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N1291

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIEME LEGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 décembre 2008

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION CHARGEE
DES AFFAIRES EUROPEENNES (1),

sur l’Europe face à la crise financière

(E 3595, E 3935, E 4017, E 4048 et E 4101),

ET PRÉSENTÉ

par M. Daniel GARRIGUE,

Député.

________________________________________________________________

(1) La composition de cette Commission figure au verso de la présente page.

La Commission chargée des affaires européennes est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Daniel Garrigue, Michel Herbillon, Pierre Moscovici, Didier Quentin, vice-présidents ; MM. Jacques Desallangre, Jean Dionis du Séjour, secrétaires ; M. Alfred Almont, Mme Chantal Brunel, MM. Christophe Caresche, Bernard Deflesselles, Michel Delebarre, Daniel Fasquelle, Pierre Forgues, Mme Arlette Franco, MM. Jean-Claude Fruteau, Hervé Gaymard, Guy Geoffroy, Mmes Annick Girardin, Elisabeth Guigou, MM. Régis Juanico, Mme Marietta Karamanli, MM. Marc Laffineur, Jérôme Lambert, Robert Lecou, Céleste Lett, Lionnel Luca, Noël Mamère, Jacques Myard, Christian Paul, Didier Quentin, Mmes Valérie Rosso-Debord, Odile Saugues, MM. André Schneider, Philippe Tourtelier, Gérard Voisin.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 7

PREMIERE PARTIE : LA CRISE A FAIT RESSORTIR LA TRES GRANDE FRAGILITE DU SYSTÈME FINANCIER INTERNATIONAL 9

I. UNE CRISE FINANCIERE EXTREME QUI SANCTIONNE L’ECHEC DE L’AUTO-RÉGULATION 11

A. L’excès de liquidités lié aux déficits quasi-structurels des Etats-Unis 11

B. La politique de soutien systématique de la croissance 12

C. La dérégulation bancaire et financière et la définition de nouvelles règles fixées par les professionnels eux-mêmes 13

D. La crise des « subprimes », élément déclencheur de la crise 17

1) Les crédits hypothécaires dits « subprimes » 17

2) Les faiblesses majeures de ce système de financement 19

a) La présence d'imperfections sur le marché du crédit 19

b) Les incertitudes relatives à la valorisation des actifs, et au degré d’exposition au risque 20

II. UNE CRISE PROLONGEE, QUI S’EST AMPLIFIEE BRUTALEMENT 21

A. De l’euphorie à la défiance généralisée 21

B. L’amplification de la crise financière et son extension à l’économie réelle 23

DEUXIEME PARTIE : LA REACTION EFFICACE DES EUROPEENS MARQUE LE RETOUR DE LA PUISSANCE PUBLIQUE 29

I. LA « FEUILLE DE ROUTE » D’OCTOBRE 2007 : DES CHANTIERS TROP TIMIDEMENT ENGAGÉS 29

II. L’ACTION POSITIVE DE LA BANQUE CENTRALE EUROPÉENNE ET LES PREMIERS ELEMENTS DE RÉPONSE DES ETATS MEMBRES A L’ACCELERATION DE LA CRISE 33

A. L’action de la Banque Centrale Européenne 33

B. Premiers éléments d’une position commune des Etats membres 36

C. La cohérence des opérations de sauvetage menées au niveau national 38

III. L’EUROGROUPE EXTRAORDINAIRE DU 12 OCTOBRE 2008 A MARQUE UN TOURNANT DECISIF 43

A. Un Eurogroupe exceptionnel par son format et son résultat 43

B. Le Conseil européen des 15 et 16 octobre 2008 44

C. L’Union en action à l’intérieur : le mécanisme de soutien financier à moyen terme des balances des paiements des Etats membres 45

D. L’Union en action à l’extérieur : vers les Sommets mondiaux 47

IV. RELANCER L’ACTIVITÉ ECONOMIQUE : VERS UNE COORDINATION EUROPEENNE DES PLANS NATIONAUX 49

A. La nécessité d’un encadrement européen des mesures nationales de relance 50

B. Pour une stratégie plus ambitieuse de l’Union européenne 52

TROISIEME PARTIE : UNE NOUVELLE BATAILLE POUR L’EUROPE : IMPOSER LA REORGANISATION DU SYSTÈME MONETAIRE ET FINANCIER INTERNATIONAL 58

I. NE PAS CEDER, LORSQUE LES CONDITIONS SE SERONT AMELIORÉÉS, A « UN LÂCHE SOULAGEMENT » 58

A. Cette crise avait été amplement analysée depuis plus d’un an, sans que l’on en tire de véritables conséquences 58

B. Le Sommet du 15 novembre 2008 a fixé le programme des travaux, mais il faut à présent en concrétiser rapidement les orientations 62

II. DANS CE CONTEXTE, IL EST ESSENTIEL QUE L’EUROPE CONTINUE A DONNER L’EXEMPLE ET QU’ELLE AVANCE PLUS VITE ET PLUS FORT 65

A. La régulation 65

1) Au niveau international : quelle réforme pour le Fonds monétaire international ? 65

2) Au niveau européen 66

a) La crise financière et les normes comptables 66

b) La proposition de règlement sur les agences de notation 72

c) Les règles prudentielles : la révision du dispositif de « Bâle II » pour les banques et la proposition de directive « Solvabilité II » pour les assurances 75

B. La supervision 77

C. La moralisation 81

1) Les rémunérations 81

2) La lutte contre les évasions de capitaux et les « paradis fiscaux » 83

TRAVAUX DE LA COMMISSION 89

1) Audition de Mme Pervenche Berès, Présidente de la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, sur l’Europe face à la crise financière ainsi que sur les dix ans de l’euro (ouverte à la presse), mercredi 26 novembre 2008 89

2) Réunion de la Commission du mercredi 3 décembre 2008 106

PROPOSITION DE RESOLUTION 115

ANNEXES 119

Annexe 1 : Liste des personnes entendues par le rapporteur 121

Annexe 2 : Glossaire 122

Annexe 3 : Déclaration sur un plan d’action concerté des pays de la zone euro adoptée lors du Sommet des pays de la zone euro du 12 octobre 2008 125

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Nous avions initialement envisagé de présenter devant la Commission chargée des affaires européennes un bilan des dix ans de l’euro, de sa gestion par la Banque centrale européenne, du rôle de l’Eurogroupe, de la compétitivité économique et financière de la zone euro, et des perspectives d’élargissement de celle-ci.

La crise financière née aux Etats-Unis nous a conduits à proposer de substituer à ce rapport, un rapport consacré à l’action de l’Union européenne face à cette crise. De fait, la réaction très efficace des Européens, sous la Présidence française, au moment où la crise atteignait son paroxysme, après la chute de la banque Lehman Brothers, a sans doute largement contribué à éviter un véritable cataclysme financier. Dans un second temps, la coordination par l’Union des efforts nationaux de relance de l’activité économique se fait dans des conditions plus difficiles, compte tenu des différences de structure économique et d’appréciation des enjeux financiers dans les différents Etats.

Mais pour l’avenir, l’Europe doit aussi relever un autre défi, celui de peser le plus fortement possible pour imposer une véritable réforme du système monétaire et financier international portant à la fois sur la régulation, la supervision et la moralisation des activités dépendant de ce secteur. Elle y parviendra, nous semble-t-il, d’autant mieux qu’elle saura montrer l’exemple en avançant plus vite et plus fort dans le choix et la mise en œuvre de ses propres réformes.

PREMIERE PARTIE :
LA CRISE A FAIT RESSORTIR
LA TRES GRANDE FRAGILITE
DU SYSTÈME FINANCIER INTERNATIONAL

Lorsque l’on cherche à analyser les origines de cette crise, il convient de distinguer ce qui s’est passé aux Etats-Unis, d’une part, et en Europe, d’autre part. Depuis longtemps, la politique économique américaine consiste à privilégier la croissance et la relance de l’activité au détriment d’une certaine discipline, notamment en matière de budget et de commerce extérieur. L’une des conséquences en est le recyclage permanent des capitaux vers les Etats-Unis. Parmi les éléments qui ont pesé dans cette crise, il y a donc, du côté américain, une trop grande abondance de liquidités, une politique de taux d’intérêts faibles et la croyance, qui s’est développée sous l’influence des thèses monétaristes, que les banques centrales suffiraient à réguler le système. Dès lors, on a vu se développer des instruments et des comportements extrêmement dangereux, comme la titrisation – mécanisme utile à l’origine, mais qui a été dévoyé.

A l’inverse, les pays de la zone euro, s’ils subissent les contrecoups de la crise américaine, ont, du fait du pacte de stabilité, davantage respecté les disciplines budgétaire et monétaire, bien qu’ils n’aient pas tous fait montre de la même rigueur. Sans la zone euro, les pays européens auraient été emportés en quelques jours. C’est l’un des enseignements à tirer de la situation actuelle. Certes, il s’agit en partie d’un phénomène de confiance, mais il y a aussi des éléments objectifs : les actifs « toxiques » qui se sont révélés au fil des mois sont une réalité.

Comme l’a souligné M. Joseph Stiglitz, « à plus d’un titre, cette crise est « made in America ». L’Amérique a exporté ses prêts toxiques dans le monde entier. Elle a exporté sa philosophie de marchés déréglementés. Elle a exporté sa culture de l’irresponsabilité des dirigeants d’entreprise et de leurs stock-options qui ont contribué à la débâcle »(1). Il n’est donc pas inutile de rappeler dans un premier temps combien la crise actuelle trouve ses origines profondes dans des déséquilibres globaux durablement installés et dans des facteurs spécifiques aux Etats-Unis. On évoquera ensuite de manière rapide – tant l’abondance des analyses publiées ces derniers mois rend inutiles de longs développements – les principales étapes du déroulement de la crise financière entre l’été 2007 et l’automne 2008.

I. UNE CRISE FINANCIERE EXTREME QUI SANCTIONNE L’ECHEC DE L’AUTO-RÉGULATION

Si la crise des « subprimes » a légitimement retenu l’attention parce qu’elle a été le facteur essentiel d’accélération de la crise financière, il serait pour autant caricatural d’en faire la cause majeure de celle-ci, comme cela se produit quelquefois. La crise financière a des causes beaucoup plus diverses et profondes, liées notamment aux déficits structurels et à l’excès de liquidités sur le marché américain, à la politique systématique d’ « argent facile » de la Réserve fédérale américaine et à une dérégulation qui, dans un contexte de confiance aveugle, a conduit à multiplier des instruments et des pratiques de plus en plus aléatoires.

A. L’excès de liquidités lié aux déficits quasi-structurels des Etats-Unis

L’ampleur des déficits budgétaires et commerciaux des Etats-Unis est loin d’être un phénomène nouveau(2), mais le déséquilibre global qu’ils traduisent a pris des proportions gigantesques, en particulier depuis la crise financière asiatique de 1997-1998. Les pays d’Asie, en particulier la Chine, ont accumulé des excédents commerciaux et des réserves de change considérables tandis que le déficit commercial américain se creusait, et ces pays ont fait le choix d’empêcher une appréciation de leurs devises pour maintenir leur compétitivité à l’exportation, principalement vers les Etats-Unis et l’Europe. Les pays du Golfe, le Brésil, l’Inde, la Russie, se sont également inspirés de ce modèle de croissance.

Ainsi, les réserves de change ont atteint 6 448 milliards de dollars à la fin de l’année 2007, selon le FMI. En Asie, elles sont passées d’environ 800 millions de dollars en 2000 à 3 940 milliards de dollars en 2007, dont 2 000 milliards de dollars pour la Chine qui détient donc désormais les réserves de change les plus abondantes du monde. En ajoutant à l’Asie les pays du Moyen-Orient, les deux zones détenaient au total à cette date les deux tiers des réserves mondiales.

Or les pays largement dotés en réserves de change ont depuis longtemps investi massivement en actifs libellés en dollars. C’est le cas notamment de la Chine. Ainsi, les Etats-Unis ont été en 2007 les « destinataires » de la moitié des importations de capitaux du monde (49,2 % selon le FMI).

Comme l’expose M. Patrick Artus, ce système est profondément déstabilisant : le déficit extérieur des Etats-Unis fait que le soutien du dollar n’est pas réalisé par les Etats-Unis eux-mêmes mais par les pays qui achètent ces actifs en dollars. « Ceci conduit à un accroissement de la liquidité mondiale, et permet aux Etats-Unis de financer leur dette à des taux d’intérêt très bas, ce qui incite à accroître encore plus la demande intérieure, d’où un nouvel accroissement du déficit extérieur »(3).

B. La politique de soutien systématique de la croissance

Si l’afflux de liquidités mondiales vers les Etats-Unis a constamment alimenté la bulle spéculative du crédit et de l’immobilier, ce phénomène s’est combiné avec ce que M. Daniel Cohen appelle « l’acte fondateur responsable de la séquence qui conduit à la crise, (…) la politique extrêmement libérale des taux d’intérêt du crédit menée par la Réserve fédérale. Les macroéconomistes, quel que soit leur horizon, s’accordent tous sur ce point. Après la crise du 11 septembre [2001], qui venait juste après l’éclatement de la bulle Internet, [M. Alan] Greenspan a craint que la conjonction des deux évènements ne provoque une récession. Il a donc mené une politique totalement laxiste de taux d’intérêt très bas par rapport aux normes nécessaires. Ce faisant, il a accéléré un processus explosif. D’une part, une énorme baisse de l’épargne des ménages américains et ensuite la formidable détérioration de la balance des paiements des Etats-Unis. (…) Le résultat a été de créer une accélération des crédits, puis la bulle immobilière (…) »(4). La très forte inflation des actifs immobiliers et mobiliers qui en est résultée a alimenté une « frénésie financière ». La « bulle immobilière » qui s’est créée résulte à la fois des choix de politique monétaire et des initiatives des autorités américaines en faveur de l’immobilier, parmi lesquelles la création des deux GSE (government-sponsored enterprises) dont on reparlera plus loin.

On notera que ce choix de soutien continu à la croissance est une constante de la politique économique américaine et qu’il vise souvent, comme l’a démontré par ailleurs M. Daniel Cohen, à compenser par le niveau le plus élevé possible d’emploi, la faiblesse de la protection sociale aux Etats-Unis.

Cette politique conduit à nier la notion de cycles économiques. Elle rejoint ainsi les thèses monétaristes, mais elle y tend non pas par une régulation appropriée de la création monétaire, mais par une sorte de monétarisme forcé.

C. La dérégulation bancaire et financière et la définition de nouvelles règles fixées par les professionnels eux-mêmes

Alors que l’activité bancaire et financière était auparavant extrêmement encadrée, les Etats-Unis sont entrés, à la fin des années quatre-vingt-dix, dans une démarche systématique de dérégulation.

Comme l’a rappelé M. Christian Stoffaës(5), le Glass-Steagall Act ou Banking Act de 1933 était la législation adoptée à la suite des enquêtes en recherche de responsabilité conduites par le Congrès à la suite du krach de 1929. Le Congrès avait alors estimé que l’implication des banques de dépôt dans les marchés financiers était la grande responsable de la spéculation boursière et des faillites bancaires consécutives au krach. Le principe de cette législation était d’interdire aux banques de dépôt régulées l’accès aux marchés financiers libres, de leur prohiber la détention et le commerce des titres et de restreindre leur activité à la gestion des dépôts monétaires de leurs clients et aux opérations classiques de prêts commerciaux à court terme.

Le Glass-Steagall Act avait donc fermé aux banques l’accès à Wall Street, en édictant une incompatibilité entre les métiers de la banque de dépôt (commercial banking) et de la banque d’investissement (investment banking), donc entre le métier bancaire et le métier des marchés financiers. En application de cette loi, les géants de Wall Street ont dû opérer un choix radical entre l’une ou l’autre des deux activités. Le Banking Act de 1933 a été complété en 1956 par un autre texte qui a prohibé la confusion des métiers de banque et d’assurance. Ainsi, l’industrie financière américaine avait été coupée en deux : le secteur régulé, celui de la banque ; le secteur non régulé, celui des marchés financiers.

Le régime règlementaire du Glass-Steagall Act est resté en vigueur pendant soixante-six ans, jusqu’à son abrogation en novembre 1999 par le Gram-Leach-Bliley Act (ou Financial Services Modernization Act), qui a autorisé la constitution de holdings financiers conduisant simultanément des activités de banque commerciale, de banque d’investissement, de courtier en titres, d’assurance. Cette loi a donc « déspécialisé » l’activité bancaire. « Les banques de dépôt peuvent dès lors à nouveau être présentes à Wall Street, comme elles l’étaient avant 1929 »(6).

La dérégulation des marchés financiers s’inscrit alors dans un mouvement général de libéralisation des secteurs réglementés (transports aériens, télécommunications…). Le Glass-Steagall Act paraissait devenu obsolète et inadapté, alors que les métiers financiers avaient profondément changé. Pendant ce temps, les banques européennes et japonaises se transformaient en géants mondiaux, entraînant le déplacement progressif, de New York vers la City de Londres, du pôle de référence financier de la planète.

Cette volonté de dérégulation a, ce faisant, très largement touché l’Europe. Les banques européennes ont souvent cédé à la tentation de développer les mêmes instruments spéculatifs que les banques américaines. Elles ont aussi pris part au développement des rémunérations inconsidérées et des « paradis fiscaux », particulièrement à partir de la place financière de Londres.

La période de finance « facile » a engendré la tentation des investisseurs de prendre davantage de risques et d’avoir plus largement recours à l’endettement. L’élimination de barrières structurelles entre banque d’investissement et banque de dépôts a également favorisé la fluidité du crédit. Il en est résulté une concurrence accrue au sein du secteur financier et une stimulation de l’innovation financière. Il est très largement admis aujourd’hui que les innovations financières ont à leur tour facilité la prise de risques.

Certaines techniques, telles que la titrisation, ont totalement dérivé par rapport à leurs finalités d’origine.

Le développement de la titrisation fait partie, comme la désintermédiation et la déréglementation financières, des évolutions les plus marquantes observées sur les marchés de capitaux au cours de la dernière décennie.

La titrisation est apparue à partir du milieu des années soixante-dix (en France, une loi l’a introduite dans les années 1980) mais c’est la déréglementation bancaire américaine précédemment évoquée qui lui a fait connaître, à partir de 2000, une véritable explosion. Ainsi l’encours des ABS (« asset-backed securities » ou titres basés sur des actifs) a doublé depuis 2000, passant de 1 072 milliards de dollars à 2 238 milliards sur le seul marché américain.

Comme le rappelle une étude de la Direction de la stabilité financière de la Banque de France (7), le rôle normal des banques était jusqu’ici d’assurer l’essentiel des prêts. Elles les conservaient à leur bilan et les suivaient jusqu'à échéance. La titrisation leur a donné la possibilité de ne plus faire apparaître le risque de crédit à leur bilan mais de le transférer à d’autres investisseurs. Les étapes qui président à l’octroi d’un prêt sont ainsi devenues très complexes. Elles sont généralement divisées en plusieurs activités distinctes, chacune pouvant être exercée au sein d’institutions ou d'organismes différents(8). Le risque de crédit est ainsi plus largement disséminé au sein du système financier. Pour les banques, la titrisation présente notamment l’avantage de leur faire économiser du capital, puisqu’elles n’ont ainsi plus besoin d’immobiliser des fonds propres comme les règles prudentielles le leur imposent lorsqu’elles conservent des crédits dans leurs bilans. Grâce à quoi, elles pouvaient accorder de nouveaux crédits, qui pouvaient à leur tour être titrisés.

La titrisation a stimulé la création de nouveaux produits financiers. Au cours des dernières années, la titrisation a concerné pratiquement toutes les catégories de créances, et bien au-delà du marché américain. Sans la titrisation, de nombreuses opérations de prêts n’auraient pas eu lieu.

Mais la diffusion des risques sur le marché a conduit à les négliger, à les oublier, puis à les dissimuler. Les banques ont transféré le risque de crédit à des entités distinctes, appelées « conduits », « Special Investment Vehicules » ou « Special Purpose Vehicules ». Cette pratique a donné l’impression erronée que ce risque était sorti du système financier. L'expérience a montré que tel n’était pas le cas. C’est la chute de Bear Stearns qui a fait prendre conscience des risques de la titrisation, jusqu’alors unanimement célébrée. Les besoins de refinancement résultant notamment de l'activation des lignes de crédit que les banques avaient consenties aux différents véhicules de titrisation ont reporté les tensions sur le marché interbancaire, nécessitant l'intervention des banques centrales.

D’autre part, sur un marché où abondaient les liquidités et où les taux d’intérêt étaient extrêmement bas, les opérateurs bancaires et financiers, dans un climat de confiance aveugle, ont développé des instruments de plus en plus audacieux pour répondre aux attentes des investisseurs et des spéculateurs. Ce fut le cas notamment avec les « credit default swaps » (CDS) et les « collateralised debt obligations » (CDO). L’importance et la totale liberté des rémunérations perçues par les opérateurs ne pouvaient qu’encourager ce type d’ « innovations ».

Dans le même temps, et à la suite de certains scandales financiers – notamment l’affaire Enron –, de nouvelles règles et de nouveaux mécanismes financiers se mettaient en place, le plus souvent à l’initiative des professionnels eux-mêmes.

Le paradoxe veut que cet effort de meilleure maîtrise du marché n’ait fait qu’accentuer, voire accélérer, la crise. C’est vrai des agences de notation qui, engluées dans le système, ont perdu toute capacité d’analyse objective. C’est vrai aussi des nouvelles règles comptables qui, destinées à assurer une transparence immédiate, ont joué un rôle procyclique extrêmement pervers avec le retournement du marché.

D. La crise des « subprimes », élément déclencheur de la crise

Que sont les « subprimes » et comment expliquer qu’un choc affectant un compartiment restreint du marché hypothécaire américain se soit transformé en crise financière de grande ampleur ?

Des prêts immobiliers ont été consentis en grand nombre à des personnes peu solvables avec une explication insuffisante du risque correspondant, et ce risque a été diffusé dans des produits financiers sophistiqués proposés à de nombreux investisseurs qui bien souvent n’étaient pas en mesure d’en évaluer les dangers.

1) Les crédits hypothécaires dits « subprimes »

Les « subprime loans » (littéralement : prêts en dessous du « premier choix ») sont des prêts consentis à des ménages modestes dont la solvabilité est incertaine, en raison du caractère limité ou aléatoire de leurs revenus.

Quand la clientèle classique des ménages ayant accès au crédit « prime » a commencé à se tarir, les prêteurs américains ont en effet courtisé une clientèle moins solvable, avec des pratiques souvent peu soucieuses de protection des consommateurs.

Les banques et les autres organismes de crédit hypothécaire ne se sont pas montrés très prudents sur les capacités de remboursement de ces emprunteurs, puisqu’ils avaient la possibilité de « se débarrasser » des créances ainsi constituées et des risques qui leur étaient associés. En effet, si les banques américaines ont conservé une partie des crédits hypothécaires qu’elles avaient distribués, elles en ont titrisé la majeure partie (environ 55 %). Elles ont ainsi utilisé, pour les « subprimes » comme pour toutes sortes d’autres créances, le mécanisme de titrisation.

S’agissant des créances hypothécaires du crédit « subprime », le plus gros de leur titrisation a été effectué par deux organismes financiers, « Fannie Mae » (surnom tiré phonétiquement du sigle de la Federal National Mortgage Association, ou FNMA) et « Freddie Mac » (surnom de la Federal Home Loan Mortgage Corporation, ou FHLMC), créés par le gouvernement américain mais – jusqu’en septembre 2008 – dotés d’un actionnariat privé et cotés en Bourse. Ces deux agences ont fait du marché des titres hypothécaires américains le plus gros marché obligataire du monde, devant celui des bons du Trésor.

Ces deux GSE (government-sponsored enterprises) ont été créées pour fournir des liquidités au marché des hypothèques résidentielles, ce qui abaissait les taux d’emprunt et favorisait l’accès à la propriété. Elles rachètent aux prêteurs des hypothèques, les regroupent en « titres adossés à des hypothèques », et les vendent sur le marché. En outre, elles achètent d’autres types d’actifs pour garnir leurs portefeuilles. Ces achats étaient financés facilement car les investisseurs tenaient pour acquis que le Trésor américain ne laisserait pas les GSE faire défaut. Ces institutions ont donc exercé un fort effet de levier, en étant à la fois des assureurs spécialisés en obligations hypothécaires et des fonds d’investissement. Incitées à augmenter leurs portefeuilles en raison de la garantie implicite des contribuables, elles profitaient aussi de ratios de fonds propres plus bas que les entités comparables du secteur privé.

Les GSE ont connu des problèmes de couverture sur taux d’intérêt dans les années 1990 et des scandales comptables au début des années 2000. Certains observateurs, notamment le FMI, avaient alors demandé qu’elles soient liquidées ou réglementées plus strictement, ce qui n’a pas été fait.

2) Les faiblesses majeures de ce système de financement

Selon l’analyse précitée de M. Laurent Clerc, les principaux dangers que comportait ce système de financement sont les suivants :

a) La présence d'imperfections sur le marché du crédit

Les émetteurs de prêts sont moins incités à s’assurer de leur viabilité dans la mesure où ils prévoient de transférer le risque de crédit à d’autres investisseurs. Ce problème d’aléa moral est encore aggravé lorsque les prêts sont octroyés par des organismes non réglementés.

A l’étape suivante, les acquéreurs des prêts, qui envisagent de les restructurer sous forme d’instruments de crédit complexes, sont peu incités à vérifier la qualité des actifs qu’ils ont acquis. Ils savent en effet que les acheteurs finaux se fient essentiellement à la notation attribuée à l’actif sous-jacent. Dans ce processus, les agences de notation sont donc investies d’une mission essentielle qui consiste à réunir et à contrôler l’information concernant les emprunteurs.

Sur les marchés titrisés, le système de notation permet à tous les intervenants d’avoir accès à des informations simples, claires et concises sur le risque de crédit lié aux différentes classes et catégories d’instruments financiers. La notation est devenue une partie intégrante de la conception et de l’ingénierie financière de ces produits. En permettant la comparabilité des produits structurés avec une large gamme d’actifs, les notations assurent leur négociabilité ou, pour le formuler autrement, leur liquidité.

Cependant, ce processus comportait deux faiblesses importantes : premièrement, les agences de notation se considéraient comme uniquement responsables de l’évaluation du risque de crédit. Leurs notations ne prenaient donc pas en compte le risque de liquidité alors que les investisseurs étaient persuadés du contraire. Deuxièmement, les modèles utilisés pour noter les produits structurés étaient identiques, en termes de présentation, à ceux qui étaient utilisés pour les produits obligataires traditionnels. Or, pour les investisseurs, une notation « AAA » est traditionnellement associée à un investissement stable.

b) Les incertitudes relatives à la valorisation des actifs, et au degré d’exposition au risque

La dilution des risques et la complexité des produits structurés ont occulté la localisation réelle des risques. Dans ces conditions, la détérioration de la valeur de certains actifs, comme cela a été observé pour les actifs liés aux « subprimes », a entraîné une augmentation de l’incertitude relative à la valeur intrinsèque de nombreuses autres catégories d’actifs financiers, qu’ils soient exposés ou non au marché immobilier des « subprimes ».

Les nouvelles entités comme les SIV étaient, pour la plupart, dotées de lignes de crédit bancaires ou d’autres garanties des banques auxquelles elles sont liées. Ces lignes de crédit se substituent aux fonds propres qui auraient autrement été exigés de ces entités pour pouvoir émettre des billets de trésorerie bénéficiant de la note AAA. La titrisation ne protégeait donc pas complètement les banques du risque de crédit sur les actifs transférés.

La titrisation produit de hauts rendements quand les actifs s’apprécient et une spirale vertigineuse quand les actifs perdent leur valeur. Or, avec la baisse des prix de l’immobilier, c’est bien une telle spirale qui s’est enclenchée. La crise s’est propagée de banque en banque et d’un pays à l’autre et a conduit, à travers la défiance entre banques, à la paralysie du marché interbancaire.

II. UNE CRISE PROLONGEE, QUI S’EST AMPLIFIEE BRUTALEMENT

A. De l’euphorie à la défiance généralisée

Les éléments de fragilité qui viennent d’être évoqués et le retournement du marché immobilier américain ont provoqué des turbulences financières importantes au cours de l’été 2007. Les premiers signes de retournement du marché immobilier américain sont apparus dans le courant de 2006, avec le déclenchement de procédures de saisie contre des propriétaires emprunteurs incapables d’honorer leurs échéances. Les ventes aux enchères qui en ont résulté, dans un marché « qui était passé brutalement de l’euphorie à l’atonie »(9), se sont révélées décevantes. Le système des crédits « subprime » était bâti sur des anticipations de défaut de 1 ou 2 % des emprunteurs ; or le taux de défaillance a dépassé 5 % dès 2006 et a atteint des chiffres quinze à vingt fois supérieurs aux anticipations à partir de l’été 2007.

Le retournement d’un marché immobilier est un phénomène très classique mais celui-ci a été amplifié par la spéculation et l’inflation considérable des prêts et des acquisitions. Les crédits de mauvaise qualité ayant été largement disséminés, ils ont « contaminé » un nombre important d’investissements, bien au-delà des Etats-Unis.

