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16/12/2010 – Le rôle des sciences dans la société française (Palaiseau – Ecole Polytechnique)

Mon Général,

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

Je remercie Monsieur Adam BAIZ pour ses mots de bienvenue. C’est un réel plaisir d’intervenir aujourd’hui devant vous, ici à Palaiseau, où, comme au Palais Bourbon en 1794, à l’Hôtel de Lassay de 1795 à 1805, puis sur la Montagne Sainte-Geneviève jusqu’en 1976, de brillantes générations d’étudiants et de professeurs se succèdent depuis plus de deux siècles.

C’est une voie singulière, celle de l’excellence, que vous avez choisie. C’est aussi une lourde responsabilité, une responsabilité éthique, une responsabilité scientifique, une responsabilité politique également, au sens noble du terme, car vous avez, bien sûr, une place à occuper dans la vie de la cité.

Chaque promotion de votre prestigieuse école prête d’ailleurs allégeance à la Nation, et votre engagement « pour la patrie, les sciences et la gloire » est une mission républicaine exigeante.

Vous m’avez invité à intervenir sur le vaste thème de la place et du rôle des sciences dans la société française. J’en suis heureux pour plusieurs raisons.

La première est cette conviction profonde qui m’anime depuis longtemps : du progrès de la science et de nos connaissances, les fondements mêmes de notre civilisation et de notre histoire républicaine, dépend l’avenir de l’humanité. C’est la recherche scientifique qui déterminera l’avenir de la France. Et il n’y a, à mes yeux, de plus grande et plus belle aventure que celle des progrès de l’esprit humain.

La seconde raison tient à mon parcours personnel. L’essentiel se trouve au cœur de mon métier, dans une spécialité médicochirurgicale, l’ORL, au carrefour des sens, des fonctions vitales et de communication. Cette alchimie complexe a précédé mon entrée en politique et m’a conduit à l’Assemblée nationale, que j’ai aujourd’hui l’honneur de présider : un équilibre entre la passion de la science, celle de la médecine, de la chirurgie, et le souci de l’autre, qui m’a beaucoup appris.

Cette mission, exaltante et exigeante, qui est la mienne aujourd’hui, je la remplis armé de cette conviction qui se renforce au fil du temps: le respect et l’estime de l’autre, en médecine comme en politique, n’offrent pas d’alternative à la vérité. Tenir un discours de vérité, gage d’efficacité et, par la force des choses, de courage est l’une des vertus cardinales qui, à mes yeux, fondent l’engagement et l’action en général, l’action politique en particulier.

Je me reconnais dans le pragmatisme de Malraux qui disait devant l’Assemblée nationale : « On peut toujours dire qu’il existe une terre de la félicité. Cela n’a d’intérêt que si on peut prendre un bateau pour y aller ». André Malraux ajoutait : « Pour l’instant, de même qu’un gouvernement est d’abord fait pour gouverner, une loi est d’abord faite pour aider quelqu’un à faire quelque chose ».

« Pour l’instant » donc, nous vivons un moment particulier de l’histoire, celui de l’accélération du temps. Des mutations rapides, incessantes et profondes bouleversent tous les pans de la vie : le travail, la famille, les relations sociales, le vieillissement de la population, les migrations, l’environnement, l’énergie, les technologies, les communications… ; en somme, la plupart des données sociologiques et de nos connaissances.

Ces bouleversements planétaires enclenchent entre les nations une véritable bataille de l’intelligence. Pour relever les immenses défis technologiques, scientifiques, sociétaux qui s’imposent à l’humanité, la seule réponse possible est la mise en commun de tous les efforts, de tous les savoirs, de toutes les intelligences.

Ce tournant de l’histoire que nous vivons nous impose le changement. L’immobilisme n’est pas une option. Il nous faut adapter notre pays aux réalités nouvelles. Cet impératif changement, si nous voulons éviter que la France tourne le dos à l’Histoire, nous devons l’anticiper, inventer des temps nouveaux. Des temps nouveaux que vous pourrez, avec l’audace de la jeunesse et l’excellence de votre formation, marquer de votre empreinte.

Aussi suis-je particulièrement heureux de pouvoir, avant de prendre le temps de vous écouter et d’échanger avec vous, vous livrer quelques convictions personnelles que mon expérience professionnelle et politique m’a permis de forger au fil du temps.

*

I. La première de ces convictions s’énonce simplement : la science et le progrès sont la clé de notre avenir.

Face à la complexité du monde, parier sur l’intelligence et le développement des connaissances, c’est préparer l’avenir des générations futures. Et cet enjeu est un enjeu collectif.

