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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du jeudi 22 mai 2008

1ère séance
Séance de 9 heures 30
164ème séance de la session
Présidence de M. Marc-Philippe Daubresse, Vice-Président

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La séance est ouverte à neuf heures trente.

RESPECT DU PLURALISME DANS LES MÉDIAS

L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues relative au respect du pluralisme dans les médias audiovisuels et prenant en compte le temps de parole du Président de la République.

M. Patrick Bloche, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République – Si l’article premier de la loi du 30 septembre 1986 pose comme élément essentiel de garantie des libertés publiques dans notre pays que « la communication est libre », il précise que cette liberté doit respecter le caractère pluraliste de l’expression de pensées.

Le respect du caractère pluraliste – mission confiée au CSA – est un objectif à valeur constitutionnelle : dans sa décision du 18 septembre 1986, le Conseil constitutionnel précise qu’il est une des conditions de la démocratie, aussi bien dans le cadre du service public de l’audiovisuel que dans celui du secteur privé. Les sages ajoutent que « l’objectif à réaliser est que les auditeurs et les téléspectateurs soient à même d’exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions, ni qu’on puisse en faire les objets d’un marché ».

Par « pluralisme », on entend le pluralisme externe, celui des opérateurs, dont l’hyperconcentration, au profit d’un petit nombre de groupes industriels et financiers dépendant des commandes de l’État, doit être combattue. La proposition de loi ne traite pas directement de cette question, même si, dans ces temps où la presse vit une mutation économique et technique difficile, il conviendrait de mieux garantir l’indépendance et la liberté éditoriale des équipes rédactionnelles à l’égard des actionnaires. Une réforme dans la procédure de désignation des membres du CSA, qui associe l’ensemble des groupes parlementaires, serait également nécessaire.

Le pluralisme peut aussi être interne. L’opérateur doit alors assurer l’équilibre et la diversité des points de vue et des opinions, parmi lesquels ceux exprimés par les politiques occupent une place particulière. En effet, la démocratie repose sur l’exercice du suffrage universel auquel, comme le prévoit l’article 4 de la Constitution « concourent les partis et groupements politiques ».

Hormis le cas des périodes électorales, dont traite le code électoral, l’article 13 de la loi du 30 septembre 1986 définit de manière imprécise la mission du CSA, disposant que celui-ci doit relever, mois par mois, le temps de parole des responsables des partis politiques.

La prise en compte de l’équilibre des temps de parole a peu évolué. La règle des « trois tiers » était issue d’une directive du conseil d’administration de l’ORTF du 12 novembre 1969, disant que « l’équilibre entre les représentants des pouvoirs publics, ceux qui les approuvent et ceux qui les critiquent, lorsqu’il ne sera pas obtenu en un seul jour et au cours de la même émission, devra l’être sur une période raisonnablement calculée ». Ainsi, un tiers des temps de parole était réservé au Gouvernement, un tiers à la majorité parlementaire, un tiers à l’opposition parlementaire.

Cette règle a été remplacée par le principe de référence en février 2000. Les partis non représentés au Parlement ont alors acquis le droit à « un accès équitable aux programmes audiovisuels ». Dans les faits, leur temps de parole ne représentant que 3,5 % du temps d’expression politique, l’adoption du principe de référence n’a pas modifié les parts respectives des temps d’intervention des trois catégories préexistantes.

Le temps de parole du Président de la République n’a jamais été décompté, que ce soit dans l’application de la règle des trois tiers ou dans celle du principe de référence. Cela a été contesté devant le Conseil d’État, qui a affirmé dans sa décision du 13 mai 2005 que, compte tenu de « la place qui, conformément à la tradition républicaine, est celle du Chef de l’État dans l’organisation constitutionnelle des pouvoirs publics », le Président de la République « ne s’exprime pas au nom d’un parti ou d’un groupement politique ».

Pourtant, le rôle du Président de la République a évolué et ses interventions ont pris une place croissante. Devant ce constat, le comité constitutionnel présidé par M. Édouard Balladur, a proposé qu’elles soient prises en compte dans le temps de parole de l’exécutif, pointant l’« anomalie » – une de plus ! – que représentait le décompte des temps de parole, cette situation étant selon lui « la traduction d’une conception dépassée du rôle du chef de l’État ».

L’analyse statistique des temps de parole corrobore ce constat. Il ressort des données publiques du CSA que la part du temps de parole du Président de la République, qui était en moyenne de 7 % du temps des interventions publiques entre 1989 et 2005, est passée à 15 % au second semestre de l’année 2007 dans les journaux télévisés, les magazines d’information et les programmes de divertissement, atteignant même 23 % si l’on s’en tient aux seuls journaux télévisés.

M. Yves Nicolin – Il s’agit de mois postélectoraux. En 1981, c’était la même chose !

M. Patrick Bloche, rapporteur Au mois de janvier 2008, les membres du Gouvernement se sont exprimés 11 minutes et 9 secondes dans les journaux télévisés de TF1, tandis que le Président de la République s’y exprimait pendant 18 minutes et 36 secondes, majorant ainsi le temps de parole de l’exécutif de 167 %. La situation est la même sur France 2, dans des proportions moindres : les propos du Président de la République ne majorent le temps de parole de l’exécutif que de 113 %.

Sur LCI, le Président s’est exprimé en janvier durant 3 heures 55 minutes, contre seulement 1 heure 3 minutes pour le Gouvernement, ce qui majore le temps de l’exécutif de 372 %. Et encore, je ne tiens pas compte des 19 minutes et 54 secondes occupées par les interventions des collaborateurs du Président ! Ces chiffres ne justifient-ils pas à eux seuls l’initiative prise par le groupe SRC, au moment même où nous avons l’ambition de réformer nos institutions ?

L’application de cette proposition de loi ne posera pas de difficultés pratiques au CSA, qui relève déjà, à titre informatif, le temps de parole de la Présidence de la République en distinguant les propos du Président lui-même et ceux de ses collaborateurs.

La commission des lois, ayant décidé de ne pas passer à l’examen de l’article unique, n’a pas présenté de conclusions, ce que votre rapporteur bien sûr regrette (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication – Le rôle grandissant de la télévision dans la vie politique avait amené le conseil d’administration de l’ORTF, en 1969, à décider que l’équilibre entre les représentants des pouvoirs publics, ceux qui les approuvent et ceux qui les critiquent devait être obtenu, si ce n’est sur une journée, du moins sur une période raisonnablement calculée. Il en est résulté la règle des trois tiers – gouvernement, majorité et opposition parlementaire – que votre proposition de loi tend à inscrire dans la loi du 30 septembre 1986 en comptabilisant le temps de parole du Président de la République avec celui du gouvernement. Cette proposition, qui n’avait jamais été évoquée par aucun gouvernement ni programme électoral socialiste, me semble contraire à l’esprit de nos institutions, ainsi qu’extrêmement difficile à appliquer.

Elle est contraire à l'esprit de nos institutions car le Président de la République ne peut être considéré comme un acteur politique comme les autres. Sa parole est singulière et ne peut avoir d’équivalent car son lien avec les Français est incomparable. Il procède directement du suffrage universel, dans une circonscription unique qui a pour nom France. Il est, comme l'a déclaré le général de Gaulle, l'homme de la nation mis en place par elle-même pour répondre de son destin, ou comme l'a dit Georges Pompidou, chef suprême de l'exécutif, gardien et garant de la Constitution, à la fois arbitre et premier responsable national. De cette situation qui n’a guère d’équivalent en Europe découlent des conséquences pratiques. Les solutions pragmatiques qui avaient été dégagées par les responsables des chaînes de télévision publique d’abord, puis à compter de 1982 par les autorités indépendantes de régulation de l'audiovisuel, ont été consacrées par le Conseil d'État. Dans son arrêt du 13 mai 2005, qui se fonde sur une analyse des termes et de l'esprit de l'article 5 de la Constitution, le Conseil affirme qu’en raison de la place qui est la sienne, conformément à la tradition républicaine, dans l'organisation constitutionnelle des pouvoirs publics, le Président de la République ne s'exprime pas au nom d'un parti ou d'un groupement politique. C’est en s'appuyant sur cet arrêt que le Conseil supérieur de l’audiovisuel a rejeté une demande introduite par MM. Hollande et Mathus en 2007.

