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11/12/2008 - 5èmes rencontres parlementaires sur les prisons

Monsieur le Président du groupe d’études sur les conditions carcérales et les prisons, Cher Serge Blisko,

Monsieur le Rapporteur du projet de loi pénitentiaire, Cher Jean-Paul Garraud,

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Mesdames et Messieurs les hauts magistrats,

Mesdames et Messieurs les Présidents,

Mesdames et Messieurs les Directeurs,

Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi en premier lieu de vous dire le plaisir qui est le mien d’intervenir devant vous à l’occasion de ces 5èmes rencontres parlementaires sur les prisons, rendez-vous désormais traditionnel d’échanges et de débats entre les élus du suffrage universel et les femmes et les hommes qui œuvrent au quotidien auprès des personnes que la République a condamnées à l’emprisonnement.

Je me réjouis de vous compter si nombreux, élus, magistrats, avocats, directeurs d’établissements pénitentiaires, professeurs, médecins, psychiatres, psychologues, délégués du Médiateur, enseignants, conseillers d’insertion et de probation, travailleurs sociaux, surveillants, vous qui êtes des professionnels mais aussi des bénévoles, visiteurs de prisons, responsables religieux, militants associatifs, étudiants, vous tous que vos fonctions mais aussi vos convictions, je le sais, prédestinaient tout naturellement à participer à cette journée.

M’adressant à un public averti, je n’ai pas à vous convaincre de l’importance et de l’actualité d’une réflexion d’ensemble sur l’avenir de notre système pénitentiaire. Mais si je n’avais qu’un message à vous transmettre, ce serait qu’à mes yeux, la prison n’est pas qu’un thème d’études de spécialistes : c’est d’abord et avant tout un sujet de société.

L’Assemblée nationale a largement participé, je crois, à l’éveil des consciences, en créant au printemps 2000 une commission d’enquête parlementaire dont le rapport avait vivement alerté l’opinion. Humaniser la prison : telle était l’impérieuse nécessité à laquelle avait conclut ce travail. Une conclusion en forme d’exhortation à agir, tant le diagnostic était sévère, jusqu’à souligner que les prisons françaises faisaient « honte à la République ».

Pas plus hier qu’aujourd’hui, il ne s’agissait de remettre en cause la prison dans son principe, de sacrifier la douleur des victimes ou de leurs familles et la légitime protection de la société à des considérations complaisantes à l’endroit de ceux qui se sont sciemment affranchis des règles communes. Il demeure que dans notre conception de la République, l’impératif de sécurité, qui appelle une fermeté assumée, ne peut se concevoir sans une nécessaire humanité.

De ce point de vue, comment ne pas être interpellé par le nombre toujours préoccupant de suicides dans nos prisons ? Au-delà des cas récents qui ont concentré l’attention des medias, et derrière la froideur des statistiques, il y a encore chaque année en France trop de détenus, des majeurs mais également des mineurs, qui se donnent la mort dans leurs cellules, et ce malgré la vigilance de personnels pourtant de mieux en mieux formés et dont je veux saluer ici le courage, connaissant la difficulté de leur mission. Chacun comprend bien, dans un tel contexte, que la prévention du suicide en détention doit être une priorité absolue ; une collaboration très étroite s’impose entre administration, médecins et éducateurs afin de mieux repérer les publics à risque – je pense en particulier aux nouveaux arrivants ou aux mineurs incarcérés.

Humaniser la prison : cet objectif ambitieux et pourtant si nécessaire, paraît parfois relever de la gageure, quand on connaît la situation de surpopulation carcérale dont souffrent la majorité de nos établissements pénitentiaires. Nul doute dans mon esprit que nous ne pouvons pas nous satisfaire du taux actuel d’occupation des maisons d’arrêt comme de nombre de centres de détention (63.750 détenus au 1er novembre pour quelque 51.000 places).

En 2002, la France a fait le choix d’une politique volontariste visant à construire de nouvelles places de prisons. C’était là à l’évidence une nécessité : on ne peut en effet à la fois dénoncer le manque de cellules sans en créer de supplémentaires, et il est assez illusoire de prétendre fermer les établissements aux conditions d’hygiène et de sécurité défaillantes sans réhabiliter certaines prisons ou en construire de nouvelles, plus sûres et plus modernes. 13.000 nouvelles places verront le jour avant la fin de la législature, et 2.800 pour la seule année 2008 dont plusieurs centaines dédiées à des populations spécifiques (établissements réservés aux mineurs, quartiers pour les courtes peines…).

Lutter efficacement contre le surpeuplement des prisons, c’est aussi considérer l’emprisonnement, à l’instar de ce que préconisait le rapport du Comité d’orientation sur la loi pénitentiaire, comme « une sanction de dernier recours », en y substituant lorsque c’est possible des peines alternatives. A cet égard, l’assignation à résidence avec placement sous surveillance électronique constitue à l’évidence une piste intéressante, en particulier pour limiter le recours à la détention provisoire.

Je veux également saluer les efforts de tous ceux qui travaillent en faveur des aménagements de peines, qui sont le moyen le plus efficace pour prévenir la récidive et préparer la réinsertion. Le bracelet électronique, longtemps utilisé à titre quasiment expérimental, concerne désormais chaque année 2.500 individus supplémentaires. Cette double question des alternatives à l’incarcération et des aménagements de peines méritait assurément, par son importance, qu’une table-ronde lui soit spécifiquement dédiée cet après-midi.

