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le 14 octobre 2008


N° 1115

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 septembre 2008.

DÉCLARATION

du Gouvernement sur la situation en Afghanistan,

PRÉSENTÉE

PAR M. François FILLON,

Premier ministre.

Monsieur le président,

Messieurs les ministres,

Mesdames et messieurs les députés,

Nous mesurons tous le poids de notre responsabilité dès lors que le sort de nos soldats est engagé. Il l’est en Afghanistan et nous l’avons éprouvé douloureusement. Il l’est aussi en Côte d’Ivoire, au Tchad, au Kosovo ou au Liban.

Douze mille cinq cents militaires français sont engagés sur des théâtres extérieurs. La France répond ainsi à ses devoirs de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et aux exigences de ses intérêts et de ses alliances dans le monde. Elle obéit aussi aux nécessités de la nouvelle donne stratégique. Depuis la fin de la guerre froide, notre sécurité ne se joue plus exclusivement à nos frontières. L’interdépendance des enjeux et des menaces nous contraint à agir loin, parfois puissamment. Cette évolution stratégique n’est pas sans incidence sur le lien, si nécessaire, entre la nation, nos armées et leurs missions.

Se battre sur nos frontières est une chose ; se risquer pour d’autres, loin de l’hexagone, en est une autre. L’entreprise est d’autant plus sensible que notre société, qui vit en paix, n’est naturellement pas rompue aux épreuves de l’affrontement.

Faut-il s’engager pour Beyrouth ? Pour le Koweït ? Pour Sarajevo ? Pour Kaboul ?

La nouvelle donne stratégique nous conduira, de plus en plus souvent, à nous poser la question et la réponse ne sera plus seulement du ressort du Président de la République et du Gouvernement, puisque, dorénavant, conformément à l’article 35 de la Constitution, chacun d’entre-vous sera aussi conduit à se prononcer par un vote.

Voulue par le Président de la République et adoptée par la majorité de votre assemblée, cette nouvelle clause institutionnelle – qui signe la fin du domaine réservé – sera un progrès pour notre démocratie. Elle sera un atout pour notre politique étrangère et de défense qui, par votre intermédiaire, sera l’affaire de toute la nation. Elle contribuera au soutien de nos armées qui doivent pouvoir sentir le Parlement à leur côté.

Je crois à la nécessité du consensus national, et ce consensus – j’en suis conscient – ne se décrète pas. Il se bâtit dans l’écoute des convictions et des interrogations de chacun.

La situation afghane ne se prête ni aux postures ni aux caricatures. Il n’y a pas, d’un côté, les « militaristes » et, de l’autre, les « pacifistes » ; il n’y a pas, d’un côté, les « héros », et, de l’autre, les « lâches ».

Sept ans après la mise en fuite des talibans et de leurs protégés terroristes, chacun est en droit de se poser des questions sur la stratégie militaire, sur les résultats de l’aide civile, sur les capacités du gouvernement afghan à s’imposer, sur la capacité au combat des rebelles, sur l’état de la société afghane.

Il faut regarder lucidement les choses en ne cédant ni à l’angélisme, ni au catastrophisme. Nous sommes, ensemble, suffisamment au fait de nos devoirs pour débattre de la situation avec gravité et avec responsabilité.

Depuis deux ans, la situation s’est tendue sur le terrain, notamment dans l’Est et le Sud de l’Afghanistan. C’est sur la base de ce constat que la France a insisté pour rénover la stratégie de la coalition et décidé, au printemps dernier, d’augmenter le nombre de ses hommes. L’Allemagne vient d’ailleurs à son tour d’annoncer qu’elle comptait porter ses effectifs à 4 500 soldats. Les talibans et les insurgés accentuent leur pression. Leur organisation et leurs méthodes se sont sophistiquées. Ils misent sur notre lassitude et aussi sur nos doutes.

Le 18 août, dans la vallée d’Uzbeen, dix de nos soldats sont morts au combat, vingt et un autres ont été blessés. Vous connaissez les circonstances de cette embuscade.

