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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du lundi 2 juin 2008

1ère séance
Séance de 16 heures
176ème séance de la session
Présidence de M. Marc-Philippe Daubresse, Vice-Président

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La séance est ouverte à seize heures quinze.

ÉLECTION D’UN DÉPUTÉ

M. le Président – M. le Président de l’Assemblée nationale a reçu de Mme la ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales une communication l’informant que M. Raymond Durand avait été élu, hier, député de la 11e circonscription du Rhône (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

MODERNISATION DE L’ÉCONOMIE

L’ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi de modernisation de l’économie.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi Croissance et plein emploi – c’est pour atteindre ces deux objectifs, en réformant en profondeur notre pays, qu’une large majorité des Français a élu Nicolas Sarkozy à la présidence de la République. Sous l’autorité du Premier ministre, le Gouvernement se consacre à cette tâche depuis un an. Beaucoup de travail a déjà été accompli ; la France est en mouvement ; mais de grands chantiers nous attendent encore dans les quatre années à venir.

Ce projet de loi, sur lequel nous travaillons depuis plus de dix mois, va nous permettre d’engager d’importantes réformes de structure, tout en consolidant le socle de notre stratégie économique. Avant de revenir sur chacun des titres du texte, je voudrais commencer par évoquer le contexte historique, puis notre ambition économique, les principes fondateurs de ce projet de loi, et enfin la méthode que nous avons retenue.

Comme l’Allemagne dans les années 2000, les États-Unis dans les années 1990 et l’Espagne dans les années 1980, la France entreprend aujourd’hui de moderniser son économie – et il était temps ! Dans un monde en mouvement perpétuel, ne pas avancer, c’est à l’évidence prendre le risque de reculer. D’après les chiffres du Fonds monétaire international relatifs au produit intérieur brut par habitant, la France était la 10e puissance économique mondiale en 1985 ; vingt ans plus tard, nous sommes au 21e rang.

Notre pays a pourtant traversé, il n’y a pas si longtemps, une période de prospérité, de créativité et de plein emploi sans équivalent dans l’histoire économique : les « trente Glorieuses ». On réclamait alors plus de liberté, et certainement pas plus de sécurité… Le chômage était inconnu, la jeunesse ne pensait pas au financement de sa retraite et le pouvoir d’achat augmentait en moyenne de 5,6 % par an. Cette génération était convaincue que demain serait meilleur qu’aujourd’hui.

Les temps ont bien changé : depuis le premier choc pétrolier, nous avons vécu une période que l’on pourrait appeler les « trente laborieuses ». Notre économie a été prise de vitesse et nous avons laissé s’accumuler les archaïsmes réglementaires et les bizarreries administratives, qui font le régal des juristes, mais aussi le désespoir des entrepreneurs.

Pourtant, nous connaissons tous la volonté, l’énergie et le talent de nos concitoyens. Le « génie français » a souvent étonné le monde. Il faut que nous fassions de ce potentiel une réalité économique, afin de donner à la France cette « nouvelle croissance » évoquée par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale.

On nous a souvent reproché l’obscurité de notre politique économique… Permettez-moi donc d’en dire quelques mots. L’été dernier, nous avons adopté des mesures d’urgence pour le travail, l’emploi et le pouvoir d’achat. Ces mesures ont commencé à porter leurs fruits.

M. Jean-Pierre Brard – Des fruits amers !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie – Ce n’est pas à notre taux de croissance que je pense – il atteint 2,2 %, soit exactement nos prévisions –, mais plutôt aux 352 000 créations d’emploi enregistrées au cours de l’année 2007 – voilà pour le travail –, au taux de 7,5 % de chômage que nous avons atteint – voilà pour l’emploi –, et aux six millions de salariés qui ont gagné plus en effectuant des heures supplémentaires – voilà pour le pouvoir d’achat. Un million de ménages bénéficie en outre d’un crédit d’impôt sur les intérêts d’emprunt.

Après le texte d’urgence de l’été dernier, vous allez maintenant examiner un projet de loi contenant des mesures structurelles, courageuses et pourtant peu coûteuses, puisqu’elles ne coûteront pas plus de 300 millions d’euros aux Français.

M. Daniel Paul – Ce n’est pas rien !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie – Plus d’entreprises, plus de concurrence, tels sont nos deux objectifs principaux. En les atteignant, nous obtiendrons plus de croissance, plus d’emploi et plus de pouvoir d’achat. Qu’il y ait davantage d’entreprises et davantage de concurrence, cela ne correspond pas seulement à des valeurs économiques, mais aussi aux valeurs fondatrices de notre démocratie, que la Révolution française a réussi à imposer. Souvenons-nous de la loi Le Chapelier du 14 juin 1791, qui a consacré la liberté du commerce et la liberté d’entreprendre en interdisant les vieilles corporations, afin de servir l’intérêt de chaque individu aussi bien que l’intérêt général.

M. Jean-Pierre Brard – 1791, la date ne manque pas d’intérêt… Vous n’avez pas choisi 1793 !

M. le Président – Ne vous laissez pas interrompre, Madame la ministre.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie – Les blocages d’aujourd’hui, ce sont les pratiques déloyales et les rigidités administratives, qui sont autant de freins au développement de notre pays et à la capacité d’entreprendre. Avec le Président de la République, le Premier ministre et les secrétaires d’État qui m’accompagnent, Mme Anne-Marie Idrac, MM. Luc Chatel, Hervé Novelli et Éric Besson, nous sommes déterminés à faire souffler un vent de liberté sur notre économie. Cela correspond au souhait du rapporteur, M. Jean-Paul Charié, de remettre l’homme au cœur des lois et des pratiques.

M. Jean-Pierre Brard – Tu parles !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie – Ce projet de loi repose sur trois principes : la croissance, la liberté et l’équilibre. Je reviendrai sur les deux premiers principes au fil du texte. Quant à l’équilibre, chacun sait qu’il n’y a pas de liberté acceptable sans régulation.

Le titre II du projet de loi, consacré à la concurrence, demandera certes des efforts à chacun, mais nous donnerons également à tous, grâce au titre I, relatif aux entreprises, de nouveaux moyens pour avancer. Les titres III et IV, consacrés à l’attractivité et au financement de l’économie, permettront d’assurer l’équilibre des différentes forces économiques, que ce soit au plan international, national ou territorial. Moderniser l’économie, c’est la rendre à ceux qui la font.

J’en viens à la méthode que nous avons suivie. Cela fait plus de dix mois que nous sommes tous mobilisés autour de ce projet de loi, membres du Gouvernement, parlementaires et acteurs économiques. Dans la lettre de mission qui m’a été adressée en juillet dernier, le Président de la République et le Premier ministre m’ont demandé de « lever les contraintes qui empêchent certains secteurs de se développer, de créer des emplois et de faire baisser les prix ».

Il y a d’abord eu le temps des experts, avec la commission présidée par M. Attali, qui a réuni des personnalités venant de tous horizons.

M. Jean-Pierre Brard – Brillante réussite !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie – Ce projet de loi reprend un quart des 140 propositions qui concernaient le ministère de l’économie, de l’industrie et de l’emploi, le reste étant déjà largement intégré à notre calendrier de réformes. À cela s’ajoutent les propositions formulées par les membres du groupe UMP qui se sont penchés sur les travaux de la commission Attali. Je veux les remercier d’avoir apporté leur contribution sous l’égide de Mme Catherine Vautrin, porte-parole du groupe UMP sur ce texte.

Vint ensuite le temps du débat. Ce projet de loi n’est pas né dans les coulisses des cabinets ou dans les couloirs des administrations.

M. Jean-Pierre Brard – Il est né dans les caves !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie – Non, il est le fruit d’un véritable travail collectif. Nous avons travaillé, pour parler comme M. Copé, « en coproduction » avec les parlementaires de la majorité, qui pourront d’ailleurs en témoigner. Je tiens en particulier à remercier M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, pour avoir su mener les débats avec tant d’énergie, tant d’humour et tant d’habileté.

Mon équipe ministérielle a également mené une large concertation avec toutes les parties prenantes. Pour ma part, j’ai installé un Haut comité de place pour le secteur financier ; Luc Chatel a, de son côté, travaillé sur la négociabilité, la réforme des soldes et l’urbanisme commercial ; Hervé Novelli sur les PME et de l’entrepreneuriat et Éric Besson sur le très haut débit. Ce n’est pas un hasard si, d’après les sondages, plus de la moitié des Français ont déjà entendu parler des principales mesures de ce texte (Rires sur plusieurs bancs du groupe SRC).

Nous sommes maintenant arrivés au temps de la décision. Le Gouvernement est prêt à consacrer aux débats tout le temps qu’il faudra pour vous répondre point par point, et pour que vous puissiez vous prononcer sans regrets.

Viendra ensuite le temps de la mise en œuvre. Pour que cette loi soit pleinement appliquée, je vous propose d’instaurer des instances de suivi qui feront toute leur place aux membres du Parlement. J’observe que certains d’entre vous ont déjà déposé des amendements en ce sens. Nous devrons mieux associer le Parlement à l’application de ce texte…

M. Michel Bouvard – Très bien !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie – Vous pourrez constater sur le terrain l’effet des mesures que vous aurez votées.

En 30 mesures et 44 articles, ce texte vise à obtenir 0,3 % de croissance et 50 000 emplois en plus à partir de 2009, pour un coût d’environ 300 millions d’euros. Je serai d’ailleurs preneuse, au cours de nos débats, de tous les amendements qui permettraient d’aller plus loin encore…

Le titre premier de ce texte tend à mieux mobiliser les entrepreneurs et à réveiller l’énergie d’entreprendre dans notre pays. Les créations d’entreprises progressent déjà, depuis un an, à un rythme sans précédent en France : au moins de décembre 2007, nous avons atteint le chiffre record de 321 000 créations d’entreprises, et la tendance se confirme, mois après mois. Plus de 28 000 entreprises nouvelles ont ainsi été créées en avril. C’est donc le bon moment pour soutenir l’esprit d’entreprise.

Dans ce but, nous n’oublions aucune des étapes de la vie de l’entrepreneur, que ce soit la création d’une entreprise, son fonctionnement, son développement ou sa transmission. La première mesure que nous avons prévue est d’instaurer un statut de l’entrepreneur individuel. La moitié des Français se disent en effet prêts à créer un jour leur propre entreprise. Ce statut leur permettra de passer plus facilement à l’acte.

Celui qui voudra vendre des objets de sa fabrication, concevoir des sites Internet, fabriquer des bijoux fantaisie ou donner des cours de chant, n’aura désormais plus qu’une seule formalité à remplir : il devra déclarer son activité sur Internet, ce qui ne prendra pas plus de deux pages d’écran. La loi supprime en effet toute obligation d’immatriculation pour les petites activités indépendantes, y compris celles qui seront exercées en cumul d’un salaire ou d’une retraite.

Chaque entrepreneur individuel pourra également s’acquitter en une seule fois de ses impôts et cotisations sociales grâce à un prélèvement libératoire de 13 % pour les activités d’achat et de revente, et de 23 % pour les activités de services, sous un plafond de chiffre d’affaires respectivement fixé à 76 300 et de 27 000 euros. Ce statut simple et fiscalement avantageux sera, pour tous ceux qui veulent entreprendre, le même tremplin que la loi de 1901 pour les associations.

Deuxième mesure : l’article 5 vise à renforcer la protection du patrimoine personnel. L’insaisissabilité, qui existe déjà pour la résidence principale, sera étendue à l’ensemble des biens fonciers bâtis et non bâtis qui ne sont pas affectés à l’usage professionnel. Ainsi, quelles que soient ses difficultés financières, l’entrepreneur individuel pourra conserver ses biens immobiliers.

Ensuite, l’article 4 facilite l’utilisation du local d’habitation comme local professionnel.

Avec l’article 9, nous créons un cadre fiscal favorable pour les sociétés en amorçage en permettant aux petites sociétés de capitaux d’opter pour le régime des sociétés de personnes, afin que l’entrepreneur individuel puisse, le cas échéant, imputer ses premières pertes sur l’impôt sur le revenu.

Cinquièmement, l’article 20 étend l’usage des plateformes de micro-crédit à tous les créateurs de très petites entreprises.

Enfin, l’article 18 réforme le système des sanctions commerciales en laissant au juge la liberté d’apprécier au cas par cas l’incapacité, afin que l’on cesse de refuser automatiquement la possibilité à quiconque a purgé une peine de créer une nouvelle entreprise.

J’en viens au fonctionnement des entreprises, deuxième pilier de notre projet. Avec le précieux concours de M. Ciotti, nous vous proposons plusieurs mesures de simplification. Nous souhaitons par exemple étendre le champ du rescrit social et simplifier le droit des sociétés applicable aux PME, qu’il s’agisse de réformer les statuts-type, d’alléger le régime de la publicité légale ou de simplifier la gestion des pièces comptables. La réforme des baux commerciaux prévue à l’article 11 libérera la hausse des loyers de l’actuel plafonnement au seul indice trimestriel du coût de la construction, pour y intégrer d’autres paramètres tels qu’un indice récemment adopté lors d’un accord interprofessionnel entre propriétaires et locataires, qui prend en compte l’indice des prix à la consommation.

À l’article 6, nous vous proposons de réduire les délais de paiement. C’est une question essentielle dont les parlementaires, au premier rang desquels M. Saddier, se sont très tôt saisis. En France, ces délais sont de soixante-sept jours, contre une moyenne européenne de cinquante-sept jours. Ramenons-les à soixante jours, quitte à ce que des accords de secteur les réduisent davantage : les PME pourront ainsi améliorer leurs fonds de roulement. L’État a d’ores et déjà montré l’exemple en réduisant ses propres délais de paiement à trente jours.

Troisième volet de notre action ; l’aide au développement des PME. À l’article 10, nous proposons de moderniser les instruments de capital-risque en créant un cadre juridique pour des fonds communs de placement à risque contractuel, qui auront vocation à investir dans les entreprises non cotées. Ensuite, l’article 12 vise à atténuer les effets du dépassement des seuils de dix et vingt salariés en instaurant un gel progressif sur trois ans, ainsi qu’un lissage sur quatre ans – une mesure qui ôtera au franchissement de seuil son caractère parfois dissuasif.

Mme Catherine Vautrin – C’est très important !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie D’autre part, la création d’un Small Business Act à la française, offrira aux PME innovantes un accès privilégié à 15 % des marchés de hautes technologies.

M. Frédéric Lefebvre – Voici une mesure très attendue des PME !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie L’article 8 vise à soutenir davantage nos exportations. Avec Mme Idrac, nous souhaitons, en l’autorisant à posséder des bureaux à l’étranger, faire d’Ubifrance une grande agence nationale consacrée au développement international de nos entreprises, dont nos concurrents disposent déjà.

