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le 4 novembre 2008


N° 1154

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 octobre 2008.

DÉCLARATION

du Gouvernement sur la crise financière et bancaire,

par M. François FILLON,

Premier ministre

Monsieur le président,

Mesdames et messieurs les députés,

Les événements qui affectent actuellement toute l’économie mondiale sont d’une gravité historique. Ils exigent du sang-froid, de la réactivité et notre unité. Nous avons ce débat parce que la nation, par votre intermédiaire, a besoin d’être éclairée et rassemblée. Le retour de la confiance passe en effet par notre capacité à faire bloc, au-delà de nos différences partisanes. Le sens de l’unité politique et de l’intérêt général constitue un message très fort adressé à nos concitoyens ; il est une réponse aux marchés, qui doivent trouver en nous la stabilité et la raison qui leur échappent.

À Toulon, le 25 septembre dernier, le Président de la République a énoncé les grands principes qui fondent notre politique face à cette crise. Chacune des journées survenues depuis cette date a confirmé la pertinence de son diagnostic. Chacune de ces journées a vu les problèmes s’enchaîner de manière dangereusement spectaculaire. Le jour de la chute de la cinquième banque d’affaires américaine, la confiance était brisée. La tempête qui sévissait depuis la crise des subprimes est alors devenue un ouragan.

Ce n’est pas la crise du capitalisme en tant que tel, c’est la crise d’un capitalisme dévoyé par des pratiques qui n’auraient jamais dû exister. C’est la crise d’un capitalisme non régulé ou mal régulé qui s’est affranchi de ses obligations éthiques et économiques. Le dérèglement des marchés a prospéré sur le terreau des supervisions défaillantes et des auto-régulations illusoires.

Ce dérèglement s’est nourri de la sophistication financière croissante, et de l’aveuglement d’investisseurs qui ont cru que le risque pouvait se dissoudre et se mutualiser sans fin.

Mais un tel dérèglement n’aurait pas pu se développer sans l’existence de centres off-shore, sans dumping réglementaire, sans des règles pousse-au-crime de rémunération des opérateurs et sans les fausses valeurs décernées par les agences de notation.

Tous ces excès entraînent un ralentissement de l’économie dans le monde entier. Nous savons que l’Asie va continuer à croître, mais à un rythme moins important qu’auparavant. Nous savons que l’Europe sera rudement affectée par le ralentissement, et que la France le sera aussi. Il y aura des conséquences sur l’activité, sur l’emploi et sur le pouvoir d’achat des Français. Dans cette tempête, les pouvoirs publics doivent prendre leurs responsabilités : le Plan Paulson a finalement été adopté par le Congrès américain ; sous l’impulsion de la France, l’Europe s’est décidée, quant à elle, à agir unie.

En tant que Présidente de l’Union européenne, la France ne pouvait pas rester, dans ces circonstances, sur un rythme ordinaire, et le Président de la République s’y est employé en convoquant samedi un sommet des quatre puissances européennes membres du G8. Cette initiative a permis de fédérer et de lancer une dynamique d’action concertée. Elle a été confirmée hier par la déclaration commune des vingt-sept et par la réunion de l’ECOFIN sous la présidence de Christine Lagarde, en préparation de l’événement principal qui permettra de prendre les décisions les plus importantes, c’est-à-dire du Conseil européen, qui aura lieu à la fin de la semaine prochaine.

Samedi, les participants de ce G4 ont pris des décisions capitales : ils ont appelé à la tenue la plus rapprochée possible d’un sommet au niveau mondial qui permette de refonder la gouvernance du système financier international, et ils se sont entendus pour que toutes les entités financières d’une taille significative soient supervisées à l’avenir. Il y avait des trous béants dans le système : ils devront être bouchés. Ainsi, aux États-Unis, les banques d’investissement n’étaient pas supervisées, et n’importe qui pouvait distribuer des crédits bancaires aux particuliers.

La dérive des subprimes, c’est ce qui arrive quand ceux qui vendent les produits ne sont pas ceux qui les prêtent, et que chacun reporte sur l’autre la responsabilité de l’examen de la solvabilité de l’emprunteur. Dans notre économie mondialisée, les places off-shore, la concurrence des hedge funds, ces instruments dérégulés, mais qui ont tout de même accès aux marchés, ont mis une pression considérable sur les acteurs qui voulaient être raisonnables, mais qui, dès lors, couraient le risque de voir les flux financiers se détourner d’eux.

