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13/05/2008 - Hommage solennel à Aimé Césaire

Monsieur le Premier Ministre,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Mes chers collègues,

Immense poète, intellectuel attentif et engagé, fondateur de la Négritude, adversaire du colonialisme, homme de la fierté noire et antillaise, figure politique de la Martinique, maire de Fort-de-France de 1945 à 2001, député fidèle à notre hémicycle pendant près d’un demi-siècle, homme de culture, de combat et de justice, grande conscience du XXème siècle : les distinctions d’Aimé Césaire sont aussi grandes que nombreuses.

Chacun de ces titres, portés si haut, suffirait – ô combien – à établir la gloire et à justifier l’hommage. Oui, un seul de ces titres suffirait.

Mais à trop distinguer, à trop isoler ces mérites les uns des autres – fut-ce même pour en admirer le nombre – on risquerait d’en perdre le sens et la portée. On risquerait surtout – et ce serait une faute –, de ne mesurer qu’à demi l’importance d’Aimé Césaire.

Car l’œuvre et l’action, chez lui, sont liées l’une à l’autre, indissociablement. Elles se complètent, s’illuminent, se répondent. C’est qu’elles viennent de la même source et portent le même chant.

André Breton ne s’y était pas trompé quand, préfaçant le Cahier d’un retour au pays natal, il évoquait ce « prototype de la dignité ». « Ce qui était dit, - écrit encore Breton - c’était ce qu’il fallait dire, non seulement du mieux, mais du plus haut qu’on pût le dire ! ».  Paroles comme prophétiques de ce que seront toute l’œuvre et toute la vie d’Aimé Césaire.

Dans la poésie d’Aimé Césaire, dans ses essais, ses discours, dans sa politique, c’est la même attention au réel, cette attention absolue à chaque chose, à chaque être, dans ce qu’ils ont de plus singulier, de plus intime et donc de plus universel. Que Césaire chante, dénonce ou propose, c’est toujours avec le souci, mêlé d’autant d’intransigeance que de douceur, de l’infinie noblesse de l’Etre.

Si, à n’en pas douter, Césaire appartient à l’humanité la plus haute, il incarne d’abord la France dans ce qu’elle a de plus grand.

C’est à ce grand Français, qui sans cesse a rappelé notre pays au meilleur de lui-même, que l’Assemblée nationale, aujourd’hui, rend hommage.

Un grand Français, Aimé Césaire l’est à l’évidence par sa langue, par son œuvre. Celui qui aurait pu préférer le Créole a choisi la langue de la République. Pour son universalité sans doute, pour sa beauté certainement, cette beauté qu’il a aimée et magnifiquement servie.

Grand Français parce que grand écrivain, tout simplement : depuis toujours en France, ce titre vaut les plus hautes dignités.

Aimé Césaire est un grand Français, aussi, par sa pensée et son action politiques.

Ce petit fils du premier instituteur noir de Martinique, cet élève boursier du lycée Victor Schoelcher de Fort-de France, ce khâgneux de Louis-le-Grand, ce Normalien enfin, n’est-ce pas aussi sur cette culture Française, précisément, que Césaire a fondé son anticolonialisme, sa lutte contre l’injustice et le racisme ?

N’est-ce pas en digne fils des Lumières qu’il a contribué à rendre sa fierté à l’homme noir ? N’est-ce pas en grand républicain qu’Aimé Césaire a été le scrupuleux défenseur des Antillais ?

Ce combat qu’il n’eut de cesse de mener, dans ses livres, dans son île, mais aussi dans cet hémicycle, n’est-il pas celui de la France elle-même ? Ce « séculaire combat », pour reprendre ses propres mots, c’est celui, disait-il, « pour la liberté, l’égalité et la fraternité, qui n’est jamais entièrement gagné, et c’est tous les jours qu’il vaut la peine d’être livré. »

Aimé Césaire est élu député de la Martinique, pour la première fois, le 4 novembre 1945. Il quittera notre Assemblée près de 48 ans plus tard, en 1993. C’est sans doute sous la IVème République que son activité parlementaire fut la plus marquante. Il est alors un élu communiste, allant jusqu’au bout de ses convictions, y compris dans une logique d’affrontement avec le pouvoir de la République.

