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24/11/2011 – Discours d’ouverture du colloque du Comité d’Histoire parlementaire et politique « Les Présidents de l’Assemblée nationale de 1789 à nos jours »

Monsieur le Professeur Jean Garrigues, président du Comité d’Histoire parlementaire et politique,

Mesdames, Messieurs,

J’ai tenu à être présent pour l’ouverture de ce colloque consacré aux « Présidents de l’Assemblée nationale de 1789 à nos jours », non seulement parce que le thème me touche de près, mais aussi et surtout afin d’encourager le Comité d’Histoire parlementaire et politique que préside M. le professeur Garrigues.

Oui, il existe une « histoire parlementaire » en tant que champ déterminé du savoir, dont l’exploration nourrit notre compréhension de l’Histoire tout court, que celle-ci soit nationale ou internationale d’ailleurs.

À travers son Prix de thèse et son allocation de recherche, l’Assemblée nationale soutient depuis de nombreuses années les travaux des historiens et des juristes qui s’intéressent aux problématiques parlementaires.

L’Assemblée s’associe également à des projets éditoriaux qui visent à faire progresser la connaissance dans ce domaine, comme la récente publication des comités secrets de 1870-1871 ou bien, ces derniers jours, l’édition des cahiers de Georges Gatulle, ce fonctionnaire de l’ancienne Chambre des députés qui nous raconte la Petite Histoire du Palais-Bourbon.

Il était donc naturel que l’Assemblée nationale accueille ce colloque, à l’objectif ambitieux. Votre thème en effet, qui semble aller de soi, soulève à l’examen des questionnements difficiles, tant sont multiples et méconnues les fonctions d’un président d’assemblée parlementaire.

Le grand public identifie facilement ce personnage officiel qui traverse la salle des Pas-perdus entre une double haie de gardes républicains, tandis que les tambours battent aux champs, pour aller présider la séance du haut de son « Perchoir »…

La réalité est infiniment plus complexe : alors que la plupart des séances publiques se tiennent sous la vigilance d’un vice-président, le président, lui, est accaparé par de nombreuses autres tâches et missions.

Un des rares civils à commander une unité militaire, pour la sauvegarde de l’institution parlementaire, il dispose même de pouvoirs de police en cas de délit ou de crime commis au Palais-Bourbon.

Surtout, la Constitution de 1958 lui reconnaît un pouvoir de nomination et fait même obligation au chef de l’État de le consulter en certaines circonstances capitales, comme la dissolution ou le recours aux pouvoirs spéciaux.

Telle est la complexité de cette fonction singulière, à laquelle on accède sans pouvoir y être véritablement préparé.

Ce n’est pas un secret : en entrant en politique, je n’avais jamais imaginé devenir un jour le 245e président de l’Assemblée nationale.

Me voici le successeur de Jean-Sylvain Bailly et de tous les grands noms qui assumèrent la présidence des assemblées révolutionnaires pour deux semaines seulement, tant semblait alors redoutable la responsabilité de diriger les travaux de la Représentation nationale. Parmi eux, citons chronologiquement Talleyrand, Sieyès, Barnave, Pétion, l’abbé Grégoire, Mirabeau, Condorcet, Hérault de Séchelles, Collot d’Herbois, Danton, Robespierre, Cambon, Saint-Just, Lazare Carnot, Cambacérès…

Ce n’est pas avec orgueil, c’est avec modestie et aussi avec émotion que l’on succède à de telles figures, fondatrices de notre démocratie et de la République.

Depuis 1798 et la création du Conseil des Cinq-Cents, les titulaires de la fonction occupent le fauteuil présidentiel qui est toujours le mien aujourd’hui – et que dessina d’ailleurs un ancien président de la Convention, le peintre et représentant du peuple Louis David.

Sous le Directoire, la liste de mes prédécesseurs s’enrichit encore de trois noms illustres : Marie-Joseph Chénier, l’auteur du Chant du départ, Pichegru et bien entendu Lucien Bonaparte, dont le rôle durant un certain 18 brumaire fut exactement l’inverse de ce que doit faire un président d’assemblée soucieux de défendre les droits du Parlement…

Sous l’Empire, le poète Fontanes fut le premier à bénéficier d’une présidence durable – de 1804 à 1810 – et le premier aussi à résider dans l’enceinte parlementaire, à l’hôtel de Lassay. Un exemple que reprit le duc de Morny sous le Second Empire, avec tout l’éclat que l’on sait.

Jules Grévy, aux débuts de la IIIe République, présida quant à lui à Versailles. Avec Gambetta, le président retrouvait Lassay en 1879, mais la durée de la présidence, limitée à un an, ne permettait pas à mes homologues de faire évoluer notablement l’institution parlementaire, quand bien même leurs collègues les désignèrent plusieurs fois au « Perchoir ».

