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No 3938

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 novembre 2011.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES(1)

sur
l’avenir du Conseil de l'Europe,

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Jean-Claude MIGNON,

Député

——

La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Michel Herbillon, Jérôme Lambert, Didier Quentin, Gérard Voisin vice-présidents ; M. Jacques Desallangre, Mme Marietta Karamanli, MM. Francis Vercamer secrétaires ; M. Alfred Almont, Mme Monique Boulestin, MM. Pierre Bourguignon, Yves Bur, Patrice Calméjane, Christophe Caresche, Philippe Cochet, Jean-Yves Cousin, Bernard Deflesselles, Lucien Degauchy, Michel Diefenbacher, Jean Dionis du Séjour, Marc Dolez, Daniel Fasquelle, Pierre Forgues, Mme Marie-Louise Fort, MM. Jean-Claude Fruteau, Jean Gaubert, Hervé Gaymard, Guy Geoffroy, Mmes Annick Girardin, Anne Grommerch, Pascale Gruny, Elisabeth Guigou, Danièle Hoffman-Rispal, MM. Régis Juanico, Robert Lecou, Michel Lefait, Lionnel Luca, Philippe Armand Martin, Jean-Claude Mignon, Pierre-Alain Muet, Jacques Myard, Michel Piron, Mmes Chantal Robin-Rodrigo, Valérie Rosso-Debord, Odile Saugues, MM. André Schneider, Philippe Tourtelier.

SOMMAIRE

___

Pages

RAPPORT 5

A. UN RÔLE MOTEUR DE L’APCE 5

B. LE CONSEIL DE L’EUROPE PEUT REDONNER TOUT SON SENS À L’IDÉE EUROPÉENNE 6

C. VERS UNE UNION PLUS ÉTENDUE ENTRE L'EUROPE DE L’ÉCONOMIE ET L'EUROPE DES DROITS DE L’HOMME 7

D. LE CONSEIL DE L'EUROPE, UNE EUROPE DE L’INFLUENCE 9

TRAVAUX DE LA COMMISSION 11

ANNEXES 15

ANNEXE 1 : COMPTE RENDU DU COLLOQUE DU 8 NOVEMBRE 2011 AU SÉNAT 17

A. TABLE RONDE NO 1 : ORIGINES ET SITUATION ACTUELLE DU CONSEIL DE L’EUROPE 20

a) Ouverture du colloque par M. Jean-Claude Mignon, président de la délégation française auprès de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) et M. Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman 20

b) Mme Birte Wassenberg, maître de conférence à l’université de Strasbourg, spécialiste de l’histoire de la construction européenne : histoire du Conseil de l’Europe 20

c) M. Bruno Haller, ancien secrétaire général de l’APCE et auteur d’un ouvrage sur son histoire : Une Assemblée au service de l’Europe – l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe 1949-1989 27

B. TABLE RONDE NO 2 : L’APCE MOTEUR DU CONSEIL DE L’EUROPE 34

1. Les pouvoirs propres de l’APCE 34

a) M. Jean-Paul Costa, ancien président de la Cour : l’élection des juges à la Cour européenne des droits de l’Homme 34

b) M. Fabrice Kellens, secrétaire exécutif adjoint du Comité de prévention de la torture (CPT) : la désignation des candidats au CPT 39

2. L’action de suivi des Etats par l’APCE 44

a) Mme Caroline Ravaud, chef du Secrétariat de la Commission de l’APCE pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l’Europe : le suivi des obligations des Etats 44

b) M. Yann de Buyer, Chef de la Division centrale de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe : l’exemple de l’observation des élections 49

3. Le rôle de l’APCE en matière de conventions 55

a) M. Bernard Marquet, Député monégasque à l’origine de la récente convention sur ce sujet : un exemple très récent : la lutte contre la contrefaçon des médicaments 55

b) Maître Laurence Azoux-Bacrie, Avocate au barreau de Paris et docteur en bioéthique : la bioéthique : l’influence de l’APCE sur l’élaboration de la Convention d’Oviedo du 4 avril 1997 58

C. CONCLUSIONS DE LA MATINÉE 61

a) M. Wojciech Sawicki, secrétaire général de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe 61

b) Son Exc. M. Alexandre Orlov, ambassadeur de la Fédération de Russie en France 63

D. TABLE RONDE NO 3 : L’EUROPE DU DROIT 66

a) M. Jean-Paul Costa : l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’Homme 66

b) M. Laurent Pech, professeur, titulaire de la chaire Jean Monnet à l’Université de Galway : le Conseil de l’Europe et le principe de la prééminence du droit 76

c) Son Exc. Mme Eleanor Fuller, ambassadeur, Représentante permanente du Royaume Uni auprès du Conseil de l'Europe 80

d) M. Fabrice Kellens, secrétaire exécutif adjoint du Comité européen pour la prévention de la torture 85

E. CONCLUSIONS DE LA JOURNÉE 90

a) M. Denis Badré, Sénateur 90

b) Mme Catherine Lalumière, ancienne secrétaire générale du Conseil de l’Europe 94

ANNEXE 2 : CONTRIBUTION ÉCRITE DE M. BRUNO HALLER 101

ANNEXE 3 : CONTRIBUTION ÉCRITE DE MME LAURENCE AZOUX-BACRIE 123

Mesdames, Messieurs,

Plus ancienne organisation paneuropéenne, le Conseil de l’Europe est en même temps la plus méconnue. Le colloque du 8 novembre 2011 organisé au Sénat par la délégation parlementaire française auprès de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe et la fondation Robert Schuman ne peut que contribuer à une meilleure visibilité de cette institution. Dans cette perspective, je me réjouis de la publication de ses travaux. Ils ont en effet souligné la richesse et la diversité des politiques menées par le Conseil de l’Europe.

Je voudrais insister tout particulièrement sur l’intérêt des travaux menés par son Assemblée parlementaire, tant il est vrai que sa faible exposition médiatique, notamment en France, l’enferme dans une certaine obscurité. Intervenant lors de ce colloque, l’ambassadeur de Russie a bien mis en lumière ce paradoxe. La France, État du siège, est assez indifférente à une organisation, le Conseil de l'Europe, dont elle devrait au minimum reconnaître l’intérêt économique : 2000 emplois à Strasbourg, 47 ambassades, etc. Seuls parviennent à retenir l’attention des médias les travaux révélant quelque scandale, ainsi le rapport de M. Dick Marty sur les prisons secrètes de la CIA, ou liés à un problème de société sensible, ainsi les positions de l’APCE sur la Burqa ou les minarets.

A. Un rôle moteur de l’APCE

On oublie trop souvent le rôle moteur joué par l’Assemblée dans la conception de la Convention européenne des droits de l’homme, ou plus récemment dans celle tendant à criminaliser la contrefaçon des médicaments ou dans le domaine de la bioéthique, pour me limiter à ces quelques exemples.

On oublie le rôle historique qu’elle a joué dans la réunification de l’Europe dans les années 1990 en créant en particulier le statut d’invité spécial. De même, méconnaît-on souvent le rôle qu’elle joue dans l’élection des juges à la Cour européenne des droits de l’homme. Rôle direct de choix, mais aussi indirect d’élaboration de critères additionnels de sélection, ainsi l’exigence qu’il y ait au moins un représentant du « sexe sous-représenté » dans chaque liste de trois candidats pour un poste de juge.

L’observation des élections est également une mission importante de cette Assemblée. Il n’y a en effet pas de démocratie sans élections honnêtes. Cette action est complétée par celle de la Commission de Venise, autre organe du Conseil de l’Europe qui apporte son expertise technique aux Etats parties en matière de règles constitutionnelles ou électorales.

Pour autant, le Conseil de l’Europe aura bientôt 62 ans et il se doit de s’adapter aux exigences contemporaines. Nous nous devons d’être encore plus performants, plus lisibles et plus cohérents. C’est l’objectif de la réforme initiée sur la base des travaux de la Commission ad hoc de l’APCE dont j’ai été le rapporteur.

Au-delà des textes, beaucoup dépendra de nous, si nous avons l’ambition de porter haut les couleurs du Conseil de l’Europe. Il nous appartiendra ainsi d’être plus rigoureux sur le choix des sujets que nous évoquerons et plus pugnaces quant au suivi de nos positions.

Cette Assemblée est également un lieu privilégié d’expression de la diplomatie parlementaire. Tout d’abord parce qu’elle permet à des parlementaires de 47 Etats membres de discuter de manière informelle, même quand de lourds différends les séparent, ainsi les Chypriotes grecs et les Turcs. L’exercice atteint parfois ses limites lorsqu’il concerne les relations entre les Etats du Caucase.

Cette diplomatie parlementaire s’est traduite notamment par l’octroi du statut de « partenaire pour la démocratie »(2) au Parlement marocain et au Conseil national palestinien. Le simple fait de participer à la vie parlementaire de l’APCE ne peut qu’encourager à aller vers plus de démocratie.

B. Le Conseil de l’Europe peut redonner tout son sens à l’idée européenne

Alors que, comme l’ont souligné plusieurs intervenants, l’idée européenne ne cesse de reculer dans l’opinion, le Conseil de l’Europe peut redonner un sens à l’idée fondamentale, celle d’un destin commun des peuples occupant ce continent, de l’Atlantique à l’Oural, tant il est vrai que l’Union européenne, de par ses lourdes responsabilités économiques et financières, a parfois perdu de vue les valeurs qui la fondent.

La défense des droits de l’homme et la promotion de la démocratie et de l’Etat de droit, valeurs qui sont au centre de l’action du Conseil de l’Europe ne sont-elles pas à l’origine de la construction européenne, alors que l’Europe, engluée dans une crise économique et monétaire dont elle ne voit pas la fin, semble les avoir reléguées au second plan ? N’est-ce pas, d’ailleurs, à ce titre, que le Conseil de l’Europe apparaît être ce supplément d’âme dont l’Europe a besoin pour redonner du sens à un projet dont les peuples européens se détachent ?

Le choix d’établir une Charte des droits fondamentaux au fronton des Traités européens a été en quelque sorte une première réponse à ce déficit de sens dont souffre actuellement l’Union européenne.

Ces valeurs se trouvaient déjà, néanmoins, au cœur de la construction de l’Europe des droits des l’homme, gravées dans le marbre de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, dont la Cour européenne des droits de l’homme assure le respect.

Aussi la future adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme et de sauvegarde des libertés fondamentales, rendue juridiquement possible par la ratification du Traité de Lisbonne, ne marque-t-elle pas, dès lors, le début d’une nouvelle ère, porteuse pour le citoyen européen d’un meilleur respect de ses droits ?

Le Conseil de l’Europe et l’Union européenne ne sont-ils pas, en effet, les deux fils d’un même rêve de prospérité, de solidarité et d’humanité ?

Le rêve des pères de l’Europe n’est-il pas, enfin, en train de prendre corps sous nos yeux ?

L’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l’homme n’est-elle pas, en effet, l’achèvement de la construction de cette Europe de la paix, de la prospérité et de la protection des droits de l’homme dont les pères fondateurs osaient à peine caresser la réalisation de leurs vœux ?

C. Vers une Union plus étendue entre l'Europe de l’économie et l'Europe des droits de l’homme

Comme l’a justement rappelé en conclusions de ce colloque, Mme Catherine Lalumière, ancienne secrétaire générale du Conseil de l’Europe, le Conseil de l’Europe est devenu plus que jamais indispensable à l’Union européenne car il est bien l’incarnation du sens du projet européen dont elle a cruellement besoin pour répondre à la désaffection actuelle des peuples à son endroit.

Nous allons avoir la chance irremplaçable, grâce au processus d’adhésion en cours, de renforcer nos liens avec notre voisin géographique qu’est le Parlement européen.

Cette adhésion, ainsi que l’a rappelé Jean-Paul Costa, ne sera pas sans embûches. Les difficultés techniques, en particulier, le risque de jurisprudence divergente des deux Cours, celle de Luxembourg et celle de Strasbourg, ne sont souvent que la face cachée d’une mauvaise grâce politique qu’il faudra lever.

L’optimisme doit être de mise. La construction de l’Europe du droit et le projet communautaire ont nécessité une forte dose de propension à l’idéal sans laquelle les deux organisations que sont le Conseil de l’Europe et l’Union européenne ne seraient pas nées.

Ce ne sont donc pas ces quelques obstacles qui sauraient nous faire reculer maintenant que la voie se dessine vers une union plus étroite entre l’Europe économique et celle des droits de l’homme.

La coopération entre nos institutions, renforcée par ces synergies nouvelles, ne saurait, néanmoins, se limiter à la construction d’une Europe du droit renforcée.

Le vent de la démocratie qui souffle sur le Maghreb et le Moyen-Orient ne saurait d’autant moins laisser indifférent l’Europe qu’il est manifestement fragile. Le Conseil de l’Europe a clairement établi une politique de coopération envers les démocraties émergentes issues du printemps arabe. Coopération qui ne se limite pas au nouveau statut de partenaire pour la démocratie, mais également à la possibilité d’adhérer à des organes du Conseil de l’Europe telle que la Commission de Venise dont la mission est d’assurer un conseil en matière institutionnelle et constitutionnelle.

A l’instar du Conseil de l’Europe, l’Union européenne pourrait infléchir sa politique de voisinage vers ces nouvelles démocraties qui souhaitent s’arrimer aux valeurs démocratiques qu’elle véhicule.

La question du droit des femmes n’est elle pas une question fondamentale pour nos démocraties ? A ce titre, ne paraît-il pas opportun de développer des partenariats pour que l’égalité entre les femmes et les hommes soit partout effective ? En même temps, comme l’a rappelé récemment Edouard Balladur, à l’occasion du Partenariat de Deauville, au travers de cette aide « ne doit pas être mise en œuvre une tentative de tutelle politique qui serait exercée sur les pays bénéficiaires et qui serait vouée à l’échec »(3). En même temps l’Europe ne peut tout cautionner. La navigation entre ces deux écueils sera difficile. Mais favoriser la démocratie dans son voisinage immédiat ne peut que constituer une priorité pour l’Europe.

Si le 23 janvier 2011, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe m’élit à sa présidence, outre la fierté que je ressentirai à servir une si noble institution, c’est l’importance de la tâche qui m’incombera que je souhaiterais souligner.

En effet, malgré une réussite apparente, la protection des droits de l’homme reste plus que jamais d’actualité. Les difficultés engendrées par la crise économique et financière ne se manifestent pas uniquement à travers les sirènes du nationalisme et du protectionnisme mais également parfois par un recul de la protection des droits de l’homme.

Mon objectif se déclinerait dès lors en deux mots : redonner au Conseil de l’Europe toute sa visibilité et renforcer le rôle politique de son Assemblée parlementaire pour que les valeurs universelles que le Conseil de l’Europe défend ne restent pas lettres mortes.

Renforcer les synergies avec l’Union européenne afin d’éviter que des organismes inutiles, tels que l’Agence des droits fondamentaux, ne dupliquent inutilement les compétences du Conseil de l’Europe, ferait également partie des priorités de mon mandat. A ce titre, j’ai déposé un projet de résolution devant la Commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale contre l’idée de l’Union européenne de créer un Fonds européen pour la démocratie, parfaitement redondant par rapport à ce que fait fort bien le Conseil de l’Europe.

L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe est un formidable outil au service de la diplomatie parlementaire qui permet également un dialogue entre membres du Conseil de l’Europe parties à des « conflits gelés ».

D. Le Conseil de l'Europe, une Europe de l’influence

Récemment un interlocuteur me demandait quelles étaient les sanctions que le Conseil de l’Europe prodiguait lorsqu’un Etat membre ne se conformait pas au respect de ses obligations. Sanctions économiques, financières, mise au ban de la communauté internationale ?

Ma réponse le surprit : aucune. Il crut, dans un premier temps, que ce n’était que l’expression d’une faiblesse. Pas de sanctions, donc pas de pouvoir.

Même si les statuts de l’organisation permettent l’exclusion d’un membre qui ne se conformerait pas à ses obligations, l’organisation ne choisit pas volontiers cette voie, préférant le dialogue jusqu’à ce que la force morale des condamnations qu’elle induit par la publication des ses rapports sur la situation des droits de l’homme se traduise par une amélioration de ceux-ci.

Pour être tout à fait exact, les seules sanctions financières sont celles que les Etats ont à payer lorsqu’ils sont condamnés par un arrêt définitif de la Cour européenne des droits de l’homme à réparer un préjudice. Ce n’est donc pas une sanction mais la simple réparation d’un préjudice causé par le non respect de leurs obligations conventionnelles.

La souplesse dont l’organisation sait également faire preuve, notamment en offrant une possibilité de ratification des conventions à la carte, est aussi l’une des forces du Conseil de l’Europe.

La Charte sociale en est l’un des exemples. L’organisation préfère s’assurer que les Etats respecteront, a minima, des standards sociaux plutôt que d’imposer un contenu ambitieux que ne ratifierait qu’un petit groupe d’Etats. En même temps, les Etats plus motivés peuvent adhérer à un protocole additionnel à cette Charte, plus exigeant, qui autorise les partenaires sociaux et les ONG à saisir le Comité européen des droits sociaux (CEDS) de recours contre une violation alléguée de la Charte.

De même la possibilité pour des Etats extérieurs au Conseil de l’Europe d’être parties à certaines conventions permet une grande souplesse.

Si l’on prend l’exemple du Comité de prévention contre la torture, dont son secrétaire exécutif adjoint M. Fabrice Kellens a brillamment mis en évidence, lors des travaux du colloque, le fonctionnement, ce ne sont pas les sanctions qui permettent d’assurer une prévention effective de la torture mais les inspections sur place, à tout moment, des lieux de privation de liberté qui contribuent à garantir un respect par les Etats membres de leurs obligations en termes de non violation de la Convention de prévention contre la torture.

Le rapport de Dick Marty sur les prisons secrètes de la CIA a eu plus d’effet que d’éventuelles sanctions. C’est cette magistrature d’influence qui fait la force du Conseil de l’Europe.

C’est ce magistère moral de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe qui est l’un des critères du « soft power » du Conseil de l’Europe.

C’est donc à ce renforcement du projet européen dans sa globalité que j’entends apporter toute mon énergie et ma volonté.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le 15 novembre 2011, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, président, pour examiner le présent rapport d’information.

L’exposé du rapporteur a été suivi d’un débat.

« Le président Gérard Voisin. Je voudrais saluer ici l’enthousiasme et la maîtrise du sujet qu’a Jean-Claude Mignon. Nous sommes heureux de saluer sa future élection à la présidence du Conseil de l’Europe.

Je rappelle que la proposition de résolution européenne sur le projet de création d’un fonds européen pour la démocratie ne donnera pas lieu aujourd'hui à un vote.

Le rapporteur. L’élection du président du Conseil de l’Europe résulte d’un accord entre les groupes politiques qui élisent, en leur sein, leur candidat. Ma candidature a été retenue contre celle d’un candidat estonien et a été ratifiée par les autres groupes. L’élection en séance plénière interviendra le 23 janvier prochain.

Le président Gérard Voisin. Je voudrais rappeler que si la situation à Chypre est sans doute moins dramatique que celle de Berlin à l’époque du mur, il n’est pas à l’honneur de l’Europe de voir perdurer une telle situation.

M. Michel Lefait. Si l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales constitue un progrès, deux points soulèvent de sérieux problèmes d’application. Qu’en sera-t-il du droit d’action collective lorsque l’interprétation des deux cours, Cour européenne des droits de l’homme et Cour de justice européenne, divergera ? Comment voyez-vous l’évolution des relations entre le Conseil de l’Europe et les institutions européennes, en particulier sur la question des droits de l’homme ?

Le rapporteur. Pour l’instant, il n’y a pas de réponse à la question de savoir ce qui se passera en cas de position divergente des deux cours. M. Jean-Paul Costa serait sans doute disposé à venir en parler car il est tout à fait conscient de potentielles difficultés.

S’agissant des relations avec le Parlement européen, nous souhaitons qu’il découvre enfin que nous existons ! Nous sommes l’émanation de quarante sept parlements nationaux et il importe de prendre en considération nos travaux. On peut imaginer créer des passerelles entre nos deux institutions, par exemple par une collaboration entre nos commissions compétentes respectives. Le Parlement européen pourrait se servir des informations que nous avons pu collecter depuis le début de l’existence de l’institution. Ainsi pour la Croatie, nous avions institué une commission de suivi afin de veiller au respect de ses engagements. Nous sommes à même de faire le même travail sur l’ensemble des pays membres. Si l’Union européenne avait pris l’attache du Conseil de l’Europe lors des demandes d’adhésion de certains pays, nous n’aurions pas confondu vitesse et précipitation…

M. Jacques Myard. Le Conseil de l’Europe est incontestablement une organisation intéressante en termes de stratégie d’influence et constitue un facteur de progrès de la conception européenne au sens large. J’analyse cependant comme une querelle de boutique l’opposition entre les deux cours. L’Union européenne a commis une faute en créant sa propre charte, sous la pression des Allemands. Quand j’étais fonctionnaire au quai d’Orsay, on pensait que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales avait vocation à chapeauter l’édifice européen.

Le problème de la Cour européenne des droits de l’homme est qu’elle tend à un gouvernement des juges, ce qui n’est pas conforme à la démocratie. Cette dérive se fait sous la pression de concepts et de lobbies anglo saxons avec qui nous ne partageons pas la même conception du droit. D’un cas particulier, ils en tirent un principe général ! Dans la mesure où la Cour s’autorise à aller trop loin dans des domaines de souveraineté des Etats, cela est source de conflit. Il est donc nécessaire de recadrer la CEDH.

Ceci étant dit, j’admets que le Conseil de l’Europe est un instrument très utile que nous avons un peu délaissé et il est heureux qu’un français en soit le président.

Le rapporteur. Je souscris à cette crainte d’un gouvernement des juges, crainte nourrie par les interrogations sur les qualités professionnelles des juges. Ainsi pour remplacer Jean–Paul Costa, la liste française a été écartée pour défaut de compétence de l’un des candidats. Je citerai aussi le problème posé par un juge ukrainien. C’est une question sur laquelle je serai très vigilant en tant que président.

M. Michel Diefenbacher. Je souhaiterais à mon tour remercier le rapporteur pour la clarté de son exposé très complet. Je reprendrais à mon compte les observations faites par Jacques Myard en illustrant le débat par la réforme de la garde à vue. Il est regrettable que le Parlement français n’ait eu aucune marge d’appréciation et ait dû s’aligner sur une décision de justice. Je conçois que la logique de la construction européenne aboutisse à des abandons de souveraineté. Mais qu’un Parlement national soit placé sous l’autorité du juge pose un problème de principe quant au caractère démocratique du fonctionnement des institutions. S’agissant de la garde à vue, cette irruption du droit européen dans un domaine relevant de la souveraineté nationale est choquante.

Sur la proposition de résolution, même s’il n’y a pas lieu de se prononcer, je voudrais faire une observation sur le point 8. Je ne vois pas en quoi la création d’une nouvelle organisation répondrait à une logique d’aménagement du territoire.

Le rapporteur. Il s’agit d’une rédaction ironique dont le but était d’attirer l’attention sur le fait que l’on a manifestement voulu faire plaisir aux Polonais.

Je voudrais émettre le souhait que sur certains sujets inscrits à l’ordre du jour du Conseil de l’Europe, le Parlement français puisse être préalablement saisi. Nous avons eu des débats importants sur les Roms ou sur l’islamophobie. Or les parlementaires français n’ont, pour fonder leur analyse, que des documents fournis par le Quai d’Orsay, à peine quelques jours avant le débat. Concrètement, il serait judicieux de soumettre l’ordre du jour prévisionnel du Conseil de l’Europe aux commissions des affaires étrangères et des affaires européennes qui pourraient juger de l’opportunité de traiter tel ou tel sujet.

Le président Gérard Voisin. Je soumettrai cette proposition à Pierre Lequiller.

Mme Pascale Gruny. Je voudrais d’abord féliciter Jean-Claude Mignon pour son accession à la présidence de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe pour lequel il s’est mobilisé depuis longtemps. En tant qu’ancienne députée européenne, je n’ai jamais entendu parler de cette assemblée au Parlement européen, sauf pour la confusion commise par les citoyens entre les deux institutions parlementaires européennes.

Cette assemblée est pourtant très importante parce qu’elle couvre un territoire beaucoup plus large que l’Union européenne et qu’elle permet d’engager une diplomatie parlementaire tout à fait essentielle. Je me désole donc qu’elle ait des moyens budgétaires beaucoup plus contraints que ceux du Parlement européen.

Je découvre des agences européennes presque tous les jours et il serait temps de se pencher sérieusement sur cette question, dans une période de crise qui oblige à serrer les budgets, d’autant plus que certaines ne fonctionnent pas du tout comme l’ont montré des audits au Parlement européen. L’Assemblée du Conseil de l’Europe pourrait aussi s’y intéresser.

Par ailleurs, la dualité des cours de justice est aussi compliquée à comprendre pour des citoyens confrontés à des jugements qui peuvent être contradictoires.

Enfin, concernant Chypre, j’ai reçu plusieurs fois le conseil municipal de la ville fantôme de Famagouste en tant que coordinatrice de la Commission des pétitions du Parlement européen, mais rien n’avance et la Présidente de cette commission n’a pas été autorisée par les Turcs à entrer dans la ville. Il reste un mur de Berlin au sein de l’Union européenne.

Le rapporteur. Je n’ai pas eu le temps de parler de la Commission de Venise sur la démocratie par le droit, de la pharmacopée et de la direction européenne de la qualité du médicament, et des centres européens de la jeunesse. Mais nous faisons un travail colossal qu’il serait trop long d’expliquer.

M. René Rouquet. Je suis heureux de cette présentation de Jean-Claude Mignon devant la Commission des affaires européennes et des ouvertures entre lui et le président pour qu’un dialogue s’instaure entre nous. Je suis sûr qu’il va réussir à cette présidence parce que, depuis quatre ans que je suis dans sa délégation, il a accompli un travail remarquable qui le mène aujourd’hui à cette présidence. C’est un futur président qui est reconnu par l’ensemble des parlementaires de tous les groupes, qu’ils soient du PPE ou socialistes, parce qu’il porte un projet et des ambitions, notamment de sérier les problèmes et d’être plus efficace, comme je ne l’avais pas ressenti chez les précédents présidents de l’Assemblée.

Le rapporteur. Merci et « thank you », pour utiliser les deux langues officielles de cette assemblée du Conseil de l’Europe.

M. Didier Quentin. Je renouvelle les félicitations de mes collègues et je voudrais savoir, d’une part s’il existe des institutions comparables dans le reste du monde démocratique, d’autre part si le Conseil de l’Europe est consulté par des Etats pour progresser vers la démocratie.

Le rapporteur. Non à la première question, le modèle est unique.

La Commission de Venise répond à la deuxième question. Relevant du Conseil de l’Europe, elle est constituée de 57 Etats dont 47 sont membres du Conseil de l’Europe et dix lui sont associés et elle est chargée d’exercer cette fonction de conseil pour faire progresser la démocratie par le droit.

Le président Gérard Voisin. Je remercie M. Jean-Claude Mignon et tous les intervenants pour ces échanges très intéressants.

Le rapporteur a demandé l’autorisation de publier un rapport sur l’avenir du Conseil de l’Europe.

La Commission des affaires européennes a autorisé la publication de ce rapport. »

ANNEXES

ANNEXE 1 :
COMPTE RENDU DU COLLOQUE DU 8 NOVEMBRE 2011 AU SÉNAT


Délégation française
à l'Assemblée parlementaire
du Conseil de l'Europe

COLLOQUE

« L’AVENIR DU CONSEIL DE L’EUROPE
A LA LUMIÈRE DE SES SOIXANTE ANNÉES D’EXPÉRIENCE »

Mardi 8 novembre 2011

Salle Gaston Monnerville

Palais du Luxembourg

(La séance est ouverte à neuf heures trente, sous la présidence de M. Jean-Claude Mignon, président de la délégation française auprès de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, assisté de M. Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman.)

M. Jean-Claude Mignon, président. Mesdames, messieurs, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation afin de parler de la plus ancienne institution paneuropéenne : le Conseil de l’Europe.

Nous expliquerons ce qu’est le Conseil de l’Europe et ce que nous y faisons. Également, nous évoquerons l’un de ses organes les plus importants: l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) qui est aujourd’hui l’émanation de quarante-sept parlements nationaux.

Pour vous parler de la Cour européenne des droits de l’homme, nous aurons le plaisir d’accueillir son ancien président, Jean-Paul Costa.

Nous avons aujourd’hui parmi nous de nombreux intervenants.

Nous entendrons notamment Catherine Lalumière, qui fut l’une des rares françaises secrétaire générale du Conseil de l’Europe qui m’a accueilli en 1993, et Son Excellence Alexandre Orlov, ambassadeur de la Fédération de Russie à Paris qui a longtemps été ambassadeur de son pays auprès du Conseil de l’Europe à Strasbourg. La Russie est en effet l’un des quarante-sept Etats membres du Conseil de l’Europe et, surtout, l’un des vingt qui n’appartiennent pas à l’Union européenne. En effet, depuis les années où Catherine Lalumière était secrétaire générale du Conseil de l’Europe, de grands bouleversements sont intervenus et de nombreux pays nous ont rejoints. Ainsi le Conseil de l’Europe est devenu ce grand dessein d’une Europe de l’Atlantique à l’Oural qu’appelait de ses vœux le Général de Gaulle

Aujourd’hui, avec les crises que connaît l’Union européenne, nous nous rappelons l’existence du Conseil de l’Europe. Il s’agit d’un outil incroyable, indispensable qui fournit un travail de qualité que les Françaises, les Français ainsi que les 800 millions d’Européens sont peut-être loin d’imaginer.

C’est un grand moment pour Jean-Dominique Giuliani et moi. Ce colloque est en effet co-organisé par la Fondation Robert Schuman et la délégation française auprès de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Notre souhait aujourd’hui est d’avoir un débat le plus large possible, une discussion très franche qui nous permettra, aux uns et aux autres, de répondre à toutes les questions.

Nous parlerons de l’Assemblée parlementaire, de la Cour européenne des droits de l’homme et de l’élection de ses juges, du Comité de prévention contre la torture dont peu de personnes connaissent le rôle et de la désignation de ses membres qui sont élus par l’Assemblée parlementaire. Nous serons également en mesure de répondre aux questions concernant la pharmacopée puisque la direction européenne du médicament dépend du Conseil de l’Europe. Nous évoquerons tout ce que nous faisons avec des moyens financiers qui sont malheureusement très limités : à quarante-sept, nous fonctionnons aujourd’hui avec le même budget dont disposait le Conseil de l’Europe à vingt-sept.

J’ai entendu ce matin à la radio la déclaration d’une Sénatrice qui préconise la suppression de certaines ambassades, dont celle de la France auprès du Conseil de l’Europe. Je crois que certains sénateurs et parlementaires ont encore du chemin à parcourir pour comprendre ce que nous faisons !

Merci de votre présence. C’est avec beaucoup de plaisir que je cède la parole à Jean-Dominique Giuliani.

M. Jean-Domique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman. Bienvenue à tous. C’est une vieille histoire d’amour qui lie l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe à la Fondation Robert Schuman. Ainsi le sénateur Louis Jung, qui fut le créateur de la Fondation Robert Schuman et mon prédécesseur, a été président de l’APCE quand Bruno Haller, qui interviendra aujourd’hui, en était le greffier.

Madame Lalumière, vous nous honorez de votre présence et de votre engagement au sein du Conseil de l’Europe. Depuis toujours, la Fondation Robert Schuman le partage avec vous, car nous avons vu le Conseil de l’Europe, son Assemblée parlementaire, ses secrétaires généraux et l’ensemble de ses outils œuvrer, marquer leur influence par le droit - qui est le signe de l’Europe - en faveur de la libération d’une partie de l’Europe. Aujourd’hui, la même tâche est menée aux frontières de l’Union Européenne et même au-delà.

L’Europe est une construction juridique dans laquelle l’apport du Conseil de l’Europe en termes d’unification et d’intégration du continent a une importance fondamentale et originelle grâce à ses différentes institutions et à ses nombreuses Conventions : plus de deux cents. Nous en avons pleinement conscience à la Fondation Robert Schuman qui est présente dans tous les pays du Conseil de l’Europe. Toutefois, ainsi que l’a souligné Jean-Claude Mignon, les actions menées sont largement ignorées des opinions publiques voire des cercles parlementaires ou décideurs. Plus que jamais, il convient de corriger ces méconnaissances dans cette période d’interrogations de l’Union Européenne, en particulier à propos de ses frontières. Nous avons besoin du Conseil de l’Europe et de son Assemblée parlementaire, son institution la plus démocratique car elle émane des parlements nationaux.

C’est la raison pour laquelle notre modeste présence aujourd’hui est déterminée : nous souhaitons poursuivre le travail essentiel engagé pour la promotion des valeurs européennes dans la Grande Europe au sens large, voire au-delà de ce que nous appelons traditionnellement l’Europe.

Nous sommes donc, cher Jean-Claude Mignon, très heureux d’être associés à votre démarche. Nous sommes à vos côtés pour soutenir le travail magnifique que vous accomplissez au Conseil de l’Europe, notamment au sein de son Assemblée parlementaire.

A. Table ronde no 1 : Origines et situation actuelle du Conseil de l’Europe

a) Ouverture du colloque par M. Jean-Claude Mignon, président de la délégation française auprès de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) et M. Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman

M. le président. Nous en venons à la première table ronde pour laquelle je donne la parole à Mme Wassenberg qui est une spécialiste de l’histoire de la construction européenne, pour nous parler de l’histoire du Conseil de l’Europe.

b) Mme Birte Wassenberg, maître de conférence à l’université de Strasbourg, spécialiste de l’histoire de la construction européenne : histoire du Conseil de l’Europe

Mme Birte Wassenberg, Maître de conférences à l’université de Strasbourg : « Il nous faut créer la famille européenne en la dotant d’une structure régionale placée sous cette organisation mondiale, et cette famille pourra alors s’appeler les Etats-Unis d’Europe. Le premier pas pratique dans cette voie est la constitution d’un Conseil de l’Europe »(4).

Le discours célèbre de Winston Churchill, prononcé le 19 septembre 1946 à l’université de Zurich, est souvent cité comme le point de départ pour la création du Conseil de l’Europe. En effet, ce discours est l’une des impulsions qui permettra d’organiser en 1948 le Congrès de La Haye, où se rassemblent les Européistes d’une vingtaine de pays qui s’engagent en faveur de l’unification européenne. Un an plus tard, le 5 mai 1949, le Conseil de l’Europe, domicilié à Strasbourg, est créé par un traité signé à Londres par dix Etats fondateurs : Royaume-Uni, France, Benelux, Italie, Irlande, Danemark, Norvège, Suède. C’est la première organisation européenne dont l’objectif est, selon ses statuts, « de réaliser une union plus étroite entre ses membres ».

L’histoire du Conseil de l’Europe commence dans un contexte de guerre froide. Après le coup de Prague de février 1948, qui permet aux communistes de prendre le pouvoir en Tchécoslovaquie, la division de l’Europe est faite et la création du Conseil de l’Europe n’intervient qu’un mois après la conclusion du Pacte atlantique du 4 avril 1949. Cette histoire s’insère aussi dans le contexte de la construction européenne et la mise en place, entre 1948 et 1951, d’un certain nombre d’autres organisations européennes et internationales : Organisation européenne de coopération économique, l’OECE, Organisation du traité de l’Atlantique nord, l’OTAN, Communauté européenne du charbon et de l’acier, la CECA.

Cette histoire sera surtout marquée par la relation qui s’établira entre le Conseil de l’Europe, la « grande Europe » avec ses dix Etats membres fondateurs et la CECA, la « petite Europe » des Six, constituée sur la base d’une intégration autour du noyau franco-allemand(5). En effet, la « petite Europe », qui forme la Communauté économique européenne en 1957 et qui se transforme en Union européenne en 1992, prendra de plus en plus d’ampleur(6), si bien que le Conseil de l’Europe sera largement mis à l’ombre, voire oublié par l’opinion publique. Qui sait encore qu’aujourd’hui, il y a toujours, à côté de l’Union européenne, cette « Grande Europe », à savoir le Conseil de l’Europe avec ses 47 Etats membres ?

Pourtant, l’Organisation de Strasbourg a sa propre histoire, ses domaines d’intervention privilégiés, ses personnalités clés, ses moments forts, ses crises, etc. Pour donner un aperçu général de plus de soixante ans d’histoire du Conseil de l’Europe, trois grandes périodes d’évolution peuvent être identifiées(7) : la première période, de 1948 à 1969, est celle de la mise en place du Conseil de l’Europe jusqu’à la décision de la « petite Europe » des Six de s’élargir au Royaume-Uni, au Danemark et à l’Irlande ; la deuxième période correspond à la recherche d’une nouvelle identité jusqu’à la chute du mur de Berlin en 1989 ; enfin, au cours de la dernière période, de 1989 à 2011, le Conseil de l’Europe se développe comme « organisation paneuropéenne », accueillant progressivement tous les pays d’Europe centrale et orientale et les pays européens issus de l’ancienne Union soviétique.

La première période de l’histoire du Conseil de l’Europe, de 1949 à 1969, peut être considérée comme l’âge d’or de l’Organisation de Strasbourg. En effet, il dispose de la première instance parlementaire européenne et le fait que la défense soit exclue, en principe, comme domaine de compétence, n’empêche pas sa jeune Assemblée consultative de discuter des problèmes d’actualité européenne, y compris de la sécurité. Elle fait en sorte que le Conseil de l’Europe devienne le cadre pour la réflexion sur la politique européenne.

Si le Conseil de l’Europe n’arrive pas à éviter la prolifération des organisations européennes – CECA, Union de l’Europe occidentale, l’UEO, CEE, Association européenne de libre échange, l’AELE – il arrive toutefois à se positionner en complémentarité par rapport à la petite Europe des Six dont le but est tourné prioritairement vers la mise en place d’un Marché commun. Cette Communauté des Six est par ailleurs frappée, dans les années 60, par des crises internes provoquées principalement par le Général de Gaulle qui s’oppose à l’entrée du Royaume-Uni et à toute mesure d’intégration européenne à caractère supranational. Ces difficultés au sein de la Communauté constituent en quelque sorte un avantage pour le Conseil de l’Europe qui apparaît comme un cadre d’ensemble pour avancer dans la coopération européenne. De plus, cette construction de la « grande Europe » n’implique pas seulement les Six de la CEE, mais également les Sept de l’AELE et quelques autres, dont la Grèce et la Turquie.

Alors que l’élargissement de la CEE est bloqué, le Conseil de l’Europe voit le nombre de ses membres croître dans ses premières vingt années d’existence pour pratiquement doubler, passant de 10 à 18 Etats entre 1949 et 1965. Alors que la CEE butte sur la mise en place d’une coopération politique, le Conseil de l’Europe débat des crises internationales et participe à la politique de détente avec les pays d’Europe centrale et orientale. Enfin, alors que la CEE se limite à l’intégration économique, le Conseil de l’Europe avance dans de nombreux domaines de coopération. Ainsi il établit, dès 1950, la Convention européenne pour la protection des droits de l’homme qui prévoit un mécanisme de contrôle par une Cour européenne des droits de l’homme, instaurée à Strasbourg en 1958. En 1954, le dispositif de coopération est complété par une Convention culturelle et, en 1961, par l’adoption de la Charte sociale.

Par ailleurs, le Conseil de l’Europe œuvre dans les domaines des pouvoirs locaux, de l’environnement, de la santé, de l’éducation… A travers sa coopération intergouvernementale, l’Organisation de Strasbourg participe donc à la construction européenne là où la CEE n’intervient pas encore. Ce n’est qu’après le sommet des Six à La Haye, en 1969, qu’une relation concurrentielle va s’établir de plus en plus entre le deux organisations européennes, surtout en raison de l’élargissement des Six au Royaume-Uni, à l’Irlande et au Danemark.

Il y a certes aussi des points noirs dans cet âge d’or de l’histoire du Conseil de l’Europe, par exemple la démission spectaculaire de Paul-Henri Spaak de la présidence de l’Assemblée consultative en 1951 devant l’incapacité des parlementaires européens à parler d’une même voix, face au défi de l’intégration politique de l’Europe. Au fond, le problème du Conseil de l’Europe est double : l’Assemblée est souvent divisée et le Comité des ministres ne suit pas toujours les recommandations qu’elle adopte. Force est de constater aussi l’échec des tentatives d’empêcher la prolifération d’assemblées européennes, d’orchestrer la construction européenne et le manque de visibilité du Conseil de l’Europe sur la scène internationale. Enfin, la crise grecque qui se déclenche à la suite du putsch militaire de 1967, aboutit pour la première fois, en 1969, à ce qu’un Etat membre se retire de l’Organisation européenne.

Dans la deuxième période, entre 1969 et 1989, le Conseil de l’Europe est dans une phase de perte de vitesse. Après l’élargissement de la CEE au Royaume-Uni, au Danemark et à l’Irlande en 1973, il n’arrive pas à s’affirmer en tant qu’organisation européenne complémentaire à la CEE, dont les méthodes de coopération sont certes différentes, mais tout aussi utiles.

D’une part, l’Organisation de Strasbourg ne parvient pas à s’imposer face au dynamisme communautaire. Elle souhaiterait rassembler la « grande Europe », mais la CEE s’élargit aussi de plus en plus. Elle voudrait s’établir comme cadre de la politique européenne ou comme facilitateur de résolution des conflits – au Proche-Orient par exemple - mais la coopération politique entre les Etats membres de la CEE est plus efficace. L’Assemblée parlementaire, pour sa part, désirerait être « la conscience démocratique » de l’Europe, mais la légitimité d’un Parlement européen élu au suffrage universel est plus grande. L’arrangement « cosmétique » entre le Conseil de l’Europe et la CEE de 1987 ne parvient pas à remédier à ce problème, car il ne clarifie pas les rôles respectifs des deux organisations.

D’autre part, alors que la CEE progresse sur la voie de l’intégration européenne, le Conseil de l’Europe souffre d’un manque d’objectifs clairement définis. Déjà affaibli par le retrait de la Grèce, il est secoué par d’autres crises internes, notamment à Chypre, à Malte et, surtout, par le coup d’Etat militaire en Turquie de 1980. Ces crises menacent sa crédibilité de gardien des valeurs fondamentales, car il hésite à imposer aux Etats concernés les sanctions prévues par son statut : suspension du mandat à l’Assemblée, exclusion de l’Organisation. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que, confronté aux candidatures du Liechtenstein et de Saint-Marin, le Conseil de l’Europe ne soit pas convaincu de vouloir constituer l’organisation européenne d’accueil pour tous les micro-Etats européens. Enfin, les efforts du Conseil de l’Europe pour améliorer les relations avec les pays de l’Est, soit dans le cadre de la Conférence européenne sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE), soit sur une base bilatérale, restent tributaires de la guerre froide et de la tension Est-Ouest qui s’aggrave au début des années 80.