Il y a 150 ans, les grandes réalisations techniques faisaient entrer notre pays dans la modernité industrielle. Aujourd’hui, ce sont les percées scientifiques, les sauts technologiques qui permettront à notre vieille Nation de continuer à faire partie du petit groupe de pays les plus avancés, ceux qui développent la connaissance. La question majeure qui se pose aujourd’hui est bien celle de la place de la science au 21e siècle.

Le progrès scientifique est source d’avancées pour l’ensemble de la société : pour la santé, pour la qualité de vie, pour le développement durable. C’est bien par le progrès technique que nous préparerons l’avenir de la France, une France innovante, une France confiante dans ses atouts, une France qui refuse le repli sur elle-même.  C’est par le progrès scientifique, les progrès de la Recherche que notre société résoudra bien des énigmes de notre temps.

Le basculement du monde survient dans le contexte particulier d’une crise économique mondiale. Cette crise brutale, d’une ampleur sans précédent depuis 1929, nous assène des leçons, elle nous place aussi face à des impératifs incontournables.

La dette de la Nation s’élève à quelques 1 600 Milliards d’euros, 83% du PIB. Au surplus, la France doit emprunter chaque jour plus de 400 Millions d’euros. Ces chiffres sont astronomiques. 1 600 Milliards d’euros, c’est l’équivalent de 25 000 Airbus A320, de 110 000 rames de TGV, ou de 20 siècles de budget d’un département comme le mien, la Haute-Savoie. C’est aussi l’équivalent de la construction d’autoroutes couvrant une longueur équivalente à la distance de la Terre à la Lune.

La France, l’Europe, les Etats-Unis sont tous concernés par l’ampleur de ces déficits publics, même s’ils proviennent parfois de dérives du secteur privé, et par la crise de la dette. Le plan de sauvetage de 85 milliards d’euros en faveur de l’Irlande, adopté il y a quelques jours, en atteste, après celui du sauvetage de la Grèce.

La reprise mondiale s’amorce, elle reste fragile, la crise n’est pas encore derrière nous. C’est dans ce contexte qu’en France les Pouvoirs publics ont fait des choix stratégiques ; ils me paraissent inspirés d’une vision de l’avenir lucide et courageuse. C’est là, je le crois, le fondement de l’action politique : une vision lucide de l’état du monde qui puisse inspirer, insuffler un élan, et stimuler les forces vives de la Nation. Les réformes actuellement mises en oeuvre pour dynamiser notre compétitivité visent un cap stratégique volontariste dont notre pays a besoin.

La bataille sera rude, parce que la compétition internationale devient de plus en plus âpre, parce que de nouvelles puissances, qui comptent près de trois milliards d’hommes et de femmes, près de la moitié de l’humanité, émergent. Elles aspirent désormais, légitimement, aux premières places de la communauté internationale. Il s’agit d’une mutation historique majeure.

Le Premier ministre François FILLON l’a récemment évoqué dans son discours devant les Ingénieurs et Scientifiques de France : « un basculement de grande ampleur est en train de s’accomplir sous nos yeux. S’il se prolonge en suivant cette dynamique actuelle, dans une génération, l’essentiel des ingénieurs se trouvera en Chine et en Inde ».

Cette prise de conscience est salutaire. La France manque d’ingénieurs. Comme au lendemain de la Révolution, lorsque le Comité de Salut public confia à Gaspard MONGE, Jacques-Elie LAMBLARDIE et Lazare CARNOT la mission de fonder l’« Ecole centrale des travaux publics », la future Ecole Polytechnique. La République doit prendre conscience qu’elle a besoin d’ingénieurs. Elle a besoin de chercheurs et de scientifiques pour conquérir de nouveaux titres à sa réputation d’excellence.

2. Dans ce contexte, l’urgence politique est de « former ceux qui déplaceront les frontières des connaissances ».

L’ambition de la France, renforcée par la crise, est la compétitivité de notre pays. Aux avant-postes de cette ambition : la formation, l’enseignement supérieur, la recherche.

Notre pays a besoin de cette culture du savoir pour mener à bien des projets de plus en plus complexes, pour permettre à nos entreprises de tenir leur rang sur la scène internationale et de créer les emplois de demain. Au-delà, et plus que jamais en ces temps de scepticisme, de relativisme, de défaitisme, il a également besoin de citoyens qui considèrent la culture scientifique comme indispensable à celle de l’ « honnête homme » du 21e siècle.

