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No 4011

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 novembre 2011.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES(1)

sur
les négociations du cycle de Doha et l’avenir de
l’Organisation mondiale du commerce
,

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Hervé GAYMARD et Mme Marietta KARAMANLI,

Députés

——

La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Michel Herbillon, Jérôme Lambert, Didier Quentin, Gérard Voisin vice-présidents ; M. Jacques Desallangre, Mme Marietta Karamanli, MM. Francis Vercamer secrétaires ; M. Alfred Almont, Mme Monique Boulestin, MM. Pierre Bourguignon, Yves Bur, Patrice Calméjane, Christophe Caresche, Philippe Cochet, Jean-Yves Cousin, Bernard Deflesselles, Lucien Degauchy, Michel Diefenbacher, Jean Dionis du Séjour, Marc Dolez, Daniel Fasquelle, Pierre Forgues, Mme Marie-Louise Fort, MM. Jean-Claude Fruteau, Jean Gaubert, Hervé Gaymard, Guy Geoffroy, Mmes Annick Girardin, Anne Grommerch, Pascale Gruny, Elisabeth Guigou, Danièle Hoffman-Rispal, MM. Régis Juanico, Robert Lecou, Michel Lefait, Lionnel Luca, Philippe Armand Martin, Jean-Claude Mignon, Pierre-Alain Muet, Jacques Myard, Michel Piron, Mmes Chantal Robin-Rodrigo, Valérie Rosso-Debord, Odile Saugues, MM. André Schneider, Philippe Tourtelier.

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 7

I. LE CYCLE DE DOHA : L’ENLISEMENT ET LA SITUATION D’ECHEC POSSIBLE DES NÉGOCIATIONS PESENT SUR LA CREDIBILITE DE L’ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE ET DU SYSTEME COMMERCIAL MULTILATERAL 13

A. 2001-2011 : UNE DÉCENNIE DE NÉGOCIATIONS POUR RIEN ? 14

1. Le programme de Doha pour le développement : un objectif de rupture avec les précédents cycles 14

a) Le « consensus de Genève » : lier commerce international et développement 14

b) Le changement de nature du régime commercial multilatéral 15

2. Les conférences ministérielles successives : des négociations bloquées sur un agenda réduit 17

a) Une mise en place compliquée et un échec de mauvais augure de la Conférence de Cancún en 2003 19

b) De Cancún à Hong Kong en 2005 : un agenda en contraction et une interprétation commerciale classique 21

c) La deuxième moitié de la décennie : des divergences de fond sur l’équilibre du cycle 22

B. UN ANTAGONISME INÉLUCTABLE : LES CAUSES FONDAMENTALES DES DIFFÉRENDS 27

1. Le cadre des négociations : le consensus et l’engagement unique face aux nouveaux équilibres géopolitiques et économiques 27

2. La question de l’articulation entre la libéralisation des échanges et le développement 30

3. La faiblesse des gains escomptés et leur inégale répartition 31

4. Les réticences des Etats à l’égard de la régulation multilatérale 34

5. Un agenda de négociation vieilli et cristallisé sur des points durs de négociation 35

II. FACE A L’IMPASSE DU CYCLE DE DOHA, RECONSTRUIRE LA NÉGOCIATION COMMERCIALE MULTILATERALE 39

A. LES RISQUES D’UN AFFAISSEMENT DU SYSTÈME COMMERCIAL MULTILATÉRAL 39

1. Le contournement de la règle multilatérale par les accords de commerce bilatéraux et régionaux 40

a) Des accords commerciaux de plus en plus nombreux et diversifiés 40

b) Limites et risques du bilatéralisme 42

2. Le cadre multilatéral de l’OMC doit viser à la régulation des échanges plus qu’à leur libéralisation 43

a) Actualiser la règle de droit 44

b) Canaliser les tentations protectionnistes 52

B. AU-DELÀ DE L’AGENDA DE DOHA, PAVER LE CHEMIN DU MULTILATÉRALISME 53

1. Doha, fin de partie ? 55

a) Le cycle de Doha ne sera conclu ni en 2011, ni à une échéance proche 55

b) Quelles perspectives pour conclure en décembre un accord suffisamment équilibré pour donner un sens à l’après 2011 et préserver la crédibilité de l’OMC? 58

2. Rénover le cadre multilatéral et la gouvernance de l’OMC sur la base des principes de réciprocité et d’équité 60

a) Revoir le processus de négociation de l’OMC 60

(1) Abandonner la négociation par cycle 60

(2) Forger le consensus 61

(3) Utiliser les approches plurilatérales, de masse critique et les flexibilités 63

b) Rendre le multilatéralisme praticable 64

(1) Assurer la cohérence face à la multiplication des accords de commerce 64

(2) Veiller à la transparence des politiques commerciales et au respect des disciplines 65

(3) Perfectionner le mode de fonctionnement de l’Organe de règlement des différends 67

c) Définir un nouveau paradigme pour le Traitement spécial et différencié et traiter de la question de la différenciation entre pays en développement 68

d) Réciprocité et équité dans les relations commerciales internationales 73

3. Faire évoluer le périmètre et les objectifs de l’OMC 75

a) Prendre acte de l’interférence accrue entre enjeux commerciaux et préoccupations non commerciales 76

b) Ouvrir l’agenda multilatéral à de nouveaux sujets 78

(1) La question agricole et les enjeux de sécurité alimentaire 78

(2) Les taux de change et le protectionnisme monétaire 81

(3) Les enjeux environnementaux et sociaux 82

TRAVAUX DE LA COMMISSION 91

PROPOSITION DE RESOLUTION EUROPEENNE 95

ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 99

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

2001-2011 : après dix ans de négociations, l’agenda de Doha est aujourd’hui à un point de rupture et est certainement arrivé à la fin du cycle des négociations qu’il désignait. Alors que la conclusion du cycle a toujours été – même formellement – présentée comme un objectif, le G20 de novembre dernier constate qu’ « il est clair que nous ne conclurons pas le programme de Doha pour le développement si nous continuons à conduire les négociations comme par le passé ». Pour autant, aucun Etat ne voudra prendre la responsabilité de prononcer l’acte de décès du cycle du « consensus de Genève » (2) en faveur du développement.

Engagée dans le sillage du 11 septembre 2001, la Conférence de Doha de novembre 2001 fut la première grande conférence internationale après les attentats, la conférence de l’automne du Fonds monétaire international ayant été annulée. Le programme de Doha pour le développement (PDD) a été élaboré dans un contexte à la fois d’espoir, d’inquiétude et de précipitation. Dans la mesure où les Etats-Unis n’ont jamais complètement adhéré à l’idée d’un cycle du développement qui réduirait les asymétries entre le Nord et le Sud, le cycle de Doha n’était- il pas mort né?

De fait, le calendrier a dérapé dès la fixation du champ des négociations. La conférence de Cancùn en 2003 a révélé une profonde césure dans la démarche multilatérale, ouvrant la voie à la conclusion d’accords bilatéraux. La séquence entre Cancùn et la conférence de Hong Kong en 2005 a été marquée par la contraction de l’agenda de Doha. Par la suite, après une phase de latence entre 2006 et 2007, la conférence de Genève de juillet 2008 a buté, au dernier moment, sur une opposition entre les Etats-Unis et l’Inde sur les modalités de déclenchement d’une clause de sauvegarde agricole. Tous les protagonistes trouvèrent intérêt à s’abriter derrière ce point technique pour tenter de masquer – à peine – leur contribution à l’échec. En réalité, le consensus était soit fragile, soit conditionnel, et sur certains sujets, loin d’être atteint. La fin de l’année 2011 – dernière fenêtre de tir pour conclure un accord avant des échéances cruciales (élections américaines et changement de direction politique en Chine) – est un moment de vérité pour Doha. Selon Pascal Lamy, directeur général de l’OMC, 80 % du chemin des négociations a été parcouru en juillet 2008. Une relance des négociations a été engagée en 2010 après l’impulsion politique donnée par le G20 de novembre 2010 à Séoul, sur le « paquet » de 2008. La clé de la négociation est aujourd’hui la relation entre la Chine et les Etats-Unis. Or ces derniers estiment que cette base de négociation ne correspond plus à l’équilibre économique mondial et exigent des concessions de la Chine et des pays émergents à la mesure de leur poids dans le commerce international. Les pays émergents n’ont, quant à eux, pas de vision partagée de l’effort qu’ils sont prêts à mettre dans la balance des négociations. Même si le principe d’incertitude guide toute négociation, en l’absence d’éléments catalyseurs, les chances d’un accord, même limité à des engagements pour les pays les moins avancés (PMA) sont réduites, surtout qu’en septembre 2011, la position des Etats-Unis s’est nettement durcie : ils sont « sortis du bois » en déclarant que mieux valait pas d’accord qu’un mauvais accord. Sans doute, estiment-ils que le jeu de la libéralisation des échanges n’en vaut plus la chandelle dans la mesure où ce ne serait pas eux qui retireraient les gains les plus significatifs de la conclusion d’un accord(3). Pour contrer le dumping chinois, ils viennent d’ailleurs de relancer le partenariat transpacifique(4).

La paralysie du cycle de Doha est à mettre en perspective avec l’incertitude qui pèse sur l’ensemble des démarches multilatérales, comme le montrent les difficultés des négociations sur un engagement contraignant sur le climat. L’activation du G20 s’est voulue une réponse à cette crise de gouvernance.

Certes, la règle du consensus et le principe de l’engagement unique (« rien n’est réglé tant que tout n’est pas réglé ») ont donné prise aux stratégies de paralysie. Mais les causes de celle-ci ne tiennent pas à ces procédures que les Etats membres considèrent d’ailleurs comme un bien commun. La multipolarisation de l’économie mondiale – caractérisée par le déclin relatif des Etats-Unis et l’émergence de nouveaux pôles de puissance – rend la décision plus complexe que lorsqu’elle dépendait du compromis transatlantique au sein de la quadrilatérale(5) durant le cycle d’Uruguay où les tensions avaient déjà été très fortes. Ensuite, alors que le développement est toujours inscrit au fronton des négociations, l’agenda de Doha a été limité pour n’être plus qu’une négociation commerciale classique. La plupart des questions liées au développement, comme le traitement spécial et différencié, ont été laissées sur le bord du chemin. En se focalisant principalement sur l’accès aux marchés agricoles et industriels, l’aboutissement du cycle est de fait conditionné à un accord entre économies exportatrices et l’espace de compromis s’en est trouvé réduit. Par ailleurs, la faiblesse des gains escomptés et leur inégale répartition ont fortement limité l’incitation à conclure, d’autant que les Etats craignent que la régulation multilatérale qui va maintenant au-delà des seuls tarifs douaniers, porte atteinte à leur souveraineté réglementaire.

En dix ans, de nouveaux équilibres géopolitiques et économiques se sont mis en place. 2001 a été un moment de bascule, marqué symboliquement par l’entrée de la Chine dans l’OMC, ce pays ayant depuis lors accru ses échanges commerciaux de 20 % par an. La Russie accédera à l’OMC en 2012. Le principe de la libéralisation des échanges sur lequel est fondé l’OMC était alors favorable aux pays développés, tandis que les plus grands défenseurs en sont maintenant les pays émergents pour leurs exportations. La dynamique de mondialisation leur bénéficie de plus en plus et la détérioration de l’économie mondiale à partir de 2007 a fortement avivé les tensions.

Au cours de ces dix années, le monde a glissé de problématiques de fin du vingtième siècle à des préoccupations à la fois anciennes (comme les difficultés alimentaires persistantes de certains pays) et nouvelles du vingt et unième siècle. Les enjeux commerciaux interfèrent de plus en plus avec les défis sociaux, environnementaux, monétaires, d’approvisionnement en matière de matières premières et de souveraineté alimentaire. Or l’écart est manifeste avec l’agenda de Doha. Ainsi en matière agricole, le paradigme qui sous tend les négociations est décalé : la question n’est plus de traiter des excédents et de la déflation des prix mais de répondre à l’extrême volatilité des cours et aux enjeux de sécurité alimentaire.

Dans la mesure où l’état des négociations rend peu plausible à court terme la conclusion d’un accord, le risque est grand de voir l’amertume et le ressentiment laissés par certains différends épineux devant l’Organe de règlement des différends remplir le vide laissé par cet échec. Dans ces conditions, se pose la question de la voie de sortie pour éviter d’affaiblir durablement l’OMC et le multilatéralisme dans son ensemble. Cette institution ne peut hiberner et se contenter d’être une police d’assurance minimale pour ses Etats membres, à travers ses mécanismes d’examen des politiques commerciales et de règlement des différends.

Il y a certainement, à moyen et long terme, un avantage systémique à renforcer l’OMC dans son rôle d’institution centrale chargée de relever les défis de la gouvernance économique mondiale – environnementaux, sociaux, monétaires, de sécurité alimentaire – aux côtés d’autres institutions. Sa spécificité institutionnelle (un système de règles et de procédures encadrés par un mécanisme de règlement des différends) et sectorielle (le commerce se situe au carrefour des sujets essentiels de gouvernance) lui donne le surplomb nécessaire.

La question de l’agenda ne se pose pas vraiment dans la mesure où il n’y a pas d’alternative, sauf à en renégocier un autre. On ne peut pas renoncer aux objectifs en faveur du développement. Compte tenu de l’importance du cycle pour les pays en développement, et plus particulièrement les pays les moins avancés, l’ensemble des pays du G20 devrait s’engager à leur accorder un accès préférentiel aux marchés, sur le modèle européen du régime « Tout sauf les armes ». Les discussions sur le traitement spécial et différencié devraient également être l’occasion de mener une réflexion sur la différenciation entre pays en développement, une façon- peut-être- d’emporter l’adhésion des Etats-Unis. Un rééquilibrage de l’agenda de Doha implique des concessions des pays émergents correspondant à leur niveau de développement et de compétitivité.

Plus que la libéralisation des échanges sur laquelle ont buté et échoué les négociations de Doha, l’enjeu pour le système multilatéral est la régulation et l’actualisation de la règle de droit. L’OMC doit contribuer à la sécurité juridique et la prévisibilité du cadre commercial en régulant les comportements négatifs (protectionnisme déguisé, dumping monétaire par les taux de change, restrictions aux exportations de matières premières stratégiques).

Une nouvelle grammaire devra donc établir un équilibre entre l’établissement des règles, la libéralisation des échanges et les fonctions juridictionnelles de l’OMC, ce qui implique de se libérer de l’entrave de Doha pour inclure une réflexion plus systémique sur les moyens d’adapter l’OMC aux besoins du vingt et unième siècle.

Il est aujourd’hui évident que la négociation par cycle trop visible, aux enjeux trop lourds et cristallisant trop d’oppositions a vécu. Il faut préférer un processus de négociation plus régulier à l’idée d’un grand final. C’était d’ailleurs tout l’objet de la création de l’OMC en tant qu’institution de consolidation et de renforcement des règles multilatérales. Cela implique d’abord d’engager une réflexion sur le moyen de forger les moyens de forger le consensus, ensuite de revoir l’approche de l’engagement unique selon lequel on s’efforce de combiner des éléments disparates en un seul paquet qui exige l’adhésion à de tous à des disciplines contraignantes, accords plurilatéraux et accords de masse critique pourraient constituer une alternative.

La commission des affaires européennes a toujours porté une attention vigilante au suivi des négociations commerciales internationales, en raison des répercussions sur les politiques nationales. A l’occasion des auditions qu’ils ont menées, les rapporteurs ont perçu à la fois un désenchantement et le sentiment de l’urgence d’apporter une réponse pertinente et coordonnée aux déséquilibres mondiaux.

L’Union européenne a, dans les négociations multilatérales, toujours été un partenaire attentif, anticipant par exemple les résultats du cycle par les réformes successives de la Politique agricole commune. L’enlisement du calendrier de Doha l’a amenée à promouvoir, particulièrement depuis 2006, une politique commerciale bilatérale mais la conclusion des négociations multilatérales a toujours été une priorité. Si le multilatéralisme s’affaisse durablement, l’Union européenne devra mener une politique plus offensive, englobant des préoccupations nouvelles, par exemple à l’occasion de la réforme du système de préférences généralisées (SPG) qui expire en 2012. Cela s’inscrira dans un contexte institutionnel renouvelé, le Traité de Lisbonne ayant donné au Parlement européen une compétence d’approbation des traités commerciaux(6) : se rapprochera-t-on d’un système à l’américaine où l’exécutif négociateur peut abriter ses positions derrière la nécessaire ratification du Parlement ?

I. LE CYCLE DE DOHA : L’ENLISEMENT ET LA SITUATION D’ECHEC POSSIBLE DES NÉGOCIATIONS PESENT SUR LA CREDIBILITE DE L’ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE ET DU SYSTEME COMMERCIAL MULTILATERAL

Si l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est née en 1995, le multilatéralisme commercial sur lequel elle repose a plus d’un demi-siècle. En 1947, les politiques commerciales du « chacun pour soi » des années 30 ayant été considérées comme responsables de la crise et donc de la guerre, il avait été décidé de renforcer le multilatéralisme, ce qui à l’époque signifiait réduire tous les obstacles au commerce afin de stimuler les échanges. La Charte de La Havane de 1948 prévoyait la création de l’Organisation internationale du commerce (OIC) qui devait, avec le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, constituer le troisième pilier de ce nouvel ordre économique. Faute de ratification – prémonitoire – par les Etats-Unis, l’OIC n’a jamais vu le jour.

Alors que le GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) a été adopté sur une base provisoire, huit cycles de négociations ont été menés sous son égide. Tous ont abouti à un accord, même si la durée de négociation a suivi une courbe croissante, témoin que les négociations furent souvent douloureuses. Le dernier cycle, celui d’Uruguay, avait ainsi eu un fort coût politique. En France notamment, les résultats en avaient été largement débattus(7).

