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le 4 novembre 2008


N° 1159

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 octobre 2008.

DÉCLARATION

du Gouvernement préalable au Conseil européen
et
débat sur cette déclaration,

par M. François FILLON,

Premier ministre.

Monsieur le président,

Mesdames et messieurs les députés,

Depuis quelques semaines l’Europe affronte l’une des plus graves crises financières de son histoire. Une action déterminée était nécessaire. La Présidence française a entrepris de la conduire et je crois que nous pouvons ensemble reconnaître que, partout dans l’Union, le volontarisme du Président de la République est salué. C’est ce même volontarisme qui a caractérisé son intervention lors de la crise géorgienne.

En quelques mois et à deux reprises, l’Europe s’est révélée comme une force politique avec laquelle il faut compter. Depuis le 18 septembre, c’est-à-dire depuis que la crise financière qui sévit aux États-Unis depuis le début de l’été 2007 est entrée dans une phase aiguë, la France n’a pas varié. Elle a cherché, depuis près de trois semaines, à atteindre le même objectif, c’est-à-dire une réponse globale et massive à une crise financière elle-même globale et massive. Cela n’a pas été facile à obtenir, et il a fallu tout le pragmatisme de la présidence française pour aboutir progressivement – de la réunion du G4 qui a permis de mettre d’accord Britanniques et Allemands à la réunion de l’Eurogroupe d’avant-hier et, je l’espère, à celle du Conseil européen demain – à construire une réponse coordonnée, massive et globale européenne à la crise financière. Le 12 octobre dernier, le Président de la République réunissait les chefs d’État et de gouvernement de la zone euro. Je vous ferai d’abord remarquer que c’était une première, puisque jamais, depuis la création de la monnaie unique, un tel sommet ne s’était tenu, ce qui en dit sans doute long sur la considération que l’on avait du fonctionnement de nos institutions, puisqu’on estimait alors qu’il n’était pas normal que les chefs d’État et de gouvernement de la zone euro se réunissent.

Jamais l’Europe ne s’était engagée de façon aussi massive. Il était clair que l’urgence de la situation appelait une réponse européenne commune. Il était clair que les quinze pays de la zone euro, parce qu’ils partagent la même monnaie, la même politique monétaire et la même banque centrale, devaient agir les premiers. C’est ce qu’ils ont fait en annonçant ensemble une action immédiate, puissante et concertée.

Trois décisions majeures ont été prises dimanche soir. D’abord, pour pallier le manque de liquidités des banques, les gouvernements pourront garantir directement ou indirectement leurs nouvelles émissions pour une période définie allant jusqu’à cinq ans. Ces garanties se feront naturellement sous conditions. En France, cette réactivation du marché interbancaire se fera par la création d’une caisse de refinancement, qui empruntera sur les marchés, avec la garantie de État, pour fournir des ressources financières aux banques qui le souhaiteront. Pour des raisons de bonne gouvernance et de transparence, nous avons préféré ce système centralisé, passant par une société de refinancement, à des garanties d’emprunts bancaires au cas par cas. La société de refinancement sera placée sous un contrôle étroit, conforme à la garantie exceptionnelle dont elle est porteuse. Ensuite, chaque État membre de la zone euro a décidé de mettre à la disposition des banques européennes des fonds propres supplémentaires pour leur assurer le « matelas de sécurité » dont elles peuvent avoir besoin dans ces temps de turbulences. L’objectif de cette mesure est évidemment de renforcer la confiance vis-à-vis des établissements financiers et de faire en sorte qu’ils puissent recommencer à exercer leur métier, c’est-à-dire à prêter de l’argent à l’économie réelle, aux entreprises, aux salariés, aux ménages et aux collectivités locales. En France, nous avons retenu la voie de l’apport aux organismes financiers qui en feront la demande, sous forme de titres subordonnés, sans droit de vote et, bien entendu, contre rémunération. Enfin, les pays de la zone euro ont rappelé leur engagement, comme la France l’a d’ailleurs déjà fait depuis plusieurs semaines, d’empêcher toute faillite de banque qui présenterait un risque pour le système financier, en y consacrant les moyens adaptés, y compris l’apport de capitaux nouveaux.

Comme je vous l’ai indiqué la semaine dernière, ces prises de participation devront se faire dans le respect des intérêts des contribuables et en veillant à ce que les actionnaires et les dirigeants de la banque assument entièrement leur part de responsabilité.

