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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du mardi 15 avril 2008

3ème séance
Séance de 21 heures 30
143ème séance de la session
Présidence de M. Marc Laffineur, Vice-Président

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La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

MODERNISATION DU MARCHÉ DU TRAVAIL (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi portant modernisation du marché du travail.

M. Bernard Depierre – Ce texte est issu pour l’essentiel de l'accord conclu le 11 janvier dernier entre le patronat et quatre syndicats de salariés sur cinq, la CGT ayant refusé de signer. Il s’agit de la première application de la loi du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social, et je me félicite que ce projet prenne en considération les équilibres auxquels les partenaires sociaux sont parvenus, dans un engagement gagnant-gagnant.

Le projet pose deux principes : d’une part, que la forme normale de la relation de travail est le contrat à durée indéterminée ; d’autre part, que tout licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, et être motivé.

Par ailleurs, il abroge le contrat « nouvelles embauches », les contrats en cours étant requalifiés en CDI. Je reste cependant convaincu que le CNE a grandement contribué à l’embauche dans les très petites entreprises et dans les PME, et donc à la diminution du chômage.

M. Régis Juanico – Paix à son âme !

M. Bernard Depierre – Le projet fixe également une durée maximale pour la période d'essai, variable selon la catégorie professionnelle : deux mois pour les ouvriers et employés, trois mois pour les agents de maîtrise et techniciens, quatre mois pour les cadres. Opportune clarification.

Un nouveau mode de « rupture conventionnelle » du contrat est créé : la rupture amiable d'un CDI par commun accord entre l'employeur et le salarié. Les deux parties disposeront d'un délai de quinze jours pour se rétracter. L'indemnité spécifique de rupture est, sous réserve de certains plafonds, exonérée de charges. Cette mesure réduira le risque d’embauche et facilitera l'emploi.

À titre expérimental, durant cinq ans, un nouveau type de CDD est créé, permettant l'embauche d’un cadre ou d’un ingénieur, pour une durée comprise entre 18 et 36 mois et pour la réalisation d’un projet particulier, sans possibilité de renouvellement.

Cette loi répond ainsi aux préoccupations de souplesse des employeurs mais aussi à la demande de sécurité des salariés, et je salue, Monsieur le ministre, votre action décisive et efficace. Grâce à ce projet, le taux de chômage de la France doit pouvoir rejoindre celui de l'Angleterre, des États-Unis, du Japon ou de la Nouvelle-Zélande, entre 4 et 5 %.

M. Roland Muzeau – Avec davantage de travailleurs pauvres !

M. Bernard Depierre – En s’inspirant des expériences de ces pays et en prenant compte l'évolution des mentalités, le monde du travail français doit retrouver confiance. En introduisant la « flexicurité » et davantage de liberté dans les relations de travail, nous allons dans le bon sens. C’est une évolution capitale qu’en tant que professionnel de la gestion des ressources humaines, je salue, car elle représente une vraie modernisation du marché du travail (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Bernard Gérard – Plaçant le plein emploi au coeur de ses priorités, le Président de la République s'est engagé à conduire rapidement les réformes nécessaires à une adaptation de notre pays aux mutations économiques et sociales. Le présent projet présente un caractère à la fois constructif et novateur : constructif, puisqu’il fait suite à un accord national interprofessionnel historique conclu le 11 janvier, succès du dialogue social qui a mis fin à l’opposition entre efficacité économique et protection des salariés ; novateur, car en parvenant à un nouvel équilibre entre flexibilité et sécurité, il donne naissance à la flexicurité à la française et ouvre la voie à une ère nouvelle dans les relations sociales et dans la vie économique de notre pays.

Fidèle traduction de cet accord, le projet de loi, pour dynamiser l'embauche, dissipe les craintes de l'employeur tout en offrant aux salariés la sécurité nécessaire. Il permet de concilier le développement des entreprises, la mobilité de l'emploi et l’attente légitime des salariés.

M. Patrick Roy – Vision idyllique !

M. Bernard Gérard – La flexicurité s'inscrit dans une démarche proactive tournée vers la modernité dont ont besoin nos entreprises, qui ont du mal à embaucher à cause de procédures trop contraignantes. Ce texte leur apporte de la souplesse.

Mais l'équilibre entre souplesse pour les entreprises et garanties données aux salariés ne saurait être durable en l'absence de dialogue social. Il convient donc de saluer la méthode qui a présidé à l’élaboration de ce texte : la concertation. Le dialogue social est un élément important du modèle de flexicurité déjà adopté avec succès par nombre de nos voisins. Ce dialogue ne doit pas se limiter aux négociations salariales, mais permettre des négociations plus larges et à plus long terme, afin que les partenaires sociaux participent à l'ensemble des projets, contribuant ainsi à valoriser le travail et à développer l'emploi. C’est dans cette direction qu’il faut encourager les salariés à aller, comme cela se fait déjà en Espagne. Ils pourraient par exemple devenir partenaires des pôles de compétitivité, où gît l’emploi de demain.

Par ce texte, le Gouvernement engage la France sur la voie de la modernité et du dynamisme. Pour atteindre cette modernité, il faut discuter de nos objectifs autant que de nos méthodes : la concurrence internationale impose à nos entreprises d’aller toujours de l’avant, si elles ne veulent pas disparaître demain ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Joël Giraud – Comment voter contre un texte de loi qui transpose un accord ? Et pourtant ! En l’occurrence, la transposition n’est que partielle : tout d’abord, elle laisse en suspens l’avenir de l’assurance chômage et de la formation professionnelle. En effet, l’employeur pourra négocier directement avec le salarié, de gré à gré, une rupture de contrat individuelle, hors de tout droit collectif. Or, le contrat de travail plaçant le salarié dans un rapport de subordination juridique permanente, il sera toujours en difficulté dans son rapport de force avec l’employeur. Cette séparabilité – terme qu’affectionne Mme Parisot – ressemble à un divorce à l’amiable où c’est toujours le même qui part avec les meubles ! De surcroît, la loi prévoit que de tels accords deviennent définitifs passée une période de quinze jours. Au-delà, plus aucun recours ne sera possible : c’est un spectaculaire recul du droit pour les salariés ! La négociation, sur ce point, en est restée au stade des bonnes intentions. Pour certains syndicats, tels que l’UNSA, qui n’ont pas eu la chance de participer à la négociation, aucune modernisation du marché du travail ne peut se faire sans un premier pas emblématique ouvrant la voie à la sécurisation du parcours professionnel : le compte individuel de formation, ouvert à tout salarié tout au long de sa carrière.

D’autres étapes seront nécessaires, telles qu’une action efficace du service public unifié de l’emploi afin de requalifier les personnes qui sont le plus éloignées de cet emploi. Il faut aussi ouvrir aux salariés les moins qualifiés et à ceux des PME l’accès à la formation – à ce titre, la réforme de la formation professionnelle est plus que jamais d’actualité.

D’autre part, le projet de loi ne prévoit pas explicitement que la rupture à l’amiable donne droit à l’assurance chômage, bien que l’accord, lui, soit très clair. Le diable se cache souvent dans les détails : vous créez ainsi un nouveau palier de précarité pour les salariés, y compris les saisonniers.

Rien ne vous oblige à de telles régressions. La France n’a jamais été aussi riche, sa productivité horaire est la plus élevée au monde, et ses entreprises n’ont jamais réalisé de tels bénéfices ! Or, loin de répondre aux problèmes actuels, de la précarité croissante – particulièrement pour les jeunes et les saisonniers – au développement du sous-emploi et au recul du niveau de vie, ce projet de loi donne de nouveaux moyens de pression aux employeurs et ne sécurise pas les carrières et les revenus des salariés.

Les saisonniers sont les premiers concernés. En 2006, nos collègues Brottes et Saddier avaient adressé une lettre à votre prédécesseur, ainsi qu’à l’ensemble des partenaires sociaux, afin d’appeler l’attention du Gouvernement sur leur cas, notamment en zone de haute montagne. En effet, arguaient-ils, l’article 1er de la convention UNEDIC prévoit la mobilisation renforcée de l’ensemble des mesures d’aide au retour à l’emploi et, en conséquence, la limitation à trois du nombre de périodes successives de versement des allocations au titre du chômage saisonnier. Or, un tel dispositif ignore les conditions de travail en montagne où le rythme de la vie économique est tributaire de la saisonnalité et de la pluriactivité. Ils vous demandaient donc de reconsidérer le régime de l’assurance chômage pour les saisonniers tel que l’organise cette convention. En effet, cet accord aura avant tout favorisé le travail au noir, qui permet d’échapper à la règle du troisième contrat consécutif. Le phénomène est si grave que dans certains départements touristiques tels que le mien, les Hautes-Alpes, le MEDEF et les organisations syndicales envisagent de demander la renégociation de la convention. Comprenez bien, Monsieur le ministre, que l’on ne peut fragiliser davantage des travailleurs saisonniers qui, par définition, sont déjà en situation de précarité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Yves Albarello – Voici un texte bien particulier qui nous permet, d’une part, d’inscrire dans la loi un accord interprofessionnel signé par la plupart des organisations représentatives des salariés et des employeurs et, d’autre part, de tirer les leçons de l’expérience difficile du CNE, notamment au plan juridique.

L’accord du 11 janvier dernier est la première application positive de la loi du 31 janvier 2007 sur la modernisation du dialogue social. Le présent projet de loi, qui en transpose certaines dispositions, s’inscrit dans une politique de développement de l’emploi illustrée en janvier par la réforme du service public de l’emploi, en attendant d’autres textes, dont un sur la formation professionnelle. Je me réjouis donc de la cohérence de l’action gouvernementale et de la persévérance dont il fait preuve (« Persévérance dans l’erreur ! » sur les bancs du groupe SRC). D’ailleurs, Monsieur le ministre, vous nous soumettez ce projet de loi trois mois à peine après la conclusion de l’accord : ce délai inhabituellement court est à la mesure de l’événement. Dois-je rappeler que trois grandes organisations patronales et quatre grandes centrales syndicales ont signé cet accord ? Seule la CGT a refusé, bien qu’elle n’y soit pas complètement hostile.

M. Patrick Roy – Audacieuse interprétation…

M. Yves Albarello – Voici donc un texte consensuel. Loin de vouloir mettre en cause la qualité du travail des partenaires sociaux, je me permettrai toutefois deux remarques. La première concerne l’article 6 : en matière de contrats à durée déterminée pour la réalisation d’un objet défini, une meilleure protection des salariés est souhaitable. En effet, l’expression « motif réel et sérieux » ouvre la porte à une incertitude juridique qui pourrait leur nuire. Ne vaudrait-il pas mieux évoquer la notion de « faute grave » ? Peut-être faudrait-il par ailleurs porter de douze à dix-huit mois la durée à l’issue de laquelle la rupture d’un contrat d’une durée maximale de trente-six mois peut être invoquée.