Les cycles de négociations commerciales multilatérales

Cycle ou round

Années

Durée

Etats

Résultats

Genève

1947

‹1 an

23

Réduction des droits de douane industriels

Annecy

1949

1 an

13

Réduction des droits de douane industriels

Torquay

1951

1 an

38

Réduction des droits de douane industriels

Genève

1956

1 an

26

Réduction des droits de douane industriels

Dillon

1960-1961

2 ans

26

Réduction des droits de douane industriels

Kennedy

1964-1967

4 ans

62

Réduction des droits de douane industriels et mesures antidumping

Tokyo

1973-1979

7 ans

102

Réduction des droits de douane industriels, mesures non tarifaires et « accords-cadres » dans les domaines des subventions, des obstacles techniques, des marchés publics et de l’aéronautique civile

Uruguay

1986-1994

9 ans

123

Réduction des droits de douane industriels, mesures non tarifaires, agriculture, textile, services, propriété intellectuelle, règles, règlements des différends, création de l’OMC

Doha

2001- ???

 

153

 

A. 2001-2011 : une décennie de négociations pour rien ?

Il était initialement prévu que le cycle de Doha lancé en 2001 se termine en 2005, pour le dixième anniversaire de la création de l’OMC. La mi-décennie marquera en fait le début de l’enlisement. La déclaration du G20 de novembre 2011 prend acte, à mots codés, de l’impossibilité de conclure le cycle dans les conditions actuelles de négociations.

1. Le programme de Doha pour le développement : un objectif de rupture avec les précédents cycles

Le cycle d’Uruguay, huitième négociation achevée par les accords de Marrakech de 1994, a marqué un saut important dans le renforcement institutionnel du GATT : la création en 1995 de l’Organisation mondiale du commerce qui accédait au statut d’organisation internationale. En passant d’un accord – le GATT – à une organisation structurée – l’OMC –, il aurait été possible de rompre avec la logique des rounds pour négocier par cycles assez courts ou de façon séquentielle.

Le choix de négociations séquentielles a été toutefois été écarté au profit d’un cycle global. Plusieurs raisons expliquent cette option.

Des négociations sous forme de cycle ouvrent la possibilité de contrebalancer des concessions sur un sujet par des acquis sur d’autres enjeux de la négociation. Ainsi, l’Union européenne a craint de s’engager sur les seules questions agricoles et de ne pas recueillir des contreparties sur des thèmes qu’elle considère comme offensifs, comme les services.

Par ailleurs, il s’agissait de répondre à la crise de légitimité de l’OMC, à la suite de l’échec de la Conférence de Seattle en septembre 1999, échec, qui avec le recul, peut apparaître comme le prologue de l’enlisement des négociations de Doha. Lors de la Conférence de Seattle, les pays en développement avaient exprimé leur « préoccupation de ne pas recueillir les fruits du système multilatéral »(8), considérant que le système de Bretton Woods avait jusque-là fonctionné presque exclusivement au bénéfice des pays développés.

a)  Le « consensus de Genève » : lier commerce international et développement

Elaborée après les attentats du 11 septembre 2001 et sous-tendue par l’idée que le commerce pouvait se mettre au service de la paix, la Déclaration de Doha reprenait la préoccupation des pays en développement : ne pas se situer dans la continuité du cycle d’Uruguay.

A cet effet, elle établit un agenda ambitieux de vingt et un sujets composant le « programme de Doha pour le développement » (PDD), dépassant les enjeux classiques et limités des négociations dans le cadre du GATT dont l’objet était essentiellement de réduire les droits de douane. Dans le cadre du PDD, il s’agissait de promouvoir le commerce dans la lutte contre la pauvreté et la marginalisation de certains pays afin de trouver une réponse à la mondialisation excluante des années quatre vingt et quatre vingt dix.

En lançant le PDD, les Etats membres s’engageaient à traiter les déséquilibres et l’asymétrie dont souffraient les économies du Sud, signifiant ainsi que la libéralisation n’était pas la finalité ultime de la négociation. Cette logique était celle du consensus de Genève défini ainsi par Pascal Lamy, directeur général de l’OMC : « l’ouverture des échanges sur la base du principe de réciprocité, non-discrimination et de règles acceptées par tous n’est pas profitable à tous, sous toutes les latitudes et toutes les longitudes. Faute de réunir un certain nombre d’éléments, l’ouverture peut se traduire par des coûts supérieurs aux bénéfices. Le consensus de Genève se définit par opposition au « consensus de Washington »(9), selon lequel il suffit de libéraliser pour que les effets bénéfiques s’ensuivent ».

Les sujets concernant les produits agricoles, les produits industriels (NAMA), les services (AGCS) et les droits de propriété intellectuelle touchant au commerce (ADPIC) constituent le cœur de la négociation. Mais dans le cadre du programme de Doha, ils devaient être abordés dans une logique faisant une place particulière aux préoccupations des pays en développement (PED), certains thèmes leur étant spécifiquement dédiés comme le traitement spécial et différencié (TSD), la mise en œuvre, c’est-à-dire les adaptations à prévoir en faveur des PED pour accompagner leur participation au système commercial multilatéral, l’assistance technique, l’accès aux médicaments dans le cadre de l’ADPIC, les pays les moins avancés, les produits de base, les petites économies vulnérables, les transferts de technologie, la dette et les finances.

Le cycle devait être mené de façon à s’articuler avec les objectifs du millénaire pour le développement (OMD), définis dans le cadre de l’ONU en septembre 2000 et dont le huitième, « Mettre en place un partenariat mondial pour le développement » concerne plus spécifiquement le commerce et le PDD.

b) Le changement de nature du régime commercial multilatéral

Sur le fond, les négociations antérieures avaient donné la priorité à la baisse des protections tarifaires ; au fur et à mesure que celles-ci diminuaient, d’autres questions se posaient, faisant entrer le système multilatéral dans une nouvelle phase.

Les négociations ne portent plus seulement sur les mesures de protection aux frontières mais concernent des mesures « au-delà des frontières » qui concernent des dispositifs réglementaires et institutionnels : subventions, propriété intellectuelle, services, marchés publics, barrières qualitatives au commerce. En introduisant ainsi des normes (ADPIC, AGCS, mesures phytosanitaires…), l’agenda de Doha substitue à une régulation négative (ce que les gouvernements ne peuvent faire) qui était celle des accords d’Uruguay, une régulation positive (incitation à faire)(10). La création de l’Organe de règlement des différends (ORD) chargé d’assurer le respect des règles a été le corollaire de ce changement de nature dans la régulation multilatérale.

Cette évolution contenait en germe toutes les difficultés à conclure le cycle dans la mesure où ces questions, d’une part, mettaient en cause les systèmes souverains de régulation et, d’autre part, influaient sur la compétitivité des économies. De fait, cette ambition initiale du cycle a été très rapidement atténuée et le cycle de Doha s’est trouvé réduit à une négociation commerciale classique.

FONCIONNEMENT DE L’OMC ET CADRE GENERAL DES NEGOCIATIONS DU CYCLE DE DOHA

I. Fonctionnement de l’OMC

L’OMC est une organisation dirigée par ses membres (« member driven ») : ses règles résultent de négociations ratifiées par les Etats membres et les décisions sont prises par consensus.

Les principaux accords de l’OMC : GATT (accord général sur les droits de douane et le commerce, l’AGCS (accord général sur le commerce et les services), l’ADPIC ou TRIPS (aspects des droits de propriété intellectuelle touchant au commerce), le SPS (accord relatif aux mesures sanitaires et phytosanitaires) et les OTC (obstacles au commerce).

Les protections conditionnelles : droits antidumping (en cas de préjudice pour l’industrie nationale), protection de l’équilibre de la balance des paiements (article XII), clauses de sauvegarde, exceptions générales (morales, éthiques).

La procédure de règlement des différends : les groupes spéciaux ou l’organe d’appel apprécient le respect des engagements des Etats. L’Organe de règlement des différends peut imposer la mise en conformité. La procédure est quasiment automatique (décision par consensus négatif). Depuis 1995, on assiste à une explosion des plaintes et la condamnation fréquente des grands pays industriels (Union européenne, Etats-Unis).



II. Les négociations multilatérales 
: principes, alliances et périmètre

- Les principes 
: consensus, engagement unique et principe de réciprocité (équilibre entre les offres et les demandes d’ouverture).

- Les alliances : la quadrilatérale (Union Européenne, USA, Canada, Japon) ; la nouvelle Quad (Australie, Brésil, Etats-Unis, Inde, Japon et Union européenne), le G90 (pays les moins avancés et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique), le groupe de Cairns(
11) et le G20(12).

- Le champ des négociations :

Agriculture
 : diminuer les aides intérieures et réduire toutes les formes de subventions aux exportations.

Services
 : poursuivre la libéralisation de toutes les catégories de services.

Produits industriels
 : abaisser les droits de douane, y compris les crêtes tarifaires ainsi que les obstacles non tarifaires en particulier sur les exportations des pays en développement.

Mesures antidumping et subventions
 : clarifier et améliorer les disciplines.

Accords commerciaux régionaux
 : améliorer les disciplines et procédures prévues dans le cadre de l’OMC.

ADPIC
 : créer un système multilatéral de notification et d’enregistrement des indications pour les vins et spiritueux et protéger les indications géographiques d’autres produits.

Règlement des différends
 : assurer une meilleure exécution des décisions de l’Organe de règlement des différends et une participation plus active des pays en développement.

Environnement 
: négociations limitées aux liens entre les règles de l’OMC et les obligations commerciales spécifiques énoncées dans les accords multilatéraux sur l’environnement ainsi qu’à l’abaissement ou la levée des obstacles aux échanges de biens et services environnementaux.

Les sujets de Singapour
 : investissements, concurrence, transparence dans les marchés publics et facilitation du commerce. Seul ce dernier est conservé dans l’agenda.

2. Les conférences ministérielles successives : des négociations bloquées sur un agenda réduit

Les difficultés ont commencé dès la fixation du champ des négociations, les Etats membres s’étant rapidement rendu compte des implications de l’orientation du cycle vers le développement et des conséquences du changement de nature de la régulation multilatérale.

Lors de la séquence de négociations allant de Cancún à Hong Kong, les thèmes de négociations ont été sensiblement réduits, sans toutefois que cela apparaisse comme un renoncement au thème du développement. En recentrant le cycle sur des thématiques d’accès aux marchés – agricoles et industriels –, les Etats membres enlevaient de la substance au cycle(13).


MISE EN PERSPECTIVE CHRONOLOGIQUE DU CYCLE DE DOHA

- 2001 : Accession de la Chine, accord entre les pays industrialisés et les pays du Sud sur le droit de vendre des médicaments génériques, lancement de l’agenda de Doha pour le développement.

- Septembre 2003 : Echec de la conférence de Cancún. Opposition Nord-Sud sur les sujets de Singapour, opposition des pays industrialisés (Etats-Unis) et les pays africains sur le dossier du coton, opposition dans le dossier agricole entre le groupe des vingt (G20), mené par le Brésil et les Etats-Unis et l’Union européenne.

- 2004 : reprise des négociations à Genève. Adoption du paquet redéfinissant le périmètre de l’agenda de Doha, abandon des questions de Singapour relatives à l’investissement, la concurrence et les marchés publics, recul de la dimension « développement » de l’agenda.

- 2005 : conférence de Hong Kong. Adoption du paquet développement à destination des PMA, accord de principe sur l’élimination des subventions aux exportations agricoles en 2013, accord sur la formule de réduction tarifaire dans l’accès au marché des produits industriels.

- 2006 : suspension des négociations. Echec d’une mini ministérielle entre l’Australie, le Brésil, le Japon, l’Inde, les Etats-Unis et l’Union européenne et suspension des négociations par le directeur général de l’OMC depuis 2005, Pascal Lamy.

- 2007 : devant l’absence d’avancées notables, la conférence ministérielle de 2007 est annulée et en juillet, les négociateurs pour l’agriculture et les produits industriels proposent deux avant projets d’accord.

- Conférence de Genève (juillet 2008) : Accord sur les produits agricoles (réduction des soutiens internes les plus distorsifs par ordre décroissant, baisse des droits de douane et élimination des subventions à l’exportation) mais opposition sur le mécanisme de sauvegarde entre l’Inde et les Etats-Unis. Peu d’avancées notables sur les autres dossiers.

- 2009 et 2010 : reprise des négociations et impulsion politique donnée par le G20 de Séoul en novembre 2010.

- 2011 : la conférence ministérielle de décembre est la dernière occasion de conclure le cycle avant les échéances électorales américaines et le changement de direction chinoise. Début janvier, Pascal Lamy estimait à environ 60 % les chances de conclusion du cycle en 2011. Compte tenu de l’opposition entre les Etats-Unis et la Chine, ces chances se sont réduites. Seule la perspective d’un accord limité semble d’actualité.

-2012 : entrée de la Russie à l’OMC ; élections américaines et changement de direction en Chine.

a) Une mise en place compliquée et un échec de mauvais augure de la Conférence de Cancún en 2003

Alors que cycle de Doha aurait dû se trouver à mi-parcours, la cinquième conférence ministérielle de Cancún, en septembre 2003, n’avait pour objet que de poser les bases de la future négociation. Quatre ans après celui de la Conférence de Seattle, elle fut un échec (14).

Dans la logique des négociations menées dans le cadre du GATT et reflétant le rapport des forces économiques et politiques, l’organisation des débats au sein de l’OMC a dans un premier temps été structurée autour de la quadrilatérale formée par les Etats-Unis, l’Union européenne, le Japon et le Canada.

Or, lors de la Conférence de Cancún, les pays émergents se sont regroupés et manifestés comme tels au sein du G20(15) mené par le Brésil, la Chine et l’Inde et ont fait des contre-propositions très fortes sur l’agriculture qui constituait un des sujets les plus sensibles de l’agenda de Doha. Ce groupe, et notamment le Brésil, parlait au nom de l’ensemble des pays en développement, mais l’on voyait nettement apparaître que les positions au sein de ce groupe n’étaient pas homogènes. Le Brésil demandait ainsi la libéralisation des marchés agricoles par suppression des droits de douane et quotas.

L’échec de la Conférence de Cancún est essentiellement dû au clivage Nord-Sud, qui s’est manifesté sur quatre dossiers emblématiques :

le G20 a déposé une proposition demandant aux pays développés de réduire substantiellement leurs subventions agricoles et d’éliminer toute forme d’aides à l’exportation. Les concessions des pays du Nord ont été considérées comme insuffisantes pour aboutir à une déclaration finale ;

- le dossier du coton a été un point de tension symbolique fort. Les pays du C4 (Bénin, Burkina Faso, Mali et Tchad) ont présenté une initiative visant à l’élimination des subventions des pays du Nord, en particulier celle des Etats-Unis, qui a été rejetée, ce qui a provoqué l’opposition très ferme des pays les moins avancés (PMA) et des pays ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique) ;

- l’élargissement du cycle aux sujets dits « de Singapour « (investissements, concurrence, marchés publics, facilitation des échanges) qui étaient ressentis comme des sujets « Nord » par les pays en développement, a été écarté ;

- la difficulté de négocier un statut spécifique pour l’ensemble des pays en développement, le traitement spécial et différencié (TSD), a buté sur la diversité des niveaux de développement qui rend difficile la mise en œuvre uniforme d’un tel régime ; si les pays du Nord étaient prêts à l’accorder aux PMA, ils étaient, en revanche, opposés à le faire à l’égard des pays à forts potentiels d’exportation.

Si, dans l’ébauche du texte d’accord de Cancún, était exprimée la volonté de continuer dans la voie de Doha, priorité étant donnée au développement, cette option ne sera pas suivie et le dossier du TSD sera retiré en 2004 de la liste des dossiers prioritaires pour la finalisation du cycle.

DES QUESTIONS EN SUSPENS : LES SUJETS DE SINGAPOUR

Les sujets de Singapour pose la question du champ de compétence de l’OMC. L’Union européenne ayant pesé en faveur de l’inclusion en 1996 de sujets nouveaux dans les négociations du cycle à venir, la déclaration ministérielle de Singapour en 1996 a mandaté l’établissement de groupes de travail pour analyser des questions relatives aux investissements, à la politique de la concurrence, à la transparence des marchés publics ainsi que sur la facilitation des échanges.

Les pays en développement ont rejeté fermement l’ouverture de négociations sur de nouvelles questions alors que certains des accords les plus anciens du GATT, puis de l’OMC, restaient encore à ajuster ou simplement à mettre en œuvre ; les questions de Singapour étaient perçues comme des négociations dont les pays développés tireraient profit à leur détriment. L’Union européenne est parvenue à assurer une possibilité de négociation sur ces questions en échange d’un mandat plus fort pour les négociations portant sur les questions agricoles. En novembre 2001, la Déclaration de Doha fait bien mention de ces quatre sujets de négociations mais stipule que ces dernières ne commenceront qu’à l’issue de la Conférence ministérielle de Cancún sur la base d’une décision prise, par consensus explicite, sur les modalités des négociations.

La préparation des négociations amenées à se tenir à Cancún a ainsi laissé apparaître quatre principaux points de désaccord :

- la portée des règles amenées à découler des négociations, les pays en développement souhaitant leur donner une portée plus réduite que les pays développés ;

- Le faible intérêt à mettre en place de telles mesures rapporté aux contraintes qu’elles engendreraient en termes de fardeaux administratifs a également été mis en avant par les pays en développement. Les pays en développement ont contesté le besoin à établir des règles à caractère exécutoire : des politiques nationales et régionales, avec des réglementations spécifiques à certains domaines, leur semblaient plus adaptées pour aborder les besoins en termes de développement ;

- Les pays en développement ont enfin contesté la pertinence à aborder ces questions dans le cadre de l’OMC en raison de l’asymétrie de pouvoir entre ses différents membres.

- Parmi les pays demandeurs, des clivages sont également apparus quant à leurs priorités. L’Union européenne s’est trouvée isolée sur sa volonté d’ouvrir des négociations sur les questions relatives à la politique de la concurrence, les Etats-Unis se focalisant plus particulièrement sur le sujet de la facilitation des échanges.


Lors de la Conférence ministérielle de Cancún en septembre 2003, les clivages persistants sur les sujets clés que constituaient l’agriculture, l’accès aux marchés non agricoles (ANMA) et les questions de Singapour ont focalisé l’essentiel de l’attention des négociateurs. La Conférence s’est achevée sans accord permettant l’ouverture des négociations sur les questions de Singapour. Des négociations formelles et informelles ont toutefois continué au lendemain de l’échec de la Conférence de Cancún. L’Union européenne a notamment proposé d’étudier les questions de Singapour en dehors du Cycle de Doha dans une configuration plurilatérale afin de dépasser les réticences des pays en développement à mettre en place des disciplines multilatérales.