Les événements se sont déroulés dans une région qui n’avait été le théâtre jusque-là que d’affrontements de faible intensité, conduits par des insurgés qui ne s’accrochaient pas au terrain.

Partis pour une simple mission de reconnaissance, nos hommes sont tombés dans une embuscade tendue par une centaine de rebelles lourdement armés et aguerris. Au cours de cet accrochage violent qui a duré plusieurs heures et occasionné des pertes importantes également chez nos agresseurs, nos troupes ont fait preuve, sous le feu, d’une cohésion et d’une vaillance exemplaires, allant jusqu’à des actes héroïques.

Je ne reviens pas sur les déclarations du ministère de la défense en réponse aux légitimes questions, mais aussi aux rumeurs infondées de ces dernières semaines. En réponse aux toutes dernières d’entre elles – relayées par un journal canadien qui se fonde sur un compte rendu à chaud qui ne recoupe pas les informations complètes que nous avons recueillies – je veux toutefois confirmer à nouveau un certain nombre de points.

D’abord, les forces engagées dans les combats du 18 août ont toujours été en mesure de riposter aux tirs de leurs adversaires ; plus de trois tonnes de munitions supplémentaires ont été acheminées durant les combats à cette fin. Ensuite, les moyens de communication, contrairement à ce qui a été dit, n’ont pas manqué ; une section d’infanterie est aujourd’hui équipée de vingt postes radio de différentes natures ; l’un d’entre eux, destiné aux liaisons avec l’arrière au sein de la section tombée dans l’embuscade, est resté muet quelques minutes seulement lorsque le soldat qui le portait a été mortellement touché. Enfin, un seul de nos soldats a été tué à l’arme blanche et aucun d’entre eux n’a été capturé.

La réalité est suffisamment cruelle pour que l’on n’y ajoute pas le mensonge et la désinformation.

Depuis 2001, nos alliés ont perdu près d’un millier d’hommes et vingt-quatre militaires français ont trouvé la mort en Afghanistan. Je sais votre assemblée solidaire de nos soldats, et je veux, avec vous, saluer leur professionnalisme et leur courage. Ceux qui sont tombés sous le feu ennemi étaient jeunes ; en découvrant leurs visages, chacun en a eu le cœur serré, mais ils étaient des soldats entraînés et motivés dont l’engagement était réfléchi et souvent passionné.

J’affirme avec force que leur mission était et demeure juste. Je récuse la thèse de ceux qui pensent que nos soldats sont « tombés pour rien ».

Nos troupes ne sont pas en Afghanistan pour annexer qui que ce soit. Elles n’y sont pas pour des intérêts économiques. Elles sont sur place pour assurer notre sécurité collective en faisant en sorte que l’Afghanistan ne redevienne pas le sanctuaire du terrorisme international.

Elles sont là-bas, auprès du peuple afghan, pour reconstruire un pays ruiné et longtemps déchiré. Elles y sont dans le cadre d’un mandat de l’Organisation des Nations unies, aux cotés de trente-neuf nations, dont vingt-cinq sont membres de l’Union européenne. Elles y sont pour permettre au peuple afghan de vivre en paix, de façon souveraine et démocratique. Ce 18 août, notre peuple s’est associé à la douleur des familles, dont la dignité fait figure de leçon.

Le Président de la République et le Gouvernement ont tiré tous les enseignements de cette embuscade meurtrière. Nous avons décidé de renforcer nos moyens militaires dans les domaines de l’aéromobilité, du renseignement et de l’appui. Ces moyens seront sur place dans quelques semaines.

Concrètement, des hélicoptères Caracal, des Gazelle canon, des drones, des moyens d’écoute, des mortiers supplémentaires seront envoyés, avec les effectifs correspondants, soit une centaine d’hommes.

La situation exige un discours de vérité. Même si cette vérité est difficile, nous partons du principe que la France peut et doit l’assumer.