Mais en 1956, après l’écrasement de l’insurrection de Budapest, son esprit critique et ses valeurs humanistes se révoltent. Il rompt publiquement avec le parti, en démissionne avec fracas, et écrira alors à Maurice Thorez : « il faut (…) que les doctrines et les mouvements politiques soient au service de l’homme et non le contraire ».

Dès sa première élection, en 1945, Aimé Césaire devint l’un des parlementaires les plus engagés dans la défense des intérêts des Antilles Françaises.

Il plaida, ainsi, en 1946, pour la départementalisation de la Martinique et de la Guadeloupe.

Très actif dans la vie parlementaire, déposant nombre de textes, élu en 1946 et en 1947 secrétaire de l’Assemblée nationale, Aimé Césaire ne cessera de poser à la République d’alors la question, je le cite, de « la démocratie outre-mer dans sa dignité, dans son existence et dans son avenir »

Aimé Césaire poursuivra son activité politique sous la Vème République, sous la bannière du Parti Progressiste Martiniquais, qu’il a créé en 1957. Siégeant parmi les non-inscrits à partir de 1958, il s’apparente au groupe socialiste et radical de gauche en 1974.

Précisant toujours qu’il ne s’agit pas d’indépendance, Aimé Césaire plaidera pour l’autonomie de la Martinique. Il sera constant à condamner, selon ses propres mots, le « colonialisme et le racisme impénitent » ainsi que, disait-il, le « pouvoir central colonialiste de nature et réactionnaire de sentiment ».

Il quittera notre Assemblée en 1993, après avoir porté la voix de la Martinique et des Antilles dans cet hémicycle pendant près d’un demi-siècle.

J’aime à croire, enfin, que, Français éminent, Aimé Césaire le fut encore par sa générosité, par sa grandeur d’âme, sa magnanimité.

Prompt à dénoncer les injustices, intransigeant quand il fallait l’être, blessé comme dans sa chair par les paresses, les lâchetés, les cruautés des hommes, jamais Aimé Césaire n’a cédé à la haine, jamais sa colère ne s’est muée en passion, jamais il n’a renoncé à la raison et à l’intelligence. Quelle que fut l’âpreté de la lutte, jamais, pour Césaire, Autrui ne devint l’Ennemi.

Il y a au contraire chez Aimé Césaire une foi irréductible en l’autre. Quand bien même l’autre est celui qui oppresse, quand bien même il est celui qui se trompe. Si chaque singularité doit être dite, si la dignité de chacun doit être sans cesse affirmée et assurée, ce n’est pas contre autrui. Cette liberté fondamentale de l’Homme à laquelle nous rappelle Aimé Césaire, cette liberté qui n’est pas une abstraction, une pose de philosophe ou de poète, mais bien une réalité concrète à laquelle chacun doit aspirer, cette liberté ne se construit pas dans la négation, dans l’opposition, mais au contraire dans le rapport, libre et fraternel, des hommes entre eux.

« Si la littérature de la Négritude – disait-il en 1973 – a été une littérature de combat ( …) ce n’est là qu’un aspect de la négritude, son aspect négatif. (…). Si j’avais à définir l’attitude du poète de la négritude, la poésie de la négritude - poursuivait-il - je ne me laisserais pas désorienter par ses cris, ses revendications, je ne les définirais que comme une postulation, irritée sans doute, une postulation impatiente, mais en tout cas une postulation de fraternité ».

Tel fut Aimé Césaire. En incarnant la France de façon si haute, en la rappelant sans cesse au meilleur d’elle-même, il a été son honneur et sa gloire.

A sa famille, à qui je transmets ma sympathie, à ses proches, aux députés Antillais, que je salue avec amitié, je veux dire combien notre Assemblée est fière d’avoir eu si longtemps Aimé Césaire dans ses rangs. Sa voix dans cet hémicycle fut celle de l’honneur et de la dignité. Nous ne l’oublierons pas. Nous lui demeurerons fidèles.