Dans l’hypothèse où il devrait y recourir, l’État français les assortirait d’une intervention claire dans la stratégie de redressement de l’établissement et du remplacement de ses dirigeants, comme ce fut le cas lorsque nous avons décidé d’apporter notre soutien à l’établissement financier Dexia.

En ce moment même, comme convenu lors du sommet du 12 octobre, une réaction concertée est mise en œuvre par tous les pays de la zone euro. Vous allez examiner dans quelques instants le projet de loi de finances rectificative pour le financement de l’économie, qui décline au niveau national différents aspects du plan européen adopté dimanche dernier. Nous sommes conscients de la responsabilité qui nous incombe, au moment où nous nous apprêtons à solliciter de votre part l’autorisation d’engager la garantie de l’État à hauteur de 360 milliards d’euros.

C’est pourquoi, devant les Français, je veux prendre, au nom du Gouvernement, trois engagements. Tout d’abord, il convient de gérer au mieux des intérêts du contribuable.

Les montants indiqués correspondent à des plafonds. Ils sont d’une importance considérable, car nous devons apporter, face à l’ampleur de la crise, une réponse crédible. Ils sont d’ailleurs du même ordre que les annonces faites par nos partenaires, compte tenu de leur produit intérieur brut et de leur situation propre : 480 milliards d’euros pour l’Allemagne et 382 milliards d’euros pour le Royaume-Uni. La simple existence de ces outils devrait suffire à ramener la confiance dans le système interbancaire.

En tout état de cause, les interventions seront temporaires. Elles seront aussi sécurisées que possible. Ainsi, les prêts bénéficieront de sûretés apportées par les banques. En cas de défaillance, les créances de l’État seront naturellement prioritaires. Ces interventions seront payantes, afin que les acteurs assument entièrement le coût de marché des financements et des investissements qu’ils obtiendront. Le système de rémunération sera mis en place de façon à inciter les bénéficiaires à les rembourser au plus vite, dès que les conditions de marchés seront rétablies.

Le deuxième engagement que je prends devant vous, c’est celui d’exiger des bénéficiaires de ces dispositifs des contreparties proportionnées à l’effort financier de l’État. Ces contreparties seront prévues par la loi.

Pour le volet « refinancement », elles seront détaillées dans une convention. Pour le volet « renforcement des fonds propres », elles feront partie intégrante de la politique d’investissement. Elles comportent, au premier chef, l’engagement d’orienter les fonds obtenus vers les prêts à l’économie française. Mais nous avons également tenu à ce que les établissements bancaires et leurs dirigeants s’engagent sur des règles de comportement, c’est-à-dire sur une série de principes éthiques conformes à l’intérêt général.

Tous les établissements concernés devront ratifier la charte de déontologie sur les rémunérations des dirigeants. Ils devront adapter les rémunérations de leurs opérateurs financiers, afin d’éviter les comportements imprudents et irresponsables qui nous ont menés là où nous en sommes. Mais nous irons même plus loin. Ainsi, dans mon esprit, il n’est pas concevable qu’une banque concernée par ces dispositifs emploie les fonds obtenus pour procéder à des rachats d’actions ou pour se lancer dans une stratégie d’expansion prédatrice.

On ne peut accepter non plus que les dirigeants d’une entreprise puissent la quitter en empochant d’importantes indemnités de départ, ou se fassent voter de généreux plans de stock-options.

Je pense, s’agissant de ces mesures, qu’il sera plus utile de les voter que de pousser des cris qui n’ont naturellement aucun impact sur la réalité de l’économie française !

Enfin, la même résolution marque notre troisième engagement, celui de transformer en profondeur le système au niveau mondial, pour éviter que de telles dérives se reproduisent.

Le Président de la République l’a rappelé : nous devrons tirer au plus vite les leçons de cette crise pour refonder le système financier international.

Il est hors de question de recommencer comme avant, comme si rien ne s’était passé. Il faut rebâtir l’architecture de la régulation mondiale en matière financière sur une véritable légitimité politique. Des marchés financiers mondialisés ne peuvent pas fonctionner en laissant persister dans leur système de supervision des trous béants, des failles, des pans entiers d’obscurité !

Tous les pays, sans exception, doivent adopter des règles de supervision et de régulation rénovées, propres à rétablir les principes de confiance, de responsabilité et de transparence.

Monsieur Gremetz, j’ai dressé pour vous, la semaine dernière, une liste de dérégulations que vous avez vous-même soutenues ! Si vous voulez que je l’allonge, je suis à votre disposition, nous pourrons alors comparer vos responsabilités et les nôtres !