Notre message pour le futur sommet du G8, c’est celui que la France porte avec force depuis un an : la mondialisation doit s’accompagner de règles claires et équitables, de réciprocité, d’équité et de responsabilité.

Autre acquis du G4 : les participants se sont entendus pour réexaminer les normes prudentielles et comptables parce qu’il faut qu’à l’avenir celles-ci préviennent la formation de bulles spéculatives, et qu’elles amortissent le choc en cas de crise, plutôt que l’inverse.

Sur ces questions, la France a longtemps eu un discours isolé, considéré même comme « décalé » par certains ; mais, aujourd’hui, tous s’accordent sur la nécessité d’évoluer. Lors du G4, nous nous sommes également mis d’accord pour revoir les modes de rémunération des dirigeants et des opérateurs sur les marchés. Pendant des années, les équipes qui ont fabriqué des véhicules de titrisation ont reçu des bonus immédiats, calculés sur le gain espéré, lequel était d’ailleurs immédiatement comptabilisé dans sa totalité.

Dès lors, quel intérêt avaient-ils à s’assurer que ce gain se matérialiserait effectivement dans la durée ? C’est pourquoi, à l’avenir, les modes de rémunération devront faire partie intégrante de la surveillance prudentielle. Ces principes de bon sens, qui n’auraient jamais dû être perdus de vue, sont désormais consensuels en Europe. Je crois que l’on peut dire que ce qui a été obtenu samedi par le Président de la République est tout à l’honneur de notre pays.

Cette ambition, nous la porterons au plus haut niveau pour refonder l’architecture financière internationale sur une véritable légitimité politique. Le mandat du Fonds monétaire international devra être renforcé en ce sens pour qu’il dispose d’un véritable système d’alerte précoce. La proposition française, que nous défendons depuis plus d’un an, de passer d’un G8, qui ne correspond plus aux réalités économiques et sociales du monde d’aujourd’hui, à un G14, prend tout son sens pour porter ces projets à l’échelle mondiale.

Hier, l’ECOFIN, sous la présidence de Christine Lagarde, a repris l’engagement des participants du G4 d’assurer un soutien sans faille des établissements financiers déterminants. Certes, à vingt-sept, compte tenu des spécificités de chacun et de l’urgence dans laquelle il faut parfois agir, il est logique que les opérations s’effectuent le plus souvent au niveau national. Quand on doit décider en deux heures, au milieu de la nuit, comment sauver une banque, mieux vaut ne pas avoir à réveiller ses vingt-six homologues. C’est dans cet esprit que le Royaume-Uni a annoncé, ce matin, un plan national d’urgence dont Goldon Brown a personnellement précisé les contours au Président de la République.

Une dynamique européenne est engagée, et la toute récente décision coordonnée de la Banque centrale européenne, de la Banque d’Angleterre, de la FED et de la banque du Canada de baisser de cinquante points de base les taux est, dans ce contexte, un signal très fort pour nos économies et nos entreprises.

J’ajoute que c’est un signal que nous attendions avec impatience. Le Président de la République et moi-même, à plusieurs reprises devant votre assemblée, l’avons dit solennellement : l’État assumera son rôle de garant en dernier ressort de la continuité et de la stabilité du système bancaire et financier français. Cet engagement signifie que nous garantirons la continuité de l’exploitation de chacune de nos banques. Cet engagement signifie qu’aucune d’entre elle ne pourra être acculée à la faillite. Les interventions devront être réactives, mais elles devront être conçues comme temporaires. Elles devront également respecter les intérêts des contribuables. Elles supposent de pouvoir exiger un changement des équipes dirigeantes si celles-ci ont failli à leur mission.

Même si ces interventions sont nationales, les États doivent être attentifs à leurs conséquences pour les autres États et pour les banques concurrentes qui sont saines. L’État n’agit pas pour sauver des dirigeants : ceux de Dexia ont été remplacés. Il le fait pour protéger les Français, leurs entreprises, nos emplois et notre économie.

Comment allons-nous mettre en œuvre l’engagement que nous avons pris de garantir la continuité de notre système bancaire ? Je réponds : comme nous l’avons fait avec Dexia. Si une banque ou un établissement financier est en difficulté, nous examinons immédiatement avec la Banque de France et les autorités de régulation quelle est la meilleure solution. Si cette solution nécessite l’entrée de l’État au capital, nous le faisons, mais à plusieurs conditions.