Au mois de décembre 2003, un groupe de pays en développement comprenant la Chine et l’Inde a proposé de retirer trois des quatre questions de Singapour (investissement, politique de la concurrence et marchés publics) des négociations. Cette position s’est maintenue lors de consultations informelles en avril 2004 au cours desquelles un groupe de pays en développement a accepté que soient ouvertes des négociations sur la facilitation des échanges dans la mesure où des avancées seraient réalisées dans les négociations relatives à l’agriculture.

Le 1er août 2004, afin de sortir de l’impasse de Cancún, les membres ont convenu d’exclure trois des quatre questions de Singapour des négociations et d’en engager sur la question de la facilitation des échanges (« Résultats de juillet 2004 »).

b) De Cancún à Hong Kong en 2005 : un agenda en contraction et une interprétation commerciale classique

L’échec de la Conférence de Cancún a, de fait, ouvert la voie aux accords bilatéraux.

Cependant, les membres de l’OMC ont intensifié les négociations afin de remettre l’agenda de Doha sur les rails. L’accord-cadre de 2004, au prétexte ou motif de dénouer les oppositions, a recentré le cycle sur des thématiques essentiellement d’accès aux marchés agricoles et industriels. Même le volet développement porte la marque de la primauté de cette vision commercialiste du cycle de Doha : alors que l’idée de départ était de rénover le traitement spécial et différencié, celui-ci a fait l’objet d’une approche purement commerciale autour de préférences tarifaires.

Sur la base de l’accord-cadre de 2004, les négociations se sont poursuivies avec plus ou moins d’intensité en 2005. Mais la Conférence de Hong Kong de décembre 2005 a une nouvelle fois montré que le processus de négociation au sein de l’OMC était à ce point complexe qu’il était évident que l’on ne serait pas à même de s’entendre sur l’ensemble(16).

Un échec supplémentaire aurait signifié une panne durable de l’OMC ; quatre engagements formant le « carré magique » de Hong Kong ont permis de sauver temporairement la crédibilité du cycle :

- les négociations agricoles : il a été convenu de fixer à la fin 2013, la suppression des subventions à l’exportation des produits agricoles ;

- la question du coton : les subventions aux exportations de coton devraient cesser à compter de 2006, mais le problème des aides internes – qui représentent 90 % des soutiens aux producteurs des Etats-Unis – demeurait entier, l’accord ayant toutefois été défini comme un objectif leur réduction ;

- les exportations des pays les moins avancés : les pays développés devront s’engager à importer 97 % des produits des PMA, sans droit de douane ni contingent, à partir de 2008. Il aurait sans doute été préférable que l’ensemble des produits soient concernés à l’image du régime mis en place par l’Union européenne « Tout sauf les armes » car les 3 % des lignes tarifaires restantes peuvent concerner des productions essentielles pour certains PMA comme le riz ;

- l’importation des médicaments génériques : l’accord d’août 2003 qui autorise les pays en développement non producteurs de médicaments et touchés par le sida, la tuberculose ou la malaria à importer des génériques de médicaments encore sous brevet et les pays producteurs à exporter ces médicaments sous licence obligatoire est pérennisé.

c) La deuxième moitié de la décennie : des divergences de fond sur l’équilibre du cycle

Depuis 2005, le cycle a connu de multiples soubresauts.

Après un nouvel échec des négociations en juillet 2006, celles-ci ont été suspendues par Pascal Lamy, directeur général de l’OMC depuis 2005: « J’ai estimé que la seule voie possible que je pouvais recommander était de suspendre les négociations pour l’ensemble du cycle. Je n’ai pas proposé de nouvelles dates limites ni de date pour la reprise de l’activité dans les groupes de négociations et je ne pense pas qu’il soit possible de la faire aujourd’hui. Les négociations ne pourront reprendre que lorsque les conditions nécessaires à de nouveaux progrès seront réunies et il faudra pour cela une évolution des positions actuellement trop bien ancrées. Il est clair que la balle est dans le camp des membres »(17).

En 2007, les négociations ont repris et lors de la Conférence ministérielle de Genève de juillet 2008, elles ont incontestablement progressé : selon Pascal Lamy, alors qu’il restait en 2007 50 % du chemin à parcourir sur l’ensemble des sujets en négociation, l’étape de 2008 a permis de passer à 80 %. Le problème se pose des 20 % restants, les plus difficiles à parcourir.

Pour autant, un accord n’a pas été possible en juillet 2008. Les pays en développement souhaitaient que des progrès significatifs soient faits sur l’agriculture avant de négocier vraiment sur les autres dossiers. De fait, des avancées importantes en matière agricole ont été mises sur la table : élimination à terme des subventions aux exportations et réductions importantes des protections aux frontières et des subventions comptabilisées au titre du soutien interne, en prévoyant des exceptions en faveur des pays les plus pauvres. Mais, en matière de négociation, « le diable est souvent dans les détails ». Le dossier agricole n’a jamais été bouclé définitivement, butant, dans les derniers instants, sur un mécanisme de clause de sauvegarde spéciale (MSS), plus particulièrement sur le niveau approprié de son déclenchement, en cas de baisse des cours agricoles ou de hausse brutale des importations. Les Etats-Unis souhaitaient un seuil de déclenchement élevé (40 %) afin d’éviter que la sauvegarde ne soit activée par une croissance normale des échanges tandis que l’Inde plaidait pour un seuil plus bas afin que le MSS soit plus facile à utiliser, de façon à protéger les marchés intérieurs. Dans ce jeu de rôle, l’Inde n’a sans doute pas eu un comportement très positif et les Etats-Unis sous la pression de leurs différents lobbies ont, dès lors, décidé de « débrancher » les négociations. Si l’Inde avait été plus coopérative, les Etats-Unis avaient indiqué qu’ils étaient prêts à un accord, même si celui-ci n’aurait sans doute pas été ratifié par le Congrès, notamment en raison de l’expiration, fin 2007, de la procédure dite de fast track(18).

Ce différend de dernière minute ne faisait que souligner l’opposition substantielle entre les Etats-Unis et des pays comme l’Inde ou la Chine sur les gains à l’ouverture aux échanges.

La focalisation sur un point de négociation technique n’explique pas à lui seul l’échec: tous les protagonistes trouvèrent intérêt à s’abriter derrière cette opposition pour masquer – à peine – leur contribution à l’échec. Un recensement exact des points d’accord et de désaccord montre qu’en réalité, le consensus était fragile et conditionnel et que, sur certains sujets, il n’était pas atteint. Le fait est qu’il n’a pas été possible de trouver un compromis sur des dossiers problématiques (agriculture et produits industriels).

Le principal point de friction a porté sur le niveau de libéralisation sur les produits industriels et les services. Le cycle d’Uruguay avait permis d’ouvrir l’accès aux marchés pour les produits industriels, les moyennes tarifaires étaient passées de 6,3 % à 3,8 %. Alors que les droits avaient été abaissés produit par produit dans les précédents cycles, on procède dans le cycle de Doha à des réductions tarifaires générales. Dans ce contexte, les négociations NAMA (« Non Agricultural Market Access ») sont devenues en 2008 une pierre d’achoppement des négociations, au même titre que l’avait été précédemment l’agriculture. En effet, les Etats-Unis, le Japon et l’Union européenne y ont en effet un intérêt offensif afin d’obtenir de nouveaux marchés en échange des concessions en matière agricole.

Alors que les pays industrialisés se fondent sur la notion d’accès au marché réel, cette notion est réfutée par les pays en développement qui y voient une contradiction avec le mandat de Doha qui demande « une réciprocité qui ne soit pas totale » dans les engagements de réduction. Sur le plan technique, les discussions se sont cristallisées autour de la formule de réduction devant déterminer les niveaux tarifaires et sur les flexibilités pouvant concerner certains produits. A Genève, un accord s’est dessiné autour de la formule dite suisse(19) proposée par l’Union européenne à titre de compromis, qui éponge les pics tarifaires et comprend des coefficients différenciés selon les pays en développement et les pays industrialisés. La discussion a principalement porté sur la proportion de lignes tarifaires, donc de produits, que les pays auraient le droit d’exclure(20). D’autres sujets NAMA sont par ailleurs restés en suspens : mise à niveau pour les nouveaux membres(21), clause anticoncentration(22), question de l’érosion des préférences(23), possibilités de flexibilités additionnelles(24).

Aucun accord n’a été par ailleurs esquissé sur la question des indications géographiques, présentée pourtant comme essentielle par l’Union européenne.

Les contradictions du cycle sont apparues au grand jour lors de la Conférence ministérielle de Genève de juillet 2008 dont l’échec fut annoncé dans les termes suivants par Pascal Lamy, directeur général de l’OMC : « Cette réunion a échoué. Les pays membres n’ont tout simplement pas pu surmonter leurs différences. Les efforts intenses de tous les membres pour préciser les modalités de libéralisation du commerce des produits agricoles et non agricoles n’ont pas abouti. Beaucoup a été accompli. Des problèmes insolubles depuis des années ont trouvé une solution. Mais nous n’avons pas été capables de trouver un accord sur le mécanisme de sauvegarde spéciale contre la hausse momentanée des importations agricoles »(25).

Depuis 2008, les négociations ont continué sur la base du « paquet de juillet 2008 » qui n’a été ni formellement accepté, ni formellement dénoncé mais que beaucoup de pays émergents – dont la Chine – considèrent comme une zone d’atterrissage.

Alors que 2011 apparaît, compte tenu des diverses échéances de 2012
– élections américaines, changement de direction politique en Chine –, comme une date butoir, il est quasiment certain que les causes qui ont conduit à l’enlisement du cycle ne pourront pas être surmontées.

Cycle de Doha, modalités de juillet 2008 et marges de manœuvre pour la Politique agricole commune après 2013

L’accord sur l’agriculture a été adopté à l’issue de la négociation du cycle de l’Uruguay en 1994 : alors que ce n’était pas le cas dans le cadre du GATT, l’agriculture a été soumise à des disciplines spécifiques qui reposent sur trois piliers : soutien interne, accès aux marchés et concurrence à l’exportation.

La stratégie de l’Union européenne a été de consolider une PAC réformée afin d’être en position sur le plan multilatéral d’obtenir des concessions sur les produits non agricoles, les services et les indications géographiques et de défendre ses lignes rouges. Le mandat de la Commission européenne pour le cycle de Doha est fixé par les conclusions du Conseil de l’Union européenne de juin 2003: « cette réforme de la PAC constitue l’importante contribution de l’Europe au programme de Doha pour le développement et fixe les limites du mandat de négociation de la Commission à l’OMC ». Le principe sous-tendu par ce mandat est à la fois de ne pas faire de nouvelle réforme de la PAC mais aussi d’assurer un équilibre, puisque la marge de manœuvre qu’ouvre cette réforme doit être offerte contre des concessions équivalentes.

I La réforme de la PAC est compatible avec l’accord sur l’agriculture de 1994

a) Les soutiens à l’agriculture classés selon différentes « boîtes »

La boîte bleue concerne les soutiens qui ont des effets peu distorsifs sur le commerce (aide à l’hectare, à la tonne ou à la tête), accompagnés d’un système plafonné. Dans la PAC sont visées les aides directes couplées (à l’époque, les aides aux grandes cultures, les aides ovines). Aujourd’hui, suite aux réformes successives de la PAC en 2000, en 2003 et 2007 et l’introduction progressif du découplage, il ne reste plus que la prime à la vache allaitante, la prime à la brebis, la partie couplée de certaines aides au secteur des céréales et les aides aux producteurs de bananes. La boîte verte comprend les mesures de soutien direct aux agriculteurs sans lien avec les niveaux de production ou les prix en vigueur (aides découplées). Sont concernées les aides découplées, les programmes agro-environnementaux du second pilier, les aides du développement rural et les assurances agricoles. Les mesures de la boîte orange sont les mesures de soutien interne réputées pour avoir des effets de distorsion sur la production et les échanges ; relèvent de cette catégorie, les systèmes d’intervention (céréales, beurre, poudre de lait, sucre, viande bovine…), le système des prix d’entrée des fruits et légumes, les soutiens au secteur vitivinicole (aides à la distillation) et certaines aides spécifiques (lait de montagne, article 68 suite au bilan de santé).

b) La mise en conformité de la PAC avec l’accord sur l’agriculture

La boîte orange devait être réduite de 20 % du niveau de référence (calculé sur les prix 1986-1988) sur six ans entre 1995 et 2000. Pour les soutiens des boîtes bleue et verte, aucune discipline supplémentaire n’était à respecter, sauf à en respecter les critères. La réduction décidée sur la boîte orange a poussé l’Union européenne à réformer sa PAC à partir de 1992 (introduction des aides à l’hectare en grandes cultures et aides animales). Ces aides ont été ensuite progressivement transformées à partir de 2000 pour entrer dans la boîte verte (réforme de l’agenda 2000, réforme de Luxembourg en 2003, puis bilan de santé en 2008).

II Que prévoirait un accord sur la base des modalités de juillet 2008 ?

a) Des mesures de soutien

La boîte orange devrait subir une réduction de 80 % du plafond du cycle d’Uruguay. Pour la boîte bleue, seraient créés un plafond global et un plafond par produit. Un nouveau plafond général sur tous les soutiens distorsifs (SGEDE, soutien général ayant des effets distorsifs sur les échanges) serait institué. S’agissant de la boîte verte, aucun engagement de réduction n’a été pris mais une rigidification des conditions est envisagée.

Quelles marges de manœuvre pour la future PAC post-2013 ?

En boîte orange, l’Europe aura une marge de manœuvre limitée et en boîte bleue (nouveau plafond global), une marge de manœuvre relativement importante suite aux réformes de la PAC. S’agissant du plafond SGEDE, la marge de manœuvre est faible. En boîte verte, les possibilités d’évolution des paiements découplés seront limitées, suite à l’introduction de critères plus rigides (par exemple, les versements seront déterminés sur une base antérieure définie, fixe et variable). La contrainte portera donc essentiellement sur le plafond global SGEDE, ce qui signifie que toute augmentation de la boîte orange devra à la fois respecter son propre plafond et se traduire par une réduction équivalente de la boîte bleue afin de ne pas dépasser ce plafond global.

b) L’accès aux marchés

- Les tarifs seraient abaissés suivant une formule qui prescrirait des réductions plus Importantes pour les droits élevés. Pour les pays développés, les abaissements iraient de 50 % pour les tarifs inférieurs a 20 %, a 66-73 % pour les tarifs supérieurs a 75 %, avec un abaissement moyen minimal de 54 % pour les pays développes, et de 33,3 à 44-48 % pour les pays en développement. Les pays les moins avances (PMA) seraient exemptes de tout abaissement ;

- les produits sensibles (pour tous les pays) et les produits spéciaux (pour les PVD) feraient l’objet d’abaissements moindres. Mais les réductions des produits sensibles pourront être compensées par des contingents tarifaires à des taux préférentiels, et les produits spéciaux pourront être exempts de tout abaissement. Le contingent de produits sensibles sera accordé de façon globale à l’Union européenne : l’enjeu pour chaque pays sera donc de défendre certains produits stratégiques.

- La clause de sauvegarde spéciale serait éliminée de façon progressive dans les pays développés. Les PVD bénéficieraient d’un nouveau mécanisme de sauvegarde spéciale (MSS) pour 2,5 % des lignes tarifaires qui eux permettrait d’augmenter temporairement les droits de douane pour faire face aux poussées des importations et aux baisses des prix.




c) la concurrence à l’exportation

- Les subventions à l’exportation seraient éliminées pour la fin de 2013, y compris les subventions déguisées en crédits à l’exportation, en disciplines relatives aux entreprises commerciales d’Etat exportatrices ou en aide alimentaire autre que d’urgence. La moitié devait être éliminée d’ici à 2010.

Source : Direction générale du Trésor.

B. Un antagonisme inéluctable : les causes fondamentales des différends

Le cycle de Doha est marqué par un défaut de naissance. En effet, fixer à trois ans le délai pour obtenir un accord sur vingt-neuf têtes de chapitre et plus de 200 sujets censés résoudre les dilemmes, voire les contradictions, entre mondialisation et développement, était sans doute une erreur tactique. Il avait déjà fallu quatre ans – de 1997 à 2001 – pour confectionner l’agenda. L’absence de calendrier crédible a sans doute favorisé les stratégies de paralysie.

Depuis 2007, les difficultés économiques et financières des pays développés ont rendu les problèmes plus sensibles et le consensus plus difficile à obtenir. L’accroissement des déséquilibres macroéconomiques a renforcé les tensions entre capitalismes historiques (les Etats-Unis) et capitalismes émergents (Chine, Brésil).

Les explications tenant aux modalités intergouvernementales de discussion et de décisions et aux difficultés liées à la crise doivent être mises en perspective avec les causes réelles du blocage.

1. Le cadre des négociations : le consensus et l’engagement unique face aux nouveaux équilibres géopolitiques et économiques

Les négociations multilatérales ont un caractère intergouvernemental et l’Organisation mondiale du commerce repose sur les principes du consensus et de l’engagement unique.

Prendre des décisions à l’unanimité sur l’ensemble des sujets entraîne inévitablement des lourdeurs à tous les stades de la procédure. La règle du consensus, adoptée en réaction à l’hégémonie des pays développés dans le système de Bretton Woods, constitue toutefois un gage du bon déroulement des négociations pour l’ensemble des pays membres et est d’ailleurs considérée par ceux-ci, notamment les pays en développement, comme un « bien public » de l’organisation.

L’engagement unique (« rien n’est réglé tant que tout n’est pas réglé ») qui impose à tous les pays de suivre l’ensemble des disciplines de l’OMC a sans doute été une contrainte dans la mesure où la dureté de la transition et de l’adaptation aux disciplines et règles de l’OMC pour les pays en développement a été insuffisamment prise en compte.

Consensus et engagement unique sont mises en cause dans le blocage actuel, sinon le provoquant, du moins le facilitant, comme l’analyse Mme Hélène Ruiz Fabri : « c’est le problème de l’impossible consensus entre 150 membres très divers dans leurs intérêts et leurs agendas nationaux, alors même que le principe de l’accord unique fait que tous les points de négociations se tiennent les uns les autres »(26).

