établi, aucune démonstration de l'insuffisance des lois actuelles n'a été faite avant que le Gouvernement nous propose un texte qui appelle les plus expresses réserves.

En effet, ce projet porte atteinte à deux principes fondamentaux de notre droit pénal.

Depuis la Révolution, une personne ne peut être emprisonnée que pour un acte commis et reconnu comme contraire à la loi par un tribunal. Depuis l'abolition des lettres de cachet, seule l'infraction rend l'incarcération possible. Or votre projet propose le placement, peut-être à vie, d'être humains, non en raison de ce qu'ils ont fait mais de ce qu'ils sont supposés être. Incarcérer quelqu'un sur une suspicion de dangerosité, c'est piétiner un principe fondamental. Dans son article 9, la Déclaration universelle des droits de l'homme établit la présomption d'innocence. Ce principe inscrit à l'article premier de notre code de procédure pénale depuis le 15 juin 2000, n'existera plus si ce projet est voté.

Ensuite, ce texte ne respecte pas le principe de non-rétroactivité de la loi la plus dure, puisque la rétention de sûreté pourra être imposée aux détenus déjà condamnés sans que la cour d'assises qui a prononcé cette condamnation ait prévu cette mesure. Depuis plus de deux siècles, ce principe a toujours été respecté, sauf sous le régime de Vichy par les lois anti-juives (Protestations sur les bancs du groupe UMP). La rétroactivité de la loi pénale plus dure est contraire à la Constitution ainsi qu'à toutes les conventions internationales que le Parlement et le peuple français ont ratifié.

Les victimes de ces crimes odieux et leurs familles méritent mieux que cette accumulation de lois inappliquées. Elles méritent qu’une vraie réflexion soit menée et de vrais moyens accordés à notre système pénitentiaire et psychiatrique. Elles méritent qu'on leur dise que l'on peut lutter contre la récidive sans piétiner les principes de la justice républicaine. Leur douleur nous impose un devoir de vérité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. Michel Vaxès – Il y a un mois à peine, je regrettais que nous discutions d'un texte relatif aux condamnés jugés dangereux avant même d’examiner le projet de loi pénitentiaire que nous attendons tous – car c'est par là que nous aurions dû commencer !

Il est également regrettable que la majorité ne se soit pas inspirée du rapport de M. Lecerf, notre collègue du Sénat, et qu’elle n’ait pas retenu les plus intéressants de ses amendements, qui avaient le mérite de rendre ce projet de loi plus conforme à nos principes fondamentaux.

Les cas de récidive démontrent avant tout les défaillances de notre système. Nous avons notre part de responsabilité dans toutes ces tragédies. Pour les éviter, il faudrait que les soins et les traitements soient dispensés, non quelques mois avant une libération, mais dès le début de l'incarcération. Nous aurions donc souhaité l’instauration d’un véritable parcours d'exécution de la peine, correspondant à une stratégie individualisée de lutte contre la récidive.

Vous avez certes prévu un article en ce sens, mais qui manque singulièrement d’ambition. Si cette mesure était pleinement appliquée, il n’y aurait pas besoin de rétention de sûreté après la peine ! L'objectif de réinsertion, clef de voûte de la lutte contre la récidive, n'est malheureusement pas celui que s’est fixé la chancellerie. Celle-ci ne souhaite que remettre au goût du jour la relégation. Ce que vous visez, c’est la perpétuité réelle !

Ce texte est un aveu de faiblesse, car vous refusez les mesures qui s'imposent à l’égard des criminels les plus dangereux. Ces mesures sont possibles, mais demandent un effort financier et humain que le Gouvernement n'est pas disposé à consentir.

Ne laissons pas les prisons devenir « le plus grand asile psychiatrique de France » – je cite M. Lecerf. La prise en charge psychiatrique est si insuffisante dans notre pays que la prison reste, dans de trop nombreux cas, l'ultime recours. Or, ce choix n'est pas sans risque. Le temps de la peine est un temps mort : rien n'est entrepris pour favoriser l'amendement du condamné. Les soins, les traitements, la prise en charge sociale et la formation sont quasiment inexistants faute de moyens. À leur sortie, les condamnés n'ont bénéficié d'aucun suivi et n'ont aucun projet de réinsertion. Qui s'étonnera que les plus fragiles et les plus dangereux d’entre eux récidivent ?