Malgré son affaiblissement, l’Organisation de Strasbourg a quelques actifs à enregistrer pendant ces deux décennies.

Dans le domaine de la protection des droits de l’homme, l’activité de la Commission et de la Cour est très dynamique. Cette dernière acquiert de plus en plus d’indépendance et de notoriété, n’hésitant pas à condamner les plus puissants Etats membres du Conseil de l’Europe, comme le Royaume-Uni, la France, l’Italie. Parallèlement, la protection par la CEDH est renforcée par de nouveaux protocoles additionnels, dont le plus significatif est celui de 1986 sur l’abolition de la peine de mort en temps de paix.

Le Conseil de l’Europe réussit aussi à mettre en place des coopérations phares. Il est ainsi précurseur dans la conclusion d’un certain nombre de chartes et de conventions : sur l’autonomie locale, contre le terrorisme et la torture, sur la sauvegarde de la vie sauvage et du milieu naturel, sur la coopération transfrontalière, etc. Enfin, il crée plusieurs nouveaux organismes : un Centre et un Fonds européen de la jeunesse en 1971-1972, un Fonds de soutien au cinéma européen, Eurimages en 1988 et un Centre pour la coopération Nord-Sud en1989.

Néanmoins, ces progrès ne suffisent pas pour sortir le Conseil de l’Europe de sa crise d’identité. Ce n’est qu’après l’accession au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev en 1985 et grâce à l’amélioration des relations Est-Ouest qu’un nouveau rôle se dessine peu à peu pour lui, celui d’Organisation paneuropéenne qui s’ouvre davantage aux pays de l’Est. La coopération avec ces pays – y compris avec l’URSS - peut s’intensifier progressivement et un statut d’invité spécial est créé en 1989, ce qui leur octroie une place spéciale dans l’Organisation. Le 6 juillet 1989, un véritable tournant s’annonce lorsque Mikhaïl Gorbatchev choisit le Conseil de l’Europe pour souhaiter la création d’une maison européenne commune.

Pendant la troisième période de 1989 à aujourd’hui, le Conseil de l’Europe traverse une phase de profonde transformation. Après la fin de la guerre froide, il devient une véritable organisation paneuropéenne qui intègre progressivement l’ensemble des pays d’Europe centrale et orientale, l’ensemble des pays européens de l’ex-Union soviétique, à l’exception du Belarus, et l’ensemble des pays de l’ex-Yougoslavie, à l’exception du Kosovo.

L’Organisation de Strasbourg est revalorisée par ce changement. Elle fait preuve de capacités d’adaptation et d’innovation. Elle accompagne les vagues d’élargissement en mettant en place de nouveaux outils et de nouvelles techniques d’assistance à destination des pays concernés : des programmes d’aide et la Commission de Venise pour le droit en 1990, une procédure de monitoring pour veiller au respect des engagements en 1994, etc. Le regain d’importance du Conseil de l’Europe sur la scène européenne se confirme aussi par la tenue de sommets des chefs d’Etat et de gouvernement. Lors de ces rencontres « au plus haut niveau européen » sont annoncées les orientations pour les activités du Conseil de l’Europe et d’importantes réformes institutionnelles sont lancées.

Ainsi, le sommet de Vienne de 1993 donne l’impulsion pour la création d’une Cour unique des droits de l’homme et pour la mise en place d’un Congrès des pouvoirs locaux et régionaux. Le sommet de Strasbourg de 1997 lance l’idée d’un Commissaire européen aux droits de l’homme tandis que le sommet de Varsovie de 2005 initie la conclusion d’un mémorandum d’accord avec l’Union Européenne. Dans l’architecture institutionnelle de l’Organisation paneuropéenne, la Cour acquiert une position centrale ; elle gagne en importance à la fois par la croissance exponentielle du nombre de requêtes individuelles qui lui sont adressées et par ses jugements qui, de plus en plus, acquièrent une valeur quasiment constitutionnelle. Le développement de la CEDH est également significatif : l’interdiction en 2002 de la peine de mort en toutes circonstances prouve que les Européens ont une autre vision du catalogue des droits de l’homme à respecter que le reste du monde, y compris les Etats-unis.

Enfin, le Conseil de l’Europe développe une coopération intergouvernementale qui tente de donner des réponses aux problèmes et menaces qui pèsent sur la société moderne. Sont ainsi mises en œuvre la Convention sur la protection des minorités nationales de 1995, des conventions en matière de biomédecine en 1997, de cybercriminalité en 2001 ou de lutte contre le terrorisme en 2005. Elles ne sont que quelques exemples d’instruments novateurs et uniques au niveau international.

Toutefois, dans cette période de renouveau, le Conseil de l’Europe connaît aussi le revers de la médaille. Ainsi, de 1990 à 1996, les élargissements aux pays d’Europe centrale et orientale et aux premières ex-républiques de l’URSS et de la Yougoslavie se font de manière précipitée. Au moment de leur adhésion, certains de ces pays ne respectent pas véritablement l’ensemble des valeurs inscrites dans le statut de l’Organisation. En 1996, la question de l’adhésion de la Russie déchire presque « l’âme » du Conseil de l’Europe : faut-il faire de l’organisation une école de la démocratie ou un club des démocraties ? L’ouverture à la Russie est un choix clairement politique, effectué en faveur de la première option.

Par ailleurs, malgré les différentes réformes des organes et du mécanisme de protection des droits de l’homme - mise en place de la Cour unique fin 1998 - début 1999, Protocole additionnel 14 en 2004 - la Cour devient victime de son propre succès ; elle n’arrive pas à maîtriser l’afflux des requêtes individuelles.

Deux questions fondamentales ne sont toujours pas réglées aujourd’hui : celle de l’adhésion de l'Union européenne à la CEDH, et celle d’une réforme fondamentale de la Cour qui l’érigerait en une véritable Cour constitutionnelle des droits de l’homme.

Enfin, l’Organisation de Strasbourg ne parvient ni à empêcher la transformation, en 1994, de la CSCE en Organisation, ni à imposer son Assemblée comme organe parlementaire pour l’OSCE. En plus de l’Union européenne, le Conseil de l’Europe doit donc désormais se positionner par rapport à une organisation européenne, dont les compétences et les activités rejoignent les siennes. De surcroît, en 2004 et en 2007, l’Union s’élargit à l’Est et commence elle aussi à revêtir un caractère paneuropéen. Le mémorandum d’accord entre le Conseil de l’Europe et l’Union de 2007 ne précise toujours pas clairement la répartition des rôles entre ces deux organisations européennes. Ainsi, la question de la place du Conseil de l’Europe dans l’architecture européenne du XXIsiècle reste ouverte.

Au regard de la situation du Conseil de l’Europe aujourd’hui, il semble, à première vue, que son histoire est une histoire manquée : l’Organisation de Strasbourg est mal vue, mal connue et mal aimée. En effet, le vœu que Winston Churchill avait émis lors de son discours de Zurich, en 1946, de créer « les Etats-unis d’Europe » sous forme d’un Conseil de l’Europe n’est pas devenu réalité.

Cependant, cette évaluation pessimiste n’est pas tout à fait justifiée. L’histoire du Conseil de l’Europe a d’autres atouts. Ainsi, au moins deux moments forts caractérisent l’évolution de l’Organisation de Strasbourg : la période de sa mise en route de 1948 à 1951 et la première période d’élargissement à l’Est après la chute du mur, de 1989 à 1993. Par ailleurs, le Conseil de l’Europe arrive à constituer progressivement un espace de protection des droits fondamentaux en Europe. L’originalité de la CEDH réside dans la liste de droits individuels plus complète que celle de la Charte universelle des droits de l’homme, et surtout dans le mécanisme de protection de ces droits. L’histoire de la CEDH est certainement un succès : contrairement aux autres outils de coopération au sein du Conseil de l’Europe, le fonctionnement de la Cour est de type supranational. Elle est aussi, au niveau international, la seule Cour auprès de laquelle un recours individuel est possible, ce qui crée un lien direct avec la population européenne.

Un troisième atout de l’histoire du Conseil de l’Europe est qu’il développe – contrairement à la CEE- une grande variété de coopérations européennes qui sont très flexibles : conventions, accords partiels, chartes, commissions, fonds, etc. Il n’y a pas forcément l’obligation, pour tous les Etats membres, de souscrire à tous les outils de coopération et, inversement, certaines coopérations sont ouvertes à la participation de pays non membres de l’Organisation.

La polyvalence de ses coopérations à la carte et à plusieurs vitesses, ainsi que la capacité d’associer des Etats extra-européens, font du Conseil de l’Europe une organisation européenne potentiellement intéressante non seulement pour l’avenir de la construction européenne, mais également pour les relations internationales. En complémentarité avec la politique de voisinage de l’Union et les efforts de l’OSCE, il peut contribuer à la sécurité démocratique sur le continent européen. Avec la Russie comme Etat membre et les Etats-Unis comme Etat observateur, il pourra jouer un rôle de jonction dans le triangle Russie – UE –Etats-Unis. Enfin, avec sa CEDH, le Conseil de l’Europe peut devenir le porte-parole d’un modèle européen d’interprétation et d’application des droits de l’homme. (Applaudissements.)

M. le président. Merci, madame, votre intervention était vraiment passionnante.

Bruno Haller, auquel je vais maintenant donner la parole, a été le premier secrétaire général de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, puisque, lorsqu’il a pris ses fonctions, le poste était celui de Greffier. C’est lui qui a pris l’initiative de faire modifier cette appellation.

Il a notamment écrit un ouvrage sur l’histoire du Conseil de l’Europe intitulé : Une Assemblée au service de l’Europe – l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe 1949-1989. Je me permets également de citer un autre excellent ouvrage rédigé par le secrétaire de la délégation française auprès de l’APCE, Xavier Pinon, ici présent et qui a participé à l’organisation de ce colloque.

c) M. Bruno Haller, ancien secrétaire général de l’APCE et auteur d’un ouvrage sur son histoire : Une Assemblée au service de l’Europe – l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe 1949-1989

M. Bruno Haller, ancien secrétaire général de l’APCE. Mesdames, messieurs, je suis heureux de vous retrouver ici, notamment ceux que je n’ai pas revus depuis quelques années.

Pour ce qui est d’abord de l’appellation de la fonction, il m’est apparu important de la changer car, au cours des très nombreuses réunions auxquelles j’ai participé durant mes deux mandats, notamment dans les pays de l’Est, je me retrouvais en face de secrétaires généraux de leurs assemblées avec le titre de simple greffier. J’étais donc toujours renvoyé en fin de liste dans les protocoles et je ne me retrouvais jamais à la table présidentielle. Et, lorsque le président du Conseil de l’Europe me demandait d’intervenir, nos interlocuteurs étaient très étonnés.

Il y avait des réticences au sein du Comité des ministres où certains craignaient que cela ne crée des confusions. Quand je leur ai dit qu’ils pouvaient aussi m’appeler Bruno, comme d’habitude, ma proposition a été acceptée. Comme quoi l’humour a parfois de l’importance.

La première étape de la construction du Conseil de l’Europe s’étend de 1949 à 1989 : il s’agit de la période occidentale, celle où nous avons souhaité rassembler tous les pays de l’Europe occidentale, et nous avons réussi alors que ce n’était pas facile.

C’est véritablement au cours de la première session parlementaire du Conseil de l’Europe que le souffle européen a été impulsé. Bien que l’on clame que le Conseil de l’Europe n’a pas été l’inventeur, l’initiateur de la construction européenne, il s’agit d’une injustice flagrante, car c’est dans ce contexte, où Robert Schuman était déjà présent, que la création de l’Europe s’est faite.

A l’époque, l’Assemblée n’était pas « parlementaire » ; elle n’était qu’assemblée « consultative ». On pourrait ainsi dire qu’elle est mal née ! Certains, notamment les Britanniques ou quelques Scandinaves, ne souhaitaient pas qu’elle soit parlementaire. A des membres élus ils préféraient une composition de membres désignés par les gouvernements, alors que d’autres, tels les Français et les Beneluxiens, désiraient qu’elle soit une assemblée parlementaire. Ils se sont battus pour cela, mais ce n’est qu’en 1994 que l’Assemblée a été reconnue comme parlementaire par le Comité des ministres.

Au cours de la première session de l’Assemblée du Conseil de l’Europe, le consensus sur une adhésion rapide de l’Allemagne s’est immédiatement dégagé. Pour organiser cette première session nous n’avions rien : pas de secrétariat, peu de matériel, seulement une vingtaine de personnes à notre disposition. Nous avions alors sollicité l’aide des parlements nationaux, notamment ceux de la France, du Benelux et de l’Italie. C’est dans ce contexte qu’a commencé la réconciliation franco-allemande. Une année après, le 13 juillet 1950, l’Allemagne est devenue membre associé du Conseil de l’Europe, puis membre de plein droit en 1952 avec l’appui des parlementaires français. Cela a été réalisé au sein du Conseil de l’Europe et pas ailleurs !

Ensuite la proposition d’un Français, André Philippe, au cours de cette première session, de laisser des places vacantes dans l’hémicycle pour les peuples non représentés a constitué un geste politique extraordinaire avec la création d’une Commission des pays non-membres qui a toujours fonctionné depuis. Elle a notamment joué un rôle primordial en 1989. Je ne vois pas d’autre assemblée ou institution européenne ayant fait preuve d’une telle vision, d’une telle anticipation, conforme d’ailleurs à ce que Churchill voulait, comme en témoigne son discours de Zürich et, même avant, en 1942, sa War Cabinet Letter, la Lettre de son cabinet de guerre, où il précisait qu’il souhaitait un Conseil de l’Europe rayonnant sur toute l’Europe.

Toujours au cours de cette première session, en août 1949, est apparue l’idée, française notamment, d’une demande de révision du statut adopté en mai précédent à Londres. On aspirait à transformer le Conseil de l’Europe en Union européenne, voulue par Robert Schuman, dotée d’une véritable autorité politique, responsable devant l’Assemblée devenant une constituante ou un parlement européen. De nouveau, il semble difficile de prétendre que ce n’est pas le Conseil de l’Europe qui a initié la construction européenne.

Dans le domaine économique, le projet du Conseil de l’Europe était également exhaustif. La proposition française émanant de Paul Reynaud, Edouard Bonnefous et André Philippe préconisant la création d’un marché commun, d’un marché agricole, d’une monnaie commune ainsi que d’un pôle européen du charbon et de l’acier prenant la forme d’une communauté partielle entre la Grande-Bretagne, la France, le Benelux et l’Allemagne intégrée dans le cadre d’une politique générale du Conseil de l’Europe, c’était bien l’une des prémices de la CECA.

Toutefois, deux conflits ont traversé l’Europe.

Le premier, celui entre souverainistes et supranationaux, a, dès le début, empoisonné toute la construction européenne et pas uniquement le Conseil de l’Europe. Le second était économique et opposait les libéraux - l’approche libérale de l’économie – à ceux que l’on appelait les planistes, tenants de l’économie planifiée. Ces deux divergences ont rendu impossible un accord lors de la première session. Cela a abouti au débat dramatique de décembre 1951 où Paul-Henri Spaak a démissionné en dénonçant la « sagesse procédurière ». C’est le constat de cette impossibilité qui a décidé Robert Schuman à renoncer à mener son projet à bien dans le cadre du Conseil de l’Europe.

L’APCE a cependant fermement soutenu de nombreuses initiatives. C’est ainsi qu’elle a aidé Pierre Mendès-France qui, à la suite du rejet par le Parlement français de la CED – la Communauté européenne de défense - a proposé que l’on utilise dans ce domaine une institution existante, l’Union de l’Europe occidentale, l’UEO. L’Assemblée l’a soutenu. Elle a accepté cette proposition en demandant simplement que cette nouvelle structure aux compétences élargies soit soumise à un contrôle démocratique, exercé par des représentants parlementaires. Il y a eu une sorte de retour d’ascenseur, puisqu’il a alors été décidé que les membres de l’APCE et de l’Assemblée de l’UEO feraient partie de la même délégation pour chaque pays.

Il faut se souvenir de tout cela pour comprendre que, dans toute institution, il convient de trouver des compromis pour surmonter les difficultés.

C’est encore lors de cette première session, que l’APCE a fait passer la Convention européenne des droits de l’homme sur la base d’un premier texte, pratiquement complet, élaboré par un parlementaire français remarquable, Pierre-Henri Teitgen, qui a été plusieurs fois vice-président du Conseil et qui a représenté la France au sommet de La Haye où il a présenté son projet. Il en a ensuite été nommé rapporteur à Strasbourg. Une année plus tard, ce texte a été validé par le Comité des ministres et a été adopté formellement en 1950 à Rome.

Toujours au cours de cette même session, l’Assemblée a ouvert deux autres grands chantiers, l’un sur ce qui allait devenir la Charte sociale - dont elle s’est occupée jusqu’à sa version révisée avec l’aide de parlementaires français notamment - et la Charte culturelle, dont la plus belle définition a été fournie par le rapporteur français originaire du Sénégal dont il allait devenir le président, Léopold Sédar Senghor.

J’ai appelé l’attention sur ces grands succès, ce qui ne veut pas dire pour autant que je considère que, pour le reste, cela a été un échec permanent. Je ne suis pas du tout d’accord avec cette assertion, même si les difficultés ont été nombreuses.

Dans plusieurs crises, notamment la crise grecque puis la crise turque, l’Assemblée a même été en première ligne comme gardien des valeurs et malheureusement pas le Comité des ministres.

Par ailleurs, l’Assemblée parlementaire a fait énormément en faveur des adhésions. Sa diplomatie parlementaire a en particulier été déterminante pour celles du Portugal et de l’Espagne. Je m’en souviens parfaitement car j’étais alors présent dans l’hémicycle. Nous avions reçu Mario Soarès, alors ministre des affaires étrangères et qui, plus tard, est devenu président du Comité des Sages. L’Assemblée l’avait d’ailleurs contacté auparavant, alors qu’il était leader de l’opposition et l’avait invité à s’exprimer devant la Commission des pays non membres. Il avait ensuite été exilé car le régime au pouvoir au Portugal n’avait pas apprécié ces contacts. Alors qu’il était revenu dans l’hémicycle comme ministre des affaires étrangères pour défendre cette adhésion, il y a eu un coup d’Etat dans son pays.

Il en a été de même pour l’Espagne. Chacun savait que ce pays n’était pas encore vraiment prêt : la réforme constitutionnelle n’avait pas été faite et l’ordre franquiste pesait encore. Pour exprimer la volonté de changement, une délégation des Cortès était présente dans l’hémicycle, avec, notamment Felipe Gonzalez que j’avais eu comme stagiaire au Centre pour la jeunesse.

Dans une déclaration solennelle produite devant l’Assemblée, les députés espagnols ont affirmé que les Cortès veilleraient au respect des principes défendus par le Conseil de l’Europe, à l’élaboration d’une Constitution démocratique et à la libération des prisonniers politiques. Ils ont été longuement applaudis et l’on peut dire que c’est là qu’a été décidée l’adhésion de l’Espagne et non en Comité des ministres, où cela n’a plus été qu’une formalité.

La contribution de l’Assemblée parlementaire, même alors seulement « consultative », a été extraordinaire.

Jusqu’en 1989 et à l’élargissement, l’APCE a connu chaque année des débats sur le rapprochement Est-Ouest. De nombreuses tentatives ont été lancées, notamment en direction des pays non alignés, comme la Roumanie et la Yougoslavie. Nous avons été très proches de l’adhésion de cette dernière avant que les événements que vous connaissez viennent tout bouleverser. Des efforts ont donc été sans cesse accomplis par le Conseil de l’Europe, notamment par son Assemblée parlementaire, pour élargir, intégrer et non exclure, et convaincre de la validité des valeurs défendues.

Cela a eu son importance car les contacts ainsi noués sont restés ensuite et ont facilité son évolution. L’Assemblée avait même proposé que le Conseil de l’Europe devienne l’instrument de la CSCE.

En 1989 est intervenue l’adhésion de la Finlande et, pour son quarantième anniversaire, le Conseil de l’Europe a noué les premiers contacts avec la Russie. A l’époque, Mme Lalumière déclarait déjà : « Le Conseil de l’Europe est le mieux placé pour instaurer avec les pays de l’Est ce qui pourrait être une conscience européenne, une identité européenne, une maison commune européenne. » Elle a employé cette expression avant Mikhaïl Gorbatchev.

L’Assemblée a alors décidé de poursuivre et d’intensifier ses contacts avec les pays européens non membres en vue d’établir les cadres et mécanismes d’un dialogue efficace visant une meilleure connaissance réciproque. Cela a abouti au statut d’invité spécial, lequel a souvent été attribué de manière informelle sans l’aval du Comité des ministres. La tribune parlementaire a été intelligemment utilisée et il faut que cela continue.

Ainsi, lorsqu’il s’adresse à l’Assemblée le 8 octobre 1988, le Pape Jean-Paul II apporte sa caution morale. Et nous avons connu ce grand moment sous la présidence de Louis Jung, un protestant ! (Sourires.)

Le 5 mai 1989, c’est le président de la république du pays hôte, François Mitterrand, qui est venu s’exprimer à l’occasion du 40e anniversaire du Conseil de l’Europe. Il déclare notamment que le Conseil de l’Europe est là « pour répondre à tous ceux qui, ici ou là, sont épris de liberté…Cela relève de la vocation primordiale de votre institution. »

En ce qui concerne l’invitation à M. Gorbatchev, notre ami Alexandre Orlov a participé aux négociations car il était alors Premier conseiller à l’ambassade d’Union soviétique à Paris. Des contacts avaient été noués dès 1987 parce que nous sentions qu’il allait se passer quelque chose. Nous avons organisé le voyage du président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe à Moscou en 1988 et l’invitation a ainsi pris forme entre personnes de bonne volonté. Le Comité des ministres disait que l’Assemblée était folle et il y avait aussi des réticences du côté du Kremlin. Nous avons tenu bon et il y a eu ce discours historique.

A l’époque, le statut d’invité spécial avait déjà été accordé à la Hongrie, à la Pologne, à l’Union Soviétique, à la Yougoslavie, et nous avions même reçu, pour cette occasion, un représentant du Congrès américain. Il en était reparti très satisfait en disant qu’il fallait que le président des Etats-Unis vienne à Strasbourg pour faire un aussi bon discours que Mikhaïl Gorbatchev.

Une autre invitation importante a abouti, le 6 septembre 1989, non par hasard mais après négociation, celle de Jacques Delors. Cela n’a pas été facile car prévalait déjà l’idée, au plan institutionnel, selon laquelle « à chacun son travail, à chacun son rôle » : en gros, ne nous mélangeons pas. Jacques Delors est tout de même venu et il a répété une phrase qu’il avait déjà dite à l’un de vos prédécesseurs dont j’étais le directeur de cabinet, pour souligner que les deux institutions étaient très différentes. Pour lui, la Communauté européenne était la voie noble de l’intégration, de la construction européenne. Votre prédécesseur lui avait alors répondu que nous étions donc les roturiers !

Il considérait que les deux institutions étaient complémentaires et, en réponse à une question sur les relations Est-Ouest, il avait déclaré que le Conseil de l’Europe était le cadre le plus adéquat pour construire l’Europe de demain, celui dans lequel le dialogue pouvait être engagé avec prudence et progressivité, et que la Communauté européenne n’entendait nullement compliquer ce dialogue d’ores et déjà ouvert.

Cette période n’était donc pas celle de l’Europe des nuls. Le Conseil de l’Europe a toujours mené une action claire, souple et politique. L’Assemblée parlementaire n’a pas à devenir politique ; elle n’a qu’à le rester.

La deuxième période a été celle de l’élargissement, entre 1990 et 2007. Elle a duré une quinzaine d’années, commençant avec l’admission aisée de la Hongrie – puisque nous avions eu des contacts avec des représentants de ce pays dès 1986 – et s’achevant avec la réadmission du Monténégro en 2007. L’Assemblée a su réussir ce grand défi. Cela a été une période folle, car il a fallu tout inventer.

Nous avions certes de l’avance grâce à la Commission des relations avec les pays non membres.

Il faut savoir que le Comité des ministres avait admis deux nouveaux membres sans consulter l’Assemblée : la Grèce et la Turquie. Churchill lui-même en avait été fâché et il a alors été décidé, dès 1949, que l’Assemblée devait être consultée avant toute admission. Le Comité des ministres est cependant toujours demeuré réticent et il a ainsi transmis des demandes d’admission sans directives.

En conséquence, a été mené un travail interne pour déterminer la carte du Conseil de l’Europe. Un débat de deux ans a été nécessaire pour déterminer qui était européen. Nous avons fait la carte et le Comité de ministres l’a validée. Des discussions ont porté sur certains points délicats.

Nous avons d’abord traité la question des anciennes Républiques soviétiques, en décidant d’exclure celles qui se trouvaient en Asie. Pour les pays du Caucase, il a finalement été décidé d’accepter l’Arménie, la Géorgie et l’Azerbaïdjan, mais les débats ont été longs et nourris.

Une fois la carte réalisée, il a fallu déterminer, en fonction des événements, le rythme des adhésions. Pour certains pays il a pu être rapide, mais les difficultés ont commencé avec la Roumanie, en raison de problèmes politiques et législatifs, en particulier en ce qui concernait le traitement des enfants, les orphelinats ou encore l’homosexualité. En conséquence, pour la première fois, en 1993, un pays a été admis avec le devoir de respecter certaines obligations.

Le cas de la Russie nous a également occupé longtemps, pour des motifs qui étaient constitutionnels et législatifs mais aussi à cause de la guerre en Tchétchénie. Là encore, la diplomatie parlementaire a joué un rôle décisif. Nous nous sommes rendus plusieurs fois dans cette république, ainsi qu’au Daghestan et en Ingouchie. Cela nous a permis d’avoir des contacts intéressants, notamment deux fois avec le président Poutine. J’ai même accompagné le ministre de l’intérieur en Tchétchénie pour voir comment on travaillait du côté russe.

Le journal Le Monde avait alors estimé que le Conseil de l’Europe avait perdu son honneur en levant la suspension de la procédure d’admission.

Nous avons rencontré deux cas difficiles.

Le premier a été celui de la Tchécoslovaquie qui, après avoir été admise rapidement en 1991, a été dissoute et a donné naissance à deux Etats indépendants, la République slovaque et la République tchèque qui, toutes deux, ont été admises de nouveau en 1993, mais leur réadmission a été laborieuse.

En effet la Slovaquie avait des problèmes avec la Hongrie, notamment en ce qui concerne le traitement des minorités. La Hongrie exigeait donc des engagements précis sur ce sujet. De l’autre côté, il y avait un désaccord entre la République tchèque et le Liechtenstein, ce dernier réclamant un accord relatif aux anciennes possessions du Prince du Liechtenstein en République tchèque.

Il semblait difficile de bloquer ainsi la réadmission de pays qui appartenaient à un ancien Etat membre. Il fallait trouver un mécanisme leur permettant d’être réintégrés. J’ai donc proposé que ces pays souscrivent des engagements dont l’exécution devrait être contrôlée. C’est devenu la directive Halonen.

L’Assemblée codifie aussi les conditions d’adhésion. Nous sommes ainsi parvenus progressivement à formuler des avis d’adhésion comportant jusqu’à vingt ou vingt-cinq engagements surveillés. Plutôt que d’attendre que les pays remplissent les conditions d’admission, nous avons préféré les admettre afin d’avoir plus d’influence sur eux, chez eux, de pouvoir les former, les initier, avoir des parlementaires avec nous pour les aider à mener les réformes nécessaires. (Applaudissements.)

M. le président. Cet exposé était vraiment intéressant, mais vous avez fait exploser le compteur temps ! Nous n’allons donc pas prendre le temps de poser des questions avant de passer à la deuxième table ronde.

B. Table ronde no 2 : l’APCE moteur du Conseil de l’Europe

M. le président. Cette table ronde comportera deux volets, l’un relatif aux pouvoirs propres de l’APCE, l’autre concernant l’élection des juges à la Cour européenne des droits de l’homme.

1. Les pouvoirs propres de l’APCE

a) M. Jean-Paul Costa, ancien président de la Cour : l’élection des juges à la Cour européenne des droits de l’Homme

M. Jean-Paul Costa, ancien président de la Cour européenne des droits de l’homme. Je suis très heureux de participer à ce colloque, le premier auquel j’assiste dans ma nouvelle qualité d’ancien président de la Cour européenne des droits de l’homme, puisque j’ai quitté mes fonctions jeudi 3 novembre.

Je traiterai dans un premier temps du système d’élection des juges à la CEDH.

Pour toute juridiction, notamment pour une juridiction européenne chargée de surveiller le respect des droits de l’homme par les Etats, il est fondamental d’avoir des juges indépendants et impartiaux, mais aussi honnêtes et non corrompus, afin que la justice soit rendue de façon équitable et satisfaisante. Les juges doivent également être compétents et la Convention européenne des droits de l’homme, signée en 1950 à Rome et à l’origine de la CEDH, a tenu à placer haut la barre en imposant de nombreuses conditions morales et professionnelles.

Dès 1950, la Convention européenne des droits de l’homme a fixé une procédure d’élection des juges originale et complexe. En effet, la nomination des juges est le résultat d’une désignation réalisée à la fois par les Etats et par l’Assemblée parlementaire. Cela est singulier par rapport aux autres systèmes de juridictions nationales ou internationales. Par exemple, à la Cour de justice de l’Union européenne qui siège à Luxembourg, les juges sont nommés par les Etats mais le Parlement européen ne ratifie pas cette nomination. Dans les juridictions nationales, les juges sont généralement désignés par des procédures moins complexes. On cite régulièrement le cas des juges de la Cour suprême des Etats Unis dont la nomination est faite de manière discrétionnaire par le président des Etats Unis puis ratifiée par le Sénat.

Le mécanisme de la Cour européenne des droits de l’homme était original dès 1950 si on le compare à un autre organe créé par la Convention européenne des droits de l’homme, la Commission européenne des droits de l’homme, supprimée en 1998, mais qui a fonctionné pendant une quarantaine d’années et a joué un rôle très important. Elle constituait l’organisme de filtrage des requêtes et elle a bâti une grande partie de la jurisprudence des organes de Strasbourg.

Les membres de la Commission européenne des droits de l’homme étaient désignés par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe et non par l’Assemblée, malgré les divergences récurrentes entre les deux instances.

Concernant l’élection des juges à la CEDH, le système reste identique à celui initialement prévu en 1950 : dès qu’un poste est vacant, chacun des quarante-sept Etats, qui a droit à un juge, doit présenter une liste de trois candidats. Ensuite, en respectant le cadre de la procédure, l’Assemblée parlementaire élit l’un de ces trois candidats. Actuellement, vingt juges féminins sont présents parmi les quarante-sept juges de la Cour, ce qui est presque la parité, caractéristique originale et remarquable pour une Haute juridiction.

La durée du mandat des juges à la CEDH a changé depuis 1950. A l’origine, les juges étaient élus par l’Assemblée pour six ans renouvelables, théoriquement indéfiniment, si bien que, lorsque leurs mandats s’achevaient, ils avaient le droit d’être réélus s’ils étaient à nouveau présentés par leur Etat sur la liste des trois candidats. Ce système a été modifié le 1er juin 2010, lors de l’entrée en vigueur du Protocole 14 de la Convention. Désormais, le mandat des juges est de neuf ans non renouvelable. Cette durée, avec la même clause de non renouvellement, est identique à celle des membres du Conseil Constitutionnel français, hormis pour ses membres de droit qui siègent à vie.

Cette modification est destinée à renforcer les garanties d’indépendance et d’impartialité des juges de la CEDH. En effet, lorsque le mandat était renouvelable, on pouvait craindre – et des précédents ont existé – que les Etats exercent des pressions ou du chantage à l’encontre des juges qui souhaitaient de nouveau figurer sur la liste de trois candidats. Ces risques n’existent désormais plus avec un mandat non renouvelable.

Les conditions à remplir pour figurer sur la liste des trois candidats et avoir la possibilité de devenir juge à la CEDH sont fixées par la Convention. Elles sont donc immuables puisque celle-ci est un traité international qui ne peut être modifié que par un accord unanime des Etats parties.

Les juges, et donc les candidats, doivent « jouir de la plus haute considération morale et réunir les conditions requises pour l’exercice des hautes fonctions judiciaires ou être des jurisconsultes possédant une compétence notoire ». La Convention a ainsi placé la barre haut en fixant des conditions rigoureuses qui sont vérifiées et remplies.

Actuellement il n’existe pas de limite d’âge inférieure et le problème se pose, particulièrement pour les jeunes diplômés d’une faculté de droit qui peuvent difficilement répondre aux critères imposés par la Convention. Ce sujet récurrent d’une limite d’âge inférieure est parfois débattu au sein de l’Assemblée ou du Comité des ministres.

En revanche, depuis 1998 et la disparition de la Commission européenne des droits de l’homme remplacée par une cour unique et permanente, il existe une limite d’âge supérieure fixée à soixante-dix ans.

Outre les règles fixées dans la Convention, l’Assemblée parlementaire a ajouté des mesures complémentaires. Elle s’est en effet rapidement rendue compte que les Etats avaient tendance à présenter leur liste de trois candidats par ordre de préférence. Elle a donc exigé, par voie de résolution, qu’ils les présentent par ordre alphabétique.

Concernant l’équilibre entre les sexes, l’Assemblée parlementaire a souhaité, également par voie de résolution, que le sexe féminin, sous-représenté au Conseil de l’Europe, ait une ou des représentantes sur la liste des trois candidats. Cela soulève le problème de la détermination de la sous représentation. Dans le cadre du Conseil de l’Europe, en effet, sa limite inférieure est fixée à 40 %. Aujourd’hui, nous avons vingt femmes sur quarante-sept juges, ce qui représente un peu plus que ce pourcentage. Désormais l’éventualité de listes exclusivement masculines va peut-être se poser. De telles listes, qui, dans le passé, étaient rejetées par l’Assemblée parlementaire, pourraient-elles à présent être acceptées ?

Assez rapidement, l’Assemblée parlementaire a fixé une règle sage : au lieu de sélectionner les candidats uniquement sur leur CV, l’Assemblée, les représentants parlementaires doivent pouvoir les connaître. Il y a donc une audition des candidats réalisée par une commission ou une sous-commission de l’Assemblée avant l’élection. Ensuite, la commission concernée fait à l’Assemblée plénière des recommandations, certes non contraignantes, mais qui pèsent évidemment beaucoup.

Une autre initiative de l’Assemblée parlementaire a été la mise en place de présélections et de sélections ouvertes et transparentes au niveau national afin de réduire les risques de favoritisme ou de népotisme. Pour des raisons de prestige et de salaire, les fonctions de juge à la CEDH sont très recherchées, notamment, mais pas uniquement, dans les pays de l’Est, et il pourrait exister des risques sérieux de ne présenter sur la liste de trois que des candidats proches du pouvoir politique.

Enfin, il est une mesure qui n’appartient pas à l’Assemblée parlementaire et qui, avant qu’elle ne devienne une décision du Comité des ministres du Conseil de l’Europe sur ma proposition en tant que président de la Cour, avait préalablement été envisagée lors la conférence ministérielle d’Interlaken. Il s’agit de la création d’un comité de sept personnalités éminentes qui fournissent aux Etats – en amont du travail de sélection de l’Assemblée parlementaire – des avis au moment de l’établissement des listes de trois candidats.

Ce comité, au sein duquel l’équilibre géographique est respecté, est actuellement présidé par M. Luzius Wildhaber, mon prédécesseur comme président de la Cour. John L. Murray qui était jusqu’il y a peu de temps Chief justice, c’est-à-dire le plus haut magistrat de la République d’Irlande, en est le vice-président.

Je traiterai à présent des moyens permettant d’évaluer le système.

Celui-ci est complexe puisqu’il associe nomination et élection. Cette complexité répond à certaines garanties, dont des garanties démocratiques.

On reproche souvent aux juges de la CEDH de prendre des décisions qui vont parfois à l’encontre de celles prises par les parlements nationaux. Il y a quelques mois, une polémique a vu le jour entre le gouvernement britannique et la Chambre des communes d’une part, et la Cour d’autre part, à propos de l’une de nos décisions prises il y a plusieurs années sur le droit de vote des prisonniers. La thèse du gouvernement britannique et de la majorité actuelle de la Chambre des communes est que ce type de décision doit appartenir au gouvernement et au Parlement national et pas à une Cour internationale qui n’a pas de légitimité démocratique.

L’intervention en aval de l’Assemblée parlementaire visant à sélectionner la ou le meilleur des trois candidats proposés par le Gouvernement - surtout depuis qu’il existe en amont ce comité de sept personnalités - est une tentative destinée à rendre le système plus démocratique.

Je reviens sur le cas de la Cour de justice de l’Union européenne.

Jusqu’à présent la nomination des juges et des avocats généraux à Luxembourg était réalisée de manière discrétionnaire par les gouvernements. Il existait simplement des consultations officieuses destinées à s’assurer que tous les pays étaient favorables aux propositions émises. A l’expérience, on a souhaité renforcer les garanties de qualité et de transparence. En application du Traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009, a été créée une commission - du même type que celle que nous avons établie pour la Cour de Strasbourg - que préside Jean-Marc Sauvé également vice-président du Conseil d’Etat français, qui émet des avis influents voire contraignants sur les nominations envisagées.

Le système de nomination des juges de la CEDH donne de bons résultats. La qualité moyenne des juges est excellente. Dans le passé, la CEDH a accueilli des juges éminents de toutes les nationalités : Pierre-Henri Teitgen, René Cassin, Louis-Edmond Pettiti, et mon successeur Nicolas Bratza qui le sera vraisemblablement aussi.

Peut-on améliorer le système ?

Concernant la limite d’âge inférieure, je crois qu’il s’agit davantage d’une question d’apparence que de réalité. Nous sommes chargés, à la CEDH, d’après l’article 19 de la Convention, de veiller au respect par les Etats des engagements qu’ils ont pris quand ils ont ratifié la Convention et ses protocoles. Nous avons donc nécessairement à nous prononcer sur des décisions prises par de hautes juridictions nationales - souvent prestigieuses et composées généralement de juges, féminins et masculins, bénéficiant d’une longue expérience: les Cours constitutionnelles lorsqu’elles existent, les Cours suprêmes lorsqu’il n’y a pas de Cour constitutionnelle ou encore la House of Lords qui est devenue The Supreme Court au Royaume-Uni.

Du point de vue des apparences, un nombre important de jeunes juges peut susciter des critiques. Il serait donc fondé d’envisager une limite d’âge inférieure comme cela existe dans de nombreuses juridictions nationales. De plus, le non renouvellement des mandats de neuf ans des juges empêche les plus jeunes d’entre eux de continuer à progresser et à s’améliorer au sein de la CEDH puisqu’ils sont contraints de revenir dans le système national à la fin de leur mandat. La fixation de cette limite d’âge inférieure pourrait être soit une règle écrite inscrite dans la Convention avec une clause de dérogation en faveur des candidats de qualité tout à fait exceptionnelle, ou encore une règle non écrite, une sorte de gentleman agreement, entre les Etats, le Comité des sept, l’Assemblée parlementaire et, bien entendu, le Comité des ministres. Cela laisserait ainsi aux candidats les plus brillants le temps de prendre de la valeur.

Globalement, le système actuel est satisfaisant et il est un exemple de collaboration constructive entre les Etats membres qui sont les pères de la Convention et des traités, le Comité des ministres et l’Assemblée parlementaire.

La question de l’élection des juges par l’Assemblée parlementaire est une affaire déterminante pour l’avenir. Alors que la CEDH rend peu d’avis consultatifs, nous avons eu l’occasion, à la demande du Comité des ministres, d’en émettre deux sur les problèmes d’élection des juges. L’un pour l’appréciation de la règle d’équilibre entre les sexes : cette règle doit-elle demeurer rigide ou pourrait-elle bénéficier de dérogation  pour les petits pays qui ont des difficultés à trouver des candidates de grande valeur ? L’autre est relatif à la nomination d’un juge ukrainien, question pour laquelle existait un blocage entre l’Ukraine, le Comité des ministres et l’Assemblée parlementaire. Le poste est demeuré vacant plusieurs mois. (Applaudissements.)

M. le président. Je donne la parole à M. Fabrice Kellens pour nous parler de la procédure de sélection des membres du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants.

b) M. Fabrice Kellens, secrétaire exécutif adjoint du Comité de prévention de la torture (CPT) : la désignation des candidats au CPT

M. Fabrice Kellens, secrétaire exécutif adjoint du CPT. Je remercie la Fondation Robert Schuman et la délégation française de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe pour l’invitation adressée au CPT qui me permet de prendre la parole.

En préambule, je souhaite exprimer ma reconnaissance, ainsi que celle du CPT, au président Costa qui a su guider, d’une main de maître, l’évolution de la Cour ces dernières années dans des circonstances parfois difficiles. Également, j’ai une pensée pour le professeur Antonio Cassese, décédé très récemment et que j’ai eu le plaisir de servir pendant quelques années. Il fut l’architecte de la justice pénale internationale telle que nous la connaissons aujourd’hui.

La procédure de sélection et d’élection des membres du CPT ressemble à une fusée à cinq étages. Elle se compose de travaux réalisés au niveau national, à celui de l’APCE et également de débats au sein du Comité des ministres. La forme de cette procédure s’appuie sur le processus d’élection des membres de la Commission européenne des droits de l’homme car elle a été mise en place à une époque où elle existait encore.

La Convention européenne pour la prévention de la torture est entrée en vigueur en 1989, quelques mois avant que le mur de Berlin tombe. Ses articles 4 et 5 prévoient les procédures d’élection et un nombre de membres égal à celui des parties, soit quarante-sept actuellement. Malheureusement, la Bosnie-Herzégovine peine à proposer des candidats et nous militons auprès des autorités de cet Etat pour que ce siège vacant depuis longtemps soit enfin occupé.

