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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du mercredi 6 février 2008

2ème séance
Séance de 21 h 30
118ème séance de la session
Présidence de M. Bernard Accoyer

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La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

RATIFICATION DU TRAITÉ DE LISBONNE

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification du traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne, le traité instituant la Communauté européenne et certains actes connexes.

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes  Les Européens étaient pressés de clore l’époque des doutes et des reculades, d’agir pour une Europe plus active et plus protectrice. Les chefs d’État, sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne, ont trouvé l’énergie d’écrire une nouvelle page de notre histoire commune. Par votre vote, le nouveau traité viendra conclure l’une des négociations les plus efficaces qu’ait connues l’Europe, alors même que nous sortions de longues années d’incertitude.

Ce texte est avant tout un texte de réconciliation, entre la France et l’Europe d’abord. Alors que les résultats du référendum nous avaient fait craindre un retrait durable, voici notre pays de nouveau au cœur de l’Europe. À la veille de notre présidence, j’y vois le signe heureux d’une engagement retrouvé, la preuve d’une inventivité, d’une audace et d’une volonté collective qui nous ont fait défaut ces dernières années.

La crise de l’Europe n’était toutefois pas notre apanage, et le rejet du traité constitutionnel fut le révélateur d’une fracture plus profonde…

Mme Marie-George Buffet – Elle va se poursuivre !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères – …dans un paysage écartelé entre l’accélération du monde et le besoin de sécurité des citoyens.

Ce traité marque aussi la réconciliation entre l’Europe et les Européens.

Mme Marie-George Buffet – Pour cela, il faut les consulter !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères – Il consolide les processus démocratiques et améliore la transparence des travaux de l’Union. Il offre une plus grande protection des droits fondamentaux, renforce le contrôle démocratique des processus décisionnels. Il instaure un droit d’initiative citoyen, et fait du Parlement européen un colégislateur, à égalité avec le Conseil, tant en matière budgétaire que dans de nombreux domaines qui passent à la procédure de codécision.

L’amélioration des procédures démocratiques passe aussi par votre plus grande implication dans les décisions européennes. Le rôle des parlements nationaux sera renforcé : information directe et extension du délai d’examen à huit semaines ; mécanisme d’alerte précoce qui permettra à un tiers des parlements de demander à la Commission de réexaminer une proposition qu’ils jugeraient contraire au principe de subsidiarité ; renforcement du contrôle de la subsidiarité enfin, avec la procédure selon laquelle un avis motivé présenté par une majorité de parlements nationaux et recueillant le soutien de 55 % des membres du Conseil ou d’une majorité de membres du parlement européen peut empêcher l’adoption d’un texte.

Ce traité est une réponse à la crise qui a culminé en 2005. Ce n’est pas pour autant un déni de ses causes.

M. Jean-Paul Lecoq – C’est un déni de démocratie !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères – Nous avons tenu compte des exigences et des critiques exprimées par les citoyens. La démarche constitutionnelle et les symboles sont abandonnés. Le principe de « concurrence libre et non faussée » n’est plus en soi un objectif de l’Union.

M. Jean-Paul Lecoq – Il ne figure plus à la même page !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères – Un protocole sur les services d’intérêt économique général a été ajouté et le développement durable figure parmi les tous premiers objectifs de l’Union. Enfin, le Traité affirme que l’Union doit contribuer, dans ses relations internationales, à la protection de ses citoyens.

La crise de 2005 fut une crise du projet européen, confronté à la globalisation foudroyante de l’économie, à l’éclosion de nouvelles puissances, à l’effacement relatif des cadres nationaux, à l’apparition de nouvelles menaces diffuses, au retour des rapports de force entre les États. Ce monde devenu incertain nécessite des adaptations profondes, dont certaines seront douloureuses.

Mais l’Europe est une organisation enviée et copiée sur tous les continents. Même si la mécanique peut en sembler lourde, c’est un modèle pour l’Union africaine, l’ASEAN ou le Mercosur, la préfiguration d’un ordre mondial réinventé, fondé sur la justice et les droits de l’homme, combinant avec succès les souverainetés et les identités, réalisant l’équilibre entre l’intérêt général et celui de chacun.

Les dirigeants africains et asiatiques nous le disent : face aux impasses de l’hyperpuissance, l’Europe doit rendre possible une nouvelle organisation du monde. Ce doit être là notre fierté et une incomparable source de courage et de détermination.

Ce texte mérite d’être apprécié à sa juste valeur : il correspond à un moment important de la construction de l’idéal européen. Il était d’usage d’opposer l’élargissement à l’approfondissement, et de faire ainsi porter aux nouveaux États membres notre incapacité à aller de l’avant. Je suis heureux que nous ayons dépassé ce moment de blocage.

En supprimant le cloisonnement de l'action européenne en trois piliers, en développant les objectifs de l'Union, en étendant le vote à la majorité qualifiée, notamment à la justice et aux affaires intérieures, en élargissant le champ des missions de la politique européenne de sécurité et de défense, le traité de Lisbonne nous permet d'avancer sur la voie de l'approfondissement.

Dans le même temps, ce texte donne à l'Union les moyens de fonctionner plus efficacement à 27 et d'accueillir à terme ses voisins des Balkans : modes de décision plus faciles, adoption d'ici à 2014 de la règle de la double majorité, mise en place, à la tête du Conseil, d'un président désigné pour deux ans et demi…

M. Jacques Myard – Un retraité !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères – …plafonnement du nombre de parlementaires européens, perspective d'une Commission plus resserrée.

Alors que l’Europe s'était élargie ces dernières années sans forcément tirer toutes les conséquences de ce changement d'échelle, ce texte permet d'affronter les inévitables lourdeurs posées par un fonctionnement à 27. Il nous permet ainsi de mieux apprécier l'apport considérable des nouveaux États membres.

Le traité donne à l'Europe les moyens de mettre en œuvre les grandes politiques d'avenir qu'attendent nos concitoyens, dans le domaine de l’énergie, de l’environnement ou des migrations. L'Europe se doit d'être à la pointe d'une mondialisation plus responsable et plus juste. Elle doit aussi, comme le sommet de Londres en a tracé l’ébauche le 29 janvier, initier la régulation des marchés financiers. Sur tous ces sujets, l'Europe pourra exister aux yeux des citoyens et fera la preuve de sa nécessité, par des actions concertées.

Ce nouveau traité nous donne aussi les moyens de renforcer le poids de l'Europe dans le monde, grâce à l’institution d'un Haut représentant pour les affaires étrangères et de sécurité, qui disposera de l'autorité et des instruments cumulés du Conseil et de la Commission.

Le service européen pour l’action extérieure réunira les moyens de la Commission, du Secrétariat général, du Conseil et des États membres. De nouvelles coopérations renforcées seront possibles dans le domaine de la défense pour ceux des États membres qui disposent d’une capacité militaire et souscrivent des engagements communs. La clause d’assistance mutuelle entre États membres donne davantage de poids à la solidarité européenne. Avec ces nouveaux instruments, l’Europe ne pourra plus se défausser de ses responsabilités, comme elle l’a parfois fait dans le passé. Elle deviendra ainsi un acteur à part entière de la scène internationale, et retrouvera bientôt un rôle à la hauteur de son histoire et de son idéal. Il y a urgence, si nous refusons que cette si grande ambition se réduise à une simple zone de libre échange. Pour exister aux yeux du monde, l’Europe doit d’abord prouver sa puissance.

Voilà qui nous ramène à la question de nos ambitions. Avons-nous vraiment la volonté d’agir ensemble ? Un projet ? Une ambition diplomatique autonome ? (« Oui, oui, oui ! » sur de nombreux bancs du groupe UMP) Saurons-nous tirer les leçons de l’opération menée au Tchad et en République centrafricaine pour venir au secours des réfugiés du Darfour ? L’actuelle incertitude au Tchad ne doit pas faire oublier cette opération autonome de l’Union qui rassemble quatorze États membres et 3 800 hommes sous commandement irlandais. Songez aux obstacles qu’il a fallu surmonter pour mettre cette opération sur pied en huit mois seulement ! En 1999, les Quinze souhaitaient pouvoir, dès 2003, déployer 60 000 hommes en 60 jours...

La question de la défense européenne est cruciale. L’Europe doit se doter des moyens militaires de ses ambitions diplomatiques. Il est anormal que certains consacrent davantage de moyens que d’autres à la défense européenne, et que celle-ci ne progresse pas plus vite (Applaudissements sur certains bancs du groupe UMP) !

La défense n’est que l’un des aspects d’une réflexion plus large sur l’avenir de l’Union qu’a souhaitée le Président de la République et que mènera le groupe de réflexion présidé par M. Felipe Gonzalez. La question institutionnelle étant résolue par le traité de Lisbonne, il s’agit surtout de répertorier les questions essentielles auxquelles sera soumis l’Union, ainsi que les moyens qu’elle emploiera pour mieux répondre aux attentes de ses citoyens.

L’Europe fut fondée pour instaurer la paix, elle s’est agrandie pour apporter la démocratie. Aujourd’hui, elle doit s’affirmer dans les affaires du monde et prôner une mondialisation plus solidaire, mieux régulée, plus juste enfin. Le traité de Lisbonne lui fournit justement les outils nécessaires. La France, qui en est à l’origine, doit montrer l’exemple en l’adoptant le plus largement possible (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC). N’ayons pas peur de nous allier par-delà les clivages politiques autour de l’engagement européen ! Jacques Delors le disait justement : « Nos fiertés nationales n’ont pas à s’effacer, pas plus que nos préférences philosophiques ou politiques. Après tout, ne voulons-nous pas être les champions de la démocratie rénovée ? Champions des droits de l’homme, champions du pluralisme ? L’Europe sera pluraliste ou ne sera pas ».

Mme Marie-George Buffet – Consultez donc les citoyens !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères  À vous tous, députés d’une Assemblée pluraliste, je demande donc aujourd’hui d’approuver ce texte important ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC)

M. Jean-Claude Sandrier – Je souhaite faire un rappel au Règlement concernant le déroulement de nos travaux. L’ordre du jour de notre Assemblée est trop souvent modifié d’une semaine sur l’autre. On utilise la procédure d’urgence à tout va, au point que les commissions examinent parfois des textes au dernier moment ! Aujourd’hui, la répartition des motions de procédure n’a été décidée qu’à dix-sept heures, alors que trois orateurs doivent intervenir pendant une demi-heure chacun. Or, il s’agit là d’un texte essentiel. Le peuple l’a rejeté à plus de 55 % il y a deux ans. Malgré tout, notre Assemblée s’apprête à expédier en cinq heures à peine un document qui engage l’avenir de la France, et celui de l’Europe.

M. Jean-Marc Roubaud – Blablabla !

M. Jean-Claude Sandrier – Est-ce une manière de procéder que de modifier la Constitution le lundi, d’examiner le texte en conseil des ministres le mercredi matin et de le soumettre à la représentation nationale le soir même ? La méthode en dit long sur votre véritable objectif politique. Au fond, vous souhaitez faire adopter coûte que coûte un texte dont les Français n’ont pas voulu.

M. Jean-Marc Roubaud – Rétrograde !

M. Jean-Claude Sandrier – Nous demandons davantage de respect pour le Parlement, et davantage de respect pour nos concitoyens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. le Président – Le texte du traité, Monsieur Sandrier, est connu depuis le mois de décembre. Il a été abondamment examiné par la commission des affaires étrangères et par la délégation pour l’Union européenne, et largement débattu lors du débat sur la modification constitutionnelle adoptée en Congrès lundi dernier.

M. Hervé de Charette, rapporteur de la commission des affaires étrangères Certes, le traité de Lisbonne n’est pas parfait, mais sa ratification permettra de mettre fin à la grave crise déclenchée en 2005 par les référendums français et néerlandais. Souhaitons que le Parlement dans son ensemble vote amplement en faveur du retour de la France en Europe et de l’unité retrouvée des Français autour du projet européen, qui nous rassemble depuis un demi-siècle par-delà les clivages politiques ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC)

La crise de 2005 venait de loin. Dès la chute du mur de Berlin, les dirigeants européens ont compris que l’adhésion des pays d’Europe centrale était non seulement souhaitable, mais inéluctable. Pour autant, elle remettrait en cause le fonctionnement des institutions européennes. La France, alors, réclamait l’approfondissement avant l’élargissement : chacun sait ce qu’il en fut ! L’Europe des Quinze n’a pas su gérer ce problème. Le traité d’Amsterdam, puis celui de Nice, ont illustré cette impuissance, où la France a sa part de responsabilité.

C’est donc une Europe à Vingt-cinq qui a dû aboutir. Je tiens à saluer les mérites de la Convention présidée par M. Giscard d’Estaing, qui a su trouver un consensus autour d’un projet constitutionnel, et ce d’autant plus que l’essentiel de son travail se retrouve dans le traité de Lisbonne.

Advint le rejet du 29 mai 2005.

M. Jacques Myard – Ce fut un succès !

M. Hervé de Charette, rapporteur  Personne n’en oubliera les conséquences désastreuses et la sombre période qui suivit, de la stupeur de nos partenaires à la marginalisation de la France et la paralysie des institutions européennes. Voilà pourquoi nous pouvons nous féliciter de l’initiative du Président de la République visant à sortir l’Europe de l’impasse institutionnelle où elle se trouvait.

M. François Rochebloine – Très bien !

M. Hervé de Charette, rapporteur  Réjouissons-nous également de l’accord franco-allemand qui a permis au Conseil européen d’adopter, sous présidence allemande, un mandat précis afin d’élaborer un nouveau traité, négocié sous présidence portugaise et signé à Lisbonne en décembre dernier. C’est un succès collectif.

Son mérite essentiel est de régler les questions institutionnelles sans s’éloigner trop du projet constitutionnel. Au niveau exécutif, l’instauration d’une présidence stable du Conseil donnera une voix et un visage à l’Europe ; le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité disposera d’un service diplomatique de plein exercice ; la présidence de l’Eurogroupe est elle aussi stabilisée. Au plan législatif, le Parlement européen est le grand gagnant de la négociation puisque ses compétences sont étendues à trente-neuf domaines nouveaux, sa compétence budgétaire est consacrée et l’élection du Président de la Commission lui est confiée.

S’agissant des mécanismes de décision de l'Union, on mentionnera l'extension du champ d'application de la majorité qualifiée à quarante-neuf domaines nouveaux et le nouveau mode de calcul de cette majorité qualifiée.

Les parlements nationaux voient consacré leur rôle de gardiens des principes de subsidiarité et de proportionnalité ; selon le traité, ils « contribuent au bon fonctionnement de l'Union ».

Enfin, les citoyens voient leur place reconnue ; la valeur juridique de la charte des droits fondamentaux est confirmée, et le droit d'initiative citoyenne est reconnu.

En bref, le traité renforce le leadership de l'Union européenne et lui donne plus de visibilité ; il confère à l'Union un caractère plus démocratique ; il clarifie la répartition des compétences et des responsabilités entre l'Union et les États membres ; il rend à l'Union, menacée de paralysie par l'application de la règle d'unanimité, sa capacité à décider et à agir. Tout cela ne peut que réjouir les Européens convaincus.

De plus, le traité comprend trois éléments qui ne se trouvaient pas dans le traité de 2004 et qui sont très positifs : la lutte contre le changement climatique est élevée au rang de priorité de l'action de l'Union ; la politique de l'énergie devient une compétence partagée entre l'Union et les États membres ; un protocole est consacré aux services publics à caractère économique, dont l'utilité et la spécificité se voient juridiquement consacrées.

J'ai dit tout le bien que je pensais de ce traité, que je m'efforce d'analyser de la façon la plus claire et la plus honnête possible…

M. Jacques Myard – Est-ce possible ?

M. Hervé de Charette, rapporteur Oui, c’est possible ! Cependant, ce n'est pas faire injure à ses auteurs que d'en reconnaître les faiblesses (Exclamations sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC). Pour la plupart, elles sont la rançon de l'échec du référendum français, le prix, regrettable évidemment, mais qu'il fallait payer pour tenir compte des critiques des partisans du « non » au traité constitutionnel. C’est donc le prix de la démocratie.

M. Jean-Paul Lecoq – Et alors ?

M. Hervé de Charette, rapporteur Je recommande aux Européens convaincus de ne pas le cacher dans des formules alambiquées, car nous avons l'intention de continuer le combat pour le progrès de l'Europe, sans nous laisser impressionner par les adversaires de toujours de ce grand projet.

