Accueil > Présidence > Les discours du Président de l'Assemblée nationale

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit

02/04/2009 – Journée d’étude à l’Assemblée nationale du Centre de Recherche de Droit Constitutionnel de l’Université de Paris 1 sur les lois organiques et la mise en œuvre de la révision constitutionnelle

Chers Collègues,

Mesdames et Messieurs les Professeurs,

Messieurs les Secrétaires généraux des assemblées,

Mesdames, Messieurs,

Le sujet que vous avez choisi pour cette journée d’étude : Les lois organiques et la mise en œuvre de la révision constitutionnelle » est au cœur de l’actualité de l’Assemblée nationale.

Nous mettons en œuvre depuis le 1er mars des dispositions essentielles de la réforme constitutionnelle. Nous venons d’adopter le projet de loi organique sur le travail parlementaire. Nous préparons une grande réforme du Règlement de l’Assemblée nationale.

C’est donc bien volontiers que j’ai accepté la demande du Professeur Bertrand MATHIEU et du Professeur Michel VERPEAUX d’organiser cette journée à l’Assemblée.

Je suis certain que ces travaux seront fructueux, ils l’ont déjà été ce matin, comme l’avaient été ceux de la Journée d’étude consacrée à la réforme du travail législatif que vous aviez déjà organisée à l’Assemblée en avril 2005.

Lors de cette journée, le constat était partagé : « frénésie législative », « lois inutiles, bavardes, complexe », nécessité de « rééquilibrer le rythme entre les fonctions législatives et le contrôle du Parlement ».

Grâce à la révision constitutionnelle voulue par le Président de la République et adoptée à Versailles, le 21 juillet 2008, nous avons, nous parlementaires, le pouvoir de changer les choses.

Nous sommes bien loin de mesurer tous les effets potentiels de cette révision ambitieuse.

Allons-nous vers une « reparlementarisation » de la Ve République, comme l’évoque le Professeur GICQUEL ? Au contraire, le système ne restera t-il pas plutôt proche de ce qu’il fut toujours : « Immuable Ve République » a écrit Guy CARCASSONNE.

Autant d’interrogations auxquelles la pratique viendra répondre et que les observateurs attentifs que vous êtes ne manqueront pas de commenter.

De par l’ampleur de la révision de juillet dernier, nul doute que se tourne une nouvelle page de la longue histoire constitutionnelle de notre pays.

Sur cette nouvelle page figurera la réforme à venir du Règlement de l’Assemblée nationale.

La réforme à venir du Règlement de l’Assemblée nationale sera la plus importante depuis le début de la Ve République.

C’est la raison pour laquelle j’ai pris l’initiative de mettre en place pour la préparer un groupe de travail pluraliste qui s’est réuni à nombreuses reprises.

La proposition de résolution que j’ai déposée reprend tous les points sur lesquels un accord a été trouvé.

Lorsque cela n’a pas été possible, j’ai essayé d’apporter des réponses en recherchant des solutions équilibrées dont mes collègues débattront en commission des Lois, sous la présidence de Jean-Luc WARSMANN, et en séance.

Je voudrais vous faire partager les réflexions qui ont inspiré cette proposition de résolution dont l’Assemblée débattra dans les prochaines semaines.

***

Mesdames, Messieurs,

Au cœur de l’application de la révision constitutionnelle, au cœur de la réforme à venir du Règlement de l’Assemblée nationale, il doit y avoir la définition d’une nouvelle gestion du temps parlementaire.

Ce qui a trop souvent dévoyé le travail parlementaire au cours des dernières décennies et encore plus de ces dernières années, c’est l’obsession du temps. Une obsession partagée à la fois le Gouvernement et l’opposition.

Le Gouvernement veut aller vite. Comme si le débat parlementaire n’était qu’une simple procédure d’enregistrement après l’annonce faite aux médias.

D’où le recours de plus en plus fréquent à la procédure d’urgence au cours des dernières législatures, avec pour conséquences : une seule lecture par chaque chambre et des textes pouvant être modifiés substantiellement en CMP.

Ce n’est pas un bon travail législatif. Ni pour la qualité des textes eux-mêmes, ni pour la qualité du débat, pour aider à prendre, dans l’échange et la confrontation des propositions et des idées, la bonne décision.

L’opposition, pour sa part, souhaite souvent ralentir certains débats au maximum, au motif que ce serait le seul moyen « d’alerter l’opinion ».

Du rôle de chambre d’enregistrement, le Parlement passe à celui de caisse de résonance. Toujours au détriment de la qualité du travail législatif.

L’illustration la plus marquante en est le détournement de ce droit fondamental des parlementaires que constitue le droit d’amendement.

Il ne s’agit plus d’enrichir les dispositions d’un projet de loi, mais seulement de bâtir ces fameux « murs » d’amendements.

Ainsi, le nombre d’amendements déposés a véritablement explosé : 243 808 au total sous la précédente législature contre 5 à 10 000 sous les premières législatures de la Ve République.

Ce sont ces centaines d’amendements répétitifs, identiques que le traitement informatique permet de dupliquer à l’infini, en faisant varier un mot ou un chiffre.