Le Gouvernement et la majorité en tirent prétexte pour justifier les mesures les plus injustifiables et masquer ainsi leur immobilisme face à l'urgence pénitentiaire. Vous choisissez d'enfermer après la peine au prétexte de garantir un risque zéro qui n'existe pas. Et pour cela, vous sacrifiez nos principes fondamentaux et les valeurs qui fondent notre tradition humaniste.

Il suffirait pourtant de privilégier la prise en charge médicale et sociale dès le début de la peine. C’est ainsi que vous protégeriez mieux les Français, Madame la garde des Sceaux, dans le respect de nos principes fondamentaux.

Vous répétez à l'envi que la rétention de sûreté n'est pas une peine, mais les faits sont têtus. Les auteurs de crimes graves seront enfermés à leur sortie de prison, et ce pour une durée inconnue, potentiellement illimitée. Malgré vos dénégations, une telle privation de liberté s'apparente donc bien à une peine.

Or, notre justice criminelle a toujours reposé sur un principe simple : pas de détention sans infraction. Vous piétinez ce principe, car la détention ne sera plus décidée en raison d’un crime effectivement commis, mais par crainte qu’un crime ne le soit. Comme l’observe l’un de vos éminents prédécesseurs, Madame la garde des Sceaux, la justice punira « un auteur virtuel d'infractions éventuelles ».

Sur quels critères ? Celui de la dangerosité, appréciée par des experts psychiatriques ? Vous aviez pourtant reconnu combien il est difficile de définir cette notion. Lors de votre audition devant la commission des lois, vous aviez d’ailleurs mis en garde les membres de votre majorité contre les risques d'inconstitutionnalité. Cet appel à la prudence aura été de courte durée : vous avez malgré tout accepté les amendements tendant à élargir le champ de la mesure, initialement limité aux crimes graves commis sur des mineurs de moins de 15 ans.

Mais ce n'est pas le seul risque d'inconstitutionnalité que vous avez décidé de braver. Un amendement gouvernemental a en effet rendu la mesure rétroactive. Nos collègues sénateurs ont appelé à la prudence en commission, mais c'était sans compter sur la détermination du Gouvernement, qui a obtenu l’application immédiate de la rétention de sûreté, y compris pour les personnes déjà condamnées. En dépit de toutes les contorsions juridiques, vous ne pourrez masquer l'évidence : la mesure sera rétroactive, ce qui est contraire à la Constitution.

Le président du Conseil constitutionnel a d’ailleurs rappelé ce week-end que la rétroactivité ne pouvait s’appliquer qu’aux lois pénales plus douces. Sans préjuger de la décision du Conseil constitutionnel, c’est un indice…

M. Michel Hunault – Vous nous en direz tant !

M. Michel Vaxès – Le débat autour des notions de peine et de mesure de sûreté est trompeur. Comme le rappelait un sénateur, le fondement de la non-rétroactivité est l’atteinte portée à la liberté, que la mesure soit une peine ou non.

Toutefois, ce n’est pas l’inconstitutionnalité de cette mesure qui détermine avant tout notre opposition. C’est le fait que cette rétention de sûreté heurte notre conception de la justice : on ne peut détenir à vie un individu sans jugement. L'homme est entré dans la civilisation le jour où il a fait sien ce principe. Nous ne validerons pas, par notre vote, un tel recul de civilisation.

Un mot enfin sur le deuxième volet du texte : la procédure de déclaration d'irresponsabilité pénale pour les criminels atteints de trouble mental. L'article 4 réintroduit dans ce texte un dispositif que nous avions rejeté à l’occasion du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance : le fichage des personnes atteintes de troubles mentaux.

Les décisions reconnaissant l'irresponsabilité pénale devront en effet être inscrites au casier judiciaire, dont la seule vocation est pourtant de collecter les données à caractère personnel en lien avec des infractions, des condamnations ou des mesures de sûreté. Il m'avait semblé que la déclaration d'irresponsabilité pénale n'entrait dans aucune de ces catégories… À quoi servira donc ce dispositif, sinon à ficher des personnes atteintes de troubles mentaux ?

