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08/12/2011 – Discours d’ouverture du colloque « L’opposition parlementaire » (GEVIPAR)

Monsieur le Président de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, Cher Jean-Claude CASANOVA,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires, en particulier chers collègues de pays voisins et amis qui avez répondu à l’invitation du GEVIPAR : Lord NORTON, Sandro GOZI, député italien et Francis DELPEREE, Sénateur de Belgique,

Mesdames et Messieurs les Professeurs,

Mesdames, Messieurs,

C’est un réel plaisir de vous retrouver et d’ouvrir ce colloque consacré à un thème qui, vous le comprendrez, me tient à cœur : l’opposition parlementaire.

Je veux avant tout remercier de son initiative le Groupe d’Etudes sur la Vie et les Institutions Parlementaires de la Fondation Nationale des Sciences Politiques. Je veux également féliciter tous ceux qui ont contribué à l’organisation de cette journée d’études.

Vous avez choisi, selon la démarche comparatiste chère au GEVIPAR, de confronter les regards émanant de parlementaires, de juristes et de politistes, d’universitaires et de praticiens. Je m’en réjouis : vos réflexions, vos conclusions sont particulièrement utiles à l’institution comme aux parlementaires que nous sommes.

L’opposition parlementaire : quelles sont ses fonctions en démocratie ? A-t-elle vocation à légiférer, à contrôler ? Selon quelles modalités ? Ces questions s’inscrivent au cœur du débat sur la nature et sur le devenir de nos démocraties.

Permettez-moi d’abord quelques réflexions sur la démocratie représentative et sur la modernisation du Parlement.

Depuis plusieurs siècles, dans nos pays respectifs, le Parlement est le lieu par excellence du débat démocratique.

Aujourd’hui, tous les parlements modernes sont confrontés à l’émergence d’une « démocratie d’opinion médiatico-sondagière », qui, bien souvent d’ailleurs, n’a de démocratique que le nom.

Je reste convaincu de la supériorité réelle de la démocratie représentative sur cette démocratie d’opinion, souvent nourrie d’émotionnel et d’amalgames trompeurs.

Les périodes de crise nourrissent - chacun le sait - l’antiparlementarisme. C’est précisément dans ces périodes troublées, plus encore qu’en période de calme, que le rôle des parlements est, en tant qu’agora démocratique, crucial.

Face à une information incessante, rapide, souvent partielle, contradictoire, voire déformée par des tribuns populistes ou démagogues, le débat parlementaire se distingue par ses qualités, fondamentales pour les citoyens :

Son caractère pédagogique, essentiel pour expliquer à nos compatriotes le sens de l’action conduite par les gouvernants, en particulier lors de mutations profondes comme celles que nous connaissons aujourd’hui,

Son caractère démocratique également, par la place centrale qu’il accorde à la confrontation des idées et des propositions alternatives,

Son processus décisionnel enfin, qui garantit l’acceptation de la décision prise dans le cadre de la démocratie parlementaire

In fine, la mission du Parlement, la préservation de la démocratie, nous oblige à nous interroger en permanence sur le fonctionnement de nos assemblées, sur nos procédures et nos usages, ainsi que sur la perception que les citoyens peuvent avoir du travail parlementaire.

À l’heure d’Internet et de la TNT, nous ne pouvons conserver inchangées des pratiques datant du temps du télégraphe et des diligences, voire pour certaines, des premières assemblées révolutionnaires.

Nos parlements doivent, eux aussi, épouser leur siècle.

Moderniser l’Assemblée nationale et son fonctionnement fut, dès le début de cette XIIIe législature, ma volonté. C’est, depuis, un engagement personnel quotidien.

La modernisation de nos institutions est l’un des objectifs voulus par le Président de la République dans le cadre de l’ambitieuse révision constitutionnelle engagée en juillet 2007. Cette révision s’est fondée sur les travaux remarquables du Comité présidé par Edouard BALLADUR, et dont je veux saluer tout particulièrement les membres présents aujourd’hui : Anne LEVADE, Jean-Claude CASANOVA, Guy CARCASSONNE, Denys de BECHILLON.

La revalorisation du Parlement, par un nouvel équilibre entre l’exécutif et le législatif, est inscrite dans la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.

Le renforcement des prérogatives du Parlement et sa place confortée au sein de nos institutions a conduit à s’interroger sur le rôle et les droits spécifiques de l’opposition parlementaire.

C’est d’autant plus légitime que le Parlement est le lieu par excellence de l’expression démocratique, de la parole libre et sans contrainte, c’est donc d’abord en son sein que les droits et prérogatives de l’opposition devaient être confortés.

S’agissant de l’opposition parlementaire, une confrontation vigoureuse des idées, un débat parlementaire équilibré et équitable, organisé et argumenté, préservent des excès d’une majorité trop sûre d’elle-même, aisément convaincue d’avoir toujours raison.