Il serait toutefois simpliste de réduire les raisons de l’enlisement du système commercial multilatéral à la procédure de votation, à la règle du consensus et à l’attitude bloquante de « paralyzers countries », selon l’expression utilisée par les négociateurs américains lors de la Conférence de Cancún.

Le cycle de Doha subit en fait les effets de l’évolution des spécialisations et du basculement du centre de gravité de l’économie mondiale vers les économies asiatiques. Le cycle actuel marque l’effacement de l’économie atlantique et son corollaire, le compromis transatlantique. Sous l’égide du GATT, un accord entre les pays de la quadrilatérale (Etats-Unis, Canada, Japon et Union européenne) qui, concrètement, se traduisait par un accord entre les Etats-Unis et l’Europe, créait un effet d’entraînement nécessaire à la conclusion des cycles. C’est ce mécanisme qui a échoué à Cancún : l’accord agricole préalablement conclu entre les Etats-Unis et l’Europe a plus polarisé l’hostilité des pays émergents qu’il n’a favorisé le consensus.

Aujourd’hui, la multipolarisation qui se traduit d’une part, par le déclin relatif des Etats-Unis et d’autre part, par l’émergence de nouveaux pôles de puissance comme le Brésil, la Chine et l’Inde avec la création spectaculaire du G20 à Cancún en 2003, rend la décision d’autant plus complexe que ces derniers pays ne constituent pas de coalition décisive. En effet, le Brésil, l’Inde ou la Chine n’agissent pas au nom d’une quelconque « logique de groupe ou de défense d’une abstraction géo-institutionnelle, le Sud. Les capitalismes émergents défendent avant tout les intérêts de leurs exportateurs et de leur modèle d’insertion internationale. Personne ne peut leur reprocher et c’est un faux procès de relier leur stratégie aux pertes que subiraient le reste des PED-PMA »(27). Le cycle de Doha apparaît comme une victime collatérale du nouvel équilibre mondial dans un processus où les échecs (des pays en développement) sont plus nombreux que les succès (des pays émergents).


La stratégie du Brésil au sein de l’OMC

Le Brésil a œuvré pour obtenir le statut de leader au sein de l’OMC. Sa stratégie a consisté à, d’une part, rassembler une coalition durable avec les pays émergents, le G20(28), et, d’autre part, à déstabiliser la stratégie des autres regroupements, notamment le G90 qui regroupe notamment les pays du groupe Afrique, Caraïbes et Pacifique qui ont des liens économiques et historiques avec l’Union européenne par le biais des accords de Cotonou. La libéralisation agricole défendue par le Brésil aurait des effets négatifs sur les pays les moins avancés du G90 importateurs de produits alimentaires. De plus, les pays ACP bénéficiant d’un accès privilégié au marché européen pour certains produits (sucre, banane) perdent le bénéfice de cette préférence. Le Brésil s’est toutefois posé en défenseur des producteurs africains de coton et a obtenu la condamnation des Etats-Unis dans le cadre de la procédure de règlement des différends à l’OMC.

Source : Jean Marc Siroën.

M. Jean Marc Siroen, auditionné par vos rapporteurs, rappelait que, selon la thèse de Charles Kindleberger(29), qu’en l’absence de gouvernement mondial, l’existence d’un pays leader est nécessaire à l’équilibre des relations économiques internationales. Cependant, si cette fonction permet au leadership d’espérer des gains à long terme, elle impose aussi des coûts immédiats. Dans le cycle de l’Uruguay, les Etats-Unis et l’Union européenne ont pratiqué des tarifs douaniers plus bas que la moyenne et ont accordé des dérogations aux PED par le biais des préférences généralisées ; en contrepartie, ils ont bénéficié d’une certaine stabilité des relations commerciales et d’une certaine tolérance vis-à-vis de leur noyau dur, comme l’agriculture.

C’est cet équilibre que le cycle de Doha ne parvient plus à atteindre. Les pays du G3 (Brésil, Chine et Inde) sont en mesure de dire non ; en revanche, ils ne souhaitent pas assumer le coût de fonctionnement du cycle. En effet, pour ces pays, la libéralisation induite par l’OMC est vécue, sur différents aspects, comme une contrainte. Ces pays, tout en exploitant les avantages du système mercantiliste, sont réservés quant aux avantages du système multilatéral. Ainsi, l’Inde est dans une logique qui n’est pas réductible à la libéralisation ; en matière agricole notamment, elle voit l’accord comme un moyen de protéger son agriculture (cela a été évident lors de la conférence de Genève de juillet 2008 qui a échoué sur les modalités de déclenchement de la clause de sauvegarde). De même, la Chine ne manque pas une occasion de rappeler que le coût de son accès au système multilatéral – elle a adhéré à l’OMC en 2001 – qui a impliqué son adaptation aux normes, est largement sous-estimé par les autres pays lors des négociations(30).

Dans ce contexte, il est très difficile d’arriver à un mode opératoire efficace de négociation entre les capitalismes historiques, les capitalismes émergents, les pays en développement non émergents et les PMA.

2. La question de l’articulation entre la libéralisation des échanges et le développement

Les ambitions de la déclaration ministérielle de Doha de 2001 faisaient valoir que « le commerce international peut jouer un rôle majeur dans la promotion du développement économique et la réduction de la pauvreté. Nous reconnaissons la nécessité pour toutes nos populations de tirer parti des possibilités accrues et des gains de bien-être que le système multilatéral génère. La majorité de nos membres sont des pays en développement. Nous visons à mettre leurs besoins et leurs intérêts au centre du programme de travail. ».

La mise en avant du développement comme objectif prioritaire des négociations signifiait que la libéralisation n’était plus leur finalité et qu’il fallait traiter les déséquilibres initiaux dans les rapports Nord-Sud. Chacun des volets du programme de Doha pour le développement (PDD) comportait donc des dispositions spécifiques au traitement des pays en développement (PED) et les pays les moins avancés (PMA). Or, après une « phase extensive avec le projet de réinterprétation des accords de l’OMC dans leurs substances et dans leurs objectifs à l’aune du thème du développement »(31), la seconde phase, après la conférence de Cancún, est marquée par une réinterprétation commerciale classique de la déclaration de Doha ayant pour thématiques centrales, l’accès au marché et le démantèlement des barrières non tarifaires. La plupart des questions liées au développement ont été revues à la baisse, voire entièrement mises de côté.

En fait, le cycle de Doha souffre d’un hiatus de départ dans la mesure où il aurait fallu dire ce qu’on entendait par développement et comment allait être dépassée la tension entre multilatéralisme compétitif et orientation en faveur du développement. La notion de développement peut en effet faire l’objet d’interprétations différentes : doit-il être l’occasion de préserver les revenus des populations vulnérables et être sous-tendu par l’idée que des pays gagnent plus que d’autres ou doit-il être un droit d’accès aux marchés des autres pays ? Savoir si un accord est bon pour le développement ou pas est lié à la définition même des critères de développement. De plus, les textes de l’OMC ne contiennent aucune définition des pays en développement : peut se prétendre en développement tout pays qui le décide, sauf à être contesté par les autres Etats membres.

La prise en compte de la logique de développement aurait dû commencer prioritairement par la définition d’un « nouveau paradigme pour le traitement spécial et différencié »(32). Du fait de la réticence quasi dogmatique des Etats-Unis à l’égard d’un modèle différencié, le dossier relatif à l’amélioration des mesures du Traitement spécial et différencié, qui devait donner les résultats les plus rapides puisque le mandat fixait à juillet 2002 l’adoption de mesures relatives au TSD, a été retiré de la liste des quatre dossiers prioritaires en vue de la finalisation du cycle.

Actuellement, le principe du Traitement spécial et différencié n’est plus aussi opérationnel qu’avant. En premier lieu, il demeure trop centré sur l’expansion des exportations comme moyen de traiter les problèmes commerciaux et de développement des PED. Et surtout, il est trop global puisqu’il est censé s’appliquer à l’ensemble des PED : il n’y a aucune sous-catégorie officielle à l’OMC. Or les dix dernières années se sont caractérisées par l’émergence d’économies à fortes capacités exportatrices (BRIC : Brésil, Russie, Inde et Chine), qui a certes consolidé la position du Sud dans l’institution mais seulement celle d’un certain Sud, celui du G3 (Brésil, Inde, Chine), en marginalisant le G90 (Union africaine, ACP et PMA).

Cela s’est traduit par une demande de normalisation du traitement de ces pays du premier Sud qui ont endossé les principes normatifs du système commercial mondial et qui, usant de leurs capacités d’exportations, sont en mesure de pouvoir renégocier les arrangements institutionnels et la structure de redistribution des gains qui en découle et qu’ils estiment trop favorables aux pays développés.

Cette trajectoire différenciée des pays du Sud est indissociable des incitations qui font avancer les négociations.

3. La faiblesse des gains escomptés et leur inégale répartition

Des analyses, qui prennent parfois la forme de plaidoyer, ont tenté, à partir de modèles économétriques, de construire des perspectives de gains ou de




pertes découlant de la conclusion du cycle à partir de différents scénarios(
33). Les perspectives initiales étaient présentées comme prometteuses(34), faisant état d’un gain mondial de 500 milliards de dollars. Des études plus récentes(35) soutiennent que la libéralisation des échanges s’accompagnerait d’une création de trafic des exportations mondiales. La dernière en date, menée à la demande de la Commission européenne et parue en octobre 2011 – dans l’espoir de favoriser un accord lors de la conférence ministérielle de décembre ? –, estime qu’un accord sur la base du compromis de 2008 conduirait à 0,2 % de croissance supplémentaire(36).

Malgré le raffinement des modèles et des gains qu’ils promettent, il n’est pas possible de conclure à une retombée positive accompagnant l’allocation globale des ressources censées résulter de la libéralisation commerciale. De plus, aucune de ces études ne met en avant des bénéfices nets pour les pays en développement qui, de plus, craignent des pertes immédiates de ressources douanières qui, compte tenu de la structure budgétaire de pays n’ayant pas encore accompli leur transition fiscale vers plus d’impôts directs, sont d’une grande importance. De façon générale, comme l’a souligné une étude de l’OCDE(37), les liens entre la libéralisation du commerce international, la croissance et la réduction de la pauvreté sont encore largement incompris et non démontrés.

Selon une étude de la Banque mondiale(38), les bénéfices globaux du cycle en 2015 ne s’élèveraient qu’à 96 milliards de dollars en 2015, dont à peine 16 milliards iraient aux pays en développement (comme 16 milliards représentent 0,16 % du PIB de ces pays, cela équivaudrait à 3,13 dollars par habitant, soit moins d’un centime d’euro par jour). Bien que la plus grande importance ait été accordée à l’agriculture dans les négociations, les gains liés au secteur agricole seraient pour les pays en développement de moins de 0,1 % du PIB (9 milliards de dollars). Les gains en rapport direct avec les réductions des subventions sont par ailleurs estimés à un milliard à peine. Les pays en développement perdants de la mondialisation sont ceux qui ont adopté les politiques préconisées par les principales agences multilatérales (FMI, Banque mondiale).

Parmi les pays en voie de développement, la répartition des gains serait en tout état de cause très inégale, la moitié des bénéfices étant supposés profiter à huit pays : l’Argentine, le Brésil (qui doit recevoir environ 23 % de ces bénéfices), la Chine, l’Inde, le Mexique, la Thaïlande, la Turquie et le Vietnam.

Des gains potentiels en baisse an cas de libéralisation totale

 

Monde

(en milliards de dollars)

Pays en développement (en milliards de dollars)

Baisse de la pauvreté

(en millions de personnes vivant avec moins de 2 dollars par jour)

Hypothèse initiale (2003)

+ 832

+ 539

- 144

Nouvelle hypothèse (2005)

+ 287

+ 90

- 66

De faibles gains attendus des négociations en cours

Gains de revenus

Pays riches

Pays en développement

Monde

Totaux (milliards de dollars)

80

16

96

Par habitant

79,04 $

3,13 $

15,67 $

En % du PIB

0,24 %

0,16  %

0,23 %

Un bilan globalement négatif pour les pays en développement

Pays développés

79,9

38,0

Pays en développement

16,1

63,4

- Afrique du Nord et Proche-Orient

- 0,6

7,0

- Afrique subsaharienne

0,4

1,7

- Amérique latine

7,9

10,7

- Brésil

3,6

3,1

- Mexique

- 0,9

0,4

- Inde

2,2

7,9

- Bangladesh

- 0,1

0,04

Source : Banque mondiale.

Par ailleurs, du côté des pays développés, les réticences à conclure le cycle sont nombreuses. Ainsi les agriculteurs américains, comme les producteurs de coton, craignent les effets d’une diminution de leurs subventions. Au sein de l’Union européenne, la conclusion du cycle pourrait se traduire par des concessions supplémentaires sur l’agriculture alors que l’Union européenne a déjà fait sa réforme en 2003 dans la perspective de Doha. Plus le temps passe, et plus les efforts passés risquent de ne plus être mis au crédit de l’Union européenne.

Les pays développés craignent de ne pas trouver leur compte aux concessions que pourraient faire les pays émergents. L’étude précitée faite à la demande de la Commission européenne mentionne que les Etats-Unis ne seraient pas les grands bénéficiaires d’une conclusion des négociations. Dans le meilleur des cas, la libéralisation des échanges qui en résulterait profiterait à la Chine à hauteur de 36,4 milliards de dollars, à l’Union européenne à hauteur de 30,7 milliards de dollars, au Japon pour 13 milliards de dollars et aux pas de l’ASEAN (Association des nations d’Asie du Sud-Est) pour 12 milliards de dollars. Les Etats-Unis ne récolteraient que 9,4 milliards de dollars.

Alors qu’on était parti d’un schéma assez simple de répartition des avantages du cycle, la faiblesse des gains associés au cycle de Doha et leur inégale répartition fait que l’on se retrouve dans un cycle où peu de monde trouve intérêt à s’engager, ce qui nourrit le dialogue de sourds qu’est devenu le cycle de Doha.

Il est en effet très difficile de mener une négociation pour la libéralisation des échanges quand la majorité des participants considère que quelque soit le compromis final, il ne leur procurera qu’un gain marginal, voire aucun gain.

4. Les réticences des Etats à l’égard de la régulation multilatérale

Les négociations sous l’égide du GATT avaient pour socle la libéralisation tarifaire. En entrant dans le système de l’OMC, le périmètre classique de la négociation a été élargi pour traiter de régulations et de réglementations « au-delà des frontières ». Le contenu du multilatéralisme s’est ainsi transformé de négociations tarifaires relatives à des produits selon une logique de réciprocité à une négociation touchant aux politiques internes, donc de souveraineté nationale. La multiplication des thématiques de négociations relevant du « trade and », commerce et investissement, commerce et concurrence, commerce et standards techniques, a multiplié les zones de friction.

Dans la mesure où il ne s’agit plus d’éliminer des obstacles au commerce idéologiquement neutres mais de définir des normes communes, on fait un saut qualitatif. La libéralisation se pose maintenant en termes réglementaires de concurrence, de diversité institutionnelle et de préférences collectives fortement connotées culturellement. Ainsi, les règles relatives aux services concernent des visions différentes selon les pays et peuvent toucher à des biens publics (santé, éducation…).

Pendant ces dix années de négociations, les Etats membres ne sont pas arrivés à trouver un mode opératoire pour ce type de négociations qui suscitent des craintes de la part des Etats membres concernant leur autonomie réglementaire, d’autant que les accords de l’Uruguay Round ont souvent été vécus comme une contrainte. Ainsi, en matière agricole, au-delà de l’accès aux marchés, les négociations ont pu mettre en cause les règles de fonctionnement et de concurrence des marchés agricoles et l’organisation des filières. Dans le domaine des biens non agricoles, dans le différend Airbus-Boeing qui dure depuis des années(39), l’ORD s’appuie pour statuer sur deux accords élaborés dans le cadre de l’Uruguay Round – l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires et l’accord plurilatéral sur les marchés publics (AMP). Ce faisant, l’ORD statue indirectement sur une composante de la politique industrielle des Etats.

Ces réticences se trouvent confortées par la procédure de règlement des différends qui consolide la règle de droit. Une fois la procédure enclenchée, le différend échappe au contrôle des Etats, jusqu’à son terme. Les Etats membres hésitent donc à adopter une nouvelle réglementation avec laquelle ils devront se mettre en conformité, au risque d’être attaqués devant l’Organe de règlement des différends.

A ces réticences des Etats, viennent s’ajouter les évolutions structurelles du système commercial international qui se caractérise par des tendances à l’intégration et des mises en réseaux des entreprises dont l’activité est de plus en plus internationale ainsi que par l’importance de plus en plus manifeste des flux non commerciaux.

L’enlisement du cycle est une manifestation de la contradiction entre une économie mondiale intégrée et des négociations entre Etats sur un mode intergouvernemental.

Ne peut on pas considérer que la crise du cycle est aussi révélatrice des chantiers qui ne trouvent pas de réponse alors même qu’ils interagissent entre eux : dépendance des pays pauvres par rapport aux importations alimentaires, volatilité des prix alimentaires et agricoles, problèmes des balances des paiements entre pays déficitaires et pays excédentaires, préférence des marchés pour les liquidités de nature à contribuer à la spéculation.

5. Un agenda de négociation vieilli et cristallisé sur des points durs de négociation

Avec l’abandon très rapide des sujets de Singapour, l’agenda du cycle s’est trouvé allégé mais de fait polarisé par les questions laissées ouvertes à l’issue de l’Uruguay Round : tarifs douaniers et soutiens internes dans l’agriculture, ouverture dans l’industrie et les services.