Eh bien, oui, le prix de l'échec du référendum est élevé. C'est, d'abord, l'abandon de la démarche constitutionnelle qui avait inspiré le texte de 2004.

M. Jacques Myard – Heureusement !

M. Hervé de Charette, rapporteur Malheureusement ! L'intitulé initial a disparu ; le ministre des affaires étrangères de l'Union est redevenu un « Haut représentant » ; les lois et les lois-cadres européennes ont cédé la place aux anciens règlements et directives de l'Union. De plus, les symboles de l'Union – le drapeau, l'hymne, la devise, la journée de l'Europe – ne figurent plus dans le traité de Lisbonne. Bien sûr, ils continuent d'exister, au point que seize États membres ont signé une déclaration, annexée au Traité, dans laquelle ils affirment que ces symboles continuent d'être pour eux le signe commun de l'appartenance des citoyens à l'Union européenne. Selon moi, ces symboles auraient dû être maintenus dans le traité, et je souhaite que le Gouvernement français, à l'occasion de la ratification, signe cette déclaration.

M. Jean-Pierre Soisson – La France doit la signer !

M. Hervé de Charette, rapporteur Je saisis cette opportunité, Monsieur le Président, pour proposer qu'au drapeau français placé derrière vous soit joint le drapeau européen.

M. Jacques Myard – Et celui des Nations unies ?

M. Hervé de Charette, rapporteur Une autre concession a eu lieu, à la demande de la France : la « concurrence libre et non faussée » a disparu de la liste des objectifs de l’Union. Cela donnera satisfaction à ceux qui souhaitent l'équilibre avec les principes de solidarité et de progrès social, ce à quoi nous souscrivons volontiers.

Deux autres concessions, beaucoup plus lourdes de conséquences, ont eu lieu. Celles-là n'ont pas été demandées par la France, mais par des pays qui ont profité de la réouverture de la négociation pour tenter de revenir sur des concessions qu'ils avaient initialement acceptées. La première est que, tant pour ce qui concerne le nombre des commissaires que pour l'application du nouveau mode de calcul de la majorité qualifiée, la date d'entrée en vigueur est repoussée de 2009 à 2014. La seconde est le système de l’opting out

M. Jacques Myard – En français !

M. Hervé de Charette, rapporteur …qui permet au Royaume-Uni, à l'Irlande et à la Pologne de ne pas se soumettre soit à la charte des droits fondamentaux, soit à l'autorité de la Cour de justice européenne, soit aux règles communes concernant la coopération judiciaire et policière. Ce n'est pas rien !

Il faut bien reconnaître que, par la volonté du Gouvernement, notre débat est conduit dans une certaine précipitation (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Pierre Moscovici – Un instant de lucidité !

M. Jean-Claude Sandrier – Vous voyez, Monsieur le président !

M. Hervé de Charette, rapporteur Il est vrai qu’il est temps d’en finir et de penser aux enjeux. Les Français n’ont pas de raison de se passionner interminablement pour les mécanismes de fonctionnement de l'Union. Ce qui les concerne, ce sont les réalisations de l'Union. Le premier enjeu d’importance, c'est l'exercice par la France de la présidence tournante de l'Union au deuxième semestre 2008. Il faudra rapidement préparer les décisions, nombreuses et complexes, de mise en œuvre du traité de Lisbonne. Ainsi la France retrouvera-t-elle son rôle traditionnel de nation-pilote dans le système européen ; à elle de prouver qu'elle en a repris la volonté.

Par ailleurs, 2009 sera une année décisive pour l'Union européenne, parce que le Parlement européen sera renouvelé et un nouveau président de la Commission élu par la majorité qui l’aura emporté, et parce que, dès le 1er janvier, il appartiendra au Conseil européen de choisir le président de l'Union et le Haut représentant. Ces choix ne pourront plus, comme par le passé, être préparés dans le secret des chancelleries. Ils doivent être débattus et tranchés sous le regard des opinions publiques. Ce sera une excellente occasion de rendre l'Europe accessible à tous et compréhensible par tous. La France doit s'y préparer ; ce sera le test de son autorité retrouvée. Tel est le deuxième enjeu, et il est considérable, car le Président du Conseil européen ne trouvera pas dans le traité des prérogatives autres que la présidence du Conseil. C'est donc au premier qui prendra cette fonction qu'il appartiendra d'en définir la véritable dimension. L'Europe a besoin d'un président à la stature politique forte, à l'intérieur de l'Europe et à l'extérieur.

Le troisième enjeu, c'est qu’au cours de la période à venir seront abordés tous les grands sujets de la relance de la construction européenne. Le Président de la République a dit ses intentions : un pacte européen pour l'immigration ; une politique européenne de l'énergie ; une politique de lutte contre le changement climatique. À cela s’ajoutent la renégociation de la politique agricole commune et la relance de la politique de défense.

Mais la France ne peut délibérer seule. Il lui faudra des alliés et des partenaires. La réussite des chantiers européens demande que, au sortir de la période incertaine qui s'achève, la France et l'Allemagne reconstituent la solide entente qui a toujours été le préalable à tous les succès européens. Contrairement à ce qu'on a pu croire, cette solide entente est plus nécessaire que jamais car l’Europe à vingt-sept ne peut s'inspirer seulement du modèle fondateur de l'après-guerre. L’Europe nouvelle cherche un modèle nouveau ; la France et l'Allemagne ont la charge historique de le proposer aux peuples d'Europe.

Avec la ratification du traité de Lisbonne, la France voit à nouveau s'ouvrir devant elle la possibilité d'une politique européenne forte, et l’Europe voit la route se dégager. À partir de là, tout restera à faire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

M. Michel Sordi, rapporteur pour avis de la commission de la défense L'Union européenne joue déjà un rôle important dans la préservation de la paix et de la sécurité dans le monde. Mais, étant donné la complexité croissante des enjeux stratégiques, des menaces et des crises, le renforcement de la politique de sécurité et de défense commune – la PSDC – apparaît comme une nécessité. Le traité de Lisbonne introduit un dispositif détaillé qui fait de cette politique une démarche cohérente, volontariste, souple et progressive. Il constitue donc une véritable occasion de relancer la politique européenne de sécurité et de défense. C'est pourquoi la commission de la défense s’est saisie pour avis du projet autorisant la ratification du traité de Lisbonne.

Le traité européen simplifié clarifie les objectifs de la PSDC, qui sont d’assurer à l'Union une capacité opérationnelle pour ses interventions extérieures et de définir progressivement une politique de défense commune. L'objectif capacitaire s'appuie sur des moyens fournis par les États membres, qui doivent constituer un « réservoir unique de forces ». La PSDC repose donc sur l'implication déterminée mais essentiellement volontariste des États membres. Le deuxième objectif témoigne de l'ambition européenne d'atteindre dans le futur un niveau élevé d'intégration en matière de sécurité et de défense. Toutefois, une défense commune n'est pas pour demain, puisqu'elle doit être décidée par le Conseil européen à l'unanimité des vingt-sept États membres. Le traité de Lisbonne ne fait donc pas de la PSDC une alliance militaire alternative à l'Alliance atlantique ; il organise une complémentarité, dans le respect des spécificités et des engagements de chacun, et ouvre des perspectives pour l'avenir de la défense européenne, en tenant compte de l'évolution du contexte stratégique depuis la fin de la guerre froide.

Avec la même approche, le traité simplifié élargit le champ d'intervention de l'Union en lui donnant la possibilité de ne pas se limiter aux missions de gestion de crises qu'elle a menées jusqu'à présent. Elle pourra désormais conduire des missions de conseil et d'assistance militaires et des missions de prévention des conflits et de stabilisation au lendemain des conflits. Toutes ces actions, et c'est une nouveauté, peuvent concourir à la lutte contre le terrorisme.

Le traité insiste également sur la dimension collective de la sécurité et de la défense de l'Union. Ainsi, une clause de solidarité est prévue en cas de catastrophe naturelle ou d'attaque terroriste, et une clause d'aide et d'assistance en cas d'agression armée d'un État membre. Sans aller jusqu'à un engagement de défense mutuelle, ces clauses ont une forte signification symbolique et politique : c'est en effet la première fois que les traités fondateurs de l'Union européenne contiennent des dispositions aussi engageantes en matière de solidarité militaire et de lutte contre le terrorisme.

Pour mieux assurer le succès de la PSDC, le traité de Lisbonne, de façon souple et pragmatique, tient compte de la diversité croissante entre les États. Ainsi, l'Agence européenne de défense, créée en 2004, permet à tous les États membres de participer à la carte aux projets selon leurs besoins, leurs compétences et leurs choix militaires et industriels. Dans le même esprit, le Conseil aura la faculté de confier une mission de gestion de crise à un groupe réduit d'États membres et pourra établir une coopération structurée permanente entre ceux qui souhaitent aller un peu plus vite et plus loin dans le développement d'une action commune.

Le succès dépendra, avant tout, de la volonté des États à s’impliquer réellement et de leur capacité à dépasser les égoïsmes nationaux.

Restent trois contraintes que le traité de Lisbonne ne supprime pas. La première est d’ordre institutionnel : l'unanimité reste la règle pour le deuxième pilier de l'Union, et donc pour la PSDC. L'intérêt de la coopération structurée permanente, qui sera, elle, constituée à la majorité qualifiée, n'en est que plus grand. La deuxième est la contrainte financière : malgré une petite avancée pour la préparation des missions de gestion de crise, l'essentiel des dépenses dans le domaine de la défense continuera à dépendre des contributions, et donc du bon vouloir, des États membres. La troisième, enfin, est politique : il n'existe pas au sein de l'Union d'accord sur les objectifs, voire sur l'utilité d’une PSDC autonome. De nombreux États membres y voient au mieux, une redondance inutile et coûteuse et, au pire, une concurrence dangereuse pour l'Alliance atlantique.

Pour relancer la dynamique de la PSDC, il faut donc lever toute ambiguïté sur son articulation avec l'Alliance atlantique. Celle-ci a beaucoup à gagner d'une Union européenne mieux dotée en capacités militaires et plus autonome dans la conduite d'interventions extérieures, d’autant qu’elle aussi connaît une véritable crise de la génération de forces. Son intérêt est également politique, diplomatique et stratégique. Même aux États-Unis, on reconnaît davantage l'Union comme un acteur international utile. Reste à en persuader nos partenaires les plus atlantistes !

Au-delà des textes, seule la volonté politique claire de plusieurs États pourra relancer la politique de sécurité et de défense commune. Le gouvernement français est déterminé à faire de l'Europe de la défense un des dossiers phares de sa présidence de l'Union, au deuxième semestre 2008. Déjà, la France a clarifié sa position au sein de l'OTAN, en proposant de rénover la Stratégie européenne de sécurité et en s'impliquant dans les programmes d'équipement conduits en coopération.

La présidence française sera l'occasion, après la ratification du traité simplifié par l'ensemble des États membres, d'engager la constitution de la coopération structurée permanente ; de mener à bien la révision de la Stratégie européenne de sécurité ; enfin d'avancer sur le dossier du commandement européen intégré, gage d'une plus grande efficacité dans la gestion de crise et d'une meilleure complémentarité avec l'OTAN et l'ONU.

La construction de l'Europe de la défense est indissociable de l'ambition d'une Europe responsable et crédible sur la scène internationale. La France ne fera rien seule. Mais elle doit persuader ses principaux partenaires de se saisir des avancées du traité de Lisbonne.

La commission de la défense a donc donné un avis favorable à l'adoption des dispositions relatives à la politique de sécurité et de défense commune du projet de ratification. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC)

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères – Ce soir, l'Europe entière est tournée vers la France (Murmures ironiques sur plusieurs bancs groupe GDR et du groupe SRC). En autorisant la ratification du traité de Lisbonne, la France fait son retour en Europe. Et je voudrais, en premier lieu, rendre hommage aux peuples des dix-huit pays qui avaient ratifié la Constitution européenne et qui ont accepté, par solidarité, de revenir sur leur vote (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

Le traité, pour l'essentiel, redéfinit les règles du jeu institutionnel de l'Union, au service d'une Europe plus démocratique, plus efficace et plus compétitive. Les débats – parfois même les polémiques – qui commencent sur la mise en œuvre du traité, soulignent clairement que celui-ci ne préjuge pas de l'avenir de l'Europe et de ses orientations politiques.

Un nombre important d'articles nécessitent l'adoption de décisions préparatoires qu'il appartiendra à notre présidence de l'Union européenne du second semestre 2008 de négocier. Parmi ces décisions, il y a le choix de la personnalité qui occupera le poste de Président du Conseil européen. C'est à la fois un symbole et un enjeu considérable.

Le traité de Lisbonne ne fixe aucun critère de choix ni aucune procédure de sélection des candidats, si ce n'est que ce nouveau président ne pourra exercer de mandat national. Selon moi, le premier critère est que cette personnalité soit en phase avec la future majorité du Parlement européen, ce qui lui donnera une légitimité indirecte supplémentaire. Il doit ensuite appartenir à un État qui respecte les principaux engagements européens que sont la zone euro, l'espace Schengen et la Charte des droits fondamentaux (Applaudissements sur certains bancs du groupe UMP). Comment, venant d'un pays qui n'adhère pas à ces trois engagements, pourrait-il être le meilleur défenseur de ces coopérations ou de ces valeurs essentielles ? Je propose, enfin, la parité, c’est-à-dire qu'au moins l'un des trois postes de président du Conseil européen, Haut représentant pour les affaires étrangères ou président de la commission, soit attribué à une femme (« Très bien ! » sur quelques bancs du groupe UMP).

M. Jean-Paul Lecoq – Et pourquoi pas deux ou trois ?

M. Axel Poniatowski, président de la commission – L'Union européenne a tout à gagner à s'appliquer à elle-même les principes qu'elle entend promouvoir. D'ailleurs le traité de Lisbonne fait de l'égalité entre les femmes et les hommes l'une des valeurs de l'Union telles qu'elles sont définies par le nouvel article 2 du traité sur l'Union européenne.

Ce traité doit permettre de donner une nouvelle impulsion à la démocratie européenne. Il ne suffit pas de se féliciter du renforcement des pouvoirs du Parlement européen et des parlements nationaux. Encore faut-il convaincre les citoyens d'aller voter lors des élections européennes !

M. François Rochebloine – Très bien !

M. Axel Poniatowski, président de la commission – Or, plus les députés européens ont de compétences, moins les électeurs vont aux urnes. Depuis la première élection au suffrage universel direct en 1979, le taux de participation n'a cessé de décroître. Il est important que cela change, car le traité de Lisbonne apporte les transformations institutionnelles les plus importantes depuis le début de la construction européenne.

L'extension à une cinquantaine de nouveaux domaines de la règle de la majorité qualifiée nous obligera à négocier plus encore avec nos partenaires. Et parce qu'il redistribue les pouvoirs, le traité de Lisbonne nous oblige à repenser notre stratégie d'influence. Ainsi, à partir de 2014, nous n’aurons plus automatiquement de représentant au sein de la Commission européenne, alors que jusqu’ici nous en avions deux.

M. Jacques Myard – Vous vous en félicitez ?

M. Axel Poniatowski, président de la commission – Il faudra aussi veiller à l'équilibre des pouvoirs entre la Commission et le Conseil européen. Le traité de Lisbonne consacrant l'obligation de coopération loyale entre les institutions de l'Union, il faudra trouver les termes appropriés d'un dialogue politique devenu indispensable entre l'Eurogroupe et la Banque centrale européenne.

Le traité offre de nouveaux instruments pour faire de la politique en Europe, comme le droit d'initiative citoyenne qui, grâce aux nouvelles technologies, devrait donner lieu à des mouvements d'opinion de vaste ampleur.

Mais il offre aussi la possibilité de progresser plus vite sur un nombre important de sujets. Ainsi, il permet l'adoption d'un règlement européen transversal sur les services publics. Battons-nous pour que celui-ci soit adopté au plus vite et corresponde à notre vision du service public. Il donne une nouvelle compétence à l'Union dans le domaine de l'énergie. Ce n’est qu’un premier pas : il nous faut désormais définir les conditions d'un consensus sur un bouquet énergétique européen et donner un contenu opérationnel à la nouvelle clause de solidarité énergétique entre les États membres.

Enfin, le traité rend possible une coopération structurée permanente dans le domaine de la défense. Nous célébrerons en décembre prochain le dixième anniversaire de la déclaration franco-britannique de Saint-Malo qui a jeté les bases d'une politique de défense commune. Je souhaite qu’à cette occasion, on prépare le lancement d'une véritable coopération structurée permanente avec nos principaux partenaires, en particulier l'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Espagne, l'Italie et la Pologne.