Depuis le jour où Jacques Chirac et Lionel Jospin décidèrent de notre engagement, la réalité afghane est devenue la nôtre. C’est une réalité contrastée, où les progrès incontestables de la société afghane depuis l’éviction des talibans se heurtent à des obstacles inhérents à toute nation divisée et clanique. Une réalité complexe dans laquelle l’émergence de l’état de droit est longue. Une réalité fuyante, où l’adversaire use de toutes les armes de la guérilla. Une réalité qui n’est pas seulement sombre, car il existe aussi, en Afghanistan, une envie de construire, de prospérer, de se moderniser et, pour cela, de se libérer de la peur.

Voilà la réalité et, au regard de celle-ci, il faut parler clairement : la sécurité et la paix ne pourront s’imposer en Afghanistan sans ténacité, sans confiance partagée, mais aussi sans prise de risque, et, je le crains, sans probables pertes.

Les Français doivent savoir que nous ne sommes nullement en guerre avec le peuple afghan, mais que nos troupes peuvent être engagées ou impliquées dans des opérations de guerre. Ils doivent savoir que le redressement de ce pays est une œuvre lente et difficile, mais qui porte ses fruits. Il a fallu plus de dix ans pour que, sur notre propre continent, en ex-Yougoslavie, les conditions de la paix s’imposent dans les cœurs et dans les faits. Penser que l’Afghanistan puisse aller plus vite sur le chemin de la concorde et de la prospérité est, à l’évidence, une illusion.

Je ne doute pas de la légitimité de l’action que nous menons en Afghanistan, et je sais qu’il en est de même pour une grande majorité d’entre vous.

Ne pas agir, ce serait laisser le champ libre aux Talibans et à Al Qaida.

Ne pas agir, ce serait laisser le peuple afghan aux mains de ses bourreaux. Ce serait nous exposer à la résurgence du terrorisme international. Ce serait rompre tous nos engagements internationaux. Ce serait laisser à nos partenaires le soin de combattre pour nous. Ce serait renoncer aux valeurs universelles pour lesquelles une majorité d’Afghans se bat et espère. Ce serait, enfin, mettre un coup d’arrêt au développement d’une société qui n’est pas condamnée au malheur éternel.

En 2001, seuls 800 000 garçons étaient scolarisés en Afghanistan ; les écoliers sont aujourd’hui 6 millions, dont 40 % de filles. Quatre mille écoles ont été construites et le nombre de professeurs a été multiplié par sept. Le taux de mortalité infantile a baissé de plus de 25 %. Plus de 10 000 personnels de santé ont été formés et déployés depuis 2002. Le nombre de centres médicaux a été accru de 60 %. Ce pays, qui ne comptait que 50 kilomètres de routes praticables, en possède désormais plus de 4 000. La production d’électricité a triplé. Plus de 20 % de la population ont désormais accès à l’eau potable, contre 4 % en 1990. Lors de l’élection présidentielle de 2004, 70 % des électeurs afghans ont voté. Le Parlement afghan compte près de 30 % de femmes.

Le Gouvernement croit à l’action qui a été engagée. Cependant il est aussi parfaitement conscient des difficultés rencontrées.

Pourquoi ces difficultés ?

D’abord, parce que, après avoir chassé la dictature des talibans, l’effort des alliés s’est concentré sur Kaboul et ses environs. Les zones plus lointaines n’ont pas fait l’objet de la même attention. Seules les opérations coup de poing de l’opération Liberté immuable contre les talibans et les réseaux terroristes s’y déployaient.

Ce n’est qu’à partir de 2006 que la FIAS s’est engagée à sécuriser l’ensemble du territoire. Aujourd’hui, c’est vers ces zones que nos efforts sont tendus et, par là même, les occasions d’affrontement s’y multiplient.

Ensuite, parce que la présence de jihadistes internationalistes s’est accrue. Parce que l’approche strictement militaire, avec ses drames collatéraux, a trouvé ses limites, chaque erreur pouvant faire basculer la population afghane dans la désolation, quand ce n’est pas dans la défiance ou l’hostilité.

Enfin, parce que l’aide à la reconstruction n’a pas été assez rapide et coordonnée.

Parce que la corruption et le trafic de drogue continuent de gangrener de larges pans de la société afghane.