Pasteur déjà, en recevant Napoléon III dans les locaux de la Sorbonne, lançait cet appel d’une grande lucidité : « Prenez intérêt, je vous en conjure, à ces demeures sacrées que l’on désigne du nom expressif de laboratoires. Demandez qu’on les multiplie et qu’on les orne : ce sont les temples de l’avenir, de la richesse, du bien-être. »

Il faudra pourtant attendre 1896 pour que soit votée la première loi d’encouragement à la recherche scientifique. Depuis, que de progrès accomplis, et quelle prise de conscience dans la société !

La France de 2010 se tourne résolument vers l’avenir, en augmentant l’effort en faveur de la recherche, malgré l’impératif de maîtrise de la dépense publique et de la dette.

Ainsi, sur les 35 milliards d’euros qui seront affectés à des investissements d’avenir, 19 seront consacrés à l’Enseignement supérieur et à la recherche, dont 7,9 milliards précisément à la Recherche. Cet élan, historique, donné à la recherche sur la base du rapport JUPPÉ-ROCARD de décembre 2009, puisque, comme l’a rappelé le Président de la République, c’est « de l'investissement que naît le progrès technique, moteur de la croissance ».

Notre Nation investit dans l’intelligence : elle fait un grand pari sur l’avenir, elle mise sur votre capacité, sur notre capacité à participer à cette transformation du monde.

Notre pays, vieille nation universitaire, sait que le savoir n’est nullement un capital qu’on thésaurise, mais une richesse vivante et, pour ainsi dire, une énergie.

Mais entendons-nous. Dans le monde ouvert d’aujourd’hui, il ne s’agit évidemment pas de nous replier dans une frilosité nationale. C’est à l’échelle du monde que nous devons travailler en considérant l’échange comme un enrichissement à tous les sens du terme.

La loi sur l’autonomie des universités, votée par le Parlement en 2007, est l’un des moyens d’action et d’ouverture mis en œuvre pour libérer cette énergie. Au 1er janvier 2011, 75 de nos universités, soit neuf sur dix d’entre elles, auront accédé au régime de l’autonomie. Aux côtés de mesures telles que le Crédit Impôt Recherche, cette loi s’inscrit dans une dynamique confortant la France dans la bataille de la connaissance.

Le Gouvernement fait confiance à nos chercheurs, dans leurs initiatives comme dans leur quête de partenariats internationaux. Nous faisons confiance à la recherche, une recherche libre et indépendante. Cette confiance n’est pas un vain mot ; car sans la confiance, rien n’est possible.

La rénovation et l’équipement de nos lieux de savoir, et en particulier le Campus de Saclay, est l’une des priorités du grand emprunt.

Ce projet technologique de niveau mondial sera pleinement opérationnel en 2020 dans le cadre de la loi sur le Grand Paris.

Je sais qu’il reste beaucoup à faire pour améliorer encore le campus de Saclay. Tel est le cas notamment dans le domaine de l’aménagement et des transports. Mais comme l’a dit, il y a longtemps, Léonard de Vinci : « tout obstacle renforce la détermination. Celui qui s’est fixé un but n’en change pas ».

Ce campus, qui rassemblera 12 000 chercheurs et 30 000 étudiants, vous y travaillez déjà, avec 22 établissements.

L’Ecole Polytechnique a commencé à conclure des partenariats, avec notamment l’université Paris Sud, HEC, avec de nouveaux centres de recherche, des entreprises et des pôles de compétitivité.

Ces partenariats, je vous encourage à les multiplier encore à l’avenir, en direction de la recherche et de la technologie. Ils résoudront bien des problèmes, ils porteront bien des projets. Nos compatriotes sont parmi les plus inventifs et les plus imaginatifs. Notre pays investit beaucoup dans leur formation initiale, mais ne récolte pas toujours suffisamment les fruits de cet investissement. C’est malheureusement souvent par indifférence à l’égard de nos inventeurs et de nos entrepreneurs. Beaucoup de progrès ont été faits. Mais beaucoup reste à faire.

Il faut décloisonner, décloisonner les structures, mettre en place des alliances et des fondations, rapprocher les savoirs tout en respectant leur diversité : tels sont quelques-uns des objectifs qui témoignent, avant tout, de la confiance que la France place en ses universités, grandes écoles et grands établissements.

S’engager pour la formation de nouvelles générations de scientifiques, décloisonner les disciplines, c’est encourager une recherche orientée sur les projets, une recherche plus compétitive et ouverte à l’international. Certains d’entre vous viennent de l’étranger. Mes déplacements dans le monde m’ont appris de façon éclatante que cette expérience française initie des partenariats internationaux exceptionnels et particulièrement féconds. J’ai pu le constater notamment au Brésil. Plus que jamais, l’heure est aux synergies !