La spécificité du secteur agricole explique que ce sujet ait dominé les premières années du cycle et constitué une des pierres majeures d’achoppement. Le différend survenu au dernier moment de la conférence ministérielle de juillet 2008 sur la clause de sauvegarde agricole illustre de façon très nette que le consensus sur la contribution du commerce agricole au développement n’existe pas. L’Inde – et d’autres pays en développement comme la Chine – conçoit le cycle du développement comme un moyen de préserver et de sécuriser l’existence des agriculteurs. Le négociateur indien(40) avait déclaré que « Nous, pays en développement, avons besoin d’un mécanisme de sauvegarde dans tous les cas ». Pour les Etats-Unis ou les pays du groupe de Cairns, le développement signifie l’ouverture des marchés(41). Au-delà de ces divergences, le programme de négociation sur les sujets agricoles doit être revu. En effet, on est resté dans une logique des années 80 caractérisée par une surproduction et une dépréciation des prix. Or, aujourd’hui, les perspectives sont inversées : tout le logiciel qui sous-tend les négociations agricoles est décalé par rapport aux problématiques actuelles ; ainsi, le « taux de change » entre les concessions pour les produits agricoles et les produits industriels est devenu obsolète et les prix élevés des produits de base rendent moins pertinente la consolidation des concessions concernant les tarifs agricoles ou les subventions.

Les négociations sur les produits non agricoles ont pris par ailleurs depuis quelques années une autre dimension avec le poids économique croissant des pays émergents qui pose la question de leur contribution au fonctionnement du système international.

Par ailleurs, le fait de se situer dans la continuité du cycle d’Uruguay limite les possibilités de revenir sur des acquis alors que ceux-ci peuvent être critiquables ou critiqués notamment par les PED. Ainsi en matière de services, l’accord de 1995 est un accord-cadre qui inscrit formellement des degrés d’ouverture des marchés mais qui nécessite des développements réglementaires sur certains points (subventions, sauvegardes). Mais ces questions n’ayant pas fait l’objet d’un consensus, les Etats membres sont réticents à prendre de nouveaux engagements en terme de libéralisation tant que les précédentes questions ne sont pas réglées, d’autant que sont apparues d’autres problématiques (délocalisation des services, dématérialisation, services « low cost »…).

*

* *

Face à ces facteurs de blocage, les perspectives de conclusion du cycle de Doha s’éloignent, s’inscrivant sur fond de contestation de l’OMC et posant le problème de la crédibilité même de cette institution. En fonctionnant sur le principe que le système fonctionne mieux ouvert que fermé, l’OMC est parfois accusée de défendre l’idéologie du libre-échange, ce qui suscite des débats(42). Par ailleurs, sa gouvernance apparaît de moins en moins efficace. En effet, l’OMC ne régule qu’une partie des échanges dans la mesure où sont exclus l’énergie, le commerce intra firmes, les achats publics. Le principe de la nation la plus favorisée est de moins en moins appliqué en raison des accords préférentiels régionaux et du système général des procédures.

Et pourtant, pendant ces dix années, l’OMC a continué de fonctionner.

II. FACE A L’IMPASSE DU CYCLE DE DOHA, RECONSTRUIRE LA NÉGOCIATION COMMERCIALE MULTILATERALE

Si le cycle de Doha échoue définitivement, l’Organisation survivra car elle est plus que le cycle. L’ambassadeur brésilien auprès de l’OMC réfutait en avril 2011, l’idée selon laquelle « la crédibilité et la légitimité de l’OMC étaient dans une étreinte mortelle avec le cycle de Doha. L’OMC est plus que le cycle et le transcende ».

Cependant, comme le soulignait son directeur général, « l’incapacité de l’OMC à exercer sa fonction législative, son incapacité à actualiser les règles régissant le commerce international – qui l’ont été la dernière fois en 1995 – en les adaptant à l’évolution des besoins de ses Membres, son incapacité à tirer parti de notre interdépendance économique croissante d’une manière coopérative risquent à long terme d’entraîner un affaiblissement lent et silencieux du système commercial multilatéral. Et en même temps, une perte d’intérêt de la part de nombreux dirigeants politiques, une érosion du système commercial multilatéral fondé sur des règles et un retour insidieux à la loi de la jungle »(43).

A. Les risques d’un affaissement du système commercial multilatéral

Sans doute l’impasse du cycle de Doha est-il le reflet d’un malaise plus profond et s’inscrit dans un mouvement général de recul du multilatéralisme qui, selon les termes de Pascal Lamy, « a déjà contaminé d’autres négociations internationales, qu’il s’agisse du changement climatique, du système monétaire international, de la coordination macroéconomique, voire du désarmement. Tout cela s’inscrirait dans une modification de la géopolitique continentale qui imposerait des ajustements douloureux, lents et encore à venir dans la gouvernance mondiale »(44).

1. Le contournement de la règle multilatérale par les accords de commerce bilatéraux et régionaux 

a) Des accords commerciaux de plus en plus nombreux et diversifiés

L’OMC n’est pas le seul lieu de négociations commerciales. Dès les années quatre vingt, un mouvement s’est amorcé vers des accords régionaux (ACR)(45). Mais à partir de l’échec de la Conférence de Cancún, l’enlisement du cycle de Doha perdurant, on a assisté à la multiplication de ces accords (voir graphique ci-dessous).

Evolution des accords commerciaux régionaux dans le monde (1948-2009)

Source : secrétariat de l’OMC

Le bilatéralisme a constitué une solution de remplacement à un système qui a cessé d’être multilatéral. De 1948 à 1994, le GATT a reçu 123 notifications concernant des accords commerciaux régionaux (dans le domaine du commerce des marchandises). Depuis la création de l’OMC en 1995, plus de 300 accords additionnels couvrant le commerce des marchandises ou des services ont été notifiés.

Les Etats-Unis ont eu, dès le début des négociations, une politique très systématique consistant à prôner des accords entre les pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique), avec l’intention plus ou moins avouée de donner un coup fatal au cycle de Doha.

L’Union européenne a, quant à elle, élaboré une politique plus équilibrée, affirmant que sa politique commerciale avait besoin de deux piliers, bilatéral et multilatéral, mettant la conclusion de l’agenda de Doha en haut de son agenda. Ainsi dans sa communication de 2006(46), tout en réaffirmant la priorité du multilatéralisme, la Commission européenne proposait de négocier plusieurs accords bilatéraux avec des pays émergents, en particulier les pays de l’ANASE (Association des nations du Sud Est asiatique), la Corée et de relancer les négociations avec les pays du Mercosur. Ces accords devaient aller plus loin sur le fond qu’un accord à l’OMC et comprendre des dispositions relatives aux services, aux obstacles réglementaires, aux investissements et aux marchés publics. Cette stratégie a été confortée dans sa communication de novembre 2010(47) orientée autour du thème des partenaires stratégiques.

Ces accords ne sont plus exclusivement régionaux mais sont maintenant transcontinentaux. Alors que jusqu’aux années 80, on comptait relativement peu d’accords Nord-Sud, ceux-ci sont devenus de plus en plus fréquents. L’ALENA (Accord de libre échange nord américain), signé entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique en 1994, a ainsi été le premier grand accord commercial intégrant un pays du Sud.

Quels sont les facteurs de la prolifération de ces accords ?

Le repli sur ces accords régionaux permet d’avancer sur des sujets exclus de l’agenda de Doha. Les négociations bilatérales portent sur des thèmes moins avancés au plan multilatéral, surtout après l’abandon des sujets de Singapour. On a ainsi pu parler d’accords « OMC plus ». Ils approfondissent les textes de l’OMC sur des sujets comme la propriété intellectuelle, les investissements, les barrières techniques aux échanges ou les marchés publics et peuvent inclure des dispositions sur les normes de travail ou l’environnement.

Cette multiplication des accords multilatéraux est aussi liée à certains effets pervers de la clause de la nation la plus favorisée(48) (NPF), un des principes de base de l’OMC. Cette clause NPF encourage en effet les comportements de passagers clandestins (« free riding ») puisqu’elle garantit aux pays membres, l’accès aux marchés des autres, quelque soit le niveau de leurs concessions. L’accord de Marrakech, en refusant la possibilité d’accords plurilatéraux n’engageant que les seuls pays signataires, a sans doute encouragé le phénomène alors que les accords bilatéraux permettent de se soustraire à la règle de la clause la plus favorisée et ainsi, de mieux contrôler la réciprocité des engagements.

On peut aussi y voir « l’émergence d’une nouvelle diplomatie commerciale, au cœur de laquelle se trouvent le bilatéralisme et le régionalisme, ainsi que la promotion des intérêts économiques nationaux par l’Etat qui cherche à orienter l’intégration compétitive de ses entreprises dans l’économie mondiale »(49).

b) Limites et risques du bilatéralisme

En poussant les feux du bilatéralisme et du régionalisme, l’Union européenne espérait de cette façon remettre les Etats-Unis sur le chemin du multilatéralisme. Cette pétition de principe a sans doute été naïve si l’on considère la tradition unilatérale qui a toujours conduit la politique des Etats-Unis.

De plus, ce n’est pas parce que l’on n’avance pas dans les négociations multilatérales que l’on avance plus vite sur toutes les négociations bilatérales. Les Etats-Unis en font l’expérience avec les pourparlers qui s’enlisent avec Panama ou la Colombie, alors que les pays ne sont pas à la même échelle de puissance économique et politique. S’agissant de l’Union européenne, les négociations avec les pays du Mercosur ont été lancées en 1995 et ne sont pas prêtes d’être conclues. Compte tenu des évolutions respectives des deux principaux pays – le Brésil et l’Argentine – il leur sera difficile d’élaborer une offre commune. Le Brésil est en effet devenu très défensif en matière industrielle (il a ainsi augmenté ses droits de douane sur l’automobile de 30 %) et de multiples différends commerciaux opposent les deux pays. De plus, la donne globale a changé. Quand les discussions sur le projet de traité avec les pays du Mercosur ont commencé, les exportations du Brésil vers l’Argentine représentaient 40 % du PIB du Brésil alors qu’elles n’en représentent plus aujourd’hui que 18 % : le caractère stratégique de leur relation s’est donc érodée. Si la Présidente argentine Cristina Kirchner a désormais plus d’assise interne pour qu’une offre commune soit faite, cette offre sera en tout état de cause vraisemblablement défensive sur le plan industriel, ce qui donnera des arguments à l’Union européenne pour défendre ses positions en matière agricole et rendra l’accord difficile.

Mais le principal danger du bilatéralisme tient à ce que les principaux perdants de cette stratégie sont les pays en développement. D’abord, parce que le bilatéralisme favorise l’intégration de certains pays du Sud et cette évolution vers des accords Nord-Sud risque d’accentuer la marginalisation des pays ne faisant pas partie du processus. Ensuite, parce que les intérêts des pays en développement sont mieux pris en compte dans un cadre multilatéral dans lequel on élabore des règles universelles. Le multilatéralisme oblige à des compromis : l’incitation à négocier dans un cadre multilatéral en modérant les grandes puissances donne des marges de manœuvre aux autres pays. En revanche, dans les accords bilatéraux, les rapports de force ne sont pas en faveur de la partie la plus faible. Ainsi, l’ALENA prévoit que s’il y a un différend entre les Etats-Unis et le Mexique, le droit américain s’impose et les tribunaux américains sont compétents. Si l’on pousse l’analyse jusqu’au bout, on peut dire que « là où l’OMC organise la libéralisation des échanges, certains pays profitent des négociations bilatérales pour diminuer leur niveau d’ouverture par rapport à leurs engagements à l’OMC ou ils y font inscrire de manière formelle le verrouillage de leur marché. Plutôt qu’une libéralisation négociée, c’est un protectionnisme organisé que mettent en place ces accords »(50).

La multiplication des ACR pose enfin le problème de la compatibilité et de l’articulation avec les règles de l’OMC. S’ils doivent en principe être compatibles et pourraient, dans le meilleur des cas, exercer une fonction anticipatrice de la règle, le contrôle auquel doit procéder le Comité des accords régionaux au sein de l’OMC est inachevé, en l’absence persistante d’accord sur les modalités de ce contrôle. Il y a tout au plus une information sur ces accords. Le risque de voir les différents cercles d’accords se décaler fortement et de marginaliser le droit multilatéral n’est pas négligeable, d’autant que ces ACR multiplient les systèmes de règlement des différends ad hoc, contournant ainsi l’Organe de règlement des différends de l’OMC.

2. Le cadre multilatéral de l’OMC doit viser à la régulation des échanges plus qu’à leur libéralisation

A mesure que la mondialisation se renforce, le besoin d’une action coordonnée des Etats pour tenter d’en encadrer les dérapages – instabilité financière, réchauffement climatique – se fait plus prégnant, d’autant que la crise de 2007-2008 a ébranlé l’idée du marché tout puissant. Les courroies de transmission entre les économies étant extrêmement nombreuses – le ralentissement des uns se répercutant inévitablement sur les autres – selon l’analyse de Thierry de Montbrial, directeur de l’Institut français des relations internationales, « les Etats sont condamnés à coopérer pour trouver des formules efficaces et légitimes pour gérer les conflits. Même les solutions ne seront pas simples à élaborer, ce n’est pas une raison pour dire que l’on ne peut rien faire »(51).

Or, les institutions internationales traversent de manière globale une phase difficile, en termes de légitimité et d’efficacité. Ainsi faute d’accords au sein de ces institutions, d’autres voies ont été recherchées comme celle du G20.

Du fait de sa spécificité institutionnelle et fonctionnelle, l’OMC a, par comparaison avec les autres instances internationales, une légitimité pour prendre une part active dans la gouvernance mondiale, les préoccupations commerciales pouvant englober d’autres enjeux.

a) Actualiser la règle de droit

Le multilatéralisme relève d’une philosophe des relations internationales reposant sur les principes de non discrimination, de traitement égal, de transparence et du caractère démocratique du consensus. Ces valeurs reflètent, de manière générale, une façon de vivre ensemble. A l’origine de la création de l’OMC, était le besoin de sécurité juridique et de prévisibilité dans l’ordre commercial international alors que l’on se rendait de plus en plus compte que tout le monde tirerait profit d’un système commercial multilatéral fondé sur des règles légales et non sur le pouvoir économique.

Génétiquement, l’Union européenne, qui a besoin d’un système fondé sur des règles où les engagements des uns et des autres soient cadrés, a été un des principaux architectes du système commercial multilatéral. Lors de la séquence Seatlle – Doha, Pascal Lamy, alors commissaire européen au commerce voulait faire de l’OMC, le laboratoire pour la gouvernance mondiale, notamment pour contrer l’unilatéralisme des Etats-Unis qui, s’ils ont ratifié l’accord de Marrakech institutionnalisant l’OMC, ont préservé tout un arsenal législatif pour des sanctions commerciales unilatérales(52).

L’émergence de nouvelles puissances économiques avec notamment l’entrée de la Russie à l’OMC en 2012, rendra l’élaboration de ces règles encore plus nécessaires. L’adhésion à l’OMC de ce pays aura pour effet de le mettre au diapason des règles alors que pour l’heure, ses comportements, tant sur le plan des droits de douane que des obstacles non tarifaires (investissements automobiles, normes sanitaires), sont loin d’être conformes aux règles du commerce international. Il n’est cependant pas sûr que cette adhésion produise des effets immédiats et considérables car, contrairement à la Chine qui a fait en sorte
– même si les résultats sont souvent inégaux et formels – que son adhésion se déroule dans de bonnes conditions, la Russie, dont le marché est beaucoup moins ouvert, ne voit pas cette entrée avec l’esprit sous-jacent de réformes qu’ont eu les Chinois.


Les conditions de l’adhésion de la Russie à l’OMC en 2012

La Russie est membre du Fonds monétaire international (FMI) ainsi que de la Banque mondiale depuis 1992. La première démarche officielle de la Fédération de Russie pour adhérer à l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), devenu l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1995, date de 1993. L’Union européenne a, par ailleurs, accordé à la Russie, en 2002, le statut d’économie de marché, ce qui lui permet d’éviter les procédures anti-dumping dont elle faisait l’objet de la part de l’Union européenne.

Après 18 ans de négociations, le dossier d’adhésion de la Russie va être transmis à la Conférence ministérielle de l’OMC qui aura lieu du 15 au 17 décembre 2011 et au cours de laquelle les 153 pays membres de l’OMC devraient approuver cette accession. La Russie aura ensuite jusqu’au 15 juin 2012 pour ratifier cette adhésion.

Si l’Union européenne et la Russie ont clôturé leurs négociations bilatérales en mai 2004, l’adhésion de la Russie a ensuite été bloquée, en raison de la création de l’Union douanière avec le Kazakhstan et la Biélorussie.

I Les obstacles à cette adhésion ont été levés


1. Les obstacles multilatéraux


L’agriculture était un obstacle important. En effet, la Russie souhaitait maintenir ses subventions, ce que dénonçaient notamment l’Australie, le Canada et la Nouvelle Zélande. Le système financier posait également problème pour les russes qui craignaient une concurrence des banques étrangères pour les services financiers et bancaires. Sur la question de l’énergie, les Etats-Unis et l’Union européenne considéraient que les entreprises russes bénéficiaient d’avantages du fait du coût de l’énergie : ainsi la Russie vend son électricité environ à 0,013 dollar le mégawatt/heure sur le marché domestique alors qu’elle l’exporte vers l’Europe à un prix moyen de 20 dollars. S’agissant des tarifs douaniers, la Russie souhaitait conserver une politique des tarifs douaniers, visant à protéger certains secteurs comme le secteur agricole, l’automobile et l’aéronautique civile.

2. Des questions préoccupantes pour l’Union européenne


Si en décembre 2010, l’Union européenne et la Russie ont signé un protocole d’accord sur les questions en suspens particulièrement préoccupantes pour l’Union européenne, un certain nombre de questions nouvelles ont fait leur apparition par la suite, notamment le nouveau décret russe sur les investissements dans le secteur de l’assemblage automobile.

Ce décret accorde aux constructeurs automobiles étrangers qui ont implanté des usines de production en Russie des préférences commerciales sous forme de droits réduits pour l’importation de composants en échange de leurs engagements à respecter les prescriptions relatives à la teneur en éléments d’origine nationale. Ce décret contrevient à l’Accord sur les mesures concernant les investissements et liées au commerce (MIC) qui constitue un ensemble de règles de l’OMC relatives aux mesures applicables aux investissements étrangers. La Russie a demandé que ce secteur soit exempté des règles de l’accord MIC jusqu’en 2020, ce qui n’a pas de précédent dans l’histoire de l’OMC.