Les investisseurs se sont mis à considérer avec plus de méfiance les produits complexes qu’ils avaient acquis sans être trop regardants au cours de la période d’euphorie. La défiance s’installe alors, paralysant le marché interbancaire à l’été 2007 lorsque les banques ont commencé à se soupçonner systématiquement les unes les autres de dissimuler des « subprimes » sans valeur dans leurs produits financiers. Les différents « véhicules » ne trouvant plus preneur, les banques et les maisons de titres détentrices d’actifs suspects invendables ont été contraintes de par leurs garanties de les rapatrier dans leurs comptes et d’en provisionner les moins-values latentes dans leurs bilans. Le fait que les notations AAA soient apparues moins fiables que ce qui était normalement attendu pour cette classe d’actifs, avec des exemples de révision à la baisse des notations de plusieurs niveaux en une journée, a conduit les investisseurs à mettre en doute la valorisation de tous les types de crédits (pas seulement hypothécaires).

L’échec de la tentative de placement par Bear Stearns d’un titre CDO a suscité une défiance généralisée. Incapable de placer ses titres, Bear Stearns, la cinquième banque d’investissement de Wall Street, reconnaît publiquement le 16 juillet 2007 que deux de ses fonds ont perdu l’essentiel de leur valeur et les déclare en faillite. Le 9 août 2007, la Réserve fédérale révèle au grand jour l’étendue de l’inquiétude en décidant d’une injection massive de liquidités sur le marché des transactions interbancaires, qui venait de s’assécher.

Au troisième trimestre 2007 surgissent d’autres révélations du même type dans le secteur hypothécaire : Countrywide aux Etats-Unis, Northern Rock au Royaume-Uni, IKB et Sachsen LB en Allemagne, etc. Le 16 mars 2008, la quasi-faillite de Bear Stearns amène son rachat par JP Morgan, rachat pour lequel le Trésor américain a offert à JP Morgan une ligne de crédit de 30 milliards de dollars.

A ce stade, les risques de faillite bancaire qui se manifestent ont pu être colmatés dans l’urgence (notamment pour Northern Rock, nationalisée le 17 février 2008), ce qui a empêché la défiance de dégénérer en panique. Mais comme le constate en avril 2008 M. Nicolas Véron, « depuis août [2007] la crise a semblé faire la navette entre les deux rives de l’Atlantique (…). Aux Etats-Unis le marché immobilier connaît un retournement sans précédent qui affecte l’ensemble du pays, l’économie est sans doute entrée en récession, et une vague de faillites d’entreprises est probable. En Europe, l’environnement économique s’est dégradé aussi, mais pas autant (…). En revanche, l’Europe bancaire s’est découverte depuis huit mois des vulnérabilités insoupçonnées et préoccupantes »(10).

En septembre 2008, « Fannie Mae » et « Freddie Mac » sont placés sous contrôle public, et la faillite de Lehman Brothers, également en septembre 2008, marque l’accélération et l’amplification radicales de la crise.

Le 7 septembre « Freddie Mac » et « Fannie Mae » sont placés sous administration judiciaire et leurs dirigeants sont remplacés.

Le 12 septembre, les autorités américaines constatent que deux banques d’affaires, Merrill Lynch et Lehman Brothers, sont au bord de la faillite. La Bank of America se déclarant intéressée pour racheter la première, le rachat se fait, mais Lehman Brothers ne trouve finalement pas de repreneur et le Secrétaire d’Etat au Trésor, M. Henry Paulson, prend la décision de laisser la banque faire faillite le 15 septembre.

Cette faillite va déclencher une chaîne d’évènements, avec notamment la menace de faillite de l’assureur AIG (le Trésor américain est intervenu pour le sauver le 16 septembre), de fortes baisses des cours boursiers, et un mouvement général de « paris » sur la faillite d’autres banques. On recense également la faillite d’une dizaine de banques régionales américaines. Fin septembre, le rejet par le Congrès d’une première version du « plan Paulson » aggrave le sentiment de panique sur les marchés financiers.

B. L’amplification de la crise financière et son extension à l’économie réelle

Immédiatement après la faillite de Lehman Brothers, l’Europe est à son tour touchée, avec la faillite au Royaume-Uni de la banque immobilière HBOS le 17 septembre (et son rachat par Lloyds TSB).

Après les cas des banques islandaises, de la Roskilde Bank au Danemark, de Fortis, de Bradford&Bingley, de Hypo Real Estate, il apparaît évident, à la fin du mois de septembre 2008, que le risque de faillite d’une grande banque européenne n’est pas à exclure, et ce, même si les fondamentaux des grands acteurs du secteur bancaire en Europe semblent suffisamment solides (notamment ceux des grandes banques françaises). Les Etats du Benelux ont dû injecter le 29 septembre plus de 11 milliards d’euros dans le capital de Fortis, et le lendemain les Etats français et belge sont intervenus une première fois pour secourir Dexia, avant d’intervenir une nouvelle fois le 9 octobre. Quant aux banques de plus petite taille, elles sont nombreuses à traverser de graves difficultés, qu’il s’agisse des caisses d’épargne espagnoles, des banques russes de taille moyenne, ou de certaines banques régionales allemandes (Landesbanken).

Contrairement aux différentes crises financières des vingt dernières années, cette fois c’est d’une crise « systémique » qu’il s’agit, car elle touche l’ensemble du fonctionnement de l’industrie financière.

La crise n’a pas touché toutes les banques – au vu des rachats effectués par le groupe espagnol Banco Santander ou par Bank of America, par exemple, il a été démontré que certaines banques étaient plus solides que d’autres. Mais la crise n’a pas touché uniquement les banques qui avaient investi dans des créances liées aux crédits hypothécaires à risque américains. Et il apparaît que la crise n’est pas seulement une crise bancaire, mais que tous les métiers de la finance sont concernés, notamment dans le domaine de l’assurance. Ainsi les grands groupes d’assurance européens ont à leur tour été affectés, notamment à cause de la dévaluation de leurs placements et de la dépréciation de leurs actifs liée à la chute des cours boursiers. Aux Pays-Bas, trois entreprises d’assurance, le « bancassureur » ING, l’assureur Aegon et le « bancassureur » SNS Reaal, ont reçu des apports de capitaux de l’Etat (respectivement 10 milliards, 3 milliards et 750 millions d’euros).

Qu’en est-il du rôle joué par les hedge funds, ou fonds spéculatifs ? Contrairement à ce qui est parfois écrit, les hedge funds n’ont pas été à l’origine de la crise. Mais en raison d’effets de levier trop audacieux, certains d’entre eux se sont effondrés, accélérant la transmission de la crise financière à l’économie réelle.

Dans une étude publiée le 2 octobre 2008, le FMI souligne que la spécificité de cette crise financière tient moins à sa brutalité (des crises financières très violentes ont frappé certains pays suite à l’éclatement de la bulle spéculative dans les années 1990, en particulier le Japon, la Suède, la Finlande) qu’à son étendue géographique.

En effet, la crise n’a épargné aucun continent : suspensions répétées des cotations à la Bourse de Moscou, interventions sur les marchés financiers du gouvernement chinois pour soutenir la capitalisation des trois principales banques du pays, engagement du gouvernement brésilien de subvenir aux besoins des entreprises en cas de raréfaction des financements internationaux…

Les flux mondiaux d’investissements directs à l’étranger (IDE) sont affectés : en septembre 2008 la CNUCED prévoit que ces flux baisseront de 10 % sur l’année 2008, alors qu’en 2007 toutes les régions du monde avaient bénéficié d’une hausse des IDE.

Les conséquences de la crise financière affectent également l’aide aux pays en développement, ce qui s’est traduit par exemple, au sein de l’Union européenne, par des tensions persistantes autour de la négociation sur la création d’une « facilité de réponse rapide » à la crise alimentaire dans les pays en développement les plus gravement touchés (un accord sur le financement de cet instrument a finalement pu être trouvé le 21 novembre 2008).

A la fin du mois d’octobre 2008, les scénarios macroéconomiques présentés par les différents organismes de prévision sont de plus en plus sombres. Les prévisions économiques publiées par le FMI, l’OFCE, la Commission européenne, révèlent l’incertitude qui pèse sur l’ampleur de l’impact de la crise sur l’économie réelle. Selon le FMI, à l’exception du Canada tous les pays du G7 seront en récession en 2009. De nombreux établissements financiers ont d’ores et déjà annoncé des plans de licenciement importants, notamment l’américain Citigroup qui va supprimer 52 000 postes d’ici à juin 2009 après en avoir supprimé 23 000 entre janvier et septembre 2008. Les entreprises sont fragilisées car se financer devient difficile et coûteux. La situation de certaines catégories d’entreprises suscite une inquiétude particulière. C’est le cas notamment des entreprises qui ont fait l’objet d’un « leverage buy-out » (LBO), c’est-à-dire qui ont été rachetées par des fonds d’investissement avec un fort recours à l’emprunt, et qui pourraient se trouver en situation de surendettement.

La chute généralisée des places boursières est considérable, et durable, tant dans les pays développés que dans les Bourses des pays émergents, et ce, en dépit des différentes mesures qui ont déjà été prises et sur lesquelles on reviendra dans la suite du présent rapport. Depuis le début de l’année 2008, la Bourse de Paris a cédé près de 47 %, celle de Moscou de 71 %, et la Bourse islandaise s’est littéralement écroulée (- 94 %).

Aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, près d’un foyer sur deux détient des actions. Pour ces ménages, la chute de près de 40 % des cours de la Bourse depuis janvier 2008 a souvent détruit d’autant la valeur de leur patrimoine mobilier. En France, les particuliers, qui sont plus réticents envers l’investissement boursier, sont donc moins affectés. Toutefois, des millions d’épargnants qui détiennent des Sicav, des FCP, des produits d’assurance-vie, sont directement touchés. Dans les pays où les pensions de retraite sont financées largement ou essentiellement par capitalisation, comme aux Etats-Unis, les conséquences d’un krach boursier sont considérables. Là encore, la France est moins affectée.

Est-il possible de désigner un ou des responsables de cette crise ? Certaines informations de base, telles que la taille globale des marchés de la titrisation, ainsi que d’autres plus détaillées, relatives notamment aux actifs sous-jacents des produits complexes, auraient dû être à la disposition des autorités et du marché. Pour autant, le manque de transparence ne peut être tenu pour l’unique responsable des turbulences sur les marchés : la crise a mis en évidence des lacunes en matière de vigilance de la part des participants des marchés, et des lacunes dans les systèmes de supervision.

C’est notamment le cas en Europe, comme le relevait en avril dernier M. Nicolas Véron dans l’article précité :

« Des déficiences graves de la gestion du risque sont apparues à tous les niveaux. Au sein des banques elles-mêmes : les banques publiques allemandes ont exposé une grande part de leur bilan à des risques qu’elles semblent ne pas avoir bien compris, et la Société Générale a révélé des déficiences sérieuses de son contrôle interne. Au niveau des autorités publiques : le régulateur financier allemand n’a pas su ou pas voulu traiter à temps le risque porté hors bilan par IKB, Sachsen LB et WestLB ; la Banque d’Angleterre a commis une lourde erreur en refusant de fournir de la liquidité aux banques britanniques, précipitant la chute de Northern Rock. Enfin, au niveau du marché tout entier : celui-ci a peu confiance dans les comptes publiés par les banques européennes, certainement moins qu’aux Etats-Unis. (…)

Surtout, l’Europe pâtit d’un trou béant au centre de son système de supervision financière. Les grandes banques européennes sont sorties de leur pays d’origine au cours des dernières années, au fur et à mesure des fusions transfrontalières telles que Santander-Abbey, UniCredit-HVB, BNP Paribas-BNL ou le démantèlement d’ABN-Amro. Mais leur supervision est restée presque entièrement organisée sur une base nationale. De ce fait, les banques les plus importantes pour la stabilité du système sont aussi celles dont la surveillance publique est la plus hasardeuse. Les Etats-Unis se posent aussi des questions sur les compétences respectives de leurs autorités de régulation, mais eux disposent d’un régime bancaire unifié depuis 1864, et d’agences fédérales de supervision depuis 1933. (…) »

Au total, les responsabilités sont considérables et partagées entre un grand nombre d’acteurs.

Mais aujourd’hui deux priorités, parfois contradictoires dans le temps et quant à la portée des décisions à prendre, s’imposent à nous :

- la poursuite des opérations de sauvetage des établissements bancaires et financiers, et dans leur prolongement, les plans de relance pour éviter que la crise financière ne dégénère en une dépression de l’économie réelle. Les décisions prises – injections ou garanties massives de liquidités, suspension provisoire des règles du Pacte de stabilité et de croissance – sont paradoxalement souvent contraires, dans l’immédiat, à l’objectif de retour aux équilibres, voire de résorption des bulles immobilières. Mais un changement majeur s’est produit. C’est que, du moins dans cette phase, ce sont désormais les Etats et non plus les mécanismes « autorégulateurs » des marchés qui sont aux commandes ;

- la nécessité de mettre en place les instruments de régulation et de supervision propres à éviter le renouvellement de crises comparables ; ce qui n’a pas été fait avant la crise actuelle devra l’être le plus tôt possible. La pire des choses serait en effet de considérer que le retour à une situation financière et économique à peu près normale pourrait nous en dispenser. Après la bataille du sauvetage d’urgence du système bancaire et financier, c’est la seconde bataille que les Européens doivent désormais mener à bien.

DEUXIEME PARTIE :
LA REACTION EFFICACE DES EUROPEENS MARQUE LE RETOUR DE LA PUISSANCE PUBLIQUE

L’Union européenne n’a certes pas attendu les évènements de septembre-octobre 2008 pour agir face à la crise financière. Mais son action a marqué un tournant décisif à partir de la mi-octobre, grâce à l’impulsion donnée par la Présidence française et à la cohérence d’action des différents Etats. Cette implication très forte du Conseil européen, soutenu par la Commission européenne, et des différents Etats marque le retour de la puissance publique.

I. LA « FEUILLE DE ROUTE » D’OCTOBRE 2007 : DES CHANTIERS TROP TIMIDEMENT ENGAGÉS 

Lors de sa réunion du 7 octobre 2007, le Conseil « Ecofin » avait adopté des conclusions contenant des principes communs pour la gestion des crises financières internationales et une « feuille de route » pour le renforcement de la coopération et l’examen des outils de prévention, de gestion et de résolution des crises. Ceci constituait un programme de travail pour le Conseil et la Commission européenne devant s’étendre jusqu’à la fin de l’année 2008.

Ces conclusions indiquaient l’accord des 27 Etats pour que les principes ainsi énoncés soient « respectés pour gérer toute crise financière transfrontière susceptible d’avoir des conséquences systémiques », en « tenant compte du fait que des actions rapides peuvent être nécessaires pour préserver la stabilité financière ». Les conclusions demandaient à la Commission européenne et aux Etats de proposer des modifications de la législation communautaire pour, notamment, préciser la nature et l’étendue des obligations légales des autorités de contrôle, des banques centrales et des ministères des finances en termes d’échanges d’informations et de coopération, et pour envisager d’insérer dans le mandat des superviseurs nationaux la mission de coopérer au sein de l’Union européenne. Elles demandaient également à la Commission européenne de préciser à partir de quel moment il serait possible de considérer qu’une crise bancaire majeure provoque une « perturbation grave de l’économie » au sens de l’article 87, paragraphe 3, du traité CE ainsi que des règles sur les aides d’Etat, et de rationaliser les procédures sur les aides d’Etat pour que les enquêtes sur ces aides soient menées rapidement « dans ce type de circonstances critiques ».

Les principes communs approuvés par les 27 Etats à l’occasion de ce Conseil « Ecofin » étaient les suivants :

- le recours aux fonds publics pour résoudre une crise ne pourra jamais être tenu pour acquis, et il ne sera envisagé que pour remédier à une perturbation grave de l’économie et lorsqu’on juge que les bénéfices sociaux dans leur ensemble excèdent le coût de la recapitalisation sur les fonds publics ; tout recours à des fonds publics sera assorti de conditions rigoureuses et uniformes ; toute intervention publique devra être conforme à la réglementation de l’Union européenne en matière de concurrence et d’aides d’Etat ;

- la direction d’une institution en difficulté devra rendre des comptes ;

- lorsqu’un groupe bancaire exerce des activités importantes dans plusieurs Etats membres, les autorités desdits Etats coopéreront étroitement ;

- les autorités des Etats membres affectés devront être en mesure d’évaluer rapidement la nature systémique de la crise ainsi que ses implications transfrontières ;

- si nécessaire, les dispositifs adoptés tiendront compte de la dimension mondiale ; au besoin, les autorités des pays tiers seront associées.

Au moment de l’adoption de ce programme de travail, la dimension systémique de la crise financière n’était pas encore avérée. Aussi les chantiers importants qui ont été lancés en application de cette « feuille de route » n’ont-ils avancé que timidement, se heurtant à des réticences nationales trop fortes. Beaucoup de temps a ainsi été perdu.

Tel était notamment le cas des négociations, pourtant engagées depuis juillet 2007, sur la directive dite « Solvabilité II »(11), qui comporte des dispositions sur les règles prudentielles, la supervision et les exigences de transparence applicables au secteur de l’assurance.

Une autre proposition qui était sur la table depuis juillet 2007(12) portait sur la coordination des dispositions législatives et règlementaires concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM), pour lever les barrières administratives à la distribution transfrontalière de ces fonds d’investissement – ce texte soulevant notamment le problème de la transparence des informations que ces fonds doivent fournir aux investisseurs, ainsi que le problème du mode de supervision de ces fonds ; les Etats membres ont défini les éléments d’un accord sur ce texte, le 2 décembre 2008, et le vote du Parlement européen est attendu pour le début de l’année 2009. On reviendra dans la dernière partie du présent rapport sur la question cruciale de la supervision des activités du secteur financier au niveau européen.

II. L’ACTION POSITIVE DE LA BANQUE CENTRALE EUROPÉENNE ET LES PREMIERS ELEMENTS DE RÉPONSE DES ETATS MEMBRES A L’ACCELERATION DE LA CRISE

Lorsque la crise financière a connu au début du mois de septembre 2008 une nette accélération et a pris une ampleur dramatique suite à la faillite de Lehman Brothers, les autorités européennes – et tout particulièrement la Présidence française – ont pris la mesure de ce phénomène, mais dans un premier temps la réponse européenne n’a sans doute pas été à la hauteur, et les premières mesures de réaction nationales ont pu donner un sentiment de confusion.

Tout n’était pourtant pas bloqué au niveau des institutions européennes à ce stade : il convient de saluer l’action vigoureuse et positive de la Banque Centrale Européenne. Il convient également de souligner que, si la Commission européenne a été beaucoup critiquée, sur un terrain au moins elle a fait preuve d’une rapidité et d’une souplesse bienvenues : celui de l’application des règles relatives aux aides d’Etat pour valider les différentes mesures de sauvetage nationales. Au niveau des Etats membres, c’est le Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement des pays de la zone euro du 12 octobre qui a représenté l’étape décisive.

A. L’action de la Banque Centrale Européenne

Il n’est pas toujours suffisamment reconnu que la Banque Centrale Européenne a remarquablement bien réagi à la crise du crédit depuis le mois d’août 2007(13). Lorsque nous l’avons rencontré, le Président de la BCE, M. Jean-Claude Trichet, l’a souligné à juste titre : « Notre action a impressionné le monde entier ». Comme l’a souligné M. Nicolas Véron, du « think tank » Bruegel, lors de l’entretien que nous avons eu avec lui, cette crise financière a été le premier véritable test pour l’euro et la BCE devait à cette occasion asseoir sa crédibilité – et l’a fait de manière réactive et pragmatique.

La BCE a mis à la disposition des marchés des sommes importantes depuis plus d’un an, et ses opérations ont connu une nette intensification depuis la faillite de Lehman Brothers. Elle a joué un rôle moteur dans la concertation intense qui s’est constituée entre les principales banques centrales au niveau mondial.

Certes, une telle coopération n’était pas sans précédent : à la suite des attentats du 11 septembre 2001, notamment, les banques centrales américaine, européenne, suisse, canadienne et britannique avaient déjà uni leurs efforts pour alimenter les marchés financiers en liquidités de manière importante. Mais il convient de souligner que, depuis l’été 2007, c’est à de multiples reprises qu’une telle concertation a eu lieu, principalement entre la BCE et ses homologues anglo-saxonnes, mais également, selon les cas, avec ses homologues japonaise, suisse, suédoise... M. Jean-Claude Trichet nous a indiqué que la BCE a ainsi été en contact permanent avec ses homologues, ce qui a permis une information mutuelle.

En raison de la défiance généralisée qui a paralysé les relations entre banques, les banques centrales sont devenues de facto les seuls prêteurs du système financier : en cas de difficultés sur le marché interbancaire, il leur revient d’« injecter des liquidités », c’est-à-dire de prêter elles-mêmes de l’argent aux banques, à très court terme. C’est leur compétence de « banquier des banques ».

Les banques centrales, notamment la BCE, ont eu recours à toute la gamme de leurs instruments (« swaps » entre banques centrales, acceptation d’une gamme de plus en plus large d’actifs en contrepartie des prêts qu’elles accordent aux banques, réduction des taux d’intérêt…). Ainsi, le 8 octobre, la BCE et cinq autres banques centrales (Royaume-Uni, Etats-Unis, Suède, Suisse et Canada) ont abaissé de manière concertée leurs taux directeurs d’un demi-point de pourcentage, et la Banque centrale chinoise s’est jointe à ce mouvement.

Les banques se montrant extrêmement réticentes à se prêter de l’argent, la BCE, qui agit en temps normal par le biais d’opérations « standard » (qui ont lieu à intervalles réguliers et dont la maturité est toujours la même) a procédé ces derniers mois à des opérations extraordinaires.

Un récapitulatif additionnant les sommes mises à disposition par la BCE au cours des derniers mois ne serait pas très significatif, car l’argent que prête la BCE lui est restitué avec les intérêts à l’échéance fixée pour être ensuite réinjecté, et ainsi de suite. Mais les montants proposés et effectivement alloués illustrent l’intensification récente. Par exemple, la BCE, le jour même de l’annonce de la faillite de Lehman Brothers, le 15 septembre 2008, a injecté 30 milliards d’euros sur les marchés monétaires, et a proposé un total de 150 milliards d’euros dès le lendemain, tout en décidant de procéder à une distribution de liquidité illimitée à taux fixe sur différentes échéances (à un jour, à un mois, à trois mois et à six mois).

Parallèlement à ces opérations en euros, la BCE a également renforcé ses appels d’offres en dollars dans le cadre d’actions concertées avec les autres Banques centrales. Ces actions permettent aux Banques centrales, par des accords appelés « swaps » avec la Réserve fédérale américaine, de se prêter de l’argent entre elles pour stabiliser le système financier de leurs zones respectives ; la BCE a pu ainsi refinancer en dollars les banques commerciales européennes qui doivent faire face à leurs obligations contractées en dollars.

M. Jean-Claude Trichet nous a également indiqué que les autres banques centrales mondiales ont rapidement pris des mesures pour imiter certaines caractéristiques du système de refinancement de la BCE, notamment s’agissant de la gamme des contreparties acceptées par la BCE et que celle-ci a temporairement élargie(14).

Chaque Banque centrale a toutefois conservé certaines spécificités. Ainsi la Réserve fédérale américaine a-t-elle annoncé le 7 octobre qu’elle allait financer directement des entreprises (non financières) américaines par le biais de billets de trésorerie, en mettant en place une structure spécialisée qui achètera des billets de trésorerie à trois mois. La BCE n’a pas la possibilité de s’adresser ainsi à des entreprises du secteur non bancaire, mais la structure de l’Eurosystème lui permet, par l’intermédiaire des banques centrales nationales des pays de la zone euro, d’accéder aux demandes de refinancement d’un grand nombre de banques, et donc de bien irriguer l’ensemble du système.

L’action concertée et massive des banques centrales n’a pas réussi à « ressusciter » le marché interbancaire qui était presque totalement paralysé : en raison des turbulences persistantes sur les marchés boursiers et de la disparition quasi totale de la confiance chez les acteurs des marchés financiers, beaucoup de banques ont eu tendance à conserver les fonds que leur prêtait la banque centrale, plutôt que de les prêter à leur tour. Il est cependant certain que l’action des banques centrales, et en particulier de la BCE, était nécessaire pour réunir les conditions du retour de la confiance. Leur action, notamment en ce qui concerne l’évolution du niveau des taux d’intérêt, continue d’être nécessaire au fur et à mesure de la transmission de la crise de la sphère financière à la sphère réelle.

Ce retour progressif – et malheureusement fort lent – de la confiance appelait aussi des interventions des Etats. Au niveau de l’Union européenne, la Présidence française s’est attachée avec détermination à dégager les éléments d’une réponse concertée.

B. Premiers éléments d’une position commune des Etats membres

Au Conseil « Ecofin » de Nice, les 12 et 13 septembre 2008, la Présidence française a proposé aux Etats membres de s’accorder sur une réponse coordonnée fondée sur quatre « piliers » : laisser jouer les « stabilisateurs automatiques » dans la limite de 3 % de PIB pour les déficits publics, poursuivre les réformes structurelles, faire intervenir la BEI pour soutenir l’activité des PME par des financements supplémentaires, et poursuivre la mise en œuvre de la « feuille de route » d’octobre 2007.

Le 4 octobre 2008 s’est tenu à l’initiative de la Présidence française un sommet des quatre membres européens du G8 (France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie), en présence du président de la Commission européenne, du président de la BCE et du président de l’Eurogroupe.

Ce « G4 » a permis d’afficher une unité sur quelques grands principes mais n’a pas empêché un certain flottement sur la définition des mesures à prendre ; à ce stade, malheureusement, beaucoup considéraient encore que la crise bancaire ne constituait pas un sujet communautaire mais un sujet national relevant d’une simple coordination. L’idée de constituer un Fonds européen pour le sauvetage des banques, soutenue notamment par la Belgique et l’Italie, a été rejetée. Les chefs d’Etat et de gouvernement des quatre pays ont annoncé solennellement qu’ils s’engageaient à soutenir leurs banques en difficulté, et à ce que leurs décisions nationales tiennent compte des conséquences pour les pays partenaires. Mais on a assisté, dans le même temps, à la suite de l’initiative irlandaise, à une série de prises de position non coordonnées sur la garantie des dépôts bancaires.

Néanmoins, la volonté des Européens de ne laisser aucune banque paneuropéenne faire faillite a été confirmée par l’ensemble des Etats lors du Conseil « Ecofin » du 7 octobre 2008. Un accord unanime a conduit à relever le niveau minimum de garantie des dépôts en cas de défaillance d’un établissement bancaire. En application de cette seconde décision, la Commission européenne a présenté le 20 octobre une proposition de modification de la directive de 1994 relative aux systèmes de garantie des dépôts(15).

La proposition de révision de la directive de 1994
sur les systèmes de garantie de dépôts

Cette proposition, présentée le 20 octobre dernier et sur lesquelles les négociations vont en principe aboutir à un accord sous Présidence française, va permettre d’harmoniser les politiques nationales en matière de niveau minimum de garantie des dépôts pour les particuliers dans toute l’Union.

Elle traduit la volonté des Etats de se coordonner sur cette question, après une première phase au cours de laquelle plusieurs Etats ont annoncé successivement le relèvement de leurs seuils nationaux de garantie des dépôts. D’après les estimations de la Commission européenne, le système de la directive de 1994, qui prévoyait un seuil de 20 000 euros, couvrait déjà environ 65 % des dépôts des particuliers européens, et les nouveaux montants garantis après l’adoption du texte permettront d’en couvrir une part bien supérieure : 80 % dès 2009 (seuil de 50 000 euros au lieu de 20 000 euros, pour l’ensemble des dépôts d’un même déposant), et 90 % lorsque le seuil passera à
100 000 euros.

Les Etats membres sont d’ores et déjà d’accord sur les éléments d’un compromis qui va être discuté avec le Parlement européen. Ce compromis élaboré par les Etats membres prévoit que le seuil passera à 50 000 euros dès le 30 juin 2009 puis à 100 000 euros d’ici à fin 2011, et que le délai maximal de remboursement des déposants par une banque en cas de faillite sera ramené de trois mois à vingt jours ouvrables. Le Parlement européen se prononcera en première lecture sur ce texte à la mi-décembre.

Les Etats conserveront la possibilité, comme certains d’entre eux l’ont fait sous le régime de la directive de 1994, de fixer le plancher à un niveau plus élevé, mais le nouveau texte réduira considérablement les disparités nationales qui risquaient de déboucher sur des comportements non coopératifs pour attirer les capitaux des déposants dans les pays ayant des seuils plus élevés, voire illimités, ce dont témoignent les flux de capitaux qui ont immédiatement quitté plusieurs pays européens pour se diriger vers l’Irlande lorsque les autorités irlandaises ont annoncé début octobre une garantie illimitée des dépôts de six banques. L’Allemagne, le Danemark, l’Autriche et la Slovaquie ont également annoncé une telle garantie illimitée, tandis que la Belgique, Chypre, l’Espagne, la Lituanie et le Portugal ont relevé à 100 000 euros leurs seuils nationaux.

C. La cohérence des opérations de sauvetage menées au niveau national

Face aux situations d’urgence dans lesquelles se sont trouvées de nombreuses banques de pays européens, avant comme après la faillite de Lehman Brothers, les Etats membres de l’Union européenne ont agi, comme ils avaient le devoir de le faire, en tenant compte d’un impératif de rapidité absolue et, lorsque c’était nécessaire, du caractère transfrontalier de certaines banques. Les opérations de sauvetage de Dexia et de Fortis relèvent de cette dernière hypothèse. Les opérations de sauvetage, bien que ne pouvant être menées de manière simultanée, ont été largement cohérentes.