Enfin, l’accès à la procédure de sauvegarde pour les entreprises en difficulté doit être assoupli, et les formalités liées allégées : c’est l’article 19.

Au cours des dix prochaines années, 700 000 entreprises changeront de main en France. Ce sont elles que vise le quatrième volet du titre I, qui a trait à la reprise et à la transmission. Les droits de mutation à titre onéreux des cessions de droits et des mutations de fonds de commerce seront abaissés de 5 % à 3 %, et la réduction d’impôt au titre des intérêts d’emprunt sera étendue aux repreneurs qui s’endettent pour effectuer leur opération, de sorte qu’elle pourra atteindre dix mille euros par an pour un couple.

M. Pierre Gosnat – Cadeau !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie D’autre part, les transmissions d’entreprise à la famille ou aux salariés seront intégralement exonérées de droits de mutation à titre onéreux, et ce jusqu’à 300 000 euros.

M. Jean-Pierre Brard – Bel avenir pour les RMistes !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie Telles sont les mesures proposées au titre I du projet. Elles visent à soutenir les PME, mais aussi à développer l’esprit d’entreprise et encourager ceux qui, en se mettant à leur compte, acceptent de prendre des risques.

J’en viens au titre II. La concurrence est le moyen le plus naturel et le plus sain d’agir sur les prix. Pour l’encourager, il faut tout à la fois assouplir les conditions de négociation des prix, augmenter le nombre d’acteurs présents sur le marché et lutter contre les pratiques anticoncurrentielles.

M. Jean-Pierre Brard – Vous pensez certainement au prix du litre d’essence…

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie Et à celui d’une boisson gazeuse à base de cola, ou d’une pâte à tartiner au chocolat et aux noisettes, dont M. Chatel a pu constater qu’elles coûtaient jusqu’à deux fois moins cher en Allemagne.

M. Pierre Gosnat – (L’orateur brandit un dépliant publicitaire pour des produits alimentaires) On peut manger pour 0,94 euros !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie Dès lors, M. Chatel et moi-même vous proposons de simplifier les conditions de la négociation des prix, et avant tout – aux articles 21 et 22 – de mettre fin au système absurde des marges arrière : laissons les fournisseurs et les distributeurs négocier librement, comme cela se fait dans l’ensemble des pays développés.

M. Frédéric Lefebvre – Enfin !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie Cessons ce jeu de poker menteur pour jouer cartes sur table : la transparence des prix doit être totale entre consommateurs, distributeurs et fournisseurs, afin que chacun sache ce qu’il paie à l’autre.

Mme Catherine Vautrin et M. Jérôme Chartier – Très bien !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie Dans le même temps, nous allons sanctionner tous les abus avec davantage de fermeté, qu’ils soient commis à la vente ou à l’achat. La négociation ne peut être soumise à la loi du plus fort.

M. Jean-Pierre Brard – La morale est en marche !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie Moment festif, les soldes sont aussi, à leur manière, une importante période de négociation entre vendeurs et acheteurs. Nous proposons d’autoriser les commerçants à pratiquer deux semaines de soldes supplémentaires chaque année, à des dates qu’ils choisiront en toute liberté, et de réduire les deux périodes actuelles, trop longues, d’une semaine chacune.

M. Jean-Pierre Balligand – On croirait entendre M. Dutreil, n’est-ce pas, Madame Vautrin ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie Par ailleurs, le nombre d’acteurs présents sur le marché doit augmenter. Toutes les études montrent que les quatre premières enseignes de la distribution détiennent plus de la moitié des parts de marché. L’INSEE a même prouvé que, dans les zones sans concurrence entre distributeurs, les prix pouvaient dépasser de 10 % à 15 % ceux des zones concurrentielles. Nous proposons donc de simplifier les conditions d’installation de nouvelles surfaces commerciales en supprimant le critère de densité commerciale par zone de chalandise, et en portant le seuil d’autorisation de trois cents à mille mètres carrés.

M.  Daniel Paul – Que faites-vous du petit commerce ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie Ainsi, le consommateur pourra choisir parmi un plus large éventail de modes de distribution et d’opérateurs, acheter les produits les moins chers et, ce faisant, inciter les distributeurs à baisser leurs prix. Le grand gagnant de la guerre des prix est toujours le consommateur !

Encourager l’installation de nouvelles surfaces commerciales, c’est promouvoir la transparence et l’équité de la négociabilité, puisque les distributeurs seront soumis à la pression de la concurrence et de la diversité, comme le sont déjà les producteurs. Pour autant, une liberté plus grande doit s’accompagner d’une régulation plus ferme. C’est pourquoi l’implantation des nouvelles surfaces commerciales de plus de mille mètres carrés restera soumise à une procédure d’autorisation collégiale au cours de laquelle le rôle des élus, qui détiendront la majorité des sièges dans les commissions départementales d’aménagement commercial, sera renforcé. Les projets d’implantation devront respecter des critères stricts d’aménagement du territoire et de développement durable.

Il va de soi que ces procédures doivent s’articuler avec le code de l’urbanisme. J’espère que le débat nous permettra d’aboutir à un accord de principe sur l’intégration des règles de l’urbanisme commercial dans le droit de l’urbanisme. Le Gouvernement sera ouvert à toute proposition précise d’amendement que la commission des affaires économiques lui soumettra en la matière.

Mme Catherine Vautrin – Très bien !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie Les articles 25 et 26 du projet portent sur les petits commerçants auxquels, il est vrai, des efforts seront demandés pour valoriser leurs atouts et conserver leur clientèle. Des atouts, ils en ont, et le commerce de proximité est appelé à se développer. Pour l’aider à s’adapter dans un environnement nouveau, nous allons, d’une part, réformer la taxe d’aide au commerce et à l’artisanat de sorte qu’elle pèse davantage sur les grands et moins sur les petits et, d’autre part, augmenter les aides en faveur du petit commerce en étendant le champ d’intervention du Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, dont les crédits passeront en 2009 de quatre-vingts à cent millions d’euros.

Mme Sandrine Mazetier – Il manquera toujours cinq cents millions !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie Troisième proposition : lutter contre les pratiques anticoncurrentielles. Rien ne sert d’édicter des lois si elles ne sont pas respectées.

M. Jean-Pierre Brard – M. de La Palice n’aurait pas dit mieux !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie Afin de lutter efficacement contre ces pratiques, nous souhaitons créer une autorité de la concurrence, dont les compétences élargies lui permettront d’examiner l’ensemble des projets de concentrations et de disposer de ses propres pouvoirs d’enquête pour mieux sanctionner les abus.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire – Très bien !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie J’en viens au titre III de notre projet, qui a trait au renforcement de l’attractivité de notre économie. Cela suppose avant tout sa modernisation. La France est connue pour son avant-gardisme en matière technologique : elle fut parmi les premiers pays à se doter d’un réseau téléphonique, elle inventa le minitel, elle possède des lignes ferroviaires à grande vitesse qui font l’admiration du monde entier. Aujourd’hui, le Gouvernement entend relever le défi du haut débit en étendant l’usage de la fibre optique, de sorte que, d’ici 2012, au moins quatre millions de ménages puissent disposer de la télévision en haute définition, de la téléassistance à domicile pour les personnes âgées, de l’accès à l’internet 2.0 ou encore de l’enseignement en ligne.

C’est pourquoi nous vous proposons de généraliser le précâblage des immeubles neufs et de faciliter le raccordement des immeubles existants, en incitant les opérateurs à en supporter le coût, et en créant un réseau unique de fibre optique ouvert à l’ensemble des opérateurs.

M. Christian Paul – Une mesure bien timide !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie Être attractif, c’est aussi savoir attirer les talents, les idées et les financements. Ainsi, aux articles 31 et 32, nous allons assouplir le régime des impatriés en étendant leur statut à tous les recrutements directs de salariés à l’étranger, et faciliter la délivrance d’un titre de résident pour les cadres étrangers de haut niveau (« Et les sans-papiers ? » sur les bancs du groupe GDR). Pour encourager l’innovation, nous avons déjà triplé le crédit impôt-recherche au début de l’année – ce qui a sans beaucoup contribué aux récentes décisions d’investissement de PSA et de Thalès.

Le crédit impôt recherche devrait assurer au moins 0,05 % de croissance supplémentaire à compter de 2009.

M. Jean-Pierre Brard – Ah bon ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie C’est important, Monsieur Brard. La recherche et développement assurera la plus-value dont notre économie a besoin.

M. Jean-Pierre Brard – Payez plutôt les chercheurs !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie Afin de perfectionner ce dispositif, nous allons étoffer le rescrit fiscal en la matière, en renforçant le rôle d’OSEO dans la procédure. Mais à présent, il faut surtout agir en aval. Pour mieux protéger la propriété intellectuelle, nous allons moderniser le système d’enregistrement et de délivrance des titres de propriété intellectuelle. Un article d’habilitation permettra également de rendre le code de la propriété intellectuelle conforme aux nouveaux traités internationaux signés par la France. Enfin, l’article 37 prévoit la création de fonds de dotation qui permettront d’attirer les financements privés y compris pour des missions d’intérêt général, comme les laboratoires, hôpitaux, bibliothèques ou musées.

Le titre IV enfin vise à améliorer le financement de notre économie. S’agissant d’abord du circuit interne de financement, les articles 39 et 40 organisent la généralisation à toutes les banques de la distribution du livret A – et je tiens à remercier le rapporteur Nicolas Forissier pour le travail qu’il a fourni à ce sujet. Pourrait-on continuer à accepter qu’un produit d’épargne aussi populaire ne soit distribué que par trois établissements ? Il le sera désormais dans quelque 40 000 agences au lieu de 22 000. Nonobstant les remarques de la Commission européenne, il est de l’honneur de cette assemblée de prendre cette mesure. Désormais, chacun pourra ouvrir un compte d’épargne défiscalisé dans sa banque, ce qui améliorera à l’autre bout de la chaîne le financement déjà fort dynamique du logement social.

M. Daniel Paul – C’est faux.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie – Nous y veillerons. Je n’ai pas l’intention de faire le moindre cadeau aux banques.

Plusieurs députés du groupe GDR – Surtout pas !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie – Au contraire, notre but est de prendre aux banques pour donner au logement social (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Brard – Mais vous y croyez ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie – Oui, Monsieur le député. La commission qu’elles perçoivent pour la collecte sera réduite de près de la moitié, ce qui dégagera des crédits supplémentaires pour la construction des logements sociaux dont nous avons tant besoin à cause de l’inertie de nos prédécesseurs (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). L’article 41 propose une réforme mesurée de la Caisse des dépôts et consignations qui permettra non seulement d’améliorer le circuit du financement du logement social, mais de renforcer la participation à notre économie de cette institution qui, pour être vénérable, n’en doit pas moins être modernisée. Le rôle de la Caisse comme investisseur de long terme au service du développement des entreprises sera précisé, et sa gouvernance, presque inchangée depuis 1816, sera modernisée sans pour autant remettre en cause le contrôle du Parlement.

En ce qui concerne ensuite le circuit international des capitaux, l’article 42 propose de moderniser notre place financière grâce à plusieurs mesures proposées par le Haut comité de place que j’ai constitué. L’industrie financière est une industrie de haute technologie qui représente près d’un million d’emplois et 4 % de la richesse nationale. Notre système de régulation et de supervision fait des envieux dans le monde entier. C’est donc le moment ou jamais de faire de Paris la place de référence de la zone euro. La loi de finances pour 2008 a déjà supprimé l’impôt de bourse qui favorisait la délocalisation des transactions vers Londres ou New-York. Les premiers résultats sont encourageants, avec une augmentation sensible des transactions réalisées à Paris sur les valeurs tant françaises qu’étrangères. L’enjeu principal, désormais, est de simplifier notre réglementation pour la rendre plus conforme aux standards internationaux. Le projet de loi engage donc une réforme de la notion historique qui fonde notre droit boursier : l’appel public à l’épargne. Pour nous rapprocher de nos partenaires, nous allons donc scinder l’appel public à l’épargne en deux régimes juridiques distincts, la cotation sur un marché réglementé et l’offre au public de valeurs mobilières, auxquels nous donnerons les obligations d’information et de transparence les plus adaptées, le cas échéant en procédant à des simplifications. C’est la seule façon d’attirer en France les capitaux, notamment ceux des pays émergents. Dans la même optique, je vous propose d’habiliter le Gouvernement à moderniser par ordonnance le cadre juridique de la gestion d’actifs afin de faciliter l’exportation de fonds d’investissement. Il s’agit de simplifier les règles de fonctionnement de ces fonds et de laisser plus de place à la liberté contractuelle, afin que les gestionnaires d’actifs puissent soutenir la concurrence étrangère. La France est, on le sait trop peu, leader européen de la gestion d’actifs. Ne nous endormons pas sur nos lauriers !

Voilà donc les trente principales mesures de cette loi de modernisation de l’économie qui répond aux engagements pris par le Président de la République. C’est une loi courageuse, qui aborde sans tabous les problèmes structurels de l’économie française – courageuse, mais peu coûteuse. J’ai veillé à ce qu’elle soit compatible avec nos engagements de maîtrise des finances publiques.

MM. Michel Bouvard et Gilles Carrez – Très bien !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie – Son coût est estimé à seulement 300 millions, pour l’ensemble des modifications et des bouleversements que j’ai exposés.

M. Jean-Pierre Brard – C’est moins cher que la loi TEPA, il faut le reconnaître !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie – Ce projet de loi consolide notre stratégie économique. Là où il y avait des blocages et de la pesanteur, nous voulons créer un tremplin pour tous ceux qui ont l’envie d’entreprendre, le goût du risque, le sens de la compétition. C’est cette logique de création de valeur et de compétitivité qui inspire nos réformes depuis près d’un an. Ma formule pour la croissance repose sur trois équilibres.

M. Jean-Pierre Brard – Abracadabra !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie – D’abord, la productivité. Les gains de productivité s’obtiendront à la fois par le développement de l’innovation – c’est le but de la réforme du crédit impôt recherche, qui fait de la France le pays le plus compétitif de l’OCDE en la matière – et par une meilleure organisation du travail, grâce notamment au dispositif des heures supplémentaires et à la réforme du contrat de travail. Le deuxième est l’employabilité. Elle passait d’abord par la fusion de l’ANPE et des ASSEDIC (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP) qui simplifie le marché de l’emploi en créant une plate-forme unique et modernisée, au service des entreprises et des candidats à l’emploi – que je me refuse dorénavant à appeler des « demandeurs ». J’ai également lancé la réforme de la formation professionnelle : les consultations des partenaires sociaux sont en cours, sous l’autorité de Laurent Wauquiez, et j’espère aboutir à une loi avant la fin de l’année. Enfin, l’attractivité doit rester l’une de nos premières préoccupations car c’est la clé du succès dans une économie mondialisée dont nous avons tout intérêt à ce qu’elle ne devienne pas plus protectionniste. La réforme de notre fiscalité comprendra des mesures significatives à ce sujet.

