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No 3443

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 mai 2011.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES(1)

sur
l’Union européenne et le G20 (point d’étape),

ET PRÉSENTÉ

PAR MM. Michel Herbillon, Jérôme Lambert, Christophe Caresche, Bernard Deflesselles et Robert Lecou,

Députés

——

La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Michel Herbillon, Jérôme Lambert, Didier Quentin, Gérard Voisin vice-présidents ; M. Jacques Desallangre, Mme Marietta Karamanli, MM. Francis Vercamer secrétaires ; M. Alfred Almont, Mme Monique Boulestin, MM. Pierre Bourguignon, Yves Bur, Patrice Calméjane, François Calvet, Christophe Caresche, Philippe Cochet, Bernard Deflesselles, Lucien Degauchy, Michel Delebarre, Michel Diefenbacher, Jean Dionis du Séjour, Marc Dolez, Daniel Fasquelle, Pierre Forgues, Mme Marie-Louise Fort, MM. Jean-Claude Fruteau, Jean Gaubert, Hervé Gaymard, Guy Geoffroy, Mmes Annick Girardin, Anne Grommerch, Pascale Gruny, Elisabeth Guigou, Danièle Hoffman-Rispal, MM. Régis Juanico, Marc Laffineur, Robert Lecou, Michel Lefait, Lionnel Luca, Philippe Armand Martin, Jean-Claude Mignon, Jacques Myard, Michel Piron, Mmes Catherine Quéré, Valérie Rosso-Debord, Odile Saugues, MM. André Schneider, Philippe Tourtelier.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

I. LA DÉMARCHE 7

A. QU’EST-CE QUE LE G20 ? 7

B. PROBLÉMATIQUE CHOISIE PAR LA MISSION D’INFORMATION 8

C. MÉTHODOLOGIE 9

1. Jusqu’à aujourd’hui 9

2. D’ici à la remise du rapport 9

II. LES THÉMATIQUES 11

A. LA RÉGULATION FINANCIÈRE 11

1. La lutte contre les juridictions non coopératives 11

2. L’encadrement des marchés et des produits bancaires et financiers 12

3. Une proposition innovante : la taxation des transactions financières 13

B. LA RÉFORME DU SYSTÈME MONÉTAIRE INTERNATIONAL (SMI) 14

1. Enjeux 14

2. Perspectives 15

C. LA LUTTE CONTRE LA VOLATILITÉ DE PRIX DES MATIÈRES PREMIÈRES 16

1. Contexte 16

2. Prise de conscience du G20 17

III. LA GOUVERNANCE 19

A. LES MARGES DE MANœUVRE DE LA PRÉSIDENCE 19

B. LES PISTES D’AMÉLIORATION DE LA GOUVERNANCE DU G20 20

TRAVAUX DE LA COMMISSION 21

CONCLUSIONS ADOPTEES PAR LA COMMISSION 25

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

L’architecture institutionnelle mondiale née des deux guerres mondiales du XXe siècle, appuyée sur l’ONU(2) et ses agences, conserve sa pertinence et son utilité, notamment pour défendre les droits des peuples et, nécessité extrême, pour légitimer l’usage de la force, mais le monde a tellement changé depuis 1945 que d’autres mécanismes de régulation sont nécessaires, en parallèle, pour dénouer les crises ou, mieux, les prévenir. Tel est l’objectif du G20, que l’on pourrait qualifier de projet de gouvernance économique multilatérale pour corriger les grands déséquilibres et gérer les fluctuations et asymétries de croissance de façon coordonnée.

La présidence du G20 revenant à la France depuis le 12 novembre 2010 et pour une année, la Commission des affaires européennes nous a confié pour mission, le 21 décembre dernier, de suivre la préparation du sixième sommet, qui se tiendra les 3 et 4 novembre à Cannes. L’idée est d’analyser les enjeux et d’émettre des recommandations contribuant à améliorer le rôle joué par l’Union européenne dans le processus décisionnel, à travers ses quatre Etats membres participant aux travaux du G20 – l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et l’Italie – comme à travers ses instances propres. Rappelons en effet que le G20 est en réalité le groupe des dix-neuf pays les plus développés du monde, représentatifs des grandes aires continentales et culturelles, plus l’Union européenne, qui siège en tant que telle. Forte de son économie intégrée, de ses 500 millions d’habitants et d’un PIB supérieur à celui des Etats-Unis, qui a dépassé les 16 000 milliards de dollars en 2009 et représente près de 30 % de la production mondiale, l'Union européenne peut en effet être considérée comme la première puissance économique de la planète.

I. LA DÉMARCHE

A. Qu’est-ce que le G20 ?

Le G20 est un produit de l’histoire. A chaque grand choc économique – 1973, fin des années 1990, 2008-2009 –, les principaux pays industrialisés prennent conscience que les problèmes du moment sont trop graves pour être résolus par des mesures nationales et qu’une coordination s’impose pour ne pas mettre durablement en cause la croissance et la stabilité mondiales.

Le G20 est en réalité à la croisée de deux logiques : l’élargissement du périmètre des « grands pays » et l’attribution d’une compétence très étendue à une entité originellement pensée comme un cénacle « économico-économique ».

Premier aspect, le G20 plonge ses origines dans le sommet des six pays les plus développés, organisé à Rambouillet en 1975 par le Président Valéry Giscard d’Estaing, en pleine période de décomposition du système monétaire de Bretton Woods et deux ans après la première crise pétrolière. Il mutera en G7, puis en G8, avant de déboucher sur un format à vingt pays, pour prendre acte, d’une part, de la montée du multilatéralisme consécutive à la fin du partage du monde entre deux blocs antagonistes et, d’autre part, de l’essor, sur tous les continents, de puissances émergentes incontournables pour mener des négociations internationales faisant sens.