Le 13 octobre 2008, la Commission européenne a présenté une communication sur les modalités d’« application des règles en matière d’aides d’Etat aux mesures prises en rapport avec les institutions financières dans le contexte de la crise financière mondiale »(16). Ces lignes directrices ont permis aux Etats de formuler leurs différents plans nationaux de sauvetage de manière à respecter les conditions énoncées par la Commission, afin que celle-ci soit en mesure de procéder de façon accélérée par rapport aux procédures habituelles à la validation des projets de plans.

Sur cette base, et habilitée de manière exceptionnelle à se prononcer au nom de l’ensemble du collège des Commissaires, la Commissaire en charge de la Concurrence, Mme Nellie Kroes, a pu approuver un grand nombre de plans nationaux dans des délais raccourcis, qu’il s’agisse de mesures individuelles de sauvetage de banques ou de plans de soutien à l’ensemble du secteur bancaire d’un pays. Dans certains de ces cas, en particulier s’agissant de l’Irlande, la Commission a subordonné la validation des plans nationaux à des modifications importantes du projet initial, afin de garantir le respect des conditions énoncées dans la communication du 13 octobre.

Mesures nationales d’aide au secteur financier validées en 2008 par la Commission européenne au regard des règles relatives aux aides d’Etat

Etat

Type de mesure / bénéficiaire

Date de la décision de la Commission

Allemagne

Aide à la restructuration de Sachsen LB

4 juin

Danemark

Sauvetage de Roskilde Bank

31 juillet

Royaume-Uni

Sauvetage de Bradford & Bingley

1er octobre

Allemagne

Sauvetage de Hypo Real Estate Holding

2 octobre

Danemark

Plan national de garantie destiné aux banques

10 octobre

Irlande

Plan national en faveur des banques

13 octobre

Royaume-Uni

Plan national de soutien au secteur bancaire

13 octobre

Allemagne

Aide à la restructuration de IKB

21 octobre

Allemagne

Plan national d’aide aux institutions financières

27 octobre

Portugal

Plan national de garantie pour les institutions de crédit

29 octobre

Suède

Plan national de soutien au secteur bancaire

29 octobre

France

Mécanisme de refinancement des établissements de crédit

30 octobre

Pays-Bas

Plan national de garantie pour les institutions de crédit

30 octobre

Espagne

Création du Fonds espagnol pour l’acquisition d’actifs financiers

4 novembre

Danemark

Plan de liquidation de Roskilde Bank

5 novembre

Pays-Bas

Mesures en faveur de ING

13 novembre

Finlande

Plan national de garantie pour les établissements financiers

14 novembre

Italie

Plan national de garantie pour les banques

14 novembre

Grèce

Plan national d’aide au secteur bancaire

19 novembre

Belgique,

France, Luxembourg

Mesures en faveur de Dexia

20 novembre

Belgique

Garantie de l’Etat en faveur de Fortis

20 novembre

Lettonie

Aide publique en faveur de Parex Banka

25 novembre

Pays-Bas

Recapitalisation de Aegon N.V.

27 novembre

Mesures nationales d’aide au secteur financier notifiées à la Commission
et sur lesquelles celle-ci ne s’est pas encore prononcée
(enquêtes et discussions en cours)

Etat membre

Type de mesure / bénéficiaire

Allemagne

Restructuration de la West LB

Autriche

Plan national d’aide au secteur bancaire

Belgique

Mesures en faveur d’Ethias

Belgique

Mesures en faveur de KBC

Belgique / Luxembourg / Pays-Bas

Mesures en faveur de Fortis

Espagne

Mécanisme espagnol de garantie

Finlande

Mesures en faveur de Kaupthing Bank Finland AB

France

Plan de recapitalisation des banques

Hongrie

Plan national d’aide au secteur financier

Pays-Bas

Apport de capital par l’Etat en faveur de SNS

Pologne

Plan national de garantie pour les banques

Portugal

Nationalisation de Banco Portugués Negocios

Portugal

Plan de recapitalisation

Royaume-Uni

Mesures d’aide à la restructuration de Northern Rock

Slovénie

Plan national sur la stabilité du système financier

Suède

Mesures en faveur de Carnegie Investment Bank

Source : Commission européenne, DG Concurrence – tableaux à jour à la date du 28 novembre 2008.

La Commission européenne, légitimement soucieuse de remplir son rôle de « gardienne des traités » mais prête à faire preuve de flexibilité dans des circonstances d’une gravité exceptionnelle, est-elle allée trop loin dans l’assouplissement des règles communautaires relatives à la concurrence et aux aides d’Etat ?

L’article 87, paragraphe 3, du traité CE prévoit de manière explicite l’hypothèse d’une perturbation grave de l’économie d’un Etat membre, et il était important, pour des raisons de sécurité juridique, que la Commission formule, comme elle l’a fait dans sa communication, des indications les plus précises possibles sur son interprétation de ces dispositions.

Elle a très clairement insisté sur le fait que les mesures nationales qui, dans de telles circonstances, sont acceptables bien qu’elles constituent des « entorses » aux règles de concurrence, ne le sont que dans la mesure où elles sont temporaires, réexaminées à intervalle régulier, ciblées, proportionnées, conçues de manière à minimiser les retombées négatives pour les concurrents, et assorties de conditions strictes propres à empêcher les bénéficiaires d’en tirer des avantages indus. Comme l’a souligné le Directeur général de la Concurrence, M. Philip Lowe, lors de son entretien avec le rapporteur, chaque Etat et chaque acteur économique devaient pouvoir être certains que la même discipline – et les mêmes dérogations aux principes – s’appliqueraient à tous.

Ainsi, les plans et mesures qui ont été validés (voir tableau ci-dessus) ne l’ont été que jusqu’à leur prochain réexamen, et il est probable que la Commission européenne examinera avec plus de sévérité les plans de restructuration de moyen et long terme que les Etats ont tous l’obligation de lui présenter dans les mois qui suivent la validation de mesures de sauvetage d’urgence. Les plans de restructuration de banques déjà présentés (par exemple pour la banque allemande IKB) n’ont été agréés que dans la mesure où ils prévoyaient une réduction très conséquente de l’activité de ces entreprises, pour les empêcher d’investir dans des activités risquées et pour minimiser l’impact de l’aide sur leurs concurrentes.

Les discussions qui se sont déroulées entre la Commission européenne, les ministres des finances des Etats membres et la BCE sur la question de la rémunération des prises de participation des Etats dans le capital des banques conduisent pour le moment la Commission européenne à demander que la rémunération des Etats soit au moins égale à 10 %. La Commision européenne serait également prête à entériner la distribution de dividendes aux banques bénéficiant du plan français à condition que d’autres mécanismes soient prévus pour favoriser la revente rapide de ses titres par l’Etat.

On doit rappeler que ce n’est qu’à l’unanimité que les Etats membres pourraient, au sein du Conseil, décider d’aller à l’encontre d’une décision de la Commission européenne en matière d’aides d’Etat.

Au-delà des multiples plans de sauvetage nationaux, dont la juxtaposition entretenait le sentiment d’un certain désordre, il était indispensable de parvenir enfin à élaborer un véritable plan européen « anti-crise ». C’est le sommet exceptionnel de l’Eurogroupe du 12 octobre 2008 qui est parvenu à ce résultat.

III. L’EUROGROUPE EXTRAORDINAIRE DU 12 OCTOBRE 2008 A MARQUE UN TOURNANT DECISIF

A. Un Eurogroupe exceptionnel par son format et son résultat

Le Président Nicolas Sarkozy a invité les chefs d’Etat et de gouvernement des pays de la zone euro à se réunir à Paris le 12 octobre 2008, en conviant également le Président de la Commission européenne, le Président de la BCE et le Premier ministre britannique, M. Gordon Brown.

Ce format inédit et pragmatique – l’Eurogroupe réunit habituellement, chaque mois, les ministres des Finances des pays de la zone euro – a permis aux participants d’entendre le Premier ministre britannique exposer les éléments du plan de sauvetage qu’il a fait adopter au Royaume-Uni, puis, sous l’impulsion déterminante de la Présidence française et en s’inspirant des solutions apportées par le Royaume-Uni, d’adopter un véritable plan commun.

Il s’agit d’une « boîte à outils », d’un cadre commun relativement précis dans lequel ont vocation à se placer les réponses nationales. Ce plan prévoit notamment que les Etats vont « apporter aux institutions financières les ressources en capital pour qu’elles continuent à financer correctement l’économie » et « apporter une recapitalisation efficace aux banques en difficulté ». Ils se sont donc engagés à relancer les prêts entre banques, en les garantissant, et à recapitaliser les banques dont la faillite pourrait menacer l’équilibre du système financier et l’ensemble de l’économie.

Ces principes avaient, deux jours avant, été proclamés également dans le cadre du G7 (au cours duquel les autorités américaines ont dû faire face aux critiques de leurs partenaires pour avoir laissé Lehman Brothers tomber en faillite), mais la déclaration finale du Sommet de la zone euro a un caractère plus précis et a eu un impact plus fort sur le degré de confiance des marchés.

Avec ce Sommet, la zone euro est apparue comme un pôle attractif de convergence au sein de l’Union européenne, au niveau politique, tout en faisant valoir dans le domaine économique et financier la force que représente face aux turbulences la monnaie unique pour les pays qui la partagent.

Pour autant, faut-il envisager d’organiser de nouveau, à l’avenir, des réunions des chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro ? S’exprimant devant le Parlement européen, le 21 octobre, le Président Sarkozy a souligné que « la seule réunion des ministres des finances n’est pas à la hauteur de la gravité de la crise » et qu’« il n’est pas possible que la zone euro continue sans un gouvernement économique clairement identifié ». L’Eurogroupe n’étant pas, à ce jour, une institution européenne mais une réunion périodique informelle, rien n’empêche les chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro de se rencontrer de nouveau, même s’il paraît par définition impossible qu’une telle réunion soit organisée par un chef d’Etat ou de gouvernement qui ne fait pas partie de la zone euro.

B. Le Conseil européen des 15 et 16 octobre 2008

Le Conseil européen qui a réuni les chefs d’Etat et de gouvernement des 27 Etats de l’Union les 15 et 16 octobre a entériné, à l’échelle de l’Union tout entière, les décisions prises le 12 octobre par les Etats de la zone euro.

Les conclusions du Conseil européen indiquent : « Le Conseil européen salue le plan d’action concerté des pays de la zone euro du 12 octobre, dont il fait sien les principes. (…) Le Conseil européen réaffirme l’engagement qu’en toutes circonstances les mesures nécessaires seront prises pour préserver la stabilité du système financier, soutenir les institutions financières importantes, éviter les faillites et assurer la protection des dépôts des épargnants. (…) Le Conseil européen considère que les mesures de soutien aux institutions financières en difficulté devraient s’accompagner de mesures permettant d’assurer la protection des contribuables, la responsabilisation des dirigeants et des actionnaires et la protection des intérêts légitimes des autres acteurs de marché ».

Le Conseil européen des 15 et 16 octobre a décidé, conformément à ce qu’avaient préconisé les Etats de la zone euro, la mise en place d’un « mécanisme informel d’alerte, d’échange d’informations et d’évaluation (cellule de crise financière) [associant] des représentants de la Présidence en exercice, du Président de la Commission, du Président de la BCE (en liaison avec les autres banques centrales européennes), du Président de l’Eurogroupe et des gouvernements des Etats membres. Il (…) pourra être activé à tout moment par un Etat membre confronté à une crise et assurera l’information immédiate et confidentielle des institutions et de tous les Etats membres. Il permettra aussi de veiller à la bonne coordination des actions entreprises ou à entreprendre ».

L’Union européenne s’est ainsi dotée d’une doctrine, d’un plan et d’une cellule de crise. L’impact de ce plan européen a été considérable, puisque les autorités américaines ont modifié en s’en inspirant directement, leur dispositif national de sauvetage.

La réponse de l’Union européenne aux conséquences de la crise financière se devait également d’être très ferme dès lors que la solidarité entre les Etats membres de l’Union se trouvait mise en jeu. C’est donc avec rapidité que l’Union a mobilisé l’instrument financier dont elle dispose pour venir en aide à l’un de ses membres, la Hongrie.

C. L’Union en action à l’intérieur : le mécanisme de soutien financier à moyen terme des balances des paiements des Etats membres

Au début du mois d’octobre, la Hongrie a été confrontée à un mouvement de défiance croissant de la part des investisseurs internationaux, qui s’est traduit par une très forte chute du cours des actions, une fuite de capitaux, de graves problèmes de liquidités pour les banques et une forte dépréciation du taux de change du forint.

La défiance des investisseurs étrangers, qui ont été nombreux à rapatrier leurs capitaux, a affecté toute l’Europe orientale, mais plus particulièrement la Hongrie. La dette extérieure de la Hongrie atteint presque 100 % de son PIB et s’est récemment creusée du fait des emprunts en devises contractés par le secteur privé, et le ratio de dette publique est très élevé (environ 66 % du PIB). La croissance annuelle du PIB a ralenti en 2007 (+ 1,1 % contre + 4,1 % en 2006). Les autorités hongroises ont annoncé une série de mesures destinées à rétablir la confiance des investisseurs et à atténuer les tensions sur les marchés financiers, notamment en accélérant la réduction du déficit public en 2008 et 2009. Toutefois, une aide de la communauté internationale est apparue indispensable. Cette aide a pris quatre formes : un prêt de la BCE de 5 milliards d’euros à la banque centrale hongroise (annoncé le 16 octobre), un prêt d’environ 12,5 milliards d’euros du Fonds monétaire international, un prêt d’un milliard d’euros de la Banque mondiale, et un prêt de 6,5 milliards d’euros de l’Union européenne dans le cadre du mécanisme de soutien financier à moyen terme des balances des paiements des Etats membres.

Ce mécanisme, régi par un règlement de 2002(17), permet de financer un tel soutien par des emprunts opérés par la Communauté sur les marchés internationaux de capitaux. La décision de recourir à ce mécanisme en faveur de la Hongrie a été adoptée par le Conseil le 4 novembre 2008.

Ce mécanisme pourrait fort bien être sollicité de nouveau dans les semaines et les mois à venir : la situation de certains Etats comme la Lettonie suscite l’inquiétude. Aussi a-t-il été rapidement envisagé de relever le plafond du mécanisme de soutien, que le règlement de 2002 fixait à 12 milliards d’euros.

Le Conseil « Ecofin » du 2 décembre 2008 a décidé de porter à 25 milliards d’euros le plafond de l’encours en principal des prêts pouvant être accordés aux Etats membres au titre de ce mécanisme, afin d’être en mesure de faire face, le cas échéant, à des demandes de soutien importantes de plusieurs Etats membres. Le fait que le nombre d’Etats de l’Union n’appartenant pas à la zone euro – et donc susceptibles en théorie de solliciter ce mécanisme – soit passé de 3 en 2002 à 12 aujourd’hui (11 en 2009) justifie amplement cette modification.

D. L’Union en action à l’extérieur : vers les Sommets mondiaux

S’exprimant le 23 septembre devant l’Assemblée générale de l’ONU, le Président Sarkozy avait appelé à l’organisation d’un Sommet international sur la crise financière. Le 12 octobre, il a indiqué que la prochaine étape, une fois le plan de l’Eurogroupe élargi à l’ensemble de l’Union européenne, serait d’« aller convaincre nos alliés américains de la nécessité d’un sommet international pour refonder le système financier ».

Le Conseil européen des 15 et 16 octobre a donné au Président du Conseil européen et au Président de la Commission européenne un mandat pour « œuvrer avec [les] partenaires internationaux [de l’Union européenne] à une réforme réelle et complète du système financier international fondé sur les principes de transparence, de solidité bancaire, de responsabilité, d’intégrité et de gouvernance mondiale », en prenant « rapidement les initiatives appropriées en concertation avec [les] principaux partenaires et les institutions financières internationales concernées ».

A ce stade, les initiatives combinées de la Présidence française – qui a associé le Président de la Commission européenne à toutes ses démarches – et des autorités britanniques (M. Gordon Brown a présenté en octobre à ses partenaires européens des propositions de réforme du système financier mondial qui ont largement influencé la position commune adoptée ensuite à vingt-sept) ont de nouveau été déterminantes. Compte tenu des élections présidentielles qui allaient avoir lieu aux Etats-Unis, plaçant les autorités américaines dans l’impossibilité pratique d’exercer une impulsion au niveau mondial, c’est l’Europe qui a véritablement « mené la réponse mondiale », selon les termes de M. José Manuel Barroso. Il est important de souligner que ce sont des principes et des mesures élaborés par l’Union européenne qui ont inspiré les mesures prises dans d’autres pays du monde, y compris aux Etats-Unis, alors que la crise n’est pas d’origine européenne.

L’Union européenne, par la voix de son Président, a donc exigé l’organisation d’un Sommet dès le mois de novembre, car il était hors de question d’attendre que la passation de pouvoir soit réalisée, début 2009, au niveau de la Présidence des Etats-Unis. La tentation des différents pays du monde de se préoccuper exclusivement de leur situation nationale, avec les risques de manifestations protectionnistes qu’elle générait, était bien réelle – le Président Nicolas Sarkozy, le Premier ministre canadien Stephen Harper, et de nombreux autres responsables parmi lesquels le directeur général de l’OMC, M. Pascal Lamy, s’en inquiétaient. Les pays émergents accusaient ouvertement les pays développés d’avoir provoqué la crise financière mondiale qui menaçait désormais leur développement(18), et revendiquaient une meilleure représentation au sein des instances et organisations économiques internationales(19). Les mesures européennes ne pouvaient demeurer sans prolongements internationaux, compte tenu de la dimension mondiale de tous les aspects de la crise.

Le principe d’une série de Sommets internationaux a donc été validé le 19 octobre, ces Sommets ayant pour objets d’analyser les progrès enregistrés dans la gestion de la crise financière et de rechercher un accord sur une réforme du système financier international. Le premier de ces Sommets a eu lieu le 15 novembre 2008 à Washington. L’Union européenne, qui avait défini quelques jours auparavant une position commune dans la perspective de ce sommet (lors d’un Conseil européen informel le 7 novembre), a joué un rôle très important dans sa préparation et dans son déroulement. Lors de ce Sommet, l’Europe est apparue unie et déterminée.

IV. RELANCER L’ACTIVITÉ ECONOMIQUE : VERS UNE COORDINATION EUROPEENNE DES PLANS NATIONAUX

Sans surprise, les prévisions économiques pour 2009 publiées par la Commission européenne au début du dernier trimestre 2008, ont annoncé qu’aucune économie de l’Union ne serait épargnée par la crise. Le seul point positif est la poursuite de la baisse de l’inflation, due notamment à la baisse du prix du pétrole. Les prévisions de croissance sont également sombres pour les autres régions du monde. Ainsi, selon l’OCDE les Etats-Unis connaîtront une diminution de 0,9 % de leur PIB en 2009, et le Japon une diminution de 0,1 %. Le FMI, dans ses prévisions de novembre, prévoit une croissance de l’économie mondiale de 2,2 % en 2009 contre 3,7 % en 2008 et 5 % en 2007.

Selon la Commission européenne, la croissance du PIB de l’UE-27 sera en moyenne de 0,2 % en 2009 et celle de la zone euro, de 0,1 %. Dans huit Etats membres (dont la France, l’Allemagne et l’Italie) la croissance devrait être nulle ou quasi nulle, et cinq autres pays devraient même entrer en récession (Espagne, Estonie, Irlande, Lettonie et Royaume-Uni).

Face à cette situation, les finances publiques nationales vont se dégrader de manière substantielle, interrompant la trajectoire générale de consolidation budgétaire observée jusqu’en 2007. Dans sept Etats membres (dont la France et l’Irlande) le déficit public devrait se situer au-dessus de la limite des 3 % du Pacte de stabilité en 2009.

Alors que les signes d’une forte dégradation de l’activité se multipliaient, et alors que les Etats annonçaient les uns après les autres diverses mesures nationales de soutien au secteur non financier en complément de leurs plans visant le secteur financier, la question de l’opportunité d’un plan de relance coordonné au niveau européen a commencé à se poser. Les Etats-Unis, le Japon, la Chine, ont engagé des actions de grande ampleur, avec des financements budgétaires de plusieurs centaines de milliards d’euros.

A. La nécessité d’un encadrement européen des mesures nationales de relance

L’Union européenne doit démontrer sa capacité à mettre en œuvre, non pas des mesures uniformes pour tous les pays (ce qui ne serait absolument pas adapté aux différences de situations nationales), mais un encadrement, une coordination étroite des plans nationaux. La crise financière et économique actuelle constitue à cet égard une opportunité cruciale pour faire progresser la gouvernance économique de l’Europe. Comme le rapporteur le constatait déjà en 2005 à l’occasion de l’examen de la réforme du Pacte de stabilité et de croissance, le système actuel n’incite pas les Etats à prendre en compte l’impact des politiques nationales sur les économies des autres Etats membres. En outre, comme l’ont souligné trois économistes du « think tank » Bruegel, « la forte interdépendance économique [entre les pays de l’Union européenne] renforce les jeux non coopératifs et incite à compter sur la relance des autres »(20).

A peine entériné le plan européen d’action en faveur des banques, le 12 octobre, le Président Sarkozy a certes annoncé que la mobilisation de la Présidence française de l’Union allait également viser à l’élaboration d’un plan européen de soutien à l’activité. Les conclusions du Conseil européen des 15 et 16 octobre invitent la Commission européenne « à formuler d’ici la fin de l’année des propositions adaptées, notamment pour préserver la compétitivité internationale de l’industrie européenne ».

Mais les discussions préalables à l’élaboration de ces propositions de la Commission ont été fort difficiles, des divergences étant rapidement apparues entre les Etats membres (ainsi qu’au sein de la Commission européenne), par exemple sur la nécessité d’apporter une aide au secteur automobile et sur la portée à donner à la souplesse du Pacte de stabilité dans des circonstances exceptionnelles. Ces divergences sont notamment liées à deux facteurs : d’une part, le fait que les ressources budgétaires mobilisées pour les actions de relance devront être effectivement et intégralement déboursées, à la différence des garanties que les Etats ont apportées au système financier ; d’autre part, le fait que chaque Etat met en avant ses priorités nationales.

De fait, les différences structurelles qui existent entre les Etats -- notamment le type d’entreprises ou d’activités qui est prépondérant dans chacun d’entre eux --, le niveau de l’endettement ou encore l’attitude à l’égard du déficit budgétaire, encouragent des approches très différentes. La tribune commune cosignée par le Président français et la Chancelière allemande dans le Figaro du
24 novembre 2008, même si elle témoigne d’une réelle volonté de rapprochement, risque d’apparaître comme un plus petit commun dénominateur. En outre, même si cette question n’est pas aujourd’hui au premier plan, on ne peut manquer de s’interroger sur la cohésion d’ensemble de la zone euro et sur les délais et conditions du retour des différents Etats au sein du Pacte de stabilité et de croissance.

Le plan qui a finalement été proposé par la Commission européenne le 26 novembre 2008 comporte deux piliers :

- le premier « pilier » consiste à prévoir une injection de pouvoir d’achat dans l’économie pour stimuler la demande et restaurer la confiance ; la Commission propose que les Etats membres et l’Union européenne s’accordent sur une « impulsion budgétaire immédiate » d’un montant total de 200 milliards d’euros (1,5 % du PIB de l’Union), à raison de 170 milliards d’euros provenant des budgets nationaux et de 30 milliards d’euros de financements communautaires (budget de l’Union européenne et prêts de la Banque européenne d’investissement).

Les mesures budgétaires nationales doivent être rapidement adoptées, temporaires, ciblées et coordonnées.

Pour tenir compte des situations différentes dans les Etats membres, la Commission européenne suggère toute une panoplie de mesures possibles, dont plusieurs ont effectivement déjà été prises ou sont envisagées dans certains Etats membres (comme par exemple l’accroissement provisoire des transferts en faveur des chômeurs, des mesures incitatives pour promouvoir l’efficacité énergétique, des réductions de charges sociales pour les employeurs…). De plus, la Commission européenne réitère la nécessité pour les Etats membres de poursuivre en dépit des conditions difficiles, des réformes structurelles ;

- le second « pilier » obéit à des objectifs de plus long terme en proposant un programme d’« investissements intelligents » conformes à la stratégie de Lisbonne, portant notamment sur les infrastructures de transport et d’énergie, l’amélioration de l’efficacité énergétique dans les bâtiments, et les investissements en matière d’éducation et de recherche-développement.

La Commission européenne propose en particulier de lancer trois grands partenariats entre les secteurs public et privé pour soutenir l’innovation dans l’industrie : dans le secteur automobile, une « initiative européenne en faveur des voitures vertes » ; dans le secteur de la construction, une initiative en faveur de bâtiments économes en énergie ; et une « initiative concernant les usines du futur » susceptible de concerner tous les secteurs de l’industrie manufacturière, en particulier les PME.

En complément des actions qui seront entreprises par les Etats membres, la Commission européenne propose de simplifier les critères d’utilisation du Fonds social européen et d’accélérer le versement de ses crédits, et de revoir les règles du Fonds européen d’ajustement à la mondialisation.

Ce cadre proposé par la Commission européenne doit en principe être approuvé par les Etats membres lors du Conseil européen des 11 et 12 décembre prochains. Mais est-il approprié ?

B. Pour une stratégie plus ambitieuse de l’Union européenne

Le cadre proposé par la Commission européenne comporte de nombreux points positifs. L’insistance de la Commission européenne sur la nécessité d’inscrire les programmes d’investissement « de relance » dans la stratégie de Lisbonne, au service de la recherche-développement, des infrastructures et des économies d’énergie, est légitime. Comme l’a relevé Mme Pervenche Berès, présidente de la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, lors de son audition par la Commission chargée des affaires européennes de l’Assemblée nationale le jour même de la présentation du plan de la Commission européenne, ce document constitue une bonne base de discussion pour améliorer l’articulation entre les actions entreprises au niveau national et au plan européen.

Toutefois, si l’on peut approuver la panoplie de mesures proposées par la Commission européenne aux Etats membres et les objectifs qu’elle assigne aux mesures de relance, l’ampleur des mesures proposées peut prêter à discussion.

Le chiffre global de 200 milliards d’euros doit en effet être relativisé : il ne s’agit pas, selon la Commission, d’affecter à la relance 200 milliards d’euros de financements européens, mais seulement 30 milliards, le reste étant à la charge des budgets nationaux.

Or les Etats membres ont, d’une part, d’ores et déjà annoncé des séries de mesures nationales dont le coût budgétaire va être conséquent, et d’autre part, ne sauraient creuser sans limites leurs déficits budgétaires – ce que les règles du Pacte de stabilité, même dans sa version révisée qui autorise la prise en compte de circonstances exceptionnelles pour dépasser temporairement le seuil de 3 %, ne permettraient pas de faire. Même les Etats comme l’Allemagne, la Suède ou l’Espagne, qui avaient avant la crise financière des situations budgétaires favorables, et donc des marges de manœuvre certaines, ne pourront sans doute guère aller au-delà des mesures nationales déjà prises.

En revanche, les financements d’origine communautaire devraient être, nous semble-t-il, bien plus importants que ce qui est proposé par la Commission, et ce, non pas nécessairement en ayant recours à des crédits du budget de l’Union, mais en sollicitant encore davantage la Banque européenne d’investissement.

La Banque européenne d’investissement (BEI)

Qu’est-ce que la BEI ?

La Banque européenne d'investissement a été créée par le traité de Rome. La BEI est une institution financière internationale à statut public. Ses propriétaires sont les Etats membres de l'Union européenne qui souscrivent à son capital (qui s’élève à 164 milliards d’euros). En tant qu'actionnaires, les Etats membres sont représentés au sein des organes de décision de la Banque, à savoir le Conseil des gouverneurs (constitué par les ministres des Finances) et le Conseil d'administration.

La BEI se présente elle-même comme « une banque à but politique, ne pesant ni sur le budget de l’Union européenne, ni sur les contribuables nationaux ».
Les Etats membres, actionnaires de la BEI, n’ont à verser de manière effective que des sommes relativement faibles (fonds propres : 33,4 milliards d’euros) car les opérations de la BEI s’« autofinancent » et elle peut emprunter de manière illimitée. Elle agit comme un « orientateur d’épargne » au service des politiques de l’Union.

La BEI emprunte d'importants volumes de fonds sur les marchés des capitaux (48 milliards d’euros en 2006, près de 55 milliards d’euros en 2007) et les prête à des conditions favorables en faveur de projets contribuant à la réalisation des objectifs de l'Union européenne. Elle adapte en permanence son activité à l'évolution des politiques européennes. Chaque projet d'investissement est soigneusement évalué et suivi jusqu'à son achèvement. Les prêts de la BEI sont attribués par l’intermédiaire de banques commerciales dans toute l’Union européenne : la BEI offre à ces établissements financiers un système de partage des risques, à condition que les banques partenaires ne conservent pas pour elles le bénéfice de ces conditions favorables mais les répercutent vers le bénéficiaire final de chaque prêt.