L’été dernier, la loi TEPA a permis, en anticipant les effets de la crise internationale, de redistribuer du pouvoir d’achat vers les nombreux Français qui veulent travailler plus : les heures supplémentaires sont aujourd’hui utilisées par six entreprises sur dix, et six millions de salariés voient la différence. Demain, avec votre indulgence et à l’issue de débats dont je nous doute pas qu’ils seront passionnants, la loi de modernisation de l’économie permettra de libérer de nouvelles énergies et d’actionner les forces de la concurrence pour peser sur les prix et donner au génie français d’entreprendre un cadre où mieux s’épanouir (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

M. Jean-Paul Charié, rapporteur de la commission des affaires économiques – Depuis trente ans, les attitudes, les mentalités, les conditions d’exercice des professions en France ont plus changé qu’en presque trois siècles. Nous sommes dans une nouvelle époque et il était important pour nous, politiques, non pas de changer la société, puisqu’elle le fait toute seule, mais d’adapter les lois. Je ne vais pas revenir sur des points précis tels que la place du commerce en centre-ville ou la disproportion entre une toute petite entreprise à 32 000 euros annuels de chiffre d’affaires et la place financière de Paris, qui gère 113 milliards par jour. Je voudrais simplement, en tant que député attaché depuis un quart de siècle à défendre une libre et loyale concurrence à dimension humaine, expliquer ce que doit être moderniser notre économie.

C’est d’abord sortir des positions binaires et sectaires, des clivages traditionnels. Nous n’avons à être ni pour, ni contre les grandes surfaces face au petit commerce, mais pour une concurrence loyale car, dès lors, tous ceux qui sont compétents peuvent se développer. Nous n’avons pas à être pour ou contre les grandes entreprises face aux petites, mais pour une réduction des délais de paiement pour tour le monde. Nous n’avons pas à être pour ou contre les fournisseurs face aux centrales d’achats, mais pour une libre et loyale négociabilité. Et l’enjeu pour un maire est de parvenir à un équilibre entre centre et périphérie, pas d’opposer les deux !

Il en va de même pour les relations entre liberté et négociabilité. Si nous voulons davantage de croissance, nous devons renforcer la liberté pour ne pas entraver la capacité d’adaptation des entreprises, mais cette liberté accrue impose le respect d’un minimum de règles.

Les débats qui se sont tenus en commission sous la présidence éclairée de M. Ollier l’ont montré, la question dépasse le clivage droite-gauche traditionnel (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR). Et même si les communistes se rappellent au souvenir, j’observe qu’ils m’ont toujours soutenu (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; mouvements divers sur les bancs du groupe GDR) car moderniser l’économie n’est pas un objectif de droite ou de gauche, non plus que de remettre l’homme au cœur de l’entreprise (M. Brard s’exclame). C’est un enjeu pour tous les Français. Et moderniser, c’est revenir au bon sens économique…

Mme Marylise Lebranchu – Mais une telle notion n’existe pas !

M. Jean-Paul Charié, rapporteur – Depuis 1973, nous nous sommes tous trompés en pensant qu’en entravant le développement des grandes surfaces on protègerait le petit commerce…

M. Frédéric Lefebvre – Ce fut une erreur collective.

M. Jean-Paul Charié, rapporteur – Non seulement ce ne fut pas le cas mais les prix sont plus élevés en France qu’ils ne le sont ailleurs.

M. Jean-Pierre Brard – Mais c’est une autocritique !

M. Jean-Paul Charié, rapporteur – J’aborde en effet ce débat avec beaucoup d’humilité car moderniser l’économie n’est pas une tâche aisée. Si nous avons évolué au cours des dernières semaines, c’est que ni la loi Royer ni la loi Raffarin n’apparaissent, rétrospectivement, satisfaisantes. Il faut donc, je l’ai dit, en revenir au bon sens économique…

Mme Marylise Lebranchu – Encore !

M. Jean-Paul Charié, rapporteur – Ce n’est pas la grande surface qu’il faut craindre mais la concurrence déloyale, celle qu’exerce une entreprise de grande distribution qui installe et maintient une succursale déficitaire parce qu’elle peut refaire sa marge ailleurs sur le territoire, grâce à des délais de paiement de 160 jours ou aux marges arrière ! Voilà ce contre quoi il faut lutter, et nous le ferons par plusieurs moyens.

En premier lieu, comment prétendre faire jouer la concurrence tout en interdisant la différenciation tarifaire ? Nous supprimerons donc la notion de « ligne à ligne » mais cette liberté de négociation retrouvée s’assortira du renforcement concomitant de l’obligation de loyauté et donc des obligations réciproques. Nous renforcerons aussi l’effectivité de la loi, qui doit impérativement s’appliquer. Les sanctions seront donc renforcées en cas de pratiques restrictives de concurrence et les tribunaux seront spécialisés, ce qui leur permettra d’intervenir plus vite et plus adéquatement. Le Conseil de la concurrence, devenu Autorité de la concurrence, verra ses compétences élargies et les commissaires aux comptes leurs missions étendues. La commission d’examen des pratiques commerciales sera renforcée.

Nous introduirons l’action de groupe en matière commerciale, indispensable pour que les victimes portent plainte et que la loi soit effectivement appliquée (M. Michel Bouvard applaudit). À ce sujet, madame la ministre, je serai très clair. M. Lefebvre et moi-même en sommes d’accord (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) : si l’on ne nous démontre pas que tout est parfaitement calé pour éviter les dérives potentielles, nous préférerons perdre quelques semaines qu’adopter le projet en l’état, au risque de l’inefficacité. Le groupe UMP et la commission sont donc déterminés à introduire l’action de groupe dans la loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Parce que nous considérons d’autre part que le maire doit continuer de gérer la commune dont il est l’élu, nous introduirons, à terme, les dispositions du code de l’urbanisme commercial dans le code de l’urbanisme. Il n’y aura donc plus, à terme, ni loi Royer, ni loi Raffarin, et les grandes surfaces pourront s’installer librement. Les conditions d’une concurrence loyale étant garanties, ce sera la disparition d’une certaine économie mafieuse (Mouvements divers sur les bancs du groupe UMP) puisque, désormais, si une ouverture de grande surface se fait, c’est que la nouvelle installation est rentable. On en viendra donc à des ouvertures de magasin dans l’intérêt des consommateurs – et s’il n’y a pas de concurrence possible, il n’y aura pas de nouvelles installations.

Moderniser l’économie, c’est aussi redonner de l’espace à toutes les entreprises. La commission proposera à cet égard des dispositions tendant à favoriser le renforcement de leurs fonds propres, et à simplifier les formalités d’immatriculation pour les petites activités. Nous proposerons aussi la reconnaissance du droit à l’erreur, pour que demain, un agent du fisc venant procéder à un contrôle ne dise plus à un entrepreneur manifestement de bonne foi : « Nul n’est censé ignorer loi, vous auriez dû savoir » mais fasse un rappel à la loi, comme il en existe en d’autres circonstances. Nous sommes aussi favorables au relèvement du seuil de la micro-entreprise, ainsi qu’à la réserve d’une partie des marchés publics aux sociétés innovantes.

Nous nous engageons d’autre part à ce que les critères qui caractérisent l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée soient révisés pour mettre fin à l’iniquité fiscale et sociale qui frappe les travailleurs indépendants, tenus de payer les cotisations sociales sur la marge d’exploitation de l’entreprise et non, seulement, sur ce qui constitue leur équivalent salaire.

S’agissant des délais de paiement, le délai cible est de 30 jours, et le commissaire aux comptes devra signaler les éventuelles dérives à ce sujet. Je rappelle que, de manière générale, le commissaire aux comptes est le garant de la bonne santé de l’entreprise. C’est pourquoi la commission, tout en approuvant l’option retenue par le Gouvernement de ne pas obliger les petites entreprises à faire certifier leurs comptes par un commissaire aux comptes, souhaite que ces derniers aient la faculté d’adapter leur facturation à ces petites entreprises, qui paieraient donc moins cher…

M. Jean-Pierre Brard – Une autre forme de quotient familial, en quelque sorte…

M. Jean-Paul Charié, rapporteur – Nous voulons aussi renforcer l’action du FISAC en cas de perte d’activité ou de rentabilité d’un commerce lorsqu’une commune procède à des travaux en centre ville.

Nous souhaitons enfin développer l’accès au haut débit et aux nouvelles technologies de l’information.

Chers amis…

M. Jean-Pierre Brard – Chers camarades…

M. Jean-Paul Charié, rapporteur – Même si certains semblent s’en amuser, nous traitons aujourd’hui d’un enjeu qui transcende les clivages. L’objectif n’est pas de servir des intérêts particuliers…

M. Jean-Pierre Brard – Est-ce possible ?

M. Jean-Paul Charié, rapporteur – À ce sujet, il est révoltant d’entendre de grandes entreprises se dire très attachées à l’intérêt général puis, quand le Gouvernement et le législateur agissent… (Exclamations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Jean-Pierre Brard – Vous découvrez la lune ?

M. Jean-Paul Charié, rapporteur – Je suis favorable au lobbying et au renforcement de l’information, mais nous ne devons pas nous laisser impressionner par ceux qui défendent leurs intérêts et non ceux des consommateurs.

Moderniser l’économie, c’est redonner confiance et, la confiance revenue, nous pourrons être fiers de notre croissance retrouvée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Brard – C’est la Symphonie héroïque !

M. Nicolas Forissier, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan – Je remercie le Gouvernement d’avoir engagé ce chantier de grande ampleur mais je regrette que nous ayons dû travailler en peu de temps car les multiples sujets abordés demandaient une concertation préalable approfondie. Je souhaite que la modernisation de l’économie soit l’objet d’un rendez-vous annuel jusqu’au terme de la législature. En réalité, une loi serait nécessaire chaque année, articulée avec la loi de finances ou d’autres textes spécifiques. Dans l’esprit de concertation qui a prévalu pour élaborer ce texte, et comme vous l’avez fait, Madame la ministre, en installant le Haut comité de place pour renforcer l’attrait de la place de Paris, il nous faut poursuivre avec ténacité le travail engagé pour moderniser, assouplir, ouvrir et surtout clarifier durablement l’environnement juridique et fiscal des entreprises afin de lever les freins qui entravent la croissance. Tel est en tout cas l’esprit de cette loi.

La commission des finances s’est saisie pour avis de quatorze articles : les neuf articles comportant des dispositions fiscales, les trois qui concernent le livret A, celui qui porte sur la modernisation de la place de Paris, celui, enfin, qui crée une Haute autorité de la statistique. Sur ces cinq derniers, elle a donné un avis simple. Pour les neuf autres, elle a reçu délégation pour un examen au fond, la commission des affaires économiques ayant accepté de reprendre ses travaux à son compte, ce dont je remercie M. le président Ollier et M. le rapporteur Charié.

Trois lignes directrices ont guidé nos travaux. Tout d’abord, le présent projet ne doit pas être considéré comme une fin en soi ; il faudra qu’il soit suivi d’autres textes, de valeur législative ou non, poursuivant le même objectif de simplification et d’assouplissement du cadre juridique et fiscal de notre économie. À l’occasion de ces débats, nous pourrons être ainsi amenés à poser le cadre de nouveaux chantiers.

Ensuite, il est nécessaire que l’essentiel des dispositions fiscales, en particulier les plus coûteuses, soit réservé à un examen en loi de finances.

MM. Gilles Carrez et Michel Bouvard – Très bien !

M. Nicolas Forissier, rapporteur pour avis – Enfin, nos marges de manœuvre budgétaires extrêmement réduites doivent nous inciter à la plus grande mesure.

Pour autant, ces contraintes ne doivent pas nous conduire à manquer d’ambition, notamment sur les sujets du ressort de la commission des finances : l’amorçage, c’est-à-dire le premier apport en capital des entreprises, maillon faible de la chaîne du financement de nos PME ; la transmission des très petites, petites et moyennes entreprises, de ces entreprises, très souvent familiales, qui constituent le tissu de l’ économie et de l’ emploi dans nos territoires ; l’attractivité économique de la France ; la réforme du livret A et la gouvernance de la Caisse des dépôts et consignations. La commission des finances, qui a mené ses travaux dans un esprit constructif, dépassant les clivages politiques, a adopté 56 amendements, dont 36 de son rapporteur.

En ce qui concerne les dispositions fiscales, la commission souscrit aux propositions visant à simplifier le régime des entrepreneurs individuels et des sociétés de capitaux en phase d’amorçage. Elle a adopté, à mon initiative, un amendement tendant à actualiser annuellement les impôts auxquels sont soumis les micro-entreprises dans la même proportion que le barème de l’impôt sur le revenu, afin de tenir compte de l’évolution des prix.

La commission a également adopté un amendement invitant le Gouvernement à étudier les distorsions éventuelles de taxation dont sont victimes les entrepreneurs individuels, et les conditions dans lesquelles pourrait être créée, en leur faveur, une réserve spéciale d’autofinancement. Le sujet récurrent de la clarification du statut de l’entrepreneur individuel appelle de notre part, et sans plus tarder, une solution définitive.

De même, ayant constaté les lacunes qui demeurent en matière d’investissement d’amorçage, j’ai souhaité aller plus loin encore, et j’ai proposé plusieurs amendements, que la commission a repris. Ces amendements sont destinés à rationaliser les véhicules de capital risque existants, mais également à élargir certaines mesures fiscales pour les sommes investies dans l’amorçage des PME, afin d’obtenir un véritable effet de levier ciblé sur les premiers développements de l’entreprise.

S’agissant des dispositions relatives au cadre fiscal de la transmission et de la reprise d’entreprise, la commission propose, à mon initiative, une mesure destinée à éviter un effet de seuil en matière de droits de mutation à titre gratuit ou onéreux sur les cessions et donations de petit montant, qui permettra de mieux prendre en considération les réalités du terrain.

En matière d’attractivité du territoire, la commission propose, toujours à mon initiative, plusieurs amendements visant à améliorer la procédure du rescrit fiscal applicable au crédit impôt recherche, à instituer un régime de taux réduit en faveur des créateurs de logiciels originaux, et à améliorer le dispositif d’exonération de taxe professionnelle en faveur des établissements situés en zone d’aide à finalité régionale. Enfin, la commission a adopté un amendement tendant à améliorer la répartition du poids de la taxe sur le commerce et l’artisanat en faveur des petits commerces.