Permettez-moi enfin d’évoquer l'événement dramatique qui s'est produit, lundi dernier, à Meyzieu. Un enfant de 16 ans s'est pendu un dans établissement pénitentiaire pour mineurs.

Mme Delphine Batho – C’est dramatique.

M. Michel Vaxès – Ce drame démontre les limites de votre politique répressive à l’égard des mineurs. À nous d’en tirer les conséquences ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC).

M. Michel Hunault – Ce projet de loi vise à combattre la récidive des crimes les plus odieux. C’est un problème délicat, car il faut évaluer la dangerosité de criminels déjà condamnés et tout faire pour éviter un nouveau passage à l’acte.

L’opposition nous a fait la leçon, nous rappelant des principes auxquels nous sommes tout aussi attachés qu’elle. Dans un grand journal du soir, deux magistrats honoraires sont allés jusqu’à déclarer que ce projet de loi était une insulte aux libertés les plus essentielles. Or, de quoi s’agit-il ? Vous avez été ministre de la justice, Madame Guigou. Je me souviens que nous avons tenté d’apporter notre contribution pour améliorer le texte que vous nous présentiez en 2000. Et je me souviens très bien que vous avez refusé des amendements tendant à prendre en compte la dangerosité de certains criminels. Quand vous nous donnez des leçons en évoquant Vichy, je trouve que vous manquez de retenue (Exclamations sur les bancs du groupe SRC).

Il y a dans ce projet des mesures novatrices : avant de laisser sortir les criminels les plus dangereux, nous évaluerons leur dangerosité. C’est tout. Le travail effectué à l’Assemblée, au Sénat, puis lors de la CMP, a permis de répondre à toutes les interrogations concernant la constitutionnalité du dispositif ainsi que les possibilités de recours. Le Gouvernement nous a donné toutes les assurances nécessaires.

Comme la garde des Sceaux l’a rappelé, il ne s’agit pas d’une peine (Protestations sur les bancs du groupe SRC). Avant de relâcher un individu particulièrement dangereux, nous évaluerons son état et nous l’obligerons à suivre un traitement.

Vous avez certes posé des questions légitimes, mais n’oubliez pas que la garde des Sceaux a déjà fait voter plusieurs textes que vous appeliez de vos vœux, notamment sur le contrôle des lieux privatifs de liberté. Vous avez également demandé davantage de moyens. Mais qui voté les crédits de la justice et de l’administration pénitentiaire – en hausse de 7 % ? C’est nous.

Mme Delphine Batho – Et combien de tribunaux supprimés ?

M. Michel Hunault – Et qui a établi la loi pénitentiaire, sinon la garde des Sceaux ? Bien sûr, nous sommes tous d’accord sur la nécessité de traiter les détenus… mais plus que de belles paroles, il faut des actions, et c’est du côté de ce gouvernement qu’on les trouve.

L’objectif de ce texte est d’éviter la récidive. Il est clairement du côté des victimes : nous connaissons leur douleur, celle de leurs familles. Nous mesurons le drame qu’elles vivent. Il est du devoir du législateur de prendre tout cela en compte. Ce nouveau dispositif est inspiré de ce que font d’autres démocraties occidentales, comme l’Angleterre, l’Allemagne ou le Canada.

M. Michel Vaxès – C’est faux !

M. Michel Hunault – Il respecte tous les principes auxquels nous sommes autant attachés que l’opposition : la décision sera confiée à une juridiction, des voies de recours et des limites de temps sont prévues. Mais nous avons l’obligation de veiller à ce que les détenus les plus dangereux soient traités. C’est pourquoi les députés du Nouveau Centre apportent tout leur soutien à ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Michel Clément – Ce projet de loi vise à instaurer une rétention de sûreté qui permettra, après l'exécution de la peine de prison, de prolonger sans limitation de durée l'enfermement de personnes d'une « particulière dangerosité ». Pour le faire voter, le Gouvernement a choisi une fois de plus d'utiliser la procédure d'urgence, qui ne facilite jamais les débats mais qui est en l’espèce une aberration, une indécence puisque ce texte ne devrait pas, en vertu du principe de non-rétroactivité de la loi, avoir de véritable effet avant quinze ans – bien qu’un subterfuge permette l'ouverture du premier centre de rétention de sûreté dès le 1er septembre 2008.

