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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du mardi 17 juin 2008

3ème séance
Séance de 22 heures 15
198ème séance de la session
Présidence de M. Jean-Marie Le Guen, Vice-Président

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La séance est ouverte à vingt-deux heures quinze.

RÉFORME PORTUAIRE (SUITE)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, adopté par le Sénat, portant réforme portuaire.

DISCUSSION GÉNÉRALE (suite)

M. Bernard Cazeneuve – Votre texte nous pose un problème : dans le diagnostic posé, dans les orientations qu’il développe, dans les pistes qu’il propose, il pourrait nous convenir ; mais l’absence de moyens nous déçoit. Nous ne pourrons donc vous accompagner jusqu’au bout de votre démarche.

Nous partageons votre diagnostic d’urgence face à la difficulté que rencontrent nos infrastructures portuaires dans un contexte international de plus en plus compétitif. Les données statistiques déjà évoquées le montrent : le commerce international se fait à 80 % par voie maritime ; or la compétitivité de nos ports s’altère, passant en une vingtaine d’années de 17 à 13 % environ du commerce mondial. La moitié des marchandises importées en France par voie de mer arrivent aujourd’hui par des ports étrangers.

Nous partageons aussi l’idée d’une réforme de la gouvernance et d’une unité de commandement, garantie d’efficacité de la gestion. Comme vous, nous croyons nécessaires des investissements massifs.

Mais le compte n’y est pas. Vous dites vouloir une politique d’investissement offensive, afin de compter dans la compétition internationale ; prenons quelques chiffres et faisons un bilan. Dans le cadre des contrats de projet qui s’achèvent, les gouvernements précédents avaient prévu d’investir 1,2 milliard d’euros dans les grands ports maritimes français : c’est l’équivalent des investissements consentis pour moderniser le seul port de Rotterdam. Dans le cadre du prochain contrat de plan, vous proposez d’investir un peu plus de 400 millions d’euros : c’est la moitié de ce qu’investira le port de Hambourg dans ses propres superstructures. J’ajoute que, lors du précédent contrat de projet, l’État n’a pas tenu ses engagements envers les ports d’intérêt régional, c’est-à-dire les anciens ports d’intérêt national. À Cherbourg comme à Caen, le volet portuaire des contrats de plan État-région n’a pas été financé.

Les efforts en faveur des hinterlands et de la desserte ferroviaire et fluviale ne sont pas non plus à la hauteur de vos ambitions. Nos régions voient au contraire la SNCF réduire la voilure sur sa politique de fret. Sans investissements dans les infrastructures qui irriguent et structurent l’arrière-pays, le développement des ports ne sera pas possible.

Enfin la politique maritime française ne saurait se réduire à la modernisation des grands ports, laissant de côté les autres infrastructures portuaires avec lesquelles ils pourraient coopérer, pour offrir à la France cette grande ambition maritime qui a jusqu’à présent fait défaut aux gouvernements successifs. Votre texte prévoit, certes, une coordination entre les grands ports maritimes sur une même façade, et éventuellement une coordination entre les ports maritimes et les ports fluviaux d’une même façade ; mais il est regrettable que votre ambition s’arrête avant d’envisager une coordination entre les grands ports maritimes et les ports d’intérêt national, qui peuvent jouer un rôle important ; j’en veux pour preuve qu’un récent conseil informel des ministres européens, auquel vous assistiez, a relancé les autoroutes de la mer en développant la politique d’amorçage et en permettant aux ports français d’émarger au programme Marco Polo. Mais rien ici n’annonce une telle articulation, ni n’indique comment vous accompagnerez les régions dans le développement de ces infrastructures en complémentarité avec les ports d’intérêt national.

Ce n’est pas la seule raison pour laquelle nous ne pouvons voter ce texte, mais je tiens à dire au ministre très tintinophile que vous êtes (Sourires) qu’il ne parviendrait pas, malgré de bonnes intentions, à convaincre le marin exigeant qu’est le capitaine Haddock que ce texte porte une véritable ambition maritime pour la France (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Dominique Tian – Ce projet de loi est très attendu par les Marseillais. Ils sont inquiets du déclin de leur port, marqué par un climat social agité où, depuis des décennies, les grèves succèdent aux grèves, entraînant immobilisme et manque de fiabilité : en moins de vingt ans, Marseille-Fos est passé de la 24e à la 91e place mondiale. Il ne manque pourtant pas d’atouts, puisqu’il est situé au sein du seul territoire français totalement multimodal à l'international, et que la région marseillaise dispose du premier port français en tonnage, du deuxième aéroport pour le fret et du quatrième pour les passagers, d’un axe fluvial au gabarit européen jusqu'au cœur de la Bourgogne, du premier réseau de transport français par pipe-line, enfin de six grandes plates-formes logistiques représentant 1,5 millions de m² construits. Il y a là un vivier d’emplois extraordinaire : ceux liés à l'activité portuaire représentent à eux seuls plus de 40 000 postes de travail dans 2 800 entreprises, et la réforme des ports pourrait contribuer à créer 8 à 10 000 emplois, notamment dans le port de Marseille.

Le projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui est donc vital ; il cherche à recentrer les missions des ports en alliant développement économique, respect de l’environnement et promotion des transports multimodaux.

Un des axes majeurs du projet de loi est la redéfinition de nouvelles missions pour les ports autonomes, devenus grands ports maritimes. Ils pourront ainsi concentrer leurs moyens sur le développement du port et de ses activités, notamment sur le développement des dessertes terrestres.

Un autre axe fort de la réforme est la mise en place d'un commandement unique pour les activités de manutention. Le projet prévoit le transfert du matériel et des contrats de travail des salariés affectés à ces activités. Tout au long de l'élaboration du projet de loi, l'esprit de concertation a prévalu ; et vous nous avez confirmé, Monsieur le ministre, que le dialogue avec les syndicats se poursuivra. L'objectif principal est naturellement l'harmonisation des statuts des personnels des ports – grutiers, portiqueurs, dockers – avec le régime des salariés soumis aux dispositions de la convention de la manutention portuaire. Une première étape avait été franchie en 1992 avec la réforme du statut des dockers, passés de travailleurs indépendants à salariés. Il s'agit maintenant de poursuivre le mouvement avec les agents des ports autonomes. Les partenaires sociaux doivent parvenir à un accord cadre avant le 31 octobre 2008.

De nombreuses garanties sont prévues. Ainsi, aucun licenciement n'aura lieu, et vous avez même précisé au Sénat, Monsieur le ministre, que les agents n'intégrant pas les opérateurs de terminaux resteraient au sein des grands ports maritimes ou de leurs filiales, où ils évolueront vers de nouvelles missions. En outre, le salarié pourra, dans les cinq ans suivant son transfert, réintégrer la structure du port, en cas de difficultés économiques dans l'entreprise d'accueil.

Depuis dix semaines, les grutiers et manutentionnaires CGT du port autonome de Marseille observent des cadences ralenties, qui conduisent à l’asphyxie des terminaux et des activités. Plus de soixante bateaux sont, à l’heure où je vous parle, en attente devant le port. Les pertes sont énormes : plus de 7,5 millions pour les conteneurs, 15 millions pour les hydrocarbures. Cette situation est insupportable pour des milliers de PME qui attendent leurs conteneurs et sont obligées de les faire décharger ailleurs. Certaines entreprises envisagent avec angoisse le chômage technique à la fin du mois. D'autres sont malheureusement sur le point de déposer le bilan. La situation est grave. C'est pourquoi nous souhaitons que ce projet de loi soit adopté rapidement, pour remédier au déclin du port de Marseille, premier port français (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Michèle Delaunay – C’est un honneur pour moi, en ce jour anniversaire de notre législature, d’être ici l'expression de Bordeaux et de son ambition portuaire et maritime. Son port est au cœur de l'histoire de la ville, et toutes les parties prenantes à son activité sont engagées pour qu'il soit porteur de son avenir.

Sans doute vous rappelez-vous, en ces temps de baccalauréat, ce que disait Pascal de Descartes : « inutile et incertain ». Cette loi n'est certes pas inutile, mais elle est insuffisante et incertaine.

Insuffisante, tout d’abord. Elle n'est pas la grande réforme portuaire qui témoignerait d'une politique maritime ambitieuse pour notre pays et ses 5 000 kilomètres de côtes. Nous le savons, si la responsabilité du retard pris par la France dans la croissance du trafic maritime mondial est plurifactorielle, l'absence d'investissement de l'État au cours des vingt dernières années en est la première cause.