Cette proposition serait aussi extrêmement difficile à traduire en pratique. Lorsque le Président de la République, au nom de la France, reçoit l'un de ses homologues, se rend sur les lieux d'une catastrophe, présente ses vœux aux Français, s’exprime dans un sommet international, honore la mémoire, le 11 novembre ou le 8 mai, des combattants…

M. Michel Françaix – Diversion !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture – Toutes ces interventions doivent-elles ouvrir un droit de réplique immédiat et équivalent ? Et à qui ? Lorsque le Président de la République organise une conférence de presse – et elles ne sont pas si nombreuses – faut-il que la loi impose aux journalistes de médiatiser une manifestation parallèle pour chaque formation de l’opposition ? Lorsque le Président s'adresse aux Français, les médias accordent déjà une très large place aux réactions et aux critiques de l’opposition. Et en cas de cohabitation, vous proposez que le temps de parole du Président soit comptabilisé avec celui de l'opposition… Imagine-t-on les interventions de François Mitterrand entre 1986 et 1988 comptées parmi celles des formations parlementaires d’opposition, dont le Front national ? Je ne pense pas envisageable d'assimiler le Président de la République aux partis d’opposition, même supposés de son camp, alors qu’il représente l’ensemble des Français.

La règle des trois tiers a évolué au cours des dernières années : le CSA lui a substitué le principe de référence, qui permet de tenir compte des personnalités qui n’appartiennent à aucune formation politique. Le CSA se réfère aux résultats obtenus aux différentes élections pour évaluer leur représentativité et apprécier le caractère équitable de leurs temps d'intervention. Nous avons donc un bon régulateur, indépendant, dont les missions sont clairement encadrées par le législateur, qui protège le pluralisme et a su adapter les règles du jeu. Je rappelle d’ailleurs qu’un dispositif particulier s’applique en période électorale : le temps de parole des personnalités de l'opposition n'est notamment pas décompté lorsque les interventions du chef de l'État sont susceptibles d'avoir une influence significative sur le scrutin. Le système est donc équilibré, encadré, contrôlé…

Plusieurs députés du groupe SRC – Pour être contrôlé, il est contrôlé !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture – … et conforme à l’esprit de nos institutions. Je comprends le souci d’améliorer la qualité du débat démocratique, mais une réforme institutionnelle de première importance est en cours d’examen, qui vise notamment à renforcer les pouvoirs du Parlement. C’est de cette façon, plutôt qu’en cherchant à dénaturer la parole du Président de la République, que nous ferons progresser la force démocratique. Je vous invite donc à rejeter cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement Le Parlement est en effet en plein débat de révision constitutionnelle et il me semble que la présente proposition de loi se situe dans la ligne de ceux qui, à gauche, considèrent que malgré le renforcement des pouvoirs du Parlement, cette réforme est un peu trop faite pour le Président de la République. Quelques observations les convaincront peut-être de retirer cette proposition de loi.

M. Bruno Le Roux – Un peu de modestie !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État – Un peu de conviction !

D’abord, et quels que soient les présidents, l’article 5 de la Constitution n’a jamais été remis en cause, ni à gauche ni à droite. Cet article fait du Président de la République en exercice quelqu’un d’exceptionnel – au sens constitutionnel. Sa fonction le fait incarner l’intégrité du territoire, la continuité de la République – bref, l’ensemble de la nation. Comment décompte-t-on le temps de parole de qui incarne l’ensemble de la nation ? Dans quel camp place-t-on celui qui, obtenant 21 millions de voix, incarne toujours l’ensemble de la nation ? Comptabiliser, classer le Président de la République, c’est affaiblir la fonction. Lorsque le président est à l’étranger, lorsqu’il reçoit les syndicats, lorsqu’il consulte tous les partis politiques sur les grandes réformes, il incarne vraiment l’ensemble de la nation. Bien sûr qu’il appartient à un camp au moment de son élection : François Mitterrand, une fois élu, est certainement resté socialiste ! Mais il incarnait tout naturellement l’ensemble de la nation. Le président est inclassable, au-delà des camps et des clans.

M. Bruno Le Roux – Lorsqu’il réunit l’UMP, par exemple…

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État – Vous nous reprochez de vouloir renforcer les pouvoirs du Président de la République, mais François Mitterrand aurait-il accepté qu’on lui enlève son droit de grâce collective ? Jamais ! Aurait-il accepté que le Parlement ait un pouvoir de contrôle sur les nominations qu’il faisait, au Conseil constitutionnel ou au CSA par exemple ? Jamais – et à l’époque, je n’ai jamais entendu le parti socialiste le réclamer ! Durant la campagne présidentielle, Ségolène Royal avait comme Nicolas Sarkozy détaillé sa vision de la réforme des institutions – et, en la relisant, je vois que nous sommes d’accord sur nombre de points – mais elle n’a jamais parlé du temps de parole du Président de la République, jamais imaginé l’encadrer. Et, soyons francs : si Mme Royal était en ce moment à l’Elysée, seriez-vous en train de soutenir cette proposition de loi ?

M. Marc Dolez – Plutôt deux fois qu’une ! (Sourires)

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État  Il y a eu des chefs de l’État de gauche comme de droite, et il y en aura d’autres sous notre Constitution.

Sincèrement, dans l’intérêt du Président de la République, quel qu’il soit, ne réduisez pas cette fonction exceptionnelle qui fait l’originalité de nos institutions. Le Président de la République française incarne la nation. On ne met pas la nation dans un camp politique (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

DISCUSSION GÉNÉRALE

M. Didier Mathus – Par delà la fiction que vient de brosser le secrétaire d’État, chacun sait que nous vivons désormais dans une société médiatique et qu’il serait vain de prétendre rééquilibrer les institutions sans prendre en considération cette dimension cruciale. Que vaut le débat actuel sur la prise de parole du Président de la République devant les Assemblées si l’on feint d’ignorer que l’essentiel est dans la manière dont sera répercutée cette prise de parole dans les médias audiovisuels ?

Les différents réglages auxquels l’actuel projet de révision constitutionnelle ambitionne de procéder n’auront que des effets modestes sur la vie politique. La formation de la décision politique et son acceptabilité dans l’opinion se jouent désormais dans la sphère médiatique. C’est dire combien il est légitime de vouloir fixer une règle du jeu moderne et consensuelle.

Avec l’élection de M. Sarkozy, nous sommes entrés dans une phase nouvelle de la pratique des institutions. Ce changement, il l’a du reste lui-même revendiqué. Quelques citations pour s’en convaincre : « Je suis un Président qui gouverne » ; « Le Premier ministre est mon collaborateur » ; « Les Français m’ont élu pour diriger et pour agir ». Il est temps de prendre acte des conséquences médiatiques de cette nouvelle donne institutionnelle.

Toutes les démocraties ont adopté des dispositifs tendant à garantir le pluralisme. En France, nous appliquons la règle perfectible et rudimentaire des trois tiers et, jusqu’à présent, le Président de la République était tenu à l’écart du décompte. D’abord parce que les Présidents successifs avaient toujours été relativement économes de leurs apparitions. Ensuite parce qu’il était admis que la dignité de leur fonction les amenait à se situer plus en arbitres au-dessus des partis et en figures du rassemblement national que comme des acteurs de la joute politique.

