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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
TREIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 février 2011.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES(1)
sur le détachement des travailleurs,
ET PRÉSENTÉ
PAR Mme Anne GROMMERCH,
Députée
——
La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Michel Herbillon, Jérôme Lambert, Didier Quentin, Gérard Voisin vice-présidents ; M. Jacques Desallangre, Mme Marietta Karamanli, MM. Francis Vercamer secrétaires ; M. Alfred Almont, Mme Monique Boulestin, MM. Pierre Bourguignon, Yves Bur, Patrice Calméjane, François Calvet, Christophe Caresche, Philippe Cochet, Bernard Deflesselles, Lucien Degauchy, Michel Delebarre, Michel Diefenbacher, Jean Dionis du Séjour, Marc Dolez, Daniel Fasquelle, Pierre Forgues, Mme Marie-Louise Fort, MM. Jean-Claude Fruteau, Jean Gaubert, Hervé Gaymard, Guy Geoffroy, Mmes Annick Girardin, Anne Grommerch, Elisabeth Guigou, Danièle Hoffman-Rispal, MM. Régis Juanico, Marc Laffineur, Robert Lecou, Michel Lefait, Lionnel Luca, Philippe Armand Martin, Jean-Claude Mignon, Jacques Myard, Michel Piron, Franck Riester, Mmes Chantal Robin-Rodrigo, Valérie Rosso-Debord, Odile Saugues, MM. André Schneider, Philippe Tourtelier.
SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION 11
PREMIERE PARTIE : L’APPLICATION PARALLÈLE MAIS JUSTIFIÉE DE DEUX CORPS DE RÈGLES, L’UN POUR LA SÉCURITÉ SOCIALE, L’AUTRE PÔUR LE DROIT DU TRAVAIL 15
I. UN SUJET INTRINSÈQUE À LA LOGIQUE DU MARCHÉ INTÉRIEUR ET IDENTIFIÉ DÈS L’ORIGINE DE LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE 15
A. UN PHÉNOMÈNE CROISSANT POUR CE QUI CONCERNE LE DÉTACHEMENT DES SALARIÉS DES AUTRES ETATS MEMBRES DE L’UNION EUROPÉENNE VERS LA FRANCE 15
1. Les détachements de la France vers les autres pays européens : une stagnation, avec un pic en 2005 15
2. La croissance des détachements vers la France 16
3. Un phénomène important pour les départements frontaliers : le cas de la Moselle 18
4. Les données européennes 20
B. UNE QUESTION INHÉRENTE À LA DISPARITÉ DES RÈGLES SOCIALES DANS LES ETATS MEMBRES L’UNION EUROPÉENNE 20
C. UN POINT TRAITÉ DÈS LA CECA, AU TOUT DÉBUT DE LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE 22
II. LE DISPOSITIF RETENU EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ SOCIALE : LE CHOIX DE LA SIMPLICITÉ ADMINISTRATIVE AVEC LE MAINTIEN TEMPORAIRE DU RATTACHEMENT AU SYSTÈME DU PAYS D’ENVOI, PAR DÉROGATION AU PRINCIPE DE TERRITORIALITÉ DU DROIT DU PAYS D’EXÉCUTION DU TRAVAIL 23
A. DES PRINCIPES ET DES RÈGLES APPLIQUÉS PENDANT TROIS DÉCENNIES DANS LE CADRE DU RÈGLEMENT (CEE) N° 1408/71 DE COORDINATION DES SYSTÈMES DE SÉCURITÉ SOCIALE DES ETATS MEMBRES 23
1. L’application dérogatoire, et temporaire, du rattachement du salarié au régime de sécurité sociale d’origine 23
2. Une extension aux non-salariés 24
3. Le fonctionnement concret des règles sur le détachement 24
a) L’aspect formel : le formulaire spécifique de détachement délivré par l’organisme d’affiliation et la présomption qui lui est associée 24
b) Un champ d’application large qui concerne l’ensemble des secteurs économiques 25
c) Le cas très particulier des détachements de plus de deux ans, dits exceptionnels ou de longue durée 25
d) Un dispositif récemment remplacé par celui du nouveau règlement de coordination des régimes de sécurité sociale 26
4. Le cas des prestations de services ne répondant pas aux critères du détachement : l’affiliation à la sécurité sociale du pays d’exécution de la prestation 26
a) Un cas de figure bien identifié 26
b) Le rôle du Centre national des firmes étrangères (CNFE) en France 26
5. Un texte complété par des conventions bilatérales de sécurité sociale pour le recouvrement des cotisations sociales 27
B. LES COMPLÉMENTS ET PRÉCISIONS APPORTÉS PAR LE RÈGLEMENT (CE) N° 883/2004 ENTRÉE EN VIGUEUR EN MAI DERNIER 27
1. Le maintien des principes antérieurs 27
2. Un nouveau formulaire attestant des droits 28
3. L’ajout de précisions et conditions complémentaires pour éviter les abus, dans le cadre du règlement d’application (CE) n° 987/2009 28
a) L’exigence d’une activité réelle de l’entreprise dans l’Etat d’envoi 29
b) L’obligation d’une affiliation préalable et effective du salarié au régime de sécurité sociale du pays d’envoi 29
c) L’exigence de la persistance du lien organique entre l’employeur et le salarié pendant toute la durée du détachement 30
d) Un délai de carence de deux mois entre deux détachements dans la même entreprise 30
e) Des éléments contre les abus relatifs à l’auto-détachement des non-salariés 31
III. LA SOLUTION, PLUS TARDIVE, RETENUE POUR LE DROIT DU TRAVAIL : LE SOUCI DE LA LOYAUTÉ DE LA CONCURRENCE AVEC L’APPLICATION DES PRINCIPALES RÈGLES DU PAYS D’ACCUEIL 33
A. DES SOLUTIONS D’ABORD JURISPRUDENTIELLES POUR PERMETTRE AUX ETATS MEMBRES DE RENDRE OBLIGATOIRE L’APPLICATION D’UNE PARTIE DE LEUR DROIT DU TRAVAIL AUX ENTREPRISES ÉTRANGÈRES PRESTATAIRES DE SERVICES 33
B. L’INSUFFISANCE, CONSTATÉE AU DÉBUT DE ANNÉES 1990, DE CES SOLUTIONS JURISPRUDENTIELLES, À LA SUITE DE L’ARRÊT DE 1990 RUSH PORTUGUESA LDA CONTRE OFFICE NATIONAL D’IMMIGRATION 35
C. LA DIRECTIVE DE 1996 SUR LE DÉTACHEMENT DES TRAVAILLEURS : UNE APPLICATION OBLIGATOIRE ET NON PLUS FACULTATIVE POUR LES ETATS MEMBRES, DES RÈGLES DU PAYS HÔTE, SUR LES ÉLÉMENTS SUSCEPTIBLES DE DUMPING SOCIAL : LES SALAIRES MINIMA, LE TEMPS DE TRAVAIL ET LA SÉCURITÉ AU TRAVAIL 37
1. Un texte qui ne concerne que les seuls salariés 37
2. Une définition précise du détachement 37
3. Le « socle minimal » ou « noyau dur » des règles de droit du travail du pays d’accueil applicable aux salariés détachés lorsqu’il est plus favorable que les règles du pays d’origine : salaires, temps de travail, temps de repos, congés, sécurité et santé au travail et respect de l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes 38
D. UNE APPLICATION QUI VISE SURTOUT LE SECTEUR DE LA CONSTRUCTION, MAIS PEUT CONCERNER DE LA MÊME MANIÈRE, SAUF EXCEPTION, TOUTES LES PRESTATIONS DE SERVICES 39
1. La faculté pour les Etats membres d’étendre cette obligation à des dispositions de l’ordre public social 40
2. Des dérogations éventuelles et limitées aux prestations de courtes durées et aux travaux de faible ampleur 40
3. L’articulation avec la convention de Rome 41
4. Une coopération entre Etats membres pour assurer l’échange d’informations en cas de contrôle 41
5. Des obligations d’information des entreprises, complément des mesures de contrôle et de sanction des irrégularités éventuellement constatées, comme des salariés 42
6. Une application coordonnées avec les détachement provenant des pays tiers 42
E. UNE TRANSPOSITION QUI REPOSE PARFOIS, COMME C’EST LE CAS EN FRANCE, SUR UNE DÉCLARATION PRÉALABLE À L’ADMINISTRATION COMPÉTENTE DU PAYS D’ACCUEIL 43
1. Une obligation assez générale de déclaration du détachement dans l’Etat du lieu d’exécution du travail 43
2. La transposition en France 43
3. La transposition dans les autres Etats membres 48
DEUXIEME PARTIE : UNE RÉVISION LIMITÉE MAIS NÉCESSAIRE DU CADRE FIXÉ PAR LA DIRECTIVE DE 1996 51
I. UN CONSTAT ASSEZ PARTAGÉ SUR LES DIFFICULTÉS D’APPLICATION 51
A. DES ÉLÉMENTS PERÇUS ASSEZ TÔT ET DE MANIÈRE RÉCURRENTE, AU NIVEAU COMMUNAUTAIRE COMME SUR LE PLAN NATIONAL 51
1. Les enseignements du suivi régulier de la Commission européenne 51
a) Des difficultés en matière de coopération des Etats membres et d’échange d’informations, ainsi que sur le niveau d’information des entreprises et des travailleurs 51
b) La recommandation du 31 mars 2008 : la mise en place d’un système d’échange d’informations électronique, sur le modèle du système d’échange d’information du marché intérieur 53
c) La question des chaînes de sous-traitance 53
B. UNE JURISPRUDENCE ESTIMÉE TROP LIBÉRALE DE LA COUR DE JUSTICE VIS-À-VIS DE LA DIRECTIVE DE 1996 54
1. Des contentieux importants initiés non seulement par les entreprises, mais aussi par la Commission européenne 54
2. La prépondérance du principe de la libre prestation de services et un contrôle strict des mesures susceptibles de l’entraver, même pour celles destinées à garantir la protection des travailleurs 55
a) L’approche d’ensemble de la Cour de Justice : la faculté pour les Etats membres de limiter la libre prestation de services pour des raisons d’intérêt général, mais de manière non discriminatoire, adaptée et proportionnée, en dépit de la pertinence de l’objectif de protection des travailleurs 55
b) L’impossibilité pour un Etat membre de justifier une dérogation à la libre prestation de services par des considérations administratives 56
c) L’irrégularité de dispositions protectrices pour les travailleurs dès lors que des mesures équivalentes sont en vigueur dans l’Etat d’origine 57
3. Un encadrement en pratique très strict des exigences concrètes des Etats membres vis-à-vis des entreprises prestataires de services 58
a) La nécessité d’éviter aux entreprises des obligations administratives devenues superflues en raison de la coopération entre Etats membres et des procédures d’assistance administrative réciproques 58
b) L’impossibilité d’imposer un représentant sur place 58
c) L’interdiction pour l’Etat d’accueil d’imposer une durée minimale d’emploi préalable des travailleurs détachés originaires de pays tiers 59
d) Une interprétation restrictive de l’exception d’ordre public et des facultés pour les Etats membres de prendre des mesures favorables aux salariés dans l’arrêt Luxembourg de juin 2008 60
e) Une conception des obligations linguistiques des entreprises plus large que celle de la Commission européenne, mais qui n’est pas non plus extensive 61
4. Les difficultés provoquées dans les Etats membres de l’Europe du Nord dont le modèle social repose sur la négociation sociale et la convention collective 62
a) L’arrêt Laval de décembre 2007 : l’impossibilité pour les syndicats d’exiger l’adhésion à une convention collective ou l’engagement de négociations salariales dans un Etat membre sans dispositif d’application générale des conventions collectives 62
b) L’arrêt Viking de décembre 2007 : l’obligation pour les organisations syndicales de respecter le principe de proportionnalité pour leurs action collective destinées à assurer la protection sociale des travailleurs 64
c) L’arrêt Rüffert d’avril 2008 : l’impossibilité pour la loi d’imposer aux soumissionnaires de marchés publics de respecter les dispositions d’une convention collective qui n’est pas d’application générale 65
d) Les mesures correctrices prises par les Etats membres concernés 66
5. Une confirmation de cette approche libérale par la jurisprudence sur les délais en matière de sécurité sociale, avec la possibilité de fournir rétroactivement le document attestant du rattachement 66
C. LES PROBLÈMES CONSTATÉS EN FRANCE 67
1. Les difficultés du contrôle et de la sanction des infractions 67
a) Le rappel des modalités de contrôle : contrôle sur pièces, contrôle sur place et opérations ponctuelles 67
b) Les constats très concrets sur le terrain : l’absence de déclaration ; la langue ; les difficultés de la coopération et les difficultés inhérentes à l’obtention d’informations à l’étranger 68
c) Le problème général de l’application des sanctions et décisions de justice dans l’Union européenne, au-delà de la question interne du niveau de pénalisation des infractions sociales 69
2. Le constat d’une gradation dans le respect des règles par les entreprises 70
a) Quatre grands cas de figure de détachement 70
b) La nécessité de bien distinguer les fraudes à la législation du travail, qui ne portent pas préjudice aux finances publiques, et les cas d’optimisation ou de fraudes sociales destinées à éluder les cotisations de sécurité sociale 70
3. Quelques exemples types de fraudes bien identifiées 71
a) Les mécanismes de fraude couramment cités : les embauches en vue du détachement ; les sociétés écrans et les faux indépendants 71
b) La situation très difficile, mais parfois ambivalente, des personnes concernées 72
4. Des cas concrets de stratégies très organisées d’optimisation sociale ou bien de fraude 73
a) Le cas du transport aérien 73
b) Les entreprises de travail temporaire au Luxembourg, mais aussi dans d’autres Etats membres 75
c) Les plates formes de travailleurs détachés 76
d) Le recours abusif au détachement sur des postes en fait pérennes 76
II. DES AMÉLIORATIONS, COMPLÉMENTS ET AJOUTS INDISPENSABLES, SUR UNE BASE PRAGMATIQUE ET RÉALISTE, À LA DIRECTIVE DE 1996 77
A. UNE VOLONTÉ POLITIQUE COMMUNE DE LA COMMISSION EUROPÉENNE ET DU PARLEMENT EUROPÉEN QUI REJOINT, SUR LE PRINCIPE, LES PRÉOCCUPATIONS DE LA CONFÉDÉRATION EUROPÉENNE DES SYNDICATS 77
1. L’absence de nécessité d’une nouvelle révision au règlement de coordination de la sécurité sociale, entré en vigueur en mai 2010 77
2. La résolution de 2008 du Parlement européen en faveur d’une révision partielle de la directive de 1996 77
3. L’inscription d’une proposition de directive au programme de travail de la Commission européenne pour l’année 2011 79
4. Une demande forte de la Confédération européenne des syndicats 81
a) La résolution des 9-10 mars 2010 81
b) L’affirmation de la portée de la convention 94 de l’OIT sur les marchés publics 83
5. La position du Sénat français en décembre 2009 83
B. UNE RÉVISION INDISPENSABLE, IMPORTANTE ET SIGNIFICATIVE MAIS CONCRÈTE, PRATIQUE ET DONC D’AMPLEUR ASSEZ LIMITÉE DU DISPOSITIF DE 1996 84
1. Le maintien en l’état du « socle minimal » ou « noyau dur », mais l’ajout d’une obligation de logement décent 84
a) Un maintien en l’état du « noyau dur » qui trouve d’autres justifications que dans l’immobilisme 84
b) L’insertion d’une obligation de logement salubre et décent des salariés détachés 84
2. L’introduction d’une référence au cocontractant et à ses droits et obligations 85
a) L’adjonction d’une clause de solidarité semblable à celle de la directive de 2009 sur la responsabilité des employeurs de travailleurs irréguliers originaires des pays tiers 85
b) Le droit du cocontractant à collationner les principaux éléments sur le salarié détaché 86
3. L’ajout d’un critère social annoncé par le commissaire au Marché intérieur, dans le cadre de la révision des règles de marché public 86
4. Une coopération entre les Etats membres en plein développement et à renforcer de manière continue, notamment par l’interconnexion du registre des sociétés 87
5. Une clarification et une amélioration de la coordination de la directive détachement des travailleurs et du règlement de coordination des systèmes de sécurité sociale, pour donner davantage de cohérence à la lutte contre les abus : sociétés fictives, embauches en vue du seul détachement et recours abusif au statut d’indépendant 90
6. La nécessité de répondre au besoin d’information légitime des entreprises sur les règles qui s’imposent à elles comme des salariés sur les droits 91
7. La possibilité d’évoquer, selon les attentes des Etats membres, la question de l’action syndicale et des droits syndicaux 92
C. TROIS ORIENTATIONS POUR DES AMÉLIORATIONS AU NIVEAU NATIONAL 93
1. Poursuivre le développement en cours d’une approche intégrée de la lutte contre les fraudes 93
a) La coordination et la coopération entre services 93
b) L’amélioration de la circulation de l’information, notamment par la transmission informatique, et le renforcement de l’accès partagé aux informations 95
c) Une certaine spécialisation 96
d) L’adaptation aux besoins des moyens et de l’organisation 96
2. Garantir une bonne information des entreprises et des salariés, notamment des prestataires et des salariés étrangers, par une amélioration des éléments disponibles en ligne et des possibilités de télédéclaration 97
a) Le diagnostic de l’Institut du travail de Strasbourg sur les carences actuelles des sites Internet en Europe, mais aussi en France, notamment sur le droit conventionnel 97
b) Moderniser l’architecture Internet en vue sinon d’un site unique, au moins de sites coordonnés, aisément accessibles, le plus plurilingues possible, régulièrement mis à jour, donnant les adresses utiles et présentant de manière synthétique les obligations à respecter, notamment en matière salariale 98
c) Réaliser l’objectif de la déclaration en ligne pour les prestataires extérieurs 99
d) Engager une réflexion pour trouver des relais d’information de base auprès des organismes professionnels comme des organisations syndicales 99
3. Adapter le régime de sanction des infractions aux règles sur le détachement à la réalité du terrain 100
a) Créer un régime de sanctions financières administratives « sur site » pour les infractions aux règles administratives du détachement de manière à bien clarifier le domaine de la sanction pénale 100
b) Réfléchir à une infraction pénale spécifique pour certains cas intermédiaires de fraude 101
TRAVAUX DE LA COMMISSION 103
CONCLUSIONS ADOPTEES PAR LA COMMISSION 105
ANNEXE : PERSONNES ENTENDUES PAR LA RAPPORTEURE 109
Mesdames, Messieurs,
« Il existe une différence importante, en fait et en droit, entre un travailleurs polonais qui traverse une frontière pour travailler en Allemagne, par exemple, et obtient un contrat d’emploi allemand (en vertu du droit allemand) avec un employeur allemand, et un travailleur polonais qui a un contrat d’emploi polonais (en vertu du droit polonais) avec un employeur polonais et s’installe ensuite temporairement en Allemagne en tant que travailleur de cette entreprise afin de fournir un service (dans le contexte d’un contrat entre l’entreprise polonaise et le client/l’entreprise utilisatrice allemande(e), qui pourrait être en situation de sous-traitance, de travail intérimaire, etc.). »
Cet énoncé, très technique par souci d’exactitude comme de précision, et également très pédagogique, résume si bien la problématique du détachement des travailleurs que les neufs membres du groupe d’experts de la Confédération européenne des syndicats (CES) l’ont choisi pour commencer l’introduction de leur rapport final sur le détachement des travailleurs, daté du 31 mai dernier.
Ainsi le travailleur détaché est-il distinct du travailleur étranger qui s’installe dans un autre Etat pour y occuper un emploi pérenne, de même que du travailleur frontalier qui réside dans un Etat mais travaille dans un autre Etat, voisin, et, naturellement, du pluriactif exerçant simultanément dans plusieurs Etats différents.
Sauf à confondre de manière dommageable le temporaire et le permanent, la question de fond du détachement des travailleurs se résume ainsi : quelles règles appliquer aux travailleurs qui franchissent temporairement la frontière pour y exercer leur travail ?
Le droit du pays d’origine ou du pays d’emploi du travailleur détaché, ou bien le droit du pays d’exécution du travail, appelé aussi pays hôte ou pays d’accueil ?
Sur le fond, la question n’est pas uniquement technique, mais éminemment politique.
Elle est étroitement liée à la question de la place respective des principes du marché intérieur et des principes sociaux, du modèle social européen, dans la construction de l’Union européenne.
Le principe du pays d’accueil est jugé protecteur. Celui du pays d’origine est considéré comme le vecteur d’une libéralisation et d’une dérégulation qui peut être sans limite, ce qui n’est pas une mince critique à l’époque de la mondialisation.
Les syndicats y sont particulièrement sensibles, dans tous les Etats membres, et par conséquent au niveau européen.
Comme l’a exprimé dans un article récemment publié dans le European Journal of Industrial Relations (septembre 2010), M. Jan Cremers, ancien député européen (Pays-Bas) et ancien secrétaire général de la Fédération européenne des travailleurs du bâtiment et du bois, l’impression générale est que les règles du marché intérieur prévalent sur celles relatives aux conditions de travail.
Il est vrai que la libre prestation de services est, sur le fond, un principe extrêmement exigeant, car il implique tant l’élimination de toute discrimination fondée sur la nationalité ou le pays d’établissement que le démantèlement des dispositifs qui, même sans discrimination, seraient de nature à prohiber ou gêner les activités transfrontières d’un prestataire.
Par ailleurs, l’approche est parfois obscurcie par le fait que la notion de détachement ne s’applique pas uniquement à la mobilité des personnes dans l’espace européen, mais aussi à leur mobilité internationale. Le travailleur qui va hors de son pays d’origine travailler temporairement dans un pays tiers est aussi un détaché, de même que celui originaire d’un pays tiers qui vient temporairement sur le territoire de l’un des Etats membres de l’Union européenne.
Cependant, sur le plan du droit, il faut bien distinguer le détachement en France de salariés venant des autres Etats membres, et le détachement de salariés venant de pays tiers, ou les situations inverses d’un salarié détaché de France vers un autre Etat membre de l’Union européenne et d’un salarié détaché de France vers un pays tiers.
Cette distinction est cardinale. Par définition, en effet, le salarié détaché venant d’un autre Etat membre de l’Union européenne vient dans le cadre de l’exercice de la libre prestation de services garantie par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Le détaché venant d’un pays tiers vient dans le cadre de relations commerciales internationales classiques.
D’un coté, il y a la construction d’un espace économique commun puis d’un marché intérieur, de l’autre, les relations économiques et commerciales classiques.
Certaines règles du droit de l’Union européenne s’appliquent au détaché provenant de pays tiers, mais ce n’est pas une obligation juridique impérative. Si, et lorsque les mêmes règles s’appliquent, c’est pour des motifs autres, soit de concurrence (éviter la concurrence déloyale et le dumping social des pays tiers), soit encore d’opportunité ou d’attractivité, entre autres.
Sur le plan politique également, les deux questions sont différentes. Alors que le détachement entre pays membres de l’Union européenne fait l’objet de débats politiques intenses, suscite une demande de la part de la Confédération européenne des syndicats et a même été inscrit à l’Agenda politique de la Commission européenne, le détachement provenant de pays tiers, qui relève du sujet général de la « carte bleue » européenne pour les personnes venant des pays tiers, ne nourrit pas les mêmes débats.
Notamment, la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers dans le cadre d’un détachement intragroupe (document COM [2010] 378 final du 13 juillet 2010/E 5514) relève de cette logique d’attractivité du territoire européen.
Le présent rapport ne traite donc que le premier aspect, celui des détachements au sein de l’Union européenne.
Sur le fond, plusieurs éléments sont à l’origine de cette inscription du détachement des travailleurs à l’agenda politique européen.
D’abord, les règles relatives au détachement des travailleurs sont inégalement appliquées, et le sont dans l’ensemble plutôt mal, car difficilement.
Ensuite, soucieuse de permettre l’exercice effectif de la libre prestation des services, qui était d’ailleurs, faut-il le rappeler, l’un des enjeux de la directive « services », dite directive « Bolkestein », la Commission européenne et, surtout, la Cour de justice, ont une lecture restrictive de certains aspects de la directive de 1996. Plusieurs arrêts de la Cour de justice, Laval et Viking en 2007, ainsi que Rüffert et Luxembourg en 2008 ont été commentés avec passion.
Enfin, le détachement des travailleurs repose sur deux corps de règles, l’un relatif au droit de la sécurité sociale, dans le cadre des règlements de coordination des systèmes de sécurité sociale des Etats membres, et l’autre relatif au droit du travail, dans le cadre de la directive 96/71/CE du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services.
L’un de ces corps de règles vient d’être modifié, avec l’entrée en vigueur du nouveau règlement de coordination (CE) n° 880/2004. L’autre ne l’a pas été et c’est, en outre, sur son application que sont intervenues les décisions précitées de la Cour de justice.
Aussi la Commission européenne a-t-elle annoncé un texte sur le détachement des travailleurs pour la fin de l’année.
Dans cette perspective, le présent rapport vise d’abord à présenter les principaux éléments sur lesquels, à ce stade, une intervention du législateur européen s’impose, tout en rappelant également certains points offrant en France des marges d’amélioration et sur lesquels des orientations peuvent être esquissées.
PREMIERE PARTIE :
L’APPLICATION PARALLÈLE MAIS JUSTIFIÉE DE DEUX CORPS DE RÈGLES, L’UN POUR LA SÉCURITÉ SOCIALE, L’AUTRE PÔUR LE DROIT DU TRAVAIL
I. UN SUJET INTRINSÈQUE À LA LOGIQUE DU MARCHÉ INTÉRIEUR ET IDENTIFIÉ DÈS L’ORIGINE DE LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE
A. Un phénomène croissant pour ce qui concerne le détachement des salariés des autres Etats membres de l’Union européenne vers la France
1. Les détachements de la France vers les autres pays européens : une stagnation, avec un pic en 2005
Pour ce qui concerne les flux sortants, les statistiques établies par le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (CLEISS) montrent que le nombre total de détachements recensés vers les pays membres de l’Union européenne, ainsi que ceux de l’EEE, la Suisse et la Norvège essentiellement, a été en 2009 de 221 297, soit le même ordre de grandeur qu’en 2004, à raison de 220 364 cette année là.