Mesdames, Messieurs,

3. Politiquement, je crois, que le progrès scientifique est un enjeu collectif.

Stimuler, insuffler de nouvelles impulsions, c’est le rôle de l’Etat avec l’appui de tous, c’est le rôle du Parlement.

C’est ainsi que les parlementaires ont pris part, en 2009, à l’élaboration de la stratégie nationale de recherche et d’innovation, qui se décline en trois axes principaux :

Ces thématiques animent particulièrement le débat légitime sur les risques scientifiques. Si nier la place éminente de la science dans la cité, ses apports et ses bienfaits, est absurde, la science a naturellement besoin d’être encadrée.

Les scientifiques et les politiques ont en partage le souci du bien commun, de l’intérêt général. Il y a en effet des valeurs communes à la recherche, aux sciences et à la démocratie. Il y a une éthique de la science, principe résumé magistralement par Rabelais : « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

C’est dans cette logique que le Parlement dispose, depuis la révision constitutionnelle de 2008, de nouveaux moyens pour exercer sa mission.

Ainsi, l’Assemblée nationale s’est-elle dotée d’un Comité d’Evaluation et de Contrôle des politiques publiques. Ce comité, que je préside, évalue régulièrement, de manière approfondie, non seulement les politiques publiques, mais aussi l’application de certaines dispositions législatives, en particulier leurs impacts juridiques, économiques, financiers, environnementaux ou scientifiques.

Son premier rapport a porté sur l’évaluation de la mise en œuvre du principe de précaution, inscrit à l’article 5 de la Charte de l’Environnement et donc dans notre Constitution depuis 2005. Cinq ans après sa constitutionnalisation, ce principe, qui avait soulevé des débats passionnés, suscite encore des interrogations sur ses conséquences dans certains domaines, et parfois même plus que des interrogations.

La démarche de précaution est nécessaire, elle s’impose aux autorités publiques comme une forme d’engagement à la vigilance. Elle est aussi facteur de progrès lorsque l’application de son principe donne lieu à un supplément de recherches destinées à évaluer la réalité de risques hypothétiques. Mais, mal compris, mal interprété, ce principe peut aussi être mal appliqué. Il peut freiner, voire bloquer le progrès scientifique et l’innovation, pourtant moteurs de nos sociétés contemporaines comme de l’économie de notre pays. Je pense, en particulier, aux secteurs des biotechnologies et des nanotechnologies et même des télécommunications, trois domaines dont les applications technologiques et industrielles sont cruciales pour notre pays.

Il revenait à l’Assemblée nationale d’être au cœur du débat sur le principe de précaution que suscite notamment son extension, imprévue par certains, redoutée par d’autres, de son application du domaine environnemental au domaine sanitaire. Ce travail parlementaire a permis de déterminer dans quelle mesure il convenait de préciser la signification de ce principe, de le délimiter et d’améliorer sa mise en œuvre.

C’est à mes yeux d’autant plus essentiel que le climat de suspicion à l’égard des sciences et des technologies de pointe, qui se propage au sein de notre société, est un phénomène préoccupant. Paradoxalement, ce climat de défiance demeure vif même lorsque des études scientifiques indépendantes démontrent l’innocuité de nouvelles technologies.

Ces phénomènes de peurs collectives déclenchées par de grandes crises sanitaires se propagent depuis les années 80. Aujourd’hui, les sujets qui cristallisent la peur sont nombreux : les champs électromagnétiques et les antennes de radiotéléphonie mobile, les lignes à haute tension, les OGM ou les nanotechnologies. Sans nier les conséquences sanitaires négatives, parfois dangereuses de certains développements, notre époque semble avoir perdu toute capacité d’acceptation du risque. L’effondrement de la confiance au sein de notre société explique en partie ces phénomènes de peurs collectives, auxquels s’ajoute une crise de confiance à l’égard des experts.

Ne nous y trompons pas : ces peurs collectives, cette méfiance vis-à-vis des experts et cette insécurité juridique ne sont pas sans conséquence. Nous avons inversé la charge de la preuve et il revient désormais au progrès technique de prouver sa totale innocuité avant même qu’il soit advenu. Avec l’interdiction de fait de certains sauts technologiques sur notre territoire à laquelle cette situation conduit, c’est bien le progrès, non seulement scientifique, mais également économique et social, qui pourrait en souffrir.