Ces temps sont révolus. Le Président de la République actuel a délibérément choisi l’hyper exposition et sa stratégie vise à saturer l’espace médiatique. Quant à la dignité de la fonction, elle s’est abîmée quelque part entre Le Guilvinec et Disneyland… (Rires sur les bancs du groupe SRC ; murmures sur les UMP)

M. Yves Nicolin – Lamentable !

M. Didier Mathus – Mieux, le Président ne laisse à personne le soin de défendre sa politique. Désormais, il réunit même chaque semaine le bureau politique de l’UMP à l’Élysée ! Il participe aux conventions de son parti et a jugé que celui-ci, après lui, n’avait pas besoin de président. N’est-ce pas une manière d’affirmer qu’il est lui-même le président de fait de l’UMP ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Seul le CSA – dans un méritoire effort de complaisance politique ! –, s’accroche encore à la fiction d’un Président de la République au-dessus des partis. La vérité, c’est qu’il continue de donner le tempo politique et que son exposition massive dans les médias compromet gravement le pluralisme.

On connaît désormais une partie des chiffres, puisque le CSA les publie chaque mois – et encore ne s’agit-il qu’une toute petite frange de l’exposition médiatique du Président de la République puisqu’ils ne concernent que les interventions dans les journaux télévisés. Ils sont édifiants : de juillet 2007 à janvier 2008, le Président s’est exprimé pendant 3 heures 14 minutes dans les journaux télévisés de TF1 ; 8 heures 45 minutes dans ceux de France 2 ; 3 heures 22 minutes dans ceux de F3. Si l’on ajoute les temps de parole de l’exécutif et de la majorité, la droite française a ainsi bénéficié de plus de trente heures d’antenne dans ces journaux, contre moins de 19 pour l’opposition. Il y a donc bien un manquement grave aux règles élémentaires du pluralisme.

Nous réclamons l’égalité audiovisuelle et, dès cet été, j’ai saisi le CSA de la situation créée par la pratique institutionnelle de M. Sarkozy. Aux termes de la loi, le CSA a pour mission « d’assurer le respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion ». Force est de constater qu’il se dérobe avec constance aux exigences de cette mission.

De mon point de vue, rien ne l’empêchait de prendre une décision à ce sujet, en intégrant au moins une part de l’expression du Président de la République dans sa recherche du pluralisme.

M. Arnaud Montebourg – Très juste !

M. Didier Mathus – En effet, la règle des trois tiers n’a rien d’une disposition de valeur constitutionnelle. Comme l’a rappelé Patrick Bloche, elle ne découle que d’une vieille directive de l’ORTF !

Le plus surprenant eût sans doute été que le CSA assume les prérogatives que lui confie la loi. Toutes les arguties lui ont été bonnes pour se défausser. Faut-il du reste s’en étonner alors que l’instance chargée en France du pluralisme est elle-même strictement monolithique, puisque composée exclusivement de membres désignés par des personnalités de l’UMP ? De tous les pays ayant créé de telles instances de régulation, nous sommes les seuls à nous être mis dans cette situation ridicule ! De plus, en confiant la présidence à un ancien directeur de cabinet d’un Premier ministre lié à la majorité actuelle, on était sûr de briser toute velléité d’indépendance.

Fort heureusement, le comité Balladur – qui n’est pourtant pas un repère de gauchistes ! (Sourires) – s’est saisi de cette question en soulignant l’iniquité de la situation actuelle. C’est ainsi qu’il a formulé la proposition numéro 13, relative au temps de parole du Président de la République et visant à ce que « dans la répartition du temps de parole dans les médias audiovisuels, à laquelle le CSA est chargé de veiller, les interventions du Président de la République soient comptabilisées avec celles du Gouvernement. »

Telle est la proposition claire et de bon sens que nous reprenons dans la présente proposition de loi. Puisque le Président de la République revendique d’être le seul chef de la majorité, qu’il lui en soit donné acte en mettant fin à cette entorse au pluralisme. De même, les collaborateurs directs du Président, dont il n’a échappé à personne qu’ils manifestaient un goût marqué pour une exposition médiatique soutenue, doivent être considérés comme des membres du Gouvernement puisqu’il est patent que ce sont souvent eux qui exercent la réalité du pouvoir.

Notre demande n’a rien de polémique. Elle correspond à l’évolution objective des pratiques institutionnelles. Avec le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, avec le style de gouvernance de Nicolas Sarkozy, l’article 5 de la Constitution, auquel se réfère encore le CSA pour justifier son immobilisme, n’est plus qu’une fiction !

M. Marc Dolez – Très bien !

M. Didier Mathus – C’est dans le cadre du débat sur la réforme des institutions que nous présentons le présent texte. Selon le comité Balladur, une simple décision du CSA suffirait. Las, celui-ci demande une disposition législative pour évoluer. Nous le prenons au mot en la proposant aujourd’hui. Nous vous donnons l’occasion d’avancer, comme nous l’avons fait avant-hier pour ce qui concerne l’élection des sénateurs.

En acceptant cette demande de bon sens, la majorité adopterait une position d’équilibre qui augurerait mieux de la suite du débat sur la réforme de nos institutions (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

Mme Jacqueline Fraysse – La présente proposition de loi pose une vraie question, car il n’y a pas de démocratie possible si tous les points de vue ne peuvent s’exprimer, de même qu’il n’y a pas de gouvernement juste et efficace qui ne soit pas soumis à la transparence et à la critique.

Qu’un Président de la République perpétuellement en campagne puisse, quand bon lui semble, s’inviter pour deux heures dans les deux principales chaînes de télévision pour expliquer sa politique – ou du moins ce qu’il décide d’en dire – sans qu’aucune contradiction ne puisse lui être apportée pose un réel problème.

Le fait que la diversité des opinions ne soit que très imparfaitement représentée dans les médias – singulièrement à la télévision – ne date pas d’hier. Nombre de commentateurs ont ainsi relevé la responsabilité des journaux télévisés dans la présence du candidat d’extrême droite au second tour de l’élection présidentielle de 2002. De même, lors de la campagne référendaire sur le Traité constitutionnel européen, nous nous sommes insurgés contre la partialité manifeste des principaux médias français. A l’occasion de la dernière campagne présidentielle, ce sont les journalistes de l’audiovisuel public eux-mêmes qui, en grand nombre, ont lancé un appel au respect du pluralisme.

Cette proposition de loi s’attaque par conséquent à une anomalie réelle, mais force est de constater qu’elle reste à la surface des choses. En effet, le pluralisme ne saurait se limiter aux seuls médias audiovisuels et aux nombreuses apparitions du chef de l’État sur ces médias. La question concerne l’ensemble des supports et l’ensemble des opinions.

Qu’attend-on en effet des médias ? Qu’ils organisent une confrontation des points de vue afin de permettre au citoyen de se forger sa propre opinion. Or, ce qui caractérise de plus en plus nos médias, c’est leur uniformité idéologique sur les questions politiques, économiques et culturelles, ainsi que la très faible place accordée au débat d’idées. Le paysage médiatique français est paradoxal. S’il existe manifestement une pluralité dans l’offre, avec de nombreux titres de la presse écrite et de nombreuses chaînes de télévision, surtout depuis l’apparition de la TNT, il ne s’agit en fait que d’une pluralité de façade qui ne rend pas bien compte de la diversité des opinions.

Deux raisons essentielles expliquent cet état de fait. D’abord, les médias restent concentrés aux mains de quelques grands groupes industriels et financiers : Bouygues – avec le mastodonte TF1 ; Lagardère, avec une pléthore de titres de la presse écrite, des radios et des chaînes thématiques ; Dassault, avec le Figaro et plusieurs titres de la presse quotidienne régionale, pour ne citer que les principaux acteurs.

Cette situation n’est certes pas propre à la France, mais cela ne la rend pas plus acceptable. Si l’on y ajoute la proximité des élites économiques et politiques, particulièrement prononcée dans notre pays, la confusion des genres est assurée lorsque ces élites économiques se piquent de communication !