Au lieu de marquer l'engagement de l'État, cette loi cache en fait sa volonté de désengagement. Quand le port de Hambourg investit un milliard d’euros, l'État n’investit pour nos sept ports que 400 millions, et ce alors même qu'il en coûtera 350 pour renouveler la flotte aérienne du Président de la République.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État chargé des transports – Non, la flotte des pouvoirs publics !

Mme Michèle Delaunay – Comment ne pas être inquiet, par exemple, quand le coût du dragage, si pénalisant pour Bordeaux, ne sera assuré par l'État qu’au bout de cinq ans ?

Cette loi est, ensuite, incertaine, et ce d'abord dans ses résultats. Notre première inquiétude est l'absence d'évaluation. Qu’elle ne vise pas uniquement au désengagement de l'État et à la dévolution au secteur privé une part considérable de l’activité portuaire, soit. Mais il aurait fallu prévoir une évaluation de ses effets. Que ferons-nous si ceux-ci ne sont pas au rendez-vous ?

Incertaine, par ailleurs, dans ses modalités, cette loi a été élaborée à la hâte.

M. Roland Blum – C’est faux !

Mme Michèle Delaunay – Son adoption jettera dans la précipitation l'ensemble des acteurs. La part des collectivités territoriales et des fonds européens est capitale dans l'achat des outillages ; à Bordeaux, elle représente 12 millions sur 20. Et encore n’est-il pas sûr que cet investissement se traduise par une croissance de l'activité ; nous craignons même, en réalité, que ces collectivités ne soient associées au conseil de développement que pour être, demain, mises à contribution.

De même, les garanties font défaut, notamment sur trois points. Tout d’abord, le risque de voir se créer, sans aucun garde-fou, un monopole privé…

M. Daniel Paul – Bien sûr !

Mme Michèle Delaunay – …est particulièrement élevé à Bordeaux. Le second est l'absence de sécurité quant au réemploi des personnels dans leur qualification : comment, par exemple, réembaucher un grutier alors que le port ne disposera plus de grues ? – En troisième lieu, rien ne garantit la viabilité des structures de maintenance devant accueillir le sureffectif de personnel, puisque celles-ci ne répondront plus qu'aux lois du marché et que les opérateurs locaux n'auront aucune obligation de s'adresser à elles.

Enfin, la loi n'organise pas seulement la dévolution des outillages et le transfert du personnel de manutention : elle remet une grande part du développement de nos ports dans la seule main des opérateurs privés.

Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas ce projet de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Michel Vauzelle – Je suis un peu surpris que les horaires des débats de la représentation nationale soient tributaires de ceux d’un championnat de football. Cette attitude, aux relents démagogiques, est mal ressentie par ceux qui, à Marseille, Fos ou Port-Saint-Louis, attendent de nous une réponse à leurs inquiétudes (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. Dominique Tian – Il y a des Marseillais dans l’équipe de France !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques – Si nous reprenons nos travaux plus tard, c’est parce que nous les avons suspendus plus tard cet après-midi !

M. Michel Vauzelle – Je me fais une autre idée du travail du Parlement et de ce qu’en attendent nos électeurs (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Vous avez l’air choqués par ce que je viens de dire ; j’en déduis que vous vous souviendrez de cette remarque !

M. Patrick Ollier, président de la commission – Vous n’étiez pas là cet après-midi !

M. Michel Vauzelle – Président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, je limiterai mon propos au port de Marseille. Le chef de l’État semble avoir un sentiment particulier pour la ville, si j’en juge par la lettre, en seize points, qu’il a adressée au maire entre les deux tours des élections municipales. Il apportait son soutien à la « capitale de la Méditerranée » – je cite ses propres termes. Ce rôle, Marseille le doit au dévouement et à la compétence de ceux qui ont fait son histoire commerciale et maritime.

Au moment où s’expriment de nombreuses inquiétudes quant aux effets de la mondialisation, je déplore que l’État ait refusé à Marseille les moyens nécessaires pour que la Méditerranée ne soit pas seulement un couloir pour des bateaux en provenance de la Chine ou du Brésil et en direction de Malte ou de Tanger. Par sa position exceptionnelle au cœur de l’arc latin, Marseille peut être, pour la région et pour la France, un atout considérable.

Or, la présente loi n’est pas à la hauteur des enjeux. Certes, Marseille a besoin, et de toute urgence, d’une loi mais elle a surtout besoin de l’aide de l’État, après le scandaleux abandon dans lequel celui-ci l’a laissée pendant si longtemps – et M. Jibrayel a bien fait de souligner l’effort de la région pour le suppléer. Marseille doit être équipée et dotée d’un hinterland. Il ne suffit pas de dire qu’avec Fos 2XL ou Fos 3XL, nous disposons d’un espace suffisant pour les conteneurs ; il faut en outre que l’État apporte une contribution nationale en termes d’équipements et de qualité de gestion, ce qui implique une gestion de service public. À l’heure où le peuple irlandais vient de délivrer un message clair, ne devons-nous pas en tirer les conclusions que les peuples d’Europe – si ce n’est leurs dirigeants, souvent coupés des réalités du terrain – attendent, et apporter à des villes et à des ports comme Marseille la gestion de qualité que seul permet le service public ?

Court-circuitant les discussions entre les partenaires sociaux, vous entendez, avec cette loi, passer en force. C’est ce que le Gouvernement appelle le dialogue social et c’est ce que nous refusons. En pensant à ces travailleurs, à l’avenir du port de Marseille, à la réponse que nous devons apporter aux cris angoissés des peuples européens face à la mondialisation, nous voterons contre ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR).

M. Jérôme Bignon – L’intérêt que je porte au littoral et à la mer et les responsabilités qui sont les miennes me conduisent à apporter tout mon soutien à votre projet, Monsieur le ministre. Des mesures d’envergure figurent en effet dans le texte adopté par le Sénat, comme le rapporteur l’a relevé.

Notre pays entretient avec la mer un rapport paradoxal. Mais la mondialisation, le réchauffement climatique, la prise de conscience qu’il a une carte à jouer en tant que deuxième espace maritime mondial dans la zone économique exclusive font aujourd’hui de cette réforme une étape dans la consolidation de la vocation maritime de la France. Elle s’inscrit dans une logique de développement durable, et c’est heureux. Le Président de la République l’a rappelé le 20 mai à Orléans : il s’est engagé lors du Grenelle de l’environnement à arbitrer les grands projets au regard de leur coût carbone et de leur impact sur la biodiversité, et à renverser la charge de la preuve, ces grands projets devant faire la preuve de leur neutralité vis-à-vis de l’environnement. Or les ports sont situés certes dans des endroits stratégiques, mais aussi dans des endroits sensibles sur le plan naturel. Les milieux estuariens et les zones humides qui les entourent sont d’une grande fécondité. Bien souvent, ils ont été dégradés. Leur anthropisation et leur industrialisation les ont réduits comme peau de chagrin.

Le Conservatoire du littoral a établi depuis longtemps un partenariat important avec les ports – en particulier avec ceux qui deviennent, par ce projet, grands ports maritimes. La fonction première des emprises gérées par les ports autonomes était de constituer des réserves foncières. Au fil des années, certaines des parties naturelles ont été cédées, soit au titre de mesures compensatoires d’aménagement, soit parce que les ports autonomes concernés ont considéré que leur vocation naturelle s’inscrivait dans le long terme. La cession a pu être définitive – affectation – ou temporaire – attribution. Un équilibre tend à se dessiner entre les enjeux industrialo-portuaires et la préservation des systèmes estuariens. Il y a eu une prise de conscience de la valeur exceptionnelle des écosystèmes concernés.

Le partenariat entre le Conservatoire et les grands ports maritimes s’inscrit bien dans le concept de gestion intégrée de la zone côtière, engagement international de la France, et répond aux exigences communautaires. Le Conservatoire du littoral intervient dans l’estuaire de la Seine, avec une affectation de 357 hectares, dans celui de la Loire – avec transfert de la gestion de 1 599 hectares et attribution de 391 hectares – et dans celui de la Gironde – avec 40 hectares affectés et 1 600 en cours d’attribution. En ma qualité de président du conseil d’administration du Conservatoire du littoral, j’ai été très attentif à la relation entre les grands ports maritimes et le Conservatoire. Je dis oui au développement économique des ports et oui au renforcement de la place de la France dans la compétition mondiale du trafic maritime. Mais le projet s’inscrit dans la logique du Grenelle : gouvernance partenariale, gestion intégrée, analyse des impacts.