Pour illustrer d’un exemple concret cette dérive, je citerai celui des OGM : que s’est-il passé dans notre pays dans ce domaine précis de la recherche ? En 1997, il y avait en France 115 cultures végétales d’organismes génétiquement modifiés en pleins champs. En 2007, il n’ y en avait plus que 11. Aujourd’hui, il n’y en a plus. Il s’agit pourtant d’un domaine décisif pour la lutte contre la faim dans le monde et l’avenir de l’humanité.

Mesdames et Messieurs,

Le pouvoir et le savoir ne doivent pas rester étrangers l’un à l’autre, le dialogue entre nos deux sphères est devenu une exigence stratégique. C’est lui qui favorisera la synthèse des nouveaux enjeux environnementaux et économiques. Replacer la science au cœur de la société, favoriser le rapprochement entre les responsables politiques et les scientifiques, placer davantage d’ingénieurs et de scientifiques aux côtés de responsables publics me paraît indispensable.

Dans cette perspective, l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, un organe bicaméral, présidé en alternance par un député et un sénateur, a noué en 2005 un partenariat avec l’Académie des sciences. L’objectif est de réunir deux mondes trop souvent indépendants alors qu’ils sont en réalité profondément interdépendants. Des jumelages ont été constitués à cet égard.

Faire dialoguer ces deux mondes est particulièrement nécessaire, notamment dans un domaine aussi délicat que la bioéthique. Le débat parlementaire s’en trouve enrichi.

Quelle science en effet, sinon la recherche sur le vivant, nous oblige à réfléchir davantage à la morale ? Assistance à la procréation, recherche sur l’embryon, neurosciences ne peuvent se développer sans en dessiner les limites qui protègent non seulement l’intégrité physique de l’individu, mais aussi le respect de la personne humaine.

C’est pourquoi la France s’est dotée depuis une quinzaine d’années d’un arsenal juridique. Il vise à éviter tout risque de dérive dans le respect de la dignité humaine, celui de la liberté de disposer de son corps, et à préserver toute atteinte majeure de l’humain. Il n’existe pas d’atteinte mineure, car toute atteinte est de nature à remettre en question la nature même et l’identité de l’être humain.

En somme, la bioéthique veille à concilier les apports immenses du progrès, de la recherche dans le respect de la morale.

La première loi de bioéthique en 1994 a posé des principes, leurs fondements étant l’inviolabilité du corps humain et la non commercialisation des organes, tissus, ou produits humains.

En France, le corps humain, sous quelle que forme que ce soit, ne peut en aucun cas être commercialisable. Depuis 1994, parce que le progrès l’exige, ces dispositions sont révisées tous les cinq ans : le prochain débat parlementaire s’ouvrira à l’Assemblée nationale le 8 février 2011.

Il me revient en mémoire une anecdote symbolique dont je voudrais vous faire part : en 2003, en hommage aux donneurs d’organes, à l’initiative du Député et Professeur de chirurgie, mon ami Jean-Michel DUBERNARD, alors Président de la Commission des Affaires culturelles, Denis CHATELIER, premier greffé des deux mains et des deux avant-bras, a planté, dans le parc de l’Assemblée, un Gingko Biloba, surnommé « l’arbre de vie », seule espèce végétale ayant survécu au bombardement d’Hiroshima du 6 août 1945.

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Mesdames et Messieurs,

Pour créer davantage de confiance dans la science et stimuler toutes les initiatives privées ou publiques qui peuvent en découler, plutôt que d’évoquer les craintes qu’elle suscite, il suffirait, je le crois, d’évoquer plus souvent, et dès le plus jeune âge, les prodiges de la science.

En quarante-cinq ans de médecine, j’ai vu progresser cette science bien au-delà de ce que je n’aurais pu imaginer. Etudiant, j’aurais qualifié d’utopique un chirurgien qui m’aurait déclaré vouloir confier un bistouri à un robot.

Aujourd’hui, avec la robotique chirurgicale couplée à l’imagerie, utilisée dans de nombreuses interventions s’ouvrent de nouvelles pages de la grande et belle aventure de la chirurgie qui remonte à la nuit des temps.

Lutter contre l’ignorance, lutter contre la désinformation, faire en sorte que la voix des scientifiques puisse porter davantage au sein de notre société est, à mon sens, une impérieuse nécessité.