Comme pour les juges de la Cour, la barre de sélection est fixée très haut. L’article 4 de la Convention impose de proposer des personnalités de haute moralité connues pour leurs compétences en matière de droits de l’homme, ou ayant une expérience professionnelle dans les domaines examinés par la Convention. L’aspect judiciaire et juridique est primordial lors des procédures d’élection et de sélection des juristes au CPT, comme à la Cour. En outre, nous pouvons également compter sur une représentation médicale de psychiatres, mais aussi sur des psychologues et sur des spécialistes des questions pénitentiaires, de police ou de renseignements. En effet, les investigations et les visites du CPT visent les services de police, mais également les services de renseignements ou les questions d’immigration, qui, depuis une dizaine d’années, occupe constamment nos Etats.

L’article 4 prévoit que les membres siègent à titre individuel – ils siègent donc au titre de l’Etat mais ne le représentent pas –, qu’ils sont indépendants et impartiaux dans l’exercice de leur mandat et disponibles pour remplir leurs fonctions de manière effective. L’indépendance et l’impartialité sont parfois difficiles à garantir dans certaines situations et le président Cassese avait prévu ces difficultés. Il avait ainsi fait intégrer dans le règlement intérieur du Comité une formule simple mais révolutionnaire, qui prévoyait qu’un membre du CPT ne pourrait jamais participer aux visites d’inspection dans son Etat et n’aurait pas le droit de prendre la parole lorsque le rapport de son pays serait discuté. C’est la façon la plus efficace de garantir cette indépendance et cette impartialité. C’est ainsi qu’à plusieurs reprises les présidents de séances au CPT ont dû interrompre les membres qui tentaient de prendre la parole.

L’article 5 prévoit que l’élection se fasse en Comité des ministres à la majorité absolue des voix et à bulletin secret sur une liste de noms dressée par l’Assemblée parlementaire. La délégation nationale auprès de l’Assemblée parlementaire est tenue de présenter une liste de trois candidats dont au moins deux sont de sa nationalité.

Enfin, autre différence avec la Cour, le mandat initial des membres du CPT court pour quatre années renouvelables deux fois. Pour une partie importante des membres du CPT qui travaille de manière correcte et efficace, le mandat peut donc durer douze ans.

Près de dix ans après l’entrée en vigueur de la Convention, quelques rappels à l’ordre ont été adressés par l’Assemblée parlementaire au sujet de la procédure d’élection.

Le premier d’entre eux a été émis par l’intermédiaire de la recommandation 1323 de 1997 relative au renforcement du mécanisme du CPT sollicitant une composition plus équilibrée du Comité, notamment une plus grande participation des femmes. C’est ainsi qu’a été introduite l’idée d’un seuil minimal de représentation du sexe sous-représenté, aujourd’hui le sexe féminin. La recommandation insistait également sur le critère de la disponibilité effective des membres. En effet, les missions engagées par le CPT sont de longue durée, parfois lointaines et cela peut causer des difficultés aux spécialistes qui sont amenés à concilier les exigences du CPT et celles de leurs activités professionnelles.

Quelques années plus tard en 2001, la résolution 1248 est de nouveau revenue sur la composition du CPT et a rappelé que les critères de la Convention devaient être respectés notamment en matière de transparence et d’indépendance.

Une avancée majeure est intervenue en 2007 avec la résolution 1540 liée à l’amélioration des procédures de sélection des membres du CPT. L’Assemblée a confirmé que le maintien de l’autorité du CPT dépendait des valeurs morales, des qualifications professionnelles et de l’investissement personnel de tous ses membres.

Des propositions d’amélioration ont en outre été formulées. Elles tendent prioritairement à une transparence des procédures de sélection et à un renforcement des mécanismes qui doivent conduire à la désignation des candidats. Le poste de membre du CPT est également très recherché et l’Assemblée parlementaire a donc demandé une optimisation des informations mises à la disposition de la sous-commission des droits de l’homme, qui effectue le premier filtre dans l’objectif de fournir au Comité des ministres une proposition de liste fondée sur des éléments de faits objectifs.

Egalement, en 2007, l’Assemblée est revenue sur les notions d’indépendance et de conflit d’intérêt : concernant l’indépendance, il ne peut être question qu’un membre du CPT soit simultanément membre du Comité et en charge, au niveau national, de la politique menée dans l’un des domaines de compétence dans lequel il exerce son mandat. Si un membre du CPT ou un candidat au CPT est, ou pourrait être, confronté à un problème de conflit d’intérêt, un engagement écrit doit être pris avant même la procédure d’élection pour garantir que ni la personne ni le CPT ne soient mis en difficulté.

Aujourd’hui, des procédures d’appel public à candidature, qui ne sont pas encore appliquées par tous les Etats, le sont déjà au Royaume-Uni, l’un des premiers pays à les avoir instaurées. Ces procédures d’appel public à candidature sont ouvertes à égalité aux hommes et aux femmes et elles organisent des consultations de candidats adéquats, en collaboration avec les autorités du pays et des organisations non gouvernementales. Cela permet, au niveau national, de prononcer éventuellement des rejets pour absence de qualification, de motivation, de disponibilité effective, ou d’aptitude linguistique.

Egalement, un processus permet à la sous-commission des droits de l’homme de l’Assemblée d’inviter systématiquement les chefs des délégations nationales pour prendre la parole et défendre les candidatures complètes. Lorsqu’il manque des informations pertinentes ou que les critères ne sont pas respectés, l’Assemblée parlementaire n’hésite pas à rejeter des listes de candidats.

Enfin, dernier élément qui date de 2011 : le rapport Gardetto, la résolution 1808 et la recommandation 1968 envisagent que l’élection des membres du CPT puisse à l’avenir se faire par l’Assemblée parlementaire et non par le Comité de ministres. Cet élément innovant nécessiterait une modification de la Convention. Il s’agit d’une question politique sur laquelle le CPT ne prend pas position et confie son sort aux organes du Conseil de l’Europe.

Le Comité des ministres étudie actuellement cette proposition, mais également une autre qui serait aussi révolutionnaire puisqu’elle modifierait l’équilibre prévu dans la Convention.

Jusqu’à présent les inspecteurs internationaux peuvent circuler librement, examiner ce qu’ils souhaitent lorsqu’ils le désirent, à condition que les rapports de visites restent confidentiels jusqu’à ce que l’Etat décide de les rendre publics. Une proposition de M. Gardetto viserait à rendre systématiquement publics les rapports de visites après une éventuelle période de six mois. Cet élément fait l’objet de discussions, car il renverserait un équilibre qui avait été instauré à l’origine de la Convention et qui avait permis au président Cassese – alors président du comité directeur des droits de l’homme – d’obtenir l’aval des Etats à une époque où il n’existait aucun organe équivalent au CPT dans le monde.

Nos réussites des vingt dernières années ont amené, il y a cinq ans, l’Assemblée générale de l’ONU à créer un organe équivalent au nôtre, le SPT, sous-comité de prévention de la torture, par un protocole additionnel à la Convention des Nations unies contre la torture et qui tente de refléter notre travail et nos méthodes à l’extérieur de l’Europe. (Applaudissements.)

M. le président. Nous en venons aux questions aux deux intervenants.

Un intervenant dans la salle. Comment s’organise le travail de coopération entre les Nations unis et le CPT ?

M. Fabrice Kellens. Le CPT et le SPT, qui est en activité depuis deux ans et demi, ont l’obligation conventionnelle de travailler dans la confidentialité et le secret. Cela pose parfois des difficultés, notamment lorsque nous avons des contacts avec des organes tels que le Comité international de la Croix rouge. Nous trouvons cependant les voies et moyens nécessaires pour dialoguer. D’ailleurs en décembre, à Genève, nous participerons à une réunion dans le cadre de l’ONU pour mettre en commun des expériences, parler des défis, des recettes et des outils de prévention.

Un intervenant dans la salle. L’état des prisons russes est très dégradé. Traitez-vous régulièrement de ce dossier ? Constatez-vous des progrès ?

M. Fabrice Kellens. Nous ne sommes pas les seuls à nous pencher sur ce sujet. La Cour accomplit également un travail extraordinaire dans ce domaine.

Aujourd’hui, les rapports de visites du CPT concernant la Fédération de Russie ne sont pas publics, mais nous espérons que les choses vont évoluer dans le bon sens. En tout cas, nous avons enregistré une avancée de la part des autorités russes qui étudient la possibilité de rendre publics les rapports de visite du CPT. Il en va d’un jeu démocratique normal, de l’intérêt de la société civile et des organes russes que nous inspectons car, contrairement à la Cour qui sanctionne les Etats, le CPT coopère avec eux pour améliorer la situation. Ainsi, quand nous constatons des problèmes difficiles dans les Etats, nous profitons de la qualification professionnelle et des compétences des membres du CPT pour engager un dialogue véritable avec ceux qui gèrent les institutions en cause.

Lorsque nous sommes en mesure d’apporter des solutions concrètes aux Etats, ils les mettent volontiers en oeuvre car elles sont conformes à leur intérêt. Nous espérons donc que la Fédération de Russie va continuer à répondre favorablement à des demandes multiples et incessantes.

M. Jean-Paul Costa. J’ajoute que la CEDH s’appuie sur les rapports du CPT pour traiter les requêtes individuelles. Avant 1998, la Commission des droits de l’homme menait beaucoup d’enquêtes sur place, comme le CPT aujourd’hui, alors que la Cour n’en fait plus pour des raisons de surcharge de travail et de temps. Dans nos arrêts, nous citons cependant très régulièrement les rapports du CPT.

En ce qui concerne la situation des lieux de détention en Russie, il semblerait qu’elle s’améliore. Pour lutter contre la surpopulation carcérale il existe deux solutions: construire davantage de prisons mais cela prend du temps et de l’argent et ne diminue pas le nombre de détenus ; ou mener une politique pénale visant à réduire le nombre des détenus. Selon mes informations, ces trois dernières années, celui-ci a diminué de 20 à 25 % en Russie. Bien entendu, il faudra de nombreuses années pour que la situation devienne acceptable, mais c’est une indication de tendance qui n’est pas négligeable.

Un intervenant dans la salle. Monsieur Kellens, votre mandat couvre-t-il aussi la question de la peine de mort ? A cet égard, je pense aux dérapages des Etats lors des guerres conduites sous l’égide de l’OTAN. Si ce n’est pas le cas, qui est habilité à traiter du sujet ?

M. Fabrice Kellens. Le mandat du CPT couvre l’article 3 de la Convention qui interdit la torture, les mauvais traitements et les peines ou traitements inhumains ou dégradants. En théorie, le Comité ne s’occupe pas de l’article 2, mais il serait illusoire de prétendre que l’on peut travailler sur la base de l’article 3 et, en même temps, s’abstraire de l’article 2. D’ailleurs, dans sa jurisprudence relative à celui-ci, la Cour a repris certains critères que nous avions énoncés dans nos rapports.

Actuellement, le CPT ne visite pas de pays où la peine de mort est appliquée de manière effective. Nous aimerions bien nous rendre au Belarus, mais les autorités de ce pays semblent redouter notre arrivée. En revanche, nous sommes amenés à gérer des situations dramatiques dans des prisons au sein d’Etats où la peine de mort n’est plus appliquée de manière effective, mais où les détenus condamnés par le passé à cette peine sont soumis à des conditions de détention ou à un traitement pénitentiaire inacceptables.

Concernant le rôle de l’OTAN, la Cour a été amenée à se prononcer sur les problèmes posés lors de conflits armés il y a une dizaine d’années. Nous avons aussi visité deux fois le Kosovo, ce qui présente un intérêt particulier : d’abord parce qu’en droit international ce pays fait toujours partie de la Serbie ; ensuite parce que le CPT avait toujours affirmé qu’il ne s’y rendrait que lorsqu’il aurait l’absolue certitude de pouvoir visiter tous les lieux de détention. En effet nous estimons que les troupes envoyées par des Etats membres du Conseil de l’Europe relèvent de notre mandat puisque la discipline militaire du Royaume-Uni, de la France, de la Belgique, de l’Italie et de l’Allemagne s’y applique aux contingents militaires.

Nous avons pu obtenir, avec l’appui de l’Assemblée et du Comité des ministres, la signature d’une lettre, il y a quatre ou cinq ans, autorisant le CPT à travailler au Kosovo, à la fois dans les installations relevant des forces des Nations unies et dans celle dépendant de l’OTAN, ce qui était particulièrement important. En effet, après quatre années de négociation avec l’administration Bush qui n’était évidemment pas très chaude pour coopérer, cela nous a donné accès à un camp que l’on peut assimiler à un Guantanamo européen, ainsi que, par la porte arrière si je puis dire, aux systèmes de détention militaires américains en vigueur dans le monde, au code militaire d’interrogatoire, aux processus d’interrogatoire. Je ne peux en dire plus puisque, malheureusement, nos rapports sur ce sujet ne sont pas publics.

Un intervenant dans la salle. L’Union européenne prépare une feuille de route sur les droits procéduraux. La Cour européenne des droits de l’homme a-t-elle conscience qu’elle est à la base de cette réforme juridique et que sa jurisprudence pourrait dicter les règles concernant les droits procéduraux en Europe?

M. Jean-Paul Costa. Soyez bien persuadé que la politique jurisprudentielle de la Cour est délibérée. Nous travaillons sur des requêtes individuelles et nous rendons des milliers d’arrêts chaque année. Cela s’inscrit dans une interprétation de la Convention qui se veut cohérente. Cette dernière comporte des articles relatifs à la procédure, les articles 5, 6, 7, qui donnent des garanties aux personnes suspectées, accusées ou inculpées. Si cela produit ses fruits, nous en sommes satisfaits.

2. L’action de suivi des Etats par l’APCE

M. le président. Pour cette seconde partie de la table ronde, la parole est à Mme Caroline Ravaud.

a) Mme Caroline Ravaud, chef du Secrétariat de la Commission de l’APCE pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l’Europe : le suivi des obligations des Etats 

Mme Caroline Ravaud, Chef du secrétariat de la commission de l’APCE pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l’Europe. Je remercie la délégation française auprès de l’Assemblée ainsi que la Fondation Robert Schuman de m’offrir l’occasion de vous exposer le rôle et les missions de la procédure de suivi des engagements et obligations des Etats membres du Conseil de l’Europe dans le cadre d’un suivi parlementaire.

Dans les années quatre-vingt-dix, s’est posée la question politique de savoir s’il convenait de faire entrer au Conseil de l’Europe des Etats qui n’étaient pas prêts, afin de les accompagner en espérant des progrès. Comme Bruno Haller, je pense que nous avons fait le bon choix de les accepter. En revanche, nous n’avions pas envisagé la lenteur du processus.

Nombre d’Etats, bien que désireux de rejoindre l’Europe dont ils faisaient géographiquement partie, quelquefois historiquement depuis longtemps, se sont difficilement adaptés aux normes et standards du Conseil de l’Europe. Au-delà d’une question d’institution et de codes, il s’agit d’une affaire de mentalités et de pratiques. Nous ne l’avions pas mesuré à l’époque.

Concernant les conditions d’adhésion, ce que l’on appelle désormais les engagements, l’Assemblée parlementaire a travaillé empiriquement. Nous avons ainsi accueilli chaleureusement l’Espagne et le Portugal sans contrepartie tant nous étions satisfaits de l’achèvement de leurs dictatures. Ensuite, lors de la première vague d’adhésion des Etats de l’Europe centrale et orientale, nous avons seulement vérifié s’ils avaient procédé à des élections libres. Progressivement, nous avons compris que plus nos exigences seraient nombreuses lors de l’adhésion, plus nous pourrions atteindre nos objectifs. Une fois un Etat devenu membre de l’organisation, il est plus difficile de peser sur lui.

C’est donc à ce moment que nous avons commencé à réaliser ce catalogue des engagements. Pour certains pays il a été sommaire, pour d’autres il est devenu, avec le temps, plus dense.

Les Etats qui ont eu la chance d’adhérer au Conseil de l’Europe dès le début des années quatre-vingt–dix ont bénéficié de moindres conditions à remplir que ceux qui ont fait leur entrée ultérieurement : en 2001 pour l’Arménie ou l’Azerbaïdjan, en 2002 pour la Bosnie-Herzégovine, en 2007 pour le Monténégro. Les modalités d’acceptation de ce dernier Etat révèlent bien l’évolution de la pratique.

Lorsque la Serbie a été déclarée Etat successeur de l’Union de Serbie-Monténégro, ce pays a été amené à devoir reformuler une demande d’adhésion qui a été examinée sur la base de ses mérites propres. L’Assemblée du Conseil de l’Europe a alors conditionné cette entrée à une série de demandes d’engagements très complète, notamment à la rédaction d’une nouvelle Constitution qui respecte les droits fondamentaux des citoyens et soit basée sur un concept civique, donc sur le droit des citoyens et non sur le droit des groupes ethniques.

Au commencement, la commission des affaires politiques se chargeait de poser les conditions et l’on surveillait les élections. Par la suite, l’Assemblée s’est également intéressée au fonctionnement des institutions, notamment aux systèmes judiciaires. Elle a alors nommé d’éminents juristes – souvent d’anciens membres de la Commission européenne des droits de l’homme ou de la Cour – pour mener des enquêtes sur la conformité du système juridique de l’Etat demandeur avec la Convention européenne des droits de l’homme. Les rapporteurs ont donc réalisé plusieurs missions d’information et il y avait des négociations.

Ces engagements ne sont qu’une liste d’actions spécifiques demandées aux nouveaux Etats membres et destinées à favoriser leur mise en conformité avec les obligations statutaires qui incombent à tous les Etats membres. Il s’agit d’être une démocratie, un Etat de droit, un Etat qui respecte les droits de l’homme.

Les conditions minimales élaborées progressivement sont : des élections libres ; l’introduction d’un moratoire sur la peine de mort et un engagement de ratifier au moins le protocole n° 6 dans un délai d’un à trois ans ; la ratification de la Convention européenne des droits de l’homme et de son mécanisme d’examen des requêtes individuelles devenu obligatoire en 1998 ; l’introduction de la demande de ratifier, dans un délai donné, la Convention cadre pour les minorités nationales.

Ce sont donc les conditions minimales mais, avec le recul, on peut se demander si l’Assemblée a bien agi.

Aujourd’hui, quatre Etats suscitent 70 % du contentieux à la Cour européenne des droits de l’homme : la Russie, l’Ukraine, la Roumanie et la Turquie. L’étude de la typologie des arrêts rendus nous conduit à constater qu’il existe, dans certains pays, des problèmes structurels qui n’ont pas été réglés par la ratification de la Convention ou par les réformes entreprises depuis leur adhésion au Conseil de l’Europe.

En effet, la réforme des systèmes judiciaires est l’une des plus complexe à réaliser. Tandis que, pour mettre en place des élections démocratiques, on peut effectuer un travail de fond destiné à rendre les commissions électorales plus indépendantes, plus impartiales, et le travail plus transparent, la réforme de l’Etat de droit nécessite d’œuvrer simultanément sur de nombreux plans. Il ne sert à rien d’avoir une justice indépendante s’il n’y a pas de police soumise à un contrôle civil. Il ne sert à rien d’avoir des juges indépendants si les procureurs ne le sont pas. Il ne sert à rien d’avoir des juges si les tribunaux dans lesquels ils exercent leur activité sont en ruine. Il ne sert à rien d’avoir des juges indépendants s’il n’y a pas un greffe autonome. Il s’agit de savoir quel est le budget qu’un Etat souhaite allouer à sa justice et comment promouvoir l’indépendance des juges. La réforme du système judiciaire est donc complexe et longue.

De la même manière, on ne peut parler du système judiciaire sans évoquer l’exécution des décisions de justice. C’est l’un des problèmes que l’on rencontre en Ukraine, en Roumanie, en Russie, où les décisions de justice internes sont inexécutées car ces Etats, qui sont souvent les débiteurs, n’ont pas de budget ou manquent d’huissiers.

Se pose également le problème des prisons.

L’Etat de droit est donc un ensemble complexe. En effet, sans Etat de droit il n’existe pas de respect des droits de l’homme. Sans structures suffisamment solides et indépendantes il n’existe pas non plus de respect des droits de l’homme au niveau des libertés individuelles.

Rapidement, au travers de la pratique, la commission de suivi s’est rendue compte que la vérification du respect des engagements ne se limitait pas au remplissage d’une case. Il ne s’agit pas seulement de contrôler l’adoption d’une loi ; il faut aussi vérifier son contenu et sa mise en application. C’est une leçon que l’Union européenne, qui n’a mis en place un mécanisme de vérification qu’après l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, est en train d’apprendre.

Auparavant, les membres de l’Union n’étaient pas soumis aux vérifications. Aujourd’hui, avec le cas de la Grèce, nous constatons la pertinence d’un système de vérification plus élaboré.

Un autre des problèmes philosophiques de la commission de suivi est la détermination du suivi des Etats.

La procédure automatique de suivi des Etats nouvellement membres date des années 1995-1997. Il s’agit d’une obligation de coopération. Cela a été appliqué pour Monaco, devenu membre en 2004. Cependant, le mandat d’origine de la commission de suivi, en 1997, prévoit qu’elle a vocation à vérifier le respect des engagements de tous les Etats membres : il n’est pas question d’opérer une discrimination entre les anciens et les nouveaux.

A la suite de la vague d’élargissement, de nombreux Etats ont occupé la commission de suivi et, jusqu’en 2006, elle n’a pas eu le temps de s’occuper de tous les Etats membres. Comment une commission de quatre-vingt-quatre parlementaires pourrait-elle vérifier les engagements et obligations de quarante-sept Etats ? Nous avons donc imaginé un système où les trente-trois Etats non assujettis à une procédure de suivi sont examinés individuellement tous les trois ans et nous les avons divisés en groupes de onze. La France a été soumise à un examen en 2006 puis en 2009. Ce n’est qu’en 2012 que nous étudierons de nouveau la façon dont elle s’acquitte de ses obligations vis-à-vis du Conseil de l’Europe.

Immédiatement apparaît l’accusation de double standard. La France, l’un des pays fondateurs du Conseil de l’Europe, n’a encore ratifié ni la Convention cadre pour les minorités nationales ni la Charte pour les langues régionales et minoritaires. Pourquoi demanderait-on, comme nous l’avons fait en 2004 à la Turquie qui rencontre le même problème constitutionnel que la France car elle ne reconnaît pas les minorités, de le faire ? En revanche, l’accusation de double standard relative aux procédures de suivi des engagements de pays comme la Russie, la Géorgie ou l’Ukraine, qui ont accepté de ratifier certaines conventions telle la Convention cadre pour les minorités nationales, ne peut être retenue. Il s’agit d’engagements pris librement auxquels ces pays doivent se tenir.

A partir de 1997, la procédure de suivi a été confiée à une Commission dédiée. Elle est la seule qui ne réalise pas un travail thématique mais oeuvre pays par pays. Aujourd’hui, dix Etats parmi les quarante-sept membres sont sous procédure de suivi : l’Ukraine, la Russie, la Moldavie, les trois pays du Caucase, la Serbie, le Monténégro, la Bosnie-Herzégovine et l’Albanie. Certains d’entre eux, comme l’Albanie ou la Moldavie, le sont depuis plus de quinze ans et cela pose un sérieux problème politique. En effet la procédure de suivi est souvent vécue par les Etats comme une ingérence dans leurs affaires intérieures et non comme un mécanisme de coopération.

Cette échelle temps n’a pas été perçue lorsque ces pays sont devenus membres du Conseil de l’Europe. Ce processus nécessitera une évolution des mentalités et plus d’une génération pour s’établir. Cela commence avec l’éducation aux droits de l’homme et à la tolérance dans les cursus d’éducation, à la citoyenneté, et par une sensibilisation aux droits et au respect que chacun doit avoir. Progressivement, dans certains pays, la nécessité d’une opposition constructive apparaît et il faut donc envisager une période de dix à trente ans pour la confirmer.

Toutefois, les progrès accomplis sont significatifs.

Les pays du Caucase et l’Albanie sont encore sous procédure de suivi. Ils le sont non seulement en raison des motifs que je viens de développer, mais aussi parce qu’ils sont victimes de crises permanentes. Ainsi l’Albanie est paralysée par la polarisation excessive de sa vie politique où règne une lutte de clans entre le Parti socialiste et le Parti démocratique ; l’Ukraine n’a pas su prendre le virage de sa réforme constitutionnelle en 2004 et une incertitude considérable persiste quant aux rôles respectifs du Premier ministre, du Parlement et du président ; La Russie a délibérément fait le choix de la stabilité plutôt que celui de l’ouverture à des forces qui risquent d’être centripètes ; la Moldavie est paralysée depuis presque trois ans par l’incapacité de son Parlement à élire un président ; la Bosnie n’a pas de gouvernement depuis plus d’un an.

Ces crises politiques permanentes ne permettent donc pas à la Commission de suivi de participer à une évolution constructive.

Pour ce qui est de la procédure, la Commission de suivi est l’unique commission où les membres sont nommés par les groupes politiques et non par les délégations nationales et qui se réunit à huis clos. Elle est également la seule commission où les deux rapporteurs nommés pour chaque pays doivent être de groupes politiques différents et ne pas venir de pays voisins. Ils doivent signer une déclaration d’absence de conflit d’intérêt, s’engager à être disponibles, mais aussi à faire au moins une visite annuelle et à produire un rapport pour débat en assemblée plénière une fois tous les deux ans. Ce rapport est ensuite adressé pour commentaires à la délégation nationale concernée afin de mettre en place un échange. Il ne s’agit pas de faire comme certaines ONG ou certains think tanks américains et de donner une note, mais d’apprécier la progression du pays vers les normes et les standards du Conseil de l’Europe.

S’agissant de l’observation des élections, le Conseil de l’Europe fait également un travail de suivi mais aussi un travail substantiel, grâce à l’intervention de la Commission de Venise, pour aider à améliorer les législations et les codes électoraux. C’est souvent la commission de suivi qui saisit la Commission de Venise. (Applaudissements.)

M. le président. Sur cette question de l’observation des élections, la parole et à M. Yann de Buyer.

b) M. Yann de Buyer, Chef de la Division centrale de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe : l’exemple de l’observation des élections

M. Yann de Buyer, Chef de la division centrale de l’APCE. Je remercie Caroline d’avoir en quelque sorte introduit mon propos, car les actions de l’Assemblée parlementaire dans le domaine de l’observation des élections ont été novatrices.

C’est en 1974, avec la chute du régime des colonels en Grèce, qu’elle a, pour la première fois, observé sur place un retour de la démocratie. Cependant, ce n’est qu’en 1989 qu’a été systématisé le processus d’observation des élections dans le cadre du statut d’invité spécial, préalable à l’adhésion des Etats. Il s’agissait d’apprécier la façon dont ces Etats vivaient la démocratie. Pour cela, le déroulement des élections et la liberté des citoyens à élire leurs représentants au niveau national ont été observés.

A partir de 1989, le Conseil de l’Europe a donc mis en place ce système d’observation systématique. Dès 1990, l’Assemblée parlementaire a collaboré et participé à la création d’une autre institution, la Commission de Venise, la Commission européenne pour la démocratie par le droit. Elle est membre à part entière d’un de ses organes, le Conseil des élections démocratiques, chargé de vérifier l’ensemble des législations nationales adoptées par les Etats.

En 2004, l’Assemblée a essayé de systématiser les lignes directrices des pratiques d’observation des élections dans les différents pays.

Prioritairement, l’Assemblée examine les élections dans des Etats soumis à une procédure de suivi, mais le Bureau de l’Assemblée peut décider d’étudier le déroulement d’élections dans d’autres pays, notamment dans ceux avec lesquels il existe un intérêt particulier de coopération, comme la Tunisie ou le Maroc.

En tout état de cause, une observation d’élections ne peut intervenir comme cela. Il faut que l’Etat en cause ait pris l’engagement d’accepter la venue des parlementaires et les ait invités à ce titre. Il faut ensuite que cette invitation soit acceptée par une décision du Bureau de l’Assemblée parlementaire. Ce dernier constitue ensuite une commission ad hoc composée de façon précise, ses membres étant désignés par les groupes politiques auquel le Bureau demande de respecter un certain équilibre géographique. En fait les délégations d’observation doivent représenter les cinq groupes existant au sein de l’Assemblée parlementaire – le Groupe socialiste, le Parti populaire européen, le Groupe des démocrates européens, les Libéraux, la Gauche unitaire – et une bonne répartition géographique, contrairement à ce qui se passe pour les délégations du Parlement européen. Pour observer des élections en Moldavie, alors que la délégation de l’Assemblée parlementaire était équilibrée et harmonieuse, celle du Parlement européen était composée de quatre parlementaires roumains. Dans le contexte politique régional, cela était pour le moins déplacé !

L’article 11 des lignes directrices prévoit que le Bureau de l’Assemblée parlementaire peut envoyer sur place trois catégories de missions d’observations : des missions internationales pour les cas jugés les plus importants; des missions d’évaluation réduites, composées d’un représentant par groupe politique ; des missions, dans le cadre desquelles le rapporteur de la commission de suivi ou celui de la commission des questions politiques, sont envoyés en plus de leurs travaux habituels, souvent dans le cadre d’un référendum.

Dans chaque cas une commission ad hoc comprenant entre cinq et trente membres, parfois même quarante, est donc créée par l’Assemblée. Elle comprend les rapporteurs concernant le pays en question sur ce sujet, à savoir celui de la commission des questions politiques, celui de la Commission des questions juridiques ou de la commission de suivi, mais ce dernier n’est jamais le président de la délégation.

Selon les élections, la présidence tourne régulièrement entre les groupes politiques afin que chacun ait l’opportunité de présider une telle délégation.

Par ailleurs, l’accord qui nous lie à la Commission de Venise prévoit le renfort d’un de ses experts juridiques auprès de la commission ad hoc de l’Assemblée parlementaire, en principe celui de ses membres qui a travaillé sur la législation électorale du pays. L’Assemblée parlementaire est ainsi l’unique institution internationale à bénéficier des compétences hautement qualifiées de parlementaires qui ont étudié les questions relatives à l’évolution du pays. Il s’agit d’un atout considérable.

Une des autres particularités de l’Assemblée parlementaire est qu’elle envoie sur place, généralement un mois avant l’élection, une mission préélectorale qui permet à cinq représentants des groupes politiques, qui seront ensuite membres de la commission ad hoc, de réaliser une première évaluation de la situation du pays. C’est dans ce contexte que s’organisent les rencontres avec les plus hautes autorités de l’Etat, souvent le président de la République, le président du Parlement, le président de la Cour constitutionnelle, le président de la commission centrale électorale, afin d’examiner le processus mis en œuvre préalablement au vote.

Deux ou trois jours avant le scrutin, la mission internationale d’observation des élections est déployée avec des représentations, outre celle de l’Assemblée parlementaire, d’autres institutions telles l’Assemblée parlementaire de l’OSCE, le Parlement européen, parfois même l’Assemblée parlementaire de l’OTAN. Elles se retrouvent dans le cadre de réunions communes d’information avec des représentants de la société civile et des journalistes afin de mettre en place le dispositif inhérent aux différentes institutions. Chacune organise son rapport d’observation des élections indépendamment. La visite des bureaux de votes est laissée à la liberté de l’équipe de parlementaires dans le respect de la répartition de la zone géographique convenue par les institutions.

Les équipes des missions d’observation doivent être présentes avant l’ouverture des bureaux de vote afin d’observer le processus suivi dès l’organisation pratique du scrutin. Au cours de la journée électorale, elles visitent les bureaux de vote sélectionnés et se retrouvent à l’issue du scrutin pour une discussion entre les différentes institutions destinée à donner le point de vue de la communauté internationale sur le déroulement du scrutin. Cela fait parfois l’objet de négociations difficiles car politiques. Il arrive même que des divergences d’intérêts ne permettent pas de trouver un accord. Chacune des délégations remet ensuite son analyse à son institution sur l’ensemble du processus électoral, en particulier du jour du scrutin.

Lors des missions internationales de déploiement, les institutions parlementaires bénéficient régulièrement, sur place, de l’aide du bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme, le BIDDH, basé à Varsovie et chargé de superviser l’ensemble des processus d’observation. Il déploie donc en amont, durant les trois ou quatre mois qui précédent les élections, des observateurs qui suivent l’ensemble du processus. Ceux-ci donnent aux délégations parlementaires, qui arrivent sur place les trois derniers jours avant le scrutin, une vision globale du déroulement de la campagne électorale.

Ensuite, à l’issue du scrutin, le rapporteur de la mission de la commission ad hoc de l’Assemblée parlementaire, établit, en collaboration avec les membres de la commission, un rapport indiquant les difficultés rencontrées et les améliorations préconisées. Ce rapport est soumis au Bureau et discuté en séance plénière.

La grande valeur ajoutée des missions d’observation de l’Assemblée parlementaire est son étroite collaboration avec la Commission de Venise dont les membres sont spécialisés en droit électoral et ont une connaissance approfondie du terrain.

La coopération entre les institutions nécessite des réunions régulières qui permettent de définir les règles et de proposer une amélioration des relations entre elles. (Applaudissements.)

Un intervenant dans la salle. Le champ d’action de la commission est-il délimité ?

M. Yann de Buyer. Le périmètre est celui des Etats membres du Conseil du l’Europe, avant tout celui des Etats sous procédure de suivi ou de dialogue post-suivi. Il peut également s’agir de pays comme la Tunisie, le Maroc ou le Kirghizistan qui souhaitent coopérer avec le Conseil de l’Europe. Nous n’envoyons pas de missions d’observation électorale dans d’autres pays.

Actuellement nous avons deux équipes en mission préélectorale, l’une en Russie, l’autre au Maroc.

Un intervenant dans la salle. La semaine dernière, l’AFP a publié une dépêche annonçant que la police de la région de Toula, où se trouve actuellement le seul contre-pouvoir au Parti Russie unie dirigé par Vladimir Poutine, a confisqué 60 000 tracts.

Disposez-vous d’observateurs dans cette région ? Combien sont-ils et que disent-ils à ce sujet ? Combien en prévoyez-vous pour les élections présidentielles russes de 2012 ?

M. Yann de Buyer. Une mission préélectorale, composée de cinq parlementaires observateurs – un par groupe politique – est actuellement sur place. Elle aura des rencontres avec l’ensemble des autorités, y compris avec les partis d’opposition et elle va évaluer l’ensemble du processus électoral. Elle pourra donc faire remonter les informations. Aujourd’hui, je ne suis pas en mesure de vous dire si les faits cités par l’AFP sont véridiques et contrôlés. Il faudra attendre leur retour.

Pour les élections présidentielles de 2012, la délégation parlementaire sera composée de quarante membres mais elle ne sera pas la seule sur place.

Un intervenant dans la salle. Mme Ravaud a insisté sur la difficulté d’assurer l’Etat de droit et le bon fonctionnement des institutions, notamment judiciaires. La commission de suivi réfléchit-elle à la pertinence d’avoir des partenaires qui n’ont changé que de nom après la chute du mur et demeurent les principaux interlocuteurs dans de nombreux anciens pays communistes comme la Roumanie ?

Ne pensez-vous pas que l’introduction de nouvelles mesures, notamment les lois de lustration, faciliterait le fonctionnement des institutions ? Par exemple, l’application des grands principes européens, notamment celui de l’inamovibilité des magistrats, a rendu certains anciens dinosaures de l’époque communiste inamovibles. C’est pour cela que le système connaît de tels dysfonctionnements.

Mme Caroline Ravaud. Vous avez raison, mais on peut comparer le fonctionnement d’un Etat à celui d’un ordinateur ; il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton pour tout arranger. Tout système est composé d’hommes et de femmes qui ont bénéficié d’une formation à un instant T et ils doivent s’adapter à des changements intervenus au moment Y. Il y a donc une phase d’adaptation non seulement des lois mais aussi des personnes, des politiques comme des fonctionnaires. C’est l’une des raisons pour lesquelles le Conseil de l’Europe a mis en place des systèmes de formation pour les magistrats, les avocats, les procureurs, les policiers, les infirmiers dans les prisons psychiatriques, les personnels pénitentiaires, car il s’agit de former ceux qui mettent la loi en œuvre.

Concernant la lustration, la même question s’est posée dans l’Allemagne de l’après-guerre et cette erreur a été faite en Irak où le Parti Baas et l’armée ont été dissous. Cela a engendré l’instabilité, car il n’y avait plus personne pour faire régner l’ordre et la loi. La lustration peut avoir des vertus, mais la lustration de tout le monde tout de suite n’est pas une bonne chose.

C’est également l’un des problèmes que nous avons rencontrés pour les juges à la CEDH. Devait-on accepter des juges expérimentés mais anciens communistes ou de jeunes diplômés qui n’étaient pas proches de l’ancien système mais sans expérience?

Les transitions entre systèmes sont toujours longues. Quant aux élites politiques, certaines se sont montrées plus flexibles que d’autres. On l’a vu avec le retour rapide d’anciens communistes, qui s’étaient en quelque sorte modernisés, dans certains pays. Dans d’autres, les élites sont restées les mêmes. En fait cela dépend comment fonctionne l’élimination naturelle : soit le peuple vote contre ses anciennes élites et ils ne sont pas réélus ; soit ces fiefs et ces baronnies dureront jusqu’à l’extinction naturelle de ceux qui détiennent le pouvoir.

Un intervenant dans la salle. J’ai bien compris comment étaient désignés les juges de la Cour et les membres du CPT, mais je ne sais pas quelle est la composition exacte de l’Assemblée parlementaire.

M. le président. Je peux vous répondre moi-même !

Ce sont les quarante-sept parlements nationaux des pays membres qui désignent des parlementaires, députés et sénateurs, comme représentants, proportionnellement à l’importance des groupes politiques dans leurs assemblées. Actuellement, l’Assemblée comprend 318 membres titulaires et autant de suppléants. Les délégations les plus importantes sont celles de la Fédération de Russie, de Grande-Bretagne, d’Allemagne, d’Italie, et de France avec trente-six membres, dont dix-huit titulaires et autant de suppléants.

Lorsque nous siégeons au sein de l’Assemblée parlementaire, les clivages politiques ont tendance à disparaître, car les sujets traités font qu’il règne une ambiance particulière. Nous y sommes élus pour la durée de notre mandat, c’est-à-dire le plus longtemps possible ! (Sourires.)

Un intervenant dans la salle. Quelles sanctions peuvent être prises par le Conseil contre les Etats membres qui ne respectent pas leurs engagements ?

La commission va-t-elle poursuivre le suivi de l’Ukraine ?

Mme Caroline Ravaud. L’une des difficultés philosophiques de l’exercice de suivi est de savoir si l’on prend en compte les résultats ou le processus. Il faut que l’on perçoive une volonté de mener des réformes, au-delà même d’un changement politique résultant des élections. Cela a été le cas pour la Turquie, où la procédure a été arrêtée en 2004 parce que nous avons perçu la volonté du gouvernement turc de poursuivre les réformes.

La question des sanctions m’est régulièrement posée. Tous les journaux l’évoquent, quels que soient les pays concernés.

En fait les sanctions ne sont pas un objectif en soi. Il en existe deux sortes : la première est de retirer à la délégation du pays concerné son droit de vote, voire son droit de présence au sein de l’Assemblée. Il s’agit d’une arme à double tranchant car, dans ce cas, nous n’avons plus d’interlocuteur. Néanmoins avec la simple menace de suspendre les pouvoirs nous avons obtenu des résultats, notamment l’abolition complète de la peine de mort en Ukraine. Aucun Etat n’aime être exposé publiquement, ne serait-ce qu’avec une suspension limitée de trois à six mois de ses droits de vote.

La sanction suprême est l’exclusion du Conseil de l’Europe. Reprenant un propos que j’ai entendu rapporter ce matin, on peut se demander si le Conseil de l’Europe s’est « déconsidéré » en n’excluant jamais personne. D’abord il n’est pas le seul à n’avoir jamais expulsé ; ni l’Union européenne ni les Nations unies ne l’ont fait. Le Conseil de l’Europe n’est pas là pour donner des bons points, des bonnes notes ou désigner du doigt les mauvais élèves. Il est là pour aider les pays en cause à s’améliorer sur le chemin de la démocratie, des droits de l’homme et de l’Etat de droit.

M. le président. On peut ajouter que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe fait de la diplomatie parlementaire. Nous privilégions donc le dialogue. D’ailleurs, le jour où il n’y aurait plus de dialogue, ce serait un constat d’échec du Conseil de l’Europe et de son Assemblée parlementaire. Pour le Belarus, on peut se poser la question. A partir du moment où nous n’avons plus d’interlocuteur, le dialogue est difficile.

3. Le rôle de l’APCE en matière de conventions

M. le président. La parole est à M. Bernard Marquet pour nous parler de la contrefaçon dans le domaine du médicament.

a) M. Bernard Marquet, Député monégasque à l’origine de la récente convention sur ce sujet : un exemple très récent : la lutte contre la contrefaçon des médicaments

M. Bernard Marquet, Député, Représentant de Monaco au sein de l’APCE. Je suis très honoré d’être parmi vous aujourd’hui, n’étant représentant dans notre Assemblée parlementaire que depuis qu’a été acceptée l’adhésion de mon pays, le 20 octobre 2004.

Aux propos de M. Mignon sur le Conseil de l’Europe je veux ajouter que, lorsque nous sommes désignés par nos instances nationales, nous ne percevons pas de salaires en qualité de représentants à l’Assemblée parlementaire.

M. le président. Nous ne sommes pas des cumulards !

M. Bernard Marquet. Lorsque nous travaillons au Conseil de l’Europe, il n’est pas question de partis politiques ni même généralement de pays ; c’est de l’oxygène pour nos cerveaux, ce qui explique que nous puissions souvent bien avancer.

Pour en revenir à mon propos, je trouve d’abord que parler, comme dans le programme du jour, de « Bernard Marquet…à l’origine de la récente convention » sur la contrefaçon des médicaments est un peu abusif. Non, seul je ne pourrais rien faire. En fait le Conseil de l’Europe est un lieu assez extraordinaire où l’on trouve les plus grandes compétences, notamment, en la matière, à la « pharmacopée » et au Comité des problèmes criminels, le CDPC. Il est la seule organisation internationale où se côtoient du gouvernemental, avec le Comité des ministres, et du parlementaire ; y siège également le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, la conférence des ONG et il possède également un Commissaire aux droits de l’homme.

Au mois d’avril 2006, on m’a proposé de rapporter sur la question de la qualité des médicaments en Europe, et, au mois de septembre, j’ai été désigné pour participer à une conférence internationale à Strasbourg, précisément sur la contrefaçon des médicaments. J’y ai appris et découvert des choses extraordinaires.

J’ai ainsi entendu dire par des représentants de grandes industries pharmaceutiques de certains pays que les meilleures contrefaçons, c’est eux qui les fabriquaient, que nous allions dans le mur, que nous allions perdre notre crédibilité, que sur le marché national, les médicaments étaient contrôlés par les ministères de la santé, mais que quand il s’agissait d’exportations, on vendait et donc on ne contrôlait pas !

