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10/09/2010 - Discours introductif prononcé à Ottawa à l’occasion de la 9ème conférence des présidents de chambre basse des pays membres du G8

« L’évaluation de l’activité des Assemblées parlementaires internationales et des relations parlementaires internationales »

Madame et Messieurs les Présidents d’Assemblée,

En préambule, et en ma qualité de premier intervenant, je souhaite remercier chaleureusement, au nom de mes collègues, l’honorable Peter MILLIKEN, Président de la Chambre des Communes du Canada, qui nous accueille aujourd’hui.

Je souhaite également lui dire ma gratitude d’avoir accepté ma suggestion d’inscrire à l’ordre du jour de notre réunion du G8 parlementaire le thème de l’évaluation de l’activité des Assemblées parlementaires internationales et des relations interparlementaires, et de m’avoir proposé d’introduire la discussion sur ce sujet.

« Rien de ce qui touche aux relations d’un peuple avec ses voisins ne peut être préparé dans le tumulte d’une assemblée délibérante». Ce jugement sous forme de sentence date de 1902. Il résume sans nuance aucune l’idée d’une incompatibilité de nature entre Parlement et relations internationales. Ce qui donnait à ce jugement tout son poids à l’époque, est que, paradoxalement, on pouvait le lire sous la plume d’un défenseur des droits du parlement, Eugène Pierre, Secrétaire général de la Chambre des députés française et auteur d’un « Traité de droit politique, électoral et parlementaire » qui fit longtemps référence.

Aujourd’hui, qui oserait reprendre à son compte un jugement aussi lapidaire ? Mais l’idée demeure que le Parlement est, en diplomatie, davantage source de confusion et d’indiscrétions que d’initiatives heureuses. C’est contre ces critiques excessives que je voudrais d’abord m’élever pour défendre ici le rôle du Parlement comme acteur des relations internationales, aux cotés de l’exécutif. Comment pourrait-il en être autrement alors même que sont apparus et reconnus sur la scène internationale de nouveaux acteurs – ONG, entreprises, médias – qui n’ont ni la légitimité ni la représentativité des Parlements ?

L’exécutif n’a plus le monopole des relations, des contacts et des échanges avec l’étranger. Désormais, toute question économique, sociale, environnementale ou sécuritaire comporte une dimension internationale. En ces temps de mondialisation accélérée, il existe de moins en moins d’affaires strictement intérieures. Un parlementaire ne peut donc exercer pleinement son mandat sans se préoccuper de ce qui se passe au-delà des frontières.

Dans la nébuleuse de ce qui constitue aujourd’hui les relations internationales, il est un domaine qui s’est particulièrement développé ces dernières années, et notre réunion en porte témoignage, celui des relations interparlementaires. Et c’est plus précisément de ce domaine qu’il me revient de vous entretenir aujourd’hui dans sa double composante multilatérale et bilatérale.

La crise financière et économique a renforcé le besoin de coordination internationale. Le multilatéralisme apparaît à la fois comme un outil et un cadre d’action indispensables. Les Assemblées parlementaires internationales, auxquelles participent nos parlements, constituent des lieux d’expertises, d’échanges d’idées et d’expériences, de dialogue, permettant aux parlementaires de réfléchir à une échelle internationale.

Ces assemblées sont nombreuses, peut-être trop.

Certaines de ces assemblées internationales ont été créées dans un contexte historique particulier lié à la guerre froide : pour ne parler que de celles auxquelles la France appartient, je citerai l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe en 1949, l’Assemblée parlementaire de l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) en 1954, l’Assemblée parlementaire de l’OTAN en 1955. La doyenne de ces Assemblées, l’Union interparlementaire créée dès 1889, est l’une des rares à ne pas être adossée à une organisation intergouvernementale et la seule à avoir une vocation universelle. Certaines Assemblées plus récentes sont davantage liées à la problématique des droits de l’Homme et de l’Etat de droit. Puisque nous sommes au Canada, j’évoquerai bien sûr l’Assemblée parlementaire de la Francophonie créée en 1967, mais aussi l’Assemblée parlementaire de l’OSCE instituée en 1991. Enfin, s’agissant de l’Europe et des pays méditerranéens, aux côtés de l’Assemblée parlementaire euro-méditerranéenne, créée en 2004, qui réunit l’ensemble des pays de l’Union européenne et les pays riverains de la Méditerranée, on peut citer la toute nouvelle Assemblée parlementaire de la Méditerranée créée en 2006.