La BEI jouit de la personnalité juridique et de l'autonomie financière au sein du système institutionnel de l'Union européenne ; elle agit dans le respect strict des meilleures pratiques bancaires et travaille en étroite collaboration avec les milieux bancaires au sens large, que ce soit lorsqu'elle emprunte sur les marchés des capitaux ou lorsqu'elle finance des projets d'investissement.

La BEI est active à l’intérieur comme à l’extérieur de l'Union européenne. La majorité des prêts de la BEI sont accordés dans les Etats membres de l'UE (87 % en 2007). En dehors de l'Union, l'activité de prêt de la BEI est régie par une série de mandats qui lui sont confiés par l'Union européenne à l'appui des politiques de développement et de coopération de cette dernière dans les pays partenaires.

Par ses opérations de prêt et sa capacité à attirer d'autres concours financiers, la Banque permet d'élargir les possibilités de financement. Par ses emprunts, elle favorise le développement des marchés financiers au travers de l'Union. La solidité financière de la Banque autorise les meilleures conditions d'emprunt, dont la BEI fait profiter les destinataires de ses prêts.

Objectifs opérationnels
 :

La BEI finance des projets dans la plupart des secteurs dans la mesure où ils contribuent à la réalisation des objectifs économiques suivants de l'UE :

- la cohésion et la convergence qui favorisent les régions en retard de développement au sein de l'UE ;

- le soutien aux petites et moyennes entreprises (PME) ;

- les projets environnementaux ;

- l'innovation ;

- les réseaux transeuropéens (RTE) de transport, d'énergie et de télécommunications ;

- l’approvisionnement énergétique ;

- le soutien au secteur de la santé et de l'éducation.

Quelques exemples de prêts individuels accordés par la BEI en 2007
 :


En France, 20 millions d’euros pour le projet de modernisation du Centre hospitalier régional et universitaire de Tours, 100 millions d’euros pour des projets de petite et moyenne dimension dans le secteur des énergies renouvelables (en particulier dans l’éolien) ; en Allemagne, 500 millions pour des activités de recherche-développement (notamment dans les services de télécommunications fixes, mobiles et à large bande), 300 millions pour le cofinancement de projets de rénovation urbaine en Saxe ; en Grèce, 80 millions pour la modernisation d’une centrale électrique, 240 millions pour la construction de quatre tronçons autoroutiers ; en Hongrie, 150 millions d’euros pour le cofinancement de projets dans les secteurs de l’éducation, de la formation et de l’emploi, 165 millions pour des activités de recherche-développement ; en Turquie, 437 millions pour la construction de la ligne ferroviaire à grande vitesse entre Istanbul et Ankara ; en Chine, un prêt-cadre de 500 millions d’euros visant à soutenir une série de projets d’investissement contribuant à l’élimination ou à la réduction des gaz à effet de serre et autres émissions polluantes…

La BEI a été très sollicitée pour concrétiser la réponse de l’Union européenne aux conséquences de la crise financière et économique.

Suite à une demande formulée par les ministres des finances de l’Union européenne les 12-13 septembre 2008, la BEI a annoncé qu’elle allait significativement renforcer son appui aux PME en Europe. Le Conseil a fixé pour objectif au Groupe BEI d’accorder 15 milliards d’euros de prêts à des PME sur deux ans (2008-2009), et au total 30 milliards d’euros d’ici 2011, ce qui va représenter un accroissement de 50 % de l’activité « prêts aux PME » de la BEI, qui accordait jusqu’à présent entre 5 et 6 milliards d’euros de prêts par an aux PME par l’intermédiaire de banques(21).

En plus d’augmenter le volume de ces prêts, la BEI va élargir la définition des investissements finançables par ses prêts, afin d’atteindre un plus grand nombre de PME : désormais les petits investissements (moins de 20 000 euros) pourront aussi bénéficier d’un prêt BEI, de même que les investissements « immatériels » des PME (recherche-développement, achat de réseaux de distribution, transmission d’entreprises…), ce qui n’était pas le cas auparavant. De plus, les procédures d’octroi de prêts ont été simplifiées. Enfin, la BEI et la Commission européenne vont mettre en place un Fonds paneuropéen de microcrédit destiné aux « très petites entreprises » (TPE).

Le Conseil européen a par la suite confié à la BEI trois tâches spécifiques :

- il a réaffirmé la nécessité pour la BEI de renforcer son activité en faveur du financement des PME ;

- il a salué l’engagement de la BEI de renforcer sa capacité d’intervention sur les projets d’infrastructures, sachant que la BEI est déjà très active dans ce domaine ;

- il a invité la BEI à poursuivre son action en faveur des initiatives liées à la lutte contre le changement climatique.

S’agissant des projets d’infrastructure, le Président de la BEI, M. Philippe Maystadt, a précisé que l’idée est de mobiliser davantage des fonds d’investissement pour accroître la force de frappe de la BEI : « Nous allons solliciter des investisseurs de long terme, comme la Caisse des dépôts et consignations en France, pour financer des projets d’infrastructures. On se dirige vers la création d’un Fonds qui viendra compléter notre activité de prêts. »(22). Ce projet de création d’un Fonds d’investissement sera officiellement présenté à l’occasion du Conseil européen des 11 et 12 décembre prochains. La BEI, comme a pu le constater le rapporteur au cours d’un entretien avec le Directeur du bureau de la BEI à Bruxelles, travaille activement à la préparation de ce projet, qui est susceptible d’attirer de nombreux partenaires du monde entier, notamment des « fonds souverains », mais dont l’ampleur dépendra de la volonté politique qui se manifestera lors du Conseil européen.

La BEI souffre d’un manque de visibilité, ce qui est regrettable car elle mène des actions très concrètes qui touchent directement les citoyens européens. L’action de la BEI s’inscrit par nature dans l’investissement de long terme, mais uniquement sous forme de prêts, et pas sous forme de prises de participations dans le capital d’entreprises (en cela la BEI se distingue donc des « fonds souverains »).

Le projet de création d’un Fonds d’investissement doit impérativement être soutenu activement par la Présidence française. Un tel instrument permettrait à la fois aux organismes nationaux qui jouent déjà le rôle d’investisseurs de long terme de rechercher une certaine cohérence de leurs interventions autour de véritables projets européens, et de proposer à des acteurs de pays tiers, notamment les fonds souverains, de consacrer une partie de leurs considérables réserves en capital à des projets stratégiques pour la croissance de l’économie européenne.

TROISIEME PARTIE :
UNE NOUVELLE BATAILLE POUR L’EUROPE :
IMPOSER LA REORGANISATION DU SYSTÈME MONETAIRE ET FINANCIER INTERNATIONAL

L’Europe a certes gagné une première bataille au moment où la crise atteignait son paroxysme. Mais il lui faut maintenant engager une seconde bataille, beaucoup plus décisive à terme : celle de la refonte du système financier international. La réunion du G20 a certes fixé un certain nombre de lignes d’action mais, outre le problème des délais de mise en œuvre, le risque est grand de voir la volonté affichée aujourd’hui s’affaiblir quand la situation économique et financière se sera normalisée. Il est donc essentiel que sans attendre, l’Europe avance beaucoup plus vite et beaucoup plus fort si elle veut imposer une véritable refondation du système monétaire et financier international.

I. NE PAS CEDER, LORSQUE LES CONDITIONS SE SERONT AMELIORÉÉS, A « UN LÂCHE SOULAGEMENT »

A. Cette crise avait été amplement analysée depuis plus d’un an, sans que l’on en tire de véritables conséquences

Force est de constater que, si les causes de la crise sont bien identifiées et l’ont été assez rapidement par une très abondante littérature, la confiance de certains en la capacité d’autorégulation du secteur financier n’a pas disparu. La tentation du « laisser passer » est perceptible, notamment chez des observateurs anglo-saxons. On citera comme exemple un professeur à la London School of Economics, M. Charles Goodhart, qui affirmait à la fin du mois d’octobre 2008 que « les banques ont tellement été traumatisées qu’elles vont s’autoréguler »(23).

Le sentiment que le pire de la crise financière est passé, ou que l’on peut du moins raisonnablement espérer une stabilisation prochaine des marchés financiers, est compréhensible mais dangereux. Le risque est grand que, comme à la suite des crises financières précédentes (en particulier la crise asiatique des années 1990), la quasi-normalisation du fonctionnement des marchés, quand elle aura lieu, conduise les acteurs publics et privés à se contenter d’éprouver du soulagement, et à minimiser les réformes à mener.

Les analyses n’ont pourtant pas manqué pour souligner la profondeur des dysfonctionnements et la difficulté des actions indispensables. Le Forum de stabilité financière et le FMI, par exemple, au niveau mondial, ont depuis longtemps cherché à alerter les gouvernements et les acteurs privés.

Le Forum de Stabilité Financière (FSF)

Le Forum de Stabilité Financière internationale (FSF) a été créé en février 1999 à l’initiative des ministres des finances et des gouverneurs des banques centrales des pays du G7. C’est le résultat d’une réflexion menée à la suite des perturbations financières survenues en 1997 et 1998, ces dernières ayant montré l’utilité, pour les différentes autorités financières des grands pays et les principales institutions financières internationales, de croiser leurs analyses.

Rassemblant les autorités monétaires et financières, les superviseurs et les régulateurs des grandes places financières, ainsi que diverses institutions ou organisations internationales, le Forum constitue une instance de coopération et de discussion, qui a pour mission d’apprécier les facteurs conjoncturels et structurels de vulnérabilité et les dynamiques du système financier mondial, en vue d’identifier et de coordonner les actions à entreprendre.

1. Composition du Forum

- les pays du G7, avec trois représentants par pays : un représentant du ministère des finances, un représentant de la banque centrale, et un représentant des autorités nationales de surveillance (l’Autorité des marchés financiers pour la France) ;

- des représentants de plusieurs organisations internationales : le FMI ; la Banque Mondiale ; la Banque des Règlements Internationaux (BRI) et trois des Comités qu’elle abrite, à savoir le Comité sur le système financier mondial (CGFS), le Comité de Bâle pour le contrôle bancaire (BCBS) et le Comité pour les systèmes de paiement et de règlement (CPSS) ; l’OCDE ; l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV/IOSCO) ; et l’Association internationale des contrôleurs d’assurance (lAIS) ;

- des invités ad hoc, avec un représentant chacun : Australie ; Pays-Bas ; Hong-Kong ; Singapour ; le Conseil des normes comptables internationales (IASB) ; la Banque centrale européenne.

La présidence du Forum est assurée depuis mai 2006 – et pour une durée de trois ans – par M. Mario Draghi (gouverneur de la Banque d’Italie) et le secrétariat, par la BRI. Le Forum se réunit, en session plénière, deux fois par an. En outre, les membres du Forum et les autorités locales se rencontrent périodiquement lors de réunions régionales en Amérique latine, en Asie-Pacifique et dans les pays d’Europe centrale et orientale. Le Forum organise également des « tables rondes » thématiques avec le secteur privé sur des questions spécifiques d’actualité ayant trait à la stabilité financière, et des groupes de travail ad hoc non permanents ; il peut aussi commander des travaux aux différents comités techniques qui participent à ses travaux (Comité de Bâle, CGFS...).

2. Les travaux du FSF sur le système financier international sont orientés autour de deux axes :

. les vulnérabilités conjoncturelles
: les analyses menées sur ce thème ont été centrées sur les événements majeurs survenus au cours des dernières années (attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, défaut de paiement sur la dette souveraine de l’Argentine, pandémie de grippe aviaire...) et sur la persistance d’un certain nombre de déséquilibres ou de risques (déficits des comptes courants, risques de mésalignement des cours de change, niveau des taux d’intérêt et des primes de risque obligataires...) ;

. les vulnérabilités structurelles
: dans ce domaine, les recherches concernent notamment les institutions à fort effet de levier, les conglomérats financiers, le secteur de la réassurance, le secteur bancaire, les dérivés de crédit, la situation des marchés émergents, la liquidité de marché et les produits financiers complexes. La question de la qualité et de la robustesse des infrastructures de marché est également étudiée (gouvernement d’entreprise, normes comptables, centres « off-shore », standards encadrant l’exercice des activités d’audit et de commissariat aux comptes, agences de notation...).

Au total, le Forum a adopté un certain nombre de recommandations, qui ont en particulier amené à l’établissement d’une liste de douze codes et standards cruciaux pour la stabilité financière internationale, d’un classement des centres « off-shore » selon la qualité de la supervision, d’un répertoire des actions de formation en matière de surveillance financière et d’une liste de contacts entre les institutions participantes afin de faciliter la gestion des crises. Le Forum a également émis des recommandations touchant à l’amélioration des infrastructures, de la transparence et des stress-tests des instruments de transfert de risque, à l’efficience de la discipline de marché et au renforcement de la gestion des risques de contreparties dans le domaine des hedge funds.

Le 7 avril 2008, à la demande des membres du G7, le Forum a publié un rapport analysant les causes de la crise financière actuelle et contenant 67 recommandations.

Parmi ces recommandations, on peut citer par exemple : le renforcement des exigences de « Bâle II » sur le niveau des capitaux propres pour certains produits financiers complexes ; une analyse du caractère éventuellement « procyclique » du dispositif « Bâle II » et des modifications à y introduire ; un renforcement de la supervision en matière de gestion des risques, notamment pour les activités de titrisation ; l’application dès 2008 des « bonnes pratiques » en matière de publication des résultats des établissements financiers, et, en 2009, l’élaboration de dispositions plus contraignantes en la matière ; en matière de normes comptables, la nécessité pour l’IASB de travailler à faire converger les normes qu’il édicte avec celles édictées par ses homologues dans le monde ; une révision rapide du code de conduite de l’OICV concernant l’activité des agences de notation, et la nécessité pour celles-ci de consacrer des moyens suffisants non seulement à la première notation d’un produit ou d’un acteur mais aussi à la mise à jour régulière de cette notation ; la nécessité pour les agences de notation de différencier leurs échelles de notation selon les types de produits évalués, et de fournir plus d’informations sur les risques attachés aux produits complexes ; une réflexion des autorités nationales sur l’utilisation qu’elles font des notations opérées par les agences de notation ; un renforcement des moyens des superviseurs nationaux, afin qu’ils soient en mesure d’estimer les risques liés aux innovations financières ; la création, d’ici la fin de l’année 2008, d’un collège international de superviseurs pour chacune des plus grandes catégories d’institutions financières à l’échelle mondiale ; le renforcement de la coopération entre le FSF et le FMI ; au niveau national, les autorités (gouvernements, banques centrales, superviseurs) doivent envisager, le cas échéant, une modification de la législation et une clarification du partage des responsabilités pour faire face aux problèmes soulevés par les risques de faillites de banques ; au niveau international, ces mêmes autorités doivent accélérer leurs travaux tendant à un meilleur échange d’informations et sur les mesures à prendre pour gérer les problèmes transfrontaliers.

Le Sommet du G20 du 15 novembre 2008
a prévu que le Forum de stabilité financière devra, d’ici au 31 mars 2009, s’élargir à davantage d’économies émergentes, et qu’il devra renforcer sa collaboration avec le FMI.

Sources : site Internet du FSF et Banque de France

A la question « Les économistes ont-ils bien joué leur rôle d’alerte sur les risques de déclenchement de cette crise ? », le directeur général de l’INSEE et ancien économiste en chef de l’OCDE, M. Jean-Philippe Cotis, répondait le 27 octobre dernier : « Non, nous n’avons pas très bien joué notre rôle. A notre décharge, nous avons manqué d’informations microéconomiques sur la sphère financière. Nous avons beaucoup de connaissances sur la sphère réelle mais moins sur les intermédiaires financiers. Une partie [des] informations ne se trouvaient pas dans les statistiques ou les comptes. Elles étaient « hors bilan » et rendaient difficile l’estimation du taux de levier des intermédiaires financiers et de leur fragilité »(24).

B. Le Sommet du 15 novembre 2008 a fixé le programme des travaux, mais il faut à présent en concrétiser rapidement les orientations

Le « G20 » du 15 novembre a eu le mérite de réunir les acteurs de la future réforme du système financier international, mais n’a fait qu’amorcer un processus. Ce Sommet a démontré l’existence d’une prise de conscience mondiale de l’ampleur des problèmes à résoudre pour améliorer le fonctionnement du système financier international. Il a notamment permis à des pays émergents, en particulier la Chine, de commencer enfin à prendre une part plus significative à ces travaux. Mais les mesures annoncées ne seront pas opérationnelles avant de longs mois, et en tout état de cause, c’est bien avant qu’il aurait fallu les prendre.

Ont participé au Sommet du 15 novembre :

- les Etats membres du « G20 », c’est-à-dire : les membres du G8 (Etats-Unis, France, Allemagne, Canada, Italie, Japon, Royaume-Uni, Russie), l’Australie, et plusieurs pays émergents (Afrique du Sud, Arabie Saoudite, Argentine, Brésil, Chine, Corée du Sud, Inde, Indonésie, Mexique, et Turquie)(25;

- deux pays européens qui ont été invités à la demande expresse de la France, compte tenu de l’importance de leur poids économique : l’Espagne et les Pays-Bas ;

- le Secrétaire général des Nations unies, les dirigeants du FMI, de la Banque mondiale, du Forum de stabilité financière et de la BCE, et le Président de la Commission européenne.

On doit toutefois regretter que les pays les plus pauvres, notamment ceux d’Afrique, n’aient pas eu de représentant.

Le Sommet a débouché sur un « Plan d’action pour la mise en œuvre des [cinq] principes de réforme [dont les participants sont convenus]» du système financier international. La réalisation de ce plan d’action est confiée aux ministres des finances, aux régulateurs et superviseurs nationaux, et aux organisations internationales (FMI, Forum de stabilité financière, producteurs de normes comptables, Organisation internationale des commissions de valeurs…).

Ce plan prévoit, d’une part, des actions « immédiates d’ici au 31 mars 2009 » (renforcer les obligations de publication des entreprises concernant les instruments financiers complexes, renforcer la régulation des agences de notation, encourager les sociétés financières à revoir leurs contrôles internes…), et d’autre part, des actions à moyen terme (notamment « que les institutions de Bretton Woods doivent être profondément réformées de manière à ce qu’elles reflètent de façon plus appropriée l’évolution des poids économiques dans l’économie mondiale et qu’elles répondent mieux aux défis à venir »).

Les résultats de ce Sommet ont déçu beaucoup d’observateurs. Les plus optimistes ont mis l’accent sur la concordance des objectifs dont ont fait état les participants ; d’autres ont souligné le caractère très général des principes énoncés, et ont relevé que, comme le formule M. Patrick Artus, « la vraie cause fondamentale de la crise (le financement du déficit extérieur des Etats-Unis par les (…) pays à excédents extérieurs) va donc persister. Il est clair que les Etats ont souhaité corriger les biais de comportement de la finance, mais pas leurs propres biais de comportement »(26).

Le fait même que ce Sommet ait eu lieu et qu’il sera suivi d’autres Sommets du même format représente un élément positif, et il était prévisible que, pour les mesures opérationnelles, il faudrait attendre le Sommet suivant (qui devrait avoir lieu au Royaume-Uni le 2 avril 2009). Pour autant, ce Sommet a fixé un programme de travail, et un nombre important de débats techniques doivent être non seulement ouverts mais résolus le plus rapidement possible. Or, dans tous ces débats, dans la mesure où il est vain d’attendre une solution rapide de dimension mondiale, l’Europe a l’obligation – et, nous en sommes convaincus, la capacité – de faire aboutir ces différents chantiers techniques à son échelle, autant dans son propre intérêt que pour pouvoir ensuite peser de manière déterminante sur les solutions internationales.

II. DANS CE CONTEXTE, IL EST ESSENTIEL QUE L’EUROPE CONTINUE A DONNER L’EXEMPLE ET QU’ELLE AVANCE PLUS VITE ET PLUS FORT

A. La régulation

Un large consensus est constaté en faveur d’une meilleure régulation du système financier international. Toutefois, réclamer « plus de régulation » peut recouvrir deux approches très différentes, quoique pouvant être utilement combinées : créer plus de règles et de contraintes, donc créer de nouvelles règles ; faire en sorte que les règles et instruments existants soient plus efficaces et mieux respectés.

1) Au niveau international : quelle réforme pour le Fonds monétaire international ?

La mondialisation des activités financières des établissements privés est allée beaucoup plus vite que celle de la coordination politique nécessaire pour la réguler. Au cours du Sommet du 15 novembre, les participants sont parvenus à s’accorder sur un engagement solennel de mettre en œuvre des réformes destinées à renforcer les régimes de régulation afin d’éviter de futures crises. Les conclusions du Sommet précisent : « La régulation relève avant tout de la responsabilité des régulateurs nationaux, qui constitue la première ligne de défense contre les instabilités des marchés. Toutefois, (…) il est indispensable d’intensifier la coopération internationale entre régulateurs, de renforcer les normes internationales, où cela est nécessaire, et de veiller à leur application uniforme ». Cette partie des conclusions du Sommet a été directement influencée par la pression très forte de l’Union européenne, portée par le Président Nicolas Sarkozy, en faveur d’un mouvement international de régulation de tous les acteurs, de tous les marchés et de tous les espaces.

Outre une plus forte coopération entre régulateurs nationaux - à défaut de pouvoir envisager un utopique organisme mondial unique de régulation - l’Union européenne avait appelé à une réforme des institutions financières internationales, et cet engagement se retrouve donc aussi dans les conclusions du Sommet. Les contours de cette réforme, en particulier de la réforme du Fonds monétaire international (FMI), demeurent flous pour l’instant. L’Union européenne n’a pas encore défini de propositions précises sur cette question : pour certains Etats, le FMI doit à l’avenir être la banque centrale des banques centrales (rôle qui revient pour l’instant plutôt à la Banque des règlements internationaux), pour d’autres il devrait disposer de moyens financiers plus importants, voire d’un fonds d’investissement et de stabilisation, pour d’autres encore il doit avoir des pouvoirs plus coercitifs pour mettre en garde les pays qui dériveraient par rapport à ses recommandations.

2) Au niveau européen

a) La crise financière et les normes comptables

Les « normes internationales d’information financière » (IFRS) applicables en Europe sont édictées par un organisme privé, l’International Accounting Standards Board (IASB), composé de 14 experts de différents pays. Mais l’IASB ne produit aucune norme qui n’ait fait l’objet d’une longue consultation. L’Europe dispose d’une procédure d’approbation spécifique, qui permet à l’Union européenne de refuser ce que produit l’IASB (en revanche, elle ne peut pas modifier les normes proposées).

Aux Etats-Unis, les normes comptables sont élaborées par un autre organisme privé, composé de 7 experts, le Financial Accounting Standards Board (FASB).

Dans le contexte de la crise actuelle, la mesure de la valeur des actifs financiers (obligations, produits dérivés, etc.) pose problème, ainsi que la traduction comptable des évolutions de cette mesure dans le temps. Deux normes IFRS sont en question : le chapitre
IAS 32, qui définit et présente les catégories d’actifs et de passifs financiers ; et le chapitre IAS 39, qui porte sur la mesure des actifs et passifs financiers ; cette norme stipule que le principe de base d’évaluation des actifs financiers est la « juste valeur » (« fair value »). Celle-ci est la valeur fournie par le marché (« mark to market »).

Lorsque ces marchés baissent, ces normes obligent à traduire immédiatement, sans possibilité d’étalement dans le temps, l’ampleur de la baisse dans les comptes des établissements financiers qui détiennent des actifs, et ce, même si ces établissements n’ont pas l’intention de vendre ces actifs à ce même moment. Ainsi les banques américaines ont-elles été tenues de procéder à des dépréciations massives dès que les dérivés de crédits « subprime » se sont effondrés.

Les banques dénoncent depuis longtemps les dangers du critère de la « fair value » appliqué à leur portefeuille de négociation (« trading »). Elles redoutaient une trop forte volatilité des prix et donc des résultats, risquant de fragiliser leur bilan. Beaucoup estiment que la crise actuelle leur donne raison. D’où la tentation des pouvoirs publics de desserrer l’étau des normes comptables, pour soutenir les banques.

Suivant l’exemple des Etats-Unis, les ministres européens des finances ont autorisé, le 7 octobre 2008, les banques à s’affranchir de certaines règles comptables pour éviter de nouvelles dépréciations massives de leurs actifs. Il s’agissait de leur permettre de transférer certains actifs de leur portefeuille de négociation (« trading book»), évalué au prix du marché, vers leur portefeuille d’investissement (« banking book »), évalué au coût historique, si ces actifs sont conservés jusqu’à échéance. Un tel transfert permet de ne pas valoriser les actifs à leur valeur de marché, mais de les conserver jusqu’à la fin de leur « vie » et de les valoriser selon d’autres méthodes pour que les à-coups boursiers ressortent moins directement dans les comptes.

L’enjeu était double : éviter aux banques européennes un désavantage concurrentiel par rapport aux banques américaines qui bénéficiaient déjà d’une telle possibilité, et leur permettre d’élaborer leurs comptes du troisième trimestre 2008 sur la base des règles ainsi révisées.

Le 13 octobre 2008, l’IASB a adopté de nouvelles normes comptables et a fait parvenir à la Commission européenne sa proposition autorisant les banques cotées qui le souhaitent à reclasser certains actifs financiers de leur portefeuille de négociation, lié à leurs activités de marché, vers leur portefeuille d’investissement, lié à leurs activités bancaires.

Ce changement imposait la modification des règlements communautaires homologuant les normes IFRS. Le 15 octobre, la Commission européenne a donc présenté les modifications au Comité de réglementation comptable (CRC), où sont représentés les 27 Etats membres. Le CRC a avalisé à l’unanimité les nouvelles normes. L’avis consultatif du Parlement européen est intervenu le même jour, et les modifications ont été publiées au Journal officiel du 16 octobre. Cette révision a donc été opérée suivant une procédure d’une rapidité exceptionnelle. Les changements sont rétroactifs et s’appliquent aux comptes à partir du 1er juillet 2008. D’autres modifications complémentaires, concernant les normes comptables IAS 1 sur la présentation des Etats financiers et IAS 23 sur les coûts d’emprunt ont également été avalisées, le 24 octobre.

Selon un article de La Tribune (3 novembre 2008), l’impact des modifications reste flou, et le fait de changer les règles en cours d’exercice risque de rendre les résultats 2008 des banques difficiles à interpréter, d’autant qu’il n’est pas certain que toutes les banques auront recours à ces nouvelles possibilités. Si la Deutsche Bank a présenté ses résultats trimestriels selon les nouvelles règles, les banques françaises, elles, ont préféré annoncer qu’elles renonçaient à leur application pour affirmer leur capacité de résistance à la crise et retrouver la confiance des marchés.

Il est clair qu’en introduisant ainsi en cours d’exercice 2008 de nouvelles règles comptables entrant immédiatement en vigueur, on a créé un problème de confiance. La France s’était d’ailleurs prononcée en faveur d’une réforme incluant non seulement la modification du chapitre IAS 39 mais aussi des règles IFRS 7 afin d’obliger les entreprises à fournir au public une double information : les données sur leurs comptes basées sur les anciennes normes et les données calculées en fonction du nouveau dispositif.

Grâce à ces mesures, Deutsche Bank, la première banque allemande, a évité de devoir ajouter quelque 845 millions d’euros de dépréciations au tableau de ses actifs, et a ainsi annoncé pour le troisième trimestre 2008 un résultat net positif (de 414 millions d’euros). En conséquence, la Deutsche Bank a annoncé n’avoir aucun besoin de recapitalisation, et donc n’avoir aucun besoin de faire usage du dispositif de recapitalisation mis en place par le gouvernement allemand.

En revanche, d’autres banques, parmi lesquelles la Société Générale et la banque suisse UBS, qui auraient pu améliorer leurs résultats en utilisant la souplesse accordée en termes de valorisation comptable des actifs, ont préféré ne pas recourir à ces nouvelles règles.

Cette réforme décidée dans l’urgence ne constitue qu’une première étape. Le Conseil européen des 15 et 16 octobre a invité à poursuivre la réflexion sur la modification des normes comptables. La Commission a donc indiqué qu’elle allait proposer, pour une deuxième étape, de nouvelles modifications.

Après les banquiers ce sont les assureurs européens qui ont réclamé mi-octobre un assouplissement des règles de comptabilisation de leurs investissements. Les professionnels de l’assurance ont demandé une révision des règles de constitution de la provision pour risque d’exigibilité (PRE) et de la provision pour dépréciation durable (PDD), et se sont adressés à la Commission européenne pour que celle-ci saisisse l’IASB de ces questions. Quant aux banques, elles souhaitent notamment que les produits dérivés incorporés à une opération valorisée en « fair value » puissent eux aussi être transférés du « trading book » vers le « banking book » lorsque cette opération relève d’un marché qui devient subitement illiquide. Pour l’instant, l’IAS 39, contrairement aux normes comptables américaines, ne le permet pas.

Les banquiers et les assureurs jugent donc la réforme insuffisante et réclament une extension de son périmètre.

A la demande de la Commission européenne, un groupe d’experts associant banques, assureurs et régulateurs s’est constitué pour travailler avec l’IASB afin de proposer des amendements complémentaires à l’IAS 39.

Au début du mois de novembre 2008, la Commission européenne a annoncé qu’elle avait demandé à l’IASB trois modifications supplémentaires : l’introduction de nouvelles possibilités de reclassement d’actifs financiers dans une catégorie non soumise aux règles sur la « juste valeur » ; la modification de la façon dont les pertes de valeur sont envisagées en ce qui concerne les titres disponibles à la vente (« available for sale » - AFS) ; et une modification des règles relatives aux dérivés incorporés (« embedded derivatives ») là où il reste une différence de traitement entre les normes IFRS et les normes comptables américaines.