M. Bernard Deflesselles – Absolument.

M. Axel Poniatowski, président de la commission – Ces perspectives me conduisent à approuver sans réserve la ratification du traité de Lisbonne (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

Je n'ai qu’un seul regret : la disparition des symboles de l'Union (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP). Seize pays ont signé une déclaration commune affirmant leur attachement à ces symboles et nous sommes nombreux à souhaiter que la France fasse de même.

Les symboles européens existent, qu’ils soient mentionnés ou non dans les traités. Ils ont rejoint le patrimoine de la République : le drapeau européen figure sur la photo officielle du Président de la République à côté du drapeau tricolore ; il est hissé au fronton de nos institutions et de nos écoles. Quant à l'euro, il a une existence quotidienne pour tous les Français depuis maintenant six ans.

Comme l’a indiqué le rapporteur, les symboles européens ont tout autant leur place dans les traités européens que dans les constitutions nationales. Lorsque l’Assemblée sera saisie du projet de loi constitutionnelle tendant à réformer nos institutions, nous proposerons de réviser l’article 88-1 de la Constitution pour y inscrire le principe suivant : la France reconnaît les symboles de l’Union européenne. Je vous invite à vous associer à cette initiative le moment venu (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC et quelques bancs du groupe SRC).

M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l’Union européenne Le chemin fut long et difficile. En tant qu'ancien conventionnel, je suis profondément heureux que nous soyons enfin arrivés à bon port.

Grâce au vote de 560 parlementaires, la constitution française a été modifiée avant-hier. Il nous revient maintenant d'autoriser la ratification du traité de Lisbonne et de montrer l'exemple à nos partenaires européens. Nous serons le cinquième pays, et le premier des « grands » États de l'Union et des pays fondateurs, à accepter le traité simplifié.

Lors de la campagne électorale, Nicolas Sarkozy avait proposé aux Français un défi courageux : remettre rapidement l'Europe sur les rails. Six mois auront suffi pour trouver une issue à l'interminable crise institutionnelle que nous avons traversée.

Comme l’a excellemment expliqué le rapporteur, je suis d’accord avec ceux qui nous invitent à retenir la leçon du référendum. Revenons-en à nos vraies responsabilités : nos concitoyens attendent autre chose de l'Europe que d'interminables querelles sur les institutions et sur le poids que nous devons accorder à tel ou tel État.

Ils en attendent des réalisations concrètes, des résultats et des preuves. Ils attendent qu'elle apporte des réponses audacieuses aux défis du monde ; qu'elle protège ses citoyens dans la marche parfois brutale de la mondialisation ; qu'elle trace le chemin d’une croissance équilibrée, tournée vers les peuples et résolument engagée dans l'innovation et l'excellence ; qu'elle porte la voie puissante, cohérente et profondément pacifique d'un continent auquel l'Histoire a fait mesurer le prix de l'arrogance, de l'illusion et de l'imprudence.

Nous en aurons bientôt fini avec notre tâche d'horloger. Le nouveau traité a mis au point une belle mécanique institutionnelle, efficace et démocratique. C'est un progrès considérable : comme l’observait Jean Monnet, « rien n'est possible sans les hommes, rien n'est durable sans les institutions ».

M. François Rochebloine – Très bien !

M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l’Union européenne  Grâce à ce traité, la voix des peuples portera à Bruxelles. L'Europe aura, comme toutes les démocraties, un vrai régime parlementaire. Le Parlement européen et le Conseil feront ensemble la loi. Le Parlement choisira celui qui inspirera l'Union, c’est-à-dire le président de la Commission. Pour que les citoyens disposent d’un véritable choix, il faudra que les partis désignent clairement leur candidat à la présidence de la commission avant les élections de 2009. Ainsi le choix portera non seulement sur le programme des partis à l’échelle européenne, mais aussi sur les candidats à la présidence de la Commission.

L'Europe aura par ailleurs un visage : celui du président de l'Union. La voix des nations sera, elle aussi, mieux entendue. Les parlements nationaux pourront dénoncer tous les projets méconnaissant le principe selon lequel on ne fait à Bruxelles que ce que l'on ne peut pas réussir séparément à Paris, à Berlin ou à Rome.

La France sortira en outre renforcée de ce traité. Le calcul de la majorité qualifiée prend en compte la population, ce qui favorisera les grands pays. La France sera plus forte au Conseil et le nombre des députés français passera à 74, contre 72 selon le traité de Nice.

Enfin, on ne pourra plus s’abriter derrière l'excuse de la mésentente pour rester immobile : l'Europe décidera à une majorité claire et équitable sur l'essentiel des sujets qui importent. Il est vrai que nous aurons pris dix ans de retard par rapport au traité constitutionnel, puisqu’il faudra attendre 2017. C’est le principal recul de ce texte. Il est également vrai que l'unanimité vaudra toujours dans ses bastions traditionnels : l'Europe sociale, l'harmonisation fiscale, la défense commune. Mais nous allons donner un nouvel élan grâce aux « groupes pionniers », les coopérations renforcées et structurées.

Le traité de Lisbonne donne donc à l'Europe les moyens d'agir – tous les moyens nécessaires, mais rien que les moyens nécessaires. À l’occasion du référendum de 2005, les peuples nous ont demandé de commencer par montrer ce que l'Europe peut faire pour eux. Notre responsabilité était de forger des instruments adaptés. Nous le faisons.

Il faudra ensuite apprendre à les manier. Quel président donnerons-nous à l'Europe ? Un leader ? Un chairman ? Comment ferons-nous primer l'exigence de cohérence sur la tentation de la concurrence entre les trois nouvelles têtes que le traité de Lisbonne donne à l'Union – le président de l’Union, celui de la Commission et le Haut représentant ? Il faut en débattre dès aujourd’hui. Le choix des personnes est une chance historique d'incarner l'Europe et de mieux impliquer nos concitoyens. L'opinion publique doit se saisir de ces questions dans la transparence et dans la clarté. C’est à la France que revient l'honneur d'être le maître d'œuvre de ces chantiers.

Il me semble que le futur président de l'Union devra posséder deux grandes qualités : une solide culture du compromis, car il ne sera pas un président de la République à la française ; mais aussi une vraie force de conviction et d’entraînement afin de porter haut et loin l’étendard de l’Europe unie – ce ne sera pas non plus un président à l’italienne. Ce président devra incarner l’Europe et rassembler autour de lui les peuples. Le débat ne devra pas se dérouler dans le secret des Conseils européens. Il doit s’ouvrir dès à présent. Nous devons commencer à réfléchir aux candidats.

Mais l'essentiel est ailleurs : c’est l'Europe des résultats. Les projets existent déjà. Galileo est la preuve éloquente de la force presque sans équivalent d'une Europe industrielle unie et ambitieuse. La sécurité énergétique sera l'enjeu essentiel de demain, surtout pour nos partenaires trop dépendants de voisins parfois menaçants, comme la Russie. L’Europe, c’est d’abord une entraide généreuse pour le plus grand bénéfice de tous.

Nous qui avons lancé le Grenelle de l’environnement, nous devons regarder ce que la Commission nous propose pour faire de l'Europe le phare du développement durable. L'Union est la seule solution pour contrer les menaces qui se jouent des frontières. Nous ne trouverons jamais une solution humaine, responsable et durable aux flux migratoires sans un pacte commun d'immigration.

Il est également urgent de prendre conscience de la nécessité d’une véritable défense européenne. Sans cela, il n’y aura pas de politique étrangère commune. Il faut également songer à la culture et à l'éducation, qui seules peuvent forger une identité commune à destination des jeunes, pour lesquels nous construisons l’Europe.

Dans tous ces domaines, qui sont autant de priorités pour la présidence française, le traité de Lisbonne aplanit les obstacles et nous donne la force d'agir. Mais l'important, ce seront l'ampleur des avancées et la valeur ajoutée quotidienne des lois européennes. C'est sur ce terrain que l'Europe sera jugée.

Représentant du peuple, je suis fier que nous prenions nos responsabilités. Tous nos partenaires attendent un signal positif de la France. Plus notre « oui » sera fort, et plus notre pays le sera au cours de sa présidence. L’Europe vaut mieux que les querelles de clocher internes aux partis, si dérisoires par rapport à l’ambition européenne que nous devons porter haut (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

Je le dis sans malice et avec sincérité au parti socialiste (Protestations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) : l’Europe a besoin que nous nous tendions la main malgré les considérations partisanes. Les attentes sont immenses et l’échec ne serait pas acceptable. C’est pourquoi je voterai avec enthousiasme et avec conviction le projet de loi autorisant la ratification du traité de Lisbonne, qui relancera l’Europe (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

EXCEPTION D’IRRECEVABILITÉ

M. le Président – J’ai reçu de M. Jean-Claude Sandrier et des membres du groupe GDR une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. François de Rugy – Lundi dernier, le Parlement réuni en Congrès a voté la révision constitutionnelle permettant la ratification du traité de Lisbonne. La presse s'est fait l'écho de ce vote, déplorant une Europe sans gloire, un débat absent et sans passion. Nous sommes malheureusement nombreux à partager ce triste constat.

La réunion du Congrès n’était que le premier épisode du passage en force sur le nouveau traité européen, qualifié à tort de traité simplifié. Le deuxième épisode a lieu ce soir. Il n'est pas anodin que le Gouvernement ait choisi d'inscrire ce texte à une séance de nuit alors qu'il aurait dû être examiné au grand jour. Le Président de la République et le Gouvernement font tout pour escamoter le débat, sans doute dans l’espoir que les Français oublient leur « non » au référendum.

Il peut certes paraître paradoxal de défendre cette exception d’irrecevabilité quelques jours après la modification de la Constitution, mais, outre que les députés de l’opposition sont obligés d’utiliser toutes les ressources de la procédure parlementaire pour faire exister le débat, …

M. François Rochebloine – Sauf qu’ils quittent tous l’hémicycle !

M. François de Rugy – …ce paradoxe n’est rien à côté du fait de faire passer à la va-vite un texte qui ressemble autant au traité constitutionnel déjà rejeté par les Français. Un tel procédé n’est pas correct en démocratie. J’avais moi-même fait campagne pour le oui, mais je ne suis pas amnésique et le résultat de 2005 a été acquis à une majorité suffisamment large pour être incontestable.

Au Congrès, M. Copé a affirmé que le non de 2005 était pour partie motivé par des raisons qui n’avaient rien à voir avec la question posée, …

Plusieurs députés du groupe UMP – C’est la réalité !

M. François de Rugy – …des raisons strictement politiciennes, parce qu’une partie de la gauche voulait faire du référendum une sanction du gouvernement de l‘époque. Ce n’est pas très gentil pour M. Raffarin ni pour le président Chirac, qui avait eu l’amabilité de nommer M. Copé au gouvernement (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-François Copé – Ce n’est pas ainsi qu’on traite l’Europe !

M. François de Rugy – Ce n’était peut-être, après tout, qu’une forme d’autocritique, mais vous ne nous y aviez pas habitués.

M. Jean-François Copé – Au moins, vous m’avez compris, ce qui n’est pas le cas de M. Moscovici.

M. François de Rugy – Certes, le mécontentement des Français à l’égard du gouvernement était important, comme l’ont montré les élections régionales – vous devez vous en souvenir, puisque vous étiez candidat – et on avait en outre eu droit, juste avant le référendum, à la lamentable affaire du lundi de Pentecôte. À croire que vous aviez fait exprès ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Par ailleurs, le président Chirac n’avait sans doute pas le talent du président Mitterrand pour expliquer les enjeux aux Français, comme lors du débat télévisé de 1992 avec Philippe Séguin, l’un des principaux partisans du non, qui avait été un moment de basculement de la campagne.

Si le référendum de 2005 a un point commun avec celui de 1992, c’est l’intensité démocratique. C’est pourquoi je trouve l’argument de M. Copé quelque peu choquant : il laisse entendre que les Français se seraient laissé manipuler, qu’ils n’auraient pas été assez intelligents pour comprendre l’importance du traité. Je crois au contraire qu’ils ont répondu à la question posée, même si je continue de penser qu’il aurait été préférable pour l’Europe que le traité soit adopté. Mais lorsqu’on est démocrate, il faut savoir reconnaître un résultat électoral pour ce qu’il est, surtout avec un tel taux de participation et un intense débat préalable au vote.

M. Jean-François Copé – Si vous êtes favorable au oui, le problème est réglé !

M. François de Rugy – Certes, les arguments du non n'étaient peut-être pas tous recevables. Certains, comme celui du plan B, se sont même révélés faux.

Plusieurs députés du groupe UMP – Bravo ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. François de Rugy – Mais personne ne peut dire que les Français n'ont pas voté en connaissance de cause, après avoir été éclairés par les nombreux débats.

Le résultat de 2005 ne doit pas être interprété comme un rejet définitif de tout progrès dans la construction européenne. Certains électeurs, qui tiennent la nation pour l’horizon indépassable de la politique, seront toujours opposés à toute structure supranationale, de même qu'ils l’étaient à l'abandon du franc : même si je suis à l'opposé de cette conception, je la respecte. Mais je suis convaincu que ce non était une façon de dire stop à des politiques européennes qui ne correspondent plus au projet initial. Certes, l’acquis de la paix n’est pas négligeable : issu d'une famille qui a été très éprouvée par la deuxième guerre mondiale, j’en mesure toute l’importance. Mais les nouvelles menaces sont tout aussi réelles, notamment celle du terrorisme. Or, à propos de nombreux conflits dans le monde, y compris aux portes de l'Europe comme en ex-Yougoslavie, les pays européens se sont divisés et ainsi condamnés à la paralysie.

Mais le projet européen ne s'est jamais limité à la paix et à la sécurité. Les pères fondateurs voulaient construire un espace de fraternité certes, mais aussi et surtout de prospérité et de progrès – en un mot de solidarité. Ce que les Français ont sanctionné en 2005 est que l'Union européenne soit en train de devenir une vaste zone de libre-échange, dépourvue de toute ambition politique, démocratique, écologique ou sociale. C’est la vision britannique qui est en train de triompher, la vision d'une Europe inexistante politiquement, et donc de fait alignée sur les États-Unis, avec la complicité maintenant du président Sarkozy. L’ultralibéralisme est en train de devenir un but en soi – je ne parle pas de l’économie de marché, qui a été acceptée par presque tous les courants politiques et que les Français ne souhaitent pas particulièrement remplacer.

Mais le peuple de France est plein de sagesse. Il voit bien que l’approche pragmatique de l'économie a basculé vers une approche purement idéologique. La concurrence peut certes être positive, mais quand elle est érigée en dogme, qu’elle s’exerce entre des entreprises qui ne travaillent pas dans les mêmes conditions, elle tire tout vers le bas. La logique du low cost se généralise. Qui peut reprocher aux Français d'avoir voulu mettre un coup d'arrêt à cette logique destructrice ? Certes, d’aucuns voudraient aller encore plus loin, comme M. Attali, mais je n'ai pas l'impression que ses positions suscitent un grand enthousiasme. Est-ce à dire que la France voudrait rester figée dans son conservatisme, derrière une nouvelle ligne Maginot ? Non. Les Français demandent tout simplement à maîtriser les évolutions, à obtenir des protections.

L'élargissement de l'Europe, par exemple, est tout à fait légitime. Personne ne le conteste comme perspective. Mais n’aurait-il pas fallu renforcer les institutions politiques avant, plutôt que de constater la paralysie après ? Négocier les transitions, une ouverture maîtrisée assurant une concurrence loyale, au lieu de mettre en concurrence les États entre eux en refusant toute harmonisation fiscale et sociale ? On peut se demander si les dirigeants de la Commission, le conservateur M. Barroso en tête, n'organisent pas sciemment la désindustrialisation de l'Europe en ouvrant à la concurrence mondiale le marché européen comme aucun autre marché au monde. Comment accepter les délocalisations face à des pays comme la Chine qui ne respectent aucune des règles démocratiques, écologiques et sociales qui sont au fondement de l'Union ? Sans parler de la politique monétaire soumise à l’obsession de l'inflation alors que la récession guette à cause du renchérissement du crédit. La réaction de la Réserve fédérale américaine, dans les mêmes circonstances, laisse comprendre que d'autres choix seraient possibles.

