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26/08/2010 - Neuvième conférence Europe-Afrique (Annecy-Fondation Mérieux)

Monsieur le Premier Ministre,

Messieurs les Ministres,

Monsieur le Directeur général de l’OMC,

Monsieur le Président d’honneur de l’Institut Aspen,

Monsieur le Secrétaire général,

Monsieur le Directeur général adjoint de l’AFD,

Mesdames, Messieurs,

Je suis très heureux d’ouvrir ce déjeuner de la 9e conférence internationale Europe-Afrique de l’Institut Aspen et de retrouver ici certains d’entre vous que j’avais eu le plaisir d’accueillir à l’Assemblée nationale. Je tiens à remercier chaleureusement de son invitation, Michel Pébereau, Président de l’institut Aspen, ainsi qu’Alain Mérieux, Président de BioMérieux qui nous accueille aujourd’hui dans sa Fondation. Je connais depuis longtemps l’engagement déterminé de sa famille, depuis plusieurs générations, aux côtés de nos amis africains.

Votre présence illustre l’intérêt majeur que représente le continent africain aujourd’hui. Je m’en félicite d’autant plus que l’Afrique m’est chère : c’est en effet dans un petit et superbe pays d’Afrique de l’est, niché sur les hauts plateaux, le long du Lac Tanganyika, que j’ai exercé en tant que jeune médecin, il y a hélas déjà bien longtemps.

Mon expérience du Burundi m’a profondément marqué aux plans humain, professionnel et géopolitique. Sur ce continent envoûtant le poids des facteurs sanitaires, démographiques, culturels, historiques et politiques ont contribué à distinguer l’Afrique, ces deux dernières décennies, d’autres régions, dans le monde dit « en développement ». L’Afrique subsaharienne a en effet amorcé la première phase de sa transition démographique, celle de la baisse de la mortalité, avec retard. Elle paie encore, malheureusement, un lourd tribut aux grandes endémies. La phase de réduction de la fécondité ne va pas manquer de s’engager. Elle suivra certainement la même voie qu’en Chine, au Brésil, en Inde ou dans les autres grandes régions du monde. Pourquoi existerait-il une exception africaine sur ce point ? Entre-temps le continent comptera deux milliards d’habitants en 2050 ; nous y voyons un atout et non une charge.

Mais ce facteur confronte le continent africain à de redoutables défis. Il est aggravé par des crises, de différentes natures à l’origine de migrations plus ou moins incontrôlables, ces problèmes créent des situations de pauvreté urbaine et rurale, qui peuvent nourrir en retour les extrémismes religieux et politiques.

L’Afrique quelque cinquante ans après les indépendances, est un continent dont les ressources naturelles considérables et le dynamisme démographique constituent donc, à l’heure de la mondialisation, des atouts majeurs. Ils suscitent convoitises et rivalités et parfois même pillages : autant de défis à relever pour les autorités politiques des pays africains.

Le thème que vous avez choisi, « Mondialisation et construction du marché intérieur africain », est un sujet apparemment technique, dont je suis loin d’être un expert. Je vais donc vous parler de ce que je connais, c’est-à-dire de la dimension éminemment politique de cette question. Et je crois qu’elle est essentielle.

Tout marché en effet a besoin de règles. Et les règles renvoient à la notion d’Etat de droit. La construction d’un marché intérieur fait, emblématiquement, écho à l’expérience européenne. Ainsi les critères de Copenhague insistent-ils sur l’importance d’un Etat de droit, préalable à tout élargissement du marché intérieur. Et il n’est nul besoin d’être expert pour comprendre que la réalisation d’une telle ambition politique requiert courage, ténacité et engagement, comme l’a rappelé hier l’ancien Premier Ministre de la Côte d’Ivoire, Charles Konan Banny c’est bien, en Afrique comme ailleurs, le leadership politique qui entraîne l’économique, positivement ou négativement. Cela exige donc des hommes politiques une forte volonté, avec pour objectif la mise en œuvre de réalisations concrètes, de celles qui créent « d’abord une solidarité de fait », comme l’ont voulu les Pères de l’Europe. Cela exige du temps, plusieurs générations comme l’a dit Pascal Lamy ce matin même.