Cette addition d’assemblées internationales – et le dernier exemple est le plus frappant – soulève bien évidemment la question de la rationalisation de leurs compétences et de leur coordination.

Ces Assemblées sont d’abord et avant tout des assemblées politiques qui réagissent aux événements internationaux et traduisent leurs débats par le vote de résolutions ou de recommandations transmises aux gouvernements des Etats membres. Mais leur multiplicité soulève nécessairement des questions de coordination et d’efficience.

A titre d’exemple, je crois pouvoir dire, avec mes collègues européens, que la disparition programmée de l’Assemblée parlementaire de l’UEO est raisonnable, puisque l’organisation intergouvernementale à laquelle elle était adossée, l’UEO, n’existe plus. Sans doute faudra-t-il mettre sur pied une procédure souple permettant aux parlements nationaux de contrôler la politique européenne de défense : la réunion semestrielle des présidents des commissions de la défense des parlements de l’Union européenne, dans le cadre des présidences tournantes de l’Union, pourrait en être le support.

Les forums offerts par les Assemblées parlementaires internationales sont des lieux où la parole est sans doute plus libre que dans des enceintes intergouvernementales. En matière de droits de l’Homme par exemple, les parlementaires sont souvent plus prompts à dénoncer des situations face auxquelles nos ministres des Affaires étrangères, souvent tout aussi conscients de la réalité des faits, s’imposent néanmoins un langage plus nuancé et prudent, soucieux qu’ils sont de ménager à la fois un processus de dialogue et d’autres intérêts étatiques. Cette complémentarité entre enceinte parlementaire et enceinte des exécutifs est souvent utile et favorise à la fois synergie, efficacité et influence.

C’est en matière de démocratisation que l’apport des Assemblées parlementaires internationale est à mon sens fondamental. Les instruments les plus efficaces de la démocratisation sont moins l’exhortation ou la sanction que l’exemplarité, la mise en commun des savoir-faire, les relations directes, l’amitié et la fraternité que seuls les parlements peuvent mettre en avant. L’Assemblée parlementaire de la Francophonie par exemple, que je connais bien et dont je préside de droit la délégation française, a su développer des instruments efficaces pour aider à la construction de la démocratie parlementaire dans des pays dont l’histoire récente, le manque d’expérience ou de repères peuvent le justifier. Je pense aux missions de conseil sur l’organisation des opérations électorales ; je pense également aux séminaires de coopération parlementaire animés par des parlementaires sur des sujets comme le règlement d’une Assemblée, les droits de l’opposition ou le contrôle budgétaire ; je pense enfin à des rapports sur des sujets parfois sensibles, tels que les violences faites aux femmes ou l’application de la déclaration de Bamako sur la réalité de l’Etat de droit. La communauté d’approche entre parlements diminue les risques de malentendus et d’antagonismes, car il ne s’agit pas que les uns donnent des leçons aux autres mais que tous déterminent des références et des critères communs.

Cette exigence de démocratie ne s’applique pas seulement sur le plan national. La démocratie constitue la seule réponse légitime pour trouver une solution aux graves problèmes auxquels notre monde est confronté aujourd’hui : épuisement des ressources naturelles, réchauffement climatique, terrorisme… Les références aux solutions passées ne suffisent plus. Il nous faudra inventer des règles nouvelles. « La question est de savoir, s’interrogeait récemment l’ancien Secrétaire général de l’ONU, Boutros Boutros Ghali, si ces règles seront édictées par deux ou trois technocrates ou élaborées de manière démocratique dans le but d’éviter un néocolonialisme à l’échelle planétaire ». La démocratie dans la mondialisation est un défi politique majeur de notre temps. Ce processus implique une articulation entre le niveau national et la dimension internationale. Cela permet aux Assemblées parlementaires internationales, composées de parlementaires nationaux, d’assurer aux citoyens que les problèmes mondiaux sont traités en mobilisant des savoir-faire et des contributions proches de leurs préoccupations.

Camillo Cavour était bien fondé à soutenir que « la pire des chambres vaut mieux que la meilleure des antichambres ! ».