Il s’agit de rétablir le droit d’amendement dans son principe en encourageant les députés à défendre d’abord les amendements qu’ils estiment les plus importants, ceux qui font une bonne législation.

***

Avec la mise en œuvre des nouvelles dispositions constitutionnelles, avec l’ordre du jour partagé, le temps législatif dont dispose le Gouvernement est devenu deux fois plus court.

Jusqu’alors, le gouvernement était le maître quasi exclusif de l’ordre du jour parlementaire. La presque totalité des débats dans l’hémicycle était consacré au travail législatif, bien peu à l’évaluation et au contrôle de l’action gouvernementale.

Désormais, la maîtrise de l’ordre du jour est partagée entre le Parlement et l’exécutif. Le déroulement de la Conférence des Présidents, depuis quelques semaines, l’illustre parfaitement.

Une semaine entière est désormais réservée à l’évaluation et au contrôle. Je souhaité que l’opposition et la majorité y dispose d’un temps de parole égal.

Telle a d’ailleurs été le cas la semaine dernière. Et pas moins de 131 députés, autant de la majorité que de l’opposition, ont pu interroger le Gouvernement à 190 reprises sur la politique de l’emploi, la situation des universités ou le bilan de santé de la PAC.

Ce changement considérable, cette véritable révolution du temps parlementaire, nous l’avons tous réclamée, députés de majorité comme de l’opposition, depuis des années.

Nous devons en garantir l’effectivité pour valoriser la partie parlementaire de la maîtrise de l’ordre du jour.

Car, la mise en œuvre du temps législatif gouvernemental, celle du temps réservé à l’évaluation et au contrôle sont indissociables l’une de l’autre.

Le temps législatif gouvernemental, c’est d’abord celui où l’Assemblée légifère pour mettre en œuvre les engagements approuvés au moment des élections.

Qui pourrait croire que, confronté à des situations de blocage insurmontables du fait de la limitation de l’usage du 49-3, les gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, ne soient tentés de demander à leur majorité de leur rétrocéder du temps sur l’ordre du jour partagé.

Aussi, devons-nous repenser l’organisation du temps législatif, afin de mieux sauvegarder et valoriser le temps de l’évaluation et du contrôle. Nous devons le faire, en veillant, bien entendu, au strict respect des droits de l’opposition.

***

Repenser l’organisation du temps consacré au travail législatif

Qui peut se satisfaire des conditions dans lesquelles se déroulent les débats législatifs.

Les conditions d’examen des textes, le caractère totalement aléatoire de la durée des débats, leur rythme en accordéon, rendent le travail législatif quasi impossible.

Les citoyens sont déroutés par ces incompréhensibles marathons parlementaires quand les principaux enjeux d’un texte sont noyés dans la discussion de dispositions accessoires ou dépourvues de lien avec lui.

Les députés, faute d’une véritable programmation des débats, hésitent à y prendre part sans savoir à quel moment ils pourront défendre leurs amendements.

Les avancées de la révision constitutionnelle nous offrent la possibilité de remédier à ces carences, en revoyant la répartition du travail entre l’hémicycle et les commissions.

Le travail de la commission, certainement le plus fructueux du point de vue législatif, sera mieux valorisé puisque c’est le texte adopté par la commission qui viendra en séance.

Qui pourra parler d’un travail législatif bâclé, alors que les commissions disposeront d’un délai de six semaines pour examiner un texte.

Cela permettra de recentrer l’hémicycle sur son rôle premier d’agora politique pour la discussion des dispositions et amendements les plus essentiels.

Cette discussion dans l’hémicycle, nul doute que nous devions mieux la programmer pour les textes les plus emblématiques, afin qu’elle retrouve toute son intensité politique.

Mieux la programmer, c’est revenir à une disposition introduite dans le Règlement de l’Assemblée en 1935, à l’initiative de Léon Blum, et appliquée jusqu’en 1969. Une disposition qui permettait de fixer la durée des débats pour l’examen d’un texte.

Michel AMELLER, l’avait évoqué lors de votre journée d’étude du printemps 2005.

Il s’agit d’y revenir, en donnant à la Conférence des Présidents la possibilité de décider, pour l’examen de certains textes, la mise en œuvre d’un « temps législatif programmé », dans le respect du droit d’expression et d’amendement des parlementaires.

Tous les parlements des grands pays démocratiques ont des dispositions similaires de programmation ou de maîtrise de la durée de leurs débats.

Bien entendu, la mise en œuvre du « temps législatif programmé » devra garantir à chacun des groupes parlementaires la possibilité de défendre ses positions et ses amendements.

Il ne s’agit évidemment pas de remettre en cause les droits de l’opposition à contester, à proposer, mais de fixer un cadre général à la discussion dans lequel chacun des groupes parlementaires, disposant d’un crédit-temps, pourrait s’organiser comme il l’entend.

L’opposition bénéficiera d’un temps de parole supérieur à celui de la majorité, réparti à 60/40.

La répartition de ce crédit-temps entre les groupes garantira l’expression des groupes minoritaires, afin de leur donner la possibilité de défendre pleinement leurs amendements.