Nous avons d’ores et déjà pris, en Europe, des décisions ou des orientations en ce sens. J’évoquerai la régulation des agences de notation dont il est, à l’évidence, clair qu’elles ont totalement failli dans ce dispositif ; la responsabilisation des dirigeants ; le principe de transparence et de performance dans la rémunération des dirigeants ; le renforcement des exigences en fonds propres imposées aux banques ; les règles prudentielles relatives aux produits « titrisés » ; le renforcement des règles de coopération entre pays, notamment en cas de crise. Si l’on veut que ces efforts soient efficaces, ils ne doivent pas rester l’apanage de l’Europe ! Il faut bâtir un nouveau consensus international pour accorder entre elles les recommandations multiples issues de la crise financière. Des trous noirs comme les centres offshore, que j’évoquais la semaine dernière, ne doivent plus exister, et leur disparition doit préluder à une refondation du système financier international.

Dans ce système que nous appelons de nos vœux, le Fonds monétaire international doit avoir un rôle pivot dans un système financier rénové et un rôle d’alerte précoce pour prévenir les crises. Il doit pouvoir porter un diagnostic objectif et partagé sur les changes. Il doit collaborer plus efficacement avec le Forum de stabilité financière internationale qui rassemble les banquiers centraux et les régulateurs nationaux. Il doit profiter d’une légitimité politique renforcée. La Banque mondiale, elle aussi, doit faire évoluer sa gouvernance. Ces chantiers, vous le savez, vont de pair avec un meilleur partage des rôles au plan mondial.

Demain, les pays émergents doivent être parties prenantes au système que nous voulons rebâtir. Depuis plus d’un an, la France défend la proposition d’élargir la concertation entre pays développés, actuellement limitée aux huit États économiquement les plus importants à l’origine, aux quatorze États représentant les puissances économiques émergentes sur les différents continents. Cette proposition prend aujourd’hui tout son sens, quand il s’agit de porter de tels projets financiers à l’échelle mondiale.

Mesdames et messieurs les députés, il était indispensable, avant le Conseil européen des 15 et 16 octobre, que les pays de la zone euro montrent l’exemple et soient à la hauteur de leurs responsabilités. Je crois qu’on peut dire que c’est désormais chose faite.

Les 15 et 16 octobre, il faudra encore que l’action décisive de l’Eurogroupe s’accompagne d’un plan cohérent des vingt-sept États membres et de la Commission. Une étroite coordination avec le Royaume-Uni lors du sommet du 12 octobre a permis d’en tracer les prémices. Le Conseil européen sera l’occasion d’en étendre les principes à l’ensemble de l’Union européenne.

Il reviendra à ce Conseil d’envisager une série de décisions importantes : prendre toutes les mesures pour assurer la protection des dépôts dans l’ensemble de l’Union européenne ; reconnaître aux règles européennes la flexibilité nécessaire pour répondre aux circonstances exceptionnelles que nous traversons, ce qui concerne aussi bien les règles de concurrence que celles du pacte de stabilité et de croissance ; adopter un mécanisme européen améliorant la gestion de crise, comme l’Eurogroupe l’a demandé – nous voulons que le président du Conseil, le président de la Commission, le président de la Banque centrale européenne et le président de l’Eurogroupe puissent constituer une sorte d’état-major de crise capable de prendre dans un délai extrêmement court les décisions qui s’imposent pour permettre au système de s’adapter ; voter immédiatement les décisions nécessaires pour que les normes comptables reflètent mieux la valeur réelle des actifs bancaires ; arrêter une série de principes communs sur les « parachutes dorés », les stock-options et le système de bonus des opérateurs financiers, pour éviter que le système favorise une prise de risques excessive, ou une extrême focalisation sur les objectifs de court terme, dont on a trop vu le danger ; poursuivre les réformes structurelles de l’économie européenne et lui assurer un niveau de financement suffisant, y compris en utilisant les instruments européens disponibles, comme la Banque européenne d’investissement ; enfin, préparer avec nos partenaires une prochaine initiative internationale pour refonder le système financier international.

Le 1er septembre, la présidence française a répondu au conflit du Caucase par un plan crédible, émanant d’une Europe unie. Aujourd’hui, l’Europe est en train de répondre à la crise financière en s’unissant autour de mesures concrètes et immédiates.

Le sommet du 12 octobre et le Conseil européen des 15 et 16 octobre sont les deux volets nécessaires de cette réponse commune.

S’il est naturel que le Conseil européen se focalise sur les solutions à apporter à la crise financière, il ne devra pas laisser de côté les autres sujets qui sont à l’ordre du jour de la présidence française et que nous voulons voir avancer.