J’ai aussi appris qu’entre le fabricant d’un médicament et le patient, il pouvait y avoir jusqu’à quatre-vingts intermédiaires.

J’ai appris que, depuis vingt ans, certains voulaient s’occuper du sujet et que, dans sa grandeur d’âme, l’OMS se serait « disqualifiée » en faisant fabriquer des médicaments pour l’Afrique. Par conséquent elle ne serait plus crédible pour intervenir dans une convention sur ce sujet.

A la fin des réunions, j’ai alors demandé ce que l’on comptait faire. En effet, dans certains pays, la contrefaçon n’est pas pénalisée et rapporterait six fois plus d’argent que la drogue. J’ai demandé si l’on envisageait de revoir une convention existante ou si l’on pensait en élaborer une nouvelle. Un représentant des industries pharmaceutiques s’est alors levé pour me dire que ce n’était pas ainsi que l’on s’exprimait dans une conférence internationale, mais plusieurs autres personnes ont protesté et m’ont donné raison.

Revenu au Conseil de l’Europe j’ai fait mon rapport au secrétariat en disant que je pensais avoir commis un impair. Mes interlocuteurs n’ont pas été de cet avis et nous avons commencé à travailler sur le sujet.

En octobre 2006, une conférence a été organisée à Moscou. Je dois dire que sur ce sujet là, l’aide de la Fédération de Russie a été essentielle et a même été un moteur. Entre temps j’avais participé à un grand forum sur le crime transnational où, lors d’un déjeuner, la représentante des industries de luxe, à laquelle j’avais expliqué ce que je voulais faire, m’avait rendu un immense service en déclarant devant de nombreuses personnes qu’elle m’interdisait de faire une convention sur le médicament, car le principal problème était celui de la propriété intellectuelle.

Chirurgien dentiste de profession, que j’ai toujours exercée car dans un petit pays comme le mien on n’est parlementaire qu’à temps partiel ce qui nous permet de garder les pieds sur terre, j’ai décidé de continuer et, à partir de ce moment, nous avons choisi, au sein du Conseil de l’Europe, de préparer parallèlement deux rapports : l’un sur la propriété intellectuelle, l’autre sur le médicament. Avec comme axe celui de la santé publique.

J’ai ainsi pu déclarer à Moscou qu’il était inadmissible aujourd’hui de tomber malade voire de mourir parce que l’on avait acheté un médicament contrefait, qu’on ne mourait pas quand on achetait un sac à main ! Je me suis mis pas mal de monde à dos, mais ce n’était pas grave !

Avec le président du CDPC qui était également présent, nous avons décidé de travailler en parallèle.

J’y ai également découvert l’une des particularités de l’Union européenne, ce que l’on appelle les importateurs parallèles. Ils avaient été créés au début de la construction européenne, à une époque où les moyens de transport n’existaient pas partout. Ils ont ainsi un statut de fabricant et peuvent importer des médicaments dans d’autres pays, en refaisant le packaging voire les notices des produits, sans en référer aux vrais fabricants. J’ai alors constaté qu'en Europe, les contrefaçons étaient introduites par les importateurs parallèles et je l’ai dit clairement à Moscou.

J’avais été menacé assez violemment, lors d’une réunion de commission. Pour la première fois, un membre du Comité des ministres est venu, avec des représentants des industries pharmaceutiques. Tout le monde disait qu’on allait expliquer à cette personne que son comportement n’était pas possible. Je me suis expliqué et après on m’a laissé tranquille.

J’ai présenté un premier rapport dont les conclusions ont été adoptées en 2008 et le Comité des ministres a adopté un mandat pour étudier la faisabilité de la convention proposée. J’avais demandé que l’Assemblée parlementaire soit associée. Lors de la première réunion, d’ailleurs, les experts se demandaient bien ce que venait faire là un parlementaire. Je leur ai expliqué que le but était de faire une convention pour que les gens puissent acheter des médicaments en toute sécurité. J’y ai découvert le monde particulier des experts, ainsi que les problèmes de conflit d’intérêts.

Au Conseil de l’Europe prévaut une attitude qui devrait être suivie ailleurs : on réunit toujours les meilleurs experts, mais ce ne sont jamais eux qui prennent les décisions. Celles-ci appartiennent à un comité comprenant des observateurs (dans ce cas OMS et UE notamment). Pour moi cela a encore été une découverte de constater que l’on pouvait avancer sans jamais voter, uniquement par consensus. Même les observateurs peuvent avoir une importance, ce qui a été le cas en l’occurrence.

Une fois le projet validé, le Comité des ministres nous a donné mandat d’écrire la convention. Là encore j’insiste sur la plus-value du Conseil de l’Europe, apportée à cet égard par les compétences, la disponibilité des fonctionnaires de l’Organisation. Sans eux nous n’aurions pas abouti.

Je me suis battu pour que les médicaments soient pris en compte, y compris les médicaments vétérinaires. Nous nous sommes arrêtés aux plantes parce que les législations sont trop différentes selon les pays. J’avais aussi découvert qu’étaient fabriquées de fausses lentilles ou de fausses prothèses de hanche ; c’est pourquoi nous avons fait prendre en considération ces dispositifs médicaux.

J’ai demandé que le public soit informé et que certaines populations soient ciblées. Il m’a été insupportable d’apprendre que, en Afrique, un sirop pour la toux contrefait avait tué 250 enfants.

Il est également indispensable de former les policiers, les douaniers et les juges d’autant que les mafias et les terroristes s’intéressent au secteur : c’est facile, cela ne coûte pas cher, ce n’est pas pénalisé et cela peut rapporter beaucoup d’argent, plus que la drogue.

Au fil des réunions j’ai également pu constater que les experts changeaient parfois de casquette pour représenter leur pays. Nous avons eu des difficultés avec certains Etats et il est curieux de constater que ce sont les mêmes avec lesquels nous avons aujourd’hui des problèmes en matière de trafic d’organes, de cellules et de tissus.

Comme il existe un Bureau des traités au Conseil de l’Europe, je réclame depuis des années que la direction européenne de la qualité du médicament devienne une direction mondiale puisque les Etats-Unis, la Chine et le Japon sont observateurs. On nous répond souvent en termes de moyens. Je me permets donc de rappeler que le budget global du Conseil de l’Europe équivaut au coût d’une année de transport de documents entre Bruxelles et Strasbourg pour l’Union européenne.

Vous pouvez voir quelle est la rentabilité du Conseil de l’Europe par rapport à d’autres organisations !

La semaine dernière, à Moscou, la convention a été ouverte à la signature des Etats. Douze ont déjà signé et un treizième va le faire incessamment. Je ne suis pas un spécialiste mais, d’après ce que l’on m’a dit, cela est un succès.

Nous avons demandé que cette convention soit ouverte et concerne d’autres pays que les membres du Conseil de l’Europe, car il s’agit d’un problème mondial. En outre, cette convention ne va pas coûter cher aux Etats. Le réseau des laboratoires existe déjà ; les personnels sont formés et compétents, et la plus value du Conseil de l’Europe est de disposer d’une direction juridique de grande qualité.

Nous avons peut-être secoué pas mal de monde, mais, désormais, ils en sont contents. Nous avons peut-être inventé une nouvelle manière de faire des conventions internationales. (Applaudissements.)

M. le président. Madame Azoux-Bacrie, je vous donne la parole pour évoquer l’influence de l’APCE sur l’élaboration de la convention d’Oviedo.

b) Maître Laurence Azoux-Bacrie, Avocate au barreau de Paris et docteur en bioéthique : la bioéthique : l’influence de l’APCE sur l’élaboration de la Convention d’Oviedo du 4 avril 1997

Mme Laurence Azoux-Bacrie, Avocate. Ne disposant plus que de quelques minutes, je ne vous lirai pas l’intervention que j’avais préparée, mais j’en profite, monsieur le président, pour vous offrir un ouvrage cognitif sur les droits de l’homme en matière de bioéthique.

Devant parler de la Convention d’Oviedo, je tiens d’abord à vous en donner le titre complet : « Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine ». En réalité ce titre donne une définition de la bioéthique par elle-même.

Ensuite je veux citer une phrase du président Michaud qui est un grand humaniste auquel je rends hommage aujourd’hui : « Les textes juridiques ont une histoire qui permet de ne les comprendre mieux qu’au terme de multiples lectures. »

Puisqu’il s’agit d’histoire, rappelons que le Conseil de l’Europe, doyen des institutions européennes, a été créé en 1949. Il est directement né des exactions de la Seconde guerre mondiale avec des objectifs naturels : garantir la dignité des Nations et des citoyens de l’Europe en veillant au respect de l’Etat de droit, de la démocratie et des droits de l’homme. Or le domaine de la bioéthique incite fortement à avoir des réflexions sur la société.

La Convention d’Oviedo a été adoptée le 4 avril 1997. Au-delà de son titre qui expose bien son objet, il est un autre passage extrêmement important : son préambule dont je me borne à rappeler quelques considérants :

« Conscients des rapides développements de la biologie et de la médecine,

- Convaincus de la nécessité de respecter l’être humain, à la fois comme individu et dans son appartenance à l’espèce humaine et reconnaissant l’importance d’assurer sa dignité,

- Affirmant que les progrès de la biologie et de la médecine doivent être utilisés pour le bénéfice des générations présentes et futures,

- Prenant en considération les travaux de l’Assemblée parlementaire dans ce domaine y compris la convention 1160 (1991) sur l’élaboration d’une convention de bioéthique ».

Le thème de mon intervention concernant l’influence de l’APCE sur la Convention d’Oviedo du 4 avril 1997, je dirais qu’il est deux points saillants.

Le premier est l’influence directe de l’Assemblée parlementaire sur l’élaboration de la Convention, son œuvre ayant été d’intensifier l’harmonisation.

A cet égard, je veux souligner que l’Assemblée a beaucoup travaillé sur le sujet et cette convention a été le couronnement de longues années d’études jalonnées par des recommandations sur le génie génétique, sur l’embryon et le fœtus humain et, donc, sur l’élaboration d’une convention concernant la bioéthique.

Ce très long travail a vu une progression des institutions en trois étapes qui révèle l’évolution de la pensée : il y a d’abord eu le Comité de bioéthique qui a beaucoup travaillé à partir de 1985, en s’occupant des problèmes génétiques ; puis un organe pluridisciplinaire, le CADI, comité ad hoc d’experts sur la bioéthique ; enfin le CDBI, le Comité directeur sur la bioéthique du Conseil de l’Europe, dont le travail a permis d’aboutir à un texte équilibré et cohérent, représentant le degré optimal de consensus européen. Il s’est attaché à travailler au rapport explicatif tendant à approfondir et expliciter les 38 articles de la Convention.

Le second point saillant qui sera ma seconde partie, mais très brièvement car le temps m’est compté, est que l’APCE a servi les droits de l’homme sans entraver la science. On peut parler de continuité pour arriver à la nouveauté, continuité dans la ligne de la Convention européenne des droits de l’homme dont plusieurs articles concernent la bioéthique, que ce soit l’article 2 sur le droit à la vie, l’article 3 sur les traitements inhumains ou dégradants, ou l’article 8.

Cela constituait déjà un embryon de travail sur le thème « droits de l’homme et médecine », mais il fallait faire évoluer la question et la Convention d’Oviedo s’est attachée à le faire.

Ne pouvant entrer dans les détails j’en viens à ma conclusion.

J’espère vivement que la France va rapidement ratifier cette Convention d’Oviedo, les lois de bioéthique de 1994 et 2011 permettant cette ratification.

Par ailleurs, il faut bien se rendre compte qu’il s’agit, dans ce domaine, d’un pilier normatif contraignant. Cependant il existe aussi d’autres textes comme la Charte de l’Union européenne, la déclaration sur les droits de l’homme et la bioéthique de 1987, reprise par celle de 2011, qui a élargi considérablement le champ de la bioéthique.

Je n’ai pas le temps de parler du texte lui-même et de ses protocoles additionnels, mais je veux souligner qu’il serait important de prévoir un nouveau protocole sur le thème de la biosphère. En effet, l’élargissement de la déclaration de 1987 par celle de 2011 a élargi le champ de la bioéthique aux problèmes de l’environnement et de la biosphère. (Applaudissements.)

M. le président. Comme cela se fait au sein de l’Assemblée parlementaire, je propose que les intervenants qui n’ont pu présenter complètement leurs exposés, en raison du manque de temps, puissent nous les faire parvenir pour qu’ils soient joints au compte rendu de cette journée.

C. Conclusions de la matinée

M. le président. Nous allons d’abord entendre M. Sawicki qui est l’actuel secrétaire général de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

a) M. Wojciech Sawicki, secrétaire général de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe

M. Wojciech Sawicki, secrétaire général de l’APCE. Après une matinée aussi riche, il est difficile de tirer des conclusions en quelques minutes, juste avant la pause pour le déjeuner, car on sent une certaine pression émaner de la salle. (Sourires.)

D’abord je tiens à remercier la délégation française et la Fondation Robert Schuman d’avoir organisé ce colloque, ainsi que les intervenants qui ont tous présenté des contributions intéressantes, passionnantes, lesquelles ont bien montré la grande richesse du Conseil de l’Europe, en particulier de son Assemblée parlementaire.

On dit d’ailleurs souvent qu’elle est le moteur du Conseil de l’Europe. Cela est indéniable et a été souligné tout au long de la matinée, ne serait-ce qu’au travers de l’évocation des nombreuses conventions qu’elle a adoptées dans le but de créer un espace juridique commun, telle la Convention des droits de l’homme, la Convention de bioéthique ou encore la Convention pour la prévention de la torture.

C’est également l’Assemblée qui est à l’origine de la modification des conditions d’élection des juges dont a parlé le président Costa. Elle a été plus loin que ce qui était prévu initialement dans la Convention. Il en a été de même pour la désignation des candidats au Comité de prévention de la torture.

L’Assemblée accorde une grande importance à la question de l’égalité des sexes. Ainsi, pour l’élection des candidats au CPT, elle rejette systématiquement les listes présentées par les délégations nationales ne proposant pas des candidats des deux sexes. Pour l’élection des juges à la Cour européenne des droits de l’homme, elle impose les mêmes conditions. Une dérogation peut toutefois être envisagée pour les Etats en mesure de démontrer à la sous commission compétente qu’il existe une situation exceptionnelle au sein de leurs pays les empêchant de faire figurer sur la liste des candidats des deux sexes.

L’APCE travaille toujours dans un esprit novateur, en regardant toujours vers l’avenir et faisant souvent preuve d’anticipation.

Cela lui a été utile en 1989, au moment des grands bouleversements qui ont touché l’Europe de l’Est. Pour moi, Polonais, cela a commencé le 4 juin dans mon pays – c’est-à-dire quelques mois avant la chute du mur de Berlin - avec les élections polonaises. Grâce au statut d’invité spécial qu’elle avait préalablement mis en place, l’Assemblée était préparée à accueillir les pays de l’Europe de l’Est.

Il y a deux ou trois ans, elle a adopté une résolution créant le statut de « Partenaire pour la démocratie ». Cela lui permet d’être aujourd’hui présente dans le contexte du printemps arabe. Cette grande ouverture de l’Assemblée vers les pays de voisinage que sont ceux de la Méditerranée du sud, ainsi que les cinq Républiques d’Asie centrale, permet à leurs parlements de nous rejoindre, mais pas sans conditions. Ces pays doivent respecter les valeurs que défend le Conseil de l’Europe et remplir certaines obligations.

Ce statut de Partenaire pour la démocratie a déjà été accordé au Parlement du Maroc, au Conseil national palestinien et une demande vient de nous être adressée par la République du Kirghizistan. Grâce à l’esprit novateur de l’Assemblée, nous sommes prêts et nous devons poursuivre ce travail d’anticipation. Si elle perdait cette volonté novatrice, ce ne serait plus la peine de continuer à exister, de continuer à faire verser des contributions aux pays membres.

Il faut que nous tous, vous, monsieur le président, les parlementaires, l’équipe du secrétariat, regardions toujours autour de nous pour voir ce qui se passe en Europe et à ses frontières, et continuions à avoir des idées nouvelles. C’est notre mission principale. Si nous oublions cela, nous n’avons plus de raison d’être. Même sur le continent nous restons confrontés à un grand défi, ce que vous avez appelé le trou en Europe, que représente le Belarus et ce n’est pas le seul. Permettez-moi de citer le Haut-Karabakh, la Transnistrie, Chypre. Il reste encore beaucoup à faire dans l’espace européen, donc dans la sphère du Conseil de l’Europe.

Certains disent que ce n’est plus la peine de conserver le Conseil de l’Europe. C’est une vision totalement erronée. L’Etat de droit, la démocratie, les droits de l’homme, ne sont jamais définitivement acquis ; il y a toujours besoin de les promouvoir et de les protéger. C’est notre tâche pour l’avenir.

Pour le futur, le rapport que vous avez produit dernièrement, monsieur le président, sur la réforme de l’Assemblée parlementaire, devrait nous permettre d’avoir une Assemblée parlementaire plus politique, plus visible, plus pertinente. C’est en ce sens que nous devons œuvrer.

Nous parlons beaucoup de l’Assemblée parlementaire et cela peut donner le sentiment que le Conseil de l’Europe se résume à son Assemblée parlementaire. Croire cela serait une lourde erreur. En effet, l’APCE ne travaille pas seule mais en synergie avec le Comité des ministres, la Cour et tous les organes statutaires du Conseil de l’Europe. Quand j’ai commencé mon mandat, il y a quelques mois, auprès de l’Assemblée parlementaire, l’un de mes premiers objectifs a été de trouver des moyens et des méthodes de nature à permettre une meilleure coopération entre les différents organes statutaires du Conseil de l’Europe.

Monsieur Costa, vous avez indiqué qu’il était difficile d’instaurer une harmonie séraphique entre eux. C’est vrai et il y a souvent des problèmes plus ou moins graves entre eux, car ils sont de natures différentes. Les statuts permettent généralement de résoudre ces conflits, notamment entre l’Assemblée et le Comité des ministres, mais il faut bien comprendre cette construction et nous devons toujours en tirer des conclusions positives.

J’estime que le but essentiel de mon mandat est de mettre en oeuvre des synergies entre les organes et d’établir une bonne coopération entre les deux institutions, en faisant en sorte que la compréhension prévale des deux côtés. (Applaudissements.)

M. le président. Je souscris pleinement à ces propos. Puisque c’est un secret de Polichinelle que je devrais être le prochain président de l’Assemblée parlementaire, je me réjouis d’avoir à travailler avec vous pendant les trois prochaines années.

La parole est à M. Alexandre Orlov, ambassadeur de la Fédération de Russie en France.

b) Son Exc. M. Alexandre Orlov, ambassadeur de la Fédération de Russie en France

M. Alexandre Orlov, ambassadeur de la Fédération de Russie en France. Je remercie et félicite la délégation française au Conseil de l’Europe d’avoir organisé ce colloque, ne serait-ce que pour rappeler aux Français l’existence de cette organisation. Pour moi c’était toujours un étonnement, quand j’étais à Strasbourg, de constater la méconnaissance par les Français de la plus vieille institution européenne, dont le siège est en France !

Et cela vaut même pour des dirigeants politiques. Ainsi, je me souviens de l’ancienne maire de la ville, Mme Keller qui confondait tout le temps le Conseil de l’Europe et l’Union européenne.

Je me suis toujours demandé pourquoi et la seule explication que j’ai trouvée, c’est que le Conseil de l’Europe a été une invention britannique, son père étant Winston Churchill ; alors que celui de l’Union européenne a été Robert Schuman, un Français ! (Rires.)

J’ai eu le privilège de participer aux premières heures du rapprochement entre mon pays et le Conseil de l’Europe. Je remercie d’ailleurs mon ami Bruno Haller d’avoir rappelé une histoire qui date de près de vingt-cinq ans et dont je suis tout à fait fier. J’étais en effet le 6 juillet 1989 dans la même salle que Mikhaïl Gorbatchev que j’accompagnais. Si ma mémoire est bonne, le statut d’invité spécial a été élaboré le jour même dans le bureau de M. Fuller, entre lui et moi.

Curieusement, l’Union soviétique a précédé tous les autres pays de l’Europe de l’Est et quand je suis rentré à Paris, tous mes collègues des autres ambassades de l’Est sont venus me voir pour me demander ce que nous étions allés faire dans cette organisation « pourrie ».

Le Conseil de l’Europe a connu ses heures de gloire lorsque la France s’y intéressait et s’y investissait. A cet égard je tiens à rendre hommage à Mme Catherine Lalumière qui a été la secrétaire générale la plus brillante de cette institution, au moins dans son histoire moderne.

Aujourd’hui, le Conseil de l’Europe connaît une crise d’identité liée aux différents intérêts que lui portent les pays membres. Les pays fondateurs se sont tournés vers l’Union européenne tout comme les pays de l’Est pour lesquels le Conseil de l’Europe était une sorte d’antichambre à l’Union européenne, disons la classe préparatoire pour entrer dans une grande école (Sourires.) Les uns et les autres ont donc perdu beaucoup d’intérêt pour le Conseil de l’Europe.

Néanmoins il reste, dans le Conseil de l’Europe, vingt pays qui ne sont pas membres de l’Union européenne et qui, comme la Russie, ont naïvement rejoint cette institution avec la volonté de construire ensemble une Europe allant de l’Atlantique à l’Oural. Ce credo a été affirmé par Mikhaïl Gorbatchev le 6 juillet 1989, quand il a parlé de la maison commune de l’Europe. Et nous sommes toujours là.

La principale difficulté dans le fonctionnement du Conseil de l’Europe provient du fait que les pays de la vieille Europe tentent d’imposer leurs modèles nationaux aux nouveaux membres de l’organisation. Cela n’est pas possible, car chaque pays a une identité, des caractéristiques propres. En Europe, il y a la France, la Grande-Bretagne et la Suisse, qui, à mes yeux, a le modèle démocratique le plus parfait ; pour autant il n’a été copié nulle part ailleurs. Vouloir absolument faire de la Fédération de Russie un pays fonctionnant selon le même modèle que la France est une peine perdue.

Il conviendrait de faire un effort intellectuel et de formuler certains critères permettant de dire si un pays est démocratique ou non.

J’ai entendu évoquer à plusieurs reprises la procédure de suivi. Or le nombre d’engagements demandés et celui des obligations à respecter ne cessent de s’accroître. Il serait préférable de trouver un dénominateur commun applicable à tous les pays démocratiques en Europe dans le respect des spécificités des Etats. Cette initiative pourrait être prise par l’Assemblée parlementaire car elle est l’organe le plus combatif du Conseil de l’Europe, celui qui prend le plus d’initiatives. Les parlementaires ont en effet la liberté de poser toutes les questions qu’ils jugent nécessaires, la possibilité de préparer des rapports et de formuler des recommandations. Il appartient ensuite aux gouvernements de répondre à ces recommandations.

Ce rôle unique fait du Conseil de l’Europe une organisation très importante.

Pour autant, il ne saurait être une école de la démocratie, même si nous nous enrichissons évidemment de l’expérience des autres pays et de l’importante base conventionnelle pour accélérer le rythme de notre modernisation démocratique. C’est également pour cette raison que le Conseil de l’Europe a un rôle unique en Europe.

J’ai entendu parler de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, mais elle n’est jamais vraiment devenue l’OSCE ; elle en est restée au stade de la CSCE, la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe. En effet, elle n’est pas encore parvenue à adopter des statuts. De plus, et bien qu’elle dispose d’une assemblée parlementaire, elle ne demeure qu’un forum de discussion – certes important – dont le principal intérêt réside dans la présence des Etats-Unis. Si tel n’était pas le cas elle aurait disparu depuis longtemps.

En revanche, l’APCE exerce un véritable pouvoir d’initiative. Pour la Fédération de Russie, elle est une véritable école de la vie parlementaire. Tous les députés russes qui y ont siégé ont acquis des connaissances, des compétences professionnelles, des savoir-faire. C’est l’unique lieu où ils peuvent échanger sur les sujets d’actualité avec leurs collègues européens, car nous n’appartenons pas à l’Union européenne.

D’autres organes du Conseil de l’Europe sont également très importants.

Tel est le cas du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux car des liens entre collègues s’y tissent.

Il en va de même pour la Conférence des ONG. Mais cette institution est en danger. Elle constitue un lien direct avec la société civile, base même d’une démocratie. Or, j’ai appris que des projets de réforme envisagent sa suppression. Ce serait une erreur fatale pour le Conseil de l’Europe, car elle est le seul de ses organes qui permet d’établir le lien régulier avec les ONG. C’est un atout unique qui doit être conservé.

Le Centre de la Jeunesse est également très important comme en témoigne l’existence de l’OFAJ, l’Office franco-allemand pour la jeunesse, qui a joué un rôle non négligeable en faveur de la réconciliation entre ces deux pays.

Le Conseil de l’Europe ne peut donc être résumé à l’Etat de droit, aux droits de l’homme et à la démocratie.

Les relations avec l’Union européenne posent problème. Le Conseil de l’Europe est menacé d’être vidé de sa substance à son profit. On voit déjà la duplication d’organes. Lorsque j’étais l’ambassadeur de mon pays après du Conseil de l’Europe, le plus difficile pour moi était quand il fallait négocier avec des collègues de pays membres de l’Union car ils voulaient toujours imposer aux autres pays membres les directives adoptées au sein de l’Union européenne. Or nous, nous n’avons jamais négocié ces directives, nous n’avons jamais participé au processus démocratique d’élaboration de ces normes juridiques.

C’est pourquoi j’ai toujours été favorable à une certaine subsidiarité entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. Il y a bien des problèmes qui concernent l’ensemble de l’Europe, plus particulièrement sur les sujets de société, qui devraient être traités prioritairement par le Conseil de l’Europe. Il faudrait préparer ensemble les conventions et, ensuite, chacun en tirerait les conséquences : l’Union européenne en sortirait une directive et les Etats non membres de l’Union légifèreraient librement sur le plan national afin que nous disposions tous des mêmes normes. Malheureusement, cette approche n’a encore jamais été acceptée par l’Union européenne.

M. le président. Compte tenu de l’heure, nous ne reprendrons nos travaux qu’à quatorze heures quarante-cinq.

(La séance, suspendue à treize heures trente, est reprise à quatorze heures quarante-cinq)

M. le président. La séance est reprise

D. Table ronde no 3 : L’Europe du droit

M. le président. M. Costa devant nous quitter rapidement, je me permets de lui donner la parole en premier pour l’ouverture de cette table ronde.

a) M. Jean-Paul Costa : l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’Homme

M. Jean-Paul Costa. Je vais vous parler de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme.

Ce matin, M. Orlov, ambassadeur de la Russie en France, a évoqué les rapports difficiles et complexes entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, entre l’Europe des 47 et celle des 27. La question de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme illustre parfaitement la complexité de ces relations. Certains disaient même que l’ancienne maire de Strasbourg, Mme Keller, que j’aime beaucoup, confondait parfois les deux Europe. Je ne suis pas certain que cela soit vrai, mais il est en revanche indéniable que nombre de citoyens européens font la confusion entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe.

Pour évoquer le sujet de cette adhésion, je traiterai successivement du contexte général, de l’état actuel du processus d’adhésion, de l’intérêt de cette adhésion, des principales difficultés et des perspectives en la matière.

Pour ce qui est d’abord du contexte, nous avons depuis une cinquantaine d’années deux ensembles de construction européenne.

Le premier est l’Europe dite des Six au départ, dont la naissance remonte à la constitution de la Communauté européenne du charbon et de l’acier en 1950, suivant la volonté de Robert Schuman dans le cadre d’une forte collaboration franco-allemande. Elle compte aujourd’hui 27 Etats, les deux derniers membres étant la Bulgarie et la Roumanie, le prochain candidat sur la liste étant la Croatie. Regroupés successivement dans les Communautés européennes, la Communauté européenne et maintenant l’Union européenne, leurs principales instances, notamment la Commission et le Conseil, siègent à Bruxelles.

Mais, comme rien n’est jamais simple en Europe, ce qui justifie l’incompréhension des citoyens voire des journalistes, il y a aussi le Parlement européen dont le siège est à Strasbourg mais qui tient également des sessions à Bruxelles où sont basés la plupart de ses fonctionnaires, ainsi que la Cour de justice de l’Union européenne qui est son organe juridictionnel et dont le siège est à Luxembourg. Elle n’est d’ailleurs pas un organe unique puisque sont également à Luxembourg le tribunal que l’on appelait naguère de première instance et le tribunal de la fonction publique européenne, le petit dernier, créé il y a seulement sept ans.

Le second grand ensemble est celui du Conseil de l’Europe qui a également connu une longue genèse et une évolution progressive. Son statut a été signé en mai 1949 avec dix Etats ; désormais il en compte quarante-sept au nombre desquels figurent les vingt-sept Etats membres de l’Union européenne. Comme l’a souligné M. Orlov, il faut relever que, parmi les vingt autres, figurent des pays que l’on ne saurait considérer comme quantité négligeable, tels la Fédération de Russie, la Turquie ou l’Ukraine, pour ne citer que les plus peuplés.

Le Conseil de l’Europe possède plusieurs instances : l’Assemblée parlementaire, le Comité des ministres, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, le secrétaire général et ses collaborateurs, ainsi qu’un organe judiciaire, la Cour européenne des droits de l’homme créée en 1950 par la Convention européenne des droits de l’homme, laquelle fut le premier instrument conventionnel élaboré dans le cadre du Conseil de l’Europe, encore considéré comme étant le plus important et celui ayant permis le plus de progrès depuis 1950.

Ce second ensemble comportant tous les Etats membres du premier, une idée est apparue à la fin des années 70 et au début des années 80 : pourquoi le premier ensemble n’adhérerait-il pas à la Convention européenne des droits de l’homme à laquelle ils sont tous parties, relevant ainsi à la fois de la Cour de Luxembourg et de celle de Strasbourg ? Cette question a commencé à prendre une certaine acuité lorsque tous les Etats membres des Communautés européennes eurent ratifié la Convention, le dernier ayant été – horribile ditu – la France au mois de mai 1974, ce qui reste une erreur historique et, pour moi, un grand regret.

Cette idée a cependant connu bien des vicissitudes. Ainsi, en 1994, la Commission et le Conseil de l’Union européenne ont demandé à la Cour de Luxembourg son avis sur les possibilités juridiques d’adhésion des Communautés européennes à la Convention européenne des droits de l’homme. Deux ans plus tard, au début de 1996, celle-ci a répondu de façon négative en estimant que, dans l’état actuel des traités, les Communautés n’avaient pas compétence pour adhérer à cette Convention.

On a alors cru que le sujet était enterré mais, comme souvent, elle a repris rapidement consistance. En effet, j’ai été frappé, depuis une cinquantaine d’années que je m’intéresse aux questions européennes, par le fait que c’est au moment où l’on pense que tout est perdu que des solutions apparaissent. C’est d’ailleurs pourquoi je demeure optimiste actuellement malgré la gravité des crises qui secouent l’Europe.

Ainsi le principe de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme a été inscrit dans le projet de traité instituant une constitution pour l’Europe. Certes, ce dernier a été repoussé en 2005 par des référendums négatifs en France et aux Pays-Bas mais, alors que l’on pouvait penser que cette idée était de nouveau perdue, elle a été reprise dans le Traité de Lisbonne, lequel, s’il était censé être plus simple, me paraît encore plus complexe ; mais ce n’est qu’un avis de juriste et je peux me tromper ! Il a d’ailleurs également connu quelques épisodes difficiles puisqu’il a aussi été repoussé par un premier référendum irlandais ; mais il a finalement été accepté par les vingt-sept Etats membres de l’Union européenne, avec quelques réticences, voire quelques réserves juridiques, notamment de la part du Royaume Uni, de la Pologne et de la République tchèque. Il est donc entré en vigueur le 1er décembre 2009.

Ce traité comporte une clause indiquant que l’Union européenne adhère à la Convention européenne des droits de l’homme. Il s’agit donc d’une décision politique au niveau des Vingt-sept Encore fallait-il qu’elle fût accepté par les Quarante-sept, c’est-à-dire surtout par les vingt Etats non membres de l’Union européenne. Cela a été fait quelques mois plus tard, par l’élaboration du Protocole 14 à la Convention qui prévoit la possibilité, pour l’Union européenne, d’adhérer à cette dernière. Il a été bloqué quelques temps par la Fédération de Russie, pour d’autres raisons, mais j’ai eu la satisfaction, en ma qualité de président de la Cour, de recevoir les instruments de ratification de ce pays, ce qui a permis au Protocole 14 d’entrer en vigueur le 1er juin 2010.

Cependant, comme rien n’est jamais simple, il ne suffit pas que cette disposition figure dans deux traités internationaux pour prendre corps : il faut une concrétisation, ce qui m’amène à traiter de l’état actuel du processus d’adhésion.

Dès l’été 2010, des négociations ont été engagées entre le Conseil de l’Europe et la Commission de Bruxelles afin d’essayer de régler divers problèmes juridiques et techniques. La Cour européenne des droits de l’homme y était admise avec statut d’observateur, mais ses représentants y ont joué un rôle actif en montrant que nous voulions faciliter le processus d’adhésion. En janvier 2011, pour la première fois dans l’histoire, est intervenu un communiqué commun du président de la Cour de Luxembourg et de moi-même en ma qualité de président de la Cour européenne des droits de l’homme, pour indiquer certaines pistes aux négociateurs et montrer qu’il n’y aurait pas d’obstacles venant des deux juridictions, lesquelles envisageaient avec faveur cette adhésion de l’Union européenne.

Les négociations ont abouti à un projet d’accord en octobre 2010, mais ce dernier doit être soumis aux deux organisations. Or l’organe chargé par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe d’émettre un avis technique sur la question ne s’est pas estimé en mesure de donner son accord en raison des réticences de certains Etats, en particulier, il faut bien le souligner, du Royaume Uni – ce qui n’est pas surprenant – mais également de la France, ce qui l’est davantage, pour ne pas dire désolant.

Rien n’est donc encore acquis, mais le processus d’adhésion
– éventuellement après modification du projet d’accord – est toujours en cours. Cependant, compte tenu de la persistance de certains problèmes techniques et juridiques et, surtout d’un environnement institutionnel complexe, je ne pense pas, et en restant optimiste, qu’il aboutira avant deux ou trois ans.

On peut donc s’interroger sur l’intérêt de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention, car il ne semble pas vraiment évident.

A mes yeux l’intérêt principal est de créer une Europe judiciaire et juridictionnelle unique et non divisée, donc capable de donner une interprétation uniforme et cohérente de la Convention européenne des droits de l’homme. Cela est important car elle ne concerne pas seulement les Etats mais également les instances et les organes de l’Union européenne. En d’autres termes, cela signifie que toutes les décisions, qu’elles soient prises à Bruxelles, à Luxembourg par la Cour de justice ou par le Parlement européen, peuvent être examinées pour savoir si elles respectent les droits de l’homme au sens voulu par la Convention. Or seule l’adhésion de l’Union peut permettre de le garantir.

Je le souligne d’autant plus volontiers que la Cour européenne des droits de l’homme n’a jamais été à l’origine de ce processus d’adhésion. L’initiative est toujours venue des Etats et des organes européens.

Depuis de nombreuses années, la Cour européenne des droits de l’homme a des contacts avec la Cour de Luxembourg et nous essayons d’éviter les divergences de jurisprudence, notamment avec des réunions de travail périodiques. Néanmoins il n’existe aucune garantie qu’il n’y en aura jamais. Seule l’adhésion de l’Union permettra d’avoir cette garantie car, ensuite, tout citoyen européen qui estimera que ses droits fondamentaux sont menacés ou atteints par une décision de l’Union – Commission, Conseil ou autre – pourra demander à la Cour européenne des droits de l’homme de vérifier s’il y a eu ou non violation de la Convention.

Je vous rappelle en effet que le système de la Convention européenne des droits de l’homme repose presque exclusivement sur les requêtes individuelles. Pour l’instant elles ne visent que les décisions des Etats ; ensuite elles pourront concerner celles des instances de l’Union.

Cet aspect pourrait n’intéresser que les juristes mais, en fait, il a une grande importance pour les citoyens et leurs droits fondamentaux.

Au-delà existe également un intérêt politique puisque l’adhésion de l’Union renforcera les liens entre elle et le Conseil de l’Europe, ainsi qu’entre les deux Cours.

Cela étant, il subsiste certaines difficultés qu’il faut encore surmonter.

Les premières sont essentiellement techniques et assez faciles à résoudre.

Ainsi, il y a actuellement un juge par Etat à la Cour, donc quarante-sept actuellement. Il faudrait, après l’adhésion, qu’il y ait un juge au titre de l’Union européenne qui serait devenue une quarante-huitième partie à la Convention. La question est celle de sa désignation. A cet égard le projet d’accord prévoit que ce juge devra être désigné dans les mêmes conditions que les autres, c’est-à-dire élu par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur une liste de trois, laquelle sera présentée par l’Union européenne. Afin de garantir que les intérêts de l’Union seront suffisamment pris en compte dans ce choix, l’idée est d’envoyer des délégués du Parlement européen participer à cette élection.

M. Denis Badré. Pour l’élection de tous les juges !

M. Jean-Paul Costa. Tout à fait ! Cela est indispensable dans un souci d’égalité et de symétrie. Le processus doit être le même pour tous les juges avec le même corps électoral.

La deuxième difficulté technique, mais qui revêt cependant une connotation plus politique, tient à la façon dont, au sein du Conseil des ministres du Conseil de l’Europe, vont se prendre les décisions relatives à l’application de décisions de la Cour concernant des requêtes contre des mesures prises par des instances de l’Union.

En effet, la Convention a prévu un système dans lequel ce n’est pas la Cour européenne des droits de l’homme qui est chargée elle-même de vérifier l’exécution de ses arrêts. Cette tâche a été confiée, dès l’origine, au Comité des ministres. Il faudra donc qu’y siège un représentant de l’Union européenne, ce qui n’est pas difficile à imaginer. En revanche, il a été relevé que si, au sein de cette instance, les représentants des vingt-sept pays membres de l’Union faisaient bloc, ils pourraient paralyser l’exécution d’un arrêt visant une décision de l’Union. Peut-être est-ce faire preuve de mauvais esprit que d’y penser, mais vous savez que, lorsque l’on fait de la politique, il est préférable de prévoir le pire que de penser que tout ira bien.

Le projet d’accord prévoit que les vingt-sept Etats concernés s’engageraient à laisser la liberté de vote à leurs représentants. Des méfiances subsistent cependant.

Le troisième problème, technique et juridique, a aussi des implications politiques. En effet la Convention européenne des droits de l’homme prévoit que, pour requérir à Strasbourg, il faut avoir épuisé au préalable les voies de recours internes de son Etat. Sinon la requête est déclarée irrecevable. La difficulté est la transposition de cette règle à l’Union européenne. Lorsqu’une requête est présentée contre la France ou contre l’Espagne, on connaît bien le système judiciaire de ces pays et l’on sait quand la juridiction suprême est intervenue. En revanche, cela est plus compliqué s’agissant de l’Union européenne.

En effet, la Cour de justice de l’Union européenne a deux grandes modalités d’intervention. Elle peut ainsi intervenir, dans certains domaines comme la violation des règles de la concurrence, exactement comme la Cour de cassation ou le Conseil d’Etat en France, c’est-à-dire comme dernier degré pour le règlement direct d’un litige. En de tels cas il n’y a pas de problème. En revanche, il est un cas plus fréquent et plus important, celui où elle est saisie dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, c’est-à-dire lorsque, dans le cadre d’une procédure nationale, l’une des parties évoque une interprétation ou une violation du droit communautaire. Les juridictions concernées ont la possibilité, et même le devoir lorsqu’il s’agit du dernier degré de juridiction, de surseoir à statuer et de s’adresser à la Cour de Luxembourg pour avoir son interprétation sur le point évoqué, qu’il concerne les droits primaires, les traités, ou du droit dérivé, c’est-à-dire les directives et règlements.

La question est de savoir si l’épuisement des voies de recours internes sera réalisé lorsque la Cour de justice aura tranché la question préjudicielle ou s’il faudra attendre la décision du juge national. A cet égard, nous sommes tombés d’accord avec le président de la Cour de Luxembourg pour estimer qu’il faudrait au moins attendre qu’elle ait rendu sa décision sur le cas dont elle aura été saisie. Cette dernière y tient beaucoup car elle tient à ce que personne n’interprète le droit communautaire à sa place.

Le dernier problème est politico-psychologique.

Je vous ai indiqué que la Cour de Luxembourg et celle des droits de l’homme ont de bonnes relations depuis longtemps et qu’elles coopèrent bien. Toutefois, la Cour de justice de l’Union européenne considère qu’elle est souveraine dans l’ordre communautaire ; les Etats doivent suivre ses décisions. A partir du moment où dans un domaine, certes limité mais important – celui des droits de l’homme – le dernier mot appartiendra à la Cour européenne des droits de l’homme, on peut se demander si la Cour de Luxembourg, ses avocats généraux, ses juges, accepteront facilement cette sorte de subordination.

Les possibilités de surmonter ces difficultés existent et elles sont clairement politiques. Si les Etats, notamment les Vingt-sept, se mettent rapidement d’accord sur un projet d’adhésion « vendu » de façon positive, nous pourrons parvenir, dans un délai de deux ou trois ans, à l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme. Néanmoins, dans l’état actuel de la construction où certains Etats n’aiment pas la Cour européenne des droits de l’homme tandis que d’autres n’aiment pas l’Union européenne, voire ni l’une ni l’autre, il faut une bonne dose d’optimisme pour espérer que cela se concrétisera. (Applaudissements.)

M. le président. Je vous remercie et nous allons immédiatement en venir aux questions.

Mme Caroline Ravaud. J’ai passé mon mémoire de DEA en 1979, juste après la publication du Livre blanc de la Commission, précisément sur la problématique de l’adhésion de la CEE à l’époque, à la Convention européenne des droits de l’homme ; puis j’ai rédigé un second mémoire de DEA sur « la jurisprudence de la CJCE : application des principes généraux du droit ou nouvelle jurisprudence ? ».

A l’époque, j’avais conclu qu’il n’y avait aucun besoin pour la Communauté européenne d’adhérer à la Convention européenne des droits de l’homme. A ce sujet je trouve que le président Costa est bien optimiste et qu’il faudra bien davantage que deux ou trois ans avant que cela aboutisse.

