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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du jeudi 22 mai 2008

2ème séance
Séance de 15 heures
165ème séance de la session
Présidence de M. Bernard Accoyer

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La séance est ouverte à quinze heures.

MODERNISATION DES INSTITUTIONS DE LA Ve RÉPUBLIQUE - SUITE

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Cinquième République.

M. le Président – J’appelle dans le texte du Gouvernement les articles du projet de loi constitutionnelle.

AVANT L'ARTICLE PREMIER

M. Jean-Claude Sandrier – Pour nous, l’enjeu n’est pas de donner une chance à la réforme, mais de donner une chance à la démocratie, ainsi que davantage de pouvoir à nos concitoyens. Dans une société qui respecterait les droits fondamentaux, il n’y aurait pas lieu d’insister sur leur opposabilité. Malheureusement, il en va tout autrement, tant cette majorité, comme celles qui l’on précédée, porte atteinte aux droits fondamentaux. On le voit en ce moment dans l’Éducation nationale, où la remise en cause de la carte scolaire et la suppression de 11 200 postes à la rentrée 2008 bafouent le principe d’égalité d’accès à l’éducation. Il en va de même pour le droit de grève, l’accès à la santé, au service public, au logement… Votre pratique piétine les droits que vous ne cessez d’invoquez dans ce débat. Face à cette dérive libérale, des garde-fous sont indispensables afin que les citoyens puissent revendiquer leurs droits : droit à l’emploi, à la formation, à la santé, à l’éducation, au logement, à l’énergie. L’amendement 371 vise à inscrire dans la Constitution l’opposabilité des droits fondamentaux.

M. Jean-Luc Warsmann, président et rapporteur de la commission des lois – Avis défavorable.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice Même avis. Les droits fondamentaux étant par définition opposables, il n’y a pas lieu d’introduire cette précision dans la Constitution. Par ailleurs, vous n’êtes pas sans savoir qu’un comité présidé par Mme Veil mène actuellement une réflexion sur ces droits.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Madame la garde des sceaux, puisque vous évoquez ce travail de réécriture du Préambule, je souhaiterais vous interroger sur la méthode du Gouvernement. Jusqu’à présent, le constituant a procédé par compilation du droit existant, avec l’intégration, tout d’abord, de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, puis du Préambule de 1946. Cette façon de procéder enracinait la Constitution dans une généalogie historique.

Nous voudrions comprendre les raisons pour lesquelles vous avez décidé de mener concomitamment une réforme constitutionnelle et ce travail sur le Préambule. La qualité des membres siégeant dans le comité Veil n’est pas en cause, mais cette méthode ne risque-t-elle pas de déboucher sur des contradictions, ou à tout le moins d’aboutir à ce que certains principes qui figureront dans le nouveau Préambule ne trouvent pas leur traduction dans le corps de la Constitution ?

M. Marc Dolez – Très bien !

M. Arnaud Montebourg – Rappel au Règlement. Depuis nos débats en commission, nous posons la question de l’articulation – qui nous paraît mystérieuse – entre la réforme du Préambule et celle du corps de la Constitution. Pourquoi faut-il que le Congrès soit convoqué deux fois ? Pourquoi ne débattons-nous pas une fois pour toutes d’une révision complète ? Qu’y a-t-il dans l’esprit de ceux qui ont choisi cette méthode ? Dans le présent débat, le nombre des amendements de notre groupe n’excède pas 70 sur les 500 en discussion : nous ne cherchons pas à gagner du temps. Nous posons des questions et nous vous demandons de nous éclairer sur votre démarche.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Nous discutons aujourd’hui de la répartition des pouvoirs. Le comité Veil réfléchit à la définition et au contenu des droits fondamentaux du Préambule, une question que n’a pas traitée le comité Balladur. Ce sont deux exercices différents.

M. Bruno Le Roux – Les deux sont liés ! Il n’y a qu’une Constitution.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Le comité Veil examine notamment s’il y a lieu d’inscrire de nouveaux principes dans le Préambule. Il devrait achever ses travaux d’ici à la fin de l’année.

M. Arnaud Montebourg – Nous devrons donc nous réunir de nouveau en Congrès !

L'amendement 371, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Noël Mamère – L’amendement 273 vise à inscrire la reconnaissance des langues régionales dans la Constitution. Je sais qu’une partie de la majorité y est favorable, et plus personne ne prétend qu’il s’agirait ainsi de démanteler l’unité de la France ou de contester que le français soit la langue du pays. Nos langues régionales doivent être protégées, et il est important pour cela de veiller à ce que le Conseil constitutionnel n’oppose plus la Constitution à l’application en France de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Les Verts réclament depuis toujours l’application de cette Charte en droit français.

Sans favoriser le communautarisme, il faut reconnaître que notre pays se nourrit de la diversité de ses cultures, y compris celles qui viennent de l’autre côté de la Méditerranée, et de la diversité de ses langues. Afin de suivre l’exemple de nombreux pays européens dont la construction politique et administrative est beaucoup moins jacobine que la nôtre, il faut assurer la reconnaissance constitutionnelle des langues régionales.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Avis défavorable. Je présenterai tout à l’heure un amendement 605 sur ce sujet.

L'amendement 273, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean Jacques Urvoas – Il y a dans notre loi fondamentale un vocable contraire à notre tradition constitutionnelle : celui de race. Ce mot a été introduit en 1946, à la demande de deux parlementaires insoupçonnables, Pierre Cot et Paul Ramadier, dans un contexte bien particulier.

Aux termes du préambule de la Constitution de 1946, « au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d'asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ».

Le professeur Carcassonne estime que cette formule dénie toute portée au terme de « race », mais le mot figure dans notre Constitution, ce qui nous semble politiquement et juridiquement dangereux. C’est pourquoi l’amendement 275 tend à supprimer la mention de « race » de l’article premier de la Constitution, en conservant la notion d’origine, afin de ne pas priver de fondement juridique la lutte contre le racisme.

M. Jean-Claude Sandrier – L’amendement 372 a le même objet. Notre groupe avait déposé d’ailleurs, sous la précédente législature, une proposition de loi tendant à supprimer le mot « race » de notre ordre juridique.

C'est le décret dit Marchandeau du 21 avril 1939 qui a introduit pour la première fois la notion de « race » dans notre droit. Ce texte réprimait la diffamation commise par voie de presse envers « un groupe de personnes appartenant par leur origine à une race ou à une religion déterminée ». L’usage de Vichy a ensuite consacré l’usage de ce terme dans les lois tristement célèbres du 3 octobre 1940 et du 2 juin 1941, qui établissaient des règles vexatoires et discriminatoires en raison de l'appartenance à la « race » juive.

À partir de 1945, un grand nombre de textes sont enfin venus proscrire les discriminations fondées sur la « race ». En conservant cette catégorie, le législateur a implicitement reconnu l’existence des « races » malgré son refus solennel des discriminations. Il convient de mettre fin à cette incohérence en supprimant une catégorie juridique parfois instrumentalisée par certaines doctrines politiques.

M. Noël Mamère – J’espère que nous supprimerons unanimement ce concept dépassé : il n’existe pas de races humaines, et je vous recommande les ouvrages d’Albert Jacquard à ce sujet.

L’amendement 305 tend à inscrire dans le corps même de notre Constitution la lutte contre toutes les formes de discrimination. J’espère que vous ne nous renverrez pas aux travaux en cours de la commission présidée par Mme Simone Veil. Les « faits divers », si vous me permettez cet euphémisme, démontrent la persistance des discriminations en fonction de la couleur de peau, de l’origine, de la race, de la langue ou de l’orientation sexuelle.

J’ajoute que le texte qui nous est présenté reconduit certaines discriminations présentes dans notre Constitution : pourquoi admettre que certains étrangers jouissent du droit de vote parce qu’ils sont citoyens européens, tandis que les autres étrangers n’ont pas ce droit ? C’est une discrimination. Nous sommes un grand pays qui prétend exporter les vertus de la démocratie dans le monde entier : éliminons toutes les formes de discrimination de notre loi fondamentale.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Le 13 mars 2003, le groupe GDR avait présenté en effet une proposition de loi dont l’objet était similaire. Nous l’avons repoussée pour des raisons que nous estimons toujours valables.

Le terme de « race » est nécessaire pour l’incrimination des actes racistes. La rédaction de l’article premier de la Constitution vise précisément à dénier toute distinction qui serait fondée sur une prétendue race. L’exposé sommaire de l’amendement 275 fait référence à une citation incomplète de Guy Carcassonne. Ce dernier observait en effet que ce n’est que parce qu’il s’inscrit dans une phrase qui a justement pour objet de lui dénuer toute portée que le mot « race » peut figurer dans la Constitution.

Du reste, cette modification de l’article premier n’aurait pas pour effet de supprimer le terme du reste de notre droit : il figure dans le préambule de la Constitution de 1946 et dans de très nombreux instruments internationaux, notamment l’article premier de la Charte des Nations unies, l’article 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 3 de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, le préambule de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discriminations raciales, l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l’article 10 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne tel qu’il résulte du traité de Lisbonne, ou encore l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de 2001.

Pour toutes ces raisons, la commission est défavorable aux amendements 275 et 372. Même avis sur l’amendement 305, pour la raison que le principe d’égalité est l’un des plus protégés par notre droit. C’est d’ailleurs en s’appuyant sur lui que le Conseil constitutionnel a étendu le bloc de constitutionnalité dans sa décision du 27 décembre 1973. Je ne vois pas l’intérêt de l’expliciter en dressant la liste des discriminations : c’est à la loi de le faire, et l’on courrait en outre le risque de faire un oubli. Restons-en donc au principe d’égalité tel qu’il figure dans notre Constitution.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux  S’agissant des amendements 275 et 372, je comprends bien la volonté de supprimer le terme de « race », mais il est mentionné à dix-sept reprises dans notre code pénal. C’est un élément d’aggravation des infractions : en le supprimant, on risque donc d’atténuer la portée des poursuites.

Quant à l’amendement 305, le principe d’égalité figure à l’article premier de la Constitution, mais aussi dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ce qui rend toute forme de discrimination inconstitutionnelle. Le mieux est souvent l’ennemi du bien : en établissant une liste, on risquerait d’oublier certaines discriminations. J’ajoute que les incriminations citées par M. Mamère figurent déjà dans le code pénal et qu’elles peuvent être complétées par la jurisprudence. Ne touchons pas à la Constitution sur ce point.

M. Jean-Christophe Lagarde – Ce n’est pas la première fois que cette question vient en débat dans l’hémicycle, et l’on nous répond toujours que ce terme figure ailleurs dans la loi. Chacun reconnaît qu’il n’y a pas de races différentes au sein de l’espèce humaine.

MM. Jean-Pierre Brard et Patrick Braouezec – Très bien !

M. Jean-Christophe Lagarde – Et pourtant, notre droit laisse entendre le contraire, certains s’appuyant même sur ces formulations juridiques pour défendre des théories absurdes, que nous devons combattre.

M. Jean-Pierre Brard – Le discours de Dakar !

M. Jean-Christophe Lagarde – Au lieu de modifier 17 fois le code pénal, je propose que la commission des lois, en concertation avec le ministère de la justice, propose un ajout, que vous venez d’ailleurs de faire au début de votre réponse, Monsieur le rapporteur : que l’on parle de « prétendues races ». Nous reconnaîtrons ainsi qu’il n’y a pas de races humaines différentes. Ce sera une arme supplémentaire pour combattre le racisme.

M. François Bayrou – Je suis favorable aux amendements 275 et 372. Le mot « race » fait partie de ces mots dont la signification et les connotations ont évolué. Il fut un temps où il n’avait rien de péjoratif : ainsi disait-on couramment, en Béarn, que « le Béarnais est une race fière » – et l’on avait raison (Sourires).

M. Patrick Braouezec – Le Breton est une race têtue !

M. François Bayrou – Il s’agissait alors de caractériser, en quelque sorte, l’identité morale d’un groupe. Mais depuis les horreurs commises pendant la deuxième guerre mondiale, la référence à la « race » est devenue une blessure, car l’acception nouvelle de ce terme est celle d’une stigmatisation. On devrait donc prendre garde, Monsieur le Rapporteur, Madame la garde des sceaux, à ce qu’a de troublant la rédaction de l’article premier de la Constitution, qui distingue « origine » et « race », laissant ainsi entendre que l’on pourrait être de la même origine mais pas de la même race. Ce dont il s’agit ici est sans lien avec les occurrences du mot « race » dans notre droit pénal, et il est très important de voter ces amendements. Ce serait un message bienvenu à l’endroit de ceux de nos concitoyens qui, trop souvent, ressentent le regard porté sur eux comme discriminant.

M. le Président – Je suis saisi par le groupe SRC d’une demande de scrutin public sur les amendements identiques 275 et 372.

Le sujet abordé étant celui qu’il est, je laisse le débat se prolonger un peu mais je serai ensuite conduit, pour assurer le bon déroulement de nos travaux, à faire respecter plus strictement notre Règlement. Il prévoit, vous le savez, qu’une fois l’amendement présenté par son auteur, la parole n’est donnée qu’à un orateur contre.

M. Charles de Courson – Je ne connais aucun raciste dans cet hémicycle ; je trouve donc dommage que ce débat ait lieu. Il serait infiniment préférable, comme cela a été suggéré, de reprendre le terme du code pénal – « prétendue race » – et de retirer ces amendements car, s’ils ne sont pas adoptés, les racistes tireront argument de ce rejet.

M. Pierre Lellouche – La question est de première importance et, comme nous tous, je suis très sensible à ces amendements de l’opposition, dont j’approuve l’esprit sans réserves. Dois-je rappeler qu’il y a un peu plus de soixante ans, le gouvernement de l’époque organisait à quelques pas d’ici une exposition publique destinée à expliquer ce qu’était « la race juive », à grands renforts de diagrammes détaillant la taille des mentons ou la forme des tempes ? Mais en ma qualité d’auteur de la proposition visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe que le Parlement, unanime, a adopté en février 2003, je me dois de souligner que la suppression du terme de race ne supprime malheureusement pas le racisme. C’est ce qui me conduit à approuver Mme la garde des sceaux. Toilettons le code pénal, utilisons le terme « prétendue race » à chaque fois qu’y apparaît le mot « race » et maintenons les sanctions à l’encontre des infractions racistes. Tout en étant parfaitement d’accord avec vous, je considère que la sagesse commande de repousser ces amendements (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean Jacques Urvoas – D’évidence, la suppression du mot « race » à l’article premier de la Constitution ne supprimera pas le racisme mais elle aura une forte dimension symbolique – et puisque la Convention européenne des droits de l’homme figure dans notre arsenal juridique, biffer ce terme qui a une connotation ignominieuse ne nous laissera pas sans arsenal répressif. Aucune mention laissant entendre en creux qu’il y aurait des races distinctes ne doit subsister dans notre Constitution (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Jean-Pierre Brard – Que les opinions convergent sur tous les bancs devrait faire réfléchir. Le concept de « race » n’est ni scientifique ni philosophique, il est idéologique – rappelons-nous, bien avant le nazisme, les élucubrations de Gobineau. On ne peut à la fois dire que cette notion est ignominieuse et ne rien faire au moment où l’on s’apprête à réviser la Constitution. Si nous ne la modifions pas maintenant sur ce point, on nous dira ensuite en invoquant la constitution, que le code pénal ne peut être modifié.

