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16/09/2009 – Ouverture du colloque « Le discours de Jacques Chaban-Delmas sur la Nouvelle Société, un projet pour demain ? »

Monsieur le Ministre, Cher Jacques Delors,

Monsieur le Ministre, Cher Jean Charbonnel,

Mes Chers Collègues,

Mesdames et Messieurs

Je suis particulièrement heureux de vous accueillir ici, à l’Assemblée nationale, dans cette salle Victor Hugo au cœur de l’immeuble Jacques Chaban-Delmas

Le colloque qui nous réunit, et dont j’ai l’honneur d’ouvrir les travaux, s’annonce passionnant. Passionnant, non seulement au regard de l’importance historique de l’événement dans notre vie parlementaire et politique, mais aussi – et je dirais presque « à l’évidence » – au regard des correspondances entre ce moment, cette analyse, ce projet, et l’époque actuelle. Car s’il est une chose qui frappe à la lecture du discours que Jacques Chaban-Delmas prononça ici, ou plutôt de l’autre côté de la rue, il y a aujourd’hui même quarante ans, c’est bien la modernité de l’analyse, du projet, et du style, oui, la modernité par définition intemporelle.

L’action politique n’est pas pure action, elle s’inscrit dans une chaîne, et le geste politique lui-même fait le lien entre la cause et le but, entre les raisons et le désir, les circonstances et le projet - C’est la réflexion, qui, en politique comme ailleurs, donne à l’action tout son poids, et tout son sens. C’est pourquoi je me réjouis que l’Assemblée nationale, au delà de son rôle strictement institutionnel, soit aussi le lieu de cette réflexion, d’une réflexion qui suspende pour quelques heures la dictature de l’instant, malgré l’urgence sempiternelle et irrépressible des agendas. Cette réflexion, cette promenade au détour de notre Histoire, c’est encore une façon, indirecte, distanciée, comme dans le reflet des miroirs, de réfléchir à nous-mêmes. A nous-mêmes, c’est-à-dire aux enjeux politiques de la France d’aujourd’hui -

c'est-à-dire l’essentiel.

Aussi, c’est très chaleureusement que je tiens à remercier les initiateurs et organisateurs de ce colloque et tous ceux, aux qualités les plus éminentes, qui ont accepté d’y participer.

Je remercie en particulier Jean-Jacques Chaban-Delmas, Jean-François Sirinelli, Jean Garrigues.

Le discours du 16 septembre 1969 est très certainement l’un des discours de politique générale les plus marquants de la Vème République. Bien plus qu’une formalité institutionnelle, Jacques Chaban-Delmas a su faire de ce passage obligé devant les députés un moment politique, et cela bien au-delà du cercle important, mais néanmoins restreint, du gouvernement et du parlement. Un moment politique qui demeure dans les mémoires, et qui résonne encore aujourd’hui.

Dans ce discours remarquable, tout ce qui compte pour une grande Nation est là.

Le rang de la France, l’Etat, l’économie, la promotion sociale par le progrès et la diffusion du savoir…

En un mot « l’humanité » telle que l’ont conçue tous ceux qui ont fait la France.

La richesse de ce discours ouvre à ses commentateurs mille entrées. Pour ma part, je ne peux, faute de temps n’en évoquer que deux :

D’abord le caractère volontariste et modernisateur du projet de Jacques Chaban-Delmas.

Je dirais ensuite quelques mots du contexte politique et institutionnel dans lequel ce discours a été prononcé, et des résonances actuelles de certains débats ou enjeux du moment qui restent d’une étonnante actualité, telles l’ouverture ou la « prééminence » présidentielle.

La « Nouvelle Société » est d’abord un projet volontariste et modernisateur

Un pays, comme le nôtre, aussi politique, aussi cartésien, a besoin, périodiquement, d’un véritable projet mobilisateur, un projet porteur, à la fois, de valeurs fortes et d’objectifs concrets, un projet collectif qui donne sens et cohérence à l’action publique.

Tel a été programme de Belleville présenté en 1869 par Gambetta et les républicains : En sont issues toutes les grandes réformes de la France de la fin du XIXe et du début du XXe siècle : l’école laïque, gratuite et obligatoire, la liberté de la presse, la loi de 1901 sur les associations, la séparation des églises et de l’Etat, la conscription, l’impôt sur le revenu.