Au-delà de l’exécution des arrêts, je voudrais savoir comment cela se passera concrètement devant la Cour lorsqu’une requête visera l’Union européenne en tant que telle ? Les quarante-sept juges de la Cour participeront-ils au jugement de l’affaire ou seulement les vingt-sept appartenant aux Etats membres de l’Union plus le juge élu au titre de l’Union ?

M. Jean-Paul Costa. Si je n’étais pas optimiste, j’aurais quitté mes fonctions depuis longtemps ! Je me souviens, en particulier que, lorsque la Douma a refusé de ratifier le Protocole 14 en décembre 2006, tout le monde disait que la Fédération de Russie ne le ratifierait jamais et qu’il n’entrerait jamais en vigueur. Il l’est et je suis tout aussi optimiste pour l’adhésion de l’Union.

Pour faire court, je suis passé sur deux problèmes que vient d’évoquer Mme Ravaud.

La logique de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme est qu’elle doit ensuite être considérée exactement comme un Etat, bien sûr dans la mesure du possible. Cela serait tout à fait nouveau dans le droit international, mais cela correspond à la volonté de tous ceux qui travaillent depuis vingt ans à ce projet.

En conséquence, on ne saurait limiter la compétence de certains juges et décider, par exemple, que seuls ceux élus au titre d’un Etat membre de l’Union européenne pourront juger les affaires où elle sera en cause. Symétriquement, il ne saurait être question de limiter l’intervention du juge élu au titre de l’Union aux seules affaires la concernant. Ce juge aura les mêmes devoirs, responsabilités, privilèges, compétences que les autres. Il n’est même pas exclu, ni juridiquement, ni politiquement, ni philosophiquement, qu’il soit un jour élu par ses pairs président de la Cour.

Dans le cas où, dans une affaire, la responsabilité incomberait non seulement à l’Union européenne mais aussi à un Etat membre, se pose la question de savoir qui serait le défendeur. Dans l’état actuel des projets, la réponse des négociateurs est que les deux pourront l’être. L’avantage de cette solution est que, si la violation d’un droit est avérée, les deux défendeurs seront solidairement responsables des obligations qu’imposera la Cour.

L’arrêt Bosphorus qui date de 2005, il est très intéressant et il avait, à l’époque, rassuré beaucoup de juristes et de juges, notamment ceux de Luxembourg. Il s’agissait d’un règlement du Conseil de l’Union européenne qui, pris sur la base d’une résolution des Nations unies, prévoyait que les aéronefs participant, d’une manière directe ou indirecte, au conflit en ex-Yougoslavie et se trouvant sur le territoire d’Etats membres de l’Union devaient être saisis et immobilisés jusqu’à la fin des hostilités.

Appliquant ce règlement, l’Irlande, en 1993, a bloqué, sur l’aéroport de Dublin, un appareil appartenant à une compagnie aérienne turque, Bosphorus, en estimant que cet appareil pouvait être utilisé pour apporter des armes à des parties au conflit en ex-Yougoslavie. La compagnie a introduit un recours devant les autorités judiciaires irlandaises et la Cour suprême d’Irlande a posé une question préjudicielle à la Cour de Luxembourg pour savoir si l’appareil en cause entrait ou non dans la catégorie visée par le règlement communautaire. Cette dernière a répondu positivement.

La compagnie Bosphorus a alors fait un nouveau recours devant la Cour européenne des droits de l’homme en visant l’Irlande puisqu’elle ne pouvait attaquer l’Union en tant que telle, celle-ci n’étant pas partie à la Convention. L’argument essentiel mis en avant par l’Irlande était celui de la compétence liée qui lui imposait d’appliquer le règlement communautaire. La Cour ne l’a pas suivie en indiquant – c’est une de ses jurisprudences constantes – que ce n’est pas parce que l’on a adhéré à un traité que l’on est délié de ses obligations nées d’un autre traité, en l’occurrence la Convention européenne des droits de l’homme.

Elle a cependant ajouté que si l’institution internationale en cause
– l’Union européenne – certifie qu’elle assure une protection des droits de l’homme équivalente à celle fournie par la Convention, il y a une présomption que cette protection suffit. Cette présomption n’est pas irréfragable, mais le requérant doit en apporter la preuve contraire. Tel n’a pas été le cas et la Cour a rejeté la requête de la compagnie.

La plupart des juristes et les juges de Luxembourg ont estimé que cette solution était parfaite et qu’elle devait continuer à prévaloir. Cependant cela ne sera pas possible si l’Union européenne adhère à la Convention, car les recours pourront être portés directement contre elle.

Un intervenant dans la salle. L’Union européenne a adopté une Charte des droits fondamentaux qui n’est pas superposable avec la Convention européenne des droits de l’homme. Comment régler la situation ?

M. Jean-Paul Costa. Lorsque cette Charte a été adoptée en décembre 2000, elle n’avait pas une valeur juridique contraignante, mais le Traité de Lisbonne la lui a donnée en même temps qu’il prévoit l’adhésion de l’Union à la Convention européenne des droits de l’homme. Certes, cette charte reprend largement la Convention mais elle est plus moderne, constituant une sorte d’aggiornamento par rapport aux droits proclamés en 1950.

Cela étant, cette question ne préoccupe guère ni mes collègues de la Cour de Strasbourg, ni les juges de la Cour de Luxembourg, car la Charte des droits fondamentaux indique expressément qu’elle n’a de valeur qu’à l’intérieur de l’Union. Etant plus moderne, elle est aussi un peu plus large, par exemple dans le domaine du droit de l’environnement et rien n’interdit à la Cour européenne des droits de l’homme de s’en inspirer.

Tel a été le cas dans une affaire concernant des transsexuels au Royaume Uni. Dans les années 80, la Cour avait rejeté des requêtes de transsexuels se plaignant de ne pouvoir avoir un état civil correspondant à leur nouvelle situation au motif que rien, dans le droit international, ne donnait de garantie de ce type. En 2002, un nouvel arrêt a tranché en sens inverse en tenant compte de l’évolution des moeurs et du droit et en s’appuyant sur la Charte des droits fondamentaux.

Un intervenant dans la salle. Ayant écrit un livre sur le multilatéralisme régional, je veux souligner que la question qui vient d’être évoquée marque le renforcement de l’Union européenne en tant qu’entité post-westphalienne. Elle fait d’ailleurs partie du G20 en tant que telle.

Ne serait-il donc pas possible d’envisager que des organisations comme le Mercosur ou l’Union africaine, si elle se dotait d’une personnalité juridique, obtiennent le statut d’observateur, ce qui permettrait de mieux traiter des problèmes de la mondialisation ?

M. Jean-Paul Costa. Il y a déjà des précédents politiquement importants et le droit international est maintenant beaucoup plus souple qu’au temps où prévalaient les Etats nations. Les organisations internationales jouent désormais un rôle qui n’était même pas prévisible autrefois. Ce que vous proposez est donc tout à fait envisageable, y compris pour des instances extra européennes.

Un intervenant dans la salle. J’ai bien compris ce qui s’était passé dans l’affaire de la compagnie aérienne Bosphorus, mais, dans le même temps, j’ai participé à un débat sur le thème de la violation des droits dans le cadre de la Cour de Karlsruhe. Or la conclusion de ce débat a été qu’il y avait eu un abus Pouvez-vous m’expliquer la différence d’interprétation car, entre les deux décisions, je suis un peu perdu ?

M. Jean-Paul Costa. Je ne suis pas certain de pouvoir répondre à votre question. Sur le sujet il y a deux interprétations : l’une par la Cour de Karlsruhe, l’autre par celle de Strasbourg. Il y a ainsi parfois des divergences entre elles. Tel a été le cas lorsque nous avons considéré que la Princesse de Monaco devenue Caroline de Hanovre avait droit au respect de son image en rendant un arrêt qui lui donnait satisfaction, alors que le Cour de Karlsruhe lui avait donné tort.

En Allemagne, cela a provoqué un certain émoi mais, par la suite, la Cour fédérale a modifié sa jurisprudence pour s’aligner sur la nôtre.

Un intervenant dans la salle. Récemment élue au premier congrès de la diaspora russe à Paris pour les questions humanitaires, je voudrais savoir si l’affaire Khodorkovsky vous met dans l’embarras car elle touche à des aspects juridiques et judiciaires très complexes qui demandent énormément de vérifications.

M. Jean-Paul Costa. Il est une règle déontologique absolue, celle de ne pas faire de commentaires sur des affaires en cours d’examen.

Un intervenant dans la salle. La France a été l’un des six pays à l’origine de la construction européenne. Pourquoi a-t-elle attendu 1974 pour ratifier la Convention européenne des droits de l’homme élaborée en 1950 ? Quelles sont les raisons qui l’ont conduite à retarder cette ratification ?

M. Jean-Paul Costa. Au début, la France était encore dans la phase des guerres coloniales, puisque la guerre d’Algérie ne s’est terminée qu’en 1962. Ses dirigeants craignaient donc sans doute que des recours puissent être intentés à Strasbourg contre certains agissements qui auraient pu être contraires à la Convention, en particulier à son article 3 qui condamne le recours à la torture et aux traitements inhumains et dégradants.

Ensuite les principaux dirigeants français, notamment le Général de Gaulle et Georges Pompidou, ont été très hostiles au supranationalisme et ils avaient beau jeu de dire que, lorsque la France avait signé cette Convention en 1950, ils n’étaient pas au pouvoir.

Les esprits ont évolué à tel point que c’est le Parlement encore gaulliste, en décembre 1973, qui a adopté le projet de loi autorisant la ratification de la Convention européenne des droits de l’homme. Certes, Georges Pompidou était gravement malade, mais il ne s’était pas opposé à cette démarche. Cependant, comme il est décédé en avril 1974, c’est le président de la République par intérim, Alain Poher, démocrate chrétien et européen convaincu, qui a signé le décret pour la publication de la loi au Journal Officiel.

Peut-être Mme Lalumière peut-elle apporter un autre éclaircissement ?

Mme Catherine Lalumière. Je n’ai rien contre cette interprétation !

On peut également se poser la même question pour des textes plus récents qui posent des problèmes à la France, telle la Charte pour les langues régionales et minoritaires.

M. le président. Je donne la parole à M. Laurent Pech, titulaire de la chaire Jean Monnet à l’université de Galway pour traiter du sujet suivant : « Le Conseil de l’Europe et le principe de la prééminence du droit ».

b) M. Laurent Pech, professeur, titulaire de la chaire Jean Monnet à l’Université de Galway : le Conseil de l’Europe et le principe de la prééminence du droit

M. Laurent Pech, professeur. Avant d’évoquer le rôle et le travail effectué par le Conseil de l’Europe en matière de promotion du principe de prééminence du droit, permettez-moi de remercier les organisateurs de ce colloque pour leur invitation et l’honneur qui m’est fait de pouvoir m’exprimer devant vous.

Ma présentation portera donc sur le principe de prééminence du droit à un moment où l’on parle beaucoup du projet d’adhésion de l’Union européenne à la CEDH. A cet égard, je vous signale la publication par la fondation Robert Schuman d’un petit ouvrage que j’ai cosigné avec deux collègues.

La notion de prééminence du droit forme, avec celles de démocratie et de respect des droits de l’homme, le triple socle sur lequel repose le Conseil de l’Europe. Elle est consacrée à la fois par son statut de 1949 et par le préambule de la CEDH de 1950.

Le préambule du statut du Conseil de l’Europe souligne ainsi «l’attachement» de ses Etats membres aux « … principes de liberté individuelle, de liberté politique et de prééminence du droit, sur lesquels se fonde toute démocratie véritable ». L’article 3 du même texte dispose en outre que « Tout membre du Conseil de l'Europe reconnaît le principe de la prééminence du droit... »

Pour sa part, le préambule de la CEDH renvoie à l’idée d’un patrimoine constitutionnel commun fait « de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit ».

Avant de clarifier les éléments clés de la notion de prééminence du droit et d’offrir un bref panorama des multiples activités entreprises par le Conseil de l’Europe en ce domaine, je formulerai quelques remarques d’ordre conceptuel et linguistique.

En ce qui concerne d’abord les remarques conceptuelles et linguistiques, à ma connaissance, c’est à un juriste britannique que nous devons les multiples références faites au principe de la prééminence du droit dans le statut du Conseil de l’Europe du 5 mai 1949. Le concept de prééminence du droit n’est donc en fait qu’une traduction de la vénérable notion de rule of law, qui a été notamment remise au goût du jour par un constitutionnaliste britannique, le professeur Dicey, dans un ouvrage publié en 1885 et dédié à la « Constitution » britannique.

Cette traduction a posé un certain nombre de problèmes car rule of law a pu être également traduit en français – que ce soit avant 1949 ou après – par « principe de légalité » ou « Etat de droit », voire, au niveau de l’Union européenne, par la notion de communauté de droit. Pour faire simple et pour le dire brièvement, je ne crois pas à la thèse selon laquelle les notions de rule of law, de prééminence du droit, d’Etat de droit ou encore de Rechtsstaat renvoient à des conceptions et à des réalités véritablement ou radicalement différentes. Selon moi, il convient de comprendre toutes ces notions comme étant désormais largement synonymes car elles renvoient toutes essentiellement à un même phénomène.

Il y a donc une soumission des pouvoirs publics au droit, plus exactement à un ensemble de principes et de contraintes juridiques de nature formelle et substantielle, qui sont elles-mêmes interprétées et mises en œuvre à l’aune de ce qui a pu être décrit comme le principe matriciel du droit, à savoir le principe de respect de la dignité humaine. En définitive, le principe de prééminence du droit poursuit le but essentiel suivant : la protection de chacun contre tout usage arbitraire ou abusif des pouvoirs conférés aux autorités publiques.

Il apparaît donc utile de clarifier brièvement l’ensemble des contraintes qui ont été progressivement définies et imposés aux autorités publiques.

Pour ce qui est donc des éléments constitutifs de la notion, en l’absence de toute définition officielle du principe de la prééminence du droit, il est revenu à la CEDH d’en préciser les éléments constitutifs.

En schématisant sans doute à l’excès, on peut déduire de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, mais également des multiples documents adoptés par les diverses institutions du Conseil de l’Europe, le constat que la prééminence du droit implique le respect de quatre éléments ou principes.

Le premier principe au cœur de la notion de prééminence du droit est celui de légalité. Il suppose l'existence d'une procédure d'adoption des lois démocratique, ce qui sous-entend également le respect du principe de séparation des pouvoirs.

Le principe de sécurité juridique est le deuxième élément clé. Il requiert que les normes juridiques soient claires, précises, ainsi que facilement accessibles et prévisibles.

Le troisième élément clé est le droit d’accès à la justice devant des juridictions indépendantes et impartiales. Ces juridictions doivent notamment disposer du pouvoir de contrôler et d’annuler tout acte administratif illégal et je suis d’avis que le contrôle de constitutionnalité des lois est désormais un élément indispensable pour tout pays qui se veut un véritable Etat de droit.

Last but not the least, le principe de la prééminence du droit exige le respect des droits fondamentaux et en particulier le principe de l’égalité devant la loi.

Bien que certains juristes aient pu défendre une conception selon laquelle un Etat non démocratique et non respectueux des droits de l’homme peut prétendre à la qualité d’Etat de droit – il y a notamment un fort courant doctrinal en ce sens aux Etats-Unis – le Conseil de l’Europe promeut clairement – et c’est heureux selon moi – une conception faisant valoir l’interdépendance des trois principes sur lesquels il se fonde et qu’il se doit de faire respecter et promouvoir. Autrement dit, pour le Conseil de l’Europe, il ne peut y avoir de prééminence du droit en l’absence d’un système fondé sur le respect des principes démocratiques et des droits fondamentaux. Ces trois notions se renforcent mutuellement et ne peuvent exister indépendamment les unes des autres. Il s’agit vraiment d’une conception européenne.

Ainsi l’Union européenne s’en est fortement inspirée pour la révision des traités européens en 1992. Elle veut ainsi promouvoir une conception similaire, notamment dans le cadre de ses politiques à destination des Etats tiers, en particulier des Etats qui cherchent à la rejoindre. C’est donc un objectif poursuivi conjointement par le Conseil de l’Europe et par l’Union européenne.

Plutôt que de détailler les politiques et actions de l’Union en matière de consolidation et de promotion de l’Etat de droit, il convient aujourd’hui de brièvement présenter celles définies et mises en œuvre par le Conseil de l’Europe qui, en ce domaine, a montré la voie bien avant que l’Etat de droit devienne un principe à la fois consensuel et particulièrement prisé par l’ensemble des organisations internationales.

De manière générale, l’appartenance au Conseil de l’Europe présuppose que tout nouvel Etat membre ait mis ses institutions et son ordre juridique en conformité avec les principes fondamentaux de démocratie, de prééminence du droit et de respect des droits de l’homme. Afin que l’adhésion au Conseil ne se traduise pas par un infléchissement en matière de respect de ces principes, le Conseil de l’Europe exerce un monitoring régulier de la situation dans chacun de ses 47 Etats membres et adopte régulièrement des plans d’actions.

S’agissant du principe de prééminence du droit, le Conseil s’efforce avant tout d’en garantir le respect en faisant usage de son pouvoir normatif, c’est-à-dire en adoptant des instruments juridiques dans des domaines tels que l’indépendance du pouvoir judiciaire, le contrôle juridictionnel des actes pris par les autorités publiques, l’exécution des décisions de justice, la lutte contre le terrorisme ou encore la lutte contre la corruption.

Des recommandations spécifiques par pays peuvent être également adoptées.

Plus généralement, un ensemble divers de mécanismes permet de contrôler le respect de la prééminence du droit dans chacun des 47 Etats membres du Conseil de l’Europe.

Outre le rôle bien connu joué par le Comité des ministres, je pense également, par exemple, au rôle joué par le Groupe d’Etats contre la corruption, le GRECO, institution active et efficace.

Enfin, le Conseil de l’Europe contribue par le biais de ses activités de coopération à promouvoir et à consolider le respect de la prééminence du droit. J’ai d’ailleurs moi-même eu le privilège de participer à des formations organisées par le Conseil de l’Europe à destination des professionnels du droit dans un certain nombre de jeunes démocraties.

Signalons enfin le rôle important joué par divers organes consultatifs créés par le Conseil de l’Europe en matière d’assistance technique. Je pense notamment à la Commission européenne pour la démocratie par le droit, plus connue sous le nom de Commission de Venise, dont le statut précise qu’elle doit donner priorité aux activités d’assistance qui contribuent au renforcement des institutions démocratiques et du principe de la primauté du droit. Dans une vie antérieure, j’ai eu l’occasion d’utiliser ses rapports qui constituaient nos documents de base à partir desquels nous effectuions notre travail d’harmonisation des normes juridiques, dans mon cas en Bosnie-Herzégovine.

Pour conclure, je tiens à souligner et à saluer la décision de l’UE de reconnaître en mai 2007 le rôle de référence du Conseil de l’Europe en matière de respect des droits de l’homme et de promotion des principes de démocratie et de l’Etat de droit en Europe. A l’heure où est en discussion le projet d’accord portant adhésion de l’UE à la CEDH, il importe de rappeler l’impérieuse nécessité d’une cohérence entre les normes juridiques de ces deux organisations et d’une coopération étroite entre elles. La prééminence normative du Conseil de l’Europe est ainsi reconnue par l’Union européenne.

Je crois cependant qu’il est juste de souligner que l’UE et le Conseil de l’Europe ont d’ores et déjà développé des formes de consultation réciproque et de collaboration concrète. Ainsi la première finance des actions de coopération menées par le second. Là où certains ont pu craindre chevauchements et concurrence inutile, nous voyons au contraire se développer des synergies pour le plus grand bénéfice de tous. Il est d’ailleurs possible de penser qu’il n’est pas de trop d’avoir deux organisations poursuivant un même objectif, à savoir la consolidation d’un espace européen commun fondé sur le principe de la prééminence du droit et sa mise en œuvre effective par l’ensemble des Etats européens. Toute concurrence institutionnelle serait particulièrement malvenue alors qu’il reste suffisamment de travail à accomplir pour occuper pleinement à la fois le Conseil de l’Europe et l’Union. (Applaudissements)

M. le président. La parole est à Mme l’ambassadeur du Royaume Uni auprès du Conseil de l’Europe, laquelle préside depuis hier le Comité des ministres. Je m’en réjouis d’autant plus que nous aurons l’occasion de travailler ensemble durant quelques mois, puisque je devrais accéder à la présidence de l’Assemblée parlementaire au mois de janvier.

c) Son Exc. Mme Eleanor Fuller, ambassadeur, Représentante permanente du Royaume Uni auprès du Conseil de l'Europe

Mme Eleanor Fuller, ambassadeur, Représentante permanente du Royaume Uni auprès du Conseil de l’Europe. Monsieur le président, je vous remercie de vos aimables paroles et je remercie également la délégation française et la Fondation Robert Schuman de m’avoir invitée à participer à cet intéressant colloque. Je ne suis pas juriste ; nous allons donc changer de cap dans la discussion, puisque je vais vous parler des grandes orientations et de priorités de la présidence britannique du Comité des ministres durant les six prochains mois.

Ainsi que vous l’avez souligné, le Royaume Uni assume depuis hier, 7 novembre, la présidence du Comité des ministres du Conseil de l’Europe. Il s’agit d’une présidence tournante par ordre alphabétique en langue anglaise. Nous avons ainsi succédé à l’Ukraine et, le 14 mai 2012, l’Albanie prendra le relais.

Hier, le ministre des affaires étrangères du Royaume-Uni, M William Hague, était donc présent à Strasbourg pour le transfert de présidence, et il a présenté au Comité des ministres les priorités de la présidence britannique

La présidence du Comité des ministres sera une occasion pour le Royaume Uni de jouer un rôle moteur dans la mission centrale du Conseil de l’Europe: la promotion des droits de l’homme, de la démocratie et de l’état de droit sur le continent européen. Comme le Royaume Uni, aux côtés de la France et de huit autres pays européens, est membre fondateur du Conseil, nous avons préparé cette présidence avec beaucoup d’attention. Nous l’avons d’ailleurs exercée à plusieurs reprises, la dernière fois en 1993, puisque le nombre de pays membres est allé croissant.

Le grand thème de notre présidence sera la promotion et la protection des droits de l’homme. Plus particulièrement, nous souhaitons, avec nos partenaires, agréer et mettre en place des mesures pratiques dans six domaines:

Combattre la discrimination sur la base de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre.

La gouvernance de l’Internet, y compris la liberté d’expression sur Internet.

La promotion de l’Etat de droit en Europe.

Poursuivre la réforme du Conseil de l’Europe mise en place par le secrétaire général Thorbjørn Jagland

La réforme des activités du Conseil de l’Europe dans le domaine de la démocratie locale et régionale

Enfin, mais ce sera en fait notre première priorité, la réforme de la Cour européenne des droits de l’homme et le renforcement de la mise en œuvre de la Convention. Ce sera donc la priorité centrale de notre présidence. Comme elle se rapporte directement au thème de cette table ronde, je veux expliquer comment nous voyons la situation et ce que nous envisageons de faire.

On dit souvent à Strasbourg que la Cour est victime de son propre succès. Elle a un rôle essentiel dans le système de protection des droits de l’homme, mais l’arriéré compte maintenant plus de 150 000 requêtes. Il s’agit d’une lourde charge qui rend difficile voire impossible de donner une réponse adéquate à chaque requérant en temps voulu et sape l’autorité de la Cour.

Grâce à l’initiative de son président sortant, M. Jean Paul Costa, avec lequel j’ai beaucoup travaillé au cours des dernières années, les Etats membres se sont réunis à Interlaken en février 2010 durant la présidence suisse du Comité des ministres, et ont décidé d’un programme de réforme de grande envergure, et étalé sur plusieurs années. Une échéance très importante du calendrier de ce programme est juin 2012, date avant laquelle les Etats membres se sont engagés à arriver à un accord sur les réformes à poursuivre qui nécessiteront un amendement de la Convention européenne des droits de l’homme. Il ne vous aura pas échappé que cette date butoir tombe juste après la présidence britannique. Il nous incombe donc de mener les travaux pour trouver un accord.

Nous constatons que, malgré les efforts de réforme menés depuis Interlaken – y compris, ou peut-être surtout, par la Cour elle-même -, l’arriéré a continué à grimper, et de nouveaux problèmes ont fait leur apparition, notamment une énorme charge de travail sur les demandes de mesures intérimaires, sous l’article 39. Celles-ci ont en effet augmenté de 4 000 % entre 2006 et 2010.

Que faire?

La présidence britannique s’efforcera de trouver un consensus dans les domaines suivants:

Mesures visant à favoriser l’efficience, pour permettre à la Cour de se concentrer rapidement, avec efficacité et transparence, sur les requêtes les plus importantes qui demandent son attention.

Renforcement de la mise en œuvre de la Convention au niveau national, afin que les juridictions et les autorités de chaque Etat puissent assumer pleinement leur rôle primordial dans la protection des droits de l’homme.

Mesures visant à renforcer la subsidiarité – c’est un mot difficile à dire pour une britannique ! – de nouvelles règles ou de nouvelles procédures qui devraient contribuer à veiller à ce que la Cour joue son rôle subsidiaire lorsque les Etats membres remplissent leurs obligations au titre de la Convention.

Améliorer les procédures pour nommer d’excellents juges et veiller à ce que la jurisprudence de la Cour soit claire et cohérente.

Initier un processus de réflexion stratégique sur le rôle de la Cour à long terme.

Comment obtenir ces résultats?

Notre objectif est d’aboutir à un accord sur ces mesures qui sera formulé dans une déclaration lors d’une conférence ministérielle au Royaume Uni, au mois d’avril de l’année prochaine. Cette déclaration pourra alors faire l’objet d’une décision du Comité des ministres à l’occasion de sa réunion ministérielle le 14 mai 2012, dernier jour de notre présidence. Il est bien évident que la réforme nécessite l’accord des 47 Etats membres. Le Royaume Uni fera tout son possible, y compris au niveau politique, pour arriver à ce consensus. Il s’agit d’un programme ambitieux. La présidence britannique fera tout son possible pour arriver à un accord de nature à permettre à la Cour de jouer pleinement son rôle clé dans la protection des droits de l’homme en Europe au cours des années à venir.

Dans son intervention à Strasbourg hier, le ministre des affaires étrangères du Royaume-Uni, M. Hague, a souligné toute l’importance qu’il attachait à trouver un accord. Il a aussi évoqué la controverse suscitée au Royaume Uni par certains arrêts de la Cour, et le débat très vigoureux autour des droits de l’homme. Il a expliqué que, s’il y avait une profession qui attirait encore plus de critiques que la politique, c’était celle de juge et que, en vertu des traditions constitutionnelles du Royaume-Uni, nous Britanniques, pensons que de telles critiques signifient qu’il est d’autant plus important de défendre l’indépendance et les pouvoirs des juges et de la Cour. Il a confirmé que le Royaume-Uni, pour sa part, s’engageait à défendre et à promouvoir les droits et libertés inscrits dans la Convention européenne des droits de l’homme. Je vous rappelle d’ailleurs que nous avons été le premier Etat à la ratifier en 1950.

Nous sommes bien conscients qu’aucune réforme ne sera possible sans le consensus des 47 Etats parties à la Convention européenne des droits de l’homme. Ce matin j’ai fait la connaissance de M. Orlov, dont le pays a précédé le mien à la présidence du Comité des ministres il y a quelques années, et je lui ai demandé conseil. Il m’a répondu que je ne devais jamais oublier les différences entre les Etats membres. Nous nous sommes déjà engagés dans cette voie puisque, au cours des dernières semaines, nous avons noué contact avec les 46 capitales des autres Etats parties, pour présenter notre approche et solliciter idées et propositions pouvant aider à mener à bien cette réforme.

L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe est un acteur très important dans le processus de réforme. Elle est responsable, comme nous l’avons vu ce matin, de l’élection des juges de la Cour, mais elle est aussi très attachée au bon fonctionnement du mécanisme de contrôle de la Convention dans son ensemble. Par son courage et par sa vision, elle a toujours su être le moteur du projet porté par le Conseil de l’Europe et je suis persuadée qu’elle continuera à faire preuve du même courage et de la même vision pour assurer l’avenir.

C’est pourquoi, monsieur le président, je me réjouis de pouvoir coopérer de très près avec cette Assemblée et, tout particulièrement, avec son prochain président à partir du mois de janvier. Je suis heureuse d’avoir eu l’occasion de présenter notre approche ici, et je vous en remercie. (Applaudissements.)

M. le président. Nous en venons à quelques questions aux deux intervenants.

Un intervenant dans la salle. Français, je préside le groupe d’experts du Conseil de l’Europe sur la traite des êtres humains, lequel est responsable du respect et de la bonne mise en oeuvre de la convention sur ce sujet, signée le 16 mai 2005.

Je tiens d’abord à remercier les organisateurs de cette journée, car le thème retenu ne fait pas souvent l’objet de colloques.

Je ne partage pas votre optimisme, monsieur Pech, quand vous dites que nous sommes sur la bonne voie et qu’un accord est intervenu entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, ou que certaines initiatives laisseraient à penser que les relations entre les deux institutions sont au beau fixe. Je pense en effet qu’il convient au contraire de demeurer très vigilant.

Ainsi, la Convention du Conseil de l’Europe sur la traite des êtres humains est l’instrument juridique le plus abouti dans ce domaine. Or, alors qu’elle n’est même pas encore ratifiée par tous les membres du Conseil de l’Europe et même pas par les Etats membres de l’Union européenne, cette dernière a sorti une directive sur le sujet le 5 avril dernier. En l’occurrence, elle s’est bien affranchie de cette prééminence du Conseil de l’Europe, ne laissant même pas le temps à la convention d’être appliquée correctement. Il faudrait éviter que l’Union ne duplique le travail du Conseil de l’Europe, ce qui pourrait conduire des Etats à s’interroger sur la nécessité de ratifier tel ou tel instrument du Conseil.

C’est pourquoi, sous la présidence française de l’Union européenne, a été adoptée une directive reconnaissant le travail législatif du Conseil. Il faut que chaque organisation laisse l’autre travailler dans son domaine d’excellence sans forcément chercher à la copier.

Je tenais à souligner cet aspect de la réalité car, si l’on est trop optimiste, plus personne ne sera vigilant. En l’occurrence, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe est très vigilante en matière de lutte contre la traite des êtres humains. Je cite notamment la déclaration de Paris des parlements unis contre la traite.

Par ailleurs, madame l’ambassadeur, vous avez évoqué la nécessaire réforme de la Cour, superbe joyau, en soulignant que l’un des axes de travail pourrait être le respect de la subsidiarité. En conséquence, la Cour n’aurait pas à reprendre des affaires qui auraient été correctement traitées au plan national. Or la raison d’être de la Cour est précisément de donner la possibilité à des citoyens de s’adresser à elle parce qu’ils estiment que la violation des droits de l’homme n’a pas été correctement réparée ou sanctionnée au niveau national.

Si cet axe était privilégié, qui déciderait que l’affaire a bien été traitée au niveau national et que, en conséquence, la Cour n’aurait pas à s’en saisir ? Pourrait-il y avoir une sorte de filtre ?

Mme Eleanor Fuller. La réponse est déjà dans la question ! Seule la Cour est en mesure de dire si une affaire a été « correctement » traitée au plan national. Nous ne souhaitons donc pas qu’un filtre soit mis entre les requérants et la Cour ; ce serait contraire aux principes qui la régissent.

Cela étant, il faut encourager les Etats à prendre leurs responsabilités et à appliquer la Convention « correctement » au plan national.

Un intervenant dans la salle. Madame l’ambassadeur, je vous félicite d’abord de vous exprimer dans un français aussi parfait.

La gouvernance Internet fait partie de vos objectifs. Dans ce cadre, allez-vous aborder la question de la propriété intellectuelle sur Internet, au niveau aussi bien du contenu que des programmes ?

Mme Eleanor Fuller. Avant tout, nous devons nous assurer de la liberté d’expression sur Internet en ce qui concerne tant l’accès que le contenu et nous voulons mettre en place une stratégie du Conseil de l’Europe dans le domaine de la gouvernance Internet.

Nous tenons aussi à encourager l’application de la convention du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité qui connaît un grand succès. Elle est d’ailleurs la seule qui ait été signée et ratifiée par les Etats-Unis ; elle intéresse aussi le Japon et l’Australie, entre autres.

M. le président. Nous en venons à l’intervention de M. Kellens.

d) M. Fabrice Kellens, secrétaire exécutif adjoint du Comité européen pour la prévention de la torture

M. Fabrice Kellens. En préambule, je tiens à saluer et à rendre hommage à Catherine Lalumière qui fut une secrétaire générale de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe visionnaire et énergique ; elle a appuyé le CPT dès sa création.

Il me revient donc de parler du rôle du CPT dans l’Europe du droit.

Ainsi que vous le savez, il n’est pas un organe judiciaire. Or le président Costa a montré combien étaient importantes les instances judiciaires dans la création de l’Europe du droit, dans la mise en conformité des pays avec les règles fondamentales du droit européen. En fait le rôle du CPT est beaucoup plus prosaïque, car il s’intéresse non aux textes directement mais à leur application et à la mise en œuvre pratique des droits sur le terrain.

Prochainement le CPT fêtera non son soixantième anniversaire, mais son vingtième. Je me bornerai donc à faire le point sur ses activités durant ces vingt années et à en tirer quelques idées pour l’avenir.

Le premier changement intervenu depuis la création du CPT a concerné le champ géographique de ses compétences : alors que 15 Etats seulement étaient parties à la Convention lors de sa signature en 1989, nous en sommes à 47. L’accroissement est important non seulement en termes géographiques, mais également en ce qui concerne la clientèle, si je puis dire. S’il y avait à l’époque environ 65 000 détenus en France, nous avons « phagocyté » plus d’un million de détenus civils avec la seule adhésion de la Fédération de Russie. Cette explosion exponentielle a forcément eu des conséquences sur l’action du CPT.

Au-delà de cet accroissement géographique, les premiers succès du CPT remportés sur le terrain, à l’époque de Mme Lalumière d’ailleurs, ont valu à la Convention le très rare privilège de passer du statut de convention fermée à celui de convention ouverte dès 2002, soit moins de dix ans après la création du CPT. Cela tient au fait que le Comité des ministres a jugé important d’offrir nos compétences et nos capacités d’expertise à des pays non membres. Actuellement le sujet est brûlant puisque des discussions sont en cours au sein de divers organes du Conseil de l’Europe. Ainsi certains Etats du sud de la Méditerranée se posent la question de savoir s’ils ne pourraient pas bénéficier d’une sorte d’état des lieux de leur situation.

Ensuite il faut regretter que notre compétence ne couvre pas l’ensemble du territoire européen ; même si l’on va de l’Atlantique à l’Oural en prenant en compte les Antilles françaises ou néerlandaises, il manque le Belarus. C’est à la fois un défi et une attente que nous avons depuis plusieurs années puisque le Protocole no 1, adopté en 2002, donne la possibilité au Comité des ministre d’inviter un Etat membre à rejoindre la Convention.

Il existe aussi des zones dites « grises » dans lesquelles nous souhaiterions exercer nos activités.

Néanmoins, nous avons obtenu des succès, par exemple lorsque nous avons pu accéder dans des lieux du Kosovo relevant actuellement de la juridiction d’un pays qui n’appartient pas à notre organisation : les Etats-Unis ; également dans la région sécessionniste moldave de Transnistrie. Personnellement je suis également allé en Abkhazie et ai fait des propositions que la Géorgie a eu du mal à accepter, car elle estimait que cela pouvait avoir des conséquences dans le futur.

Nous avons certes connu quelques échecs, en particulier avec l’Ossétie du Sud, le Haut-Karabakh et la République turque de Chypre du nord.

Nous regrettons l’approche parfois trop légaliste de certains Etats, d’autant que le propos du Comité n’est jamais politique. Le CPT est un organe technique et son objectif est de protéger les gens les plus vulnérables contre la torture et les mauvais traitements. Par exemple, le fait qu’il y ait des prisonniers géorgiens en Abkhazie nous a facilité la tâche.

Outre l’élargissement géographique, il y a eu l’accroissement des catégories de lieux de privation de liberté que nous pouvons visiter. Après les prisons et les commissariats de police, nous avons eu accès aux asiles psychiatriques, aux centres de rétention pour étrangers, aux centres pour mineurs, aux hébergements de personnes âgées…

Tout cela a conduit à une extension de notre domaine d’activité et ce travail a abouti à l’élaboration de normes dont certaines étaient les premières au niveau international, comme celles sur les soins de santé en prison ou celles sur les expulsions par avion. Certaines ont même été reprises dans des arrêts de la Cour.

En ce qui concerne l’impunité, le CPT a également accompli un travail de pionnier articulé autour des articles 2, relatif à la protection du droit à la vie, et 3, mais dans une moindre proportion.

La lutte contre le terrorisme a aussi fait l’objet d’une attention particulière de la part du CPT, d’autant qu’elle est malheureusement souvent au centre de l’actualité. On débat notamment de la question de savoir si l’utilisation de la torture est légitime ou non dans ce cadre. Que ce soit moralement, juridiquement ou politiquement nous répondons par la négative. A cet égard, l’article 3 de la convention ne souffre aucune réserve. D’ailleurs notre travail est le même quelle que soit la situation : guerre ou paix.

Bref, la torture n’est jamais admissible quelles que soient les circonstances. Il est d’autant plus important de le souligner que, à la suite des graves attentats que le monde a connus, certains Etats se sont affranchis des dispositions de la convention, notamment les Etats-Unis. Ainsi un vice-président de ce pays, soutenu par un avis juridique de son ministère de la justice, ce qui est assez incroyable, a estimé que le fait de plonger la tête d’un suspect dans l’eau ne constituait pas un acte de torture. Belle vue de l’esprit pour ne pas dire plus !

Désormais nous sommes très régulièrement approchés par les instances de l’Union européenne – Commission, Parlement ou Conseil – ainsi que par des agences spécialisées, pour participer à l’élaboration de directives ou la fixation de lignes de conduite. Certes cela nous perturbe quelque peu car cela ne correspond pas directement à notre métier, mais nous essayons toujours de répondre favorablement et de participer à ces travaux aussi efficacement que possible.

Tel a été le cas pour le travail en cours au sein de l’Union européenne sur le renforcement des droits procéduraux des suspects et des personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales, ainsi que pour le green paper sur la détention actuellement en discussion.

Le CPT est d’avis qu’il y a une grande latitude pour la coopération entre lui et les organes pertinents de l’Union européenne et il estime que, en temps opportun, la question de l’adhésion de l’Union à notre convention pourra également être posée, parce que de plus en plus de mesures, de méthodes, de directives, sont prises au niveau international. Il serait donc souhaitable que l’exercice de ces tâches puisse être contrôlé par un organe indépendant tel que le CPT (Applaudissements.)

Un intervenant dans la salle. La Convention est désormais ouverte, ce qui est une bonne nouvelle. La possibilité d’adhésion est-elle limitée aux Etats qui n’ont plus la peine de mort ?

M. Fabrice Kellens. La réponse est entre les mains du Comité des ministres car il est le seul à avoir le pouvoir d’inviter un Etat à ratifier la Convention. Je suppose qu’il le fait au vu de la situation politique et j’imagine que la présence de la peine de mort dans l’arsenal juridique d’un pays doit être un élément clé à cet égard.

Même si le CPT est un organe apolitique, tout ce qu’il dit ou fait est utilisé politiquement. C’est pourquoi il serait souhaitable que nous puissions commencer à travailler au Belarus. Mais il ne nous appartient pas de lancer l’invitation et encore faudrait-il que le Belarus soit placé dans une situation où il ne pourrait pas refuser l’invitation.

Un intervenant dans la salle. Ce matin, M. Marquet a évoqué son embarras devant la position prise par l’OMS dans la question des médicaments destinés à lutter contre le sida. Or il me semble important de relever que le dilemme n’est pas le même selon que l’on se trouve devant la possibilité de produire des médicaments à un coût accessible pour sauver des vies, ou qu’il s’agisse de fabriquer des médicaments de contrefaçon dangereux pour la vie des gens.

Ayant travaillé durant plus de trente ans comme fonctionnaire international, je tenais à formuler cette remarque.

Pour lever toute ambiguïté, je voudrais savoir quelle est la position officielle du Conseil de l’Europe concernant cette question qui touche aux droits de l’homme ? Alors qu’il s’agissait de sauver des vies, l’OMS a été prise au dépourvu.

M. Denis Badré. Je vais essayer de répondre à la place de mon collègue.

Il me paraît d’abord évident que le Conseil de l’Europe n’a pas à prendre une position officielle dans ce genre d’affaire. Cela est ressorti de l’intervention de Bernard Marquet ce matin. A partir du moment où un médicament est une contrefaçon, il ne présente aucune garantie et n’offre aucune sécurité. On ne devrait même pas pouvoir se poser la question de savoir si on peut l’utiliser en estimant qu’il pourrait sauver des vies. Il est dangereux : il faut proscrire son utilisation.

Un intervenant dans la salle. De ce point de vue je suis d’accord, mais je pense qu’il y a eu une incompréhension dans le cas qui nous intéresse. Lorsque l’OMS s’est prononcée, il ne s’agissait nullement de médicaments de contrefaçon, mais d’un problème de copyright. La question était donc toute autre.

En l’occurrence il y a bien un problème de droits de l’homme ; il s’agit de savoir si la propriété intellectuelle peut empêcher de sauver des vies.

M. Christian Béteille, sénateur, Représentant de la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. J’ai fait un rapport sur la contrefaçon dans le domaine industriel et nous n’allons pas ouvrir ici un débat sur cette question dans le domaine du médicament. En l’occurrence, le problème n’est pas d’autoriser les contrefaçons, mais de généraliser des licences obligatoires pour les médicaments destinés aux pays en voie de développement.

Les contrefaçons sont des médicaments qui ne sont pas contrôlés, qui sont souvent très mal dosés, qui ne soignent pas. Ils ne sauraient donc en aucune façon constituer une solution.

Un intervenant dans la salle. Monsieur Kellens, avec votre organisation, vous avez accès à des institutions très fermées, par exemple les armées. Or, dans la période de crise que nous vivons en Europe, j’ai l’impression d’entendre des craquements. Si les institutions européennes s’écroulaient, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe pourrait-elle reprendre un rôle primordial dans l’esprit de 1949 ? Actuellement il semble qu’il y ait » quelque chose de pourri dans le Royaume de Danemark » : si les institutions s’écroulent, c’est que les méthodes doivent être revues au moins en partie.