Deuxième aspect, l’histoire des sommets des chefs d’Etat et de gouvernement du G20 est très récente, puisque le premier s’est tenu le 15 novembre 2008, à Washington. Dans un premier temps, de 1999 à 2008, le G20 ne réunissait que les ministres chargés des finances et les gouverneurs des banques centrales, « afin d’établir un nouveau mécanisme de dialogue non formel dans le cadre du système des institutions de Bretton Woods, d’élargir les discussions sur les principaux enjeux économiques et financiers […] et de favoriser la collaboration en vue d’atteindre une croissance économique mondiale stable et durable, qui profite à tous », comme l’explique le communiqué final de la réunion inaugurale de Berlin, le 16 décembre 1999. L’organisation de sommets au plus haut niveau traduit la volonté de donner un poids politiques aux consensus trouvés, afin qu’ils ne restent pas lettre morte.

Le G20 suit donc un processus évolutif. Ce n’est pas une organisation internationale investie d’un pouvoir normatif, appuyée par une administration pour le faire respecter et obéissant à des règles de fonctionnement intangibles mais un forum de dialogue traçant des pistes de réformes et édictant des recommandations aux pouvoirs publics nationaux et aux organisations internationales. Cela dit, si ses orientations ne sont pas liantes juridiquement, elles le sont politiquement, dans la mesure où les sommets se concluent systématiquement par une déclaration finale commune adoptée par consensus, bénéficiant du statut de la parole donnée et faisant l’objet d’un large écho international, surtout depuis 2008.

B. Problématique choisie par la mission d’information

Compte tenu de l’étendue des champs thématiques inscrits par le Président de la République à l’agenda de la présidence française du G20, nous avons choisi au départ de nous concentrer sur un aspect, multidimensionnel et sans doute le plus crucial pour le devenir de l’économie mondialisée, la régulation des marchés, avec trois volets : la poursuite de l’encadrement des marchés et services financiers engagé depuis le premier sommet du G20, en 2008 ; la réforme du système monétaire international, qui en est restée, jusqu’à présent, à ses balbutiements ; la lutte contre la volatilité des prix des matières premières agricoles, thème novateur sur la scène diplomatique internationale. Cependant, au fil des auditions, il nous est aussi apparu incontournable de nous pencher sur le mode de gouvernance du G20.

D’autres dossiers de l’agenda de 2011 sont tout aussi structurants pour l’économie mondiale et tout aussi en adéquation avec les compétences et les centres d’intérêt de notre commission : l’établissement d’un socle universel de droit sociaux, l’aide au développement, le climat ou encore la sécurité nucléaire. Nous avons toutefois jugé plus raisonnable de circonscrire notre travail ; chacun des thèmes retenus est déjà extrêmement technique et pourrait faire l’objet d’un rapport d’information à lui seul.

La Commission des affaires européennes est particulièrement qualifiée pour suivre le G20, et pas seulement en raison du poids de l’Europe dans l’économie mondiale. L’Union européenne est en effet l’échelon politique auquel se prend désormais la majeure partie des décisions de nature financière, commerciale et monétaire engageant les Vingt-sept. De surcroît, eu égard au savoir-faire qu’elle a acquis depuis plus de soixante ans en matière de négociations multilatérales, de recherche du consensus et d’organisation d’un marché intérieur, elle est vouée à jouer un rôle central dans le G20. Cela devrait devenir plus vrai encore lorsque la gouvernance économique européenne aura été renforcée, au terme des travaux qui sont en cours dans ce domaine.

C. Méthodologie

1. Jusqu’à aujourd’hui

Nous avons déjà procédé, à Paris, à de nombreuses auditions, parmi lesquelles celles du directeur général de la mondialisation, du directeur général du trésor, du directeur adjoint du cabinet du ministre de l’agriculture, du président et du directeur général de l’Autorité des marchés financiers, de représentants des banques ou encore d’économistes et de chercheurs.

Nous nous sommes également rendus dans plusieurs capitales européennes. Bruxelles d’abord, où nous avons notamment rencontré le commissaire Barnier, le sherpa du président Barroso, une responsable de la présidence du Conseil et des eurodéputés. Mais aussi Rome et Berlin, où nous avons pu nous entretenir avec des délégations de parlementaires ainsi qu’avec des directeurs d’administrations centrales, des banquiers centraux, des régulateurs financiers et des personnalités socioprofessionnelles. A Rome, une demi-journée a également été consacrée aux travaux de la FAO(3) relatifs à la volatilité des prix des matières première agricoles.

Il nous a aussi semblé essentiel de nous déplacer à Budapest, la Hongrie exerçant actuellement la présidence tournante, qui, en dépit de la nouvelle organisation institutionnelle issue du traité de Lisbonne, joue encore un rôle de représentation des vingt-sept au sein du G20.

2. D’ici à la remise du rapport

Dans le même esprit – celui de déployer la diplomatie parlementaire française à l’occasion de la présidence française –, nous devrions aller à Varsovie fin juin ; à l’aube de sa présidence semestrielle, la Pologne, puissance moyenne non dépourvue d’ambitions internationales, veille scrupuleusement à ne pas être marginalisée dans le processus décisionnel du G20.

Pour achever le tour d’horizon des capitales européennes des pays européens membres du G20, nous irons une journée à Londres, ville qui revêt une importance particulière eu égard à l’importance de sa place financière, très rétive à toutes les démarches de régulation, qu’elle considère comme autant de provocations envers sa culture spéculative.