Tout d’abord, l’État doit avoir les moyens de superviser le redressement de la banque. C’est la raison pour laquelle, dans le cas de Dexia, nous avons obtenu, avec la Caisse des dépôts et consignations, une minorité de blocage. Si cela n’avait pas été le cas, nous n’aurions pas donné suite à la demande des autorités belges.

Ensuite, la direction doit pouvoir être immédiatement renouvelée si la situation le justifie. Les dirigeants qui se sont affranchis des règles minimales de prudence ne doivent pas compter sur l’État actionnaire pour les aider à sauter en parachute doré.

Enfin, l’État n’a pas vocation à rester un actionnaire durable. Une fois l’entreprise redressée la participation de l’État doit être revendue, si possible avec une plus-value, comme nous l’avons fait pour Alstom dans le passé.

Notre engagement pour assurer la continuité du secteur bancaire est total, et la parole de l’État est engagée. Pour cela, nous devons être en mesure d’intervenir financièrement sans délai, y compris par des prises de participations. À cette fin, le Président de la République et moi-même avons demandé à Christine Lagarde de mettre en place une structure juridique intégralement détenue par l’État et susceptible de réaliser les investissements nécessaires.

Aujourd’hui, cette structure existe et elle porte déjà la participation de l’État dans Dexia. Afin qu’elle puisse disposer de tous les capitaux nécessaires aux interventions qui se justifieraient à l’avenir, le Gouvernement sollicitera du Parlement, par voie d’amendement au projet de loi de finances, la garantie explicite de l’État. Cette structure nous permettra de mettre en œuvre notre stratégie au cas où une banque serait en difficulté : la recapitaliser, en maîtriser la stratégie et la gestion, la redresser et remettre les participations de l’État sur le marché lorsque les circonstances le permettront. Nous voulons de la sorte créer les conditions du retour de la confiance dans le système bancaire et assurer la reprise des prêts entre les banques elles-mêmes.

Notre pays a un système de garantie des dépôts parmi les plus protecteurs avec un plafond de 70 000 euros par déposant et par banque, alors que la plupart des États membres appliquent le plafond de 20 000 euros imposé par la réglementation communautaire – celui-ci va être porté à 50 000 euros, par décision du conseil des ministres des finances.

Certains pays sont allés plus loin et ont étendu leur protection à l’ensemble des dépôts, voire, dans des certains cas, à l’ensemble des passifs bancaires. Pour notre part, nous considérons qu’en France les dépôts sont garantis à 100 %, puisque nous nous sommes engagés à faire en sorte qu’aucune banque ne puisse être acculée à la faillite.

Outre cette garantie, il est crucial et urgent de répondre au problème de liquidité sur le marché interbancaire. Nos banques sont solvables, le gouverneur de la Banque de France l’a rappelé hier devant votre commission des finances. Mais elles font face, comme toutes les autres banques européennes, à des tensions extrêmement fortes sur ce marché interbancaire.

Dans ce domaine, les banques centrales jouent un rôle clef depuis plusieurs semaines, en fournissant des liquidités dans un volume considérable. Comme les autres gouvernements européens, nous sommes en contact permanent avec les autorités monétaires. La Banque centrale européenne et l’ensemble de l’euro-système sont mobilisés sur cette question de la liquidité. Je connais leur détermination à prendre, dans les heures qui viennent, toutes les mesures nécessaires pour assurer aux banques les liquidités dont elles ont besoin.

Comme vient de le souligner le Président de la République, la réponse ne peut être que globale et coordonnée entre les banques centrales et les gouvernements européens. Il revient à ces gouvernements de prendre les mesures qui relèvent de leur responsabilité pour assurer la sécurité maximale des échanges interbancaires. À cette fin, nous sommes en relation permanente avec nos partenaires pour mettre en place les bons outils, sans délai et dans chaque État.

Derrière la crise bancaire, ce sont les conditions de crédit qui se resserrent, mettant en danger l’existence même de nos PME. Face à cela, il n’est pas question de rester inactifs. Le 2 octobre, nous avons décidé la mise en place d’un plan de soutien aux entreprises, d’un montant de plus de 20 milliards d’euros et prenant appui notamment sur OSEO.

Par son intermédiaire, nous augmentons de quatre milliards d’euros la capacité de prêts bancaires garantis ou apportés en co-financement d’ici à la fin de l’année 2009. Pour cela, nous mobilisons les ressources propres d’OSEO et nous mettons en place une nouvelle ligne de refinancement sur les Fonds d’épargne de la Caisse des dépôts et consignations.