S’agissant du livret A, le Gouvernement propose une réforme équilibrée, qui préserve tant les missions d’intérêt général de financement du logement social et d’accessibilité bancaire que l’équilibre financier des distributeurs actuels. La généralisation de la distribution du livret A nous est imposée par une décision de la Commission européenne du 10 mai 2007 ; le Gouvernement, allant au-delà de la seule réponse à cette contrainte, propose de mettre cette dernière au service de notre économie et de sa politique volontariste en matière de logement social.

La commission a adopté sur le sujet trois amendements auxquels elle tient particulièrement, parce qu’ils améliorent le dispositif, en lui donnant les garanties et la transparence nécessaires, en confortant le financement du logement social, et en garantissant dans la loi les règles de l’accessibilité bancaire et du droit au compte. Ainsi, la commission a élargi l’assiette du montant de la ressource centralisée à la Caisse des dépôts aux prêts en faveur de la politique de la ville – cela représente une base de 8 milliards ; il s’agit d’assurer à la CDC davantage de ressources pour assumer ses missions au titre du fonds d’épargne.

La commission a institué en outre une obligation d’emploi pour les ressources collectées au titre du livret A et du livret de développement durable qui demeurent dans les banques, afin de s’assurer que ces ressources, qui bénéficient d’une double bonification sociale et fiscale, servent au financement de l’économie – en précisant bien qu’il s’agit du financement des PME et des travaux d’économie d’énergie dans les bâtiments anciens. La commission a également renforcé les dispositions relatives au droit au compte, afin de donner à ce droit toute son effectivité. Enfin, elle a adopté, avec un avis défavorable de son rapporteur, un amendement obligeant les banques à offrir un livret A à toute personne qui en fait la demande.

M. Jean-Pierre Brard – Très bien !

M. Nicolas Forissier, rapporteur pour avis – Cette dernière disposition risque de fragiliser l’équilibre général de la réforme. Le Gouvernement propose de confier à la seule Banque Postale la mission d’accessibilité bancaire via le livret A.

M. Pierre Gosnat – La banque des pauvres !

M. Nicolas Forissier, rapporteur pour avis – Cela paraît pertinent, eu égard à la taille du réseau de la Banque Postale, au fait qu’elle dispose de pièces à ses guichets, à son histoire et à sa clientèle traditionnelle. Au contraire, la mesure proposée obligera le Gouvernement à donner aux banques une contrepartie financière, difficile à calculer et qui renchérira le coût du financement du logement social.

M. Jean-Pierre Brard – Les banques ne gagnent-elles pas assez d’argent, qu’il faille ouvrir pour elles un bureau d’aide sociale ?

M. Nicolas Forissier, rapporteur pour avis – S’agissant de la CDC, le projet, en faisant évoluer la gouvernance de la Caisse sans la banaliser et sans remettre en cause son périmètre, va dans le bon sens. La commission a adopté des amendements tendant à ce que les membres de la commission de surveillance soient choisis au sein des commissions des finances des assemblées, sans être tous issus de la majorité.

La commission est également revenue sur le dispositif prévu en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement des activités terroristes, en confiant à la commission de surveillance un pouvoir de sanction. Cette solution n’est pas définitive ; le débat pourra se poursuivre pour parvenir à un bon équilibre.

Enfin, au-delà des articles dont l’examen m’a été confié, j’ai déposé plusieurs amendements, dans le souci d’améliorer l’environnement général des entreprises, et en particulier des PME : il s’agit de simplifier l’accessibilité des entreprises à l’administration, de renforcer le calendrier prévu pour aboutir à une réduction générale des délais de paiement, de moduler le privilège des créances du Trésor public en cas de redressement ou de liquidation judiciaire, lequel s’exerce souvent au détriment des petites entreprises créancières.

Madame la ministre, la commission des finances a conduit ses travaux dans un esprit particulièrement constructif, et nous attendons du Gouvernement qu’il soit attentif et ouvert à nos propositions, qui permettront, je crois, d’enrichir et de garantir les réformes que vous nous proposez (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

M. Éric Ciotti, rapporteur pour avis de la commission des lois – Les réformes d’une telle ampleur sont rares ! Ce texte vise à la fois à restaurer l’esprit d’initiative, à dynamiser la concurrence au service de la diminution des prix et de l’augmentation du pouvoir d’achat, à rendre notre pays plus attractif pour les investissements étrangers, et à moderniser les instruments de financement de notre économie. Ce texte changera profondément le visage économique de la France, en comblant ses retards et en la faisant entrer de plain pied dans l’économie du XXIe siècle.

Face à une telle ambition, notre assemblée se devait d’aller au fond des choses. L’organisation retenue par la Conférence des Présidents, sur proposition du président Ollier, consistant à déléguer un certain nombre d’articles aux commissions saisies pour avis, a contribué à rendre la discussion parlementaire plus constructive, plus efficace, plus imaginative. Je pense pouvoir me faire l’interprète de nombreux collègues en félicitant les auteurs de cette heureuse initiative.

La commission des lois a émis un avis favorable à l’ensemble des dispositions dont elle s’est saisie. Si elle y a apporté quelques modifications, celles-ci ont pour objet de rendre le texte plus clair et d’en conforter les effets attendus pour les entreprises, les consommateurs, les investisseurs et les inventeurs.

Tout d’abord, notre commission a souhaité élargir le dispositif de l’auto-entrepreneur aux conjoints mariés ou pacsés, de manière à amplifier le caractère incitatif de la mesure auprès de certaines personnes sans activité. De manière sous-jacente, se trouve ainsi posée la question plus générale de la réorientation d’un maximum de personnes sans activité vers l’emploi, sujet dont nous aurons à reparler lors de la création du revenu de solidarité active.

La protection du patrimoine de l’auto-entrepreneur a également fait l’objet d’une attention particulière de la commission, avec notamment l’adoption de dispositions améliorant l’insaisissabilité de l’immeuble à usage mixte pour les artisans et les professions libérales, et prorogeant cette insaisissabilité jusqu’au décès du conjoint survivant.

En matière de délais de paiement, la commission s’est félicitée du plafonnement prévu. Elle souhaite néanmoins maintenir un minimum de souplesse, afin de laisser aux secteurs concernés le soin de déterminer si le délai doit courir à partir de la date d’émission de la facture ou de celle de la livraison des marchandises ou de l’exécution de la prestation. De même, il nous est apparu important de laisser la possibilité au Gouvernement de proroger, par décret, la date d’application des accords interprofessionnels dérogatoires pour des secteurs d’activité qui, tels l’automobile, ont pour fournisseurs de grands groupes étrangers et emploient beaucoup de personnes.

Les dispositions relatives à l’expérimentation d’un Small Business Act à la française en faveur des PME innovantes ont recueilli elles aussi les suffrages de la commission, qui a constaté leur adéquation aux exigences constitutionnelles et communautaires. Toutefois, dans un souci d’amélioration du mécanisme, un amendement a été adopté afin de prévoir que le calcul de la proportion de marchés réservés devait s’appliquer au montant total, et non moyen, des marchés en deçà des seuils formalisés.

En ce qui concerne les dispositions relatives au droit des sociétés, la commission des lois a souhaité, en toute logique, étendre aux SAS unipersonnelles les assouplissements devant bénéficier aux SARL unipersonnelles. Elle a en outre apporté quelques précisions relatives à la tenue des assemblées générales par visioconférence, la rédaction initialement retenue s’inspirant des délibérations du conseil d’administration des sociétés anonymes et non de celles des assemblées d’actionnaires. Surtout, la commission a adopté un article additionnel apportant au régime des sociétés anonymes quelques simplifications, relatives aux exigences de détention d’un nombre minimal d’actions par les administrateurs et les membres du conseil de surveillance ou au maintien des règles de double vote en cas de fusion-absorption.

Quant à l’habilitation du Gouvernement à réformer le droit des procédures collectives par ordonnance, la commission a conclu d’une analyse approfondie du projet d’ordonnance en cours d’achèvement – que je remercie Mesdames et Messieurs les ministres de lui avoir transmis – que l’utilité des mesures envisagées et le degré d’avancement de la concertation dont elles font l’objet justifiaient de ramener la durée d’habilitation de huit à six mois. En outre, il a été remédié à certaines omissions ou imperfections des mesures transitoires de la loi de sauvegarde des entreprises, afin de permettre à celles qui ont fait l’objet de procédures de liquidation de biens régies par la loi du 13 juillet 1967 de rebondir, et d’étendre aux sociétés de crédit foncier les protections offertes par la procédure de sauvegarde.

En matière de renforcement de la concurrence au service des consommateurs, la commission a souhaité concilier l’assouplissement du cadre actuel de la relation commerciale – grâce à la négociabilité des conditions générales de vente, qui rejaillira sur les prix tarifés aux consommateurs – et les contrôles et les sanctions auxquels les pratiques abusives ou répréhensibles sont soumises. À cette fin, elle a approuvé le projet gouvernemental d’instauration d’une libre négociabilité des conditions générales de vente, tout en renforçant l’amende forfaitaire prévue à l’article L. 442-6 du code de commerce, afin de dissuader les acteurs les plus puissants de la relation commerciale de profiter de leur position vis-à-vis de leurs fournisseurs.

La commission s’est ensuite particulièrement intéressée aux modalités de la réforme de la législation sur l’équipement commercial, complément indispensable de la négociabilité si l’on veut garantir la baisse des prix à la consommation. À titre personnel, je m’interroge sur le relèvement du seuil au-delà duquel les nouvelles implantations de surfaces de vente devront faire l’objet d’une autorisation par les commissions départementales d’aménagement commercial. J’avais envisagé de proposer à la commission un amendement permettant aux maires et aux présidents d’EPCI concernés de saisir les CDAC pour toute extension ou implantation comprise entre 500 et 1000 mètres carrés ; j’y ai renoncé, en attendant une solution plus générale, que nous sommes en train de dessiner avec le Gouvernement.

M. Patrick Ollier, président de la commission, et M. Jean-Paul Charié, rapporteur – Très bien !

M. Éric Ciotti, rapporteur pour avis – Mais je demeure convaincu que notre législation sur l’équipement commercial doit évoluer afin de se rapprocher du droit commun de l’urbanisme.

M. Patrick Ollier, président de la commission, et M. Michel Piron – Très bien !

M. Éric Ciotti, rapporteur pour avisÀ cette fin, les schémas de développement commercial élaborés par les observatoires départementaux de l’équipement commercial sont appelés à jouer un rôle plus important. À titre personnel, je défendrai donc un amendement demandant au Gouvernement de présenter au Parlement un rapport sur la compatibilité de ces schémas avec les documents d’urbanisme de droit commun ainsi que sur leur opposabilité aux tiers.

M. Serge Grouard – Ils sont déjà compatibles !

M. Éric Ciotti, rapporteur pour avis – De ce point de vue, vous ne serez pas surpris, Mesdames et Messieurs les ministres, chers collègues, que la commission ait souhaité le maintien des ODEC et des schémas départementaux de développement commercial, que le projet de loi envisageait de supprimer.

D’autre part, afin d’équilibrer les relations entre les acteurs du commerce dans notre pays, j’ai proposé à la commission, qui l’a accepté, d’instaurer une taxe additionnelle à la taxe d’aide au commerce et à l’artisanat, dont le taux s’élèvera à 0,1 % du chiffre d’affaires annuel hors taxe des grands magasins de détail, et qui permettra de soutenir les commerces de centre-ville et les petits commerces de proximité. En effet, le petit commerce contribue à animer les centres villes, et son déclin pourrait y menacer la cohésion sociale en entraînant la multiplication des cités dortoirs. Or la législation protectrice instaurée en 1973 et 1996 a paradoxalement entraîné une dégradation de la situation des commerces de centre-ville, plus touchés que dans les autres pays européens. Le FISAC pourrait mettre à profit les dizaines de millions d’euros de recettes supplémentaires attendues pour inverser la tendance, en finançant des projets propres à dynamiser les commerces de proximité.

Enfin, la commission n’a apporté que quelques améliorations rédactionnelles aux dispositions relatives au renforcement de l’attractivité de la France qui lui ont été déléguées. Toutefois, s’agissant de la propriété industrielle, nous invitons le Gouvernement à présenter sans tarder les projets de loi autorisant la ratification du traité d’harmonisation sur le droit des brevets, signé en 2000, et du traité de Singapour relatif au droit des marques, signé en 2006.

En somme, la commission des lois et son rapporteur pour avis ont examiné le présent projet de loi afin d’en extraire le meilleur, d’en faire bénéficier nos compatriotes et l’économie française et de restituer des marges de manœuvre à nos politiques publiques. Ne nous leurrons pas, en effet : pour rendre à la France les moyens de ses ambitions, la réforme est désormais indispensable.

Sous l’impulsion décisive du Président de la République, le Gouvernement s’est résolument engagé à redresser notre pays ; je me réjouis que, dans cette tâche, il se montre attentif au Parlement, car nous souhaitons apporter nous aussi notre contribution à cette œuvre courageuse, indispensable et – à n’en pas douter – salutaire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Patrick Ollier, président de la commission L’excellent rapport de M. Charié me dispense d’entrer dans les détails. Je tiens tout d’abord à remercier, en tant que président de commission, M. le rapporteur et MM. les présidents et les rapporteurs pour avis des commissions des finances et des lois d’avoir accepté d’examiner le texte selon une méthode qui nous a évité de réunir une commission spéciale. Ainsi notre Assemblée a-t-elle démontré sa capacité à travailler sur des sujets divers au sein d’une même commission, dès lors que celle-ci consent à déléguer aux rapporteurs pour avis la rédaction du rapport au fond sur leur partie. Cette méthode expérimentale, inédite, fonctionne bien, et je veux dire à MM. Forissier et Ciotti combien nous apprécions la qualité de leurs rapports et le bon déroulement d’une procédure que je souhaite voir reconduite.

Je remercie en outre Madame la ministre et Messieurs les secrétaires d’État de cette « coproduction législative » – l’expression est ici bienvenue –, quasi inédite s’agissant de notre commission, et qui a permis aux députés de la majorité, qu’ils appartiennent ou non à la commission, de voir réserver à leurs demandes un accueil favorable et de bâtir ainsi avec vous une partie importante du texte.

Afin de soulever plusieurs questions qui ne manqueront pas d’être abordées au cours du débat, permettez-moi de formuler quelques observations sur un texte important et volumineux – plus de quarante articles – qui touche des matières extrêmement diverses. Ainsi, s’agissant du titre IV, évoqué par M. Forissier, nous souhaitons nous assurer que le dispositif relatif au livret A permettra bien de consacrer au logement social les importants moyens dégagés ; je ne doute pas que le Gouvernement aura à cœur de nous le confirmer.