M. Patrick Braouezec – Commençons par la Constitution, le code pénal viendra ensuite.

M. Jean-Pierre Brard – Les arguments avancés ne sont qu’arguties et renoncement. Puisque MM. Bayrou, Lagarde, Lellouche et bien d’autres sont sur la même ligne que nos collègues socialistes et que nous-mêmes, le Gouvernement devrait brancher son Sonotone.

À la majorité de 100 voix contre 47 sur 151 votants et 147 suffrages exprimés, les amendements 275 et 372 ne sont pas adoptés.

L'amendement 305, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Christophe Lagarde – Par l’amendement 243, je propose d’écrire dans la Constitution que « la France a pour vocation à faire devenir citoyens français, si elle le désire, toute personne qu’elle accueille régulièrement sur son territoire et qui souhaite s’y installer ». Il y a deux ans déjà, lors du débat sur l’immigration, je suggérais que tout ressortissant étranger, dès lors qu’il est en situation régulière depuis dix ans, se voie proposer la nationalité française, et avec elle le partage des valeurs républicaines.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur Je comprends l’esprit de cette proposition mais la commission a exprimé un avis nettement défavorable à l’amendement, parce qu’il donne l’impression que la naturalisation pourrait être de droit alors qu’il doit s’agir d’une démarche volontaire.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux – Tel que rédigé, cet amendement reviendrait à accorder automatiquement la nationalité française à tout étranger séjournant de manière régulière sur notre territoire. Or il est normal que soient posées certaines conditions pour l’accès à la nationalité et que la démarche soit volontaire. Chacun connaît les dégâts occasionnés en matière d’intégration par l’acquisition automatique de la nationalité. Nous travaillons actuellement sur ces questions de nationalité et de citoyenneté. Avis défavorable.

M. Jacques Domergue – Un tel amendement serait extrêmement dangereux. Imaginez le nombre de recours qui seraient intentés devant le Conseil constitutionnel par des personnes en attente de leur naturalisation, puisqu’elles pourraient prétendre y avoir automatiquement droit !

M. Patrick Braouezec – Madame la Garde des sceaux, vous interprétez l’amendement de M. Lagarde. Celui-ci ne dit pas que tout ressortissant étranger séjournant de manière régulière sur notre territoire peut automatiquement devenir Français mais que la France, notre nation, a vocation à faire devenir citoyen français toute personne étrangère qui y séjourne de façon régulière et le désire. Cet amendement constituerait un signe pour les nombreux étrangers en attente d’acquisition de la nationalité française. Ce serait une excellente chose que la Constitution mentionne cette volonté de la nation.

L'amendement 243, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Brard – Le régime actuel traverse une crise politique sans précédent, avec ce paradoxe extraordinaire d’un Président de la République élu au suffrage universel, à la différence de ses homologues allemand ou italien qui bénéficient pourtant, eux, d’une indéniable autorité morale, alors que, lui, n’en a aucune ! Jamais les Français ne se sont sentis aussi mal représentés par leurs assemblées parlementaires. J’en veux pour preuve le traité constitutionnel européen qu’en toute obéissance, vous avez voté avant d’être désavoués par le peuple.

Ce texte est surtout remarquable par ses lacunes. Les combler aurait peut-être permis d’atténuer la crise actuelle. Mais tel n’est pas votre projet. Il n’y a rien par exemple sur la proportionnelle – vous qui aimez tant à citer les exemples étrangers quand vous préparez un coup tordu, vous auriez pu en l’espèce vous inspirer de l’Allemagne avec sa proportionnelle, son non-cumul des mandats ou bien encore son statut de l’élu.

En attendant, il nous semble impératif de développer la démocratie participative, la vraie, l’authentique, qui permet des formes nouvelles de participation politique des citoyens et qui, loin de s’opposer à la démocratie représentative, lui est complémentaire. Le Premier ministre a dit hier que la politique ne devait pas se faire dans la rue ou sur les forums interactifs. Mais force est de constater que de nouveaux outils de communication et d’expression citoyenne se sont fait jour, et il faut s’en féliciter. Nos concitoyens ne veulent plus être de simples spectateurs, ils veulent être associés aux choix et reprendre la main sous différentes formes, à commencer par l’élaboration de budgets participatifs. La démocratie participative est aujourd’hui un complément indispensable de la démocratie représentative – qui l’est, hélas, de moins en moins. Elle peut apporter un souffle d’air frais à notre vie politique. Tel est l’objet de notre amendement 370.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Défavorable. En effet, il faudrait commencer par définir précisément la démocratie participative. M. Brard nous a parlé de la « vraie », de « l’authentique ». Est-ce à dire qu’il y en a d’autres ? Le meilleur mode d’expression démocratique, c’est le suffrage universel. Pour le reste, je crois savoir que le Gouvernement s’apprête à donner un avis favorable à une nouvelle forme d’expression citoyenne avec le référendum d’initiative populaire (« Très bien ! » sur de nombreux bancs du groupe UMP).

Mme Rachida Dati, garde des sceaux – Je le confirme. De nouveaux droits sont par ailleurs reconnus aux citoyens comme le droit de pétition devant le Conseil économique et social. Avis défavorable donc.

M. Christian Vanneste – Monsieur Brard, j’ai beaucoup moins apprécié votre dernière intervention que la précédente. Je trouve choquant qu’un parlementaire, symbole même de la démocratie représentative, la dénonce, expliquant même qu’elle serait en pleine décadence, ce qui est totalement faux puisque nous sommes précisément ici réunis pour donner plus de poids au Parlement. Il serait extrêmement dangereux que des comités Théodule de citoyens remplacent les voies de la démocratie représentative. À force de prétendre que la démocratie ne peut s’exercer au niveau de la nation tout entière – à laquelle vous semblez préférer le quartier –, vous risquez de produire, comme dans le monde d’Orwell, des citoyens « plus égaux que d’autres ». Et on le sait, les tenants de ces thèses sont précisément ceux qui veulent s’affranchir de la véritable démocratie, celle dont nous sommes les représentants.

Nous aurons l’occasion d’y revenir, le référendum d’initiative populaire constitue une bonne solution. S’il faut renforcer la démocratie directe, c’est au niveau national qu’il faut le faire (« Très bien ! » sur de nombreux bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Brard – Nous sommes rassurés. M. Warsmann et Mme Dati sont d’accord : l’ordre règne de nouveau !

Monsieur Vanneste, vous parlez de légitimité. Mais 80 % des parlementaires ont voté le traité constitutionnel, que les Français ont rejeté ! Pour moi, ce n’est pas fromage ou dessert, mais fromage et dessert, démocratie représentative et démocratie participative.

Pour le reste, dois-je faire référence à l’histoire pour vous rappeler la nécessité d’avoir parfois des contrepoids au Parlement ? Souvenez-vous du vote intervenu en 1940 (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). M. de Courson m’approuve, lui qui eut un aïeul patriote dans ces conditions difficiles (M. de Courson fait un geste de dénégation). Souvenez-vous qu’il y eut dans notre histoire des parlementaires félons et, fort heureusement, des personnes qui, comme le général de Gaulle (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) ne tinrent pas compte du vote des parlementaires. Vous feriez mieux de vous inspirer de ce magnifique exemple plutôt que de le trahir.

L'amendement 370, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Joël Giraud – Les radicaux de gauche souhaitent saisir l’opportunité de cette réforme constitutionnelle pour réaffirmer leur attachement à la République et à certains principes républicains. Il ne s’agit pas de conservatisme puisque nous sommes convaincus que, tout en conservant certains principes fondamentaux, nous pouvons réformer en profondeur nos institutions. Nous sommes ainsi intransigeants sur le respect du principe de laïcité. Celui-ci se suffit à lui-même et point n’est besoin de lui adjoindre, comme trop souvent, un cortège de qualificatifs – on parle ainsi de laïcité « plurielle », « ouverte », « positive ». Nous proposons, par notre amendement 115, de rappeler utilement où ce principe, plus que jamais d’actualité, prend ses sources, à savoir dans la loi du 9 décembre 1905. Ce rappel n’est pas inutile au moment où peuvent se produire certains dérapages, comme le 4 mai dernier dans mon département, où le secrétaire d’État à l’aménagement du territoire, M. Falco, est venu en déplacement très officiel pour une cérémonie religieuse de reconnaissance de miracle.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – J’espère que le secrétaire d’État à l’aménagement du territoire se déplacera prochainement dans mon département pour y faire aussi des miracles (Sourires)

Avis défavorable, non que nous soyons hostiles au principe de laïcité bien sûr, mais parce que l’amendement est déjà satisfait par l’article premier de notre Constitution qui dispose que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Il existe par ailleurs une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel réaffirmant le principe de laïcité.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux – Comme vous, Monsieur le député, nous sommes très attachés au principe de laïcité mais celui-ci figure déjà dans notre Constitution. Il serait par ailleurs difficile de faire référence dans la loi fondamentale à une loi ordinaire, par définition contingente. Je vous invite donc à retirer cet amendement, sinon le Gouvernement y sera défavorable.

M. Joël Giraud – Je le maintiens.

M. Philippe Folliot – La Constitution ne saurait se référer à une loi, de surcroît plusieurs fois modifiée. À elle seule, cette raison de forme justifie le rejet de cet amendement.

M. Noël Mamère – Nous sommes pour notre part favorables à cet amendement, ne serait-ce qu’eu égard à sa valeur symbolique. Depuis plusieurs années, en sa qualité de ministre de l’intérieur puis de Président de la République, Nicolas Sarkozy tend à « confessionnaliser » les rapports sociaux. Ne l’a-t-on pas entendu expliquer ex cathedra que le prêtre et le pasteur comptaient plus que l’instituteur ? (Murmures) Sa conception de la laïcité est donc, pour le moins, à géométrie variable ! Pis, lorsqu’il était place Beauvau, ne l’a-t-on pas vu, à l’occasion d’incidents à caractère antisémite survenus dans une banlieue, renvoyer le règlement du problème à l’imam et au rabbin ? Lorsqu’un ministre de l’intérieur renvoie le traitement de problèmes sociaux à des autorités religieuses, la nécessité de réaffirmer le principe de laïcité ne prête pas à discussion.

M. Jean-Pierre Brard – Depuis, il a même embauché la mère supérieure Emmanuelle Mignon ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

L'amendement 115, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Sylvia Pinel – Puisqu’il semble que le Gouvernement a un problème avec la loi de 1905, nous proposons, par l’amendement 116, de réaffirmer et de préciser le caractère laïc de notre République, auquel les députés radicaux de gauche sont très attachés.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur Défavorable, pour les mêmes raisons que pour l’amendement précédent.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux – Même avis.

M. Arnaud Montebourg – Cette fois, M. Folliot ne pourra pas reprocher à nos collègues radicaux de gauche de vouloir constitutionnaliser une loi. Ce qui compte, c’est de reconnaître que la séparation de l’église et de l’État telle que la consacre la loi de 1905 est un pilier de notre République. Nous sommes donc d’autant plus favorables à cet amendement que l’expression du Président de la République a heurté les Français, qu’ils soient croyants ou non, militants laïques ou non. Exalter la supériorité de la spiritualité, y compris pour régler des problèmes de société, c’est orchestrer une intrusion très préoccupante du religieux dans la sphère publique. Dieu merci (Sourires), la République française est et restera laïque, mais il est utile de dire comment. C’est pourquoi nous vous prions d’adopter cet amendement (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Christian Vanneste – La vérité, c’est que cet amendement est redondant et qu’il entretient une confusion très courante. La laïcité, cela consiste à affirmer que la République respecte toutes les croyances et toutes les religions, pas à tenir un discours anti-religieux. Il faut aborder la diversité des croyances dans un esprit de tolérance…

M. Jean-Marie Le Guen – M. Vanneste qui donne des leçons de tolérance ! On aura tout entendu !

M. Christian Vanneste – Mais oui, et j’aurai l’occasion de le faire encore. Si nous sommes opposés à toute référence au mot « race », c’est parce que le concept de race ne repose sur aucune réalité. Mais la diversité religieuse existe, et la spiritualité, fût-elle laïque, mérite d’être respectée. Ne ressuscitez pas le petit père Combes !

M. Marc Le Fur – Très bien !

M. Jean-Christophe Lagarde – Je suis surpris par la défense de cet amendement. Pourquoi limiter votre démarche à la laïcité ? À suivre votre argumentation, il faudrait aussi réaffirmer que la France permet l’application des principes fondamentaux d’indivisibilité et de démocratie sociale. À l’évidence, votre amendement n’a aucune portée normative et, puisque M. Mamère a reconnu qu’il visait en priorité M. Sarkozy, soyez sûrs que son adoption de modifierait en rien l’expression du Président de la République !

L'amendement 116, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Noël Mamère – Face au refus d’inscrire toute référence à la Charte européenne des langues régionales et minoritaires dans notre Constitution, notre amendement 304 vise à compléter le premier alinéa de l’article 2 de la norme suprême par la mention suivante : « Les langues régionales de France sont également reconnues par la République. » L’on sortirait ainsi du statut de simple tolérance de ces langues pour arriver à une reconnaissance a minima. Ce ne serait certes qu’un petit progrès, mais il serait d’autant mieux venu que les aides aux écoles dispensant les enseignements afférents sont très faibles, cependant que des études montrent que l’apprentissage précoce d’une langue régionale aide à bien maîtriser le français.

Je n’ignore pas que le rapporteur va présenter un amendement à ce sujet mais sa rédaction est très différente.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Dans son souci de répondre de manière constructive aux attentes des parlementaires, la commission des lois a en effet souhaité réagir aux amendements relatifs aux langues régionales déposés par plusieurs collègues, dont MM. Mamère et Folliot. Il ne s’agit pas de remettre en cause l’article 2 de la Constitution, mais de donner un ancrage constitutionnel aux langues régionales, comme beaucoup en ont fait le vœu lors du débat organisé ici-même le 7 mai dernier.

M. Marc Le Fur – Tout à fait !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Notre logique n’est évidemment pas d’opposer le français aux langues régionales, mais, par l’amendement 605, de compléter l’article premier de la Constitution en vue d’affirmer que ces langues appartiennent au patrimoine de la France.

M. Marc Le Fur – Excellent.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur Cette mention ne serait pas créatrice de droits nouveaux – en particulier celui d’exiger la traduction des documents administratifs – et elle ne vise pas à permettre à des groupes ou à des particuliers de poser une quelconque revendication. Il s’agit par contre de répondre à la demande qui s’est exprimée sur tous nos bancs de mentionner dans la Constitution l’existence de nos langues régionales (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP).

M. Camille de Rocca Serra – Dans cette révision constitutionnelle, nous avons tous l’ambition de défendre nos identités, mais comme membres d’une nation qui s’enrichit de sa diversité. Et cela nous conduit à nous rassembler sur un amendement qui, au prix de grands efforts, permet le consensus. Je retire donc volontiers l’amendement 569 au profit de l’amendement du rapporteur. Pour la première fois, la Constitution reconnaît les langues régionales, c’est-à-dire un patrimoine vivant, de langues qui doivent retrouver leur vitalité et que la nation doit soutenir. Mais il ne s’agit nullement d’opposer les langues régionales au français (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

M. Jean Jacques Urvoas – Nous retirons l’amendement 276 au profit de celui présenté par M. Warsmann, en nous félicitant du chemin accompli depuis la dernière réunion de la commission.

Je veux y voir un bon signe pour ce débat : quand la majorité fait des efforts, l’opposition sait les reconnaître. Nous ne serons donc pas parcimonieux dans nos compliments, si vous les méritez, Madame la garde des sceaux. Pour l’heure, le compte n’y est pas.