Le Sénat a certes obtenu des avancées – zonage des espaces naturels, conseil scientifique d’estuaire, gestion des espaces naturels – mais elles ne sont pas suffisantes. Nous aurions souhaité compléter le projet en ce qui concerne les espaces remarquables – soit 10 % de la surface des circonscriptions portuaires. L’objectif est de donner la possibilité explicite de céder, d’affecter ou d’attribuer au Conservatoire du littoral les espaces à vocation naturelle pérenne délimités dans le projet stratégique du grand port, qui se verrait confier prioritairement la gestion de ces espaces.

J’ai compris que nos propositions risquaient de retarder l’adoption de ce texte, qui est urgente. Pour peu que le Gouvernement accepte de les regarder d’un œil favorable dans le cadre d’un autre texte, je suis partisan de la réforme. Favoriser le positionnement de la France dans ses engagements stratégiques, mais aussi renforcer le partenariat entre grands ports maritimes et Conservatoire du littoral pour assurer la préservation des milieux naturels remarquables, tels sont mes objectifs. Merci de me confirmer que ce sont aussi ceux du Gouvernement, Monsieur le ministre (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

M. Jean-Yves Besselat, rapporteur de la commission des affaires économiques – Très bien !

Mme Marie-Odile Bouillé – Ce projet de loi cumule deux défauts : le premier est de n'être qu’une demi-réforme, le second de ne pas être totalement abouti.

Ce projet n’est qu’une demi-réforme, car il écarte volontairement des enjeux importants pour le développement des ports. Il ne dit rien – ou si peu – sur les liaisons avec l'intérieur du pays.

Aucun engagement n’est pris sur l'amélioration du fret ferroviaire, qui répondrait pourtant aux objectifs du Grenelle de l'environnement et permettrait, en étant rentable, de maintenir ailleurs des lignes de fret qui le sont moins et que la SNCF fait disparaître. Un port ne peut être attractif sans garantie d'un acheminement rapide vers l'intérieur.

Il n’y a pas d'engagement non plus sur les dessertes fluviales. Pour prendre un exemple que je connais bien, le port autonome de Nantes-Saint-Nazaire, aurait pu être l'illustration d'une vraie politique de transfert de marchandises par la Loire entre Saint-Nazaire et Nantes, distants de 60 kilomètres. La création de ces dessertes fluviales est un enjeu économique et environnemental majeur, mais nous ne voyons hélas rien venir.

Pas d'engagement non plus sur le développement des autoroutes de la mer, dont on s'impatiente de voir finaliser la liaison entre Nantes- Saint-Nazaire et Bilbao-Santander.

Rien ne sert de faire de grands projets pour nos ports si nous n'arrivons pas à faire aboutir ceux qui sont à notre portée. Vous n’ignorez pas, Monsieur le ministre, que les grands ports du nord de l'Europe, dont chacun – vous le premier – vante les mérites, doivent une partie de leurs performances aux liaisons qu'ils ont mises en place pour le pré-acheminement et le post-acheminement des marchandises.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État Tout à fait.

Mme Marie-Odile Bouillé – Cette réforme aurait dû être l'occasion d'un plan d'envergure pour créer ces dessertes fluviales et terrestres. Nous l’attendons toujours !

Cette réforme aurait dû aussi être l'occasion d'un plan d’investissement de l'État pour stimuler ceux du secteur privé ; il n'en est rien. Tout le monde s'accorde sur le fait que la faiblesse considérable des investissements publics dans nos ports est une des raisons de leur déclin malgré les efforts des collectivités locales. 1,2 milliard d'euros ont été consacrés aux ports autonomes français sur six ans ; les Pays-Bas ont consacré la même somme au seul port d'Amsterdam ! Il n’y a pas qu’au football que nous ne jouons pas dans la même division que les Pays-Bas… (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État – Vous allez énerver M. Vauzelle ! (Sourires)

Mme Marie-Odile Bouillé – À quoi sert-il de nous vanter la gestion des grands ports du Nord, si vous laissez de côté le meilleur pour en copier le moins bon ?

Et ce moins bon, ce sont les dispositions concernant la gestion des personnels, dont je partage l'inquiétude. L'absence de représentants des personnels de manutention dans le conseil de surveillance sera préjudiciable au dialogue au sein de l'entreprise. Les enjeux économiques, environnementaux et sociaux auxquels nos ports auront à faire face exigent que chacun trouve sa place afin que le dialogue social soit une chance et non un fardeau.

Vous proposez un droit de retour dans le grand port maritime pour les personnels transférés, mais vous ne donnez aucune garantie sérieuse si leur activité n'existe plus. Que comptez-vous faire pour y remédier ?

Une réforme des ports français était attendue ; une réforme à même de rattraper la faiblesse des investissements de l'État, largement inférieurs à ceux des collectivités locales que vous obligez en plus à racheter les terrains qu'elles ont payés ; une réforme à même de mobiliser tous les personnels autour d'une vraie ambition pour nos ports, de démontrer que demain nos ports seront des haltes incontournables pour faire gagner du temps dans l'acheminement des marchandises.

Alors que nous attendions une vraie loi de programme, nous pouvons craindre qu’avec votre réforme, Anvers reste le premier port français. Nous ne la voterons donc pas (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État Anvers et contre tout ! (Sourires)

M. Christian Hutin – C’est avec le second député de Dunkerque que vous allez achever ce tour de France des ports, Monsieur le ministre. Je suis sur la même longueur d’ondes que Michel Delebarre. Permettez-moi simplement quelques remarques. Un port, ce n’est pas que de l’eau, ce n’est pas que des quais : ce sont aussi des hommes, et d’abord des ouvriers – grutiers, dockers… Il est vraiment regrettable que ce personnel ne soit pas représenté de manière officielle dans le comité de surveillance.

Mme Michèle Delaunay – Très bien !

M. Christian Hutin – Le Sénat y a introduit les chambres de commerce. Pourquoi ne pas y introduire aussi les ouvriers qui travaillent dans nos ports, souvent au risque de leur santé ? Depuis quinze ans, le secrétaire général des dockers de Dunkerque siège au conseil d’administration du port. Les débats sont houleux, mais il n’y pas eu un jour de grève en quinze ans ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC) N’ayez pas peur de faire entrer les ouvriers au conseil de surveillance !

Les brumes du Nord nous amènent des rumeurs. On parle de 800 millions d’investissement à Zeebrugge, d’un milliard à Anvers, d’un milliard encore à Rotterdam… Avec nos 500 petits millions, nous jouons tout juste en deuxième division. Évitons au moins l’élimination ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC) Nous savons tous ici que l’investissement n’est pas à la hauteur de l’enjeu.

Monsieur le ministre, j’aimerais que vous gardiez une image à l’esprit tout au long de ces débats : celle des voilières, ces dames qui recousaient en fond de cale les sacs éventrés il y a encore une quarantaine d’années. Chaque port à sa spécificité, et la réforme doit donc être adaptable. Il faut de la liberté à un port « autonome ». Faites donc comme les voilières, offrez-nous du cousu main ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

L’un de vos prédécesseurs, Freycinet, disait que la question du port de Dunkerque dépassait de loin les limites locales et nous appelait à disputer le sceptre de la mer du Nord à Anvers. Mais en sommes-nous encore capables ? Les dockers de Dunkerque, en 1904, avaient inscrit sur le fronton de leur chambre syndicale « À l’avenir ». Le groupe SRC sera extrêmement attentif à l’avenir que vous réservez à nos ports (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

La discussion générale est close.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État – Pour commencer, on ne peut que noter le paradoxe qui fait que l’opposition nous reproche d’aller à la fois trop loin et pas assez, et qu’elle considère que cette réforme est trop hâtive alors que le groupe socialiste du Sénat estime l’avoir attendue trop longtemps. Peut-être quelques pressions sur le terrain ont-elles pu faire évoluer les positions du groupe socialiste à la marge. Mais c’est au parti socialiste qu’il incombe de gérer sa très grande diversité…

Quant à l’argent public, on peut toujours en promettre, certes…

M. Daniel Paul – Quinze milliards l’année dernière !

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État – …mais ce ne serait peut-être pas très responsable dans cette assemblée qui sait, même si certains des partis qui la composent ont participé à sa dilapidation d’il y a quelques années (Protestations sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR), combien la manne budgétaire est rare et qui peut donc apprécier que l’État double son effort.