Une solution de compromis a été trouvée afin de concilier d’une part, les préoccupations des constructeurs européens qui ont déjà investi en Russie et les constructeurs et fabricants de composants automobiles qui exportent vers la Russie et, d’autre part, le souhait de la Russie de moderniser son économie. A été décidé un accord sur un mécanisme de compensation à activer en cas de baisse des exportations de pièces automobiles européennes vers la Russie due à ce nouveau régime d’investissements.

L’Union européenne a également obtenu des règles plus claires pour l’exportation de produits agricoles et alimentaires ainsi qu’un régime tarifaire fiable pour les exportations de bois.
Par ailleurs, la Russie a donné à l’Union européenne la garantie qu’un accord visant à modifier le système de paiement pour le survol de la Russie qui est très coûteux pour les compagnies aériennes européennes sera rapidement mis en
œuvre.

3. Un obstacle politique : le conflit russo-géorgien


Outre les obstacles économiques, un autre obstacle majeur était politique, lié au conflit russo-géorgien. La Géorgie, membre de l’OMC depuis 2000, avait maintes fois indiqué son intention de s’opposer à cette adhésion, en raison de l’intervention russe en Géorgie ainsi que de sa reconnaissance de l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. Cette déclaration était d’autant plus importante que chaque Etat membre de l’OMC dispose d’un pouvoir de veto.

Au début du mois de novembre 2011, la Russie a accepté le compromis établi par la Suisse, sur la légalisation des postes douaniers en Abkhazie et Ossétie du Sud. L’accord prévoit un contrôle international par une société privée indépendante qui servira de médiateur entre les douanes géorgiennes et russes, de l’entrée et la sortie de marchandises dans la région.

II Les engagements pris par la Russie pour son adhésion à l’OMC


1. Dans le domaine agricole


– S’agissant de l’accès au marché, le plafond tarifaire moyen pour les produits de ce secteur sera de 10,8 %, contre 13,2 % aujourd’hui. Les droits de douane seront réduits pour une série de produits et atteindront en moyenne, après application intégrale de ces baisses, 14,9 % pour les produits laitiers (contre 19,8 % actuellement), 10 % pour les céréales (contre 15,1 %), 7,1 % pour les oléagineux, les graisses et huiles (contre 9 %), 223 dollars/tonne pour le sucre (contre 243 dollars), tandis que les tarifs pour le coton seront consolidés à zéro. Des quotas tarifaires seront instaurés pour la viande bovine, le porc, la volaille et certains produits à base de lactosérum. Les droits à l’intérieur et hors du quota seront respectivement de 15 % et 55 % pour la viande bovine, de 0 % et 65 % pour le porc (le quota devant être remplacé au 1er janvier 2020 par un droit forfaitaire de 25 %), de 25 % et 80 % pour certains produits sélectionnés à base de volaille, de 10 % et 15 % pour certains produits à base de lactosérum. Certains de ces quotas feront l’objet d’allocations spécifiques à des pays membres de l’OMC.

– Les restrictions quantitatives à l’importation, tels que les quotas, les interdictions, les autorisations, les autorisations préalables ou les licences, qui ne seraient pas justifiées au regard de l’OMC seront éliminées et ne seront pas réintroduites.

– S’agissant des subventions agricoles, le soutien total porteur de distorsions de concurrence ne dépassera pas 9 milliards de dollars en 2012 et sera progressivement réduit à 4,4 milliards d’ici 2018. Pour éviter une concentration excessive des subventions sur des produits pris individuellement, de la date de l’adhésion au 31 décembre 2017, le soutien annuel allant à des produits spécifiques ne devra pas excéder 30 % du soutien non destiné à des produits particuliers. Toutes les subventions à l’exportation seront consolidées à zéro.

2. Mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS)


La Russie appliquera les normes SPS internationales et, pour cela, participera activement au Codex Alimentarius, à l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) et à la Convention internationale sur la protection des plantes. Les raisons invoquées pour la suspension, l’annulation ou le refus d’un permis d’importation devront être conformes aux normes, recommandations et directives internationales ainsi qu’à l’accord SPS de l’OMC. Sauf en cas de risques sérieux pour la santé animale ou humaine, le Service fédéral de surveillance vétérinaire et phytosanitaire (Rosselkhoznadzor), ne suspendra pas les importations en provenance d’établissements sur la base des résultats d’une inspection sur place avant d’avoir donné aux pays exportateurs la possibilité de proposer des mesures correctives. Il enverra un rapport préliminaire à l’autorité compétente du pays exportateur pour commentaires.

3. Protection de la propriété intellectuelle liée au commerce


La Russie appliquera pleinement les dispositions de l’accord de l’OMC sur les aspects des droits de propriété intellectuelle liés au commerce, y compris les mesures d’exécution, sans recourir à une période transitoire.

4. Fonctionnement de l’union douanière Russie, Kazakhstan et Belarus


Créée le 1er janvier 2010, cette union a abouti le 1er juillet 2011 à l’abolition de toutes les frontières douanières entre les trois pays. A partir du 1er janvier 2012, ceux-ci constitueront un espace économique unique.

III Les avantages d’une adhésion de la Russie à l’OMC


Cette adhésion ouvrira pour l’Union européenne des occasions d’entrée sur le marché russe tant pour les investisseurs que pour les exportateurs, du fait de la baisse des droits russes. De plus, les droits à l’exportation seraient soumis à un plafond pour toute une série de matières premières essentielles.

La Russie est le troisième partenaire commercial de l’Union européenne, après les Etats-Unis et la Chine. L’Union européenne est le premier partenaire commercial de la Russie, avec une part représentant 45,8 % de ses échanges en 2010. Le total des échanges avec la Russie s’élevait à 244 milliards d’euros en 2010, contre 183 milliards d’euros en 2009. En 2010, les importations de la Russie vers l’Union européenne ont augmenté de 31,4 % et les exportations de l’Union européenne vers la Russie de 38,2 %. L’Union européenne est de loin l’investisseur le plus important en Russie : on estime que plus de 75 % du stock d’investissements provient de l’Union européenne.

L’adhésion de la Russie à l’OMC devrait globalement amélioré le climat général des affaires et des investissements dans la mesure où la Russie s’engage à respecter les normes internationales de produits et les règles de l’OMC dans un certain nombre de domaines, comme les procédures internationales douanières, les licences et la propriété intellectuelle. Cette adhésion aura également des avantages en termes de transparence et de prévisibilité de l’économie russe.

Alors qu’elles auraient dû prioritairement porter sur l’élaboration de règles, les négociations se sont dès le début mal engagées et ont visé principalement la libéralisation des échanges. Ce glissement sémantique fut sans doute l’erreur de base du PDD. Sur le plan technique, le débat s’est crispé sur la question de l’ouverture et celle du protectionnisme. En essayant de démontrer les avantages du libre-échange ou en mettant en avant les défaillances des marchés internationaux légitimant des mesures de protection, les études universitaires ont nourri ce débat. Comme l’a souligné M. Pierre Jacquet devant vos rapporteurs, la question n’est en fait pas de savoir si le commerce international nuit à la croissance mondiale ou la favorise. En tout état de cause, l’ouverture au commerce modifie l’environnement dans lequel les différents acteurs agissent et implique que des pans entiers de l’économie évoluent. Dès lors, la vraie question est de savoir comment gérer les transitions induites par cette ouverture. C’est là que la problématique internationale rejoint les enjeux des politiques économique et sociales internes dans la mesure où il s’agit de s’ajuster et de rendre l’ouverture la moins coûteuse possible, voire bénéfique.

Le débat à l’OMC n’a donc pas porté sur l’essentiel, à savoir que le bénéfice majeur du cadre multilatéral n’est pas la libéralisation des échanges en tant que telle mais l’élaboration d’un cadre de règles crédibles et transparentes.

L’avantage du multilatéralisme est d’abord de ne pas laisser en tête à tête des Etats ayant des pouvoirs de négociation très différents, l’asymétrie évoquée supra est de nature à causer des dommages aux plus faibles. Comme le dit Peter Sutherland, « il y a une grande différence entre la négociation multilatérale de règles universelles et l’imposition concrète de ces règles- voire l’obtention de concessions- dans une négociation entre l’Union européenne et les Etats-Unis et un partenaire moins important. Alors que les pays en développement importants – tels que le Brésil, la Russie, l’Inde ou la Chine- peuvent éviter l’imposition de telles règles de la part des pays avancés, la plupart des autres pays en développement ne le peuvent pas ».

Dans la mesure où l’OMC crée du droit, avec l’appui de l’Organe de règlement des différends, cela peut être un levier pour avancer en faveur d’un développement des échanges plus durable et plus équitable.

Ce dont ont besoin les agents économiques n’est pas tant un accès libre au marché – car en tout état de cause, les coûts liés au commerce international sont importants (en termes de logistique, de compréhension des marchés locaux, de fluctuation des taux de change…) – que de conditions d’accès prévisibles. Un marché ne peut pas être une jungle et il n’y a pas de marché sans système juridique. Quand on parle de libéralisation des échanges, il s’agit donc plutôt de trouver un système permettant aux marchés de fonctionner de façon efficace, en recherchant un cadre conciliant des systèmes différents ainsi que des règles optimales et dynamiques.

Les règles de l’OMC datent de 1995 et certaines sont obsolètes et devraient donc être réactualisées à la lumière des nouveaux enjeux, comme par exemple dans un domaine qui se révèle de plus en plus crucial, les matières premières. L’organe de première instance de l’OMC a été saisi par les Etats-Unis, l’union européenne et d’autres pays (Japon, Brésil) qui estimaient que les quotas et les prix à l’exportation mis en œuvre sur certaines matières premières (coke, bauxite, zinc, magnésium) par la Chine n’ont pour but que de faire bénéficier les entreprises chinoises de meilleures conditions et constituent ainsi une distorsion à la concurrence par cette préférence nationale. La Chine a été reconnue coupable de pratiques anticoncurrentielles en août 2011.

L’OMC dans le « triangle de gouvernance mondiale »(53)

Tout système de gouvernance doit obéir aux quatre exigences de leadership politique afin de créer le mouvement ; de légitimité, indispensable à l’adhésion aux décisions ; d’efficacité en générant des résultats visibles des décisions et enfin de cohérence, ce qui exige que des compromis soient trouvés sur des objectifs souvent contradictoires.

Trois niveaux de gouvernance répondent à ces exigences. Pascal Lamy illustre ce propos par l’image des trois états physiques. L’état gazeux(54) correspond à un système international constitué d’Etats souverains, organisé selon une logique horizontale et dont le mécanisme de responsabilité est décentralisé : c’est sur le mode de fonctionnement de la plupart des organisations internationales telles que l’OMC. L’état liquide correspond à l’Union européenne, organisation internationale dans laquelle les Etats membres ont consenti à des abandons de souveraineté pour renforcer la cohérence et l’efficacité de leurs actions. L’état solide est celui du niveau national, détenteur du « hard power », celui qui a la capacité de contraindre.

Regroupant 156 Etats membres et fonctionnant selon la règle du consensus, l’OMC répond à l’exigence de légitimité. S’agissant de l’efficacité, elle jouit d’une double spécificité, institutionnelle par son système de règles et de procédures encadré par un mécanisme de règlements des différends qui est unique dans le système intergouvernemental et qui lui donne incontestablement, un surplomb : la procédure de règlement des différends s’est révélée suffisamment indépendante pour condamner à plusieurs reprises les Etats-Unis ou l’Union européenne; spécificité sectorielle dans la mesure où le commerce se situe au carrefour de nombreux sujets de gouvernance.

Le défi pour l’OMC est la mise en place d’un système de gouvernance qui offre un meilleur équilibre entre leadership, efficacité, légitimité et cohérence afin de sortir le système de gouvernance mondiale de son état gazeux.

Selon l’analyse de Pascal Lamy, la crise économique a accéléré la transformation de la gouvernance mondiale en ce qu’il nomme le « triangle de cohérence ». Sur un côté du triangle, le G20 donne le leadership politique et les orientations générales. Sur le deuxième côté, les organisations internationales conduites par les Membres fournissent le savoir-faire et des contributions spécialisées, qu’il s’agisse de règles, de politiques ou de programmes. Sur le troisième côté du triangle, on trouve le G-192 ou les Nations unies, qui permettent aux responsables de rendre compte de leur action.

Le G20 fonctionne parce qu’il assure un leadership politique des Etats qui pèsent le plus lourd en termes économiques ou politiques, mais sa légitimité est contesté par ceux qui n’y participent pas et il n’a pas à lui seul de structures institutionnelles pour générer des règles.

Dans la conception de la gouvernance décrite ci-dessus, l’OMC remplit certaines des exigences et participe à un processus institutionnalisé de règles, ce qui peut corriger l’impression d’échec que donne le non aboutissement de Doha. Comme l’a exposé aux rapporteurs, Mme Hélène Ruiz Fabbri(55), si l’on porte un regard plus distancié sur l’agenda de Doha, le blocage des négociations ne signifie pas que l’OMC soit restée immobile. Elle a assuré la production de règles relatives au commerce, soit par le biais du suivi des accords qu’elle chapeaute, soit par le biais de l’Organe de règlement des différends, participant ainsi à la progression du multilatéralisme. Ce rôle réglementaire de l’OMC est considéré par les Etats membres, en particulier pour les pays en développement, comme un bien public. Cette production normative par la gestion et l’administration de l’existant n’attire pas le regard et l’on manque sans doute de radars pour en mesurer la portée, mais elle participe à une harmonisation rampante et une perception non pathologique du système. Ce faisant, elle peut préparer aux futures négociations.

Cette élaboration et la consolidation de la règle se fait notamment par le biais des comités de suivi de chaque accord commercial. L’une des disciplines essentielles de l’OMC est la transparence, ce qui implique l’obligation pour les Etats de notifier leurs mesures nationales en matière de politique commerciale. Leur examen donne lieu à débat et s’il n’y a pas de conclusion formelle quant à leur compatibilité à la règle, l’obligation de transparence incite à une telle compatibilité. Ces débats sont aussi l’occasion pour certains Etats de signaler d’éventuels problèmes d’application. C’est notamment le cas en matière de mesures sanitaires et phytosanitaires, dont certains pays en développement ont mentionné des difficultés pour respecter certains niveaux d’exigence. Cette démarche peut conduire à des amendements et éviter ainsi que la question ne devienne contentieuse. Enfin, les débats sur l’interprétation de certaines dispositions peuvent faire progresser sur la voie d’une interprétation partagée et d’une harmonisation.

Une autre forme de contribution à la régulation résulte des relations entre les divers comités et les organismes de standardisation. Ainsi, en matière de mesures sanitaires et phytosanitaires, si les Etats peuvent choisir leur niveau de protection, ils ne peuvent pour autant pas utiliser des mesures restrictives à des fins protectionnistes. Ils sont dispensés de ces justifications s’ils adhérent à certaines normes internationales comme celles élaborées au sein du Codex alimentarius (commission conjointe de la FAO et de l’Organisation mondiale de la santé) ou l’Organisation internationale des épizooties. Ces comités peuvent favoriser les échanges d’informations et peuvent ainsi contribuer au processus d’harmonisation et être des lieux de pré négociation pour un certain nombre de questions techniques : le fait que ces questions ne soient pas abordées en termes politiques peut faciliter des approches moins tendues.

Par ailleurs, l’OMC a tissé des liens avec d’autres organisations internationales, en développant des relations de travail avec environ 200 d’entres elles. Par ce biais, l’OMC peut apporter son expertise, à travers certains programmes comme le programme en matière d’évaluation du commerce des services qui, après un travail de collecte de données, complété par une étude de la CNUCED, a aidé les pays en développement à définir leurs positions lors des négociations commerciales.

Si ce travail de l’OMC doit être souligné, il est vrai qu’il atteint ses limites, du fait notamment de la spécialisation des comités et donc de la segmentation de leurs travaux ainsi que de leur caractère intergouvernemental. Comme le souligne Mme Hélène Ruiz Fabbri, il y a sans doute « un chaînon manquant qui permettrait de relier le fruit de cette administration quotidienne à la projection dans le futur que sont censées être les négociations globales ».

Une de principales forces de l’OMC réside dans son système de règlement de différends. Contrairement au mécanisme de règlement des différends du GATT qui s’était enrayé du fait des possibilités de blocage des Etats membres, les modalités de fonctionnement de l’Organe de règlement des différends ont visé à l’efficacité : exclusivité pour tous les litiges relatifs aux droits et obligations, phases de la procédure enfermées dans des délais, saisine unilatérale, seul le plaignant pouvant demander la suspension de la procédure, mise en œuvre de la décision placée sous surveillance multilatérale.

Le site de l’OMC présente le mécanisme de règlement des différends comme « la clef de voûte du système commercial multilatéral et la contribution sans précédent de l’OMC à la stabilité de l’économie mondiale. Sans un moyen de régler les différends, le système fondé sur des règles ne serait d’aucune utilité car les règles ne pourraient pas être appliquées ».

De fait, ce mécanisme est très utilisé par les Etats membres : plus de 400 plaintes ont été déposées(56). Si les Etats-Unis et l’Union européenne sont les plus gros litigants, on observe une augmentation continue des cas opposant des pays en développement entre eux ou impliquant la Chine. Ce pays a ainsi été condamné en décembre 2008 dans un litige l’opposant à l’Union européenne dans une affaire de pièces détachées automobiles. L’organe d’appel a estimé que la Chine avait violé ses obligations en créant un système d’enregistrement et de taxation de ces pièces détachées importées qui encourage l’utilisation des pièces nationales plutôt que des pièces importées. Le taux de respect des décisions est élevé et on dénombre peu de cas de résistances de longue durée.

Même si cela se fait à l’occasion d’un conflit, la jurisprudence de l’ORD est source de droit. Ainsi, en matière d’environnement qui représente un quart des rapports de l’organe d’appel, l’ORD a précisé les conditions d’application de l’article XX du GATT et dans quelle mesure les membres de l’OMC peuvent prendre des mesures liées au commerce pour protéger l’environnement et être exemptés des dispositions fondamentales du GATT (non-discrimination, restrictions quantitatives).

L’existence de l’ORD est plutôt un facteur de justice dans la mesure où les plus faibles peuvent au même titre que les Etats les plus puissants faire reconnaître leurs droits. Cependant, comme le faisait remarquer Mme Hélène Ruiz Fabbri, « il ne prétend pas être redistributeur de puissance et n’attribue donc pas aux plus faibles la capacité pratique de réagir de manière efficace dés lors qu’ils n’ont pas une puissance commerciale suffisante ».