Ma deuxième question concerne la réforme des délais de paiement, à laquelle nous sommes particulièrement attachés. Si la perspective de leur uniformisation au niveau européen me réjouit, je souhaite à titre personnel que cette réforme n’admette aucune dérogation (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

M. Lionel Tardy – Bravo !

M. Patrick Ollier, président de la commission – En effet, les entreprises ne sauraient tenir lieu de banquiers pour le compte d’autrui… (Même mouvement)

M. Jean-Paul Charié, rapporteur – Bravo !

M. Patrick Ollier, président de la commission – …et nous devons désormais avoir le courage de proscrire des usages qui nuisent à notre économie. Si des problèmes se posent, prenons le temps de les résoudre ; de ce point de vue, un délai de deux ans me paraît tout à fait suffisant.

En ce qui concerne la négociabilité, évoquée tout à l’heure par M. Charié – et dont, Madame la ministre, Monsieur Chatel, nous avons longuement discuté…

M. Christian Paul – C’est extrêmement inquiétant !

M. Patrick Ollier, président de la commission …nous soutenons l’audace du Gouvernement, résolu à réformer des procédures que l’on a longtemps hésité à modifier, croyant qu’elles permettaient de résoudre les problèmes du secteur, mais dont l’expérience a montré qu’elles en étaient incapables. Comme l’a souligné M. Charié, désormais, la négociabilité permettra, en toute transparence, de lutter contre la concurrence déloyale en définissant clairement les obligations auxquelles distributeurs et fournisseurs seront soumis. Ainsi serons-nous en mesure de protéger les agriculteurs fournisseurs – dont je sais qu’ils nous écoutent –…

Mme Marylise Lebranchu – Ils ne sont guère convaincus !

M. Patrick Ollier, président de la commission – …et, grâce à un amendement que le rapporteur et moi-même avons cosigné, les petites entreprises. En effet, si nous tenons à accroître la négociabilité et la transparence, nous refusons de permettre aux « gros » d’écraser les « petits » ; tel est le sens du dispositif que nous proposons.

Je souhaite enfin évoquer l’urbanisme commercial – sujet essentiel. À cet égard, je remercie le Gouvernement d’avoir ouvert un débat constructif avec la commission et les députés de la majorité, mais également de l’opposition – comme en témoignent, Monsieur Brottes, les importants aspects sur lesquels nous sommes tombés d’accord en commission (Approbation sur plusieurs bancs du groupe UMP).

M. Michel Piron – C’est vrai !

M. François Brottes – Ce fut rare !

M. Patrick Ollier, président de la commission – Voyons, Monsieur Brottes, il s’agit là d’une discussion d’intérêt général…

M. François Brottes – Qui engage également quelques intérêts particuliers… (Sourires sur les bancs du groupe SRC)

M. Patrick Ollier, président de la commission – …et non d’un débat politicien tel celui que vous avez mené au sein d’autres instances hier !

M. Christian Paul – Nous allons vous parler de la France !

M. Patrick Ollier, président de la commission – De fait, je ne doute pas que cet enjeu d’intérêt général nous réunira : faire le pari de la concurrence organisée afin de garantir la baisse des prix.

Madame la ministre, Messieurs les secrétaires d’État, nous faisons confiance au Gouvernement pour atteindre ces deux objectifs. Vous devez toutefois comprendre qu’il est nécessaire de concilier la liberté nécessaire à la concurrence avec la maîtrise de l’urbanisme des communes, notamment l’urbanisme commercial – à laquelle les élus locaux, en particulier les maires, élus au suffrage universel, sont particulièrement attachés.

Voilà pourquoi la majorité a accepté que le seuil de déclenchement de la procédure d’autorisation soit porté à 1 000 mètres carrés, moyennant trois amendements que nous avons fait voter en commission. Le premier, relatif à la préemption renforcée, permettra de préempter les baux commerciaux et d’amortir, avec l’aide du FISAC, le coût de cette préemption, le maire disposant d’un an pour préparer un projet de substitution permettant l’installation d’un commerce de proximité. C’est un instrument qu’on met à sa disposition. On lui en donne un autre avec un deuxième amendement, que j’ai déposé avec Mme Vautrin, qui est le droit de faire appel à l’autorité de concurrence, laquelle pourra intervenir lorsqu’il y aura suspicion d’abus de position dominante. C’est un amendement essentiel. Oui, nous sommes contre ce que l’on peut considérer comme des ententes, contre les comportements déloyaux, qui justifient une intervention forte de l’État. L’autorité de concurrence pourra alors intervenir à la demande du maire. C’est un pouvoir énorme que nous donnons à celui-ci.

Le troisième amendement prévoit que, dans le cas des villes de moins de 15 000 habitants, le maire puisse saisir la CDAC.

Ces trois amendements ont été votés. La commission les soutiendra. Dans le débat, nous nous sommes également orientés vers une autre formule, à la demande du groupe UMP – je remercie M. Piron qui en est à l’origine avec M. Carrez, Mme Vautrin, M. Poignant et d’autres. M. Ciotti l’a dit aussi opportunément il y a quelques instants : pourquoi ne pas inscrire dans le code général de l’urbanisme l’ensemble des problèmes d’urbanisme commercial ? (Assentiment sur de nombreux bancs du groupe UMP) Pourquoi ne pas procéder comme dans d’autres pays où cela se passe très bien ? Dès lors, plus de souci de seuil, de querelles, de recours. C’est le maire et le conseil municipal qui, à travers les documents d’urbanisme, le PLU et le SCOT, qu’il faudra rendre compatibles, auront à régler le problème une fois pour toutes. C’est une bonne idée. Nous souhaitons nous engager dans cette voie. Un amendement a été déposé, que la commission va examiner ce soir. La majorité vous propose une solution.

J’espère que nous arriverons à nous mettre d’accord, Madame la ministre, de sorte que même s’il faut plusieurs mois, et prendre le temps de la concertation pour créer ces schémas commerciaux, les trois amendements que j’ai présentés régleront les problèmes en attendant, et répondront aux inquiétudes des élus. Voilà une nouvelle forme de coproduction de la loi, une nouvelle avancée importante qui permet autant d’aller dans le sens de la concurrence et de la modernité que dans celui de la protection et du contrôle de l’urbanisme – lequel ne se fera pas sans le maire.

Mon temps est maintenant passé…

M. Jean-Pierre Brard – Votre temps de parole seulement ! (sourires sur divers bancs)

M. Patrick Ollier, président de la commission – Monsieur Brard, que ne venez-vous assister à nos réunions ? Venez donc en commission, plutôt que d’intervenir en séance sans jamais l’avoir fait sur le sujet (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Brard – Quant à moi, je ne vous ai guère vu en séance la semaine dernière, lors du débat sur la Constitution !

M. Patrick Ollier, président de la commission – Madame la ministre, la majorité vous suivra dans la voie de l’audace et de la modernité. Elle sera vigilante pour protéger le rôle des maires et des conseils municipaux en ce qui concerne l’avenir de leurs communes. Il vous revient de nous répondre sur cet équilibre que nous souhaitons atteindre. Je ne doute pas que vous le fassiez et je vous en remercie par avance (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

EXCEPTION D’IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe SRC une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. François Brottes – En préalable, Monsieur le président de la commission, laissez-moi vous dire que si parfois, en soulevant les contradictions internes à la majorité, nous vous aidons à vous mettre d’accord entre vous, cela ne veut pas dire que nous sommes d’accord avec vous. Je le précise, car votre expression pouvait paraître ambiguë.

M. Patrick Ollier, président de la commission Je l’avais cru.

M. François Brottes – Chaque fois que l’on veut faire évoluer les choses, on annonce une loi de « modernisation ». Cela fait plusieurs dizaines de fois que notre assemblée en débat, sur l’audiovisuel, la fonction publique, la sécurité civile, l’agriculture, l’énergie. Il y a même eu une loi en 2005 « pour la confiance et la modernisation de l’économie ». Cette fois, par humilité ou par lucidité, vous n’ajoutez pas la confiance à ce nouveau projet de modernisation de l’économie. Est-ce parce que la confiance de nos concitoyens en votre politique économique s’étiole au fil des mois ? 67 % des Français la jugent mauvaise. Vous avez raison, Madame la ministre, ils connaissent un certain nombre des mesures que vous prévoyez.

Recourir à cette notion de modernisation est à la fois une question de mode, d’opportunité et de marketing. Quand on a modernisé l’économie en 2005 et qu’on la modernise de nouveau en 2008, c’est soit que la première fois la majorité de droite a échoué, soit que la vérité est ailleurs…

M. Patrick Ollier, président de la commission  La modernité progresse vite.

M. Frédéric Lefebvre – La modernité, au PS, est-ce le libéralisme ?

M. François Brottes – Peut-être s’agit-il cette fois d’un changement plus profond, sans avoir l’air d’y toucher. S’agit-il donc d’un changement ou d’une rupture ?

Pour être constructif, je ferai l’hypothèse que vous voulez sincèrement moderniser. Il n’est pas sot en effet de faciliter la création d’entreprises, de réduire les délais de paiement, de donner plus de chance aux PME d’obtenir des marchés publics (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP), de simplifier certaines procédures lourdes et tracassières (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP), d’améliorer la fonction préventive de la clause de sauvegarde, de se nourrir un peu plus de l’expérience de certains pôles de compétitivité. Il était temps aussi de créer enfin une véritable autorité de la concurrence et de renforcer le rôle de la place financière de Paris. Et si, pour couronner le tout, on élargit l’accès au très haut débit, je me dis que le bonheur n’est pas si loin. Une telle analyse complice sera, j’en suis sûr, reprise intégralement dans le Figaro magazine.

À l’inverse, si je porte sur votre loi un regard moins naïf, ou plus aguerri…

M. Christian Paul – Un regard lucide !

M. François Brottes – …considérant qu’il s’agit d’une rupture dans le pacte social et économique de ce pays, je me dis que favoriser comme vous voulez le faire le cumul du statut permanent de salarié et de chef d’entreprise, c’est entrer dans le nouveau Disneyland des rêves inaccessibles et dangereux ; après le « tous propriétaires » on va créer l’illusion du « tous patrons », et en fait « tous précaires » : c’est le trépied, plutôt bancal du président. Je me dis encore que s’obstiner, comme vous-même et la majorité le faites, à effacer les seuils qui déclenchent le droit à la représentation organisée du personnel, c’est bien, sous prétexte de modernisation, un acte antisocial de plus venant après d’autres mauvais coups comme la suppression de la durée légale du travail, le financement solidaire de l’assurance maladie, ou encore le recours à des taxes injustes pour financer le budget de l’État plutôt qu’à l’impôt progressif.

M. Christian Paul – Cela, c’est pour Copé.

M. François Brottes – Et la manière dont vous voulez conforter la position dominante de Michel-Édouard Leclerc et de quelques-uns de ses confrères confine quand même à la provocation.

Avec la négociabilité de leurs prix d’achat sans contrepartie, vous leur donnez une arme de plus pour étrangler leurs fournisseurs, industriels et agriculteurs.

M. Jean-Paul Charié, rapporteur C’est faux !

M. François Brottes – Enfin, la banalisation du livret A, contre laquelle vous vous étiez prononcée dans un premier temps, constitue un joli cadeau aux banques, qui va mettre en péril la pérennité du financement du logement social et accentuer l’exclusion des plus pauvres de l’accès aux banques.

M. Nicolas Forissier, rapporteur pour avis – Cela aussi, c’est faux !

M. François Brottes – Je conviens avec vous qu’une telle analyse risque de ne pas être reprise par le magazine que j’ai cité.

Si j’avais mauvais esprit, sans vouloir « refaire le match », le titre de votre loi pourrait être celui d’un ouvrage à la mode ou celui de l’éditorial d’un économiste à la page, rempli de certitudes sur la nécessité de tout moderniser.

Eh oui, les temps sont durs ! Et quand tout semble « fichu », autant moderniser, en ce temps d’une pensée unique qui considère comme archaïques ou ringards le service public, les acquis sociaux, toutes les valeurs d’humanisme, de générosité et de solidarité construites au fil des luttes sociales, et le plus souvent par la gauche.

Très clairement, je suis de ceux qui considèrent que le marché ne peut pas tout régler, et que le plus souvent, il se contente d’appliquer la loi du plus fort, qui, de situation dominante en situation dominante, constitue des monopoles privés sur lesquels les États finissent par ne plus avoir de prise.

Je suis de ceux qui considèrent que l’humanisme ne peut se satisfaire de l’absence de vertu sociale – mon audace ira même jusqu’à dire « socialiste ».

Je suis de ceux qui considèrent que l’anéantissement des règles du jeu économiques, fiscales et sociales, constitue un risque majeur pour la dignité de l’homme.

Je suis de ceux qui considèrent que l’État ne doit pas se déposséder de tous les moyens d’action pour mener une politique volontariste dans les domaines éducatif, culturel, social, industriel ou environnemental.

Je suis enfin de ceux qui ne confondent pas la liberté chantée par Éluard, avec le libéralisme qui n’accorde de liberté qu’aux plus puissants.

La modernité ne change rien à l’affaire ! La loi de la jungle économique écrase le faible, et détruit sa capacité de révolte et d’indignation. Lorsque la baisse du pouvoir d’achat oblige à choisir entre manger et dormir, lorsque les fermetures d’usine – cinq dans ma circonscription en un an – bouchent l’horizon, lorsque la « raison du plus fort » vous agresse jour après jour, bien sûr ce n’est pas tout à fait la guerre, mais cela y ressemble un peu...

Aussi le poème d’Éluard qui est un hymne à la vie, écrit dans une période sombre de notre histoire, prend-il aujourd’hui à mes yeux tout son sens :

Et par le pouvoir d’un mot / Je recommence ma vie / Je suis né pour te connaître / Pour te nommer / Liberté.

Liberté de retrouver l’espoir et combattre ce que le pouvoir d’aujourd’hui nous présente souvent comme inéluctable ; liberté d’expression ici, liberté d’indignation et de colère parfois dans la rue ...

Ce texte, plutôt que LME, Loi de Modernisation de l’Économie, devrait s’appeler LMI, Loi de Modernisation des Illusions. Par exemple le nouveau statut d’entrepreneur, un peu salarié, un peu retraité, est en fait un encouragement à « externaliser » les salariés et à considérer les collaborateurs des entreprises comme des sous-traitants indépendants, dont on pourra facilement se débarrasser.