M. de Rugy a évoqué le projet de Donges Est, qui pose réellement problème. C’est lors de l’examen du projet stratégique pour l’ensemble du port de Nantes-Saint-Nazaire que les décisions seront prises sur l’avenir de cette zone. En ce qui concerne les autoroutes de la mer, qu’a aussi évoquées Mme Bouillé, nous aurons dans les jours à venir la réponse européenne concernant la liaison avec Bilbao. Je m’étais entendu avec M. Barrot, avant qu’il ne change de responsabilités au sein de la Commission, pour revoir le dispositif de soutien, que je souhaite tourné davantage vers l’investissement et le long terme. Les 1er et 2 septembre se tiendra à La Rochelle un conseil informel des ministres des transports de l’Union, consacré aux autoroutes de la mer et à l’aide que l’Europe peut y apporter, auquel seront invités les ministres des pays du maghreb.

Je partage l’opinion de Mme Bouillé sur la nécessité de développer le fret ferroviaire. Le texte qui fera suite au Grenelle de l'environnement contiendra les engagements de l’État en la matière. En attendant, le dernier tronçon de l’axe Nantes-Lyon sera mis en service le 11 juillet. Mais un préalable au développement du transport ferroviaire doit être, l’installation, pour tous les ports, d’opérateurs de proximité. À Hambourg, qui a souvent été cité en exemple et où 70 % du fret part par le rail, il y a une cinquantaine d’opérateurs de proximité, des micro-entreprises qui vont chercher les wagons et les préparent au trafic longue distance. C’est à cette condition que l’on pourra développer fortement le transport ferroviaire, comme le veut le Grenelle de l'environnement.

Je voudrais remercier Marc Vampa pour le soutien très clair qu’il a apporté au projet au nom du groupe Nouveau centre, et Daniel Fidelin qui a fait de même pour l’UMP.

Michel Delebarre a tout à fait raison de souligner que chaque port est différent et qu’il faut être créatif. Cette loi institue un cadre général, mais nous ne comptons pas que le soleil se lève à la même heure sur chaque port ! Le même orateur se demandait pourquoi d’autres ports que La Rochelle n’avaient pas été ajoutés à la liste des ports autonomes : cette décision était fondée sur l’idée de constituer, à terme, un ensemble Nantes-La Rochelle-Bordeaux : le fait que La Rochelle ait un statut différent aurait rendu la coordination plus compliquée. Peut-être le législateur de l’époque a-t-il manqué l’occasion d’inscrire Calais, Boulogne ou d’autres sur la liste, mais j’assure Bernard Cazeneuve que je ne suis pas du tout hostile à l’élargissement des coopérations avec les ports d’intérêt national. Ainsi, le port fluvial de Lille pourrait être associé avec Dunkerque.

M. Muselier a beaucoup insisté, comme plusieurs autres, sur les capacités et les difficultés du port de Marseille. Je reviendrai plus en détail sur ce qu’il est possible de faire sans « casser » l’ensemble. M. Bono a insisté sur le rôle et l’engagement des collectivités, qui doivent être des partenaires à part entière. J’ai noté également toutes les remarques de Mme Fourneyron.

M. Bignon, président du Conservatoire du littoral, a tout à fait raison de dire que le développement portuaire doit aller de pair avec le développement environnemental. Parallèlement au développement du port de Bordeaux, par exemple, une aire maritime protégée doit être créée à l’entrée de l’estuaire de la Gironde. Le Gouvernement est prêt à accepter les amendements qui visent à mieux protéger l’environnement.

J’ai bien noté les propos de M. Jibrayel et de M. Vauzelle concernant le port de Marseille. Mme Delaunay a rappelé que le port de Bordeaux, bien que certainement le plus compliqué, avait des atout importants : le programme Airbus, entre autres, ne pourrait pas être mené à bien sans son existence. Enfin, je me souviendrai des voilières de M. Hutin : c’est justement pour faire du cousu main que nous nous sommes donné deux ans pour gérer les situations au cas par cas. De ce point de vue, Dunkerque est un cas à part, et il ne faudra pas casser ce qui a bien fonctionné par le passé.

Je répondrai pour finir aux questions très précises de M. Blum sur la manutention à Marseille, et j’en profite pour le remercier du travail qu’il a accompli sur ce texte. Le projet prévoit trois cas de figure, et les encadre strictement. S’il y a carence avérée du secteur privé, tout d’abord, il pourra être créé une filiale, mais après un appel à candidature resté infructueux et pour une période transitoire. En second lieu, lorsqu’il y a intérêt national – soit dans des cas très limités, comme l’approvisionnement énergétique –, il faudra que l’État et le port déterminent, au cas par cas, d’autres modalités d’exploitation entre le secteur privé et le secteur public. Pour ce qui est des activités accessoires, enfin, il faudra pour que les choses soient viables, définir un périmètre – je pense à certains équipements rares, mais qui rendent un véritable service aux entreprises. En tout état de cause, ce projet de loi ne sera pas dénaturé : s’il y a création de filiales, ce sera extrêmement encadré. Rien n’est encore décidé aujourd’hui : tous les bruits qui circulent ne sont que des hypothèses de travail, pas des décisions (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président – J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe SRC une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 7, du Règlement.

Mme Sylvie Andrieux – Il y a un an, le Président de la République, suivi par le Premier ministre, affirmait la nécessité d’un vaste plan de relance des ports autonomes français. Au motif que ceux-ci, comme le prétend le MEDEF, seraient à la traîne de la croissance mondiale parce que gérés comme des établissements publics, vous nous imposez, Monsieur le ministre, l’examen selon la procédure d’urgence d’un projet de loi sur la compétitivité des ports.

En réalité, il s’agit d’une réforme idéologique, reflet de la politique menée par votre gouvernement et sa majorité, et marquée par un déficit démocratique : vous dites avoir beaucoup consulté, mais je crains que vous n’ayez pas beaucoup entendu.

C’est vrai, le taux de croissance du trafic dans les ports français est très faible en comparaison de ceux des autres ports européens ; mais votre projet recèle de réels dangers économiques, sociaux et environnementaux. Vous confirmez en effet votre volonté de mettre en concurrence les ports français, les salariés et les territoires, et de désengager l’État, lequel ne contribue qu’à hauteur de 12 % aux investissements des ports autonomes – et que la Cour des comptes a critiqué pour l’insuffisance de son pilotage.

Dans les contrats de plan État-régions 2000-2006, l’État prévoyait 1,2 milliard pour l’ensemble des ports autonomes, cependant que le port d’Amsterdam bénéficiait à lui seul d’un investissement de même montant ; en Belgique, le concours financier apporté à l’ensemble des ports s’est élevé, entre 1997 et 2005, à 360 millions en moyenne, contre 120 millions en France.

D’un point de vue stratégique, votre projet est bien pauvre. Aussi proposerons-nous par amendement une véritable loi de programme et l’organisation d’un CIACT portuaire.

Vous recentrez les missions des grands ports maritimes sur les fonctions régaliennes que sont l’autorité publique, le développement économique et l’aménagement. Ces missions devront être déclinées dans un projet stratégique contractualisé avec l’État et, s’ils le souhaitent, les régions, les départements et les grandes communautés urbaines. Les collectivités territoriales investissent en effet beaucoup dans nos ports : pour Fos 2XL, elles apporteront près de 30 millions ; et pour le port de Marseille, sur un programme de 330 millions, l’État apporte 45 millions et les collectivités territoriales 73 millions. Dans la mesure où les ports reversent des dividendes à l’État sur leurs recettes d’exploitation, on peut considérer que les collectivités transfèrent indirectement des fonds à l’État.

Dans son rapport 2006, la Cour des comptes recommandait que la principale collectivité publique porteuse du projet de développement de la place portuaire y dispose d’un pouvoir effectif d’impulsion et de direction. Malheureusement, le traitement réservé aux collectivités locales dans ce projet ne correspond pas à l’importance de leurs investissements. La place qu’il est prévu de leur donner dans le conseil de surveillance est trop marginale.

Le représentant de l’Union locale maritime et portuaire devrait également siéger dans ce conseil. Surtout, les personnels mériteraient d’être davantage associés à la nouvelle gouvernance. Pourquoi avoir rejeté en commission nos amendements relatifs à la représentation des ouvriers de la manutention ?

La partie de votre projet qui concerne la privatisation des outillages et le transfert du personnel nous inquiète beaucoup. Vous confiez aux partenaires sociaux le soin de parvenir d’ici au 31 octobre 2008 à un accord cadre. Vous auriez dû vous inspirer de l’exemple du Havre et prendre acte du fait que les transferts de personnels ne sont pas obligatoires. Une mise à disposition des personnels par le port permettrait d’atteindre l’objectif souhaité tout en préservant les droits des salariés. Le droit de retour qui est reconnu au salarié en cas de suppression de son emploi pour motif économique est une garantie, mais qu’adviendra-t-il du salarié dont l’activité n’existe plus dans le port ? Nous serons donc particulièrement vigilants sur le contenu de l’accord cadre, qui ne devra laisser personne « au bord du quai », et par ailleurs prendre en compte les conditions de travail et la pénibilité des métiers.