Renouer avec la rationalité ne paraît pas impossible dans notre pays, où nous avons assimilé la foi de Pascal, la méthode de Descartes, la sagesse de Montaigne, l’esprit de Voltaire, sans oublier le positivisme d’Auguste Comte et de Saint-Simon. Je pense même que c’est une exigence pour contrer certains mouvements, non dénués d’ambiguïté philosophique et politique aux relents d’obscurantisme inquisitorial.

Mesdames et Messieurs,

Vos compétences individuelles, vos qualités spécifiques, votre contribution sont une chance pour notre pays, pour tenter de réconcilier nos concitoyens avec les sciences, avec le progrès scientifique et technologique.

II. La seconde conviction que je voulais partager avec vous est que la seule valorisation de la science ne saurait suffire pour relever les défis colossaux qui sont les nôtres. Car la science se heurte à la réalité économique et financière de notre pays : la préservation de notre compétitivité et de notre attractivité est la condition première du maintien de la place de la France dans le monde.

C’est une course de vitesse qui a commencé. Nous la remporterons si la France renforce sa puissance industrielle. Si notre pays dispose des moyens de répondre concrètement aux défis de la gestion des ressources naturelles, de la santé, du développement durable, des transports, de l’énergie, des communications.

Investir dans des domaines stratégiques, les secteurs d’avenir, est un choix politique, c’est surtout une responsabilité.

Depuis 1974, la part de l'investissement dans la dépense publique est passée de 12,5% à 7,5% en France. Le financement des dépenses courantes a constamment prévalu sur l'investissement au détriment de l'innovation, de la compétitivité et de l'emploi. Pour permettre à notre pays de profiter pleinement de la reprise qui s’amorce, le grand emprunt prévoit un effort massif dans des secteurs porteurs de croissance et d'emplois. Ces investissements d’avenir sont sources de croissance durable, ils ouvrent des perspectives.

Après les grands choix d'investissement des années 60-70 dans le nucléaire, le TGV, Airbus, ou l’espace, qui font aujourd'hui la force de la France, les investissements d’avenir contribueront à lancer les grands projets industriels de demain.

Ces grands projets sont d’autant plus à portée de main qu’ils sont soutenus par un volontarisme politique fort et que la France dispose d’atouts, de compétences, de talents. Le rapport de la commission Attali 2, remis au Président de la République le 15 octobre dernier, le rappelle. Ces atouts sont notre vitalité démographique, nos grands groupes industriels internationaux mais aussi nos PME innovantes, qui tirent leur épingle du jeu mondial. Ce sont aussi des entreprises du CAC 40, dont la moitié occupe les trois premières places mondiales dans leur secteur. Ces atouts se conjuguent à la troisième destination qu’est la France pour les investissements directs à l’étranger, et jusqu’à présent, la première destination mondiale pour le tourisme international.

Les réussites françaises sont multiples :

Les chercheurs, les scientifiques, les mathématiciens français se distinguent sur la scène internationale. Notre système de santé est mondialement reconnu. Le potentiel français est conséquent, il faut en prendre conscience. Ne cédons pas à ce mal français si préoccupant : l’autodénigrement.

Mesdames, Messieurs,

1/ Le premier de nos atouts, ce sont les hommes et les femmes, c’est notre richesse humaine.

Poser la question du rôle des sciences dans la société, c’est poser avant tout la question de la formation, de la place des enseignements scientifiques dans notre système éducatif.

Raisonner sur le long terme pose nécessairement la question de la formation des générations à venir. C’est un enjeu capital pour notre Nation.

La réforme de notre système éducatif poursuit deux grands principes, vous les incarnez, vous les appliquez : il s’agit de l’excellence et de l’égalité des chances. Nous, Français, en sommes convaincus : l’école de la République doit porter les élèves, ses élites, le plus loin possible, et ne laisser personne au bord du chemin.

Relancer la promotion sociale de l’école à l’enseignement supérieur, lutter contre le déterminisme social, est notre priorité ; ce sont des objectifs de long terme : le temps de l’éducation est un temps long.

En ce domaine également, la compétition est rude. L’évaluation, les comparaisons internationales nous le démontrent.

Les résultats de la 4e étude PISA, publiés la semaine dernière sont dans tous les journaux : notre école perd des places symboliques. Et si les scores des collégiens français réalisés en sciences sont stables, le niveau en mathématiques régresse : ces six dernières années, la France est ainsi passée du groupe des pays les plus performants de l’OCDE à celui des pays se situant à la moyenne. Et là encore, les pays asiatiques, la Chine en tête, occupent désormais les premières places.

L’une des solutions à apporter ne consisterait-elle pas à susciter un appétit, dès l’école, en particulier pour les sciences ?