Tel a été le programme du Conseil National de la Résistance, mis en œuvre à partir de 1945 avec la création de la Sécurité Sociale, la nationalisation de l’énergie et du crédit ou la création des comités d’entreprises

Tel a été l’effort de redressement national entrepris à la naissance de la Ve République : Indépendance nationale, stabilité des institutions, modernisation économique et justice sociale. Toutes ces réformes qui ont, enfin, permis à la France « d’épouser son siècle » selon la formule du Général de Gaulle.

Le projet de la « Nouvelle Société » s’inscrit, incontestablement, dans le droit fil de ces grands projets modernisateurs.

Il entend reprendre et prolonger la modernisation économique, sociale, administrative engagée sous la présidence du Général de Gaulle, en particulier pour donner un contenu à l’idée de la Participation.

Comme le Général de Gaulle, Jacques Chaban-Delmas était persuadé que la France, si elle voulait conserver son rang, son modèle social, son art de vivre, devait être capable de se rénover, de se ré-inventer, en permanence, comme elle l’a fait depuis ses origines.

Qu’était-ce, en effet, que la « Nouvelle Société » pour Jacques Chaban-Delmas, sinon comme il l’a dit lui-même, je cite : « un projet fondé sur la conviction que l’homme, s’il veut conserver intact ses valeurs, doit être capable d’un changement permanent, qu’à défaut d’une égalité générale et absolue, d’ailleurs irréalisable, il faut sans relâche travailler à établir l’égalité des chances. »

Cette leçon, nous devons continuer à la méditer.

Sans cesse, nous devons anticiper, réformer, rénover les structures politiques, sociales, économiques de notre pays. C’est à ce prix que nous pourrons affronter les défis et les mutations du nouveau siècle.

Le constat dressé par Jacques Chaban-Delmas d’une « économie fragile », d’un « fonctionnement » trop souvent défectueux de l’Etat, de structures sociales « conservatrices et archaïques », reste – malgré, d’innombrables avancées importantes depuis 1969 - encore d’actualité.

L’analyse de Jacques Chaban-Delmas, inspirée aussi bien de Tocqueville que des travaux des sociologues contemporains les plus éminents, demeure pertinente.

Mais le discours sur la nouvelle société, c’est une analyse, c’est aussi un programme. Un programme ambitieux, largement mis en œuvre depuis.

En effet, loin d’être le discours prétendument « flou » critiqué par certains, le projet de « Nouvelle Société » a été, pour une grande partie, traduit dans la loi et dans les faits.

Il convient de saluer, particulièrement, l’œuvre sociale accomplie par Jacques Chaban-Delmas. Elle est aussi « capitale », selon l’historien René Rémond, dans l’histoire de notre pays que celle du Front Populaire ou de la Libération.

Et ce programme, ces voies proposées en 1969 par Chaban pour moderniser la France d’alors sont encore pertinentes en 2009.

Une meilleure formation scolaire et professionnelle, la réforme de l’Etat, l’amélioration de la compétitivité nationale, le rajeunissement des structures sociales restent en effet, à mon sens, d’actualité.

Ces voies sont d’ailleurs celles dans lesquelles se sont engagées les réformes voulues par le Président de la République, conduites par le gouvernement depuis mai 2007.

Mais le discours sur la « Nouvelle Société », ce sont aussi des débats et des enjeux actuels.

Mesdames, Messieurs,

Je voudrais, maintenant, rapidement, replacer le discours du 16 septembre 1969 dans le contexte politique et institutionnel d’alors.

Certains débats, certains enjeux de cette période trouvent une étonnante résonance aujourd’hui. Je pense, en particulier, à la question de l’ouverture ou celle de la présidentialisation de la Vème République.

Tout d’abord la question de l’ouverture.

Que veut dire « l’ouverture », en 1969 comme en 2009 ? C’est la volonté et la capacité de rassembler les hommes de bonne volonté autour d’un projet et de réformes nécessaires.

L’ouverture, le Général de Gaulle l’avait pratiquée en 1958.

« Ouvert aux contacts, éclectique quant aux idées », selon le portait qu’en a tracé le Général de Gaulle, tout en soulignant sa « rectitude » et sa fidélité, Jacques Chaban-Delmas ne pouvait qu’être enclin à rechercher le rassemblement le plus large pour mener à bien son projet.

