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07/05/2011 – Allocution pour les obsèques de M. Patrick Roy

Madame la Présidente de la Communauté urbaine de Lille,

Monsieur le Président du conseil général,

Monsieur le Président du conseil régional,

Mesdames,

Messieurs,

Mes chers collègues,

Depuis que nous est parvenue la triste nouvelle, la République est en deuil. Elle a perdu un élu, un législateur, mais aussi un de ses hussards, toujours disponibles pour défendre ses valeurs et son école. Péguy avait parlé des « hussards noirs » ; Patrick Roy avait ajouté à leur uniforme cette veste rouge qui était devenue son emblème, celui d’un député de combat qui ne mâchait pas ses mots.

Enfant de la méritocratie républicaine, Patrick Roy a voulu rendre à la collectivité ce qu’il avait reçu d’elle. Titulaire d’un diplôme universitaire de gestion, il aurait très bien pu faire carrière comme cadre, en poursuivant le cursus qu’il avait entamé dans une entreprise de menuiserie de Cambrai, au début de sa vie professionnelle. Mais telle ne sera pas sa destinée. Quitter Denain, sa ville natale, abandonner ses concitoyens pour une réussite égoïste et strictement privée, tout cela n’entre pas dans ses conceptions généreuses de la vie sociale.

C’est pourquoi, en 1982, le contrôleur de gestion se fait instituteur. Au service des autres, des jeunes générations, le voici partageant ses connaissances et son optimisme, avec cette chaleur communicative que nous lui connaissions. La politique ne peut que tenter un homme de sa trempe, la politique dans ce qu’elle a de plus élevé : l’altruisme, l’engagement citoyen, la volonté de transformer la société pour la rendre plus humaine et plus juste.

Adjoint au maire de Denain et conseiller général en 2001, il est élu député l’année suivante. Sa première question au Gouvernement, le 15 octobre 2002, lui permet d’insister sur « les conditions qui peuvent permettre à l’école de remplir sa mission » : première offensive d’un combat qui va dominer ses deux mandats à l’Assemblée nationale. Pendant neuf ans, Patrick Roy aura été le défenseur inlassable de l’école républicaine et de tout ce qu’elle représente dans notre pays : la laïcité, l’égalité des chances, la promesse d’avenir faite aux enfants de toutes les familles, y compris les plus défavorisées. « L’école est le ciment qui unit chaque Français », déclarait-il dans l’hémicycle le 20 janvier 2004 : ce jour-là, mécontent du sort fait aux maîtres d’école, il s’est présenté lui-même comme « un homme en colère ».

Sa voix puissante et contestataire, pourtant, ne s’épuisait pas en de vagues protestations rhétoriques, ni en de vaines polémiques. Au contraire, et je tiens à le dire ici, le goût de la politique se confondait chez lui avec celui de l’argumentation. Malgré sa veste rouge, le contrôleur de gestion était toujours là, voulant des chiffres, des faits, se montrant logique et précis, remplissant avec sérieux sa mission de député. Assidu, travailleur, il n’intervenait qu’en connaissance de cause, possédant bien les dossiers, capable de défendre pied à pied d’impressionnantes séries d’amendements.

En tant que Président de l’Assemblée nationale, j’ai dû – pourquoi le taire ? – rappeler souvent à l’ordre cet « opposant farouche » et même le sanctionner. « Les convaincus sont terribles », écrivait Jules Vallès, et Patrick Roy faisait partie de ces hommes de conviction qui ne trichent pas, qui ne composent pas, même s’ils aiment le dialogue et la confrontation des idées.

Hors de l’hémicycle, et par le dialogue justement, j’ai appris à mieux connaître ce passionné de la chose publique, qui apportait à Paris les doléances et les souffrances d’une circonscription durement éprouvée par la crise, et qui demandait justice. Ses concitoyens l’ont réélu en 2007, parce qu’il leur avait prouvé qu’il était digne de leur confiance.

Et c’est au moment où son travail est reconnu, où son action est saluée, où l’opinion publique identifie ce combattant de la République, c’est là que survient la plus grande injustice qu’il ait eu à combattre : celle de la maladie qui vient frapper un honnête homme en pleine maturité.

La maladie l’a attaqué, subitement. Fidèle à lui-même, il a lutté, courageusement. Avec cette force de caractère que tous ici nous saluons, il a su, un moment, inverser le sort. La maladie reculait, l’espoir renaissait. Sorti de l’hôpital pourvu d’un nouveau traitement, ce député exemplaire retourne au Palais-Bourbon, assumant jusqu’au bout son mandat de représentant du peuple.

Les mots qu’il prononce alors, j’en suis persuadé, resteront dans les annales de la vie parlementaire française. Avec sincérité et avec dignité, un élu parle de ses épreuves, en ayant le souci et la délicatesse de communiquer sa vitalité aux personnes malades qui pourraient suivre la séance. « Face à la mort redoutée, il y a la vie espérée », nous dit-il. Opposant farouche il est, opposant farouche il restera, mais il nous dit aussi qu’il nous aime, « tous et toutes », heureux de partager cette vérité que « la vie est vraiment belle ».

Oui, la vie est vraiment belle, quand on l’aborde avec la passion et l’humanisme dont a fait preuve Patrick Roy.

Notre démocratie est belle aussi, quand de tels moments d’écoute et de compréhension mutuelle sont possibles.

La France est belle, enfin, grâce à l’engagement et à la rectitude d’élus qui y croient, de républicains entiers et dévoués, de ces « hussards » modernes dont faisait partie le député de Denain.

L’instituteur de gauche et le médecin de droite avaient tout pour s’opposer ; or, nous avons parlé, nous nous sommes appréciés et c’est avec sympathie qu’il m’a accueilli dans sa chambre d’hôpital. Patrick Roy, c’était la cordialité faite homme, en toute circonstance, et cette cordialité me manque aujourd’hui.

À vous Geneviève, son épouse, qui avez joué un rôle déterminant dans sa carrière politique, et qui l’avez si admirablement soutenu dans l’épreuve ; à vous Kevin, son fils, qui comptait tant pour lui ; à sa famille, à ses amis et à ses proches ; aux élus et aux habitants de Denain, au nom de tous les députés de l’Assemblée nationale et en mon nom personnel, je présente mes condoléances attristées.

Le moment est venu de saluer une dernière fois celui qui fut en même temps un lutteur et un bûcheur, un idéaliste et un réaliste, un contradicteur redoutable et un collègue estimé. Patrick Roy n’est plus, mais il s’en va la conscience nette, en nous laissant, comme un exemple, le précieux souvenir d’un homme de cœur et d’un député de grande valeur.