L’amendement s’impose, à défaut la loi annoncée par Mme Albanel rencontrerait des obstacles. En effet, lorsque Jack Lang avait signé, le 5 septembre 2001, un protocole avec l’association Diwan qui pratique l’enseignement du breton par immersion, le Conseil d’État, saisi en référé avait donc estimé que c’était méconnaître l’article 2 de la Constitution. L’application de la mesure avait donc été suspendue, ce qui a fragilisé ce réseau d’enseignement laïc et gratuit. Grâce à cet amendement, nous levons un obstacle à l’épanouissement des langues régionales. La loi prévue ne suffira pourtant pas à l’assurer. La loi Deixonne de 1951 prévoyait la généralisation progressive de l’enseignement bilingue dans nos régions, on en est loin.

M. Philippe Folliot – Enfin ! Cette reconnaissance des langues régionales dans la Constitution était très attendue par des millions de nos concitoyens. Elles font en effet partie de notre patrimoine, constitué au fil des siècles par des apports successifs. Maintenir vivant ce patrimoine est un enjeu fondamental. En Occitanie, des jeunes issus d’autres régions se mettent à la langue régionale. Au fond, ce combat pour les langues régionales, c’est un peu comme défendre le français par rapport à la toute-puissance de l’anglais. Je présentais, quant à moi, l’amendement 262, mais je le retire au profit de celui du rapporteur. Nous discuterons de sous-amendements, car il serait utile de préciser que la République protège les langues régionales.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – La commission ayant adopté l’amendement 605 rectifié, j’émets un avis défavorable sur les autres amendements qui seraient maintenus.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Lors de la ratification constitutionnelle liée au traité de Lisbonne, le Gouvernement s’était engagé à organiser un débat à l’Assemblée sur les langues régionales. Il a eu lieu le 7 mai dernier, et Mme Albanel présentera une loi dans ce domaine. Vous souhaitez que nous mentionnons les langues régionales dans la Constitution : le Gouvernement y est favorable, et il me semble logique de le faire dans l’article 1er, qui spécifie que la République est décentralisée, plutôt que de sembler les opposer au français à l’article 2. Avis favorable sur l’amendement 605 rectifié, et défavorable aux autres (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

M. Marc Le Fur – Je remercie le Gouvernement et le président de la commission. Lors de trois révisions constitutionnelles successives, je me suis exprimé pour l’introduction des langues régionales dans la Constitution. Nous avions échoué, mais à chaque fois plus de collègues, de différents groupes, se joignaient à nous.

En janvier dernier, le Premier ministre s’était engagé à organiser un débat. Il a tenu parole et Mme Albanel a annoncé un projet de loi. Je souhaite que ce dernier soit voté dès 2009. Mais pour qu’il le soit en toute sécurité juridique, il fallait modifier la Constitution. On le fait, et dès l’article 1er, ce qui est très fort sur un plan symbolique.

L’unité n’est pas l’uniformité, l’égalité n’est pas la confusion, mais la possibilité pour chacun d’être soi-même. Pour nombre de nos concitoyens, leur langue régionale, même s’ils ne la maîtrisent pas totalement, en est un aspect. En juin 1940, un quart des marins et des soldats qui avaient rejoint le Général de Gaulle venaient de l’île de Sein. Ils ne maîtrisaient pas forcément les subtilités de la langue française, mais ils se sont battus pour la France, et beaucoup n’ont pas revu leur île. Aujourd’hui, c’est un hommage que nous leur rendons en même temps que nous faisons évoluer notre droit positif (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Patrick Braouezec – Les langues régionales font partie de notre patrimoine. Mais les monuments historiques et les archives également. Mieux vaudrait donc compléter l’amendement présenté par le rapporteur en précisant qu’elles font partie de notre patrimoine « vivant ». Cela rendrait inutile de dire ensuite qu’on les protège, comme le demande M. Bayrou.

M. Claude Goasguen – L’amendement de M. Warsmann remplit bien son rôle. Mais la formule utilisée fera forcément naître un contentieux. Il est donc bon de préciser d’abord ce que ne veut pas dire cet amendement. D’une part, l’amendement n’a rien à voir avec la Charte, dont la ratification suppose un acte indépendant de toute stipulation constitutionnelle. D’autre part, une langue régionale est déterminée selon deux critères : l’un est géographique, l’autre est linguistique – une langue se distinguant du dialecte en ce qu’elle possède un patrimoine écrit.

Enfin, Monsieur Braouezec, le terme « vivant » est superflu : l’objectif n’est pas de donner une crédibilité aux politiques régionales, mais d’ouvrir la voie à d’éventuels textes qui en détermineront le contenu. Elles ne sont en aucun cas obligatoires ! Les futurs gouvernements auront, le cas échéant, à se dégager de l’étreinte du Conseil constitutionnel, dont l’interprétation, sur ces sujets, est souvent restrictive. C’est ce que permet la formulation de l’amendement de la commission, qui vaut également pour les mesures que décideraient les instances régionales et locales (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

M. Camille de Rocca Serra – Compte tenu de l’accord qui vient d’avoir lieu, je retire mon amendement pour me rallier à celui du président de la commission des lois (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Je souhaite rectifier l’amendement 605 de sorte qu’il soit formulé ainsi : « Les langues régionales appartiennent à son patrimoine ».

M. le Président – Cet amendement fait l’objet de plusieurs sous-amendements.

M. François Bayrou – Avant de défendre le mien, je tiens à me féliciter de l’amendement proposé par notre rapporteur : c’est un important pas en avant. Songez, Monsieur Goasguen, que certaines langues régionales possèdent un patrimoine littéraire bien plus ancien que le français !

Cela étant, je suis troublé par le fait de placer cette mention des langues régionales à l’article 1er de la Constitution, qui traite des principes fondamentaux de la République tels que l’égalité ou la laïcité. Je me suis toujours battu pour promouvoir les langues régionales, y compris lorsque, ministre de l’Éducation nationale, j’ai fait en sorte que les Ikastolak, Diwan et autres Calendretas, alors moribondes, figurent dans la loi Debré. Et pourtant, la reconnaissance des langues régionales n’a pas sa place à l’article 1er de la Constitution – ou bien fallait-il aussi adopter l’amendement de M. Mamère sur la diversité. Je rappelle que les difficultés des langues régionales sont nées d’une jurisprudence hostile du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État, inspirée par l’article 2 de la Constitution qui fait de la langue française la langue de la République. Nous respectons et connaissons tous assez le droit pour ne pas placer dans le premier article de notre loi fondamentale un alinéa qui ne doit pas y être ! Cette mention utile doit figurer dans un autre article, afin d’éviter tout problème d’ordonnancement.

J’en viens au sous-amendement 606, qui vise à remplacer l’expression de « patrimoine national » par celle de « patrimoine de la nation », et surtout à ajouter la phrase suivante à l’alinéa : « La République les protège ». La protection, qui implique une action ou un effort, est, en la matière, un devoir de la République.

M. Philippe Folliot – M. Bayrou n’a pas tort de s’interroger sur le placement à l’article 1er des langues régionales. Peut-être la navette permettra-t-elle un ajustement. Quoi qu’il en soit, l’essentiel est que ces langues soient reconnues.

Le sous-amendement 607 vise à ajouter à cet alinéa la phrase suivante : « La République les protège. » Comme cela vient d’être dit, protéger suppose que l’on agisse. Si la question est en débat aujourd’hui, c’est sans doute parce qu’au cours des dernières décennies, la République n’a pas assez protégé une partie de son patrimoine. L’inscription de ce devoir de protection dans la Constitution est une garantie utile et attendue par tous ceux qui tiennent à nos langues régionales.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Le sous-amendement 606 de M. Bayrou n’est pas compatible avec l’amendement 605 tel que je viens de le rectifier.

M. François Bayrou – Je le modifie pour qu’il le soit !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Soit : il devient alors identique au 607 que vient de nous présenter M. Folliot, auquel je ne suis pas davantage favorable, car il est inutile. Je vous rappelle le début de l’article 1er de la Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Quel besoin d’ajouter que la République protège les langues régionales, mentionnées dans la foulée, puisqu’il s’agit là de la France elle-même ?

M. Claude Goasguen – D’autant que la Constitution les protègera désormais !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Votre proposition est donc superflue. L’objectif était d’inscrire les langues régionales dans la Constitution : voilà l’essentiel, et chacun devrait s’en féliciter.

M. François Bayrou – Je retire mon sous-amendement en espérant que la navette permettra de remettre de l’ordre dans cette affaire.

M. Marc Le Fur – L’évolution en cours est positive : ne la ternissons pas. Je suis contre ces sous-amendements, car la notion de protection renvoie davantage aux monuments historiques. Peut-être vouliez-vous dire « promouvoir » ?

Je ne doute pas de l’engagement militant de M. Bayrou et d’autres en faveur des langues régionales. Pour autant, je crois que leur mention à l’article 1er est judicieuse, car elle évite toute ambiguïté dans l’article 2 : nous ne sommes pas opposés à la langue française, bien au contraire !

M. Pierre Lellouche – Le critère géographique qui définit une langue régionale, rappelé par M. Goasguen, est essentiel. Compte tenu de l’évolution de notre société, les langues régionales d’aujourd’hui ne sont pas forcément celles de demain (M. Bayrou s’exclame).

M. Patrick Braouezec – Que voulez-vous dire ?

M. Pierre Lellouche – Une réserve, toutefois : la langue est actuellement mentionnée à l’article 2 de la Constitution, puisqu’elle définit l’identité de la nation et, partant, sa souveraineté. En plaçant les langues régionales à l’article 1er, on les sépare des instruments et des symboles de la souveraineté que sont, par exemple, l’hymne ou la devise. Je souhaite donc que leur mention apparaisse au titre XII, relatif aux collectivités territoriales.

M. Jean-Marie Le Guen – Quelle surenchère !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – La rédaction dont nous débattons alimentera non seulement bien des contentieux, mais aussi de nombreuses mesures, à l’échelle nationale comme à l’échelle locale.

M. Bayrou a rappelé que la langue figurait à l’article 2 au titre d’élément de souveraineté. Or, nous évoquons les langues régionales à l’article premier. La place de ce dispositif est bien, selon nous, à cet article, mais il vous appartient, madame la garde des sceaux, de nous dire si le Gouvernement partage cette analyse, et quels seront les effets sur la protection des langues régionales. Car il ne faudrait pas que des problèmes d’interprétation constitutionnelle fassent obstacle à une protection effective.

M. Philippe Folliot – Plus on parle des langues régionales, plus on fait progresser leur cause. Au terme de ce riche débat, j’ai pris bonne note des propos du rapporteur ainsi que des interventions de nos collègues, et compte tenu de ces éléments, je retire mon sous-amendement. Je ne voudrais pas qu’il rompe la belle unanimité de l’Assemblée (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

M. Marc Le Fur – Très bien !

Le sous-amendement 607 est retiré.

L'amendement 605 rectifié, mis aux voix, est adopté (Applaudissements sur de nombreux bancs).

M. Arnaud Montebourg – Rappel au Règlement ! Le travail que nous avons effectué en commission, au cours duquel de nombreuses propositions ont été formulées sur cette question par tous les bancs, vient de conduire l'Assemblée nationale à adopter à la quasi-unanimité une mesure pour la protection des langues régionales. C’est pour nous, socialistes, une avancée positive. Une certaine forme de lenteur, une écoute mutuelle, un travail en commun, quand bien même, avec, parfois, une certaine confusion entre amendements, sous-amendements, rectifications…, ont abouti à une position rassemblée. Si nous maintenions cette méthode pour les autres propositions qui vont venir en débat, nous donnerions véritablement à nos discussions une chance d’aboutir. En d’autres termes, nous espérons travailler de cette manière jusqu’au bout pour que nos discussions soient fructueuses.

M. Jean-Marie Le Guen – Très bien !

M. Jean-Christophe Lagarde – Le Nouveau Centre, comme l’UDF avant lui, a toujours eu le souci d’une bonne représentation du pluralisme des opinions, sans préjudice de la constitution de majorités. Or, à l’heure actuelle, nos modes de scrutin amplifient à l’excès les majorités et empêchent une représentation vraiment pluraliste des opinions. C’est pourquoi l’amendement 244 vise à inscrire dans la Constitution : « Les modes de scrutin des assemblées élues de la République assurent la représentation pluraliste des opinions et des territoires ». S’il n’est pas question de déterminer dans la Constitution les modes de scrutin – qui relèvent du code électoral –, il nous paraît en revanche utile de déterminer les principes de la représentation de nos assemblées.

M. François Bayrou – Il s’agit pour nombre d’entre nous de l’un des sujets les plus importants de cette réforme. Sur ce sujet, un argument « bateau » revient sans cesse, selon lequel cette question ne serait pas d’ordre constitutionnel. J’invite ceux qui y recourent à relire la Constitution, qui dispose que « le suffrage peut être direct ou indirect » et qu’il est « toujours universel, égal et secret. » L’affirmation de ce principe d’égalité du suffrage devrait rendre superfétatoires l’amendement et mes sous-amendements. Car, aujourd’hui, ce n’est pas la peine qu’un électeur de gauche se déplace pour voter à Neuilly-sur-Seine : il n’a aucune chance d’influencer le scrutin. Et cela vaut de même pour un électeur de droite à Saint-Denis.

M. Jean-Christophe Lagarde – Ce n’est pas vrai ! (Sourires)

M. François Bayrou – C’est tellement vrai qu’ils ne se déplacent même plus ! D’ailleurs, je ne l’invente pas, puisque Léon Blum disait la même chose en son temps pour justifier le choix d’une loi électorale juste.

C’est pourquoi je propose un sous-amendement 592 tendant à remplacer la mention des « modes de scrutin », qui n’est pas d’ordre constitutionnel, par celle de « la loi », ainsi qu’un sous-amendement 602 qui précise que la représentation doit être non seulement pluraliste mais également « équitable ». Ceci en vue de répondre à la crise de nos institutions, qui tient, comme je l’ai dit dans la discussion générale, à la soumission mécanique du législatif à l’exécutif, en raison de la concomitance des élections, et au scrutin majoritaire qui fait que les Français ne sont pas égaux devant le suffrage, leur vote ne leur permettant pas d’être représentés ici-même. Dans tous les pays d’Europe continentale en dehors de la France, c’est une loi équitable et pluraliste de cette nature qui garantit l’équilibre démocratique.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Nous connaissons par cœur les arguments relatifs aux modes de scrutin. Dans un pays pratiquant la représentation proportionnelle, le député membre d’un groupe représentant 45 % de l’Assemblée ne pèse rien, tandis que le député membre d’un groupe qui représente les 2 % permettant d’obtenir la majorité pèse tout ; et les électeurs ayant voté pour le premier groupe ne pèsent pas grand-chose, tandis que ceux qui ont voté pour le second pèsent énormément.

M. Alain Gest – Très juste !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Nous l’avons dit : il n’y a pas de consensus, et nous ne souhaitons donc pas que les modes de scrutin entrent dans le champ de la révision constitutionnelle. La commission a rendu par conséquent un avis défavorable à l’amendement et aux sous-amendements.

J’ajoute que l’amendement 244 décrit déjà la situation actuelle : une Assemblée nationale élue au suffrage universel direct, aucune section du peuple ni aucun individu ne pouvant s’attribuer l’exercice de la souveraineté, une seconde chambre – « pluralisme des territoires » – représentant les collectivités territoriales.