M. Fabrice Kellens. Par souci de rapidité je n’ai pas mentionné les établissements militaires, mais il est certain que des Etats disposent encore d’un système pénitentiaire militaire, d’un code pénal militaire… De mémoire je peux citer notamment l’Italie, le Portugal, l’Espagne, la Fédération de Russie, l’Ukraine. Ils n’échappent pas à notre mandat, mais nous leur consacrons un peu moins de temps, tout simplement parce qu’ils représentent moins de « clients », si j’ose dire.

Nous avons eu un cas récent en Turquie où les tribunaux militaires ont sanctionné des actes perpétrés sur de jeunes recrues. Nous avons pu intervenir car ils étaient détenus, sinon notre mandat ne nous l’aurait pas permis. J’ai déjà fait référence au Kosovo où l’armée américaine était concernée.

Notre mandat s’exerce même pour les détachements militaires de pays membres du Conseil de l’Europe qui ont des activités à l’extérieur. Je vous rappelle d’ailleurs que la Cour s’est prononcée pour des actes de torture commis par des soldats britanniques en Irak.

E. Conclusions de la journée

a) M. Denis Badré, Sénateur

M. Denis Badré. Avant de revenir sur plusieurs questions abordées au cours de la journée, en particulier sur les relations entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, je vais formuler quelques brèves observations.

Je tiens d’abord à souligner que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a une vraie vie d’assemblée, contrairement à d’autres, par exemple l’Assemblée de l’OSCE où j’ai également siégé. Nous nous réunissons suffisamment souvent pour avoir des échanges personnels et bien nous connaître avec nos différences et nos convergences. Nous nous retrouvons en effet quatre fois une semaine à Strasbourg chaque année avec, entre temps, des réunions de commissions, des missions, en particulier pour contrôler des élections…

Nous avons donc l’occasion de tisser des liens entre nous et nous vivons une vraie vie d’assemblée avec des groupes politiques, des commissions, des groupes de travail. Cela est essentiel si l’on veut construire une Europe des peuples dans laquelle les gens sont capables de se parler. Il est en particulier un fait qui peut paraître anecdotique mais qui a son importance : nous sommes installés dans l’hémicycle par ordre alphabétique. Nos voisins ne sont donc généralement ni du même groupe politique ni du même pays. Ils changent même souvent au gré des élections dans les 47 Etats membres.

Nous sommes donc en permanence en contact avec des représentants auxquels on n’aurait jamais parlé sans cela. C’est le moteur d’une vraie vie parlementaire.

Ensuite, je tiens à insister sur le fait que ce colloque ne saurait montrer en détail tout ce qui se passe au sein du Conseil de l’Europe. Il n’aura permis que de donner des coups de projecteurs sur tel ou tel aspect de son action. Si nous élisons les juges, si nous avons un Comité de prévention contre la torture, nos avons également bien d’autres organes comme un secrétaire général, un Commissaire aux droits de l’homme, une commission de suivi qui renforce la crédibilité de nos actes…

Il y a également une véritable diplomatie parlementaire. J’ai ainsi eu l’occasion de me rendre sur la ligne de démarcation entre la Géorgie et l’Ossétie du Sud. Les parlementaires qui se rendent ainsi sur le terrain ont des choses à dire et leurs propos ne passent pas forcément inaperçus. Ils sont souvent entendus et leur action peut permettre de faire avancer les choses.

Dans le même ordre d’idée j’ai toujours été impressionné de voir, au sein de la commission des questions politiques, assis côte à côte des représentants d la Knesset et du Conseil Palestinien ; ils se parlent et ils travaillent ensemble, probablement parce que nous sommes à côté d’eux. Il est évident que cela ne peut être sans conséquence.

Je relève d’ailleurs que l’accession du Conseil Palestinien au statut de partenaire pour la démocratie constitue un acte très fort. Certains ont estimé que cela n’était pas judicieux car les intéressés ne respecteraient pas les droits de l’homme. Je crois au contraire que c’est une bonne chose car, à partir du moment où ils s’engagent dans cette voie, ils seront obligés de travailler en ce sens.

En ce qui concerne les relations entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, beaucoup de choses ont été dites. Le premier est plus ancien et il a été fondé sur certaines valeurs. Cependant cela ne veut pas dire que l’Union européenne n’a pas de valeur, ni que le Conseil de l’Europe ne peut rien faire d’autre ! L’un comme l’autre ont désormais un vécu et il peut y avoir une tendance à s’occuper de tout. Dans ce cadre il est évident que le Conseil de l’Europe, qui a beaucoup moins de moyens que l’Union, se sent un peu assiégé et estime que l’Union lui prend ses prérogatives.

Pour autant je ne crois pas que l’on arrive un jour à une procédure d’absorption du Conseil de l’Europe par l’Union, ou à une disparition du Conseil de l’Europe. A cet égard je vous renvoie modestement à un rapport que j’ai rédigé sur ce sujet et qui fait un point très complet de la question.

D’abord la rigueur des temps va faire en sorte qu’il ne sera pas possible que chacun s’occupe de tout. Les incohérences, les doubles emplois, n’ont plus droit de cité. Tous les responsables dignes de ce nom du Conseil de l’Europe ou de l’Union en sont bien conscients. Il convient donc de rechercher des complémentarités et de voir ce que chacun fait de mieux et quelles sont ses spécialités.

Pour le Conseil de l’Europe, au-delà de la défense des valeurs, le point essentiel, qu’a bien souligné M. Orlov ce matin, est qu’il regroupe 47 pays contre 27 à l’Union européenne, les 20 autres n’ayant pas tous vocation à rejoindre un jour les 27. Cette situation et donc appelée à perdurer.

J’insiste à dessein sur cet aspect des choses car j’ai été très frappé, en travaillant sur la question de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme, par le fait que le groupe de travail paritaire mis en place par les deux parties concernées comportait certes sept représentants des pays membres de l’Union, mais les sept autres appartenaient tous à l’un des vingt pays du Conseil de l’Europe n’appartenant pas à l’Union. Cela montre que la question était celle du dialogue entre les Etats membres de l’Union et les autres, ce qui n’était pas évident au départ ; juridiquement cela est même presque aberrant.

Le problème se corse lorsque l’on constate, comme l’a également souligné M. Orlov ce matin, que les 27 Etats membres de l’Union considèrent qu’elle est la vraie Europe et que le Conseil de l’Europe est quantité négligeable, pour ne pas parler d’organisation « pourrie » comme cela a été dit ce matin. C’est sans doute pourquoi les 27 n’occupent pas toute la place qu’ils devraient prendre au sein du Conseil de l’Europe ; ils n’y sont pas suffisamment présents - je parle évidemment des Etats – que ce soit au Comité des ministres, dans l’Assemblée parlementaire et même pour la Cour.

En conséquence, la place vide est occupée par d’autres, en particulier par la Russie et par la Turquie. Cela me gêne un peu, lorsque l’on parle de droits de l’homme, que le drapeau soit porté par ces pays.

La situation s’améliorera lorsque l’on aura bien mis en place les complémentarités. Il faut d’ailleurs souligner que le Conseil de l’Europe revient toujours à la une de l’actualité. Il l’a ainsi été en 1949, au moment où il y avait une attente formidable de rassemblement européen. En 1989, il y a eu une autre attente formidable d’ouverture vers les anciens pays de l’Est que Catherine Lalumière a très bien entendu et su répercuter. Aujourd’hui il y a de nouveau une attente du Conseil de l’Europe avec le printemps arabe.

La semaine dernière, j’ai eu le privilège de participer à Lisbonne à une table ronde sur le thème « La démocratie et le printemps arabe » avec des ministres tunisien, marocain et égyptien. Nous avons eu un débat passionnant sur les droits de l’homme, sur la participation aux gouvernements de partis religieux, voire sur l’existence même d’un Etat. Cela était le cas en Égypte, ce qui permet à l’armée d’assurer une sorte de transition, alors que ce ne l’était pas en Libye où il n’y avait notamment pas de pouvoir judiciaire.

Lorsque l’on est défenseur des droits de l’homme, on ne peut pas dénier à quelqu’un qui se réfère à une religion le droit de participer aux affaires de la cité. Ce serait une discrimination inacceptable, totalement contraire aux droits de l’homme. En revanche, cela n’est pas valable pour un parti qui se référerait à une doctrine religieuse qui ne respecterait pas les droits de l’homme.

Il y a donc beaucoup à dire lorsque l’on parle de démocratie, de droits de l’homme et d’Etat de droit.

Pour ce qui est du Belarus, il est indispensable qu’au Conseil de l’Europe, on reste ferme sur les trois piliers de la trilogie. Certains nous expliquent que ce pays fait de grands progrès, mais je me demande comment on peut porter un jugement valable tant que la démocratie n’est pas assurée dans un pays avec une opposition qui peut attester des progrès.

S’agissant de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme, je considère qu’elle constitue une opportunité formidable pour poser de vraies questions.

On a déjà parlé de l’élection des juges et il me semble normal que la procédure ne soit pas modifiée et qu’ils continuent d’être tous élus par une assemblée des parties à la Convention et pas seulement par les représentants des Etats membres du Conseil de l’Europe. Certains en ont rapidement tiré la conséquence que l’Union européenne deviendrait membre du Conseil d l’Europe. Que je sache, elle n’est pas un Etat. Or la grande différence entre les deux institutions est que le Conseil de l’Europe est une organisation intergouvernementale.

Simplement, pendant quelques instants, l’Assemblée parlementaire sera celle des parties à la Convention. Pour autant, on ne va pas faire venir dix-huit membres du Parlement européen seulement pour un ou deux tours de vote. Ils vont être assis dans l’hémicycle comme les autres et nous allons pouvoir nous parler, ce qui devait permettre de progresser sur bien d’autres questions.

A ce sujet, j’ai entendu dire à Luxembourg qu’il ne faudrait pas que la Cour européenne des droits de l’homme se mêle de vouloir interpréter le Traité de l’Union. Il est incontestable que cela demeure et demeurera le monopole de la Cour de justice de l’Union. En revanche, quand on m’ a dit qu’il ne faudrait pas que la Cour de Strasbourg s’occupe de politique extérieure, j’ai répondu que celle de Luxembourg ne le pouvait pas davantage car ce domaine ne fait pas partie du traité.

En conclusion, j’insiste sur le fait qu’il faut rechercher et mettre en avant les complémentarités entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. Ainsi le premier s’est senti offusqué lorsque l’Union a créé une agence des droits fondamentaux. Elle l’a installée à Vienne où j’ai visité ses locaux et rédigé un rapport sur le sujet ; et elle lui consacre un budget qui est supérieur à celui de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe !

Pour l’instant, heureusement, elle fait des choses que le Conseil de l’Europe ne faisait pas ; il aurait bien aimé, mais il n’avait pas les moyens de le faire. Dans ces conditions, donnons une double casquette à cette agence et faisons en sorte qu’elle travaille aussi et même prioritairement pour le Conseil de l’Europe. Une difficulté pourrait tenir, selon certains, au fait que cette agence ne disposerait pas des statistiques concernant les vingt pays n’appartenant pas à l’Union. Pour la résoudre, il suffirait de faire en sorte que ces derniers lui donnent mandat pour cela.

Comme pour d’autres sujets, si la volonté politique existe tout sera possible, car, dans ce domaine comme dans d’autres, les complémentarités sont évidentes. Il ne faut surtout pas les négliger car il n’est pas utile de gaspiller les moyens par les temps qui courent.

Cela vaut en particulier pour le Partenariat oriental voulu par l’Union européenne et qui concerne des pays membres du Conseil de l’Europe. Ce dernier serait donc bien placé pour servir de support aux actions envisagées, sans que l’Union remette en place des structures et des équipes.

Il en va de même pour la Méditerranée et le monde arabe. Il y a deux ans, j’avais été chargé, par la commission des questions politiques, de rédiger un rapport sur l’Euro-Méditerranée, lequel a notamment débouché sur la mise en place du Partenariat pour la démocratie. La mise en place de l’Union de la Méditerranée connaît bien des difficultés, en particulier avec Gaza où se pose surtout un grave problème de droits de l’homme. Or c’est le domaine du Conseil de l’Europe auquel l’Union devrait en quelque sorte sous-traiter le sujet

Avec le Partenariat pour la démocratie, nous avançons de fait vers cette complémentarité dans un climat de dialogue interparlementaire lequel permet de soulever les montagnes. (Applaudissements)

M. le président. La dernière intervention sera celle de Mme Catherine Lalumière qui fut secrétaire générale du Conseil de l’Europe il y a quelques années.

b) Mme Catherine Lalumière, ancienne secrétaire générale du Conseil de l’Europe

Mme Catherine Lalumière. A la fin d’une journée aussi bien remplie, je tiens d’abord à exprimer mon bonheur car, depuis ce matin, je baigne dans un ensemble constitué par des gens qui aiment le Conseil de l’Europe et cela fait infiniment plaisir. Il est rare, en effet, d’entendre autant de témoignages sur l’importance du travail du Conseil de l’Europe. Je remercie donc vivement les organisateurs et, en particulier, le président Mignon, qui m’ont convié à participer à ces travaux.

En ce qui concerne le bilan et la place actuelle du Conseil de l’Europe, la situation est pour le moins très contrastée.

D’un côté, certaines des observations formulées dans les exposés incitent à l’optimisme. Ainsi les études sur le Conseil de l’Europe se multiplient ; il est notamment un sujet de thèse fréquent dans les universités. De même, les comités d’experts créés par le Conseil de l’Europe donnent une grande satisfaction et tous ceux qui ont travaillé en leur sein en conservent un excellent souvenir.

Par ailleurs, tous les citoyens de base, qui ont l’occasion d’entendre parler du Conseil de l’Europe en détail ou qui l’ont visité, trouvent cette institution formidable, qu’il s’agisse du nombre et de la diversité des pays représentés ou de la variété des sujets traités, d’autant que cela concerne souvent des questions auxquelles les gens ne sont pas indifférents. L’impact sur les visiteurs est toujours important et ils sont généralement intéressés de façon positive, et conquis.

Avec le Conseil de l’Europe, il n’y a pas du tout le sentiment de technocratie qui prévaut souvent lorsqu’il s’agit des institutions européennes. Il n’a rien de la froideur bureaucratique des dossiers aseptisés qui sont traités ailleurs.

Néanmoins, d’autres remarques ont bien montré que, sans forcément inciter au pessimiste, la situation n’était pas idyllique. En particulier il est évident – et je le souligne depuis des années – que la classe politique, de droite comme de gauche, n’est pas consciente de ce qu’est le Conseil de l’Europe et de son intérêt. Or cela est important car ce sont tout de même les politiques qui décident de l’utilisation des fonds publics et des grandes orientations de l’action des Etats. Cette grande ignorance est très lourde de conséquences.

Cela est d’autant plus grave que, depuis 1957, on assiste à une montée en puissance de ce qui est devenu l’Union européenne avec une extension de son champ de compétences. On a ainsi de plus en plus l’impression qu’elle concurrence le Conseil de l’Europe, et la classe politique, estimant sans doute qu’elle est plus importante et plus efficace, privilégie l’Union européenne.

On parle souvent de complémentarité entre les deux institutions. On pourrait cependant la résumer ainsi : le Conseil de l’Europe a des idées et pas d’argent alors que l’Union européenne a de l’argent et, peut-être, un peu moins d’idées ; tout au moins les idées viennent un peu plus tard ! En résumé, on s’adresse à l’Union afin qu’elle veuille bien prendre en compte les idées du Conseil de l’Europe. Cela s’est fait régulièrement depuis vingt ans.

J’ajoute que cette ignorance de la classe politique a contaminé les fonctionnaires de la Commission, lesquels traitent le Conseil de l’Europe comme une simple ONG qui vient quémander quelques subsides pour mener à bien ses projets.

Cela est lourd de conséquences car les dossiers concernant le Conseil de l’Europe sont traités non pas au niveau du président de la Commission, de celui du Conseil européen, de celui du Conseil des ministres en exercice, mais dans les services, par des fonctionnaires relativement subalternes. Le Conseil de l’Europe intervenant, lui, aux niveaux les plus élevés, il y a un déséquilibre honteux, inadmissible.

Au lieu que les deux institutions agissent ensemble, c’est-à-dire sur un pied d’égalité, sur certains chantiers difficiles, cette vision des choses fausse tout. Ainsi tout le potentiel intellectuel et politique du Conseil de l’Europe est sous employé, voire déformé ce qui me rend malade.

Dans mon parcours, j’ai certes été secrétaire générale du Conseil de l’Europe, ce qui a été un grand bonheur, mais j’ai aussi passé dix ans au Parlement européen ; j’ai siégé comme députée à l’Assemblée nationale française et j’ai représenté la France au Conseil des ministres européens comme secrétaire d’Etat de mon pays aux affaires européennes.

M. Denis Badré. Et jamais au Sénat !

Mme Catherine Lalumière. Non, mais cela m’a tout de même permis d’avoir des visions différentes et, surtout, de constater que le Conseil de l’Europe n’était pas perçu comme il mériterait de l’être, ce qui est extrêmement négatif non seulement pour lui, mais aussi pour l’Europe tout entière. En effet, sa sous utilisation est un gaspillage intellectuel et politique incroyable.

Il faut donc se poser sereinement la question de savoir quel devrait être le rôle du Conseil de l’Europe.

Incontestablement, d’abord, le Conseil de l’Europe est historiquement, chronologiquement, à l’origine de la construction européenne. Il a été la première organisation européenne, en 1949, et il a adopté le premier texte européen avec la Convention européenne des droits de l’homme en 1950. Ainsi les pères fondateurs de ce qui pouvait sembler alors une utopie ont commencé par affirmer des principes car, non seulement ils ne voulaient plus de la guerre, mais ils désiraient que leur chère Europe ne retombe pas dans la barbarie de régimes totalitaires qui ont caractérisé les années 30 : montée du fascisme en Italie, du nazisme en Allemagne, horreurs du régime de Staline en Union soviétique, Franco en Espagne.

Ils ont certes des objectifs politiques, mais ils vont commencer par affirmer des valeurs qui seront le socle de départ de la construction européenne. Ce n’est qu’ensuite que l’on s’occupera d’économie avec la CECA et le Traité de Rome pour la réalisation d’un marché commun.

Ce socle de valeurs n’a jamais été contesté par la suite, mais l’évolution a été plus pernicieuse. Au début, lorsque la Communauté économique européenne a pris son envol, elle a occupé le terrain sur des thèmes économiques. C’était l’époque des Trente glorieuses où tous les pays de l’hémisphère nord étaient grisés par la croissance économique et l’Europe s’est engouffrée dans les dossiers économiques avec passion et efficacité. Je ne dis pas que cela a été une erreur et je ne regrette pas le Traité de Rome, mais on a sans doute été trop obnubilé par l’économique et l’on a oublié le volet de philosophie politique, le volet culturel, les problèmes de société, y compris ceux qui avaient été à l’origine du projet européen.

C’est pourquoi, aujourd’hui, l’opinion publique a le sentiment que l’Union européenne s’occupe essentiellement d’économie, de monnaie et très peu des valeurs humanistes et des questions de société. Comment voulez-vous aimer une institution qui ne parle que d’argent, de TVA, d’harmonisation ? Le lien affectif indispensable à la réussite de la construction européenne s’est peu à peu délité.

J’y suis d’autant plus sensible que j’ai constaté cette dégradation au fil de mon parcours européen.

J’ai en effet commencé à travailler sur les dossiers européens comme secrétaire d’Etat aux affaires européennes dans les années 1984 à 1986. J’ai trouvé cela passionnant et je me rendais régulièrement à Bruxelles pour négocier sur des dossiers économiques.

Quand je suis arrivée au Conseil de l’Europe en 1987 puis comme secrétaire générale en 1989, j’ai découvert une autre Europe, celle des idées, des valeurs, une Europe humaine luttant contre la torture, contre les violations des droits de l’homme, donnant une place aux questions culturelles… tous sujets dont on ne parlait jamais à Bruxelles. Cela m’a fait comprendre quelle avait été l’ambition des pères fondateurs qui avaient eu un projet de société global. Or, si l’économie a son importance dans une société, celle-ci est faite de beaucoup d’autres choses.

Aujourd’hui, en 2011, nous sommes dans une crise profonde où l’Europe joue son avenir. Il y a évidemment des difficultés monétaires et économiques dont il faut s’occuper, mais celles-ci ont des conséquences sociales immédiates qui traumatisent les opinions publiques, au sein desquelles prévaut le sentiment que l’Europe ne les protège pas. Elle paraît froide, lointaine et comme une Europe qui n’aime pas les gens. C’est pourquoi ils ne l’aiment pas.

Vous avez maintenant un problème de citoyenneté en Europe. Certes, le Traité de Maastricht a donné aux citoyens de l’Union européenne la qualité de citoyens européens. Juridiquement la question semble réglée, mais il n’y pas vraiment de sentiment d’appartenance à un ensemble.

A cet égard je crois profondément que le Conseil de l’Europe a un rôle politique à jouer : redonner son véritable sens au projet européen. L’Union européenne en a besoin ; des millions d’Européens en ont besoin. C’est l’avenir de l’Europe qui est en jeu. Si nos concitoyens considèrent l’Europe uniquement comme une vache à lait faite pour leur donner de l’argent ; s’ils jugent le projet européen uniquement en consommateurs, c’est la mort de l’Europe. En effet, à la moindre difficulté, au moindre loupé de l’économie, le citoyen consommateur se sent frustré, car l’Europe ne lui apporte pas le bien-être qu’il espérait ; il se demande où est l’intérêt de s’encombrer de l’Europe.

Le projet européen ne doit pas se limiter à cela. Or, aujourd’hui, l’Union européenne balbutie ; elle ne parvient pas à se sortir de dossiers économiques et monétaires qu’elle est certes contrainte de gérer et qui occupent toutes les réunions, ce qui accentue l’idée que le projet européen se joue uniquement sur ces questions et que notre avenir d’Européens est lié au succès du marché.

Je souhaite donc que le Conseil de l’Europe prenne conscience que, plus que jamais, il est l’âme de l’Europe ; il porte l’esprit de la construction européenne originelle et son but ultime. Elle n’a pas été engagée uniquement pour construire un marché unifié. Ce dernier ne doit être qu’un instrument, comme d’autres institutions intégrées de l’Union européenne. La finalité et les objectifs de cette construction vont bien au-delà de l’économique. Ce qui donne la primauté à la valeur de l’homme dans la société, ce qui affirme sa place, c’est le socle de philosophie politique élaboré, entretenu, maintenu en vie, défendu, perfectionné par le Conseil de l’Europe.

Or cette philosophie politique qui repose sur la démocratie, sur l’Etat de droit, sur les droits de l’homme est un ensemble extraordinairement fragile. Il a contre lui des forces considérables, en particulier celle des Etats, des Nations qui n’aiment pas les contraintes et qui sont prêts à sacrifier ces valeurs s’ils estiment que le besoin s’en fait sentir. Ainsi dans la crise que nous traversons, tous ces principes qui sont le socle de la construction européenne sont plus que jamais menacés.

Il appartient au Conseil de l’Europe de les défendre, mais il faut l’aider dans cette tâche. C’est un combat de titan qui est d’ailleurs livré sur l’ensemble de la planète. A cet égard, nous avons parfois des lueurs d’espoir. Quand j’ai vu les soulèvements récents en Tunisie, en Egypte, dans d’autres pays arabes, avec la jeunesse qui s’est dressée pour défendre les libertés, j’ai pensé aux pères fondateurs qui avaient le même moteur après la Seconde guerre mondiale ; j’ai revu l’année 1989 au moment de la chute du mur de Berlin. Ce sont toujours des forces considérables mais il y a toujours le risque que cela retombe comme un soufflé, d’où la fragilité de telles révolutions.

Nous devons donc faire preuve d’une vigilance très forte et mettre en œuvre des moyens d’action. Je suis donc heureuse quand je vois que le Conseil de l’Europe veut nouer des contacts avec les pays du sud de la Méditerranée et les aider. Nous sommes exactement dans la même situation qu’en 1989. A l’époque déjà certains nous ont reproché d’aller vers les Etats de l’Europe centrale et orientale en disant que nous ne savions pas où nous mettions les pieds.

C’est dans de telles démarches que l’Europe se réconcilie avec elle-même. Elle est une vieille culture ; elle a une vieille histoire de trois millénaires, faite tout à la fois de pages merveilleuses et d’épisodes horribles comme les guerres de religion, les croisades, la colonisation avec ses atteintes insupportables aux droits de l’homme…

Nous sommes les héritiers de cette histoire et c’est précisément grâce à cet héritage que nous avons pu, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, bâtir un projet fantastique : réunir des peuples qui s’étaient constamment battus et les réconcilier sur la base de principes devenus le socle de la construction européenne. Cela doit nous donner la volonté de défendre cet acquis, d’en faire bénéficier d’autres et de lutter avec détermination, avec lucidité contre tous les facteurs de déstabilisation.

Aussi, quand j’entends certains se demander à quoi sert le Conseil de l’Europe et dire qu’il vaut mieux concentrer les moyens sur l’Union européenne car on n’aurait plus besoin de lui, j’ai envie de les traiter de fous ! Au contraire, nous avons plus que jamais besoin du Conseil de l’Europe, mais à condition que l’on prenne conscience de ce qu’il représente et que l’on ne suive pas cette appréciation du Général de Gaulle qui parlait de cette organisation « qui dort au bord du Rhin ».

Nous devons tous faire en sorte qu’il ne s’endorme pas au bord du Rhin. C’est aussi et surtout aux parlementaires qui y siègent de se faire entendre, en particulier dans leurs pays. Il est indispensable de combattre cette ignorance qui pèse sur le Conseil de l’Europe : il n’est pas du tout une organisation marginale et secondaire ; il est à la base même de la construction européenne. (Applaudissements.)

M. le président. Merci, madame Lalumière, de vos propos et de cette passion que vous manifestez en faveur du Conseil de l’Europe. Lorsque j’étais jeune député en 1993, vous m’avez transmis cette passion et j’ai été très fier de faire votre campagne pour essayer de vous faire réélire secrétaire générale.

Mesdames, messieurs, c’est aussi ça le Conseil de l’Europe. Nous n’étions pas du même bord politique mais nous avons été réunis par la passion pour cette institution. (Applaudissements)

J’adresse également mes remerciements à celles et ceux qui ont permis le bon déroulement de cette journée, en particulier la Fondation Robert Schuman, la délégation française à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et à tous les intervenants. (Applaudissements.)

(La séance est levée à dix-sept heures trente-cinq)

ANNEXE 2 :
CONTRIBUTION ÉCRITE DE M. BRUNO HALLER

Contribution écrite de M. Bruno Haller, secrétaire général honoraire de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe. Il m’incombe de retracer devant vous en quelques minutes l’histoire de l’Assemblée parlementaire, organe statutaire délibérant du Conseil de l’Europe, une histoire très riche qui s’étend sur plus de soixante années. Je le ferai donc de manière synthétique en mettant en lumière les actions et les faits les plus marquants et significatifs.

Pour le cadre temporel, je vais inscrire mes réflexions dans l’histoire du Conseil de l’Europe que, pour simplifier, je diviserai en deux périodes.

La première est la période que je qualifierais d’occidentale et qui commence avec 10 Etats membres le 5 mai 1949 et se termine à 23, avec l’adhésion de la Finlande le 5 mai 1989. Contrairement à ce que l’on pense parfois, ce fut une période très utile pour l’Europe puisqu’elle a permis à l’Organisation de regrouper en son sein toutes les démocraties occidentales sur la base des principes fondamentaux de respect des droits de l’homme, de la démocratie et de la prééminence du droit. Les années 1988 et 1989 de cette période sont des années de gestation politique et institutionnelle très intéressantes, de véritables années charnières qui préparent les grands bouleversements à venir.

La seconde, la période paneuropéenne, commence formellement avec l’adhésion de la Hongrie en 1990 et va permettre au Conseil de s’élargir à 47 Etats membres avec la réadmission en 2007 du Monténégro en tant qu’Etat indépendant et souverain, suite à sa séparation d’avec la Serbie d’où la dissolution de l’Union d’Etats Serbie-Montenegro.

Le Belarus est aujourd’hui le seul Etat européen qui n’a pas été admis au Conseil de l’Europe et la question du statut du Kosovo n’est pas encore réglée.

J’ai consulté intensément les archives de la première période et j’ai vécu la seconde au sein du secrétariat de l’Assemblée de 1989 à 2006. Je pense donc pouvoir affirmer que cette dernière a joué un rôle majeur dans ces deux périodes, face à un Comité des ministres très souvent attentiste et rarement pionnier. Pourtant elle n’a vu le jour que grâce à un compromis limitant considérablement ses compétences et ses moyens d’action.

En effet, juste avant la signature du Statut du Conseil de l’Europe à la Conférence ministérielle de Londres le 5 mai 1949, on achoppait encore sur la question de la nature et de la composition de l’Assemblée. Les représentants britanniques, ainsi que certains Scandinaves, préconisaient une assemblée consultative composée de personnalités nommées par les gouvernements et disposant de peu de pouvoirs, alors que les représentants français, belges et néerlandais souhaitaient une assemblée parlementaire composée de délégués désignés par les parlements nationaux et jouissant des prérogatives normales d’un parlement.

Le compromis retenu pour la rédaction du Statut fut celui d’une assemblée qualifiée de consultative mais composée d’élus des parlements nationaux désignés par leurs pairs et dotée de quelques prérogatives significatives, notamment celle d’élire le secrétaire général de l’Organisation. Ce compromis doit beaucoup au diplomate français Jacques-Camille Paris qui sera élu secrétaire général par l’Assemblée lors de sa première session à Strasbourg en août 1949.

L’Assemblée va lutter durant toute son existence pour corriger cette malformation de naissance par une interprétation extensive de ses compétences statutaires et par la conquête de nouvelles compétences arrachées au Comité des ministres, souvent par la méthode du fait accompli.

Je vais donc parler de l’action de cette Assemblée, née consultative, dont le caractère parlementaire ne sera reconnu officiellement par le Comité des ministres qu’en 1994, et qui est devenue peu à peu le moteur politique de l’Organisation en conquérant un rôle normatif important. Certes, elle n’aura pas une compétence juridique reconnue dans ce domaine, mais elle a développé une vision globale de l’unification européenne en soutenant les initiatives d’intégration communautaire qui n’ont pu s’épanouir en son sein. Elle a également apporté une contribution déterminante à l’ouverture du Conseil sur le monde, par une utilisation intelligente de sa tribune politique et de sa « diplomatie parlementaire », qui, grâce à son sens de l’innovation et à ses capacités juridiques et procédurales, lui a permis de lancer des initiatives et de créer des mécanismes de coopération qui ont profondément marqué l’évolution non seulement du Conseil de l’Europe, mais aussi de l’Europe tout entière.

Le fait que l’Assemblée parlementaire a été le moteur politique du Conseil de l’Europe s’est révélé dès la période occidentale, et même dès sa première session, en août et septembre 1949, au cours de laquelle on a déjà senti un grand souffle européen.

En dépit d’un temps de préparation très court et de moyens limités, l’Assemblée constituée de 101 membres - dont une seule femme ! – a alors accompli un travail remarquable et elle a su être au rendez-vous de l’histoire.

Dans le domaine politique, il convient de souligner particulièrement :

- Le consensus obtenu, grâce notamment à la bonne entente entre Winston Churchill et Paul Reynaud, sur une adhésion rapide de l’Allemagne, avec les seules conditions d’une refondation sur des bases démocratiques et la tenue d’élections libres. Ainsi, l’Allemagne du chancelier Konrad Adenauer devient membre associé du Conseil de l’Europe le 13 juillet 1950 et membre de plein droit le 2 mai 1951. Il s’agit d’une décision extrêmement importante pour la réconciliation franco-allemande et la construction européenne.

- La proposition de laisser des places vacantes dans l’hémicycle pour les peuples non représentés, faite par le député français André Philip, qui conduit à la création de la « Commission des nations européennes non représentées » dès août 1950, et marque la volonté d’ouverture de l’Assemblée à tous les pays européens, dans l’esprit du grand discours européen de Winston Churchill du 19 septembre 1946 à Zurich.

- Le conflit entre deux conceptions de la construction européenne, qui avait déjà marqué les débats du Congrès de La Haye de mai 1948, entre d’une part les souverainistes - notamment les Britanniques et les Scandinaves – et d’autre part, les « fédéralistes », essentiellement les Français et les Beneluxiens. Lors de la première session de l’Assemblée, ce dernier courant l’emporte encore et la première directive politique adoptée par l’Assemblée demande la révision du Statut et la transformation du Conseil en une « union européenne » dotée d’une «véritable autorité politique», responsable devant l’Assemblée, appelée à se transformer en « constituante » ou en un « parlement européen ».

Dans le domaine économique, il faut noter :

- Les propositions, notamment françaises - Paul Reynaud, Edouard Bonnefous et André Philip - préconisant la création d’un marché unique, d’un marché agricole, d’une monnaie commune, ainsi que d’un pool européen du charbon et de l’acier, prenant la forme d’une communauté partielle entre la Grande-Bretagne, la France, le Benelux et l’Allemagne, intégrée dans le cadre politique général du Conseil de l’Europe, véritables prémices de la CECA et des autres communautés spécialisées créées par la suite.

- Un débat économique, marqué par l’opposition entre les adeptes, surtout français, d’une économie planifiée, et les tenants d’une économie libérale, principalement britanniques, qui défendent en plus leur solidarité transatlantique et veulent préserver le rôle de l’OECE, créée en 1948 pour coordonner la distribution de l’aide américaine du Plan Marshall.

Dans le domaine juridique, il faut retenir :

- La mise en route de la Convention européenne des droits de l’homme, résultat obtenu en grande partie grâce à la compétence et à la détermination du rapporteur français, Pierre-Henri Teitgen qui convainc l’Assemblée d’adopter une recommandation comportant en annexe un projet de convention entièrement rédigé. Ce texte sera peu modifié par le Comité des ministres et adopté dès le 4 novembre 1950.

- La mise en route de l’édifice normatif du Conseil de l’Europe par le lancement de deux autres conventions : la Convention culturelle européenne ouverte à la signature fin 1954 et la Charte sociale européenne adoptée en 1961. L’Assemblée a également posé les prémices des conventions contre la torture, sur la protection des minorités nationales, sur la sécurité sociale et sur les droits des travailleurs migrants.

- La conquête par l’Assemblée d’une capacité normative fondée formellement sur son droit statutaire de faire des recommandations au Comité des ministres et inspirée politiquement par sa conviction que les fondements du nouvel ordre européen devaient être juridiques et éthiques, conformément au principe de l’Etat de droit inscrit dans le Statut.

Ainsi l’Assemblée a été le creuset de la construction européenne durant une dizaine d’années.

Jusqu’à la signature du Traité de Rome en 1957, et, au-delà, jusqu’au Plan Fouchet de 1961, visant à la création d’une Europe politique, l’Assemblée est le seul forum politique interparlementaire où les initiatives et projets européens peuvent être discutés valablement. Les rapports et débats de l’Assemblée indiquent deux grandes priorités : promouvoir une construction européenne rationnelle et cohérente qui tente de relier entre elles les nombreuses initiatives de cette époque ; affirmer la vocation du jeune Conseil de l’Europe à constituer le cadre général de la politique européenne.

A cet égard il convient de retenir :

- Le soutien de l’Assemblée au Plan charbon-acier que Robert Schuman présente lui-même aux parlementaires le 10 août 1950.

- Le débat crucial pour l’avenir du Conseil des 10 et 11 décembre 1951, au cours duquel l’Assemblée a dû se prononcer sur une recommandation préconisant la coordination de la politique européenne au sein du Conseil de l’Europe, l’instauration d’une autorité politique et la convocation, dans les premiers mois de 1952, d’une Conférence européenne chargée d’élaborer un projet européen cohérent, avec une articulation rationnelle des organisations partielles, telle la CECA, avec l’organisation à vocation européenne globale qu’est le Conseil de l’Europe.

En cette occasion, plusieurs chefs de gouvernement et ministres des affaires étrangères sont venus à Strasbourg : Konrad Adenauer (Allemagne), Joseph Bech (Luxembourg), Alcide de Gasperi (Italie), Denis Stikker (Pays-Bas), Robert Schuman (France) et Paul van Zeeland (Belgique). Tous demandent à l’Assemblée d’être audacieuse, comme l’ont fait au début de la séance le président Paul-Henri Spaak et le Rapporteur André Philip.

A l’issue d’une séance dramatique qui s’achève à 2 heures 45 dans la nuit du 10 au 11 décembre, l’Assemblée rejette la convocation d’une Conférence européenne. La raison principale en fut la proposition de tenir, dans le cadre de cette conférence, une réunion restreinte aux Etats prêts à participer à la création d’une autorité politique. La désillusion a été grande pour tous ceux qui espéraient que le Conseil de l’Europe serait l’amorce d’une Europe fédérale, voire d’une Union européenne. Tel a notamment été le cas du président Spaak qui a démissionné de son poste sur le champ.

- Le soutien à la proposition de Pierre Mendès-France de modifier et d’élargir le Traité de Bruxelles, suite au rejet du projet de la Communauté européenne de défense, la CED, par le Parlement français. Le chef du Gouvernement français est venu à la tribune de l’Assemblée en août 1954 pour réaffirmer l’engagement européen de la France et présenter sa solution de rechange, qui, reposant sur un traité existant, était en définitive plus facile et plus rapide à mettre en œuvre. L’Assemblée a soutenu la proposition française, mais en souhaitant que l’on prévoie aussi, dans le Traité révisé, un contrôle démocratique exercé par une assemblée d’élus. Cette proposition a abouti à la création d’une Assemblée de l’Union de l’Europe Occidentale, l’AP-UEO, qui s’est réunie pour la première fois à Strasbourg en mai 1955. Elle est la sœur de l’Assemblée du Conseil de l’Europe, les délégations étant identiques pour les deux institutions, et est compétente pour les questions de défense et de sécurité.

Il faut noter que l’UEO a tenu sa dernière séance en décembre 2010 avant d’être dissoute, et son assemblée avec elle, le 30 juin 2011.

- Le soutien de l’Assemblée à la proposition de créer un cadre européen global dans le domaine économique, lancée par les ministres des Affaires étrangères des Six à la Conférence de Messine de 1955, ce qui aboutira, en mars 1957, à l’adoption des Traités de Rome, ceux créant la Communauté économique européenne, la CEE et la Communauté européenne de l’énergie atomique, l’EURATOM. A cette occasion, l’Assemblée déclare que la CEE constitue l’étape la plus importante accomplie jusque-là dans la voie de l’unification européenne.

- La création par l’Assemblée d’un statut d’observateur qu’elle attribue en premier lieu au Parlement de l’Autriche dont les délégués siègent à l’Assemblée à partir de 1952. L’Autriche devient membre du Conseil le 16 avril 1956. Le statut d’observateur est formellement intégré dans le Règlement de l’Assemblée en 1961.

- La défense du Statut de Berlin. En novembre 1958, en effet, l’URSS dénonce les accords relatifs à l’administration du Grand Berlin comme nuls et non avenus et demande que Berlin soit démilitarisé et reçoive le statut de ville libre. Elle accompagne cette déclaration d’un ultimatum prévoyant, faute d’accord sous six mois, l’exécution unilatérale de son projet, y inclus des entraves à la circulation occidentale. L’Assemblée invite alors le jeune bourgmestre, Willy Brandt, à prendre la parole devant elle. Celui-ci plaide pour le respect des accords entre les Alliés garantissant à Berlin-Ouest sa protection par les forces occidentales avec pleine liberté d’accès à la ville. L’Assemblée lui apporte son soutien et adopte un message de solidarité très apprécié à Berlin et en Allemagne.

- Une audience d’une délégation de l’Assemblée chez le Général de Gaulle. L’Assemblée comprend alors que l’intégration européenne ne se fera pas au sein du Conseil de l’Europe. Cependant, elle demande inlassablement au Comité des ministres que la construction en cours soit cohérente et utilise pleinement le potentiel de l’Organisation. Elle crée elle-même « un groupe de travail pour la relance du Conseil de l’Europe » qui, dans le cadre de ses travaux, rencontre plusieurs chefs d’Etat, de gouvernement et ministres des Affaires étrangères. Elle demande une audience auprès du président de la République française qu’elle rencontre le 10 octobre 1961.

La délégation de l’Assemblée, comprenant son président, le Danois Per Federspiel, le vice-président français Liquard et le député français Pinton, demande notamment au Général de Gaulle si, dans la perspective d’un élargissement du Marché commun, il existe une place spécifique pour le Conseil de l’Europe. La réponse est claire et sans ambiguïté : « Le Marché commun, même élargi, ne couvre que le domaine économique et il demeure nécessaire de rechercher des moyens de manifester la personnalité européenne, aussi bien sur les terrains culturel, social, juridique que dans d’autres domaines. Le Conseil de l’Europe devrait s’employer à faire prendre conscience de la personnalité propre de l’Europe ».

Puis, de 1960 à1970, l’Assemblée s’affirme comme le promoteur et le gardien des valeurs du Conseil de l’Europe.

Ainsi, en février 1961, a lieu à Paris, pour la première fois, un Sommet européen au niveau de la CEE. En novembre de la même année, la France présente un projet pour une Europe politique, le plan Fouchet, et plusieurs pays demandent leur adhésion à la CEE. Toutefois, à la suite du veto de la France à l’entrée du Royaume-Uni, la CEE ne peut s’élargir et reste limitée à six Etats jusqu’au 1er janvier 1973.

L’Assemblée comprend alors que le projet de coordonner les initiatives européennes dans le cadre du Conseil de l’Europe est irréalisable et que l’intégration européenne se fera dans les Communautés européennes créées par les traités de Paris de 1951 et de Rome de 1957. Dès lors, elle se concentre sur la mission principale du Conseil de l’Europe, celle de réunir au sein de l’Organisation le maximum d’Etats européens sur la base des fondements des droits de l’homme, de la primauté du droit et de la démocratie pluraliste. Elle estime aussi que le Conseil doit jouer un rôle de pont entre les pays de la CEE et ceux de l’Association Européenne de Libre Echange, l’AELE, dont elle a elle-même encouragé la création.

Pour autant, elle n’oublie pas les Nations non représentées et organise de nombreux débats sur les relations Est-Ouest et la politique de détente, lesquels s’appuient sur des visites de son président à Bucarest et du secrétaire général du Conseil à Varsovie et à Belgrade. Elle renforce aussi considérablement ses contacts avec le Parlement américain.

Elle coopère intensément avec le Comité des ministres et ses comités d’experts pour la mise en œuvre du « Programme de travail intergouvernemental » lancé en 1966.

Enfin, elle est en première ligne pour défendre les principes de l’Organisation lors de la crise grecque qui éclate en avril 1967.