Et la confusion des genres est d’autant plus préjudiciable que certains de ces groupes vivent essentiellement de la commande publique : Bouygues pour le BTP, Lagardère et Dassault pour l’armement,Vivendi pour l’eau et les déchets, etc.

Il y a là pour le moins une collusion d’intérêts avec des risques de dérives inquiétantes. Comment ne pas penser en effet, quand toutes les municipalités renégocient à la baisse leur contrat de fourniture d’eau avec Vivendi, que ce groupe a financé son empire audiovisuel en surfacturant le prix de l’eau ? Si les capitaines d’industrie investissent dans les médias, c’est moins pour promouvoir le débat d’idées que pour s’assurer de confortables profits et des leviers d’intervention politique. Ils ne se donnent d’ailleurs même pas la peine de dissimuler cette collusion. Et après ce qu’a été l’attitude de TF1 lors des dernières élections présidentielles, ce n’est pas l’embauche, comme directeur adjoint de la chaîne, de l’ancien directeur de campagne de Nicolas Sarkozy qui va dissiper le trouble.

S’agissant de TF1 justement, on peut donc s’interroger sur le renouvellement, en 2012 de la concession accordée à Bouygues en 1986. Bouygues s’était alors engagé à respecter le «mieux-disant culturel», défini dans le cahier des charges comme le respect de la dignité de la personne humaine, le caractère pluraliste de l’expression de courants de pensée et d’opinion, la qualité de l’information. À la place, nous avons droit à la téléréalité, et à un journal de 13 heures au service du pouvoir en place. À l’évidence, TF1 n’a pas respecté le cahier des charges. Le CSA ne devrait donc pas renouveler la concession. Mais osera-t-il le faire, en 2012 ?

Personne n’est dupe sur les raisons profondes de « l’amitié sincère » et de la proximité affichée, voire étalée, entre Nicolas Sarkozy et les principaux patrons de presse, ses « frères » comme le dit si bien Arnaud Lagardère. Tout ce beau monde ne partage pas seulement une passion pour les yachts ou le goût des grosses montres, il partage avant tout des intérêts communs.

Pourquoi les principaux médias feraient-ils une place à la remise en cause de la mondialisation et de la financiarisation de l’économie, alors que les groupes qui en sont propriétaires sont les acteurs de cette mondialisation et de cette financiarisation ? Ils soutiennent tout naturellement les hommes politiques et les idéologies qui défendent ces choix économiques, qui encouragent l’argent roi, plafonnent l’ISF jusqu’à le rendre inopérant et favorisent la spéculation financière.

Dès lors, un chronomètre ne suffira pas pour assurer dans les médias une représentation équilibrée de la diversité des opinions.

Il y faudrait des mesures d’envergure qui s’attachent aux causes, et pas seulement aux symptômes. À nous, parlementaires, de les prendre. Permettez-moi quelques pistes de réflexion en ce sens.

D’abord, il est indispensable de renforcer le pouvoir des journalistes face aux actionnaires, en accroissant leur présence dans les conseils d’administration, en luttant contre la précarité économique dont sont victimes notamment les pigistes, en reconnaissant aux rédactions un statut juridique qui renforce leur autonomie vis-à-vis des actionnaires. De ce point de vue, les chartes éthiques devraient être annexées à la convention collective des journalistes pour pouvoir être opposables aux patrons de presse.

Ensuite, il est nécessaire de renforcer la loi anti-concentration de juillet 1984 pour empêcher les situations de monopole national ou régional, et d’interdire aux groupes qui vivent de commandes publiques de posséder des médias.

Le droit à l’information doit être inscrit dans la Constitution et il faut créer un Conseil supérieur des médias. Composé d’élus, de professionnels et de citoyens, il assurerait l’ensemble des fonctions de l’actuel CSA, du Bureau de vérification de la publicité, et de l’ARCEP, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.

Nous avons vu à quel point le modèle économique d’un journal, d’une chaîne de télévision, d’une radio, prédétermine sa ligne éditoriale. Aussi est-il indispensable de favoriser le développement d’un autre modèle économique en créant un pôle public des médias. Il ne s’agit pas de revenir à l’ORTF, mais d’assurer le financement public de médias à but non lucratif qui pourrait rassembler France Télévision, Radio France, RFI, France 5, France 24, l’AFP, l’INA, ainsi que tous les médias à but non lucratif, publics ou privés, qui s’engageraient à respecter une charte et à participer à une véritable information au service du public. Sans recours à la publicité, ce pôle pourrait être financé par des taxes notamment sur le chiffre d’affaires des entreprises exploitant les ressources hertziennes à des fins commerciales.

Bien entendu, nous en sommes loin. En attendant, nous voterons cette proposition certes limitée, mais qui va dans le bon sens (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Franck Riester – Je crains qu’en se faisant les hérauts du pluralisme, nos collègues socialistes cherchent surtout un prétexte pour ne pas approuver une réforme constitutionnelle qui donne plus de pouvoir aux citoyens comme au Parlement.

Du pluralisme, chers collègues socialistes, vous parlez beaucoup. Nous, nous le garantissons : qui a ouvert le gouvernement à des personnalités de gauche ? (Rires sur les bancs du groupe SRC) C’est Nicolas Sarkozy. Qui a choisi des personnalités de gauche pour animer ou participer à des commissions de travail ? C’est Nicolas Sarkozy. Qui a fait en sorte que la présidence de la commission des finances soit réservée à un membre de l’opposition ? c’est Nicolas Sarkozy. Qui fait en sorte, avec l’article 4 du projet constitutionnel, que le Parlement dispose d’un droit de veto sur les nominations à des postes importants ? C’est Nicolas Sarkozy.

M. Michel Françaix – Qu’il continue donc.

M. Franck Riester – Voilà des avancées concrètes en matière de pluralisme, proposées et mises en œuvre par le Président de la République et sa majorité !

M. Marc Dolez – Vote boîte à cirage est vide ?

M. Franck Riester – Alors de grâce, pas de leçon de pluralisme, pas de caricature.

Qui peut croire que l’opposition n’a pas accès aux médias ? Personne ! À la radio, à la télévision, un flot quasi ininterrompu de critiques et d’attaques sont formulées à rencontre du Président de la République et de la majorité (Exclamations sur les bancs du groupe SRC).

M. Michel Françaix – Mort à la presse !

M. Franck Riester – Avec le CSA, nous avons la chance de disposer d’un régulateur de l’audiovisuel indépendant et d’une grande compétence. Il remplit en effet parfaitement sa mission…

M. Didier Mathus – C’est sûr !

M. Franck Riester – …de garant du pluralisme. En 1986, la règle des trois tiers – pour la majorité, le Gouvernement et l’opposition parlementaire – prévoyait une répartition du temps de parole purement quantitative. Depuis 2000, le CSA a introduit une notion qualitative : les conditions de programmation doivent être comparables et l’équilibre entre le temps d’intervention des ministres, des représentants de la majorité parlementaire et enfin ceux de l’opposition parlementaire doit être respecté. En outre, les chaînes doivent assurer un temps d’intervention équitable à des formations politiques non représentées au Parlement.

Donc non seulement le pluralisme est garanti, mais il est renforcé par la majorité et le Président de la République.

En fait, l’objectif réel de cette proposition est de réduire le temps de parole du Président de la République, de le contraindre. Le CSA a pourtant rappelé que la tradition républicaine était de ne pas imputer le temps de parole du Président de la République, ce qu’a confirmé le Conseil d’État dans sa décision du 13 mai 2005.

