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29/11/2007 – Discours prononcé en l’honneur de Jacques Alexandre, porteur de la carte de presse n °1

Cher Jacques Alexandre,

Monsieur le ministre, cher Roger,

Chère Sophie Huet,

Mesdames, Messieurs,

Chers amis,

Je suis très heureux de vous accueillir aujourd’hui pour célébrer un homme, son parcours emblématique, un métier, le métier de beaucoup d’entre vous.

L’homme c’est Jacques Alexandre à qui je dis le plaisir que nous avons tous de sa présence ici ce matin.

Le parcours est celui d’un grand professionnel de l’information, un grand journaliste à qui, en décembre 1945, a été remis, la carte de presse N°1.

Tout un symbole, toute une aventure, toute une histoire, au cœur de tous les événements de la 2e moitié du XXe siècle.

C’est donc très chaleureusement que je remercie Sophie Huet, l’éminente et très dynamique présidente de l’Association de la Presse Parlementaire, d’être à l’origine de cette heureuse initiative.

Il y a deux clichés sur les relations entre la presse et les politiques. Deux clichés contradictoires, qui partent d’un petit bout de vérité, isolé, déformé et grossi mille fois jusqu’à devenir un parfait mensonge.

Il s’agit, d’abord, du cliché de connivence, de complicité, d’entente et de concert selon lequel nous nous entendrions pour manipuler ensemble l’opinion publique, lui cacher la vérité.

Il s’agit, ensuite, du cliché diamétralement opposé, celui d’une opposition totale, d’une guerre sourde, d’un combat moral entre, d’une part et de votre côté, les valeurs morales et désintéressées de justice, de vérité, de pureté et de transparence, et d’autre part, du côté du pouvoir politique, une tradition de secret d’Etat au nom de l’intérêt supérieur de la Nation et, sous couvert de celui-ci, de basses intrigues et de corruption.

Ce n’est pas le lieu, je crois, de démontrer que ces clichés sont tous faux.

Vous êtes, nous sommes, indépendants et honnêtes, ni plus ni moins que ne le sont nos compatriotes.

Mais si nous sommes indépendants les uns des autres, nous n’en sommes pas moins profondément liés, par nos passions, notre histoire et aussi sans doute par nos intérêts, professionnels pour vous, politiques pour nous, cela n’est pas répréhensible, bien au contraire.

L’avènement de la Presse, de son pouvoir et de sa liberté, est indissociable de celui de la démocratie, il en est indissociable dans la forme que nous lui connaissons depuis deux siècles, la démocratie représentative. De la Révolution, incompréhensible sans le rôle des journaux, à l’établissement progressif de la démocratie parlementaire et du suffrage universel. C’est surtout le XIXe siècle qui vit l’extension du pouvoir de la presse et le triomphe de la liberté d’expression, c’est dire que votre présence aujourd’hui, ici, à l’Assemblée nationale, a tout son sens.

Dans le droit fil de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789, qui affirmait que « tout citoyen peut parler, écrire, imprimer librement… », c’est la Troisième République naissante qui établit, par la loi du 29 juillet 1881, la liberté de la presse. Les pères fondateurs du nouveau régime, nourris de l’esprit des Lumières et formés par les combats pour les libertés sous le Second Empire, considèrent en effet que la liberté de la presse est un droit sacré, qu’elle permet seule la formation civique d’un peuple, propre à lui permettre l’exercice sage et réfléchi de sa souveraineté. Et à l’age d’or de la « Chambre » correspond celui de la Presse. C’est d’ailleurs le moment où les parlementaires qui comptent – de Jaurès (fondateur de l’Humanité en 1904) à Clemenceau – ont presque tous une expérience de journaliste et s’efforcent d’avoir leur journal.

Pour autant, face à la puissance du 4ème pouvoir (l’expression date de la fin du XVIIIe siècle), la tentation de l’intervention voire du contrôle de l’Etat reste grande et parfois même irrépressible, en particulier lors des crises et des guerres, ou face à de nouveaux média : la libéralisation de la radio puis de la télévision ne date pas, de 1881 !

Elle est désormais acquise (on ne songe plus à dire comme de Gaulle que « la télévision doit être la voix de la France »), et si la question de l’indépendance des médias demeure pertinente, c’est moins à l’égard du pouvoir politique que des intérêts privés qu’elle se pose.

Votre longue carrière, cher Jacques Alexandre, est emblématique de cette époque.

A la Libération, après votre engagement de résistant dans le Vercors, le jeune homme de 23 ans que vous êtes alors, « monte » à Paris et écrit à Jean Guignebert, directeur de la Radio Diffusion Française (la RDF, ancêtre de la RTF puis de l’ORTF), « comme on écrit au Père-Noël » selon votre propre expression. Vous êtes engagé et vous entrez à la Radio Nationale le 14 décembre 1944 comme journaliste… politique. Quelques mois plus tard, vous recevez votre carte de presse frappée du numéro 1 – ce fameux talisman que nous célébrons aujourd’hui. Précurseur, vous avez été le premier journaliste à assurer, et ce, pendant plusieurs années, une revue de presse quotidienne sur la radio nationale. Votre appartenance syndicale, mal vue par le pouvoir de l’époque, vous cause, à l’issue des événements de 1968, votre révocation pour quelques mois. En 1969, vous réintégrez la radio pour vous charger des émissions vers l’étranger. En 1971, vous êtes journaliste parlementaire, fidèle à la salle des Quatre Colonnes. Vous suivez également les événements politiques, le Congrès socialiste d’Épinay reste pour vous un souvenir mémorable.

Vous êtes également secrétaire général du syndicat FO des journalistes de l’ORTF et représentant du personnel au conseil d’administration de la société nationale de l’ORTF.

En 1974, vous suivez et commentez la fameuse réforme qui scindera la désormais ex-ORTF en sept sociétés indépendantes.

En 1975, vous devenez rédacteur en chef adjoint de RFI.

Fait officier de la Légion d’Honneur en 1984, vous prenez votre retraite en 1985.

40 années entièrement consacrées à la radio !

Ainsi votre carrière illustre-t-elle toute une époque importante de l’histoire de la presse, qui va de la Libération à la veille des radios libres.

En vous rendant hommage aujourd’hui, cher Jacques Alexandre, c’est donc à travers vous toute une époque, une profession, et aussi une manière de travailler, que je salue.

C’est d’abord en maintenant son niveau d’excellence – que les hommes politiques que nous sommes connaissent bien pour en être parfois la cible… – que la Presse française demeurera compétitive et indépendante.

Tocqueville, déjà, distinguant l’esprit des journalistes français de ceux d’Amérique, écrivait :

« L’esprit du journaliste en France est de discuter de manière violente, mais élevée, et souvent éloquente, des grands intérêts de l’Etat. »

Que c’était bien vu ! comme c’est toujours vrai. ! Voilà pourquoi je ne doute pas que la presse surmontera la période difficile qu’elle connaît.

Comme je ne doute pas que les hommes et les femmes qui font vivre la presse ne renonceront jamais à leur emblématique indépendance.

Finalement ces certitudes, ce sont celles qui ont habité Jacques Alexandre. Eh bien, aujourd’hui, tous ensemble, nous sommes heureux de voir que les valeurs morales et professionnelles sont à la fois le gage de la réussite, de la longévité et de l’honneur de la démocratie.