Tout cela, la France le pressentait, et elle ne s’y résout pas. Voilà pourquoi, sous l’impulsion du Président de la République, notre pays est à l’origine de la rénovation de la stratégie internationale entérinée lors du sommet de l’OTAN de Bucarest d’avril 2008. Cette stratégie rompt avec la vision quantitative et d’abord militaire qui prévalait jusqu’alors.

Voilà aussi la raison pour laquelle notre pays s’est impliqué à fond dans la conférence de Paris pour la reconstruction de l’Afghanistan, qui s’est tenue le 12 juin dernier.

Pour construire la paix, il faut en toute circonstance rappeler l’objectif central : donner au peuple afghan le pouvoir d’assurer par lui-même et pour lui-même sa sécurité, sa prospérité et sa souveraineté.

Pour atteindre cet objectif, il faut d’abord et avant tout gagner la confiance des Afghans. Des expériences locales nous encouragent dans cette voie et prouvent que l’échec n’est pas une fatalité.

Le redressement de la situation dans la plaine de Shamali, que nos soldats parcourent depuis 2003, en est une démonstration. Cette plaine, qui compte 400 000 habitants, connaît une véritable renaissance : les champs y sont en culture ; les écoles fonctionnent ; les lignes électriques ont été rétablies ; les échanges commerciaux reprennent.

Tout cela, c’est le fruit d’une démarche déterminée, où l’équilibre est constamment recherché entre les actions offensives et les actions de reconstruction, entre le retour de la sécurité et l’amélioration des conditions de vie.

La paix se gagne par la confiance. Elle se gagne par la responsabilisation des autorités élues, par le dialogue avec les communautés locales, là où les engagements concrets et réciproques peuvent être tenus. Elle se gagne par le respect des Afghans, par le respect de leur dignité, de leurs traditions, qui ont été bafouées par les talibans, et certainement pas en imposant nos schémas et nos modèles.

Cette confiance exige une approche globale, celle, précisément, que le Président de la République a fait acter lors du sommet de Bucarest et lors de la conférence de Paris.

Notre stratégie, c’est celle de l’afghanisation. Plus vite les Afghans seront en mesure de stabiliser leur pays et de prendre leur destin en main, plus vite nous nous retirerons.

L’armée afghane compte environ 60 000 hommes. Plus de 300 de nos soldats participent à sa formation. Notre objectif est de former et d’équiper une armée de 80 000 hommes d’ici à 2010, et, à terme, une armée de 130 000 hommes.

L’armée nationale afghane est dès à présent impliquée dans 80 % des opérations de la FIAS conduites en zone centre, et elle assure la planification et la conduite de la moitié d’entre elles. Le transfert de la responsabilité de Kaboul aux autorités militaires afghanes est en cours depuis le 28 août dernier, et celui de la région centre est prévu pour le mois d’avril 2009.

Notre stratégie y est celle de la reconstruction rapide de l’Afghanistan. La conférence de Paris, dont le succès doit beaucoup à Bernard Kouchner, est la marque d’une urgence : l’urgence d’intensifier l’aide civile, l’urgence que la population afghane en perçoive tous les bénéfices, l’urgence d’améliorer nos procédures.

Nous avons identifié les domaines dans lesquels les résultats ont été insuffisants : la réforme de la police ; la lutte contre la corruption ; l’agriculture, dont dépendent 80 % de la population et qui a été jusqu’à présent trop négligée, alors que la crise alimentaire menace.

À Paris, 20 milliards de dollars ont été recueillis et une feuille de route pour les trois ans à venir a été ainsi fixée.

Néanmoins tout cet argent n’a de sens que s’il n’est pas dispersé. Il n’a d’efficacité que s’il s’inscrit dans le cadre d’une politique afghane rationalisée, hiérarchisée et évaluée. Il n’a de véritable utilité que s’il s’articule avec les opérations de sécurisation.

La coordination civile et militaire était insuffisante. Nous avons demandé et obtenu qu’elle soit placée sous l’égide de l’ONU, et sous l’autorité d’un nouveau représentant, le norvégien Kai Eide. Sous son impulsion, l’instance de coordination de l’aide internationale a été remaniée afin d’assurer une direction politique à la reconstruction.