Ma deuxième remarque porte sur l’article 9 : comme l’a indiqué M. Tian, sa rédaction quelque peu abrupte implique un effet rétroactif sur les CNE en cours, signés conformément à la loi de 2005. Peut-être une rédaction plus souple serait-elle préférable.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Peut-être, mais elle serait incompatible avec les décisions de l’OIT.

M. Yves Albarello – Quoi qu’il en soit, ce projet de grande qualité constitue une avancée sociale majeure, et je suis heureux de le voter (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Lionel Tardy – Le présent projet de loi serait historique, nous dit-on. C’est vrai, puisqu’il repose sur un accord national signé par presque toutes les centrales syndicales. Les syndicats français, même s’ils manquent encore d’audace, commencent enfin à prendre leurs responsabilités ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) Il aura fallu les pousser un peu, mais ils l’ont fait.

M. Patrick Roy – C’est insultant !

Mme Marisol Touraine – Et que dire des organisations patronales ?

M. Lionel Tardy – C’est un premier pas, en attendant que le ménage à trois entre État, syndicats et patronat, cède enfin la place à un dialogue social moderne entre patrons et salariés.

Ce projet comporte plusieurs avancées, quoique bien modestes. Qu’importe : je préfère encore les évolutions lentes et prévisibles aux réformes massives et soudaines. L’une de ses dispositions me gêne toutefois (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) : la requalification de l’ensemble des CNE à l’article 9 aura un effet rétroactif. Voilà qui ne figurait pas dans l’accord interprofessionnel.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité Si, précisément !

M. Lionel Tardy – Ce dispositif, rajouté en cours de route, pose problème. Au regard du droit d’abord : peut-on modifier par voie législative des stipulations contractuelles de droit privé qui étaient légales au moment de leur conclusion ? Du point de vue politique ensuite : ce caractère rétroactif est inadmissible pour les milliers de patrons de PME qui se sont engagées dans ce dispositif proposé par le Gouvernement et approuvé par la représentation nationale. Les acteurs économiques ont avant tout besoin de stabilité juridique et de confiance en la parole de l’État. Gardons-nous d’adopter des mesures certes inspirées par de bonnes intentions mais trop alambiquées et qui donnent le tournis aux comptables. Finissons-en avec ce tango législatif : la disposition ne se trouvait pas dans l’accord, mais le Gouvernement nous propose de l’adopter dans la loi, et ce sans amendement.

Le CNE est appelé à disparaître…

M. Patrick Roy – Il est temps !

M. Lionel Tardy – …Il n’est en effet pas conforme à la convention 158 de l'OIT, du fait d’une période d'essai trop longue et de la non-justification de la cause du licenciement. Les chefs d’entreprise hésitant dorénavant à conclure ce contrat juridiquement douteux, la disparition se fera mécaniquement, en douceur. Je comprends certes, sur un plan strictement juridique, que le Gouvernement souhaite éliminer les CNE, mais l’intérêt pratique de la rétroactivité est nul, puisque l’expérience montre que très peu de ces contrats finissent devant les prud'hommes. En revanche, l'impact psychologique qu’elle aura sur les chefs d'entreprises n'est pas mince. L'État a fait le forcing pour que sa formule de contrat de travail soit adoptée, avant de s’apercevoir qu’elle n’était pas juridiquement défendable – belle preuve de sérieux pour ce qui était certes le gouvernement précédent, mais la même majorité ! Et aujourd’hui, tous les CNE conclus seraient transformés unilatéralement en CDI, sans la moindre concertation, sans le moindre aménagement ?

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Je ne peux pas laisser dire ça !

M. Lionel Tardy – Comment les chefs d'entreprises pourraient-ils continuer à nous faire confiance ? Comment s'approprieraient-ils les textes que nous votons ? Une telle décision, à moins d'un mois du projet de loi de modernisation de l'économie, risque de les pousser à ne pas nous suivre, de peur d’être pris plus tard à revers, comme tous ceux qui, ayant de bonne foi conclu des CNE, se sentent aujourd'hui floués.

La confiance est chose fragile. Cette mesure peut la mettre à mal.

M. le Président – Veuillez conclure, Monsieur Tardy.

M. Lionel Tardy – Or, sans confiance, tous nos efforts en faveur du pouvoir d'achat et de la croissance risquent d'être vains. Nous avons donc déposé des amendements à l'article 9, à propos desquels nous espérons un ferme soutien de l'UMP et du Nouveau centre – et, comme le Gouvernement s'y opposera, la bienveillance de nos collègues des groupes SRC et GDR ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

M. Christophe Sirugue – Je ne qualifierai pas pour ma part l’accord du 11 janvier d’historique, sauf à le considérer comme l’acte de naissance de la flexicurité. À en croire certains, il s’agirait d’un remède miracle, qui permettrait de tout régler. Mais si les outils de flexibilité peuvent parfois procéder d’une nécessité d’adaptation – et votre volonté en ce domaine est claire – l'équilibre impose que le volet sécurité aussi soit correctement traité. Or force est de constater qu’à cet égard, le compte n'y est pas ! Il ne faut pas en être surpris : d’une part, vous êtes des libéraux, attachés à la libération des entreprises, et, d'autre part, chacun sait que l'origine des accords du 11 janvier se trouve au MEDEF. Et si le dialogue social – sous haute surveillance – a permis d'aboutir à un accord, il vous a aussi permis d’éviter la transcription d’un certain nombre de dispositions. Comme par hasard, ce sont surtout les éléments en faveur de la sécurité des salariés qui sont renvoyés à plus tard…

Le point d'équilibre n'a donc pas été atteint. Si votre objectif majeur est ici de lutter contre le chômage, Laurence Parisot elle-même reconnaît que le problème est avant tout celui des personnes qui n’arrivent pas à entrer sur le marché du travail, que ce soit pour la première fois ou après une période de latence. Tout à l’heure, M. Apparu disait que la flexicurité était indispensable pour le plein emploi. Mais alors, une véritable réforme du marché du travail, une modernisation – c’est-à-dire une adaptation aux difficultés actuelles – aurait dû concerner aussi ceux qui sont les plus éloignés de ce marché ! Pour cela, il aurait fallu transcrire, en même temps que les éléments de flexibilité, des dispositions sur les rémunérations – rien dans le texte pour aider les travailleurs pauvres –, sur la répartition des bénéfices dans l’entreprise ou sur les droits sociaux.

S’agissant de combattre la précarité des jeunes, des femmes et des seniors par la formation continue, on nous renvoie à une nouvelle négociation sur la formation. Cela n'a pas de sens. Le maintien des droits à la formation continue pendant une période de chômage aurait au contraire été un bon outil de sécurisation du parcours professionnel. La lutte contre le sous-emploi des seniors, par la mise sous conditions des aides accordées aux entreprises, ou contre la précarité des jeunes, par une diminution de la durée de cotisation ouvrant droit à l'assurance chômage pour les moins de 25 ans, est également remise à plus tard. Le texte ne contient rien non plus sur la précarité : il eût pourtant été important de donner un signe fort sur des sujets comme l’intérim, le temps partiel, l’abus de renouvellements de CDD, la modulation des aides aux entreprises en fonction de leur comportement social ou les licenciements effectués par des entreprises qui font des bénéfices…

Une conclusion s'impose : nous n'avons pas la même définition de la modernisation. Pour nous, elle peut être un équilibre entre les concessions faites à la flexibilité et la satisfaction de nouveaux droits dont chacun peut admettre la pertinence. Pour vous, elle aboutit à engranger les avancées de la flexibilité et à repousser à plus tard ce que l’accord du 11 janvier avait rendu possible. Certains d'entre vous semblent vouloir donner des leçons de dialogue social. Le dialogue, c'est bien, mais sa traduction exacte serait mieux, pour que la représentation nationale puisse pleinement évaluer la portée des accords signés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – La flexicurité, ce n’est pas seulement la flexibilité pour l’employeur et la sécurité pour le salarié. Elle répond aussi au besoin de sécurité des entreprises, qui doivent avoir un cadre stable pour le développement de leur activité, et elle garantit au salarié la souplesse dont il a besoin pour gérer son parcours professionnel tout au long de sa carrière. Il n’y a pas de meilleur exemple à cet égard que la nouvelle rupture conventionnelle.

Le président de la commission a souligné que cet accord constitue une chance et un espoir : d’une part, il démontre la vitalité du dialogue social – et la représentativité fait aujourd’hui l’objet de positions communes d’un certain nombre d’organisations – ; d’autre part, il constitue la première pierre de l’édifice de la flexicurité. Celle-ci fait d’ailleurs l’objet d’une démarche collective en Europe : huit principes de flexicurité ont été adoptés, portés par la présidence portugaise sur une initiative française et repris par la Commission et par les partenaires sociaux. Il existe une mission européenne de flexicurité. Tous les pays de l’Union se sont engagés dans cette démarche, démontrant ainsi que cette notion n’appartient ni à la droite, ni à la gauche mais qu’elle correspond à un besoin profond. Ce cadre européen permet de dépassionner nos débats hexagonaux. Il correspond à une exigence européenne, et à une exigence sociale. Quant à la rupture conventionnelle, il faut bien dire qu’elle supposera l’accord des deux parties et entraînera le versement d’une indemnité par l’employeur. Ce nouvel outil va permettre d’adapter notre droit à la réalité. Aujourd’hui en effet, il y a trois à quatre fois plus de licenciements pour motif personnel que de licenciements économiques. Les ruptures conventionnelles sont de vraies ruptures de droit commun, faites d’un commun accord, et évitent le détournement des procédures à d’autres fins que celles pour lesquelles elles étaient conçues. Auront-elles un impact financier important sur l’assurance chômage ? Nous allons suivre cette question, tout comme les négociateurs de la convention assurance chômage.

Certains se sont félicités du contenu de ce texte. D’autres l’ont critiqué, ou en ont parlé de façon nuancée. Mais s’il est un mot qui le caractérise, ainsi d’ailleurs que l’accord du 11 janvier, c’est celui d’équilibre.

Mme Martine Billard et M. Roland Muzeau – Certainement pas !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Si vous ne reconnaissez pas cet acquis au Gouvernement, reconnaissez-le au moins aux partenaires sociaux !

M. Roland Muzeau – Non !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – C’est un aveu qui ira droit au cœur des partenaires sociaux, comme une marque de respect pour leur travail… Mais notre conception de la modernité veut, au contraire, que le politique ne cherche pas à tout régler lui-même et laisse les acteurs prendre leurs responsabilités. La société française doit se mettre en mouvement et faire confiance aux partenaires sociaux. Nous avons fait ce choix, et nous ne le regrettons pas. La signature de cet accord n’a été possible que parce que les partenaires sociaux ont considéré qu’ils étaient parvenus à un équilibre.