Ce projet fait des hommes une variable d’ajustement, permettant de garantir le profit des entreprises privées. Mais seuls quelques grands groupes seront en mesure d’assumer les transferts des personnels et de l’outillage ; ne nous parlez donc pas de mise en concurrence, alors que votre texte va favoriser la constitution de monopoles privés ! L’annonce de la création de 30 000 emplois paraît bien présomptueuse ; on sait ce qu’il en a été des promesses de la loi de 1992.

Concernant le transfert de l’outillage, nous sommes dans un flou complet. Les grands ports maritimes devront transférer l’outillage qu’ils possèdent dans les deux ans suivant l’adoption de leur projet stratégique ; mais le projet ne prévoit malheureusement pas la possibilité qu’aucun repreneur de l’activité ne se manifeste. Quant à l’évaluation des biens transférés, il faudrait qu’elle soit transparente.

Enfin, je regrette que le dispositif prévu en matière de coordination des ports ne prenne pas en considération les ports décentralisés. La création d’un conseil de coopération interportuaire permettrait d’associer l’ensemble des acteurs et d’éviter la disparition de certains petits ports.

Absence d’ambition, désengagement de l’État au profit des grands monopoles privés, sous-représentation des collectivités territoriales dans les processus de décision, absence de garanties et de lisibilité sur le rôle des différentes structures de la gouvernance, menaces sur les emplois, les conditions de travail et le statut des salariés : une réforme, oui, mais certainement pas celle-là ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Comme mon collègue Delebarre, je pense qu’eu égard à l’enjeu, une discussion de fond aurait été bienvenue. Malheureusement, on demande au législateur de mettre la charrue avant les bœufs ; c’est la raison pour laquelle le groupe SRC demande le renvoi de ce texte en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Patrick Ollier, président de la commission – Je comprends que vous profitiez de cette motion de renvoi pour présenter vos propositions, mais vous avez énoncé quelques contre-vérités.

Vous auriez pu venir assister à nos travaux de commission, même si vous n’en faites pas partie ; vous sauriez ainsi que trois agents du port pourront siéger dans le conseil de surveillance et que les portiqueurs et les dockers seront représentés dans le conseil de développement.

Quant à la loi de 1992, dont l’application semble vous décevoir, je vous rappelle que c’est votre loi… Nous voulons aujourd’hui achever le travail. Je rends hommage à notre rapporteur, qui a réalisé trente-cinq auditions et organisé deux réunions de commission, qui ont permis d’étudier une centaine d’amendements. Il y a urgence à voter ce texte ; et je n’ai pas entendu dans votre bouche d’argument valable pour justifier un renvoi en commission : je demande donc à l’Assemblée de le refuser.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État S’agissant de l’association entre ports, le Sénat a adopté un amendement très clair : les collectivités locales pourront demander à y participer, pourvu qu’elles en fassent la demande.

M. Michel Vaxès – Le groupe GDR soutiendra cette motion de renvoi en commission. M. Ollier n’a fait référence qu’à la première partie de l’intervention de Mme Andrieux, et pour cause : il refuse d’admettre que le projet sacrifie l’intérêt général (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) aux intérêts privés de groupes internationaux, qui s’empareront des activités les plus lucratives de nos ports, cependant que les investissements structurels échoiront aux collectivités locales et aux ports autonomes, désormais privés de leurs seules ressources – je veux dire leur activités commerciales. Dois-je revenir sur la situation du port de Marseille qui, malgré l’abandon de l’État, a investi de sorte d’améliorer ses prestations ? Chacun sait en effet que la question des investissements est cruciale. Si le trafic de conteneurs a tant augmenté au Havre, c’est parce que le projet Port 2000 est un succès ! Voici plusieurs années que je souligne la nécessité d’investir dans les infrastructures du port de Fos. Aujourd’hui, avec Fos 2XL, le nombre de conteneurs traités va passer de 600 000 à deux millions, et cette tendance ne fera qu’augmenter si Fos 3XL et 4XL voient le jour !

Néanmoins, pour que ces efforts soient couronnés de succès, il faut multiplier les liaisons du port avec son arrière-pays. Or, à Fos, où le trafic routier est appelé à augmenter, les crédits manquent encore pour la réalisation d’un tronçon d’autoroute d’une dizaine de kilomètres seulement, qui relierait le port à celui de Marseille d’une part et à l’autoroute de Salon de l’autre.

Qu’importe : selon vous, les salariés sont responsables. Soyez donc sérieux ! En quinze ans, seuls huit portiqueurs supplémentaires ont été embauchés, tandis que onze nouveaux portiques ont été installés. Le trafic de conteneurs étant passé de 746 000 en 1992 à 2,6 millions en 2007, le ratio entre EVP et portiques a doublé, cependant que le ratio entre EVP et portiqueurs a augmenté de 300 % ! Voilà qui confirme combien l’investissement est essentiel au développement de nos ports. Votre projet doit être précisé en ce sens : c’est ce qui justifie son renvoi en commission.

M. Daniel Fidelin – Mme Andrieux nous accuse d’agir par idéologie. Au contraire, nous ne sommes motivés que par le souci d’efficacité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Elle déplore un prétendu démantèlement du service public, mais les ports ne fournissent-ils pas plutôt un service commercial ? L’emploi, poursuit-elle, serait menacé. Pas du tout ! Ce projet entraînera la création de 30 000 emplois, et même plus, compte tenu que le trafic de conteneurs est appelé à se développer – environ cent conteneurs valant un emploi. Quant à la concertation, elle a bien eu lieu : une centaine de réunions a été organisée, ainsi que plusieurs tables rondes – la troisième aura lieu le mois prochain.

De monopole, il n’y aura point, puisque tous les gros armements souhaiteront s’implanter dans nos ports les plus performants, d’autant que les navires venus d’outre-mer et voguant vers l’Europe croisent au large des côtes de France avant d’atteindre Rotterdam ou Anvers. J’ajoute qu’un conseil de la concurrence se chargera, avec l’Union européenne, de contrôler l’état de la concurrence dans nos ports.

Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera contre la motion de renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Bernard Cazeneuve – Les députés du groupe SRC, eux, voteront en sa faveur, et ce pour aider le Gouvernement a mener son ambition à son terme (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Ne serait-il pas frustrant de vous arrêter à mi-chemin, comme vous vous apprêtez à le faire avec ce texte ? Mme Andrieux a rappelé les sujets qui méritent d’être approfondis en commission : concertation, investissement, vision globale de nos ports maritimes. Voilà qui vous permettrait de donner à ce texte le souffle dont il a besoin !

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. le président – J’appelle maintenant, dans le texte du Sénat, les articles du projet de loi.

AVANT L'ART. 1ER

M. Jean-Yves Besselat, rapporteur – Le projet de loi, en permettant à chacun des sept grands ports maritimes d’établir son propre projet stratégique en fonction de ses spécificités, rétablira leur compétitivité et leur fiabilité aux yeux des grands armateurs mondiaux.

L’amendement 1 vise à rassembler ces projets stratégiques dans un projet national. Chaque port y adosserait son projet particulier à des perspectives de croissance du trafic, aujourd’hui de l’ordre de 2 %, alors qu’il faudrait atteindre 5 %, voire davantage. Je salue l’engagement financier obtenu par le ministre : au cours des cinq prochaines années, les crédits consacrés aux contrats de projet seront doublés. Chaque place portuaire pourra d’ailleurs bientôt vous communiquer ses besoins propres. J’ajoute que la relation des ports avec leur hinterland et leur connexion aux voies de communication est essentielle à leur développement. À ce titre, Le Havre se réjouirait que l’autoroute de la mer que vous préconisez, Monsieur le ministre, arrive jusqu’à lui.

Dans l’année qui vient, nous aurons besoin d’un CIACT afin de définir clairement la stratégie du Gouvernement en matière d’investissements portuaires et de liaisons terrestres. Vous êtes un ministre maritime, Monsieur Bussereau. Nous nous sommes rencontrés en 2002, retrouvons-nous aujourd’hui…

M. Michel Vauzelle – L’amendement 23 a le même objet. Nous avons besoin de précisions sur l’hinterland de Marseille, sur le contournement ferroviaire lyonnais ou encore sur le tunnel du Montgenèvre. Un CIACT s’impose donc.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État – Le rapporteur a raison, nous aurons besoin d’une clarification au plan national. Le Premier ministre est bien convaincu de la nécessité de consacrer un CIACT à nos ports, mais la loi ne peut pas le prévoir : par nature, cela relève du pouvoir exécutif.