Quant au Gouvernement du Président Karzaï, il a présenté une stratégie nationale de développement. Elle signe la volonté des Afghans de tracer leur avenir, mais elle est aussi la contrepartie de l’engagement de la communauté internationale.

Les autorités afghanes doivent intensifier leurs efforts en faveur des réformes, du respect des droits de l’homme, de la lutte contre la corruption et la drogue.

La conférence de Paris ne s’est tenue qu’il y a deux mois. Le délai est encore trop court pour en apprécier les résultats, mais, d’ores et déjà, nous pouvons dire que les autorités afghanes ont pris des mesures conformes à ses conclusions : elles ont fait des efforts en direction des provinces, elles cherchent à mieux associer les chefs locaux aux actions de développement, elles ont accéléré l’entrée en vigueur de la loi anti-corruption.

Le 17 septembre dernier, votre mission d’information a auditionné Antonio Maria Costa, le directeur de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime. Il vous a indiqué qu’en 2008, pour la première fois, la superficie cultivée comme la production ont baissé.

Le nombre de provinces considérées comme libres de culture a fortement augmenté, la production se concentrant désormais dans les provinces du Sud, particulièrement le Helmand, là où l’insécurité est encore forte.

Nous devons amener les autorités locales comme le gouvernement central à faire plus, y compris en exigeant – ce que nous faisons – le limogeage des personnalités impliquées dans le narcotrafic.

La France prend toute sa part de cet effort. Nous avons lancé une action importante contre le trafic des précurseurs chimiques, utilisés pour la transformation de l’opium en héroïne et c’est à notre initiative que le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté, en juillet 2008, la résolution 1817, qui demande à tous les États concernés, à commencer par l’Afghanistan et ses voisins, de renforcer le contrôle des précurseurs.

Ce combat contre la drogue est évidemment très difficile et il est vrai qu’il est souvent mal vécu par les populations locales. Il suppose le développement de cultures alternatives, qui doivent pouvoir être rentables pour les paysans.

Notre stratégie, c’est aussi celle de la démocratie et de la réconciliation de l’Afghanistan.

La démocratie, ce n’est pas seulement le privilège des seules nations développées. Elle est aussi une arme contre ceux qui misent sur la servitude et le mutisme du peuple afghan. Huit millions d’électeurs ont voté lors de l’élection présidentielle de 2004, et cinq millions aux législatives de 2005.

L’élection présidentielle et l’élection des conseils provinciaux se tiendront à l’automne 2009. Quant aux élections législatives et à celles des conseils de district, elles auront lieu à l’été 2010. Pour les institutions afghanes, ce sera un rendez-vous décisif ! Et c’est justement ce rendez-vous que nous devons accompagner et protéger pour qu’il aille jusqu’à son terme.

Pour garantir le succès de la démocratisation de l’Afghanistan, il faut aller vers une réconciliation nationale. Les autorités afghanes doivent créer les conditions d’un dialogue politique avec tous ceux qui sont susceptibles de respecter les institutions et de déposer les armes.

Pour notre part, nous devons réfléchir à la nature même de l’insurrection à laquelle nous sommes confrontés.

L’adversaire ne constitue pas un bloc unifié. Il nous faut explorer la manière de séparer les jihadistes internationalistes de ceux qui inscrivent davantage leur action dans des logiques nationales ou tribales. Des efforts en ce sens sont menés par des pays sunnites comme l’Arabie Saoudite.

Nous devons nous appuyer sur les structures traditionnelles et réintégrer ceux des insurgés, notamment pachtounes, qui n’ont pris les armes que parce qu’ils se sont sentis exclus de l’effort de reconstruction.

Sécurisation, afghanisation, reconstruction, démocratisation et réconciliation : c’est cette approche globale qui est au cœur de la stratégie rénovée et de la conférence de Paris. C’est celle que nous pratiquons dans la région centre, que nous commandons. C’est celle que nous défendons dans toutes les instances politiques et militaires : à l’ONU, au Conseil de l’Atlantique Nord et au sein de l’état-major de la FIAS.