M. Alain Gest – Affaire classée !

M. Noël Mamère – Votre réponse, monsieur le rapporteur, est un peu choquante. Pourquoi dites-vous que, puisqu’il n’y a pas de majorité sur la question de la proportionnelle, celle-ci ne mérite pas d’être débattue ?

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Ce n’est pas ce que j’ai dit !

M. Noël Mamère – Cela revient pourtant à cela. Vous avez balayé d’un revers de main les débats que pourrait soulever cette proposition.

Le Gouvernement et la majorité ne cessent de dire que cette réforme est une occasion historique à ne pas manquer et que, si l’opposition s’obstinait dans un refus, elle serait sectaire et ne défendrait que de petits intérêts à court terme. Or quelles perspectives historiques offrez-vous en réalité, alors que vous vous arc-boutez contre le vote des étrangers non communautaires et contre le pluralisme dans les médias, et que vous venez de bricoler un amendement sur les langues régionales qui ne garantit pas la protection juridique que permettrait l’application de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ?

Vous refusez la proportionnelle. Et lorsque nous demandons une meilleure représentativité du Parlement, vous nous demandez de circuler ! Vous savez pourtant que certaines forces politiques sont largement sous-représentées par rapport à leur poids réel dans la société. Votre refus ne fait que conforter le bipartisme. Combien de fois avons-nous été confrontés à des débats opposant seulement l’UMP et le parti socialiste dans cet hémicycle ?

Pensez-vous vraiment qu’un parti comme les Verts, qui a su poser les questions qui sont au cœur des préoccupations de nos concitoyens, et qui a su élaborer de véritables réponses à la crise écologique, économique et sociale que nous traversons, acceptera longtemps de rester sous la coupe de son grand frère, le parti socialiste, afin d’obtenir quatre sièges de députés, comme si c’était une aumône qu’on lui faisait.

La proportionnelle est nécessaire pour garantir une juste représentation des différentes familles politiques. Regardons la couleur de nos peaux : nous ne sommes pas le reflet de la diversité sociale de ce pays, pas plus que le reflet de sa diversité politique.

Et ne nous dites pas que la proportionnelle favoriserait l’extrême droite ! En Allemagne, pays qui attribue 50 % des sièges à la proportionnelle, l’équivalent local du Front national, dirigé par M. Schönhuber, n’existe quasiment plus.

M. Bernard Debré – La proportionnelle est extrêmement dangereuse, car un parti charnière peut en profiter pour prendre l’ascendant. Souvenons-nous que la majorité n’était que de trois voix en 1986, car François Mitterrand, redoutant que l’Assemblée lui soit hostile, avait imposé la proportionnelle afin de casser le fait majoritaire.

À vous écouter, Monsieur Mamère, on peut se féliciter que la République soit laïque. On a l’impression que vous nous adressez en permanence des leçons de morale, comme si vous déteniez seul la vérité, et que nous étions d’ignobles personnages privés du droit d’avoir un avis. Nous sommes contre la proportionnelle et nous voterons contre l’amendement 244 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Christian Vanneste – Il est vrai qu’il y a eu des mouvements totalitaires dans des pays qui ont adopté la proportionnelle, mais il est également vrai que les plus vieilles démocraties du monde ont recours au scrutin uninominal à un tour, qui traduit une conception personnaliste du mandat : les représentants du peuple ne sont pas de simples pions instrumentalisés par des apparatchiks, mais des personnes de chair et de sang, qui se présentent devant les électeurs et qui les représentent en toute responsabilité. C’est un système infiniment plus sain.

Dans la région Nord-Pas-de-Calais, où je suis élu, la présidence a au contraire été exercée par un membre d’un parti, les Verts, qui ne comptait pas plus de cinq représentants. Il nous avait été suggéré de soutenir la candidature d’un représentant des « chasseurs et pêcheurs » afin de remporter la présidence, mais cette victoire eût été profondément immorale et antidémocratique.

M. Patrick Braouezec – Je rappelle que nous débattons de la proportionnelle alors que l’amendement 244 et les sous-amendements 592 et 602 font simplement référence à une expression pluraliste au sein des assemblées.

M. François Bayrou – Et équitable !

M. Patrick Braouezec – Comme je l’indiquais hier soir en défendant la motion de renvoi en commission, il y a de graves lacunes dans ce texte. Nous traversons en effet une véritable crise de la représentation politique : si un nombre croissant de nos concitoyens s’abstiennent lors des scrutins politiques, à l’exception de la dernière élection présidentielle, qui a été très médiatisée, ce n’est pas un hasard.

M. Bayrou se demandait à quoi bon un citoyen de gauche irait voter à Neuilly, et un citoyen de droite à Saint-Denis. Certains se demandent effectivement à quoi leur vote peut bien servir. Je trouve que la formulation qui nous est proposée est bonne : sans aller jusqu’à la proportionnelle intégrale, la loi doit faire en sorte que toutes les sensibilités politiques puissent être représentées, tout en permettant la constitution d’une majorité. C’est une nécessité si nous voulons que nos concitoyens reprennent le chemin des urnes et fassent vivre notre démocratie.

M. le Président – J’ai été saisi de plusieurs demandes de parole. Je propose que nos collègues s’expriment à l’occasion des amendements que nous avons encore à examiner sur le même sujet.

M. Jean-Christophe Lagarde – Rappel au Règlement. Puisqu’il y a un amendement et deux sous-amendements en débat, cela ouvre la possibilité à six interventions distinctes.

M. le Président – J’ai donné la parole à ceux qui défendent l’amendement et les sous-amendements, puis à chaque fois à un orateur d’opinion contraire, comme le prévoit l’article 100, après quoi j’ai permis que l’on réponde au président de la commission et au Gouvernement, conformément à l’article 56. Le Règlement a été parfaitement respecté.

M. Jean-Christophe Lagarde – Il se trouve que j’ai moi aussi présidé quelques séances de l’Assemblée… Je souhaite répondre aux sous-amendements à mon amendement, sans avoir à attendre la venue d’amendements suivants : cela me semble la moindre des choses.

Je ne pense pas que le sous-amendement 592 soit de même nature que mon amendement 244. Le débat s’est égaré : il est désormais question de proportionnelle intégrale, alors que j’avais pris la peine de préciser que nous devions veiller à dégager des majorités. Je souhaite d’ailleurs que l’on conserve le terme de « modes de scrutin » au lieu de le remplacer par une référence plus générale à la loi, comme le demande M. Bayrou.

On nous répond que le système serait totalement ingérable. Si certains le pensent, qu’ils demandent la suppression du mode de scrutin municipal et régional, qui sont proportionnels ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP) La proportionnelle n’est pas, par nature, un système qui empêche de dégager des majorités.

C’est un autre débat, mais nous souhaitons qu’il y ait, dans chaque assemblée de la République, une représentation pluraliste des opinions et des territoires, ici comme au Sénat – c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il y a au minimum deux députés par département. Je suis également d’accord avec le sous-amendement 602 qui précise que la représentation doit également être « équitable »

Il me semble que la Constitution doit fixer les principes que doivent respecter les modes de scrutin, tout en laissant à la loi électorale la possibilité d’en régler le détail. Avec la rédaction qui vous est proposée, nous pourrons laisser la majorité gouverner sans empêcher la représentation des autres sensibilités.

Enfin qu’on ne nous dise pas que la proportionnelle conduit au totalitarisme. L’essentiel des pays de l’Union européenne ont adopté des modes de scrutin proportionnels, et ce depuis longtemps !

M. Christian Vanneste – Ce n’était pas le sens de mon intervention. !

Les sous-amendements 592 et 602, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

L'amendement 244, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Noël Mamère – M. Vanneste devrait relire ses auteurs, car il confond le personnalisme et la personnalisation du pouvoir, qui n’ont rien à voir (Mouvements divers). Quant à prétendre que le scrutin proportionnel conduirait à des régimes totalitaires, c’est une faribole. Du reste, je n’ai jamais demandé une proportionnelle intégrale. En Allemagne, la moitié des sièges sont attribués à la proportionnelle et l’autre moitié au scrutin majoritaire.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur C’est inexact.

M. Noël Mamère – Il nous faut, pour assurer la représentation équitable des forces politiques du pays, compléter le système majoritaire par une dose de proportionnelle – comme c’est le cas pour les élections municipales. Je ne comprends pas pourquoi vous vous arc-boutez ainsi dans le refus. En l’état, le texte que vous nous soumettez revient à vous donner un blanc-seing, puisqu’il renvoie soit à des lois organiques ultérieures, soit au règlement de l’Assemblée ; sur des sujets aussi importants, cette méthode est inconcevable. Le refus réitéré, que nous opposent le rapporteur et le Gouvernement, de ce qui aurait dû constituer l’épine dorsale de la révision constitutionnelle fera que le texte, s’il parvient à réunir les voix nécessaires, ne sera que bricolage. Comment imaginer réformer nos institutions sans traiter du système électoral, de la stricte limitation du cumul des mandats, de l’introduction d’une part de proportionnelle dans les scrutins, du vote des étrangers, du pluralisme des medias ? Pour définir une vraie réforme constitutionnelle, il faut débattre de tous ces points. Pour ce qui me concerne, je suis du pays de Montesquieu, que je préfère à Bonaparte ; mais je suis aussi du pays de Montaigne, et je préfère le doute sceptique au doute méthodique (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président – Je suis saisi par le groupe GDR d’une demande de scrutin public sur l’amendement 307. Monsieur le président de la commission, quel est l’avis de la commission sur l’amendement ?

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Défavorable.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Même avis.

M. Jean Leonetti – Le débat sur le mode de scrutin est tout sauf médiocre, mais ce n’est pas cela qui nous réunit aujourd’hui. Il s’agit de réformer la Constitution, ce qui doit nous pousser à rechercher à toute force le consensus, non à poser des préalables ou des oukases. On voit bien qu’il y a, à gauche, plusieurs écoles. C’est ainsi que M. Montebourg a paru tout à l’heure s’adresser à son président de groupe bien davantage qu’à nous (M. Montebourg fait des signes de dénégation), et que M. Mamère répète inlassablement pourquoi il ne votera pas le texte. Mais, Monsieur le député-maire de Bègles, que ne commencez-vous par vous appliquer la limitation du cumul des mandats ?

M. Noël Mamère – Inscrivons-la dans la loi !

M. Jean Leonetti – Je le redis, notre devoir est de trouver un consensus pour réviser la Constitution, ce qui suppose de s’en tenir à l’objet de notre débat pour éviter qu’il ne s’enlise. Sans nier la nécessité d’un débat abouti, dans un autre temps, sur le mode de scrutin, je suis contre l’amendement parce qu’il est hors du champ de ce texte.

M. Philippe Folliot – M. Mamère se contredit : tout en défendant un amendement posant que « le mode de scrutin proportionnel est la règle », il nous explique qu’il n’a jamais demandé une proportionnelle intégrale ! Que faut-il comprendre ? Pour ma part, je renverrai dos à dos M. Mamère et M. Debré. Ce que nous souhaitons, c’est un système ainsi conçu que 90 % des députés seraient élus au scrutin majoritaire pour garantir l’expression de la majorité, et 10% à la proportionnelle pour assurer la représentation dans cet hémicycle de toutes les sensibilités politiques, de l’extrême droite à l’extrême gauche. Il nous paraît bien préférable qu’elles s’expriment dans cette enceinte qu’avec démagogie dans la rue. Enfin, le silence assourdissant du groupe socialiste sur cet amendement m’intrigue ; j’aimerais connaître sa position.

M. François Bayrou – Je tiens d’abord à rectifier une inexactitude : le mode de scrutin en Allemagne n’est pas celui que décrit M. Mamère. Bien que fondé sur une base majoritaire par circonscription, il est en fin de compte, par l’application d’un correctif, totalement proportionnel pour tous les partis ayant obtenu plus de 5 % des suffrages, ce qui garantit la représentation équitable de tous les grands courants de pensée.

À M. Leonetti, je souhaite dire que nous sommes très exactement au cœur du sujet. Si l’on en croit les multiples déclarations que nous avons entendues, nous serions réunis pour rééquilibrer les institutions au profit du Parlement. Certains considèrent qu’il faudrait pour cela lui donner plus de pouvoirs. Pour moi, la question des pouvoirs n’est que secondaire ; la question principale est celle de la dépendance. C’est parce que le législatif dépend, en France, de l’exécutif que le Parlement n’y exerce pas ses pouvoirs. Il faut donc couper ce cordon ombilical qui fait dépendre l’élection des députés de celle du Président de la République et de leur soumission à lui (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). La vérité, c’est que l’on est élu si l’on accepte d’être soumis – et permettez-moi de vous dire que les choses se compliquent singulièrement si on ne l’accepte pas ! (Protestations sur les mêmes bancs)

Que lit-on dans l’exposé des motifs de ce projet ? Qu’« un Parlement renforcé est enfin un Parlement plus représentatif ». Paroles d’or que celles-là ! Malheureusement, à l’issue de l’examen de ce texte, il ne le sera pas davantage qu’il ne l’est actuellement, car les pouvoirs de l’exécutif auront seulement été transmis aux amis de l’exécutif, quel qu’il soit ! Les choses en changeront pour de bon que si l’on modifie le point fondamental de la dépendance du législatif à l’exécutif. Alors seulement, les députés seront libres ! (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP)

À la majorité de 98 voix contre 13 sur 113 votants et 111 suffrages exprimés, l’amendement 307 n’est pas adopté.

M. Patrick Braouezec – Notre amendement 373 ne demande pas, comme le précédent, que la proportionnelle soit la règle mais que « le mode de scrutin proportionnel assure une juste représentation du peuple. »

Après François Bayrou, j’y insiste, cette question est centrale. Comme j’ai eu l’occasion de le dire hier, pensez-vous vraiment que ce qu’attendent nos concitoyens, à qui l’on a expliqué à grands coups de renforts médiatiques que l’on s’apprête à modifier la Constitution pour mieux répondre à leurs attentes, c’est une meilleure répartition des tâches entre le Président de la République et le Premier ministre, ou entre l’exécutif et le Parlement, ou bien encore qu’on abandonne l’article 49-3, d’ailleurs peu souvent utilisé ? Non : ce qu’ils attendent, c’est d’être effectivement représentés dans toute leur diversité dans nos instances démocratiques. C’est pourquoi la question du scrutin proportionnel n’est pas du tout annexe. Aujourd’hui, selon les élections et les assemblées, entre 15 % et 30 % des électeurs qui ont voté ne sont pas représentés. Ce n’est pas normal.

Le rapporteur nous dit que, le sujet ne faisant pas consensus, ce n’est pas la peine de l’aborder. Mais nous en avons le devoir, car si cela ne fait pas consensus dans les rangs de la majorité, nos concitoyens, eux, sont nombreux à demander avec force l’application de la proportionnelle, la possibilité pour les étrangers qui vivent dans notre pays depuis plus de cinq ans de voter aux élections locales ou bien encore l’interdiction du cumul des mandats. Si vous ne répondez pas à ces exigences, il ne faudra pas vous étonner que nous jugions que cette réforme constitutionnelle n’est pas à la hauteur des attentes de nos concitoyens. Je suis sûr qu’ils le comprendront.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Pour les mêmes raisons que tout à l’heure, avis défavorable.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux – Même avis.