A la fin du mois, trois d’entre nous effectueront un déplacement aux Etats-Unis, qui aura un intérêt triple. Premièrement, Washington, siège de l’administration américaine, du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, est un centre politique névralgique pour toutes les négociations multilatérales, en particulier lorsqu’il s’agit de questions monétaires, le dollar, ses fluctuations et les transactions dont il fait l’objet étant au cœur des enjeux. Deuxièmement, New York est la place financière mondiale principale ; les grands groupes bancaires de dimension systémique et de nombreux think tanks économiques y siègent. Troisièmement, nous préparons des entretiens aux Nations unies afin d’examiner les mécanismes par lesquels les orientations prises lors des sommets du G20 sont mises en application par ce que l’on pourrait qualifier de « G192 », à savoir tous les pays du monde.

Enfin, début juin, deux d’entre nous mettront à profit un déplacement à Pékin et à Tokyo pour traiter à la fois des questions relatives au G20 et au changement climatique, sujets sur lequel ils ont été chargés de rédiger un autre rapport d’information.

En outre, pour tenir compte de la montée en puissance des BRICS(4), nous avons commencé une série d’entretien avec les ambassadeurs à Paris des cinq pays de ce groupe.

Pour septembre, nous venons de solliciter des entretiens avec les ministres chargés de l’économie et des finances, de l’agriculture et des affaires européennes, ainsi qu’avec le secrétaire général de l’Elysée, sherpa du Président de la République, afin d’avoir avec eux un échange à caractère politique, alors que s’ouvrira la dernière ligne droite précédant le sommet. Il est aussi envisagé que nous retournions à Bruxelles pour faire un dernier tour d’horizon des positions de l’Union européenne.

II. LES THÉMATIQUES

A. La régulation financière

Réguler les marchés financiers a été le premier cheval de bataille du G20, afin d’apporter en urgence un début de réponse à la crise. Si cette démarche s’est soldée par de véritables avancées en droit, elle reste à approfondir. La déclaration finale du sommet de Washington du 15 novembre 2008 est claire : dans son premier alinéa, les signataires expliquent que la réunion a été consacrée aux « graves difficultés que connaissent les marchés financiers et l’économie mondiale » et qu’ils sont « déterminés à renforcer [leur] coopération et à travailler ensemble pour restaurer la croissance mondiale et réaliser les réformes nécessaires dans les systèmes financiers du monde ».

1. La lutte contre les juridictions non coopératives

Le sommet des 2 et 3 avril 2009, à Londres, a plus particulièrement débouché sur un plan de lutte contre les juridictions dites « non coopératives » – c’est-à-dire les territoires n’appliquant pas les standards agréés au niveau international –, décomposé en trois volets :

- Premièrement, la lutte contre les paradis fiscaux passe par la mise en œuvre effective de règles de transparence fiscale. L’OCDE(5) a commencé par publier une liste de paradis fiscaux, qui a déclenché un mouvement sans précédent de signature d’accords d’échange d’informations fiscales – plus de 500 –, entraînant des progrès significatifs dans une trentaine de pays. Pour aller plus loin, la communauté internationale s’est organisée au sein du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, qui regroupe à ce jour 94 États et territoires. Enfin, le G20 a encouragé ses membres à prendre, si nécessaire, des sanctions contre les paradis fiscaux.

- Deuxièmement, la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme a progressé, avec le renforcement des mécanismes d’évaluation par les pairs des dispositifs de lutte anti-blanchiment des Etats. Des listes de juridictions non coopératives ont été publiées à partir de février 2010, assorties d’un mécanisme de contre-mesures à l’encontre de ces systèmes nationaux défaillants.

- Troisièmement, la lutte contre les juridictions non coopératives dans le domaine prudentiel commence à prendre forme, avec pour objectif le respect par tous les pays du monde des standards internationaux en matière de coopération et d’échange d’informations entre régulateurs prudentiels et entre superviseurs. A cette fin, une procédure d’identification des pays non conformes aux standards internationaux est en cours au sein du CSF(6).

2. L’encadrement des marchés et des produits bancaires et financiers

Des taux d’intérêt exceptionnellement faibles, combinés à une concurrence féroce et à une recherche du profit maximal à court terme, ont amené les banquiers et les investisseurs, sur les marchés financiers, à maximiser les rendements par une augmentation de l’effet de levier et par des spéculations sur des produits financiers plus risqués. Mais le coût de ce risque n’a pas été correctement calculé.

La BRI(7) a estimé à pas moins de 700 000 milliards de dollars le volume des transactions financières effectuées en 2007, soit près de douze fois le PIB mondial. Sur longue période, depuis 1950, leur rythme de progression a été cinq fois supérieur à celui du PIB mondial. Ces données résultent de la somme des montants bruts échangés ; elle ne prennent donc pas en compte les compensations, alors que la seule façon d’annuler un ordre est parfois d’en passer un autre en sens inverse. Il n’en demeure pas moins que l’ordre de grandeur des transactions financières atteint plusieurs fois le PIB, ce qui donne une idée de leur influence sur l’économie mondiale.

Le sommet de Pittsburgh, qui s’est tenu les 24 et 25 septembre 2009, a insisté particulièrement sur ces problèmes, mettant en avant des pistes de réformes qui commencent à trouver une application concrète dans les législations nationales et, pour ce qui nous concerne, dans la législation communautaire.

- La première idée était de contraindre les banques à constituer des fonds propres de grande qualité afin d’atténuer la procyclicité. Tous les grands centres financiers du G20 se sont engagés à adopter le cadre de Bâle II d’ici à 2011. Nous y sommes et, pourtant, la principale place financière du monde n’a toujours pas transposé cet accord. Quant aux ratios de solvabilité et de liquidité de Bâle III, ils sont décriés par tous les banquiers du monde, qui jugent leur propre système immunisé contre la crise.