Il y a eu, en revanche, un pic en 2005, avec 392 204 détachements et, depuis, une diminution continue, avec 307 039 en 2006, 285 269 en 2007 et 284 137 en 2008.
Cette évolution a été similaire pour les missions de moins de trois mois, qui représentent l’essentiel des détachements à partir de la France (203 484 en 2009) et pour les détachements de trois mois à un an (17 813 en 2009).
Pour ce qui concerne les détachements de plus longue durée, leur nombre est assez faible, puisque les détachements de plus d’un an ont été de 1 597 en 2009 et 2 022 en 2008.
D’un point de vue géographique, les détachements par des entreprises établies en France concernent surtout les pays frontaliers : la Belgique (13 %), l’Allemagne (10 %), l’Espagne (7 %), et l’Italie (7 % également), ainsi que le Royaume-Uni (6,2 %) et, pour ce qui concerne l’Espace économique européen, la Suisse (4,3 %).
Comme le montrent les résultats de l’enquête de la délégation générale du travail, publiés en janvier 2011, sur l’« Intervention des entreprises étrangères prestataires de services en France en 2009 », les flux de détachements, Union européenne et pays tiers confondus, vers la France sont croissants. La part des pays tiers est très réduite par rapport aux Etats membres de l’Union européenne.
Le nombre des déclarations de détachement est ainsi passé de 1 443 en 2000, à 10 121 en 2006 et à 35 000 en 2009.
Le nombre des salariés mentionnés sur ces déclarations, à savoir le nombre des salariés détachés, est, pour sa part, passé de 7 495 en 2000, à 23 101 en 2004, puis à 37 924 en 2006 et à 106 000 en 2009, soit une forte augmentation sur les années récentes.
Trois salariés environ sont mentionnés par déclaration. Le nombre de journées travaillées sur le territoire national est d’environ 2,5 millions. La durée moyenne d’un détachement est de 45 jours.
Comme on estime qu’environ un tiers seulement des cas de détachement sont déclarés, le nombre des salariés détachés est évalué à environ 300 000.
Pour ce qui concerne les lieux de détachements, le nombre des départements donnant lieu à des détachements nombreux s’est fortement accru. Ils ont été au nombre de 28 en 2009, contre 7 en 2004.
S’agissant des pays d’origine, la plus forte croissance du nombre des déclarations concerne le Luxembourg, passé de moins de 400 en 2004 à 12 685 en 2009.
Ensuite, les pays dont proviennent le plus grand nombre de déclarations sont l’Allemagne (5 032) et la Pologne (4 503), puis la Belgique (2 093), le Portugal (1 726) et la Roumanie (1 577).
Lorsque l’on examine l’origine géographique des travailleurs détachés, les pays de l’Union européenne sont largement dominants, et la contribution des pays tiers assez réduite.
Au sein de l’Union européenne, si l’on excepte les salariés détachés originaires de France, au nombre de 28 363 en 2009, ce sont les salariés venant de Pologne, à raison de 19 848, d’Allemagne, avec 9 192, du Portugal (7 892), de Belgique (5 955) et de Roumanie (4 918) qui sont les plus nombreux.
La carte suivante récapitule ces éléments :
Pour ce qui est des départements, on observe une forte concentration sur cinq départements, qui regroupent la moitié des déclarations. Comme on le verra au 3) ci-après, ce sont tous des départements frontaliers.
D’un point de vue sectoriel, les trois quarts des déclarations concernent les secteurs du BTP (35% en 2009) et surtout le travail temporaire (38% des déclarations en 2009). Avec 15% des détachements, l’industrie est au troisième rang.
Pour leur part, les détachements de type intra-groupe, au sein d’un même groupe d’entreprises, sont en proportion très réduite : 1 % seulement.
Pour ce qui concerne le détachement de longue durée en France, les statistiques établies par le CLEISS font apparaître, pour 2009, 882 personnes travaillant en France sous le régime de sécurité sociale de leur Etat membre d’origine et 2 928 personnes sous régime dérogatoire pour les détachements de plus de deux ans, dont l’essentiel, soit 512 personnes, provenant du Royaume-Uni.
Le détachement est comparativement plus fréquent pour les départements frontaliers que pour les autres départements. En effet, en 2009, la moitié des déclarations est intervenue dans des départements frontaliers (Moselle, Meurthe-et-Moselle, Bas-Rhin, Meuse et Alpes maritimes).
La carte suivante récapitule et détaille ces éléments.
La Moselle est le département français où les détachements de salariés sont les plus importants. Pour 2009, plus de 20 000 salariés ont été déclarés comme tels, dans le cadre de 10 817 déclarations.
D’un point de vue sectoriel, ce sont essentiellement les secteurs du BTP et de l’industrie qui y sont les plus concernés.
Au niveau européen, aucune statistique rigoureuse n’est, à ce stade, disponible.
On ne peut donc s’en tenir qu’à des estimations. Pour sa part, la Commission européenne a évalué en 2007 à un million de personnes, soit 0,4 % de la population en âge de travailler, l’importance numérique du détachement à partir des formulaires de détachement des organismes de sécurité sociale.
Elle a identifié comme Etats membres ayant la plus forte présence de travailleurs détachés sur leur territoire, à savoir, comme principaux pays de destination des détachements, l’Allemagne, la France, le Luxembourg, la Belgique et les Pays-Bas.
La liste des pays d’origine des détachés est assez différente, puisqu’elle comprend la Pologne, l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et le Portugal.
B. Une question inhérente à la disparité des règles sociales dans les Etats membres de l’Union européenne
Les règles sociales et les lois ne sont pas les mêmes dans tous les Etats membres.
Se pose donc le problème du droit applicable en cas de franchissement des frontières dans l’exercice de deux des libertés fondamentales prévues par le traité de Rome : d’une part, la libre circulation des travailleurs ; d’autre part, la libre prestation de services.
Cette difficulté a été perçue dès l’origine de la construction européenne puisque l’application stricte du principe de territorialité de la loi pouvait engendrer des contraintes faisant clairement obstacle à ces libertés.
En outre, il n’était pas, en l’occurrence, envisageable de s’en remettre à la solution classique du droit international privé, du choix de la loi par les parties.
D’une part, le droit social est un droit spécifique qui a pour objectif de protéger l’une des parties, qu’il s’agisse du droit du travail qui vise, dans une perspective humaniste, à protéger la partie réputée la plus faible dans le cadre de la relation de travail, ou qu’il s’agisse du droit de la sécurité sociale qui vise à rendre obligatoire des assurances sociales dont l’exemple américain montre que le simple volontariat ne conduit pas les rendre d’application sinon universelle, au moins générale.
D’autre part, s’agissant du droit de la sécurité sociale, les enjeux financiers sont importants pour les régimes établis par les Etats membres et il est impératif de veiller à ce que les cotisations soient versées et qu’elles sont bien versées à l’organisme qui assume, en définitive, le paiement des prestations correspondantes. L’intervention des Etats est en la matière indispensable.
Sur le fond, la difficulté ne concerne naturellement que les prestations de services et non pas les biens, car il faut qu’il y ait déplacement des femmes et des hommes dans l’exercice de leurs activités professionnelles.
Elle ne concerne également, et naturellement, que les seuls changements temporaires et non les transferts définitifs et durables de lieu de travail.
Lorsqu’il s’agit, en effet, d’un changement pérenne du lieu d’exercice de l’activité professionnelle, la règle de territorialité s’applique en effet sans difficulté. La loi de l’Etat du lieu d’exécution du travail est de plein droit applicable.
En revanche, lorsque le déplacement de l’exercice habituel du lieu de l’activité professionnelle n’est que provisoire, pour une durée limitée, il peut y avoir débat entre l’application de celle de l’Etat membre d’origine ou de celle de l’Etat membre hôte ou d’accueil, celui d’exécution du travail.
Chacune de ces deux solutions est envisageable.
D’une part, on peut opter pour l’application du droit du pays hôte. C’est le strict respect du principe de la territorialité de la loi et, en définitive, de la souveraineté de l’Etat. C’est néanmoins une solution lourde, source d’importants obstacles pratiques à la mobilité géographique comme à la fluidité de l’exercice transfrontalier des professions et des activités des prestations de services.
D’autre part, on peut choisir le maintien de la règle du pays d’origine. C’est indéniablement l’une des logiques permises par la construction communautaire, d’autant que celle-ci distingue très clairement et très précisément la libre prestation de services de la liberté d’établissement, laquelle permet à tout individu d’établir son entreprise dans les autres Etats membres hors de son pays d’origine, à condition naturellement d’en respecter le droit.
On peut objecter à cette application stricte de la logique du marché intérieur certaines réserves.
En premier lieu, elle implique la coexistence et l’application de plusieurs règles, et donc, précisément, de plusieurs droits du travail et de plusieurs régimes de sécurité sociale sur un même territoire.
En deuxième lieu, elle est génératrice de concurrence déloyale. Elle oblige des entreprises assujetties à un certain niveau de salaire et de prestations sociales, ainsi que de limitation du temps de travail, et donc certains coûts, à supporter la concurrence d’entreprises qui n’ont pas de telles règles à respecter.
En troisième lieu, et de manière liée, elle est considérée comme un frein au progrès social et même comme l’un des vecteurs du dumping social.
Ainsi, une solution pragmatique apparaît en tout état de cause plus équilibrée, avec lorsque c’est nécessaire, un dosage des règles.
Sur le fond, on observera qu’il y a une déconnexion avec le financement effectif des prestations délivrées sur le territoire de l’Etat membre d’exécution du travail, qui sont les prestations en nature de l’assurance maladie. En effet, au sein de l’Union européenne, les prestations délivrées à l’assuré social relevant d’un autre Etat membre donnent lieu à facturation à l’organisme compétent de ce même Etat. L’Etat d’accueil ne supporte pas in fine le coût des soins délivrés à des non-affiliés.
Cette question du choix du droit social applicable a été identifiée dès les débuts de la construction européenne, avant même le traité de Rome, dans le cadre de la CECA, créée en 1951.
C’est en effet en 1957 qu’est intervenu le premier texte de coordination des régimes de sécurité sociale, à savoir la convention européenne des travailleurs migrants du 9 décembre 1957 destinée à assurer la mobilité géographique des personnels de l’industrie charbonnière et sidérurgique.
Ses dispositions ont ensuite été reprises, dès l’origine du Marché commun, sous la forme des deux règlements n° 3 du 25 septembre 1958 et n° 4 du 3 décembre 1958 étendant son dispositif, sur le fond, à tous les secteurs d’activité, puis par le règlement (CEE) n° 1408/71, du 14 juin 1971, de coordination des régimes de sécurité sociale entre les Etats membres.
II. LE DISPOSITIF RETENU EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ SOCIALE : LE CHOIX DE LA SIMPLICITÉ ADMINISTRATIVE AVEC LE MAINTIEN TEMPORAIRE DU RATTACHEMENT AU SYSTÈME DU PAYS D’ENVOI, PAR DÉROGATION AU PRINCIPE DE TERRITORIALITÉ DU DROIT DU PAYS D’EXÉCUTION DU TRAVAIL
A. Des principes et des règles appliqués pendant trois décennies dans le cadre du règlement (CEE) n° 1408/71 de coordination des systèmes de sécurité sociale des Etats membres
1. L’application dérogatoire, et temporaire, du rattachement du salarié au régime de sécurité sociale d’origine
En matière de sécurité sociale, où la compétence européenne ne s’est exercée que pour opérer une coordination entre les systèmes de différents Etats membres de manière à assurer la continuité des droits des bénéficiaires lors du franchissement des frontières, le choix a été fait du maintien de l’affiliation dans le pays d’origine, à titre temporaire. C’est celui de la simplicité, car cela évite des affiliations et désaffiliations fréquentes.
Pendant trois décennies, la matière a été régie par le règlement (CEE) n° 1408/71 du 14 juin 1971 et son règlement d’application (CEE) n° 574/72, ainsi que leurs différents textes d’application, qui ont assuré la coordination des régimes de sécurité sociale de tous les Etats membres.
Sur le fond, la solution du maintien au rattachement au régime du lieu habituel d’emploi est une exception au principe de base, qui est celui du rattachement au régime du lieu de travail effectif.
En contrepartie, le détachement est défini avec précision, comme l’a fait l’article 14 du règlement, précisant que la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un Etat membre au service d’une entreprise dont elle relève normalement et qui est détachée par cette entreprise sur le territoire d’un autre Etat membre afin d’y effectuer un travail pour le compte de celle-ci, demeure soumise à la législation du premier Etat membre, dès lors que trois conditions de fond sont prévues.
D’une part, le salarié concerné doit effectuer un travailleur déterminé pour le compte de son employeur.
D’autre part, la durée prévisible de ce travail ne doit pas excéder douze mois.
Enfin, la personne détachée ne doit pas être envoyée en remplacement d’une autre personne, elle-même parvenue au terme de la période de son détachement. En d’autres termes, le détachement est une solution temporaire qui ne doit pas être utilisée pour un besoin d’emploi permanent.
Cette durée de douze mois est reconductible une fois, pour une durée de douze mois maximum également, si la mission n’est pas achevée, avec l’accord de l’autorité compétente du pays d’accueil.
En matière de sécurité sociale, le détachement des travailleurs ne concerne pas les seuls salariés, même s’il les concerne à titre principal. Ainsi, les dispositions initiales du règlement de 1971 ont été complétées par l’article 14 bis appliquant les mêmes règles aux activités non salariées.
a) L’aspect formel : le formulaire spécifique de détachement délivré par l’organisme d’affiliation et la présomption qui lui est associée
Sur le plan formel, le maintien de l’affiliation au régime de sécurité sociale de l’Etat d’envoi exige, en matière de sécurité sociale, que le salarié ou son employeur demande à l’organisme d’affiliation du pays d’origine, de lui délivrer un certificat attestant qu’il reste soumis au régime du pays de rattachement. C’est le formulaire dit « E 101 ». Un autre formulaire a été prévu pour la prolongation du détachement, le formulaire « E 102 ».
Ce document n’est pas une autorisation, puisque celui-ci ne fait que constater une situation de droit, à savoir la qualité d’assuré social.
En France, une procédure simplifiée est prévue pour les détachements de courte durée, inférieurs à trois mois. Le CLEISS distingue d’ailleurs, pour l’envoi de travailleurs détachés affiliés en France, la mission, d’une durée inférieure à trois mois, du détachement proprement dit, d’une durée allant de trois mois à un an.
Vis-à-vis des autres Etats membres, le formulaire E 101 engendre, comme que l’a précisé la Cour de justice dans un arrêt du 10 février 2000 Fitzwilliam Technical Services, une présomption de régularité de l’affiliation des travailleurs détachés au régime de sécurité sociale de l’Etat membre d’origine.
Il s’agit d’une très forte présomption, puisque la remise en cause d’un formulaire E 101, ou d’un formulaire E 102, par l’autorité concernée du pays hôte ne peut intervenir proprio motu.
Il faut, en effet, que l’autorité compétente du pays hôte demande à celle de l’Etat d’origine de se prononcer, en cas de doute sur l’exactitude des éléments et mentions qui y sont reportés. Seule l’autorité qui l’a délivré peut le remettre en cause, conformément à la jurisprudence de la Cour de Justice. Par conséquent, tant que le formulaire E 101 n’est pas retiré ou déclaré invalide, l’institution de l’Etat membre où l’activité est exercée doit tenir compte du fait que l’intéressé est déjà assujetti dans un Etat membre (cf. arrêt du 30 mars 2000, Barry Banks, affaire
C-178/97).
Cet examen relève, en effet, de l’obligation de coopération loyale prévue par le traité mais, dans l’intervalle, l’autorité compétente de l’Etat d’accueil ne peut procéder à l’affiliation du travailleur considéré à son propre dispositif de sécurité sociale.
En cas de désaccord, il y a possibilité d’appel auprès de la Commission administrative pour la sécurité sociale des travailleurs migrants.
D’un point de vue sectoriel, le règlement n’applique les règles relatives aux détachements que pour la prestation de services. C’est effectivement dans ce seul cadre que la question se pose. Les échanges de biens n’impliquent pas la mobilité des hommes.
Le règlement (CEE) n° 1408/71 a retenu un champ large, l’objectif étant de favoriser, hors de toute complexité administrative liée à une obligation d’affiliation, la mobilité et les déplacements professionnels. Il n’interdit, par conséquent, aucun secteur d’activité ni même le travail temporaire.
c) Le cas très particulier des détachements de plus de deux ans, dits exceptionnels ou de longue durée
Le règlement (CE) n° 1408/71 a permis, en application des dispositions de son article 17, le cas dérogatoire des détachements dits de longue durée, ceux pour lesquels la durée de prolongation de douze mois et la durée totale de détachement de vingt-quatre mois s’avèrent insuffisantes pour mener à bien le travail entrepris, pour des raisons objectives et motivées.
Plus généralement, cet article permet aux Etats membres, ainsi qu’à leurs autorités ou institutions compétentes, de déroger, part voie d’accord, aux dispositions sur les règles d’affiliation, et notamment à celle sur le détachement.
La Cour de justice a donné dans un arrêt du 17 mai 1984 Busse (affaire 101/83), une interprétation très flexible de ce dispositif, considérant que les Etats disposaient en la matière d’un large pouvoir d’appréciation limité par la seule condition de l’intérêt du travailleur ainsi que par les objectifs essentiels du règlement, et qu’un accord dérogatoire peut intervenir ad hominem et ne concerner qu’un seul salarié.
En France, les détachement exceptionnels donnent lieu à accord du CLEISS, dont le rapport annuel rappelle qu’ils sont soumis à une double autorisation : celle de l’Etat d’envoi, du pays d’origine, et celle de l’Etat d’emploi, à savoir du pays d’accueil.
d) Un dispositif récemment remplacé par celui du nouveau règlement de coordination des régimes de sécurité sociale
Récemment, le 1er mai dernier, le règlement de 1971 a été remplacé par le règlement (CE) n° 883/2004 du 28 avril 2004, entré en vigueur de manière décalée en raison des délais d’élaboration de ses règlements d’application.
4. Le cas des prestations de services ne répondant pas aux critères du détachement : l’affiliation à la sécurité sociale du pays d’exécution de la prestation
En principe, les règles relatives au détachement des travailleurs sont destinées à permettre aux entreprises qui emploient des salariés dans un pays où elles ne sont pas établies de ne pas les affilier à l’organisme de sécurité sociale territorialement compétent.
Néanmoins, l’hypothèse des entreprises qui emploient normalement des salariés dans un autre Etat membre et doivent néanmoins prévoir une telle affiliation et y verser des cotisations sociales n’est pas impossible. Trois cas sont recensés : le salarié travaille de façon permanente sur le territoire français et relève du régime français ; le salarié est envoyé temporairement en France et ne bénéficie pas ou ne bénéficie plus de la procédure de détachement (pas de maintien au régime étranger) et relève donc du régime français ; le salarié exerce son activité sur le territoire notamment de plusieurs Etats membres de l’Union Européenne et est affilié au régime français au titre de sa résidence en France. Ce salarié peut avoir, parmi ses employeurs, un employeur établi en France ou n’avoir que des employeurs non établis sur le territoire français.
Pour la France, le choix a été fait de faciliter les démarches pour les entreprises étrangères qui n’y sont pas établies et doivent acquitter des cotisations sociales en France.
Placé auprès de l’Urssaf du Bas-Rhin, le Centre national des firmes étrangères se charge d’informer les différents organismes de sécurité sociale désignés et auprès desquels l’entreprise devra être immatriculée (assurance chômage, retraite complémentaire, etc.).
L’Urssaf du Bas-Rhin est le seul organisme national habilité pour recouvrer les cotisations et contributions sociales dues au régime général de la sécurité sociale pour les entreprises ayant leur siège à l’étranger et n’ayant pas d’établissement en France, mais emploient du personnel salarié relevant du régime français de sécurité sociale.
Sur le plan de la simplicité, la possibilité de recourir au Titre emploi-service-entreprise (Tese), lorsque c’est envisageable, peut représenter un pas supplémentaire.
5. Un texte complété par des conventions bilatérales de sécurité sociale pour le recouvrement des cotisations sociales
Pour le cas du non-paiement des cotisations sociales par l’employeur étranger qui n’y est pas établi, le règlement a prévu le recours à la procédure de l’entraide administrative par l’institution de l’Etat d’affiliation auprès des institutions partenaires compétentes de l’autre Etat concerné. La récupération de la créance doit alors être effectuée selon la procédure administrative et avec les garanties et privilèges applicables en matière de recouvrement de cotisation dans le second pays.
Cette procédure repose sur la coopération spontanée, à savoir la bonne volonté des parties.
Aussi, à titre complémentaire, a-t-on prévu la possibilité pour les Etats membres de conclure des accords bilatéraux en matière de recouvrement, afin de rendre exécutoires, avec autorité de la chose jugée dans l’autre Etat concerné, les décisions judiciaires ou administratives en matière de recouvrement devenues définitives et, donc, non susceptibles de recours, dans l’Etat où les cotisations sont dues. Les accords correspondent ainsi à des sortes d’accords d’exequatur en la matière. Toutefois, selon le site Internet du CLEISS, « peu d’accords de ce type ont été à ce jour passés entre les Etats européens concernés ».
B. Les compléments et précisions apportés par le règlement (CE) n° 883/2004 entrée en vigueur en mai dernier
Sur le fond, le nouveau règlement (CE) n° 883/2004 de coordination des systèmes de sécurité sociale, entré en vigueur le 1er mai dernier, n’a pas apporté de changement majeur. Il en reprend les mêmes principes.
Les dispositions relatives au détachement y figurent à l’article 12, et reprennent les dispositions antérieures des articles 14 et 14 bis, relatives au détachement, d’une part, des salariés et, d’autre part, des non-salariés.
La seule modification de fond concerne la durée du détachement. Le dispositif antérieur avec une durée de douze mois renouvelable une fois est remplacé par une durée initiale de vingt-quatre mois sans renouvellement.
Ce regroupement de la durée initiale et de sa prolongation dans une seule durée d’amplitude équivalente a été adopté dans un esprit de simplification, les renouvellements étant en principe de droit et acceptés.
Par ailleurs, la possibilité de prévoir de manière dérogatoire des détachements de longue durée, reste également prévue, au paragraphe 1 de l’article 16 du nouveau règlement.
S’agissant du nouveau règlement, les anciens formulaires E 101 et E 102 sont remplacés par un nouveau formulaire appelé A 1. Dans l’attente de la généralisation de ce nouveau document, tel qu’il est actuellement dénommé, attestant de la législation applicable à la demande de l’employeur ou du travailleur, le formulaire E 101 ne va disparaître qu’à l’issue de la période transitoire, qui s’étend jusqu’au 1er mai 2012.
Sur le plan de la contestation de la validité du document E 101 ou A 1, le règlement d’application (CE) n° 987/2009 comprend une disposition sur la valeur juridique des documents établis dans un autre Etat membre et assortit celle-ci de l’obligation, en cas de doute, de solliciter le réexamen de la situation par l’institution qui a émis le document et d’instaurer avec celle-ci des échanges d’information. En cas de désaccord persistant, la Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale (CACSSS) doit être saisie.
3. L’ajout de précisions et conditions complémentaires pour éviter les abus, dans le cadre du règlement d’application (CE) n° 987/2009
Au niveau des mesures d’application, le nouveau dispositif fait l’objet, dans le cadre des textes d’application, de plusieurs changements notables.
Il s’agit certes de précisions, mais celles-ci n’en sont pas pour autant mineures. Elles s’avèrent, au contraire, fort utiles.
Ainsi, le règlement d’application (CE) n° 987/2009 du 16 septembre 2009 a prévu, en matière de détachement, plusieurs conditions complémentaires, notamment sur l’article 12 du règlement de base (CE) n° 883/2004.
Pour être encore plus explicite, la décision A 2 du 12 juin 2009 de la Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale (CACSSS) a donné des détails supplémentaires.
Les premières conditions prévues par la décision A 2 ressortissent à l’employeur : celui ci doit exercer normalement son activité sur le territoire de l’Etat d’emploi, c’est-à-dire de l’Etat d’origine, et il ne doit pas s’agir de simples activités de gestion interne mais bien d’activités substantielles liées au métier compte tenu du secteur d’activité de l’entreprise concernée. En d’autres termes, l’entreprise doit exercer effectivement une partie de son activité dans l’Etat d’origine. Les entreprises « boîtes aux lettres » ou les simples bureaux administratifs ne permettent pas de justifier le détachement.
La décision mentionne des critères pour déterminer en cas de doute, si un employeur exerce ou non des activités substantielles sur le territoire de l’Etat membre où il est établi, notamment le lieu du siège de l’entreprise et de son administration, l’effectif du personnel administratif travaillant respectivement dans l’Etat membre d’établissement et dans l’autre Etat membre, le lieu où les travailleurs détachés sont recrutés et celui où sont conclus la plupart des contrats avec les clients, la législation applicable aux contrats conclus par l’entreprise avec ses travailleurs, d’une part, et avec ses clients, d’autre part, les chiffres d’affaires réalisés pendant une période suffisamment caractéristique dans chaque Etat membre concerné, ainsi que le nombre de contrats exécutés dans l’Etat d’envoi. Cette liste est précisée comme n’étant pas exhaustive.
b) L’obligation d’une affiliation préalable et effective du salarié au régime de sécurité sociale de l’Etat d’envoi
La seconde série des conditions prévues par la décision A 2 concerne le salarié : un salarié détaché peut être une personne recrutée par une entreprise en vue de son détachement dans un autre Etat membre, mais ce salarié doit, avant le début de cette activité en tant que détaché, avoir été effectivement soumis à la législation de sécurité sociale au bénéfice de laquelle il sera maintenue au cours de son détachement.
Il s’agit de ne permettre le détachement que des seuls salariés effectivement et préalablement affiliés dans l’Etat membre d’origine.