M. Nicolas Forissier, rapporteur pour avis – C’est complètement faux !

M. François Brottes – À « salaire minimum », vous préférez « service minimum », à la sérénité que donne un contrat à durée indéterminée, vous préférez la vulnérabilité des « contrats de mission ou de projet »... Avec cette nouvelle invention du « tous patrons », vous continuez à faire rêver les gens sur des chimères, en leur laissant croire que plus ils seront malléables et corvéables à merci, mieux l’économie se portera... Après l’épisode du « tous mobiles pour trouver du boulot», et celui du « tous propriétaires » et donc tous endettés, avec ce nouvel épisode du « tous patrons », vous êtes bien en train de réaliser un remake de La Grande Illusion. Et l’idée que la rémunération doit se faire plutôt avec des primes d’intéressement qu’avec un salaire fixe et régulier, ce qui pour l’entreprise est une aubaine et pour le salarié une galère, ou une angoisse, va dans le même sens.

Prenons ensuite les dispositions qui consistent à supprimer ou modifier le nombre de salariés qui sert de seuil pour l’instauration de délégués du personnel, et pour les contributions à la construction de logements, à la formation, aux transports collectifs. C’est là l’illusion de la simplification administrative au service d’une logique de rupture du pacte social, dans le droit fil de la suppression annoncée de la durée légale du travail, et de l’instauration de l’obligation de travailler le dimanche, chère à M. Mallié, et dont nous allons prochainement débattre. Je parle d’obligation car une fois la porte ouverte, le dimanche sera considéré comme un lundi : c’en sera alors fini des primes particulières et de l’appel au volontariat, puisque ce sera devenu un jour comme les autres.

Par ailleurs, l’État ne compensant pas le coût élevé de ces mesures, une fois de plus les collectivités locales devront le faire à sa place dans bien des cas, ce qui permettra à M. Karoutchi de publier le tome 2 du Livre noir des régions.

Autour des questions, souvent incompréhensibles, des marges arrière, ou des surfaces commerciales à partir desquelles il y a obligation de demander d’autorisation d’implantation, vous entretenez un rideau de fumée, pour, là encore, créer l’illusion d’une baisse des prix et d’une amélioration du pouvoir d’achat. Vous organisez en fait un faux semblant de dynamisation de la concurrence. En effet il n’y a rien dans ce texte – et ce n’est pas le rapporteur qui me démentira – qui s’attaque réellement au monopole territorial de certains grands distributeurs…

M. Jean-Paul Charié, rapporteur Déposez un amendement en ce sens !

M. François Brottes – …et de leurs hard discounters associés, rien qui s’attaque réellement à la super puissance des quatre ou cinq grandes centrales d’achat qui font la pluie et le beau temps en se ménageant les unes les autres.

Il n’y a rien dans votre texte qui s’attaque à l’opacité, et parfois à l’indécence des méthodes utilisées à l’encontre des fournisseurs pour qu’ils soient référencés dans les centrales d’achat.

M. Jean-Paul Charié, rapporteur – Si !

M. François Brottes – Vous accréditez l’illusoire formule entendue dans la bouche d’une responsable héraultaise de l’UMP au soir des élections présidentielles : « Avec notre nouveau Président, tous les pauvres deviendront riches ! »

M. Jean-Paul Charié, rapporteur – C’est mieux que le contraire !

M. François Brottes – Là encore, nous sommes servis ! Vous continuez à faire payer les plus pauvres pour compenser les milliards que vous ne voulez plus faire payer aux plus riches depuis le vote du paquet fiscal.

M. Lionel Tardy – Caricatural et hors sujet !

 M. François Brottes – Après la double peine des franchises médicales pour les malades (Exclamations sur les bancs du groupe UMP ; quelques applaudissements sur les bancs du groupe SRC), après l’augmentation continue et insupportable des prix de l’énergie, notamment pour que Gaz de France et EDF versent à l’État des milliards de dividendes, collectés sur le dos des consommateurs – et je ne parle pas du surcroît de TVA collecté grâce à l’augmentation des prix à la pompe, mais cela va toujours dans les mêmes poches et sert toujours les mêmes…

M. Jean-Pierre Brard – Exactement. Total !

M. François Brottes – Une fois de plus, pour faire table rase des acquis du passé, vous engagez la banalisation du Livret A. Celle-ci va procurer des bénéfices à toutes les banques, alors que la finalité de cet outil d’épargne était de garantir le financement du logement social et de servir de support à une épargne populaire, qui, pour près d’un million de nos concitoyens, était le seul moyen de disposer d’une accessibilité bancaire.

Forcément, avec un projet de loi qui rassemble autant de mesures disparates qu’il y a de camionnettes bariolées dans la caravane du Tour de France, j’ai mis en exergue ce qu’il y avait de plus criant et ressemblait le plus à du dopage antisocial (Murmures sur les bancs du groupe UMP).

Je ne conteste pas que notre pays ait besoin de mesures fortes pour relancer une croissance atone et soutenir le pouvoir d’achat des ménages. Mais puisque le MEDEF – et le président Ollier peut en témoigner – a lui-même considéré que le présent texte n’était pas fondateur, je n’ai aucun scrupule à le démontrer à mon tour. Nous en sommes tous d’accord : il nous faut être imaginatifs et audacieux pour préparer un avenir meilleur à nos enfants. Convenez que la seule perspective de travailler plus longtemps et même le dimanche ne constitue ni une motivation digne ni un horizon enthousiasmant ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

Les enjeux sont cruciaux car tous les voyants sont au rouge : le chômage des jeunes ne cesse de progresser, 80 % de nos concitoyens relèvent une baisse cruelle de leur pouvoir d’achat depuis un an, les prix explosent, avec une hausse moyenne de 5 % pour les produits alimentaires et des pics sans précédents pour les biens les plus courants, comme les produits laitiers. Les prix de l’énergie – et la hausse des cours du pétrole qui sert souvent de prétexte – n’y sont pas étrangers : plus 5 % l’an dernier pour l’électricité, plus 40 % pour le gaz en deux ans, plus 10 % – voire plus – pour l’électricité destinée aux industriels. Dans certains secteurs, les charges énergétiques deviennent proprement insupportables ! Je pense à la papeterie – où elles représentent 20 % des charges fixes – et à tous les électro-intensifs – la chimie, l’aluminium, l’acier… –, où, désormais, les seules primes distribuées sont de licenciement.

Parallèlement, le dernier rapport Coface fait apparaître une nette dégradation de la situation financière des entreprises, dont témoigne, pour 2008, la progression sans précédent du nombre d’incidents de paiement – plus 45 % par rapport à la même période de l’an dernier. Suite à la crise du crédit américain, accompagnée de l’effet Kerviel, nous sommes entrés dans une phase de durcissement de l’accès aux crédits bancaires. S’y ajoutent la hausse des prix de l’énergie, l’appréciation des devises et une concurrence féroce.

Les défaillances d’entreprises se multiplient et les premiers signes de faiblesse apparaissent dans les secteurs les plus directement liés à la consommation. Et la hausse des créations d’entreprises – dont beaucoup constituent une simple bouée comme alternative au chômage – n’est en rien rassurante ! Car enfin, si la France crée beaucoup de nouvelles entreprises chaque année, bien peu survivent assez longtemps pour dépasser le cap périlleux des cinq ans. Pis, rares sont les PME à dépasser le seuil mature de la moyenne des entreprises.

Face à cette situation alarmante, nous attendions « du lourd » ! Quelle déception ! Ce projet de loi est tout sauf le grand rendez-vous annoncé.

En moins d’un an, après la loi TEPA de juillet 2007, la loi pour le développement de la concurrence de la fin 2007 et la loi sur le pouvoir d’achat de janvier 2008, voici une quatrième loi économique dont l’intitulé est abusivement ambitieux. Force est de constater que vous avez grillé toutes vos cartouches, et d’abord l’été dernier, en votant le funeste paquet fiscal et son programme de baisses d’impôt ciblées sur les catégories sociales les plus aisées (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Et ça, c’était du lourd ! 15 milliards de pertes de recettes fiscales pour l’État chaque année, soit près de 1 % du PIB !

M. Nicolas Forissier, rapporteur pour avis – Arrêtez, c’est insupportable !

M. François Brottes – Quelques semaines, chers collègues de l’UMP, après ce vote idéologique…

M. Jean Auclair – Et les 35 heures, combien ça coûte ?

M. le Président – Laissez parler M. Brottes !

M. François Brottes – Le Président de la République le reconnaissait lui-même solennellement : « Les Français n’attendent pas que je distribue des cadeaux de Père Noël car ils savent qu’ils n’y a plus d’argent dans les caisses ». Et pour cause ! Tout le monde le sait bien : s’il n’y a plus d’argent, c’est que tout a déjà été distribué, surtout aux mêmes, qui ne sont pas les plus nombreux !

M. Christian Paul – Et oui ! Ils ont vidé les caisses !

M. François Brottes – Cette politique de redistribution aux plus hauts revenus devait créer un « choc de confiance », nous disait-on. Mais ce choc n’a pas eu lieu. L’argent des impôts qui manquent n’a pas été réinjecté dans l’économie pour créer de l’emploi. Au contraire, l’effet des heures supplémentaires reste très marginal, les ménages qui le peuvent continuent d’épargner, leur pouvoir d’achat stagne et le déficit commercial bondit – plus 9 milliards en un an ! Les analystes prédisent que, pour la première fois depuis 1984, le revenu moyen des Français va baisser.

Dans ce contexte, nos concitoyens attendent toujours l’impulsion promise. Face à l’inflation sans précédent des prix à la consommation de base, il y aurait pourtant des solutions simples, que nous n’avons eu de cesse de proposer : la baisse de la TVA, qui est l’impôt le plus injuste…

M. Jean Auclair – Vous êtes M. Y-a-qu’à !

M. François Brottes – Cela aurait pour effet de dynamiser les ventes sur les marchés à forte tension et de soulager le porte-monnaie des ménages. On peut aussi taxer les super profits de la société Total, qui se constitue une véritable rente de situation en accompagnant avec constance l’augmentation du prix du baril : 12 milliards de résultats nets en 2006, 13,2 milliards en 2007 !

Au lieu de cela, que nous proposez-vous sinon une batterie de mesures décousues, qui vont de l’anecdotique au sacrilège. Certaines, je l’ai dit, sont utiles ; mais voilà la vérité pour d’autres.

Madame la ministre, vous avez augmenté la TACA pour, dites-vous, aider le commerce de proximité. Las, sur les 650 millions que rapporte la taxe à l’État, vous ne projetez d’allouer que 100 millions au FISAC ! Voilà un beau mensonge ! Tant que l’État continuera de capter l’essentiel du produit de cette taxe, nulle révolution n’est à attendre dans le secteur de l’artisanat et des petits commerces, lesquels font pourtant vivre nos cœurs de ville et nos villages.

Quant au pré-câblage en fibre optique des nouvelles constructions, il constitue une ambition trop limitée pour envisager avec volontarisme l’accès au très haut débit dans l’ensemble du territoire.

S’agissant du Livret A, Bruxelles a bon dos, une fois de plus ! Le président Ollier n’a sans doute pas oublié que je vous avais personnellement prévenus, lors du débat sur la loi relative à la régulation postale. À l’époque, j’avais prédit que la manière dont vous banalisiez la Banque Postale allait entraîner une mise en demeure de la Commission européenne visant à accélérer la banalisation du Livret A. Le rapporteur du texte, M. Proriol et plusieurs députés UMP ici présents m’avaient alors reproché d’exagérer et de voir le mal partout… N’y sommes-nous pas aujourd’hui ? La banalisation du Livret nous est aujourd’hui imposée, comme je vous en avais prévenus ! Si la Banque Postale était restée intégralement sous statut public, avec des missions de service public clairement établies, je suis certain que Bruxelles aurait eu un autre regard sur le fait qu’elle reste quasiment la seule à distribuer le Livret A. Ainsi, le financement du logement social et l’accessibilité bancaire des plus démunis auraient été garantis, ce qui ne sera plus le cas après le vote du présent texte.

La réforme des périodes de soldes vise à ce que sur les douze semaines autorisées, deux soient librement choisies par les commerçants. Cela ne serait pas très inquiétant, si, conjointement, le droit de revente à perte n’était pas introduit. Le risque d’opérations de dumping est très réel : les importateurs de produits asiatiques iront à la curée, cependant que nos industries paieront le prix fort en termes d’emploi.

Enfin, certaines de vos propositions sont parfaitement inacceptables. Ainsi de la possibilité d’obtenir une carte de résident de dix ans en cas de « contribution économique exceptionnelle à la France ». Cela dénote une dérive utilitariste pour le moins gênante, voire une forme de « peopolisation » de la politique d’asile ! La notoriété deviendrait un critère recevable pour ce nouveau droit d’exception. Curieuse conception, en vérité !

Mmes Danièle Hoffman-Rispal et Marylise Lebranchu – Très bien.

M. François Brottes – Je pense aussi à la batterie d’ordonnances visant à légiférer sans débat parlementaire sur des questions essentielles, comme la dépénalisation du droit commercial ou la définition des compétences et moyens de la nouvelle Autorité de la concurrence.

J’en reviens au cœur de ce texte, la réforme des règles d’implantation et des relations commerciales dans la grande distribution, à propos de laquelle il semble qu’un accord soit intervenu ce matin entre le Gouvernement et le groupe UMP – comme, du reste, pour l’action de groupe… Que devons-nous en attendre de positif ?

À vous écouter – mais vous usez de la méthode Coué puisqu’aucune étude d’impact sérieuse n’a été produite comme cela est pourtant théoriquement obligatoire –, on peut espérer en retirer un gain de 0,3 % de croissance et une baisse significative de l’inflation dès la première année.

S’agissant des relations commerciales, c’est l’histoire du pot de terre contre le pot de fer ! Nous sommes tous d’accord pour revenir sur les effets pervers de la loi Galland, qui a notamment introduit les marges arrière. Tout le monde convient aujourd’hui qu’il faut les supprimer, d’autant qu’elles ont eu tendance à gonfler au fil des ans. Pour mémoire, je rappelle que, dès juillet 2005, le groupe socialiste avait proposé de faire disparaître les marges arrière en trois ans : nous n’avons pas été suivis alors, mais le calendrier sera finalement quasiment le même !

Doit-on s’en féliciter ? Non, car la suppression des marges arrière n’est qu’un rideau de fumée…

M. Jean-Paul Charié, rapporteur – C’est faux !

M. François Brottes – Si j’avais dénoncé à l’époque votre marche arrière sur les marges arrière, je constate que vous prétendez aujourd’hui avancer à marche forcée contre la non négociabilité équilibrée et sincère des prix. Avec votre dispositif, il n’y aura plus aucun rempart contre la toute-puissance des centrales d’achat…

M. Jean-Paul Charié, rapporteur – C’est faux !

M. François Brottes – Or le combat est inégal, puisque les grands distributeurs représentent plus de 50 % du chiffre d’affaires des petits producteurs, alors que ces fournisseurs ne représentent que 0,5 % du chiffre d’affaires des distributeurs.