À l’intention de M. Vauzelle, je précise également qu’un schéma relatif aux infrastructures figurera en annexe de la loi que présentera Jean-Louis Borloo pour faire suite au Grenelle de l’environnement. Il y aura donc un document précisant la stratégie de l’État.

J’espère que les amendements 1 et 23 seront retirés au bénéfice de ces engagements.

M. Daniel Paul – Lors d’une réunion du groupe d’études sur les ports, je vous avais suggéré, Monsieur le ministre, d’autoriser des regroupements géographiques – entre Dunkerque, Boulogne, Calais dans le Nord, entre Le Havre, Rouen, Paris, Cherbourg et Dieppe à l’est, ou encore entre Nantes, Saint-Nazaire, La Rochelle et Bordeaux sur la côte atlantique.

Il y a donc matière, non à un seul CIACT, mais à autant de CIACT qu’il y a de zones géographiques. Chacune d’entre elles présente des spécificités qu’il faudra ensuite prendre en considération au niveau national. Il ne faudrait pas non plus oublier la question du financement : comment ferons-nous face aux besoins d’investissement ? Les collectivités territoriales ne pourront seules y pourvoir.

En demandant le retrait des amendements 1 et 23, vous confirmez ce que je pressentais : afin de hâter l’adoption de ce texte, vous souhaitez qu’aucun amendement ne soit retenu. Vous voulez que nous votions un texte conforme à celui qui est issu du Sénat, à la virgule près, ce qui vous évitera de réunir une CMP. Avouez tout de même que c’est une curieuse conception de la discussion parlementaire…

L’amendement 1 est retiré.

L’amendement 23, mis aux voix, n’est pas adopté.

M. Philippe Duron – L’expression « grands ports maritimes » n’est pas très appropriée. La langue dominante dans ce domaine étant l’anglais, il serait judicieux que les termes retenus soient plus aisément traduisibles.

C’est pourquoi l’amendement 18 rectifié tend à remplacer la notion de « grands ports maritimes » par « autorités portuaires ». Si cet amendement n’était pas adopté, on pourrait au moins remplacer « portuaires » par « autonomes » – c’est l’objet de l’amendement 19 rectifié.

M. Jean-Yves Besselat, rapporteur – Avis défavorable. L’amendement 18 rectifié pose un problème juridique : la notion d’« autorité portuaire » figure déjà, avec un autre sens, dans le code maritime. Il s’agit de l’autorité en charge de la police de l’exploitation du port et de celle de la conservation du domaine public portuaire. Ce que vous proposez serait une source d’ambiguïté juridique.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État – Même avis. Les autorités portuaires n’exercent pas de compétences en matière de développement économique, d’aménagement du territoire ou de politique commerciale. L’expression que vous suggérez serait donc bien réductrice.

Si nous avons par ailleurs souhaité remplacer l’adjectif « autonome » par « portuaire », c’est dans le but de marquer un changement d’époque.

Les amendements 18 rectifié et 19 rectifié, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Daniel Paul – Comme j’ai déjà eu l’occasion de le rappeler, la loi de 1992 prévoyait un bilan annuel. Or, le Gouvernement n’a jamais rien présenté de tel. Avant d’aller plus loin, il serait pourtant utile que nous disposions d’un bilan économique, financier et social.

Les difficultés de la filière portuaire résultaient du statut des dockers, disait-on hier ; et aujourd’hui c’est le statut des autres personnels qu’on incrimine, comme si c’était un véritable carcan. Nous contestons une telle analyse. Tous les acteurs concernés reconnaissent la nécessité de réformer nos ports, mais nous ne sommes pas d’accord sur le diagnostic. C’est pourquoi l’amendement 62 demande un bilan établissant clairement les causes de la situation actuelle.

M. Jean-Yves Besselat, rapporteur – Avis défavorable. Puisque vous souhaitez un bilan, permettez-moi de rappeler quelques éléments chiffrés : les ports français traitaient un million de conteneurs en 1993, contre 2,6 millions aujourd’hui. Cela représente 15 000 emplois supplémentaires, ce qui n’est pas rien.

Dans le bassin d’emploi du Havre, le nombre de chômeurs est ainsi passé de 18 000 – soit 18,5% de la population active – à 9 500. Parmi les emplois nouveaux, 4 500 ont été créés par la filière portuaire. Notre objectif est de descendre en cinq ans jusqu’à 4 000 chômeurs, soit à peu près le plein emploi. Pour cela, nous devons profiter de la formidable croissance du trafic maritime, qui atteint aujourd’hui près de 8 %. Grâce à cette réforme, nous allons stimuler l’emploi.

M. Daniel Paul – Mais il faut être de bonne foi ! On ne peut pas comparer les trafics de conteneurs de 1992 et de 2007, en considérant que leur croissance tient à la réforme de la manutention. L’augmentation des trafics, en particulier dans la Manche, n’est objectivement pas liée à cette réforme, puisque tous les ports européens, qu’ils soient allemands, britanniques, belges ou néerlandais, en ont profité. Prétendre qu’elle résulte de la réforme de 1992, n’est ni correct, ni digne d’un débat serein.

Il y a aujourd’hui des dysfonctionnements, on le sait, mais s’agissant d’une politique publique, il faudrait conduire une évaluation avant de lancer une seconde réforme ! Alors que vous avez souvent insisté sur la nécessité d’établir des bilans réguliers de toutes les politiques publiques, je constate que vous refusez ici l’idée même de ce bilan, s’agissant d’une loi vieille de seize ans. Se lancer ainsi à l’aventure est s’exposer à de graves déconvenues.

Plusieurs députés du groupe UMP – Dinosaure !

M. Daniel Paul – Vous êtes d’ailleurs coutumiers du fait : vous allez de l’avant sans vous préoccuper des effets de vos précédentes décisions !

L’amendement 62, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n’est pas adopté.

RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. Jean-Pierre Grand – Rappel au Règlement ! Je viens de découvrir que la déclaration du Gouvernement relative au Livre blanc sur la défense et à la sécurité nationale était inscrite à notre ordre du jour du jeudi 26, à 15 heures, et ne serait suivie que de trois heures de débat, alors que ce sujet concerne la nation tout entière et est d’une grande actualité, puisqu’il sera forcément question de notre rapport à l’OTAN et des mutations de notre politique de défense. Nous allons donc consacrer à cet important débat exactement le même temps qu’à la proposition de loi sur les détecteurs de fumée ! Le groupe UMP ne disposera que d’une heure – or la plupart de ses membres auront à cœur, j’en suis sûr, d’assister à ce débat, et beaucoup voudront intervenir. Je ne porte aucun jugement, mais je vous demande, Monsieur le Président, de vous faire mon interprète auprès de M. le Président de l'Assemblée nationale et de lui demander si ce débat ne pourrait avoir lieu un mardi ou un mercredi, et durer plus longtemps.

M. le Président – Je vous donne acte de votre intervention ; j’en ferai part au Bureau, et M. le Président vous répondra.

RÉFORME PORTUAIRE (suite)

ARTICLE PREMIER

M. Philippe Duron – Je m’associe au rappel au Règlement de notre collègue…

Plusieurs députés du groupe UMP – Finissons-en !

M. Philippe Duron – …car nous sommes nombreux nous aussi à souhaiter participer à ce débat.

L’article premier est normatif : il redéfinit les périmètres des grands ports français, leurs missions et leur mode de gouvernance. S’agissant des missions, vous mettez en avant des missions qualifiées de régaliennes : sûreté et sécurité, aménagement des accès, aménagement, gestion et valorisation du domaine – rien que de classique. On retranche l’outillage et sa gestion, mais on introduit aussi des nouveautés : plusieurs ports européens ayant tiré avantage du développement de transports maritimes de proximité et de la participation à la construction de convois de fret, vous vous préoccupez d’améliorer la gestion du fret, comme en Allemagne. Mais comment allez-vous promouvoir « l’offre de dessertes ferroviaires et fluviales, en coopération avec les opérateurs » ? Les grands ports maritimes vont-ils devenir des opérateurs de transport de fret, ont-ils vocation à devenir des aménageurs ferroviaires ? Travailleront-ils soit avec RFF, soit avec la SNCF ?