Je voudrais partager avec vous trois convictions personnelles.

1/ Ma première conviction concerne l’articulation du social et de l’économique : les questions d’assistance, à ne pas confondre avec les exigences humanitaires, ne sauraient être la seule priorité des politiques de développement. Elles ne prennent, le plus souvent, tout leur sens et toute leur efficacité, que conjuguées à la recherche d’une meilleure insertion dans les flux de la mondialisation, et aussi bien sûr, par la construction progressive d’un véritable marché intérieur, dont l’Afrique doit tirer parti.

C’est ce que démontre brillamment Amartya SEN, prix Nobel d’économie en 1998, dans son ouvrage « Development as Freedom ». Il insiste sur l’accroissement des libertés que permet le développement économique en allégeant les servitudes matérielles. SEN introduit ainsi une dimension éthique dans le développement, la liberté constituant à la fois le but ultime de l’économie et le meilleur moyen d’atteindre le bien-être matériel. Il met l’accent sur l’importance de la réalisation de projets à taille humaine, qui constitue, je crois, le facteur clé du succès des politiques de développement. Ces projets concrets permettent des expérimentations. Ils favorisent de réels transferts de capacité administrative, technique ou sanitaire sur le terrain. S’ouvre par la suite la possibilité de les réaliser à plus grande échelle, et de permettre de saisir les opportunités offertes par la mondialisation.

A cet instant, je voudrais insister sur ce qui constitue pour moi une conviction. La mondialisation, pour les plus grands acteurs, s’articule souvent autour de transferts de technologies. Il s’agit même d’un des enjeux majeurs de l’avenir du monde.

A mon sens, en ce domaine aussi, l’Afrique ne saurait faire exception. Aussi je crois que les projets africains faisant l’objet d’une intervention étrangère ou internationale, en tant qu’opérateur ou financeur, devraient davantage imposer des transferts comparables, adaptés aux spécificités africaines locales ou régionales.

Pour être plus précis, ces accords d’assistance, de partenariat, de coopération et surtout les accords commerciaux, devraient s’accompagner plus encore de transfert en matière de formation, de savoir faire, de technicité, de technologie, et même de sous-traitance locorégionale quand cela est possible, avec en outre le souci de la maintenance des investissements dans le temps. C’est une voie déjà engagée, il faut la conforter.

La recherche d’une diminution progressive des barrières douanières et d’une plus grande intégration entre pays africains est aussi l’une des priorités du continent. Parce qu’elle favorise les libertés, la liberté d’entreprendre, la liberté de commercer. Parce que face aux crises actuelles – financière, monétaire et des matières premières – elle désenclave et ouvre de nouveaux horizons.

L’enjeu d’une meilleure insertion de l’Afrique dans la mondialisation est ainsi devenu primordial, et compris par tous, moyennant la mise en place de certains mécanismes de régulation indispensables. Certes, la diminution des droits de douanes impose de renoncer à certaines recettes fiscalo-douanières. Et ce n’est malheureusement pas sans conséquence sur la situation budgétaire, déjà fragile, de certains Etats.

Cela se fera sans doute par petits pas puisque les échanges commerciaux des pays africains avec leurs voisins sont, en proportion, dix fois moins nombreux que ceux des pays européens avec leurs Etats limitrophes. Cela pose le problème récurrent du manque de mobilité des marchandises sur le continent, problème parfois lié à des questions de tradition culturelle ou de corruption. Mais, face à ces défis les États ne sont pas seuls. Il existe des instruments multilatéraux efficaces pour accompagner ces mouvements favorisant le développement des relations commerciales. C’est le cas d’« Aid for Trade » de la Banque mondiale ou du « Trade Integration Mechanism » du FMI par exemple, sans parler des multiples actions conduites en ce sens par l’OMC, ce dont Pascal Lamy vous a parlé ce matin.

