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04/06/2010 – Allocution autour du thème « Par la gestion des risques, contribuer à la stabilité financière, l’équilibre social, le développement durable » (Congrès des 80 ans de l’ISFA à Lyon)

Messieurs les Présidents,

Monsieur le Directeur,

Chers amis,

Mesdames, Messieurs,

Le thème de notre réflexion aujourd’hui (« Par la gestion des risques, contribuer à la stabilité financière, à l’équilibre social et au développement durable ») m’apparaît d’autant plus majeur qu’il est au cœur de l’actualité politique et économique de notre pays.

J’en veux pour preuve un certain nombre de faits que je voudrais rappeler devant vous aujourd’hui :

Toutes ces réunions et décisions témoignent bien de la volonté de la puissance publique de tout mettre en œuvre pour stabiliser l’activité, et redonner confiance. Pour soutenir, aussi, le retour de la croissance sur un sentier socialement et financièrement durable. Pour éviter, enfin, de laisser se reproduire l’accumulation de déséquilibres, macroéconomiques et financiers, qui furent à l’origine de la crise.

Mais, les États et les institutions internationales ne peuvent pas, à eux seuls, produire ce bien public mondial qu’est la stabilité financière internationale. Ils doivent s’appuyer aussi, et surtout, au plan micro-économique, sur l’expertise de ces professionnels de la gestion du risque que sont les actuaires. Ces professionnels, encore trop souvent méconnus en France, n’en jouent pas moins un rôle essentiel, aussi bien dans le domaine de la stabilité financière qu’en matière de protection des épargnants et des assurés.

***

Mesdames et Messieurs,

I - Tout d’abord, il me semble important de souligner que la gestion des risques ne peut contribuer à la stabilité financière, à l’équilibre social et au développement durable, que si la question du risque systémique est efficacement traitée, au niveau national et international.

A/ L’enchaînement des crises depuis l’été 2007 constitue l’une des épreuves les plus graves que l’Europe ait eu à affronter depuis les débuts de la construction européenne.

De même que l’ampleur et la profondeur de cette crise ont suscité, au niveau mondial, des décisions d’une portée sans précédent, l’Union européenne a dû mobiliser ses capacités décisionnelles pour apporter une réponse collective, à la mesure de la gravité de la situation.

Les pays européens ont été inégalement affectés par les difficultés des secteurs bancaire et financier, puis par le recul de l’activité économique. En 2009, le recul du PIB a été d’environ 4 % pour l’ensemble de l’Union européenne. Cette moyenne recouvre des évolutions diverses, ainsi que des disparités importantes de situation en terme de taux de chômage.

Mais au-delà des spécificités nationales, l’interdépendance toujours plus profonde de nos économies fait du choc subi par chacun, un défi pour tous.

L’heure est particulièrement grave pour l’Europe puisque la crise financière, puis économique, puis sociale, s’est transformée en une autre crise, celle de la dette et des finances publiques.

Face à cette situation tout à fait inédite, où certains titres de dette souveraine européenne suscitent la méfiance, l’état d’urgence s’impose en Europe.

B/ Après l’adoption le 9 mai dernier, du plan de stabilisation de la zone euro à hauteur de 750Mds€, nous devons encore aller plus loin pour regagner la confiance.

1/ Il importe tout d’abord de mettre en place d’ici la fin de l’année un véritable gouvernement économique de la zone euro qui permette une plus grande coordination budgétaire, ainsi qu’une meilleure prévention et gestion des crises. La création du groupe de travail présidé par M. Van Rompuy, lequel rendra ses conclusions en octobre 2010, de même que la communication du 12 mai 2010 de la Commission européenne, constituent des initiatives très utiles en ce sens. J’ai, pour ma part, rencontré en fin de semaine dernière à Essen mon homologue M. Norbert Lammert, Président du Bundestag. Nous sommes convenus d’accroître la coopération entre nos deux institutions au service d’une stratégie de stabilité et de croissance européenne. A cet effet, nous avons institué une concertation réciproque systématique des Commissions compétentes de l’Assemblée et du Bundestag dans le domaine budgétaire et de la régulation des marchés financiers.

2/ Nous devons ensuite publier, pays par pays, des perspectives claires de trajectoires pluriannuelles de finances publiques et, surtout, des volumes d’émission de dette pour les prochaines années.

3/ Il nous faut très vite mettre en place les réformes structurelles nécessaires au renforcement de la compétitivité et de la croissance. Si les réformes structurelles sont bien ciblées et leur rythme approprié, amélioration de la compétitivité, retour progressif à l’équilibre budgétaire et soutien à l’activité ne sont, en aucune manière, des notions antinomiques.

4/ Nous devons également veiller ensemble à accentuer la transparence des marchés. Il n’est pas normal qu’en l’état actuel de la législation, certains produits dérivés – comme les « Credit default swaps » – servent davantage à spéculer qu’à se couvrir. Il conviendrait donc d’adopter des mesures encadrant davantage la vente de ces produits et de mieux réglementer la pratique des ventes à découvert sur tous les marchés.