Cette précision est essentielle car elle vise à éviter les stratégies les plus directes d’optimisation sociale et de choix par les entreprises des législations de sécurité sociale les moins coûteuses.
La décision précitée A 2 du 12 juin 2009 introduit une notion de délai quant à l’obligation pour le salarié d’être affilié dans l’Etat membre d’envoi préalablement à son activité salarié. Elle prévoit, en effet, un délai de droit commun d’un mois, tout en réservant à un examen au cas par cas les affiliations d’une ancienneté inférieure.
c) L’exigence de la persistance du lien organique entre l’employeur et le salarié pendant toute la durée du détachement
Par ailleurs, le détachement suppose qu’un lien organique, c’est-à-dire effectif, subsiste entre l’employeur et le salarié pendant toute la période de détachement.
Ce lien s’apprécie par rapport à un faisceau d’éléments : responsabilité en matière de recrutement, de contrat ce travail, de rémunération comme de licenciement ; pouvoir de déterminer la nature du travail.
Ces critères doivent être appréciés en tenant compte de la nature réelle des activités exercées par l’entreprise dans l’Etat d’établissement.
Pour être encore plus explicite, la décision A 2 précise que, pour s’assurer que pour caractériser que ce lien organique subsiste et que le salarié reste bien sous l’autorité de l’employeur d’envoi, on recourt à la méthode du faisceau d’indice. Elle mentionne certains des critères faisant partie de ce faisceau, notamment la responsabilité en matière de recrutement, de contrat de travail, de rémunération (sans préjudice d’éventuels accords entre l’employeur de l’Etat d’envoi et l’entreprise de l’Etat d’emploi concernant le versement de la rémunération aux travailleurs) et de licenciement, ainsi que le pouvoir de déterminer la nature du travail.
Pour éviter les détachements successifs, la décision A 2 impose un délai de deux mois entre deux détachements d’un même salarié lorsque les mêmes entreprises sont concernées.
Selon ses termes, au moins deux mois doivent s’écouler, au terme d’une période de détachement, avant qu’un nouveau détachement puisse être autorisé pour le même travailleur, les mêmes entreprises et le même Etat membre.
Néanmoins, l’application de ce principe a été conçue de manière pragmatique par la Commission européenne : celle-ci considère que ce délai de carence ne s’applique pas lorsqu’il convient de prolonger le détachement, en raison des retards pris dans l’exécution de la prestation de services.
Pour ce qui les concerne, les non-salariés font également l’objet de conditions renforcées pour exercer temporairement leur activité dans un autre Etat membre, tout en restant rattachés à leurs régimes sociaux d’origine (auto-détachement).
Il est donc désormais expressément prévu que le non-salarié doit avoir exercé son activité depuis un certain temps avant la date à laquelle il souhaite user de l’auto détachement et pendant cette période d’exercice de l’activité sur le territoire d’un autre Etat membre, le travailleur non salarié doit conserver dans le pays habituel d’emploi les moyens de reprendre à tout moment son activité habituelle : conservation des infrastructures correspondant à sa profession, usage de bureaux, versement d’impôts, inscription aux registres des métiers ou du commerce.
La question essentielle est de savoir ce que recouvre la formulation « un certain temps ». A cet égard, le guide pratique établi par la Commission européenne sur le détachement des travailleurs considère qu’un période de deux mois peut être considérée comme suffisante, et recommande un examen au cas par cas pour les périodes plus brèves.
III. LA SOLUTION, PLUS TARDIVE, RETENUE POUR LE DROIT DU TRAVAIL : LE SOUCI DE LA LOYAUTÉ DE LA CONCURRENCE AVEC L’APPLICATION DES PRINCIPALES RÈGLES DU PAYS D’ACCUEIL
A. Des solutions, d’abord jurisprudentielles, pour permettre aux Etats membres de rendre obligatoire l’application d’une partie de leur droit du travail aux entreprises étrangères prestataires de services
Pour ce qui concerne le droit du travail, la première réponse a été beaucoup moins précise qu’en matière de sécurité sociale, car donnée par la voie conventionnelle et dans le cadre du dispositif très général visant à régler l’ensemble des questions relatives aux conflits de lois, de la Convention de Rome du 19 juin 1980 entre les neuf Etats alors membres de la Communauté économique européenne, dont l’objet est très large puisqu’il s’agit de déterminer la loi applicable aux contrats lorsque les parties n’ont pas usage de leur liberté de la choisir explicitement.
Celle-ci n’est d’ailleurs entrée en vigueur que plusieurs années après, le 1er avril 1991. S’agissant de la relation de travail, la Convention de Rome a prévu plusieurs possibilités.
Elle laisse le libre choix aux parties, mais lorsque celui-ci ne s’exerce pas, le contrat de travail est régi :
– soit par la loi du pays où le travailleur accomplit habituellement son travail, même s’il est temporairement détaché dans un autre pays ;
– soit par la loi du pays où se trouve l’établissement qui a embauché le travailleur ;
– soit par la loi du pays avec lequel le contrat de travail présente des liens les plus étroits.
Elle impose néanmoins que la liberté pour les parties de choisir une autre loi applicable au contrat ne peut s’exercer aux dépens de la protection du travailleur.
La Convention de Rome prévoit également que le juge peut, exceptionnellement, écarter la loi normalement applicable au contrat pour appliquer les règles impératives, selon le droit international privé, à savoir les lois de police ou les lois d’application immédiate qui prévalent sur le lieu d’exécution du travail.
Dans un tel contexte, c’est donc la jurisprudence qui a tenu un rôle clef en matière de détachement des travailleurs, avec la reconnaissance progressive de l’application du principe du pays d’accueil.
Un premier arrêt est intervenu en 1981. Il ne concerne pas directement le doit du travail et a été rendu à propos d’une entreprise du Royaume-Uni pratiquant aux Pays-Bas, sans être titulaire de l’autorisation préalable prévue par cet Etat, de la mise à disposition de main d’œuvre au profit d’entreprises néerlandaises. C’est l’arrêt Webb du 17 décembre 1981 (affaire 279/80) dans lequel la Cour a reconnue que le principe du pays de destination devait s’appliquer, dès lors que la règle exigée par les Pays-Bas vis-à-vis de l’entreprise anglaise ne lui était pas spécifique mais concernait, de manière non discriminatoire, toutes les entreprises, celles établies sur son territoire comme les autres.
La Cour a ainsi considéré qu’un Etat membre pouvait légitimement subordonner, et ainsi, en l’espèce, limiter la libre prestation de services à certaines règles nationales (une autorisation d’exercer délivrée à une société étrangère déjà par ailleurs autorisée à exercer dans son Etat membre d’origine), en raison du domaine particulièrement sensible de l’activité considérée du point de vue professionnel et social.
C’est peu après, dans l’arrêt du 3 février 1982 Seco ainsi que Desquenne et Giral (affaires jointes 62/81 et 63/81), que la Cour reconnu aux Etats membres la faculté d’appliquer le principe du pays d’accueil aux salaires minima, légaux ou conventionnels, mais pas aux cotisations sociales.
Elle a en effet jugé que le paiement des cotisations dans l’Etat membre d’accueil n’était pas fondé dès lors que l’employeur était déjà redevable de telles charges dans son Etat d’établissement et qu’aucun avantage n’en résultait pour les salariés concernés.
Dans l’ensemble, la position dégagée par la Cour a donc été que la libre prestation de services, en tant que principe fondamental du traité, ne peut être limitée que par des raisons impérieuses d’intérêt général, dès lors que celles-ci sont objectivement nécessaires et proportionnées, mais aussi que les normes sociales peuvent faire partie de telles exigences qu’il appartient aux Etats membres, s’ils le souhaitent, sans qu’il s’agisse d’une obligation, de faire valoir en imposant l’application de leur législation.
Sur le fond, on rappellera que la libre prestation de services est assez exigeante, selon la Cour. Elle implique en substance la suppression non seulement de toute discrimination fondée sur la nationalité, mais également de toute restriction de nature à prohiber ou à gêner les activités d’un prestataire établi sur le territoire d’un autre Etat membre. Cela interdit notamment de subordonner la réalisation de la prestation de services à l’ensemble des conditions requises pour un établissement, faute sinon de vider de sa substance cette liberté fondamentale prévue par le traité. Néanmoins, cette solution jurisprudentielle s’est ensuite avérée insuffisante.
B. L’insuffisance, constatée au début de années 1990, de ces solutions jurisprudentielles, à la suite de l’arrêt de 1990 Rush Portuguesa Lda contre Office national d’immigration
Ultérieurement, c’est avec l’élargissement au Sud et l’adhésion en 1986 de l’Espagne et du Portugal que la question du détachement des travailleurs a connu d’amples développements.
D’une part, il s’agissait d’Etats peuplés et avec lesquels l’écart salarial et de niveau de vie avec le reste de l’Europe était important. D’autre part, ces deux Etats disposaient d’entreprises nombreuses et d’une main d’œuvre abondante dans le secteur du BTP, qui est l’un des plus concernés par la libre prestation de services. Enfin, le seul cas d’élargissement vers un pays au profil économique apparemment similaire, celui de la République d’Irlande, ne pouvait servir de point de comparaison, tant en raison de la faible population de cet Etat que de son éloignement géographique, renforcé par l’insularité.
Ainsi, lors de l’adhésion de l’Espagne et du Portugal ont été prévues quelques restrictions à la libre prestation de services en matière de tourisme et de cinéma, de même qu’une période transitoire assez longue, allant jusqu’au 31 décembre 1992, avant l’entrée en vigueur de la libre circulation des travailleurs.
Assez rapidement, des contentieux ont été soulevés sur la portée de ces restrictions et la Cour de justice a ainsi été conduite à se prononcer sur l’articulation de cette restriction à la libre circulation des travailleurs et de la libre prestation de services.
L’arrêt essentiel a été rendu le 27 mars 1990, dans l’affaire Rush Portuguesa Lda contre Office national d’immigration (affaire C-113/89), à propos des règles à appliquer aux salariés d’une entreprise portugaise œuvrant comme sous-traitante pour le chantier du TGV Atlantique en France.
En effet, l’inspection du travail française avait dressé plusieurs procès-verbaux d’infraction en raison de l’absence d’autorisation préalable à la venue des salariés en France délivrée par l’Office national de l’immigration, et de défaut également de paiement à cet organisme de la cotisation correspondante.
Cet arrêt a rappelé et clarifié posé plusieurs principes.
D’une part, sur le fond du litige, il a bien distingué la libre prestation de services de la libre circulation des travailleurs. La Cour a observé que l’acte d’adhésion de l’Espagne et du Portugal ne prévoyait de mesure transitoire et, ainsi, de report de l’entrée en vigueur de la libre prestation de services, que pour les seuls secteurs des agences de voyages et de tourisme, ainsi que du cinéma, et que les dispositions sur l’entrée en différée de la libre circulation des travailleurs, destinées à éviter la déstabilisation du marché de l’emploi, ne s’appliquaient pas en l’espèce, puisque les salariés en déplacement temporaire dans le cadre d’une prestation de services de leur employeur retournent dans leur pays après l’accomplissement de leur mission « sans accéder à aucun moment au marché de l’emploi de l’Etat membre d’accueil ».
Par conséquent, l’Etat membre d’accueil ne peut imposer au prestataire venant d’un autre Etat membre extérieur des conditions qui concernent l’embauche de main d’œuvre sur place ou l’obtention d’une autorisation de travail pour le personnel concerné.
D’autre part, et en contrepartie, la Cour a précisé que le droit communautaire permet à l’Etat de destination d’exercer plusieurs prérogatives :
– procéder à des vérifications pour vérifier qu’il n’y a pas détournement de la libre prestation de services ;
– étendre sa législation ou les conventions collectives de travail conclues par les partenaires sociaux à toutes les et imposer leur respect par des moyens appropriés (cette précision a été explicitement mentionnée dans l’arrêt comme répondant aux préoccupations du gouvernement français).
Cet arrêt a été largement commenté.
D’une part, il n’a pas conforté la position de l’administration française qui a été, en l’espèce, battue en brèche.
D’autre part, l’affaire qui avait fait l’objet d’une importante publicité lors des premiers procès-verbaux d’infraction était difficile, car la question avait été posée de savoir s’il s’agissait d’une simple sous-traitance ou bien d’un marchandage, à savoir d’une location illicite et pénalement sanctionnée de main d’œuvre dans le seul but d’en tirer profit.
Enfin, la capacité des Etats membres d’étendre aux salariés détachés sur leur territoires leurs normes sociales, qu’elles soient légales ou conventionnelles, est restée imprécise quant aux dispositifs concernés, d’autant que la Cour de Justice était considérée comme n’excluant pas dans ses arrêts tout risque de dumping social.
Aussi, la Commission européenne a-t-elle déposé, dès 1991, une proposition de directive dont l’adoption est intervenue à la suite d’importants débats, cinq ans après, en 1996, pour préciser le champ des règles de droit du travail applicable en cas de détachement des travailleurs.
C. La directive de 1996 sur le détachement des travailleurs : une application obligatoire et non plus facultative pour les Etats membres, des règles du pays hôte, sur les éléments susceptibles de dumping social : les salaires minima, le temps de travail et la sécurité au travail
La notion de détachement ne recouvre pas, en droit européen, la même chose du point de vue des règles de sécurité sociale et de celles de droit du travail.
La directive 96/71/CE du 16 décembre 1996 concernant le détachement des travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services s’applique qu’aux seuls salariés, ou travailleurs au sens communautaire.
A défaut de définition unique, la notion de travailleur est celle applicable dans l’Etat membre du territoire duquel le travailleur est détaché. C’est donc, en la matière, la règle du pays d’origine qui s’applique.
Seule la notion de détaché est donc harmonisée.
Comme en matière de sécurité sociale, le salarié détaché est défini comme le travailleur qui, pendant une période limitée, exécute son travail sur le territoire d’un Etat membre autre que l’Etat sur le territoire duquel il exerce habituellement son métier.
Le dispositif de la directive est cependant plus précis, car il distingue plusieurs cas de détachement :
– d’une part, le détachement classique, à savoir le contrat conclu entre l’entreprise d’envoi et le destinataire de la prestation de services opérant dans l’Etat membre de destination, à condition qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise d’envoi et le travailleur pendant la période de détachement ;
– d’autre part, le détachement intra-groupe, à savoir l’envoi d’un salarié dans un établissement ou dans une entreprise appartenant au même groupe, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise d’envoi et le travailleur pendant la période de détachement ;
– l’intérim, à savoir le fait pour une entreprise de travail intérimaire ou une entreprise qui met un travailleur à disposition, de détacher un travailleur auprès d’une entreprise utilisatrice établie ou exerçant son activité sur le territoire d’un Etat membre, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise de travail intérimaire ou l’entreprise qui met un travailleur à disposition et le travailleur pendant la période de détachement.
3. Le « socle minimal » ou « noyau dur » des règles de droit du travail du pays d’accueil applicable aux salariés détachés lorsqu’il est plus favorable que les règles du pays d’origine : salaires, temps de travail, temps de repos, congés, sécurité et santé au travail et respect de l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes
Le cœur du dispositif de la directive de 1996 vise à éviter les distorsions de concurrence provenant de la différence entre les législations du travail des Etats membres sur les principaux éléments constitutifs du coût de la main d’œuvre.
En matière de prestation de services, l’essentiel des coûts est en effet constitué des coûts salariaux. Ce sont donc les principaux éléments qui peuvent nourrir des pratiques de dumping social.
Aussi le « socle minimal » ou « noyau dur » des règles que doivent impérativement respecter les entreprises étrangères qui détachent leurs salariés sur le territoire d’un autre Etat membre porte-t-il sur les salaires, le temps de travail au sens large, à la fois temps de travail et temps de repos, et les conditions de travail.
Par conséquent, le texte de l’article 3 de la directive vise explicitement :
– les périodes maximales de travail et les périodes minimales de repos ;
– la durée minimale des congés annuels payés ;
– les taux de salaire minimal, y compris ceux majorés pour les heures supplémentaires ; cet élément ne s’applique pas aux régimes complémentaires de retraite professionnels ;
– les conditions de mise à disposition des travailleurs, notamment par des entreprises de travail intérimaire ;
– la sécurité, la santé et l’hygiène au travail ;
– les mesures protectrices applicables aux conditions de travail et d’emploi des femmes enceintes et des femmes venant d’accoucher, des enfants et des jeunes ;
– ainsi que l’égalité de traitement entre hommes et femmes, et les autres dispositions en matière de non-discrimination, les discriminations s’exprimant notamment, mais pas seulement, dans les différents éléments constitutifs des coûts salariaux.
Les obligations des employeurs sont, dans ce domaine, des obligations minimales. Rien ne les empêche donc de faire bénéficier leurs salariés de dispositions plus favorables.
C’est d’ailleurs ce que font, en général, les entreprises des pays les plus prospères de l’Union européennes lorsqu’elles envoient, pour des missions dans les autres Etats membres, leurs salariés les plus qualifiés.
Les règles qui définissent dans chaque Etat membre ce socle minimal sont soit des règles législatives, soit des règles conventionnelles d’application générale.
Ces dernières sont plus précisément les conventions collectives ou les sentences arbitrales qui doivent être respectées par toutes les entreprises appartenant au secteur ou à la profession concernée.
Par ailleurs, ces obligations s’imposent à toutes les entreprises, y compris celles établies dans des pays tiers. Pour éviter la concurrence déloyale venant des pays tiers, ainsi que, par conséquent, tout risque de délocalisation des entreprises du territoire de l’Union européenne vers les pays non membres, la directive exclut que les entreprises en provenant puissent bénéficier de dispositions plus favorables que celles établies dans l’Union européenne.
Par ailleurs, le « noyau dur » s’applique dans un cadre asymétrique qui bénéficie au salarié.
En effet, l’application de plein droit des dispositions du pays d’exécution du travail ne peut faire obstacle à l’application de dispositions qui leur sont plus favorables. Cet élément concerne naturellement, si tel est le cas, leurs propres dispositions contractuelles ou nationales.
D. Une application qui vise surtout le secteur de la construction, mais peut concerner de la même manière, sauf exception, toutes les prestations de services
C’est surtout à destination du secteur du bâtiment et des travaux publics que la directive a été prévue, dans la mesure où c’est dans ce secteur que sont intervenus les contentieux les plus significatifs et que c’est également là que la pratique des prestations de services transnationales impliquant un grand nombre de salariés s’est développée.
Par conséquent, les conditions de travail et d’emploi fixées par des conventions collectives y sont de plein droit obligatoires, alors que dans les autres secteurs, cette obligation repose sur une décision explicite en ce sens, laquelle incombe aux Etats membres.
En pratique, la grande majorité des Etats membres qui disposent de conventions collectives d’application générale imposent, dans les secteurs régis par les conventions pertinentes, le respect des conditions de travail et d’emploi fixées par ces conventions.
On observe toutefois une exception prévue par la directive, avec l’exclusion du secteur de la marine marchande pour le seul personnel navigant.
1. La faculté pour les Etats membres d’étendre cette obligation à des dispositions de l’ordre public social
Au-delà des dispositions relevant du noyau dur, l’article 10 de la directive permet aux Etats membres d’imposer des conditions d’emploi et de travail autres que celles du noyau dur, et précisément citées, dès lors que celles-ci constituent des dispositions d’ordre public applicables à toutes les entreprises.
2. Des dérogations éventuelles et limitées aux prestations de courtes durées et aux travaux de faible ampleur
La directive de 1996 a prévu des dérogations limitées s’appliquant à plusieurs cas de figure.
Le premier d’entre eux est celui des prestations de services annexes et de courte durée. Celles-ci sont précisément définies comme des prestations de services annexes faisant partie intégrante d’un contrat de fourniture de biens d’une durée de huit jours. Le secteur de la construction est donc exclu de cette dérogation. Plus précisément, il s’agit des travaux de montage initial ou de première installation d’un bien, qui sont indispensables à sa mise en fonctionnement et qui sont exécutés par des personnels qualifiés ou spécialisés. Ces travaux ne sont pas concernés par les dispositions relatives au salaire minimum et au congé annuel du pays d’exécution de la prestation de services.
Par ailleurs, des exceptions sont prévues pour les travaux de moins d’un mois et ceux de faible importance :
– d’une part, les Etats membres ont la faculté de dispenser les entreprises étrangères des règles relatives au salaire minimum lorsque la durée du détachement est inférieure à un mois, ou d’autoriser à prévoir de telles dérogations, par voie conventionnelle ;
– d’autre part, dans le même esprit, ils peuvent prévoir des dérogations en matière de salaire minimum et de congés annuels pour les travaux de faible ampleur. Ce sont les Etats qui définissent eux-mêmes ce que recouvrent cette notion.
Les dispositions de la directive de 1996 sont complémentaires, et non contradictoires avec celles de la Convention de Rome et du règlement précité (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000. En effet, ce n’est qu’à défaut de celles de la directive que leurs dispositions s’appliquent. La Convention de Rome ne fixe, en effet, qu’un cadre général pour déterminer la loi applicable aux obligations contractuelles. Il y a donc clairement dans le cadre de la directive de 1996 une plus-value communautaire.
Pour ce qui concerne les recours contentieux, on observera que la directive permet au salarié d’intenter une action en justice dans le pays sur le territoire duquel il est détaché.
C’est sans préjudice, et donc non exclusif, des actions possibles dans le pays d’envoi ou dans tout autre Etat membre.
En effet, le règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, prévoit que le salarié peut porter les contentieux contre son employeur devant les tribunaux du domicile de l’employeur, ou bien devant le tribunal du lieu ou il accomplit habituellement son travail, ou encore devant le tribunal du lieu où il a accompli régulièrement ce dernier.
La directive de 1996 prévoit que les Etats membres doivent prendre les mesures destinées à assurer le respect de ses dispositions : mesures de contrôle de la régularité des situations de détachement ; sanctions des irrégularités éventuellement constatées.
Les détachements étant par nature transfrontaliers, les opérations de contrôle de l’un d’entre eux impliquent, en effet, d’adresser des demandes à un autre Etat membre. La véracité des informations relatives au détachement relevant, en effet, d’autres Etats membres, la directive de 1996 prévoit par conséquent un important volet sur la coopération entre Etats membres en matière d’échange d’informations.
Sur le plan institutionnel, d’abord, les Etats membres doivent créer un ou plusieurs bureaux de liaison ou instances nationales compétentes pour permettre une coopération entre les administrations publiques nationales de contrôle.
Sur le fond, ensuite, les Etats membres doivent répondre aux demandes d’informations motivées de ces administrations publiques relatives à la mise à disposition transnationale de travailleurs, y compris en ce qui concerne des abus manifestes ou des cas d’activités transnationales présumées illégales.
5. Des obligations d’information des entreprises, complément des mesures de contrôle et de sanction des irrégularités éventuellement constatées, comme des salariés
En matière de détachement de travailleurs comme dans toute autre matière, notamment douanière, il est essentiel que les entreprises prestataires de services sur un territoire où elles ne sont pas établies ainsi que les salariés concernés par les détachements soient correctement informés des dispositions qui les concernent.
Vis-à-vis de ces entreprises et de leurs salariés, les Etats membres ont ainsi une obligation d’information sur les dispositions impératives applicables chez eux, à savoir celles relatives au socle minimal et les éventuelles dispositions d’ordre public qu’ils ont prévu de rendre applicables.
En pratique, des sites Internet accessibles en ligne ont été ouverts dans les Etats membres, notamment en France.
Dans l’un de ses considérants, le vingtième, la directive rappelle qu’elle n’affecte pas les relations des Etats membres avec les pays tiers, à savoir, de manière plus précise, les accords conclus par la Communauté européenne avec les pays tiers de même que les législations des pays membres sur l’accès de leurs marchés aux prestataires de services de ces mêmes pays tiers.
En revanche, afin d’éviter toute concurrence déloyale, les règles du « noyau dur » s’appliquent également aux détachements provenant des pays tiers.
E. Une transposition qui repose parfois, comme c’est le cas en France, sur une déclaration préalable à l’administration compétente du pays d’accueil
1. Une obligation assez générale de déclaration du détachement dans l’Etat du lieu d’exécution du travail
Dans le cadre de sa communication du 4 avril 2006, la Commission européenne a relevé qu’un grand nombre d’Etats membres imposent une déclaration préalable au détachement aux autorités nationales, dans le cadre du droit du travail.
Au cas de la France, comme on l’a vu, il faut ajouter l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, la Grèce, la Hongrie, le, Luxembourg, Malte, les Pays-Bas et le Portugal.
Pour leur part, la Slovénie et la République tchèque ont mis en place une déclaration qui incombe à l’entreprise destinataire de la prestation de services.
Ces listes montrent que cette obligation de déclaration préalable n’est pas l’apanage des seuls Etats membres les plus anciens.
Cette déclaration, qui doit intervenir au plus tard au début des travaux et a pour objectif de permettre aux administrations compétentes de vérifier les conditions d’emploi, est admise par la Cour de justice.
Comme elle est destinée à l’administration du travail, elle est toujours distincte du document A 1 (ex-E 101) qui est l’attestation de la qualité d’assuré social dans le pays d’origine.
En France, la directive 96/71/CE a fait l’objet d’une transposition complète à plusieurs niveaux. Néanmoins, il n’y a pas eu de texte de transposition proprement dit, car notre pays disposait déjà d’une législation nationale établie selon les mêmes principes que la directive. La simple adaptation de la réglementation applicable a été faite par les décrets n° 2000-462 du 29 mai 2000 et n° 2000-861 du 4 septembre 2000, modifiant le code du travail.
Sur le plan législatif, c’est aux articles L. 1261-1 et suivants du code du travail que figurent les dispositions relatives aux salariés détachés temporairement en France par des entreprises qui n’y sont pas établies.
Celles-ci sont en partie communes aux détachements effectués par des entreprises établies dans d’autres Etats membres, qui bénéficient des libertés fondamentales issues traité de Rome et du principe de non-discrimination, et aux détachements provenant de pays tiers.