Le non de 2005 a autant été à l’origine d’une crise que le résultat d’une autre : celle de la construction européenne. Les partisans sincères, parfois passionnés, de cette construction politique, dont je fais partie… (Rires sur les bancs du groupe UMP) devraient avoir le courage de reconnaître qu’elle est profonde. Si nous défendons le référendum comme mode de ratification, ce n'est pas pour refaire le match de 2005, mais parce que le désamour entre les Français et les instances européennes risque encore de s'aggraver avec la procédure parlementaire. Les Verts de toute l'Europe plaident pour un référendum européen qui aurait lieu le même jour dans les vingt-sept pays de l'Union, afin que le débat dépasse le cadre national. Certes, plusieurs pays n’emploient pas cette procédure, mais pourquoi cette pratique française, mais aussi néerlandaise ou irlandaise, ne pourrait-elle être exportée ? Pourquoi la France ne pourrait-elle pas enrichir l’Europe de ses traditions, comme elle s’enrichit de certaines conceptions étrangères ? N’est-il pas temps d'innover pour renouer le lien qui s'est rompu ?

À défaut, les Verts soutiennent au moins le référendum national. Au nom d’un parallélisme des formes certes, et parce les parlementaires ne doivent pas usurper le droit d’expression des Français – je rappelle encore une fois que j’ai voté oui en 2005, comme la majorité de ma circonscription.

Plusieurs députés du groupe UMP – Encore !

M. Alain Néri – Faute avouée moitié pardonnée !

M. François de Rugy – En tout cas, j’aurai moins de mal que d’autres à me justifier auprès d’eux.

Puisque la majorité impose une procédure parlementaire, nous devrons, pour le vote de demain, peser le pour et le contre du traité de Lisbonne. Nous ne nous défausserons pas. Comme tous les traités européens, celui-ci est un compromis entre des visions et des intérêts différents. Il présente malheureusement quelques reculs par rapport au traité constitutionnel de 2005. On ne peut ainsi que regretter l'abandon des références au drapeau, à la devise et à l’hymne européens : le sentiment d'appartenance se nourrit aussi de symboles. Mais plus grave est le fait que la Charte des droits fondamentaux soit placée à part et que le Royaume-Uni ne l'applique pas. C'était la conséquence prévisible de la rupture du compromis de 2005. Il n'est pas bon signe que l'Europe fasse encore un pas vers la géométrie variable.

Ce texte conserve cependant certaines des avancées du traité constitutionnel européen visant à assurer un meilleur fonctionnement des institutions. Afin de sortir l’Europe de la paralysie et donc de l’impuissance, le nombre des décisions qui pourront être prises à la majorité qualifiée, et non plus à l’unanimité, a ainsi été étendu. Le texte va également dans le sens d’une Europe plus démocratique avec le renforcement du rôle du Parlement européen, seule instance européenne élue au suffrage universel direct, mais aussi des Parlements nationaux, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir. Il donne une meilleure visibilité et une plus grande stabilité politique à l’Union en instituant une présidence d’une durée de deux ans et demi en lieu et place des présidences tournantes actuelles de six mois. Tout dépendra certes des personnalités choisies pour occuper le poste de président et lorsqu’on entend évoquer le nom de Tony Blair comme candidat de compromis, il y a de quoi être inquiet pour la place de l’Union européenne sur la scène internationale…

Le traité de Lisbonne constitue un petit pas en avant par rapport à celui de Nice, s’agissant de l’action de l’Union : avec la création d’un Haut représentant à la politique extérieure, celle-ci parlera enfin d’une seule et même voix. Pour ne pas laisser passer l’occasion de faire faire à l’Europe ce petit pas, nous serons un certain nombre à voter oui à ce traité, sans enthousiasme. Mais puisque l’occasion nous est encore donnée ce soir de choisir la voie du référendum pour sa ratification, je souhaite saisir cette dernière chance en appelant nos collègues, au-delà des clivages politiques ou même de l’appréciation qu’ils portent sur ce traité, à voter la motion référendaire que va déposer le groupe socialiste et à laquelle, au nom des Verts, je me suis associé (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe GDR et du groupe SRC).

M. le Président – Nous en venons aux explications de vote. La parole est à M. Jean-Pierre Brard (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Brard – Messieurs, on ne vous entend donc que dans ces circonstances ! Mais pourquoi êtes-vous donc venus si nombreux, puisque de toute façon vous ne faites que vous répéter ? Un seul d’entre vous eût pu vous représenter tous…

Le président Valéry Giscard d’Estaing, le plus compétent pour ce faire puisqu’il présidait la convention qui a mis au point le traité constitutionnel européen, a expliqué qu’il n’y avait pas de différence entre le nouveau texte et l’ancien, si ce n’est dans leur ordonnancement. Pourquoi douterions-nous de l’analyse de celui qui fut l’auteur de la première version du texte ?

En vérité, le problème posé n’est rien de moins que celui de la démocratie. Hélas, celle-ci vous fait peur. Pourtant ne dit-on pas vox populi, vox dei ? Mais vous n’avez, vous, d’oreilles que pour la voix du capital, celle de Mme Parisot ou de M. Bouton… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Un député du groupe UMP – Et la voix de Moscou, l’entendez-vous toujours ?

M. Jean-Pierre Brard – Vos vitupérations ne valent pas argument.

Souvenez-vous : 93 % des parlementaires étaient favorables au premier traité, que les Français ont rejeté à 55 %. Qu’y a-t-il au-dessus de la démocratie représentative, si ce n’est la démocratie directe ? Nous n’avons pas été élus pour dessaisir le peuple français de son droit à s’exprimer. Mais vous avez peur aujourd’hui car vous connaissez l’état de l’opinion dans le pays. En effet, vous le savez par expérience, consulté par référendum, le peuple ne répond pas seulement à la question posée mais aussi à celui qui la pose. Et les frasques de votre mentor vous ont déstabilisés car les Français n’ont que faire des amourettes du Président de la République (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP). Ce qui importe pour eux, ne vous en déplaise, ce sont les fins de mois ! (Mêmes mouvements) Que vous vous époumoniez parce que vous n’avez rien à dire m’encourage plutôt à vous contredire !

La « pipolisation » ne fera pas oublier les engagements pris par le Président de la République durant la campagne, et qu’il a d’ores et déjà trahis. Pas pour tous certes ! Ainsi avez-vous veillé au pouvoir d’achat des riches. Mme Lagarde, la ministre des riches (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), ne l’a-t-elle d’ailleurs pas justifié devant nous cet après-midi même ?

Plusieurs députés du groupe UMP – Hors sujet !

M. Jean-Pierre Brard – Il faut donner la parole à notre peuple qui porte des valeurs profondément enracinées dans notre histoire, tandis que vos valeurs à vous ne sont que sonnantes et trébuchantes, ou bien cotées en bourse. Les nôtres sont au Panthéon. Votre politique se fait à la corbeille quand la nôtre se fait dans les entreprises et les campagnes, là où les gens, bien que trimant, ont des fins de mois difficiles et sont inquiets pour l’avenir de leurs enfants, pressurés qu’ils sont chaque jour davantage par votre politique qui ne vise qu’à enrichir le syndicat des nantis.

M. le Président – Monsieur Brard, il faut maintenant expliquer quel sera le vote de votre groupe.

M. Jean-Pierre Brard – Je sens dans votre voix que vous me soutenez, en cela fidèle à la pratique de notre ancien président, Jean-Louis Debré. Eh bien, je vous le dis, nous voterons cette exception d’irrecevabilité.

(De nombreux députés socialistes rejoignent l’hémicycle, salués par les applaudissements ironiques du groupe UMP).

M. Michel Hunault – Le groupe du Nouveau Centre la rejettera. Notre collègue nous a parlé de tout, sauf de l’Europe. Il s’est étendu par exemple sur le lundi de Pentecôte et sur le rapport Attali, mais nous ne l’avons que peu entendu sur le traité de Lisbonne.

Je me contenterai de citer ce que déclarait Jacques Delors sur l’antenne de RTL lundi matin : « Le traité de Lisbonne permet à l’Europe de sortir de son coma léger dans lequel rien n’était possible. Il faut donc le voter. » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). S’agissant de la ratification par voie parlementaire, il a rappelé que le candidat Sarkozy avait toujours dit durant la campagne qu’il procéderait ainsi. On ne peut pas reprocher au Président de la République, ajoutait-il, d’avoir tout fait pour relancer l’Europe, d’avoir été l’artisan, dans un laps de temps très court, avec le ministre des affaires étrangères et le secrétaire d’État aux affaires européennes, de ce traité de Lisbonne et de le faire adopter par le Parlement.

On connaît les enjeux et les priorités de la prochaine présidence française de l’Union. Les députés du Nouveau Centre, très engagés en faveur de l’Europe, sont particulièrement vigilants quant au respect des engagements du Président de la République pour relancer l’Europe. Ce traité relève le défi. Je vous invite donc à repousser cette exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et du groupe UMP).

M. Marc Laffineur – Le groupe UMP la repoussera lui aussi car il est fier du traité de Lisbonne, fruit de la détermination du Président de la République qui a toujours dit durant la campagne qu’il œuvrerait en ce sens et qui, dès le jour de son investiture, a rencontré Angela Merkel pour tenter de sortir l’Europe de l’impasse dans laquelle elle se trouvait depuis déjà deux ans.

Ce traité représente une avancée fantastique pour l’Europe qu’il sortira de la léthargie dans laquelle elle s’est trouvée plongée après le rejet du premier traité par la France et les Pays-Bas. C’est pourquoi nous voterons contre cette exception d’irrecevabilité… que notre collègue ne nous a même pas demandé de voter, tant il était peu convaincu lui-même. Il y va de la relance de l’Union européenne et de la place de la France en son sein (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Marc Ayrault – Mon explication de vote sera brève… (« Il vaut mieux ! » sur les bancs du groupe UMP). Nous venons en effet de déposer sur le bureau de la présidence le texte d’une motion référendaire.

Malgré tout l’intérêt qu’il a porté à l’intervention de notre collègue François de Rugy, le groupe socialiste, radical et citoyen ne participera pas au vote sur cette motion.

L'exception d’irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

MOTION RÉFÉRENDAIRE

M. le Président – J’ai reçu de M. Ayrault et de 87 membres du groupe socialiste, radical et citoyen une motion tendant à proposer de soumettre au référendum le projet en discussion, déposée en application de l’article 122 du Règlement. La liste des signataires sera publiée au Journal officiel à la suite du compte rendu intégral de la présente séance.

M. le Président procède à l’appel nominal des 87 signataires de la motion.

M. le Président – Acte est donné de la présence effective en séance des signataires de la motion.

Plusieurs députés du groupe UMP – Et Hollande ?

M. Jean-Marc Ayrault – Cette motion est pour nous une exigence démocratique, car il n’existe pas d’autre voie pour exprimer l’engagement des socialistes en faveur du traité et du référendum. 

Les Français ont rejeté le traité constitutionnel le 29 mai 2005. Près de trois ans plus tard, un nouveau traité a été négocié : il doit être ratifié par les Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. Frédéric Lefebvre – Qu’appellerez-vous à voter ?

M. Jean-Marc Ayrault – Cette exigence devrait tous nous rassembler, quelle que soit notre opinion sur le traité de Lisbonne. Je ne mythifie pas la voie référendaire, et je tiens la voie représentative pour tout aussi noble et démocratique (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP). Mais elle n’offre pas la perspective la plus solide pour l’Europe. Un traité rejeté par le peuple doit lui être représenté, même s’il a changé de contenu. C’est une question de confiance.

Non content d’oublier ce principe, vous imposez au Parlement un examen dans les pires conditions, à la sauvette, en pleine nuit, loin de l’attention des citoyens (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Vous privez ainsi leurs représentants de la possibilité de les éclairer sur le sens et le contenu de ce traité. Quel triste symbole que de voir l'Assemblée nationale délibérer en quelques heures de 294 articles qui engagent l’avenir de l’Europe ! Comment faire comprendre à nos citoyens que le long débat passionné de 2005 sera soldé entre 21 heures 30 et 1 heure du matin ? Le rêve de civilisation que vous prétendez porter pour l’Europe commence avec un « Bonne nuit, les petits ! » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Laurent Hénart – C’est vous, Pollux !

M. Jean-Marc Ayrault – Les députés du groupe SRC ne veulent plus de cette Europe obscure et honteuse. Ils veulent une Europe sincère et populaire.

Plusieurs députés du groupe UMP – Bonne nuit, Monsieur Ayrault !

M. Jean-Marc Ayrault – À force de la rendre incompréhensible, nous avons réussi à en détourner nos concitoyens. À force de masquer la réalité de ses acquis et ses insuffisances, nous avons suscité la défiance.

Cette motion n’a d’autre but que de reconnecter les Français à l’Europe, de leur permettre de refaire ce qu’ils ont défait. Les partisans du « oui » à ce traité doivent être les premiers défenseurs du référendum. 

C’est la première fois dans l’histoire de la République que le Parlement est invité à remplacer le peuple, après un échec référendaire. En 1946, ce sont les Français qui ont adopté la Constitution après un premier rejet ; en 1969, c’est la démission du Général de Gaulle qui a enterré le projet de régionalisation rejeté par référendum. Si, dans la lettre, la Constitution permet de choisir la voie parlementaire après un échec de la voie référendaire, les représentants du peuple n’ont pas vocation à en être les censeurs, ils n’ont pas à se substituer à lui lorsqu’il s’est prononcé (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC).

Vous soutenez que l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République vaut ratification de sa décision de passer par la voie parlementaire. Quelle amusante interprétation du mandat impératif ! Ainsi le Président procédera-t-il au retrait de nos troupes d’Afghanistan et à l’augmentation du pouvoir d’achat, conformément à ses promesses électorales !

Vous avancez également que le traité n’est pas le même. C’est vrai, il a perdu sa dimension constitutionnelle, comprend des changements substantiels et des améliorations indispensables. Mais soyons sincères avec les Français ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Ce traité a bien le même objet, il reprend les mêmes principes, il définit la même organisation du pouvoir. Pourquoi priverait-on les Français d’en juger ?

M. Guy Geoffroy – Delors, reviens, ils sont devenus fous !

M. Jean-Marc Ayrault – Comme l’a écrit le constitutionnaliste Didier Mauss, « ce dessaisissement aura un double inconvénient : amoindrir la confiance des Français dans leur système politique et institutionnel ; enfermer l’Europe dans le cénacle des spécialistes et lui refuser une véritable légitimité démocratique ».

Vous n’avez pas compris l’aspiration participative des citoyens (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Vous en êtes restés à la conception des années soixante, où l’Europe était considérée comme un sujet trop complexe pour intéresser les peuples. Mais cela est archaïque : la démocratie, l’État de droit, la protection sociale forment notre patrimoine, de Brest à Bucarest ; la moitié des législations nationales sont d’origine européenne ; une opinion publique européenne émerge, qui se passionne pour les référendums, s’élève contre la guerre en Irak, exprime sa solidarité à l’égard des États membres touchés par le terrorisme.

Au moment où l’Europe devient un mode de vie, un espace de civilisation, vous commettez un non-sens en frustrant les citoyens de leur vote. C’est en refusant d’associer les peuples aux grandes décisions que les dirigeants de l’Union n’ont pas vu monter la déception.

Plusieurs députés du groupe UMP – Comme les socialistes !

M. Jean-Marc Ayrault – En voulant croire que l’élection nationale vaut brevet de politique européenne, ils ont sous-estimé l’incapacité structurelle de l’Union à répondre aux problèmes de chômage, aux inégalités, aux délocalisations, à la vie chère. Le « non » a été la réponse populaire – en particulier des ouvriers et des employés – à cette impéritie politique. Ayons l’honnêteté de le reconnaître.

D’aucuns reprochent au parti socialiste d’appeler à un nouveau référendum, l’accusant de mettre ainsi l’Europe en danger. En tant que militant de l’Europe, je continue d’assumer le choix d’une consultation populaire : avec François Mitterrand, Jacques Delors ou Lionel Jospin, nous n’avons cessé de vouloir rendre l’Europe accessible aux citoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC). Car c’est en se prononçant qu’ils se l’approprient !

Voilà pourquoi nous sommes pour le traité, et pour le référendum (Rires sur les bancs du groupe UMP).

Plusieurs députés du groupe UMP – L’êtes-vous vraiment tous ?

M. Jean-Marc Ayrault – Voilà pourquoi je ne peux accepter la manière scandaleuse dont le Premier ministre, hélas absent ce soir, a travesti ce double engagement lors d’un récent conseil national de l’UMP.

M. Michel Havard – Et le pouvoir du Parlement ?

M. Jean-Marc Ayrault – Il était pourtant bien mal placé pour nous faire la leçon : il n’a cessé, de toute sa carrière, d’être un intermittent de l’Europe.