Enrayer la désaffection que subissent les sciences chez les plus jeunes, encourager les vocations scientifiques, notamment les vocations féminines, développer la culture scientifique, conditionnera notre compétitivité sur le long terme. Ce sera l’objet du « plan sciences à l’école », que le Ministre de l’Education nationale présentera début 2011.

Un mot si vous le voulez bien sur les mathématiques, à l’heure où les chercheurs français portent le prestige français à son plus haut niveau. J’ai eu le plaisir d’inviter à l’Assemblée nationale, Yves MEYER, qui a remporté le prix Gauss, ainsi que Cédric VILLANI et Ngo BAO CHAU qui, comme d’autres chercheurs français en mathématiques du Plateau de Saclay, ont décroché des médailles Fields.

Face à la réforme qui prévoit de réduire le nombre d’heures d’enseignement des mathématiques au lycée, nos plus grands mathématiciens plaident pour le temps : il est essentiel de « donner du temps au temps, pour être capables de faire de bonnes mathématiques », m’ont-ils dit dans mon bureau avant d’être longuement applaudis en séance publique sur tous les bancs de l’hémicycle.

« A-t-on, par cette réforme, voulu punir les mathématiques, comme on a auparavant puni le latin ou le grec parce qu’ils avaient trop longtemps servi d’outil de sélection? » m’a également interrogé l’un d’entre eux.

C’est là un exemple concret de questions, de débats essentiels, pour lesquels le dialogue entre le politique et le scientifique peut être fertile, un champ où le politique peut et doit intervenir.

2/ Mais la seule valorisation de la science ne suffit pas, car d’autres paramètres entrent en jeu :

Tout d’abord, la crise économique et financière mondiale a révélé les fragilités et les dangers de certaines pratiques financières qui ont alimenté des bulles spéculatives sur les marchés et dans l’immobilier jusqu’à les rendre insoutenables. Cette crise nous a rappelé que nous avons besoin de garde-fous et d’une régulation efficace pour éviter les excès.

Ensuite, s’il faut créer des possibilités, permettre des transferts de technologies, développer des applications pour les découvertes scientifiques, ceci ne peut pas s’opérer indépendamment d’un cadre plus global qui relève d’un vrai choix de société. C’est pour cela que le choix de notre modèle de développement est primordial.

Miser sur la décroissance, comme le préconisait le Club de Rome au début des années 1970, est, je le pense, mortifère. Il faut penser l’avenir, penser d’autres modes de production et de consommation pour engendrer une autre croissance, une croissance robuste et durable, une croissance compatible avec l’épuisement potentiel de nos ressources naturelles et les impératifs environnementaux.

La promotion des grands secteurs d’avenir est également déterminante. L’innovation technologique n’est plus, loin s’en faut, aujourd’hui le monopole des vieux pays industriels. La France doit tout faire pour demeurer une grande Nation industrielle. Car l’industrie est bien le moteur de l’économie. Dans un monde d’échanges, un pays qui ne produit pas et qui s’appuie trop sur ses services, finit toujours par s’appauvrir.

C’est l’industrie qui crée les gains de productivité et le progrès technique. L’industrie est au croisement de nombreux enjeux. Elle entre dans la sphère de toutes les politiques publiques, qu’elles soient agricole, environnementale, énergétique, de défense ou de santé.

Depuis 2000, notre pays a malheureusement connu une phase préoccupante de désindustrialisation. L’industrie aujourd’hui produit en France 16% de la valeur ajoutée, quand en Italie, elle est de 23% et en Allemagne de 30%.

C’est pourquoi le Gouvernement a fait du redressement de l’industrie une priorité absolue. Des mesures phares ont été prises, notamment le Crédit Impôt Recherche, la suppression de la taxe professionnelle, les mesures en faveur des fonds propres des entreprises, ou le grand emprunt avec quelques 6,5 Milliards d’euros spécifiquement dirigés vers l’industrie.

Préparer la France du 21e siècle, c’est restaurer les conditions d’une politique industrielle ambitieuse, que ce soit dans le secteur de la construction ferroviaire et automobile, dans le domaine des transports, de l’aéronautique, de l’agroalimentaire ou de l’énergie nucléaire. C’est aussi briguer les premières places dans les bio-industries et les conserver dans la santé.

C’est vous qui, demain, contribuerez à la prospérité de la France. Près des deux tiers de votre promotion prendront le chemin des grands groupes industriels. Mais, je veux aussi vous encourager à saisir les opportunités, à profiter de la dynamique suscitée par les mesures du Gouvernement. Je veux vous encourager à créer des entreprises ou à rejoindre des PME. La France du 21e siècle sera aussi celle des PME, des ETI innovantes. Contribuer à la réussite de la France, c’est aussi prendre des risques.