M. Poisson est très attaché au portage salarial. Les acteurs seront consultés, leur spécificité sera prise en compte et leurs préoccupations reconnues. M. Gille a souligné que le projet de loi devait être analysé en commun avec d’autres accords et négociations, mais il s’agit bel et bien d’une première étape. Le même orateur a également livré une vision révélatrice d’une certaine conception du dialogue social, puisqu’il voit dans cet accord interprofessionnel largement majoritaire la seule image d’un orchestre mené à la baguette par son chef. Il me semble que les partenaires sociaux sont suffisamment indépendants pour ne pas réduire ainsi leur rôle !

Francis Vercamer a insisté sur le volet de la sécurité pour les salariés : à ce titre, le projet de loi comporte déjà plusieurs dispositions importantes voulues par les signataires, comme l’indemnisation du licenciement à partir d’un an d‘ancienneté. D’autres ne relèvent pas de la loi. La réduction du délai de carence de l’indemnité conventionnelle sera ainsi décidée par décret.

Monsieur Vidalies, vous avez vous-même souligné que le contrat à objet défini était encadré, notamment par l’exigence d’un accord collectif. Les partenaires sociaux suivront la mise en application de cette disposition, instaurée à titre expérimental, et le Gouvernement remettra au Parlement un bilan, après avis de la Commission nationale de la négociation collective.

Marie-Anne Montchamp et Bernard Perrut ont insisté sur le fait qu’il s’agit de fluidifier le marché du travail et de favoriser ainsi le retour au plein emploi, en encourageant la mobilité des salariés. Il n’est pas normal qu’un licenciement sur cinq donne lieu à une action en justice.

Mme Touraine a soulevé la question fondamentale de la démocratie sociale : les partenaires sociaux ont montré de façon éclatante qu’ils entendaient prendre toute leur place, à l’intérieur du cadre fixé par le Gouvernement et le Parlement. Mme Hoffman-Rispal, à la différence d’autres parlementaires parisiens qui évoquaient la pression du Gouvernement sur les partenaires sociaux, a considéré au contraire qu’ils s’étaient affranchis des orientations gouvernementales ; la vérité est entre les deux.

À Dominique Tian, je répondrai que, si nous respectons l’équilibre de l’accord, c’est parce qu’il est le résultat de compromis et de discussions très serrées entre les partenaires sociaux comme entre les syndicats de salariés ; si nous ne le respections pas, pourquoi demain les partenaires sociaux accepteraient-ils de prendre leurs responsabilités sur l’assurance chômage ou sur la formation professionnelle ? Le respect de cet équilibre est aussi le gage de dispositions durables.

En ce qui concerne l’abrogation du CNE, les syndicats signataires ont ainsi reconnu dans une dépêche que les dispositions du projet sont conformes à l’esprit et à la lettre de l’accord. Au demeurant, c’est la décision de l’OIT qui a prononcé l’abrogation de fait de CNE : aujourd’hui, nous procédons à une régularisation pour rétablir la sécurité juridique indispensable.

Jean-Charles Taugourdeau a évoqué les groupements d’entreprises, qui apportent de vraies réponses à la question de la sécurisation des parcours. Nous en reparlerons, notamment à propos de la gestion prévisionnelle des emplois. Je m’engage à faire part de son intérêt pour ces questions à Laurent Wauquiez.

Je partage la conviction de Bernard Depierre et Lionel Tardy, à savoir que le monde du travail a besoin de confiance. La meilleure réponse, c’est l’application de la loi du 31 janvier 2007 ; il ne saurait y avoir de décision politique unilatérale, la négociation entre partenaires sociaux est un préalable indispensable. Bernard Gérard a aussi souligné l’importance du dialogue social dans la méthode d’élaboration des normes.

À Yves Albarello, je répondrai que si nous avons voulu faire vite, c’est parce que pour nos concitoyens – et ils ont raison –, une réforme n’existe pas tant qu’elle n’est pas entrée dans leur quotidien : ils veulent savoir à partir de quand telle ou telle disposition va s’appliquer, et nous souhaitons que ce texte entre en vigueur au plus tard à l’été.

Monsieur Giraud, l’accord ne renforce pas la précarité des salariés mais leur apporte des droits nouveaux comme la réduction de l’ancienneté requise pour percevoir les indemnités conventionnelles de maladie, le maintien de la couverture complémentaire santé en cas de chômage et l’imputation des périodes de stage sur la période d’essai.

M. Sirugue a parlé de dialogue social sous haute surveillance, mais où était le dialogue social lorsque les socialistes étaient au pouvoir ? Quant au point d’équilibre, il a été trouvé par sept organisations syndicales et patronales sur huit… Que le dialogue social retrouve toute sa vitalité est une bonne nouvelle pour la démocratie sociale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC)

M. le Président – Nous en arrivons à la discussion des articles dans le texte du Gouvernement.

ARTICLE PREMIER

M. Daniel Paul – En réaffirmant la place du contrat de travail à durée indéterminée dans notre droit, le premier article de ce projet sert-il vraiment l'objectif affiché de sécurisation de l'emploi ? C’est plutôt un trompe-l'œil, une nouvelle étape dans le démantèlement des droits des salariés. Si en effet l'exposé des motifs est fidèle aux termes de l'accord, selon lequel « le CDI est la forme normale et générale du contrat de travail », l'article lui-même indique seulement que « le CDI est la forme normale de la relation de travail »… N'est-ce pas pour ouvrir une nouvelle brèche dans le CDI ?

Ainsi, les contrats à durée indéterminée, mais à temps partiel, sont des CDI pervertis, largement utilisés dans la grande distribution, les services à la personne, l'hôtellerie et la restauration, secteurs largement féminisés. Or le temps partiel, faut-il le rappeler, signifie assurances chômage partielles, retraites partielles et droits sociaux partiels. Seule la précarisation est totale.

La mobilisation des salariés lors de la grève organisée, au mois de janvier dernier, dans la grande distribution témoigne du ras-le-bol des salariés. Contrairement à ce que certains osent prétendre, le temps partiel ne correspond pas à un choix de vie : comme le souligne une récente étude de la DARES, la plupart des salariés concernés souhaiteraient travailler à temps plein. Loin de permettre une conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, le développement des contrats à temps partiel depuis les années 1980 correspond à une stratégie des pouvoirs publics destinée à faire baisser les chiffres du chômage, au prix d’une précarité de plus en plus importante de la population active et de la multiplication des « travailleurs pauvres. »

Vous avez choisi d’amplifier ces phénomènes en modifiant le droit du travail. Une même logique inspire votre offensive contre les chômeurs, que vous menacez d’une suppression de leurs droits s’ils refusent deux offres situées à moins de deux heures de trajet de leur domicile, et payées plus de 70 % de leur dernier salaire. Pour un habitant du Havre, dans ma circonscription, cela signifierait aller travailler tous les jours à Rouen pour 70 % du SMIC… Vous souhaitez donc peser sur les salaires.

J’ajoute que ce vaste mouvement de précarisation du salariat n’épargnera pas la fonction publique, puisque que vous avez annoncé un milliard d’euros d’économies dans le domaine social. Ce sont les services de ménage et les services techniques qui seront les premiers à être sous-traités. À l’hôpital du Havre, 550 suppressions de postes sont ainsi prévues. Les fonctions correspondantes ne disparaîtront pas toutes, car il serait difficilement acceptable que l’on cesse de faire le ménage dans un hôpital, mais elles seront externalisées, avec des conditions de travail et des salaires à la baisse. La Fédération hospitalière de France a indiqué que 20 000 emplois seraient aujourd’hui menacés faute de financement adéquat.

M. le Président – Il faut vous acheminer vers votre conclusion…

M. Daniel Paul – S’agissant du temps partiel, les nouvelles embauches ne permettent plus de bénéficier d’exonérations de cotisations patronales depuis 2002, mais le dispositif « Fillon » d’exonérations pour les salaires bas et moyens incite à l’embauche de personnels peu payés, sans pousser aucunement à l’embauche à temps plein.

Un mot encore sur la transformation des emplois statutaires de la fonction publique : ce sont les restrictions budgétaires massives qui déclenchent les externalisations de services vers le privé.

M. le Président – Monsieur Paul…

M. Daniel Paul – Pour moderniser le marché du travail, il faudrait sécuriser l’emploi et la formation tout au long de la vie. Mieux vaudrait appliquer aux entreprises qui abusent des contrats précaires des malus sur les allégements de cotisations sociales dont elles bénéficient…

M. le Président – …Il faut conclure.

M. Daniel Paul – En 2003, j’avais d’ailleurs défendu une proposition de loi en ce sens. Votre logique n’a malheureusement pas changé depuis cette date. Ce texte n’est qu’une nouvelle étape dans l’adaptation de notre pays aux exigences d’un capitalisme mondialisé. C’est la seule acception que vous donnez au mot « modernisation » ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR)

Mme Sandrine Mazetier – Je voudrais rendre hommage au rapport très équilibré de M. Dominique Dord (Applaudissements sur divers bancs). Le président Méhaignerie a demandé que l’on respecte l’architecture de l’accord, afin de ne pas fragiliser les signataires. Dans ce cas, il me semble que ces derniers n’ont pas à lancer, de leur côté, des pétitions et que nous devons porter un soin tout particulier aux termes que nous employons.

L’article premier sera un test de notre capacité à exercer pleinement nos droits et nos devoirs de parlementaires. Je fais miens les propos de notre collègue Marisol Touraine sur les risques, mais aussi les espoirs, que recèle la démarche qui nous est proposée.

Par ailleurs, si nous devons respecter l’équilibre et l’architecture de l’accord, comme nous y invite le président de la commission, faisons-le à la lettre. Il faut non seulement que le CDI demeure la forme générale et normale du contrat de travail, mais aussi que ce soit à temps plein. Nous aurions pu déposer des amendements en ce sens, mais c’eût été déséquilibrer l’accord. Nous serions heureux que notre abstention constructive soit payée de retour. Chacun sait qu’il n’y a pas d’amour, mais seulement des preuves d’amour : il en est de même pour la confiance ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. Régis Juanico – Le ministre et le président de la commission nous ont appelés à respecter l’équilibre de ce texte. Mais cet équilibre reste à construire. Comme l’observait notre collègue Jean-Patrick Gille, ce qu’on nous propose est en effet une version borgne de l’accord interprofessionnel. Vous avez repris tout ce qui concerne la flexibilité, mais pas les stipulations favorables aux salariés : celles-ci sont systématiquement renvoyées à des décrets, à des négociations ultérieures ou bien subordonnées à l’extension de l’accord. Dans les mois qui viennent, nous serons très attentifs, aux côtés des organisations syndicales, à ce que le volet concernant la sécurité des salariés se traduise par de réelles avancées.