C’est que le Président de la République ne représente par le Gouvernement, mais la nation. Quand François Mitterrand était Président, vous n’avez jamais souhaité voir son temps de parole décompté avec celui des gouvernements successifs. Et madame Royal n’a jamais fait une telle proposition pendant la campagne électorale. Aujourd’hui, vous la faites en parlant « d’hyperprésidence ». Cela a-t-il vraiment un sens ? Les pouvoirs du Président de la République n’ont pas changé.

Le Président de la République tient à rester le président de tous les Français et veille personnellement à accomplir les réformes pour lesquelles il a été élu. Je comprends que cela dérange ceux qui pensaient que, une fois élu, il suivrait la pente du pouvoir et oublierait ses engagements.

Et contrairement à ce que vous prétendez, la forte présence du Président est non seulement conforme à l’esprit des institutions, mais aussi au souhait des Français. Ils veulent un président qui agit, qui se bat sur tous les fronts, qui retrousse ses manches, comme eux-mêmes chaque jour. Quand il intervient, ils savent bien que ce n’est pas la majorité ni même le Gouvernement qui parle. Sur le plateau des Glières, quand Nicolas Sarkozy rend hommage à la Résistance, doit-on compter son temps de parole ? Dans les drames extérieurs comme dans les difficultés intérieures, la voix du chef de l’État n’est pas une voix parmi d’autres.

C’est décompter le temps de parole du Président avec celui du Gouvernement qui constituerait une dérive des institutions !

Le Président de la République est dans une relation singulière avec les Français, il assume des responsabilités spécifiques, il est plus qu’un chef de parti ou d’une majorité.

Vous semblez oublier que le pluralisme est aisément assuré par la facilité d’accès aux médias. En outre, le professionnalisme de la presse et sa grande ouverture envers toutes les contestations nourrissent un débat qui ne manque pas de relief ! En 2004, l’offre télévisuelle de journaux sur les chaînes hertziennes nationales était de 2871 heures. En 2006, elle était de 14 190 heures, soit presque cinq fois plus. La majorité peut être fière d’avoir permis le lancement de la TNT, une multiplication de l’offre gratuite télévisuelle et la création de nouvelles chaînes qui consacrent une large part aux débats de société !

De même, Il faut développer les chaînes parlementaires, notamment LCP-AN et peut-être faut-il demander aux chaînes publiques de consacrer au débat parlementaire un créneau horaire de grande écoute.

Je ne saurais trop conseiller aux membres du groupe socialiste de se remettre en question plutôt que de vous en prendre sans cesse au Président de la République.

Vous vous plaignez constamment d'être inaudibles, mais à vous d'abandonner les querelles internes, de proposer enfin un projet ambitieux aux Français!

Le projet de révision constitutionnelle est une occasion de renforcer le pluralisme. N'ayez pas peur d'être constructifs, chers collègues socialistes ! Soyez libres et responsables ! Le renforcement du Parlement et des droits des citoyens n’est ni de droite, ni de gauche. Je salue d’ailleurs ceux d'entre vous qui participent pleinement à cette réforme en appelant à la responsabilité du PS et de ses élus.

M. Bruno Le Roux – Saluez, saluez !

M. Franck Riester – Ensemble, faisons œuvre utile et donnons à notre pays les raisons d'être fier de ses représentants.

Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera contre la proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Michel Françaix – Au moment où notre Assemblée réfléchit à la réforme de nos institutions, il serait curieux qu’elle ne se pose pas la question de la place des médias audiovisuels dans l’équilibre démocratique.

Le rôle des médias est en effet devenu particulièrement important. Bien sûr, il faudrait lutter contre l’hyper-concentration des médias au profit de groupes industriels et financiers dont la plupart dépendent des commandes de l’État. Bien sûr, il faudrait inciter tous les organes de presse à définir les relations entre actionnaires et rédactions afin de mieux garantir la liberté éditoriale. Bien sûr, il faut revoir la désignation des membres du CSA en associant les groupes parlementaires pour mieux garantir le pluralisme de ses membres. Mais contentons-nous pour l’instant de redéfinir la règle des trois tiers.

Permettez-moi auparavant de dire à M. Riester que notre proposition doit être replacée dans son contexte. Le Président de la République n’hésite plus à mettre la presse sur le banc des accusés. Ce fut le cas du Parisien, du Journal du dimanche, de l’Express – qui ne sont pas particulièrement gauchistes. Que veut donc la majorité ? Une presse à sa merci ? Il y a mieux à faire en ces temps de crise de la presse ! Que veut le Président ? Tout maîtriser ? Faut-il vraiment que l’AFP relaye tous les messages des députés UMP ? C’est en tout cas ainsi que l’entend notre ami Frédéric Lefebvre : c’en est indécent ! Au moment où certains songent à changer le nom de leur parti, j’en suis venu à me demander si Frédéric Lefebvre ne voulait pas changer « UMP » en « AFP » ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Heureusement, il ne suffit pas encore de tutoyer quelques patrons de presse pour enterrer la vérité. Félicitons la presse de ne pas courber l’échine ! Une fois pour toutes, Madame la ministre, l’AFP n’est pas la voix officielle de l’Élysée, mais la voix par laquelle la France peut faire entendre ses valeurs au-delà de ses frontières ! Et la voix de la France n’est plus nécessairement celle du Président !

Revenons à notre règle des trois tiers. M. le secrétaire d’État ne m’en voudra pas de lui donner la voix de César, puisque je vais prendre celle de Marius.

César : « Je vais t’expliquer le picon citron curaçao. Tu mets d’abord un tiers de curaçao. Fais attention : un tout petit tiers » – c’est celui de l’opposition. « Bon. Maintenant, un tiers de citron, » pas trop important, c’est celui de la majorité, elle pourrait nous embêter de temps en temps – « Un peu plus gros. Bon. Enfin, un bon tiers de picon. Regarde la couleur. Regarde comme c’est joli. » – C’est celui du Gouvernement ! « – Et à la fin, un grand tiers d’eau. »

Marius : « Mais cela fait quatre tiers ! »

César : « Exactement. »

Marius : « Mais dans un verre, il n’y a que trois tiers ! »

César : « Mais, imbécile, ça dépend de la grosseur des tiers ! »

Marius : « Mais non, ça ne dépend pas ! »

César (triomphal) : « Alors explique-moi comment j’en ai mis quatre dans ce verre ! »

Marius : « Mais c’est de l’arithmétique ! »

Quand on ne sait plus quoi dire, on cherche à détourner la conversation ! (Rires et applaudissements sur plusieurs bancs) Finissons-en : le rôle du Président de la République n’est plus le même aujourd’hui qu’il y a une vingtaine d’années. Moi qui fus chargé de mission chez François Mitterrand, j’ai du mal à m’imaginer lire dans le Parisien : « RER : Mitterrand se fâche ». Dès lors qu’on lit « RER : Sarkozy se fâche », il est évident qu’il ne joue plus le rôle de Président de la République, mais celui de chef de gouvernement. Il en a le droit, mais son temps de parole doit être comptabilisé. On me dit qu’il représente aussi l’intérêt supérieur de la France. Soit, mais le CSA peut faire la part de ce qui relève de la représentation et de ce qui n’en relève pas.

Il n’est pas question de réduire la parole du Président, mais de reconnaître que ses interventions ne sont plus de la même nature qu’autrefois.

Vous nous dites souvent que nous sommes conservateurs, mais je dis non à l’immobilisme frileux ! « L’immobilisme est en marche et rien ne l’arrêtera dans le domaine de l’audiovisuel » disait l’un de vos prédécesseurs, Monsieur le ministre. La France mérite mieux. Au moment où vous nous invitez au compromis sur la réforme constitutionnelle, faites un beau geste : renoncez à l’immobilisme, et dites non au césarisme médiatique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. le Président – Merci de ce passage par la Canebière… (Sourires)

M. Arnaud Montebourg – Il n’est pas sûr que ce débat porte sur les vrais enjeux. Il ne s’agit pas, en effet, de discuter des pouvoirs du Président de la République – cela relève de la réforme des institutions. Si M. Sarkozy souhaite exercer ses fonctions comme il les exerce, c’est sa responsabilité politique : nous n’y pouvons rien, ni vous, Monsieur le ministre, ni le Premier ministre, réduit au rang de « collaborateur » – puisque c’est de son goût – ni nous.