Ce dispositif, préparé à la hâte à la suite de l'affaire Evrard, est inspiré par la culture du risque zéro qui, sous prétexte de lutter contre la récidive, impose depuis plusieurs années des législations de plus en plus attentatoires aux libertés publiques. Mais il ne s'agit plus simplement de durcir les sanctions ou de renforcer les moyens de contrainte. Il s’agit de procéder à des enfermements préventifs, sur la base d'une présomption d'infraction future et dans une logique d'élimination, pour ne pas dire de mort sociale.

Initialement circonscrit à des infractions commises sur les mineurs, ce texte a déjà été élargi et est encore susceptible d'extensions au gré des faits divers du moment. Il crée une peine privative de liberté qui s'applique sans fait nouveau, remettant ainsi en cause l'autorité de la chose jugée. Cette seconde peine constitue selon Robert Badinter une révolution de notre droit pénal. Elle est décidée lors de la condamnation initiale et l’expertise pluridisciplinaire n'aura qu'une valeur de confirmation.

La confusion règne aussi, puisqu’on envisage qu’une rétention de sûreté soit prononcée à l'encontre d'une personne exécutant une mesure de suivi socio-judiciaire.

Jusqu’à présent, on avait toujours respecté en France le principe de responsabilité pénale. Dorénavant, le lien est rompu. Il n'y a plus d'infraction, mais un diagnostic psychiatrique, une prédisposition innée ou acquise à commettre des crimes. Que reste t-il dès lors de la présomption d'innocence ? On nous dit que la rétention de sûreté ne concerne que des criminels particulièrement odieux, qu’elle sera demandée par une commission pluridisciplinaire, ordonnée au vu d'expertises psychiatriques. Mais étant donné que le concept de dangerosité demeure toujours incertain, il n’y a aucune raison de penser que son champ sera limité. Et que penser de l’effet rétroactif de ce texte, qui fait basculer notre état de droit vers une loi totalitaire ? (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP) C’est une grave dérive que celle qui permet une peine préventive, indéterminée, rétroactive au seul motif d'une « probabilité très élevée » d'infraction. Indéterminée, elle viole le principe de légalité des délits et des peines. Préventive, elle viole celui de la responsabilité pénale. Applicable à des personnes déjà condamnées, elle viole le principe de non-rétroactivité de la loi pénale, ce qui ne s'était pas vu depuis le régime de Vichy (« Oh ! » sur les bancs du groupe UMP). Et que devient dans ces conditions la notion constitutionnelle de procès équitable ?

Contrairement à ce que veut laisser croire le Gouvernement, rien de comparable à ce dispositif n'existe dans les démocraties occidentales. Aux Pays-Bas et en Belgique, ce type d'enfermement n'intervient qu'en substitution à la peine. Mais avec des dispositifs comparables, et au prétexte d'une dangerosité sociale, certains pays enferment des journalistes dans des établissements psychiatriques… (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Guy Geoffroy – Cette fois, les limites sont dépassées !

M. Étienne Blanc – Et qui les a mis sur écoute, les journalistes ?

M. Jean-Michel Clément – Dans leur rapport d'information… (Des claquements de pupitre couvrent la voix de l‘orateur).

Mme la Présidente – Laissez terminer M. Clément !

M. Jean-Michel Clément – Dans leur rapport donc, les sénateurs Philippe Goujon et Charles Gautier estimaient que, si le risque de récidive doit être réduit autant que possible, il ne peut, dans une société de droit respectueuse des libertés individuelles, être complètement éliminé, car le risque zéro n'existe pas. Nous ne pouvons pas accepter un modèle de société qui sacrifie nos libertés au profit de cet objectif illusoire du risque zéro (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Jean Jacques Urvoas – Le groupe SRC votera naturellement contre ce texte. Tout a déjà été dit. Sur la méthode d’abord : la déclaration d’urgence nous a privés du débat et de la navette. Les enjeux auraient mérité mieux. Sur le fond : l’ensemble du dispositif repose sur une notion de dangerosité dont la légitimité scientifique laisse à désirer. Nous n’avons nulle part trouvé de psychiatre estimant convaincants les outils d’évaluation de la dangerosité criminologique destinés à prévenir la récidive. Tout au plus admettent-ils qu’on en fasse usage dans le cadre de la recherche, mais sans les ériger en instrument de décision judiciaire. Cette notion revêt donc un aspect bien trop aléatoire pour justifier l’enfermement d’un individu.