Le détail de l’ensemble des dispositions applicables en droit français a été repris dans la circulaire DGT 2008/17 du 5 octobre 2008 relative au détachement transnational de travailleurs en France dans le cadre d’une prestation de services, abrogeant la circulaire antérieure DRT n°94/18 du 30 décembre 1994.
Conformément aux dispositions de la directive, les trois cas de détachement sont distingués par l’article L. 1262-1, le détachement pouvant être réalisé :
– soit pour le compte de l’employeur et sous sa direction, dans le cadre d’un contrat conclu entre celui-ci et le destinataire de la prestation établi ou exerçant en France ;
– soit entre établissements d’une même entreprise ou entre entreprises d’un même groupe ;
– soit pour le compte de l’employeur, sans qu’il existe un contrat entre celui-ci et un destinataire.
Pour sa part, l’article L. 1262-2 règle le cas des entreprises de travail temporaire, en précisant qu’« une entreprise exerçant une activité de travail temporaire établie hors du territoire national peut détacher temporairement des salariés auprès d’une entreprise utilisatrice établie ou exerçant sur le territoire national, à condition qu’il existe un contrat de travail entre l’entreprise étrangère et le salarié et que leur relation de travail subsiste pendant la période de détachement. »
Sur le fond, la France ne s’est pas limitée à une transposition a minima des règles de droit du travail applicables de plein droit aux salariés détachés, car aux matières relevant du « noyau dur », ont été ajoutées différents éléments d’ordre public.
Les éléments du « noyau dur »
L’article L. 1262-4 du code du travail reprend d’abord l’énumération des matières visées par l’article 3 de la directive 96/71/CE :
– le salaire minimum et le paiement du salaire, y compris les majorations pour les heures supplémentaires ;
– la durée du travail, avec notamment les éléments suivants : repos compensateurs, jours fériés, congés annuels payés, durée du travail et travail de nuit des jeunes travailleurs ;
– la lutte contre les discriminations et l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ;
– les règles relatives à la santé et sécurité au travail, âge d’admission au travail, emploi des enfants ; la protection de la maternité, les congés de maternité et de paternité, ainsi que les congés pour événements familiaux.
Pour ces matières, les règles qui s’appliquent sont les règles législatives, règlementaires ou conventionnelles de droit commun.
Pour ce qui concerne les conventions collectives, plusieurs précisions s’imposent :
– d’une part, seules sont applicables en tant qu’élément du « noyau dur» les accords ou les conventions collectives étendu(e)s ;
– d’autre part, l’activité qui sert de référence est, conformément à l’article R. 1261-1 du code du code du travail, l’activité du salarié dans le cadre de sa prestation en France ;
– enfin, lorsqu’un dispositif conventionnel infra-national, tel que les salaires conventionnels du secteur du bâtiment, s’applique, c’est le texte dans le ressort duquel se situe le lieu d’exécution de la prestation de services qui sert de référence (critère territorial). C’est l’un des éléments de la complexité du détachement.
C’est surtout en matière de salaires et de temps de travail que les dispositions conventionnelles ont un impact.
S’agissant du salaire en effet, le salaire minimum visé par la directive 96/71/CE recouvre non seulement le SMIC, mais également et surtout les minima conventionnels. Pour un poste de travail donné, en effet, c’est le minimum conventionnel correspondant à l’emploi occupé qui doit être versé au salarié. Les entreprises sont donc obligées de respecter le barème des entreprises françaises.
Le salaire inclut non seulement le salaire proprement dit, mais également les allocations propres au détachement telles que l’indemnité d’expropriation. En revanche, les indemnités compensant les seuls surcoûts du détachement (dépenses de voyage, de logement) ne rentrent pas dans le calcul du salaire minimum.
Par ailleurs, la circulaire précise que le salaire doit impérativement être payé au-delà de 1 500 euros par chèque barré ou en espèces et que c’est uniquement pour les détachements d’une durée supérieure à un mois que la délivrance d’un bulletin de paie est obligatoire.
En matière de temps de travail, les règles légales, réglementaires et conventionnelles étendues, relatives à la durée du travail et au repos hebdomadaire, sont applicables aux salariés détachés, notamment les durées maximales journalières et hebdomadaires, et le régime des heures supplémentaires.
En revanche, sauf dans le cas des détachements intragroupes, les dispositifs de modulation de la durée hebdomadaire du travail ne s’appliquent pas, car ils relèvent uniquement d’accords d’entreprise ou d’établissement.
En matière de santé et de sécurité au travail, enfin, la circulaire contient quelques précisions essentielles :
– d’abord, elle rappelle que s’applique, pour les emplois concernés, l’obligation de l’examen de l’aptitude médicale, pour les salariés dont l’employeur ne démontre pas qu’ils bénéficient d’un régime de surveillance médicale équivalent au dispositif français : l’exonération de l’application des règles françaises ne vaut, en effet, que si les règles du pays d’origine sont équivalentes aux règles françaises ;
– d’autre part, elle indique que ce sont les règles françaises de la médecine du travail et de périodicité des examens qui s’appliquent pendant la durée du détachement. Cette règle est notamment applicable à l’examen annuel prévu pour le suivi médical en cas d’exposition à certains produits chimiques (cf. article R. 4412-40 du code du travail) ;
– enfin, elle énonce de manière complète les trois volets des règles de sécurité applicable, qu’il s’agisse des règles générales telles que celle du droit de retrait, des règles d’utilisation des équipements de travail ou des exigences de formation pour les salariés.
Ce dernier point est essentiel. Il vise en effet non seulement les conditions de diplômes ou certificats pour certains travaux (travaux hyperbare ou de radiologie industrielle), mais également l’exigence de formation adéquate relative à certaines professions (maintenance, réparation) comme à l’utilisation de certains équipements (conduite d’engins). La notion de formation adéquate est plus flexible, car elle laisse à l’employeur le choix des moyens mis en œuvre. Celui-ci doit pour l’essentiel justifier des dates, durées et contenus des actions de formation concernées.
Les éléments relevant de l’ordre public
La France a également ajouté, au titre des dispositions d’ordre public, plusieurs éléments, dont la teneur a été précisée dans le corps de la circulaire précitée :
– pour les personnels concernés des secteurs du BTP, les conditions d’assujettissement aux caisses de congés et intempéries ;
– les libertés individuelles et collectives dans la relation de travail, ce qui implique la prise en compte des seuils d’effectifs liés aux institutions représentatives du personnel pour les intérimaires et les personnels en détachement intra-groupes, lesquels disposent également du droit à l’expression directe et collective sur les conditions de travail de l’entreprise d’accueil, sur la qualité de leur organisation et sur les améliorations souhaitables de leur unité de travail ;
– l’exercice du droit de grève, dans les conditions prévues par le droit français ;
– les dispositions sur la lutte contre le travail illégal ;
– les conditions de mise à disposition et garanties dues aux salariés par les entreprises exerçant une activité de travail temporaire.
En revanche, ni le droit relatif à la conclusion et à la rupture du contrat de travail, ni la représentation du personnel, ni la formation, ni la prévoyance ne sont concernés par une telle extension. Ces matières restent donc régies par le droit du pays d’origine.
L’obligation de remplir un formulaire de déclaration préalable au détachement
D’un point de vue formel, la France a prévu que toute entreprise qui détache un salarié doit remettre à l’inspection du travail (l’unité territoriale de la DIRECCTE) une déclaration préalable au détachement.
Cette obligation est mentionnée à l’article R.1263-3 du code du travail.
Cette déclaration, rédigée en français, consiste à remplir l’un des trois formulaires prévus. Outre le formulaire général (prestations de services et opérations en compte propres), sont en effet prévus deux formulaires spécifiques : l’un pour les détachements de type intra-groupe ; l’autre pour le travail temporaire.
De plus, pour les opérations de cabotage, à savoir les services transfrontaliers de transport terrestre ou de transport fluvial, une déclaration spécifique est également prévue.
Sur le fond, il s’agit uniquement d’une déclaration, et non d’une autorisation préalable.
Si une telle autorisation se justifie vis-à-vis des pays tiers, elle serait parfaitement irrégulière vis-à-vis des Etats membres de l’Union européenne.
La coopération avec les autres Etats membres et l’organisation des bureaux de liaison
Pour la coopération avec les administrations compétentes des autres Etats membres, c’est la Direction générale du travail qui assure la fonction de bureau de liaison avec ses homologues européens.
Néanmoins, des bureaux de liaison déconcentrés ont été créés, sur la base d’accords bilatéraux avec les Etats concernés, l’un à Strasbourg au sein de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) d’Alsace pour les relations avec l’Allemagne, et l’autre au sein de la direction du Nord-Pas-de-Calais pour les relations avec la Belgique. La formule est actuellement étendue, avec la création de deux bureaux avec l’Espagne, l’un à Perpignan, l’autre à Bayonne (trois sites ont été créés par l’Espagne), et un autre au sein de la DIRECCTE de Lorraine, qui serait établi à Nancy, pour les relations avec le Luxembourg. S’agissant de l’Italie, le projet est en cours de finalisation. Deux bureaux serait créés, l’un à Chambéry et l’autre à Nice.
Sur la transposition de la directive 96/71/CE dans les autres Etats membres, quelques spécificités sont à observer.
D’abord, de même que la France, l’Allemagne et l’Autriche avaient, avant l’intervention de la directive 96/71/CE, leur propre législation nationale et n’ont ainsi eu à procéder qu’à des adaptations.
En revanche, l’essentiel des autres pays a pris des mesures de transposition : Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, Grèce, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal et Suède.
Pour sa part, l’Irlande a pris une mesure spécifique dans le cadre d’une loi relative à la protection des salariés à temps partiel.
Au Royaume-Uni, aucune mesure de transposition n’est, selon la Commission européenne, intervenue puisque le droit national s’applique à tous les salariés quelle que soit leur situation. Néanmoins, quelques aménagements ont été réalisés pour étendre aux détachés les dispositions d’application plus restrictive.
Sur le fond, il convient de noter que les Etats membres qui ont fait usage de l’extension du champ d’application des dispositions conventionnelles aux secteurs autres que la construction, ne représentent pas la totalité des quinze Etats membres les plus anciens.
Si tous les secteurs sont couverts en France, de même qu’en Autriche, en Belgique, en Finlande, en Grèce, en Italie, au Luxembourg et au Portugal, l’Allemagne a, en revanche, prévu une extension limitée de certaines dispositions, pour le seul secteur de la navigation maritime.
Les Pays-Bas n’ont prévu aucune extension. Quand au Danemark, au Royaume-Uni et à la Suède, la Commission européenne observait en 2003 que la disposition était sans objet, aucune convention collective n’étant d’application générale.
Pour ce qui concerne, par ailleurs, les dispositions d’ordre public, la Belgique, la Grèce et l’Espagne ont, selon les éléments disponibles, fait le même choix que la France, celui d’appliquer en matière de conditions de travail et d’emploi les dispositions de leur droit interne relevant de l’ordre public, et ainsi d’avoir un champ plus large que celui imposé par la directive.
DEUXIEME PARTIE :
UNE RÉVISION LIMITÉE MAIS NÉCESSAIRE DU CADRE FIXÉ PAR LA DIRECTIVE DE 1996
I. UN CONSTAT ASSEZ PARTAGÉ SUR LES DIFFICULTÉS D’APPLICATION
A. Des éléments perçus assez tôt et de manière récurrente, au niveau communautaire comme sur le plan national
a) Des difficultés en matière de coopération des Etats membres et d’échange d’informations, ainsi que sur le niveau d’information des entreprises et des travailleurs
Comme tous les textes communautaires, la directive 96/71/CE du 16 décembre 1996 a fait l’objet d’un suivi régulier de la part de la Commission européenne.
Celle-ci a ainsi pu mettre en évidence relativement tôt, dès 2003, les difficultés d’application du texte, dans le cadre de la communication du 25 juillet 2003 relative à la mise en œuvre de la directive 96/71/CE dans les Etats membres (COM [2003] 458 final). Il faut observer que celle-ci est intervenue dans un cadre territorial plus étroit que l’actuelle Union européenne, qui ne comprenait alors que quinze Etats membres et que tant les niveaux de développement économique que les niveaux salariaux étaient plus proches que maintenant.
Ensuite, en 2006, dans le cadre la communication du 4 avril intitulée « Orientations concernant le détachement des travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services » (document SEC [2006] 439), la Commission européenne a refait un bilan, notamment pour faire le point sur l’état du droit applicable en la matière.
L’objectif était de répondre ainsi au débat qui avait eu lieu peu de temps auparavant, non seulement au Parlement européen, mais également dans les Etats membres et dans les parlements nationaux, notamment au sein de leurs commissions chargées des affaires européennes, sur les principaux enjeux de la directive « services » alors en cours d’examen.
Dans sa proposition initiale sur ce texte, la Commission européenne avait en effet prévu de supprimer certaines exigences administratives relatives au détachement des travailleurs, en contrepartie d’un renforcement de la coopération administrative entre les Etats membres. Le Parlement européen pour sa part, de même qu’une grande partie des Etats membres, ne souhaitaient pas modifier cet équilibre. Il s’agissait ainsi de faire le point sur la question, assez complexe, des enseignements à tirer de la Cour de justice.
La Commission européenne a rappelé, dans ce cadre, l’essentiel de ces constats, à savoir, en substance :
– l’insuffisance et les lenteurs de la coopération entre les Etats membres, en dépit de leurs obligations en la matière, avec ainsi des procédures trop longues ou inefficaces ne permettant pas l’échange d’informations ;
– l’insuffisance du niveau d’information des entreprises procédant à des détachements ;
– l’insuffisance du niveau d’information des salariés sur leurs droits au titre de la directive, notamment sur les recours dont ils bénéficient dans l’Etat d’exécution du travail ;
– la persistance de difficultés concrètes à l’occasion des opérations de contrôle.
S’agissant du détail, la Commission européenne a notamment mis l’accent sur le développement des sites Internet, les efforts à opérer en matière de traduction des informations dans les autres langues de l’Union européenne ainsi que sur la nécessité de donner aux bureaux de liaison les moyens d’exécuter leurs missions avec toute l’efficacité nécessaire.
Pour ce qui concerne les difficultés d’ordre pratique à l’occasion des opérations de contrôle, le poids de la barrière de la langue a été reconnu.
La communication de la Commission du 13 juin 2007 intitulée « Détachement de travailleurs dans le cadre de la prestation de services : en tirer les avantages et les potentialités maximum tout en garantissant la protection des travailleurs » (COM [2007] 304 final), n’a pas modifié ce constat.
Elle a néanmoins ajouté des éléments sur l’une des difficultés clef de l’application de la directive de 1996. Celle-ci s’applique aux travailleurs, c’est-à-dire aux salariés, mais la définition correspondante n’est pas communautaire, mais relève de la législation nationale du pays d’envoi. Un non-salarié dans son Etat membre d’origine peut ainsi ne pas l’être dans l’Etat d’exécution du travail.
La question est extrêmement difficile car, d’une part, il convient d’éviter de faire obstacle à la libre prestation de services des indépendants, et, d’autre part, il y a dans le fait de savoir si un emploi est exercé de manière indépendante ou non, une dimension non seulement juridique, mais également économique. La situation de dépendance économique est parfois telle qu’elle conduit à utiliser le terme de parasubordination.
Sur le fond, la question a pris une ampleur accrue à la suite des deux derniers élargissements.
Comme le relève en effet une étude de 2008, cofinancée par la Commission européenne, de la Fédération européenne des travailleurs du bâtiment et du bois, publiée dans le cadre du rapport Emploi en Europe 2008, la proportion d’indépendants est particulièrement élevée dans le secteur de la construction dans certains pays d’Europe. Elle est plus élevé que la moyenne de 16 % dans les Etats membres suivants : Grèce (37 %), Pologne (27 %), Chypre (25 %), Italie (27 %) et Roumanie (32 %).
C’est le résultat d’une évolution claire qui repose sur le développement de la sous-traitance systématique et du recours au travail dit indépendant-dépendant.
b) La recommandation du 31 mars 2008 : la mise en place d’un système d’échange d’informations électronique, sur le modèle du système d’échange d’information du marché intérieur
Conformément à ses précédents travaux, la Commission européenne a publié, le 31 mars 2008, une recommandation relative à l’amélioration de la coopération administrative dans le contexte du détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (document 2008/C 85/01).
Dans ce cadre, elle a seulement préconisé la mise en place d’un système d’échange d’informations, sur le modèle de celui développé pour le marché intérieur (IMI), en réservant aussi la possibilité de développer ce système dans ce même cadre de l’IMI. La Commission européenne a également rappelé l’effort qui incombait aux Etats membres en matière d’accès à l’information administrative et de mise à disposition des bureaux de liaison des moyens nécessaires à l’exercice de leurs missions. Elle a aussi insisté sur l’intérêt de développer en la matière les échanges de bonnes pratiques entre Etats membres, avec la mise en place d’un comité de haut niveau dans le domaine du détachement des travailleurs.
Lors des entretiens de la rapporteure à Bruxelles avec les fonctionnaires concernés de la DG Emploi, la question de la sous-traitance et des abus en la matière a été clairement évoquée.
Des cas sont recensés de travailleurs détachés opérant sur un chantier, et dont l’employeur ne s’acquitte pas de ses obligations, notamment pour ce qui concerne le versement des salaires.
Dans les pays où il n’existe pas de clause de solidarité avec les donneurs d’ordre, la situation est actuellement sans issue. Il n’y a pas, en effet, en pratique de possibilité d’assurer le paiement des salaires en cas de défaillance dans la chaîne, lorsque de tels mécanismes ne sont pas prévus par le droit interne applicable.
B. Une jurisprudence de la Cour de justice, vis-à-vis de la directive de 1996, estimée trop libérale
1. Des contentieux importants initiés non seulement par les entreprises, mais aussi par la Commission européenne
La question du détachement des travailleurs a fait l’objet de contentieux nombreux et importants au niveau européen et a, par conséquent, donné lieu à un nombre significatif de décisions de la Cour de justice.
Il convient d’observer que tous ces contentieux ne sont pas issus de litiges noués avec des entreprises. En effet, un certain nombre d’entre eux ont été initiés directement par la Commission européenne, notamment à l’encontre du Luxembourg et de l’Allemagne, dont les dispositifs de transposition étaient jugés par elle trop protecteurs.
Dans certains de ces contentieux, la Cour n’a pas retenu les arguments de la Commission européenne, ce qui alimente naturellement la suspicion de ceux qui voient en cette institution un défenseur du marché intérieur selon une approche libérale.
Il est vrai qu’en la matière, son rôle est, par nature, d’aller à l’encontre des tentations protectrices, potentiellement protectionnistes, des Etats membres.
2. La prépondérance du principe de la libre prestation de services et un contrôle strict des mesures susceptibles de l’entraver, même pour celles destinées à garantir la protection des travailleurs
a) L’approche d’ensemble de la Cour de Justice : la faculté pour les Etats membres de limiter la libre prestation de services pour des raisons d’intérêt général, mais de manière non discriminatoire, adaptée et proportionnée, en dépit de la pertinence de l’objectif de protection des travailleurs
La Cour de justice a fixé assez vite sa doctrine en matière de détachement des travailleurs, après l’intervention de la directive 96/71/CE.
Le premier contentieux qui a été jugé à la lumière de ses dispositions et dans son contexte, même si celles-ci ne lui étaient pas applicables puisque le litige était antérieur, a été l’arrêt Arblade et Leloup du 23 novembre 1999 (affaires jointes C-369/96 et C-376/96), à propos de la construction par deux entreprises françaises d’un entrepôt de sucre en Belgique. La Cour a en effet observé que le droit communautaire ne s’oppose pas à ce que la juridiction de renvoi, la juridiction belge en l’occurrence, tienne compte, conformément à un principe de son droit pénal, des dispositions plus favorables de la directive.
Sur le fond, la Cour a invalidé la demande belge sur deux points essentiels :
– d’abord, elle a considéré que des cotisations sociales ne pouvaient être exigées des entreprises, car leurs salariés disposaient déjà, dans leur pays d’origine, d’une couverture équivalente à celle qui aurait été la contrepartie de ces cotisations ;
– ensuite, elle a estimé qu’en matière de documents, les entreprises concernées étaient assujetties dans leur pays d’établissement (la France), d’obligations, « sinon identiques du moins comparables, en ce qui concerne le principe de la tenue des documents sociaux pour les mêmes périodes et les mêmes travailleurs ».
Sur le fond, la Cour de justice applique les principes suivants :
– d’abord, la libre prestation de services exige tant la suppression de toute discrimination à l’encontre d’un prestataire établi dans un autre Etat membre que la suppression de toute restriction de nature soit à prohiber, soit plus simplement à gêner ou à rendre moins attrayante les activités de ces derniers, pour des services analogues ;
– ensuite, la libre prestation de services, si elle peut être limitée, ne peut néanmoins l’être que par des règlementations justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général ;
– les réglementations concernées doivent s’appliquer, indifféremment, à toute personne ou entreprise exerçant une activité sur le territoire de l’Etat membre d’accueil ;
– en outre, l’intérêt général en cause ne doit pas être déjà protégé par des règles auxquelles le prestataire est soumis dans l’Etat membre dans lequel il est établi ;
– enfin, ces règlementations doivent être propres à garantir la réaliser de l’objectif qu’elles poursuivre et répondre au critère de proportionnalité, à savoir ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ce même objectif. En d’autres termes, la Cour vérifie si le même résultat ne peut être obtenu par d’autres règles, moins contraignantes que celles en cause.
C’est donc la libre prestation de service qui représente le principe premier.
Sur le fond, toutefois, la Cour de justice a reconnu assez tôt la protection des travailleurs comme figurant parmi les raisons impérieuses d’intérêt général permettant une dérogation à la libre prestation de services, notamment l’arrêt précité Webb du 17 décembre 1981 (affaire C-279/80), en particulier pour les salariés du secteur de la construction (cf. arrêt Guiot du 28 mars 1996, affaire C-272/94).
Néanmoins, la réalisation de cet objectif ne peut être atteint que par des mesures qui doivent répondre aux trois critères précédents : absence de discrimination, adaptation à leur but, proportionnalité.
b) L’impossibilité pour un Etat membre de justifier une dérogation à la libre prestation de services par des considérations administratives
Dans l’arrêt précité Arblade, la Cour de justice a rappelé, comme on l’a vu, que des considérations d’ordre purement administratif ne peuvent justifier qu’un Etat membre déroge à une règle de droit communautaire, notamment lorsqu’il s’agit d’interdire ou de restreindre une liberté fondamentale prévue par le traité. Dans ses considérants, la Cour fait référence à un arrêt antérieur, et alors, récent, l’arrêt du 26 janvier 1999 Terhoeve (affaire C-18/95). Or, la libre prestation de services est l’une de ces libertés fondamentales prévues par le traité.
Il est significatif qu’elle ait appliqué ce raisonnement sur les exigences administratives du contrôle, au détachement des travailleurs.
Il s’agit d’une certaine inflexion par rapport à l’arrêt de 1990, Rush Portuguesa, dans lequel la Cour avait reconnu aux Etats membres la faculté de prendre les mesures de contrôle nécessaires pour assurer le respect d’une réglementation justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général.
Mais, il est vrai que le contexte était différent, car la coopération administrative entre Etats membres prévue par la directive de 1996 n’était pas alors envisagée.
c) L’irrégularité de dispositions protectrices pour les travailleurs dès lors que des mesures équivalentes sont en vigueur dans l’Etat d’origine
L’arrêt précité Arblade a également posé le principe que l’intérêt général dont l’Etat membre d’accueil souhaitait assurer le respect pouvait déjà être assuré par des règles applicables dans l’Etat membre dans lequel est établi le prestataire. Il fait d’ailleurs référence à des arrêts antérieurs sur la même question, notamment l’arrêt Säger du 25 juillet 1991 (affaire C-76/90).
Cette exigence a pour objectif d’éviter de soumettre les entreprise à une « double série de formalités » répondant au même but : l’une dans le pays d’origine ; l’autre part dans le pays d’accueil.
Dès lors, il faut appliquer en la matière le principe communautaire de reconnaissance mutuelle, et considérer, au moyen d’un test d’équivalence, si le pays d’accueil peut ou non imposer sa propre réglementation et si l’intérêt qu’elle vise à protéger l’a déjà été adéquatement dans le pays d’origine.
En l’occurrence, dans l’affaire Arblade, une comparaison a donc été faite entre la loi belge et la loi française. La Cour a estimé que cette dernière imposait des obligations « comparables » à celles prévues par la loi belge, et que l’exigence de l’Etat belge était infondée.
Une précision a ensuite ultérieurement été apportée par la Cour de justice dans l’arrêt Mazzoleni et ISA du 15 mars 2001 (affaire C-165/98). La méthode de comparaison applicable pour vérifier l’équivalence des législations doit être globale. En l’occurrence, comme il s’agissait de vérifier la pertinence de l’application de la norme belge sur le salaire minimal par rapport au dispositif applicable en France, le caractère global de l’appréciation impliquait de « prendre en considération les éléments liés au montant de la rémunération, à la durée du travail à laquelle ce montant se rapporte ainsi que le montant des cotisations sociales et celui de la fiscalité ».
En pratique, ce dispositif du régime d’équivalence et le principe de l’application des normes nationales en l’absence de régime équivalent dans l’Etat membre d’origine trouvent à s’appliquer dans des domaines très concrets tels que celui de la surveillance médicale antérieure au détachement ainsi que pour les secteurs disposants de mécanismes très spécifiques de protection sociale.
Tel est le cas en France pour les secteurs du BTP et du spectacle, des cotisations à la caisse de congés payés, et pour le seul secteur du bâtiment, à la caisse de congés intempéries.
En l’absence de régime équivalent dans l’Etat membre dans lesquels ils sont établis, les employeurs étrangers prestataires de services en France doivent contribuer à ces organismes.