A l’heure où tous les pays doivent maîtriser la dépense publique, les parlements se doivent d’être exemplaires. Les assemblées parlementaires internationales ne sauraient se dispenser de cet effort. C’est dans cet esprit que j’ai donné instruction aux présidents des différentes délégations françaises d’être particulièrement attentifs aux évolutions budgétaires. Et je souhaite que cette préoccupation soit commune à l’ensemble de nos pays. C’est dans cet état d’esprit que l’Assemblée parlementaire de l’OSCE a renoncé en juillet dernier à l’augmentation de son budget prévue pour 2011. Oublier cette exigence, c’est risquer tôt ou tard de nourrir l’antiparlementarisme. Une action concertée en faveur de la modération des dépenses pourrait utilement être envisagée dans d’autres Assemblées parlementaires internationales.

Mais le coût pour chaque assemblée de son appartenance à une Assemblée parlementaire internationale ne réside pas seulement dans sa contribution à son budget. Il faut également financer le déplacement de ses délégations. Il est impératif que les Assemblées parlementaires internationales ne multiplient pas le nombre de leurs commissions ou groupes de travail, ou colloques…

Cependant, le problème n’est pas uniquement financier.

La multiplication des activités internationales pose avec acuité le problème de la disponibilité des parlementaires. Chacun convient qu’un travail utile est un travail où il existe un suivi. C’est pourquoi les délégations françaises, au sein des Assemblées parlementaires internationales, sont désignées pour les cinq ans que dure la législature en France et leurs membres sont bien souvent renouvelés d’une législature à l’autre : la spécialisation ainsi acquise est un atout. Mais ces parlementaires en viennent à ne plus pouvoir suivre le rythme des réunions. Cette difficulté est aggravée par l’éparpillement géographique des lieux de réunion.

Je voudrais également évoquer les réunions interparlementaires, ponctuelles ou le plus souvent récurrentes, organisées à l’initiative d’ONG, d’associations ou de réseaux interparlementaires divers qui s’ajoutent à la participation de nos parlements aux Assemblées parlementaires internationales.

Même si les thèmes de ces réunions correspondent souvent à des préoccupations légitimes de la communauté internationale, je m’interroge sur le bien-fondé de ce qui m’apparaît comme un foisonnement échappant à tout contrôle.

Depuis le début de notre législature en 2007, j’ai été destinataire de près d’une quarantaine d’invitations de ce type. Il est important d’ajouter que ces activités, contrairement à celle des Assemblées parlementaires internationales, échappent largement à toute prévision budgétaire.

En ce temps de crise où le devoir d’exemplarité des parlements revêt une importance particulière, nous devons, à mon sens, faire preuve de la plus grande rigueur dans les traitements des invitations émanant de ce « secteur informel » des relations parlementaires internationales. Il pourrait d’ailleurs se révéler utile de mettre en place, au niveau des parlements du G8, une procédure officieuse de consultation préalable qui nous permettrait de mieux apprécier l’opportunité de participer à une réunion interparlementaire de ce type, et, dans la mesure du possible, de coordonner nos réponses respectives.

Je serai beaucoup plus bref sur l’évaluation des relations parlementaires bilatérales, qui relèvent de la compétence propre à chaque assemblée.

En revanche, nous pourrions certainement tirer profit d’un échange de bonnes pratiques, et je serais heureux de savoir comment ces relations bilatérales sont gérées dans vos assemblées respectives.

A l’Assemblée nationale, les relations parlementaires bilatérales se font pour l’essentiel par le canal des groupes d’amitié, dont l’activité est strictement encadrée. La création de ces groupes est soumise à conditions et doit être autorisée par le Bureau ; la même autorisation est requise pour effectuer une mission à l’étranger ou recevoir une délégation étrangère et l’approbation d’un programme annuel d’activité permet en outre de s’assurer que les dépenses engagées à ce titre ne dépasseront pas les crédits disponibles. Sauf pour les pays les plus proches, un même groupe peut organiser au maximum une mission et une réception par législature ; une alternance entre missions et réceptions doit obligatoirement être respectée ; l’effectif des délégations envoyées ou reçues est plafonné et la composition politique de nos délégations est équilibrée.

Pour conclure mon propos, nous devons faire preuve d’imagination et de sagesse afin de concilier deux objectifs : d’une part, développer l’action parlementaire internationale pour fortifier la démocratie ; d’autre part, veiller à ce que cette expansion se fasse de façon ordonnée, sans éparpillement, source de gaspillage des compétences et des moyens financiers.

Je vous remercie de votre attention.