Nous avons également décidé de mobiliser ces derniers plus largement pour financer les projets des PME. Les besoins de financement sont immédiats. Un arrêté, publié demain jeudi, enclenchera la réaffectation de huit milliards d’euros, puis de neuf milliards le 15 octobre. La totalité du plan annoncé aura été mise en place d’ici deux semaines.

C’est grâce à la vigueur de la collecte sur les livrets d’épargne réglementée, avec entre 20 et 30 milliards de collecte supplémentaire, que cette réallocation est possible sans amputer les besoins du logement social.

Et bien évidemment, elle s’effectue sans impact sur la protection des épargnants, dont les livrets réglementés restent garantis à 100 %.

Nous allons contrôler très strictement l’utilisation de ces crédits : nous avons demandé aux banques de s’engager à les affecter intégralement au financement des petites et moyennes entreprises. Dans cet esprit, des conventions précises seront passées entre l’État et les banques. Nous surveillerons désormais tous les mois leur activité de prêt aux PME.

Cette crise financière fait aussi peser une menace sur le logement. Nous avons décidé de lancer un plan sans précédent d’acquisition de programmes immobiliers en vente en état futur d’achèvement, portant sur 30 000 logements. Nous allons mobiliser les promoteurs, les organismes HLM et, en premier lieu, tous les grands opérateurs publics.

Nous allons augmenter le nombre de pass-foncier en 2009, afin de porter de 20 000 à 30 000, le nombre de logements pouvant bénéficier de cette aide.

Quant au programme de mobilisation des terrains publics en vue de construire 70 000 logements, dont 40 % de logements sociaux, il va être considérablement accéléré.

Enfin, nous avons décidé d’augmenter le plafond de la garantie pour l’accession à la propriété : environ 80 % des ménages français pourront en bénéficier contre quelque 20 % actuellement.

L’avenir est d’abord entre nos mains. Il dépend de notre courage, de notre imagination, de notre volonté de travailler plus d’innover plus, mais aussi de dépenser moins. Dans ce contexte, notre politique budgétaire est adaptée à la crise parce qu’elle n’est ni laxiste, ni récessive.

Comme nos partenaires européens, dans un contexte économique extrêmement difficile, nous donnons à notre budget un rôle de stabilisateur, en utilisant à plein les souplesses que nous donne le Pacte de stabilité.

Cela passe par deux choix stratégiques. D’abord, nous ne cherchons pas à compenser les baisses de recettes dues au ralentissement par une hausse des prélèvements obligatoires. Le taux de prélèvements obligatoires n’augmentera pas et toute reprise de la croissance sera mise à profit pour le baisser d’ici 2012.

Ensuite, nous tenons les dépenses. La crise ne nous donne aucune raison de relâcher la discipline que nous nous sommes imposée en matière en matière de finances publiques. Laisser filer nos dépenses et renoncer à réformer ne contribueraient pas au retour de la confiance – pas plus celle des ménages que celle des entrepreneurs ou celle des investisseurs. L’augmentation de la dépense de l’État sera égale à zéro en volume. Nous respecterons notre engagement de ne pas remplacer la moitié des départs en retraite de fonctionnaires.

En 2008-2009, nous aurons supprimé un peu plus de 50 000 emplois dans la fonction publique. Enfin, avec la révision générale des politiques publiques, nous supprimons toutes les structures redondantes et toutes les politiques improductives.

Nous sommes lucides sur la gravité de la situation. Soyons également lucides sur les signaux encourageants sur lesquels nous pouvons nous appuyer pour faire face : la diminution de l’inflation, la baisse du cours de l’euro, le faible endettement des Français et la baisse des taux.

Ce débat doit être l’occasion d’échanger nos vues et de croiser nos arguments. Dans cette crise, le Gouvernement et le Parlement doivent plus que jamais travailler de concert. Avec Christine Lagarde et Éric Woerth, je suis à la disposition de votre assemblée et de vos commissions pour vous informer régulièrement. Si vous le souhaitez, nous pourrons prolonger ce débat et nous concerter au fil de l’évolution de la crise.

La situation appelle au rassemblement de toutes les bonnes volontés. Il nous faut agir ensemble avec sang-froid, réactivité, responsabilité. Les événements nous l’imposent, mais, j’en suis convaincu, c’est aussi ce que les Français attendent de nous.


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