- Ensuite, il a été préconisé de réformer les pratiques de rémunération pour soutenir la stabilité financière, notamment en évitant les bonus garantis sur plusieurs années, en étalant dans le temps une partie significative des rémunérations variables et en alignant la rémunération des cadres dirigeants sur les performances et les risques. Ces mesures ont fait l’objet, en novembre 2010, d’une directive européenne sur les gestionnaires de fonds alternatifs d’investissement.

- L’accent a aussi été mis sur la régulation des produits dérivés négociés de gré à gré, qui, d’une part, devront être échangés sur des plates-formes de transaction ou via des plates-formes de négociation électronique et compensés par des contreparties centrales d’ici à la fin 2012 et, d’autre part, devront faire l’objet d’une notification à des organismes appropriés. C’est l’objet du projet de règlement européen que notre Commission a examiné il y a deux semaines ou encore d’un volet du Dodd-Frank Act adopté en juillet 2010 par les Etats-Unis – lesquels, dans ce domaine, il faut le reconnaître, ont pris une longueur d’avance.

Citons aussi l’encadrement des agences de notation, le contrôle des hedge funds(8) ou le renforcement des systèmes nationaux de supervision, autres thèmes essentiels abordés au cours des G20 successifs et qui ont vu l’adoption de dispositions concrètes.

3. Une proposition innovante : la taxation des transactions financières

Mais la régulation financière doit encore être consolidée, sur tous ces points comme sur la transparence et l’intégrité des marchés ou la protection des consommateurs, préoccupations effleurées dans la déclaration de Séoul du 12 novembre 2010, voire la reprise en main du shadow banking system(9). Le sommet de Cannes devra une fois de plus « enfoncer le clou » pour que les efforts ne soient pas relâchés, maintenant que le souvenir de la phase la plus aiguë de la crise s’est un peu estompé.

Et une autre piste est aujourd’hui envisagée : l’instauration d’une taxation sur les transactions financières. Son premier objectif n’est certes pas d’assainir la finance mondiale mais plutôt de jouer le rôle de financement innovant au profit de grands objectifs planétaires comme la lutte contre le changement climatique ou l’aide au développement. Il n’en demeure pas moins que, à l’échelle de l’Union européenne, un prélèvement de 0,05 %, par exemple, dégagerait quelque 190 milliards d’euros de recettes. Un tiers des profits de l’industrie bancaire s’en trouverait rogné mais cela affecterait surtout le trading haute fréquence, purement spéculatif, déconnecté de toute considération macroéconomique. En outre, cela améliorerait la transparence sur les mouvements de capitaux et les opérations spéculatives car les pouvoirs publics pourraient alors identifier l’ensemble des opérateurs et la totalité des transactions incluses dans l’assiette.

B. La réforme du système monétaire international (SMI)

Sur le dossier de la réforme du système monétaire international, on peut dire que le G20 ouvre un vaste chantier. Malgré les déclarations impétueuses annonçant un « nouveau Bretton Woods », entendues avant chaque sommet, force est de constater que la conception et l’organisation d’un nouvel ordre monétaire mondial est plus compliquée que cela. Rappelons que les pays du G20 représentent 85 % des productions de richesses mondiales. Les enjeux de leadership géoéconomique et les divergences d’intérêt sont tels que le processus sera long et devra passer par plusieurs étapes.

1. Enjeux

La priorité affichée par le Président de la République, le 24 janvier 2011, lors du lancement de la présidence française, ouvre la voie en prônant « la construction d’un SMI plus stable et plus robuste ». Si ce flou pourrait apparaître, en première analyse, comme un aveu d’impuissance, il nous semble plutôt dicté par le réalisme : trancher d’emblée en faveur d’un mécanisme précis aurait été contraire à la philosophie du G20, qui consiste à progresser par consensus, et hypothéqué la capacité de la France à obtenir de premières avancées.

La problématique centrale est celle de la confrontation entre le yuan et le dollar, que l’on pourrait presque qualifier de « guerre des changes ». D’un côté, les Etats-Unis, afin de compenser une croissance faible, en tout cas trop faible au regard des attentes de la société, et favoriser l’emploi, ont utilisé l’endettement public puis privé pour soutenir l’activité économique, à tel point que la dette publique atteint aujourd’hui 14 000 milliards de dollars, soit 95 % du PIB américain. De l’autre, la Chine, grâce à son modèle économique fondé sur des coûts de production très bas favorisant les exportations et la constitution d’excédents commerciaux, a accumulé des réserves de change colossales. Au total, ces comportements se traduisent par l’injection d’une trop grande quantité de liquidités dans l’économie mondiale, porteuse de déséquilibres macroéconomiques : des flux de capitaux internationaux excessifs, notamment vers les pays émergents ; des anomalies dans la constitution des taux de change, avec une dépréciation du dollar ; des hausses de prix spéculatives sur des actifs comme l’immobilier ou les matières premières ; des tensions inflationnistes inquiétantes.

Le SMI n’a certes pas failli pendant la crise mais il n’est plus adapté à l’échelle des forces économiques mondiales : 80 % des transactions commerciales internationales sont libellées en dollars alors que les Etats-Unis ne produisent plus que 25 % de la richesse mondiale.

2. Perspectives

Paradoxalement, malgré ces positions antagonistes, tous les acteurs mondiaux conviennent que ces déséquilibres doivent être résorbés. Ils ont pris la mesure de l’interdépendance économique et savent que le monde entier paierait très cher un manque de coordination.