M. le Président – Je suis saisi par le groupe GDR d’une demande de scrutin public sur l’amendement 373.

M. Alain Gest – Prétendre que le mode de scrutin actuel n’assure pas « une juste représentation du peuple » est désobligeant à l’égard de l’ensemble des députés. J’ai, pour ma part, le sentiment que nous représentons tous ici le peuple de France. Dans notre mode de scrutin actuel, au deuxième tour, les électeurs sont conduits à faire un choix, et quel que soit le candidat qu’ils choisissent – que celui-ci soit Braouezec, Mamère, Debré ou Gest –, il représente l’ensemble des électeurs, bien au-delà de l’électorat naturel de sa formation politique.

Je souhaiterais maintenant dire quelques mots à François Bayrou. Il y a quelques années, je siégeais ici dans le même groupe que lui, le groupe UDF, qui comptait à l’époque 215 députés. Que ne l’avez-vous d’ailleurs donc fait, Monsieur Bayrou, pour que cette formation conserve autant de députés !

M. François Bayrou – C’est vous qui êtes partis !

M. Alain Gest – Et je n’avais pas alors le sentiment que l’UDF soit en quoi que ce soit soumise à quiconque : elle avait simplement fait le choix d’une alliance, cette alliance qui est au fondement même de la Ve République et qui assure la stabilité des gouvernements. Même avec seulement 10 % des sièges pourvus à la proportionnelle, il pourrait advenir qu’il n’y ait plus à terme qu’une majorité relative dans cet hémicycle, et cela, nous ne le voulons pas. C’est pourquoi nous sommes défavorables à l’ensemble des amendements déposé en ce sens (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – La question de la représentativité doit être une obsession permanente dans tout système démocratique. Le problème des modes de scrutin donc est fondamental dans le débat qui nous occupe, et nous voulons en traiter. La difficulté tient à ce que nous l’abordons à l’occasion d’amendements portant articles additionnels avant l’article 1er, alors que notre groupe a déposé les siens à l’article 9, qui modifie l’article 24 de la Constitution. C’est à ce moment-là que nous en reparlerons.

La différence entre l’amendement de M. Mamère et celui de M. Braouezec est que le premier réclame l’institution de la proportionnelle intégrale, que le second demande seulement que « le scrutin proportionnel assure une juste représentation du peuple ». À ce second amendement, nous sommes favorables.

Nous assumons aujourd’hui la charge la plus importante pour un parlementaire, celle d’être constituant. Aucune pression, notamment par le biais d’articles de presse, ne nous empêchera d’aller jusqu’au bout de ce travail. Et, comme l’ont dit M. Ayrault et M. Montebourg, ce n’est qu’au terme de la discussion que nous saurons si le Gouvernement et la majorité ont fait la partie du chemin nécessaire pour que nous puissions voter cette réforme. Si tel n’est pas le cas, nous ne la voterons pas. C’est ici, dans cet hémicycle, que le débat doit se dérouler, et non par articles de presse interposés (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Jean-Claude Sandrier – Je m’étonne que certains puissent prétendre que cette question d’une plus juste représentation du peuple ne fait pas partie du débat. Au contraire, le débat devrait même commencer par là.

M. François Bayrou – Bien sûr !

M. Jean-Claude Sandrier – Quelle que soit la réponse qu’on y apporte, il est légitime de poser la question. Comment le Premier ministre peut-il parler de « main tendue », comme il l’a fait hier, ou de recherche du consensus, si nous ne débattons pas de cette question fondamentale ?

Force est de constater que le mode de scrutin actuel pousse à une bipolarisation de la vie politique que nul ne peut tenir pour l’expression d’un degré supérieur de démocratie. Nous proposons simplement que l'Assemblée nationale représente de manière plus juste le peuple.

Ensuite, l’argument qui vient immédiatement à l’esprit lorsque l’on évoque la proportionnelle, c’est que cela ne donne pas des majorités stables. C’est pourquoi nous sommes favorables à l’introduction de garanties de stabilité.

M. Bernard Debré – C’est impossible !

M. Jean-Claude Sandrier – Pas du tout : voyez ce qui se fait aux élections municipales et en Allemagne.

M. Jacques Domergue – Drôle de proportionnelle !

M. Jean-Claude Sandrier – En tout cas, nous ne demandons absolument pas un retour à la IVe République.

À la majorité de 89 voix contre 34 sur 123 votants et 123 suffrages exprimés, l’amendement 373 n’est pas adopté.

M. Jean-Christophe Lagarde – Je demande une suspension de séance pour réunir mon groupe, car je ne suis pas certain que le temps de parole normalement dévolu au Nouveau Centre soit bien respecté…

La séance, suspendue à 17 heures 45, est reprise à 17 heures 50.

M. le Président – Les amendements 245, 308 et 374 font l’objet d’une discussion commune.

M. Jean-Christophe Lagarde – Permettez-moi de m’en étonner, car notre amendement 245 est bien différent des deux autres. Il vise en effet à corriger une anomalie. Ratifiés par le peuple français, les accords de Maastricht ont donné aux ressortissants de l’Union européenne résidant en France depuis un certain temps le droit de voter aux élections municipales et européennes. Mon amendement vise à étendre à toutes les élections le droit de vote des ressortissants communautaires résidant régulièrement en France depuis au moins cinq ans. Pour nous, la citoyenneté ne se découpe pas en tranches en fonction du niveau d’administration ; on conçoit mal qu’un ressortissant européen puisse participer aux décisions concernant la scolarité de son enfant à l’école, au motif que celles-ci incombent au conseil municipal, et s’en trouve privé lorsqu’il entre au collège parce que cela relève alors du département ! Des élections au Parlement européen ont lieu l’année prochaine : comment justifier que les ressortissants communautaires y participent alors qu’ils n’ont pu se prononcer lors de nos dernières présidentielles et législatives ? Je rappelle que le président du Parlement européen – issu de ce scrutin - siègera au conseil des chefs d’État et de gouvernement de l’Union. Je le répète : il n’y a pas lieu de « saucissonner » la citoyenneté, et c’est cette anomalie que mon amendement propose de gommer.

M. le Président – Monsieur Lagarde, si ces trois amendements sont en discussion commune, c’est parce qu’ils sont exclusifs les uns des autres : l’adoption de l’un deux ferait automatiquement tomber les autres.

M. Noël Mamère – Je ne suis pas certain, Monsieur le président, que l’adoption de l’amendement de M. Lagarde ferait tomber ceux que M. Sandrier et moi nous apprêtons à défendre, puisqu’il ne traite que des ressortissants communautaires.

L’amendement 308 vise à donner un statut constitutionnel aux résidents étrangers sur le territoire français, à l’issue d’une présence légale continue de cinq ans, en leur donnant le droit de vote. Il s’agit de mettre fin à une discrimination durement ressentie, en particulier par les « indigènes » des anciennes colonies françaises, notamment du Maghreb. Ces personnes travaillent en France, participent à la richesse nationale, paient des impôts, entrent dans le décompte de population qui permet de fixer le nombre de conseillers municipaux… Mais au moment des élections – et alors même qu’y participent des ressortissants communautaires moins durablement implantés –, on leur dit : « Circulez, il n’y a rien à voir ! » Et encore faut-il noter que la France a traîné des pieds pour appliquer les accords de Maastricht et que les ressortissants de l’Union européenne ne peuvent exercer les fonctions de maire ou d’adjoint, au motif qu’ils deviendraient alors grands électeurs, ce qui met en jeu, nous dit-on, la souveraineté nationale !

Le moment est venu, bien longtemps après la promesse faite par François Mitterrand en 1981, de donner le droit de vote aux étrangers. Notre proposition n’a d’ailleurs rien de maximaliste, puisqu’il s’agit d’établir un lien entre résidence et citoyenneté pour donner le droit de vote local aux étrangers non communautaires. Nous sommes prêts à aider le Président de la République qui a déclaré à plusieurs reprises qu’il était en faveur de cette réforme, mais n’avait pas la majorité pour la faire. La gauche est prête à l’aider à trouver cette majorité…

M. Alain Gest – Il y sera sûrement sensible !

M. Noël Mamère – …pour que cette réforme ne soit pas qu’une opération de communication, un piège tendu à l’opposition et où sont tombés quelques collègues socialistes, si j’en crois la presse. Ce droit de vote des étrangers est un passage incontournable pour parvenir à un consensus en vue du congrès.

M. Patrick Braouezec – Aux arguments de M. Mamère, j’en ajouterai quelques autres pour défendre notre amendement 374. Le droit de vote des étrangers non communautaires serait un des points de nature à nous amener à revoir notre position sur le projet de loi constitutionnelle. Aujourd’hui, certains étrangers vivent une injustice ressentie plus encore par leurs enfants qui, souvent, eux, sont français : après avoir contribué au développement de la richesse nationale, ils sont privés de ce droit fondamental du citoyen à part entière qui est de participer à l’élection des élus locaux. Dans de nombreuses villes, la population y est favorable, et selon des sondages, une majorité trouve que ce serait justice.

La mesure ne fait pas consensus dans la majorité. Mais, si la réforme constitutionnelle est aussi fondamentale que vous le dites, ne pas y faire figurer le droit de vote local des étrangers non communautaires, c’est leur dire qu’ils ne méritent pas d’être reconnus comme citoyens. Si cette réforme était votée grâce à la complaisance de certains à gauche, qui n’auraient pas compris que doivent y figurer la reconnaissance du droit de vote des étrangers, une dose de proportionnelle, le non cumul et la limitation de la durée des mandats, ils prendraient une grande responsabilité et nous le paierions très cher.

M. Bernard Debré – Qui ?

M. Patrick Braouezec – Vous !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – L’amendement 245 tend à donner le droit de vote à toutes les élections à tous les citoyens européens, l’amendement 308 à donner ce même droit à tous les étrangers qui sont en France depuis cinq ans, et l’amendement 374 à donner ce droit à tous les étrangers résidant en France depuis une durée à définir par la loi. La commission a émis un avis défavorable sur les trois.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Donner le droit de vote à toutes les élections, et pas seulement aux élections européennes et municipales, aux citoyens européens, élargirait le fossé avec les ressortissants non communautaires. Le Gouvernement y est donc défavorable, d’autant qu’il convient de préserver le lien entre vote et nationalité.

S’agissant des étrangers non communautaires, il existe un moyen simple d’accéder au droit de vote, c’est de demander la nationalité française. Les conditions ont été assouplies et les délais réduits.

M. Patrick Braouezec – Non !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux  Il y a chaque année près de 80 000 naturalisations. Le Gouvernement est donc également défavorable aux amendements 308 et 374.

M. Bernard Debré J’y suis également opposé. Le droit de vote dont bénéficient actuellement les ressortissants européens me semble naturel. Quant aux étrangers non communautaires, le meilleur moyen pour eux de voter est d’acquérir la nationalité française.

M. Patrick Braouezec – Mais d’autres pays européens leur accordent le droit de vote ! Vous n’évoquez les exemples étrangers que quand cela vous arrange !

M. Bernard Debré – La nationalité, cela ne s’acquiert pas par hasard, après quelques années de présence. Cela se demande, cela s’acquiert, et cela crée ensuite des devoirs et des droits.

M. Manuel Valls – Je m’exprime avec la liberté qui était déjà la mienne lorsque, sous la législature précédente, j’ai défendu une proposition de loi sur ce thème. On touche ici à l’essence même de l’identité nationale. J’avais essayé alors de définir, notamment à la lumière de mon parcours personnel, ce que signifie être Français.

Pour élire le Président de la République ou les députés, c’est vrai la naturalisation est la meilleure voie – même si, madame la garde des sceaux, c’est encore aussi difficile aujourd’hui que lorsque j’ai fait ce choix il y a plus de vingt ans. Néanmoins, je pense qu’il ne faut pas avoir peur d’une vision moderne de la citoyenneté. On peut être ancré dans la réalité de sa commune, de son quartier, exercer des responsabilités, comme c’est le cas de gens qui ont un rapport très fort avec la France : des Maliens, des Sénégalais, des Tunisiens, des Algériens ou des Marocains, dont les enfants sont fra²nçais par naissance ou par choix. On doit alors pouvoir voter aux élections locales. L’inscrire dans la Constitution serait, à leur égard, une belle reconnaissance.

Le Président de la République avait donné son accord à cette idée, M. Jego également, et d’autres qui vivent la réalité de la société française. En revanche, Monsieur Debré, j’ai le sentiment que vous avez une vision restrictive de ce qu’est aujourd’hui la France. La nation française est forte quand elle n’a pas peur. Nous venons de le démontrer à propos des langues régionales, nous pouvons le faire de nouveau à propos du droit de vote des résidents étrangers.

M. Jean-Christophe Lagarde – Je comprends, Madame la garde des sceaux, que l’on lie la citoyenneté au droit de vote. Il n’y a pas lieu d’attacher celui-ci à la seule résidence. Néanmoins, nous avons tous ici deux citoyennetés : l’une française et l’autre européenne. Je rappelle que le traité de Maastricht a accordé aux étrangers communautaires le droit de vote aux élections municipales et européennes. Pourquoi ne pas le leur accorder aussi pour les élections cantonales et régionales ?

Vous craignez que l’on élargisse ainsi le fossé qui sépare les étrangers européens de ceux qui ne le sont pas. Au contraire : nous illustrerions la volonté de la France de s’impliquer davantage dans l’Union, mais aussi d’accueillir tous ceux qui manifestent le souhait d’entrer dans la communauté nationale.

Même si cet amendement 845 est rejeté, il faudra bientôt faire un pas en direction de la citoyenneté européenne. Comment dois-je expliquer à l’un des conseillers municipaux de ma ville, Drancy, qu’il n’a pas le droit de devenir maire adjoint ? Comment lui expliquer qu’il peut présider un bureau de vote lors des élections municipales ou européennes, mais qu’il n’a rien à y faire lors des autres scrutins ? La cote mal taillée décidée au début des années 1990 est illogique : il faut la réformer.

Un dernier exemple : à Drancy comme ailleurs, les conseillers municipaux français votent aux élections sénatoriales, mais le conseiller municipal portugais est, pour ce scrutin, remplacé par une personne qui n’a pas même été élue ! C’est un paradoxe qu’il faudra résoudre.

M. le Président – Sur les amendements 308 et 374, je suis saisi par le groupe GDR d’une demande de scrutin public.

M. Christian Vanneste – Ne séparons pas à l’excès les scrutins locaux des scrutins nationaux. Qui vote aux élections municipales concourt au vote pour les élections sénatoriales.

M. Jean-Christophe Lagarde – Que faites-vous des cantonales ?

M. Christian Vanneste – Au fond, il y a deux gauches. L’une, sympathique, inspirée de Rousseau, prône une liberté qui repose sur la volonté qu’a l’individu de participer au contrat social.

M. Manuel Valls – 1793 !

M. Christian Vanneste – C’est ce que fait tout étranger qui, présent en France depuis plusieurs années, choisit d’en acquérir la nationalité. L’autre, antipathique, oppose au droit les faits : du seul fait que des individus qui vivent en France et participent à sa vie économique, il faut qu’ils deviennent citoyens, même s’ils n’en manifestent pas l’envie !

M. Patrick Braouezec – Au contraire : ils la manifestent tous les jours, et parfois davantage que les autres ! C’est incroyable !

M. Christian Vanneste – Pourquoi les soumettre à un tel déterminisme économique, qui n’est au fond rien d’autre que du marxisme ? (Rires sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) 

M. Patrick Braouezec – Marx, lui, était un citoyen européen !

M. Christian Vanneste – Vous reniez ce qu’il y a de plus riche dans votre héritage : l’idée que l’homme peut choisir son destin, qu’il ne le subit pas !