M. Michel Havard – Vous ne faites que masquer les divisions du Parti socialiste !

M. Jean-Marc Ayrault – Hostile à son caractère supranational, il a refusé l’entrée du Portugal et de l’Espagne avant de voter contre la monnaie unique. La trajectoire de cet abonné absent à la construction européenne ne permet à aucun de ses amis du défunt RPR de s’ériger en juge des choix européens de ma famille politique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

Mme Nadine Morano – Et le choix des Français ? Ils ont voté en mai dernier !

M. Jean-Marc Ayrault – Les socialistes, eux, n’ont jamais manqué un seul rendez-vous avec l’Europe (Éclats de rire et huées sur les bancs du groupe UMP).

Plusieurs députés du groupe UMP – Fabius ! Fabius !

M. Jean-Marc Ayrault – Nous avons été de tous ses combats. Nous avons participé à toutes les étapes de sa construction. Nous avons été les architectes de l’euro, de l’élargissement, des droits politiques et sociaux (Même mouvement).

Plusieurs députés du groupe UMP – Emmanuelli ! Emmanuelli !

M. Jean-Marc Ayrault – Aujourd’hui, malgré votre politique désastreuse, malgré votre dérobade devant le peuple, nous nous sommes prononcés majoritairement et publiquement en faveur de la ratification de ce traité.

M. Laurent Hénart – C’est l’Île aux Enfants !

M. Jean-Marc Ayrault – Nous avons fait abstraction de toute arrière-pensée tactique ou politicienne (Éclats de rire sur les bancs du groupe UMP), car peu importe qui a conçu ce traité : c’est en fonction de nos seules convictions et dans l’intérêt de la France et de l’Europe que nous choisissons de le soutenir ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Michel Havard – Et les intérêts du Parti socialiste ?

M. Jean-Marc Ayrault – Faites donc preuve d’un peu de bonne foi, Messieurs (Même mouvement).

La principale vertu du traité de Lisbonne est de sortir l’Europe de sa paralysie politique, de dépasser la simple alternative du oui ou du non, de mieux répartir les pouvoirs. J’avais été ici même l’un des premiers à défendre ces orientations.

M. Guy Geoffroy – Les décors sont de Roger Harth et les costumes de Donald Cardwell !

M. Jean-Marc Ayrault – Nous aurions sans nul doute négocié un texte plus ambitieux, s’agissant notamment de son volet social (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Nous aurions défendu la création d’un salaire minimum fixé en fonction des PIB nationaux, la protection du monde du travail, l’harmonisation fiscale.

M. Laurent Hénart – Nous sommes au carnaval !

M. Jean-Marc Ayrault – Nous n’aurions pas délaissé les symboles en quoi se concrétise la personnalité politique de l’Union.

M. Jean-Marc Roubaud – Pourtant, vous n’avez jamais rien fait !

M. Jean-Marc Ayrault – Peut-être n’aurions-nous pas tout obtenu, mais au moins aurions-nous posé de nouvelles fondations.

M. Yves Bur – Et vous auriez fait tout cela tout seuls ? Sans même l’aide de M. Fabius ?

M. Laurent Hénart – Nous aurions donc eu un traité socialiste européen !

M. Jean-Marc Ayrault – Hélas, par excès de précipitation, le Président de la République a manqué l’occasion d’une audacieuse rupture. Le présent traité est lourd, obscur, presque illisible.

M. Michel Havard – MM. Zapatero et Prodi l’ont pourtant approuvé !

M. Jean-Marc Ayrault – Je regrette qu’il ne comporte aucune avancée en matière d’harmonisation fiscale et sociale, de politique industrielle, de gouvernance économique. Rien n’a été fait sur le tarif extérieur commun. Et bien des égards ont été accordés à ceux qui freinent le projet : ainsi, la Grande-Bretagne et la Pologne échappent à bien des règles du jeu (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC).

Pour imparfait qu’il soit, comme tout compromis politique, ce traité comporte néanmoins des améliorations qui l’emportent sur ses lacunes (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP). Il constitue un honorable compromis entre l’ancien traité constitutionnel, aujourd’hui caduc, et l’actuel statu quo.

M. Yves Censi – M. Ayrault marche sur une ligne de crête…

M. Jean-Marc Ayrault – Il améliore la capacité de décision de l’Union en stabilisant la présidence du Conseil et en y pondérant les voix, en réduisant le droit de veto et en développant les coopérations entre États, enfin en construisant l’armature d’une Europe politique que la France n’a cessé de défendre à chaque élargissement.

M. Michel Havard – Alors votez-le !

M. Jean-Marc Ayrault – Nous n’aurons plus désormais l’excuse de la lourdeur des procédures pour refuser d’améliorer la coordination économique, la politique de l’énergie, de l’immigration, du développement durable ou des relations extérieures. Nous n’aurons plus la menace du veto pour justifier l’inaction en matière industrielle ou militaire. C’est à l’aune de votre volonté d’engager des politiques nouvelles que l’on jugera de vos engagements et de votre capacité à redonner confiance aux citoyens en répondant à leurs aspirations.

Deuxième atout de ce traité : il efface la fiction constitutionnelle, notamment en matière économique. Le débat de 2005 l’a montré : le libéralisme ne s’institutionnalise pas. On revient ainsi à la règle centrale qui a toujours prévalu dans nos relations commerciales, et à laquelle il n’est possible de déroger que dans certains cas.

M. Laurent Hénart – En effet : ce n’est pas le même traité !

M. Jean-Marc Ayrault – Cette règle est enfin bornée par la reconnaissance tant attendue des services publics d’intérêt général ; reste à la concrétiser en adoptant la directive cadre élaborée par le groupe socialiste au Parlement européen.

De même, l’institutionnalisation de la charte des droits fondamentaux était l’un des combats de la gauche et de la Confédération européenne des syndicats, car elle reconnaît à tous les travailleurs d’Europe des droits inaliénables et leur servira de référence pour les défendre devant la justice européenne. C’est une conquête essentielle.

M. Laurent Hénart – Vous voyez que ce texte vous plaît !

M. Jean-Marc Ayrault – C’est même la principale raison qui justifie le vote de tous les partis socialistes et sociaux-démocrates européens en faveur de ce traité. Le monde du travail entre enfin dans les textes.

M. Frédéric Lefebvre – Arrêtez : M. Emmanuelli va faire une syncope !

M. Jean-Marc Ayrault – Ce traité n’est pas une fin en soi ; il n’est qu’un outil destiné à sortir d’une crise et à réformer les politiques européennes. Nous ne pouvons plus continuer comme avant.

M. Jean-Marc Roubaud – On l’a vu à Versailles !

M. Jean-Marc Ayrault – Nous avons l’obligation morale et politique de permettre à l’Union d’améliorer la vie de nos concitoyens. Ce n’est qu’ainsi qu’elle retrouvera toute sa légitimité.

La crise économique et financière qui menace le monde peut en être l’occasion. Isolés, Madame Lagarde, nous subirons de plein fouet la récession américaine. Unis, nous pourrons y répondre, élaborer de nouvelles régulations et dompter la frénésie spéculative des marchés.

M. Laurent Hénart – Ainsi parlait Zarathoustra !

M. Jean-Marc Ayrault – Là est le véritable enjeu européen : rénover notre gouvernance économique, investir dans la connaissance, encourager les synergies industrielles, nous protéger du dumping écologique et social ou encore instituer un salaire minimum européen. Le traité nous offre cette chance.

Là est aussi le véritable clivage entre nous. Hier, vous proclamiez avec M. Chirac des intentions jamais réalisées. Aujourd’hui, vous nous proposez le traité avec M. Sarkozy, sans pour autant en appliquer les orientations dans votre politique.

M. Jean-Marc Roubaud – C’est faux !

M. Jean-Marc Ayrault – Ainsi, j’entends le Président de la République défendre la préférence communautaire, mais je n’en trouve nulle trace dans son action européenne. Je l’entends critiquer le manque de coordination économique, notamment de la part de la BCE, et pourtant le Gouvernement ne cesse de violer ses engagements en matière budgétaire (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC). Ces contradictions ternissent la réputation de la France et ne manqueront pas d’affaiblir sa prochaine présidence de l’Union. Au contraire, il faut montrer l’exemple ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC, protestations sur les bancs du groupe UMP)

En revanche, je me réjouis que d’éminentes figures de votre majorité, dont MM. Giscard d’Estaing et Balladur, mais aussi M. Jouyet ici présent, s’associent aux députés socialistes pour refuser de désigner M. Blair comme président de l’Union. Un candidat qui, dans ses fonctions nationales, a soutenu et participé à la guerre en Irak ne saurait illustrer notre volonté de construire une Europe émancipée. Le président de l’Union doit être le visage de l’indépendance et du non-alignement, même si cela vous angoisse ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. Frédéric Lefebvre – Même avec un tel argument, vous ne convainquez pas tous les socialistes…

M. Jean-Marc Ayrault – Je conclurai en m’adressant à chacun d’entre vous.

M. Jean-François Copé – Nous ne sommes pas à un meeting !

M. Jean-Marc Ayrault – Tout au long de cette procédure compliquée, nous avons été parfaitement sincères (Éclats de rire sur les bancs du groupe UMP).

M. Yves Bur – Nos collègues communistes se bidonnent !

M. Jean-Marc Ayrault – Nous avons manifesté un même attachement au traité et au référendum (Applaudissements sur la plupart des bancs du groupe SRC).

Que vous soyez pour ou contre ce traité, ne privez pas les Français d'un débat auquel ils ont droit ; exigez du Président de la République qu'il soumette le traité de Lisbonne à référendum. Ce n'est pas la volonté de marquer des points contre le Gouvernement qui nous anime… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), mais celle de respecter le peuple français. J'ai la conviction que l'adhésion directe des Français à ce traité est nécessaire ; elle marquerait une réconciliation solennelle avec l'Europe en lui offrant une validation populaire qui aujourd'hui lui fait défaut.

M. Yves Bur – Dites-nous donc comment vous voterez demain !

M. Jean-Marc Ayrault – C'est dans cet esprit que je demande à la représentation nationale de voter cette motion référendaire (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères  Je ne reprendrais pas vos arguments en faveur du traité, Monsieur Ayrault – ils étaient excellents. En revanche, la motion référendaire que vous avez défendue appelle des observations d’ordre constitutionnel et politique. L’article 11 de la Constitution est limpide : le choix de soumettre à référendum un projet autorisant la ratification d'un traité revient au Président de la République et à lui seul (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Henri Emmanuelli – Et à Guéant !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères  Or, il a exprimé son choix pendant la campagne et avant la tenue des élections, s’engageant à proposer à nos partenaires la négociation d’un nouveau traité et, si le texte voyait le jour, à le faire ratifier par la voie parlementaire. Ce choix, validé quatre fois par les Français, est aussi celui de vingt-cinq des vingt-six autres États membres de l’Union – dont tous ceux qui sont dirigés par le parti socialiste. Serait-ce donc une erreur collective ?

M. Henri Emmanuelli – Allez exercer chez eux vos talents de ministre des affaires étrangères !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères  J’ajoute que l’article 3 de la Constitution n’établit aucune hiérarchie entre voie parlementaire et voie référendaire. Dois-je rappeler que la démocratie parlementaire est l’un des éléments fondateurs du pacte républicain et de notre République ? La légitimité du Parlement ne varie pas en fonction des sujets et des sondages – d’autant moins que les dernières élections ont eu lieu récemment.

Le projet de traité constitutionnel et le traité de Lisbonne sont bien deux textes distincts. Trois autorités indépendantes en ont jugé ainsi, en France, au Danemark et aux Pays-Bas, trois pays où un référendum avait été organisé sur le projet de traité constitutionnel. De plus, le traité de Lisbonne n’opère pas de transfert de souveraineté aussi substantiel que celui que prévoyait le traité de Maastricht. Enfin, la France ne peut rester plus longtemps spectatrice au sein de l’Union européenne, comme elle le fut lorsque, à Madrid, un sommet a réuni vingt États membres en son absence. Elle se doit de retrouver le chemin de l’Europe. Nous avons, Monsieur Ayrault, bel et bien entendu le « non » qui s’est exprimé, et nous en avons tiré les enseignements, si bien que le traité de Lisbonne répond aux préoccupations des Français, quelle que soit leur sensibilité.

Voulons-nous que l’Europe soit l’un des acteurs du monde de demain ? (« Oui ! »sur les bancs du groupe UMP) Oui ! Voulons-nous qu’elle puisse s’organiser sur le plan politique ? Oui ! Ce sont là des problèmes de fond, et non de procédure. Nous avons bien entendu M. Delors : le traité constitue un progrès, et la manière de le ratifier en est un autre.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement estime que la motion référendaire n’est fondée ni en droit ni en opportunité (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Axel Poniatowski, président de la commission – Il me paraît assez triste que notre discussion se résume à un débat sur le mode de ratification du traité. Je comprends bien le calcul politique… (Protestations sur les bancs du groupe SRC) Certains veulent un référendum parce qu’ils y voient la dernière possibilité qu’un « non » s’exprime majoritairement et que le traité ne soit pas ratifié. D’autres le veulent parce qu’ils croient ainsi jouer leur rôle d’opposants – mais, parmi eux, certains ne sont pas très fiers de ce que sera leur vote demain (Mêmes mouvements), d’autant que, dans les autres pays membres, la ratification, par voie parlementaire, sera pratiquement votée à l’unanimité.

Je pourrais vous dire qu’un traité modificatif ne justifie pas un référendum. 

Je pourrais vous dire que certaines préoccupations de ceux qui ont voté « non » ont été prises en considération. Ainsi, la mention de la concurrence libre et non faussée ne figure plus dans le texte ; des pouvoirs supplémentaires ont été donnés aux parlements nationaux et au Parlement européen ; un protocole relatif aux services publics complète le texte.

Je pourrais vous dire que la Constitution n’établit pas de hiérarchie entre l’une et l’autre voie de ratification d’un traité, et qu’il est assez cocasse de voir une partie des députés demander à être dessaisis de leurs prérogatives (Protestations sur les bancs du groupe SRC).

Je pourrais ajouter que 26 des 27 États membres de l’Union vont approuver le traité de Lisbonne par la voie réf…parlementaire, l’Irlande seule procédant autrement parce que sa Constitution l’y oblige. Si vous aviez gagné les élections, et que vous étiez aux affaires, qu’auriez-vous fait ? Je ne suis pas sûr que, contrairement à 25 autres États membres, vous auriez choisi la voie référendaire ; à dire vrai, je suis même persuadé du contraire ! (Protestations sur les mêmes bancs) Mais je me bornerai à ceci : la ratification est le choix du Président de la République…

M. Henri Emmanuelli – Parce qu’il a peur !

M. Axel Poniatowski, président de la commission – …qui, anticipant sa victoire, a, tout au long de sa campagne, dit précisément quelle serait la teneur du traité et comment il serait ratifié. La voie référendaire est donc parfaitement légitime ! (Rires et applaudissements ironiques prolongés sur les bancs du groupe SRC)

M. Michel Sapin, imité par de nombreux députés SRC  Axel avec nous !

M. le Président – Chacun aura rectifié comme il convient ce lapsus ! (Sourires)

Mme Jacqueline Fraysse – La ratification du traité de Lisbonne est un sujet essentiel, puisqu'il concerne 500 millions d’Européens, et, traitant des modalités de cette ratification, la motion référendaire déposée par 58 députés membres du groupe socialiste ne traite pas d’autre chose que de l'exercice de la démocratie.

Pour justifier le refus du référendum, M. Fillon nous disait lundi, parlant du Président de la République, que « personne ne peut lui reprocher d'avoir précisément fait ce qu'il avait précisément dit ». Cet argument pourrait être recevable mais, dans ce cas précis, il est peu convaincant, car M. Sarkozy a justement pour spécialité de dire tout et son contraire. Certes, en 2007, lors de la campagne présidentielle, il déclarait vouloir choisir la procédure parlementaire pour la ratification du nouveau traité. Mais, en 2004, lors du congrès de l'UMP, il exprimait l’opinion inverse dans une envolée lyrique que je veux citer une fois encore : « L'Europe ne peut se construire sans les peuples, parce que l'Europe, c'est le partage consenti d'une souveraineté et que la souveraineté, c'est le peuple. À chaque grande étape de l'intégration européenne, il faut donc solliciter l'avis du peuple. »

Le Premier ministre a donc raison; nous ne pouvons reprocher au Président de la République d'avoir fait ce qu'il a promis, puisqu'il a tout promis ! Il faut dire qu'entre-temps, le « non » l'avait emporté... Voilà qui confirme une conception de la démocratie à géométrie variable, selon les résultats attendus. Cette fois, vous êtes manifestement si peu sûrs de faire avaliser par une majorité de nos concitoyens le traité modificatif, frère jumeau du précédent, que vous avez décidé de contourner le verdict populaire. M. Kouchner a dit le vrai : vous avez effectivement tiré les enseignements du référendum, mais de quelle façon ! Ce n'est ni courageux, ni très brillant.