La Commission européenne a également présenté, dans un souci de clarification, un texte consolidé réunissant toutes les normes IFRS désormais en vigueur, y compris les modifications entérinées mi-octobre. Ce texte consolidé, qui remplace pas moins de 18 règlements, permettra à tous les acteurs de se référer à un seul et unique texte juridique. Les Etats membres ont unanimement approuvé son adoption.

Par ailleurs, l’IASB et le FASB, son homologue américaine, ont annoncé la création d’un groupe conjoint d’experts pour rechercher une approche commune sur le traitement des problèmes comptables soulevés par la crise financière. En août 2008, la commission américaine des opérations de Bourse (SEC) a adopté une « feuille de route » dont l’objectif est d’aboutir à unifier le dispositif des normes comptables en étendant aux Etats-Unis le champ d’application des normes IFRS à l’horizon 2014.

Toujours en ce qui concerne le problème de la disparité des normes comptables applicables dans les différentes régions du monde, il convient d’indiquer que la Commission européenne a présenté une proposition tendant à considérer, à partir de 2009, les normes comptables de certains pays tiers (Etats-Unis, Japon, Chine, Canada et Corée du Sud) comme équivalentes aux normes IFRS applicables dans l’Union européenne. Le Parlement européen a adopté fin octobre une résolution favorable à cette reconnaissance. La proposition, qui a recueilli l’avis favorable du Comité des régulateurs européens des valeurs mobilières (CESR), va être soumise au Conseil et au Parlement européen.

La révision des normes comptables est controversée parmi les économistes.

Selon M. Didier Marteau, professeur à l’Ecole Supérieure de Management (ESCP-EAP) et à l’Université Paris-Dauphine, l’une des causes majeures de l’accélération de la crise est précisément l’évaluation, exigée par les normes comptables depuis 2005, de tout le portefeuille de trading de crédit des banques sur la base des prix de marché. Puisqu’aujourd’hui il n’y a pratiquement plus de transactions pour de nombreux produits financiers,, ces normes obligent les banques à réévaluer leur stock d’actifs sur la base d’un prix très faible car il n’existe actuellement plus de marché pour ces produits, notamment les produits structurés « toxiques ». Selon lui, il ne s’agit pas de remettre en cause le principe de la « juste valeur » mais ses modalités d’application en période de crise, période où le prix de marché ne reflète plus la juste valeur. Ces règles comptables ont un effet procyclique grave car elles se combinent avec la réglementation prudentielle des banques : les dépréciations entraînent des pertes, qui réduisent les fonds propres, augmentant les besoins de capitaux et provoquant donc des cessions d’actifs, qui accélèrent encore la baisse des prix de ceux-ci.

Pour casser cette spirale, M. Didier Marteau estime que le transfert des actifs vers le portefeuille bancaire n’est pas la meilleure solution. Mieux vaudrait, en cas de crise majeure, qu’une autorité de régulation puisse suspendre l’application du critère de la valeur de marché, au profit d’une valeur fondée sur un modèle (« mark to model »), modèle défini par le régulateur à partir des fondamentaux et applicable à toutes les banques.

D’autres économistes font valoir que la comptabilité est avant tout un système d’information qui rappelle avec force que les banques ont pris des risques excessifs avec insuffisamment de capitaux. Les normes comptables fondées sur la « fair value » permettaient jusqu’à présent de mieux comparer les sociétés d’un même secteur. Pour éviter un krach généralisé, il faut peut-être de la souplesse dans un premier temps, mais une fois la tempête passée, il faudra sans doute durcir à la fois les règles comptables et les règles prudentielles.

Selon M. Nicolas Véron, du centre de recherche économique Bruegel, les normes comptables ne sont pas responsables de la crise actuelle. La comptabilité est cyclique par nature, puisqu’elle reflète la situation financière d’une entreprise dans les conditions de marché du moment. Le facteur procyclique aggravant réside dans l’application des normes prudentielles de « Bâle II », l’exigence de solvabilité est trop rigide, mais le problème des règles prudentielles est clairement distinct de la question des normes comptables. L’idée de « suspendre » les normes comptables apparaît dangereuse, car de nature à réduire encore la transparence et donc à accroître encore plus la défiance des investisseurs.

Selon MM. Michel Tudel, président d’honneur de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, et Michel Ternisien, économiste, les règles comptables ont pour objet de fournir une mesure, pertinente et neutre, de la valeur réelle des actifs et des passifs de l’entreprise, et ce même en cas de crise. Remettre en question les normes comptables au lieu de s’attaquer aux causes de la crise équivaut à « casser le thermomètre » qui mesure la fièvre au lieu de soigner celle-ci. Les deux auteurs proposent d’accroître qualitativement l’information que recèlent les Etats financiers.

b) La proposition de règlement sur les agences de notation

Les agences de notation de crédit ont pour fonction de formuler des avis indépendants sur la probabilité de défaut ou les pertes anticipées des sociétés, des administrations publiques et d’un large éventail d’instruments financiers. Utilisées par les investisseurs, les emprunteurs, les émetteurs et les administrations publiques, ces « notations » jouent un rôle important sur les marchés financiers. De nombreux investisseurs se fient aux agences de notation parce qu’ils ne disposent pas de l’expertise ni des ressources nécessaires pour procéder à leur propre analyse du risque de crédit.

En sous-estimant le risque de crédit inhérent aux produits de crédit structurés, alors qu’elles ont pourtant souvent accès à des informations qui ne sont pas largement diffusées, les agences de notation ont contribué aux graves turbulences du marché. La grande majorité des crédits hypothécaires à risque (« subprimes ») était ainsi très bien notée… De plus, lorsque les conditions du marché se sont dégradées, les agences de notation n’ont pas adapté rapidement leurs notations. La crise actuelle a révélé les faiblesses des méthodes utilisées par ces agences.

La Commission européenne a présenté le 12 novembre 2008 une proposition de règlement pour encadrer les agences de notation actives dans l’Union européenne. Ce texte propose d’introduire une procédure d’enregistrement pour les agences de notation afin de permettre aux autorités de surveillance européennes de contrôler les activités des agences dont les notations sont utilisées par les établissements de crédit, les entreprises d’investissement, les entreprises d’assurance, les entreprises de réassurance, les organismes de placement collectif et les fonds de pension à l’intérieur de l’Union européenne.

La présentation de cette proposition marque un tournant pour la Commission européenne : dans une communication de mars 2006 la Commission avait conclu qu’il n’y avait pas lieu alors de légiférer en cette matière, et qu’il convenait de s’en remettre à l’élaboration de codes de bonne conduite par l’Organisation Internationale des Commissions de Valeur (OICV).

La Commission européenne a dû revoir sa position sous l’impulsion des Etats membres, puisque la « feuille de route » sur la réponse de l’Union européenne à la crise financière adoptée le Conseil « Ecofin » en octobre 2007 prévoyait d’évaluer le rôle joué par les agences de notation, et que les Conseils européens du 20 juin 2008 et du 16 octobre 2008 ont demandé l’élaboration d’une proposition législative pour renforcer les règles applicables à ces agences et à leur surveillance.

Au niveau international, depuis 2007, l’OICV mais aussi le Forum de stabilité financière ont publié des rapports sur cette question. Les agences de notation elles-mêmes ont commencé à travailler sur des réformes de leur fonctionnement. Par exemple, Standard and Poor’s a présenté un plan de réforme prévoyant notamment un contrôle public annuel de sa gouvernance par une société indépendante et Moody’s a pris des mesures visant à renforcer la qualité des données utilisées dans le processus de notation.

Aux Etats-Unis, où sont établies les sociétés mères de la plupart des agences de notation ayant d’importantes activités dans l’Union européenne, les agences de notation font l’objet d’une réglementation et d’un contrôle révisés depuis juin 2007 : le « US Credit Rating Agency Reform Act » adopté en 2006 est entré en vigueur le 27 juin 2007 et a institué un cadre juridique pour l’enregistrement des agences qui souhaitent obtenir la qualité d’« organisation de notation statistique reconnue au niveau national » (« nationally recognized statistical rating organization » ou NRSRO). Il importait donc d’égaliser les conditions de concurrence entre l’Union européenne et les Etats-Unis en instituant en Europe un cadre règlementaire comparable au dispositif américain.

La Commission européenne a choisi de proposer un règlement et non pas une directive, pour que ce cadre soit mis en place immédiatement, sans période de transposition.

Si la proposition de règlement est adoptée en l’état, les agences de notation devront se soumettre à des règles strictes afin que les notations ne soient pas influencées par des conflits d’intérêts, que les agences de notation restent vigilantes quant à la qualité de la méthode de notation et des notations elles-mêmes, et qu’elles agissent d’une manière transparente.

Les principales nouvelles règles proposées sont :

- l’interdiction pour les agences de notation de fournir aussi des services de conseil ;

- l’impossibilité pour les agences de noter des instruments financiers si elles ne disposent pas d’informations de qualité en quantité suffisante pour fonder leur notation ;

- l’obligation pour elles de rendre publics les modèles, les méthodes et les principales hypothèses sur lesquels elles fondent leurs notations, et de soumettre ces méthodes à une révision régulière ;

- l’obligation pour chacune d’elles de publier un rapport de transparence annuel ;

- l’obligation de mettre en place un système de contrôle interne de la qualité de leurs notations ;

- leur conseil d’administration ou de surveillance doit compter au moins trois membres dont la rémunération est indépendante des performances économiques de l’agence ; ces membres seront nommés pour un seul mandat, d’une durée maximale de cinq ans, et ne pourront être révoqués qu’en cas de faute professionnelle ; l’un d’entre eux au moins doit être un spécialiste de la titrisation et du crédit structuré.

Certaines des règles proposées par la Commission européenne sont basées sur le code de conduite de l’OICV, qui prendraient ainsi un caractère contraignant dont elles étaient jusqu’à présent dépourvues.

Les négociations sur cette proposition de règlement sont d’ores et déjà engagées, et son adoption pourrait avoir lieu avant la fin de l’année 2008.

c) Les règles prudentielles : la révision du dispositif de « Bâle II » pour les banques et la proposition de directive « Solvabilité II » pour les assurances

Beaucoup d’entreprises financières ont pris des risques inconsidérés, ont acheté et vendu des produits dont elles ne comprenaient pas le fonctionnement et les dangers. Parallèlement à la nécessaire réflexion sur les obligations des agences de notation, il faut renforcer les obligations de vigilance et d’analyse des entreprises financières, pour qu’elles analysent elles-mêmes les produits qu’elles diffusent. Et il faut également que les investisseurs, qui doivent déjà recevoir, en application des règles européennes, des informations détaillées sur les produits, puissent avoir accès aux informations sur les éléments sous-jacents de ces produits.

Tous ces éléments sont abordés par la proposition de révision de la directive sur les exigences de fonds propres des banques, présentée début octobre par la Commission européenne, et les Etats membres ont exprimé leur accord sur ces éléments. Cette proposition prévoit également de responsabiliser les banques en les obligeant à conserver dans leurs bilans financiers au moins 5 % des créances qu’elles émettent et revendent selon les techniques de titrisation. Les Etats membres sont également parvenus à un accord sur cette disposition à la mi-novembre. Les négociations entre le Conseil et le Parlement européen se poursuivent, le vote du Parlement européen étant attendu pour avril 2009.

Reste la question, encore non tranchée, de la définition et du niveau des fonds propres. L’utilisation, comme outil de comparabilité entre banques, du ratio de solvabilité « Tier 1 » prévu par « Bâle II » est très critiquée. En effet, les disparités nationales dans la définition de ce « cœur » des fonds propres (également qualifié de « fonds propres durs ») sont très grandes, en ce qui concerne l’intégration de titres ou capitaux hybrides dans le « Tier 1 ». La proposition de directive présentée par la Commission prévoit d’interdire aux banques d’intégrer plus de 50 % de capitaux hybrides dans les fonds propres durs. Mais quel que soit le pourcentage sur lequel se mettront d’accord les Etats membres et le Parlement européen, il ne fera pas disparaître totalement les disparités nationales.

De plus, le passage de « Bâle I » à « Bâle II », qui a débuté en Europe début 2008, cause des divergences non pas entre pays mais d’une banque à l’autre pour la définition des fonds propres et le calcul du ratio Tier 1, car « Bâle II » laisse aux banques le choix entre un très grand nombre de méthodes de calcul possibles. La proposition de directive de début octobre pose comme objectif d’arriver à une définition homogène des fonds propres, mais sur ce point il n’est pas certain que les travaux aboutiront à un résultat satisfaisant.

Des débats similaires ont lieu en ce qui concerne le régime prudentiel applicable aux sociétés d’assurance, dans le cadre des négociations sur la proposition de directive dite « Solvabilité II » qui vise à refondre en un texte unique pas moins de 13 directives antérieures tout en les modernisant. Cette proposition de directive vise toutes les entreprises d’assurance et de réassurance à l’exception de plus petites d’entre elles. Le nouveau régime proposé comporte trois « piliers » : des exigences quantitatives (calcul des provisions et exigences de fonds propres), des exigences qualitatives (pour renforcer la qualité de la gestion des risques et la rigueur du contrôle interne), et des exigences de transparence et de meilleure information du public. Les Etats membres ont atteint un accord sur la création de « collèges de superviseurs », comme en ce qui concerne les banques. Le texte doit à présent être examiné par le Parlement européen.

*

* *

Certains sujets de préoccupation sont partagés en Europe et aux Etats-Unis, comme l’absence de régulation de l’activité des agences de notation ou l’insuffisante régulation des hedge funds. La question de la surveillance des établissements financiers se pose en revanche de façon différente.

Aux Etats-Unis, ce sont les banques de dépôts qui font l’objet de la surveillance la plus étroite, celle exercée par la Réserve fédérale, tandis que les banques d’investissement étaient comptables de leurs activités devant l’autorité des marchés financiers, la SEC. La crédibilité de celle-ci a été mise à mal par la crise. D’autre part, les autorités américaines travaillent sur le problème de l’émiettement de leur contrôle des activités de crédit (ainsi, plusieurs agences fédérales interviennent en matière de crédit hypothécaire) et de celui des assurances (un régulateur par Etat des Etats-Unis). En Europe, l’architecture de la régulation et de la supervision varie d’un pays à l’autre.

Or il est évident qu’élaborer des règles plus adaptées ou réviser les règles existantes est important, mais que doter les autorités publiques d’une réelle autorité pour faire respecter les règles est au moins aussi important : la supervision constitue donc le deuxième grand axe des chantiers à mener.

B. La supervision

La crise financière, en particulier à partir du moment où elle a pris un caractère systémique, est un constat d’échec pour les superviseurs nationaux et pour le dispositif embryonnaire existant à l’échelle européenne (voir encadré ci-dessous). L’Europe n’a pas, à l’heure actuelle, les mécanismes de prévention et de gestion des crises nécessaires. La BCE a très bien joué son rôle mais n’a pas cette compétence, et les « comités de niveau 3 » n’ont pas de pouvoir décisionnel.

La Commission européenne a chargé un groupe d’experts présidé par M. Jacques de Larosière de présenter avant le Conseil européen de mars 2009 des recommandations sur le renforcement du dispositif européen de supervision, concernant l’ensemble des activités du secteur financier.

Sans préjuger du résultat des travaux de ce groupe d’experts, on peut espérer qu’il se prononcera en faveur de la création d’une Autorité européenne de supervision plutôt qu’en faveur de « collèges de superviseurs ».

Malheureusement, qu’il s’agisse des négociations sur la proposition « Solvabilité II » relative au secteur de l’assurance ou sur la proposition relative aux fonds propres et à la surveillance des banques, les réticences des Etats membres sont fortes vis-à-vis d’une solution de type « fédéral ». Ainsi, sur la seconde proposition, les Etats membres ont d’ores et déjà avalisé la proposition de la Commission européenne de créer systématiquement un collège de superviseurs pour chacun des quelque 40 groupes bancaires paneuropéens.

Qu’il s’agisse du secteur des banques ou de celui des assurances, il faut que la supervision soit exercée de manière claire et unifiée à l’échelle européenne. Il paraît indispensable que cette future Autorité européenne de supervision (ou ces deux Autorités, si l’on en constitue une distincte pour le secteur des assurances) soit constituée à l’échelle de l’Union tout entière ou de l’Espace économique européen (EEE) et non pas seulement à l’échelle de la zone euro comme le préconise par exemple le Premier ministre belge, M. Yves Leterme(27). Pour quelles raisons ? Parce que l’intégration bancaire transfrontalière concerne toute l’Europe, et ne se fait pas seulement à l’intérieur de la zone euro ; et parce qu’il est inimaginable de laisser le Royaume-Uni à l’extérieur de ce dispositif, étant donné le poids des acteurs britanniques dans le système financier.

Le seul inconvénient serait de séparer plus nettement les banques centrales et l’autorité de supervision que si l’on avait un couple « BCE-autorité de supervision ». Cet inconvénient nous paraît cependant secondaire.

A la nécessité d’un système européen fort de supervision, s’ajoute la nécessité, selon M. Nicolas Véron, d’un renforcement significatif des moyens financiers et humains des organes de supervision et de leurs capacités coercitives.

A cet égard, il n’est pas forcément nécessaire de chercher à élaborer un dispositif européen entièrement novateur : il serait certainement utile de s’inspirer directement des dispositifs de supervision nationaux qui ont fait leurs preuves de manière remarquable au cours de ces derniers mois, en particulier de la discipline qu’a imposée la Banque centrale espagnole.

Bien entendu, dans le respect du principe de subsidiarité, une future Autorité européenne de supervision se limiterait à contrôler les groupes financiers transnationaux. Il reviendrait aux organismes de supervision nationaux de contrôler les acteurs financiers de dimension nationale.

Par ailleurs, il convient de souligner que même l’instauration, que nous appelons de nos vœux, d’un système européen de supervision ne saurait dispenser les établissements financiers de renforcer considérablement leurs dispositifs de contrôle interne, volet qui relève de la régulation.

L’organisation actuelle de la supervision dans le domaine des services financiers au niveau européen : la procédure Lamfalussy

Compte tenu des difficultés rencontrées pour l’adoption de directives ou de règlements par voie de co-décision dans le domaine financier, de la nécessité d’adapter rapidement ces textes au rythme de l’innovation financière, des disparités de mise en œuvre en pratique de ces textes au niveau national, et compte tenu enfin de l’ampleur du Plan d’Action pour les Services Financiers adopté en 1999, les institutions européennes ont commencé à rechercher dès 2000 une manière de réviser l’approche législative pour les textes communautaires en matière financière.

Un « comité de sages », présidé par M. Alexandre Lamfalussy, a rendu un rapport en février 2001. Ce rapport préconisait une approche législative à quatre niveaux, visant à la fois à accélérer la vitesse d’adoption et de révision des textes communautaires et à renforcer l’harmonisation des pratiques d’un Etat membre à l’autre. Pour ce faire, le « niveau 1 » de l’approche Lamfalussy devait être constitué de directives-cadres et de règlements-cadres, se limitant à des « principes essentiels » pour pouvoir être adoptés plus rapidement en co-décision.

Ces textes-cadres devaient être complétés si nécessaire par des mesures d’exécution dites « de niveau 2 », sous forme de règlements d’application ou de directives d’application, adoptés par la Commission européenne selon une procédure comitologique. Ces mesures devaient fournir les détails techniques complémentaires des « principes essentiels » du niveau 1.

Le « niveau 3 »
, visant à renforcer la coopération entre régulateurs nationaux, était constitué de recommandations produites par des comités réunissant des représentants de ces régulateurs, afin de mettre en
œuvre de manière uniforme, d’un régulateur national à l’autre, les dispositions prévues aux niveaux 1 et 2. Ces textes de niveau 3 sont de nature non contraignante.

Enfin, au « niveau 4 », la Commission européenne devait s’assurer que les textes européens étaient bien mis en
œuvre au niveau national et ouvrir des procédures d’infraction le cas échéant.

Suite au « rapport Lamfalussy », les institutions européennes sont tombées d’accord pour que la Commission européenne mette en place trois comités au niveau européen, constitués des régulateurs nationaux de tous les Etats membres de l’Espace économique européen. Ces « comités de niveau 3 » sont :

le Comité européen des régulateurs des marchés de valeurs mobilières (CERVM / en anglais CESR), créé en juin 2001 ; son secrétariat se trouve à Paris ; pour la France, c’est l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) qui en est membre ;

le Comité européen des contrôleurs bancaires (CECB / en anglais CEBS), créé en novembre 2003 ; son secrétariat se trouve à Londres ; pour la France, c’est la Commission bancaire qui en est membre ;

le Comité européen des contrôleurs des assurances et des pensions professionnelles (CECAPP/ en anglais CEIOPS), créé en novembre 2003 ; son secrétariat se trouve à Francfort ; pour la France, c’est l’Autorité de Contrôle des Assurances et des Mutuelles (ACAM) qui en est membre.

De nombreux rapports et propositions ont par la suite été présentés pour améliorer ou compléter ce système. Les dernières propositions en date sont celles formulées par le Parlement européen, dans sa résolution du 9 octobre 2008, basée sur un rapport d’initiative de Mme Ieke van den Burg (PSE, Pays-Bas) et M. Daniel Dăianu (ADLE, Roumanie). Par cette résolution, le Parlement européen :

- oblige la Commission européenne à préparer une proposition de règlementation pour renforcer et préciser le statut et les responsabilités des comités Lamfalussy de niveau 3, et pour mieux coordonner l’action des diverses autorités chargées de la surveillance sectorielle ;

- demande que les comités de niveau 3 puissent jouer un rôle de médiateur en cas de conflit entre les membres d’un collège de superviseurs chargé de résoudre les problèmes de supervision d’un groupe européen transfrontalier actif dans plusieurs pays de l’Union européenne ;

- demande que les présidents des trois comités se réunissent régulièrement pour renforcer la coopération et la cohérence intersectorielles entre ces trois comités ;

Le Parlement européen souligne également que les superviseurs nationaux devraient être tenus d’exécuter les recommandations des comités de niveau 3, et que ceux-ci devraient pouvoir adopter leurs recommandations à la majorité qualifiée.

Le gouvernement français est favorable à ce que les comités de “niveau 3” prennent une plus grande importance.
La Présidence française de l’Union européenne a récemment obtenu que cette dernière proposition soit effectivement adoptée : désormais ces comités adoptent leurs recommandations à la majorité et non plus à l’unanimité. La Présidence française a également appuyé la demande du Parlement européen tendant à ce que soit confié à ces comités un rôle de médiateur, et a obtenu aussi gain de cause sur ce point.

Ces comités “de niveau 3” ne doivent pas être confondus avec les “collèges de superviseurs” qu’il est proposé de créer dans le secteur bancaire et dans le secteur des assurances.


Le concept de “collège de superviseurs” est applicable lorsqu’une entreprise bancaire a des activités dans plusieurs pays européens et relève donc simultanément de plusieurs superviseurs nationaux et non pas seulement du superviseur de l’Etat dans lequel l’entreprise a son siège : comme ce groupe multinational va se trouver en contacts réguliers avec plusieurs superviseurs différents, susceptibles d’exiger de lui des informations et des démarches différentes, des problèmes peuvent surgir, et il apparaît utile que les individus qui, au sein des organismes nationaux de supervision concernés, suivent les activités de ce groupe bancaire se rencontrent. Les “collèges de superviseurs” ont donc vocation à être aussi nombreux que les banques transnationales européennes (un collège se constituant ad hoc pour chacune de ces banques “systémiques”). Alors que les “comités de niveau 3” se situent “au sommet”, et ont pour rôle de produire des recommandations de portée générale, les “collèges de superviseurs” se situent “à la base”, chacun d’eux ayant pour objet les activités d’une banque et d’une seule.

C. La moralisation

1) Les rémunérations

Aux Etats-Unis comme en Europe, la crise a entraîné une remise en question des systèmes de rémunération des acteurs du secteur financier, qu’il s’agisse des bonus des opérateurs ou des rémunérations des dirigeants. Aux Etats-Unis par exemple, le Congrès a interdit aux dirigeants de « Freddie Mac » et de « Fannie Mae », mises sous tutelle en septembre 2008, de toucher les « parachutes dorés » de plusieurs millions de dollars qui étaient prévus dans leurs contrats.

Les rémunérations de certains opérateurs financiers sont très critiquées car elles semblent être au-delà de toute logique, voire de toute morale. Les opérateurs des métiers financiers, à partir d’un certain niveau, ont une rémunération fixe à laquelle s’ajoute une rémunération variable souvent beaucoup plus importante, les bonus. Ces bonus peuvent représenter dans certains cas plusieurs dizaines de fois le montant de la rémunération fixe. Ils sont alloués selon une périodicité annuelle, mais selon un système asymétrique : le bonus ne peut être négatif, quels que soient les résultats et les performances ; il est donc soit nul, soit positif. Enfin, il est en général définitivement acquis. Ce système a constitué une incitation pour les opérateurs à prendre des positions risquées. Il serait donc souhaitable de remplacer ou de compléter ces bonus par un système d’intéressement des opérateurs à long terme aux résultats de leur entreprise, et d’introduire une certaine dose de symétrie dans les bonus.

S’agissant des éléments de rémunération des dirigeants, dans les conclusions adoptées par le Conseil « Ecofin » du 7 octobre 2008, les 27 Etats de l’Union européenne ont critiqué le système des « parachutes dorés », en prévenant que les dirigeants ne pourront revendiquer des « bénéfices indus » sous la forme d’indemnités de départ et que celles-ci devraient être liées à la réussite de l’action de chaque dirigeant. Les Vingt-sept ont estimé que les gouvernements devraient pouvoir intervenir dans la détermination des rémunérations. Ces recommandations sont non contraignantes, mais elles marquent une tentative de relance des efforts d’harmonisation en la matière en Europe, le Conseil prenant cependant soin de préciser que c’est au niveau national que de nouvelles mesures devraient être prises. Les plans de sauvetage des banques, dans de nombreux pays (dont la France), ont imposé l’abandon des « parachutes dorés » pour les dirigeants d’établissements désireux de faire appel à l’aide publique. Aux Pays-Bas, le législateur a instauré une forte imposition des primes de départ, des compléments de retraite et des stock-options des dirigeants.

Les chefs d’Etat et de gouvernement des Vingt-sept ont, lors du Conseil européen des 15 et 16 octobre, appelé « avec force à la responsabilisation de tous les acteurs du système financier, notamment du secteur bancaire », en soulignant que « la performance réelle des dirigeants d’entreprises doit se refléter dans leur rémunération, y compris les indemnités de départ (« parachutes dorés ») qui devraient être fonction de la contribution effective du dirigeant à la réussite de la société. De la même manière, il convient de veiller à ce que le bénéfice de stock-options ou le système de rémunérations, notamment dans le secteur financier, n’entraînent ni une prise de risque excessive ni une extrême focalisation sur les objectifs de court terme. »

La Commission européenne doit présenter prochainement une proposition de texte sur cette question des rémunérations.

De façon générale, il faut bien dire que les initiatives prises par les différents Etats ont été jusqu’ici extrêmement timides.

2) La lutte contre les évasions de capitaux et les « paradis fiscaux »

Pas plus que les hedge funds, les « paradis fiscaux » ne sont la cause de la crise financière. Mais l’existence d’espaces soustraits aux règlementations et donc aux disciplines et aux contraintes propres à assurer une meilleure stabilité du système financier international est susceptible de priver toutes les futures réformes de ce système d’une part non négligeable de leur portée. Par exemple, parvenir à un accord sur une régulation des hedge funds sans aborder simultanément le problème des « paradis fiscaux » où ils sont souvent basés serait inutile. Il ne faut donc pas craindre de soulever franchement la question du régime applicable aux « paradis fiscaux » et, à l’échelle européenne, remettre en question la législation existante, sans se dissimuler la difficulté de cette tâche.

La question de l’harmonisation de la fiscalité de l’épargne s’est posée assez tôt en Europe, dès l’adoption de la directive du Conseil 88/361/CEE du 24 juin 1988 prévoyant la libéralisation totale des mouvements de capitaux entre les Etats membres. Il convenait, en effet, d’éviter que ces mouvements soient perturbés par des considérations autres qu’économiques. Aussi le « paquet » de 1989 sur les mesures à adopter à la suite de cette libéralisation, contenait-il une proposition de directive visant à introduire une retenue à la source sur les intérêts versés.

Un régime unique de prélèvement à la source uniformément applicable à tous les Etats membres était proposé. Ce projet n’a cependant pas abouti. L’unanimité des Etats membres, exigée comme toujours en matière fiscale, n’a pu être obtenue sur un dispositif qui limitait autant leur souveraineté.

C’est à la suite d’une décision du Conseil du 5 décembre 1997 et sous l’impulsion de M. Mario Monti, alors Commissaire à la fiscalité, qu’une initiative similaire a été relancée, avec la présentation le 5 juin 1998 de la proposition de directive visant à garantir un minimum de d’imposition effective des revenus de l’épargne sous forme d’intérêts. Cette « première pierre » de la lutte contre les paradis fiscaux selon le titre du rapport alors présenté au nom de la Délégation pour l’Union européenne par M. Gérard Fuchs, député (rapport d’information n° 1537 du 8 avril 1999), n’a cependant abouti qu’au bout de cinq ans, par la directive 2003/48/CE du 3 juin 2003 en matière de fiscalité des revenus de l’épargne sous forme de paiements d’intérêts.