Je trouve également très paradoxal que l’article premier fasse du CDI la forme normale de la relation de travail, tandis que l’article 6 crée un CDD à objet défini. Le CNE est certes abrogé à l’article 9, ce qui est une bonne chose, mais la pérennisation de 37 ou 38 types de contrat de travail tend à relativiser quelque peu le caractère normal du CDI…

D’autre part, contrairement à ce que prétend M. Apparu, la réglementation du marché du travail n’est pas si rigide que cela : près de 85 % des emplois sont sous CDI, mais les trois quarts des embauches se font sous forme précaire – CDD, contrats temporaires ou intérim. En vingt ans, le taux de contrats précaires est passé de 5 à 15 % de l’emploi salarié. Ce sont les plus jeunes, les moins diplômés et les moins qualifiés qui sont les premiers touchés. Ajoutons à cela que 17 % des salariés sont à temps partiel, souvent contre leur gré, et que la transition vers les CDI se fait très mal – nous sommes parmi les moins bons élèves en Europe sur ce point.

D’après une étude récente de l’INSEE, le phénomène des travailleurs pauvres s’accroît également : 1,2 million de salariés sont aujourd’hui dans l’obligation de cumuler plusieurs emplois pour joindre les deux bouts à la fin du mois.

Ce projet de loi aurait dû faire place à la lutte contre la précarité au travail. C’est ce qui manque dans cet équilibre général. On aurait notamment pu imaginer une modulation des aides aux entreprises ou des exonérations de charges pour favoriser les embauches en CDI.

J’observe enfin que le texte se contente d’indiquer que le CDI est la forme « normale » de la relation de travail, alors que l’accord interprofessionnel précisait qu’il s’agissait de sa forme « normale et générale ». C’est pourquoi les amendements que nous avons déposés tendent à ajouter ce dernier terme (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Roland Muzeau – Un précédent accord interprofessionnel, de 1990, avait déjà abordé la question des relations contractuelles entre le salarié et l’employeur en entérinant l'existence de formes de précarité. Au lieu de réagir contre cette tendance, l’accord du 11 janvier dernier tend à légitimer l'existence des emplois précaires au nom des prétendus impératifs économiques de la mondialisation.

Ainsi, aux termes de l’article premier de l’accord, « le contrat de travail à durée déterminée et le contrat de travail temporaire constituent des moyens de faire face à des besoins momentanés de main-d'oeuvre. Leur utilité économique dans un environnement en perpétuelles fluctuations et dans un contexte de concurrence mondiale est avérée. » Mais en quoi est-il nécessaire de créer des contrats précaires pour faire face à des besoins momentanés mais prévisibles ? Et pourquoi multiplier des statuts précaires remplissant des fonctions identiques ? Il reste à faire la démonstration de l’utilité qu’il y a à maintenir et développer les emplois précaires. Lors de la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy avait d’ailleurs appelé de ses voeux l'instauration d’un contrat unique de travail…

Force est de constater que le Gouvernement et la majorité entendent non seulement préserver les différents types de contrats précaires actuels, mais aussi en créer de nouveaux, comme le contrat à durée déterminée à objet défini. En ajoutant aux atteintes déjà portées au CDI, vous ne ferez que précariser encore plus le marché du travail. Cet objectif, qui est celui du patronat depuis des années, sera atteint grâce à la nouvelle procédure de rupture conventionnelle.

Dans ces conditions, à quoi bon rappeler le principe selon lequel le contrat de travail à durée indéterminée est la forme normale de la relation de travail ? Il semble que le CDD et le contrat de travail temporaire soient à vos yeux des formes tout aussi « normales » de cette relation. Vous vous contentez de les soumettre à quelques règles d'information nouvelles, en recul par rapport au droit positif. Sachez que nous ne sommes pas dupes : l’article premier tend à faire perdre au CDI son caractère de généralité, et donc à normaliser implicitement le recours croissant aux contrats précaires (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR).

M. Patrick Roy – Votre projet de loi porte un nom sympathique : « modernisation du marché du travail ». Son article premier dispose que « le contrat de travail à durée indéterminée est la forme normale de la relation de travail ». Jusque-là, tout va bien. C’est ensuite que les choses se gâtent ! Un véritable emploi, c’est un CDI de 35 heures payé au moins au SMIC. Tant que l’on n’a pas cela, on est dans la précarité. Votre texte aurait dû être un texte de lutte contre la précarité : de celle-ci, il ne dit mot ! Comment peut-il y avoir autant de zones de non-droit – temps partiel imposé, notamment dans la grande distribution, CDD indéfiniment renouvelés, contrats d’avenir débouchant sur des contrats « no future » – dans notre pays ? Comment peut-on admettre que certains alternent périodes de chômage et contrats aidés depuis vingt-cinq ans ? Et je ne parle pas de l’insertion des jeunes dans la vie active ! De tout cela, l’article premier ne dit rien !

Dans le Denaisis, le chômage ne baisse pas. Sur les 42 personnes qui sont venues me voir à la mairie de Denain vendredi dernier, 32 m’ont demandé du travail. Dans cette ville de 21 000 habitants, ce sont 1 500 demandes d’emploi par an qui ne peuvent être satisfaites. Ce n’est pas le chômage qui baisse, c’est le sous-emploi qui augmente !

Tant qu’une réforme n’est pas entrée dans le quotidien des Français, elle n’existe pas, disiez-vous il y a un instant. Je suis au regret de vous dire que, quand vous parlez de plein emploi et de CDI, mes concitoyens ne peuvent que pleurer (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC).

M. Maxime Gremetz – « Modernisation du marché du travail » : drôle de titre. Je croyais que le marché du travail était fait d’activités multiples – industries, services, technologies – mais j’ignorais qu’on pouvait le moderniser en changeant les contrats de travail !

Vous dites que la forme normale de la relation de travail est le contrat à durée indéterminée. Mais vous qui êtes Picard comme moi, Monsieur le ministre, vous savez que notre région est celle qui a le taux le plus élevé d’emplois précaires.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Ce n’est pas gentil pour la région Picardie, qui est socialiste…

M. Maxime Gremetz – Les entreprises n’embauchent plus en CDI. Dans la zone industrielle d’Amiens, chez Valeo ou chez Dunlop, on enchaîne les CDD pendant des années sans jamais obtenir de CDI ! Et ce n’est pas faute pour moi d’en alerter régulièrement le directeur départemental de l’emploi ! La précarité est bien l’un des maux de notre société. Car avoir un CDD ou un temps partiel imposé, c’est être interdit d’emprunt, de logement, c’est être condamné à attendre pour fonder une famille… « Moderniser », comme vous dites, ce serait d’abord supprimer ce type de contrats !

M. Patrick Roy – Bravo !

M. Philippe Folliot – Ce texte est particulièrement important : c’est la première fois que nous transcrivons dans la loi un accord interprofessionnel. J’ai travaillé pendant douze ans dans un organisme paritaire qui œuvrait dans le secteur du logement social. J’ai pu apprécier la qualité des relations qui peuvent s’établir entre employeurs et salariés pour faire progresser les droits des salariés.

On ne peut pas vouloir tout et son contraire, en appeler à un dialogue social riche et faire la fine bouche au moment de prendre acte de son résultat. Nous pouvons certes profiter de ce débat pour enrichir l’accord interprofessionnel, mais il est essentiel de rester dans le droit fil de ce qu’ont décidé les partenaires sociaux. Nous avons trop souvent déploré que le droit du travail n’évolue que sous l’impulsion du politique pour agir autrement.

Mme Martine Billard – L’article L. 1221-1 du code du travail dispose aujourd’hui que « le contrat de travail est conclu pour une durée indéterminée. » L’accord proposait la formule suivante : « Le contrat de travail à durée indéterminée est la forme normale et générale du contrat de travail. ». Le texte a fait disparaître les mots « et générale ».

Rappelons que 15 % des contrats ne sont plus des contrats à durée indéterminée et que cette proportion continue de croître. Dans un des pays les plus riches de la planète, nombre de travailleurs n’ont plus les moyens de vivre décemment. Après les heures supplémentaires, le Gouvernement leur propose maintenant de prendre un deuxième emploi ! On régresse à vitesse grand V…

Le texte ne reprenant pas la formule de l’accord, j’avais déposé un amendement 33 qui visait à revenir à celle du code du travail. Or nous avons adopté tout à l’heure en commission un amendement qui réintègre la formule de l’accord. Je retire donc le mien au profit de ce dernier (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Si je vous comprends bien, non seulement il faut transcrire tels quels les textes signés par les partenaires sociaux, mais il faudrait en plus se taire dans l’hémicycle… Permettez-moi de vous dire qu’il y a encore un Parlement et qu’il est normal que ses membres s’expriment, surtout quand il s’agit de soutenir une proposition de la commission ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC)

L'amendement 33 est retiré.

M. Roland Muzeau – L’amendement 97 vise à préciser que le contrat de travail est conclu pour une durée indéterminée, mais aussi à temps plein. Cela nous paraît indispensable : les jeunes, les femmes et les travailleurs âgés ont permis malgré eux aux transformations de l’emploi d’inspiration libérale de se frayer un chemin. Ils ont en effet été particulièrement exposés aux statuts fragiles : 30 % des femmes de 15 à 59 ans ayant un emploi ne l’occupent qu’à temps partiel, contre 5 % des hommes du même âge.

Or le temps partiel est rarement choisi : il concerne plus d’un million de Français, qui aimeraient travailler plus ! À l’instar du recours croissant au CDD et à l’intérim – autres formes de précarité –, il pèse sur les revenus des salariés, sur le déroulement de leur carrière et sur leurs futures pensions, et remet en cause la garantie que constituait le SMIC, désormais impuissant à enrayer la hausse du nombre de travailleurs pauvres – plus de 3,5 millions de personnes, dont 80 % de femmes. Si le Gouvernement est aussi attaché qu’il le prétend au pouvoir d’achat de nos concitoyens, pourquoi ne satisfait-il pas notre demande ?

M. Dominique Dord, rapporteur – Avis défavorable. De nombreux amendements visent à prendre en considération le problème du temps partiel, que le débat social ne saurait éluder – comme en témoignent les accords novateurs conclus le 13 mars dernier par les grandes enseignes de distribution. Mais, aux termes de l’ANI, ce n’est pas « le contrat à durée indéterminée et à temps plein » qui constitue la forme normale et générale des relations de travail…

M. Daniel Paul – Pourquoi ne pas décider le contraire ici ?

M. Dominique Dord, rapporteur – Si vous aviez suivi plus attentivement notre discussion, vous sauriez que nous tenons à nous conformer le plus scrupuleusement possible aux termes de l’ANI.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Même avis : cette précision ne figure pas dans l’accord.

M. Maxime Gremetz – Monsieur le rapporteur, je vous l’ai dit en commission : je vous ai connu plus inspiré – il faut dire que vous étiez alors à l’UDF… (« Ah ! » et sourires sur les bancs du groupe SRC) C’était le bon temps : vous souteniez nos amendements !

