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29/05/2010 – Allocution sur la crise économique et financière comme défi pour l’Union européenne et les États membres (Rencontre trilatérale des Bureaux de l’Assemblée nationale, du Bundestag et de la Diète polonaise à Essen)

Monsieur le Président du Bundestag, cher Norbert Lammert,

Monsieur le Président de la Diète polonaise et Chef de l’État par intérim, cher Bronislaw Komorowski,

Mes chers collègues,

Il est particulièrement significatif que la première réunion commune des bureaux du Bundestag, de la Diète polonaise et de l’Assemblée nationale française puisse se tenir aujourd’hui, moins de deux mois après la catastrophe de Smolensk, pour laquelle je tiens à nouveau à vous exprimer, Monsieur le Maréchal, à vous-même et, à travers vous, à la nation polonaise, toutes les condoléances de l’Assemblée nationale.

Je tiens à vous féliciter de nouveau, cher Norbert Lammert, au nom de toute la délégation que je conduis, pour la parfaite organisation de cette réunion historique.

Il me revient d’aborder maintenant un thème qui est au cœur de l’actualité européenne puisqu’il concerne la crise économique et financière, véritable défi pour l’Union européenne.

L’enchaînement des crises financières depuis l’été 2007, et la crise économique qui en a résulté, sont les plus graves que l’Europe ait eu à affronter depuis les débuts de la construction européenne.

L’Union européenne a dû mobiliser les capacités décisionnelles de ses institutions et de ses membres pour construire une réponse collective à la mesure de la gravité de la situation.

Les pays européens ont été inégalement affectés par les difficultés propres au secteur bancaire et financier, puis par le recul de l’activité économique et la montée du chômage. Mais au-delà des spécificités nationales, l’interdépendance toujours profonde de nos économies fait du choc subi par chacun, un défi pour tous.

Désormais, cette crise financière, puis économique et sociale, s’est transformée en une crise de la dette et des finances publiques. Face à cette situation tout à fait inédite dans laquelle certains titres de dette souveraine européenne suscitent la méfiance, l’état d’urgence s’impose en Europe.

Après l’adoption du plan de stabilisation de la zone euro de 750 Mds € le 9 mai dernier, plan auquel nous remercions la Pologne d’avoir bien voulu participer en plus des États de la zone euro, nous devons aller plus loin pour regagner la confiance.

1/ Il importe tout d’abord de mettre en place une gouvernance stricte et claire des politiques macro-économiques dans l’Union européenne, et en particulier au sein de la zone euro.

2/ Nous devons ensuite publier, pays par pays, des perspectives claires de trajectoires pluriannuelles, de maîtrise des finances publiques, de respect des règles de convergence et, surtout, des volumes d’émission de dette dans les prochaines années.

3/ Il nous faut très vite mettre en place les réformes structurelles nécessaires afin de renforcer à la fois la compétitivité et la croissance.

4/ Nous devons également travailler ensemble à renforcer la transparence des marchés. Il n’est pas normal qu’en l’état actuel de la législation, certains produits dérivés comme les « Credit default swaps » servent davantage à spéculer qu’à se couvrir. Il conviendrait également d’adopter ensemble des mesures contre les ventes à découvert sur tous les marchés.

5/ Enfin, je crois qu’il serait approprié de créer une agence européenne de régulation des marchés.

Cette crise a donc donné une actualité nouvelle au débat récurrent sur la gouvernance économique en Europe.

À cet égard, il ne semble guère pertinent de distinguer entre un gouvernement économique de la zone euro, à seize, et une gouvernance économique de l’Union à vingt-sept : c’est bien à vingt-sept que des solutions se construisent, avec un degré d’intégration plus élevé en ce qui concerne les seize États de la zone euro.

Les instruments existants – le « Pacte de stabilité et de croissance » et la « stratégie de Lisbonne » - n’ont pas conduit, jusqu’à présent, de coordination suffisante des politiques budgétaires et structurelles.

La stratégie de Lisbonne 2000-2010 est en voie d’être remplacée par la stratégie « Europe 2020 » : une stratégie de la sortie de crise et du retour de la croissance, une stratégie de la croissance durable et riche en emplois.

La France, l’Assemblée nationale sont attachées à ce que cette stratégie comporte un pilier européen fort, l’affirmation d’une politique industrielle européenne, le renforcement de la dimension externe de la stratégie, la poursuite et l’intensification des réformes du secteur financier, et une attention particulière accordée à la cohésion sociale.

Depuis la fixation, par le Conseil européen du mois de mars, des principaux axes de la stratégie « Europe 2020 », et suite à l’adoption successive du plan de soutien à la Grèce et d’un instrument financier pour la zone euro doté de moyens considérables, la définition du champ du « gouvernement économique européen » s’est véritablement précisée.

Le groupe de travail intergouvernemental présidé par M. Van Rompuy a débuté ses travaux le 21 mai dernier. Ses propositions devront, en particulier, tracer la voie d’un renforcement du Pacte de stabilité et de croissance, définir un dispositif de gestion des crises et renforcer la gouvernance économique pour agir plus vite et plus efficacement.