Cette approche globale réclame une grande maîtrise dans les opérations militaires. Les armées de la coalition doivent impérativement veiller à faire un usage proportionné de la force. Nos soldats ne peuvent parvenir à nouer une relation de confiance avec une population qui continuerait à être meurtrie par des actions offensives insuffisamment ciblées. Nos soldats sont particulièrement sensibilisés à cet impératif.

Concernant l’engagement de ses propres forces, la France exerce un contrôle national permanent, extrêmement strict, sur l’action de son contingent. Nos pilotes ont pour instruction de ne tirer que sur des cibles identifiées à 100 %.

Cette vigilance que nous nous imposons, il importe que nos alliés, tous nos alliés, en fassent preuve également.

Cette maîtrise des opérations exige aussi une complémentarité entre les forces de la FIAS et celles de l’opération Liberté immuable. La première, vous le savez, est une force internationale de sécurisation disposant d'un mandat annuel du Conseil de sécurité de l’ONU. La seconde intervient dans le cadre de l’article 51 de la Charte de l’ONU. C’est une force essentiellement américaine, dont la mission est consacrée au combat contre les réseaux terroristes. Ces deux forces distinctes sont légitimes car elles ne font pas le même travail mais nous devons nous assurer que l’action des uns ne contredit pas celle des autres.

Le commandement actuel de la FIAS, assuré par le général David McKiernam, vient de se voir également confier le commandement des troupes américaines de l’opération Liberté immuable. Il faut que cette double casquette soit mise à profit pour renforcer la complémentarité des objectifs et des missions des deux forces.

Cette maîtrise des opérations suppose enfin une vision géopolitique. Nous ne pourrons pas stabiliser la situation si nous ne sommes pas capables d’agir en lien avec les pays voisins, en particulier avec le Pakistan. Le Pakistan frappé samedi de plein fouet par le terrorisme. Le Pakistan tiraillé par ses exigences internationales et ses tensions internes.

Il est évident que les talibans profitent de la porosité de la frontière entre les deux pays. Il est hors de question de les laisser se réorganiser au Pakistan sans réagir. Il faut agir, mais il faut le faire avec les Pakistanais, avec leur autorisation. Nous incitons Islamabad à faire davantage pour contrôler les zones tribales frontalières. Nous allons amplifier notre relation politique et sécuritaire avec ce pays. Nous entendons le convaincre de ne pas relâcher ses efforts. C’est dans cet esprit que Bernard Kouchner s’est rendu à plusieurs reprises au Pakistan et c’est dans cet esprit que Nicolas Sarkozy s'entretiendra demain avec le président Zardari.

Mesdames et messieurs les députés, dans quelques instants vous allez être amenés à vous prononcer sur la poursuite ou non de notre engagement militaire en Afghanistan. Certains doutent de son bien-fondé. Pour ceux-là, le sort de cette terre étrangère ne mérite pas nos efforts et moins encore de la souffrance.

Ceux qui suggèrent que nous nous retirions d’Afghanistan sont souvent les mêmes, qui, il y a dix ans, s’indignaient de la passivité de la communauté internationale face à la barbarie des talibans, face à la destruction folle des statues de Bamiyan, face au sort effrayant réservé aux femmes. Il faut être cohérent : si l’on croit à des valeurs universelles, alors il faut prendre le risque de lutter pour elles.

Sur le terrain, nos soldats en font bien plus pour ces valeurs que tous les donneurs de leçons ! Pour d’autres en revanche, et j’appartiens à ceux-là, la cause afghane est une priorité, une exigence morale et une opportunité.

C’est une priorité parce que la France ne peut pas tourner égoïstement le dos à un conflit dont les enjeux nous concernent tous. Nul ne doit s’y tromper : nous ne sommes pas à l’abri du terrorisme qui a frappé à New York, à Djerba, Bali, Casablanca, Madrid, Londres, Amman, Alger et Islamabad. C’est une exigence morale parce que nous ne pouvons nous replier sur nous-mêmes au moment où se décide, dans ces contrées lointaines, le sort d’une nation qui nous fait confiance, là où se joue l’avenir d’une certaine conception de l’homme en laquelle nous croyons.