Aujourd’hui, au nom d’un accord qui n’a même pas été signé par tous les syndicats, vous prétendez exclure toute modification du texte : autant renoncer à examiner le moindre amendement ! Pourtant, vous n’aviez pas hésité à revenir sur les termes de l’accord, comme vient de le montrer Mme Billard…

M. Dominique Dord, rapporteur – Mais nous les avons rétablis !

M. Maxime Gremetz – Quoi qu’il en soit, si les syndicats ont signé ce texte en l’état, c’est bien dommage !

M. Benoist Apparu – Mais c’est leur droit !

M. Maxime Gremetz – Et le Parlement a le droit de proposer de l’améliorer, sans en dénaturer l’esprit (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Mme Marisol Touraine – La précarité de l’emploi – l’une des préoccupations principales de nos compatriotes – résultant d’abord de contrats à temps partiel imposés surtout aux femmes, il serait en effet souhaitable que le code du travail fasse du CDI un contrat à temps plein par définition. Mais il ne s’agit ici que de transposer le plus fidèlement possible les termes de l’ANI. Voilà pourquoi nous nous abstiendrons sur cet amendement.

L'amendement 97, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Roland Muzeau – Au principe selon lequel le contrat de travail est conclu pour une durée indéterminée, le projet substitue la formule suivante : « Le contrat à durée indéterminée est la forme normale des relations de travail » – manière habile de retirer au CDI toute généralité, les contrats précaires n’étant implicitement plus considérés comme exceptionnels. Cette formulation ne tient donc pas compte de la forme juridique actuelle du CDI, qui a permis, au terme de longs combats, de faire du statut du salarié le fondement de la cohésion sociale.

Alors que le plein emploi relève de la responsabilité conjointe des entreprises et de l’État, vous avez entrepris depuis plusieurs années de modifier profondément notre droit du travail en substituant au CDI les contrats de mission, les contrats à durée déterminée et le recours aux travailleurs indépendants, faisant ainsi peser le risque économique sur les seuls salariés. Ainsi vous employez-vous à satisfaire les organisations patronales, aux yeux desquelles l’évolution des systèmes techniques, l’instabilité des marchés et la concurrence exigent la flexibilité. Ce texte est l’une des étapes essentielles de cette entreprise indigne.

La pérennité de la relation de travail ou, à tout le moins, la sécurisation des parcours professionnels, absente du texte comme des projets de décret, devrait au contraire constituer un objectif prioritaire. Puisque le CDI en est l’incarnation, et que l’on ne saurait mieux l’exprimer que dans les termes de l’article L. 1221-2 du code du travail, notre amendement 96 propose d’en reprendre la formulation : « Le contrat de travail est conclu pour une durée indéterminée ».

M. Dominique Dord, rapporteur – Avis défavorable.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Même avis.

M. Alain Vidalies – Il est indispensable de se régler sur notre droit pour qualifier les contrats, non seulement pour des raisons juridiques, mais également pour éviter les dégâts sociaux dont les contrats précaires sont porteurs. Si, en matière de sécurisation des parcours professionnels, le texte – nous l’avons dit au cours de la discussion générale – reste bien timide, il préserve une marge de manœuvre. N’oublions pas, en effet, que le montant des allocations versées par l’UNEDIC au terme d’un CDD ou d’une mission d’intérim est sept fois plus élevé que celui des cotisations versées par les entreprises au titre des mêmes contrats !

M. Michel Vergnier – Absolument !

M. Alain Vidalies – En d’autres termes, les entreprises qui ne recourent pas à ces contrats paient pour les autres, les petites entreprises, qui acquittent leurs cotisations mais conservent leur personnel, étant de ce fait particulièrement pénalisées. Pourquoi ne pas sécuriser les parcours professionnels en mettant à contribution les entreprises qui profitent de la situation ?

M. Michel Vergnier – Très bien !

M. Alain Vidalies – En outre, Monsieur le ministre, vous avez omis de nous dire pourquoi l’accord UPA n’était toujours pas transcrit ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

L'amendement 96, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Martine Billard – L’amendement 34 vise à préciser que le CDI est un contrat à temps plein. Chaque fois que, depuis 2002 – date à laquelle j’ai été élue députée –, des textes relatifs au droit du travail sont discutés, vous ne manquez jamais de plaindre les salariés – surtout des femmes – victimes du temps partiel ; mais, chaque fois que nous proposons de remédier à ce problème par voie d’amendement, le moment vous semble mal choisi ! Ainsi, malgré les efforts de la délégation aux droits des femmes de notre assemblée, nos propositions concernant la loi sur l’égalité salariale n’ont pas même trouvé grâce à vos yeux. De même, lors de la discussion du projet de loi relatif au développement des services à la personne, ce sont les salariés ayant conclu des contrats de gré à gré, les plus susceptibles de souffrir des bas salaires et du temps partiel, que l’on a renoncé à aider.

Une fois de plus, le moment vous semble mal choisi ; mais le chantage qui a permis au Gouvernement d’obtenir l’accord des partenaires sociaux en leur imposant son échéancier, ses conditions et ses objectifs n’a en rien servi les intérêts des salariés victimes du temps partiel subi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC)

M. Dominique Dord, rapporteurAvis défavorable.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Même avis. Madame Billard, vous êtes très vigilante en matière sociale. Vous savez donc que des décisions ont été prises lors de la conférence sur l’égalité professionnelle, avec notamment le rendez-vous de l’égalité salariale. Mais nous avons également abordé la question du temps partiel subi et éclaté. Le temps partiel est parfois un choix, dans de nombreux cas il est subi. Dans certains secteurs, comme le nettoiement, où l’on travaille très tôt le matin et très tard le soir, on rencontre deux fois le problème de la garde d’enfants et du transport.

Les syndicats m’ont demandé une table ronde ; elle aura lieu en juin. En attendant, sous une amicale pression de ma part, trois enseignes de la grande distribution, Auchan, Casino et Carrefour, ont décidé d’évoluer : le temps partiel subi passe chez eux au temps complet. Je continuerai dans ce sens avec l’ensemble de la grande distribution, mais aussi avec les autres secteurs, car je sais que des Français, du fait de ne pas travailler 35 heures, gagnent moins que le SMIC. Le Gouvernement entend revenir au plein emploi, sans perdre de vue le taux de travail précaire ; le plein emploi sans la précarisation, c’est l’objectif de notre politique (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

Mme Sandrine Mazetier – Encore un petit effort, Monsieur le ministre ! Ne nous renvoyez pas à ce que demandent les syndicats. Ce que nous, parlementaires, vous demandons, ce n’est pas simplement une table ronde ou des engagements sur l’égalité salariale un jour. L’écart salarial entre les hommes et les femmes est en grande partie dû au temps partiel subi par une grande majorité de ces dernières. Dites-nous des choses plus claires et plus définitives.

M. Roland Muzeau – La réponse du ministre était plutôt sympathique, mais c’est en commission que, se laissant aller, il nous a révélé le fond de sa pensée, car il a dit alors que les choses allaient certes bouger dans la grande distribution, mais que le nombre d’emplois serait par la même occasion réduit ! En réalité, Monsieur le ministre, c’est à regret que vous avancez sur cette question du temps partiel ; et ce n’est qu’à la suite de journées de revendication que les choses ont commencé à se débloquer. De même, le Gouvernement fait preuve d’un parfait immobilisme s’agissant de l’égalité salariale : aucun des deux derniers textes sur le sujet ne comporte le moindre mot pour enjoindre aux employeurs de réduire cet écart. Enfin, jamais vous ne parlez des profits considérables des enseignes de la grande distribution !

L'amendement 34, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Patrick Gille – L’alinéa trois transcrit la première phrase de l’accord des partenaires sociaux : « Le contrat à durée indéterminée est la forme normale et générale du contrat de travail ». Il aurait mieux valu s’en tenir à cette formule. Tout le monde s’est félicité, cet après-midi, du respect du dialogue social. Je reprends tout de même la question de M. Vidalies : pourquoi attendons-nous toujours la transcription de l’accord sur le dialogue social dans l’artisanat, signé par l’UPA et l’ensemble des organisations syndicales ?

Avec la transcription de cette première phrase de l’accord, on est passé de l’expression « contrat de travail » à celle de « relation de travail », euphémisme qui dissimule une relation déséquilibrée caractérisée par la subordination ; personne ne nous a expliqué la raison de ce changement. En outre, la disparition, dans l’expression « forme normale et générale du contrat de travail », de l’adjectif « générale » me paraît dommageable, car ce qualificatif comporte l’idée que le CDI est la matrice du contrat de travail, tout autre type de contrat n’existant qu’à titre de dérogation. J’en veux pour preuve le titre II du même article, qui oblige l’employeur à informer le comité d’entreprise des raisons de son éventuel recours à d’autres formes de contrat, ce qui souligne la nature dérogatoire de ceux-ci.

La durée est un caractère fondamental du contrat ; elle est même la contrepartie de la subordination, une forme de sécurité pour le salarié. La subordination appelle en contrepartie une garantie sur l’avenir. C’est la remise en cause du CDI, la multiplicité des dérogations qui requièrent des modalités de sécurisation plus complexes. Ce serait un beau symbole d’inscrire au fronton de cette loi que le CDI est la forme normale et générale du contrat de travail, l’archétype de la flexicurité.

M. Dominique Dord, rapporteur – Je ne sais pas si l’amendement appelait un discours aussi développé, mais la commission l’a accepté pour deux raisons. Tout d’abord, il s’agit de la première ligne de l’accord national interprofesssionnel ; en la reprenant telle quelle, on rend clairement hommage à ses signataires. Ensuite, cette formulation reprend les termes d’une directive européenne du 28 juin 1999 adoptée à la suite d’un accord-cadre entre les partenaires sociaux et qui se lit : « Les contrats de travail à durée indéterminée sont la forme générale des relations du travail. » Avis favorable.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Même avis. Nous avions pensé qu’il n’y avait pas lieu d’apporter cette précision, et les partenaires sociaux ne s’en étaient pas émus. Mais puisque vous y tenez, nous acceptons.

L’accord UPA ne relève pas de la loi du 31 janvier 2007. En outre, vous savez que le dossier ne faisait pas l’unanimité, que des procédures judiciaires et administratives viennent de se terminer. Il y a une position commune sur la représentativité et le financement : nous attendons de savoir qui va la ratifier, pour nous appuyer sur ce document et présenter un texte. Et nous prendrons nos responsabilités dès 2008, en espérant que les uns et les autres seront capables de dépasser les clivages partisans.

M. Maxime Gremetz – Enfin, le ministre accepte ! Il est vrai que s’il s’était obstiné à vouloir changer les termes de l’accord dès sa première ligne, cela aurait fait mauvais effet. Mais, il affirme que les partenaires sociaux n’y étaient pas tellement attachés ; or, une note récente de la CFDT explique à ses adhérents que l’accord est repris dans les mêmes termes ; personne ne s’attendait donc à un changement. Le ministre vient d’éviter la catastrophe !