Ces axes de réflexion rejoignent ceux qu’avaient proposés le Président Nicolas Sarkozy et la Chancelière Angela Merkel, dans leur lettre commune adressée au début du mois de mai au Président Van Rompuy et au Président de la Commission européenne : un renforcement de la surveillance budgétaire, comportant des sanctions plus efficaces et améliorant la cohérence entre les procédures budgétaires nationales et le Pacte ; l’élargissement de la surveillance aux questions structurelles et de compétitivité ; un cadre robuste de résolution des crises et, avant tout, un renforcement du contrôle des statistiques, vont constituer les piliers du nouvel édifice.

Dès lors, quelle est la place des assemblées parlementaires dans cette entreprise ?

L’attention s’est focalisée ces derniers jours sur les réactions à la proposition, formulée le 12 mai par la Commission européenne, de mettre en place un « semestre européen » de surveillance des politiques budgétaires et structurelles, et plus spécifiquement sur la question de l’examen, « en amont », des grandes lignes des projets de budgets nationaux au niveau européen avant l’adoption des budgets par les Parlements des États.

Le schéma proposé par la Commission européenne est le suivant :

Chaque État membre tiendrait compte des orientations stratégiques fixées en début d’année par le Conseil européen des Chefs d’État et de Gouvernement pour l’élaboration de son « programme de stabilité et de convergence » - qui concerne la politique budgétaire, dans le cadre du Pacte de stabilité – et dans l’élaboration de son « programme national de réformes » - qui concerne les politiques structurelles, dans le cadre de la « stratégie de Lisbonne/Europe 2020 ».

Les États membres seraient invités « à faire participer leurs parlements nationaux à ce processus » avant que les programmes nationaux de stabilité et les programmes nationaux de réformes ne soient présentés au niveau de l’Union.

Plus précisément, s’agissant du volet budgétaire, la Commission propose « un système d’examen en amont des budgets nationaux par les pairs » au premier semestre de l’année, avec, pour la zone euro, des recommandations par pays adoptées par l’Eurogroupe sur la base d’une évaluation de la Commission.

Cette proposition de la Commission européenne est intéressante. Il est logique d’associer au concept de gouvernance économique un « droit de regard » de chaque État membre sur les choix de ses partenaires qui sont susceptibles d’avoir un impact sur l’économie de leurs voisins et sur l’Union toute entière.

Si l’évaluation présentée par la Commission européenne se limite à un avis, et apporte à chaque Parlement des éléments d’information permettant la comparaison des évolutions nationales, la souveraineté des autorités nationales dans l’adoption de leurs budgets ne serait pas remise en cause.

En ce qui concerne la procédure budgétaire française, je soutiens la proposition qui a été faite au sein de notre Assemblée de voter chaque année, au mois de juin, lorsque nous tenons en séance plénière le traditionnel « débat d’orientation budgétaire », une loi pluriannuelle des finances publiques contenant les engagements pris par la France auprès de la Commission européenne et de ses partenaires européens.

La contribution des parlementaires à la réflexion ne saurait se limiter à une position « défensive » de vigilance au nom de la souveraineté nationale. Nous devons également jouer un rôle « positif ».

Par l’adoption des mesures de régulation et de supervision financières, par la prise en considération de la dimension européenne dans leurs travaux, nos parlements nationaux n’ont, bien sûr, pas attendu 2010 pour jouer un rôle actif dans la réponse de l’Europe à la crise. Dès le mois d’octobre 2008, j’ai ainsi pris l’initiative, avec le Président du Sénat, de créer un groupe de travail commun sur la crise financière internationale. Avant chaque réunion du G20, le groupe a transmis au Gouvernement des propositions de réforme du système financier international.

La double fonction de légiférer et de réfléchir est plus que jamais pertinente pour le parlement. Pour l’avenir, ils devront développer leur propre dispositif de concertation et d’échanges pour former un acteur du futur système de coordination des politiques économiques.

* *

Mes chers collègues,

Ne nous trompons pas, nous vivons un moment essentiel de la grande aventure européenne.

Si nous ne voulons pas que l’année 2010 soit celle de la victoire des spéculateurs et du recul de l’Europe, mais celle d’une progression historique de la construction européenne, il faut qu’un véritable « gouvernement économique» soit en place d’ici la fin de cette année.

Non, il ne s’agit pas de mener cette démarche à son terme pour « plaire » aux marchés financiers même si la restauration de la confiance des marchés dans l’économie « Europe » est, certes, l’objectif immédiat. Mais oui, l'enjeu se trouve bien plus dans la confiance des citoyens européens. La crédibilité du gouvernement économique européen, les valeurs européennes de solidarité et de stabilité qui le guideront seront jugées par les citoyens des pays de l’Union européenne.

Nous devons affirmer que la crise grave que nous traversons aujourd’hui ensemble constitue une formidable opportunité de faire avancer l’Europe. Le sentiment d’urgence est partagé par tous, la volonté politique est affirmée au plus haut niveau, le projet européen peut et doit trouver un nouvel élan.

Les 500 millions de citoyens des vingt-sept pays de l’Union européenne, le premier marché économique du monde ont besoin de l’Europe, une Europe plus solide.

Nos parlements apporteront leurs parts démocratiquement légitimes à cette ambition. Je vous remercie.