Cette décennie est marquée, succinctement, par :

- Le développement des contacts parlementaires avec la Suisse, Chypre et Malte, et les adhésions de ces pays au Conseil, respectivement en 1963, 1961 et 1965.

- La création de plusieurs commissions spécialisées permettant à l’Assemblée de nourrir de ses analyses et propositions le Programme de travail intergouvernemental, notamment dans les secteurs de la protection de l’environnement, de la jeunesse, de l’aménagement du territoire, du sport, des questions scientifiques et technologiques, des questions rurales et urbaines, de la protection des monuments, etc. Elle est ainsi à l’origine de plusieurs campagnes ou années européennes ou y apporte sa contribution : campagnes pour le monde rural, la jeunesse, années européennes de la nature, du patrimoine architectural, de la musique... Dans certains cas, ces activités conduisent à des propositions de conventions nouvelles. Dans le domaine de la jeunesse, elles aboutissent notamment à la Recommandation 592 qui porte la création du Centre européen de la jeunesse, en 1971, et du Fonds européen pour la jeunesse en 1972.

L’Assemblée est donc en première ligne durant la crise grecque qui éclate le 21 avril 1967, suite au coup d’Etat de l’armée qui redoute un succès électoral des partis politiques de gauche. Les libertés civiles et politiques sont abolies, et environ 70 000 militants politiques sont déportés sur l’île de Yaros. Cinq jours à peine après le coup d’Etat, et sans attendre une réaction du Comité des ministres, l’Assemblée prend l’initiative et demande aux autorités grecques : « de rétablir le régime constitutionnel et la démocratie parlementaire » et s’élève « contre toutes mesures contraires à la Convention européenne des droits de l’homme ».

Le 30 janvier 1969, elle déclare que « le régime actuel de la Grèce enfreint gravement les conditions que doivent remplir les membres du Conseil de l’Europe ». Parallèlement, le Danemark, la Norvège, la Suède et les Pays-Bas introduisent un recours interétatique contre la Grèce devant la Cour européenne des droits de l’homme, selon la procédure de l’article 33 de la Convention. Pour la première fois, un pays membre est menacé d’exclusion. Lors de la réunion du 12 décembre 1969, le Comité des ministres est saisi à la fois d’une recommandation de l’Assemblée et d’une proposition de onze Etats membres demandant toutes deux la suspension de la Grèce. Après le débat, mais avant le vote, le représentant de la Grèce annonce le retrait de son pays et la dénonciation de la Convention européenne des droits de l’homme.

La procédure de réadmission, à laquelle Assemblée et Comité des ministres apporteront chacun leur contribution, durera quelques années et la Grèce réintègrera le Conseil le 28 novembre 1974.

De 1970 à 1980, l’Assemblée s’affirme comme la conscience démocratique de l’Europe et le forum politique sur la coopération Est-Ouest.

Durant cette période, grâce au développement de sa diplomatie parlementaire, l’Assemblée apporte une contribution précieuse aux adhésions du Portugal en 1976 et de l’Espagne en 1977, qui compensent quelque peu la perte de l’exclusivité du membership du Royaume-Uni et le renforcement politique du Parlement européen, avec l’élection au suffrage universel direct qui se profile et sera réalisé en juin 1979. Elle est aussi très active dans le rapprochement entre le Conseil et la Yougoslavie. Enfin, elle s’investit de plus en plus dans les débats sur la sécurité et la coopération en Europe ainsi que dans les débats élargis de l’OCDE qui lui permettent de resserrer les liens avec les pays observateurs qui y participent : Canada et Etats-Unis, en particulier.

On retiendra notamment :

- Sa contribution essentielle à l’adhésion du Portugal. En 1970, en effet, la Commission des Nations non représentées décide de préparer un rapport sur la situation au Portugal et noue des contacts avec des opposants à la dictature, dont Mario Soares. Elle invite celui-ci à sa réunion du 17 avril à Strasbourg où le rapport est discuté. L’Assemblée, qui est en session, en débat le 20 avril et invite Mario Soares à la séance. Cela déplait fort aux autorités de Lisbonne qui décident d’envoyer l’intéressé en exil.

Les relations se développent très rapidement après la Révolution des œillets du 25 avril 1974 et l’abolition de la dictature. L’Assemblée invite de nouveau Mario Soares, qui, entre-temps, est devenu ministre des affaires étrangères, à s’adresser à elle durant sa session de septembre 1974. La visite est prévue pour la matinée du 28 septembre. Une tentative communiste de prise de pouvoir est déclenchée alors qu’il arrive à Strasbourg et s’apprête à s’adresser aux parlementaires auxquels il va rendre compte des événements dans son pays en direct, sur la base d’informations reçues juste avant et pendant la séance. Ces circonstances exceptionnelles vont bien sûr créer des liens très forts entre l’Assemblée, Mario Soares et le Portugal. Un avis favorable à l’adhésion est adopté par l’Assemblée le 16 septembre et le Portugal devient membre du Conseil de l’Europe le 22 septembre 1976.

- Sa contribution décisive à l’adhésion de l’Espagne, dont la Commission des Nations non représentées se préoccupe dès 1950. Elle explore régulièrement les possibilités de rapprochement avec ce pays en dépit du régime autoritaire et non démocratique du général Franco. L’Espagne adhère à la Convention culturelle européenne dès 1957. De ce fait, elle participe sur un pied d’égalité avec les Etats membres aux activités dans les domaines de la culture, de l’éducation, du sport et de la jeunesse et y contribue financièrement. En 1967, elle établit une mission spéciale à Strasbourg et en 1970, elle demande le statut d’observateur auprès du Conseil, mais il ne lui est pas accordé.

Entre 1974 et 1976, l’Assemblée suit avec attention la fin du régime franquiste. Elle organise ainsi six débats sur l’évolution du pays qu’elle trouve positive, et définit les conditions de son adhésion au Conseil : rétablissement des droits de l’homme, amnistie pour les prisonniers politiques, instauration des libertés politiques et syndicales et respect de la liberté de presse. Les élections législatives de juillet 1977 voient le succès des partis démocratiques et, en octobre, à la suite d’une invitation du président de l’Assemblée, les Cortès envoient à Strasbourg une délégation de haut niveau dans laquelle se trouve notamment Fernando Alvarez de Miranda, Felipe Gonzalez et Santiago de Carillo.

Tout le monde est conscient que la jeune démocratie espagnole n’est pas parfaite et que la nouvelle Constitution est seulement en préparation. Cependant, l’Assemblée prend connaissance avec satisfaction de la déclaration commune de tous les partis représentés aux Cortès selon laquelle la prééminence du droit et les libertés inscrites dans la Convention européenne des droits de l’homme seront garanties par la nouvelle Constitution. C’est probablement la scène extraordinaire, vécue dans l’hémicycle avec des parlementaires espagnols qui font en quelque sorte devant leurs collègues européens un acte de foi public dans l’avenir démocratique de leur pays, et un serment solennel de respect des droits fondamentaux de l’homme, qui balaie les dernières hésitations.

Par son vote unanime, l’Assemblée accorde sa confiance au processus démocratique en Espagne et ouvre ainsi les portes du Conseil à ce pays, dont l’adhésion intervient la même année. En l’occurrence, le Roi Juan Carlos souligne ce rôle décisif dans son discours à l’Assemblée le 8 octobre 1979.

L’Assemblée a également été un forum politique sur la coopération Est-Ouest.

Dès avril 1964, elle adopte une recommandation dans laquelle elle « considère que le Conseil de l’Europe a le devoir de contribuer à la fois à l’unification de l’Europe libre et démocratique et à la détente qui s’est amorcée entre l’Est et l’Ouest… ». Entre 1967 et 1978, plusieurs Chefs de gouvernement s’expriment devant elle sur les relations Est-Ouest et la CSCE, ainsi que sur le rôle qu’ils envisagent pour le Conseil : le vice-chancelier et ministre des affaires étrangères de la RFA, Willy Brandt en 1967, le Chancelier d’Autriche, Bruno Kreisky, en 1971, le ministre des affaires étrangères d’Italie, Giulio Andreotti, en sa qualité de président du Comité des ministres en 1973, le ministre des affaires étrangères de la RFA, Hans-Dietrich Genscher, en sa qualité de président du Comité des ministre en 1976 et le Chancelier allemand, Helmut Schmidt, en avril 1978. Tous estiment que le Conseil de l’Europe a un rôle à jouer dans ce cadre.

Le Comité des ministres lui-même partage cette position, considérant que les contacts multilatéraux entre le Conseil et les pays de l’Est dans des domaines techniques, notamment les questions juridiques, culturelles et éducatives, peuvent contribuer à la détente en Europe.

En ce qui concerne le processus de la CSCE, l’Assemblée, en dépit de ses efforts, ne parvient pas à rallier les Etats membres à son idée d’utiliser le Conseil pour mettre en œuvre la détente Est-Ouest. Il faut dire que, dès 1970, les ministres des Affaires étrangères du Pacte de Varsovie ont demandé que la future conférence sur la sécurité et la coopération en Europe étudie la création d’un organe spécifique pour traiter ces questions et que, à l’ouest, certains ont proposé la création d’une « Organisation des Etats Européens ».

Pourtant, elle ne se décourage pas et, dès la signature de l’Acte final de la CSCE à Helsinki le 1er août 1975, elle se consacre à la mise en œuvre des obligations contractées par les Etats signataires et tient plusieurs débats sur cette question à partir de mai 1976.

C’est aussi durant cette période que l’Assemblée développe ses contacts avec le Parlement yougoslave, dont des représentants sont invités à participer à des conférences et auditions à partir de 1972. Après la visite du président de l’Assemblée, Giuseppe Vedovato, à Belgrade, le vice-premier ministre et ministre des affaires étrangères yougoslave, Miloš Minić, est invité à Strasbourg où il plaide pour des relations plus étroites entre le Conseil et les pays non alignés et pour une implication plus forte du Conseil dans l’amélioration des rapports entre l’Est et l’Ouest. Après la visite du secrétaire général, Georg Kahn-Ackermann, à Belgrade en 1976, la Yougoslavie adhère à plusieurs Conventions du Conseil relatives à l’enseignement supérieur et des membres du Parlement sont invités aux réunions de la Commission des questions politiques. Mais tous ces efforts sont contrariés par la guerre en Afghanistan qui commence en 1980.

Durant la période 1980 à 1989, l’Assemblée participe activement au triple objectif que poursuit le Conseil de l’Europe durant cette période : trouver un modus vivendi avec la Communauté européenne qui s’élargit et s’approfondit ; compléter la carte du Conseil de l’Europe à l’Ouest ; intensifier les contacts avec les pays d’Europe de l’Est et encourager leur rapprochement avec le Conseil de l’Europe et ses valeurs démocratiques. Elle fait aussi face à la crise avec la Turquie.

Celle-ci éclate le 12 septembre 1980, lorsque, prétextant un danger mortel pour le pays, l’armée, menée par le général Kenan Evren, s’empare du pouvoir, dissout toutes les instances politiques démocratiques instituées par la Constitution de 1961 et met en place le Conseil national de sécurité concentrant les pouvoirs législatif et exécutif, lequel tient, à tout prix, à éviter la rupture avec le Conseil. Il ne veut pas dénoncer formellement la CEDH mais pense pouvoir s’en dégager en vertu de l’article 15 de la Convention qui prévoit que, en cas de guerre ou de danger public menaçant la vie de la nation, un pays peut se libérer provisoirement de ses obligations.

Malgré la dissolution du Parlement, le régime militaire est prêt à donner des facilités aux ex-parlementaires membres de l’Assemblée du Conseil, afin qu’ils puissent continuer à participer aux réunions. A la demande de l’Assemblée, le président de Koster se rend en Turquie en avril 1981, où il aborde avec des membres du Conseil national de sécurité et du Gouvernement, dont le général Evren, d’anciens membres des deux chambres du Parlement, des membres de la délégation turque à l’Assemblée et des anciens dirigeants du pays, toutes les questions ouvertes par la crise : calendrier de retour à la démocratie, situation des droits de l’homme, relations futures entre la Turquie et le Conseil, conséquences du coup d’Etat sur la représentation de la Turquie à l’Assemblée et sort des membres turcs de l’Assemblée mis en détention.

En dépit d’un rapport globalement favorable à des compromis avec le pouvoir en place et d’un avis positif de la commission du règlement pour la reconduction de la délégation parlementaire turque pour la durée de la 33e session, l’Assemblée suspend la participation de la délégation turque le 14 mai 1981. Le Comité des ministres est assez discret dans cette affaire. Cependant, en juin 1982, plusieurs Etats - Danemark, France, Pays-Bas, Norvège et Suède - introduisent un recours interétatique contre la Turquie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, en vertu de l’article 33 de la Convention. Des élections législatives ont lieu en Turquie en novembre 1983 ; les militaires se retirent du pouvoir et, en mai 1984, l’Assemblée ratifie les pouvoirs de la délégation turque issue des élections.

L’Assemblée décide aussi de mener sa propre réflexion sur la complémentarité entre le Conseil de l’Europe et la Communauté européenne, en créant la Commission Colombo. L’Assemblée avait déjà adopté deux recommandations, en 1973 et 1977, plaidant pour une meilleure coordination des activités du Conseil et de la Communauté. En 1983, elle va plus loin en décidant de créer une commission d’éminents hommes d’Etat, composée de huit membres siégeant à titre individuel, chargés de mener une réflexion indépendante sur le sujet. Elle désigne comme président Emilio Colombo, ancien ministre des affaires étrangères d’Italie. Cette commission travaille intensément, auditionne beaucoup de monde, établit des contacts avec les deux commissions créées par la Communauté : l’une sur les questions institutionnelles, la commission Dooge ; l’autre sur l’Europe des citoyens, la commission Adonnino. Elle produit deux rapports et ses propositions sont largement reprises dans la Recommandation 1087 (1985). Tout ce travail a indéniablement amélioré les relations entre les deux institutions qui concluent « un arrangement » le 16 juin 1987, formalisant les modalités de coopération entre elles.

Pour regrouper tous les pays démocratiques européens au sein du Conseil il faut l’adhésion de la Finlande. Cet Etat, géographiquement proche de l’Union soviétique, qui symbolise le processus d’Helsinki, tout en s’identifiant pleinement à l’Occident, a ratifié la Convention culturelle européenne dès 1970 et participe de ce fait à un très large secteur d’activité du Conseil. Par ailleurs, le Parlement finlandais est représenté aux débats de l’Assemblée sur les activités de l’OCDE et aux conférences sur la démocratie parlementaire.

Le Comité des ministres et l’Assemblée agissent de concert afin de convaincre les autorités finlandaises de profiter du réchauffement des relations Est-Ouest pour franchir le pas. La candidature est déposée en mai 1988. L’Assemblée, ayant reçu l’assurance que la Finlande signerait la Convention européenne des droits de l’homme dès l’adhésion et respecterait pleinement les autres normes du Conseil, donne un avis favorable en février 1989. La Finlande devient ainsi le vingt-troisième Etat membre le 5 mai 1989, jour du quarantième anniversaire du Conseil de l’Europe. L’Europe de l’Ouest est alors entièrement regroupée en son sein. L’ouverture vers l’Est peut commencer.

Trois débats majeurs sur les relations Est-Ouest se déroulent en 1986, 1987 et 1988. En toile de fond du dernier débat, se trouvent l’accord entre les Américains et les Soviétiques sur une réduction des forces nucléaires, le retrait des troupes soviétiques de l’Afghanistan, ainsi que la nouvelle politique d’ouverture « glasnost » et de restructuration « perestroïka » initiée par le secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique, Mikhaïl Gorbatchev. Le dernier rapport est présenté par la députée française Catherine Lalumière, qui estime que le Conseil « est le mieux placé pour explorer avec les pays de l’Est ce qui pourrait être une conscience européenne, une identité européenne, une maison commune européenne ».

L’Assemblée décide « de poursuivre et d’intensifier ses contacts avec les pays européens non membres en vue d’établir des cadres et des mécanismes de dialogue efficace visant à une meilleure connaissance réciproque et à une coopération au service de la détente et de la construction de l’Europe dans le sens le plus large » (Résolution 909 de 1988).

Par ailleurs, l’Assemblée utilise très intelligemment sa tribune pour des invitations ciblées à des personnalités qui, par leur stature, leur expérience et leurs responsabilités, sont en mesure d’enrichir le débat par leurs analyses des évolutions en cours et de clarifier les enjeux et les perspectives.

Ainsi, le Pape Jean-Paul II s’adresse à l’Assemblée le 8 octobre 1988 et apporte sa caution morale et son soutien à l’action du Conseil et de son Assemblée en faveur du rapprochement Est-Ouest, lequel correspond au « désir de millions d’hommes et de femmes qui ont conscience d’être liés par une histoire commune et qui espèrent partager un même destin d’unité et de solidarité à la mesure du continent ».

Le président François Mitterrand, président de l’Etat hôte, est invité pour la session spéciale du 5 mai 1989 marquant le quarantième anniversaire du Conseil et l’adhésion de la Finlande. Il déclare notamment : « répondre à tous ceux qui, ici ou là, sont épris de liberté, à ceux qui se veulent, comme nous, les héritiers ou les citoyens d’une même Europe ; cela relève de la vocation primordiale de votre institution ».

L’Assemblée, qui est, en ces temps, présidée par le sénateur français Louis Jung, se sent confortée par ces précieux soutiens et s’engage encore davantage dans la réalisation de son projet paneuropéen.

La Commission des relations avec les pays européens non membres, qui a succédé à la Commission des Nations non représentées créée en août 1950, est l’inspirateur et l’artisan principal du rapprochement avec les pays d’Europe centrale et orientale. Présidée par des parlementaires favorables à l’ouverture du Conseil tels que le Suisse Peter Sager, le Britannique David Atkinson et le Français Jean Seitlinger, elle élabore un nombre impressionnant de rapports sur ces pays, commence à y organiser des visites et, surtout, invente le statut d’invité spécial qui va jouer un rôle essentiel dans l’élargissement du Conseil de l’Europe.

Derrière la décision d’élaborer un tel statut se trouve une analyse très pointue de l’évolution de ces pays et une anticipation étonnante des événements qui allaient bouleverser l’Europe, ainsi qu’une bonne évaluation du rôle clé que le Conseil de l’Europe pouvait jouer dans la réunification du continent. Cela témoigne également de la capacité d’innovation des parlementaires et du secrétariat, car rien n’était prévu à cet effet, ni dans le Statut du Conseil, ni dans le Règlement de l’Assemblée.

Ce dispositif, qui ne concerne que l’Assemblée, permet d’accueillir à Strasbourg des délégations des parlements de pays européens non membres qui sont invitées à siéger dans l’hémicycle avec un droit de parole et de participation aux travaux des commissions, mais sans droit de vote. Peuvent en bénéficier les parlements nationaux respectant les instruments de la CSCE et les deux Pactes des Nations unies de 1986 sur les droits civils et politiques. Les délégations envoyées à Strasbourg doivent être pluralistes et leurs pouvoirs peuvent être contestés comme ceux des délégations des Etats membres.

Le statut d’invité spécial est adopté le 11 mai 1989 et est accordé, le mois suivant, aux parlements de Hongrie, de Pologne, d’Union soviétique et de Yougoslavie, auxquels s’ajouteront très rapidement la Tchécoslovaquie en mai 1990, la Bulgarie en juillet 1990, la Roumanie en février 1991, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie en septembre 1991 et l’Albanie en novembre 1991.

Le 6 juillet 1989 est une grande date, avec l’intervention de Mikhaïl Gorbatchev évoquant la « maison commune européenne ». La décision d’inviter pour la première fois un chef d’Etat d’Europe de l’Est, qui plus est le président du Soviet suprême de l’Union soviétique, prise en juillet 1988, fut jugée prématurée par plusieurs gouvernements. Il y eut aussi des hésitations au Kremlin. Grâce aux bons contacts noués bien avant, le principe d’une telle visite fut accepté et la date fixée au 6 juillet 1989. La presse présente en masse salue l’événement historique qui voit le président du Soviet suprême s’adresser à l’Assemblée des 23, à laquelle se sont joints pour l’occasion les délégations d’invités spéciaux de Hongrie, de Pologne, d’Union soviétique et de Yougoslavie, et même un représentant du Congrès américain.

Mikhaïl Gorbatchev précise son projet de « maison commune européenne », une maison bâtie sur des fondations communes : Etat de droit, respect des droits de l’homme, économie libéralisée, identité culturelle partagée ; mais dont l’aménagement des appartements relève de chaque occupant. La réunification n’est plus tout à fait une utopie.

Le 26 septembre 1989, Jacques Delors est reçu par l’Assemblée. C’est en fait la première fois qu’un président de la Commission européenne s’adresse à l’Assemblée. Il précise sa conception des relations entre les deux institutions qui, selon lui, doivent jouer chacune son rôle propre, mais de façon complémentaire. En réponse aux questions qui lui sont adressées sur l’action du Conseil de l’Europe dans le domaine des relations Est-Ouest, il répond : « Le Conseil de l’Europe est aujourd’hui le cadre le plus adéquat pour construire l’Europe de demain, le cadre dans lequel le dialogue peut être commencé sans ambiguïté, avec prudence et progressivité... La Communauté n’entend nullement compliquer ce dialogue qui est d’ores et déjà ouvert ici ».

Venons-en à la période paneuropéenne qui va de 1990 à nos jours.

Pour cette période, je vais me concentrer sur la période de l’élargissement à l’Europe centrale et orientale qui a duré une quinzaine d’années entre 1990, celle de l’adhésion de la Hongrie, et 2007, année de la réadmission du Monténégro, quarante-septième Etat membre. Cette période verra, comme la première, un doublement du nombre des membres, avec la différence notoire que le premier doublement a été progressif et a duré quarante ans, alors que le second a été rapide et n’a duré que seize années. Cela a été un vrai défi pour le Conseil de l’Europe et son Assemblée qui ont montré, dans cette situation, une grande capacité d’adaptation à tous égards, politique, institutionnel, culturel et technique.

Pour l’Assemblée, c’est une période d’intense activité à tous les niveaux. Par la force des choses, elle devient l’artisan principal de l’élargissement du Conseil, le moteur politique, mais aussi le laboratoire d’idées et de procédures qui permettent de le réaliser. En effet, elle a une bonne avance dans ce domaine à la fois sur le Comité des ministres et sur les autres institutions européennes puisque, dès l’origine, elle s’est préoccupée d’abord des « Nations captives », ensuite des « pays non-membres », puis des « invités spéciaux ». Elle a également organisé de multiples débats sur les relations Est-Ouest et sur la CSCE, et a pris des contacts avec les parlements de plusieurs de ces pays. Cette avance, elle la doit principalement à sa Commission des relations avec les pays non membres, laquelle a anticipé les bouleversements politiques qui allaient permettre la réunification de l’Europe, préparé des dossiers très documentés sur un grand nombre de pays de l’Est et élaboré le fameux statut d’invité spécial.

Par ailleurs, en vertu de la Résolution statutaire (51) 30A adoptée par le Comité des ministres en mai 1951, toute adhésion au Conseil de l’Europe doit recevoir le feu vert de l’Assemblée. De ce fait, elle est devenue le maître du calendrier. S’ajoute à cela le fait que le Comité des ministres, qui n’a pas encore fixé de lignes directrices pour faire face à la nouvelle donne politique en Europe, est pris de court par les demandes d’adhésion qui parviennent à l’Organisation et les transmet sans directives, ni même commentaires, à l’Assemblée. Celle-ci n’avait donc pas d’autre choix que celui de l’innovation et de la créativité politique et juridique pour répondre à l’attente des peuples d’Europe centrale et orientale.

L’Assemblée a dessiné la carte du Conseil de l’Europe dans sa Recommandation 1247 (1994) adoptée sur la base du rapport du parlementaire allemand Reddemann (Doc 7103) après des discussions qui ont duré deux années. Il fallait notamment clarifier le caractère européen des anciennes Républiques de l’Union soviétique que le rapport classe en quatre catégories :

- Les trois républiques baltes : Estonie, Lettonie, Lituanie ;

- Les autres républiques européennes : Belarus, Moldavie, Russie, Ukraine ;

- Les républiques caucasiennes : Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie ;

- Les républiques asiatiques : Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan, Ouzbékistan.

Pour le rapporteur, les deux premières catégories pouvaient incontestablement être qualifiées d’européennes, mais cela était plus douteux pour la troisième et difficilement acceptable pour la quatrième. L’Assemblée suivit l’avis du rapporteur pour les républiques asiatiques. Pour les républiques caucasiennes, elle décida qu’elles « auraient la possibilité de demander leur adhésion, à condition qu’elles indiquent clairement leur volonté d’être considérés comme faisant partie de l’Europe ». Le Comité des ministres endossa sans commentaires cette Magna Carta dessinée par l’Assemblée.

En fait, c’est l’Assemblée qui a déterminé le rythme des adhésions.

Certaines sont très rapides – Hongrie en 1990, Tchécoslovaquie et Pologne en 1991 – et sont acceptées après la tenue d’élections démocratiques observées par l’Assemblée, la mise en route de réformes législatives et constitutionnelles pertinentes et l’engagement d’adhérer à la CEDH. Les avis sur les demandes d’adhésion de ces trois pays sont les plus brefs, mais, progressivement, ils deviennent beaucoup plus élaborés et plus exigeants. C’est le cas pour celle de la Roumanie en 1993, et encore plus pour celle de la Russie en 1996, laquelle intervient après une suspension de plusieurs mois de la procédure en raison de la guerre en Tchétchénie.

Les adhésions de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan prendront aussi beaucoup de temps à cause du conflit du Haut-Karabakh. Les avis adoptés à partir de l’année 2000 comportent plus d’une vingtaine d’engagements et il subsiste deux cas particuliers.

La Tchécoslovaquie, admise dès 1991, est dissoute suite à la formation de deux Etats indépendants, la République slovaque et la République tchèque qui sont admises toutes deux en 1993.

Le Monténégro est réadmis en tant qu’Etat indépendant et souverain en 2007.

L’Assemblée fixe elle-même les différentes étapes de la procédure d’examen des demandes d’adhésion.

D’abord, le pays candidat doit obtenir le statut d’invité spécial qui est en quelque sorte le sésame obligatoire pour mettre en route la procédure d’adhésion. Il permet aux parlementaires des pays candidats de s’initier aux règles et pratiques démocratiques promues par le Conseil, ainsi qu’au fonctionnement de l’Assemblée. Celle-ci a ainsi joué le rôle d’institution de formation pour de nombreux parlementaires, dont beaucoup exerceront par la suite de hautes responsabilités politiques dans leurs pays respectifs.

Ensuite, intervient le contrôle de la compatibilité de l’ordre juridique des Etats candidats avec les standards du Conseil de l’Europe par d’éminents juristes, en règle générale des membres de la Cour et de la Commission des droits de l’homme. Cette procédure devient systématique à partir de l’examen des candidatures des trois Etats baltes, avec une ou deux visites sur place et un rapport exhaustif adressé à l’Assemblée.

Puis, il y a la saisine des trois commissions compétentes : la commission des questions politiques, pour rapport, la commission des questions juridiques et la commission des relations avec les pays non membres, pour avis. Les rapporteurs de ces commissions sont missionnés pour se rendre dans les pays concernés avec l’assistance du secrétariat et, très vite, l’organisation de visites communes s’instaure, ce qui améliore considérablement le professionnalisme et la crédibilité de la procédure, ainsi que la coopération entre les commissions dont les opinions ne sont pas toujours concordantes. Enfin se déroule le débat en séance plénière et l’adoption de l’avis statutaire destiné au Comité des ministres, pour lequel une majorité des deux tiers est requise.

L’Assemblée a également fait évoluer la codification des conditions d’adhésion.

Il était en effet indispensable de remplacer la procédure d’examen des candidatures assez sommaire de la période occidentale par une vérification scrupuleuse des conditions répertoriées sur une check-list complétée au fur et à mesure. Une réflexion doctrinale très élaborée sous un contrôle juridique rigoureux et permanent a été menée parallèlement à l’engagement sur le terrain. Comme il est impossible de rendre compte de ce travail dans le cadre de cet exposé, je renvoie à mon article paru dans le livre Law in Greater Europe, publié par Kluwer Law International en 2000.

Dès 1990, l’Assemblée commence également à observer les élections dans les pays souhaitant obtenir le statut d’invité spécial. La base juridique de cette initiative se trouve dans la « clause démocratique » contenue dans le protocole 1 de la CEDH. Elle développe et systématise la procédure et, à l’initiative du Secrétariat, des accords de coopération sont conclus, d’abord avec l’ODIHR et l’Assemblée de l’OSCE qui se sont rapidement engagés dans ce type d’activités et, plus tard, avec le Parlement européen.

L’Assemblée a notamment inventé la procédure de suivi.

La directive (488) 1993 est le point de départ de la procédure de suivi très élaborée qui existe de nos jours pour contrôler le respect des engagements et obligations par les Etats membres. Elle est née à l’occasion de la renégociation, en 1993, de l’admission de la République slovaque et de la République tchèque, suite à la dissolution de la Tchécoslovaquie qui avait été admise en 1991. Deux Etats membres menaçaient de bloquer les adhésions : la Hongrie pour celle de la Slovaquie en alléguant une protection insuffisante de la minorité hongroise ; et le Liechtenstein celle de la République tchèque en raison du non-règlement de la question des propriétés du Prince régnant exproprié sous le régime communiste et non restituées à cette date.

Il était impossible de trouver une solution à ces deux problèmes sur le champ. En même temps, il était difficile pour le Conseil de retarder l’admission de ces deux pays, admis sans difficultés sous un Etat commun deux années auparavant. La solution émergea lors de réunions bilatérales du Secrétariat avec les représentants permanents des pays soulevant des objections à l’adhésion, grâce à la proposition de faire souscrire par les deux nouveaux Etats des engagements spécifiques inclus dans les avis d’adhésion et de créer parallèlement un mécanisme de contrôle du respect de ces engagements, ce qui fut accepté.

Après l’adoption formelle de ces avis, l’Assemblée adopta aussi le projet de directive visant à instituer le mécanisme de contrôle présenté par un membre éminent de la commission des questions juridiques, la députée finlandaise Tarja Halonen, et devint formellement la directive 1031 (1994), souvent citée comme « directive Halonen ». Par cette décision, l’Assemblée a inventé le premier mécanisme de suivi des engagements des Etats membres dans le cadre du Conseil ; le Comité des ministres créera le sien, différent et complémentaire, un peu plus tard.

Indéniablement, cette invention a permis de concilier l’approche intégrative de l’Assemblée vis-à-vis des pays de l’Est avec la nécessité de garder la crédibilité de l’Organisation sur le plan des principes fondamentaux que personne ne voulait brader. Elle a aussi permis à l’Assemblée d’étendre son influence dans les pays concernés pour faire accepter les réformes nécessaires et faire respecter les engagements souscrits.

Désormais, l’Assemblée développe considérablement les activités sur le terrain et la « diplomatie parlementaire ». Il y a un accroissement considérable des missions de parlementaires et des réunions des commissions dans les pays d’Europe centrale et orientale, notamment celles impliquées dans les procédures d’attribution du statut d’invité spécial ou d’adhésion. Les missions de conciliation pour contribuer à la solution de conflits intérieurs ou entre pays voisins se multiplient et aboutissent, dans certains cas, à des débats dans l’hémicycle de Strasbourg entre les représentants des partis politiques de la majorité et de l’opposition de ces pays. A titre d’exemple, on peut citer le débat de conciliation entre les représentants des partis albanais sur la nouvelle Constitution.

La diplomatie parlementaire s’exerce aussi au niveau des présidents.

Ainsi un groupe de travail composé du président de l’Assemblée et des présidents des parlements d’Arménie et d’Azerbaïdjan fonctionna durant deux ans pour contribuer au rapprochement des parties concernées par le conflit du Haut-Karabakh.

La commission des présidents des groupes politiques, le président et le secrétaire général de l’Assemblée rencontrèrent à deux reprises le président Poutine à Moscou sur des sujets politiques sensibles liés à la guerre en Tchétchénie et aux engagements à souscrire par la Russie

Il y eut aussi deux réunions de conciliation à Paris et à Strasbourg en 1990 et 1991 entre les présidents des Républiques yougoslaves, auxquelles tous les intéressés participèrent à l’exception du président Milošević, et qui montrèrent que l’on était proche de la rupture et de l’affrontement.

Comme l’a souligné le sénateur Denis Badré dans son rapport au Premier ministre français, l’Assemblée joua indéniablement un rôle important en matière diplomatique lors de l’effondrement du bloc soviétique. Les parlementaires qui ont participé à ces missions et rencontres ont acquis une expérience des négociations internationales et une véritable culture de dialogue interparlementaire qui ont été précieuses pour la réunification de l’Europe.

L’Assemblée s’invite aussi aux sommets des chefs d’Etat et de gouvernement.

C’est elle qui, la première, a proposé la tenue d’un tel sommet pour le Conseil de l’Europe en 1992, car elle cherchait à faire valider, sur le plan politique et au plus haut niveau l’action qu’elle avait engagée pour l’élargissement du Conseil aux pays d’Europe centrale et orientale. C’est l’Autriche qui a proposé d’organiser la rencontre, ce qui allait faciliter les contacts, le président de l’Assemblée, Miguel Angel Martinez, ayant noué des liens personnels avec de nombreux hommes politiques autrichiens lorsqu’il travaillait à Vienne dans une organisation internationale de jeunesse. Il aura le grand privilège d’intervenir trois fois dans les débats du Sommet qui a lieu à Vienne en octobre 1993. L’Assemblée souhaitait une déclaration politique forte sur le rôle du Conseil dans la réunification du continent. La déclaration du Sommet est sans ambiguïté à cet égard : « Le Conseil de l’Europe est l’institution par excellence qui est en mesure d’accueillir, sur un pied d’égalité et dans des structures permanentes, les démocraties d’Europe de l’Est libérées de l’oppression communiste… ». Elle souhaitait que son approche intégrative soit validée et elle l’a été. Enfin, le Sommet a endossé sa proposition d’élaborer une Convention sur la protection des minorités nationales qui sera ouverte à la signature en 1995.

L’Assemblée a pris aussi l’initiative du deuxième Sommet qui s’est tenu à Strasbourg en 1997 et qui a été consacré à la dimension sociale du Conseil. C’est d’ailleurs après la rencontre à l’Elysée avec la présidente de l’Assemblée, Leni Fischer, que le président Chirac annonce que la France organisera ce sommet. De plus, en hommage à l’action politique de l’Assemblée, le président français invite la présidente de l’Assemblée à coprésider le Sommet avec lui, ce qui a beaucoup renforcé le prestige de l’institution parlementaire à l’époque.

Pour le Sommet de Varsovie en 2005, l’Assemblée a lancé, lors des consultations sur les propositions de thèmes, l’idée d’un rapport sur les relations entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe, qu’elle considère comme les institutions européennes majeures de l’unification européenne entre lesquelles devrait se développer un véritable partenariat. Comme rapporteur, elle a suggéré le nom du Premier ministre du Luxembourg, Jean-Claude Juncker, ce qui a été accepté.

Ce rappel des actions diplomatiques de l’Assemblée auprès des Etats membres et à l’intérieur même du Conseil durant la période de l’élargissement vers l’Europe de l’Est montre l’importance d’une bonne et intelligente interaction entre les deux organes statutaires, et entre les délégations ministérielles et parlementaires des Etats membres.

En guise de conclusion je veux formuler quelques remarques.

Durant ses soixante ans d’existence, l’Assemblée a bien été le moteur politique du Conseil de l’Europe et on peut légitimement se demander ce qui serait advenu sans elle. Dans la période actuelle où l’on cherche un nouvel élan pour le Conseil, il est absolument indispensable de préserver et même de développer ce rôle.

Pour cela, il faut que toutes les parties concernées comprennent que le Conseil a besoin d’une Assemblée active, engagée, imaginative, audacieuse et critique lorsqu’il le faut. Ayant présenté des communications sur les activités de l’Assemblée pendant dix ans au Comité des ministres, je sais qu’il faut soigner des deux côtés cette culture de respect et de partenariat qui seule permet de faire avancer une institution européenne.

Il revient cependant à l’Assemblée de définir pour elle-même les objectifs de son action politique et de fixer ses priorités en étant à l’écoute des autres secteurs de l’Organisation, mais en gardant sa liberté de jugement et de décision. Durant les deux périodes qui viennent d’être décrites, elle poursuivait des objectifs lourds et structurants grâce auxquels elle savait ce qu’elle devait faire et où il fallait s’investir. Cela est particulièrement vrai pour la période paneuropéenne durant laquelle elle s’est presque entièrement consacrée à l’élargissement de l’Organisation, et elle a bien rempli sa mission.

A l’évidence, il n’est pas facile, dans le contexte actuel d’une Europe pluri-institutionnelle, de discerner un objectif aussi structurant, alors que les compétences attribuées dans le passé ne sont plus respectées et que toutes les institutions broutent dans les champs de compétences des autres, avec la bénédiction des Etats membres qui devraient en principe veiller à la cohérence de l’ensemble. Il faudra probablement en définir plusieurs pour obtenir la même densité en substance et un effet structurant similaire.

A cet égard, il ne faut pas attendre que la solution vienne de l’Union européenne ou du Parlement européen qui ont leur dynamisme propre et ne ressentent pas le besoin de se concerter et de coopérer avec d’autres institutions. D’ailleurs, toutes les initiatives visant à conclure des accords de coopération ou de partenariat sont venues du Conseil de l’Europe. Cependant, dès que l’Union aura adhéré à la CEDH, les deux institutions vont être amenées à coopérer de manière organique, ce qui devrait créer une nouvelle dynamique entre elles.

Par son engagement dans l’élargissement du Conseil, l’Assemblée a acquis une expérience et un savoir-faire exceptionnel dans le domaine du développement des institutions démocratiques qu’il ne faudrait pas laisser se perdre. Elle a fonctionné comme une institution de formation à la démocratie pour les parlements des pays de l’Est. Une telle activité est certainement transposable dans d’autres régions du monde, notamment au Maghreb et au Proche-Orient. L’idée s’est d’ailleurs concrétisée récemment, puisque, sur la base du rapport du sénateur Denis Badré, l’Assemblée a créé, en 2010, le statut de « Partenaire pour la démocratie ». En juin 2011, elle a attribué ce statut au Parlement marocain et, au mois d’octobre, au Conseil national Palestinien. C’est là un développement prometteur qui peut apporter de nouvelles perspectives et un nouvel élan au Conseil de l’Europe.

L’Assemblée, qui a l’avantage de pouvoir développer des contacts réguliers avec les parlements nationaux, pourrait certainement les solliciter pour connaître leurs attentes en matière de coopération européenne. A cet égard, il est peut-être utile de rappeler que, durant la période occidentale, le Conseil était très apprécié pour la coopération technique qu’il avait développée dans de nombreux domaines de la vie politique, sociale et culturelle. Durant la deuxième période, ce sont les activités de suivi et de contrôle qui ont pris le dessus. Je pense qu’il faut les deux. Le moment ne serait-il pas propice pour rééquilibrer les choses ?

L’Assemblée a développé une coopération très étroite avec les parlements de plusieurs pays qui ne sont pas membres, et ne le seront peut-être jamais, de l’Union européenne. Certains de ces pays se demandent si le Conseil ne va pas perdre son indépendance et s’il sera encore possible de coopérer sur un pied d’égalité en son sein dans l’avenir. Il convient de répondre à de telles interrogations. L’Assemblée est certainement bien placée pour clarifier avec les parlements de ces pays, leurs attentes et leurs propositions.

ANNEXE 3 :
CONTRIBUTION ÉCRITE DE MME LAURENCE AZOUX-BACRIE

Contribution écrite de Mme Laurence Azoux-Bacrie, Avocat au Barreau de Paris, docteur en bioéthique et biologique(8). Thomas d'Aquin disait que les lois sont conçues pour les actions humaines. Or la Convention dite d’Oviedo est bien conçue pour l'action de l'homme, pour son intégrité et pour sa dignité, selon le bon mot du professeur Marcello Palacios, Rapporteur de la commission de la science et de la technologie.

Quant à Jean Michaud(9), il a déclaré que « Les textes juridiques ont une histoire qui permet de ne les comprendre mieux qu’au terme de multiples lectures ».

En introduction, je traiterai du travail précurseur de l’APCE sur le nouveau champ de la bioéthique.

Le Conseil de l’Europe, doyenne des organisations politiques du continent, a été créé en 1949, à la suite des exactions commises durant la Seconde guerre mondiale et du procès de Nuremberg. Il a officiellement pour mission de « garantir la dignité des nations et des citoyens de l’Europe » en veillant au respect de l’Etat de droit, de la démocratie et des droits de l’homme. Il tente de dégager des solutions communes aux grandes questions de société en adoptant des conventions qui visent à harmoniser les législations nationales(10). Son implication dans le domaine de la bioéthique s’explique naturellement par son rôle de protection des droits de l’homme, d’autant que le Parlement représente près de huit cent millions de citoyens.

L’Union européenne a, depuis le 7 décembre 2000, sa Charte des droits fondamentaux avec un chapitre consacré à la bioéthique.

La Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine, dite convention d'Oviedo(11), a pris naissance, voilà plus de quatorze ans, en Espagne, dans les Asturies. Le Conseil de l’Europe avait décidé de franchir une nouvelle étape en élaborant la première convention internationale de bioéthique et l’APCE avait estimé le « moment opportun pour une action commune européenne, telle que l’élaboration d’un instrument juridique, afin de codifier les travaux existants précieux et fragmentaires ».

Le Conseil des ministres ayant insisté sur le caractère urgent, la Convention a été rédigée en un temps record - moins de six ans - en raison de la médiatisation de certaines affaires relatives au clonage, à la transgénèse, au sida notamment, sous l’impulsion de l’APCE et de sa Recommandation du 28 juin 1991, ainsi que du travail de groupes d’experts pour poser les bases de la réflexion bioéthique. Il s’agit de « l’une des marques originales de la bioéthique, qui est d’avoir généré des institutions sans équivalent : les comités d’éthique »(12).

Il convient de souligner l’importance du rapport explicatif à la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine, lequel a été établi sous la responsabilité du secrétaire général du Conseil de l'Europe, sur la base d'un projet élaboré à la demande du Comité directeur pour la bioéthique, le CDBI, et de son président, M. Jean Michaud. Il tient compte des discussions au sein du CDBI et de son groupe de travail chargé de rédiger la Convention, ainsi que des remarques et propositions faites par les délégations.