C'est sans doute aussi la raison du dépôt de cette motion référendaire. On peut en effet s'étonner que nos collègues socialistes dont, certes, beaucoup ont voté contre la révision constitutionnelle, mais dont la majorité se sont abstenus ou ont approuvé, déposent cette motion qui n'a pratiquement aucune chance d'être adoptée (Rires sur les bancs du groupe NC) face à la majorité UMP, tandis que lundi dernier à Versailles, il ne fallait que les deux cinquièmes des voix pour mettre le Gouvernement en échec.

Nous avions alors une occasion de l'emporter, mais vous ne l'avez pas saisie ! (Rires sur les bancs du groupe UMP). Il s'agit donc d'une manœuvre et c’est pourquoi nous avons refusé de cosigner cette motion.

En revanche, nous qui agissons depuis des mois pour obtenir un référendum et avons déposé le 15 janvier dernier une proposition de loi en ce sens, avons toutes les raisons de voter cette motion (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe SRC).

M. François Loncle – Constitution européenne, traité simplifié, est-ce le même objet ? Oui, il s’agit dans les deux cas de l’avenir de l’Europe et de la réforme de ses institutions et de son fonctionnement.

Cet après-midi, lors de l’examen quelque peu précipité du projet en commission des affaires étrangères, M. de Charette a reconnu, en toute honnêteté intellectuelle, le bien-fondé de la motion référendaire. En effet, Monsieur Kouchner, si la décision de recourir au referendum appartient au Président de la République, l’initiative est partagée entre le Parlement et le Gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

Le 29 mai 2005, les Français se sont prononcés de façon incontestable. Dès lors, il fallait élaborer un autre texte. Mais on ne peut se substituer au peuple qui s’est prononcé il y a moins de trois ans, ou Descartes ne serait plus français. C’est pourquoi le groupe SRC votera à l’unanimité cette motion référendaire (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. le Président – Sur le vote de la motion référendaire, je suis saisi par le groupe SRC d’une demande de scrutin public.

M. Marc Laffineur – Monsieur Ayrault, heureusement que le ridicule ne tue pas ! En vous entendant défendre le traité de Lisbonne, il fallait voir la tête de vos collègues qui ont voté non au référendum et qui buvaient le calice jusqu’à la lie. Un peu de sincérité ! En fait, il n’y a là que manœuvre pour cacher les divisions du parti socialiste, de M. Fabius, qui n’a pas le courage d’être là ce soir, et qui avait expliqué qu’il y avait un plan B, à M. Hollande, qui n’est pas là non plus et qui expliquait qu’il ne fallait pas aller au congrès, ce qui conduisit M. Emmanuelli à déclarer dans l’heure qu’il irait. Et nous avons assisté à la débandade du parti socialiste à Versailles… Les Français s’en rendent compte : comme l’a dit Mme Fraysse, au fond, vous êtes contents qu’il n’y ait pas de référendum, afin de passer au plus vite sur vos divisions. Le groupe UMP votera contre cette motion (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. François Rochebloine – Cette motion soulève trois questions, celle du moment, celle des auteurs, et celle des perspectives.

Le moment : le Congrès vient d’adopter la révision constitutionnelle. Le débat a porté aussi sur ce qu’elle permettait, à savoir la ratification du traité de Lisbonne, qui donne un contenu politique nouveau à l’Union européenne. Chacun a pu s’exprimer librement et, politiquement, les jeux sont faits. Dès lors, cette motion n’est qu’une manœuvre de retardement, et qui plus est, à usage interne.

Elle nous est proposée en effet par un groupe parlementaire profondément divisé entre partisans et adversaires de l’Europe (Protestations sur les bancs du groupe SRC), entre partisans d’une certaine Europe et partisans d’une autre Europe, entre adversaires résolus et adversaires résignés de la procédure parlementaire. Cette division est apparue clairement à Versailles, où 32 d’entre eux ont voté pour, 121 ont voté contre et 143 se sont abstenus.

Faute de se mettre d’accord sur une attitude positive, les socialistes français, contrairement aux autres socialistes en Europe, n’ont trouvé d’autre ciment que le refus. Nous ne souhaitons pas être les otages de leurs affrontements.

Et quelle perspective politique offre le parti socialiste ? Il n’a pas progressé dans sa réflexion sur l’Europe depuis trois ans. Il ne propose rien de plus que le spectacle renouvelé de ses divisions. On ne s’engage pas vers le référendum sans projet.

Les députés du Nouveau Centre appartiennent à un courant qui a toujours soutenu la construction européenne ; leur engagement est clair et sur le long terme. Ils ne peuvent donc que rejeter cette motion de circonstance ! (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et du groupe UMP)

À la majorité de 227 voix contre 175 sur 404 votants et 402 suffrages exprimés, la motion référendaire n’est pas adoptée.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président – J’ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe GDR une question préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Patrick Braouezec – En optant pour la ratification parlementaire d’un traité pratiquement identique à celui qui a été rejeté par référendum en 2005, le Gouvernement et la majorité vont élargir le fossé entre les citoyens et les institutions de l’Union européenne. Celles-ci produisent à flux tendu des politiques néolibérales ; les gouvernements sont trop heureux de les leur imputer, mais, ce faisant, ils minent la légitimité de l’Europe. Décidément, l’Europe et la participation populaire n’auront jamais fait bon ménage !

Le Président de la République a affirmé avec une désarmante mauvaise foi que le traité constitutionnel de 2005 était une constitution, sur laquelle un référendum s’imposait, alors que le traité pour l’Union européenne n’en étant pas une, la ratification parlementaire suffisait. Or le traité constitutionnel n’était nullement une constitution au sens juridique du terme, ainsi que l’avait d’ailleurs reconnu le Premier ministre belge, M. Dehaene, l’un de ses rédacteurs.

Le Président de la République a fait également valoir que les modifications introduites feraient le consensus.

Mais si tel est le cas, nous avons l’occasion de le vérifier en consultant les électeurs par référendum…

Toutefois, le président lui-même ne croit pas un mot de telles sornettes : il a déclaré devant le Parlement européen, lors d’une réunion à huis clos, qu’il n’y aurait pas de traité si l’on organisait un référendum en France puis au Royaume-Uni. C’est la peur du résultat qui vous conduit à ne pas donner la voix au peuple.

Et pourtant le même président affirmait en 2004, lors d'un conseil national de l'UMP, que l’Europe était vouée à l’échec si elle restait la seule affaire des responsables politiques et économiques au lieu de devenir celle des peuples. Il se demandait comment l’on pouvait expliquer aux Français que la Constitution européenne était essentielle et déduire de cette affirmation la nécessité d’une approbation exclusivement parlementaire, sans que l’on sollicite directement l'avis des Français.

Quelle volte-face ! Le Gouvernement n'a pas entendu ce que réclame une majorité de Français, qu'ils soient pour l'Europe consacrée par ce traité, ou bien pour une Europe sociale, égalitaire, démocratique, plurielle et dynamique. Nos concitoyens veulent exercer leur droit à la démocratie. Que faites-vous des 120 000 signatures apposées sur la pétition qui vous a été remise à Versailles ?

Ce traité ne sera donc pas soumis au jugement du peuple, toujours considéré comme un intrus dans la construction européenne. Son intervention directe est pourtant légitime à chaque fois que l’on engage son avenir. Elle est même impérative. En régime parlementaire, le peuple délègue sa souveraineté à ses représentants pour le vote des lois, mais ceux-ci n’ont pas de légitimité pour prendre des décisions qui iraient à l’encontre des positions clairement exprimées par le corps électoral.

Le recours au référendum devrait être obligatoire pour l'adoption de lois contenant des dispositions précédemment rejetées par voie référendaire. Le parallélisme des formes et le respect de l'expression directe de la souveraineté nationale exigent que l’on encadre le pouvoir législatif du Parlement dans les matières ayant fait l'objet d'une consultation populaire.

Comment les électeurs qui ont voté « non » en 2005 pourraient-ils se satisfaire des quelques différences qui distinguent le traité constitutionnel et le traité de Lisbonne ? Pourquoi s’opposer à ce qu’ils donnent leur avis ? Comme l’observait Valéry Giscard d'Estaing, vous n’avez modifié l’organisation du texte et renoncé au vocabulaire constitutionnel que dans le but d’échapper au référendum. Avec ce traité modifié, vous avez préféré conforter la nature néolibérale de l'Europe tout en vous contentant d’aménager les superstructures institutionnelles de l'Union.

Considérant que la construction d’une autre Union européenne est non seulement possible, mais surtout nécessaire, le groupe GDR a soumis une proposition de loi constitutionnelle tendant à instaurer un mécanisme de protection de l'expression du suffrage universel en cas de rejet d'un projet de loi soumis au référendum. Il ne s’agit pas de sacraliser le résultat d'un référendum, mais de laisser au peuple la responsabilité d'un éventuel changement de position. À cette fin, nous avons souhaité compléter l'article 11 de la Constitution par un quatrième alinéa précisant les conséquences qu’aurait le rejet d'un projet de loi par référendum : aucune disposition figurant dans le texte rejeté ne pourrait être adoptée par la voie parlementaire.

On nous a reproché d’avoir présenté là un texte de circonstance. Mais il est de notre devoir d'éviter un déni de démocratie. Nous sommes ici pour représenter les électeurs, non pour voter des lois qui arrangent le Gouvernement et la majorité. N’opposons pas démocratie directe et démocratie parlementaire ! Un détournement de la volonté du peuple par la voie législative ne ferait qu’accroître la méfiance à l'égard de la démocratie parlementaire.

J’ajoute que notre proposition de loi constitutionnelle ne méconnaissait pas l'article 3 de la Constitution, qui met sur un pied d'égalité l'exercice de la souveraineté par le peuple, grâce au référendum, et son exercice par l’intermédiaire de ses représentants. La souveraineté nationale appartient au peuple et la volonté générale ne peut s'aliéner. Une fois que le peuple s’est exprimé, comme il l’a fait en 2005, ses représentants ne peuvent le désavouer sur le même sujet.

Notre proposition de loi constitutionnelle tenait également compte du cas spécifique des traités internationaux. Lorsque le peuple est appelé à se prononcer sur un de ceux-ci, il ne se prononce pas directement sur ses stipulations, mais sur un projet de loi qui en autorise la ratification par le Président de la République. Si ce projet de loi est rejeté par référendum, il ne faut pas que le même traité puisse être ratifié grâce à l’autorisation du Parlement. C’est pourtant ce que permet la Constitution…

Formellement différent du traité établissant une constitution pour l'Europe, le traité de Lisbonne en reprend pourtant l’essentiel, qu’il s’agisse de la présidence de l'Union, de l'élargissement des pouvoirs de la Commission et de la modification de sa composition, du rôle confié au Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, de la reconnaissance de la personnalité morale de l'Union ou encore de la suppression des « piliers », du renforcement de la coopération judiciaire et de la politique étrangère et de défense commune.

S’agissant de cette dernière, le nouveau traité ne tient aucunement compte des critiques qui avaient porté en 2005 sur sa relation à l’OTAN – ce qui n’est pas sans effet sur le rôle de la France au sein de l'Alliance atlantique.

Depuis la chute du mur de Berlin, l’OTAN bénéficie d’une nouvelle légitimité et a été élargie à l'Europe centrale et orientale. Les partisans d'une défense atlantiste ont même obtenu la définition un nouveau « concept stratégique » lors du sommet du cinquantenaire organisé en 1999 : considérant que la sécurité de l'Alliance doit être envisagée dans un cadre global, il est prévu que les forces de l'Alliance pourront opérer au-delà des frontières de l’OTAN. Jusque là organisme de défense régionale, l’OTAN est devenu le bras armé de la mondialisation.

Pour sa part, le Président de la République a affirmé que la France devait prendre toute sa place au sein de l'Alliance atlantique. Cela signifie une intégration pleine et entière de la France au sein de l’OTAN, devenue un des pivots du réseau établi par les grandes puissances qui décident aujourd’hui de la guerre et de la paix, des choix politiques et économiques, du respect ou non des droits humains ou syndicaux, mais aussi de la survie de la planète.

A l’instar du Conseil de sécurité de l’ONU, du G8 et de la Banque mondiale en matière politique, économique et financière, l’OTAN sert de directoire politico-militaire aux grandes puissances désireuses d’imposer leurs visées hégémoniques et de préserver le nouvel ordre social dans le monde. Bien qu’elle soit souvent présentée comme une arme de démocratisation massive, c’est l'organisation la moins démocratique qui soit : elle fonctionne hors de tout contrôle parlementaire et citoyen, à rebours des principes de la démocratie. Ceux qui souhaitent construire l’Europe sur le fondement d’une paix juste et durable doivent se mobiliser contre une telle évolution.

Autre source de préoccupation, le traité simplifié ne supprime qu’en apparence la mention d’une concurrence libre et non faussée. Rien n’a changé de ce qui empêche l'Europe d’emprunter un autre chemin que le marché et la libre concurrence, de se libérer des contraintes pesant sur la politique monétaire et d’abandonner sa méfiance vis-à-vis des services publics.

Certains prétendent que le traité de Lisbonne serait plus soucieux des services publics. Or, ceux-ci ne sont admis ni comme valeur, ni comme objectif de l'Union. Sur ce point, il n'y a aucun progrès : la notion de service public reste absente du traité, à l’exception d’une servitude concernant les transports.

Il est vrai que les services d'intérêt général non marchands, les services non économiques d'intérêt général, qui ne sont pas directement payés par l'usager, comme l'éducation nationale, les services sociaux, les services de santé, les services culturels, figurent dans un protocole. C'est la première fois qu'un texte de portée équivalente aux traités porte sur les services publics non marchands et qu’il les protège des règles de la concurrence.

Toutefois, la définition des « services non économiques » n'est pas précisée par les traités. D'après une jurisprudence constante de la Cour de justice, toute activité consistant à offrir des biens et des services sur un marché donné présente une nature économique. Dans un rapport établi à l’occasion du Conseil européen de Laeken en 2001, la Commission observait ainsi qu’il est impossible d'établir une liste définitive de tous les services d'intérêt général pouvant être considérés comme non économiques, car tout dépend des mutations technologiques, économiques et sociétales. Par conséquent, c'est toujours aux services publics de faire la preuve qu'ils ne sont pas un obstacle aux échanges dans l'Union, et c'est à la Cour de justice de trancher au cas par cas. La jurisprudence admet qu'un service n’est pas « économique » quand il correspond à une mission de l'État et qu’il est majoritairement financé par des fonds publics. Il suffit donc que des entreprises s’en emparent pour que l'activité soit considérée comme économique. Elle sera alors soumise aux règles de la concurrence.

L'article 2 du protocole 9 risque donc fort de rester sans portée pratique. Ces services sont en outre régis par l'accord général sur le commerce des services de l'Organisation mondiale du commerce, dont les décisions s'imposent à l'Union et dont le rôle est d'ouvrir à la concurrence mondiale toutes les activités les unes après les autres. Il ne faut pas non plus se laisser tromper par la référence à des « services d'intérêt économique général » qui ne sont définis nulle part dans le traité : il faut consulter le livre blanc de la Commission pour apprendre que ce sont des services publics marchands que l'usager paie directement et que les États soumettent à des obligations de service public en vertu d'un critère d'intérêt général. La Charte des droits fondamentaux reconnaît l'accès à ces services tel qu'il est prévu par les législations et pratiques nationales. Le nouveau traité reconnaît la place qu'ils occupent parmi les valeurs communes de l'Union, mais en reprenant l'article 16 du traité de Nice. La seule modification consiste à renvoyer explicitement à un acte législatif européen pour leur mise en œuvre – mais un tel acte ne serait ni plus ni moins obligatoire qu'avec les traités en vigueur. Il n’y a donc pas de progrès concernant la place des services publics dans la construction européenne.