D’abord, sur la base des propositions de la présidence, le Conseil européen prendra des décisions pour sécuriser l’approvisionnement énergétique des Européens.

Un meilleur fonctionnement du marché intérieur de l’énergie est désormais assuré, grâce au compromis global obtenu vendredi dernier au Conseil. Reste à progresser sur les économies d’énergie et sur l’efficacité énergétique ; à poursuivre la diversification de nos sources ; à inventer un mécanisme européen de gestion de crise en cas de difficultés temporaires d’approvisionnement ; à renforcer et à compléter les infrastructures européennes, notamment les interconnexions électriques et gazières ; à développer les relations de l’Union européenne avec les pays fournisseurs, en premier lieu la Russie, mais aussi avec les pays de la mer Caspienne.

Le Conseil européen devra réaffirmer les objectifs volontaires que l’Union s’est fixés pour lutter contre le changement climatique. Nous restons convaincus que, quelles que soient les difficultés conjoncturelles, l’Europe doit montrer l’exemple avant la réunion de Copenhague en 2009 pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre. C’est pourquoi la présidence française a défini des orientations précises pour parvenir à un compromis global sur les propositions de la Commission, tout en tenant compte des demandes légitimes de l’industrie et de la conjoncture actuelle.

Naturellement, le traité de Lisbonne sera au cœur des discussions du Conseil européen. Le Premier ministre irlandais livrera au Conseil son analyse de la situation et les solutions qu’il propose pour sortir de l’impasse dans laquelle l’Union européenne est engagée. La présidence rappellera qu’une solution doit être rapidement trouvée. Je pense que l’expérience de la crise que nous venons de vivre montre à quel point nous avons besoin d’une présidence de l’Union européenne stable et forte. Cette crise, après celle de la Géorgie, en est, s’il en était besoin, la preuve éclatante.

Le Conseil européen devrait adopter par ailleurs le pacte européen sur l’immigration et l’asile, qui constituera le socle d’une politique commune. L’ensemble des pays de l’Union européenne ont accepté l’idée d’un compromis, correspondant très largement aux demandes de notre pays, pour que la politique d’immigration et d’asile ne soit plus gérée seulement sur des bases nationales mais dans le cadre coordonné de l’espace européen.

Enfin, la présidence a transmis à tous les États membres les propositions du président du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Union, M. Felipe Gonzalez, concernant la composition de ce groupe qui doit entamer ses travaux à partir de janvier 2009. En cas d’accord unanime des États membres, la composition de ce groupe sera entérinée par le Conseil européen. Commencera alors une réflexion de fond sur le sens, le contenu et l’identité du projet européen pour le XXIe siècle.

Mesdames et messieurs les députés, une présidence de l’Union européenne se juge sur sa capacité à affronter les crises. Depuis le mois d’août, les circonstances n’ont pas ménagé la présidence française, et lui ont donné l’occasion de prouver sa volonté. Grâce à la détermination du Président de la République, grâce à la confiance que nous accordent nos partenaires, grâce au soutien du Parlement français, nous continuerons à démontrer que l’Europe est le bon niveau pour répondre aux défis mondiaux.

L’Europe est plus puissante qu’elle ne le croit. Elle peut répondre aux crises mais, pour cela, il faut que ses membres aient la volonté politique d’agir ensemble et d’adopter des solutions neuves et audacieuses.

J’ai la conviction que cette énergie européenne dépend beaucoup de l’énergie française. L’Europe a besoin d’une France unie et volontaire, et la France a besoin d’une Europe décidée à saisir son destin.

Dans la foulée de ce débat, Christine Lagarde et Éric Woerth vous présenteront le projet de loi de finances rectificative pour le financement de l’économie. Au-delà des différences politiques, j’invite le Parlement à se rassembler autour de ce projet.

Ce rassemblement serait un signe fort de notre volonté commune de sortir de la crise et de protéger les Français. Ce serait un signe fort de notre capacité à agir ensemble et dans l’urgence, et cela aux yeux de tous nos partenaires européens qui ont confiance dans la présidence française de l’Union. Ce serait enfin l’illustration d’une ambition que nous partageons tous, d’une ambition singulièrement française : faire de l’Europe une puissance politique et économique, une puissance solidaire qui, dans l’union de ses forces nationales, est bien décidée à peser sur l’avenir. C’est le sens du débat qui s’engage et ce sera, je l’espère, le sens du vote de l’Assemblée nationale.


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