Il ne faut pas perdre de vue que, pour ce combat-là, les frontières nationales sont devenues trop étroites. Dans notre monde actuel, les grands sujets d’avenir doivent s’inscrire dans le cadre européen. Car c’est de PME européennes, d’ETI européennes et de véritables « champions » européens, stimulés et encouragés par l’Union européenne, dont chacun de nos concitoyens a besoin pour préserver son niveau de vie et son modèle social.

3/ Dans le tumulte actuel en effet, l’Europe nous protège. C’est la troisième conviction que je tiens à partager avec vous. Seule une coopération européenne dans les secteurs stratégiques pourra permettre à la France et à l’Europe de faire face aux grands changements de notre époque.

Il y a entre l’Union européenne et la France une nécessaire communauté de destin. C’est sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne que l’Europe connaît des progrès substantiels : avec l’Allemagne, nous consolidons la gouvernance économique de l’Union, tandis qu’avec le Royaume-Uni, nous initions une politique de défense commune.

L’Europe des 27 dispose des atouts nécessaires pour générer la croissance, elle dispose de leviers de prospérité : n’oublions pas qu’elle représente la première puissance économique mondiale, totalisant 28% du PIB mondial. Elle a su également préserver ses indices d’équité sociale, d’éducation, de santé. Ces atouts en matière de compétitivité et d’attractivité du territoire sont essentiels face aux enjeux de la mondialisation.

Pour relancer sa dynamique de croissance, l’Europe doit relever plusieurs défis cruciaux ; les plus fondamentaux sont, à mes yeux, au nombre de trois : il s’agit en premier lieu de poursuivre la construction européenne et de mettre en œuvre une véritable politique industrielle européenne ; il s’agit aussi de définir une économie sociale européenne. Il s’agit, enfin, de concrétiser de grands partenariats européens.

L’Europe doit innover pour tirer parti de marchés d’avenir, des marchés émergents. Et cela doit s’opérer notamment dans deux secteurs :

Dans le domaine de la recherche en nanotechnologies, l’Europe bénéficiait d’une position favorable avec 420 brevets en 2007, alors que les Etats-Unis en comptaient 465. La France propose, à juste titre, de créer un fonds européen de capital-risque en faveur des entreprises innovantes, un fonds européen des brevets pour valoriser les résultats de la recherche.

Les démarches européennes communes sont donc des enjeux stratégiques, et ceci dans plusieurs secteurs :

Mesdames et Messieurs,

Pour conclure, je terminerai en vous disant que l’avenir est un état d’esprit.

C’est à nous, à vous de l’inventer. Le rôle fondamental de la science est sans doute de chercher à concrétiser ce que l’humanité peut rêver de plus noble. Je crois profondément que les sciences, assorties d’une exigence éthique, sont nos meilleures armes pour construire le monde de demain. Pour cela, elles devront être, en toute indépendance, stimulées et soutenues.

Les liens entre le pouvoir et le savoir sont essentiels à notre Nation, car le progrès scientifique est bel et bien un enjeu collectif.

Ce n’est peut-être pas un hasard si, avant d’être transférée par Napoléon 1er sur la montagne Sainte-Geneviève, votre Ecole fut d’abord installée, comme je l’ai rappelé en introduction, au Palais Bourbon, puis à l’Hôtel de Lassay, l’actuel siège de la Présidence de l’Assemblée nationale.

Ce n’est peut-être pas un hasard si tant de scientifiques et de mathématiciens renommés sont devenus des parlementaires : et, aux côtés de Condorcet, Lacépède, Daubenton, Chaptal, Raspail, Marcelin Berthelot, Emile Borel ou Paul Painlevé se trouvaient Gaspard MONGE et Lazare CARNOT.

A l’issue de votre formation, certains d’entre vous choisiront de servir l’Etat, d’autres la recherche ou l’entreprise. Dans tous les secteurs, vos connaissances, votre spécificité, votre goût de l’innovation seront essentiels à notre pays. Et votre audace, votre goût du risque seront une chance pour la France.

Hommes politiques et hommes de science ont en commun de préparer l’avenir, ils ont en partage une vision de long terme. Ils peuvent ensemble, je le crois profondément, transformer le monde.

Notre pays compte sur vous et, avant de répondre à vos questions, je vous remercie de m’avoir écouté.