Chaque président de groupe pourra obtenir, de droit, la mise en œuvre d’une durée des débats similaire à celle de l’examen des grandes réformes discutées sous les précédentes législatures. A savoir plusieurs dizaines d’heures.

Chaque groupe aura largement le temps nécessaire pour présenter et défendre ses amendements.

Ce qui est à proscrire, ce sont ces dizaines, ces centaines d’amendements identiques. Dès lors que la durée des débats sera préalablement fixée, ils n’auront plus aucun intérêt pratique.

Le temps ne sera plus un enjeu.

En outre, j’ai proposé d’apporter une autre garantie à l’opposition : La possibilité, sans limitation, pour un président de groupe de s’opposer à la mise en œuvre du « temps législatif programmé » quand le Gouvernement aura choisi de recourir à la « procédure accélérée », nouvelle dénomination de l’urgence.

L’engagement de la procédure accélérée ne doit pas donner lieu aux mêmes excès que la procédure d’urgence par le passé, alors même qu’elle suspend l’application des délais constitutionnels prévus et n’implique qu’une seule lecture par chaque assemblée.

Ainsi, le gouvernement sera-t-il largement incité à en revenir à un usage plus parcimonieux du recours à l’urgence. Ce qui ne pourra qu’être profitable à la qualité des textes adoptés.

***

Valoriser le temps de l’évaluation et du contrôle

La révision constitutionnelle a renforcé de manière déterminante la compétence d’évaluation et de contrôle du Parlement.

D’ores et déjà, nos commissions, offices et délégations exercent activement la compétence d’évaluation et de contrôle, sans que leurs rapports bénéficient de la publicité souhaitable.

L’institution d’une semaine mensuelle réservée prioritairement à l’évaluation et au contrôle, doit nous permettre de communiquer largement sur les activités de contrôle de l’Assemblée, ses rapports et recommandations, ainsi que les suites qui leurs sont données par le Gouvernement.

C’est à la Conférence des Présidents de fixer les thèmes de ces séances de contrôle en retenant les dispositifs lui paraissant les plus adaptées, en sus des traditionnelles questions au Gouvernement du mardi et du mercredi.

- Questions à un ministre, avec un droit de réplique pour le questionneur

- Contrôle sur le suivi de l’application des textes législatifs votés précédemment

- Résolution sur la création de commissions d’enquête

- Présentation des conclusions des commissions d’enquête

- Examen des rapports d’information des commissions ou du Comité d’Evaluation et de Contrôle

- Déclaration du Gouvernement suivi d’un débat

- Questions orales sans débat

Par ailleurs, les moyens de l’Assemblée nationale vont être renforcés, à travers la création d’un Comité d’Evaluation et de Contrôle.

Ce Comité sera chargé de conduire, de sa propre initiative ou à la demande d’une commission, des évaluations sur des politiques publiques présentant une dimension transversale, dépassant les compétences d’une seule commission permanente.

Il pourra faire toute proposition utile à la Conférence des Présidents concernant le contenu de la semaine d’ordre du jour réservée prioritairement au contrôle

Dans la mise en œuvre de cette compétence d’évaluation, il est indispensable que nous acquérions une véritable culture bipartisane du contrôle parlementaire, à l’instar des pays anglo-saxons.

Pour avoir une démarche d’évaluation critique, efficace, détachée du pouvoir en place, j’ai souhaité que le rôle et la place de l’opposition soient équilibrés avec ceux de la majorité dans le domaine de l’évaluation et du contrôle.

***

Au-delà, il s’agit d’instaurer une véritable « charte de l’opposition », en application du nouvel article 51-1 de la Constitution prévoyant la reconnaissance de « droits spécifiques » aux groupes d’opposition et aux groupes minoritaires.

Nous avons d’ores et déjà mis en œuvre l’égalité de temps de parole entre la majorité et l’opposition pour toutes les séances qui relèvent de l’évaluation et du contrôle.

C’est désormais le cas en particulier pour les Questions au Gouvernement, tel que cela existait avant 1981.

Les missions d’évaluation et de contrôle, comme celles de suivi de l’application des lois, seront conduites à parité par un député de la majorité et un député de l’opposition.

Un « droit de tirage » permettant aux groupes d’opposition d’obtenir la création de commissions d’enquête, une fois par session au moins, sera reconnu.

Autant d’avancées considérables, complétées par d’autres, qui vont beaucoup plus loin que tout ce qui a déjà été mis en place précédemment.

C’est la première fois, dans l’histoire parlementaire de notre pays, que l’opposition disposera d’un ensemble de droits et de garanties aussi importants.

Mesdames, Messieurs,

Par toutes ces réformes du fonctionnement de l’Assemblée nationale, par toutes ces avancées en faveur de l’opposition, nous pouvons aboutir à une réforme gagnant-gagnant.

Gagnant pour l’efficacité et l’image du travail parlementaire, gagnant pour la vitalité de notre démocratique et la qualité du débat.

En tant que président de l’Assemblée nationale, je souhaite et je m’engage pour que le Parlement réussisse sa mutation et ce grand rendez-vous démocratique.