M. Alain Vidalies – Il est préférable de reprendre mot pour mot la formule de l’accord. L’adjectif « générale » donne en effet la mesure de nos objectifs en matière de réduction des contrats précaires, qu’ils soient à durée déterminée ou à temps partiel. On nous oppose souvent que 85 % des salariés travaillent en CDI ; certes, mais si l’on ajoute aux 15 % restants ceux qui travaillent à temps partiel, cela fait près d’un quart des salariés qui ont des contrats précaires et c’est inacceptable. On nous cite aussi en exemple des pays où le taux de chômage ne dépasse pas 4 %, mais il faut savoir qu’un salarié britannique sur quatre travaille en temps partiel, et 40 % aux Pays-Bas ! Imitez ces modèles, et vous ramènerez dès ce soir notre taux de chômage à 2 % ! On pourrait d’ailleurs procéder semblablement pour la crise du logement : pourquoi ne pas installer huit familles par appartement ? Le problème serait réglé sur-le-champ ! (Rires sur les bancs du groupe SRC) En divisant le travail disponible entre salariés à temps partiel, vous réduirez le chômage mais aggraverez la précarité. C’est précisément le contraire que nous avons fait avec les 35 heures : nous avons mieux réparti la richesse (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Jean-Frédéric Poisson – Les 35 heures ne seraient donc pas le partage d’un travail considéré comme une denrée rare ? Venons-en à notre sujet : je ne suis pas convaincu que l’adjectif « générale » apporte quoi que ce soit à la loi, bien qu’il figure dans l’accord. Toutefois, ayant entendu les arguments des uns et des autres, je propose à nos collègues de la majorité d’adopter cet amendement.

L'amendement 26, mis aux voix, est adopté.

M. Dominique Dord, rapporteur – L’amendement 3 est rédactionnel. Je profite de l’occasion pour saluer le remarquable travail des services de la commission, auxquels décidément rien n’échappe.

L'amendement 3, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Jean-Charles Taugourdeau – Puisque chacun souhaite réduire le travail à temps partiel et augmenter la part des CDI, mon amendement 91 tombe à pic : il vise à développer les groupements d’entreprise. Ceux-ci permettent à leurs personnels de travailler à l’année et dans plusieurs domaines, et de bénéficier ainsi de l’équivalent d’un CDI. Un exemple récent a montré que, sur quinze salariés d’une entreprise en faillite, treize pouvaient être replacés dans d’autres entreprises du groupement. Voilà un excellent moyen de réduire la précarité et d’augmenter le pouvoir d’achat.

Par ailleurs, de nombreux secteurs ayant aujourd’hui besoin de main-d’œuvre, l’amendement vise également à permettre aux entreprises de plus de trois cents salariés d’adhérer aux groupements d’employeurs. Qu’il s’agisse de grands groupes d’hôtellerie ou de grande distribution, ou même de la Poste, ces entreprises ne peuvent pas à l’heure actuelle rejoindre les groupements.

M. Roland Muzeau – Heureusement !

M. Jean-Charles Taugourdeau – Elles comblent donc leur besoin de main-d’œuvre grâce à des travailleurs saisonniers. Mieux vaudrait qu’elles puissent avoir recours à des travailleurs issus d’autres entreprises d’un groupement.

M. Dominique Dord, rapporteur – Le développement des groupements d’entreprises est une excellente chose. Je suis même plutôt favorable à leur extension aux entreprises de plus de trois cents salariés. Pour autant, la commission a repoussé votre amendement, car l’accord ne comporte aucune disposition sur ce sujet.

M. Jean-Charles Taugourdeau – C’est bien dommage !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Même avis. Je connais votre attachement aux groupements d’entreprises, Monsieur le député. Pour les développer, cherchons un autre cadre que le présent véhicule législatif sur lequel vous tentez de vous embarquer. L’accord, en effet, ne mentionne rien de la sorte. Je vous propose donc de saisir les partenaires sociaux de votre idée, puisque deux discussions vont bientôt s’ouvrir – l’une sur la mobilité et l’autre sur la gestion prévisionnelle des compétences. Ce cadre-là serait plus adapté.

M. Jean-Charles Taugourdeau – Soit. Je précise néanmoins à M. le rapporteur que les groupements d’entreprises ne concernent pas que les petites entreprises, bien au contraire : les cadres de certaines grandes entreprises pourraient aussi profiter de la mobilité offerte par ces groupements.

Plusieurs députés du groupe SRC – Allons bon !

L'amendement 91 est retiré.

M. Roland Muzeau – L’amendement 98 vise à supprimer la deuxième partie de l’article, qui oblige l’employeur à informer les délégués du personnel des raisons qui l’on conduit à faire appel à des travailleurs en CDD ou en contrats intérimaires. Le rapporteur prétend ainsi renforcer la primauté du CDI. Ce ne sera pas le cas : le mécanisme de présomption demeure ambigu. En outre, ce devoir d’information n’est qu’une avancée bien modeste. Certes, il ne profitait pas jusqu’alors aux délégués du personnel, mais reconnaissez qu’une simple information ne vaut pas consultation ! Le vrai progrès serait de porter à leur connaissance non seulement les raisons d’un tel recours aux CDD, mais aussi le nombre et la durée de ces contrats, ainsi que les postes concernés, et surtout de consulter le comité d’entreprise sur la politique de l’entreprise, afin de mieux sanctionner les entreprises qui ont recours de manière systématique et abusive aux contrats précaires.

M. Michel Terrot – Vivent les kolkhozes !

M. Dominique Dord, rapporteur – Avis défavorable. Comme tout à l’heure, M. Muzeau argue que la définition actuelle du CDI suffit. Néanmoins, les nouvelles dispositions figurent dans le texte de l’accord et, vous l’avez vous-même reconnu à demi-mot, elles constituent une avancée, même modeste. En effet, l’information sera fournie non seulement aux comités d’entreprise, mais aussi aux délégués du personnel, notamment dans les entreprises de onze salariés ou plus. Ainsi, elle ne sera pas que rétrospective, mais aussi prospective.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Même avis.

M. Maxime Gremetz – Avez-vous noté les chiffres du chômage publiés ce matin même par Eurostat ? Il y a en France 17,3 % de salariés qui travaillent à temps partiel : c’est bien plus que vous ne dites !

S’agissant de cette information donnée aux délégués des salariés, le texte précise qu’elle sera intégrée au rapport annuel ou semestriel que l’employeur leur remet sur la situation de l’entreprise, et qu’il devra y faire figurer les raisons qui l’ont poussé ou qui le pousseront au cours de l’année suivante à recourir à des contrats à temps partiel.

Bref, chaque année, mais une fois que tout aura été décidé sans jamais leur demander leur avis, on informera les comités d’entreprise ou les délégués du personnel. Comme possibilité de discussion, on fait mieux ! Monsieur le rapporteur, qui êtes si attaché à la concertation, à la démocratisation et au rôle des comités d’entreprise, ne voyez-vous pas là un recul ? Il doit être possible de discuter avec la direction, pour savoir pourquoi l’entreprise peut passer de tels contrats en même temps qu’elle peut licencier des CDD. Cette mesure ne va vraiment pas dans le sens de la concertation et de la prise de décision commune que vous dites souhaiter.

M. Alain Vidalies – La nouvelle rédaction est pourtant loin d’être inutile. En effet, l’information ne portera plus sur la seule existence de ces contrats, mais sur les éléments qui conduisent l’employeur à y faire appel. Autrement dit, l’entreprise devra justifier qu’elle remplit les exigences posées par la loi autorisant le recours à ce type de contrat, ce qui n’est pas obligatoire aujourd’hui. Les signataires ont convenu en fait de se focaliser sur une seule de ces conditions, le surcroît temporaire d’activité – le comité d’entreprise étant au courant des autres motifs possibles, telles que l’absence d’un salarié. Au lieu d’une simple information portant sur le nombre des contrats signés, il faudra donc justifier du recours à ces contrats pour l’année passée et débattre pour l’année à venir. Le compte rendu de ces débats fournira donc un élément de preuve objectif aux salariés en cas de procédure en requalification pour non-respect des conditions de recours aux CDD.

L'amendement 98, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Dominique Dord, rapporteur – L’amendement 4 apporte une précision reprenant textuellement les termes de l’accord national.

L'amendement 4, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Roland Muzeau – L’amendement 99 est un simple amendement de précision, mais dont la portée est importante. Cet article n’accorde en effet que peu de droits aux représentants du personnel. On peut même dire qu’il est en recul sur le droit existant, puisque le code du travail prévoit que le comité d’entreprise est informé et consulté sur les questions de structure d’effectifs, et que le droit communautaire prévoit une information et une consultation sur les questions de l’emploi au sein de l’entreprise. Pourquoi ne pas avoir conservé ces formules rigoureuses et avoir préféré employer le curieux terme d’ « éléments » qui peuvent conduire à faire appel aux emplois précaires ? Les partenaires sociaux ont explicitement visé, dans le but de prévenir les abus et contournements, les recours motivés par l’accroissement temporaire de l’activité. Dans cette optique, l’information nous paraît devoir porter sur des « motifs », pas sur des « éléments ». L’utilisation de ce terme beaucoup plus flou compromet l’amélioration du contrôle. Nous proposons donc de remplacer le mot « éléments » par celui de « motifs ».

M. Dominique Dord, rapporteur – Avis défavorable. C’est le terme « éléments » qui est employé dans l’accord.

M. Maxime Gremetz – Ah non ! Pas ça !

M. Dominique Dord, rapporteur – Je ne suis pas assez fin juriste pour connaître l’exacte différence, mais il me semble que « motifs » renverrait à une justification de la décision du chef d’entreprise, alors qu’il ne s’agit que d’une information. Par prudence, je propose d’en rester aux termes de l’accord.

L'amendement 99, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Charles Taugourdeau – Les groupements d’employeurs ont été inventés en 1985 par Martine Aubry et sont très mal connus, y compris du législateur. Ils peuvent constituer une réponse au surcroît d’activité, Monsieur Vidalies, au même titre que l’intérim.

M. Alain Vidalies – Je ne suis pas d’accord.

M. Jean-Charles Taugourdeau – La solution est un CDI en groupement d’employeurs ! Je vous expliquerai comment ça marche… En attendant de rencontrer les partenaires sociaux à ce sujet, je retire l’amendement 92.

L’amendement 92 est retiré.

Mme Martine Billard – L’article L. 2313-5 du code du travail prévoit que les délégués du personnel peuvent prendre connaissance des contrats de mise à disposition conclus avec les entreprises de travail temporaire, ainsi que de quelques autres types de contrats aidés. Cet article résulte en l’état de la recodification du code du travail que nous avons récemment votée, et qui visait à le rendre plus lisible.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Je croyais qu’elle était anticonstitutionnelle !