Enfin, une autre Europe implique une vision rénovée des rapports mondiaux. Les liens historiques, les enjeux politiques, les flux migratoires imposent un rapport politique d'égal à égal avec les pays du sud, rapport fondé sur la solidarité et affranchi des règles inégalitaires de la mondialisation libérale. Les relations tissées avec de nombreux États aujourd’hui négligés permettraient une ouverture réciproque des deux côtés de la Méditerranée.

Ces quelques éléments semblent suffisants pour démontrer la continuité d’une politique libérale : le traité de Lisbonne ne représente aucun changement par rapport au traité constitutionnel, mais plutôt une dangereuse régression démocratique et sociale. Pourquoi ne pas faire confiance au peuple ? Pourquoi ne pas lui soumettre la question par référendum ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR)

Mme Claude Greff – Parce que le peuple nous fait confiance, à nous !

M. le Président – Nous en venons aux explications de vote.

M. Marc Laffineur – Le groupe UMP votera contre cette question préalable, qui n’a aucun lieu d’être (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. François Rochebloine – L’objet d’une question préalable est de constater qu’il n’y a pas lieu de délibérer. Je ne ferai pas à nos collègues communistes l’injure de penser que c’est leur véritable avis. Ou alors cette motion serait-elle pour eux un moyen économique de s’épargner leurs propres débats internes ?

Plusieurs députés du groupe GDR – Vous vous trompez de groupe !

M. François Rochebloine – Vous êtes ensemble dans l’opposition ! Il est urgent d’autoriser la ratification de ce traité, pour permettre à notre pays de jouer pleinement son rôle. C’est pourquoi le groupe Nouveau Centre votera contre la question préalable.

M. Jean-Claude Sandrier – Il n’y a effectivement pas lieu de délibérer. Soit le traité de Lisbonne ne change rien de fondamental par rapport au traité constitutionnel et personne n’est autorisé à revenir sur le choix exprimé par 55 % de nos concitoyens en 2005, même en essayant d’exploiter de laborieuses considérations juridiques. Soit des modifications importantes ont été apportées et il y a toutes les raisons de consulter le peuple. Pourquoi, sur le même enjeu – et quel enjeu ! – aurait-on dû consulter nos concitoyens en 2005 et ne le devrait-on plus en 2008 ? Une seule explication : la peur, la peur que le peuple réponde à nouveau « non ». Mais la peur n’est pas un principe constitutif de la démocratie.

Le texte est en fait le même qu’en 2005, tous les chefs d’État européens le reconnaissent. Il n’y a donc que le peuple français qui puisse revenir sur sa décision. Tout le reste n’est que basse manœuvre politicienne. Nous voterons donc cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR).

La question préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.

DISCUSSION GÉNÉRALE

M. François Rochebloine – Dans une vie politique, rares sont les moments où les priorités de l'action immédiate rejoignent les engagements les plus fondamentaux. Pour les députés du groupe Nouveau Centre, le vote en faveur de la ratification du traité de Lisbonne offre l'un de ces moments privilégiés.

La première priorité de l'action présente consiste à sortir de l'impasse dans laquelle l'échec du référendum de 2005 avait jeté le projet commun. Nos partenaires européens attendaient cet événement. La victoire du « non » n’a en effet pas eu de lendemain politique. Pour cela, il eût fallu que ses partisans présentent une solution de rechange, que le souverainisme ne soit pas seulement une attitude mais qu'il porte aussi un projet. Or aucune alternative crédible n'a été présentée. La victoire d'un jour a épuisé le dynamisme des vainqueurs. Il serait trop facile de faire grief aux membres de la Convention pour l'avenir de l'Europe de s'être engagés dans une entreprise irréaliste : ils se sont entièrement consacrés à leur tâche, mais leur œuvre reposait sur une hypothèse aventureuse. Présenter d’un seul coup l'ensemble de l'acquis juridique communautaire, ancien et récent, était une erreur. Certes, l'idée était généreuse : rendre accessible aux Européens toute l'œuvre de la construction, acquise depuis un demi-siècle. Malheureusement, on ne distinguait pas l'essentiel de l'accessoire, l'indispensable du souhaitable, le vieux du neuf et l’opinion a mal reçu ce texte touffu, incompréhensible pour le plus grand nombre et qui semblait bien éloigné de ses interrogations vitales du moment. On a aussi voulu dissimuler l'urgence politique à améliorer les procédures de décision de l’Europe élargie.

Aujourd'hui, les illusions post-référendaires ont vécu mais le problème de l'efficacité des institutions demeure. Il se posait déjà à quinze, et on hésitait à l'affronter. L'élargissement à vingt-sept supprimait toute échappatoire.

Les origines du blocage remontent à la création de l'Union européenne par le traité de Maastricht en 1992. À Maastricht, les États membres ont décidé une extension considérable des compétences de l'Europe intégrée, et l'Europe a dépassé la pure logique du marché unique. La dynamique engagée alors n'a pas encore produit tous ses fruits. Certains des opposants à la Constitution européenne ne la remettent d'ailleurs pas en cause : ils souhaitent soit un infléchissement des politiques européennes, soit leur extension à de nouveaux domaines, sans voir la contradiction qu’il y a à rejeter les aménagements institutionnels autorisant de telles réformes.

Le président Sarkozy a eu le mérite de prendre la mesure de ce blocage politique. Au cours de la campagne présidentielle, il a annoncé son intention de relancer le processus européen. Il l'a fait. Il a dit vouloir proposer un traité simplifié, et il l'a fait. Il a aussi indiqué qu’il soumettrait ce traité pour ratification au Parlement. C’est ce qu’il a fait.

Avec ce traité « simplifié », nous passons du symbolique au pragmatique, de la recherche d'une certaine rupture formelle à l'aménagement raisonné d'un projet dynamique. Nous sommes donc dans la ligne de Maastricht. Il n'y a pas, dans ce traité, d'inflexion fondamentale, mais la reprise indispensable d'un projet un temps suspendu. C'est une démarche d'ajustement, qui est par nature de la compétence du Parlement et qui était absolument nécessaire, à court, à moyen et à long terme.

Ceux qui sont nés au lendemain du second conflit mondial savent les séquelles de la guerre. Ils ne veulent plus qu’une telle situation soit de nouveau possible. Une majorité d'Européens est donc reconnaissante à l'Europe d'avoir ancré la paix, grâce à l'intuition généreuse d'hommes comme Robert Schuman, Jean Monnet, Konrad Adenauer ou Alcide de Gasperi, qui ont compris la nécessité d'offrir aux peuples la perspective d'un projet commun et qui ont réfléchi aux moyens politiques de lui donner consistance. L'entreprise a eu ses heures de gloire et ses difficultés, mais elle est irréversible. On s'est fait aujourd'hui à l'idée qu’on ne peut avancer à la même vitesse dans tous les domaines, mais l'essentiel est d’avancer. Le traité simplifié permet ces progrès. Il renforce la stabilité des instances de décision, clarifie les procédures et précise les domaines de compétence.

Il est un domaine dans lequel les négociateurs du traité se sont sagement abstenus d'entrer : je veux parler de la poursuite de l’élargissement. Nous ne devons pas nous dissimuler que l'entrée de la Turquie, par exemple, poserait bien plus que des problèmes institutionnels.

Elle conduirait, au-delà des textes eux-mêmes, à une réinterprétation de toutes les politiques européennes, à un équilibre d'une autre nature. Elle serait contraire à la clarification réussie par le traité de Lisbonne. Nous ne serions plus dans la perspective dessinée par les pères fondateurs de l'Europe. C'est pourquoi le groupe Nouveau Centre est particulièrement attaché à la consolidation d'une ligne opposée à l'adhésion de la Turquie. Il souhaite donc le maintien de l'article 88-5 de la Constitution qui subordonne tout nouvel élargissement à la consultation du peuple.

Pour autant, il est conscient de la nécessité de poursuivre avec la Turquie une politique de coopération prenant en compte les ambitions légitimes de ce pays et ses traditions de politique extérieure. Le projet d'Union de la Méditerranée, qui doit être lancé en juillet 2008 à l'initiative de la France, de l'Espagne et de l'Italie, correspond à un tel objectif. Je n'ignore pas que l'appel de Rome, à l'origine de ce projet, affirme qu'il n'interférera pas dans le processus de négociation de la candidature de la Turquie à l'Union européenne. Je suis cependant persuadé que l'organisation de coopérations multiples, impliquant, avec d'autres pays de la région, la Turquie, dans le cadre de l'Union de la Méditerranée, pourrait fournir une solution alternative, sage et crédible, à un processus d'adhésion largement critiqué par l'opinion. Puisse l'appel de Rome susciter, dans le cadre de la Méditerranée, la même volonté de vivre ensemble en paix, que la construction de l'Union européenne.

L'Europe, depuis un demi-siècle, a connu alternativement des périodes de dynamisme et de stagnation. Elle a été pendant longtemps l’expression collective d’une volonté de promouvoir un monde libre face au bloc soviétique. Elle est restée le vecteur d'une conception commune de la vie collective fondée sur des valeurs partagées. À chaque étape de son développement, elle a été la source de grands espoirs pour une jeunesse abreuvée de paix. Le traité de Lisbonne renoue avec ce grand élan mobilisateur. Il donne une vigueur nouvelle à l'idée européenne et, par là même, fait à nouveau de l'Europe le symbole d'une espérance aux yeux du monde. Il sera, j'en suis convaincu, à la source de nouveaux engagements.

Le groupe Nouveau Centre, fidèle à ses convictions européennes, votera sa ratification (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et du groupe UMP).

M. Marc Laffineur – Permettez-moi en cet instant décisif pour notre engagement européen de vous rappeler la responsabilité qui incombe à chacun de nous, de droite comme de gauche, après la crise que vient de traverser l’Union européenne.

En 2005, la France et les Pays-Bas refusaient le traité constitutionnel européen, et les espoirs de relancer l'Union européenne comme projet d'envergure étaient en berne. Dois-je vous rappeler la crispation qui a alors paralysé l'Europe tout entière, le doute qui a ébranlé un projet commun, nourri par cinquante années d'écoute, de compréhension, de tolérance, d'efforts pour dépasser les frontières du passé et tendre la main à ceux qui étaient des ennemis ou des étrangers, et qui aujourd'hui sont nos amis les plus dévoués, sans qui on ne peut envisager l'avenir ?

Le « non » français, contrairement à ce que certains ont laissé entendre, ne marquait pas plus un effritement du lien qui nous unit avec les autres États membres qu'un refus de s'engager plus loin dans l'aventure européenne. Il a, à juste titre, rappelé que c'étaient les peuples qui faisaient la force de l'Europe, et qu'il nous fallait être attentif à leurs inquiétudes. Et c'est ce que le Président de la République a entendu.

Il n'a pas nié qu'il y ait une profonde crise de défiance, il n'est pas non plus resté sourd à l’angoisse de millions de femmes et d'hommes qui ne se sentaient plus assez protégés par l'Europe. Il n’a pas pour autant tiré un trait sur l'Europe car tel n'a d’ailleurs jamais été le souhait des Français. Ce souhait, Valéry Giscard d’Estaing l'avait fort bien compris. J’aimerais à ce titre le remercier pour son engagement européen sans faille, notamment pour sa présidence exemplaire de la Convention sans laquelle nous ne débattrions pas de ce texte.

Dès son élection, le Président de la République a affirmé sa volonté de relancer l'Union européenne. Le jour même de son investiture, il se rendait à Berlin pour consacrer l'amitié franco-allemande avec Angela Merkel. Quarante-huit heures plus tard, il était à Bruxelles. Il se devait de ranimer l’Europe car le peuple français est profondément européen, et c'est justement parce qu'il l'est et en est fier qu'il désire le meilleur pour l'avenir de l'Europe. Nicolas Sarkozy avait annoncé, conformément aux vœux des Français, qu'il ouvrirait le dialogue avec nos amis européens afin de trouver une solution à cette crise humaine et institutionnelle. Les vingt-sept chefs d'État des pays membres ont honoré sa proposition. Il nous appartient aujourd'hui de ratifier ce traité dans lequel réside tant d'espoir pour le peuple français et pour l'Europe.

Le traité signé à Lisbonne le 13 décembre dernier mérite l'admiration. Ce n'est pas un accord de plus, c'est l'affirmation d’un engagement fort de chacun des États membres dans l'aventure européenne, et c'est une réponse à l'échec des référendums de 2005 qui ouvre la voie à un humanisme social européen.

M. Jean-Claude Sandrier – Comment peut-on qualifier le vote des Français d’échec ?

M. Marc Laffineur – Ce nouveau traité respecte les inquiétudes exprimées par les Français. Ce n’est plus une constitution. C'est un traité européen classique, purement institutionnel, qui permettra la modernisation nécessaire des institutions de l'Union en garantissant une meilleure efficacité, une meilleure lisibilité et une plus grande démocratie. Et c'est dans le respect le plus solennel des valeurs démocratiques que ce traité va être ratifié par le Parlement, comme l'ont été les précédents, comme en dispose l'article 53 de la Constitution française, et comme l'avait promis le candidat que les Français ont choisi à l'élection présidentielle.

L'élément le plus contesté de l'ex-partie III, la création des lois européennes, a été supprimé. De même, la concurrence n'est plus un objectif en soi, mais un outil, parmi d’autres, au service des consommateurs. En revanche, pour la première fois, l'Union se donne pour objectif de protéger ses citoyens dans la mondialisation. Les services publics sont préservés par un protocole qui a même valeur que les traités, et une clause sociale générale impose de prendre en compte les « exigences liées à la promotion d'un niveau d'emploi élevé, à la garantie d'une protection sociale adéquate, à la lutte contre l'exclusion sociale, ainsi qu'à un niveau d'éducation, de formation et de protection de la santé humaine » dans la définition et la mise en œuvre des politiques de l'Union.

Les Français ont été entendus : ce texte dessine une Europe à leur image. Ce traité est plus proche de leurs préoccupations, comme cela était indispensable, tout en redonnant un sens à l’Europe.

Cette Union que nous portons avec tant d'efforts ne se réalisera réellement que le jour où elle aura un sens pour tous ceux qui ont placé en elle tant d'espoirs. En ce sens, ce traité n'est pas un accord de plus, c'est le moyen de réconcilier l'Europe avec son destin, ses valeurs et ses objectifs. C'est cet esprit qui l’habite, celui d'une Europe proche de ses citoyens, plus stable, plus lisible, et non celui d'une Europe technicienne, d'une machine technocratique au fonctionnement rendu obscur par les procédures et les contraintes.

L'Europe du traité de Lisbonne, c'est une Europe humaine, avec enfin un visage grâce au Président du Conseil européen, au Président de la Commission et au Haut représentant pour la politique étrangère de l'Union ; c'est une Europe accessible, grâce à un vote plus simple, grâce à une meilleure représentation des États dans les prises de décision et à un renforcement du rôle des Parlements nationaux ; c'est une Europe démocratique grâce à l'extension des pouvoirs du Parlement européen et à la reconnaissance du droit d'initiative populaire.

L'Europe du traité de Lisbonne, c'est une Europe stable dans un monde incertain. La France n'a jamais eu autant besoin de l'Europe qu'en ce début de siècle bousculé par les nouveaux défis de la mondialisation. Ne l'oublions pas, l'Europe est une force. C'est un formidable facteur de stabilité économique qui, mieux que tout autre, peut nous protéger des aléas de la concurrence et des marchés, et nous permettre d’entretenir des relations à la fois d’amitié et de prospérité avec les grandes puissances de ce monde. C’est aussi une grande ambition technologique, des projets concrets. Qui d'autre que l'Europe aurait pu porter des projets aussi prometteurs que Galileo, Iter ou les réseaux transeuropéens ?

L'Europe du traité de Lisbonne, c'est une Europe qui se donne les moyens de retrouver un idéal. Il y a cinquante ans, les Européens étaient unis, et ils savaient quel idéal les unissait : celui de la paix. Aujourd'hui, la guerre n'est plus qu'un mauvais souvenir pour nos aînés, et pour nos enfants, bien souvent, ce mot n'a même plus de sens. Beaucoup de nos concitoyens ne perçoivent plus quel est notre idéal, notre projet de civilisation. Pourtant, le projet européen ne manque ni d'envergure ni d'attrait. La ratification de ce traité nous met face à notre devoir de rappeler que l'identité de l'homme européen, c'est notre identité.

Être européen, c'est être un citoyen de l'Union européenne. Depuis Maastricht, il est possible à tous les ressortissants de l’Union de voter et de se faire élire aux élections municipales et européennes. Avec le traité de Lisbonne, c'est le droit d'initiative populaire qui est reconnu. L'Europe sera ainsi encore davantage l’expression d’une volonté politique, un destin auquel chacun pourra apporter sa contribution.