3. Un encadrement en pratique très strict des exigences concrètes des Etats membres vis-à-vis des entreprises prestataires de services
a) La nécessité d’éviter aux entreprises des obligations administratives devenues superflues en raison de la coopération entre Etats membres et des procédures d’assistance administrative réciproques
La Cour de justice a rappelé dans l’arrêt précité Arblade que la libre prestation de services s’oppose à ce qu’un Etat membre impose à un prestataire qui n’y est pas établi de conserver dans son ressort, pendant cinq ans à l’issue de la fin de l’exécution de la prestation considérée, des documents sociaux tels que le registre du personnel et le compte individuel de chaque salarié.
Ce principe est devenu l’un des éléments clefs des raisonnements sur lesquels s’appuie la Cour de justice. Celle-ci considère, en effet, que la coopération entre Etats membres est en l’occurrence suffisante, et est précisément que « le système organisé de coopération ou d’échange d’informations entre Etats membres prévu à l’article 4 de la directive 96/71 rend superflue la conservation de ces documents dans l’Etat membre d’accueil après que l’employeur a cessé d’y employer des travailleurs ».
L’objectif est clairement d’éviter de doublonner les formalités administratives en autorisant qu’elles puissent être imposées dans les deux Etats membres, celui d’origine et celui d’accueil.
Pour être en mesure d’exercer leurs contrôles, les Etats membres ont parfois imposé la présence, sur place, d’un représentant de l’entreprise, ayant notamment une obligation de conservation des documents.
Cette solution n’est pas jugée conforme au droit communautaire par la Cour de justice, dans le cadre de l’arrêt précité Arblade.
Cette position a été confirmée dans l’arrêt du 19 juin 2008, Commission c/ Luxembourg (affaire C-319/06), qui fait explicitement référence à l’arrêt Arblade.
La Cour a étayé sa position sur trois éléments essentiels :
– d’une part, le dispositif entraîne des charges administratives et financières supplémentaires pour les entreprises établies dans un autre Etat membre, de sorte que ces dernières ne se trouvent pas sur un pied d’égalité, du point de vue de la concurrence, avec les employeurs établis dans l’Etat membre d’accueil et qu’elles peuvent être dissuadées de fournir des prestations dans ce dernier Etat membre ;
– d’autre part, il ne suffit pas, pour justifier une telle restriction à la libre prestation des services, d’invoquer que la présence de tels documents sur le territoire de l’Etat membre d’accueil est de nature à faciliter en général l’accomplissement de la mission de contrôle des autorités de cet Etat. Il faut également que ces autorités ne soient pas en mesure d’exécuter leur mission de contrôle de manière efficace sans que cette entreprise dispose, dans cet Etat membre, d’un mandataire ou d’un préposé qui conserve lesdits documents ;
– de plus, il ne saurait non plus être exigé que ces mêmes documents soient conservés par un mandataire résidant au Luxembourg, dans la mesure où, l’entreprise concernée étant présente physiquement sur le territoire luxembourgeois durant l’exécution de la prestation de services, les documents en question peuvent être conservés entre les mains d’un travailleur détaché ;
– enfin, il ne peut donc plus être prévu d’obligation, ex ante, de conservation desdits documents antérieurement au commencement des travaux, ce qui constituerait une entrave à la libre prestation des services.
c) L’interdiction pour l’Etat d’accueil d’imposer une durée minimale d’emploi préalable des travailleurs détachés originaires de pays tiers
Dans un arrêt du 19 janvier 2006 Commission c/Allemagne (affaire
C–244/04), la Cour de justice a ainsi jugé contraires au principe de la libre prestation de services les dispositions de la loi relative aux étrangers (Ausländergesetz) dans sa version de 2002, ainsi que son règlement et sa circulaire d’application imposant, d’une part, un visa pour les ressortissants des pays tiers employés par une entreprise établie dans un autre Etat membre et, d’autre part, une période d’emploi préalable d’un an au sein de l’entreprise effectuant le détachement.
Peu après, une période plus courte, d’une durée de six mois, a été jugée disproportionnée dans l’arrêt Commission c/ Luxembourg du 19 juin 2008 (affaire C-319/06).
La Cour a rappelé en cette occasion que les Etats membres d’exécution du travail devaient se limiter à une simple déclaration préalable de la part de l’entreprise envisagée de procéder au détachement.
d) Une interprétation restrictive de l’exception d’ordre public et des facultés pour les Etats membres de prendre des mesures favorables aux salariés dans l’arrêt Luxembourg de juin 2008
Comme on l’a vu, les Etats membres ont la faculté d’imposer l’application de leurs dispositions nationales aux conditions d’emploi et de travail au-delà du « noyau dur », dès lors qu’il s’agit de dispositions d’ordre public qui s’imposent à toutes les entreprises présentes sur leur territoire.
La Cour de justice n’a pas retenu une interprétation large de cette exception d’ordre public, même si elle reconnaît s’agissant des Etats membres qu’ils « restent libres, pour l’essentiel, de déterminer, conformément à leurs besoins nationaux, les exigences de l’ordre public », car elle a fixé clairement des limites précises à l’exercice de cette faculté. Dans le cadre de l’arrêt Arblade précité, elle avait déjà estimé que les lois de police nationales peuvent heurter l’impératif de libre prestation de services.
Ensuite, la Cour a considéré que cette exception à la directive devait être entendue d’une manière stricte, puisqu’il s’agit également d’une exception au principe de la libre prestation de services, et que sa portée ne peut être définie de manière unilatérale par les Etats membres, dans l’arrêt du 19 juin 2008, Luxembourg (affaire C-319/06).
Elle a donc estimé que le Luxembourg avait manqué à ses obligations en déclarant que plusieurs dispositions de sa loi du 20 décembre 2002 portant transposition de la directive de 1996 constituaient des dispositions de police relevant de l’ordre public national.
Sur le fond, les points litigieux et censurés ont notamment été les suivants :
– l’obligation d’un contrat de travail écrit ;
– l’adaptation automatique de la rémunération à l’évolution du coût de la vie.
En outre, la Cour a jugé, sur les dispositions relatives à l’égalité de traitement entre les salariés à temps plein et ceux à temps partiel ou en intérim, que cette matière ne figure pas sur la liste du « noyau dur » et que c’est aux Etats membres où l’entreprise est établie qu’il convient de veiller à l’application des deux accords-cadres européens concernant ces matières.
La Cour a donc fermé les portes d’un éventuel accroissement de la protection des travailleurs par le biais d’une conception de l’ordre public offrant aux Etats membres une grande marge d’appréciation.
e) Une conception des obligations linguistiques des entreprises plus large que celle de la Commission européenne, mais qui n’est pas non plus extensive
En matière linguistique, la Cour de justice reconnaît aux Etats membres d’accueil la faculté d’exiger la traduction de certains documents, à des fins de contrôle, mais cette obligation ne porte alors que sur un nombre limité de documents.
Ces éléments ont été précisés dans l’arrêt précité du 18 juillet 2007 Commission c/Allemagne (affaire C-490/04).
On observera que le contentieux était initié, sur ce point, entre autres, par la Commission européenne, qui jugeait injustifiée et disproportionnée, car superflue, en raison du système de coopération entre les Etats membres, l’obligation inscrite dans la loi allemande de détachement, pour les entreprises, étrangères, de traduire et de conserver en langue allemande plusieurs documents : le contrat de travail ou son équivalent ; les fiches de paie ; les pièces justificatives de l’horaire de travail et du paiement des rémunérations.
La Cour n’a pas suivi la Commission car elle a considéré que si cette obligation constitue bien une restriction à la libre prestation de services, car elle entraîne des frais et des charges administratives supplémentaires pour les entreprises établies hors d’Allemagne, une telle restriction est justifiée car :
– elle poursuit bien un objectif d’intérêt général, celui de la protection sociale des travailleurs concernés et du contrôle de son respect dans le cadre des procédures de contrôle sur place. Un tel contrôle deviendrait excessivement difficile, voire impossible en l’absence de cette obligation de traduction ;
– il s’agit d’un nombre limité de documents, quatre seulement, et car ceux-ci ne sont pas d’une longueur excessive et sont généralement rédigés avec l’aide de formules types ;
– et, enfin, il n’y a pas de redondance avec le mécanisme de coopération entre les Etats membres, puisqu’il s’agit de documents qui ne sont pas détenus par les administrations compétentes, lesquelles ne peuvent donc les transmettre, avec leur traduction, dans des délais raisonnables, aux autorités qui les demandent.
A contrario, la Cour indique ainsi que les administrations de l’Etat membre d’accueil ne peuvent avoir que des exigences limitées en la matière.
4. Les difficultés provoquées dans les Etats membres de l’Europe du Nord dont le modèle social repose sur la négociation sociale et la convention collective
a) L’arrêt Laval de décembre 2007 : l’impossibilité pour les syndicats d’exiger l’adhésion à une convention collective ou l’engagement de négociations salariales dans un Etat membre sans dispositif d’application générale des conventions collectives
Les arrêts Viking du 11 décembre 2007 (affaire C-438/05) et Laval du 18 décembre 2007 (affaire C-341/05) ont fait prendre conscience des difficultés pour les Etats membres où le droit du travail est essentiellement d’ordre conventionnel.
Ils ont chacun soulevé une certaine émotion, car dans chacun des deux cas, le contentieux porté devant la Cour concernait la régularité d’actions syndicales entreprises pour imposer le respect des dispositions conventionnelles à des entreprises étrangères. La première affaire a été la plus significative.
Sur le fond, les syndicats suédois ont organisé en Suède un blocus du chantier effectué par Baltic Bygg, filiale de l’entreprise lettone Laval un Partenri, Ltd, qui avait détaché dans cet Etat membre une partie de son personnel pour y construire une école. Celle-ci avait en effet refusé d’adhérer à la convention collective du bâtiment localement applicable et aucun accord n’avait pu être conclu sur la question des salaires, entièrement traitée dans le cadre conventionnel en Suède. Les travailleurs détachés n’ont pu exercer leur métier, Baltic Bygg a été déclarée en faillite et les salariés sont donc rentrés en Lettonie. Ensuite, l’entreprise Laval a fait l’objet d’un véritable boycott pour son éviction du marché suédois.
Elle a donc porté l’affaire devant les juridictions suédoises pour faire reconnaître l’illégalité du blocus du chantier et des actions de boycott.
La Cour de justice a été saisie de la question de leur conformité au droit communautaire, tant au principe de la libre prestation de services qu’aux dispositions de la directive 96/71/CE.
La question a été d’autant plus difficile sur le fond que, comme l’a observé la Cour, la Suède n’avait pas de système de déclaration d’application générale des conventions collectives et qu’elle ne pouvait pas imposer leur application à des entreprises étrangères, alors même que toutes ses entreprises ne sont pas liées par une convention et, qu’en outre, la convention collective concernée, celle du bâtiment, contient non seulement des règles de droit du travail, mais également, pour les entreprises, des obligations à caractère pécuniaire relevées par la Cour, notamment le versement d’un certain pourcentage de la masse salariale au syndicat au titre de la vérification exercée sur les rémunérations, ainsi que certains dispositifs d’assurance, de prévoyance et même de financement de la recherche des entreprises suédoises du bâtiment.
Sur le fond, la Cour a donné raison à l’entreprise lettone en se fondant sur trois éléments :
– d’abord, le droit pour un syndicat d’intenter une action collective est bien un droit fondamental partie intégrante des principes généraux du droit communautaire, mais ces actions relèvent néanmoins du champ du droit communautaire lorsqu’elles sont menées contre une entreprise établie dans un autre Etat membre et qui détache des travailleurs dans le cadre d’une prestation de services transnationale ;
– ensuite, le droit des organisations syndicales de mener des actions collectives par lesquelles ces entreprises étrangères peuvent se voir contraintes de négocier des salaires ou d’adhérer à une convention collective dont les clauses vont au-delà de la protection minimale de la directive, à savoir du « noyau dur » constitue une restriction à la libre prestation de services. Il rend en effet moins attrayant, voire plus difficile l’exécution de travaux dans l’Etat membre concerné. Une telle restriction n’est justifiée que si elle poursuit un objectif d’intérêt général, ce qui peut être le cas d’une action ayant pour but de lutter contre le dumping social et dont l’objectif est la protection des travailleurs ;
– en l’espèce, l’entrave à la libre prestation de services n’est pas justifiée car, d’une part, la convention collective à laquelle il est demandé d’adhérer va au-delà du « noyau dur » des dispositions du droit du travail de l’Etat d’accueil que l’employeur établi dans un autre Etat membre doit respecter et, d’autre part, la négociation salariale s’inscrit dans le contexte spécifique où il n’y a pas de disposition précise sur les obligations salariales.
De manière claire, la Cour relève que la Suède n’a pas de dispositif de salaire minimal en l’absence de convention collectives d’application générale et cet Etat membre n’a pas non plus fait usage de la disposition de la directive suivant laquelle, en l’absence d’un système de déclaration d’application générale de conventions collectives, les Etats membres peuvent prendre pour base :
– soit les conventions collectives qui ont un effet général sur toutes les entreprises similaires appartenant au secteur ou à la profession concernés et relevant du champ d’application territoriale de celles-ci ;
– soit les conventions collectives conclues par les organisations des partenaires sociaux les plus représentatives au plan national et qui sont appliquées sur l’ensemble du territoire national.
C’est donc ainsi faute de base de détermination du salaire minimal, et donc de précision sur l’obligation qui s’impose aux entreprises provenant d’autres Etats membres, que la Cour a donné tort aux syndicats suédois.
b) L’arrêt Viking de décembre 2007 : l’obligation pour les organisations syndicales de respecter le principe de proportionnalité pour leurs action collective destinées à assurer la protection sociale des travailleurs
Antérieur de quelques jours à l’arrêt Laval, l’arrêt Viking du 11 décembre 2007 (affaire C-438/05) est un peu différent car il ne concerne pas la libre prestation de services, mais la liberté d’établissement.
La Cour s’est donc prononcée sur la conciliation entre les actions collectives menées par les organisations syndicales et cette dernière.
Sur le fond, la compagnie Viking Line exploitant des lignes de ferries entre la Finlande et l’Estonie a souhaité transférer l’immatriculation de l’un de ses navires de Finlande en Estonie, pour tirer partie du moindre niveau des salaires, la ligne concernée étant déficitaire. Elle a informé le syndicat finlandais FSU de son projet. Celui-ci a manifesté son opposition et a obtenu de la Fédération internationale des transports (International Transport Workers’ Federation - ITF), dont le siège est à Londres, une circulaire demandant à ses adhérents de refuser de négocier une nouvelle convention collective avec Viking. FSU a alors posé ses conditions et a demandé la conclusion d’une convention prévoyant que, lorsque le changement de pavillon interviendrait, l’entreprise ne licencierait pas l’équipage et continuerait à respecter le droit du travail finlandais.
Après l’adhésion de l’Estonie à l’Union européenne en 2004, Viking a demandé aux juridictions britanniques d’ordonner à l’ITF le retrait de sa circulaire. Saisie par la Court of Appeal, la Cour de justice a donné raison à Viking en se fondant sur trois éléments :
– d’abord, une action collective engagée contre une entreprise pour l’amener à conclure une convention collective, dont la teneur est de nature à la dissuader de faire usage de la liberté d’établissement, relève bien du droit communautaire ;
– ensuite, elle constitue une restriction à la liberté d’établissement et doit donc poursuivre un objectif légitime tel que la protection des travailleurs, ce qui, en l’espèce, implique, pour que cette qualification soit maintenue, que les emplois ou conditions de travail en cause soient compromis ou sérieusement menacés ;
– enfin, l’action collective doit être conforme au principe de proportionnalité et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre son objectif.
La Cour n’ayant pas tranché l’affaire au fond, c’est donc sa combinaison avec l’arrêt Laval qui a suscité des inquiétudes.
En soumettant au droit communautaire, et ainsi au contrôle du juge, les actions collectives, c’est-à-dire les moyens ultimes de la négociation collective permettant de fixer le contenu des conventions et accords collectifs, qui fixent la presque totalité du droit social applicable, cet arrêt a contribué à diffuser dans les pays concernés un sentiment de grande vulnérabilité vis-à-vis de la préservation des acquis sociaux et, ainsi, vis-à-vis des pratiques de dumping social.
c) L’arrêt Rüffert d’avril 2008 : l’impossibilité pour la loi d’imposer aux soumissionnaires de marchés publics de respecter les dispositions d’une convention collective qui n’est pas d’application générale
Rendu le 3 avril 2008, l’arrêt Rüffert (affaire C-346/06) a invalidé la disposition législative du Land allemand de Basse-Saxe prescrivant, pour les marchés publics au pouvoir adjudicateur, de ne désigner comme adjudicataire que les entreprises s’engageant par écrit, lors de la soumission, à verser au moins les rémunérations prévues par la convention collective relative au secteur.
Sur le fond, le litige s’est noué en raison du recours par l’entreprise allemande adjudicataire d’un chantier de construction d’une prison à une entreprise sous-traitante établie en Pologne. Le Land de Basse-Saxe a résilié le marché au motif que le sous-traitant polonais versait des salaires représentant 46,57 % du montant minimal prévu.
La Cour a considéré que la disposition législative précitée posait problème en raison de trois éléments :
– d’abord, elle n’avait pas par elle-même fixé le taux de salaire minimum ;
– ensuite, la convention collective visée par la loi n’était pas une convention collective d’application générale, comme l’avait indiqué à la Cour le Land de Basse-Saxe ;
– enfin, comme il existe en Allemagne un dispositif d’application générale des conventions collectives, la disposition correspondante ne peut lui être considérée comme un substitut au sens de la directive.
Par ailleurs, la Cour a estimé que cette même disposition incriminée du Land de Basse-Saxe ne saurait être considérée comme une condition d’emploi et de travail plus favorable au sens de la directive, ce qui serait en assurerait la validité, car cette disposition vise le seul cas où les conditions d’emploi et de travail sont plus favorables dans l’Etat membre d’origine.
Par conséquent, après la fermeture opérée dans le cadre de son interprétation stricte de l’ordre public, la Cour a fermé la deuxième possibilité d’une plus grande garantie d’application du niveau de protection sociale des Etats membres d’accueil indépendamment de leur organisation juridique interne.
Les arrêts Laval et Rüffert ont montré la fragilité juridique des systèmes reposant sur la négociation collective, sans dispositif permettant l’application générale des conventions et accords ou dans lesquels ces dispositifs n’étaient pas suffisamment mis en œuvre. Ceux-ci étaient essentiellement en vigueur dans les pays du Nord de l’Europe.
D’une certaine manière, la directive de 1996 est juridiquement beaucoup plus sûre pour les Etats membres qui, comme la France, ont un droit du travail en grande partie fixé par la loi et qui disposent d’un dispositif donnant aux conventions collectives une valeur erga omnes.
Selon M. Jan Cremers, de la CES, ce risque pour les pays nordiques avait été perçu lors de la publication de la directive, mais n’avait pas été suffisamment mesuré puisque les pays concernés n’avaient pas pris les dispositions législatives de transposition de la directive permettant de donner aux conventions collectives la valeur des normes minimales à respecter par les entreprises étrangères qui détachent du personnel.
Depuis ces arrêts, ces mesures correctrices ont été prises par les Etats membres concernés, l’Allemagne, avec la loi du 24 avril 2009, selon les éléments communiqués au Sénat par le Gouvernement, ainsi que le Danemark et la Suède.
5. Une confirmation de cette approche libérale par la jurisprudence, sur les délais en matière de sécurité sociale, avec la possibilité de fournir rétroactivement le document attestant du rattachement
Par ailleurs, et de manière plus significative, la Cour a fait preuve d’une approche généralement considérée comme libérale en matière de sécurité sociale.
D’une part, la Cour a jugé dans l’arrêt précité du 30 mars 2000, Barry Banks (affaire C-178/97), que le règlement de coordination n’impose aucun délai pour la délivrance de l’attestation, constatant de plus que celui-ci se limite à déclarer que le travailleur reste affilié à la législation de travail habituel, pendant la période au cours de laquelle il effectue son travail sur l’autre territoire.
Si elle est convenu qu’il est plus aisé pour l’administration de contrôle que le certificat soit délivré dès le début de la période concernée, la Cour de justice a néanmoins jugé que rien ne s’oppose à ce que le certificat E 101 produise des effets rétroactifs et qu’il soit délivré au cours de la période concernée ou encore à son expiration.
D’autre part, la Cour a considéré très tôt que, dans le cadre de l’article 17 du règlement de 1971 qui permet au Etats membres, de même qu’à leurs autorités ou institutions compétentes, de déroger aux règles d’affiliation, par voie d’accord, dans l’intérêt de certaines catégories de personnes exerçant une activité salariée ou non salariée, ou de certaines de ces personnes (arrêt du 17 mai 1983 Brusse, affaire C-101/83), ceux-ci disposaient d’un assez large pouvoir d’appréciation soumis à la seule condition de l’intérêt du travailleur et aux objectifs essentiels du règlement et du principe de la libre circulation des travailleurs.
a) Le rappel des modalités de contrôle : contrôle sur pièces, contrôle sur place et opérations ponctuelles
De manière classique, les opérations de contrôle reposent soit sur le contrôle sur pièces à partir des déclarations opérées par les entreprises ou d’autres éléments documentaires, soit sur des contrôles sur place, avec déplacement des personnels d’inspection.
En outre, comme l’ont indiqué à la rapporteure les fonctionnaires de la DIRECCETE d’Alsace lors de sa visite sur place, des opérations ponctuelles peuvent être menées.
Tel a été le cas, l’été dernier, où, le 30 juin, sur deux sites, une opération de contrôle des véhicules, à la frontière allemande, a été organisée à Lauterbourg.
L’objectif était d’identifier les entreprises étrangères et leurs salariés venant du territoire allemand, de vérifier si ces entreprises respectent les dispositions légales et réglementaires en matière de détachement de salariés ainsi que d’identifier les lieux d’intervention de ces entreprises et poursuivre, le cas échéant, les contrôles sur les chantiers repérés.
Cette opération a mobilisé d’importants moyens, à raison de deux équipes (une par site) composées de fonctionnaires de la PAF.
Les autorités allemandes y ont été associées, avec la présence de deux observateurs allemands du FKS sur chaque site de contrôle, chargés de faciliter, le cas échéant, les vérifications opérées.
b) Les constats très concrets sur le terrain : l’absence de déclaration ; la langue ; les difficultés de la coopération et les difficultés inhérentes à l’obtention d’informations à l’étranger
Dans le cadre d’un rapport de 2002, la délégation interministérielle au travail illégal (DILTI) relevait les principales difficultés dans l’exercice de leurs missions de contrôle par les services concernés, essentiellement l’inspection du travail et les services d’inspection de l’URSSAF, sachant que ces derniers ne sont habilités qu’au recouvrement des cotisations sociales, et non à la vérification du respect de la législation du travail.
Pour être exhaustif, il faut rappeler que les infractions constitutives du travail illégal relèvent des inspecteurs et des contrôleurs du travail, des officiers et agents de police judiciaires (ce qui implique la gendarmerie, notamment), des agents de la direction générale des finances publiques, des agents de la direction générale des douanes et des droits indirects, des agents de l’URSSAF et des agents des caisses de mutualité sociale agricole, dans la limite de leurs compétences respectives, conformément à l’article L. 8271-7 du code de la sécurité sociale.
A l’occasion de ses différentes auditions, la rapporteure a pu constater que la situation n’a guère évolué, car plusieurs obstacles matériels compliquent la tâche des services de contrôle.
Le premier élément tient à la durée de la prestation. Celle-ci peut être extrêmement brève. En tout état de cause, les contrôles approfondis ne peuvent en être que difficiles, car il n’y a pas, par définition, d’établissement sur place.
Le deuxième facteur tient à l’obstacle de la langue.
Le troisième élément est d’ordre juridique. Il tient à la réglementation en vigueur dans le pays d’origine. Les règles du pays d’exécution de la prestation ne s’appliquent, en effet, que si celles du pays d’origine sont moins favorables. On se heurte assez rapidement, en la matière, à la difficulté pratique de comparer terme à terme.
Le quatrième facteur est également d’ordre juridique. Il tient à la difficulté à qualifier les situations rencontrées. Y a-t-il, par exemple, vrai marché de sous-traitance ou simple prestation de main d’oeuvre ? Y a t-il prestation de services ponctuelle ou fraude à l’établissement ? Ces questions sont d’autant plus difficiles que l’on peut se trouver face à des montages juridiques complexes.
Enfin, le cinquième des éléments cités concerne les difficultés de l’obtention des informations dans les autres Etats membres. Les procédures sont par définition plus longues, plus lourdes et plus difficiles.
Le marché intérieur, l’unification de l’espace économique des entreprises, se réalise plus vite que le décloisonnement de l’espace administratif. La fluidité de la circulation des pièces administratives est loin d’être réalisée.
Lorsqu’elles insistent sur l’impératif d’éviter la duplication des obligations documentaires des entreprises, comme on l’a vu, la Commission européenne et la Cour de justice aggravent ce décalage entre l’Europe des transactions et la non-Europe des documents administratifs.
c) Le problème général de l’application des sanctions et décisions de justice dans l’Union européenne, au-delà de la question interne du niveau de pénalisation des infractions sociales
L’Europe de la justice a fait certains progrès, notamment en matière d’exécution des peines.
Plusieurs décisions cadres sont intervenues sur la reconnaissance mutuelle des sanctions, notamment en matière de peines ou mesures privatives de liberté : décision cadre du 27 novembre 2008 2008/909/JAI (exécution dans un Etat membre d’une peine d’emprisonnement prononcée dans un autre Etat membre) ; décision cadre du 24 février 2005 sur les sanctions pécuniaires ; décision-cadre 2009/299/JAI sur les décisions rendues en l’absence de la personne concernée lors du procès.
Néanmoins, le sentiment général est que tout reste encore trop difficile et compliqué, ne serait-ce que parce qu’il faut poursuivre une entreprise sans établissement sur le territoire français.
L’une des difficultés évoquées par certains interlocuteurs de la rapporteure concerne également l’absence de titre exécutoire européen pour la sécurité sociale et les impôts. Le règlement (CE) n° 805/2004 concerne en effet les domaines civils et commerciaux.