Voilà pourquoi les politiques d’aide au développement doivent dépasser les seules questions de volumes de financement. Notamment dans le domaine social, où les actions ont parfois donné lieu à des excès dans les années 90. La logique du « tout social », ou d’assistance exclusive, non soutenue par la croissance économique, aboutit trop souvent à des impasses. A l’inverse, une logique de petits projets, aisément reproductibles et impliquant autant que possible des PME locales, apporte aux financements d’aide publique toute leur efficacité.

Les grands programmes centralisés par les administrations et les organisations multilatérales ont également bien sûr leur intérêt. Je pense au financement, vital pour l’économie régionale, d’infrastructures de transport, désenclavant certaines régions et facilitant les échanges. Je pense aussi à toutes les actions liées aux économies de réseaux : eau, électricité, énergie. L’efficacité des projets microéconomiques et de la mobilisation du tissu économique local s’en trouve renforcée.

2/ Ma deuxième conviction concerne l’importance du renforcement des règles de droit et de gouvernance.

La relative stagnation économique de certains pays d’Afrique subsaharienne génère des tensions politiques, qui sont sources de conflits internes et d’équilibres précaires. Le déchaînement de violence, qui peut en résulter dans des sociétés multi ethniques, précipite trop souvent ces économies stagnantes dans des crises sérieuses, d’autant que la mondialisation apporte elle-même de nouveaux fléaux, avec la multiplication des actes de piraterie ou la montée du terrorisme.

Face à ces enjeux couplés aux défis démographiques et sanitaires, les pays africains, comme tous les pays du monde, doivent veiller à améliorer constamment la qualité de leur gouvernance. Ils doivent prêter la plus grande attention à la qualité de leurs institutions, au plan national comme au plan régional et infranational, dans le domaine politique mais également économique ainsi que cela a été souligné hier. Leur dynamisme économique et commercial et leur insertion dans l’économie mondiale seront ainsi favorisés.

Je suis de ceux qui ne croient pas qu’une malédiction frapperait les pays du Sud. Au contraire, les exemples de prodigieux décollages économiques de « pays émergents », tels que la Chine, le Brésil ou l’Inde, sont si spectaculaires qu’ils peuvent même parfois inquiéter. En réalité, le recours fréquent, pour tenter de justifier l’échec économique dramatique de nombreux pays du Sud, à la mise en accusation des « forces du marché » de la mondialisation constitue, le plus souvent, un rideau de fumée, pour masquer des erreurs de politique économique ou des mécanismes de prédation et de pillage et de profits personnels. A mon sens, la plupart des pays en crise structurelle grave souffrent à l’évidence davantage d’isolement, d’une insuffisance de marché et d’une gouvernance défaillante que des excès de la globalisation. Et ceci est porteur de risques majeurs pour la stabilité et la sécurité mêmes de nos sociétés.

Dans ces conditions, l’aide au développement doit, de plus en plus, répondre à une double préoccupation : d’une part, celle d’un développement effectif des pays du Sud; et d’autre part, celle des pays du Nord, pour qui la stabilité du monde, leur propre sécurité et la préservation de biens publics mondiaux comme l’environnement, sont des enjeux majeurs. La conférence de Copenhague a bien montré le caractère central de tous ces enjeux.

En tant que Président de l’Assemblée nationale, je veux insister sur cette intime conviction qui est la mienne : ces questions de gouvernance sont essentielles. D’elles dépend l’efficacité d’une économie, d’une société ou d’une politique de développement.

Ainsi la construction d’un ou de marchés intérieurs africains appelle-t-elle sans doute également des évolutions institutionnelles significatives, du même ordre que celles que l’Europe a mises en œuvre au moment de la création du marché commun. L'Afrique, toute l’Afrique, a besoin de réalisations concrètes dans cette direction. Ce qui nécessite sans doute d’importantes évolutions politiques de gouvernance institutionnelle, qui ne sont jamais des chantiers faciles. Il revient, comme toujours, au politique de fixer le cap, y compris sur ces questions.