Il y a un mois, le 14 avril, la banque centrale chinoise a annoncé que ses réserves de change avaient augmenté de 24,4 % en un an pour atteindre, fin mars, un record de 3 044 milliards de dollars. Les Chinois, qui n’ont pas intérêt à mettre tous leurs œufs dans le même panier, cherchent à diversifier progressivement leurs actifs monétaires en se tournant vers l’euro. Conscients de courir actuellement un risque patrimonial élevé lié à la valeur du dollar, ils s’efforcent de ne rien faire qui puisse en accélérer la chute, tout en étant animés par la volonté d’accompagner un rééquilibrage progressif. Le premier ministre chinois a aussi déclaré, le 14 mars dernier, que la Chine continuerait d’augmenter la flexibilité du taux de change du yuan, mais toujours graduellement, afin de prendre en considération la pression sur les entreprises et l’emploi, dans un souci de contrôle de la stabilité sociale. De fait, depuis 1994, le mécanisme de formation du taux de change a été réformé à trois reprises et la monnaie chinoise, non convertible, s’est tout de même appréciée de 57,9 %. Elle reste toutefois sous-évaluée, selon les estimations, de 20 à 50 %.

Du côté des Etats-Unis, compte tenu de la dépréciation tendancielle du dollar, les bons du trésor n’apparaissent plus comme un placement aussi sûr que par le passé et les investisseurs réclament un rendement de plus en plus élevé pour les emprunts d’Etat. Les Américains veulent sortir d’un système qui fait d’eux les seuls pourvoyeurs des réserves de liquidités mondiales, financées à partir de leur déficit. Parallèlement, lors de leur troisième sommet, qui s’est tenu le 14 avril 2011 sur l’île chinoise d’Hainan, les BRICS ont du reste décidé de développer leurs échanges commerciaux réglés en devises nationales.

Après avoir proposé, au sommet de Séoul, que les excédents et déficits commerciaux nationaux soient enserrés dans un tunnel de plus ou moins 4 %, les Etats-Unis ont suscité l’instauration d’indicateurs de suivi, dont le principe a été retenu à la réunion des ministres des finances du G20 des 19 et 20 février : la dette et le déficit publics, le taux d’épargne et d’endettement privés, la balance commerciale. Lors de la réunion ministérielle suivante, le 14 avril, à Washington, il a été décidé que les sept principales puissances économiques mondiales – Etats-Unis, Chine, Japon, Allemagne, Grande-Bretagne, Italie et Inde – seraient concernées par ce suivi. Les Etats-Unis militent en faveur de cette approche par les déséquilibres macroéconomiques, qui souligne le désavantage comparatif des pays les plus développés en matière de compétitivité prix.

Cela dit, pour tenir compte de l’essor de nouvelles monnaies et de nouveaux flux commerciaux, il conviendrait également de revoir le système des droits de tirage spéciaux (DTS). Créés en 1969 pour compléter les réserves monétaires et se substituer à l’or monétaire dans les transactions internationales, leur valeur est déterminée à partir d’un panier de monnaies composé du dollar, du yen, de l’euro et de la livre sterling. Les pays émergents, à commencer par la Chine et la Russie, seraient favorables à un recours plus grand aux DTS dans les réserves souveraines et à un élargissement du panier au yuan et à d’autres devises, ce qui contribuerait à réduire les déséquilibres entre balances des paiements et à limiter la volatilité des prix des matières premières agricoles.

Pour ouvrir le débat, le Président de la République a pris l’initiative de proposer un « séminaire de haut niveau », qui s’est tenu à Nankin, le 31 mars dernier, autour de personnalités internationales, de banquiers centraux et d’universitaires, accueillis par le vice-premier ministre chinois Wang Qishan.

C. La lutte contre la volatilité de prix des matières premières

1. Contexte

La lutte contre la volatilité des prix des matières premières énergétiques et surtout agricoles est considérée comme une valeur ajoutée majeure de la présidence française. Les émeutes de la faim survenues en 2008 dans plusieurs pays d’Afrique, d’Asie et des Caraïbes ont mis en évidence le problème. Quant au « printemps arabe », si son ressort principal est sans aucun doute de nature politique, il est aussi alimenté par la colère de classes populaires de plus en plus privées des produits de premières nécessité et le ressentiment de classes moyennes paupérisées par la hausse des prix agricoles.

Avec 1,3 milliard d’emplois, la production agricole est la première activité mondiale. Plus de 40 % de la population active mondiale dépend directement des marchés agricoles. Les produits de l’agriculture représentent 10 % du commerce mondial. L’explosion des prix de certains produits agricoles constatée ces dernières années, en particulier sur les céréales, a donc des effets considérables sur l’économie mondiale. Outre l’insécurité alimentaire frappant les consommateurs des pays en développement, tous les producteurs de la planète sont confrontés aux effets de yoyo sur les marchés et vivent dans une grande incertitude.

Les pays du G20 représentent quelque 54 % des surfaces agricoles et même 65 % des terres arables mondiales. Cette zone concentre 80 % des exportations et importations agroalimentaires en valeur. Autant de données qui confèrent au G20 légitimité et capacité à intervenir.

2. Prise de conscience du G20

Le sommet de Séoul avait mandaté les organisations internationales pour réfléchir à ce sujet. La FAO et l’OCDE ont mené un travail en partenariat avec sept autres organisations internationales, dont la Banque mondiale, le FMI(10) et l’OMC(11), qui a débouché sur un pré-rapport remis fin mars à la présidence française, en attendant le rapport final, qui doit être rédigé en vue de la réunion des ministres de l’agriculture du G20 des 22 et 23 juin.

Plusieurs pistes tracées dans le pré-rapport reprennent des axes de proposition de la France.