C’est en raison des procédures, déjà prévues antérieurement, d’assistance mutuelle pour le recouvrement des créances fiscales, dont la Commission européenne a d’ailleurs entrepris une révision en 2009.
Plus généralement, le sentiment d’impuissance des autorités de contrôles est d’autant plus vif qu’il existe également dans notre pays un débat sur le niveau de pénalisation des infractions sociales.
Ce débat n’est d’ailleurs pas tant d’ordre juridique, puisque la plupart des infractions sont définies par les textes, que d’ordre pratique. La question de fond est en effet celle de la pratique pénale, soit au niveau des parquets, soit au niveau des juridictions de jugement.
C’est un débat aussi vaste que difficile car les infractions sociales entrent « en concurrence » avec d’autres infractions pénales et que les plus graves d’entre elles font déjà l’objet de sanctions, en raison des amendes et majorations qui accompagnent les rappels d’impôts et de cotisations sociales.
Lors de son entretien avec la rapporteure, M. Jan Cremers, membre de la CES et ancien député européen, a rappelé qu’il convenait de distinguer quatre grands cas de figure en matière de détachement des travailleurs.
Le premier est celui de la prestation de service assurée par une entreprise avec ses propres salariés dans un autre pays que celui de son implantation. Là, les règles de la directive sont parfaitement respectées, de même que celles du marché intérieur. La norme sociale n’est pas tirée vers le bas.
Le second cas est celui où le détachement intervient uniquement par le biais d’entreprises sous-traitantes. Là, il n’y a pas non plus d’irrégularité, mais uniquement une incitation au développement du moins disant social sur deux fondements : d’une part, les salaires minima peuvent être inférieures aux salaires effectivement pratiqués dans le pays d’exécution de la prestation de services, par les entreprises du secteur ; d’autre part, les niveaux de cotisations sociales peuvent être différents, ce qui permet aux entreprises extérieures de présenter des offres moins chères que leur concurrents.
Le troisième cas est celui d’une application partielle des règles de la directive de 1996, avec une fraude sur le niveau du salaire versé, le temps de travail, et aussi, le cas échéant, sur les qualifications lorsqu’un certain niveau est exigé.
Le quatrième et dernier cas concerne celui de la fraude grossière du faux détachement. Le détachement est invoqué, mais il ne correspond à aucun élément de la réalité. Ce cas de figure correspond à la grande fraude.
b) La nécessité de bien distinguer les fraudes à la législation du travail, qui ne portent pas préjudice aux finances publiques, et les cas d’optimisation ou de fraudes sociales destinées à éluder les cotisations de sécurité sociale
En matière de détachement, l’indépendance des deux corps de règles fait qu’il convient de bien distinguer les deux derniers cas précédemment évoqués.
Le premier est celui de l’absence de paiement des salaires et de la dissimulation de tout ou partie des heures supplémentaires effectuées, mais sans que l’affiliation à la sécurité sociale du pays d’origine puisse être mise en doute.
La fraude porte alors préjudice, d’une part, aux salariés qui ne perçoivent pas leurs justes rétributions, d’autre part, aux entreprises concurrentes qui font l’objet de pratiques déloyales et, enfin, aux salariés du secteur, car le dumping social provoque une pression à la baisse sur les salaires.
Le second cas de figure est celui de la fraude à la sécurité sociale ou bien de l’optimisation sociale, procédé qui utilise les failles de la loi pour établir des montages légaux ou au moins juridiquement défendables. Les salariés ne sont pas réellement détachés, mais devraient légalement être affiliés à la sécurité sociale du pays d’exécution de la prestation. Dans ce cas, la fraude aux finances publiques peut être multiple : d’une part, au préjudice des organismes de sécurité sociale, auxquels les cotisations ne sont pas versées ; d’autre part, au préjudice du Trésor, s’il y a en fait sur place un établissement, ce qui implique le paiement de l’impôt.
a) Les mécanismes de fraude couramment cités : les embauches en vue du détachement ; les sociétés écrans et les faux indépendants
Les embauches en vue du détachement
L’un des cas classiques évoqué est l’embauche de la personne dans un autre Etat membre que celui où elle réside, mais pour exécuter une prestation dans ce même pays de résidence.
C’est une technique utilisée par les entreprises qui veulent faire de l’optimisation en embauchant les salariés uniquement dans les établissements où le régime social est le moins onéreux pour elle.
A cet égard, les dispositions d’application du nouveau règlement de coordination sont assez claires, car elles exigent un mois d’affiliation dans l’Etat membre d’origine.
Ainsi, à défaut d’emploi réel, l’entreprise qui souhaite recourir à cette technique devra dorénavant rémunérer le salarié sans avoir d’emploi réel à lui donner, pendant un certain laps de temps.
Les sociétés écrans ou « coquilles vides »
Dans le cadre des fraudes au détachement, comme dans tout type de fraudes, certaines formules ou recettes reposent sur la création d’au moins une société écran dans l’Etat censé être l’Etat d’origine.
L’objectif est donc uniquement de bénéficier d’une adresse donnant accès à une affiliation sociale moins onéreuse que celle du pays d’exécution du travail.
C’est dorénavant un procédé auquel les dispositions d’application du nouveau règlement de coordination de sécurité sociale interdisent clairement tout recours.
Les faux indépendants ou indépendants déguisés
L’étude précitée de la Fédération européenne des travailleurs de la construction et du bois a donné lieu à une synthèse intitulée « travail indépendant et faux travail indépendant dans le secteur de la construction ».
Elle rappelle que le développement du recours aux faux indépendants présente, pour les entreprises concernées, un intérêt double :
– d’une part, les charges sociales ne sont plus supportées par l’entreprise et celles qui sont acquittées par l’indépendant sont moindres, correspondant d’ailleurs à un moindre niveau de protection ;
– d’autre part, le niveau de protection sociale est moindre puisque les règles de droit du travail ne visent pas les indépendants : horaires de travail, salaires minima, etc., ne sont pas applicables.
Sur le plan juridique, la difficulté tient à ce que la définition relève de l’Etat membre d’origine et non de l’Etat membre d’accueil.
Cette fraude vise à échapper aux contraintes du « noyau dur » de la directive 96/71/CE, car le socle minimal ne s’applique qu’aux salariés. En outre, les règles relatives au temps de travail et surtout au salaire minimum ne s’appliquent pas aux indépendants.
Sur le fond néanmoins, le faux statut d’indépendant peut être démontré dans l’Etat membre d’exécution de la prestation.
Pour les services de contrôle comme pour les juridictions, une requalification peut être opérée, si le droit national le permet, comme c’est le cas en France, dès lors que la réalité de l’exercice du travail montre un lien de subordination et fait ainsi apparaître que le faux indépendant est en fait dans ses tâches dans la même situation qu’un salarié.
Pour les salariés concernés originaires d’autres Etats membres et employés dans le cadre de fraude ou d’optimisation contestables, les contrôles sont par nature ambivalents. Sur le fond, ils leurs sont en principe favorables, puisqu’il s’agit de faire reconnaître leurs droits et de mettre fin à une situation d’exploitation.
Néanmoins, ceux-ci viennent également perturber, pour eux, une situation d’équilibre économique, certes insatisfaisant, mais qui présente aussi certains avantages.
Notamment, depuis l’élargissement de 2004, les disparités de salaires se sont fortement accrues dans l’Union européenne.
Tout paiement d’un salaire inférieur aux salaires des pays d’exécution de la prestation, mais supérieur à ceux des pays d’origine, voire aux allocations versées aux chômeurs, peut être considéré comme favorable. C’est un élément dont il convient de tenir compte, même s’il n’obère naturellement en rien la vocation humaniste des contrôles en droit du travail et de la sécurité sociale, contrôles qui ont vocation à protéger la partie faible de la relation de travail, à savoir le salarié, en l’espèce.
La situation peut être considérée comme également ambivalente pour les salariés détachés qui ont été employés de manière irrégulière par des entreprises de travail temporaire implantées dans d’autres Etats membres.
Des résidents français peuvent bénéficier, en cas d’embauche à titre intérimaire dans un Etat membre comme le Luxembourg d’un bénéfice immédiat : un meilleur salaire direct ; un impôt sur le revenu précompté.
Ils peuvent également ne pas voir le désavantage d’un tel mécanisme. Selon les éléments communiqués, les personnes employées dans le cadre de l’intérim ne sont pas couvertes par l’assurance maladie luxembourgeoise entre deux missions. Le dispositif est donc pour elles risqué en cas de maladie ou d’accident de la vie privée les empêchant de travailler, sauf à bénéficier de fait de la couverture de l’assurance maladie française.
Le transport aérien est, par définition, un secteur où le paiement des cotisations peut donner lieu à des volontés d’optimisation de la part des entreprises concernées.
Les activités du personnel navigant, qu’il s’agisse du personnel navigant technique ou du personnel navigant commercial, s’exercent en effet à bord des aéronefs.
Fondées sur la recherche systématique du moindre coût, ce qui implique des stratégies de recherche du moindre impôt et de la moindre cotisation sociale, tout en déployant de manière symétrique des efforts de convictions auprès des collectivités publiques et des chambres consulaires pour obtenir des financements publics pour certaines de leurs activités ou certains de leurs frais en contrepartie de l’ouverture ou du maintien de dessertes, les compagnies à bas prix, dites low cost, ont tenté de maintenir l’affiliation au Royaume-Uni pour l’une, Easy Jet, et en Irlande pour l’autre, Ryanair, de leurs personnels navigants opérant pourtant principalement à partir d’Orly ou de Marseille.
Pour être tout à fait précis, il ne s’agit pas, sur le fond uniquement de cas de détachement, car il peut y avoir, selon les éléments évoqués, aussi des cas de pluriactivité, mais le montage repose sur la même logique, celle de la déconnexion entre l’affiliation sociale et la base territoriale de l’activité.
Sur le plan juridique, le Gouvernement a publié en 2006 un décret pour clarifier la situation. Celui-ci, le décret n° 2006-1425 du 21 novembre 2006 relatif aux bases d’exploitation des entreprises de transport aérien et modifiant le code de l’aviation civile, dont les dispositions sont codifiées à l’article R. 330-2-1 du code de l’aviation civile, précise le régime juridique applicable aux transporteurs étrangers exerçant une activité en France. Il a défini pour la première fois la notion de « base d’exploitation », qui réunit les caractéristiques d’un établissement auquel s’applique le droit du travail français, ainsi que pour les salariés concernés, la notion de centre de l’activité professionnelle. Ce dernier est défini comme le lieu où il travaille de façon habituelle ou celui où il prend son service et retourne après l’accomplissement de sa mission. Les salariés rattachés à la base d’exploitation sont donc clairement assujettis au droit social français.
Les sanctions prévues sont celles applicables à tout employeur ayant un établissement sur le sol français, au code du travail ou par l’URSSAF pour non-application de la législation française. Les dispositions de ce décret sont conformes à celles fixées par le règlement communautaire n 864-2007 dit « Rome Il » du 11 juillet 2007 applicable aux obligations contractuelles.
En avril 2010, EasyJet a ainsi été condamné pour travail dissimulé par le tribunal correctionnel de Créteil, en raison de l’emploi de 170 personnes sous législation britannique.
S’agissant de Ryanair, entreprise irlandaise, la compagnie a été mise en examen pour travail dissimulé en septembre 2010 après l’ouverture d’une information judiciaire au mois d’avril précédent, et a fermé sa base de Marseille au mois de janvier dernier, comme elle l’avait annoncé en octobre, en raison de l’ouverture, en avril 2010, d’une information judiciaire à son encontre. Les quatre avions concernés et les cent vingt salariés concernés ont été transférés et répartis, selon les informations publiées par la presse en Espagne, en Italie et en Lituanie.
Pour l’avenir, il a été précisé à la rapporteure que le nouveau règlement de coordination des régimes de sécurité sociale et ses textes d’application étaient plus clairs que les anciens textes, sachant que, d’une manière générale, les « roulants » des entreprises de transports internationaux sont dorénavant intégrés dans le droit commun.
L’accroissement du nombre des détachements dans le département de la Moselle, provenant essentiellement des entreprises de travail temporaire intervenant à partir du Luxembourg a fait l’objet de la vigilance des services concernés, notamment des services territoriaux, tant de l’Etat que des organismes de sécurité sociale.
Pour 2009, selon les statistiques communiquées, sur environ 7 800 déclarations de détachement provenant des entreprises de travail temporaire étrangères, quelque 6 588 provenaient du Luxembourg.
Il est apparu que les entreprises d’intérim concernées recrutaient des personnes résidant en France pour les mettre à la disposition d’entreprises exerçant également en France leur activité, mais déclarées et affiliées à la sécurité sociale au Luxembourg.
La France a contesté ces situations.
D’une part, conformément au règlement de coordination des régimes de sécurité sociale, à l’ancien règlement (CE) n° 1408/71 qui était encore applicable, elle a demandé le retrait des certificats E 101 émis par le Centre commun luxembourgeois. Ces certificats continuent en effet de produire leurs effets tant qu’ils n’ont pas été retirés par l’organisme qui les a émis, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice.
D’autre part, sur la base du nouveau règlement, une coopération a été engagée de manière à éviter les affiliations indues au Luxembourg et à permettre les affiliations en France.
On observera que les salariés correspondants, qui étaient attirés par des salaires directs plus favorables au Luxembourg, ainsi que par l’avantage d’un impôt sur le revenu précompté, ne se trouvent pas dans une situation moins favorable et, même, au contraire, du point de vue de la protection sociale.
Au-delà de ces élément, il y a eu également, ce qui est particulièrement grave, des velléités de certains opérateurs d’entrer clairement dans des logiques de fraude avec un recours croissant aux intérimaires français spécialement embauchés par des entreprises de travail temporaire au Luxembourg et le recours pour les salariés maintenus en France au chômage partiel. Une telle logique consistant à recourir à la délocalisation de proximité pour réduire les charges tout en sollicitant de l’Etat floué un effort accru de protection sociale est clairement inadmissible.
Si le cas du Luxembourg a été réglé, avec notamment la coopération des autorités compétentes, ce n’est pas ce seul Etat membre dont les caractéristiques fiscales et juridiques ont donné lieu à ce type de montage juridique. En effet, selon les informations communiquées, la Roumanie, la République tchèque et la Slovaquie servent aussi de base à des entreprises de travail temporaire tournées vers le transfrontalier.
Un cas d’optimisation clair, qui n’est accessible qu’aux très grandes entreprises faisant appel à du personnel internationalement mobile, est celui des plates formes de travailleurs détachés.
Une filiale judicieusement placée dans un paradis fiscal et social détache temporairement ses salariés dans différents Etats membres de l’Union européenne.
En jouant sur une mobilité suffisamment rapide, l’entreprise n’a pas besoin de rattacher les salariés concernés à la sécurité sociale d’un Etat membre classique.
Comme on l’a vu, le détachement correspond à une prestation de services temporaire dans un autre Etat membre. Parfois, la tentation existe de pourvoir des postes permanents, ou qui le sont presque, par des successions de détachements.
Lorsque l’activité est saisonnière, la tentation est redoublée.
L’un des critères simples pour détecter ce type de fraude est le rapport du nombre de détachés par rapport à l’effectif utilisé par l’entreprise ou par l’établissement concerné.
II. DES AMÉLIORATIONS, COMPLÉMENTS ET AJOUTS INDISPENSABLES, SUR UNE BASE PRAGMATIQUE ET RÉALISTE, À LA DIRECTIVE DE 1996
A. Une volonté politique commune de la Commission européenne et du Parlement européen qui rejoint, sur le principe, les préoccupations de la Confédération européenne des syndicats
1. L’absence de nécessité d’une nouvelle révision au règlement de coordination de la sécurité sociale, entré en vigueur en mai 2010
La révision et la mise à jour du règlement de coordination des régimes de sécurité sociale a fait que, comme on l’a vu, les carences en la matière ont été comblées dans le cadre du nouveau règlement (CE) n° 883/2004 et de ses différents textes d’application qui sont ensuite intervenus jusqu’à son entrée en vigueur le 1er mai dernier.
Paradoxalement, cette révision et cette amélioration des règles applicables en matière de sécurité sociale font ressortir la nécessité de procéder à une démarche semblable pour le droit du travail, avec un nécessaire toilettage de la directive 96/71/CE.
Sur le fond, les dispositions du nouveau règlement de sécurité sociale sont considérées comme satisfaisantes. La question d’un nouvel aménagement ne se pose donc pas en l’état, pour elle.
En tout état de cause, ce serait s’engager dans une démarche de long terme car, en la matière, l’unanimité du Conseil continue d’être exigée par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Le traité de Lisbonne n’a apporté aucun changement par rapport au traité de Rome sur ce point.
A l’opposé, pour le détachement des travailleurs, c’est la majorité qualifiée qui prévaut pour les décisions au Conseil.
2. La résolution de 2008 du Parlement européen en faveur d’une révision partielle de la directive de 1996
Le parlement européen s’est prononcé en plusieurs occasions sur la directive 96/71/CE relative au détachement des travailleurs, dans les années récentes.
Sa demande pour une modification a été le fruit d’une démarche progressive, puisqu’elle n’est intervenue qu’à l’occasion du vote de sa troisième résolution.
Une première résolution (TA (2006) 463) a, en effet, été adoptée le 26 octobre 2006, sur le rapport de Mme Elisabeth Schroedter (PPE, Allemagne), à l’occasion de la deuxième communication de la Commission européenne de 2006 sur l’application de la directive, intitulée, comme on l’a vu « Orientations concernant le détachement des travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services ».
Cette résolution n’a pas demandé de révision du texte de 1996. Elle a essentiellement mis l’accent sur l’impératif de respecter les critères de distinction des travailleurs salariés et des indépendants, ce qui implique notamment le respect des principes définis par la Cour de justice en la matière sur la nécessité et l’exigence d’un contrôle efficace, notamment grâce à des sanctions effectives en cas d’infraction et à un renforcement des bureaux de liaison.
Néanmoins, elle a mis en évidence la lacune sur la sous-traitance et a clairement invité la Commission européenne à prévoir un cadre législatif européen prévoyant la « responsabilité conjointe et solidaire » de l’entreprise générale ou principale et de ses sous-traitants.
La deuxième résolution est ultérieurement intervenue, le 11 juillet 2007, à l’occasion de la troisième communication de la Commission européenne sur la mise en œuvre de la directive et à la suite d’une question orale de M. Jan Andersson (PSE, Suède). Le texte adopté (T6-0340/2007) porte essentiellement sur la question du représentant mandaté dans le pays d’accueil et de l’obligation de conserver certains documents pour assurer et vérifier la mise en œuvre de la directive.
Dans cette résolution, le Parlement européen reproche à la Commission européenne d’aller au-delà des prescriptions de la Cour et lui demande de tenir compte de la diversité des modèles sociaux dans l’Union européenne.
Il déplore également, comme dans la résolution précédente, l’insuffisance de la coopération et des échanges d’informations entre les Etats membres, et soutient enfin la position de la Commission sur la légitimité, pour les Etats membres d’accueil, d’exiger une déclaration préalable de la part du prestataire de services.
La troisième résolution, qui a évoqué de manière claire la question de la révision de la directive de 1996, a été adoptée le 22 octobre 2008 à la suite des arrêts précités de la Cour de justice Laval et Rüffert. Elle ne porte pas uniquement sur la question du détachement, mais plus généralement, et comme son intitulé l’a clairement signifié, sur « les défis pour les conventions collectives dans l’Union européenne » (TA (2008)0513). Elle a été adoptée sur le rapport de M. Jan Andersson (PSE, Suède), au nom de la commission de l’emploi et des affaires sociales, saisie au fond, à une très large majorité de 474 voix.
Cette résolution aborde donc la question du détachement sous l’angle des conventions collectives.
Dans le corps de son texte, après avoir demandé à tous les Etats membres d’appliquer la directive de 1996, le Parlement européen constate d’abord que les lacunes et incohérences de la législation communautaire donnent lieu à des interprétations de la directive de 1996, qui ne correspondent pas au souci d’équilibre entre la libre prestation de services et la protection des travailleurs qui a présidé à son adoption.
Il demande en conséquence à la Commission européenne de prévoir les initiatives législatives qui contribueraient à prévenir tout conflit d’interprétation à l’avenir.
Il évoque ensuite et clairement un réaménagement du texte de 1996, car il estime que la révision annoncée par la Commission européenne « n’exclut pas une révision partielle de la directive sur le détachement ».
Il ne s’agit pas, néanmoins, d’une demande ferme car le texte de la résolution assortit néanmoins cette demande de plusieurs éléments susceptibles d’en réduire la portée :
– d’une part, la révision doit avoir pour préalable une analyse des défis auxquels est confrontée la négociation collective au niveau national ;
– d’autre part, si elle est jugée utile, la révision doit notamment porter sur les questions telles que les conditions de travail, le taux de rémunération, l’égalité de traitement entre les travailleurs dans le contexte de la libre prestation de services, le respect des différents modèles de travail et la durée du détachement.
Enfin, sur un point précis, le Parlement européen demande tant à la Commission européenne qu’aux Etats membres de lutter contre les abus, notamment contre les sociétés « boîtes aux lettres ».
3. L’inscription d’une proposition de directive au programme de travail de la Commission européenne pour l’année 2011
La révision de la directive de 1996 sur le détachement des travailleurs est inscrite à l’agenda de la Commission européenne.
La Communication de la Commission sur son programme de travail pour l’année 2011 mentionne, en effet, au point 2.5 sur « une croissance inclusive », qu’« en étroite coopération avec les partenaires sociaux, la Commission présentera une proposition législative visant à améliorer la mise en œuvre de la directive relative au détachement des travailleurs ».
Cinq objectifs sont annoncés.
L’un est d’ordre général : il s’agit d’améliorer la mise en œuvre et l’application de la directive 96/71/CE.
Les quatre autres sont plus spécifiques, en dépit de leur importance :
– assurer le respect effectif des droits des travailleurs détachés et clarifier les obligations des autorités nationales et des entreprises ;
– améliorer la coopération entre les autorités nationales, ainsi que la fourniture d’informations aux entreprises et aux travailleurs ;
– garantir l’application effective des dispositions par des sanctions et des mesures correctives ;
– et prévenir les possibilités d’abus et de contournement des dispositions applicables.
Sur le calendrier, c’est le dernier trimestre 2011 qui est annoncé.
Cette inscription a été précédée d’annonces politiques claires.
Tel a d’abord été le cas de la part du Président de la Commission, M. José Manuel Barroso, qui, le 15 septembre 2009, est convenu devant le Parlement européen de ce que l’interprétation et la mise en œuvre de la directive ne répond pas aux attentes et a évoqué un règlement visant à résoudre les problèmes qui sont apparus, rappelant également son engagement à lutter contre le dumping social en Europe.
Ensuite, dans des termes moins précis, une telle hypothèse a été relayée par le commissaire à l’emploi, aux affaires sociales et à l’inclusion, M. László Andor, notamment lors de son audition comme commissaire désigné à l’emploi et aux affaires sociales, le 14 janvier 2010, puis en mars suivant lors de la conférence qui s’est tenue à Oviedo.
Sur le site Internet de la Commission européenne, la page du commissaire Andor pour la présentation de son mandat mentionne textuellement la directive de 1996 dans les termes suivants : « revoir l’interprétation et la mise en œuvre de la directive sur le détachement de travailleurs et prendre des mesures supplémentaires si nécessaire ».
En tout état de cause, au niveau opérationnel, un groupe de travail a été constitué sur les modalités d’amélioration du dispositif de la directive de 1996. En effet, le 9 juin 2008, le Conseil a invité la Commission à institutionnaliser le groupe informel sur le détachement de travailleurs en créant un comité d’experts.
Pour ce qui concerne les partenaires sociaux, la révision de la directive fait l’objet d’une situation asymétrique. Seule la Confédération européenne des syndicats, qui représente les salariés, est demandeur d’une révision de la directive de 1996, et même d’une révision du traité, de manière à rééquilibrer la portée des dispositions sur la libre prestation de services.
Sur le fond, la CES rappelle son objectif d’un marché intérieur équitable fondé sur la combinaison des frontières ouvertes et d’une protection adéquate pour les travailleurs.
Elle considère que les conditions essentielles, les « règles du jeu », pour parvenir à cet objectif sont :
– le traitement égal des travailleurs locaux et des travailleurs migrants, évitant toute concurrence déloyale sur les salaires et les conditions de travail ;
– le respect de négociations collectives nationales et du système de relations industrielles ;
– un accès égal de tous les travailleurs aux prestations sociales ;
– des instruments et outils adéquats de surveillance et de mise en œuvre des normes du travail.
Elle a adopté en ce sens une résolution les 9 et 10 mars 2010.
Cette résolution s’inscrit dans la continuité des prises de position de la confédération depuis 2005.
Elle a notamment pour objectif de revenir sur l’interprétation des textes telle qu’elle résulte des arrêts précités de la Cour de justice, Laval, Viking, Rüffert et Luxembourg.
Sur le fond, la CES estime que la révision qu’elle appelle pour la directive de 1996 sur le détachement des travailleurs doit avoir deux objectifs essentiels :
– garantir que les mêmes règles s’appliquent aux employeurs de travailleurs détachés et aux entreprises du pays d’accueil, sur les questions essentielles qui conditionnent les avantages concurrentiels et la protection des travailleurs : travail et protection sociale ;
– garantir que cette situation n’est pas détournée de son objectif, et uniquement destinée à éluder l’application des règles du pays d’accueil.