Ayant siégé tour à tour dans la majorité et dans l’opposition, je peux en témoigner.

Permettre à l’opposition parlementaire de disposer de droits et moyens plus substantiels, c’est lui donner la possibilité d’affiner sa critique, la rendant ainsi plus constructive, au bénéfice de chacun et de l’institution elle-même dont l’image se trouve revalorisée auprès de nos concitoyens.

Consolider les droits de l’opposition parlementaire, c’est aussi l’inciter à renoncer aux pratiques d’obstruction, utilisées sur tous les bancs, qui ont tant déconsidéré le travail parlementaire ces trente dernières années.

Mesdames et Messieurs,

Je voudrais évoquer la question de la responsabilité. Car, dans une démocratie parlementaire, l’opposition a également des responsabilités particulières, surtout en temps de crise majeure.

Permettez-moi de citer ici deux illustres parlementaires qui se sont exprimés en ce sens dans les années 1930, de l’une des crises économique et diplomatique les plus difficiles que notre pays ait eu à affronter au cours de son histoire.

Léon BLUM d’abord, qui écrit dans Le Populaire en octobre 1934, je cite : « Une opposition a le droit et le devoir de combattre le gouvernement au pouvoir, elle n’a pas le droit de combattre de parti pris, à tour de bras, en toute occasion, toutes les mesures qu’il propose. Elle n’a pas le droit de refuser au gouvernement qu’elle combat les mesures qu’elle approuve et qu’elle proposerait elle-même si elle était au pouvoir à sa place. Ou du moins elle ne peut user de cette tactique sans détendre tous les ressorts du système parlementaire et sans créer un état d’instabilité chronique. »

Paul REYNAUD ensuite, qui déclare en 1936, après la victoire du Front populaire, je cite : « L’opposition ne doit pas être une explosion de haine. Elle doit agir modérément, mais sagement, en face de ces dangers de guerre, de troubles intérieurs qui sont liés à la crise économique. L’union de tous les Français est nécessaire pour éviter la guerre. L’opposition est un service public. »

Toute opposition est amenée à s’interroger sur la ligne à adopter, oscillant entre la dénonciation systématique, en bloc, de la politique gouvernementale et une opposition tout aussi ferme sur le fond, mais empreinte d’un esprit de responsabilité plus fertile en propositions alternatives crédibles.

Vous comprendrez qu’en ces temps de crise d’une particulière gravité, comme celle que traversent actuellement notre pays, l’Europe et le monde, je souhaiterais que, dans le respect du débat démocratique, la ligne d’une opposition responsable soit celle qui prévale.

C’est d’autant plus vrai maintenant que suite à la révision constitutionnelle de 2008 et la réforme du Règlement de l’Assemblée en 2009, l’opposition parlementaire bénéficie d’un ensemble de « droits spécifiques » inédit dans notre histoire constitutionnelle et parlementaire.

Longtemps pendante dans notre histoire politique, la question des droits de l’opposition a, enfin, trouvé une réponse satisfaisante sous la Ve République.

L’un des nombreux atouts des institutions profondément démocratiques qu’ont voulu le Général de GAULLE et Michel DEBRÉ est d’avoir permis de dégager distinctement, à partir du vote populaire, une majorité et une opposition.

Clairement identifiée comme la minorité écartée du pouvoir le temps de la législature, l’opposition parlementaire s’est vu reconnaître, à compter de 1974, un certain nombre de droits spécifiques, à l’instar de ce qui existe au sein des grands parlements du monde.

Depuis 1974 en effet, les droits de l’opposition au Parlement ont progressivement été affirmés et consolidés : droit de saisine du Conseil constitutionnel, en 1974, création – la même année –, des questions au

Gouvernement, réparties à parité entre majorité et opposition jusqu’en 1981, institution des séances d’initiative parlementaire en 1995, notamment.

Ces avancées furent d’abord le résultat d’un processus empirique, obtenu par vagues successives.

Avant, que le Président Nicolas SARKOZY ne prenne l’initiative, en 2008, de faire inscrire dans notre Constitution même le principe des « droits spécifiques » de l’opposition.

Dans notre « régime parlementaire à forte domination présidentielle », selon la définition du professeur CARCASSONNE, les grandes impulsions émanent, en effet, du Président de la République.

C’est notamment le cas lorsqu’il s’agit de convaincre la majorité d’adopter des mesures en faveur de l’opposition.

Ainsi, après Valéry GISCARD d’ESTAING en 1974, c’est le Président Nicolas SARKOZY qui a décidé et permis à la démocratie française de franchir une nouvelle étape, en élevant au rang constitutionnel le principe de droits de l’opposition.