- Le phénomène principalement mis en accusation est l’opacité des marchés agricoles. La FAO suggère la création d’un dispositif de croisement des données relatives à la production, à la consommation et aux stocks de céréales, sur le modèle de celui existant pour le secteur pétrolier, baptisé JODI(12). Il conviendrait peut-être d’associer au G20 la Thaïlande, le Vietnam, le Bangladesh, le Nigeria et l’Egypte, afin de rassembler la totalité des grands producteurs et consommateurs de céréales du monde.

- Quoique l’impact de la spéculation sur la volatilité des prix agricole soit régulièrement remis en cause – en janvier dernier, un rapport de la Commission européenne relativisant le phénomène avait donné lieu à une polémique sévère –, une autre proposition consisterait à poursuivre la réglementation des marchés à terme, particulièrement aux Etats-Unis et en Europe. En effet, même si l’essentiel de la volatilité provient de fondamentaux physiques – évolution de l’offre et de la demande, aléas climatiques et politiques, croissance du prix du pétrole –, la financiarisation de l’agriculture amplifie le phénomène.

La FAO souligne deux autres problèmes majeurs.

- D’une part, les restrictions aux exportations, souvent motivées par des considérations nationales, voire politiciennes, et dénuées de rationalité économique, jouent beaucoup sur les tensions haussières, comme ce fut le cas, le 5 août dernier, lorsque la Russie décréta un moratoire sur la vente de blé. La FAO préconise que les restrictions aux exportations ne soient permises que dans les situations où le risque de pénurie alimentaire est avéré.

- D’autre part, l’augmentation de la productivité agricole est tombée de 3 % dans les années 1960 à 1970 à 1,3 % aujourd’hui, alors que la demande progresse de 2 % par an. Pour inverser la tendance, il faut investir dans l’agriculture, secteur souvent négligé par les gouvernements nationaux de tous les pays du monde depuis deux ou trois décennies. C’est plus particulièrement le cas dans les pays en développement, qui n’investissent que 5,5 % de leur PIB dans l’agriculture, au lieu des 10 % auxquels ils s’étaient engagés il y a une dizaine d’années.

III. LA GOUVERNANCE

A. Les marges de manœuvre de la présidence

Rapports d’experts, groupes de travail commun à plusieurs organisations internationales, groupes techniques internationaux de fonctionnaires, réunions de sherpas, sommets organisés par des sous-groupes de pays du G20, forums thématiques internationaux, réunions ministérielles, rencontres de jeunes ou de scientifiques : les sommets sont précédés de multiples initiatives préparatoires, que nous nous efforçons de suivre. De ce point de vue, le sommet du G8 de Deauville des 26 et 27 mai sera un jalon essentiel, d’autant que la configuration des calendriers donne à un pays, pour la première fois dans l’histoire, l’opportunité d’exercer en même temps les présidences du G8 et du G20.

C’est pourquoi, en attendant notre rapport d’information, qui sera achevé début octobre, nous avons jugé utile de vous présenter maintenant un point d’étape. Sans encore prendre position, dans le détail, sur telle ou telle mesure, et en prenant le parti de nous concentrer sur certains volets de l’agenda de 2011, il s’agit, juste avant le sommet du G8, de témoigner de l’attention portée par l’Assemblée nationale, plus particulièrement par sa Commission des affaires européennes, aux grands débats économiques internationaux.

Le pays auquel est confiée la présidence du G20 dispose d’une capacité d’impulsion intéressante : il choisit les thématiques mises en débat et organise les discussions, avec une latitude importante. En vertu des règles du jeu implicites qui s’appliquent à l’exercice, il doit cependant s’astreindre à une certaine neutralité, en tout cas ne pas donner l’impression d’avoir des présupposés trop tranchés et ne pas se montrer trop catégorique dans ses prises de position. La France, de ce point de vue, a bien géré la première partie de son année de présidence : juste avant le rendez-vous du G8, sur l’ensemble des dossiers en débat, elle ne s’est fermé aucune porte et conserve des marges de manœuvre importantes.

Par ailleurs, même si l’agenda de la présidence française recueille universellement un sentiment positif, faire peser des attentes excessives sur la présidence française causerait immanquablement des déceptions au lendemain du sommet de Cannes. Celui-ci ne sera, au mieux, qu’un pas de plus vers un nouvel ordre multilatéral dont les contours restent incertains mais auquel les grandes puissances économiques aspirent pour assurer une croissance durable et équilibrée.

B. Les pistes d’amélioration de la gouvernance du G20

Les débats du G20 deviennent trop importants pour risquer de connaître des hauts et des bas en fonction du poids politique du pays exerçant la présidence et de l’investissement personnel de son chef d’Etat ou de gouvernement. Même si cela ne fait pas consensus, loin de là – y compris chez certains de nos partenaires les plus proches, comme les Allemands –, l’une des pistes envisageables, pour le bon suivi des orientations prises lors des sommets, serait de doter le G20 d’une structure de secrétariat permanente, dont la forme resterait à déterminer et à propos de laquelle nous formulerons des propositions précises dans notre rapport d’information.

Pascal Lamy, directeur général de l’OMC, a d’ailleurs théorisé la constitution d’un « triangle de cohérence » pour la gouvernance mondiale : le G20 fournirait le leadership et les orientations politiques ; les organisations internationales élaboreraient les règles et les mécanismes de mise en application et de consolidation des décisions ; l’ONU resterait la source principale de légitimité et de responsabilité.