M. Manuel Valls – Oui : c’est la République, Monsieur Vanneste !

M. Christian Vanneste – Cela vaut pour la citoyenneté. En rattachant le droit de vote à l’impôt et au travail, vous ressuscitez le suffrage censitaire, qui est parfaitement antidémocratique !

Notre système fait la synthèse entre la liberté des anciens, c’est-à-dire celle de participer à la collectivité en tant que citoyen, et celle que chacun a de jouir de droits fondamentaux et protégés, en tant qu’homme. L’homme et le citoyen vont de pair, mais nul ne peut être contraint à la citoyenneté !

M. Noël Mamère – Les propos de M. Vanneste sont extravagants. Vous ne cessez d’exiger des étrangers résidant en France qu’ils deviennent des citoyens en respectant les règles de la République au point d’apprendre le français, même pour ceux d’entre eux qui fuient la pauvreté ou la tyrannie et dont l’installation sur notre territoire s’apparente à un véritable parcours du combattant.

M. Christian Vanneste – Être citoyen, c’est participer !

M. Noël Mamère – Faut-il vous rappeler le sort de tous ceux qui, employés dans la restauration ou le bâtiment, ne sont pas mieux traités que des esclaves modernes, de la chair à faire du fric, et qui réclament aujourd’hui des papiers ?

M. Christian Vanneste – Il faut punir ces excès : c’est une question de droits de l’homme !

M. Noël Mamère – Et que dire de celles et ceux qui, souvent originaires d’anciennes colonies, sont installés en France dont ils contribuent à la richesse et où ils élèvent leurs enfants français, mais qui sont privés du droit de vote, cet acte pourtant fondateur de la citoyenneté en ce qu’il décide de notre destin collectif ?

M. Philippe Folliot – Qu’ils demandent la naturalisation !

M. Noël Mamère – Comment expliquer à ceux des résidents qui n’ont pas choisi la nationalité française qu’ils peuvent participer aux conseils d’école, élire un conseil de prud’hommes sans pouvoir y siéger, devenir membre d’un syndicat ou d’une association et qu’en outre ils sont comptabilisés pour déterminer le nombre de conseillers municipaux de leur mairie, voire de députés dans leur département, mais que, malgré tout, ils sont privés de ce droit essentiel de tout citoyen ?

Le rapporteur a prétendu que les amendements en discussion visaient à ce que les résidents puissent voter à toutes les élections : c’est faux ! Nous demandons qu’ils aient le droit de vote dans les conditions déterminées par la loi, et nous souhaitons que la loi applique le traité de Maastricht à l’ensemble des résidents étrangers, communautaires ou non.

M. Pierre Lellouche – Éloignons-nous du débat idéologique pour revenir à une question juridique. La Constitution de 1958, qui fait des électeurs de tous les citoyens français majeurs et jouissant de leurs droits civiques, ne correspond déjà plus à la réalité. Depuis l’adoption du traité de Maastricht, les étrangers communautaires résidant en France peuvent participer aux scrutins municipaux et européens. Le texte doit donc être modifié. Quant à décider s’il faut réserver ce droit aux étrangers communautaires ou à d’autres…

M. Jean-Marie Le Guen – Les Turcs, par exemple ?

M. Pierre Lellouche – …je me range désormais à la position du Président de la République : je ne verrai aucun obstacle à ce que des étrangers non européens participent à ces scrutins (« Très bien ! » sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Il faut donc préciser que les étrangers européens ont déjà pour partie le droit de vote…

M. Jean-Christophe Lagarde – C’est déjà fait à l’article 88-7 de la Constitution !

M. Pierre Lellouche – …et ensuite ouvrir le débat sur les autres étrangers.

L'amendement 245, mis aux voix, n'est pas adopté.

À la majorité de 88 voix contre 35 sur 123 votants et 123 suffrages exprimés, l’amendement 308 n’est pas adopté.

M. Manuel Valls – Il s’en est fallu de peu ! (Rires)

À la majorité de 83 voix contre 35 sur 120 votants et 118 suffrages exprimés, l’amendement 374 n’est pas adopté.

M. Noël Mamère – Il y a quelques années, notre collègue Marie-Hélène Aubert avait produit un rapport préconisant de constitutionnaliser la parité en inscrivant dans la Constitution la formule : « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ». Raisonnant en la présente circonstance comme M. Bayrou, nous estimons que le mot « assure » serait plus contraignant. Tel est l’objet de l’amendement 306.

La parité a fait d’énormes progrès depuis quelques années ; le temps est venu de l’inscrire dans la Constitution. Alors que les femmes représentent 52 % du corps électoral, elles sont très peu représentées à l’Assemblée comme aux autres étages de la démocratie française. Il est temps qu’elles assument pleinement leurs responsabilités dans la vie publique.

M. Jean-Claude Sandrier – L’amendement 375 est identique. En Europe, seules la Slovénie et l’Italie font pire que la France en matière de représentation des femmes au Parlement. Même si l’on observe un progrès de la douzième à la treizième législature, notre assemblée ne montre pas l’exemple : nous n’avons qu’une vice-présidente, aucune présidente de commission… Le plus infamant reste cependant la possibilité pour les partis politiques de s’exonérer de la parité par le paiement d’amendes. L’adoption de ces amendements rassurerait tout le monde et nous rendrait l’honneur.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – La commission préfère s’en tenir au terme « favorise ». Ce n’est, du reste, pas de changer un mot qui permet forcément de changer les choses (Exclamations sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC). Comment « assure »-t-on la parité à l’élection présidentielle ? Il convient de conserver une certaine mesure pour que les choses aient un sens. Le mot « favorise » a du sens et permet de faire évoluer la situation. Avis défavorable.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Le terme « favorise » avait fait débat au moment des discussions sur la loi de 1999 relative à la parité. Ce terme est un bon compromis. Si nous écrivons « assure », la loi contraindra, alors que nous souhaitons aussi inciter.

M. le Président – Je suis saisi par le groupe GDR d’une demande de scrutin public sur les amendements 306 et 375.

Mme Patricia Adam – Le terme « assure » apporte une plus grande sécurité à la parité parce qu’il est plus contraignant, notamment pour les scrutins uninominaux.

M. Benoist Apparu, rapporteur pour avis – Mais comment ?

Mme Patricia Adam – Aux élections cantonales, les femmes sont trop peu représentées, parfois même absentes. Il serait temps de nous pencher sur ce problème et d’imaginer des contraintes qui rendraient possible la représentation des femmes aux conseils généraux.

M. Philippe Folliot – Le parti socialiste n’est pas exemplaire à cet égard.

Mme Patricia Adam – Ce n’est pas faux. En tout cas, la délégation aux droits des femmes réfléchit à la question.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Très bien !

M. Jérôme Chartier – Personne ne peut être opposé à la parité. Reste que l’amendement de M. Mamère est fort habile, car le terme « assure » implique une obligation de résultat qui ne pourrait être satisfaite que par le scrutin proportionnel. Vous êtes encore dans le débat sur la proportionnelle, Monsieur Mamère ; avouez-le ! (Exclamations sur les bancs du groupe GDR)

M. Noël Mamère – Je pensais que nos débats devaient avoir un peu plus de hauteur. Nous taxer d’arrière-pensées de la sorte est irrecevable ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Du reste, je pourrais retourner l’argument, car vous venez de reconnaître que l’introduction de la proportionnelle serait une contribution décisive à la parité et que, puisque vous prétendez être un défenseur de cette dernière, vous auriez dû voter notre amendement tout à l’heure.

Madame la garde des sceaux a cité une loi dont l’auteur était Mme Aubert, députée Verte. C’était il y a presque dix ans. Entre-temps, la société française a évolué ; la ministre est l’incarnation de cette évolution. Mais il faut assurer la parité à tous les étages de la démocratie. Et, Monsieur le rapporteur, cela ne revient pas à demander que le prochain président soit une femme !

Comme M. Sandrier, je trouve scandaleux que les partis s’exonèrent de la parité en payant ; c’est la même chose que ces collectivités qui paient des pénalités pour ne pas recruter de travailleurs handicapés. Nous demandons que ce pays, qui se veut un phare de la démocratie, le prouve en assurant la parité.

Mme Claude Greff – Donnez votre place à une femme !

M. Noël Mamère – Je regrette, madame, qu’étant une femme, vous protestiez contre ceux qui défendent la parité ; c’est le monde à l’envers !

M. Bernard Debré – Comme MM. Sandrier et Mamère, je trouve honteux que les partis paient pour ne pas appliquer la parité et que des entreprises le fassent pour ne pas recruter de travailleurs handicapés, car c’est immoral. Cependant, je voterai contre ces amendements, car, dans le cas d’élections uninominales, la contrainte serait contraire à la nécessaire liberté des uns et des autres de se porter candidats.

À la majorité de 78 voix contre 26 sur 104 votants et 104 suffrages exprimés, les amendements 306 et 375 ne sont pas adoptés.

M. Jean-Claude Sandrier – Le Premier ministre soulignait, à l’ouverture de nos débats, que la société française devait avoir des débats à son image. Cette remarque de bon sens renvoie à l’exigence de rapprocher les élus des citoyens. Pour cela, il faut permettre à davantage de citoyens d’accéder aux fonctions électives, ce à quoi le cumul des mandats, facilitant la concentration des pouvoirs, oppose un obstacle de taille.

Le cumul des mandats ne permet pas aux élus de se consacrer pleinement à chacune de leurs tâches. Nous savons qu’il est difficile de résoudre cette question : le cumul s’ancre dans une réalité socio-culturelle complexe, dans des considérations électorales, parfois électoralistes, dans une longue tradition républicaine qui fait de la politique une carrière et de l’accès à certaines fonctions électives l’aboutissement d’un cursus honorum. En outre, la société contemporaine se caractérise par une professionnalisation accrue de la politique.

On n’y remédiera pas par la seule interdiction du cumul. La démocratisation de notre vie publique exige la remise à plat de pans entiers du fonctionnement institutionnel. La limitation du cumul représente, cependant, une étape indispensable.

Je voudrais profiter de ce débat pour interroger le Gouvernement sur un autre sujet essentiel à nos yeux, à savoir le statut des élus. On ne peut prétendre démocratiser la vie publique sans aborder cette question.

Notre groupe avait déposé en 2001 une proposition de loi visant à faciliter l'accès de tous aux fonctions électives. Notre texte n'avait pas été adopté, mais un large consensus s'était dégagé sur la nécessité de nous pencher collectivement sur ce dossier difficile – révision du montant des indemnités, garanties en faveur du retour à l’emploi...

Nous aurions pu déposer un amendement tendant à introduire dans la Constitution un renvoi à un statut des élus, mais nous préférerions que le Gouvernement s’engage à réfléchir à cette question et à nous faire des propositions dans quelques mois. Nous nous engageons également à en formuler.

Sous le bénéfice de ces observations, je vous invite à adopter l’amendement 376. Si ce n’est pas une main tendue, je ne sais pas ce que c’est.

M. Jean-Christophe Lagarde – Si nous vous suivions, les élus risqueraient de ne plus être que les représentants des mouvements politiques dans la plupart des circonscriptions. Depuis six ans que je siège sur ces bancs, j’ai en outre pu constater à quel point l’expérience d’élus locaux de certains d’entre nous pouvait être utile. Et il est bien rare que l’on vienne nous parler de législation dans nos permanences électorales : nos concitoyens nous demandent plutôt de les appuyer dans leurs démarches, notamment dans leur recherche d’emploi ou de logement. Nos fonctions de maires ou de conseillers généraux nous permettent une expérience que nous pouvons porter dans cet hémicycle.

Sous la forme qui nous est proposée, le non cumul des mandats aurait pour conséquence de propulser des personnes issues des appareils politiques et dénuées de toute expérience de terrain. Nous en connaissons déjà quelques exemples dans d’autres enceintes. Il faut certes limiter le cumul, mais sans l’interdire totalement : les membres de cette Assemblée doivent représenter les opinions et les partis politiques, mais ils doivent aussi disposer d’une expérience de terrain.

Chacun sait que certains pourfendeurs du cumul se sont mis à le pratiquer, trouvant peut-être utile la combinaison de deux expériences différentes ; d’autres continuent à dénoncer régulièrement le principe tout en attendant que la loi l’interdise pour devenir vertueux. Pour ma part, je souhaite que nous reconnaissions clairement l’apport de l’expérience locale. Elle est utile aux législateurs que nous sommes. Je ne défends pas cette idée pour préserver des privilèges, mais parce que j’ai constaté à quel point il était utile que des élus locaux s’expriment dans cet hémicycle.

M. le Président – Sur l’amendement 376, je suis saisi par le groupe GDR d’une demande de scrutin public.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Je demande à M. Sandrier de retirer son amendement. Il est déjà évident que c’est à la loi de limiter ou d’interdire le cumul des mandats, sous réserve de l’article 25, qui prévoit une loi organique pour le statut des députés. L’amendement 376 n’a aucune portée juridique.

Si l’amendement n’était pas retiré, avis défavorable.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Même position.

M. Noël Mamère – Il n’est pas question de retirer cet amendement. Il est tout à fait possible d’inscrire dans la Constitution le principe d’interdiction ou de limitation du cumul des mandats dans les conditions fixées par la loi, comme nous l’avons déjà proposé dans notre amendement relatif au droit de vote des résidents étrangers non communautaires.

On ne peut prétendre réformer les institutions et revitaliser notre démocratie tout en continuant à autoriser cette exception française qu’est le cumul des fonctions de législateur et des fonctions exécutives locales. Chacun sait que le rythme de nos séances est aménagé en fonction des impératifs locaux, et non des nécessités du travail parlementaire. C’est d’ailleurs pour cette raison que les séances prévues demain ont été annulées !

J’ajoute que nous sommes le seul État européen qui interrompe les travaux parlementaires pendant la durée des campagnes municipales. Notre pays ressemble beaucoup à une République bananière ! (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – La suspension des travaux pendant les campagnes électorales est une tradition républicaine, Monsieur Mamère (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Par ailleurs, s’il y a un sens de prévoir un renvoi à une loi quand il s’agit d’accorder le droit de vote à des étrangers, c’est que la loi seule ne pourrait le faire. Sans une telle habilitation, ce serait contraire à la Constitution. À l’inverse, il n’est pas besoin de prévoir que la loi peut fixer des limites au cumul des mandats, ou l’interdire. Ce qui aurait un sens, ce serait de demander que la Constitution interdise explicitement un type particulier de cumul.

M. Jean Jacques Urvoas – Nous voterons cet amendement 376, et nous avons d’ailleurs déposé, à l’article 10, un autre amendement qui va dans le même sens.

En effet, il ne serait pas incohérent que le renforcement du Parlement s’accompagne d’un plus grand investissement des parlementaires. Cette idée n’est pas de moi, mais de Nicolas Sarkozy ! C’est ce qu’il a écrit au Premier ministre lorsqu’il lui a transmis le rapport du comité présidé par M. Balladur, le 12 novembre 2007. Pour ma part, il me paraîtrait effectivement bien étrange que nous n’abordions pas le cumul des mandats, si souvent dénoncé par nos concitoyens.

Quant à l’argument de M. Lagarde, selon lequel il faut cumuler les mandats pour comprendre les problèmes de nos concitoyens, je trouve que c’est désobligeant pour les non cumulards, dont je suis. J’ai d’ailleurs eu le privilège de battre une députée cumularde. Rien ne prouve qu’on connaît mieux les problèmes quand on est à la fois élu local et national : personne n’a jamais démontré que nos homologues étrangers, qui ne cumulent pas les mandats, sont moins compétents que les députés ou les sénateurs français.