C'est pourquoi l’Afrique est au cœur de la politique de coopération interparlementaire mise en œuvre par l’Assemblée nationale. Nous recevons par exemple chaque année en visite d’études une vingtaine de délégations de parlementaires et de hauts fonctionnaires des Parlements d’Afrique francophone, sur les sujets les plus divers. Alors que les cessions de matériel notamment informatique sont habituelles, parallèlement, une dizaine de séminaires techniques sont organisés, sur place, chaque année. A titre d’exemple, en juin dernier, le directeur des finances publiques de l’Assemblée nationale s’est rendu à Libreville pour épauler l’Assemblée nationale du Gabon dans la mise en place de sa nouvelle loi organique sur les lois de finances. Le Président et le rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale du Mali ont été par ailleurs reçus toute une semaine par notre commission des finances, pour étudier nos pratiques en matière de contrôle de l’exécution du budget. Je pourrais citer bien d’autres exemples.

D’ailleurs, l’Assemblée nationale organise chaque année, en coordination avec le ministère des affaires étrangères, un séminaire régional à destination de tous les Parlements francophones d’Afrique subsaharienne.

En dépit des difficultés budgétaires actuelles, j’entends intensifier la politique de coopération interparlementaire de l’Assemblée nationale, en particulier avec l’Afrique subsaharienne. Peu d’actions sont davantage susceptibles de contribuer au renforcement de l’Etat de droit, condition d’un marché intérieur pleinement efficace, que l’appui aux Parlements.

3/ La troisième conviction, enfin, que je voudrais partager avec vous est que toute stratégie de développement est d’abord politique, relevant donc des États, et ne saurait reposer uniquement sur le rôle des ONG.

Parce que c’est bien de l’action des autorités politiques publiques que dépend, en premier lieu, le succès des stratégies de développement. Ces autorités publiques - ministères et agences de développement des bailleurs bilatéraux, banques multilatérales de développement, acteurs des pays bénéficiaires de l’aide - sont seules légitimes à coordonner l’action avec les administrations des Etats concernés.

Je ne sous-estime pas pour autant le rôle utile que les ONG jouent très souvent, au même titre que de grandes fondations privées nord-américaines par exemple. Leur professionnalisme, notamment sur le plan technique, est avéré et internationalement reconnu ; je pense notamment, dans le domaine de la santé, à la fondation « Bill et Melinda Gates », dont les budgets sont supérieurs à ceux de l’OMS, et dont le sérieux est incontestable. C’est aussi le cas d’une ONG telle que « Conservation International », une référence mondiale en matière de biodiversité. Ces organismes, à la place qui est la leur, doivent veiller à inscrire leur action dans un cadre harmonisé, transparent, qui dynamise par là même l’appropriation des réformes par les pays bénéficiaires, et ce, sans peser sur leurs capacités administratives.

Mesdames et Messieurs, pour conclure, je veux me réjouir des très bonnes perspectives de croissance du continent africain prévues par le FMI, dans un contexte international qui reste marqué par sa fragilité, en Europe comme aux Etats-Unis. L’Afrique doit, à ce titre aussi, et plus que jamais, prendre sa juste place dans la gouvernance mondiale, au sein du Conseil de Sécurité des Nations unies, du G20, des conseils d’administration de la Banque mondiale et du FMI. La France apportera tout son soutien au renforcement du poids de l’Afrique dans ces instances de gouvernance mondiale.

Je crois que le développement progressif, et régulé, d’un marché intérieur africain, conjugué au renforcement de l’Etat de droit, nous permettront de construire ensemble, comme le rappelle désormais notre Constitution, un espace économique de solidarité. Ainsi que l’a dit le Président de la République, « les destins de l’Afrique et de l’Europe sont liés » ; c’est donc avec détermination que la France continuera de s’engager aux côtés de nos amis africains. Et que nous continuerons de construire notre devenir commun, la gouvernance du 21e siècle, au service de la diversité culturelle, de la paix, de la démocratie et du développement. Ces objectifs seront au cœur de la prochaine présidence française du G8 et du G20.

Je vous remercie de votre attention.