Mme Martine Billard – Le projet de loi ajoute un alinéa à cet article L. 2313-5, prévoyant que l’employeur informe les délégués du personnel sur les contrats à durée déterminée et les contrats de mission conclus avec une entreprise de travail temporaire. Je ne suis pas totalement en désaccord sur le fond, mais je regrette qu’on ait déjà compromis l’utilité du travail de recodification en brisant la structure actuelle du code. Il aurait été préférable de mentionner les deux nouveaux types de contrat dans un autre alinéa. Par ailleurs, le nouvel alinéa ne prévoit plus que les délégués du personnel peuvent prendre connaissance des contrats, mais qu’ils sont informés. Selon le type de contrat, ils ne disposeront donc pas des mêmes droits…

Quoi qu’il en soit, et puisque le projet de loi élargit la liste des contrats qui sont examinés par les délégués du personnel, les amendements 35, 36 et 37 proposent d’y inclure les contrats à temps partiel, les contrats aidés autres que ceux qui sont déjà mentionnés et les stages. L’information portera ainsi sur l’ensemble des contrats de travail qui ne sont pas des CDI.

M. Dominique Dord, rapporteur – L’accord national interprofessionnel est très clair et ne mentionne ni les contrats à temps partiel, ni les contrats aidés, ni les stages. Je propose que nous nous y tenions.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Même avis.

L'amendement 35, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que les amendements 36 et 37.

M. Maxime Gremetz – Les entreprises qui recourent irrégulièrement aux contrats de travail à durée déterminée sont beaucoup trop nombreuses, et l’action des salariés en requalification de leur contrat en contrat à durée indéterminée a généralement lieu après la rupture du contrat. L’amendement 124 donne donc aux délégués du personnel, lorsqu’ils constatent à la fin de l’année que des contrats ont été passés qui ne se justifiaient pas, un véritable droit d’opposition à la conclusion de tout nouveau contrat de travail à durée déterminée, jusqu’à la requalification des contrats en cours auxquels l’employeur a fait appel irrégulièrement. La loi est très claire : elle n’autorise pas les CDD pour pourvoir des postes de travail habituels, mais pour faire face à des pointes d’activité ou remplacer un salarié absent. L’information, prévue une fois que les contrats illégaux sont signés, ne sert à rien si elle n’est pas assortie d’une sanction.

M. Dominique Dord, rapporteur – Avis défavorable, non pas seulement parce que cet amendement n’est pas conforme à l’accord national interprofessionnel, mais parce qu’il n’est carrément pas conforme aux principes généraux du droit du travail : le chef d’entreprise est tout de même seul responsable des décisions de l’entreprise !

Avis défavorable donc.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – On finirait par croire que M. Gremetz en veut au pouvoir de direction du chef d’entreprise… Même position, d’autant qu’il semble aussi y avoir contradiction avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à la liberté d’entreprendre.

M. Francis Vercamer – Les délégués du personnel ne sauraient en effet se substituer à l’employeur, mais il est vraisemblable que certains iront en justice pour faire requalifier des CDD en CDI.

M. Maxime Gremetz – Monsieur le rapporteur, je ne demande pas que les délégués du personnel puissent empêcher le patron de signer un contrat, mais simplement qu’ils aient la possibilité de contester en justice la poursuite de pratiques illégales !

L'amendement 124, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Maxime Gremetz – L’amendement 123 a le même objet, s’agissant cette fois du comité d’entreprise.

L'amendement 123, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Frédéric Poisson – L’amendement 5 de la commission et mon amendement 18, identiques, sont rédactionnels.

Les amendements 5 et 18, acceptés par le Gouvernement, mis aux voix, sont adoptés.

L'article premier modifié, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ARTICLE PREMIER

Mme Martine Billard – Mon amendement 38 vise à instaurer une « taxe de précarité » applicable, dans les entreprises employant au moins onze salariés, aux contrats autres que des CDI à temps plein. Elle serait perçue au profit du fonds national de péréquation de la taxe professionnelle.

M. Dominique Dord, rapporteur – Avis défavorable. L’accord n’a nullement prévu cette taxe, qui n’aboutirait qu’à le déséquilibrer ; il comprend un nombre suffisant d’éléments de sécurisation.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Même avis.

Mme Martine Billard – La sécurisation, parlons-en : l’article 14 de l’accord sur la portabilité de certains droits, pour l’instant, n’est pas transcrit dans la loi. Quant aux autres dispositions auxquelles vous faites allusion, l’immense majorité des salariés en bénéficiaient déjà puisqu’elles figuraient dans les accords conventionnels ; ne nous les présentez donc pas comme de grandes avancées sociales !

On nous dit aussi que cette taxe découragerait les entreprises d’embaucher ; mais les études montrent que la multiplication des CDD n’est pas une solution efficace pour soutenir l’emploi.

M. Francis Vercamer – L’idée de faire davantage participer à la solidarité nationale ceux qui utilisent plus les contrats précaires me paraît intéressante, même si elle n’est pas bienvenue dans ce texte. Peut-être pourriez-vous solliciter les partenaires sociaux sur ce sujet, Monsieur le ministre. En tout cas je m’abstiendrai sur cet amendement.

L'amendement 38, mis aux voix, n'est pas adopté.

La séance, suspendue à 0 heure 15 le mercredi 16 avril, est reprise à 0 heure 20.

ART. 2

M. Dominique Tian – Aux termes du projet de loi, le renouvellement de la période d’essai ne sera possible que si l’accord de branche le prévoit expressément, mais le texte n’indique pas si cette possibilité doit être précisée dans le contrat de travail individuel, comme c’est aujourd’hui le cas.

D’autre part, le texte prévoit un délai de prévenance de 48 heures en cas de rupture à l’initiative du salarié. Un salarié en période d’essai depuis six ou huit mois pourrait alors quitter son entreprise en moins de deux jours, ce qui ne manquerait pas de poser des difficultés dans de nombreux cas.

J’observe en dernier lieu qu’il y a un risque de conflit entre les dispositions législatives qui nous sont proposées et les conventions collectives en vigueur. Or, il est de jurisprudence constante qu’il faut appliquer la solution la plus favorable aux salariés. Est-ce la période d’essai la plus longue, ou bien la plus courte ?

M. Daniel Paul – Pour ma part, c’est le terme de « partenaires » sociaux qui m’étonne. Cette expression laisse entendre que les différentes parties seraient sur un pied d’égalité…

Un mot encore sur la pénalisation des entreprises qui auraient trop systématiquement recours au travail précaire. Je vois mal quel signataire de l’accord pourrait s’y opposer, hormis le MEDEF, car c’est une véritable avancée : certaines entreprises ne se cachent pas de n’utiliser que des contrats précaires pour embaucher des salariés sur certains postes.

À la lecture de l’article 2, j’ai eu le sentiment que vous cherchiez à faire revenir par la fenêtre ce qui venait de sortir par la porte, le CNE et le CPE, par l’intermédiaire de périodes d’essai beaucoup plus longues. Quand il s’agit d’encadrer les droits des salariés, je constate que vous n’hésitez pas à recourir à la loi, alors que vous présentez généralement cet outil juridique comme un archaïsme liberticide, propre à la France.

Je rappelle enfin que la plupart des conventions collectives en vigueur prévoient des périodes d’essai comprises entre une semaine et trois mois. Comment peut-on donc prétendre que l’article 2 améliorera la sécurité des salariés ? C’est une mesure qui leur est moins favorable que le droit positif ! Cet article ne servira qu’à flexibiliser encore plus le droit du travail pour le seul bénéfice des employeurs.

Il est certes tout à fait normal que l’on souhaite disposer d’un peu de temps pour vérifier la motivation et les compétences d’un salarié ; mais ce texte ouvrira la voie à de véritables abus : deux mois, c’est tout de même un peu long pour de simples travaux d’exécution ! Ajoutons que cette période pourra être doublée si un accord de branche le permet. Cela ferait donc au total huit mois pour les cadres…

Dans son avis, le Conseil d’État a certes indiqué qu’il s’agira d’un simple plafond, mais la porte est ouverte. Pendant ces huit mois, il serait vain pour un salarié d’espérer un logement ou un prêt, ou de se lancer dans tout autre projet de long terme.

Dans ces conditions, on peut douter que la période d’essai continue à remplir son objectif initial, à savoir l’évaluation des compétences et de la motivation des nouveaux employés. Ce que vous proposez ne peut se comprendre que si l’on veut bien se placer du point de vue de l’employeur : ce dernier pourra, pendant une période bien plus longue qu’aujourd’hui, éviter d’appliquer le droit du licenciement, que l’on jugera liberticide ou bien au contraire protecteur, selon sa place sociale…

M. le Président – Il faut conclure.

M. Daniel Paul – La période d’essai deviendra en fait une période de validation économique, et vous favoriserez dans le même temps une flexibilité bien plus grande dans la gestion du personnel. Une entreprise pourra en effet embaucher des salariés en CDI pendant huit mois sans avoir à verser la prime de précarité due à tout salarié en CDD. Et quand on connaît certains modes de recrutement, on peut tout imaginer : dès maintenant, de nombreuses entreprises, grandes ou petites, n’hésitent pas à renouveler deux ou trois fois de suite des contrats d’intérim, avant de daigner accorder un CDD, en attendant un éventuel CDI… Cet outil ne servira donc qu’à détricoter un peu plus notre droit du travail (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR).

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Je reviendrai sur les propos de M. Paul à l’occasion des amendements déposés par son groupe, puisqu’il ne s’agissait pas à proprement parler d’une question.

À l’intention de M. Tian, je précise que la période d’essai la plus favorable est naturellement la plus courte. C’est elle qui s’appliquera.

Mme Martine Billard – L’accord interprofessionnel faisait référence à des minima et à des maxima, notamment une période d’essai comprise entre un et deux mois pour les ouvriers et les employés. Pour le moment, la majorité des accords de branche en vigueur prévoient une période d’essai d’un mois pour les ouvriers non qualifiés, et de deux mois pour les emplois qualifiés, avec des différences entre les branches, les métiers n’étant pas identiques. Jusqu’à présent, la majorité se félicitait d’une telle souplesse…

Le Conseil d’État a proposé de supprimer les planchers pour ne retenir que les maxima. L’article devient donc bancal. Si l’on parle de maxima, c’est qu’il peut y avoir des durées inférieures. L’alinéa 15 n’en prévoit pas moins qu’il pourra y avoir des périodes d’essai plus courtes que les maxima. Mais plus loin, l’alinéa 25 prévoit que les accords de branche qui prévoient des périodes d’essai plus courtes seront caducs au 30 juin 2009. On en vient à se dire que si la possibilité de prévoir des périodes d’essai plus courtes est tellement encadrée, c’est pour promouvoir les durées maximum proposées par la loi.

Le texte de l’accord augmentait les durées maximum d’un mois pour l’ensemble des catégories de travailleurs – passe encore. Mais la rédaction proposée pose vraiment question. L’amendement 39 tend donc à supprimer cet article.