Avec le discours sur la « Nouvelle Société », ce que propose Jacques Chaban-Delmas aux responsables du centre-gauche, aux sociaux-démocrates, convaincus de cette nécessaire modernisation de la société française et qui refusent de céder aux vieilles lunes du collectivisme marxiste, c’est d’accompagner la majorité sur un projet d’avenir.

Le discours sur la « Nouvelle Société » intervient sur fond de crise profonde, politique et intellectuelle, de la gauche française.

La gauche socialiste est alors éparpillée à travers plusieurs formations. La gauche communiste reste dominante aussi bien électoralement qu’intellectuellement.

Pour autant, Jacques Chaban-Delmas est convaincu qu’écartée depuis onze ans des responsabilités, la gauche socialiste finira, un jour ou l’autre, par s’unifier et par signer un programme de gouvernement avec les communistes.

Aussi souhaite-t-il au plus vite se rapprocher des sociaux-démocrates, qui pourraient se laisser séduire par les sirènes de la gauche.

Le Président Pompidou, qui a déjà réalisé l’ouverture vers les centristes à l’occasion de l’élection présidentielle croît, quant à lui, utile de s’en tenir là.

L’ouverture manquée, autour du projet de « Nouvelle Société », aura une autre conséquence, comme par défaut.

François Mitterrand s’en inspirera, trois ans plus tard, pour réaliser l’Union de la Gauche entre socialistes et communistes, autour du Programme commun.

Non, l’ouverture n’est pas une invention de Nicolas Sarkozy. Voulue par Chaban en 1969, elle a été pratiquée de nombreuses fois, à l’occasion de grandes ruptures politiques, comme en 58 ou en 81.

Mais il est un autre enjeu de la « Nouvelle Société » commun à 1969 et 2009 ; c’est la question de l’équilibre institutionnel entre le Président de la République et le Premier ministre.

Là encore la prééminence du Chef de l’Etat, ou selon un mot à la mode « l’hyperprésidence », ne date pas de 2007.

Georges Pompidou disait, je le cite : « Parmi ce que le Général de Gaulle a laissé de meilleur à la France, il y a la prééminence du Président ».

Pour lui, il revient au Président de la République, élu par la Nation au suffrage universel, non seulement de fixer les grandes orientations de la politique du pays, mais également de s’assurer, directement, de leur mise en œuvre.

La conviction de Georges Pompidou est claire, je le cite à nouveau: « Je crois que nous n’avons pas d’autres alternatives que le retour camouflé mais rapide au régime d’assemblée ou l’accentuation du caractère présidentielle de nos institutions. »

De fait, les observateurs de l’époque l’ont souligné, Jacques Chaban-Delmas l’a reconnu, lui-même, dans ses « Mémoires », le discours sur la « Nouvelle Société », de par son ambition et sa hauteur, relevait davantage de la parole présidentielle que de celle du Premier ministre.

Sur la forme, l’ampleur de ce discours ne pouvait que troubler le Président de la République, d’autant qu’il a été très tardivement informé de son contenu.

Sur le fond, le Chef de l’Etat, tout aussi soucieux de moderniser le pays, ne partageait pas, loin s’en faut, on le sait, la philosophie portée par la formule de « Nouvelle Société ».

Ce discours portait en lui le risque de déplaire. Un risque qui ne pouvait se résoudre qu’en défaveur du premier ministre. L’issue est connue, en juillet 1972, quelques jours à peine après avoir obtenu la confiance très large de l’Assemblée nationale, Jacques Chaban-Delmas remet sa démission au Président de la République.

Cette « prééminence » présidentielle, inscrite dans les textes par les constituants, et dans les faits par la pratique présidentielle, s’est sans doute renforcée au fil des réformes constitutionnelles, en particulier par l’instauration du quinquennat et l’inversion des calendriers électoraux.

De ce point de vue, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 n’a pas changé l’équilibre établi de longue date entre les deux têtes de l’exécutif.

Le Président fixe le cap, le Gouvernement met en œuvre, le reste est affaire de personnalités et de méthodes.

Nous n’avons pas changé de République, et c’est aussi pour cela que le discours du 16 septembre 2009 est, quarante ans après, toujours d’actualité, car l’intelligence et l’audace tout comme la générosité et la volonté, ces qualités de Jacques Chaban-Delmas ne peuvent être atteintes par le temps.

Telle est la modernité.