Un tel délai s’explique par deux éléments :

– d’une part, il a fallu recueillir l’unanimité des Etats membres, notamment l’accord de ceux qui, tel le Luxembourg, ont une législation sur le secret bancaire et un régime fiscal très avantageux pour l’épargne non résidente ;

– d’autre part, il a également fallu examiner, en parallèle, la faculté de conclure des accords prévoyant des mesures équivalentes à celles de la directive, avec les pays tiers ainsi qu’avec les territoires dépendants et associés d’Etats membres de l’Union, mais fiscalement souverains tels que les îles anglo-normandes, de telle sorte que les capitaux non résidents qui seraient dorénavant taxés dans les Etats membres de l’Union européenne n’y trouvent pas refuge dans des conditions plus favorables.

Sur le fond, la directive 2003/48/CE repose sur le principe de coexistence entre deux régimes, celui de la transparence et celui du secret, avec :

– d’une part, l’échange automatique d’informations, au moins une fois par an, entre les administrations fiscales concernées. Sont ainsi communiqués l’identité des particuliers non résidents bénéficiaires de revenus d’épargne et les montants perçus. C’est la procédure de droit commun. Elle est appliquée sauf exception par les Etats membres. C’est également, conformément à l’objectif du Conseil européen de Santa Maria de Feria des 19 et 20 juin 2000, l’objectif ultime de l’Union européenne ;

– d’autre part, et à titre transitoire uniquement, un régime dérogatoire fondé sur une retenue à la source ; cette retenue à la source est pratiquée par trois Etats membres : l’Autriche, la Belgique et le Luxembourg. Le produit en est partagé entre l’Etat où sont perçus les revenus correspondants, qui ne reçoit un quart, et celui où le bénéficiaire est fiscalement domicilié, qui en reçoit les trois quarts. Le taux de la retenue à la source augmente : il est de 15 % pour les trois premières années d’application de la directive, de 20 % pour les trois suivantes et de 35 % ensuite.

La période transitoire n’a pas de terme précis : son achèvement est prévu lorsque tant les Etats-Unis que la Suisse, le Liechtenstein, Monaco et Saint-Marin auront conclu avec l’Union européenne des accords prévoyant l’échange d’informations suivant la convention modèle de l’OCDE du 18 avril 2002.

Le champ d’application de la directive est limité par deux éléments :

- d’une part, seules les personnes physiques, et non les personnes morales, sont concernées ;

- d’autre part, seuls les revenus de l’épargne sous forme d’intérêts ou leurs équivalents, à savoir les produits de taux, sont visés.

Suivant des accords bilatéraux en ce sens, cinq pays tiers européens appliquent ces mêmes dispositions ou des dispositions équivalentes : la Suisse, le Liechtenstein, Monaco, l’Andorre et Saint-Marin. Il en est de même de dix territoires dépendants ou associés soit du Royaume-Uni (les îles vierges britanniques, les îles Caïman, Guernesey, l’île de Man, Jersey, Montserrat, ainsi que Turks et Caïcos), soit des Pays-Bas (Anguilla, Aruba et les Antilles néerlandaises).

La Commission a procédé comme prévu à une étude d’évaluation des premiers effets de la mise en œuvre de la directive. Les conclusions en ont été présentées dans un rapport au Conseil le 15 septembre 2008(28).

Plusieurs éléments sont ainsi apparus. D’une part, la liste des pays qui procèdent à l’échange d’informations fait apparaître l’importance des places financières respectives en matière d’épargne des non résidents. Ainsi, c’est le Royaume-Uni qui a communiqué le montant le plus élevé pour les revenus d’épargne versés à des non résidents : 9,1 milliards d’euros du 1er juin 2005 au 5 avril 2006. Les autres pays sont loin derrière : la France, avec 1,5 milliard d’euros en 2006 est en deuxième position, devant l’Allemagne (1,4 milliard d’euros), les Pays-Bas (795 millions d’euros) et l’Irlande (770 millions d’euros). Le paiement moyen par bénéficiaire donne une hiérarchie un peu différente, même si l’absence de données pour le Royaume-Uni est très dommageable : 6 559 euros versés par non résident pour l’Allemagne, 6 375 euros pour la France et 5 677 euros pour l’Irlande.

D’autre part, certains « paradis fiscaux » pratiquent l’échange d’informations : Anguilla, Aruba, les îles Caïman et Montserrat. Les sommes déclarées versées à des non résidents originaires de l’Union européenne sont faibles 90 000 euros pour Aruba et 18 millions d’euros pour les îles Caïman.

Enfin, pour ce qui concerne les pays qui appliquent la retenue à la source, on observera que les deux tiers du produit de cet impôt sont perçus par la Suisse (255 millions d’euros, soit 45 %) et par le Luxembourg (125 millions d’euros, soit 22 %). Ces deux pays confirment leur rôle de premier plan comme lieu de placement de l’épargne non résident et ainsi comme paradis fiscal.

Les autres Etats membres ou entités concernés ont un poids moindre, à raison de 44 millions d’euros (7,4 % du produit total) pour l’Autriche et 26 millions d’euros (4,6 %) pour la Belgique, les deux autres Etats membres de l’Union européenne qui appliquent ce régime ; de 12,8 millions d’euros pour l’Andorre, 11,7 millions pour Monaco, 7,5 millions pour Saint-Marin et 7,4 millions pour le Liechtenstein ; de 32,15 millions d’euros (6,2 % du produit total) pour Jersey, de 20,35 millions pour l’île de Man et 16,8 millions pour Guernesey.

Les versements reçus par les Etats membres de l’Union européenne dont les ressortissants détiennent des capitaux dans les paradis fiscaux montrent que l’essentiel des paiements, et donc des capitaux qui sont placés, concernent trois pays l’Allemagne (192,7 millions d’euros pour 2005 et 2006) et l’Italie (112,9 millions d’euros), le Royaume-Uni (105,2 millions d’euros). C’est ensuite la Belgique, qui vient après, avec 71,6 millions d’euros, dont les trois quarts en provenance du Luxembourg. La France vient ensuite au cinquième rang (62,8 millions d’euros), avant l’Espagne (48,8), les Pays-Bas (22,6 millions d’euros) et la Grèce (13,7 millions d’euros).

Sur un plan général, la Commission européenne relève que la mise en œuvre de la directive n’a pas eu d’influence sur les placements de capitaux. Néanmoins, le taux de prélèvement n’étant que de 15 % sur la période étudiée, il est encore trop tôt pour rendre un avis définitif.

En février dernier, la révélation de la mise au jour d’un important circuit de fraude fiscale au Liechtenstein, sous le couvert de fondations, impliquant pour l’essentiel des Allemands, mais aussi, selon la presse, quelque 200 contribuables français, a montré les lacunes de l’actuel dispositif :

– d’une part, seules les personnes physiques étant concernées, l’interposition de structures écrans comme les fondations du Liechtenstein, permet de contourner la directive ;

– d’autre part, seuls les produits de taux sont couverts, et ils ne le sont que d’une manière imparfaite.

Aussi le 13 novembre dernier la Commission a-t-elle proposé de compléter le dispositif existant. La proposition de directive correspondante(29) sera ultérieurement examinée par la Commission chargée des affaires européennes. A ce stade, il convient de se limiter à observer qu’elle ne vise qu’à étendre l’actuel dispositif :

– à des produits financiers ayant des caractéristiques proches de produits de taux actuellement couverts ;

– à des structures écrans telles que les fondations ou les trusts, de manière à éviter que la forme juridique de détention des fonds puisse faire obstacle à la taxation du bénéficiaire économique ou final des revenus ;

– à des structures implantées hors du territoires de l’Union européenne, afin d’éviter les effets de l’interposition d’écrans internationaux.

Restent en dehors tous les autres actifs financiers détenus par des particuliers, et au premier rang les actions et parts de sociétés non cotées, ce qui montre la portée pour le moment très limitée de cette réforme. D’autre part, le problème de l’imposition des filiales de sociétés, notamment pour les sociétés situées dans les « paradis fiscaux », reste également en dehors du champ. Nous reviendrons plus longuement sur ces questions préoccupantes lors de l’examen prochain du projet de directive.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

1) Audition de Mme Pervenche Berès, Présidente de la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, sur l’Europe face à la crise financière ainsi que sur les dix ans de l’euro (ouverte à la presse), mercredi 26 novembre 2008

« Le Président Pierre Lequiller. Madame la Présidente de la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, nous sommes particulièrement heureux de vous accueillir.

Comme vous le savez, notre Commission suit de près la crise financière et économique actuelle. Je rappelle notamment que notre collègue Daniel Garrigue doit remettre, dès la semaine prochaine, un rapport d’information sur ce sujet.

Après la remarquable réponse que l’Union européenne a su apporter à la dimension spécifiquement financière de la crise, le président Nicolas Sarkozy et la chancelière Angela Merkel viennent de lancer un appel à une relance économique européenne. Votre audition, Madame la Présidente, a donc lieu à un moment des plus opportuns.

Nous souhaiterions en particulier que vous nous présentiez les initiatives adoptées par le Parlement européen dans ce contexte, et que vous reveniez sur les instruments dont l’Union dispose aujourd’hui. Quels autres outils faudrait-il instaurer demain ?

Cela fait en outre dix ans que l’euro a été lancé. Dans les circonstances actuelles, il me semble particulièrement heureux que nous soyons dotés d’une politique monétaire commune : l’existence de la zone euro nous a permis d’apporter des réponses plus efficaces à la crise financière que nous traversons.

Cela étant, nous aimerions savoir quelle appréciation vous portez sur les dix premières années d’existence de la monnaie unique : pensez-vous que l’Union économique et monétaire présente des faiblesses ? Le cas échéant, quelles réformes faudrait-il engager dans les prochaines années ?

J’ajoute que je suis d’autant plus heureux de vous accueillir parmi nous que nous avons eu l’occasion de travailler ensemble pendant la Convention sur l’avenir de l’Europe, et que vous êtes un membre éminent du Parlement européen, avec lequel nous devons intensifier nos contacts.

Mme Pervenche Berès, Présidente de la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen. Merci de me donner cette occasion d’échanger avec vous sur les travaux du Parlement européen. Comme vous l’avez indiqué, il ne me semble pas inutile de développer la coopération et la coordination entre les institutions parlementaires nationales et européenne.

Etant donné que vous suivez de près la situation actuelle, je ne reviendrai pas sur la genèse des faits. Je rappellerai seulement que la Commission européenne vient de présenter, aujourd’hui même, un plan de relance. Nous ignorons encore s’il correspondra finalement à 1,5 ou 2 % du PIB de l’Union, mais il est certain que le débat engagé par la Commission avec les Etats membres a été influencé par les différentes propositions qui ont vu le jour au sein du Parlement européen. Au demeurant, ce plan de relance sera l’un des principaux dossiers ouverts jusqu’au prochain Conseil européen.

Ma première observation est que nous ne parviendrons pas à régler la crise actuelle si nous négligeons ses origines macro-économiques. Or, il me semble que les analyses actuelles se concentrent à l’excès sur le dérapage des marchés financiers, alors que ce phénomène est indissociable des déséquilibres mondiaux que nous dénonçons depuis de nombreuses années. Afin de soutenir la demande intérieure, minée par la baisse des salaires sous la pression des délocalisations, de nouveaux produits financiers ont été inventés et distribués dans des conditions risquées – la capacité de remboursement des ménages, par exemple, n’a pas été prise en compte.

J’appelle en outre l’attention sur la multiplicité des canaux de transmission de la crise. Le premier d’entre eux fut celui des marchés financiers, du fait de la titrisation des produits qui a eu lieu dans des Etats comme le nôtre, les pays dits « émergents » étant restés à l’abri de ce phénomène en raison de la complexité des mécanismes en jeu. Depuis l’automne, un deuxième canal de transmission s’est ensuite ouvert, celui de l’économie réelle. A présent, il ne faudrait pas sous-estimer un troisième canal, qui tient aux mouvements de capitaux.

Ce qui s’est récemment passé en Hongrie me paraît en effet d’une gravité extrême : dès que les banques ont su qu’elles bénéficieraient d’un plan de secours dans le pays où se trouve leur siège social, elles y ont en effet rapatrié leurs capitaux. La façon dont cette crise a été gérée doit nous conduire à nous interroger sur le degré de solidarité à l’intérieur de l’Union européenne, et nous ne devons pas non plus oublier que ce type de crise pourrait affecter d’autres Etats membres, en particulier la Lettonie.

Pour ce qui est des réponses à la crise, il me semble nécessaire de distinguer quatre aspects principaux : les plans nationaux d’urgence destinés à soutenir les systèmes bancaires ; la régulation des marchés financiers ; leur supervision, c’est-à-dire l’application des règles ; et enfin la dimension macro-économique de la crise, qui est sans doute devenue l’enjeu essentiel aujourd’hui.

Le Parlement européen a déjà eu l’occasion de se prononcer depuis plusieurs années sur beaucoup de ces sujets, notamment en adoptant différents rapports. Il reste que nous ne sommes sans doute pas allés assez loin. Il se peut que nous ayons été victimes, nous aussi, de l’illusion consistant à croire qu’il ne fallait pas étouffer l’innovation financière en imposant trop de règles.

S’agissant des plans nationaux d’action face à la crise, il faut reconnaître que leur dimension européenne se résume aujourd’hui à un simple « habillage ». La Commission se limite en effet à vérifier que les mesures adoptées sont compatibles avec les règles européennes relatives à la concurrence et aux aides d’Etat ; elle n’intervient pas sur le fond. On peut notamment déplorer la faiblesse des garanties qui permettraient d’assurer que ces plans seront effectivement mis en oeuvre dans le cadre d’un véritable contrat entre les banques et les Etats.

Par ailleurs, si un schéma de soutien aux banques a pu être élaboré à l’échelle européenne, grâce à l’énergie déployée par Nicolas Sarkozy et au talent dont Gordon Brown a su faire preuve pour comprendre comment la City pouvait être sauvée et de quelle façon il fallait « vendre » ce plan aux autres pays européens pour qu’il fonctionne, il me semble que le Congrès américain a su se montrer plus regardant que ses homologues européens sur les conditions imposées aux banques.

Dans l’hypothèse où la Commission européenne ne se saisirait pas elle-même de cette question, j’ai donc demandé, avec le soutien du président Hans-Gert Pöttering, que le Parlement européen examine dans quelles conditions les plans nationaux seront mis en œuvre.

Comment la rémunération des intermédiaires évoluera-t-elle ? De quelle façon les banques bénéficiant d’un soutien public se conduiront-elles à l’égard des paradis fiscaux ? Comment la distribution des dividendes sera-t-elle négociée ? Comment les banques participeront-elles au financement de l’investissement de long terme et à celui des PME ? Enfin, il faudra s’assurer que ces plans de soutien serviront, non seulement à recapitaliser les banques, mais aussi à les restructurer, notamment au Royaume-Uni. Sur toutes ces questions, l’action actuelle de la Commission me semble en deçà des attentes que l’on peut placer en elle. Il ne suffira pas de faire de la concurrence le seul angle d’approche.

J’en viens à la question de la régulation. Il me semble regrettable que la Commission n’ait pas fait preuve d’un plus grand sens de la communication sur la mise en œuvre du Plan d’action pour les services financiers de 1999. Avec les différentes propositions se trouvant aujourd’hui sur la table, qu’il s’agisse de la proposition sur la garantie des dépôts, de la révision des règles de « Bâle II », de la directive « Solvabilité II », des OPCVM, des agences de notation, de la fiscalité de l’épargne, ou encore d’autres textes qui devraient être présentés, notamment au sujet des rémunérations, il existe déjà un véritable « paquet législatif » susceptible de favoriser un meilleur fonctionnement des marchés.

En matière de supervision, nous avons certainement commis une erreur en n’investissant pas assez dans ce domaine. Bien sûr, il ne s’agit pas de placer un gendarme derrière chaque opérateur, mais de disposer de superviseurs comprenant ce qui se passe sur les marchés, de mettre en place une supervision intelligente et moderne. Or cela faisait déjà plusieurs années que les superviseurs actuels avaient perdu pied, de même que les dirigeants des banques. Les Etats avaient renoncé à exercer leur pouvoir de supervision. Certains acteurs de marché, à l’image de Jérôme Kerviel, ont donc pu inventer des mécanismes échappant à tout contrôle. A l’inverse, si Goldman Sachs s’est relativement bien sorti de la première phase de la crise, c’est précisément parce que la proximité entre le chef économiste et le Chief executive officer a permis à la banque de se désengager rapidement des produits les plus risqués.

L’investissement dans la supervision des marchés est un choix politique, nécessaire pour des raisons démocratiques, et qui doit s’appliquer à tous les niveaux : au plan des établissements eux-mêmes, au sein desquels les services de contrôle interne devraient jouir d’un poids au moins égal à celui des services qui gagnent directement de l’argent, mais aussi au niveau national, au niveau européen et au niveau international.

Au plan européen, la Commission des affaires économiques et financières que je préside est saisie de plusieurs propositions comportant chacune un volet important relatif à la supervision ; il s’agit des textes relatifs à la révision des accords de « Bâle II », à la directive « Solvabilité II », aux OPCVM et aux agences de notation. Par nature, ces différents sujets ne vont pas sans poser quelques difficultés, en particulier aux anciens pays de l’Est, mais le principal obstacle résulte d’un conflit de calendrier. Conformément à une demande exprimée par le Parlement européen depuis 2006, le Président Barroso a en effet accepté la constitution d’un groupe de travail, opportunément confié à M. de Larosière. Dans ces conditions, j’aimerais savoir comment nous pourrons intégrer les recommandations de ce comité de sages, dont les premières conclusions ne seront pas remises avant la fin du mois de février. Il ne faudrait pas que toute la négociation soit remise en cause au dernier moment.

S’agissant du modèle à suivre en matière de supervision, il me semble que nous pourrions utilement nous inspirer de la Banque centrale européenne (BCE), afin de rétablir la confiance. Cette institution fait l’objet de nombreuses critiques, mais son mode de gouvernance, qui a su concilier le maintien de compétences nationales fortes et l’instauration d’un pouvoir intégré au plan européen, ne souffre d’aucune contestation. Pour que les superviseurs les plus proches des acteurs de marché continuent à jouer un rôle effectif, nous pourrions établir une stratification similaire des mécanismes de supervision.

D’autre part, il ne faudrait pas oublier qu’un système de supervision intégré s’accompagnera nécessairement d’un renforcement du rôle de la BCE, déjà très développé. Cette institution est en effet le lieu où peuvent s’articuler au mieux les logiques micro et macro-économiques prudentielles. Or ce renforcement du poids de la BCE posera nécessairement un problème politique. Une telle évolution ne serait pas acceptable sans un rééquilibrage de l’UEM.

Une autre question est de savoir qui doit exercer les fonctions de supervision. Les mécanismes internationaux de coordination reposent aujourd’hui sur une logique de cooptation des acteurs, qui n’est pas propice à un débat démocratique. Le regroupement des banques centrales nationales au sein du comité de Bâle s’est ainsi accompagné d’une véritable catastrophe dans le domaine des normes comptables : ce sont les quatre grands cabinets d’audit qui ont en réalité mis au point les règles applicables. Il faut prendre conscience que l’absence d’une véritable architecture internationale ouvre la voie à de simples mécanismes d’autorégulation.

Alors, faut-il, comme le proposait, dans une tribune récente, Arnaud Montebourg, confier la charge de la régulation à des parlementaires ? Pour ma part, je me sens bien incapable d’exercer une telle fonction, mais il me semble en effet nécessaire d’établir, d’une façon ou d’une autre, une sorte de « muraille de Chine » entre le superviseur et les acteurs concernés : s’il existe une trop grande proximité entre eux, il sera difficile au premier de faire respecter par les seconds des « lignes rouges ». Il reste que le superviseur doit bien connaître les opérateurs qu’il contrôle. À cet égard, la nomination de Jean-Pierre Jouyet à la tête de l’Autorité des marchés financiers me semble un bon choix, car il jouit d’une double expertise du fait des différentes fonctions qu’il a exercées.

J’ajoute que la question de la désignation du superviseur se pose également au plan international. Qui doit jouer ce rôle ? Est-ce le FMI ou bien le Forum de stabilité financière, créé à l’instigation des banques centrales ? Il faut éviter que ces dernières continuent à confisquer le débat, comme elles ont eu tendance à le faire au cours des dernières années.

J’en viens à la question des plans de relance, dont nous avons un réel besoin. Les Etats-Unis en sont convaincus, puisqu’ils vont dépenser 2 % de leur PIB à ce titre. Certains tirent argument du fait que l’économie française reposerait sur de meilleurs fondamentaux que celle des Etats-unis ; toutefois, il ne faut pas se cacher que la crise aura, chez nous aussi, des répercussions considérables sur l’emploi et sur la croissance.

D’autre part, la crise contribuera à fragiliser ces piliers de l’UEM que sont le pacte de stabilité et de croissance et les règles européennes de la concurrence, aujourd’hui mis en suspens. Il est certes exact que nous ne sommes pas une fédération, contrairement aux Etats-unis, mais ce n’est pas un argument justifiant l’inertie. Bien au contraire, chacun sait que les Américains ont une capacité d’innovation et de rebond bien supérieure à la nôtre. Aussi la reprise est-elle beaucoup plus lente en Europe après une phase de ralentissement économique.

Pour toutes ces raisons, il ne faudrait pas sous-estimer notre besoin d’une relance de l’activité par l’intermédiaire de la demande et de la dépense publique.

Seconde observation : avec la garantie illimitée des dépôts qui a été accordée par l’Irlande, chacun a pu mesurer les dangers d’une action isolée. En quelques heures, l’Allemagne et la Grande-Bretagne ont fait l’objet de départs massifs de capitaux. Un plan de relance qui ne serait pas coordonné au plan européen produirait des effets similaires, mais invisibles à court terme.

Si la principale puissance économique de l’Union européenne menait une stratégie d’exportations minant les capacités de relance nationale des autres pays, l’action de ces derniers serait vouée à l’échec. Ce qui s’est passé en Hongrie devrait alerter nos voisins sur les risques encourus au plan européen. J’entends bien l’argument consistant à refuser de dépenser un euro supplémentaire au titre du budget communautaire, mais il y a certainement moyen d’engager la négociation sur d’autres bases.

Etant donné que les politiques économiques relèvent de la compétence nationale, nous avons assisté, jusqu’à présent, à une confrontation entre les Etats membres, qui refusaient de partager leur souveraineté en matière budgétaire, et la Commission européenne, qui appliquait au pied de la lettre les règles issues du pacte de stabilité et de croissance (PSC). Afin de dépasser ce dialogue de sourds, il faut engager le débat sur la qualité de la dépense publique et sur la qualité des plans de relance. A cet égard, les propositions de M. Barroso me semblent fort intéressantes : entre autres mesures utiles, un lien clair serait désormais établi entre le PSC et la stratégie de Lisbonne, alors que ce n’est pas encore le cas.

En outre, le document de la Commission me semble une bonne base de discussion pour améliorer l’articulation entre les actions entreprises au plan national et au plan européen. Pour la première fois, il est fait référence à la politique monétaire, bien que ce soit encore de façon très prudente : le document ne dit pas que la BCE doit poursuivre la baisse des taux d’intérêt, mais il souligne qu’elle a annoncé elle-même qu’elle continuerait à agir en ce sens.

Je trouve également très stimulante la recommandation de maintenir les indemnités de chômage, voire de les augmenter, en cas de crise, afin d’éviter une chute trop rapide de la demande intérieure. Un dernier élément positif est que la Commission souhaite une révision des programmes de stabilité et de convergence établis par les Etats membres, car ils ne reposent plus aujourd’hui sur des données pertinentes.

S’agissant du dixième anniversaire de l’euro et du bilan que l’on peut aujourd’hui en dresser, permettez-moi de vous renvoyer au rapport que j’ai établi avec mon collègue chrétien-démocrate Werner Langen pour tout ce qui concerne la représentation extérieure de la zone euro, les outils de coordination existants, ainsi que les critères budgétaires en vigueur.

Sur ce dernier point, il me semble que la Commission ferait mieux de prendre en considération la qualité des dépenses au lieu du seul solde budgétaire. Il serait notamment utile d’examiner les efforts réellement consentis en matière de recherche et d’éducation.

M. Daniel Garrigue. Je vous remercie, Madame la Présidente, de contribuer aussi à renforcer les liens entre notre commission et le Parlement européen.

Cela faisait plus d’un an que nous entendions parler de la survenue d’une crise – aucun économiste qui n’ait écrit à ce sujet – et pourtant, la réaction a été tardive. Des mesures ont été prises pour le sauvetage des banques, qui ne remplacent pas celles qui auraient dû être mises en œuvre plus tôt – régulation et supervision.

Vous avez évoqué les déséquilibres américains – Jacques Rueff les signalait déjà dans les années soixante – qui posent un problème certain. Mais comment peut-on aujourd’hui dissuader les Etats-unis de relancer leur activité économique, alors même que nous en avons besoin ?

Ma vision de la réaction européenne est plus positive que la vôtre. Un cataclysme mondial aurait pu naître du lâchage de Lehman Brothers par les Américains, mais à ce moment critique, l’intervention de Nicolas Sarkozy – dans le cadre de la présidence française de l’Union – a été d’une importance décisive. De façon coordonnée, les Européens ont mis en place des plans de sauvetage nationaux – ou transfrontaliers dans le cas de Fortis ou de Dexia – et Gordon Brown n’avait certainement pas que le sort de la City présent à l’esprit. Enfin, la BCE, si souvent décriée, a joué son rôle de bout en bout en injectant les liquidités nécessaires.

Le suivi des banques et de la mise en œuvre des plans de sauvetage, comme vous l’avez souligné, est nécessaire. Il faut aussi continuer de débattre de la centralisation des fonds d’épargne et de leur utilisation en direction de l’économie.

La question des plans de relance se heurte, c’est vrai, aux spécificités nationales et, en dépit de l’effort franco-allemand de rapprochement, un plan d’ensemble ne s’imposait pas de lui-même. Pourtant, il faut regretter la faiblesse de l’intervention européenne : n’aurait-il pas fallu recourir encore davantage au canal de la Banque européenne d’investissement ?

Nous n’avons que trop tardé à mettre en œuvre des outils de régulation et de supervision. Si je vous ai bien comprise, vous seriez favorable à une autorité intervenant dans le cadre de la zone euro et placée auprès de la BCE. Mais ne faudrait-il pas raisonner à l’échelle européenne et imaginer une autorité séparée, intégrant l’ensemble des pays de l’Union, y compris les pays hors de la zone euro ?

Que pensez-vous de la remise en chantier de la directive « Epargne », relative aux paradis fiscaux ? Le Parlement sera bientôt saisi de ce projet, dont je crains qu’il ne pêche par manque d’ambition. Enfin, où en est-on de l’unification des bases de l’impôt sur les sociétés ? Celui-ci ne pourrait-il pas constituer une part des fameuses ressources propres de l’Union ?

M. Christophe Caresche. Je vous remercie, Madame la Présidente, pour cet exposé complet et fort intéressant. Au-delà de la réaction européenne, deux éléments me semblent préoccupants. La Commission a semblé très suiviste : alors que vous vous êtes montrée très critique à l’égard de Charlie McCreevy en septembre, comment jugez-vous aujourd’hui la situation ? S’agissant de l’Allemagne, le moins que l’on puisse dire est que son rôle n’a pas été moteur : ne faut-il pas craindre une moindre prise en charge au niveau politique, une fois la présidence française terminée ?

M. Jérôme Lambert. Alors que l’on parle d’un plan coordonné de la Commission, ce sont les différentes politiques nationales qui font l’actualité : il est difficile d’y voir clair ! Malgré la multiplication des conférences, des forums et des réunions, les marchés financiers continuent de faire des bonds. Rien de ce qui a été tenté à ce jour ne semble permettre de stabiliser la situation.

M. Daniel Garrigue. Il est vrai que la Commission n’a pas joué un rôle moteur, mais c’est le cas de nombreuses institutions, qui se sont montrées attentistes pendant l’année qui a précédé la crise. Puis le moment est venu où il fallait agir vite et de manière unie. C’est ce qui s’est passé, sans que, M. Barroso n’ayant pas la même position que Jacques Delors, le président de la Commission et le président de l’Union risquent de se marcher sur les pieds.

M. Gérard Voisin. Je suis heureux de vous avoir entendue, Madame la Présidente, ne connaissant votre compétence jusqu’ici que de réputation. Je ne résiste pas, étant moi-même élu de Saône-et-Loire, à l’envie de vous entendre réagir aux propositions d’Arnaud Montebourg.

Je me rappelle l’exposé d’un directeur départemental de la Banque de France décrivant, bien avant tout le monde, ce que serait la crise des « subprimes ». Comment ne pas s’étonner que les équipes des grands groupes ou les conseillers politiques n’aient pas tiré la sonnette d’alarme ? Comment a-t-on pu s’endormir sans entrevoir l’explosion possible de la planète financière ? Le laxisme, dans ce domaine, devrait être bien plus sévèrement puni.