Elle estime que la révision de la directive doit reposer sur quatre éléments :
– une base juridique plus large, prenant en compte non seulement les dispositions du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne relatif à la libre prestation de services, mais également celles relatives à la politique sociale de l’Union européenne ;
– une reconnaissance du droit fondamental aux négociations collectives et à l’action collective ;
– une clarification du champ de la directive, de manière à ce qu’elle ne vise que les prestations de services réellement transnationales et évite le recours aux sociétés écrans ;
– le rétablissement du caractère minimum des normes du « noyau dur », de telle sorte que des normes légales ou conventionnelles effectivement appliquées puissent également être opposables ;
– la reconnaissance du rôle de la négociation collective, notamment avec l’opposabilité des conventions collectives appliquées par une majorité d’entreprises locales ;
– l’insertion d’une clause sociale dans les marchés publics, de manière à donner à l’adjudicateur la capacité d’exiger le respect de certaines normes par les entreprises locales ou étrangères soumissionnant aux appels d’offres ;
– l’inclusion des objectifs sociaux et de la protection des travailleurs dans les dispositions d’ordre public ;
– des mécanismes efficaces de surveillance et de contrôle par les Etats membres.
Le rapport d’experts du 31 mai 2010 détaille, sur le plan technique, ces propositions et indique cependant que ces propositions rencontrent deux limites :
– d’abord, une simple révision de la directive de 1996 sur le détachement des travailleurs ne peut modifier l’approche de la Cour de justice vis-à-vis de la libre prestation de services, ce qu’il estime constituer le fond du problème ;
– ensuite, la question de la capacité des syndicats à mener une action collective n’est pas abordée. Elle dépasse clairement l’objet du présent rapport.
Depuis l’arrêt Rüffert de 2008 précité relatif aux salaires appliqués par un sous-traitant d’adjudicataire de marché public établi dans un autre Etat membre que la collectivité adjudicateur, la CES insiste sur la nécessité de respecter la convention 94 de l’OIT concernant les clauses de travail dans les contrats passés par une autorité publique, c’est-à-dire sur les marchés publics.
Celle-ci dispose en effet, dans son article 2, que « les contrats auxquels la présente convention s’applique contiendront des clauses garantissant aux travailleurs intéressés des salaires (y compris les allocations), une durée du travail et d’autres conditions de travail qui ne soient pas moins favorables que les conditions établies pour un travail de même nature dans la profession ou l’industrie intéressée de la même région ».
Les règles correspondantes sont déterminées soit par convention collective, soit par sentence arbitrale, soit par la législation nationale.
C’est en des termes moins précis la mise en œuvre du même principe d’application des dispositions du pays d’accueil en matière de salaires, de temps de travail et de conditions de travail, prévu par la directive 96/71/CE.
Pour sa part, le Sénat français a déjà pris position sur la question du détachement des travailleurs, dans le cadre de l’examen de la proposition de résolution européenne n° 66 (2009-2010) de M. Richard Yung, sénateur, portant sur le respect du droit à l’action collective et des droits syndicaux en Europe dans le cadre du détachement des travailleurs.
Ainsi que l’a rappelé le rapporteur de la Commission des affaires européennes, M. Denis Badré, lors des explications de vote, il y a eu sur ce texte non pas tant un désaccord de fond sur les inquiétudes qu’une question de stratégie sur la manière d’aborder la question du réexamen des dispositions de la directive 96/71/CE.
B. Une révision indispensable, importante et significative mais concrète, pratique et donc d’ampleur assez limitée du dispositif de 1996
1. Le maintien en l’état du « socle minimal » ou « noyau dur », mais l’ajout d’une obligation de logement décent
Comme l’ont indiqué les services de la Commission européenne à la rapporteure, la modification du régime fixé par la directive 96/71/CE ne devrait pas affecter le « noyau dur » des éléments de droit du pays d’accueil qu’il appartient à l’entreprise prestataire de respecter impérativement.
Cette position ne peut être interprétée comme de l’immobilisme mais, au contraire, se fonde sur plusieurs éléments.
D’une part, la directive de 1996 a déjà neutralisé les éléments sur lesquels se fonde l’essentiel de la concurrence : le niveau des salaires, le temps de travail et les conditions de travail.
D’autre part, plusieurs des dispositions telles qu’elles sont proposées par la Confédération européenne des syndicats pour améliorer le fonctionnement du dispositif rencontrent des limites juridiques qu’il n’apparaît pas envisageable de surmonter aisément.
Tel est notamment le cas de celle visant à remplacer l’obligation de respecter le salaire minimum par l’obligation de respecter le niveau des salaires effectif, en se fondant par exemple sur les conventions collectives respectées par la moitié des entreprises.
Une telle proposition apparaît contradictoire avec le principe de non-discrimination, car il paraît clairement inenvisageable, sur le plan du droit, d’imposer aux entreprises étrangères de respecter des niveaux de salaires qu’une partie, même minoritaire, des entreprises locales ne respecte pas.
Comme l’a confirmé à la rapporteure un grand nombre de ses interlocuteurs, notamment ceux des services de contrôle du respect de la législation sociale, qu’il s’agisse de la législation du travail ou de celle de la sécurité sociale, les conditions de logement des travailleurs détachés sont un marqueur important de la régularité de leurs conditions d’emploi.
Dans les cas de fraude les plus avérés, l’atteinte à la dignité humaine est caractérisée non seulement par l’absence de déclaration et le très faible niveau de la rémunération versée, mais également par les conditions inadmissibles du logement des personnes concernées, lorsque l’employeur s’en charge directement ou indirectement. Les espaces concernés sont surpeuplés et insalubres.
Néanmoins et malheureusement, même dans les cas d’irrégularité moindre, le niveau constaté du logement des personnels étrangers détachés n’est pas non plus toujours satisfaisant.
Normalement, une telle obligation devrait pouvoir être prévue au niveau des Etats membres.
Néanmoins, par souci d’uniformité et également de sécurité juridique, pour éviter que des contentieux aussi sordides qu’inutiles ne se nouent, convient-il de prévoir au niveau de l’ensemble de l’Union européenne, dans le cadre du futur texte une obligation de logement salubre et décent des travailleurs détachés.
Cette obligation incomberait naturellement à leur employeur ou à la personne qui s’en charge.
Lors de ses entretiens, notamment dans les services de la Commission européenne, la rapporteure a constaté avec satisfaction que l’hypothèse de cette nouvelle obligation faisait l’objet d’un accueil favorable.
Il va de soi que celle-ci ne doit se traduire par aucune imputation financière d’aucune sorte sur le salaire minimum qui doit être versé au salarié concerné.
Comme toutes les autres obligations du même type prévues par la directive, cette nouvelle obligation ferait l’objet de sanctions dont le principe serait prévu par elle et la teneur définie par les Etats membres.
a) L’adjonction d’une clause de solidarité semblable à celle de la directive de 2009 sur la responsabilité des employeurs de travailleurs irréguliers originaires des pays tiers
La directive 2009/52/CE prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l’encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, a eu pour objectif d’harmoniser au niveau européen les sanctions en cas de recours à des clandestins.
Pour éviter les abus du recours à la sous-traitance, elle a prévu une clause de solidarité de manière à rendre l’entrepreneur donneur d’ordre et les éventuels sous-traitants en cascade solidairement responsables des sommes dues par l’employeur, s’ils avaient connaissance de l’irrégularité. Cette solidarité concerne notamment le paiement des salaires dus, mais aussi les sanctions financières et les cotisations sociales exigibles.
L’objectif est de responsabiliser le cocontractant et de faire échec aux stratégies de fraude organisée.
Sur le fond, ce texte a également un objectif social important, car il permet aux salariés concernés de percevoir les sommes qui leur sont dues dans le pays d’exécution de la prestation, et de manière assez sûre.
Les règles relatives au détachement des travailleurs relèvent de la même logique. Lorsqu’elles ne sont pas respectées, le travail est illégal. Une telle clause de solidarité peut donc parfaitement être prévue en cas de non respect de ces règles.
Cette hypothèse d’une adjonction d’une telle clause à l’occasion de la révision de la directive de 1996 apparaît d’ailleurs, en l’état, envisagée par les services de la Commission européenne.
L’hypothèse de l’introduction d’une clause de solidarité entre le donneur d’ordre et son cocontractant prestataire de services établi dans un autre Etat membre exige en contrepartie que celui-ci puisse disposer, s’il le souhaite, de certains éléments, tels qu’une copie du document A 1 (le E 101 pendant la période transitoire précédant son remplacement définitif), de manière à se garantir contre un éventuel paiement des cotisations sociales en France, copie de la déclaration de détachement aux services territoriaux de l’emploi et, dans une logique de prévention des accidents du travail, une traduction des documents attestant des qualifications des personnels lorsque de telles qualifications sont exigées.
Sur le fond, un tel droit à l’information n’apparaît pas contraire au principe de la libre prestation de services, mais plutôt comme un élément de nature à renforcer la sécurité juridique des offres transfrontalières de prestation de services.
3. L’ajout d’un critère social annoncé par le commissaire au Marché intérieur, dans le cadre de la révision des règles de marché public
Comme l’a relevé la CES, notamment après l’arrêt Rüffert, les marchés publics sont l’un des points névralgiques de la bonne application de la directive sur le détachement des travailleurs.
Même sans verser dans la surinterprétation de cet arrêt, il est choquant que, sur le plan juridique, une collectivité publique soit contrainte, pour ses propres marchés de travaux, de cautionner des pratiques de moins-disant social.
Il convient donc de donner une suite favorable à la demande de la CES d’une clause sociale dans les marchés publics.
C’est d’ailleurs ce qui est envisagé au niveau européen.
En effet, lors de son audition par notre commission des affaires européennes le 1er décembre dernier, le commissaire au marché intérieur et aux services, M. Michel Barnier, a rappelé son intérêt pour une révision de la directive « marchés publics » qui permettrait notamment de donner aux donneurs d’ordre, aux adjudicateurs publics, la faculté d’introduire le critère de l’inclusion sociale dans la liste des éléments permettant de comparer les différentes offres et de choisir l’une d’entre elles. La recherche et la qualité environnementale pourraient également être prises en considération.
Sur le plan formel, une telle initiative ne relève pas du futur texte sur le détachement des travailleurs, mais au contraire de la législation européenne sur les marchés publics, actuellement en cours de révision.
Cette hypothèse est d’ailleurs mentionnée dans le cadre du Livre vert sur la modernisation des marchés publics, qui vient d’être publié le 27 janvier 2011, avec une référence à des critères sociaux dans l’attribution des marchés publics.
4. Une coopération entre les Etats membres en plein développement et à renforcer de manière continue, notamment par l’interconnexion du registre des sociétés
Comme la Commission européenne l’a déjà souligné dans le cadre de ses communications précitées et comme l’ont indiqué à la rapporteure l’ensemble de ses interlocuteurs, la directive de 1996 n’est pas actuellement correctement appliquée par les personnes animées d’intentions frauduleuses, faute d’une circulation suffisamment fluide de l’information entre les services de contrôle des Etats membres. L’hypothèse de la sanction est donc perçue comme théorique.
Cette exigence d’une circulation rapide et fiable de l’information est clairement l’une des conditions nécessaires au bon fonctionnement du marché intérieur. Le décloisonnement sur lequel repose sa construction ne doit pas être opéré du point de vue des entreprises ou des consommateurs, voire des salariés, mais également du point de vue des Etats membres. Ceux-ci doivent pouvoir exercer leurs missions de contrôle sans se heurter aux frontières.
Des procédures fiables, rapides et aisément accessibles d’échanges d’informations entre administrations des Etats membres sont donc indispensables.
C’est d’ailleurs le raisonnement de la Cour de justice lorsqu’elle sanctionne les velléités des Etats membres de développer les obligations documentaires des entreprises étrangères prestataires. Comme on l’a vu notamment à propos de l’arrêt Luxembourg, son objectif est d’éviter les doublons.
Dans cette optique, on peut saluer le développement par la Commission européenne du système d’information sur le marché intérieur, ou système IMI (Internal Market Information), qui permet aux autorités nationales, régionales et locales de communiquer facilement et rapidement avec les autorités d’autres pays, notamment en permettant de trouver l’autorité compétente qu’ils souhaitent contacter dans un autre pays et de communiquer avec celle-ci grâce à des séries de questions et de réponses prétraduites.
Le dispositif s’applique actuellement dans deux domaines : celui de la directive 2005/36/CE sur les qualifications professionnelles et celui de la directive 2006/123/CE sur les services.
Selon les statistiques de la Commission européenne, IMI a donné lieu à 5 737 consultations en 2010, dont 287 de la part de la France. Notre pays se situe derrière l’Allemagne (1 791), l’Espagne (842), les Pays-Bas (544), la Pologne (456), le Royaume-Uni (430) et aussi la République tchèque (291).
Il faut donc saluer le projet visant à étendre l’utilisation d’IMI au fonctionnement des bureaux de liaison, avec, selon le souhait de la Commission européenne, le développement d’une application informatique spécifique au détachement.
Par ailleurs, il faut mentionner trois autres projets de nature à améliorer la coopération entre Etats membres, même s’ils ne concernent en l’état que certain d’entre eux.
Il y a d’abord la démarche ICENUW, financée par la Commission européenne, portée par la France et qui concerne 12 Etats membres. Il s’agit tant du point de vue du droit du travail que de celui de la sécurité sociale, d’harmoniser les procédures de contrôle selon trois axes :
– la comparaison des législations et des procédures de contrôle pour parvenir à des normes communes, notamment sur les pièces demandées, ce projet étant porté par la Belgique ;
– la mise en place d’un réseau social des personnes chargées du contrôle au titre du droit du travail comme du droit de la sécurité sociale, pour développer les échanges informels destinés à mieux préparer les demandes passant par les bureaux de liaison, ce projet étant porté par l’Espagne ;
– les modalités permettant, dans l’optique de lutte contre le travail illégal, de rendre le travail légal plus attractif, projet porté par l’Italie.
Une réunion est prévue en février 2011.
Par ailleurs, l’Espagne porte le projet CYBELES, réunissant les chefs des services de contrôle du travail, sur les suites des contrôles des prestations de services transnationales. La santé et la sécurité au travail en représentent le volet le plus important. La démarche est en cours avec des visites mutuelles.
Enfin, s’agissant de la formation des hommes, il faut rappeler l’action de formation internationale en cours sur les questions de détachement, qui a été mis en place sous l’impulsion de la Présidence française de l’Union européenne en 2008 et a donné lieu ensuite à financement de la Commission européenne. C’est l’action « Formation commune des inspecteurs du travail et agents impliqués dans le contrôle de l’effectivité du droit communautaire relatif à la protection des travailleurs détachés », concernant cinq Etats membres : la Belgique, l’Espagne, la France, le Luxembourg, la Pologne et le Portugal. C’est en association avec l’Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, pour la France.
Trois modules sont prévus. Le premier module prévu pour mars prochain vise, en collaboration avec l’Institut du travail de Strasbourg, à développer une culture commune. Le deuxième module prévoit une « immersion » des participants pendant une période de quatre jours, au sein de l’administration du travail étrangère avec laquelle ils auront à collaborer, avant d’en tirer les enseignements sur le plan de la méthode dans le cadre d’un troisième module, ultérieur.
Une telle initiative permet en effet non seulement de donner aux personnels concernés les compétences techniques et de terrain indispensables, mais également de nouer le contact avec leurs interlocuteurs étrangers.
Néanmoins, il s’agit là que d’étapes et des développements autres sont donc nécessaires pour parvenir à la fluidité souhaitée dans l’accès aux informations.
A cet égard, la perspective la plus intéressante est celle d’une interconnexion des registres du commerce des vingt-sept Etats membres.
C’est une démarche appuyée par le Parlement européen, qui a adopté en ce sens le 6 septembre dernier le rapport d’initiative de M. Kurt Lechner (PPE, Allemagne).
C’est, en tout état de cause, une nécessité pour la bonne application de la directive 2009/101/CE relative aux garanties exigées des sociétés dans les Etats membres, dont l’objectif est de protéger les intérêts tant des associés que des tiers, notamment et surtout en cas de procédures transfrontalières, fusions, transferts de siège, délocalisations ou procédures d’insolvabilité.
Pour le détachement des travailleurs, une telle interconnexion permettrait de combattre rapidement les fraudes les plus grossières reposant sur des documents établis au nom de sociétés qui n’existent même pas.
5. Une clarification et une amélioration de la coordination de la directive détachement des travailleurs et du règlement de coordination des systèmes de sécurité sociale, pour donner davantage de cohérence à la lutte contre les abus : sociétés fictives, embauches en vue du seul détachement et recours abusif au statut d’indépendant
Comme on l’a vu, l’entrée en vigueur du nouveau règlement de coordination des régimes de sécurité sociale a nettement amélioré la situation avec plusieurs exigences :
– la nécessité d’une affiliation préalable d’un mois au régime de sécurité sociale du pays d’origine pour éviter les embauches directes dans le pays de détachement ;
– la lutte contre les sociétés écrans avec l’obligation d’une activité réelle dans les Etats membres ;
– la nécessité de respecter un délai de deux mois entre deux détachements d’un même salarié dans la même entreprise ;
– le maintien d’un lien organique entre l’entreprise de détachement et le salarié détaché ;
– enfin, différentes dispositions destinées à éviter les recours abusifs au statut d’indépendant.
Ces exigences s’imposant en droit de la sécurité sociale, il convient de les insérer dans le droit du travail européen.
Sur le plan juridique, on pourra objecter que cela n’apporte rien et que l’on introduit même au contraire une redondance.
Cet argument n’est cependant pas recevable. En effet, les deux corps de règles sont indépendants et il faut donc, ne serait-ce que par souci de clarté, les rendre cohérents.
6. La nécessité de répondre au besoin d’information légitime des entreprises sur les règles qui s’imposent à elles comme des salariés sur les droits
En matière d’information, l’Institut du travail de Strasbourg a réalisé une étude comparative des différents systèmes d’information par Internet en place dans quelques Etats membres : l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, la France, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suède. Intitulée « L’information délivrée en matière de détachement des travailleurs », l’étude recense d’abord la nature des informations à communiquer aux différents publics concernés, notamment les entreprises temporairement prestataires sur le territoire national, les destinataires de ces prestations, qui doivent connaître le cadre dans lequel interviennent leurs cocontractants, et les travailleurs étrangers. Elle mentionne également les cas inverses des entreprises établies qui vont délivrer des prestations de services à l’étranger et des salariés détachés dans ce cadre là hors de leur pays de résidence.
Le constat, confirmé de vive voix à la rapporteure, est celui de l’insuffisance de la situation actuelle, dans presque tous les pays.
Sans reprendre le contenu du rapport, des insuffisances sont observées et portent :
– d’une part, sur l’accessibilité aux sites pertinents établis par les administrations publiques. La faculté de les trouver par les moteurs de recherche Internet est variable et le plus souvent partielle. Pour la France, le site du ministère de l’emploi est aisément accessible, mais il ne présente que l’aspect droit du travail. Pour le droit de la sécurité sociale, le site du CLEISS est plus difficile à trouver ;
– d’autre part, sur l’insuffisance du recours à la formule la plus efficace sur le fond qui est celle du guichet unique du site unique d’accès à l’information. Sa logique n’a été mise en œuvre qu’en Belgique, mais surtout au Luxembourg où, pour les entreprises étrangères, le détachement est présenté dans ses grands principes, mais aussi sous l’angle de ses contraintes, tant en droit du travail qu’en droit de la sécurité sociale. En Allemagne, le guichet « unique » a un intérêt réduit, car il ne cible que les entreprises étrangères et ne mentionne que les contraintes légales, hors droit conventionnel. Il faut donc aller sur le site de l’administration des douanes, jugé « incontournable » ;
– mais également sur l’insuffisance de l’attention accordée à la question linguistique. Ainsi, la traduction en langues étrangères des informations générales est inégalement développée. L’effort de la Suède est tout à fait remarquable, car l’administration suédoise du travail propose une traduction de la rubrique « travailler en Suède » en douze langues, dont sept de l’Union européenne : anglais, allemand, espagnol, polonais, lituanien, estonien et letton.
Ce constat rejoint la Commission européenne et il y a certainement, en la matière, des dispositions d’application des principes existants à prévoir dans le futur texte issu de la révision de la directive 96/71/CE.
7. La possibilité d’évoquer, selon les attentes des Etats membres, la question de l’action syndicale et des droits syndicaux
Sur la question de l’affirmation du droit à l’action collective et, plus largement, des droits syndicaux, les termes du débat ne sont guère changés depuis la discussion qui a eu lieu au Sénat en décembre 2009.
Même s’il faut rester vigilant, la question se pose de manière différente pour la France et pour les pays nordiques, en raison du rôle de la convention collective étendue dans notre pays.
Néanmoins, la demande de la Confédération européenne des syndicats pour l’introduction d’une clause équivalente à la clause dite Monti, indiquant que la directive ne peut être interprétée comme affectant d’une quelconque manière le droit des syndicats à négocier, conclure et appliquer des conventions collectives, ne peut non plus être ignorée.
Cependant, lui apporter une réponse satisfaisante mériterait d’évidence un meilleur vecteur législatif, à savoir un texte spécifique permettant de l’aborder de manière complète et efficace. Plusieurs éléments plaident en ce sens.
D’une part, il faut tenir pleinement compte des éléments nouveaux des apports du traité de Lisbonne en matière sociale, notamment sur la valeur de la Charte des droits fondamentaux. Les arrêts précités de la Cour de justice qui sont en cause leur sont antérieurs.
D’autre part, il convient de tenir compte de la diversité de la place de la négociation collective et de l’action collective, et également de la norme conventionnelle, dans les modèles sociaux des différents Etats membres. Le texte devrait en effet uniquement porter sur la question de modalités de leur mise en œuvre dans le contexte transfrontalier. C’est une question sensible. Sa solution doit reposer sur des instruments juridiques fiables, complets parfaitement sécurisés.
En effet, il faut rappeler que, sur le plan du droit, une telle démarche doit être prudente. D’une part, l’article 153 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit le maintien de l’unanimité du Conseil, pour ce qui concerne la négociation collective. D’autre part, le dernier alinéa de ce même article exclut de son champ d’application le droit de grève comme le droit au lock out.
Enfin, une intervention directe dans le texte de la directive de 1996 ou ses textes d’application ne serait efficace que si les Etats mis en cause par la jurisprudence de la Cour de justice, ou au moins certains d’entre eux, expriment une demande de révision, ce qui n’a pas été le cas, semble-t-il, à ce stade.
Comme souvent dans le domaine de la lutte contre les fraudes, et plus généralement les pratiques illégales, on constate en matière de détachement des travailleurs entre Etats membres de l’Union européenne une asymétrie entre la vision assez segmentée des organismes de contrôle et l’approche au contraire intégrée qu’en ont les organisateurs de fraudes ou les entreprises qui espèrent sciemment tirer des bénéfices de pratiques d’optimisation ou bien de pratiques illégales.
Ces dernières années, la France a beaucoup évolué en la matière pour avancer vers un décloisonnement et une lutte globale contre la fraude.
Sur le plan institutionnel, deux instances ont été mises en place par le décret n° 2008-371 du 18 avril 2008, dans l’optique essentielle, et large, de la fraude aux finances publiques, impôts et cotisations sociales :
– d’une part, la délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF), placée, par délégation du Premier ministre, auprès du ministre du budget et qui s’est substituée, avec un champ plus large, à la Délégation interministérielle à la lutte contre le travail illégal (DILTI), elle-même créée par le décret n° 97-213 du 11 mars 1997. Cette délégation a notamment pour mission de coordonner les actions menées en matière de lutte contre la fraude par les services de l’Etat et les organismes intervenant dans le champ de la protection sociale, ainsi que d’améliorer la connaissance des fraudes et de favoriser le développement des échanges d’informations, l’interopérabilité et l’interconnexion des fichiers dans les conditions prévues par la loi « informatiques et libertés » du 6 janvier 1978 ;
– d’autre part, un comité national de lutte contre la fraude, présidé par le Premier ministre, qui est chargé d’orchestrer la politique du Gouvernement en la matière et dénommé Commission nationale de lutte contre le travail illégal, lorsqu’il se réunit sur ces questions. Il s’est en effet substitué à la commission également créée en 1997.
Sur le plan local, le décret précité de 2008 a remplacé les COLTI, également créés en 1997, par les comités de lutte contre la fraude chargés de définir les procédures et actions prioritaires à mettre en place pour améliorer la coordination de la lutte contre les fraudes portant atteinte aux finances publiques et contre le travail illégal et veiller notamment aux échanges d’informations entre organismes de protection sociale, d’une part, et entre ces organismes et les services de l’Etat concernés, d’autre part.
Ce dispositif vient encore d’être renforcé par le décret n° 2010-333 du 25 mars 2010, qui a établi la nouvelle appellation de Comité départemental de la lutte anti-fraude (CODAF)
Sur le plan opérationnel, c’est le comité départemental qui s’assure de la transmission entre les services chargés du contrôle, du recouvrement et du service des prestations et allocations, des informations et documents nécessaires à l’accomplissement de leurs missions. C’est également en son sein que s’opère la coordination, autour du procureur de la République, lorsque des suites judiciaires sont nécessaires.
Environ 1 000 opérations conjointes sont programmées chaque année dans ce cadre.
Il existe cependant des opérations conjointes mises en place en dehors de ce cadre, dans la mesure où 2 000 procès verbaux pour travail illégal, d’ordre pénal, ont été dressés en 2008, contre 818 opérations programmées cette même année en comité départemental.
D’un point de vue concret, on rappellera qu’en 2008, 63 000 contrôles ont été effectués par les inspections du travail, fiscale, de sécurité sociale, la mutualité sociale agricole et les douanes (hors contrôles de police et gendarmerie) dans les sept secteurs prioritaires (agriculture, BTP, confection, déménagement, HCR, gardiennage, spectacle) en matière de lutte contre le travail illégal.
Pour ce qui concerne la répartition entre les services, l’inspection du travail en a assuré la moitié des contrôles et les URSSAF un cinquième.
En moyenne, une infraction sur deux aboutit à une lettre d’observation des services plutôt qu’à une procédure pénale ou à une saisie du parquet. Les taux d’infraction les plus élevés sont constatés dans le gardiennage (27 %), les spectacles (20 %) et la confection (19 %), ainsi que les hôtels, cafés et restaurants (16,6 %), la moyenne s’établissant à 13 %.
Sur le plan pénal, près de 9 000 procès verbaux pour travail illégal ont été rédigés en 2008, dont 58 % par la gendarmerie, 22 % par la police, 20 % par l’inspection du travail et 16 % par l’URSSAF.