Quant à Michel Camdessus, ancien directeur général du FMI, et aux autres experts internationaux qu’il a réunis au sein du groupe de travail intitulé « Initiative du Palais-Royal », dans un rapport rendu au Président de la République le 18 janvier 2011, ils constatent l’« absence d’une gouvernance mondiale effective », due, notamment au « déficit de légitimité du FMI ». Le G20 s’étant « imposé de facto comme la principale instance de coopération économique et financière », ils préconisent l’adoption d’une nouvelle gouvernance de ce groupe, fondée sur une architecture intégrée à trois niveaux : celui des chefs d’État ou de gouvernement ; celui des ministres des finances et des gouverneurs de banques centrales ; celui des administrateurs contrôlant les travaux du FMI. Les trois échelons seraient organisés sur la base de circonscriptions géographiques, méthode suivie par le FMI et la Banque mondiale, particulièrement adaptée au cas de l’Europe, ère continentale la plus intégrée politiquement et économiquement.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le 17 mai 2011, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d’information.

L’exposé des co-rapporteurs a été suivi d’un débat.

« M. Jean Gaubert. Les banques françaises affirment qu’elles sont prudentes, ce qui semble vrai pour leurs activités en France ; pour autant, elles n’apparaissent pas totalement blanches en ce qui concerne les risques qu’elles ont pris dans leurs activités à l’étranger. En outre, Bâle III risque de construire un monde où les banques seront les seules entreprises prospères dans une économie marquée par le manque de financement. Disposez-vous de documents à ce sujet, en particulier sur l’affaiblissement relatif de notre secteur bancaire ?

La question de la volatilité des prix agricoles est d’autant plus aiguë que l’état des stocks est inconnu. Quand l’Union européenne connaissait ses stocks, un accompagnement était effectivement assuré en cas de mauvaises récoltes et la spéculation restait faible. Allons-nous prendre la mesure de cet enjeu et trouver un moyen d’évaluer les stocks, comme les Etats-Unis, qui continuent de constituer des stocks de précaution ?

M. Hervé Gaymard. Il faut se féliciter que l’enceinte du G20 réunisse les pays de plusieurs horizons. Souvenons-nous que le premier G20, créé à Cancun en 2001, était uniquement constitué de pays émergents. Aujourd’hui, tous les partenaires sont autour de la table.

L’inscription du problème de la volatilité des prix agricoles à l’ordre du jour est très importante car, jusqu’à présent, c’était un sujet tabou. Certains pays sont animés par une idéologie libre-échangiste, considérant que les dispositifs STABEX (Système de stabilisation des recettes d’exportation) et SYSMIN (Système de développement du potentiel minier) ont été des échecs, ce que je ne pense pas.

En matière de gouvernance, l’encadrement de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est un vrai sujet. En effet, sa charte constitutive lui fixe comme objectif de favoriser l’expansion du commerce international mais ne traite ni des questions de normes, ni des questions environnementales, ni des questions sociales. Or tous ces points doivent être pris en compte, dans la recherche d’un nouvel ordre économique mondial.

Une autre dimension importante est celle du numérique, du point de vue économique comme de ceux de l’éthique et de la diversité culturelle. La première loi du monde sur le livre numérique sera votée ce soir à l’Assemblée nationale : ce seront les éditeurs qui en fixeront le prix, afin d’éviter tout moins-disant que voudraient imposer les distributeurs. Cette question doit également être traitée dans un cadre mondial.

Le Président Pierre Lequiller. Je signale que cette question fera l’objet très prochainement d’une proposition de résolution de notre commission à l’initiative d’Hervé Gaymard.

M. Jacques Desallangre. S’agissant de la régulation bancaire, je propose que nous complétions la proposition de conclusions en précisant que la Commission « Souhaite ardemment que le G20 s’attache à recommander très fortement la séparation des activités de banque de dépôt et de banque d’affaire ». En effet, les pays qui ont le mieux résisté à la crise, tel le Canada, sont précisément ceux dans lesquels les activités des banques sont efficacement séparées. Cette question mérite que l’on agisse.

Je pense aussi que nous devons être beaucoup plus fermes à propos de la spéculation sur les produits agricoles, inacceptable et aux conséquences humaines dramatiques, en réclamant explicitement qu’une attention soit portée aux marchés à terme, pour réduire la volatilité.

M. Jacques Myard. Je m’interroge quant à l’ordre des priorités ressortant de la proposition de conclusions, qui met d’abord en avant la régulation financière, alors que la France, en présidant le G20, avait porté en haut de l’agenda l’indispensable ajustement monétaire.

La première difficulté tient à l’absence de position européenne commune, qui constitue pourtant un préalable incontournable à toute avancée. Bien entendu, à cet égard, l’acteur clef, et sans doute l’obstacle naturel, demeure le Royaume-Uni, dont les intérêts sont assez différents des nôtres.

Sur la question plus générale de la gouvernance, au-delà de l’amélioration sans doute utile que constituerait l’instauration d’un secrétariat permanent du G20, je veux insister sur la nécessité de préserver le triangle institutionnel mondial. Certes, deux de ses pointes – le G20, qui concentre l’initiative politique indispensable, et les organismes internationaux spécialisés, qui fournissent l’expertise – sont pleinement impliqués. Mais il ne faut pas oublier le sommet du triangle, qui concentre la véritable légitimité internationale : les Nations unies. Nous devons être très attentifs à intégrer pleinement cet acteur essentiel et surtout à ne pas affaiblir sa crédibilité.

M. Pierre Forgues. Il me semble en effet important d’être plus précis dans la lutte contre la spéculation sur les denrées agricoles. Le problème fondamental, d’ordre éthique, concerne les produits indispensables aux populations, avec lesquels nul n’a le droit de jouer. Complétons donc nos conclusions en indiquant que nous appelons à une régulation « plus particulièrement à l’égard des produits céréaliers », dont l’évolution erratique des prix expose des pays entiers à la famine.