M. Jérôme Lambert. Au mois de février, j’ai participé à une rencontre avec Dominique Senequier, présidente d’Axa Private Equity. Comme tous les grands dirigeants, elle était parfaitement au courant de la situation et nous a expliqué que le pire restait à venir, lorsque les compagnies d’assurance seraient à leur tour impactées. Pour le moment, il n’en est rien : avez-vous des informations à ce sujet ?

Le Président Pierre Lequiller. On n’en est pas encore à 1929. Mais il suffirait que la défiance des épargnants à l’égard des banques devienne générale pour que la situation devienne similaire.

Nous devons nous réjouir de ce que se soit trouvé à la tête de l’Union, lorsque la crise est survenue, le président d’un grand pays. Quant au sommet des pays de la zone euro, organisme pour lequel vous et moi nous étions tant battus lors de la Convention, il s’est imposé sur la scène européenne. Si les Allemands se montrent encore frileux, les Britanniques et les Irlandais, qui s’opposaient à sa création, le voient aujourd’hui d’un bon œil. Il me semble que nous devrions envisager une action commune entre le Parlement européen et les Parlements nationaux pour insister sur la nécessité de conserver cette organisation, d’autant que les deux prochaines présidences seront assurées par des pays n’appartenant pas à la zone euro.

Je pense, comme vous, qu’une institution européenne de contrôle des banques est nécessaire. Là encore, la crise, qui bouscule les habitudes et vient à bout des réticences, nous fournit l’opportunité de faire avancer des sujets sur lesquels, malgré nos appartenances politiques respectives, nous étions d’accord lors de la Convention.

Mme Pervenche Berès. Il me semble, Monsieur Garrigue, que nous aurions pu réagir beaucoup plus vite. Dans un premier temps, la BCE a bien géré la crise et renforcé son autorité face à la Fed et à la Banque d’Angleterre. En injectant des liquidités, elle a en quelque sorte mis le malade sous perfusion, tout en sachant que cela ne le guérirait pas, la crise risquant de devenir une crise de solvabilité.

Ce que je reproche à la BCE, c’est de ne pas avoir alerté les gouvernements à temps et de leur avoir caché que le soutien aux banques serait problématique. Tout au long du printemps, les forums appelant à la transparence se sont multipliés. Il était certes irréaliste d’imaginer que les 44 banques systémiques européennes se réuniraient pour décider d’annoncer conjointement leurs pertes. En revanche, il fallait envoyer des superviseurs dans chacune des banques pour identifier les produits toxiques. Telles sont les limites de la politique monétaire, qui ne peut pas tout. Autant Jean-Claude Trichet pouvait décider le 9 août d’injecter 94 milliards d’euros sans concertation, autant il lui était difficile d’articuler son action avec chacune des politiques nationales. S’il avait conseillé à Christine Lagarde de recapitaliser, celle-ci n’aurait-elle pas temporisé en raison de la situation de la France à l’égard du pacte de stabilité ? L’incapacité des pays à se coordonner
– que l’on observe aujourd’hui avec les plans de relance – nous a fait perdre du temps.

La seconde critique que je formulerai à l’endroit de la BCE porte sur la dimension idéologique de sa politique des taux, son unique objet étant la stabilité des prix. La hausse de juillet a été mue par la crainte d’un effet « deuxième tour » - une augmentation des salaires consécutive à l’inflation. Comme la perspective de l’inflation s’éloigne aujourd’hui, les taux diminuent, mais la BCE a trop tardé à baisser ses taux.

L’anticipation de la crise n’a pas été suffisante. Les signaux existaient et dès le mois d’avril, j’ai demandé à François Pérol de conseiller à Nicolas Sarkozy de placer le sujet en tête des priorités de la présidence française. Il n’en a rien été.

Monsieur Voisin, comment en sommes-nous arrivés là ? Les banques d’investissement américaines, sur la base de résultats qu’elles obtenaient à Londres, ont vu toutes leurs demandes de dérégulation satisfaites. En 2007, deux rapports sur la place boursière de New York, l’un par Michael Bloomberg et Chuck Schumer, l’autre par la Chambre de commerce, portaient sur ce sujet. Ce fut aussi, en France, l’objet du rapport Charzat, qui suggérait d’assouplir la régulation pour renforcer l’attractivité de Paris. Cette fuite en avant rend aujourd’hui difficile la mise en place de nouveaux outils, d’autant que c’est l’échelon national qui est toujours privilégié – même si Jean-Pierre Jouyet succède à un autre Européen convaincu, Michel Prada – et que les mécanismes de supervision diffèrent d’un pays à l’autre. En France, l’AMF est adossée à la Banque de France ; en Allemagne, la tâche est confiée à un organisme extérieur à la Bundesbank par crainte d’un conflit d’intérêts. Dès lors, il est difficile d’imaginer un mécanisme à l’échelle européenne et de convaincre les responsables nationaux de consentir un tel transfert.

S’agissant de Fortis et de Dexia, je ne suis pas d’accord. Même s’il s’agissait d’acteurs qui se connaissaient bien, il a fallu, chaque fois, s’y reprendre à deux fois, et beaucoup de temps a été perdu. Un mécanisme intégré aurait permis d’améliorer la situation.

Le plan de relance devrait atteindre 1,5 ou 2 % du PNB. Initialement, il devait être de 130 milliards seulement, soit 1 % du PNB, pour s’aligner sur le plan allemand. Cela était insuffisant et je n’ai pas manqué de le dire. La proposition de la Commission comporte deux volets, l’un relevant de la compétence des Etats membres, l’autre de l’Union européenne, avec un rhabillage des fonds structurels et une recapitalisation de la Banque européenne d’investissement. S’agissant du pacte de stabilité, M. Barroso, qui parle de « souplesse », joue avec les mots. Il faudrait admettre clairement que pendant trois ans, on doit faire passer le seuil de 3 à 4 % et que, dans le cadre d’une politique coordonnée, ceux qui ont davantage de marge de manœuvre peuvent aller plus loin que les autres.

Monsieur Garrigue, vous m’avez mal comprise. Ce que je propose, c’est un système européen – non de la zone euro – intégrant des superviseurs nationaux. Mais il faudrait construire un pont entre le système de supervision et la BCE. Aujourd’hui, le système est fou puisque la BCE injecte des liquidités, y compris pour sauver la City, sans aucun pouvoir de contrôle puisque les outils de supervision dépendent des autorités nationales.

S’agissant des paradis fiscaux, c’est Benoît Hamon qui a été désigné comme rapporteur du projet de révision de la directive « Epargne ». La négociation s’annonce extrêmement ardue : il faudra composer avec les Etats-Unis – nous avons commencé de travailler avec l’équipe de campagne de Barack Obama sur ce sujet – et garder à l’esprit que l’un des principaux paradis fiscaux est une place financière européenne majeure. Pour ce qui est de l’ACCIS – assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés –, le sujet restera au fond des tiroirs de la Commission tant que la situation de l’Irlande à l’égard du Traité de Lisbonne ne sera pas réglée.

Monsieur Caresche, les défaillances de la Commission tiennent en grande partie à la personnalité du commissaire compétent, qui a multiplié les stratégies contraires aux intérêts de l’Union. Depuis, M. Barroso s’est remis en campagne, en nommant Jacques de Larosière à la tête d’un groupe de travail sur la supervision, puis en annonçant aujourd’hui des propositions qui vont assez loin.

S’agissant de nos relations avec l’Allemagne, les responsabilités doivent être partagées. Le premier décrochage sérieux s’est produit lors du mariage entre Euronext et NYSE. La négociation avec Deutsche Börse – une structure en silo complètement intégrée – a été faussée, la DG concurrence ne s’étant pas penchée sur le sujet. Par la suite, le Land de Hesse a fait pression, arguant que Rhodia et Alstom s’étaient comportés comme des voyous chez lui et qu’il ne voulait pas renoncer à avoir sa propre Bourse. Ces conflits accroissent l’incapacité des deux pays à se parler. Je ne comprends pas la réaction des Allemands à la proposition de fonds souverain avancée par Nicolas Sarkozy, alors même qu’ils sont préoccupés par cette question au point d’avoir adopté une loi si judicieuse que j’aurais aimé qu’elle fût européenne.

Monsieur le Président Lequiller, nous ne connaîtrons pas une crise similaire à celle de 1929 si nous agissons suffisamment vite. Cela dit, il faut garder à l’esprit que les événements de 1929 ont eu une résonance très forte en Allemagne et qu’ils constituent une obsession presque fondatrice. Si nous oublions les raisons de l’attachement de nos voisins à l’indépendance de la banque centrale ou à la stabilité des prix, nous allons droit dans le mur. Dans le même temps, il nous faut les convaincre de prendre en compte la situation des pays voisins – comme la Hongrie – sans quoi les bases mêmes de la zone euro pourraient s’effondrer. N’oublions pas non plus que l’Allemagne est gouvernée en ce moment par une grande coalition.

Le Président Pierre Lequiller. Un autre argument est que l’Allemagne a réalisé un effort colossal pour assainir sa situation budgétaire. Dans ces conditions, on peut comprendre qu’il lui soit difficile d’accepter que d’autres pays lâchent du lest.

Mme Pervenche Berès. S’agissant des fluctuations des marchés financiers auxquelles Jérôme Lambert a fait référence, il me semble qu’il faut avant tout prendre en compte les déséquilibres macroéconomiques. La crise actuelle résulte en effet des bulles financières produites par les politiques monétaires laxistes menées aux Etats-unis. Afin d’éviter les politiques non coopératives, nous avons sans doute besoin de mécanismes d’alerte semblables à ceux qui existent déjà au sein de l’OMC.

On peut également s’interroger sur les plans de soutien à l’industrie automobile. Faut-il continuer à financer à fonds perdus ce secteur d’activité ? Les plans de soutien devraient s’accompagner d’une action résolue en faveur de la reconversion, puisqu’il y aura demain moins de voitures qu’aujourd’hui. Pour que la relance soit crédible, il faut une vision claire des objectifs, ce qui n’est pas encore le cas. Les marchés le savent bien.

S’agissant de la supervision, il ne faut pas se méprendre. Je ne prétends nullement qu’Arnaud Montebourg ait tort. J’affirme en revanche que nous avons besoin d’instaurer une véritable « muraille de Chine » afin que le superviseur dispose d’une autorité suffisante.

Le Président Pierre Lequiller. Reste à savoir comment y parvenir. Faut-il confier cette mission à des parlementaires ? Je n’en suis pas plus convaincu que vous.

Mme Pervenche Berès. Pour ce qui est de la zone euro, permettez-moi de vous renvoyer une fois encore au rapport dont je suis l’auteur avec Werner Langen. Je rappelle en outre que le Parlement européen a adopté - à une majorité écrasante - une résolution reconnaissant notamment que la réunion d’un sommet des chefs d’État et de gouvernement de la zone euro était une grande première, qui appelle des développements futurs.

Sans entrer dans le débat portant sur la présidence de l’Eurogroupe, je précise que Jean-Claude Juncker bénéficie d’une « double casquette », qui a été confirmée à l’unanimité en septembre 2008, sous la présidence française.

En ce qui concerne les plans de relance, la dépense publique sera le nerf de la guerre, car la confiance n’est pas encore au rendez-vous : il n’y aura pas de reprise spontanée des investissements en l’état actuel ; d’autre part, les ménages souffrent d’un problème de pouvoir d’achat, qui ne sera pas résolu sans une intervention de la puissance publique. Tout plaide donc en faveur d’un dépassement des critères du PSC.

Un argument souvent évoqué à l’encontre des plans de relance est que ce type de solution aurait échoué dans le passé. Dans ces conditions, il y aurait de fortes probabilités que l’argent public soit gaspillé. Pour ma part, je pense qu’il faut débattre des objectifs assignés à la relance, notamment en matière d’énergies durables.

Enfin, pour ce qui est du rôle international de la zone euro, nous mesurons aujourd’hui à quel point nous avons fait preuve de passivité au cours des dernières années. Le taux de change est certes une compétence partagée entre la BCE et le Conseil de l’Union européenne, mais ce dernier n’a jamais éprouvé le besoin de se prononcer sur ce sujet, en l’absence de nécessité impérieuse. Or, le moment est aujourd’hui venu : nous ne devons pas demeurer la variable d’ajustement entre le dollar et le yen. Nous avons vocation à occuper une plus grande place dans le système international.

Le Président Pierre Lequiller. S’agissant du rôle de la Commission européenne, je ne suis pas tout à fait d’accord avec certaines critiques. Il était tout à fait normal que ce soit le Président Sarkozy qui tienne les rênes dans les circonstances actuelles. J’observe en outre qu’il a toujours veillé à associer le Président Barroso à son action.

M. Daniel Garrigue. Il me semble qu’il faut veiller à distinguer clairement la régulation et la supervision d’une part, et la gestion de la crise d’autre part. On ne pourra vraiment parler des deux premières que lorsqu’on sera sorti de la dernière.

La gestion de la crise peut imposer des mesures contraires aux deux autres objectifs. Le soutien au secteur automobile peut ainsi entretenir des phénomènes contre lesquels on souhaite par ailleurs lutter. Autre exemple : qui demandera aujourd’hui aux Etats-unis de réduire leur déficit budgétaire et leur déficit commercial ?

Pour ce qui est du partage des rôles entre la BCE et les Etats membres, je trouve que la distinction entre les problèmes de liquidité et de solvabilité n’a rien d’une évidence dans les faits. La BCE a certes apporté des liquidités, mais la véritable solution a été le soutien au marché interbancaire engagé à l’exemple du gouvernement britannique. Les Etats sont intervenus alors que nous en étions encore au stade d’une crise de liquidité, et non de solvabilité.

J’aurais également tendance à être un peu moins sévère dans l’affaire Dexia. Il n’était pas facile d’évaluer d’emblée le risque auquel exposent les actifs toxiques. J’observe d’ailleurs que la plupart des établissements concernés sont aujourd’hui encore incapables d’en faire un bilan complet. Dans ces conditions, il ne faut pas nécessairement reprocher à la puissance publique d’être intervenue à plusieurs reprises.

M. Jérôme Lambert. Je crois pourtant me souvenir que l’on avait demandé aux banques, dès l’été dernier, de fournir un bilan des actifs toxiques dans un délai de 100 jours. Or, nous n’avons toujours rien vu venir.

Mme Pervenche Berès. Concernant la Commission européenne, il me semble que la meilleure des solutions serait qu’elle soit aux commandes, au lieu du président du Conseil. Si d’autres responsables avaient été en fonction à la tête de la Commission, il me semble que la crise aurait pu être mieux gérée qu’elle ne l’a été.

Par ailleurs, il faudra faire attention aux plans de relance qui seront menés. On ne peut pas accepter que les Etats-Unis continuent à consommer autant d’énergie. Il faudra s’assurer que l’argent public est dépensé conformément aux stratégies de plus long terme.

Pour ce qui est du soutien au marché interbancaire, la garantie des prêts octroyée par les Etats signifie tout simplement que la politique monétaire était devenue impuissante. Si les Etats ont pris le relais de la BCE, ce qui n’était pas une décision facile à prendre, c’est précisément parce qu’il y avait un risque de solvabilité.

S’agissant de l’appel à la transparence lancé par le Forum de stabilité financière, j’observe que ce type de solution ne fonctionne pas. Il faut que les superviseurs aillent vérifier eux-mêmes ce qui se passe, car les opérateurs ne vont pas spontanément prendre le risque d’afficher des résultats dont ils ne sont pas encore certains.

Permettez-moi enfin de rappeler que des rencontres auront lieu au Parlement européen, les 11 et 12 février prochains, sur la crise financière actuelle. Dans cette perspective, nous allons demander aux parlements nationaux de nous tenir informés de la mise en œuvre des plans nationaux.

Le Président Pierre Lequiller. Merci, Madame la Présidente Berès, de vous être prêtée à cette audition. »

2) Réunion de la Commission du mercredi 3 décembre 2008

La Commission s’est réunie le mercredi 3 décembre 2008, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d’information.

L’exposé du rapporteur a été suivi d’un débat.

« Le Président Pierre Lequiller. Pour une fois, peut-être arriverai-je à convaincre Jacques Myard de l’utilité de l’euro et, plus largement, de la zone euro. Sans l’existence de cette zone, le Président de la République n’aurait pas pu réunir les responsables et coordonner les actions. On aurait connu un désordre généralisé.

M. Daniel Garrigue, rapporteur. La zone euro n’a pas seulement permis de réagir à la crise ; elle a, par elle-même, été un facteur de stabilité.

Le Président Pierre Lequiller. Un véritable événement politique a eu lieu à cette occasion : la création du Sommet de la zone euro avec, en plus, l’association des Britanniques qui ont inspiré une solution ayant même montré la voie aux Américains. Je souhaite donc que nous mentionnons la nécessité de maintenir ce sommet de la zone euro élargi au Royaume-Uni.

Je ne serai pas aussi sévère que le rapporteur sur le rôle du Président de la Commission européenne. A partir du moment où les choses étaient prises en main par le Président de l’Union européenne, il ne pouvait faire que ce qu’il a fait.

Sur l’Allemagne, il faut comprendre qu’elle a dû réaliser des efforts considérables ces dernières années pour revenir « dans les clous » et qu’elle a du mal à accepter un relâchement de cette discipline. Par ailleurs, la crise de 1929 a, pour les Allemands, une autre signification que pour les Français et correspond à un véritable traumatisme.

Le rapporteur. La question de la relation franco-allemande mériterait effectivement d’être approfondie au sein de notre Commission. Pour l’heure, j’indique que le point 9 de la proposition de résolution préconise le retour au respect du Pacte de stabilité et de croissance, à terme, et qu’il s’agit là d’un signal à destination de l’Allemagne. Il faut ajouter que les Allemands sont plus que nous à la recherche du consensus et que notre attitude parfois un peu « à la hussarde » ne correspond pas à leur approche.

M. Jacques Myard. Je remercie d’abord M. Daniel Garrigue pour ce rapport. Il faut souligner que l’on n’est pas face à un problème monétaire, mais face à une crise bancaire transnationale. Dès lors, on doit constater que des fautes ont été commises avant même le déclenchement de la crise, y compris par la Banque centrale européenne. J’avais été le seul à critiquer le fait que l'Europe se place, en matière de normes comptables, entre les mains de l’IASB (International Accounting Standards Board), organisme dans les mains des Américains. J’avoue néanmoins n’avoir pas vu à l’époque le danger de la règle d’évaluation au jour le jour des actifs, qui a accentué l’effet dépressif lors de la crise. Seuls le député européen Georges Berthu et le Président Jacques Chirac avaient sonné l’alerte, mais la Commission européenne n’en avait tenu aucun compte.

La titrisation n’est pas en soi néfaste. C’est la titrisation en chaîne qui pose problème. Les banquiers ont empilé les crédits hypothécaires à risques, malaxé le tout et il en est ressorti des titres ayant la notation « triple A » mais qui n’étaient que des châteaux de cartes. Les banques centrales auraient dû s’apercevoir de cela bien avant et elles ont failli en n’exerçant pas leur contrôle sur ce ratio. C’est là une faillite de toutes les banques centrales et de la Banque centrale européenne.

La coordination entre les Etats est indispensable. Je pense que les Allemands se joindront à la coordination économique, mais je suis convaincu qu’on ne parviendra pas à adopter une réforme structurelle. Cela pose une vraie question éthique fondamentale, car les soi-disant experts prétendent écarter les politiques, censés ne rien y connaître.

Le G 4 et le G 20 ont démontré que les Etats sont les seuls véritables acteurs de la scène internationale. Il importe donc de « mettre le paquet » sur le retour du politique à ce niveau puisque les marchés agissent de façon stupide. Il faut revenir au concept fondamental d’économie politique, où les Etats commandent aux banques centrales et mènent des politiques industrielles. Cette économie politique n’existe pas à Bruxelles et c’est là qu’il y a problème.

En ce qui concerne l’Allemagne, il faudrait lui rappeler que la faillite des années 1920 s’est produite avec une Reichsbank indépendante. La banque centrale américaine est dans une situation semblable et Milton Friedman a rappelé que la seule chose qu’elle a faite une fois la crise passée fut de faire construire un somptueux siège social sur les rives du Potomac.

Pour l’heure, il conviendrait de reprendre la main sur les thèses monétaires, financières et économiques de la Commission européenne. On en est pourtant aux antithèses.

Quant à l’euro, j’accepte de reconnaître que sans lui la Belgique aurait dû dévaluer de 50 % au lieu de 25 %. Mais c’est tout. Je vous demande d’ouvrir les yeux et de voir que le choc systémique sur l’euro est devant nous et non derrière. Qu’allez-vous faire de l’Espagne, du Portugal et de la Grèce et de leurs énormes déficits commerciaux, correspondant à 10 % du PIB en Espagne par exemple ? On va tout droit vers une Union de transferts où les pays riches devront payer pour les pauvres. C’est ce qui s’est passé dans le Système monétaire européen (SME), mais à l’époque, la Grande-Bretagne avait la possibilité juridique de sortir de ce mécanisme. En réalité, il faudrait avoir trois zones monétaires en Europe : la zone allemande ; une zone française et peut-être italienne et, enfin, les autres.

Je souscris à tout ce que le rapporteur a indiqué, à l’exception de son souhait de revenir au Pacte se stabilité et de croissance. J’observe que les Etats-Unis, qui ont une monnaie unique, ne s’imposent pas de telles règles. Quant à la Grande-Bretagne, pour des raisons bien compréhensibles, elle a aujourd’hui un déficit budgétaire égal à 7 % de son PIB. Il faut avoir l’intelligence de comprendre que l’économie se pilote au jour le jour, sans avoir un modèle rationnel dans la tête. Je m’abstiendrai donc si le point relatif au Pacte de stabilité et de croissance était maintenu.

M. Jacques Desallangre. Je tiens tout d’abord à féliciter M. Daniel Garrigue pour son excellent rapport et à souligner que je partage de nombreux points de l’intervention de M. Jacques Myard.

Le point 1 de la proposition de résolution affirme que la crise a commencé aux Etats-Unis, mais il ne faudrait pas s’exonérer de nos responsabilités. Des institutions bancaires européennes, dont des banques françaises, ont participé au déclenchement de la crise, en menant une spéculation effrénée, en favorisant la sophistication des produits et la titrisation d’actifs « pourris ». Le comportement des acteurs est responsable aujourd’hui d’un véritable malheur pour les classes défavorisées et les classes moyennes. On peut regretter qu’il n’y ait pas de dénonciation des outrances des banques car la recherche d’un maximum de profit les a conduites à des manipulations dans lesquelles elles se sont pris les pieds.

Il aurait été préférable d’agir de manière préventive, en créant une fiscalité dissuasive sur les stock options, les « parachutes dorés » et les « retraites chapeaux ».

Il sera certainement difficile de parvenir à une régulation à l’échelle de l’Union européenne, car cela suppose d’aller à l’encontre de l’idéologie de la Commission européenne et des élites gouvernantes, selon laquelle le marché doit être souverain et tout régler à la place du politique. Le terrible échec de l’économie financiarisée devrait pourtant remettre en cause le dogme du libéralisme.

On pourrait également noter l’absence du FMI et les difficultés de l’Union européenne à réagir. Les interrogations sur son périmètre d’action créent un risque d’immobilisme. Il convient d’élargir le champ de l’action concertée.

Les agences de notation ne pouvaient pas agir efficacement car elles sont en même temps juges et parties ; elles ont une grande responsabilité dans la crise. Concernant la supervision et les autorités de régulation, tout dépendra de l’ambition et de la volonté politique.

Enfin, je me réjouis du fait que mes collègues de droite emploient aujourd’hui les mots « capitalisme », « régulation » et dénoncent les stock options et les « retraites chapeaux ».

Bien entendu, je m’abstiendrai sur la proposition de résolution.

M. Jérôme Lambert. J’adresse mes félicitations à M. Daniel Garrigue, dont le rapport nous permet d’avoir un débat de fond sur ce sujet majeur.

Les origines de la crise sont en fait anciennes. Le Président François Mitterrand dénonçait déjà un système dans lequel certains gagnent plus d’argent en dormant qu’en travaillant. Depuis plusieurs décennies, on assiste à une véritable frénésie des milieux financiers, conduits par la volonté d’augmenter leurs profits. Il serait souhaitable de revaloriser le travail et de permettre que celui-ci permette de gagner plus d’argent que la spéculation.

M. Jacques Myard. L’accès des entreprises au marché monétaire leur a fait découvrir qu’elles pouvaient gagner plus en spéculant.

M. Jérôme Lambert. Quand les taux de rentabilité sont de 10 ou 15 % alors que la croissance économique mondiale est de 3 à 4 %, on commence par réduire les revenus du travail et augmenter les revenus du capital, puis des mécanismes financiers permettant d’augmenter le profit de façon artificielle sont inventés et la bulle finit par exploser. Il ne s’agit pas d’une crise monétaire mais d’une crise financière, économique et sociale.

Les sommets internationaux se sont multipliés, avec à chaque fois des décisions qui ne sont en fait que des déclarations d’intention non suivies d’effet, comme celle annoncée par le G7 le 11 avril 2008 de parvenir à ce que le système bancaire fasse en trois mois la transparence sur les titres à problèmes. Cette situation souligne l’impuissance de la parole face à la crise.

Il n’y a pas de véritable plan européen de relance mais seulement un ensemble de plans nationaux incohérents ou presque contradictoires. Tandis que le Royaume-Uni a décidé d’augmenter les impôts des catégories les plus favorisées et de baisser la TVA, la France a fait l’inverse l’année dernière et cette politique n’est pas remise en question. L’Allemagne, quant à elle, ne veut pas payer pour les autres.

Enfin, la politique française d’aide aux banques risque d’être remise en cause par la Commission européenne, alors même que la France exerce la présidence de l’Union européenne. Toutes ces incohérences sont inquiétantes.

Au plan national, on peut regretter qu’il n’y ait pas plus de contrôle de l’Etat sur l’usage fait par les banques des fonds qui leur ont été accordés ou garantis. Les caisses d’épargne ont perdu 600 millions d’euros dans la spéculation quelques jours après la mise en œuvre du plan de sauvetage. Il n’y a pas de moyens réels de régulation. Les préfets doivent réunir les directeurs de banques de leur département pour examiner leurs comptes et les crédits qu’elles accordent mais l’efficacité d’un tel contrôle reste limitée.

Beaucoup de liquidités ont été injectées pour juguler la crise. Cela ne crée-t-il pas un risque d’inflation ? Celui-ci est-il mesuré ? Ce sujet n’est pas évoqué publiquement.

Sur la proposition de résolution, je souhaiterais que le point 4, qui aborde la relance, soit plus fort et plus précis. Il conviendrait d’indiquer les moyens de cette relance, comme les grands travaux, le développement d’une croissance durable.

M. Jacques Myard. Il faut relancer par l’investissement industriel.

M. Philippe Tourtelier. Je suis globalement d’accord avec les grandes lignes et les conclusions du rapport. Je souhaiterais toutefois faire trois remarques. Tout d’abord, s’agissant de la crise aux Etats-Unis, il convient de rappeler que depuis vingt-cinq ans, les profits financiers ont augmenté dans une plus grande proportion que les revenus du travail, en particulier aux Etats-Unis. Les particuliers ont par voie de conséquence dû s’endetter pour acquérir leur maison. A partir du moment où ils ne sont plus propriétaires de leur domicile, il ne leur reste plus rien.

Par ailleurs, on n’insiste pas assez sur les liens entre la sortie de crise financière et économique et les mesures de lutte contre le changement climatique. Ces deux problématiques sont étroitement liées car la sortie de crise se fera sur fond de crise écologique structurelle. Même si la Banque européenne d’investissement s’en préoccupe, notamment au travers des mesures relatives aux infrastructures et si certains plans nationaux comprennent des dispositions de lutte contre le changement climatique, force est de constater que la coordination qui serait indispensable en la matière, est défaillante. L’Europe devrait au contraire faire montre d’unité lors des négociations internationales, comme par exemple en ce moment à Poznan.

Enfin, s’agissant du rôle de l’euro, si j’apprécie la posture de « lanceur d’alerte » de notre collègue Jacques Myard, je voudrais insister sur la nécessité du retour du politique et de celle de la construction d’une Europe politique.

M. Gérard Voisin. Je me félicite de la façon dont notre commission chargée des affaires européennes s’est saisie du problème de la crise monétaire et financière. L’audition de Mme Pervenche Berès a ainsi été particulièrement instructive. De même, l’excellent rapport de Daniel Garrigue montre sa compétence sur ces sujets. Je regrette toutefois que nos débats soient insuffisamment suivis par nos collègues.

Cette crise a montré la nécessité évidente d’un « patron politique » pour l’Europe, indépendamment de la personnalité du Président de la République française. Je m’interroge sans condescendance sur l’influence que pourra avoir la prochaine présidence de l’Union. Certains ont regretté l’absence du Président de la Commission européenne dans la gestion de la crise. On ne peut toutefois pas se plaindre à la fois de l’omniprésence de la Commission et de son absence…

Il est certain que grâce à l’euro, l’essentiel a été sauvé mais la Grande-Bretagne, qui a une autre monnaie, a joué un rôle très important. Cela montre qu’il faut chercher la vérité dans une voie médiane entre l’ardente obligation de l’euro et l’affirmation selon laquelle l’euro a tout sauvé.