Une procédure sur quatre, cependant, est issue d’une opération conjointe.
Sur le plan sectoriel, c’est le BTP qui est le plus verbalisé, avec un tiers des infractions constatées.
Dorénavant, le développement d’une approche intégrée de la lutte contre la fraude au détachement est donc davantage une question de pratique et de culture qu’une question purement institutionnelle.
b) L’amélioration de la circulation de l’information, notamment par la transmission informatique, et le renforcement de l’accès partagé aux informations
Une partie essentielle des progrès que l’on peut attendre pour l’avenir en matière de contrôle repose sur la poursuite, en cours d’amélioration, de l’effort de création de bases de données et de circulation de l’information.
En effet, d’une part, une centralisation des détachements est opérée dans le cadre du CLEISS grâce aux applicatifs informatiques SIRDAR et AIDA. SIRDAR (système informatisé de recherche des détachements autorisés et réguliers) est une base de données alimentée par les déclarations A 1 (E 101 jusqu’à l’extinction de la période temporaire actuellement en cours) transmises par les autorités étrangères sous forme dématérialisée ou sur support papier, car les autorités françaises ont demandé à en recevoir copie systématiquement. Cette centralisation ne concerne pas uniquement les détachements, car il y a aussi les cas de pluriactivité sur certains territoires. Ce fichier a vocation, ensuite, à être utilisé par les instances de contrôle, notamment l’inspection du travail, celle de l’URSSAF, ainsi que la police et la gendarmerie.
Par ailleurs, l’informatisation des formulaires « travail » de déclaration de détachement est en cours, avec le projet FRAMIDE.
Au premier chef, il s’agit de pouvoir exploiter les déclarations de détachement, de manière à être en mesure d’opérer les recoupements et les études nécessaires. Actuellement, comme l’a montré à la rapporteure l’exemple de la DIRECCTE d’Alsace, ces opérations sont faites à la main. A l’avenir, il serait donc utile que FRAMIDE, destiné à la transmission des télédéclarations, puisse également servir de base à une telle modernisation.
En l’état, FRAMIDE ne reste qu’un logiciel de dématérialisation des déclarations et ne serait-ce que pour cette seule application, il doit encore être fiabilisé, selon les éléments communiqués. L’hypothèse d’une mise en service cette année s’éloigne.
Pour la suite, selon le ministère chargé de l’immigration, un module statistique est bien prévu et la question de l’exploitation pour son contrôle devra faire, quant à elle, si un tel choix est opéré, l’objet de développements ultérieurs.
Au-delà, il convient de saluer et de poursuivre les décloisonnements de fichiers permettant une approche plus efficace, dans le sens notamment de la création, par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, du Répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS).
Comme l’ensemble de la fraude économique et de la fraude sociale, la fraude au détachement repose sur des procédés juridiques qui exigent une certaine expertise. Il faut notamment déterminer, en cas d’anomalie, si l’entreprise concernée est dans l’erreur matérielle, l’erreur d’application ou la difficulté d’interprétation.
En outre, il faut également être en mesure de saisir si l’on se trouve face à de l’optimisation, tirant partie des failles des règles applicables, ou de la fraude.
Certains procédés sont donc très élaborés. La sophistication peut être redoublée lorsque les secteurs économiques concernés le sont déjà.
Par conséquent, le modèle des inspecteurs et contrôleurs généralistes, pour utile qu’il soit, ne peut être considéré comme universel.
Ainsi peut-on saluer le projet de l’ACOSS de prévoir, pour les inspecteurs d’URSSAF, en parallèle avec la régionalisation des structures, la spécialisation de certains personnels. Dans les unités territoriales des DIRECCTE, il y a aussi une certaine affectation sectorielle, même si des inspections spécialisées ont disparu comme en matière de transport.
Avec le développement du nombre du marché intérieur, le développement des bureaux de liaison déconcentrés tel qu’il est opéré en France est une solution à la fois opportune et impérative.
Comme a pu le constater la rapporteure lors de son déplacement à Strasbourg, le bureau de liaison décentralisé, compétent pour les relations avec l’Allemagne, fonctionne avec des moyens extrêmement réduits, et uniquement à temps fractionné. Un inspecteur prévu pour y consacrer une partie de son temps est assisté de deux collaborateurs.
En l’état, le système peut être considéré comme fonctionnant en raison du nombre assez peu élevé de vérifications (une centaine par an, soit environ une tous les deux jours). Les vérifications demandées, soit par les instances françaises de contrôle vis-à-vis de l’administration allemande, soit par les instances allemandes à la France, sont de nature variable et exigent des délais eux-mêmes très différents les uns des autres.
Il va de soi qu’une telle situation peut être considérée comme convenable dans l’hypothèse d’une stabilité des demandes, mais qu’elle ne serait plus satisfaisante dès lors que les flux s’accroîtraient dans le futur. Les effectifs comme l’organisation devraient alors être adaptés aux besoins.
Par ailleurs, en ce qui concerne les relations avec les administrations étrangères, la rapporteure a pu observer, lors de ses entretiens, du côté de l’administration du travail comme de celle de la sécurité sociale, que la connaissance directe des partenaires étrangers était essentielle.
A cet égard, les programmes de coopération précités dans un cadre européen sont essentiels.
2. Garantir une bonne information des entreprises et des salariés, notamment des prestataires et des salariés étrangers, par une amélioration des éléments disponibles en ligne et des possibilités de télédéclaration
a) Le diagnostic de l’Institut du travail de Strasbourg sur les carences actuelles des sites Internet en Europe, mais aussi en France, notamment sur le droit conventionnel
S’agissant de la France, le rapport précité de l’Institut du travail de Strasbourg sur « L’information délivrée en matière de détachement des travailleurs » souligne que la rubrique détachement du ministère du travail propose des informations disponibles en cinq langues (polonais, portugais, roumain, anglais et allemand), mais regrette que la langue de deux Etats pourtant frontaliers (Espagne et Italie) n’y figure pas.
Pour ce qui concerne l’accès au contenu précis des obligations légales ou conventionnelles, le rapport est assez réservé et pointe l’impossibilité de connaître aisément, en pratique, l’état du droit conventionnel applicable. Or, une telle connaissance est essentielle, car c’est ce droit qui s’applique en cas de détachement des travailleurs.
Sans même mentionner l’absence de traduction, il est notamment observé que le site Légifrance ne présente pas les conventions collectives dans leur texte consolidé, contrairement à ce qui est fait pour les textes législatifs et règlementaires.
Une autre critique de taille concernant notre pays vise l’absence de mise à jour régulière du site du ministère du travail, notamment sur le SMIC, et l’absence de mention des coordonnées précises des services de l’inspection du travail.
b) Moderniser l’architecture Internet en vue sinon d’un site unique, au moins de sites coordonnés, aisément accessibles, le plus plurilingues possible, régulièrement mis à jour, donnant les adresses utiles et présentant de manière synthétique les obligations à respecter, notamment en matière salariale
Lorsque l’on examine le cas de la France, comme l’ont fait les auteurs du rapport précité de l’Institut du travail en suivant sa grille d’analyse, on constate que notre pays doit modifier son approche de manière à offrir une information utile et adaptée, pour l’ensemble des publics visés, à savoir les entreprises prestataires, mais aussi leurs salariés, qu’il s’agisse des entreprises et salariés établis à l’étranger et qui viennent exercer en en France comme de ceux qui vont exécuter une prestation temporaire à l’étranger.
De même, il faut rappeler que les cocontractants établis sur le territoire national des prestataires établis dans d’autres Etats membres ont des obligations et qu’ils ont aussi le droit à une information adaptée, complète, fiable et mise à jour, dans la mesure où, dans certains cas, leur responsabilité peut également être engagée.
Une amélioration de l’information en ligne doit donc intervenir, suivant les grandes orientations qui suivent :
– un site unique permettant d’avoir la totalité de l’information ou bien un site « pilote » donnant les orientations générales renvoyant de manière claire à des sites correspondants, plus détaillés si nécessaire ;
– une traduction des principaux éléments dans le plus grand nombre possible de langues utiles, et au moins dans les langues des principaux Etats membres d’origine des salariés, ce qui n’est actuellement pas le cas pour le site « travail » puisqu’il manque l’italien et le castillan, et sachant que celui du CLEISS pour l’aspect sécurité sociale est en français uniquement ;
– les éléments permettant de remplir, selon le cas, sur document papier ou par télédéclaration, la déclaration de détachement ;
– les coordonnées précises des administrations concernées ;
– des informations complètes, fiables et mises à jour, avec notamment un tableau synthétique des obligations à respecter pour les entreprises et des droits pour les salariés, notamment en matière de salaires, de temps de travail et temps de repos, ainsi que de santé et de sécurité au travail ;
– les coordonnées des services de contrôle compétents ;
– les recours éventuels.
Le rapport précité de l’Institut du travail de Strasbourg observe, à cet effet, que le site de l’administration allemande des douanes, qui est l’administration compétente en matière de détachement, compense l’absence de traduction des conventions collectives, qui ne font l’objet que d’un lien vers leur texte en allemand, par des présentations synthétiques et traduites des principales obligations à respecter sur le territoire allemand en matière sociale.
Actuellement, pour la déclaration de détachement, la France a mis en place un dispositif en ligne, mais celui-ci ne permet que d’accéder à l’imprimé de déclaration de détachement.
Pour l’entreprise étrangère prestataire, il convient donc d’imprimer d’abord ce formulaire, et ensuite, une fois qu’il a été complété, de le renvoyer par la poste à l’administration déconcentrée du travail du lieu d’exécution de la prestation.
Le projet de télédéclaration précité est actuellement en cours, dans le cadre du projet plus vaste appelé « FRAMIDE » (France migration détachement).
Créé par un arrêté du 3 mars 2009, il s’agit d’un traitement automatisé de données nominatives relatif à la gestion des procédures de demandes d’autorisation de travail des étrangers et à la réception des déclarations de détachement des salariés dont l’employeur est établi hors de France. C’est donc un élément relatif à l’ensemble de la main d’œuvre non résidente, notamment celle pouvant provenir des pays tiers et pour laquelle le dispositif de l’autorisation de travail reste en vigueur.
Il fonctionne encore à titre expérimental, notamment en Alsace, comme la rapporteure a pu le constater.
Dès lors que le fonctionnement concret en sera satisfaisant, il convient de le généraliser et surtout d’intégrer son accès dans le cadre du « guichet unique » précédemment mentionné.
d) Engager une réflexion pour trouver des relais d’information de base auprès des organismes professionnels comme des organisations syndicales
En matière de détachement des travailleurs, on doit considérer qu’il n’y a pas de risque à développer des relais d’information de manière à ce que les entreprises étrangères et leurs salariés soient correctement informés.
On peut donc estimer qu’il convient de veiller à ce qu’ils soient dans une situation comparable à celle des entreprises françaises.
Dans cette perspective, il est envisageable de trouver des relais d’information auprès des organismes professionnels, qu’il s’agisse des organismes patronaux, des professionnels ou des chambres consulaires.
Le besoin est particulièrement net pour le secteur du bâtiment et des travaux publics où, comme on l’a vu, les salaires sont régionalisés, dans l’ensemble, voire départementalisés dans certains cas.
3. Adapter le régime de sanction des infractions aux règles sur le détachement à la réalité du terrain
a) Créer un régime de sanctions financières administratives « sur site » pour les infractions aux règles administratives du détachement de manière à bien clarifier le domaine de la sanction pénale
Actuellement, le défaut de déclaration préalable au détachement est sanctionné en France, comme on l’a vu, par l’amende prévue pour les contraventions de quatrième classe, selon l’article R. 1264-1 du code du travail, soit 750 euros maximum comme le prévoit l’article 131-13 code pénal.
Il s’agit d’une sanction certes pénale, mais légère, et qui ne présente en définitive aucun avantage par rapport à une sanction administrative de niveau équivalent.
Aussi, plusieurs interlocuteurs de la rapporteure ont-ils évoqué la possibilité d’infliger en cas d’infraction aux obligations déclaratives, des sanctions administratives pécuniaires.
Telle est d’ailleurs la situation en Allemagne. Selon les informations communiquées par l’Institut du travail de Strasbourg, la loi AEntG prévoit des sanctions administratives pouvant aller jusqu’à 30 000 euros en cas de manquement aux obligations déclaratives.
Il s’agit d’un montant maximum sur lequel la France ne serait pas tenue d’aligner celui qu’elle choisirait d’appliquer.
On rappellera que, d’une manière générale, la sanction administrative présente plusieurs avantages. Elle est immédiatement exécutoire, notamment, et ainsi payable sur site lorsque l’employeur est présent, alors que l’amende forfaitaire contraventionnelle ne l’est que dans un délai de 45 jours. La sanction administrative peut apparaître, en outre, moins « traumatisante » pour celui qui la subit que la sanction pénale. Elle semble également plus facilement acceptée, car moins « répressive ». Elle convient mieux lorsque l’objectif est de réguler des comportements, comme c’est le cas en l’espèce. C’est d’ailleurs la tendance générale actuelle que de prévoir des amendes administratives pour les manquements les moins importants aux règles.
L’intérêt serait également, en la matière, de bien délimiter les domaines respectifs des infractions administratives, avec des sanctions pécuniaires, et celui des infractions pénales, qui relève de la procédure pénale.
Enfin, l’exigibilité immédiate de l’amende fait que la question du manque d’information préalable des administrations du travail sur le détachement ne se poserait plus avec la même acuité. La certitude de la sanction rendrait les prestataires plus vigilants sur la transmission dès qu’ils le peuvent, de la déclaration préalable et non, comme c’est encore souvent le cas, dans des délais trop brefs.
En France comme dans les autres Etats membres, les infractions applicables en cas de fraude aux règles de détachement peuvent faire l’objet de procédures d’infraction pour travail illégal.
Dans notre pays, les infractions correspondantes sont mentionnées à l’article L. 8221-1 du code du travail, qui mentionne notamment le travail dissimulé, avec dissimulation d’activité ou bien d’emploi salarié, le marchandage et le prêt illicite de main d’œuvre.
Le travail dissimulé, qui est défini à l’article L. 8221-5 du code du travail, permet d’incriminer certaines infractions aux règles du « noyau dur » sur détachement, car il vise notamment l’absence de bulletin de paie ou la mention d’un nombre d’heures inférieur à celui réellement fait. Constituent également un tel délit les faux statuts : faux travailleurs indépendants, faux stagiaires, notamment.
L’article L. 8222-2 du code du travail introduit en la matière une solidarité entre le destinataire de la prestation et le prestataire qui encourt des sanctions, sur le plan financier.
L’article L. 8222-4 du code du travail met à sa charge des obligations de contrôle de la régularité de son cocontractant établi à l’étranger : identifiant TVA, régularité de la situation sociale, immatriculation au registre professionnel.
La deuxième incrimination dont peuvent faire l’objet les infractions aux règles de détachement des travailleurs, est celle de prêt illicite de main d’œuvre.
Tel est le cas lorsqu’il y a mise à disposition de main d’œuvre sans avoir fait appel à une entreprise de travail temporaire.
Selon les services de contrôles, les infractions correspondantes sont particulièrement lourdes et correspondent à des peines qui le sont également : trois ans de prison et 45 000 euros d’amende pour le travail dissimulé ; deux ans de prison et 30 000 euros d’amende pour le prêt illicite de main d’œuvre.
La première d’entre elles n’est pas non plus parfaitement adaptée, notamment parce qu’elle ne vise pas explicitement le non-respect du niveau salarial minimum obligatoire. On rappellera que les sanctions pénales applicables en matière de non-respect du SMIC sont des contraventions de 5e classe, avec une amende de 1 500 euros par salarié concerné. En revanche, lorsque le SMIC est respecté, mais pas le minimum conventionnel, il n’y a plus de sanction pénale. Il y a là peut être une lacune à combler.
En outre, pour les entreprises étrangères n’ayant pas d’établissement en France, les difficultés pour recueillir certains éléments nécessaires pour établir l’infraction rend les procédures très longues et très aléatoires.
Dans ce contexte, il apparaît opportun de réfléchir à la définition d’une nouvelle incrimination pénale en cas d’infraction aux règles relatives au détachement des travailleurs, infraction distincte du travail illégal, étroitement lié avant tout au non-respect des obligations de droit interne, dans le respect naturellement du principe de non discrimination.
La Commission s’est réunie le 8 février 2011, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d’information.
L’exposé du rapporteur a été suivi d’un débat.
« M. Jean Gaubert. Je remercie la rapporteure pour son excellent travail sur une question qui se pose en permanence, le statut social des travailleurs. Je souhaiterais savoir si les règles évoquées couvrent bien la situation des travailleurs qui viennent avec leurs entreprises prestataires de services. En effet, la question n’est pas tant celle des salariés extérieurs recrutés individuellement dans notre pays mais celle des salariés qui séjournent pour un temps court, pour le compte d’entreprises dont on dit souvent qu’il est difficile de les poursuivre en cas d’irrégularité. Il y a en quelque sorte un no man’s land juridique pour ces salariés employés sur la base des règles de leur pays d’origine.
Mme Anne Grommerch, rapporteure. Ces entreprises sont tenues de respecter les règles de la directive. Tout le problème est qu’elles ne le font pas. La lutte contre les irrégularités est très difficile, car elle est en partie mise en œuvre sur la base de déclarations initiales et on estime à un tiers seulement le nombre des déclarations effectives. Par ailleurs, les moyens, notamment en termes d’échanges des fichiers, sont limités. Avec certains pays voisins comme l’Allemagne, l’Espagne ou le Luxembourg, les échanges fonctionnent bien. Nous avons ainsi des bureaux de liaison. Par contre, c’est beaucoup plus difficile avec des pays plus éloignés, d’autant que la barrière de la langue est importante. Toutes ces raisons font qu’il est souhaitable que le texte évolue de façon à ce qu’il y ait plus de contraintes tant pour les entreprises extérieures que pour celles qui accueillent les travailleurs concernés. Afin de responsabiliser ces entreprises d’accueil, il est important de mettre en place une sanction administrative financière, qui serait plus efficace qu’une sanction pénale qui n’aboutit pas dans la mesure où au terme d’une procédure longue, les entreprises sont déjà reparties !
M. Philippe Armand Martin. Je remercie également la rapporteure pour son exposé. Je souhaiterais savoir s’il existe une cohérence entre la situation de ces salariés venant temporairement et celle des travailleurs transfrontaliers ! La directive aboutira-t-elle à une simplification ?
Mme Anne Grommerch, rapporteure. La situation des travailleurs transfrontaliers est juridiquement très différente. Ces salariés vivent dans leur pays et traversent la frontière tous les jours pour aller travailler dans un autre pays alors que les autres viennent très temporairement dans un pays tout en restant rattachés à leur pays d’origine.
S’agissant de la simplification des contrôles, le problème est de pouvoir travailler sur des fichiers informatiques communs. Or, dans certains pays, comme en France avec la CNIL, il y a des contraintes. Si on a de bons résultats en Belgique, c’est grâce à un accès plus aisé aux informations. Aujourd’hui tout est encore en France traité sur papier, ce qui représente une charge de travail considérable en termes de contrôle. Par ailleurs, une bonne coopération entre les différents Etats membres est nécessaire. Avec certains pays, cela se passe très bien, il existe par exemple des formations communes afin de voir comment fonctionnent les différents systèmes. Par contre, la coopération est moins aisée avec d’autres.
Un problème tient à ce que les informations présentes en France sur le site du ministère du travail sont souvent incomplètes ou non mises à jour. On ne peut dans ces conditions pas reprocher aux entreprises de ne pas avoir fait les déclarations nécessaires.
M. Régis Juanico. Nous avons effectué un déplacement hier à Bruxelles afin de faire un premier tour d’horizon sur la question de l’Acte pour le marché unique. Il a ressorti du dialogue, que nous avons eu avec la Commission européenne, qu’il faut absolument que les propositions nombreuses et variées qui seront faites montrent que l’Union européenne n’est seulement un ensemble de règles de concurrence mais constitue un moyen pour le citoyen européen d’être protégé. Cette directive est l’une des occasions à valoriser afin de montrer que des mécanismes protecteurs peuvent être mis en place pour se rapprocher des préoccupations quotidiennes des travailleurs sur leurs conditions de vie. »
Sur proposition de la rapporteure, la Commission a ensuite adopté les conclusions dont le texte figure ci-après.
CONCLUSIONS ADOPTEES PAR LA COMMISSION
La Commission des affaires européennes,
Vu l’article 88-4 de la Constitution,
Vu la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services,
Vu le règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale,
Vu la communication de la Commission européenne du 25 juillet 2003 relative à la mise en œuvre de la directive 96/71/CE dans les Etats membres (COM [2003] 458 final),
Vu la communication de la Commission européenne du 4 avril 2006 « Orientations concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services » (COM [2006] 159 final),
Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions « Détachement de travailleurs dans le cadre de la prestation de services : en tirer les avantages et les potentialités maximum tout en garantissant la protection des travailleurs » (COM [2007] 304 final),
Considérant que, selon un constat largement partagé, la directive précitée de 1996 fait l’objet de difficultés d’application qui se traduisent, entre autres, par des insuffisances et fraudes inacceptables pour les Etats membres, car destinées à faire échec à l’application sur leur territoire de dispositions de droit du travail protectrices des salariés, mais aussi garantes d’une concurrence loyale entre les entreprises établies dans un Etat membre et les prestataires extérieurs qui n’y sont pas établis,
Regrettant qu’une partie de ces difficultés, fortement préjudiciables aux salariés concernés issus d’autres Etats membres, comme aux entreprises et salariés domiciliés en France, provienne de l’application très stricte du principe de la libre prestation de services par la Cour de justice des Communautés européennes, devenue depuis Cour de justice de l’Union européenne, en dépit de sa reconnaissance de la pertinence de l’objectif de protection sociale des travailleurs,
Considérant que la Commission européenne a inscrit dans son programme de travail pour l’année 2011 une initiative législative pour améliorer la mise en œuvre des dispositions sur le détachement des travailleurs,
Constatant que la directive de 1996 fait l’objet d’une demande de révision de la part de la Confédération européenne des syndicats (CES),
1. Estime nécessaire d’apporter au dispositif de la directive de 1996 des améliorations, complément et ajouts, dans le respect du modèle social européen et de sa diversité, selon les modalités suivantes :
a) la création d’une obligation de logement salubre et décent du travailleur salarié détaché,
b) l’adjonction d’une clause de solidarité du cocontractant avec l’employeur du travailleur détaché, notamment pour ses obligations en matière de salaires et ses obligations sociales, avec, de manière liée, un droit de ce même contractant à se voir communiquer certains éléments relatifs à la régularité des conditions d’emploi du salarié,
c) un renforcement de la coopération entre les Etats membres pour une plus grande efficacité de leurs procédures d’assistance mutuelle,
d) une amélioration de la coordination entre la directive précitée et le règlement de coordination de 2004, également précité, de manière à donner davantage de force et de cohérence aux dispositions intervenues en application du second pour faire échec à certains cas d’abus et de fraude,
e) une amélioration de l’information délivrée aux salariés détachés, sur leurs droits, et aux entreprises prestataires de services, par l’ensemble des Etats membres ;
2. Juge également opportun d’ajouter d’un critère social dans les règles européennes relatives aux marchés publics, actuellement en cours de révision ;
3. Considère que ces initiatives doivent intervenir sans préjudice d’améliorations du dispositif national en vigueur en France et relatif au détachement des travailleurs, selon trois orientations :
a) la poursuite de la lutte contre les fraudes selon une approche intégrée,
b) l’amélioration des informations, notamment des informations en ligne, à destination des entreprises prestataires établies dans les autres Etats membres et de leurs salariés,
c) une adaptation des sanctions, avec essentiellement une amende administrative pour défaut de déclaration préalable du détachement.
ANNEXE :
PERSONNES ENTENDUES PAR LA RAPPORTEURE
l A Paris
- M. Michel Barnier, commissaire européen chargé du marché intérieur et des services ;
- M. Guillaume Autier, cabinet du ministre du travail, de l’emploi et de la santé ;
- M. Jean Bessière, directeur adjoint, direction général du travail, et Mme Anne Sipp, responsable du pôle travail illégal ;
- M. Richard Brengard, sous-directeur du contrôle, UrsSaf du Bas-Rhin, Centre national des firmes étrangères (CNFE) ;
- M. Benjamin Ferras, directeur de cabinet, secrétaire général du conseil d’administration de l’Acoss, et M. Jean-Marie Guerra, directeur adjoint, DIRRES ;
- M. Jean-Yves Hocquet, directeur du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (CLEISS), et Mme Françoise Roger, directrice des affaires juridiques ;
- Mme Nathalie Nikitenko, Secrétariat général des affaires européennes, chef du secteur TESC ;
- M. Benoît Parlos, délégué national à la lutte contre les fraudes, ainsi que Mme Christine Rigodanzo, directeur du travail, chargée de mission, et M. Eric Massoni, directeur divisionnaire des impôts, chargé de mission ;
- M. Jean-Louis Rey, directeur adjoint, direction de la Sécurité sociale, et M. Jean-Paul Giaccobi, chargé de mission.
l A Metz
- M. Jean-Marie Beugnette, directeur de la CPAM de Moselle ;
- Mme Danièle Giuganti, directrice régionale adjointe, pôle politique du travail, DIRECCTE-Lorraine ;
- M. Jean-Paul Joly, directeur de l’Unité territoriale de la Moselle, et M. Salvatore Di Certo, directeur adjoint, ainsi que l’ensemble de leurs collaborateurs présents à la réunion.
l A Strasbourg
- Mme Fabienne Muller, directrice de l’Institut du travail, et Mme Mélanie Schmitt, maître de conférence à l’université de Strasbourg ;
- Mme Sylvie Siffermann, directrice régionale adjointe, pôle politique du travail, DIRECCTE-Alsace, et M. Philippe Sold, département des synthèses et des projets transversaux.
1 () La composition de cette Commission figure au verso de la présente page.