Tant de députés détiennent d’ailleurs des mandats locaux que je finis par me demander si ce n’est pas cette Assemblée qui représente les collectivités territoriales, mission pourtant dévolue au Sénat par la Constitution… Je sais bien que la réforme du cumul est douloureuse, mais il faut se souvenir des propos de Danton : « Soyons terribles pour éviter au peuple de l’être ».

M. Jean-Claude Sandrier – Pour la sérénité de nos débats, ne dites pas que notre amendement est ridicule !

M. Bernard Debré – Et quelle est l’utilité de dire que nous sommes une République bananière ?

M. Jean-Claude Sandrier – Je ne suis pas l’auteur de ces propos. Pour ma part, je pense que le cumul des mandats est une vraie question. N’avez-vous pas affirmé à plusieurs reprises, Monsieur le Président, que nous devions renforcer l’efficacité de notre travail ? Ce texte apporte plusieurs réponses, mais il y a des lacunes. Il ne faut pas oublier le problème de la présence des députés. C’est un sujet essentiel.

Je déplore également de ne pas avoir obtenu de réponse sur la constitution d’un groupe de travail sur le cumul des mandats.

À la majorité de 69 voix contre 29 sur 99 votants et 98 suffrages exprimés, l’amendement 376 mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Christophe Lagarde – Autant il me semble que l’interdiction de cumuler plusieurs mandats en même temps ne permettra pas un véritable renouvellement de notre vie politique, autant je suis favorable à l’interdiction du cumul de plus de trois mandats consécutifs.

Tel est le sens de l’amendement 246, qui va manifestement dans le sens de ce que veut le Gouvernement lorsqu’il propose de limiter l’exercice de la fonction de Président de la République à deux mandats successifs.

Il n’est pas sain qu’une même personne représente pendant plus de dix-huit ans les mêmes électeurs. En 2001, je connaissais une collectivité dirigée depuis plus de cinquante ans par la même personne, ce qui n’est tout de même pas rien…

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Avis défavorable.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Avis également défavorable.

M. Bernard Debré – On veut donc contraindre le peuple ! Après avoir imposé la parité – soit – on parle de conditions d’âge, puis de non cumul des mandats et maintenant de restreindre le nombre des mandats consécutifs. Continuons sur cette lancée et il ne restera plus qu’à désigner les candidats ! Si un candidat se présente à une élection et qu’il est élu, le fait qu’il le soit pour la quatrième fois n’entache pas son élection d’illégitimité ! Un peu de démocratie, je vous prie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. André Schneider – Merci !

M. le Président – M. Brard, qui n’est pas présent dans l’hémicycle, ne pourra donc présenter l’amendement 544 de même objet, qu’il aurait été intéressant de l’entendre défendre (Sourires).

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – C’est qu’il se l’est appliqué à lui-même…

L'amendement 246, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Noël Mamère – Par l’amendement 309, nous proposons que les étrangers non communautaires puissent être électeurs et éligibles pour les élections aux conseils des collectivités territoriales. La France s’honorerait de faire sienne cette disposition qui, même si elle ne figure pas dans le Traité de Maastricht, est déjà appliquée par plusieurs pays de l’Union européenne – les Pays-Bas, la Suède et le Danemark par exemple. Ce serait une manière de combattre des discriminations durement ressenties par eux et par leurs enfants – qui sont français pour la plupart. D’autre part, nous devons reconnaître que certains élus – pas ceux qui siègent ici aujourd’hui, naturellement – n’ont pas forcément la même considération pour la frange de la population qui, parce qu’elle ne vote pas, ne peut pas les sanctionner que pour la population qui a le droit de vote (Exclamations indignées sur les bancs du groupe UMP). La situation qui prévaut aujourd’hui montre une anomalie du pacte républicain. Au nom de quoi exclure du vote aux élections locales ceux qui vivent en France depuis des décennies et qui, après avoir été, pour nombre d’entre eux, des « indigènes » colonisés sont aujourd’hui des sous-citoyens ? (Vives exclamations sur les mêmes bancs) Adopter cet amendement contribuerait aussi à éviter certains troubles que nous avons connus au cours des dernières années.

M. Jean-Christophe Lagarde – Je maintiens que le droit de vote est attaché à la citoyenneté, laquelle est aujourd’hui, dans notre pays, de deux natures. La citoyenneté française trouve historiquement son fondement dans une volonté politique, celle de mettre en œuvre les valeurs communes de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité. Contrairement à ce qui s’est passé ailleurs, la citoyenneté, en France, ne s’est pas construite en fonction de critères géographiques, culturels ou linguistiques mais essentiellement sur une volonté politique, que doit manifester celui qui souhaite l’acquérir. La citoyenneté s’acquiert aussi désormais par le biais des traités ratifiés avec nos voisins européens et notamment celui de Maastricht, ratifié par le peuple : nous sommes toujours dans la volonté politique. Respectons cette logique. Pour ce qui me concerne, je milite en revanche pour l’accélération du délai d’obtention de la nationalité française qui, dans certains départements comme celui de la Seine-Saint-Denis, est véritablement indécent – il est inadmissible de devoir patienter trois ans sinon plus pour être naturalisé quand on vit en France depuis vingt ans. Favorisons l’accès à la nationalité française des étrangers non communautaires en situation régulière et la question en débat se résoudra d’elle-même.

M. Jean Leonetti – La France est le seul État nation fondé sur des valeurs politiques, le désir d’une destinée commune. Sur cette base, une intégration réussie suppose que l’étranger qui adhère aux valeurs républicaines devienne Français. Ne défendez pas, Monsieur Mamère, une sorte de sous-citoyenneté (M. Mamère se récrie) de résidence ou de passage (Exclamations sur les bancs du groupe GDR) : pourquoi donner le droit de vote à des gens qui ne le demandent pas, alors qu’il est plus facile de devenir citoyen français que, par exemple, citoyen allemand ?

M. André Schneider – C’est parfaitement exact.

M. Jean Leonetti – Votre amendement n’a rien de choquant, mais vous n’abordez pas la question sous le bon angle : vous auriez dû proposer que tous les enfants nés en France deviennent, à terme, français. Seulement, cette disposition est superfétatoire, comme vous le savez.

M. Noël Mamère – À ma connaissance, la France n’est pas le seul État nation…

M. Jean Leonetti – Ce n’est pas ce que j’ai dit.

M. Noël Mamère – Par ailleurs, les arguments que j’ai entendus sont aujourd’hui caducs. J’aimerais que l’on m’explique pourquoi ceux que l’on est allé chercher de force il y a quarante ans, qui respectent nos lois et contribuent à la richesse nationale n’ont pas le droit de vote, au contraire d’un Italien, d’un Espagnol ou d’un Portugais, qui n’ont pas demandé la nationalité française mais qui ont le droit de voter alors qu’ils ne vont passer que quelques années en France avant de repartir ! Ce n’est pas parce que l’on ne choisit pas la nationalité française que l’on n’est pas un citoyen ! Vous en restez à une position archaïque, alors même que l’acquisition de la nationalité française suppose un véritable parcours du combattant, vous le savez fort bien (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean Leonetti – Ce n’est pas vrai.

M. Noël Mamère – Si vous considérez qu’un étranger qui vit en France depuis quarante ans et dont les enfants sont français n’est pas un citoyen, pourquoi peut-il adhérer à un syndicat, à une association, cotiser à la caisse des écoles (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean Leonetti – La résidence ne prime pas les valeurs !

L'amendement 309, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Christophe Lagarde – Par l’amendement 247, je propose de limiter le cumul de mandats simultanés à deux par élu, à l’exclusion des mandats exercés au sein des intercommunalités. Il serait étrange qu’un maire ne puisse être membre de son EPCI !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Avis défavorable.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux Même avis.

M. Jacques Domergue – La question est légitime. Les communes sont nombreuses dans lesquelles les responsabilités locales sont exercées par le même maire depuis des décennies. Il faudrait faire la différence entre mandat législatif et mandat exécutif. Si un renouvellement non limité du mandat législatif peut se justifier, il n’en va pas de même des mandats exécutifs. D’ailleurs, nous allons plus loin dans le texte limiter le nombre de mandats successifs du Président de la République, mandat exécutif suprême. Sans doute devrait-il en aller de même pour les mandats de maire, de président de conseil général ou régional. Mais c’est dans un cadre législatif qu’il faudrait en traiter

M. Noël Mamère – Quelle hypocrisie dans cet amendement que d’exclure de la limitation du cumul les responsabilités intercommunales ! En effet, chacun sait que le pouvoir véritable réside aujourd’hui moins dans les communes que dans les structures intercommunales, lesquelles disposent de moyens considérables, prennent des décisions capitales pour les territoires et sont pourtant gérées en toute opacité, sans aucun contrôle démocratique. S’il y a bien une disposition qu’il faudrait introduire dans la Constitution, ce serait le contrôle des structures intercommunales.

L'amendement 247, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Christophe Lagarde – L’amendement 248 prévoit qu’un fonctionnaire détaché, réélu parlementaire, doit, s’il souhaite exercer un second mandat, démissionner de la fonction publique. Cette disposition avait déjà été défendue, sous la législature précédente, par un député fonctionnaire, aujourd’hui ministre de la défense.

Un tel amendement permettrait de réduire l’inégalité qui existe entre fonctionnaires et non-fonctionnaires pour l’exercice des mandats électifs. On me rétorquera immanquablement qu’il faut améliorer le statut de l’élu pour y remédier. Force est de constater que notre Assemblée compte peu de membres de professions libérales, notre Président faisant exception à la règle, peu de chefs d’entreprise, peu d’employés, mais beaucoup de fonctionnaires. Il faudrait rétablir une certaine égalité entre ceux qui prennent des risques à briguer un mandat et ceux qui n’ont pas à en prendre – sans toutefois que le couperet soit trop dur puisqu’il ne serait imposé à ces derniers de faire un choix qu’au renouvellement d’un premier mandat.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Avis défavorable.

Mme Rachida Dati, ministre de la justice – Même avis. Cet amendement n’est pas du ressort de la Constitution, mais d’une loi organique. Plutôt que d’opposer salariés du privé et fonctionnaires pour l’accès aux fonctions électives, mieux vaudrait améliorer le statut de l’élu.

M. Jean-Christophe Lagarde – Il n’existe pas.

M. René Dosière – Je suis surpris que M. Lagarde, pour lequel j’ai de l’amitié, nous propose un amendement aussi mal rédigé et si peu à sa place. Comme l’a souligné la garde des sceaux, cet amendement relève d’une loi organique. Sa connotation anti-fonction publique est en outre pour le moins désagréable. Plutôt que de stigmatiser les élus fonctionnaires, il faut faire en sorte que les salariés du privé et les professions libérales puissent accéder à l'Assemblée nationale dans des conditions aussi favorables que les premiers. Cela étant, nous avons bien compris que M. Lagarde souhaite prendre date, comme dans l’amendement précédent relatif au cumul des mandats. Nous reviendrons sur ce dernier point à l’endroit pertinent du texte pour ce faire.

M. André Schneider – Je suis aussi opposé à cet amendement. Plutôt que de songer à freiner l’accès des fonctionnaires au mandat de député, mieux vaudrait se demander comment en faciliter l’accès aux autres professions et réfléchir aux moyens de les aider à gérer la sortie de la fonction élective. Ces points relèvent de la loi.

M. Pierre Lellouche – M. Lagarde soulève un vrai problème, qui ne relève en effet pas, non plus que celui du cumul des mandats dont nous avons débattu tout à l’heure, du domaine de la Constitution. J’ai d’ailleurs observé que les plus ardents défenseurs du non-cumul des mandats sont ceux qui en cumulent le plus…

S’agissant de la colonisation, car il n’est pas d’autre terme, de notre vie politique par les membres de la haute fonction publique, elle s’explique largement du fait du rôle joué par l’ENA depuis 1945. Il y a eu des gouvernements où jusqu’à 70 % des ministres sortaient de cette école et des ministres des finances anciens sous-directeurs du Trésor – autant dire que souvent l’ENA a parlé à l’ENA ! C’est une vieille maladie de l'Assemblée nationale qu’y soit surreprésentée la fonction publique. L’origine du mal est lointaine, remontant à l’époque du suffrage censitaire où les élus ne pouvaient être recrutés que parmi les nobles, qui avaient de la fortune, ou parmi les fonctionnaires, qui percevaient un traitement. La situation a fort heureusement évolué depuis lors mais déjà Herriot, dans les années trente, demandait que, comme en Angleterre, il ne soit pas possible d’être à la fois élu et fonctionnaire. Le problème demeure d’actualité. Il faudrait assurément faciliter le retour à l’activité des élus issus du privé lorsqu’ils sont battus, afin d’éviter les drames qui se produisent parfois. Mais permettre que les fonctionnaires élus conservent tous leurs avantages, les cumulent même en matière de retraite et soient assurés d’un parachute, quel que soit le résultat de l’élection, est source de profonde inégalité dans l’accès aux mandats et empêche que cette Assemblée reflète fidèlement l’ensemble de la nation.

L’amendement de notre collègue Lagarde, même s’il ne relève pas du domaine constitutionnel, a le mérite de soulever un vrai problème. J’ai moi-même déposé plusieurs propositions de loi visant à interdire qu’un élu puisse demeurer fonctionnaire, et ce, comme en Angleterre, dès le premier mandat – M. Lagarde est plus généreux puisqu’il ne vise que les parlementaires réélus. Je serais heureux que tous les groupes réfléchissent à cette question et que nous trouvions rapidement une solution satisfaisante.

M. le Président – Permettez-moi de vous rappeler, Monsieur Lellouche, qu’ici même nous avons décidé, il y a peu, de supprimer le cumul de cotisations retraite pour les députés fonctionnaires.

L'amendement 248, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Président – L’amendement 249 a été retiré.

ART. PREMIER

M. Bernard Debré – En même temps que j’interviens sur l’article, je défendrai mon amendement 437.

J’ai été surpris d’apprendre, au cours de ce débat, que nous étions de très mauvais députés, que nous ne représentions rien, que nous n’avions aucune considération pour les électeurs qui n’ont pas voté pour nous ou se sont abstenus, et que jusqu’à présent, nous ne vivions pas en République, si bien qu’il fallait aujourd’hui tout bouleverser.

En lisant l’article premier, je découvre que nous instituons une majorité et une opposition ! Il dispose en effet que « Des droits particuliers peuvent être reconnus par la loi aux partis et groupements politiques qui n’ont pas déclaré soutenir le Gouvernement ». Faut-il donc, pour avoir des droits particuliers, se déclarer expressément pour ou contre le Gouvernement ?

Membre de l’UMP, je suis évidemment pour le Gouvernement actuel. Mais il s’est vu, récemment encore, que des groupes parlementaires ne se déclarent ni pour ni contre le Gouvernement. Je pense notamment à l’ex-UDF, qui, dans la législature précédente, n’a pas voté tous les budgets mais ne les a pas non plus tous rejetés. Était-elle pour ou contre le Gouvernement ?

Ce qui serait pire encore, Madame la ministre, c’est que l’on soit obligé de se déterminer dès l’élection et définitivement pour ou contre le Gouvernement.

À ce que je crois et à ce que j’ai pu constater, l’opposition dispose déjà de beaucoup de droits, qu’il s’agisse de ceux que lui reconnaît la Constitution ou de ceux que lui donne l'Assemblée nationale. On l’a vu d’ailleurs récemment, lorsqu’une motion de procédure présentée par l’opposition a été adoptée.