S’agissant de la fonction de superviseur, je voudrais rappeler les propos de M. Arnaud Montebourg dans son rapport sur les « paradis fiscaux ». Il y préconisait que la supervision des banques incombe aux députés. Il y avait dans ses propos, certes exagérés, une part de vérité. Les députés ont une fonction de contrôle et de maintenance de la vérité. Pour reprendre l’exemple mentionné par Jérôme Lambert sur le travail dévolu aux préfets, j’ai demandé au préfet de Saône-et-Loire de m’indiquer qui participait à la commission comprenant des élus, des banquiers et des hauts fonctionnaires. Les élus concernés n’étaient pas les parlementaires. Il faudrait donc rappeler que, de même que lorsque des décisions concernent le département, on fait appel aux conseillers généraux, de même quand les décisions mettent en jeu l’Etat, les parlementaires sont concernés au premier chef. La représentation nationale ne doit pas être mise à l’écart par d’autres qui se prétendent les spécialistes de la question alors que les parlementaires sont tout à fait à même de remplir cette tâche. D’ailleurs, notre collègue Bernard Deflesselles a récemment interpellé le Premier ministre sur ce sujet.

Notre collègue Jacques Myard parlait des trois étages de la zone euro. Je voudrais rappeler que l’Europe implique aussi la solidarité.

M. Jacques Myard. Cette solidarité a effectivement joué grâce aux accords d’échanges entre banques centrales, dits swaps, contrairement à ce qui s’est passé lors de la crise de 1929. Les banques centrales ont bien réagi en verrouillant le système. Ce fut d’ailleurs le cas également lors de la crise en Thaïlande. Ceci est une des conséquences de la mondialisation de la finance. Je voudrais faire un rappel historique : la Tchécoslovaquie est morte de sa monnaie unique car la Tchéquie transférait chaque année 35 % de son PIB à la Slovaquie. »

En réponse aux différents intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

« Je donne acte à M. Jacques Myard de ses prises de position sur les normes comptables internationales.

S’agissant de la titrisation, il faut distinguer entre les titres qui ont permis d’améliorer le fonctionnement du système financier et les dérives qui en ont découlé.

Sur le rôle de l’euro, on peut effectivement s’interroger sur ce qui se passerait si la crise économique est plus profonde. Mais en tout état de cause, l’euro, c’est tout ou rien : le fait d’être dans la zone euro constitue indéniablement un avantage mais implique une mutualisation des risques. Cela signifie donc des contraintes partagées. Or si l’on veut limiter ces contraintes, le respect des règles et d’une discipline est indispensable, ce que souligne le paragraphe de la proposition de résolution relatif au Pacte de stabilité. Je rappelle aussi que la Banque centrale européenne est intervenue au-delà de la zone euro, par exemple en Hongrie.

Je suis d’accord avec les observations de M. Jacques Desallangre mais je précise que le Fonds monétaire international n’a pas été absent lors de cette crise : il est intervenu, dans le cadre de la mission qui est la sienne. Il y a sans doute lieu de réfléchir à la définition de son rôle mais pour l’heure, rien de précis n’a été proposé.

Comme l’a indiqué M. Jérôme Lambert, il y a effectivement eu une spéculation considérable ces dernières années et certains ont joué avec les outils financiers. De nombreuses études montrent que les revenus du capital ont augmenté beaucoup plus rapidement que les revenus du travail. Même si certaines controverses existent, cette tendance est indéniable.

Je voudrais indiquer que la révélation des actifs « toxiques » ne se fait que progressivement et que toute la difficulté réside dans le fait que l’on ne peut pas immédiatement se prononcer sur leurs valeurs. Cela explique que les dirigeants politiques se soient mobilisés sur le tard.

M. Jérôme Lambert. Je m’interroge alors sur la raison qui fait que les dirigeants prennent, lors de sommets tels que le G7 de Washington en avril dernier, des décisions qui ne peuvent être appliquées. Cela illustre l’impuissance de la parole publique face à la puissance financière.

Le rapporteur. La Commission européenne, par le biais de la Direction générale de la Concurrence, met en œuvre des dispositifs de contrôle des plans nationaux.

M. Jacques Myard. Je préconise que les problèmes relatifs à la concurrence soit de la compétence du Conseil.

Le rapporteur. Concernant les relations entre la crise financière et la crise climatique, il faut noter que des dispositions, tant dans le plan de la BEI que dans les plans nationaux, prennent en compte les enjeux du changement climatique.

Il est incontestable que l’Europe, pour asseoir son autorité, a besoin d’un « patron » politique. Cela était d’ailleurs inscrit dans le traité simplifié.

S’agissant de la fonction de supervision par les parlementaires, il est vrai qu’elle s’exerce difficilement. Je suis membre de la commission des risques de la Caisse des dépôts mais c’est une institution dont les modes de gestion et de gouvernance sont remarquables d’efficacité. La place des parlementaires est effectivement trop souvent mise entre parenthèses, alors que lorsque l’Etat est concerné, ils ont un rôle particulier à jouer. »

Sur proposition du rapporteur et après les interventions de MM. Jacques Desallangre, Jérôme Lambert, Jacques Myard, Philippe Tourtelier et Gérard Voisin, la Commission a ensuite adopté la proposition de résolution dont le texte figure ci-après.

PROPOSITION DE RESOLUTION

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu les conclusions du Conseil européen des 15 et 16 octobre 2008,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur l’accès aux activités de l’assurance directe et de la réassurance et leur exercice (COM [2007] 361 final/n° E 3595),
Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) (COM [2008] 458 final/n° E 3935),

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE en ce qui concerne les banques affiliées à des institutions centrales, certains éléments des fonds propres, les grands risques, les dispositions en matière de surveillance et la gestion des crises (COM [2008] 602 final/n° E 4017),

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 94/19/CE relative aux systèmes de garantie des dépôts en ce qui concerne le niveau de garantie et le délai de remboursement (COM [2008] 661 final/n° E 4048)

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur les agences de notation de crédit (COM [2008] 704 final/n° E 4101),

Vu la communication de la Commission européenne du 26 novembre 2008 « Un plan européen pour la relance économique » (COM [2008] 800 final),

1. Regrette que, malgré l’ampleur des analyses qui lui ont été consacrées, la crise financière, qui a commencé aux Etats-Unis en août 2007, n’ait suscité que très tardivement la mobilisation des responsables internationaux ;

2. Salue, face à une accentuation de la crise qui risquait de dégénérer en un véritable cataclysme financier, la réaction efficace des Européens, et particulièrement la mobilisation volontaire et continue de la Présidence française de l’Union européenne, la recherche, grâce notamment aux autorités britanniques, des solutions les mieux adaptées pour surmonter la crise des liquidités et la crise de confiance, la cohésion des différents Etats européens pour assurer le sauvetage individuel ou collectif des établissements financiers en difficulté ;

3. Souligne l’élément stabilisateur qu’a représenté l’existence de la zone euro et salue le rôle très positif joué par la Banque centrale européenne, y compris au-delà de la zone euro, depuis le début de cette crise ;

4. Souhaite que, dans la relance indispensable de l’activité par l’investissement, notamment vers les PME, les infrastructures, et le paquet « énergie-climat », l’Union européenne joue un rôle de coordination beaucoup plus fort, que les moyens mis en
œuvre soient à la mesure des menaces de dépression économique et que, par-delà l’implication des Etats, les capacités d’engagement direct de l’Union, notamment celles de la Banque européenne d’investissement, soient pleinement mobilisées ;

5. Observe que le G20 du 15 novembre 2008, s’il a traduit une prise de conscience mondiale et s’il a permis un élargissement du nombre des participants, n’est toutefois pas représentatif de l’ensemble des Etats, et notamment des plus pauvres, et que le plan d’action qu’il a défini ne pourra devenir opérationnel qu’à travers une succession de nouveaux sommets ;

6. Insiste en conséquence sur le rôle déterminant que doivent jouer les Européens en définissant le plus rapidement possible à l’échelle de l’Union européenne les éléments de régulation, de supervision et de moralisation indispensables pour contribuer à la refondation du système financier et monétaire international ;
7. Dans cet esprit, souhaite que par-delà la mise en place immédiate de collèges de superviseurs, l’Europe se dote dès que possible, soit dans le cadre de la zone euro, soit – mieux encore – dans le cadre de l’Union toute entière, d’une véritable autorité de supervision ;

8. Souhaite également que la régulation soit, dans son ensemble, rendue plus exigeante, que les rémunérations des différents acteurs soient encadrées, et que des dispositions efficaces soient prises pour lutter contre l’évasion de capitaux vers les « paradis fiscaux », y compris dans l’Union européenne, notamment à travers la remise en chantier de la directive 2003/48/CE du 3 juin 2003 ;

9. Souligne que les nécessaires assouplissements apportés au Pacte de stabilité et de croissance ne doivent pas faire perdre de vue l’objectif essentiel de retour au respect de ce Pacte.

ANNEXES

Annexe 1 :
Liste des personnes entendues par le rapporteur

A Paris :

- Son Excellence Sir Peter WESTMACOTT, ambassadeur de Grande-Bretagne ;

- Son Excellence M. Francisco VILLAR ORTIZ de URBINA, ambassadeur d’Espagne ;

- M. Joachim HACKER, ministre-conseiller, directeur du service économique de l’ambassade d’Allemagne à Paris ;

- M. Benoît de la CHAPELLE, directeur-adjoint du cabinet de M. le Secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes ;

- M. Nicolas VERON, économiste au centre de recherche Bruegel.

A Francfort :

M. Jean-Claude TRICHET, président de la Banque Centrale Européenne.

A Bruxelles :

- Mme Pervenche BERES, présidente de la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen ;

- M. Jean-Claude THEBAULT, chef de cabinet adjoint du Président de la Commission européenne ;

- M. Philip LOWE, directeur général, DG « Concurrence », Commission européenne ;

- M. David WRIGHT, directeur général adjoint, DG « Marché intérieur et services », Commission européenne ;

- M. Dominique de CRAYENCOUR, directeur des affaires institutionnelles et du bureau de Bruxelles de la Banque Européenne d’Investissement ;

- M. Daniel GROS, directeur du Center for European Policy Studies (CEPS).

Annexe 2 : Glossaire

Banque d’investissement :

La banque d’investissement, contrairement aux banques de détail qui recueillent les dépôts des particuliers, vit en percevant des commissions pour les conseils qu’elle donne en cas de fusions et d’acquisitions d’entreprises, d’opérations de courtage, des introductions en Bourse, des augmentations de capital, de création et de placement de titres… Certaines banques d’investissement ont joué un rôle de fonds spéculatif, en jouant leurs capitaux sur les marchés et en prenant des engagements nettement disproportionnés par rapport à leurs fonds propres.

Capital-investissement :

Activité financière consistant pour un investisseur à entrer au capital de sociétés qui ont besoin de capitaux propres. Le terme de capital-investissement concerne généralement l'investissement dans des sociétés non cotées en bourse (d'où son nom de « private equity » en anglais en opposition au terme public).

« Collateralised debt obligation » (CDO) – obligation adossée à des actifs :

Structure de titrisation d’actifs financiers de nature diverse.

Les CDO sont une catégorie des produits dérivés (un type de dérivés de crédits).

Un CDO regroupe en général des titres issus de plusieurs dizaines d’actifs différents.

Compensation :

Extinction de deux dettes réciproques certaines, liquides et exigibles, à concurrence de la plus faible.

« Credit default swap » (CDS) :

D’usage développé à partir de 2000, cet instrument permet d’acheter une garantie contre le défaut de paiement d’un emprunteur.

Dérivés (produits dérivés) :

Outils financiers complexes qui jouent sur la hausse ou la baisse future de différents « sous-jacents » (actions, indices, devises, matières premières, taux d’intérêt…).

Effet de levier (« leverage ») :

Mécanisme qui permet à un opérateur de dégager des rentabilités élevées à partir d’un capital de départ limité, en mobilisant non seulement son propre argent mais aussi des sommes empruntées. Pour une banque, c’est le rapport entre le montant des crédits que la banque accorde et ses fonds propres (c’est-à-dire l’argent que lui ont confié ses actionnaires). En principe, la capacité d’une banque à multiplier les prêts à partir de fonds propres donnés est limitée par la législation (ratio de solvabilité imposé par les accords « Bâle II »).

G 4, G 7, G 8 et G 20 (composition) :

- Le « G 7 » réunit les sept Etats suivants : Etats-Unis, Canada, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni et Italie.

- Le « G 4 » qui s’est réuni à Paris le 4 octobre 2008 à l’invitation du Président de la République française se composait des quatre Etats européens du G 7 : France, Allemagne, Royaume-Uni et Italie.

- Le « G 8 » est la réunion des pays du « G 7 » et de la Russie.

- Enfin, le « G 20 » comprend les Etats du « G 8 », l'Australie, l'Afrique du Sud, l'Arabie Saoudite, l'Argentine, le Brésil, la Chine, la Corée du Sud, l'Inde, l'Indonésie, le Mexique, la Turquie, et comme vingtième membre l'Union européenne (représentée par l'Etat qui exerce la présidence semestrielle du Conseil).

« Leverage buy-out » (LBO) – rachat à effet de levier :

Rachat d’une société en s'appuyant sur un effet de levier financier, c'est-à-dire en faisant appel à des organismes de financement spécialisés qui financent cette reprise par de l'endettement. Ce type d’opération permet à un groupe d’acteurs de racheter une entreprise avec une mise de fonds qui ne représente qu'une fraction de la valeur de la cible. Le solde est financé par de la dette bancaire, dont les acheteurs espèrent qu’elle pourra être remboursée par la remontée des dividendes de la société rachetée.

Liquidités :

Ensemble des moyens de paiement permettant de faire face immédiatement à des engagements financiers.

Rehausseurs de crédit (« monoline ») :

Inventés aux Etats-Unis, ces organismes assuraient au départ les crédits accordés aux collectivités locales par d’autres banques. Leur intervention visait à attribuer à ces crédits la meilleure note (triple A), ce qui permettait aux collectivités d’obtenir les taux d’intérêt les moins élevés. Par la suite, ces établissements se sont lancés dans le crédit à la consommation et dans l’immobilier.

« Subprime » :

Aux Etats-Unis, on qualifie de « prime » un prêt immobilier présentant toutes les garanties d’être remboursé. Un « subprime » est donc un prêt immobilier de qualité inférieure, qui comporte un risque de défaut de paiement, que la banque accepte en prenant un taux d’intérêt plus élevé.

Supervision bancaire :

Contrôle qu’exercent les autorités compétentes (en France, la Commission bancaire) sur les établissements de crédit pour vérifier le respect de leurs obligations prudentielles.

« Swap » :

Un accord « swap » permet aux banques centrales de se prêter réciproquement des liquidités à court terme, lorsque l'une ou l'autre en a besoin pour stabiliser le système financier de son pays.

Titrisation :

Technique financière consistant à transformer des créances (crédits immobiliers, à la consommation, aux entreprises…) en titres. Ainsi, au lieu de conserver les crédits dans la durée, les banques les cèdent à d’autres opérateurs, qui peuvent à leur tour les céder. Les crédits deviennent liquides.

La titrisation s'opère en regroupant un lot de créances de nature similaire que l'on cède à une structure ad hoc (société, fonds ou trust) qui en finance le prix d'achat en plaçant des titres auprès d'investisseurs. Les titres représentent chacun une fraction du portefeuille de créances titrisées et donnent le droit aux investisseurs de recevoir les paiements des créances (par exemple quand les factures sont payées, ou quand les souscripteurs de prêts immobiliers versent des mensualités) sous forme d'intérêts et de remboursement de principal. La titrisation peut également viser à ne transférer aux investisseurs que le risque financier lié aux actifs concernés.

Tous les types de crédits peuvent être titrisés. Ces titres forment l’ensemble des « asset-backed securities » (valeurs mobilières adossées à des actifs), au sein desquels on peut citer par exemple la catégorie des « mortgage-backed securities » (valeurs mobilières adossées à des prêts hypothécaires).

Ventes à découvert :

Cas où un spéculateur qui joue à la baisse une action la vend, sans la posséder, à un instant t en promettant de la livrer à un instant t+1 ; il la rachète alors juste avant l’échéance t+1, et perçoit un gain, à condition que le cours de l’action ait effectivement baissé entre-temps.

Annexe 3 :
Déclaration sur un plan d’action concerté
des pays de la zone euro
adoptée lors du Sommet des pays de la zone euro
du 12 octobre 2008

1) Le système financier apporte une contribution essentielle au bon fonctionnement de nos économies et constitue une condition de la croissance et du plein emploi. Des millions de déposants ont confié leurs économies à nos institutions financières. La crise actuelle des marchés compromet le rôle économique crucial joué par le système financier.

2) Depuis le début de la crise, nous sommes intervenus pour traiter les défis auxquels nos systèmes financiers doivent faire face : nous nous sommes engagés à agir de manière décisive pour soutenir, par tous les moyens possibles, les institutions financières importantes et à empêcher leur faillite et nous l’avons fait dans plusieurs cas ; nous avons accru les exigences de transparence sur les expositions des banques ; nous avons renforcé les garanties apportées aux dépôts des particuliers.

3) Au-delà, une action concertée est urgente compte tenu des problèmes persistants du marché interbancaire et de la contagion de la crise financière à l’économie réelle.

4) Nous confirmons aujourd’hui notre engagement à agir ensemble, de manière décisive, sur tous les aspects du problème, pour restaurer la confiance et un fonctionnement normal du système financier et, ainsi, retrouver les conditions d’un financement adéquat et efficace de l’économie. En parallèle, nous nous engageons à coordonner les mesures nécessaires pour traiter les conséquences de la crise financière sur l’économie réelle, conformément aux conclusions du Conseil ECOFIN du 7 octobre. En particulier, nous nous félicitons de la décision de la BEI de mobiliser 30 milliards d’euros pour soutenir les PME européennes ainsi que de son engagement à renforcer sa capacité d’intervention pour les projets d’infrastructure.

5) En tant qu’Etats de la zone euro, nous partageons une même responsabilité et devons contribuer à une approche européenne commune. Nous invitons donc nos partenaires européens à adopter les principes arrêtés aujourd’hui de manière à agir de manière unie et éviter des mesures nationales qui affecteraient négativement le fonctionnement du marché unique ou qui léserait les autres Etats membres.

Ceci rend indispensable que les gouvernements de l’Union Européenne et de la zone Euro, les banques centrales et les autorités de supervision décident d’une approche coordonnée visant à :

− assurer des liquidités adéquates aux institutions financières ;

− faciliter le financement des banques qui est actuellement contraint ;

− apporter aux institutions financières les ressources en capital pour qu’elles continuent à financer correctement l’économie ;

− apporter une recapitalisation efficace aux banques en difficulté ;

− assurer assez de flexibilité dans la mise en oeuvre des règles comptables dans les circonstances exceptionnelles actuelles de marché ;

− renforcer les procédures de coopération entre pays Européens.

Dans les circonstances exceptionnelles actuelles, nous soulignons la nécessité pour la Commission de continuer à agir rapidement et appliquer avec flexibilité les décisions en matière d’aides d’Etat tout en continuant à soutenir les principes du marché unique et du régime d’aides d’Etat.

Assurer des liquidités suffisantes aux institutions financières.

6) Nous accueillons favorablement la décision récente de la BCE et d’autres banques centrales dans le monde de réduire leurs taux directeurs.

7) Nous accueillons également favorablement les décisions prises par la BCE pour améliorer les conditions de refinancement des banques européennes et leur apporter davantage de financement à long terme. Nous attendons des banques centrales qu’elles envisagent tous les moyens pour s’adapter au contexte actuel des marchés.

Nous nous félicitons de l’intention de la BCE et de l’Eurosystème de réagir avec flexibilité aux évolutions des marchés et en particulier d’examiner de nouvelles améliorations de ces règles en matière de collatéral pour ce qui concerne l’éligibilité des billets de trésorerie.

Faciliter le financement des banques qui est actuellement contraint.

8) Afin de compléter les actions de refinancement à court terme entreprises par la BCE sur le marché interbancaire, les gouvernements de la zone euro sont prêts à prendre des mesures concertées et coordonnées pour améliorer le fonctionnement du marché sur le compartiment à long terme. Ces initiatives seront conçues pour remédier aux problèmes de liquidité des banques solvables.

Nous saluons les initiatives mises en place dans certains Etats membres pour faciliter le financement à moyen terme des banques, notamment à travers l’achat d’actifs de qualité ou à travers des échanges de titres d’Etat. L’aggravation des conditions financières dans les dernières semaines exige d’autres actions concertées.

A cette fin, les Gouvernements pourront aussi fournir, pour une période définie et à des conditions commerciales appropriées, directement ou indirectement, leur garantie, une assurance ou tout autre dispositif similaire aux nouvelles émissions de dette senior des banques, pour des durées allant jusqu’à cinq ans. En tenant compte des conditions de marché de chacun des pays concernés, cette garantie pourra être ciblée sur certaines catégories d’opérations.

Quel que soit le mécanisme retenu, il sera mis en place de manière à ne pas fausser le jeu d’une concurrence loyale entre établissements et à empêcher de possibles abus aux dépens des institutions qui n’en bénéficieraient pas.

En conséquence :

− son prix devra refléter au minimum sa valeur dans des conditions de marché normales ;

− y seront éligibles toutes les institutions financières enregistrées et opérant dans nos pays, ainsi que les filiales des institutions financières étrangères ayant une activité significative, dès lors qu’elles respectent les exigences réglementaires de capital minimum et d’autres critères objectifs non discriminatoires ;

− les gouvernements pourront imposer des conditions aux bénéficiaires de ces dispositifs, y compris des engagements de financement de l’économie réelle ;

− ce dispositif sera plafonné, temporaire et concernera, sous le contrôle des autorités financières, les émissions réalisées avant le 31 décembre 2009.

Tout en agissant rapidement comme les circonstances l’exigent, nous nous coordonnerons en fournissant ces garanties, dans la mesure où des différences significatives dans les mises en œuvre nationales pourraient avoir des effets contreproductifs, créant des distorsions sur les marchés bancaires. Nous agirons aussi en coopération avec la Banque Centrale Européenne pour assurer la cohérence de la gestion des liquidités dans l’Eurosystème et la compatibilité avec le cadre opérationnel de l’Eurosystème.

Apporter aux institutions financières les ressources en capital pour qu’elles continuent à financer correctement l’économie.

9) Afin de permettre aux institutions financières d’assurer un financement suffisant des économies de la zone euro, chaque Etat membre mettra à la disposition des institutions financières des fonds propres de base (Tier 1), par exemple par l’acquisition des actions de préférence ou d’autres instruments, y compris des titres non dilutifs. Les conditions de prix de ces instruments prendront en compte la situation de marché de chaque institution financière concernée. Les Gouvernements s’engagent à fournir ce capital en volume suffisant tout en continuant à favoriser par tous moyens possibles la recherche de capitaux privés. Les institutions financières concernées devront être obligées d’accepter des contraintes en contrepartie, en particulier pour prévenir de possibles conséquences de ces mécanismes aux dépens des institutions qui n’en bénéficieraient pas.

10) Compte tenu des conditions de marché exceptionnelles, nous demandons instamment aux superviseurs nationaux, conformément à l’esprit des règles de Bâle 2, d’appliquer les règles prudentielles en ayant également pour objectif la stabilisation du système financier.

Apporter une recapitalisation suffisante aux banques en difficulté.

11) Les Gouvernements rappellent leur engagement d’empêcher toute faillite d’institutions financières qui présenteraient un risque pour le système financier dans son ensemble, en y consacrant les moyens adaptés, y compris l’apport de capitaux nouveaux. Dans ces interventions, nous veillerons tout particulièrement au respect des intérêts des contribuables et à ce que les actionnaires et le management assument leur part de responsabilité dans ces interventions. Les recapitalisations d’urgence devront être accompagnées de plans de restructuration adaptés.

Assurer assez de flexibilité dans la mise en oeuvre des règles comptables dans les circonstances exceptionnelles actuelles.

12) Nous saluons les initiatives que vient de prendre la Commission en vue d’appliquer immédiatement les conclusions du Conseil ECOFIN du 7 octobre sur le classement des instruments financiers par les banques entre le « trading » et le « banking book », notamment pour assurer une égalité de traitement avec les concurrents.

Compte tenu des circonstances exceptionnelles actuelles, les institutions financières comme les institutions non financières doivent pouvoir comptabiliser, en tant que de besoin, leurs actifs en prenant en compte leurs modèles d’appréciation des risques de défaillances de préférence aux valeurs de marché immédiates qui ne sont plus pertinentes dans des marchés qui ne fonctionnent plus.

Nous demandons aux autorités compétentes de prendre ces décisions dans les prochains jours.

Renforcer les procédures de coopération entre pays Européens.

13) Dans de telles circonstances, une gestion efficace de la crise rend nécessaire un suivi instantané et constant. Nous devons donc établir et renforcer les procédures permettant l’échange d’informations entre nos gouvernements, le Président en exercice du Conseil européen, le Président de la Commission, le Président de la Banque centrale européenne et le Président de l’Eurogroupe.

Nous attendons du Conseil Européen de mercredi prochain qu’il adopte un mécanisme destiné à améliorer la gestion de crise entre pays européens.

* * *

14) Le Conseil ECOFIN, avec le soutien de la Commission et en étroite collaboration avec la BCE, fera rapport en temps utile au Conseil Européen sur l’application de ces décisions.

1 () Les Echos, 10 novembre 2008.

2 () Dans les années soixante, l’économiste français Jacques Rueff dénonçait déjà les dangers de cette politique dans « Le lancinant problème des balances de paiements » (1965).

3 () Patrick Artus, note de recherche économique Natixis n° 468 du 17 octobre 2008 : « Nouveau Bretton Woods : il faut une force de rappel dans le système monétaire international ».

4 () Daniel Cohen, entretien publié dans Le Monde 2, 18 octobre 2008.

5 () Christian Stoffaës, « Glass-Steagall : chasse aux sorcières et régulation bancaire », in « La crise financière – Causes, effets et réformes nécessaires » (Cahiers du Cercle des économistes, avril 2008).

6 () Christian Stoffaës, article précité.

7 () « A propos des turbulences financières », étude de Laurent Clerc in Débats économiques – Banque de France, février 2008.

8 () Par exemple, le processus complet de production d’un prêt hypothécaire fait appel à des acteurs aussi variés que l’emprunteur, l’initiateur (i.e. la banque), l’arrangeur, qui regroupe les prêts sous forme de produits structurés, l’agence de notation, qui délivre une note à ces derniers, le prêteur relais, qui assure transitoirement le service du prêt, le gestionnaire d’actif et l’organisme de recouvrement du prêt hypothécaire.

9 () Christian Stoffaës, article précité.

10 () La Tribune, 7 avril 2008.

11 () Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur l’accès aux activités de l’assurance directe et de la réassurance et leur exercice – Solvabilité II (document COM (2007) 361 / E 3595).

12 () Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil portant coordination des dispositions législatives, règlementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) (document COM (2008) 458 / E 3935).

13 () Le 9 août 2007, la BCE a opéré une injection de liquidités à un jour d’un montant de 94 milliards d’euros.

14 () Règlement (CE) n° 1053/2008 du 23 octobre 2008 contenant des modifications temporaires aux règles applicables à l’éligibilité des garanties.

15 () Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 94/19/CE relative aux systèmes de garantie des dépôts en ce qui concerne le niveau de garantie et le délai de remboursement (document COM (2008) 661 final / E 4048).

16 () « Communication de la Commission – Application des règles en matière d’aides d’Etat aux mesures prises en rapport avec les institutions financières dans le contexte de la crise financière mondiale », document 2008/C270/02 (publiée au Journal Officiel de l’Union européenne du 25 octobre 2008).

17 () Règlement (CE) n° 332/2002 du Conseil du 18 février 2002 établissant un mécanisme de soutien financier à moyen terme des balances des paiements des Etats membres.

18 () Cette critique a notamment été formulée le 15 octobre 2008 par l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud réunis en sommet à New Delhi.

19 () Les quatre principaux pays émergents (le Brésil, la Russie, la Chine et l’Inde) ont lancé un appel conjoint le 7 novembre 2008 pour exposer leur volonté de jouer un rôle accru dans le système financier international, en particulier au sein du FMI.

20 () Jean Pisani-Ferry, André Sapir et Jakob von Weizsäcker, « Pour une relance européenne », Les Echos, 19 novembre 2008.

21 () Le premier de ces nouveaux « prêts BEI pour les PME » a été accordé dès le début du mois d’octobre à une PME française de 230 salariés (laboratoires Prodene Klint).

22 () Entretien publié dans La Libre Belgique, 17 octobre 2008.

23 () Le Monde, 29 octobre 2008.

24 () Entretien publié dans Les Echos, 27 octobre 2008.

25 () Le vingtième membre du G20 est l’Union européenne, représentée par le pays qui exerce la présidence du Conseil – en l’occurrence la France ; la République tchèque prendra donc part à ce titre au prochain Sommet, prévu pour le 2 avril 2009.

26 () « Réforme du Système Financier International : que penser des résultats de la réunion du G20 du 15 novembre ? », Patrick Artus, Special Report n° 153, Natixis (17 novembre 2008).

27 () Dans une tribune publiée dans Le Monde, 31 octobre 2008.

28 () Document COM (2008) 552 final.

29 () Proposition de directive du Conseil modifiant la directive 2003/48/CE en matière de fiscalité des revenus de l'épargne sous forme de paiement d'intérêts (COM (2008) 727 final / document E 4096).