Pour ce qui est de la gouvernance, le groupe SRC souhaite revenir sur la composition du conseil de surveillance ; la répartition des sièges que vous proposez n’est pas optimale. Nous estimons que les représentants des collectivités territoriales doivent être aussi nombreux que les personnalités qualifiées, et qu’il faut augmenter le nombre de membres du personnel afin de permettre aux ouvriers des ports de participer à ce conseil.

Vous devez enfin nous en dire plus sur le contrat pluriannuel avec l’État. Les ports ont besoin d’investissements, mais aussi d’une programmation. Nous souhaitons des assurances sur ces deux points.

M. Maxime Bono – La majorité n’a pas déposé le moindre amendement sur cet article pourtant essentiel ! La rédaction en serait-elle si parfaite qu’on ne puisse y toucher ? Pour notre part, nous y décelons quelques manques. Le premier, flagrant, concerne le conseil de surveillance : il est impossible de ne pas voir siéger, dans le collège des salariés, les acteurs principaux de la communauté portuaire, notamment les portiqueurs et les grutiers. Nos amendements viseront à combler cette lacune, car il y va de la bonne entente au sein de la communauté portuaire, et donc de la réussite de votre projet. J’espère que vous saurez nous entendre !

M. Michel Vaxès – L’amendement 63 propose la suppression de l’article premier, qui accorde aux nouveaux établissements publics que sont les grands ports maritimes des compétences résiduelles en matière de manutention, tout en les chargeant d’importantes missions régaliennes sans dire quoi que ce soit de leur financement. Les ports sont ainsi privés de la quasi-totalité des activités rentables, et les outillages sont transférés sans souci de la perte de redevances qui en résulte. Il n’y a pas même d’évaluation de l’impact de cette cession. Vous ne répondez pas au problème posé ; vous privatisez seulement les services publics rentables, comme vous l’avez fait des concessions d’autoroutes, au détriment de l’intérêt général !

D’autres décisions sont possibles : les syndicats représentatifs des travailleurs acceptent la nécessité d’une réforme ; ils proposent la généralisation de la mise à disposition, qui est appliqué avec succès au Havre. Les salariés sont prêts à envisager leur détachement dans les entreprises de manutention. Pourquoi ne pas ouvrir le dialogue ? Pourquoi décider unilatéralement d’un transfert et refuser d’examiner cette solution, qui mettrait les salariés à l’abri de la casse de leur statut ?

M. Jean-Yves Besselat, rapporteur Avis défavorable.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État Même avis.

L’amendement 63, mis aux voix, n’est pas adopté.

M. Daniel Paul – L’amendement 80 est de repli. La réécriture de l’article L. 101-1 du code des ports maritimes par le présent texte est trop générale et évasive : « Lorsque l’importance particulière d’un port le justifie au regard des enjeux du développement économique et de l’aménagement du territoire, l’État peut instituer, par décret en Conseil d’État, un organisme appelé grand port maritime. Une telle rédaction ouvre la possibilité de modifier par voie réglementaire les statuts de certains établissements portuaires. Nous demandons au contraire que le législateur soit systématiquement saisi de telles modifications.

Monsieur le ministre, vous avez reconnu que les ports de Calais ou de Boulogne auraient eux aussi mérité de devenir des ports autonomes. Nous souhaitons éviter que des erreurs de cette nature se reproduisent, et il convient pour cela que le législateur soit consulté. Ce serait d’ailleurs l’occasion de dresser un bilan de la situation des grands ports maritimes et de poser la question du devenir de ports autonomes comme ceux de Paris et de Strasbourg, qui n’ont pas, eux, la possibilité de se regrouper avec d’autres.

L'amendement 80, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Michel Vauzelle – L’amendement 7 vise à compléter l’alinéa 16 de l’article par la phrase suivante : « L’institution d’un grand port maritime renforce les capacités de l’État à assurer les missions de service public portuaire qui lui incombent ». La notion de service public est essentielle, s’agissant d’un élément aussi important du développement de l’économie nationale.

L'amendement 7, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Michel Vaxès – Je m’associe aux remarques de notre collègue de la majorité concernant le débat sur la défense.

Je trouve choquant que notre assemblée se soumette à cette volonté d’examiner les projets de loi au galop,…

M. Patrick Ollier, président de la commission – Cela n’a rien à voir avec le débat !

M. Michel Vaxès – Le Gouvernement et la majorité refusent tout débat – cela a commencé en commission, où vous avez refusé d’examiner les amendements de façon sérieuse. J’ai d’ailleurs lu avec effroi les dernières pages du rapport, qui nous apprennent qu’un seul amendement a été déposé par la majorité, en l’occurrence par M. Bignon, et que cet amendement a été refusé. Cela prouve que les décisions sont prises en amont ; l’Assemblée ne sert qu’à cautionner ce qui a été décidé ailleurs !

L’amendement 64 vise à supprimer les alinéas 20 à 31, qui, déclinant les missions des grands ports maritimes, limitent leurs activités industrielles et commerciales au strict minimum. Ces alinéas interdisent ainsi, sauf exception, l’exploitation des outillages pour les opérations de chargement, de déchargement, de manutention et de stockage liées aux navires. Ce « recentrage » sur les missions de service public pose la question des moyens financiers dont disposeront les ports, dès lors que les activités les plus rentables leur sont retirées, tandis que leurs obligations resteront les mêmes.

Tout cela est d’autant plus inquiétant que l’État ne respecte pas les dispositions du code des ports maritimes en la matière, comme le relève la Cour des comptes, qui indique qu’il n’a contribué en 2006 que pour 47 millions à la mission d’entretien et d’exploitation des accès maritimes des ports, soit un peu plus de 60 % des dépenses, alors que, dans les ports du « Range » nord-européen, l’État assume la totalité de cette charge. La captation des marchés par les ports du Nord trouve sans doute là une de ses explications…

M. Renaud Muselier – Nous ne sommes plus dans la discussion générale !

M. Michel Vaxès – La même critique peut être formulée en ce qui concerne les missions régaliennes de sécurité et de contrôle. Le Gouvernement n’a pas l’ambition d’offrir aux services maritimes et aux directions départementales de l’équipement les capacités d’intervenir pour garantir les impératifs de sécurité liés à la signalisation maritime, aux mouvements des navires, aux marchandises dangereuses ou à la gestion des crises résultant de la pollution de l’environnement. Notre groupe attend des réponses, car, sans elles, il ne sert à rien de débattre ! L’amendement 64 est ainsi défendu.

L'amendement 64, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Michel Vaxès – Nous n’avons toujours pas de réponses !

M. Daniel Paul – Comme M. Vaxès, je trouve un peu bizarre que nos collègues de la majorité n’aient déposé aucun amendement. L’unique amendement du rapporteur, qui avait été reçu en commission, a été ensuite retiré, à la demande du ministre. En outre, depuis que nous avons entamé la discussion des articles, nous n’avons reçu aucune réponse un tant soit peu circonstanciée ; le ministre et le rapporteur restent assis sur leurs sièges, se contentant de saisir le micro pour nous jeter un « non » laconique, sans le moindre commentaire.

M. Renaud Muselier – Vous en faites suffisamment vous-mêmes !

M. Daniel Paul – Par ailleurs, je m’interroge sur l’usage qui est fait de l’article 40. Je ne conteste pas l’utilité d’une telle disposition, mais je me demande bien en quoi pouvait être irrecevable celui de mes amendements qui visait à inscrire dans la loi : « Un salarié transféré ou mis à disposition atteint d’une inaptitude physique à son poste peut demander son retour dans un nouvel emploi avec formation au sein du grand port maritime. » Si un tel amendement ne peut être discuté, quel débat voulez-vous que nous ayons, alors que le secteur portuaire est particulièrement touché par les accidents du travail et les maladies professionnelles ? Ce n’est pas un hasard si l’association des victimes de l’amiante du Havre recrute essentiellement parmi les anciens salariés du port ; c’est que ceux-ci ont manipulé pendant des années des cargaisons contenant de l’amiante. Aujourd’hui encore, les travailleurs des ports manipulent des produits réputés dangereux. Qu’on ne puisse pas en discuter est inacceptable.

L’amendement 65 vise à compléter l’alinéa 23 de l’article. Le grand port maritime sera chargé de la gestion et de la valorisation du domaine dont il est propriétaire ou qui lui est affecté. L’expérience montre que les autorités portuaires exercent parfois leurs missions en fonction de considérations purement financières. Leur transférer la gestion du domaine public maritime fait donc naître le risque d’une revente de celui-ci à la découpe. La situation de nombreux ports est en effet telle qu’ils pourraient saisir cette possibilité de cession pour combler leurs déficits. Nous avons constaté un tel phénomène avec RFF, prié de vendre une partie de son domaine pour apurer ses dettes. L’amendement vise donc à préciser que la gestion du domaine doit être assurée dans le respect de la spécificité des activités maritimes et portuaires.