Ce texte est aussi inutile, car nous disposons d’outils juridiques suffisants pour lutter contre la récidive : la loi Guigou de 1998, la loi Perben de 2004, la loi Clément de 2005, l’hospitalisation d’office, le suivi socio-judiciaire, le bracelet électronique, la surveillance judiciaire, l’inscription au fichier judiciaire national automatisé des infractions sexuelles. Là où le bât blesse, c’est sur la question des moyens humains et budgétaires : il manque 830 psychiatres dans le secteur public hospitalier, chargé des détenus, et il en manquera 2 000 en l’an 2020 !

Enfin, ce texte est contraire à notre Constitution, ainsi qu’à un certain nombre de conventions internationales. Concernant la Constitution, vous nous dites qu’il ne s’agit pas d’une peine, mais d’une mesure de sûreté : nous serons rapidement fixés, puisque nous allons saisir le Conseil constitutionnel, dont le président vient d’ailleurs d’émettre des doutes sur la conformité de ce texte à notre loi fondamentale. Et le dispositif est contraire à l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui ne fait pas de la dangerosité un motif légitime de privation de liberté, contraire à la présomption d’innocence et contraire au principe selon lequel un individu ne peut être puni deux fois pour les mêmes faits. Pour toutes ces raisons, nous espérons que ce texte ne sera pas appliqué en l’état.

Enfin, je le dis avec la plus grande gravité, ce texte fait naître des chimères effrayantes. Que se passera-t-il si, après qu’un individu aura purgé sa peine, été placé en centre médico-socio-judiciaire puis déclaré exempt d’une probabilité très élevée de récidiver et sera sorti, il se rend coupable d’un autre crime atroce ? Que dirons-nous à ceux qui, de bonne foi, auront cru que cela n’arriverait pas ? À ceux qui auront cru à votre panacée ? À quelle nouvelle surenchère serez-vous alors conduits ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. Étienne Blanc – Le groupe UMP votera bien sûr ce texte. Nous sommes aujourd’hui démunis face au risque que représentent certains condamnés particulièrement dangereux. En effet, si nous sommes à peu près armés contre la dangerosité psychiatrique, nous ne le sommes pas contre la dangerosité criminologique.

Je remercie notre collègue Urvoas d’avoir replacé le débat à son véritable niveau. Nous avons une divergence de fond sur la constitutionnalité de ce texte, nous nous en sommes expliqués. En revanche, comment ne pas être choqué par le procès d’intention qui a été intenté au groupe UMP ainsi qu’à la garde des Sceaux ? Nous ne pouvons accepter les références qui ont été faites à Cesare Lombroso, Vichy ou Nuremberg…

Plusieurs députés du groupe UMP – Honteux ! Indigne !

M. Étienne Blanc – Nous pouvons avoir des divergences, y compris sur des principes, mais ce procès d’intention est indigne de notre Assemblée ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Nous avons tenté d’apporter une réponse à un vrai problème, depuis longtemps posé et que nos prédécesseurs n’ont pas réglé – nous ne leur en tenons d’ailleurs pas grief. Mais face à l’évolution des sciences et de la psychiatrie, notre droit doit s’adapter. Ce texte fait évoluer notre droit dans le bon sens. Il concilie la défense des intérêts des victimes et le respect des libertés fondamentales (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

L’ensemble du projet de loi, mis aux voix compte tenu du texte de la commission mixte paritaire, est adopté.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux – Je remercie l’Assemblée pour le vote de ce texte très important. Ma gratitude va bien sûr également à l’ensemble des membres de la CMP et au président de celle-ci, Jean-Luc Warsmann, pour le travail qu’ils ont accompli afin de parvenir au texte adopté. Je tiens en particulier à saluer le rapporteur, Georges Fenech, qui a largement contribué à ce que ce texte réponde aux attentes des Français, sans heurter en rien les grands principes de notre droit (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), et je rends hommage à son engagement et à son exigence. Par ce texte, Mesdames et Messieurs les députés, vous avez amélioré la sécurité de nos concitoyens dans le respect des principes fondamentaux de notre droit.

Prochaine séance ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 18 heures 50.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

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