Mme Catherine Génisson – Eh oui !

M. Bernard Debré – Dernièrement, on a aussi donné à l’opposition des droits nouveaux, comme la présidence de la commission des finances, ce qui n’est pas rien. Enfin, il y a les séances d’initiative parlementaire qui permettent à tous les groupes de présenter des propositions de loi. L’opposition en a défendu une ce matin, et une autre pas plus tard qu’avant-hier.

M. René Dosière – Qu’attendez-vous pour passer à l’opposition ?

M. Bernard Debré – Plus généralement, il n’est pas rare que des personnalités de l’opposition président des commissions extraparlementaires ou d’autres instances qui comptent dans la vie publique. Je ne pense donc pas que l’opposition soit brimée.

On peut aussi considérer qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une majorité et une opposition et l’on retient alors l’hypothèse d’instaurer la proportionnelle.

M. le Président – Veuillez conclure.

M. Bernard Debré – Pour toutes ces raisons, je souhaite que l’on supprime cet article superfétatoire et tel est l’objet de mon amendement 437.

M. Jérôme Chartier – Le groupe UMP soutient cet article et il le votera, précisément pour les raisons que vient d’exposer Bernard Debré…

M. Bernard Debré – Ah bon ?

M. Jérôme Chartier – Lorsque tu dis que l’opposition dispose désormais de droits, comme la présidence de la commission des finances ou de certaines commissions d’enquête, tu oublies de dire que ce ne sont justement pas des droits mais de simples pratiques ! Confier la présidence de la commission des finances à un membre de l’opposition relève d’une initiative du président Sarkozy.

Un député du groupe GDR – Oh, cela ne change pas grand-chose !

M. Jérôme Chartier – Ce qui serait formidable, c’est que les droits reconnus à l’opposition ne soient plus seulement des droits à s’opposer – comme en témoignent les milliers d’amendements d’obstruction déposés dans la précédente législature et la généralisation des motions de procédure, lesquelles closent parfois la discussion avant qu’elle ne commence !

Ce à quoi les Français aspirent, c’est que l’opposition puisse devenir une entité prête à discuter avec la majorité. En commission, le débat est souvent constructif. Ce qui serait bien, c’est que la loi organique qui découlera du présent débat énonce des droits visant à permettre à l’opposition d’être, pour ainsi dire, statutairement constructive.

M. Marc Dolez – Incroyable ! On peut quand même s’opposer comme on veut !

M. Jérôme Chartier – Tout le monde attend cette évolution : l’opposition elle-même, la majorité, le Président de la République et le Gouvernement. Saisissons cette occasion de rendre l’opposition – quelle qu’elle soit – constructive et montrons, nous la majorité, que nous y sommes prêts car cela ne remet en rien en cause l’esprit de la Ve République telle que l’ont pensée ses pères fondateurs.

M. Philippe Folliot – Cet article me gêne, car, au prétexte de donner des droits à l’opposition, on ouvre la voie au manichéisme. Aux termes du nouvel article 49-1, il serait obligatoire de se situer dès le début de la législature dans un camp ou l’autre, sans possibilité d’y revenir par la suite.

Pour perfectionner la vie démocratique au sein de cette Assemblée, peut-être faut-il reconnaître des droits spécifiques à l’opposition. Mais au-delà de l’opposition, c’est à tous les groupes, et même à tous les parlementaires qu’il faut s’adresser. Quid des députés non inscrits ?

Veillons à éviter deux travers dangereux. Le premier consisterait à instaurer une forme de mandat impératif…

M. Christian Vanneste – Très bien ! C’est un bon argument.

M. Philippe Folliot – Ceux qui se déclareraient dans la majorité seraient toujours obligés d’être pour ; ceux de l’opposition seraient systématiquement contre tout ! Le second danger, c’est d’encourager une forme de bipartisme entre un grand parti de la majorité, un grand parti de l’opposition et rien de reconnu entre les deux. Or la démocratie, c’est le pluralisme et la diversité des opinions. Je ne reviens pas sur le débat que nous avons eu tout à l’heure sur l’instillation d’une dose de proportionnelle pour permettre à certains courants relativement représentatifs de s’exprimer ici. Mais j’affirme que tout ce qui tend à figer les choses entre une majorité et une opposition instituées n’est pas forcément porteur d’un progrès démocratique.

M. Arnaud Montebourg – Nous entrons dans le texte proprement dit et, bien entendu, la question du statut de l’opposition ne nous est pas indifférente. Nous l’avons défendu en commission avec beaucoup de force et plusieurs amendements du rapporteur ont rendu compatibles certaines revendications de certains groupes centristes qui ne voulaient pas avoir à choisir. C’est leur liberté.

La question se pose du maintien de droits spécifiques, attachés à certains groupes selon leur comportement ou leurs orientations politiques. C’est une innovation fondamentale, que les socialistes défendent dans cette discussion. À l’inverse de Bernard Debré qui y voit un grave recul, nous y voyons un progrès.

Sortons à présent des abstractions, et je questionne à ce stade notre rapporteur et le président Accoyer : selon quelles conceptions le Règlement intérieur des assemblées fixera-t-il les fameux droits spécifiques ? Quels seront-ils et en quoi seront-ils vraiment spécifiques ? Ne seront-ils pas si exceptionnels qu’ils risquent de nous marginaliser ? Dans l’opposition, un certain nombre de députés préféreraient peut-être conserver leurs droits actuels plutôt que de se voir conférer des droits spécifiques risquant de les marginaliser.

M. Bernard Debré – Mais oui, il a raison !

M. Arnaud Montebourg – Les ambiguïtés doivent se dissiper et nous devons savoir à quelle sauce, amère ou généreuse, nous allons être mangés !

Nous avons besoin de savoir comment vous imaginez le statut de l’opposition. Le président Accoyer, auquel je rends hommage, a fait des déclarations apaisantes semblant suggérer que le Règlement intérieur serait arrêté « entre nous ». Mais l’entre-nous, c’est le fait majoritaire ; c’est la majorité qui va décider où nous mettre.

M. Bernard Debré – Et le Conseil constitutionnel ?

M. Arnaud Montebourg – Y aura-t-il réellement, dans ces droits spécifiques, des droits supplémentaires ? Je prie la direction politique de cette réforme de bien vouloir nous répondre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. Jean Jacques Urvoas – Il va de soi que notre groupe est extrêmement attentif à cet article, lequel ne concerne pas que l'Assemblée nationale. Rien ne dit en effet qu’il n’organise que l’opposition parlementaire. Il convient donc d’envisager l’opposition en général et cela appelle des commentaires sur la définition même de l’opposition : parle-t-on d’une opposition politique, légale ou locale ? Faut-il décliner les droits spécifiques en fonction des assemblées dans lesquelles nous siégeons ? Sera-ce les mêmes pour les conseils régionaux et généraux ?

Le rapporteur a eu raison de dire en commission que cet article recélait de grandes possibilités. Mais il faut commencer par dire que bien des interrogations restent en suspens et qu’il est aujourd’hui proprement impossible de donner des droits particuliers à l’opposition, ne serait-ce que parce qu’une tentative en ce sens a déjà été conduite, en 2006, dans la révision du Règlement de l'Assemblée nationale. Le Conseil constitutionnel a alors supprimé cette disposition, en estimant qu’il était impossible de donner des droits supérieurs à ceux auxquels l’opposition pouvait arithmétiquement prétendre et que l’on ne pouvait introduire entre les groupes des différences de traitement injustifiées.

Cette décision n’était d’ailleurs pas très convaincante. Comme le faisait déjà observer M. Warsmann, il y a déjà discrimination entre les parlementaires selon qu’ils appartiennent à un groupe ou sont non-inscrits.

Il fallait donc supprimer un verrou constitutionnel. Cet article est une première étape en ce qu’il reconnaît des droits particuliers à l’opposition, au-delà de ceux qui lui confère la simple arithmétique électorale. C’est là une forme de discrimination positive. Nombre de nos voisins européens la pratiquent. Ainsi, le statut de « l’opposition de Sa Majesté » à la chambre des communes donne des droits considérables au chef de l’opposition parlementaire, qui est celui du groupe le plus important de l’opposition. Sur le strict plan des principes, nous ne pouvons qu’être favorables à cette modernisation de notre vie politique (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. François Bayrou – Pour un certain nombre d’entre nous, cette disposition est incohérente. On mélange en effet deux conceptions. Dans la première, en Grande-Bretagne par exemple, l’exécutif reçoit sa légitimité de la majorité parlementaire qui le désigne. Mais ce n’est pas le cas en France, où l’exécutif la trouve dans l’élection du Président de la République au suffrage universel. C’est lui qui choisit sa majorité et il peut même – le général de Gaulle s’est exprimé à ce sujet à plusieurs reprises – désigner un gouvernement sans avoir de majorité, quitte à dissoudre l’assemblée si celui-ci est censuré. Or dans cet article, on suit la première logique, celle des institutions parlementaires.

En second lieu, alors que notre Constitution frappe de nullité le mandat impératif, il faudrait donc, en début de législature, déclarer que l’on a vocation à soutenir le Gouvernement. Un élu doit avoir la liberté de soutenir un gouvernement s’il va dans le bon sens, de le combattre s’il va dans le mauvais sens. Mais allons plus loin encore : cela signifie qu’un parlementaire a un lien privilégié avec le gouvernement, et non avec ses électeurs. C’est pourtant à ses derniers qu’il doit rendre des comptes. À ce propos, M. Chartier vient de nous dire que si la présidence de la commission des finances a été confié à un socialiste, c’est par la volonté du Président de la République. Où est alors la séparation des pouvoirs ? (Murmures sur les bancs du groupe UMP)

M. Jérôme Chartier – Soyons sérieux !

M. François Bayrou – Je le suis tout à fait. De ce point de vue, ce qu’on nous propose est une régression.

À mes yeux, les parlementaires devraient tous avoir les mêmes droits, quel que soit le groupe auquel ils appartiennent, quelles que soient leurs relations avec le Gouvernement. Si c’était le cas, les non inscrits n’auraient pas droit à une question d’actualité tous les trois mois, mais celui de s’exprimer comme tout parlementaire et non en représentant d’un groupe lié ou non au Gouvernement .

M. Philippe Folliot – Très bien.

M. Bernard Debré – L’amendement 437 de suppression a été défendu.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – Sous la précédente législature, nous avons voulu introduire dans le règlement de l’Assemblée des éléments d’un statut de l’opposition. Pourquoi ? Bien entendu, tous les parlementaires sont égaux en droit et les fonctions dans différents organismes sont réparties à la proportionnelle entre les groupes. L’expérience prouve cependant que pour renforcer le contrôle, il faut donner à l’opposition une place plus importante que cette simple place proportionnelle, pouvant aller jusqu’à la moitié des postes. Des expériences ont été menées : Didier Migaud préside la commission des finances, les commissions des lois et des affaires économiques ont nommé des co-rapporteurs. Elles ne reposent sur aucun texte, car le Conseil constitutionnel annule ce genre de disposition. Nous voulons, avec cet article, lui ôter tout motif de persévérer dans cette jurisprudence afin de pouvoir inscrire dans le règlement de l’Assemblée des dispositifs donnant à l’opposition une place plus importante que celle qui lui revient arithmétiquement. Nous ne retirons de fonction à personne, nous n’obligeons personne à annoncer qu’il est pour la majorité ou pour l’opposition, et chacun reste libre de voter pour un projet du Gouvernement le matin et contre un autre l’après-midi. Simplement, les groupes parlementaires qui se constituent officiellement et déclarent ne pas faire partie de la majorité s’ouvrent un droit à des responsabilités qui seront à définir.

Nous voulons procéder ainsi dans les deux assemblées. De ce fait, il faudra modifier la rédaction du Gouvernement, car dans l’hypothèse où l’une d’elles – le Sénat par exemple – ne soutiendrait pas le Gouvernement, sa majorité aurait des postes supplémentaires de ce seul fait : ce serait en quelque sorte fromage et dessert ! Initialement, le Gouvernement voulait, dans l’article 1er, proposer des droits particuliers non pour les groupes parlementaires, mais pour les partis et groupements politiques en général. Seulement, cela ne fonctionne pas dans le cas d’un Conseil général ou d’un Conseil régional. De ce fait, la commission présentera un amendement à l’article 24 pour donner des droits, et, à la demande de M. Montebourg, des droits spécifiques, aux groupes parlementaires qui déclareront ne pas participer à la majorité à l’Assemblée et au Sénat. Cela répondra à notre objectif d’ôter son fondement à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

En revanche, à l’article 1er, je donne bien sûr un avis défavorable à l’amendement de suppression 437, et surtout, je retire l’amendement 42 rectifié de la commission pour me rallier à l’amendement 368 de M. Sauvadet, qui pose un principe général qui devrait rassurer M. Debré et M. Bayrou : « La loi garantit la participation des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la nation». Cela donne des droits, je le souligne, à des partis qui ne sont pas représentés au Parlement.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, L’article vise à autoriser le législateur à conférer des droits nouveaux aux partis minoritaires sans distinction. Nous voulons favoriser une démocratie à la fois irréprochable et ouverte. On pourra ainsi déroger au principe d’égalité et reconnaître des droits spécifiques aux partis minoritaires ou d’opposition, en ce qui concerne par exemple les règles de financement. Dans les assemblées parlementaires, de nouveaux droits seront reconnus aux groupes qui déclarent ne pas appartenir à la majorité, mais il convient de traiter également des formations politiques qui n’y sont pas représentées. De ce fait, le Gouvernement, qui émet bien entendu un avis défavorable sur l’amendement de suppression, accepte l’amendement 368.

M. le Président – Récapitulons : la commission retire son amendement 42 rectifié. D’autre part les amendements 250 et 251 sont retirés. Restent donc l’amendement 437 de suppression et l’amendement 368 de M. Sauvadet, auquel se rallie le rapporteur.

M. Arnaud Montebourg – Nous étions attaché à l’amendement 42 rectifié que le rapporteur vient de retirer. Je comprends qu’il veuille nous rassurer en promettant que les droits spécifiques seront inscrits à un autre article mais, du même coup, c’est toute la spécificité de l’article 1er qui disparaît, pour ne devenir qu’une simple pétition de principe, à la grande satisfaction de M. Debré, ainsi que celle du groupe Nouveau centre. Dans ces conditions, nous voterons contre l’article.

M. Bernard Debré – Je retire l’amendement 437.

M. le Président – J’appelle donc l’amendement 368 qui reste seul en discussion.

M. Jean-Christophe Lagarde – J’ajouterai à sa défense par le rapporteur qu’il est plus large que le précédent, puisqu’il concerne, au-delà de la seule opposition, l’ensemble des partis minoritaires, et au-delà du Parlement, l’ensemble de la vie démocratique. De ce fait, il a toute sa place à l’article 1er.

M. Bernard Debré – Si j’ai accepté de retirer mon amendement 437, c’est parce que celui-ci est anodin ! (Rires sur les bancs du groupe SRC)

M. Jean-Christophe Lagarde – Non, il ne l’est pas.

M. Bernard Debré – Avec cet amendement, la loi garantira la participation des partis et des groupements politiques – notez que le contraire serait ennuyeux. La nouvelle est donc bonne : nous sommes bien en République ! Dans ces conditions, je voterai pour cet amendement (Sourires).

L'amendement 368, mis aux voix, est adopté.

L'article 1er, ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 20 heures 5.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

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