C’est enfin une opportunité parce qu’une victoire de la paix et de la démocratie en Afghanistan constituerait un coup porté à l’intégrisme qui est un dévoiement de la religion musulmane et une détestable mise en scène du conflit de civilisation. Cette victoire de la paix et de la démocratie, je la crois possible. Le Gouvernement ne méconnaît ni les difficultés, ni les obstacles, ni les tragédies possibles qui parsèment le chemin de la concorde.

J'ai pris connaissance de la lettre du 13 septembre que le parti socialiste a adressée au Président de la République. Je me réjouis de voir que l’engagement de la France en Afghanistan n’est pas remis en cause par l’opposition. Je souhaite cependant vous répondre sur certains points.

Vous parlez « d’enlisement ». C’est un risque qui doit être constamment pesé mais les faits vous répondent : les talibans ont été chassés du pouvoir et l’obscurantisme avec eux ; l’Afghanistan n'est plus une plate-forme du terrorisme ; la démocratie a été instaurée ; les enfants vont à l'école, les femmes ne sont plus humiliées et les hôpitaux sont ouverts.

Vous suggérez la création d'un directoire de la coalition. C'est une suggestion qui fait l'impasse sur les structures internationales compétentes et qui laisse entendre que, parmi les quarante nations engagées, il conviendrait de faire un tri.

Vous en appelez à un dialogue politique entre les Afghans et à une clarification avec le Pakistan. Je vous ai répondu que la France militait pour une réconciliation politique et une discussion nourrie avec Islamabad. Je ne vois là rien qui nous distingue.

Enfin, vous réclamez un calendrier sur notre présence en Afghanistan. Je ne puis ici vous suivre dans votre requête. Vous savez que ce calendrier ferait le jeu de nos adversaires. En effet dès lors que vous fixez les dates de votre départ, vous leur ouvrez des perspectives.

Ce calendrier dépend des avancées de la stratégie globale que je viens de vous préciser. II est dicté par la réussite de deux objectifs majeurs : permettre aux afghans d’assurer leur propre sécurité et garantir la stabilité des institutions afghanes.

Le Gouvernement entend tenir le Parlement pleinement informé de l’évolution de la situation et des résultats de notre engagement. Vous avez créé une mission d’information sur l’Afghanistan. Je veillerai à ce qu'elle dispose de toutes les informations et le Gouvernement tiendra compte de ses recommandations. J’ai également demandé au ministre des affaires étrangères et au ministre de la défense de rendre compte, de façon régulière, de la situation à vos commissions.

Votre vote constituera une première dans nos institutions. Nul ne doit en relativiser la portée.

Un vote positif serait un encouragement à poursuivre nos efforts. Un vote négatif aurait, pour sa part, une conséquence directe : ce serait l'obligation donnée au Gouvernement de retirer nos forces, ce qui signifierait que tout ce que nous avons fait, tout ce pour quoi nous nous sommes battus était et serait vain.

C’est une haute responsabilité qui vous incombe.

Une responsabilité vis-à-vis de notre politique étrangère et de défense qui ne se prête pas aux jeux politiciens.

Une responsabilité vis-à-vis de nos alliés, de l’Europe et de l’ONU.

Une responsabilité vis-à-vis du peuple afghan, qui a, vous le savez, une affection particulière pour notre pays et sa culture.

Une responsabilité aussi vis-à-vis des talibans, qui nous observent et qui savent jouer de nos hésitations.

Une responsabilité enfin vis-à-vis de nos soldats, qui prendront connaissance de votre choix.

Cette responsabilité, c’est celle de la représentation nationale. Je la crois digne de ses devoirs et soucieuse de l’intérêt général. Je l’appelle ainsi à voter en faveur de la prolongation de notre action en Afghanistan.

Je le fais pour notre sécurité, pour nos valeurs. Je le fais en songeant à celles et ceux, qui, là bas, agissent pour la paix.

Je le fais pour la France, qui est une nation courageuse et généreuse.


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