5/ Enfin, je crois qu’il serait approprié de donner rapidement toutes ses suites, au sein de l’Europe, au rapport de Jacques DE LAROSIERE, qui nous fait le grand honneur d’être avec nous aujourd’hui. Les réticences du Royaume-Uni sur certains aspects du rapport, publié le 25 février 2009, ont certes atténué la portée de quelques recommandations du projet de Règlement communautaire adopté par le Conseil, et actuellement en cours de négociation au Parlement européen. Mais les progrès accomplis sur le plan des principes, et, ceci, s’agissant de l’Union européenne, en un temps record, sont d’ores et déjà remarquables. Je suis sûr que Jacques DE LAROSIERE nous fera profiter de sa vision très claire des enjeux et de l’état des discussions au niveau européen.

C/ Ces efforts nationaux et européens doivent être complétés par des initiatives politiques ambitieuses au niveau international.

D’ores et déjà, sous l’impulsion de la France et du Président de la République Nicolas Sarkozy, le G20 travaille activement à la réduction des « trous noirs » de la régulation internationale. Sur la question des « centres off shore » et des paradis fiscaux, des progrès notables ont été enregistrés. Les travaux du G20 concernant la mise en place de chambres de compensation pour les produits dérivés échangés de gré à gré, progressent également. Ils favoriseront, en cas d’accord, une plus grande transparence, ainsi qu’une meilleure sécurisation du fonctionnement de certains marchés.

Quelle que soit la situation sur les marchés financiers, la communauté financière internationale doit prendre garde à ne pas relâcher ses efforts de réforme de la régulation financière. Comme vous le voyez, tel n’est pas le cas en France où les choses ont progressé rapidement depuis deux ans.

Il faut néanmoins également se prémunir du risque de vouloir « sur-réguler » les activités, lorsque celles-ci sont déjà bien encadrées. Je note à cet égard avec satisfaction, que le rapport sur le risque systémique, remis le 14 avril dernier par Jean-François LEPETIT à Christine LAGARDE, considère que le secteur de l’assurance « ne semble pas aujourd’hui inciter à une accumulation excessive de risques ». J’y vois, pour ma part, le signe que l’approche actuarielle a su résister aux pressions de dérégulation excessive, encore à la mode il y a quelques années. Elle a permis aux responsables en charge du suivi des risques, de savoir dire « non » quand il le fallait. Et c’est ce point que je voudrais maintenant développer.

Pour conclure, je souhaite insister sur le fait qu’être actuaire, c’est aussi savoir dire « non », lorsque l’on doit faire respecter par son entreprise, le niveau de risque approprié. Et ce n’est pas facile, car cela demande de faire preuve à la fois de technicité, de lucidité, d’indépendance d’esprit et parfois de courage.

Toutefois, la montée en puissance, au sein de l’entreprise, de la fonction de « Chief Risk Officer », m’invite à un certain optimisme. Suite à la crise, ce responsable devra désormais bénéficier d’une position plus indépendante et plus élevée au sein de l’entreprise, afin de pouvoir faire remonter tout problème significatif aux principales instances de gouvernance, y compris aux Conseils d’administration et de surveillance.

Je crois que la place des actuaires dans l’entreprise bénéficiera de cette attention accrue accordée au suivi des risques.

Pour remplir sa mission, essentielle à la défense de l’intérêt public et auquel se réfèrent tant son code de déontologie que le programme des connaissances et compétences qu’il doit acquérir, un actuaire doit en effet savoir manier la rigueur de l’approche mathématique et la lucidité, et reconnaître que la réalité est toujours plus complexe que ce que nous disent les modèles. La récente crise financière nous rappelle qu’il faut savoir rester modeste face à l’avenir et admettre que tout n’est pas prévisible, malgré des modèles très sophistiqués et dont les hypothèses de validité sont parfois un peu vite oubliées.

C’est ce mélange de rigueur, d’indépendance d’esprit et d’humilité qui nous est aujourd’hui indispensable afin d’éviter la répétition de ces enchaînements systémiques qui ont provoqué la récente crise financière internationale.

Le législateur et le pouvoir réglementaire ont également un rôle majeur à jouer dans ce domaine. Ils doivent, en effet, permettre aux actuaires de bénéficier d’un environnement professionnel porteur, pour pouvoir exercer pleinement les responsabilités éminentes qui sont les leurs.

Et c’est donc à cette condition, un environnement juridique approprié permettant aux qualités humaines de rigueur et d’indépendance d’esprit d’exprimer tout leur potentiel en matière de contrôle des risques, que notre système de gouvernance actuarielle contribuera véritablement, pour reprendre les termes du colloque de ce jour, à « la stabilité financière, l’équilibre social et au développement durable ».