Le nouvel article 51-1 de la Constitution dispose ainsi que les règlements des assemblées peuvent déterminer des « droits spécifiques » en faveur des groupes d’opposition.

Dans le cadre de la réforme du Règlement de l’Assemblée nationale en 2009, une réforme profonde consécutive à la révision constitutionnelle, j’ai particulièrement veillé à définir précisément ces « droits spécifiques » de l’opposition.

Encore convenait-il de distinguer clairement en ce domaine la fonction législative des activités d’évaluation et de contrôle.

Faire la loi, détenir la maîtrise du processus législatif, ces prérogatives doivent rester, chacun en conviendra, l’apanage du couple formé par le Gouvernement et sa majorité afin de pouvoir mettre en œuvre les engagements validés par les électeurs.

Cela n’est pas incompatible avec l’octroi à l’opposition de « droits spécifiques » dans la procédure législative :

En matière de fixation de l’ordre du jour d’abord. Le nombre de séances d’initiative législative attribuées à l’opposition a été multiplié par trois.

Le fait majoritaire continue évidemment à s’imposer : hormis des textes de nature consensuelle ou de caractère technique, ceux déposés par l’opposition ont vocation à ne pas être adoptés.

Dès lors, la pratique le démontre, l’opposition fait surtout, et c’est bien légitime, une utilisation tribunicienne de ces séances, destinées à présenter des propositions de loi alternatives à la politique du Gouvernement.

Notre Règlement octroie également des droits à l’opposition pour certaines phases de la procédure législative, notamment pour la mise en œuvre du temps législatif programmé.

J’ai ainsi souhaité que l’opposition dispose non seulement de 60 % du crédit temps, mais aussi de garanties sur la durée des débats, en ayant la possibilité d’obtenir de droit que le crédit temps réparti entre les groupes soit porté à 30 heures et, une fois par session, à 50 heures.

C’est dans le champ de l’évaluation des politiques publiques et du contrôle de l’action gouvernementale que les « droits spécifiques » de l’opposition acquièrent, j’en suis convaincu, tout leur sens et toute leur force.

En ce domaine, la loi du nombre, fruit de la confiance populaire, doit être tempérée - et même davantage - afin de garantir la vitalité du débat démocratique. L’opposition n’est plus une simple minorité numérique, elle est la garantie donnée aux citoyens que le Parlement exerce pleinement son rôle de contrôle.

Aussi, comme je m’y étais engagé lors de la discussion du projet de loi constitutionnelle au printemps 2008, j’ai souhaité faire inscrire dans notre Règlement toute une série de « droits spécifiques » en faveur de l’opposition :

Attribution de la présidence de la commission des finances à un élu de l’opposition ;

Egalité du temps de parole pour tous les débats consacrés à l’évaluation et de contrôle, notamment pour les questions au Gouvernement, pour lesquelles cette égalité avait prévalu de 1974 à 1981 ;

Désignation de co-rapporteurs, dont l’un issu de l’opposition, pour toutes les missions d’évaluation et de contrôle ;

Possibilité de faire inscrire à l’ordre du jour des propositions de résolution à caractère non normatif, en particulier dans le domaine de la politique étrangère.

Droits de tirage permettant aux groupes de l’opposition d’inscrire un sujet de leur choix à l’ordre du jour de la semaine de contrôle, d’obtenir la création de commissions d’enquête, et d’intervenir dans la programmation des missions du Comité d’Évaluation et de Contrôle, cette nouvelle instance créée par la révision constitutionnelle de 2008 et que je préside.

Cet ensemble de droits, comparable à ceux qui existent dans les parlements des grandes démocraties, est inédit dans l’histoire parlementaire française.

Tous ont été progressivement mis en œuvre depuis mars 2009. Si j’ai particulièrement veillé à l’élargissement et l’approfondissement du champ du contrôle parlementaire, j’estime aussi qu’il doit s’exercer dans le respect des règles et des principes de notre Constitution.

Jusqu’ici, plus d’une vingtaine de débats d’évaluation et de contrôle ont été inscrits à l’ordre du jour à l’initiative des groupes d’opposition.

Au sein du Comité d’Évaluation et de Contrôle, l’opposition a pu initier des missions d’évaluation sur des thèmes prêtant à un vrai clivage, tel que l’évaluation du dispositif d’exonération des heures supplémentaires adopté en 2007.

Pour la première fois sous la Ve République, l’opposition a également pu obtenir la création de commissions d’enquête, sans que l’accord de la majorité soit nécessaire.

Mesdames et Messieurs,

Ce sont là autant d’avancées indéniables, qui confèrent à l’opposition parlementaire un « véritable statut ». S’il reste beaucoup à faire, à améliorer, cette XIIIe législative aura permis de rénover le fonctionnement de notre assemblée.

Je vous souhaite une journée d’études fructueuses.

Je vous remercie.