M. Roland Muzeau – L’amendement 100 est identique.

L’article 2 du texte transcrit les dispositions de l’article 4 de l’accord. Lors des négociations sur la durée de la période d’essai, les organisations patronales ont dû reculer par rapport à leurs premières exigences – six mois pour les ouvriers et employés, douze pour les cadres. Il n’en reste pas moins que la durée de la période d’essai s’allonge – deux mois pour les ouvriers, deux à trois mois pour les agents de maîtrise et techniciens, quatre pour les cadres, alors que la plupart des conventions collectives prévoient aujourd’hui des durées allant de une semaine à trois mois. Les durées proposées vont en outre bien au-delà de ce qu’admet la jurisprudence de la Cour de cassation. Il s’agit en fait de renouer avec la logique des CPE et des CNE : allonger la période de précarité des salariés et éviter aussi longtemps que possible l’application du droit du licenciement. La finalité de la période d’essai se borne en effet à une première évaluation in situ du salarié. Pour reprendre l’exemple d’Emmanuel Dockès, professeur à l’université de Lyon II, qui peut soutenir qu’il faille deux mois pour évaluer si une personne est capable de « faire la plonge » dans un restaurant ? Un responsable aussi lent à procéder à cette évaluation mériterait d’être licencié ! Mais pour peu qu’une convention de branche étendue le prévoie, les durées pourront être doublées ! C’est surréaliste, sauf dans l’optique qui est la vôtre : satisfaire les desiderata les plus fantaisistes des organisations patronales.

M. Dominique Dord, rapporteur – La commission a repoussé ces amendements. Je comprends d’autant moins que vous demandiez la suppression de cet article que vous avez déposé d’autres amendements visant à définir ce qu’est la période d’essai. Vous reconnaissez donc implicitement que cet article a un intérêt…

Vous nous avez reproché maintes fois de ne pas avoir retranscrit toutes les dispositions de l’ANI, et vous voulez maintenant supprimer cet article qui reprend l’intégralité de l’article 4 de l’accord : c’est tout de même contradictoire !

Je m’étonne enfin que ce soit nous qui défendions la transcription de ces dispositions dans la loi, alors que notre philosophie nous porte plutôt à privilégier le contrat ou l’accord de branche. Je rappelle que la période d’essai ne fait l’objet que d’une ligne dans le code du travail. Est-ce vraiment une sécurisation pour ceux que vous défendez ?

Enfin, Monsieur Muzeau, ce n’est pas la thèse du MEDEF que nous transcrivons, mais un accord interprofessionnel qui a recueilli les signatures de quatre centrales syndicales. Il ne s’agit pas d’allonger la période d’essai : quatre mois correspondent à la durée maximale prévue, et je gage qu’il existe aujourd’hui des périodes d’essai plus longues.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Même avis.

M. Alain Vidalies – Vous invoquez souvent les comparaisons internationales pour prouver que notre droit social serait un joug insupportable pour les entreprises françaises. Je vous remercie donc, Monsieur le rapporteur, d’avoir reconnu à la page 10 de votre rapport que « les éléments de comparaison internationale souvent incertains dont on dispose ne font pas toujours apparaître le système français comme le plus rigide et le plus coûteux ou le plus défavorable aux employeurs. » C’est assez rare pour être souligné !

S’agissant de la période d’essai, on ne peut pas dire que ce texte soit une régression par rapport au droit actuel. Le texte précise que la période d’essai ne peut être renouvelée que s’il existe un accord de branche étendu. Le délai maximum a donc peu de chances d’entrer en application. Mais surtout, il me semble que la période d’essai peut aujourd’hui être renouvelée sur le seul fondement d’une précision figurant dans le contrat de travail individuel. Cette possibilité disparaît avec ce texte. Ce seul point mérite qu’on écarte les autres critiques adressées à cet article.

Les amendements 39 et 100, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Jean-Patrick Gille – L’amendement 28 vise à introduire dès maintenant dans le code du travail la définition de la période d’essai qui figure dans l’ANI,en insérant les mots suivants à l’alinéa 4 de l’article : « afin de faciliter l’accès direct au contrat à durée indéterminée en permettant à l’employeur d’évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et au salarié d’apprécier si les fonctions occupées lui conviennent ».

Je profite de l’occasion pour me féliciter que cet article intègre les stages obligatoires réalisés à l’issue de la dernière année d’études pour au moins la moitié de la durée de la période d’essai. Un problème se pose néanmoins pour les étudiants des Instituts régionaux de travail social – IRTS – qui ne trouvent plus de stages parce que les organismes censés les accueillir n’ont pas les moyens de financer les gratifications correspondantes. Nous les avons reçus la semaine dernière et nous sommes en train de vous écrire à ce sujet, Monsieur le ministre : il y a urgence.

M. Dominique Dord, rapporteur – La commission a repoussé cet amendement, mais elle en a adopté à l’unanimité un autre – le 6 – qui reprend la définition de la période d’essai. Je vous suggère donc de retirer votre amendement, faute de quoi j’émettrais un avis défavorable.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Pour les mêmes raisons, je vous demande également de retirer votre amendement.

M. Jean-Patrick Gille – La modification que je propose continue de me paraître plus proche du texte initial et mieux placée.

L'amendement 28, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail Je souhaite répondre à M. Gille sur la gratification des stages des futurs travailleurs sociaux, question à laquelle je suis très attentif – de même que Mme Pecresse – et que j’ai demandé à la DGAS d’étudier. Plusieurs chefs d’établissement se disent privés des moyens nécessaires, mais ils ne sauraient se défausser de leurs responsabilités sur les jeunes – auxquels le dispositif est censé être plus favorable qu’auparavant, et que l’on ne saurait donc priver de stages – ou sur l’État.

De fait, cette question a fait l’objet d’un premier décret, mais la loi de 2006 nous empêchait d’aller plus loin ; nous soutiendrons donc les initiatives parlementaires en ce sens, car cette première rencontre avec l’entreprise ne doit pas être sacrifiée.

En la matière, nous devons parvenir à un équilibre : si l’ANI permet d’intégrer les stages à la période d’essai, gardons-nous pour autant de décourager les entreprises d’accorder des stages.

M. Jean-Pierre Decool – Afin d’améliorer la rédaction du texte, l’amendement 137 propose de supprimer le mot « maximale » de l’alinéa 4 de l’article, puisque la période d’essai peut être renouvelée.

M. Dominique Dord, rapporteur – Certes, mais en supprimant l’adjectif « maximale », on ouvre la voie à l’allongement indéfini que redoutait tout à l’heure l’opposition. En outre, le texte deviendrait incohérent puisqu’il est question un peu plus loin de périodes d’essai plus courtes. En revanche, l’expression de « durée maximale » n’exclut pas le renouvellement de la période d’essai. Je vous suggère donc de retirer votre amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Même avis.

L'amendement 137 est retiré.

M. Francis Vercamer – Je défends les amendements 133 rectifié et 134. Constatant que le texte ne contenait aucune définition de la période d’essai, et n’ayant pu entendre les explications de la commission sur ce point, j’ai proposé de recourir à la définition fournie par le BIT : « une période de formation ou de travail à un poste donné, destinée à permettre à l’employeur d’évaluer les aptitudes d’une personne pour cet emploi ». Selon cette définition, puisque la période d’essai est destinée au seul employeur, plus elle est courte, plus elle profite au salarié ; en outre, le droit international nous impose la référence à la formation, donc aux stages… Tel est l’objet de l’amendement 133 rectifié.

Prévoyant que le Gouvernement ne manquerait pas de m’objecter que ce texte différait de celui de l’ANI, j’ai ensuite repris la définition fournie par ce dernier. Tel est le sens de l’amendement 134, identique à l’amendement 6 de la commission.

M. Dominique Dord, rapporteur – Je laisse à Mme Billard le soin de présenter l’amendement 6, dont elle est à l’origine.

Mme Martine Billard – Monsieur le rapporteur, il ne s’agissait pas, en cosignant cet amendement qui reprend le texte de l’ANI, de renier mon amendement de suppression, qui résultait d’une évolution dommageable de la transposition de l’accord, mais bien de chercher, faute de mieux, à améliorer les dispositions existantes.

Nous sommes par ailleurs reconnaissants à M. Vercamer d’attirer notre attention sur la définition du BIT. Nous nous en souviendrons au moment de défendre nos amendements relatifs aux stages.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Avis favorable.

M. Dominique Dord, rapporteur – La définition du BIT paraît plus restrictive que celle de l’ANI, qui ajoute à la possibilité pour l’employeur de vérifier l’adaptation du salarié au poste la possibilité réciproque, pour le salarié, de juger si ses fonctions lui conviennent.

M. Francis Vercamer – Soit !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail – Précisons que, s’agissant de l’objet et du contenu de la période d’essai, il ne s’agit pas de modifier une jurisprudence équilibrée.

M. Maxime Gremetz – La question soulevée par M. Vercamer ne saurait être éludée. Pourquoi ne pas compléter l’amendement 6 par l’amendement 133 rectifié, qui ajoute la référence à une « période de formation » ?

M. Francis Vercamer – J’accepte de retirer mon amendement au profit de l’article 6.

L’amendement 133 rectifié est retiré.

L'amendement 6, mis aux voix, est adopté.

Mme Martine Billard – Je défends les amendements 43 et 44. Le premier vise à empêcher que le contrat soit rompu au cours de la période d’essai pour des raisons liées à la personne du salarié. Le second, en proposant de prendre en compte l’ancienneté et l’expérience du salarié dans des emplois similaires ou pour des compétences identiques, évitera aux salariés de repartir de zéro chaque fois qu’ils changent d’entreprise – ce qui leur arrive de plus en plus souvent. Il permet donc de sécuriser le parcours professionnel du salarié, conformément à l’esprit de la définition de la période d’essai par le BIT.

M. Dominique Dord, rapporteur – La commission a rejeté cet amendement, même si le problème est indéniable : ainsi la Cour de cassation considère-t-elle comme infondée toute rupture du contrat au cours de la période d’essai qui résulterait de la suppression du poste pour des motifs économiques.

La rupture doit donc être motivée dans la personne. Mais les amendements vont beaucoup plus loin que cette jurisprudence, puisqu’ils reviendraient à obliger l’employeur à motiver la rupture de la période d’essai. Or, c’est un principe établi, tant en jurisprudence nationale que par l’OIT que cette décision est un pouvoir discrétionnaire de l’employeur, à la condition à l’instant énoncée ; dans le cas contraire, la rupture est requalifiée en licenciement économique. Avis défavorable, donc, aux amendements 43 et 44, même s’ils ne sont pas sans intérêt.

L'amendement 43, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que l’amendement 44.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 1 heure.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Le compte rendu analytique des questions au Gouvernement
est également disponible, sur Internet et sous la forme d’un fascicule spécial,
dès dix-huit heures

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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