Être européen, c'est être un étudiant, un travailleur sans frontières – ni linguistique ni géographique. Circuler, travailler dans toute l'Union, y résider n’importe où n'est plus un privilège, c'est un droit. L'Union européenne n'a pas effacé les frontières qui nous divisaient, elle a ouvert des portes de rencontre.

Ainsi célébrons-nous cette année les vingt ans d'Erasmus, qui n’a pas été un simple programme universitaire d'échanges mais la rencontre de près d'un million et demi de jeunes Européens qui ont, avec simplicité et naturel, appris à vivre ensemble et à connaître l'autre. L'Europe doit être à l'image de ces jeunes : curieuse et tolérante, consciente de la force que représente le fait de pouvoir regarder dans la même direction en dépit des différences. Être européen, c'est être un homme fidèle à sa liberté et fier de ses valeurs. Notre Union, c'est celle de l'égalité des sexes, des âges, des ethnies et des religions. La Charte des droits fondamentaux, qui devient opposable avec le traité de Lisbonne, nous rappelle ce que nous sommes et les idéaux que nous n'aurons jamais le droit ni de renier, ni d'abandonner : la dignité, la liberté, l'égalité, la solidarité et la justice.

Jean Monnet disait : « L'Union ne peut pas se fonder seulement sur les bonnes volontés. Des règles sont nécessaires. Les événements tragiques que nous avons vécus, ceux auxquels nous assistons, nous ont peut-être rendus plus sages. Mais les hommes passent, d'autres viendront qui nous remplaceront. Ce que nous pouvons leur laisser, ce ne sera pas notre expérience personnelle qui disparaîtra avec nous, ce sont les institutions. La vie des institutions est plus longue que celle des hommes. Elles peuvent ainsi, si elles sont bien construites, accumuler et transmettre la sagesse des générations successives. »

Quelles que soient nos différences de sensibilité, soyons dignes de cette sagesse, de cet héritage pour lequel tant de grands hommes ont œuvré avec la seule et même volonté de construire un avenir meilleur. Et tâchons à notre tour, par notre modeste contribution, de léguer autant de sagesse aux générations futures en votant la ratification du traité de Lisbonne.

Notre vote est essentiel pour relever les défis de l’avenir, pour mener à bien la présidence française de l’Union, pour relancer l’envie de croire en l’idéal européen. Notre vote porte l’espoir de 500 millions d’européens. Le groupe UMP votera en faveur de ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

M. Pierre Moscovici – Je regrette que ce débat ait lieu le soir, à une heure à laquelle peu de Français suivent nos travaux, mais nous vivons un moment important : nous allons ratifier le traité de Lisbonne. Ce moment a un contexte historique. Il trouve son origine à Amsterdam, en 1997 : il a fallu dix ans aux Européens pour aboutir, enfin, à une révision pérenne des institutions communautaires. Ce trop long chemin a été ponctué de demi-réussites – ou de demi-échecs – comme le traité de Nice et le traité constitutionnel, aventure ambitieuse et novatrice qui a buté sur les ratifications en France et aux Pays-Bas.

Je reconnais mon soulagement : nous approchons de la conclusion de ce parcours, même si tout n’est pas encore joué – il nous faudra regarder attentivement ce qui se passe en Irlande. Nous sommes à un point charnière : demain, nous serons, en quelque sorte, sortis du marécage mais pas encore sur la terre ferme.

Vers où allons-nous ? Les textes européens seront désormais consolidés dans deux traités, l'Union est dotée de la personnalité juridique, l’illisible structure en piliers, héritée d’un autre temps, est supprimée, la Charte des droits fondamentaux se voit conférer une valeur juridique contraignante – même si elle n’est pas intégrée au traité, ce que je regrette –, enfin, le contrôle des parlements nationaux et du principe de subsidiarité est renforcé et la portée des avis des chambres nationales significativement accrue.

Surtout, les institutions sont rénovées. Le Conseil européen est doté d'un président – ce qui permet enfin de donner un visage à l'Europe et d'assurer la continuité de l'action européenne. Un poste de « Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité », avec une double casquette – relevant et du Conseil et de la Commission – et doté d'un service européen pour l'action extérieure est créé. Le système de vote à la majorité qualifiée est réformé et étendu, même si son application sera retardée.

Le Parlement européen – sans doute le grand gagnant de cette affaire – voit son rôle de colégislateur consolidé ; il élira le Président de la Commission, sur proposition du Conseil, qui devra « tenir compte des élections au Parlement européen » – on s'achemine vers une politisation de l'Europe, au bon sens du mot. Le nombre de commissaires européens sera réduit – malheureusement, pas avant 2014. Enfin, un droit d'initiative permettra à un million de citoyens d'inviter la Commission à soumettre une proposition d'acte juridique européen nécessaire aux fins de l'application des traités.

Ce traité a un mérite incontestable : il permet à l'Europe à 27 de mieux décider, il constitue la boîte à outils qui permettra la relance de l'Union. Pour autant, le triomphalisme n'est pas de mise. Je regrette que l’on ait sacrifié les symboles et que l’on ait introduit des « opting out ». Je regrette aussi que l’application de certaines dispositions soit retardée, comme la réduction du nombre de commissaires ou la mise en œuvre de la majorité qualifiée. Par ailleurs, le traité de Lisbonne manque cruellement d’ambition dans des domaines où l'Europe est pourtant très attendue, comme la gouvernance économique, ou le social. Il se contente d’ébaucher des potentialités, sans les réaliser. Et s’il ne condamne pas l’Europe, il ne la sauve pas non plus, comme aime à le prétendre le Président de la République.

Ce rôle reviendra aux autorités politiques des États membres, qui devront se saisir, rapidement et avec force, des avancées contenues dans le traité. Monsieur le ministre, comptez-vous faire avancer la disposition relative aux services publics ? Allons-nous faire vivre l’esprit de la Charte des droits fondamentaux ? Existe-t-il une volonté d’infléchir la pratique de la Commission en matière de concurrence « libre et non faussée » ? Le maintien de l’unanimité pour les questions de fiscalité n’est pas de bon augure, car il laissera aux États membres les mains libres pour une politique fiscale excessivement accommodante. Il reste encore beaucoup de travail !

Cela ne sera pas facile. L'Union à 27 part avec un handicap, les délais d’application ayant été repoussés. Ce ne sera pas facile pour la France, qui multiplie les occasions d'irriter nos partenaires : projet d'Union méditerranéenne – à propos duquel certains conseillers ont trop et mal parlé, Monsieur le ministre, alors que j’approuve ce que pour votre part vous en avez dit – ; programme, ou plutôt absence de programme de stabilité des finances publiques ; politique monétaire et de change. Ce ne sera pas facile non plus pour le Haut représentant de la politique étrangère, dont le rôle est défini de manière trop vague. Quant au président du Conseil, je rejoins M. Poniatowski : la nomination d'un britannique, fût-il aussi talentueux que Tony Blair, serait inacceptable.

Nous serons vigilants lors de la présidence française de l'Union et en contrôlerons le déroulement. La modestie est nécessaire : la présidence peut donner des impulsions, être force de proposition, mais elle ne peut pas révolutionner le triangle communautaire. Le respect des institutions et des partenaires européens implique de faire avancer l'Europe sans risquer d'accumuler les malentendus avec les autres États membres ou les institutions. Enfin, la France ne sera pas crédible si elle continue de braver les disciplines communes de l'Europe, si elle paraît arrogante et impérieuse.

Notre vote de demain marquera la fin d'une longue dispute institutionnelle. La relation entre les Français et l'Europe est devenue compliquée, mitigée même. L'Europe est perçue comme lointaine, technocratique et libérale.

M. Thierry Benoit – Elle l’est !

M. Hervé de Charette, rapporteur – Les dirigeants français en portent la responsabilité !

M. Pierre Moscovici – Le traité de Lisbonne n'aggrave pas ces traits, mais il ne résout pas toutes les difficultés. Il permet simplement aux institutions de mieux fonctionner.

Mais un traité ne peut servir de substitut à un projet. Nous devons, dans la perspective des élections européennes de 2009, nous atteler à rendre l’Europe populaire, en refaire un idéal pour nos concitoyens. Le groupe SRC votera la ratification du traité, sans réserve mais aussi sans illusion sur l'Europe telle qu'elle est : nous sommes conscients que l’essentiel reste à faire (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Pierre Gosnat – Le 7 février 2008 apparaîtra comme une date sombre et honteuse de notre histoire, où une majorité de parlementaires aura cédé aux chants des sirènes libérales.

Vous proclamez que l’Europe est une bonne chose, mais vous avez refusé – droite comme parti socialiste – il y a deux jours, alors que c’était possible, de passer par la voie référendaire. La peur est mauvaise conseillère : craindre le choix du peuple, c’est faire preuve d’un renoncement que n’acceptent pas nos électeurs.

Monsieur le ministre, vous avez dit que l’Europe était en panne : est-ce à cause des votes néerlandais et français, ou d’une maladie plus grave, insufflée depuis des décennies ? Vos remèdes, hélas, n’apportent rien de nouveau et l’addition sera plus salée, surtout pour les citoyens les plus fragiles.

Un souffle lourd de renoncement obscurcit ce soir l’horizon d’une Europe unie et solidaire, que nous appelons de nos vœux. Jean Monnet écrivait dans ses Mémoires : « Nous ne coalisons pas les États, nous unissons les peuples ». Pas sûr que nous suivions ce chemin en privant nos concitoyens d’un référendum pourtant légitime.

Or, l’Europe politique est malade, comme l’illustrent partout les faibles taux de participation aux élections européennes. Est-ce donc en privant les Français d’un débat démocratique, en faisant fi de leur décision, que vous espérez leur redonner confiance en une Europe démocratique ? Croyez-vous vraiment que l’on peut ainsi se passer de la souveraineté populaire ? Le Parlement est garant de cette souveraineté, nous dit-on. Certes, et nous souhaiterions qu’il le soit davantage encore. Pourtant, les enjeux sont ici d’une autre nature. D’ailleurs, en 2005, le Parlement se prononçait à plus de 90 % en faveur du traité constitutionnel que le peuple rejeta quelques mois plus tard à plus de 55 % : faudrait-il donc changer notre peuple, puisqu’il vote mal ?

M. Jean Lassalle – Pourquoi pas…

M. Pierre Gosnat – Seul le peuple peut revenir sur les décisions qu’il a prises, en l’occurrence par voie référendaire.

Je regrette qu’une partie de nos collègues socialistes soient la cause de la situation où nous nous trouvons, puisqu’ils n’ont pas permis de rejeter la modification constitutionnelle en Congrès et, partant, d’imposer le référendum.

M. Jean Lassalle – Exact !

M. Pierre Gosnat – Dès lors, le dépôt d’une motion référendaire est peu sincère…

M. Hervé de Charette, rapporteur – C’est vrai !

M. Pierre Gosnat – Pour autant, nous la voterons, car nulle occasion de défendre la nécessité d’une consultation populaire sur le traité de Lisbonne n’est à laisser filer.

Nous sommes donc appelés à nous prononcer sur un traité prétendument simplifié. Il compte pourtant plus de 250 pages et empile les amendements aux traités en vigueur ! Au fond, il a été conçu de telle sorte qu’il soit inaccessible à tout débat citoyen. Y a-t-il eu le moindre débat dans nos circonscriptions ?

M. Jean Lassalle – Aucun !

M. Pierre Gosnat – En effet. Pourtant, le traité de Lisbonne ne modifie en rien son prédécesseur, comme le souligne M. Giscard d’Estaing lui-même. Le Conseil constitutionnel admet même qu’il n’ajoute ni ne retranche aucune des compétences prévues par le traité constitutionnel. La messe est dite !

Le Premier ministre considère ce texte comme l’acte de réconciliation entre partisans et opposants du traité constitutionnel. C’est audacieux : peu nombreux sont les Européens qui ont pu voter. En outre, on argue qu’avoir fait de la concurrence libre et non faussée un moyen, et non une fin, témoigne que le vote des Français a été entendu : vous reconnaissez donc que nos concitoyens refusent cette Europe libérale que vous leur imposez tout de même ! En effet, l’article 3 consacre l’économie de marché « où la concurrence est libre », et le protocole 6 rappelle que le marché intérieur obéit à un système où la concurrence est non faussée. Ainsi, le traité de Lisbonne ne fera qu’affirmer les contours d’une Europe libérale que symbolise la présence de MM. Bolkestein, Mandelson et d’autres au sein de la Commission. J’ajoute que la désignation d’un président du Conseil et d’un Haut représentant aux affaires étrangères n’offre aucune garantie démocratique. Où en est l’Europe des peuples ?

Le traité de Lisbonne, vous le savez, ne résout en rien les problèmes soulevés par l’élargissement, notamment à la Turquie. Pire encore, il ne change pas non plus le statut de la Banque centrale européenne, alors qu’il faut plus que jamais contrôler la circulation des capitaux.

Au fond, l’Europe que vous nous proposez est celle de la concurrence entre les peuples, celle de la marchandisation des individus, celle de la négation des cultures et du moins-disant social. À ce titre, cessez donc le double langage qui consiste à vouloir réduire le nombre de fonctionnaires en France tout en prétendant défendre le service public en Europe !

Au contraire, nous proposons une Europe du rapprochement entre les peuples qui aurait pour devise : « Unis dans la diversité ». Je conclurai par cette phrase visionnaire de Roger Vaillant, écrite en 1964 : « Je ne veux pas croire qu’il ne se passera rien, que les citoyens n’exercent plus leur pouvoir qu’en mettant un bulletin dans l’urne pour désigner comme souverain et à leur place un monsieur qui a une bonne tête à la télévision ». C’est pour défendre le pouvoir et la souveraineté du peuple et donner un nouvel élan à la construction européenne que les députés du groupe GDR voteront contre le traité de Lisbonne ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR)

M. Michel Hunault – Tout en tirant les leçons du référendum de mai 2005, le traité de Lisbonne ranime la construction européenne, et c’est pourquoi il nous faut le ratifier. Avec une présidence stable du Conseil, l’Europe sera désormais représentée par un nom et un visage. Elle disposera également d’un Haut représentant aux affaires étrangères, et ses compétences seront précisées. Au sein du Conseil, le vote à majorité qualifiée sera généralisé, tandis que l’unanimité restera l’exception. Par ailleurs, un protocole sur les services publics renforce le caractère social de ce traité.

Il était temps de relancer l’Europe ! En confiant à l’Union de nouvelles compétences en matière de justice ou de sécurité, le traité permet à l’Europe, comme le disait M. Delors, de sortir de son « coma allégé ».

Je tiens à saluer l’action du Président de la République, ainsi que celle du ministre des affaires étrangères. L’Europe, chers collègues, a tant contribué à la paix ! Il n’y a pas dans l’histoire humaine de plus belle œuvre de réconciliation entre des peuples qui, hier encore, se déchiraient. Que de chemin parcouru ! Et pourtant, les défis demeurent nombreux : l’environnement, la sécurité, la lutte contre le terrorisme et les trafics en tous genres, la coopération économique ou encore l’harmonisation des politiques sociales… De même, il faut poursuivre l’ambitieux projet euroméditerranéen. Élu de la nation, je représente aussi une région cruellement marquée par l’histoire, et, en tant que membre de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, je sais combien cet idéal de paix et de démocratie est important pour des peuples longtemps privés de liberté. Dans un monde de plus de six milliards d’êtres humains, que serait la France sans l’Europe ?

Certes, ce traité n’est pas parfait, mais il est une étape nécessaire sur la voie de la construction européenne. À l’approche de la présidence française de l’Union, je souhaite ajouter une piste de réflexion supplémentaire à celles qu’a lancées le Premier ministre : la jeunesse qui, grâce à l’Europe, n’a connu que la paix. Nous devons augmenter encore les moyens consacrés à son éducation, comme le succès du programme Erasmus nous y encourage – et que nous pourrions étendre à l’autre rive de la Méditerranée tant le partage de la connaissance est essentiel à la paix entre les peuples.

Aujourd’hui, nous vivons donc un moment historique : nous faisons avancer l’Europe, et j’espère que nous serons nombreux à voter demain en faveur de ce traité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce matin, jeudi 7 février, à 9 heures 30.

La séance est levée à 1 heure 30.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Le compte rendu analytique des questions au Gouvernement
est également disponible, sur Internet et sous la forme d’un fascicule spécial,
dès dix-huit heures

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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