Il est, de fait, une autre réforme dont le Parlement s’est saisi dès le début de cette législature, c’est la création d’un Contrôleur général des lieux privatifs de liberté. Autorité administrative indépendante que beaucoup avaient appelée de leurs vœux, elle n’est plus, depuis la loi du 30 octobre 2007, un sujet de colloque mais s’incarne désormais en la personne de M. Jean-Marie Delarue.

Le Contrôleur général, entouré d’une équipe de professionnels chevronnés, s’assure du respect des droits fondamentaux des personnes se trouvant dans les quelque 5.800 établissements pénitentiaires et autres lieux d’enfermement que compte notre pays. Sa mission, qui s’accompagne d’un droit de visite permanent, n’a rien de théorique, et je puis assurer que le Parlement examinera avec le plus grand intérêt les recommandations dont il voudra bien nous faire part, en particulier à l’occasion de la publication annuelle de son rapport.

J’attends enfin avec la même impatience que vous de voir le projet de loi pénitentiaire inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, même s’il va en premier lieu être soumis à l’examen de mes collègues sénateurs. Plus de vingt ans nous séparent de l’adoption, le 22 juin 1987, de la première loi pénitentiaire, ce qui rendait d’autant plus nécessaire le projet qui nous est présenté. Je puis vous dire, en présence de mes collègues parlementaires, que je m’en entretiendrai personnellement avec le Gouvernement, jusqu’à ce que ce projet de loi soit inscrit à l’ordre du jour.

Cette loi est d’abord nécessaire parce qu’il est temps de porter un regard apaisé et serein sur la prison. La prison n’est pas un lieu de relégation pour ceux que la République aurait choisi d’écarter pour mieux les oublier. C’est un lieu où l’on purge sa peine certes, mais où l’on prépare aussi sa sortie et sa réinsertion, en se soignant, en se formant, en se préparant le mieux possible à exercer un emploi. L’action de l’éducation nationale en matière de lutte contre l’illettrisme, comme celle des services sociaux qui œuvrent au maintien des liens familiaux, est en ce sens exemplaire. Comment mieux résumer l’importance de l’enjeu qu’au travers du thème qui vous a réunis pour la 1ère table-ronde de ce matin, et qui vise à faire du temps de la détention, « un temps utile » ?

La loi pénitentiaire est ensuite bienvenue parce que l’O.N.U., le Conseil de l’Europe et le Parlement européen n’ont eu de cesse, au cours de la dernière décennie, d’appeler les États à moderniser leur arsenal juridique autour de la question des prisons. L’Italie, l’Espagne, la Belgique, les Pays-Bas, la Grèce disposent déjà d’une loi pénitentiaire. Personne n’aurait compris que la France puisse s’affranchir de traduire dans son droit positif les règles pénitentiaires européennes, et rester ainsi à l’écart d’un tel mouvement.

La loi pénitentiaire est enfin indispensable parce qu’à l’heure où nous célébrons le 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme et son message universel au rayonnement duquel la France a tant contribué, il est une valeur sur laquelle la République ne doit jamais transiger : la dignité de la personne humaine, ou plus exactement le principe d’égale dignité de chacun.

La 2e table-ronde de ce matin rappelait justement qu’un détenu n’en reste pas moins un citoyen, titulaire de droits autant que de devoirs. Certes, la privation de liberté entraîne mécaniquement un certain nombre de restrictions aux droits fondamentaux de la personne. Or qui est plus légitime que le législateur, représentant élu du peuple, pour garantir et fixer les conditions d’exercice des droits fondamentaux des personnes détenues ? Qui, mieux que lui, peut déterminer les missions du service public pénitentiaire et en particulier la prévention de la récidive et l’exigence de réinsertion ? Qui, sinon lui, se doit de favoriser la reconnaissance des personnels pénitentiaires ou réaffirmer les règles éthiques qui gouvernent leur action ?

Mesdames, Messieurs,

Je sais les trésors d’énergie et de dévouement que vous déployez et les difficultés auxquelles vous vous heurtez – le vieillissement de la population carcérale, la fragilité psychologique et souvent psychiatrique de détenus généralement violents, la précarisation de la situation de nombreuses personnes incarcérées, sur un plan sanitaire, familial et social. Je sais, dans un tel contexte, l’attachement qui est le vôtre à remplir une mission essentielle et les efforts que vous consentez pour accompagner l’évolution de nos prisons, pour les ouvrir vers l’extérieur. Il est temps que tout cela soit su et surtout mieux reconnu.

La loi pénitentiaire que nous espérons, que nous attendons, que nous voulons, et le débat qui va avoir lieu au Parlement, en sont l’occasion. Cette loi ne concerne pas uniquement l'administration pénitentiaire. Elle ne concerne pas uniquement les professionnels et les bénévoles qui interviennent en prison. Elle ne concerne pas uniquement les détenus. Elle concerne tous les Français. C’est parce que nous parviendrons collectivement à faire changer leur regard que nous ferons collectivement changer la prison.

Je vous remercie.