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24/03/2011 - Ouverture du colloque de la Fondation Concorde « Produire en France »

Monsieur le Président de la Fondation Concorde Michel Rousseau

Monsieur l’Académicien, cher Erik ORSENNA

Mesdames, Messieurs,

Le colloque qui nous réunit marque notre volonté commune d’approfondir le débat sur un sujet crucial pour l’avenir de notre pays. C’est pourquoi je suis heureux de vous accueillir ici, en ce lieu de débats, à l’Assemblée nationale.

Les défis auxquels la France est actuellement confrontée sont d’une grande complexité, mais le double constat qui s’impose s’énonce simplement : l’état des lieux du système productif français exige un sursaut national (I). Il nous faut très vite mettre en place les mesures nécessaires au renforcement de la compétitivité et de la croissance (II).

I. La prise de conscience du déclin de notre système productif exige de nous un sursaut national.

Ces dix dernières années, la France a perdu un tiers de ses parts de marché. Ce qui explique en partie notre chômage structurel et le déséquilibre croissant de notre balance des paiements (BPC).

Ce constat se révèle d’autant plus sévère à la lumière d’une analyse comparative avec le système productif allemand. Si cette comparaison, qui sera le fil conducteur de mon intervention, ne saurait être en tous points pertinente, elle démontre que la France dispose d’avantages comparatifs incontestables: la vitalité démographique, un taux d’épargne des ménages particulièrement élevé, des professionnels très qualifiés sont autant d’atouts qui constituent un formidable potentiel, encore trop peu exploité.

Une analyse plus fine de notre système de production révèle plusieurs tendances.

En premier lieu, notre valeur ajoutée industrielle est non seulement trop faible – l’industrie française représente aujourd’hui 13,6 % du PIB - mais elle est également en recul.

Au sein de la zone euro, la part de la valeur ajoutée industrielle française est passée de 17,2% en 2000 à 14,3% en 2010. En Allemagne, elle s’élève à 25,6%. Entre 2000 et 2007, la France a perdu 13% de ses entreprises industrielles et 500 000 emplois.

Un autre indicateur témoigne de l’affaiblissement de notre compétitivité : depuis quinze ans, la tendance à la baisse des parts de marché de la France dans les exportations mondiales est constante. En l’espace de dix ans, l’excédent brut d’exploitation des entreprises françaises a été divisé par deux. Or, l’industrie représente plus de 75% des exportations des biens et services français.

Par ailleurs, si les dépenses en Recherche et Développement sont bien soutenues par le Crédit Impôt Recherche, elles restent trop faibles et diminuent encore : de 1,35% du PIB en 2000, elles sont passées à 1,27% en 2008, soient 24,8 milliards d’euros. Les dépenses allemandes ont en revanche progressé, atteignant 48,8 milliards d’euros en 2008, soit 1,84 % du PIB.

Enfin, la France manque de PME, notamment d’entreprises de taille intermédiaire. La taille moyenne des entreprises dont l’effectif est compris entre 250 et 999 salariés est de 387 salariés en France, mais de 531 en Allemagne. Si les PME de moins de 50 salariés représentent 64,4% du total des employés de l’industrie en France, elles représentent 48% de l’industrie allemande.

Cette absence de grandes PME explique l’effondrement relatif des exportations françaises. Aux côtés de nos grands groupes industriels, 15 000 entreprises de 300 salariés supplémentaires génèreraient les 4 millions d’emplois manquants.

La rentabilité en serait améliorée : exception faite des 300 grands groupes français dont les profits correspondent aux normes internationales, le taux de productivité des entreprises françaises est inférieur d’un tiers à la rentabilité des PME allemandes, anglaises ou américaines.

La France ne compte plus que 4 135 entreprises employant entre 250 et 500 salariés, dont 3 000 sont des filiales de grands groupes. A contrario, l’Allemagne développe son « Mittelstand »  fort de plus de 10 000 grosses PME, réalisant 40% des exportations.

Ces constats réalistes mettent en lumière nos faiblesses : c’est ce qui doit nous inciter à redoubler de lucidité et de volontarisme.

II. La célérité avec laquelle le Gouvernement français a agi face à la crise favorise le sursaut national. Mais le risque de décrochage par rapport à l’Allemagne exige encore de nous des efforts supplémentaires.

A/La compétitivité est l’enjeu des réformes réalisées depuis 2007.

• La priorité donnée au renforcement de la politique des pôles de compétitivité a permis de financer 889 projets de Recherche et Développement collaboratifs pour lesquels 4,6 milliards d’euros ont été investis. L’Etat a de plus injecté 1,1 milliard d’euros par le biais du nouveau Fonds Unique Interministériel, ainsi que 300 millions d’euros supplémentaires au titre des investissements d’avenir.

• Des réformes incitant les entreprises à innover ont été adoptées.

1. En premier lieu, le renforcement du crédit impôt recherche permet désormais de soutenir la Recherche et Développement des entreprises à hauteur de plus de 4 milliards d’euros par an.

2. La suppression de la taxe professionnelle a levé un frein majeur à l’investissement. En 2010, l’allègement de la fiscalité pour les entreprises s’est élevé à 8,7 milliards d’euros. En introduisant une cotisation sur la valeur ajoutée, en simplifiant les procédures administratives, cette réforme améliore sensiblement l’environnement des entreprises.