En revanche, il faut tirer toutes les conséquences de cette évolution de la pratique. Cette proposition issue du comité Balladur unanime n’a pas pour objet de contraindre le Président de la République, mais de donner à l’opposition de justes et légitimes compensations. Nous ne débattons pas de Sarkozy, mais de l’insuffisance des moyens de l’opposition pour appliquer un principe qui a tout de même valeur constitutionnelle. Le problème, Monsieur le ministre, est que l’accroissement des droits du Parlement que vous nous proposez – qui est une avancée – se fera principalement au bénéfice de la majorité. Que faites-vous de l’opposition que vous pourriez devenir demain ? Nous avons donc déposé en commission des amendements destinés à renforcer ses droits dans les mêmes proportions que ceux de la majorité.

Vous avez déclaré ce matin à la presse, Madame la ministre, que nous voulions emprisonner la parole du Président. Il n’en est rien et, du reste, qui pourrait le faire ? Nous demandons simplement, dès lors que le Président de la République a une conception extensive de ses pouvoirs et de son expression, à avoir un droit de réplique. Ce n’est rien d’autre qu’une compensation. Nous l’avons demandée au Conseil d’État. Nous ne demandons pas – et Jean-Marc Ayrault m’a chargé de le dire à cette tribune – que le temps de parole du Président de la République soit comptabilisé lorsqu’il dit bonjour à Angela Merkel ou à la reine d’Angleterre ! Mais lorsqu’il intervient sur des questions qui font débat dans la nation, il est naturel que l’opposition parlementaire bénéficie d’une compensation. Les médias eux-mêmes le demandent, estimant que la démocratie y gagnerait.

François Hollande et Didier Mathus ont écrit au CSA, mais cet « excellent régulateur » – selon votre expression, Madame la ministre – s’est refusé à réguler, à nous demander de réfléchir ensemble à une adaptation des règles en vigueur. Vous nous objectez que nous n’avons pas fait valoir ces revendications lors de la campagne ; mais Jacques Chirac – que nous avons combattu, parfois durement – ne se livrait pas aux mêmes abus que l’actuel Président de la République ! L’organe de régulation devrait donc adapter sa doctrine à une situation nouvelle, comme il l’a fait au cours des années 1990-2000.

François Hollande et Didier Mathus ont donc saisi le Conseil d’État, qui leur a opposé une fin de non-recevoir. Ce n’est pas faire injure au CSA que d’attribuer son attitude à sa composition partisane, que nous aspirons du reste à corriger, bien que vos projets de réforme ne nous facilitent guère la tâche. À supposer même que le Conseil soit de bonne foi, comment se fait-il que le principal parti de l’opposition, par l’intermédiaire de son premier secrétaire, soit contraint d’aller devant les tribunaux pour espérer avoir droit à une expression médiatique démocratique ? Comment se fait-il qu’en démocratie, une telle question, qui aurait dû être traitée depuis longtemps, ne soit pas soumise à discussion ? Un battement de cils de votre part, et le Conseil d’État comme le CSA l’eût traitée ; mais vous vous y êtes résolument refusés, nous obligeant à en passer par un conflit juridique et par le dépôt d’une proposition de loi, s’agissant d’une proposition unanime du comité Balladur ! Vous parlez de confiance, de compromis historique : commençons par régler ce contentieux ! De même, lors d’un différend entre un salarié et son employeur, les parties procèdent-elles au retrait du recours et au règlement du problème qui le motivait avant de conclure un protocole d’accord.

Nous vous demandons donc, Monsieur le ministre, de résoudre ce problème avant que le projet de réforme institutionnelle ne soit soumis au Congrès, en chargeant le CSA de distinguer ce qui, lorsque le Président de la République s’exprime, relève de l’ordre gouvernemental de ce qui ressortit à son rôle d’arbitre et de représentant de la nation à l’étranger. À cet égard, nous sommes disposés à travailler à une rédaction satisfaisante. Mais il s’agit d’un point sensible, Monsieur le président (Sourires) – Monsieur le ministre, voulais-je dire ; vous transmettrez au Président ! (Rires sur les bancs du groupe UMP)

Madame la ministre, Monsieur le ministre, j’aimerais donc que vous nous répondiez précisément au nom du Gouvernement, et non du Président. Car il y va des droits de l’opposition – et non de ceux du Président, dont la liberté reste illimitée…

M. Marc Dolez – Hélas !

M. Arnaud Montebourg – …ce que nous regrettons mais n’entendons pas remettre ici en cause. Nous serons amenés à reparler de ce problème cet après-midi, lorsque nous passerons à l’examen des articles du projet de loi constitutionnelle. Vous prétendez bâtir un statut de l’opposition : commencez par régler le problème de l’audiovisuel ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

La discussion générale est close.

M. Patrick Bloche, rapporteur – Au cours du débat, deux interprétations du texte se sont fait jour ; l’une, strictement institutionnelle, souligne le risque de dérive inhérent à une proposition de loi qui remettrait en cause le rôle du chef de l’État ; l’autre, politique, justifie au contraire le dépôt et l’examen d’un texte qui engage la démocratie et le pluralisme, lequel a du reste valeur constitutionnelle.

Je remercie donc les orateurs du groupe SRC, ainsi que notre collègue du groupe GDR, d’avoir souligné que ce texte concourt à la préservation du pluralisme dans les médias. Ainsi M. Mathus a-t-il à juste titre rappelé que nous vivons dans une société médiatique et pointé, en citant le mot du Président de la République – « je suis un président qui gouverne » –, le problème que le texte se propose à cet égard de résoudre. De fait, comme l’a montré M. Françaix en s’appuyant sur de solides références littéraires (Sourires), la règle des trois tiers – certes remplacée, depuis 2000, par le principe de référence – est peu à peu devenue la règle des quatre tiers ! Mais, comme l’a bien dit M. Montebourg, ce n’est pas du Président qu’il s’agit, mais des droits de l’opposition, notamment parlementaire.

Je rappelle à M. Riester que le président Mitterrand, maintes fois cité en commission et ici même, a davantage servi le pluralisme dans les médias en libérant les ondes en 1981 que vous en lançant la TNT grâce à une loi votée avant 2002. Mon rapport en témoigne, qui détaille le temps de parole des Présidents successifs depuis 1989 – date à laquelle il a commencé d’être comptabilisé –, en cas de majorité présidentielle à l'Assemblée nationale comme lors des deux périodes de cohabitation. À ce propos, je renvoie Mme la ministre, qui s’inquiétait des conséquences pratiques de notre proposition en période de cohabitation, à l’alinéa 16 de son article unique. À titre d’exemple, alors que le temps de parole du président Mitterrand ne dépassait pas 3 à 6 % du 30 mars 1993 à la fin de l’année et 4 à 6 % pour l’année 1994, celui de l’actuel président dépasse 13 %, atteignant 15 % si l’on inclut ses collaborateurs et 25 % si l’on tient compte des seuls journaux télévisés sans y ajouter les magazines d’information et les émissions de divertissement.

D’autre part, vous avez fait valoir que le chef de l’État avait pour mission de s’exprimer au nom de la France, notamment à l’étranger ; mais nul ne conteste que le temps de parole du Premier ministre, lorsqu’il s’exprime dans des circonstances similaires, soit décompté au titre de celui du Gouvernement.

Il ne s’agit donc pas, contrairement à ce qu’affirmait M. Karoutchi, d’abaisser la fonction présidentielle…

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État  Mais si !