Pour le reste, les intentions sont excellentes, mais la perspective de leur concrétisation demeure malheureusement encore bien éloignée.

Le Président Pierre Lequiller. Je tiens à féliciter vivement les rapporteurs pour la grande qualité de leur travail et pour leur choix judicieux d’avoir partagé les analyses, chacun s’étant spécialisé sur l’un des nombreux aspects des travaux du G20.

M. Christophe Caresche, co-rapporteur. Sur les questions bancaires, je commencerai par rappeler la situation contrastée des banques françaises, dont les caractéristiques particulières fondent à la fois leurs forces et leurs faiblesses. Grâce à une forte modernisation et à un mouvement de concentration exceptionnel, elles atteignent une taille très importante. L’assise financière qui en découle est sans doute un atout mais c’est aussi un risque, leurs éventuels difficultés faisant peser un risque majeur sur tout le système. On l’a bien vu lorsque a été révélé, par exemple, l’exposition importante de la Société générale aux opérations d’AIG, heureusement garanties par le gouvernement américain. Leur taille repose sur leur caractère universel, qui présente aussi un risque.

Même les pays plus libéraux, à commencer par les Etats-Unis et le Royaume-Uni, se réorientent vers une séparation des activités de dépôt et des activités d’affaires, qui représente l’un des enjeux décisifs de la régulation. Certes, le phénomène diffus de la titrisation brouille inéluctablement la frontière entre ces deux activités. Il n’en reste pas moins que leur confusion est l’une des sources de la crise et que la construction d’un système stable commande que d’avancer sur ce sujet.

M. Michel Herbillon, co-rapporteur. Monsieur Gaubert, la volatilité des prix des matières premières est d’autant plus importante que le volume des stock de produits alimentaires n’est pas connu, d’où les propositions de régulation de la FAO. je pense également qu’il faut associer d’autres pays au débat du G20 et que la question de l’opacité des marchés est aujourd’hui essentielle.

Monsieur Gaymard, la crise a eu du bon car elle a permis d’identifier des interlocuteurs pertinents. Cela se vérifie avec le G20, organisé au niveau des chefs d’Etats.

Il est bon que toutes les questions soient mises sur la table mais je ne pense pas que l’apparition du G20 remette en cause le système onusien, monsieur Myard. Il me semble, pour ma part, que le G20 est d’une autre nature.

La communication que nous vous présentons aujourd’hui est un simple point d’étape. La question du numérique sera traitée ultérieurement.

Le Président Pierre Lequiller. Je tiens à ce que le texte que vous nous avez présenté soit d’ores et déjà publié sous la forme d’un rapport d’étape.

M. Robert Lecou, co-rapporteur. Les remarques de nos différents collègues à propos de la volatilité des prix des matières premières enrichissent le débat. La spéculation existe, c’est incontestable, mais elle vient amplifier les phénomènes physiques constatés sur les marchés réels, par exemple en cas de sécheresse ou à la suite de décisions politiques de fermeture des flux d’exportations, comme cela s’est produit en Russie.

Le Président Pierre Lequiller. Je remercie les co-rapporteurs pour ce rapport important, appuyé sur un travail de fond extrêmement intéressant.

La Commission a ensuite adopté les conclusions dont le texte figure ci-après :

CONCLUSIONS ADOPTEES PAR LA COMMISSION

La Commission des affaires européennes,

1. Approuve les priorités retenues par la présidence française du G20, en particulier les objectifs de régulation des marchés financiers, de réforme du système monétaire international et de lutte contre la volatilité des matières premières agricoles ;

2. Souhaite que le G20 continue de progresser sur les questions relatives à la régulation bancaire et financière, afin de consolider son bilan dans ce domaine et de rappeler que le monde n’est pas à l’abri d’une nouvelle crise systémique ;

3. Encourage la recherche d’une voie vers un nouveau système monétaire international en vue de résorber progressivement les déséquilibres économiques et commerciaux mondiaux ;

4. Soutient l’objectif de réduction de la volatilité des prix des matières premières, notamment agricoles, nuisible pour les producteurs comme pour les consommateurs ;

5. Emet le v
œu que l’Union européenne et ses quatre Etats membres appartenant au G20 se coordonnent davantage pour peser ensemble en faveur d’un renforcement de la régulation mondiale ;

6. Estime nécessaire d’engager une réflexion sur le mode de gouvernance du G20, afin d’améliorer le suivi de la mise en
œuvre des orientations fixées dans les déclarations finales des sommets.

1 () La composition de cette Commission figure au verso de la présente page.

2 () Organisation des Nations unies.

3 () Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.

4 () Groupe des principaux pays émergents, qui réunit le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud.

5 () Organisation de coopération et de développement économiques.

6 () Conseil de stabilité financière.

7 () Banque des règlements internationaux.

8 () Fonds de couverture, qui se livrent à des placements de protection contre les fluctuations à la hausse ou à la baisse des marchés. Opaques et souvent implantés dans les paradis fiscaux, ils restent peu ou pas réglementés. Assis dans une large mesure sur des actifs non liquides ou complexes (produits dérivés, ventes à découvert) et bénéficiant d’un effet de levier élevé, ils s’avèrent beaucoup plus risqués que les fonds communs d’investissement destinés au grand public.

9 () Activités ou entités non bancaires d’intermédiation financière, exerçant des activités du même type que les banques mais échappant aux contrôles des autorités financières auxquels celles-ci sont soumises. Le shadow banking inclut les activités hors bilan des banques ;

10 () Fonds monétaire international.

11 () Organisation mondiale du commerce.

12 () Joint Oil Data Initiative, ou Initiative pour des données communes sur le pétrole.