L’inégale répartition de la charge fiscale entre les secteurs d’activité, en dépit des mécanismes de rééquilibrage mis en place, pénalisait le secteur industriel, désormais encouragé : les effets de ce nouveau régime fiscal seront particulièrement positifs pour des secteurs comme l’automobile – près de 60 % de baisse de fiscalité –, la construction ou encore les industries agroalimentaires – près de 40% de baisse.

3. Par ailleurs, les dispositifs de soutien en fonds propres ont été renforcés. Dans le cadre des États Généraux de l’Industrie, le Gouvernement a mis en place un dispositif d’avances remboursables, ouvert jusqu’en 2013, destiné à financer des projets d’investissements sur l’ensemble du territoire français. 200 millions d’euros sont ainsi mobilisés pour accompagner des projets de réindustrialisation.

Le fonds stratégique d'investissement, créé fin 2008, a quant à lui permis d’engager 3,54 milliards d’euros, dont 2,41 milliards d'investissements directs.

Nous avons déjà accompli un travail considérable, pour autant,

B/ Des efforts collectifs supplémentaires restent indispensables.

Dans ce contexte exigeant, tenir un discours de vérité est à mes yeux la seule réponse possible. C’est pourquoi j’ai décidé de créer une mission d’information sur la compétitivité de l’économie française et le financement de la protection sociale. Son but est d’aboutir à un diagnostic partagé afin de promouvoir une politique industrielle ambitieuse.

Pour atteindre cet objectif, une nouvelle phase de mesures de soutien s’impose.

1. La première de ces mesures concerne la diminution du coût du travail. Lors de son audition par la mission d’information, le directeur général de Renault a procédé à un tour du monde chiffré du coût horaire ouvrier, je vous le livre, il est

édifiant : il s’élève à 20 euros en Espagne, 16 en Corée, 8 au Brésil, 5 en Roumanie, 2 en Inde. En France, il est de 28 euros.

La comparaison avec notre voisin allemand est également éloquente. Si le coût moyen de l’heure de travail dans l’industrie manufacturière est proche dans nos deux pays, les tendances observées entre 2000 et 2008 sont significatives: le coût moyen a augmenté de 17,2% en Allemagne, mais de 38,1% en France.

2. La manière dont nous finançons la protection sociale est d’un point de vue fiscal la seule explication de l’état du marché de l’emploi. Pour y remédier, diverses pistes sont envisagées parmi lesquelles la création d’une Contribution sociale transférée sur la consommation, sachant que 70 % des 600 milliards d’euros des dépenses sociales françaises sont actuellement supportés par le travail.

3. Favoriser la transmission des PME-PMI- d’ici dix ans, 600 000 PME seront concernées - est essentiel pour les ancrer sur notre territoire. La réforme de la fiscalité du patrimoine doit être envisagée dans une optique de soutien au développement de nos PME. Je souhaite donc que l’exonération de droits de succession sur les transmissions de parts de sociétés soit augmentée, sous réserve de respecter un certain nombre d’engagements de leur conservation et de leur développement dans la durée. 99 % des trois millions d’entreprises françaises sont familiales : nous devons donc impérativement donner à notre tissu de PME les moyens de se développer, grâce à une politique fiscale appropriée. Concernant la réforme en cours de l’impôt sur la fortune, la majorité actuelle doit faire pour les PME industrielles ce que la gauche a fait pour les œuvres d’art.

4. D’autre part, je suis convaincu que le maintien du Crédit Impôt Recherche est essentiel. Ce dispositif d’incitation - que d’autres pays observent avec intérêt – est un soutien indispensable à l’investissement dans la Recherche et le Développement. Ne supprimons pas une mesure efficace dont les effets déjà concrétisés s’amplifieront encore à l’avenir.

5. Si la Recherche et Développement joue un rôle important, c’est la stratégie des entreprises qui est décisive. La France souffre d’une stratégie de montée en gamme par niches, alors que la plupart des pays ont adopté une logique de montée en gamme globale : le niveau de gamme de la France étant inférieur à celui de l’Allemagne, nos performances à l’exportation s’en ressentent.

6. Nous ne pouvons parler de compétitivité sans évoquer la question de la formation : l’industrie de la connaissance dépend de ses performances. Le développement de l’apprentissage et le renforcement de l’adéquation de notre système de formation aux besoins réels sont devenus des impératifs.

Enfin, compte tenu de l’impact des décisions prises au niveau européen sur notre appareil productif, il convient de défendre notre vision au sein de l’Union européenne. Ce sera le rôle de l’Ambassadeur de l’industrie, mission créée lors des Etats généraux de l’industrie et confiée à Yvon Jacob.

Mesdames et Messieurs, avant de conclure, je voudrais insister sur deux défis particuliers, à mes yeux prioritaires.

Le premier d’entre eux est le manque d’agilité de l’économie française. Notre industrie et l’emploi continuent à souffrir de relations sociales trop tendues : si l’obtention d’un accord au sein d’une entreprise nécessite ailleurs en moyenne trois mois de négociation, il en faut onze en France ! Parvenir à certain degré de maturité de dialogue social doit être notre objectif.

Le second défi, dont je mesure quotidiennement l’importance tant sur le terrain qu’à l’Assemblée, est l’insécurité juridique : l’instabilité des normes fragilise les investissements, et en conséquence notre développement.

Mesdames et Messieurs,

Une vision lucide des forces et des faiblesses du système de production français est nécessaire pour inciter à agir sans délai. Votre colloque y contribue. Je vous en remercie.