Le Comité des ministres a adopté le texte le 19 novembre 1996.

A la date d’adoption de la Convention, les Etats du Conseil de l’Europe étaient au nombre de quarante, contre quarante sept aujourd’hui, auquel s’étaient joints, mais sans voix délibérative, des représentants de l’Assemblée parlementaire et de la Communauté européenne ainsi que des observateurs(13).

La Convention a été ouverte à la signature le 4 avril 1997 à Oviedo. Elle est entrée en vigueur le 1er décembre 1999. Elle lie dix-neuf Etats et est ouverte à la ratification des pays non membres du Conseil de l’Europe, mais aucun ne l’a encore signée. La France l’a signée le 4 avril 1997 et le processus de ratification a été initié cette année. Elle est suivie de quatre protocoles additionnels : sur le clonage reproductif, sur les transplantations d’organes, sur la recherche biomédicale et sur les tests génétiques à des fins médicales. Un autre protocole a été envisagé sur l’embryon et le fœtus.

Cette Convention constitue un texte international dont l'autorité est particulièrement affirmée.

Vecteur de normes pourvues d'une force juridique obligatoire, elle constitue un élément majeur d'une discipline nouvelle : le droit international de la bioéthique. Ainsi dotés, potentiellement, d’une dimension planétaire, la Convention et son mécanisme peuvent avoir un impact politique et économique sur la politique menée par les Etats signataires, impulsés par l’APCE.

La particularité de la bioéthique est d’être une discipline qui fait se côtoyer des questions d’impératif économique et des interrogations sur les droits de l’homme. Elle permet une certaine perméabilité pour construire des passerelles au titre des deux Europe – celle du Conseil de l’Europe et celle de l’Union Européenne – afin de créer une espace juridique harmonieux.

Sur le plan de la politique économique, la santé est un secteur florissant, créateur d’emplois en France, où elle représente 230 milliards de dépenses soit 11% du PIB. Habituellement et partout, nous entendons dire que la santé est dispendieuse des ressources de l’Etat. Or, une autre vision est possible car la santé est aussi créatrice de richesses(14). Elle constitue une piste économique à privilégier dans l’avenir, comme l’a bien compris l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. La bioéthique peut donc être saisie aussi au travers des enjeux économiques et politiques.

L’objet de la Convention apparaît clairement dans son titre complet : « Convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie comme une définition de la bioéthique ». Elle concerne donc la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine. En effet, ce titre comporte les mots essentiels qui en résument l’esprit - droits de l’homme et dignité - et son préambule définit cet esprit(15) en précisant qu’il s'agit des droits de l'homme fondamentaux relatifs à la médecine, c'est-à-dire de l'homme en tant que patient.

L’expression "droits de l'homme" fait référence aux principes consacrés par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, qui en garantissent la protection. Non seulement la philosophie des deux textes, mais aussi nombre de principes éthiques et de notions juridiques, sont communs. Ainsi, la présente Convention développe certains des principes qui figurent dans la Convention européenne des droits de l'homme.

La notion d'être humain a été utilisée en raison de son caractère général et celle de dignité de l'être humain, également soulignée, désigne la valeur essentielle à maintenir. Elle constitue le fondement de la plupart des valeurs défendues par cette Convention, fruit de la réflexion initiée par l’APCE. La Convention couvre ainsi toutes les applications médicales et biologiques pour l'être humain, englobant les applications, qu’elles soient utilisées à des fins préventives, diagnostiques, thérapeutiques ou de recherche.

Le préambule, l’âme de la Convention, doit être rappelé(16), car il souligne que les Etats membres du Conseil de l’Europe sont « résolus à prendre, dans le domaine des applications de la biologie et de la médecine, les mesures propres à garantir la dignité de l’être humain et les droits et libertés fondamentaux de la personne ».

Le mot préambule traduit la notion de marche. Ce terme convient bien au préambule de la Convention d’Oviedo, qui trouvait sa signification au regard de la marche de la science, plus précisément de la biologie et de la médecine. Il indique notamment que les Etats signataires :

« - Conscients des rapides développements de la biologie et de la médecine(17) ;

- Convaincus de la nécessité de respecter l’être humain à la fois comme individu et dans son appartenance à l’espèce humaine et reconnaissant la nécessité d’assurer sa dignité ;

- Affirmant que les progrès de la biologie et de la médecine doivent être utilisés pour le bénéfice des générations présentes et futures ;

- Soulignant la nécessité d’une coopération internationale pour que l’humanité tout entière bénéficie de l’apport de la biologie et de la médecine ;

- Reconnaissant l’importance de promouvoir un débat public sur les questions posées par l’application de la biologie et de la médecine, et sur les réponses à y apporter,

- Désireux de rappeler à chaque membre du corps social ses droits et ses responsabilités

- Prenant en considération les travaux de l’Assemblée parlementaire dans ce domaine, y compris la recommandation 1160 (1991) sur l’élaboration d’une convention de bioéthique ;

- Résolus à prendre, dans le domaine des applications de la biologie et de la médecine, les mesures propres à garantir la dignité de l’être humain et les droits et libertés fondamentaux de la personne ;

Sont convenus de ce qui suit : ... »

Ce préambule me permet de faire le lien avec le thème de mon intervention, l’influence de l’APCE sur l’élaboration de la Convention d’Oviedo, laquelle a été essentielle. A cet égard, deux points saillants doivent être mis en avant : d’abord, l’influence directe de l’APCE sur l’élaboration de la Convention a conduit à intensifier l’œuvre d’harmonisation ; ensuite, l’APCE a permis de servir les droits de l’homme sans entraver la science, car cette Convention permet d’allier continuité et nouveauté(18).

L’influence directe de l’APCE, s’est donc d’abord manifestée par l’intensification de l’œuvre d’harmonisation relative aux grands principes en matière de protection des droits de l’homme dans les domaines de la biologie et de la médecine. En effet les dispositions principales inspirées par l’APCE vont dans le sens d’une action commune européenne.

Ainsi le Conseil de l'Europe, suivant surtout en cela le travail précurseur de l'Assemblée parlementaire, a mené à bien une multitude d'études, de colloques, de rapports dont les résultats sont consignés dans plusieurs recommandations aux Etats membres.

La Convention représente le couronnement de longues années de travaux de l’Assemblée parlementaire(19) : recommandations 934 (1982) relative à l'ingénierie génétique ; 1046 (1986) et 1100 (1989) relatives à l'utilisation d'embryons et de fœtus humains; 1160 (1991) relative à l'élaboration d'une convention de bioéthique, et son Avis n° 184 (1995), sur un premier projet de convention, où elle demandait au Comité des ministres de revoir celui-ci « de façon approfondie ».

Le Comité directeur de bioéthique du Conseil de l'Europe, conjointement avec l’APCE ont contribué de manière importante à l’élaboration de la convention d’Oviedo, ce qui a permis la construction d'un pilier de l'édifice normatif européen, celui de l'éthique.

Pour ce qui est des origines de la Convention(20), il faut d’abord examiner comment on est passé de la Convention européenne des droits de l’homme à celle d’Oviedo.

Dans le cadre de son objectif de promouvoir les droits de l'homme, le Conseil de l’Europe s'est doté, le 4 novembre 1950, de la Convention européenne des droits de l'homme qui entre en vigueur en 1953.

La Cour européenne des droits de l'homme est créée le 18 septembre 1959 en vue de faire respecter la Convention.

S appuyant sur l’article 2, « Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi », la Cour a utilisé ce principe dans le domaine de la bioéthique. Confrontée à la question du droit à la vie, elle a estimé que celui-ci ne s’appliquait qu’après la naissance.

A propos de l’article 3, « l’interdiction de traitements inhumains et dégradants », la Cour a rappelé le principe de dignité qui devait également s’appliquer en bioéthique et au traitement médical expérimental.

Le principe défini à l’article 8 sur le respect de la vie privée et familiale fait écho à la protection de l’intégrité physique.

Dans cette ligne, le Conseil de l’Europe et son Assemblée parlementaire se sont attachés à réfléchir sur les nouveaux aspects pluridisciplinaires de la médecine et de la biologie : la biomédecine.

La progression des institutions révèle une volonté de faire évoluer la pensée(21) et d’intensifier l’action commune européenne. On est passé de travaux fragmentaires à l’élaboration d’une convention.

Cette Convention est donc le fruit de longs travaux et elle honore l'Assemblée du Conseil de l'Europe. Désormais, le Parlement européen joue un rôle important en matière d’impulsion politique. Il représente près de cinq cent millions de citoyens et il est la seule institution européenne à être élue directement.

L’évolution a d’abord été celle du passage du CAHGE en 1983 au CAHBI en 1985.

Le mouvement commence en effet en 1983, lorsque le Conseil de l’Europe s’est résolu à se pencher sur les problèmes posés par la procréation artificielle au regard des droits de l’homme. Cette préoccupation a conduit, cette année là, à la création d’un comité d’experts sur les problèmes éthiques et juridiques posés par la génétique humaine : le CAHGE. Cette décision a été prise à partir d’une Recommandation de l’Assemblée parlementaire no 934 datant de 1982 et relative à l’ingénierie génétique.

Cette même année, le Comité des ministres a substitué le CAHGE au comité existant et un effort de coordination a été fait avec la création en 1985 d'un organe multidisciplinaire : le Comité ad hoc d'experts sur la bioéthique, le CAHBI(22), chargé de l'élaboration d'une convention cadre "énonçant des normes générales communes pour la protection de la personne humaine dans le contexte du développement des sciences biomédicales".

Puis l’évolution a été faite en passant du CAHBI -1983 à 1987 - au CDBI : 1987 à 1996.

Deux instances du Conseil de l’Europe ont donc successivement compétence sur la matière traitée par la Convention : le Comité ad hoc pour la bioéthique, le CAHBI, puis le Comité directeur pour la bioéthique, le CDBI(23).

Les travaux du CAHBI se sont achevés le 3 avril I987. A partir des éléments rassemblés et de leur analyse, le Comité des ministres a confié au CDBI(24) le double mandat :

- D’étudier l’ensemble des problèmes que les progrès des sciences biomédicales posent dans le domaine du droit, de l’éthique et des droits de l’homme à la lumière des recommandations 934 (1982), 1046 (I986) et 1140 (1991) de l’Assemblée parlementaire ; des travaux de la première conférence sur les droits de l’homme à Vienne les 19 et 20 mars 1985 ; ainsi que des réunions informelles des ministres de la justice ;

- De mener des travaux en vue de déterminer, dans la mesure du possible, une politique commune des Etats membres et d’élaborer, si nécessaire, des instruments juridiques appropriés, en particulier des protocoles additionnels à la Convention.

Abolir les disparités pour élaborer un texte consensuel.

L'Assemblée estime alors que, malgré certaines disparités qui existent encore dans les approches nationales et malgré la multiplicité des aspects à traiter, le moment semble mûr et opportun pour une action commune européenne telle que l'élaboration d'un instrument juridique, afin de codifier les travaux existants, précieux mais fragmentaires. L'Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe avait déjà exprimé ce souci en 1989 dans sa Recommandation 1100 sur l'utilisation des embryons et fœtus humains dans la recherche scientifique(25). Puis, à partir de 1995, elle a consacré plusieurs séances à la Convention, au cours desquelles, sur des rapports de la commission de la science et de la technologie, ont été entendus les avis de la Commission des Questions sociales, de la Commission de la Santé et de la famille, et de la Commission des Questions juridiques et des droits de l’homme.

Ainsi, le Conseil de l'Europe, grâce aux travaux de l'Assemblée parlementaire et du comité ad hoc pour la bioéthique, le CAHBI, devenu le Comité directeur pour la bioéthique, le CDBI, s'est attaché, durant plusieurs années, à examiner les problèmes qu'engendrent, au regard du sort de l'homme, les progrès de la médecine et de la biologie.

Parallèlement, certains pays ont travaillé dans ces domaines sur le plan interne et poursuivent cet effort. Ainsi se sont déroulées, jusqu'à présent, deux catégories d'entreprises menées les unes sur le plan national, les autres au niveau international, dans le but d’intensifier l’œuvre d’harmonisation.

Si les différents textes, avis et recommandations se réclament le plus souvent de valeurs communes, des différences peuvent néanmoins apparaître à propos de certains aspects des problèmes traités. A cet égard on peut citer la Recommandation 1169 (1991) relative à l’élaboration d’une convention de bioéthique(26).

Ils se sont heurtés à de grandes difficultés, compte tenu du fait que s’ouvrait ainsi un champ nouveau de compétence et de protection des droits de l’homme : La première était de savoir comment concilier la rapidité des progrès de la science et des technologies avec la lenteur inhérente des signatures et des ratifications de la Convention.

En effet, les applications combinées de la biologie, de la biochimie et de la médecine posent des problèmes universels qui exigent des solutions et ont donné lieu à une nouvelle discipline dénommée bioéthique. Aux espoirs que suscitent les progrès dans ce domaine se mêlent parfois des inquiétudes qui concernent les droits les plus fondamentaux de la personne humaine.

Plusieurs avis ont été rendus par cette Assemblée dont le CDBI a pu tenir compte. Est ainsi exprimée, dans le dernier de ces avis, l’adoption du texte au-delà du 26 septembre 1996.

Il est intéressant de citer le passage suivant dans le compte rendu des débats : « Le nouveau projet de convention est un texte cohérent et équilibré. Il représente le degré optimal de consensus européen qui soit possible à l’heure actuelle. »

L'élaboration d'un instrument juridique afin de codifier les travaux existants, précieux mais fragmentaires, a abouti à l’adoption du texte par le Comité des ministres le 19 novembre 1996. Le traité énonce ainsi des principes offrant un cadre commun européen pour la protection de l’être humain, terme consacré expressément. Le texte expose donc, à la suite du préambule, les principes les plus importants en la matière.

Le contenu de la Convention(27) reste encore méconnu du grand public comme des professionnels. Dans sa structure, elle se limite à l'énoncé des principes les plus importants. Les normes complémentaires et des règles plus détaillées feront l'objet de protocoles additionnels. La Convention offre ainsi un cadre commun de protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine, tant dans les domaines établis de longue date que dans ceux en évolution.

Ce traité(28) part de l'idée que l'intérêt de l'être humain doit prévaloir sur celui de la science ou de la société. Il énonce une série de principes et d'interdictions concernant la génétique, la recherche médicale, le consentement de la personne concernée, le droit au respect de la vie privée et le droit à l'information, la transplantation d'organes, l'organisation du débat public sur ces questions, etc. Le contenu normatif de la Convention comprend(29) : les dispositions générales, le principe du consentement, la protection du génome humain, la recherche scientifique, l’interdiction du profit et de l’utilisation d’une partie du corps humain, l’atteinte aux dispositions de la Convention, l’interprétation et le suivi de la Convention et les Protocoles à la Convention.

En ce qui concerne les dispositions générales, l’objet et la finalité de la Convention sont de protéger « l’être humain dans sa dignité et son identité et de garantir à toute personne, sans discrimination, le respect de son intégrité et de ses autres droits et libertés fondamentales ». Sont ensuite évoqués le principe de la primauté de l’être humain, celui de l’accès équitable aux soins, ainsi que la nécessité, s’agissant de toute intervention dans le domaine de la santé, de respecter les obligations professionnelles et règles de conduite appropriées.

Pour ce qui est du principe du consentement, selon l’article 5, « une intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée qu’après que la personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé ». Ce texte protège les personnes capables de consentir ainsi que celle dites incapables, comme les mineurs, ou les personnes ayant des troubles mentaux plus ou moins graves. Il prévoit toutefois une possibilité d’exception en cas d’urgence.

S’agissant de la vie privée et du droit à l’information, la Convention énonce, en son article 10, le principe de protection du droit à la vie privée et à l’information dans le domaine de la santé. Elle précise aussi que la personne concernée peut toujours refuser d’être informée.

Quant à la protection du génome humain, les articles 11 à 14 évoquent le principe de non-discrimination d’une personne en raison de son patrimoine génétique et l’interdiction de toute intervention abusive sur le génome humain, des tests génétiques prédictifs ainsi que des tentatives de sélection du sexe d’un enfant à naître par les techniques d’assistance médicale à la procréation. Enfin, toute intervention visant à modifier le génome humain doit avoir une raison préventive, diagnostique ou thérapeutique.

En ce qui concerne la recherche scientifique, selon l’article 15, « la recherche scientifique dans le domaine de la biologie et de la médecine s’exerce librement, sous réserve des dispositions de la présente Convention et des autres dispositions juridiques qui assurent la protection de l’être humain ». Cette liberté de principe rencontre en effet une limite résidant dans la protection des droits fondamentaux de la personne se prêtant à une recherche. Sont énoncées les principales conditions autorisant toute recherche sur l’être humain et le principe d’interdiction de la constitution d’embryons humains aux fins de recherche.

Pour les prélèvements d’organes et de tissus sur des donneurs vivants à des fins de transplantation, la Convention organise la protection des donneurs et receveurs d’organes en insistant notamment sur le principe du consentement.

S’agissant de l’interdiction du profit et de l’utilisation d’une partie du corps humain, selon les articles 21 et 22, « le corps humain et ses parties ne doivent pas être, en tant que tels, source de profit » et aucun prélèvement ne peut être conservé et utilisé dans un but autre que celui pour lequel il a été prélevé, dans le respect des procédures d’information et de consentement appropriées.

Enfin, pour les atteintes aux dispositions de la Convention, il est indiqué que les Etats parties sont tenus de mettre en place des mécanismes pour empêcher, réparer et sanctionner toute atteinte aux droits énoncés par la Convention.

En ce qui concerne l’interprétation et le suivi de la Convention, l’article 29 énonce que la Cour européenne des droits de l’homme peut donner des avis consultatifs concernant l’interprétation de la Convention à la demande d’un Etat partie ou du Comité directeur pour la bioéthique. Ce mécanisme n’a jamais été utilisé pour l’instant.

L’APCE a donc permis de servir les droits de l’homme sans entraver la science, sachant allier continuité et nouveauté(30).

Selon Jean Michaud : « L’éthique est une préoccupation qui a partout sa place par exemple en mettant la science en garde et en donnant au droit une source d’inspiration »(31). C’est un pari réussi pour l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe qui a su valoriser le devenir des valeurs communes à l’Europe concernant le nouveau champ de la bioéthique. Ainsi cette Convention représente un pas important vers l'intégration européenne, car elle repose sur des valeurs éthiques communes.

La Convention d’Oviedo se présente sous le jour d’un texte singulier. Cependant sa nouveauté, qui est manifeste, s’inscrit dans le cadre de la continuité32. En effet, le résultat est le fruit de quinze versions successives et les conditions d’élaboration ont été riches d’enseignements, faisant notamment apparaître les différences de sensibilité nationale. Dans la compréhension de problèmes scientifiques, s’est effectué un rapprochement des langages et des peuples. Un consensus s’est progressivement dessiné et le texte abouti est en harmonie avec les valeurs du Conseil de l’Europe.

Toujours selon Jean Michaud : « Le texte offre l’image d’une cohérence interne pour apparaître comme une œuvre globalement harmonieuse »(33).

A cet égard on peut rappeler les mots de Robert Palmer, Directeur de la Culture et du patrimoine culturel et naturel du Conseil de l’Europe : «La protection et la promotion des droits de l'homme et l’amélioration des processus de démocratisation dans tous les pays restent inchangés, les approches et les priorités doivent s'adapter aux changements sociétaux et économiques qui nous entourent. En mettant en lumière les avancées ayant engendré la culture européenne, le document éclaire le potentiel que représente la pluri-appartenance culturelle pour le développement humain et la compréhension mutuelle fondant la paix et la stabilité du continent.». L’exercice aboutit à une vision de l’Europe du citoyen replaçant l’individu au cœur d’une société pluriculturelle respectueuse non seulement des droits et libertés fondamentales mais de l’identité culturelle et sociale des personnes(34).

Des travaux comme des débats parlementaires sur les aspects juridiques et scientifiques, il ressort que humanisme et humanité sont au cœur de la Convention. Ainsi que l’a souligné le Docteur Palacios dont les qualités humaines sont à relever(35), rapporteur de la Commission de la science et de la technologie : « L'homme a toujours été la principale préoccupation ». Tel a aussi été le cas des élus ou conseillers, qui ont, pendant de nombreuses années, participé à la construction et à la rédaction de la Convention. En effet, de nombreuses difficultés sont apparues à cet égard, qu'il s'agisse de son aspect juridique ou de son aspect scientifique.

Sont d’abord affirmés les principes de clarification et de transparence de la Convention.

Cette convention est attendue et bienvenue, car, sous différents aspects - éthiques, juridiques ou scientifiques - la recherche médicale, la recherche scientifique, mais aussi la médecine des soins quotidiens, ont besoin que nous puissions leur apporter des principes de clarification et de transparence. Par ailleurs, cette Convention s'est fixée pour principes et même pour objectifs les droits de l'homme.

Le projet de convention est le fruit d'un travail collectif patient et informé, comme le souligne le rapporteur : « Ce n'est pas le projet d'un seul homme, d'un seul groupe de citoyens ou d'un seul pays, mais le projet de tous, conçu dans un esprit démocratique et qui résulte d'un intense travail de maturation »(36). Cette Convention appuie son phare éclairant sur des valeurs universelles plus qu'européennes, à savoir protéger la dignité humaine et garantir l'intégrité de la personne humaine.

Cette Convention est en harmonie avec les lois de juillet 1994 sur la bioéthique, quant à la dignité et au principe de préservation de l'intégrité humaine. De plus, elle n'est pas figée. Elle répond bien au principe d'évolution des sciences technologiques et médicales.

Voici quelques illustrations pratiques ayant suscité des difficultés.

En ce qui concerne les restrictions prévues dans la Convention à l'égard des droits qui y sont garantis, il était insuffisant de se contenter de l'article 8, alinéa 2, de la Convention européenne des droits de l'homme. En effet, cette Convention va au delà des principes posés par l’article 8 de la CEDH, puisqu’il s'agit des droits de l'homme fondamentaux relatifs à la médecine, c'est-à-dire de l'homme en tant que patient.

Pour ce qui est du principe du consentement, maître mot de la bioéthique, selon l’article 5, « Une intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée qu’après que la personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé ». Ce texte protège les personnes capables de consentir ainsi que celle dites incapables, comme les mineurs ou les personnes ayant des troubles mentaux plus ou moins graves. Or, demander son autorisation à un patient pour une intervention médicale est une démarche fondamentalement différente de celle à laquelle fait référence la Convention européenne des droits de l'homme quand elle énonce des restrictions dans l'intérêt de l'ordre public.

Le texte protège les personnes capables de consentir ainsi que celle dites incapables, comme les mineurs ou les personnes ayant des troubles mentaux plus ou moins graves. La commission s'est également élevée contre la possibilité d'effectuer une intervention sur des personnes incapables, qui ne peuvent pas exprimer leur consentement, ou sans que ce dernier soit requis. De plus, la formulation reste trop vague.

L'une des préoccupations majeures de l’Assemblée(37), relative à la question du consentement et, en particulier à la protection des personnes qui n'ont pas la capacité de consentir, a trouvé dans le projet de convention une réponse satisfaisante pour l'Assemblée, dont l'Avis no 184 a, en la matière, été scrupuleusement suivi. Il invite l'Assemblée à bien vouloir adopter le projet d'avis contenu dans le document 7622.

En avril 1994, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté la Recommandation 1235 (1994) sur la psychiatrie et les droits de l’homme. Cette Recommandation, reflétant l’esprit de celle du Comité des ministres, traduite dans son Règlement R (83) du 23 février 1983, ainsi que les changements réalisés en matière de droit de la santé mentale, accorde une attention particulière à la situation juridique du malade hospitalisé, mettant l’accent sur l’intérêt de la santé(38).

La Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine d’avril 1997 du Conseil de l’Europe prévoit un certain nombre de situations concernant les personnes incapables de consentir, à savoir les mineurs, les majeurs souffrant d’un handicap mental ou d’une maladie empêchant le consentement, les personnes souffrant d’un trouble mental grave et les situations d’urgence.

Ainsi l’article 7 concerne la protection des personnes souffrant d'un trouble mental : « La personne qui souffre d'un trouble mental grave ne peut être soumise, sans son consentement, à une intervention ayant pour objet de traiter ce trouble que lorsque l'absence d'un tel traitement risque d'être gravement préjudiciable à sa santé et sous réserve des conditions de protection prévues par la loi comprenant des procédures de surveillance et de contrôle ainsi que des voies de recours. » L’objet et la finalité de la Convention sont de protéger «l’être humain dans sa dignité et son identité et de garantir à toute personne, sans discrimination, le respect de son intégrité et de ses autres droits et libertés fondamentales ».

Comme tout texte qui est le résultat d’un compromis, le projet reste perfectible sur un certain nombre de points.

Ainsi l'Assemblée estime qu'en ce qui concerne la question relative aux tests génétiques, le projet de convention ne comporte aucun message clair quant à la communication des résultats de ces tests aux tiers. Ce problème, qui risque de prendre une ampleur socio-économique considérable dans les années à venir, ne pourra être passé sous silence. L'Assemblée recommande, par conséquent, au Comité des ministres d'amender le projet de convention en introduisant un nouvel alinéa dans l'article 12 relatif aux tests génétiques prédictifs, libellé comme suit: « La communication des résultats d'un test génétique à des fins autres que médicales ne peut être autorisée que conformément aux dispositions de l'article 26, paragraphe 1, de la présente Convention et à celles de la législation nationale en matière de protection des données ».

En conclusion, je propose de valoriser trois idées : il conviendrait de s’orienter vers un nouveau protocole sur la biosphère, de créer des co-médiateurs compétents en santé, éthique et droit, de valoriser ce secteur santé en pleine effervescence sur le plan économique.

Ainsi que l’a souligné le vice-président de l’Assemblée parlementaire, M. Bársony, au cours de la séance du 26 septembre 1996 qu’il présidait : « L'Assemblée considère que le nouveau projet est un texte cohérent et équilibré. Il représente le degré optimal de consensus européen qui soit possible à l'heure actuelle. La Convention servira de référence universelle et incitera plusieurs Etats à atteindre et à dépasser les normes qui y sont contenues »(39).

Ce texte a eu pour objectifs de rechercher le compromis et la consécration des principes essentiels.

Un texte complet et parfait ne peut exister. Le socle est bâti et, graduellement, il conviendra de le compléter. C'est la démarche des politiques que d'avancer palier par palier. Il a donc été décidé que des protocoles(40) viendraient, au fil du temps, compléter la Convention. A cet égard, on peut rappeler le Protocole additionnel à la Convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine, portant interdiction du clonage d'êtres humains, Paris, le
12 janvier 1998(41) ; le Protocole additionnel à la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine relatif à la transplantation d'organes et de tissus d'origine humaine, Strasbourg, le 24 janvier 2002 ; le Protocole additionnel à la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine, relatif à la recherche biomédicale, Strasbourg, le 25 janvier 2005 ; le Protocole additionnel à la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine, relatif aux tests génétiques et à des fins médicales,Strasbourg, le 27 novembre 2008.

L’émergence d’un droit supranational de la bioéthique s’incarne dans la volonté commune des deux Europe, l’Union européenne et le Conseil de l’Europe, à mettre en place une législation harmonisée.

En matière de bioéthique(42), il n’existe pas de traités internationaux multilatéraux ayant un caractère ou une portée universels. Il y a seulement des déclarations, des proclamations ou des résolutions dont la nature est différente. La plus importante d’entre elles est sans doute la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme, adoptée par la Conférence générale de l’Unesco le 11 novembre 1997 et que l’Assemblée générale des Nations unies a fait sienne. Elle instaure en quelque sorte un droit universel de la bioéthique.

Dans sa continuité on peut citer la Déclaration sur les droits de l’homme et la bioéthique du 19 octobre 2005, qui n’est pas contraignante, contrairement à la Convention, mais n’en demeure pas moins un texte à forte valeur symbolique. Elle élargit en effet le champ de la bioéthique traditionnelle à celle de la biosphère.

L’article 1er de la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l'homme de l’Unesco du 19 octobre 2005 affirme que celle-ci a pour but de traiter des « questions d’éthique posées par la médecine, les sciences de la vie et les technologies qui leur sont associées, appliquées aux êtres humains, en tenant compte de leurs dimensions sociale, juridique et environnementale ». On passe à une nouvelle bioéthique, celle de la responsabilité sociale, qu’il s’agisse de santé ou d’environnement.

Cette Convention, à n’en pas douter, représente un pas important vers l'intégration européenne, car elle repose sur des valeurs éthiques communes. Elle irradie ces valeurs dans le monde entier. Dans cette continuité, on pourrait proposer un nouveau protocole sur la biosphère correspondant à l’actualité dans ce domaine.

Sensibiliser le secteur médical et celui de la recherche sur la portée et la valeur contraignante de ce texte est impératif. Pour ce faire, il conviendrait de créer des co-médiateurs compétents en santé éthique et en droit , ce qui permettrait de lier, de coordonner et de prendre le temps d’appréhender les aspects de l’éthique, des sciences et des droits de l’homme à chaque étape de la vie du patient.

L’APCE s’est honorée en impulsant ce texte puis en lançant efficacement le débat public aux termes de l’article 28(43) qui doit aboutir à la ratification en France de ce grand texte : « Si l’individu est concerné dans sa personne, il l’est aussi comme membre du corps social. En tant que tel, il doit avoir la parole dans le débat public », comme l’a indiqué Jean Michaud dans l’ouvrage La convention sur les droits de l’homme et la biomédecine(44). Je vous remercie d’ailleurs de m’avoir permis de m’exprimer aujourd’hui dans ce lieu prestigieux.

Il est de notre responsabilité de faire avancer le débat public et d’assurer la protection de la dignité de l’homme et de ses droits dans les applications de la biologie et de la médecine.

Toutes nos propositions visent à améliorer les conditions de vie et de santé et sont créatrices d’emplois car il s’agit d’un secteur économique en pleine effervescence dans une perspective universelle.

1 () La composition de cette Commission figure au verso de la présente page.

2 () C’est-à-dire un statut d’observateur actif au sein de l’APCE, sans droit de vote.

3 () Le Figaro du 15 novembre 2011.

4 () Winston Churchill, 19 septembre 1946, Zurich, Suisse.

5 () Il s’agit de la France, de l’Allemagne, de l’Italie et des pays du Benelux.

6 () A la suite de l’adhésion du Royaume-Uni, de l’Irlande et du Danemark (1973), puis de la Grèce (1981), de l’Espagne et du Portugal (1986).

7 () L’histoire du Conseil de l’Europe est retracée de manière détaillée dans mon Habilitation à diriger les recherches qui sera publié au printemps 2011 sous le titre Histoire du Conseil de l’Europe (1949-2009), Peter Lang, collection Euroclio, à Bruxelles. Ce livre contient également une bibliographie détaillée.

8 () Présidente de la commission ouverte droit de la santé et de la bioéthique de l’Ordre des avocats, membre du conseil scientifique de la SIBI, Société internationale de bioéthique, présidée par le professeur Marcello Palacios.

9 () Jean Michaud, doyen honoraire de la Cour de cassation, ancien président du Comité directeur de bioéthique (CDBI) du Conseil de l’Europe.

Je tiens à exprimer ma gratitude et mon affection à Monsieur Jean Michaud, ce grand humaniste qui a su allier sa vie durant, la théorie et la pratique de l’éthique dans l’écoute de l’autre. novembre 2009 « La convention sur les droits de l’homme et la biomédecine, Analyses et commentaires », sous la direction de Hector Gros Espiell, Jean Michaud, Gérard Teboul, coordinatrice éditoriale Laurence Azoux BacrieE, aux éditions ECONOMICA. Les modalités de son élaboration, page 11.

10 () Quotidien le Monde, dimanche 16 octobre 2011.

11 () Novembre 2009 : La convention sur les droits de l’homme et la biomédecine. Analyses et commentaires sous la direction de Hector Gros Espiell, Jean Michaud, Gérard Teboul, coordinatrice éditoriale Laurence Azoux Bacrie.

Je dédie ce texte en souvenir d’Hector Gros Espiell, ambassadeur d’Uruguay et membre du CIB, qui nous a quittés en 2010, citoyen du monde passionné à défendre les valeurs universelles.

12 ()Noelle Lenoir, Bertrand MAathieu, les Normes internationales de la bioéthique Puf, coll. « Que sais-je ».

13 () p. 14.

14 () Conférence à la faculté de médecine Descartes du 17 octobre 2011, Philippe Askenazy, économiste, directeur de recherche au CNRS, professeur associé à l’Ecole d’économie de Paris. «  La santé est-elle rentable ? »

15 () Jean Michaud, ouvrage page 44.

16 () Rapport explicatif : Mais dès ce préambule, il fallait prendre en compte la réalité des progrès de la médecine et de la biologie tout en marquant la nécessité de les utiliser au seul bénéfice des générations présentes et futures. Ce souci s'est affirmé sur trois plans :

– Le premier plan est celui de l'individu ;

– Deuxièmement, il s'agit de la société ;

– En troisième lieu et enfin, il s'agit de l'espèce.

17 () Jean Michaud, ouvrage page 44

18 ( Jean Michaud, infra page 19.

19 () Les recommandations parlementaires du Conseil de l’Europe s’adressent principalement au Conseil des ministres. Elles ont pour but d’inciter indirectement le gouvernement des Etats membres à réagir juridiquement dans leur ordre interne en suivant néanmoins les recommandations émises par le Conseil de l’Europe.

20 () Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, Session de 1995, dans sa sixième séance.

21 () Jean Michaud : La convention d’Oviedo – modalités de son élaboration. Voir ouvrage précité.

22 () Recommandation 1160 (1991) 1 relative à l'élaboration d'une convention de bioéthique.

L'Assemblée, qui est représentée depuis peu au CAHBI, encourage ces travaux qui doivent mener à l'élaboration d'une convention qu'elle considère comme le couronnement de plus de quinze ans d'activités intenses en la matière. Elle souhaite à l'heure actuelle donner un appui solennel au principe d'une convention et indiquer quelques orientations générales quant au contenu et au déroulement des travaux afin de coordonner les approches nationales éventuellement divergentes.

L'Assemblée recommande par conséquent au Comité des ministres :

i.  d'envisager une Convention-cadre contenant un texte principal avec des principes généraux et des protocoles additionnels sur des aspects spécifiques. La convention doit présenter une formule souple en ce qui concerne sa forme mais ne doit pas constituer le dénominateur commun le plus petit quant à son contenu. Elle doit inclure les aspects de droits de l'homme et tenir compte des travaux antérieurs du Conseil de l'Europe ;

ii d'inclure dans les protocoles de la convention les questions essentielles telles que les transplantations et les dons d'organe, la recherche médicale sur l'être humain, y compris l'utilisation des structures embryonnaires, la technologie génétique et les études sur le génome humain, l'utilisation des informations génétiques dans des domaines autres que médicaux, et la procréation artificielle humaine ;

III. d'autoriser et d'encourager le CAHBI à recourir à toute consultation qu'il jugera utile lors de l'élaboration de son projet, avec par exemple des représentants du tiers monde, des organisations scientifiques et, en particulier, les institutions communautaires, au même titre que les organisations internationales gouvernementales et non gouvernementales spécialisées ;

IV.  de soumettre le projet de convention à l'Assemblée pour un avis formel, avant son adoption finale.

23 () Le CDBI – composé de représentants des Etats parties spécialistes des questions biologiques, médicales ou encore éthiques et juridiques – est également chargé par l’article 32 de la Convention de proposer tout amendement du texte conventionnel qui pourrait s’avérer utile.

24 () Présidente de la commission ouverte droit de la santé et de la bioéthique de l’Ordre des avocats, membre du conseil scientifique de la SIBI, Société internationale de bioéthique, présidée par le professeur Marcello Palacios.

25 () http://www.coe.int/t/dg3/healthbioethic/texts_and_documents/INF_2008_7fvol-II.

26 () Rapport explicatif à la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine établi sous la responsabilité du secrétaire général du Conseil de l'Europe sur la base d'un projet élaboré, à la demande du Comité directeur pour la bioéthique (CDBI), par M. Jean Michaud (France).

Le Comité des ministres a autorisé sa publication le 17 décembre 1996.

Recommandation 1160 (1991) relative à l'élaboration d'une convention de bioéthique.

27 () Site du Conseil de l’Europe.

28 () http://www.conventions.coe.int/Treaty/fr/Summaries/Html/164.htm résumé du Traité.

29 () Site du Conseil de l’Europe.

30 () Jean Michaud, infra page 19.

31 () Voir le présent rapport explicatif à la Convention sur les Droits de l'Homme et la biomédecine établi sous la responsabilité du secrétaire général du Conseil de l'Europe sur la base d'un projet élaboré, à la demande du Comité directeur pour la bioéthique (CDBI), par M. Jean Michaud (France), président du CDBI. Il tient compte des discussions au sein du CDBI et de son Groupe de travail chargé de rédiger la Convention, ainsi que des remarques et propositions faites par les délégations.

32 () Gérard Teboul, page 23.

33 () Jean Michaud, infra page 19.

34 () Identités, citoyenneté et cohésion, organisé à Bucarest les 4-5 mai 2006 et de la conférence organisée les 14-15 décembre 2006 à Budapest sur le thème Identités culturelles, valeurs partagées et citoyenneté dans l’Europe d’aujourd’hui : aspects de l’Europe centrale et orientale.

35 () En juin 1991, reprenant le contenu d'un rapport présenté au nom de la commission de la science et de la technologie par le Dr Marcello Palacios (voir Document 6449), l'Assemblée parlementaire, dans sa Recommandation 1160, recommandait au Comité des ministres notamment "d'envisager une convention-cadre contenant un texte principal avec des principes généraux et des protocoles additionnels sur des aspects spécifiques".

36 () M. le professeur Palacios, rapporteur de la commission de la science et de la technologie.

37 () Rapporteur M. Schimmer, Autriche, jeudi 26 septembre I996. Session ordinaire APCE.

38 () Voir ouvrage page 137, article 7 « Protection des personnes souffrant d’un trouble mental ».

39 () Présidence de M. Bársony, vice-président de l'Assemblée, séance du 26 septembre I996.

40 () Les Protocoles à la Convention d’Oviedo :

a) Le protocole portant interdiction du clonage d’êtres humains : ouvert à la signature le 12 janvier 1998 et entré en vigueur le 1er mars 200, ce traité lie actuellement 15 Etats. La France l’a signé le 12 janvier 1998 et le processus de ratification a été initié cette année. C’est le seul texte juridique existant à ce jour sur le sujet du clonage d’êtres humains. Il interdit expressément en son article 1er « toute intervention ayant pour but de créer un être humain génétiquement identique à un autre être humain vivant ou mort ». Ce protocole ne vise que le clonage humain et ne restreint en aucun cas l’acceptabilité éthique du clonage des cellules et des tissus à des fins de recherche et pour l’application en médecine.

b) Le Protocole relatif à la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine : il a été ouvert à la signature des Etats le 24 janvier 2002 mais n’a pas encore reçu à ce jour le nombre suffisant de ratifications pour son entrée en vigueur. La France n’a pas encore signé ce protocole. Ce texte vise à appliquer tous les principes de la Convention sur la biomédecine à l’activité de transplantation. Il énonce tout d’abord des principes généraux relatifs à la transplantation (l’accès équitable des patients aux services de transplantation, la transparence dans l’attribution des organes et tissus, la définition de normes de sécurité, la non-rémunération des donneurs ainsi que l’information adéquate des receveurs, des professionnels de santé et du public), puis des dispositions spécifiques relatives aux prélèvements sur des personnes vivantes ou décédées, à l’utilisation des organes ou tissus prélevés, à l’interdiction du profit, à la confidentialité ainsi qu’aux sanctions et réparations.

c) Le protocole relatif à la recherche biomédicale a été ouvert à la signature le 25/01/2005 mais n’est pas encore entré en vigueur, faute d’un nombre suffisant de ratifications. La France ne l’a pas signé. Ce protocole vise à définir et sauvegarder les droits fondamentaux dans la recherche biomédicale, en particulier ceux des personnes se prêtant à une recherche : « Les Parties protègent l’être humain dans sa dignité et son identité, et garantissent à toute personne, sans discrimination, le respect de son intégrité et de ses autres droits et libertés fondamentales à l’égard de toute recherche dans le domaine de la biomédecine impliquant une intervention sur l’être humain » (article 1er). Le protocole aborde plusieurs thèmes (risques et bénéfices de la recherche, confidentialité et droit à l’information, ...) en suivant le principe fondamental du respect et de la recherche d’une consentement « libre, éclairé, exprès, spécifique et documenté de la personne se prêtant à la recherche ». Il insiste aussi sur l’examen indépendant et pluridisciplinaire de la recherche biomédicale en prévoyant la mise en place de comités d’éthique nationaux. Ce projet ne vise que le clonage humain ; il ne prend pas de position spécifique sur l’admissibilité du clonage des cellules et des tissus à des fins de recherche aboutissant à des applications médicales.

41 () « Considérant cependant que l'instrumentalisation de l'être humain par la création délibérée d'êtres humains génétiquement identiques est contraire à la dignité de l'homme et constitue un usage impropre de la biologie et de la médecine ;

Considérant également les grandes difficultés d'ordre médical, psychologique et social qu'une telle pratique biomédicale, employée délibérément, pourrait impliquer pour toutes les personnes concernées ;

Considérant l'objet de la Convention sur les Droits de l'Homme et la biomédecine, en particulier le principe énoncé à l'article 1 visant à protéger l'être humain dans sa dignité et son identité ;

Sont convenus de ce qui suit :

Article 1 1 Est interdite toute intervention ayant pour but de créer un être humain génétiquement identique à un autre être humain vivant ou mort.

2 Au sens du présent article, l'expression être humain«génétiquement identique» à un autre être humain signifie un être humain ayant en commun avec un autre l'ensemble des gènes nucléaires.

Article 2 Aucune dérogation n'est autorisée aux dispositions du présent Protocole au titre de l'article 26, paragraphe 1, de la Convention. »

42 () Hector Gros Espiell ouvrage sur la convention de biomédecine, analyses et commentaires, droit international de la Bioéthique et convention d’Oviedo, page 6.

43 () Il est ainsi stipulé à l’article 28 de la Convention d’Oviedo que les Etats signataires « veillent à ce que les questions fondamentales posées par les développements de la biologie et de la médecine fassent l’objet d’un débat public approprié à la lumière, en particulier, des implications médicales, sociales, économiques, éthiques et juridiques pertinentes, et que leurs possibles applications fassent l’objet de consultations appropriées ».

44 () Jean Michaud ouvrage, page 45.