M. Patrick Bloche, rapporteur – …en contestant au chef de l’État son rôle de clef de voûte des institutions, mais simplement de tenir compte de son temps de parole politique, sans quoi l’opposition parlementaire ne saurait disposer du tiers que lui assure la loi – loin s’en faut. Si la proposition de loi est votée, la majorité parlementaire, le Gouvernement et le Président de la République continueront de disposer des deux tiers restants !

Enfin, le dépôt de cette proposition de loi n’est naturellement pas sans lien avec la réforme des institutions : comme la proposition de loi relative au mode d’élection des sénateurs, elle permet au groupe SRC non de répandre un « écran de fumée », mais d’apporter sa contribution au débat. En effet, dès lors que le CSA n’a pas répondu de manière satisfaisante à MM. Hollande et Mathus, c’est à la représentation nationale, cœur du pluralisme politique et de la démocratie, de modifier la loi afin de nous faire entrer dans le temps moderne démocratique (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

Mme Christine Albanel, ministre de la culture – À vous entendre, cette proposition de loi ne modifierait en rien le statut du Président de la République, mais se contenterait d’adapter la législation à une réalité nouvelle. Il n’en est rien : en décomptant le temps de parole du président avec celui du Gouvernement, on l’assimilerait à ce dernier (« Mais c’est ce qu’il fait lui-même ! » sur les bancs du groupe SRC) ; en le décomptant avec celui de l’opposition en période de cohabitation, on ferait du président le chef de l’opposition (Exclamations sur les bancs du groupe SRC)

Mme Valérie Rosso-Debord – Alors qu’il est le président de tous les Français !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture –…ce qui est contraire à l’esprit des institutions voulues par le général de Gaulle. La réforme que vous proposez est donc symboliquement significative (Même mouvement).

M. le Président – Laissez parler Mme la ministre.

Mme Christine Albanel, ministre de la culture – Quant au CSA, il s’agit d’une instance de régulation équilibrée et démocratique.

M. Arnaud Montebourg – Vous voulez dire « UMPisée » à 100 % !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture – Sa composition a naturellement varié, et a reflété en son temps les positions de l’actuelle opposition…

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État  Bien sûr !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture – …conformément aux règles du jeu démocratique.

M. Arnaud Montebourg – Nous n’avons pas confiance !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture – Quant à l’amélioration de la qualité du débat démocratique, elle viendra de la réforme institutionnelle ; il serait dommage que cet « écran de fumée », comme l’a dit M. Riester vous permette de refuser une réforme excellente pour notre pays et pour notre démocratie ! (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État  Je remercie M. Françaix d’avoir développé sa théorie de trois tiers en quatre tiers dans un verre d’eau, ou de picon, voire de curaçao. Toute allusion à la Canebière me touche, vous le savez…

M. Riester a tenu des propos fort justes. La gauche prétend que ce débat, au fond, ne concerne pas le Président de la République, mais les droits de l’opposition. Précisément ! Le Gouvernement et la majorité vous proposent ces jours-ci un texte qui offre un statut à l’opposition, des droits particuliers aux groupes minoritaires, un droit de regard sur les nominations. Le CSA ? Parlons-en : pour la première fois, l’opposition pourra contrôler la nomination de ses membres. C’est un pas que M. Mitterrand n’a jamais franchi ! Ne prétendez donc pas que les pouvoirs de l’opposition sont contraints. La révision constitutionnelle vous accordera de nombreux pouvoirs, y compris celui de contrôler la composition du CSA qui, soit dit en passant, n’est pas plus déséquilibrée qu’elle ne l’était il y a une vingtaine d’années. On ne peut tout de même pas exiger une réforme lorsqu’elle sert son propre camp et la refuser lorsqu’elle le dessert : c’est inacceptable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) !

Quant à la ligne A du RER, je vous rappelle qu’elle est fréquentée par plus d’un million d’usagers.

M. Arnaud Montebourg – Que fait le ministre des transports ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État  Il est juste que le chef de l’État se préoccupe de la vie des Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) J’ai le souvenir de François Mitterrand intervenant, par exemple, sur une grève dans les transports aériens ou encore sur le changement de statut d’Air Inter ou d’Air France.

Vous avez raison de ne pas vouloir modifier l’article 24 de la Constitution. De même, nous sommes d’accord qu’il faut préserver les articles 20 et 21, qui garantissent l’équilibre en cas de cohabitation. Or, la présente proposition va dans le sens contraire : que se passera-t-il en cas de cohabitation si les temps de parole du Président de la République et de la majorité sont assimilés ?

M. Arnaud Montebourg – L’exception en cas de cohabitation est prévue dans la proposition !

M. Michel Françaix – L’avez-vous seulement lue ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État  Enfin, une telle mesure affaiblira la fonction présidentielle. En vertu de l’article 5, le Président de la République est garant de l’intégrité nationale et de la continuité de la République. Il incarne la Nation. Nul ne peut le réduire à un camp ou à un clan ! C’est contraire au principe même de la Ve République (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président Nous en venons aux explications de vote.

M. Laurent Fabius – Nous avons très tôt souligné l’importance des affaires audiovisuelles dans le débat sur la révision constitutionnelle, tant elles sont devenues déterminantes dans notre démocratie. L’égalité démocratique est désormais indissociable de l’égalité audiovisuelle.

Ainsi, personne ne connaîtra la teneur du débat de ce matin si les médias n’en font pas les titres de leurs journaux ce midi et ce soir. C’est affligeant, mais c’est un fait : les débats et les décisions du Parlement n’existent que si elles sont relayées dans les médias (Murmures sur les bancs du groupe UMP). On ne saurait donc rééquilibrer les pouvoirs si le Président de la République reste hors champ. Une réforme moderne des institutions devra inclure les questions audiovisuelles.

J’ajoute que le problème de l’égalité audiovisuelle ne se limite pas au seul temps de parole. D’ailleurs, si celui du Président de la République n’est pas comptabilisé, il est néanmoins décompté par le CSA. Plusieurs orateurs ont rappelé – et c’est de bonne guerre – que les anciens présidents de la République n’ont jamais abordé la question. Soit, mais l’observation vaut dans de nombreux domaines. Le Gouvernement lui-même nous propose des nouveautés. Cessons donc de nous renvoyer de Gaulle et Mitterrand !

Ce que nous proposons, c’est ce qu’a proposé de Comité Balladur. Nul ne peut suspecter l’ancien Premier ministre de vouloir porter atteinte à l’éminence de la fonction présidentielle ! Il ne s’agit donc pas d’un débat droite-gauche.

Selon Mme la Ministre, comptabiliser le temps de parole du Président de la République affaiblirait sa fonction. Confusion ! Qui prétendra que l’imperium du Président de la République suppose qu’il s’exprime à tort et à travers ? D’autre part, M. Montebourg l’a rappelé, il ne s’agit pas de brider la parole du Président de la République, qui s’exprime quand il le souhaite. Nous voulons simplement faire en sorte que, sur des sujets politiques, la voix de l’opposition puisse également être entendue.

Autre objection soulevée par Mme la Ministre : comment faire la différence entre les interventions politiques du Président de la République et celles qu’il fait au titre de sa fonction, sur le plateau des Glières par exemple ? Chacun connaît suffisamment les méthodes de travail du CSA pour savoir que la différence est déjà prise en compte. Ainsi, la récente intervention du Président de la République sur toutes les chaînes de télévision, pendant près de deux heures, n’a porté que sur des thèmes politiques. La nécessaire comptabilisation de ce temps de parole ne pose aucune difficulté.

S’agissant des collaborateurs du Président, je rappelle que le CSA ne distingue pas leurs temps de parole.

Enfin, certains ont invoqué la liberté de la presse. Nombreux sont les journalistes qui souhaitent un cadre équilibré au sein duquel ils pourraient faire leurs choix. En laissant le Président de la République hors de ce cadre, vous ne facilitez pas leur travail.