M. Jean-Paul Charié, rapporteur – Ça, c’est vrai !

M. François Brottes – Vous ne prévoyez aucune contrepartie globale – et vérifiable – à la libre négociabilité des prix.

M. Jean-Paul Charié, rapporteur – C’est faux !

M. François Brottes – Mais si, Monsieur le rapporteur. Regardez le texte !

De même, vous ne prévoyez pas de supprimer les abus dans les pratiques commerciales, car, pour cela, il faudrait abolir un système de référencement opaque et parfois, j’ose le dire, un peu mafieux (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC).

M. Jean-Paul Charié, rapporteur – C’est vrai.

M. François Brottes – Finalement, avec ce texte, le Gouvernement se contente d’honorer la commande que lui a passée Michel-Édouard Leclerc ! (Murmures sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Paul Charié, rapporteur – C’est faux !

M. François Brottes – J’ai ici le compte rendu des auditions de MM. Leclerc et Mulliez, à la veille de l’examen de la loi Chatel de janvier dernier. La commande était claire : « Il convient de pouvoir prochainement négocier les tarifs et les conditions générales de vente. Il faut également supprimer les marges arrière, dans le cadre d’un contrat unique ». Résultat, les distributeurs emportent la mise ! Tel quel, ce projet de loi aura donc pour conséquence de mettre en difficulté les fournisseurs – producteurs et PME –, au bénéfice exclusif des marges des hypermarchés,…

M. Jean-Paul Charié, rapporteur – Pourquoi les producteurs et fournisseurs sont-ils d’accord ?

M. François Brottes – …lesquels camperont sur leurs positions territoriales acquises, sans que l’on remette en cause la concentration verticale des centrales d’achat.

Monsieur le rapporteur, si certains producteurs et fournisseurs n’osent plus parler aujourd’hui, c’est par peur de représailles sur les référencements ! (Murmures sur les bancs du groupe UMP)

Partons du constat de base dressé par la commission Attali : quatre groupes de grande distribution représentent 66 % du marché français et 87 % des bassins de consommation sont peu ou pas concurrentiels. Témoigne de cette situation un avis du conseil de la concurrence du 11 octobre 2007, qui révèle qu’au niveau départemental, il existe une concentration commerciale excessive, source de situations dominantes locales, nombre de zones ne connaissant qu’une seule ou deux enseignes. C’est ainsi que 6 % des hypermarchés détiennent plus de 25 % de la surface de vente cumulée d’un département.

De plus, même lorsqu’il existe plusieurs enseignes différentes dans une zone de chalandise, une analyse récente de l’UFC-Que Choisir ? révèle qu’il s’agit souvent du même groupe.

Que proposez-vous ? Rien de très ambitieux ! En relevant de 300 à 1 000 mètres carrés le seuil de déclenchement de la procédure d’autorisation préalable d’ouverture, vous ouvrez seulement la vanne du hard-discount. Quelle innovation ! On en revient à 1996…

À l’heure du Grenelle de l’environnement, alors que des paramètres essentiels à la qualité de vie doivent être pris en compte – pollution, déplacements, préservation des espaces, revitalisation des cœurs de ville, respect des paysages –, vous tournez le dos à l’avenir.

Quels espoirs fonder, en termes d’emploi, sur une telle politique ? Bien peu ! Il est prouvé qu’un emploi créé dans la grande distribution fait disparaître six ou sept emplois dans le commerce de proximité. Pourtant, le commerce de quartier ou de village représente 53 % des salariés du commerce, avec près de 1,7 million d’emplois !

Pour parer aux abus de position dominante et pour instaurer une véritable concurrence, il faudrait des contreparties à la déréglementation des conditions générales de vente. Ce texte n’en apporte malheureusement aucune.

Si l’on veut que la grande distribution joue le jeu de la concurrence, il est en outre nécessaire que les élus conservent des moyens de contrôle. En dehors des aires urbaines, nous souhaitons donc que l’on maintienne les CDEC, sous une forme rénovée, et sans relever le seuil actuel de 300 mètres carrés. En revanche, il faut laisser à l’établissement public en charge des schémas de cohérence territoriale le soin de définir les règles en matière d’implantation commerciale. Il faut en effet procéder territoire par territoire…

M. Jean-Paul Charié, rapporteur – C’est juste !

M. François Brottes – Il faut également donner à la nouvelle autorité de la concurrence tous les moyens, y compris coercitifs, pour sanctionner les abus.

M. Jean-Paul Charié, rapporteur – Ce sera le cas !

M. François Brottes – Cette instance doit disposer de pouvoirs d’investigation et de contrainte lorsqu’un abus de position dominante est établi sur un territoire donné. Nous avons besoin d’un dispositif anti-trust afin de lutter contre le couple infernal formé par les centrales d’achat et les surfaces de vente et de distribution.

Ce texte ne s’attaque qu’à la face visible de l’iceberg, car les centrales d’achat restent dans l’angle mort de la loi. C’est pourtant le cœur du problème ! Dans notre pays, cinq grandes centrales d’achat négocient 90 % des ventes… Chacun sait que les concentrations peuvent exercent des pressions d’autant plus fortes sur les fournisseurs que les économies d’échelle sont élevées. Et chacun se souvient que le rapprochement entre les centrales d’achat de Leclerc et de Système U leur a permis de bénéficier d’une remise de 2 % supplémentaire, soit plusieurs centaines de millions de francs de l’époque.

Les centrales d’achat exigeant un alignement sur la centrale la mieux traitée, le « plus mal vendu » devient la norme. Les fournisseurs sont alors contraints à produire toujours moins cher, ce qui oblige les industriels et les sous-traitants à comprimer sans cesse leurs coûts. C’est donc un encouragement aux suppressions d’emplois et aux délocalisations.

Si l’on ne s’attaque pas à la concentration verticale dans la grande distribution, la concurrence que vous prétendez renforcer demeurera sans effet. Il faudrait que l’autorité en charge de la concurrence puisse contraindre une centrale d’achat à vendre une de ses enseignes dès lors qu’elle détiendra plus de 25 % du marché dans une zone de chalandise donnée. Les nouveaux acteurs de la distribution pourront alors entrer réellement dans le jeu. J’espère que Mme Lagarde voudra bien soutenir les amendements que nous avons déposés en ce sens…

Nos propositions tendent également à combler les vides de ce texte en matière de pouvoir d’achat. Compte tenu de la part croissante des dépenses de télécommunication dans le budget des ménages et de la multiplication des contentieux dans ce secteur, vous auriez dû donner aux consommateurs la possibilité de mieux défendre leurs intérêts en autorisant enfin des actions de groupe à la française (« Très bien ! » sur les bancs du groupe SRC). Cette mesure, que nous réclamons depuis bien longtemps, est sans cesse repoussée à plus tard par la majorité.

Voici, pêle-mêle, les occasions manquées par ce texte et que nous vous proposerons de rattraper en adoptant nos amendements : l’encadrement des clauses abusives ; la lutte contre les ventes forcées, notamment dans le domaine de l’informatique et des télécommunications ; le renforcement de la lutte contre le surendettement ; l’instauration d’un véritable service universel bancaire ; la création d’un observatoire des prix et des marges.

Afin de relancer l’économie, nous devrons aussi répondre aux difficultés qu’éprouvent nos TPE, PME et PMI pour subsister et pour se développer à l’international. Outre la réduction des délais de paiement, il serait bon de prévoir des mesures facilitant l’accès au crédit. Avant de chercher à favoriser la création de nouvelles entreprises, il faudrait pérenniser les 2 200 000 TPE et les 2 100 000 PME que compte notre pays. Les PME représentent en effet 59 % de l’emploi salarié et 63 % de l’emploi total, 53 % de la valeur ajoutée, 23 % des exportations et 36 % de l’investissement corporel en France. Quant aux TPE, elles représentent 63 % de la valeur ajoutée. C’est un formidable potentiel de développement économique ! Or, vous ne donnez aucun signal positif en sa faveur.

Soyons donc plus ambitieux ! Il faut créer de véritables fonds de capital risque ainsi qu’un puissant fonds d’investissement dans notre pays. Pourquoi ne pas créer, nous aussi, un fonds souverain ?

Je regrette également que ce texte ne prévoie aucune mesure pour aider les entrepreneurs qui lancent leur activité à trouver un assureur. Dans de nombreux cas, la réglementation leur en fait pourtant l’obligation. Il convient donc de garantir le droit à l’assurance. Si nous ne le faisons pas, de nombreuses activités pourraient rester inexploitées alors que la demande existe – je pense en particulier au secteur du bâtiment et aux travaux publics.

Vous posez par ailleurs le principe : « pas de profit, pas de charge ». Mais il faudrait cibler le dispositif sur le seul démarrage des entreprises. Nous proposerons d’instaurer une limitation dans le temps afin d’éviter les abus.

J’en viens à la plus grande lacune de ce projet de loi : le prix de l’énergie, pourtant en grande partie responsable des difficultés éprouvées par les entreprises et les ménages. Pourquoi ne pas profiter de ce texte pour prolonger le Tartam, le tarif réglementé transitoire d’ajustement du marché ?

Il me semble également qu’il faudrait être plus offensif en matière de haut débit. Vous proposez certes quelques mesures, mais le dividende numérique devrait nous permettre de mieux irriguer tout le territoire en très haut débit.

Au total, nous sommes loin du « grand soir ». Nous restons sur notre faim, et les entrepreneurs aussi ! Ce texte n’est pas seulement décevant, il est déséquilibré. Pourquoi ne pas nous donner les moyens d’atteindre des objectifs que nous partageons tous ?

Il est vrai que nous avons pris l’habitude, depuis un an, des réformes hâtives et compulsives dictées par les exigences de communication du Président de la République. Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas d’une modernisation au rabais de l’économie, mais d’une vraie politique en faveur de l’emploi et d’une vraie politique industrielle au service de la croissance durable.

Rien de tel ne peut s’improviser, ou se réaliser par à-coups successifs, sans étude d’impact préalable. Or, l’encre de la loi Chatel est à peine sèche que vous voulez déjà reprendre la plume… Il n’est pas responsable de délibérer dans de telles conditions, ni de confier par voie d’ordonnance aux seuls experts le soin d’élaborer les principales dispositions de la loi. C’est un déni de démocratie !

Pour toutes ces raisons de fond et de forme, nous vous invitons à reconnaître que ce texte est irrecevable en l’état. À vouloir trop étreindre, on embrasse mal (Sourires).

M. Jean-Pierre Brard – On peut voir cela ainsi !

M. François Brottes – Cessons donc la course aux réformettes ! Et cessons de déréguler par pure idéologie !

Au lieu de chercher à démontrer l’irrecevabilité constitutionnelle de ce projet de loi – nous sommes précisément en train de modifier notre Loi fondamentale ! –, je crois avoir démontré son irrecevabilité sociale, économique et politique. Notre Règlement ne nous autorisant pas encore à voter des motions d’inconséquence et d’indécence, je vous invite à adopter cette motion d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie – Nous aurons l’occasion de revenir dans le détail sur vos critiques, Monsieur Brottes. Toutefois, de façon générale, il faut bien reconnaître que vos propos sont hors sujet…

M. Jean-Pierre Brard – Quel ton professoral !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie – Heureusement que vous avez fait référence à la Constitution dans votre conclusion, car le reste n’avait pas grand-chose à voir avec elle…

Votre démonstration était également hors sujet parce que vous faites fi des aspirations de nos concitoyens. Plus de 60 % d’entre eux souhaitent s’installer à leur propre compte. Et ils sont 86 % à faire confiance à la concurrence pour faire baisser les prix.

Vous étiez également hors sujet en matière de finances publiques. Vous pensez qu’en baissant un peu la TVA, on pourrait relancer la croissance, mais que faites-vous des impératifs de rigueur auxquels nous sommes astreints ?

M. Christian Paul – Que n’y avez-vous songé lors du paquet fiscal ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie – Pour toutes ces raisons, je ne puis aucunement abonder dans votre sens. J’ajoute qu’au nom du principe de liberté, nous devons permettre aux Français de créer leur propre entreprise, et nous devons aider les entrepreneurs à briser l’omerta de la concurrence. Ce principe n’a rien d’incompatible avec le libéralisme économique, bien au contraire. J’observe d’ailleurs que certains dirigeants de votre bord s’en réclament dans leurs professions de foi…

Le libéralisme, ce n’est ni la jungle, ni le zoo, mais un espace régulé. À la jungle et le zoo, je préfère le parc…

M. Jean-Pierre Brard – À la française ou à l’anglaise ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie – Le libéralisme consiste à réguler le comportement des acteurs économiques dans un objectif de transparence et de liberté. Au nom du principe de liberté, je m’élève contre cette motion d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président – Nous en venons aux explications de vote.

M. Serge Poignant – Notre collègue François Brottes aurait dû démontrer que le texte était irrecevable, car inconstitutionnel. Or, il n’en a rien fait.

M. François Brottes – Je l’ai moi-même reconnu… Trouvez d’autres arguments !

M. Serge Poignant – Vous vous êtes placé dans une démarche purement politicienne, sans parvenir, bien sûr, à nous convaincre…

Après avoir reconnu que ce projet de loi avait quelques mérites, vous lui avez aussitôt trouvé tous les défauts politiques. On pouvait pourtant espérer que l’opposition ferait preuve d’un esprit plus constructif sur un sujet aussi essentiel. Vous vous en tenez malheureusement à la ligne qui fut celle de l’opposition lors de la discussion des lois Jacob, Dutreil et Chatel.

Pour notre part, nous faisons nôtre l’ambition du Président de la République et du Premier ministre de relancer durablement la croissance de notre pays et de parvenir au plein emploi. Je rappelle également que l’objectif de la France est de faire adopter un plan européen d’action en faveur des PME à l’occasion de la présidence française de l’Union européenne… Il faut actionner tous les leviers.

Vous avez rappelé, Madame la ministre, que les résultats étaient déjà encourageants : à la fin de l’année 2007, nous sommes en effet revenus au niveau de chômage que nous connaissions en 1983, et le nombre de créations nettes d’emplois marchands et non marchands s’est élevé au niveau remarquable de 352 000 par an. Je me réjouis que le projet de loi tende à renforcer cette dynamique.