C’est la raison pour laquelle, certains points de la procédure (question de l’origine professionnelle ou politique des panélistes et celle de la transparence) qui matérialisent des antagonismes entre pays développés et pays en voie de développement, gagneraient à être revus.

b) Canaliser les tentations protectionnistes

Si sur le plan conceptuel, le discours protectionniste gagne du terrain, il n’y a cependant pas eu, comme la crise économique aurait pu le faire craindre, de poussée majeure de protectionnisme. Même si l’on peut expliquer le faible recours aux mesures protectionnistes par le recours à d’autres biais (dévaluation des monnaies, dumping social…) et par la division internationale du travail qui conditionne notamment la compétitivité des exportations aux importations d’inputs, l’arrimage à l’OMC a canalisé les tendances par le biais de certains mécanismes (auto déclaration, dénonciation de mesures comme les subventions, dumping bien encadré), qui ont réussi à prévenir les abus. Ces mécanismes de transparence assez bien conçus et efficaces reposant sur l’autodéclaration et la dénonciation ont évité le délitement des disciplines. Comme l’a exprimé M. Pascal Lamy devant vos rapporteurs, le système multilatéral a tenu, représentant ainsi une sorte de police d’assurance fondamentale, notamment pour les pays en développement qui dépendent du commerce.

Cependant, on ne peut exclure le risque de poussées protectionnistes. Un rapport conjoint de l’OMC, de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) et la CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement)(57) constate que davantage de nouvelles mesures commerciales restrictives ont été mises en œuvre : pour la seule période allant d’octobre 2010 à avril 2011, les membres du G20 ont appliqué trente nouvelles restrictions à l’exportation. Ces restrictions sont intervenues alors que ces pays avaient réaffirmé à Séoul, en novembre 2010, qu’il était impératif de résister au protectionnisme et que les chefs d’Etat avaient convenu, lors du sommet de Toronto en juin 2010, de retirer toutes les mesures protectionnistes et les mesures en contradiction avec les règles de l’OMC. Plusieurs pays ont ainsi décrété un embargo sur les exportations agricoles (Russie, Ukraine, Argentine), la Chine, sur les terres rares et plus généralement sur les matières premières. Le commissaire européen au Commerce, Karel De Gucht s’est inquiété de mesures prises par l’Argentine de licences d’importation ou des mesures de taxation de l’industrie automobile sur les exportations prises par le Brésil(58).

Des études(59) montrent qu’un échec du cycle de Doha accélèrerait une tendance mondiale au protectionnisme qui réduirait le commerce mondial. Ce rôle préventif de l’agenda de Doha représente les avantages systémiques qu découlent de l’adoption d’engagements contraignants et ayant force exécutoire au sein de l’OMC.

Comme le rappelait Jacques Mistral, il « faut toujours écarter les tentations protectionnistes pour une raison simple qui n’a rien à voir avec les vertus présumés du libre échange, c’est que le protectionnisme par définition appelle la rétorsion et que de restriction en rétorsion, il est absolument certain que tous les participants voient leur situation se détériorer progressivement »(60).

Lors du sommet du G20 de Cannes en novembre 2011, les Etats se sont engagés à « retirer toutes les nouvelles mesures protectionnistes qui auraient pu apparaître ». L’action de l’OMC contribuera à l’application de cette résolution.

B. Au-delà de l’agenda de Doha, paver le chemin du multilatéralisme

A la veille de la huitième conférence ministérielle de l’OMC à la mi-décembre 2011 à Genève, il est quasiment certain que l’on n’aboutira pas à la conclusion des laborieuses négociations engagées depuis 2001, même si l’Union européenne a tenté de « relancer la machine » avec notamment une étude aux





résultats engageants sur les gains possibles d’un accord(
61). En effet, si beaucoup de dossiers sont avancés, d’autres sont bloqués de manière rédhibitoire. Au moment où le G20 de Cannes a, le 4 novembre dernier, finalisé un plan d’action pour la croissance et a réaffirmé leur engagement à lutter contre le protectionnisme « sous toutes ses formes », les Etats ont renoncé à appeler une nouvelle fois à une conclusion réussie du cycle de Doha.

Eviter le recours au protectionnisme et renforcer le système commercial multilatéral (Extrait du communiqué final du G20 de Cannes, les 3 et 4 novembre 2011)

Alors que l’économie mondiale traverse une période critique, il est important de souligner les mérites du système commercial multilatéral pour éviter le protectionnisme et le repli sur soi. Nous réaffirmons nos engagements de statu quo jusqu’à la fin de 2013, comme décidé à Toronto, et nous nous engageons à retirer toutes les nouvelles mesures protectionnistes qui auraient pu apparaître, y compris les nouvelles restrictions aux exportations et les mesures d’encouragement des exportations qui seraient contraires aux règles de l’OMC. Nous demandons à l’OMC, à l’OCDE et à la CNUCED de continuer à assurer le suivi de la situation et de rendre compte publiquement tous les semestres.

Nous restons attachés au mandat du programme de Doha pour le développement (PDD). Toutefois, il est clair que nous ne conclurons pas le PDD si nous continuons à conduire les négociations comme par le passé. Nous reconnaissons les progrès accomplis jusqu’ici. Pour contribuer à restaurer la confiance, nous devons mettre en oeuvre en 2012 des approches neuves et crédibles pour faire progresser les négociations, notamment en ce qui concerne les préoccupations pour les pays les moins avancés et, s’ils peuvent aboutir, les éléments restants du mandat de Doha. Nous demandons à nos Ministres de travailler sur ces approches lors de la conférence ministérielle qui se tiendra prochainement à Genève, ainsi que d’ouvrir des discussions sur les défis et opportunités pour le système commercial multilatéral dans une économie mondialisée, et d’en faire rapport d’ici au sommet du Mexique.

Par ailleurs, à titre de contribution à un système commercial basé sur des règles, plus efficace, nous sommes favorables au renforcement de l’OMC qui doit jouer un rôle plus actif dans l’amélioration de la transparence des relations et des politiques commerciales et dans celle du fonctionnement du mécanisme de règlement des différends.

1. Doha, fin de partie ?

a) Le cycle de Doha ne sera conclu ni en 2011, ni à une échéance proche

Même si le principe d’incertitude guide toute négociation, l’improbabilité de conclure le cycle de Doha est un constat partagé par la Communauté internationale.

En 2010, une dynamique des négociations avait été perceptible, Pascal Lamy ayant mis en place une « approche cocktail » consistant en des réunions organisées par les présidents des différents groupes de négociation, des contacts préliminaires entre les ministres du commerce et ses propres consultations avec les délégations sur des questions. Le directeur général de l’OMC estimait toutefois que l’on était arrivé à un stade où il n’était plus possible de progresser par petits pas et qu’une étape politique pour horizontaliser le processus était nécessaire. Le sommet du G20 à Séoul en novembre 2010 a donné cette impulsion politique. Les chefs d’Etat se sont approprié le sujet de Doha et ont défini la conclusion du cycle comme un objectif. Le Président Obama avait même indiqué être prêt à user de son capital politique pour faire approuver par le Congrès un « bon accord ».

Après Séoul, une phase de relance des négociations a donc été enclenchée afin d’acter, à la fin 2011, la fin du cycle avec en arrière-pensée, les échéances électorales aux Etats-Unis et le changement de direction en Chine qui empêcheraient tout accord en 2012 et rejetteraient donc sine die la conclusion du cycle. 2011 et donc l’ultime fenêtre de tir.

Cette relance devait se faire selon un calendrier ambitieux : de janvier à avril, était prévue une phase de négociations des textes ; à partir d’avril, ceux-ci devaient être discutés pour un accord lors d’une mini ministérielle en juillet afin que tout soit prêt pour la huitième conférence ministérielle de l’OMC qui se tiendra du 15 au 17 décembre. Les discussions ont commencé par des « négociations en sillons » où chaque groupe de négociations approfondit les discussions avant de présenter des offres conditionnelles sur la base des rapports présentés en avril par les différents groupes au comité des négociations commerciales(62).

Lors de sa rencontre avec les rapporteurs en janvier 2011, Pascal Lamy indiquait que la clé des négociations serait la Chine et les Etats-Unis. Or, en mars 2011, le changement de cap des Etats-Unis a été très net. En pré campagne électorale, le Président Obama, qui doit composer avec le Congrès, a refusé toute concession aux pays émergents et a remis en cause l’équilibre du paquet de juillet 2008 en faisant dans les négociations NAMA, des demandes additionnelles d’accès sectoriels aux marchés, notamment de désarmement tarifaire dans les secteurs comme les produits chimiques ou les équipements électroniques. Fondamentalement, les Etats-Unis estiment que le paquet de 2008 ne reflète plus l’équilibre mondial dans la mesure où nombre de pays
– la Chine étant principalement visée – qui étaient émergents, ont maintenant émergé et n’ont plus de problèmes de compétitivité
. De leur côté, ces pays émergents (la Chine, le Brésil et l’Inde) contestent la remise en cause des acquis du paquet de juillet 2008 et des flexibilités qu’il contient.

Dès lors, tous les sujets difficiles ont vite achoppé : crispation des Etats-Unis, de la Chine et de l’Inde sur les produits industriels, aucune avancée sur les services et l’agriculture. S’agissant de l’agriculture, 90 % du chemin ayant été fait, un accord aurait pu être trouvé sur les 10 % restant en discussion (liste des produits sensibles, clause de sauvegarde, coton), s’il y avait eu une véritable dynamique de négociations.

Dès avril, parvenir à un accord global est apparu un objectif inatteignable(63). L’Union européenne ainsi que la présidence française du G20 ont donc préconisé une solution de repli, consistant à rechercher un accord sur la dimension développement, de façon à donner aux pays en développement un gage en vue de la conclusion de négociations ultérieures (après 2012). Cette option était d’autant plus justifiée qu’elle est en cohérence avec le mandat de Doha et correspondait à la demande du groupe des pays les moins avancés d’une prise de décision avant terme (« early harvest » ou récolte précoce) dans quatre domaines : accès au marché en franchise de droits et sans quotas pour les exportations des PMA, traitement différentiel en matière de services pour les PMA, accord sur le coton et simplification des règles d’origine. Afin de pouvoir entraîner l’accord des Etats-Unis, ce paquet aurait pu être un paquet « PMA plus » qui aurait par ailleurs comporté les sujets suivants :

- facilitation des échanges (simplification des formalités douanières) ;

- concurrence à l’exportation en matière agricole : l’Union européenne ne serait prête à l’accepter qu’à la condition d’un rééquilibrage par d’autres sujets (subventions horizontales, instruments de défense commerciale et concurrence à l’exportation en général) ;

- subventions aux pêcheries : il s’agit d’un sujet délicat pour l’Union européenne et les Etats-Unis ont présenté des mesures clés (interdiction des subventions affectant la pêche durable, les échanges de droits de pêche) rendant un accord difficile ;

- libéralisation des biens et services environnementaux : les pays émergents y voient un sujet d’accès aux marchés tandis qu’un accord sur la liste sera difficile à obtenir ;

- mécanisme de suivi du traitement spécial et différencié (TSD) : il s’agirait d’accorder aux pays en développement des flexibilités additionnelles (obligations plus souples et délais plus longs).

Du fait de points d’achoppement durs entre les Etats-Unis et les pays émergents, en particulier, la Chine, les chances de parvenir à cet accord même a minima(64) se sont progressivement amenuisées. Sur le dossier du coton, les Etats-Unis ont indiqué ne pas pouvoir anticiper le contenu du futur « farm bill » en voie de révision et les Chinois n’ont donné aucun signe d’ouverture. S’agissant de l’accès en franchise de droits pour les PMA (« duty free, quota free »), les Etats-Unis ayant indiqué craindre l’opposition du Congrès si cette concession était faite sans contrepartie de la part des pays émergents. Tous les autres points – facilitation du commerce, pêche – se sont trouvés otages de ces sujets. Il n’y a pas d’éléments catalyseurs pour faire avancer les négociations et notamment pas d’efforts significatifs des pays émergents qui n’ont par ailleurs pas de visions partagées de la mesure de l’effort qu’ils sont prêts à mettre dans la balance des négociations.

La situation de blocage est au fond liée à la position des Etats-Unis qui ont sans doute signé un peu rapidement le mandat de Doha en 2001. Ce mandat faisait une large part aux pays en développement et la notion de déséquilibre qui en était le corollaire n’a jamais vraiment convenu aux Etats-Unis. Cette opposition de principe s’est accentuée dans la mesure où la donne économique a changé. Ils mettent en avant leurs difficultés économiques et la nécessité pour les pays émergents d’apporter leur pierre à la construction de l’édifice multilatéral.

Depuis septembre 2011, on peut constater une nette inflexion de la position des Etats-Unis qui, après avoir donné l’impression qu’ils travaillaient sur la base d’un accord possible, sont maintenant « sortis du bois ». Ils semblent résignés à prononcer l’acte de décès de Doha afin de partir sur d’autres bases. Ainsi, en septembre dernier, le représentant permanent des Etats-Unis à l’OMC, Michael Punke, a déclaré, le 26 juillet 2011 devant le Comité des négociations commerciales de l’OMC, que le cycle de Doha était au point mort et qu’il valait mieux ne pas avoir d’accord qu’un mauvais accord. Cette position suivie par les pays du groupe de Cairns(65). L’erreur collective a sans doute été dans cette phase de négociation d’avoir laissé les Etats-Unis mener leur agenda bilatéral avec la Chine avec l’illusion qu’un terrain d’entente était possible : il aurait sans soute été préférable de multilatéraliser les négociations.

b) Quelles perspectives pour conclure en décembre un accord suffisamment équilibré pour donner un sens à l’après 2011 et préserver la crédibilité de l’OMC?

Cette vision américaine consistant à « mettre à la poubelle » dix ans de négociations n’est pas partagée par la majorité des Etats, notamment par les pays en développement pour lesquels il est impensable de renoncer aux engagements de Doha en matière de développement. Elle n’est pas non plus celle de l’Union européenne. Le Commissaire européen au commerce Karel De Gucht a réaffirmé son attachement à la défense du système de régulation multilatérale(66). L’Union européenne a beaucoup fait pour permettre aux négociations d’avancer. Elle a ainsi élaboré une proposition technique de compromis sur les produits industriels et est par ailleurs prête à accepter le compromis sur les services. Le Parlement européen a, pour sa part, adopté en septembre une résolution appelant à conclure le cycle sur des mesures favorables aux pays en développement(67).

En tout état de cause, même si les perspectives du mandat de Doha sont atones, cet agenda est le seul qui existe. Comme l’a souligné M. Jean Luc Demarty, directeur général à la direction du commerce extérieur à la Commission européenne à vos rapporteurs, pour en changer, il faudrait en élaborer un autre, ce qui prendrait des années. En l’absence d’alternative, il est nécessaire de trouver un accord équilibré en décembre.

Les pays les moins avancés et les petits pays en développement ont fait valoir que l’impasse du cycle les empêchait de tirer parti des gains promis tels que l’accès en franchise de droits et sans contingent aux marchés des pays développées. Il y a déjà un acquis qu’il serait dommage de ne pas avaliser dans un accord même partiel au moment où l’on approche du moment de vérité, et contrairement à l’idée défendue par les Etats-Unis selon laquelle il faudrait mieux un accord que par d’accord du tout (pour les Etats-Unis, un mauvais accord est un accord qui ne libéraliserait pas les échanges).

En tout état de cause, quel que soit le format du paquet auquel aboutira la Conférence ministérielle de décembre, il est certain que ne pourront pas traitées les questions relatives à l’accès aux marchés, aux règles (mesures antidumping, subventions et mesures compensatoires) et la propriété intellectuelle (indications géographiques).

Sur la base du « paquet PMA plus »mentionné supra, les difficultés sont liées tout à la fois à un paquet trop restreint et à un paquet trop large.

Un paquet trop restreint poserait des problèmes dans la mesure où les Etats-Unis font un lien entre les différents sujets. Ils ont notamment des difficultés à envisager un accès préférentiel « Duty free, quota free » en faveur des PMA, en raison de difficultés sur le textile du Bengla Desh et sur le dossier du coton avec les pays du C4 (Bénin, Burkina Faso, Mali et Tchad). De plus, ils ne sont prêts à avancer sur le dossier PMA qu’à condition d’obtenir des contreparties sur les pêcheries et sur les biens et services environnementaux. Mais dans la mesure où ces sujets ne sont pas mûrs, cette attitude des Etats-Unis pourrait être analysée comme un positionnement tactique afin de mutualiser l’échec. Les grands pays émergents ne sont d’ailleurs prêts à des engagements envers les PMA qu’autant que leurs concessions soient équilibrées au regard de celles des Etats-Unis.

Définir un paquet trop large serait prendre le risque de repartir dans des négociations sans fin. De plus, un paquet incluant les sujets pouvant être engrangés plus facilement que les sujets accès aux marchés, par exemple le paquet agricole de 2008, priverait les parties à la négociation, et plus particulièrement l’Union européenne, de marges de négociation quand reprendront les négociations sur l’accès aux marchés. En effet, l’Union européenne a des intérêts offensifs sur l’industrie et les services ainsi que sur la propriété intellectuelle (indications géographiques). Elle ne peut donc pas épuiser ses marges de manœuvre en agriculture, au risque de se trouver dans une position défensive et d’être acculée à de nouvelles concessions en matière agricole.