L'amendement 65, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Philippe Duron – L’exploitation d’un port est susceptible de perturber le milieu naturel et d’altérer la biodiversité. Pour toute demande d’extension du domaine portuaire, se posent des problèmes d’acceptabilité, vis-à-vis des populations et des associations ; des compensations sont nécessaires. Un port n’a pas forcément l’expérience, ni la vocation de préserver l’environnement. C’est pourquoi l’amendement 20 vise à permettre que ces missions de protection de la nature soient déléguées à des associations ou autres organismes compétents en la matière. Il ne vise donc pas à entraver la liberté ou le développement du port, mais à concilier développement économique et respect de l’environnement.

M. François de Rugy – L’amendement 44 a pour objet de préciser que la gestion des terrains publics par les grands ports maritimes doit être limitée au strict cadre de leurs missions portuaires. La gestion des secteurs naturels, notamment des secteurs préservés, ne saurait donc pas entrer dans les compétences ordinaires des grands ports.

Beaucoup de nos ports sont situés dans des zones naturelles, d’où des conflits entre développement de l’activité économique et préservation de l’environnement. Certains espaces sont depuis longtemps gérés par des organismes de protection de l’environnement, qui assurent la préservation de ces écosystèmes. Il faut donc distinguer les zones définitivement protégées – qui bénéficieraient d’un statut spécifique – et celles qui font encore partie de la réserve foncière.

Il est regrettable d’exclure les principaux acteurs de l’environnement de la gestion de ces espaces protégés.

Enfin, il existe un risque de contentieux avec l’Union européenne. Les zones humides sont souvent d’intérêt général pour la défense de la biodiversité, mais aussi pour les interactions avec la pêche et le renouvellement de la ressource en poissons.

M. Daniel Paul – L’amendement 101 est défendu.

Les amendements 20, 44 et 101, repoussés par la commission et par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Daniel Paul – Nous pourrions continuer jusqu’au bout sans défendre nos amendements et sans avoir de réponse du Gouvernement : cela ferait un débat cocasse, mais bien peu conforme aux enjeux de cette réforme ! Je me demande d’ailleurs ce que penseront les salariés des ports quand ils apprendront comment s’est déroulé ce débat – et croyez-moi, nous ferons le nécessaire pour qu’ils le sachent ! (Murmures sur les bancs du groupe UMP)

M. Renaud Muselier – Des menaces !

M. Daniel Paul – Non : des promesses.

M. Michel Vaxès – C’est vous qui avez mis le feu !

M. Renaud Muselier – Nous irons sur le port, Monsieur Vaxès : vous n’aurez pas le dernier mot !

M. Daniel Paul – L’amendement 66 vise à supprimer les alinéas 32 à 35 de l’article premier. En l’état actuel du droit, la circonscription du port est déterminée, après enquête, par décret en Conseil d’État. Elle comprend les accès maritimes et peut englober des ports desservis par ces accès maritimes. L’article premier renvoie aux autorités déconcentrées les modifications ultérieures de ces circonscriptions. Nous nous opposons à cet allégement des procédures qui offrirait – cela a été dit au Sénat – une plus grande souplesse pour modifier les circonscriptions des grands ports. Nous considérons en effet que la réglementation en la matière doit toujours être établie au niveau national.

M. Jean-Yves Besselat, rapporteur – Beaucoup de vos arguments ont déjà été développés dans la discussion générale, et c’est pourquoi nous sommes peu diserts. Je vais cependant répondre précisément à cet amendement. La nouvelle procédure de délimitation de la circonscription du port sera déconcentrée au niveau du préfet de région, ce qui permettra de gagner plusieurs mois et donc d’être réactif par rapport à la concurrence. Les garanties sont cependant là : le cadre général sera défini par un décret en Conseil d’État, et la consultation des collectivités locales, des services de l’État et des établissements concernés sera maintenue. J’ajoute que le préfet de région est en général un homme « bien »…

Vous voyez donc que nous acceptons la discussion, Monsieur Paul, mais la répétition est parfois lassante. Avis défavorable.

L'amendement 66, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Philippe Duron – L’amendement 35 vise à élargir la portée de cet article en permettant aux ports décentralisés de bénéficier de ses dispositions si les collectivités ou leurs groupements le souhaitent.

L'amendement 35, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. François de Rugy – Je m’étonne à mon tour que le Gouvernement n’ait pas répondu sur le rôle des associations de protection de l’environnement dans l’organisation des ports. Ce n’est pas la peine de faire du cinéma sur le Grenelle de l’environnement, de faire venir Al Gore et que sais-je encore si c’est pour balayer tout cela d’un revers de main dès qu’il s’agit de passer aux applications concrètes ! Oui, nous le ferons savoir – et ce n’est pas une menace, Monsieur Muselier : c’est notre rôle de parlementaires !

L’amendement 45 vise à permettre aux organismes de protection de l’environnement de poursuivre leurs actions sur l’ensemble des terrains à vocation naturelle. Les modalités de substitution d’un grand port maritime à un port maritime relevant de l’État proposées par le projet restreignent en effet leurs possibilités d’intervention aux seuls terrains relevant du domaine public maritime naturel et du domaine public fluvial naturel. Les espaces naturels protégés qui se trouvent en dehors du domaine public peuvent donc être inclus dans la circonscription des ports maritimes. Se pose dès lors la question du maintien de leur statut et de l’organisation d’actions de préservation pertinentes.

M. le Président – Je suis passé un peu rapidement tout à l’heure au vote des amendements ; mais M. le ministre aura certainement l’occasion de vous répondre.

M. Jean-Yves Besselat, rapporteur – Le texte satisfait l’ensemble des amendements visant à protéger l’environnement. L’article L. 101-3 dispose en effet que « dans les limites de sa circonscription, le grand port maritime veille à l’intégration des enjeux de développement durable dans le respect des règles de concurrence et est chargé, selon les modalités qu’il détermine, des missions suivantes : […] la gestion et la valorisation du domaine dont il est propriétaire ou qui lui est affecté ; la gestion et la préservation du domaine public naturel et des espaces naturels dont il est propriétaire ou qui lui sont affectés… Il consulte le conseil scientifique d’estuaire, lorsqu’il existe, sur ses programmes d’aménagement affectant des espaces naturels. » Dans ce cadre, il a la possibilité de solliciter des organismes de protection de l’environnement.

M. Patrick Ollier, président de la commission – Il faut lire le texte !

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État Le texte est très clair, Monsieur de Rugy, et le Sénat l’a précisé. J’ajoute qu’à l’entrée de l’estuaire de la Gironde, pour prendre un exemple, il y a des zones Natura 2000. Nous avons l’intention de créer une aire maritime protégée, ce qui est compatible avec le développement du port de Bordeaux – même si cela ne permettra pas d’y implanter un grand terminal méthanier comme le souhaitent certains. Le texte a pris cet aspect en compte – nous avons d’ailleurs travaillé avec le directeur du Conservatoire du littoral. Bref, il répond à votre légitime inquiétude.

M. François de Rugy – Je note que vous avez parlé de « légitime inquiétude »… Si nous avons déposé des amendements, c’est justement parce que les articles qu’a cités le rapporteur ne nous rassurent pas. Le grand port maritime « veille à l’intégration des enjeux de développement durable » : on a rarement vu formule aussi floue ! Quant à la « préservation du domaine public naturel, des espaces naturels dont il est propriétaire ou qui lui sont affectés »… Le port de Nantes-Saint-Nazaire a justement été un élément de destruction – et non de protection – des espaces naturels. Il a fait preuve de tant de mauvaise foi qu’il a été plusieurs fois attaqué en justice ! Dans l’esprit du Grenelle de l’environnement, confier des missions claires aux associations de protection de l’environnement nous paraît constituer la meilleure des garanties.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État Le grand port maritime pourra s’appuyer sur ces associations ou sur le Conservatoire du littoral comme il le souhaitera. Je rappelle que dans la loi de 1965, les associations de protection de l’environnement n’intervenaient pas. Ici, elles siégeront au conseil de développement chargé d’adopter le projet stratégique et la politique tarifaire. Elles seront représentées comme elles ne l’ont jamais été !

L'amendement 45, mis aux voix, n'est pas adopté.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce matin, mercredi 18 juin, à 15 heures.

La séance est levée à 0 heure 45.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

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