Grâce à un véritable travail de fond, nous avons abouti à un texte ambitieux qui permettra de moderniser notre économie en lui donnant des espaces de liberté et en levant les obstacles qui entravent l’esprit d’entreprise, la concurrence, l’attractivité de notre territoire et le financement de l’économie. Je me félicite que le Gouvernement ait mené une large concertation tout au long de la préparation de ce texte, et je veux également saluer la contribution des rapporteurs, des présidents de nos commissions, mais aussi de tous nos collègues. Comme l’a déjà indiqué le président Ollier, il s’agit d’une véritable « coproduction législative ».

Le régime simplifié qui sera appliqué aux auto-entrepreneurs, l’extension du rescrit social, l’élargissement de la protection du patrimoine individuel, la réduction des délais de paiement, la simplification du fonctionnement des PME, la facilitation de la reprise et de la transmission des entreprises sont autant de mesures concrètes qui contribueront au succès de notre économie.

La remise à plat de la négociabilité des conditions générales de vente, assortie de contreparties et de contrôles, était tout aussi nécessaire dans l’intérêt même des consommateurs, de même que la réforme de la TACA et l’abondement du FISAC. Nous débattrons par ailleurs de l’équilibre qu’il faut trouver entre le développement de la concurrence, le soutien au petit commerce et l’aménagement du territoire.

Tout aussi opportun est le développement de l’accès au très haut débit et aux nouvelles technologies de l’information et de la communication.

Enfin, la mobilisation des financements et l’accessibilité bancaire ne sont pas les moindres des mesures que vous nous proposez. L’argumentaire de M. Brottes sur l’affaiblissement du logement social ne tient pas debout : c’est une simple tentative de désinformation dont nous ne serons pas dupes !

Il n’y a dans votre démonstration, Monsieur Brottes, pas un seul élément sérieux d’irrecevabilité. En janvier dernier, lors du débat sur la loi Chatel, nos collègues socialistes avaient déjà dénoncé une prétendue rupture d’égalité entre les citoyens, et avaient même invoqué la non-conformité du texte avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Aujourd’hui, faute de pouvoir trouver un seul élément anticonstitutionnel, M. Brottes ironise sur une loi de « modernisation des illusions ».

M. François Brottes – Très juste !

M. Serge Poignant – Comment pourrons-nous dépasser les clivages habituels si vous vous arc-boutez sur de telles positions ? Ce texte est une nouvelle étape de la politique de réforme voulue par les Français et par le Président de la République qu’ils ont élu. Le groupe UMP votera donc résolument contre cette exception d’irrecevabilité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Marylise Lebranchu – Plutôt que de relever des motifs d’anticonstitutionnalité, M. Brottes a voulu, comme nous tous, vous convaincre que malgré certaines mesures intéressantes, vous prenez un mauvais chemin. Songez à ce qu’il advient de la concurrence « libre et non faussée », par exemple. Mme la ministre a prononcé une formule que je n’avais encore jamais entendue : la négociation des soldes. Reviendra-t-on à des pratiques inacceptables que nous n’avons cessé de dénoncer, qui consistaient à facturer, au titre des soldes, une partie d’une transaction à plus bas prix que le reste ?

De même, on nous annonce une liberté de négociation entre distributeurs et fournisseurs. En quoi la négociation sera-t-elle libre et égale entre un grand groupe de cosmétiques et une petite entreprise bordelaise qui tente désespérément de faire référencer ses produits depuis des années ?

M. Jean-Paul Charié, rapporteur – L’obligation sera réciproque !

Mme Marylise Lebranchu – Je vous mets au défi de nous le démontrer !

M. Jean-Paul Charié, rapporteur – Chiche !

Mme Marylise Lebranchu – Quelle force auront les producteurs alors que vous mettez petit à petit sur pied une société de compagnies à bas coûts ? Certains de nos collègues de la majorité hurlent de les voir menacer d’autres compagnies aériennes, voire l’Eurostar. Or, avec les barrières d’installation que vous créez, ce sont bel et bien les compagnies à prix dégriffés qui seront les plus à l’aise. C’est précisément d’elles qu’ont peur les petits commerçants et producteurs. Comment voulez-vous qu’une négociation ne tourne pas à leur avantage si elles sont cinq ou six à y peser de tout leur poids ? Le bon sens n’existe pas en économie, Monsieur le rapporteur.

M. Jean-Paul Charié, rapporteur – Peut-être pas chez les socialistes, en effet !

Mme Marylise Lebranchu – Non : comme Adam Smith, qui n’avait rien de socialiste, et comme Vilfredo Pareto, vous avez montré que l’optimum économique est incompatible avec l’optimum social et environnemental, de même qu’avec la régulation. Vous allez créer de nouvelles situations de domination qui vont à l’encontre de toute préoccupation sociale et environnementale, et qui ne freineront en rien les délocalisations industrielles, bien au contraire.

Les chefs d’entreprise du secteur du meuble et de la décoration, pourtant en plein essor en Europe, seraient-ils donc si incompétents en matière économique ? Or, ils savent bien qu’un texte comme le vôtre fera disparaître les petites et moyennes surfaces des centres de ville, alors qu’elles leur sont si utiles pour stimuler leurs ventes et leurs exportations. De même, l’UPA et les TPE n’ont–elles donc rien à faire dans le monde économique ? Dites-le donc ! Tous, en effet, nous expliquent que ce texte les met à genoux.

Certes, il facilitera la création d’entreprises, mais ne s’agira-t-il pas plutôt d’externaliser des fonctions, quitte à créer une forme nouvelle de tâcheronnage ? Comment garantir que certains n’en profiteront pas pour créer un nouveau pôle destiné à tuer la concurrence avant d’être réintégré ?

Je me suis autrefois battue pour que la TACA n’entre pas dans le budget de l’État. Hélas, Bercy était trop heureux du contraire, tant cette variable d’ajustement lui était utile. À l’époque, cette taxe était affectée pour un tiers au soutien au petit commerce et à l’artisanat, pour un tiers à leurs caisses de retraite et pour un tiers à l’équilibre du budget de l’État. C’est cette dernière affectation qui est aujourd’hui prioritaire : ne dites donc pas que vous voulez secourir les centres-villes !

Face à la pression des compagnies à bas coûts, dont la modification des seuils ne saurait que faciliter l’installation, bien des élus municipaux redoutent l’élaboration des PLU et des SCOT. Pourquoi ne pas aller au bout de votre logique et supprimer les seuils, tout simplement ? Certains auraient au moins pu rêver que les enseignes de grande distribution refusent toute entente entre elles et se fassent concurrence. Pour ma part, je n’y ai jamais cru : l’entente tacite, ou invisible, est toujours possible.

Votre réforme est mal taillée, car elle laisse la part du lion aux entreprises à bas coûts. Les non-sédentaires, les petits commerçants, les moyennes surfaces qui occupent des niches profitables : personne, dans nos centres-villes, ne s’attend à profiter de ce texte. Ils ne sont tout de même pas tous ignares !

Au fond, votre texte profite surtout à la grande distribution, qui jouit déjà d’une rente d’activité confortable. Sans elle, il est vrai, la distribution ne peut fonctionner, tant est lourd le poids de la publicité télévisée. Quant aux autres sociétés laissées à l’écart de la télévision et des marques, elles n’ont plus leur place dans l’affrontement.

Votre choix est celui du libéralisme économique. Il se défend, mais vous auriez pu aller au bout. Hélas, vous avez choisi l’incantation et le déséquilibre, et vous avez négligé l’urbanisme. Ensemble, nous aurions pu nous accorder sur des objectifs clairs : la protection du consommateur via le rééquilibrage des positions dominantes.

M. Olivier Dassault – Ce n’est plus une explication de vote !

Mme Marylise Lebranchu – Si, c’en est une ! Il est vrai que les grandes entreprises n’ont pas l’habitude de négocier avec les petites…

M. Jean-Pierre Brard – Surtout pas les constructeurs d’avions !

Mme Marylise Lebranchu – …mais voici justement une occasion de le faire !

Mme Laure de La Raudière – Pourquoi n’avez-vous pas présenté des amendements en commission ?

M. le Président – Veuillez conclure, Madame Lebranchu. Vous avez largement dépassé le temps qui vous était imparti.

Mme Marylise Lebranchu – Soit. Nul ne saura garantir la renaissance d’une politique industrielle en France et en Europe s’il privilégie les grandes règles macroéconomiques aux dépens de l’observation, plus fine, de la microéconomie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Jean-Pierre Brard – Selon le Larousse encyclopédique, un patchwork est un ensemble quelconque formé d’éléments hétérogènes disparates. En apparence, votre texte illustre bien cette définition. Hélas, à gratter davantage, ce que nos collègues de l’UMP n’ont manifestement pas l’habitude de faire, on découvre une certaine cohérence. De loi Jacob en loi Dutreil ou Chatel, ces textes n’ont donc servi à rien, qu’il faille toujours remettre l’ouvrage sur le métier ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

L’irrecevabilité, en l’espèce, n’est pas que constitutionnelle : elle est sociale et morale. Pour M. Brottes, qui citait Paul Éluard, et M. Piron, qui est un homme de lettres, je citerai Paul Valéry : « il y a plus faux que le faux, c’est le mélange du vrai et du faux ». Que ce texte l’illustre bien !

Auchan, Carrefour, la Société Générale : voilà les grands oubliés de vos discours ! Et que dire de Total : le prix de l’essence ne compte-t-il donc pas ? Certes, Mme la ministre a déjà reçu des pétroliers à l’heure du thé, pour exiger d’eux des efforts, faute desquels elle les foudroierait du regard, pas moins. Il va de soi qu’elle n’a rien obtenu.

M. Michel Piron – De Valéry aux pétroliers, la transition est abrupte !

M. François Brottes – Elle passe par Sète !

M. Jean-Pierre Brard – Autre conséquence de votre texte : La Poste devient officiellement la banque du pauvre – à moins que vous n’acceptiez l’amendement adopté par la commission des finances.

Mme Lagarde a eu raison de citer la loi Le Chapelier de 1791, qui accordait tous les droits aux entrepreneurs et n’en donnait aucun aux salariés de l’époque ! Dans la foulée, vous vous êtes bien gardée de citer 1793, qui vous fait encore frémir.

Au fond, votre texte ne fait que consolider le système de la grande distribution. Les petits commerçants, eux, ont peur, et c’est bien légitime ! M. Ciotti qui, comme d’autres ici, est aussi élu local, n’a d’ailleurs pas manqué de le remarquer. Leur disparition tuera nos centres-villes et en fera des déserts.

Vous évoquez le logement social. Est-ce pour ne pas allonger les débats que vous ne dites pas tout ? Quand ferez-vous appliquer la règle des 20 %, quand rendrez-vous inéligibles les maires voyous qui s’y refusent ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Votre discours est celui de la duplicité. Vous prétendez vouloir faire davantage, mais vous laissez enfreindre la loi (« Hors sujet ! » sur les bancs du groupe UMP). Au contraire ! Je comprends que vous préfériez découper le sujet en rondelles, de sorte que nos concitoyens ne puissent pas en saisir la cohérence et la profondeur, mais c’est pourtant là l’essentiel ! Vous avez d’ailleurs procédé de même la semaine dernière lors du débat constitutionnel – auquel M. Ollier n’assistait pas, lui qui me reprochait de n’avoir pas participé aux réunions de sa commission. Je n’ai pas plus que vous le don d’ubiquité, Monsieur le Président !

Quant aux impatriés, vous leur déroulez le tapis rouge – et épais, encore ! Pendant ce temps, j’ai à Montreuil une entreprise où 18 sans-papiers, sur 26 salariés, travaillent et contribuent à l’enrichissement du patron depuis des années. Et qu’exige la préfecture ? Une promesse d’embauche… Mais ils le sont, embauchés, depuis des années ! Pour ces autres étrangers, le préfet délivrera sans barguigner un titre de séjour de dix ans. Pourquoi traiter ainsi les Kerviel de l’étranger, ou peut-être l’ancien responsable de la Barings ?

M. le Président – Monsieur Brard, il va falloir conclure.

M. Jean-Pierre Brard – Et comment seront-ils agréés, ces privilégiés ? Selon leur notoriété ! Établie par Voici, Détective ou Closer certainement, là doivent se trouver les critères d’un Président de la République qui fréquente Johnny et Doc Gynéco…

M. Jean-Charles Taugourdeau – Mais arrêtez-le !

M. Jean-Pierre Brard – Vous avez parlé, Madame Lagarde, de croissance, de liberté et d’équilibre. Croissance certes, mais des profits, pour les plus riches. Liberté des privilégiés, de ceux qu’on appelait autrefois les exploiteurs – car on sait que vous voulez aussi détruire les 35 heures en privilégiant les accords d’entreprise. Quant à l’équilibre, c’est plutôt de l’équilibrisme entre votre volonté de gaver les privilégiés et la révolte qui gronde chez les pêcheurs, les agriculteurs et tous ceux qui ont besoin d’utiliser leur voiture pour aller travailler. Dépasser les clivages gauche-droite, nous sommes d’accord, mais certainement pas sur cette loi ! Nous voterons donc cette exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR).

M. Jean Dionis du Séjour – L’opposition, sauf Marylise Lebranchu, se réfugie dans les délices du hors sujet. J’ai déjà vu M. Brottes plus concentré, par exemple lorsqu’il déclarait en commission que cette loi lui semblait précise et normative. Ce soir, le discours est différent, même si la loi est la même. Bref, il reste du chemin jusqu’au social-libéralisme !

Le Nouveau centre a mené un combat constant contre les marges arrière. Maintenant que nous y sommes, nous n’allons pas bouder notre plaisir. Il va de soi que la suppression de ces marges exige la négociabilité, et que vouloir l’une sans l’autre n’est rien d’autre que de la bouillie intellectuelle.

Une autre de nos préoccupations centrales est le développement des PME. Ce texte crée un environnement plus favorable aux TPE. C’est pourquoi nous le soutiendrons.

Certes, comme l’a dit M. Brottes, le quatrième report de sujets tels que l’action de groupe ou le registre positif en matière d’endettement met en jeu notre crédibilité, et il y a urgence à agir. Certes, le texte manque d’ambition en matière de fibre optique. Certes, la Haute autorité de la concurrence doit recevoir un pouvoir d’injonction – un amendement du Nouveau centre dans ce domaine a été adopté en commission. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) Vous ne l’avez pas voté !

Nous allons ouvrir le débat sur tous ces points. Pour vous, le refus est doux et confortable ! Nous préférons l’audace et le débat. Nous voterons donc contre cette exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et du groupe UMP).

L’exception d’irrecevabilité, mise aux voix, n’est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir à 21 heures 30.

La séance est levée à 18 heures 50.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

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