Mme Valérie Rosso-Debord – L’argument est spécieux !

M. Laurent Fabius – Bref, le seul argument légitime que vous auriez pu opposer au passage à la discussion, vous l’avez ignoré. En effet, le CSA, saisi sur le sujet par MM. Hollande et Mathus, leur a répondu en octobre dernier qu’il était tenu, en l’état actuel de la Constitution, de respecter la jurisprudence du Conseil d’État, mais qu’en cas de révision constitutionnelle, sa position serait susceptible d’évoluer.

Si vous nous disiez que la question est d’ordre constitutionnel, nous en serions d’accord, mais en fait, vous refusez tout bonnement de l’examiner. Cela pose problème à ceux d’entre nous disposés à aborder le projet de réforme des institutions de façon ouverte. Favorables à un certain nombre d’avancées, nous estimons que le traitement de la question audiovisuelle – si décisive aujourd’hui – sera un élément propre à faire basculer notre vote (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

Plusieurs députés du groupe UMP – C’est du chantage !

M. Noël Mamère – On ne peut plus parler d’égalité entre la puissance publique et la puissance audiovisuelle, mais de capillarité. Soumise à la tyrannie de l’émotion imposée par le traitement des faits divers, la représentation nationale légifère sur les peines plancher, la récidive, les chiens dangereux. Le législateur se trouve guidé par les médias, alors qu’il devrait garder la main et la maîtrise de sa plume. Il y a là un malaise et une anomalie démocratique.

M. Christian Vanneste – Tout à fait.

M. Noël Mamère – Le Président de la République active les médias selon son bon plaisir et peut s’y exprimer autant qu’il le veut, d’autant qu’ils sont détenus par ses amis. Comme l’a démontré Mme Fraysse, les chaînes télévisées – que les Français regardent entre trois heures et demie et quatre heures par jour – appartiennent à des groupes industriels dépendant des commandes de l’État : Bouygues, Lagardère, Bolloré, Vivendi.

Lorsque j’étais journaliste (« Ah… » sur les bancs du groupe UMP), il était difficile pour mes collègues de TF1 de réaliser des reportages sur le Maroc d’Hassan II, où Bouygues construisait un nombre important de mosquées, d’universités et de routes. Ces mêmes groupes sont aussi propriétaires de magazines et de quotidiens et ont pour autre activité le commerce des armes (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. Lionel Tardy – Ça n’a rien à voir !

M. Noël Mamère – Couvrir l’actualité en toute indépendance est devenu difficile, quels que soient les efforts déployés par les journalistes.

M. Frédéric Lefebvre – Cessez d’insulter les journalistes !

M. Noël Mamère – Je regrette que le projet de loi audiovisuelle soit resté au milieu du gué sous la mandature de Lionel Jospin. Je regrette que la Gauche n’ait pas accepté notre proposition de supprimer la publicité sur le service public. J’entends déjà la majorité clamer qu’elle l’a fait.

Nous proposions que la redevance soit augmentée en parallèle et qu’une partie des recettes publicitaires des chaînes privées soit consacrée au service public. Au lieu de quoi ce coup politique, qui impose à la hâte et à la hache la suppression de la publicité sur le service public, va déséquilibrer un peu plus un paysage audiovisuel où TF1 détient déjà 45 % des parts de publicité. D’aucuns en viennent à penser en leur for intérieur qu’une privatisation de France 2 serait la bonne solution.

M. Christian Vanneste – Excellente idée (Sourires) !

M. Noël Mamère – Avec Sarkozy, ce n’est pas « tout est en ordre », mais « tout est aux ordres ».

Mme Valérie Rosso-Debord – Hors sujet !

M. Noël Mamère – Enfin, comment parler des médias sans aborder la question de la protection des sources. Le projet de loi présenté par la Garde des sceaux est une autre illustration du double langage du Gouvernement : nous savons désormais, après la première lecture, que la protection des sources n’est pas assurée. Et les attaques incessantes de la ministre de la culture et du porte-parole du Gouvernement contre l’AFP, au moment même où est discuté son statut, ne laissent pas de nous inquiéter (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. Christian Vanneste – Il faut privatiser l’AFP !

M. Noël Mamère – Vos beuglements ne m’empêcheront pas de continuer. Nous sommes constructifs sur la réforme des institutions, mais nous ne pouvons pas accepter vos petits ajustements qui illustrent ce qu’écrivait Lampedusa dans le Guépard, « Tout changer surtout pour ne rien changer » (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC).

M. le Président – Sur le passage à la discussion de l’article unique, je suis saisi par le groupe SRC d’une demande de scrutin public. La parole est à M. Lefebvre.

M. Jean Launay – La voix de son maître !

M. Frédéric Lefebvre – Il faut s’y habituer : quand la Gauche critique le traitement de l’information, elle défend les libertés, quand c’est l’UMP, elle fait pression sur les médias. Vous nous expliquez que la presse est vendue au pouvoir. Voulez-vous dire par là que les journalistes ne sont pas indépendants et font mal leur travail ?

M. Michel Françaix – Ce n’est pas ce que l’on a dit !

M. Frédéric Lefebvre – J’imagine que les sociétés de journalistes et les syndicats vont dénoncer ces attaques et appeler à la grève ! À moins que tout cela ne soit qu’un rideau de fumée et que l’objectif du groupe SRC soit de trouver une raison supplémentaire d’entrouvrir la porte des discussions sur la réforme institutionnelle, pour mieux la claquer ensuite.

Monsieur Fabius, quel Premier ministre n’a jamais jugé utile d’imposer une telle règle à François Mitterrand ? Mais il vous paraît normal d’en inventer une nouvelle pour Nicolas Sarkozy. Quel président de l'Assemblée nationale n’a jamais jugé utile de laisser à l’opposition la présidence de la commission des finances (Protestations sur les bancs du groupe SRC ; quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Qui défend ici le pluralisme ?

Si M. Fabius et ses amis veulent faire avancer la démocratie et les pouvoirs du Parlement, ils ont une occasion de le faire lors de l’examen du projet de révision constitutionnelle. Mais de grâce, évitez vos attaques incessantes à l’encontre des groupes de presse et du CSA (Protestations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

Plusieurs députés du groupe SRC – Vous n’étiez pas là pour les entendre !

M. Frédéric Lefebvre – L’UMP est bien décidée à tendre la main, comme elle le fait depuis des mois, sur la question des institutions, du pluralisme et du statut de l’opposition. Mais je vous en prie, arrêtez l’intoxication et la caricature.

Nous défendons tous l’impartialité de la presse, l’objectivité et le pluralisme. Les attaques et les critiques qu’on entend montrent au moins que nous sommes dans un pays où la presse est libre. J’ai eu un débat avec des intellectuels qui affirmaient il y a quelques mois que la presse ne pouvait pas faire son travail, et il me semble que tout ce qui se passe depuis un an prouve qu’elle le fait. Pour leur part, les parlementaires ont à débattre de l’avenir de nos institutions et de la démocratie. Nous devons être à la hauteur de cet enjeu. C’est pour cela que nous ne voulons pas d’un rideau de fumée et que nous voterons contre la discussion de cette proposition (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président – La commission n’ayant pas présenté de conclusions, l’Assemblée, conformément à l’article 94-3 du Règlement, est appelée à statuer sur le passage à la discussion de l’article unique du texte. Je rappelle que le vote est personnel.

À la majorité de 111 voix contre 57 sur 168 votants et 168 suffrages exprimés, l’Assemblée décide de ne pas passer à la discussion des articles.

En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.

Prochaine séance cet après-midi à quinze heures.

La séance est levée à 11 h 30.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Le compte rendu analytique des questions au Gouvernement
est également disponible, sur Internet et sous la forme d’un fascicule spécial,
dès dix-huit heures

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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