Henri Brisson, Charles Floquet et plus tard Édouard Herriot dominent la galerie de portraits de la première moitié du XXe siècle, galerie au sein de laquelle les observateurs distinguaient traditionnellement entre « présidents politiques » et « présidents techniciens ».

Cette distinction, toutefois, valait essentiellement pour la conduite des débats en séance, le président n’ayant pas le temps d’imprimer sa marque dans les autres domaines.

C’est paradoxalement sous la Ve République, au temps du « parlementarisme rationalisé », que le président de l’Assemblée nationale, élu pour toute la durée de la législature, devient un personnage politique de premier plan, en mesure de peser sur les choix collectifs.

Jacques Chaban-Delmas, six fois réélu au « Perchoir », président pendant seize années au total, mais aussi Achille Péretti, Edgar Faure, Louis Mermaz, Laurent Fabius, Philippe Séguin, Jean-Louis Debré et les autres présidents de l’Assemblée depuis 1958 ont su incarner l’institution et se faire les défenseurs attitrés des droits du Parlement.

Le président de l’Assemblée nationale sous la Ve République, loin d’être un speaker apolitique, s’est donné pour mission de nourrir le débat public, par des prises de position, des publications, mais aussi et surtout par des initiatives parlementaires : les historiens que vous êtes savent que c’est par exemple à mon initiative que s’est constituée la mission d’information sur les questions mémorielles, dont j’ai personnellement présidé les travaux.

L’engagement du président n’est pas moindre sur les questions constitutionnelles. À cet égard, la présente législature restera marquée par la révision constitutionnelle de 2008, et par son corollaire, la réforme du Règlement de l’Assemblée nationale en 2009.

À toutes les étapes du processus, de la réflexion initiale jusqu’à la mise en œuvre des nouvelles règles, le président joue un rôle central dans la modernisation des institutions.

De ce point de vue, je suis particulièrement fier d’avoir œuvré en faveur d’une réforme qui nous permet de légiférer mieux, de concentrer le débat en séance sur les points les plus importants, de renforcer l’évaluation et le contrôle.

L’amélioration de la procédure législative, la reconnaissance d’un statut avantageux aux groupes minoritaires et aux groupes d’opposition, constituent des avancées dont la présidence peut à bon droit se féliciter.

L’implication du président de l’Assemblée nationale dans les débats institutionnels se manifeste aussi par cet honneur qui lui est conféré de présider le Congrès du Parlement à Versailles – ce qui m’est arrivé à trois reprises : le 4 février 2008 pour les aménagements rendus nécessaires par le traité de Lisbonne ; le 21 juillet 2008 pour l’importante révision constitutionnelle dont je viens de parler ; et le 22 juin 2009 pour la première application de la nouvelle disposition de l’article 18, qui permet au président de la République de s’adresser à la Représentation nationale sans le « cérémonial chinois » imaginé jadis pour brider M. Thiers…

Le président de l’Assemblée nationale joue aussi un rôle international de plus en plus considérable. Chaque mois, je reçois des chefs d’État ou de gouvernement ainsi que des délégations parlementaires, et quand je le peux, je me rends dans les parlements étrangers.

Au-delà de leur dimension protocolaire, ces échanges sont utiles pour comparer les procédures parlementaires et les législations, mais aussi pour tisser des liens avec des élus prometteurs qui seront un jour appelés aux responsabilités dans leur pays.

À titre d’exemple, la relation franco-allemande est particulièrement riche au plan interparlementaire, ce qui est le fruit d’une bonne coordination entre la présidence du Bundestag et celle de l’Assemblée nationale.

L’élaboration de la norme, dans l’Union européenne, fait appel aux compétences des parlements nationaux. Et je m’en voudrais d’oublier les échanges qui ont lieu au sein de ce vaste ensemble que forme la Francophonie, laquelle dispose comme vous le savez d’une Assemblée parlementaire.

Enfin, et c’est là un point politiquement capital à mes yeux, le président de l’Assemblée nationale ne doit jamais oublier qu’il reste un député, avec les mêmes obligations que les autres.

Le symbolisme de l’hémicycle l’aide à s’en souvenir, puisque le fameux « Perchoir » se trouve à la même hauteur que la dernière rangée de sièges : le président domine la salle des séances sans être placé plus haut que ses collègues.

Primus inter pares, il a lui aussi une circonscription où il doit se montrer présent, des électeurs à écouter, un mandat à honorer : c’est ainsi que je n’ai jamais renoncé à prendre ma part aux travaux législatifs, ni à recevoir les doléances de nos concitoyens.

Tels sont, brossés à grands traits, les charges et les charmes de la fonction que j’assume.

Au nom de l’Assemblée nationale, je suis heureux de vous voir réunis ici et de vous céder la parole : avec le privilège du recul historique, vous saurez, j’en suis sûr, situer mon témoignage dans une perspective longue et en tirer, je l’espère, quelques enseignements.