Un accord en décembre pourrait donc prévoir :

- compte tenu de l’importance du cycle pour ces pays et des limites des avantages tirés par ces pays des règles de l’OMC (voir fiche supra « La situation particulière des PMA dans les flux et les règles du commerce international »), des engagements supplémentaires envers les PMA, qui, à l’image du régime TSA (Tout sauf les armes) européen pourrait concerner 100 % des produits, et engageraient l’ensemble des pays du G20 (alors que dans la déclaration de Hong Kong de 2005, les pays en développement ne sont engagés à accorder l’accès en franchise de droits que dans la mesure où ils se déclarent en mesure de le faire), ce qui pourrait entraîner l’accord les Etats-Unis et de mettre en œuvre la différenciation entre pays émergents et pays en développement ;

- une liste de sujets de discussion pour 2012, comme les mesures de facilitation du commerce dont il est prouvé qu’elles ont une grande valeur en termes macroéconomiques (selon les études qui estiment entre 450 et 500 millions de dollars le gain potentiel du cycle de Doha en termes d’exportations, un tiers pourrait être imputable à de telles mesures) et un paquet NAMA sur des secteurs limités (la Commission européenne en a listé quelques-uns comme les biens et services environnementaux, la joaillerie, les forêts) ;

- un rééquilibrage de l’agenda de Doha vers plus d’équité et de réciprocité, en demandant notamment aux économies émergentes, des concessions correspondant à leur niveau de développement et de compétitivité ;

- un pilier non directement lié à l’agenda de Doha, sur l’amélioration du fonctionnement de l’OMC (transparence des politiques commerciales et fonctionnement de l’ORD).

2. Rénover le cadre multilatéral et la gouvernance de l’OMC sur la base des principes de réciprocité et d’équité

S’agissant du processus de négociation actuellement soumis à la contrainte du consensus et de l’intégration de tous les thèmes de la négociation dans un engagement unique, beaucoup d’idées ont été explorées, notamment dans le rapport Sutherland(68) et celui de la commission Warnick(69). Vos rapporteurs souhaiteraient tracer quelques voies d’évolution possibles afin que l’OMC conserve son rôle au sein de la gouvernance mondiale. La règle du consensus ne doit pas être remise en cause car elle renforce la légitimité des accords, ce qui est « nécessaire et souhaitable, car le degré de légitimité diminue à mesure que l’on s’éloigne des processus politiques internes »(70). Elle peut être considérée comme un bien public mondial de la gouvernance de l’OMC. Pour autant, dans la mesure où la démocratie ultime telle que pratiquée est un des facteurs de blocage, il est nécessaire de corriger certaines défaillances du système.

a) Revoir le processus de négociation de l’OMC

(1) Abandonner la négociation par cycle

La création de l’OMC devait en faire une institution de consolidation et de renforcement des règles commerciales multilatérales, une sorte de gardienne du temple. Dans cette optique, l’idée d’un processus devrait supplanter celle du « grand final » tel que l’on avait précédemment connu. On a vu supra les raisons qui ont conduit à faire le choix du cycle de Doha.

Aujourd’hui, il est évident qu’un cycle aussi long et non conclusif est le dernier du genre : le communiqué du G20 le dit d’ailleurs à mots codés. La conception de cycles trop visibles, dont on attend beaucoup et qui cristallise toutes les oppositions a montré son inefficacité. En effet, la dramatisation qui fait partie du processus de négociation comporte des risques. Cette méthode de négociation est souvent une mécanique aveugle qui tourne sur elle-même et comporte un gros potentiel conflictuel. En effet, quand le jeu des acteurs a abouti à aller très loin dans le « blame game », il est souvent difficile de revenir en arrière sans porter atteindre à sa crédibilité.

Si l’on veut réhabiliter l’OMC dans sa fonction législative et recentrer l’objet des négociations sur l’élaboration de la règle plutôt que sur l’accès aux marchés, on a tout intérêt à remplacer les cycles par un processus plus routinier et des revues périodiques permettant aux règles – dont certaines datant du GATT de 1947 ou de l’accord de Marrakech en 1995 sont obsolètes – d’être adaptées.

(2) Forger le consensus

Forger un consensus exige de trouver les moyens d’avancer à un centre de gravité acceptable par les Etats membres.

• Les règles de fonctionnement de l’OMC sont souples. Il existe des mécanismes de consultation et les présidents des différents comités disposent d’un certain pouvoir d’initiative. Cependant, il n’existe pas d’organe chargé de faire fonctionner l’agenda, à l’image du Conseil d’administration71 (« Executive board ») du Fonds monétaire international. Certes, le directeur général, chargé de présider le Comité des négociations commerciales, a un rôle d’orientation et de médiation, voire d’impulsion mais il ne peut à lui seul débloquer les choses, d’autant qu’il n’a aucun point d’appui juridique dans la charte. Il est sous surveillance étroite des membres. Ainsi, quand Pascal Lamy a pris l’initiative de mettre en place une « task force » chargée d’inventorier les mesures protectionnistes prises par les membres en réaction à la crise de 2008, il a fait appel aux fonctions du groupe de travail sur le commerce, la dette et les finances, au mandat de cohérence(72) et au mécanisme d’examen des politiques commerciales. Les Etats membres lui ont fait savoir qu’il ne devait pas alourdir leurs obligations.

La mise en place d’un tel conseil, qui serait compte tenu de la nature de l’OMC, un groupe ou un comité consultatif et dont la composition répondrait à des critères de légitimité (représentation économique, géographique…) permettrait de gagner en efficacité. Ce conseil ne remettrait en aucun cas en cause la règle du consensus. Afin de ne pas entrer en conflit avec la nature de « member driven » de l’OMC, il n’aurait pas pour objet de ratifier des accords mais en tant qu’outil de construction du consensus, il serait chargé d’examiner les propositions, de catalyser les compromis ou de convoquer les Etats membres en cas de problèmes.

• Actuellement, la méthode de négociation est celle des cercles concentriques. Toute proposition est d’abord présentée dans le cadre d’une réunion restreinte de cinq membres : Union européenne, Etats-Unis, Brésil, Inde et Chine, auxquels se joignent l’Australie et le Japon quand les questions agricoles sont à l’ordre du jour. Ce groupe de pays qui représente les diverses vues de l’ensemble des membres – la quasi-totalité des membres de l’OMC appartiennent à des groupes constitués sur la base de liens géographiques ou autres – essaie d’aplanir leurs différence avant de soumettre le produit de leurs efforts à des groupes de pays de plus en plus grands afin de parvenir à une convergence de vues de plus en plus large. Les coordinateurs de tous les principaux groupements participent à des consultations cruciales en petits groupes dont le « salon vert » où tout l’éventail des vues et intérêts est représenté.

Cette méthode des cercles concentriques gagnerait à être adaptée. Ainsi une meilleure représentativité des différents acteurs doit être recherchée, tout en maintenant le caractère informel et la souplesse du système. Un représentant des pays d’Afrique et un autre des pays les moins avancés pourraient être adjoints au groupe restreint. Par ailleurs, comme l’a souligné Pascal Lamy, la méthode des cercles concentriques « exige un engagement rigoureux de tous en matière de transparence : chacun doit assumer sa part. Nous devons reconnaître qu’il n’y a pas encore assez de transparence dans la façon dont nous travaillons aujourd’hui. Il y a donc matière à amélioration »(73. Des moyens pratiques capables d’assurer une transparence accrue des discussions menées au sein du groupe restreint doivent être institués.

Certains chercheurs s’interrogent sur la possibilité de modification du mode décisionnel sur certaines questions. Reprenant l’image de Pascal Lamy exposée supra, François Pitti indiquait à vos rapporteurs qu’il faudrait trouver des moyens de raccrocher la gouvernance à l’état gazeux de l’OMC à des mécanismes liquides ou solides. Il propose d’instaurer un mécanisme décisionnaire de démocratie représentative avec une décision resserrée autour d’une vingtaine de membres à l’image de ce qui existe pour le G20. La mise en place d’un tel mécanisme au sein de l’OMC impliquerait de choisir des critères de représentativité qui pourrait être, soit une représentation par latitude (par continent) – par exemple donner des représentants à l’Amérique, à l’Europe et à l’Asie –, soit une représentation par longitude, c’est-à-dire par produit nationale brut (PNB) en déterminant des niveaux pertinents de PNB – un niveau haut comprenant l’Europe, le Japon, les USA,un niveau intermédiaire avec des pays comme le Brésil et la Russie, un autre niveau serait représenté par les pays d’Asie du Sud Est et un quatrième niveau par les pays en développement. Pourraient aussi être imaginées des alliances par affinités, les pays choisissant en quelque sorte un champion, un pays qui le représenterait le mieux : cette solution aurait l’avantage de compenser la frustration que peuvent avoir certains pays de se voir imposer un leader.

(3) Utiliser les approches plurilatérales, de masse critique et les flexibilités

Si les institutions sont notoirement prisonnières de leur trajectoire et s’il est difficile de modifier leur objet ou leur conception, des leçons des précédents cycles de négociations ou de fonctionnement des autres institutions internationales pourraient cependant être tirées. L’équilibre des négociations pourrait ne pas toujours résider pas dans l’engagement unique.

Les accords plurilatéraux peuvent constituer une porte de sortie, certes peu satisfaisante du point de vue de la logique multilatérale mais meilleure que le recours aux accords bilatéraux qui risquent de se propager si les négociations de Doha échouent. Ces accords plurilatéraux sont des accords qui s’appliquent à un groupe restreint de signataires. Ils sont d’ores et déjà prévus par le cadre multilatéral. Ainsi, sont toujours en vigueur quatre accords négociés lors du Tokyo Round (accords plurilatéraux sur les aéronefs civils et sur les marchés publics). Il serait sans doute plus réaliste d’admettre que, sur certains sujets, comme la libéralisation du commerce des biens environnementaux, un accord global est impossible et que l’on doive opter pour la voie plurilatérale.

S’agissant du processus de décision fondé sur la masse critique – les Etats membres acceptent de ne pas bloquer une décision si une masse critique de pays la soutient, cette masse critique pouvant correspondre par exemple aux pays assurant 90 % du commerce mondial ou 90 % des pays membres –, des précédents existent. Ainsi, l’accord sur les technologies de l’information (ATI) signé par 29 membres à Singapour en 1996, ratifié depuis par 70 Etats membres qui représentent 97 % du commerce mondial des produits des technologies de l’information. Il s’agit donc d’une formule intermédiaire entre des accords impliquant les 153 Etats membres et des accords plurilatéraux plus restreints.

On pourrait aussi poursuivre sur la voie de la flexibilité à l’intérieur des accords, afin de respecter la diversité en mode multilatéral. De telles possibilités existent déjà dans la réglementation de l’OMC. Cette flexibilité pourrait prendre la forme de clauses de sauvegarde, de phases transitoires ou d’obligations d’assistance technique. Pourrait être élargi le périmètre des dérogations et des exceptions à la règle à la norme multilatérale (article XX du GATT). L’article IX de l’accord de Marrakech ouvre aussi la possibilité d’introduire des flexibilités ou des dérogations en cas de circonstances exceptionnelles.

Cette approche remettrait en question l’approche multilatérale tournée uniquement vers le libre échange : l’OMC se verrait ainsi confier la charge, non de promouvoir le libre échange, mais de l’organiser et de rationaliser les protections dont ont besoin les Etats afin de compenser et d’atténuer les externalités négatives de la libéralisation et, de manière plus générale, de la mondialisation. Comme le souligne Jean-Marc Siroën, « pour progresser dans la libéralisation des échanges, les pays doivent se couvrir contre des risques imprévisibles qui déstabiliseraient leurs économies »(74). Ce faisant, l’OMC stabiliserait le système commercial et réduirait les incitations à la protection sans l’empêcher. Le risque à éviter est celui de la fragmentation du système multilatéral. L’enjeu est donc de trouver un équilibre et d’élaborer des solutions neutres afin qu’un pays ne soit pas accusé de défendre des intérêts particuliers, d’où l’importance de définir, de manière la plus générique possible, les critères et les degrés de flexibilité. On pourrait ainsi défendre des formes de protection motivée par des intérêts non commerciaux. Par exemple, la thèse de la multifonctionnalité(75) de l’agriculture pourrait être avancée par l’Union européenne pour défendre certaines mesures de la politique agricole commune.

b) Rendre le multilatéralisme praticable

(1) Assurer la cohérence face à la multiplication des accords de commerce

On a vu supra que les risques de la multiplication des accords bilatéraux et régionaux de commerce (ACR) négociés en dehors du cadre multilatéral sont nombreux. Les Etats peuvent n’avoir plus intérêt à négocier sur le plan multilatéral et la participation des pays à plusieurs ACR peut influer sur la structure des échanges, complexifiant les relations commerciales, notamment par la diversité et l’enchevêtrement des règles d’origine applicables.

Depuis 1996, un comité spécifique au sein de l’OMC, le Comité des accords commerciaux régionaux, est chargé d’examiner les effets des ACR sur le système multilatéral sur la base des informations fournies par les membres parties à ces accords. Dans la Déclaration de Doha, les membres ont convenu de négociations visant à « clarifier et améliorer les disciplines et procédures prévues par les dispositions existantes de l’OMC qui s’appliquent aux accords commerciaux régionaux ».En 2006, le Conseil général a décidé d’instituer un nouveau mécanisme de transparence des ACR, en reconnaissant qu’ « améliorer la transparence et la compréhension des ACR et de leurs effets présente un intérêt systémique et sera bénéfique pour tous les membres ».

Dépendant des notifications des membres, ce mécanisme n’est pas entièrement satisfaisant. En effet, ce groupe est constitué d’experts qui n’examinent que la compatibilité diplomatique des accords. S’il existe des critères pour apprécier la compatibilité de ces accords, par exemple, le niveau d’ouverture, pour répondre à la définition d’un accord de libre-échange, ils ne sont pas établis suffisamment précisément.

Le mécanisme de transparence des ACR doit donc être développé et renforcé afin que les incompatibilités éventuelles de certains ACR avec le système multilatéral puissent être identifiées et corrigées. Un code de bonnes pratiques pour la négociation des ACR pourrait être élaboré. Pour assurer la prévalence du principe de la nation la plus favorisée, il s’agira de trouver un moyen de multilatéraliser progressivement les concessions faites dans les accords de libre échange.

Enfin, la cohérence des ACR avec le système multilatéral devra avant tout être recherché par les parties à de tels accords, Etats-Unis et Union européenne en tête, lors de la négociation même de ces accords. Le G20 pourrait ainsi servir de cadre pour l’affirmation de l’engagement des membres en vue de la recherche d’une plus grande cohérence entre les accords commerciaux bilatéraux et régionaux et le système multilatéral.

(2) Veiller à la transparence des politiques commerciales et au respect des disciplines

Entre les négociations et le règlement des différends, l’OMC veille à la mise en œuvre volontaire des accords(76). Les parties prenantes (Etats, entreprises…) au commerce international doivent en savoir le plus possible sur les règles commerciales et il importe que les règles et les politiques commerciales soient transparentes.

Au sein de l’OMC, cette transparence est assurée de deux façons : les gouvernements doivent informer de leurs mesures commerciales par le biais de notification régulière ; d’autre part, l’OMC étudie régulièrement la politique des Etats membres dans le cadre de l’examen des politiques commerciales.

Les notifications par les Etats membres de leurs mesures sont obligatoires(77). Il existe également un processus de notification croisée qui permet à un membre de notifier à l’OMC une mesure qui n’a pas été notifiée par un autre membre. Ce processus garantit une plus grande transparence et oblige le pays à l’origine de la mesure à justifier sa position.

Suite à la décision prise par l’OMC en 2002 d’autoriser la mise en distribution générale de ses documents, et grâce aux nouvelles technologies, la quasi-totalité des notifications peuvent être consultées sur le site de l’OMC. Il s’agit là d’un point important car ce sont souvent des opérateurs privés et non les gouvernements eux-mêmes qui sont les plus affectés par les mesures. Il se peut que la publication des mesures ne soit pas suffisante pour assurer une transparence totale car pour être pleinement transparent, ce qui est notifié doit être compréhensible. C’est là qu’entre en jeu un mécanisme de transparence active qui est un examen par les pairs : dans le cadre des comités permanents, les Etats membres ont le droit de demander des informations nécessaires à toute surveillance. Ainsi, certains accords comme celui sur les obstacles techniques au commerce (OTC), l’accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS), l’accord sur les mesures concernant les investissements et liées au commerce (MIC) ou l’accord général sur le commerce des services (AGCS), contiennent l’obligation pour les membres de maintenir des points d’information où tout membre peut demander des renseignements. Ces mesures de transparence actives permettent aux membres d’examiner et de disséquer les notifications et de vérifier si les règles négociées sont effectivement mises en œuvre.

Par ailleurs, a été mis en place un mécanisme d’examen des politiques commerciales (MEPC) dans le cadre duquel sont examinées essentiellement les politiques et pratiques commerciales mais qui prennent également en compte les besoins plus généraux des pays dans le domaine économique et en matière de développement. Tous les membres de l’OMC font l’objet d’un examen dont la fréquence dépend de la taille du pays. Pour les principales puissances commerciales (Etats-Unis, Union européenne, Japon et Chine), l’examen se fait tous les deux ans environ. Pour les seize pays venant ensuite en fonction de leur part dans le commerce mondial, il intervient tous les quatre ans. Pour les autres pays, il est effectué tous les six ans, un intervalle plus long pouvant être fixé pour les PMA. Pour chaque examen, deux documents sont établis : une déclaration de politique générale établie par le gouvernement intéressé et une rapport détaillé élaboré par le secrétariat de l’OMC. Les deux rapports ainsi que le compte rendu des débats de l’Organe d’examen des politiques commerciales sont publiés.

Sans aucun doute, le suivi et la surveillance font partie des domaines dans lesquels si des efforts sont déployés, les possibilités d’amélioration sont grandes car on peut constater le manque d’informations et de notifications suffisamment précises. Par exemple, jusqu’à une date très récente, les Etats-Unis étaient très en retard concernant les notifications de leurs subventions à l’agriculture. Comme les négociations en cours visent à réduire le niveau de ses subventions, il est essentiel de disposer des ces renseignements pour comprendre la valeur des chiffres examinés. Parfois, les membres ne présentent pas de notification et attendent d’être poursuivis par un autre membre.

Un certain nombre de propositions peuvent être faites pour améliorer les procédures : interdire aux Etats de prendre des mesures si elles n’ont pas été notifiées ; rendre les rapports de la MEPC plus fréquents et en améliorer le suivi; utiliser pleinement les mécanismes de monitoring et de surveillance existant en droit de l’OMC. A cet effet, les membres du G20 devraient s’engager à respecter toutes les obligations de notification.

(3) Perfectionner le mode de fonctionnement de l’Organe de règlement des différends

L’Organe de règlement des différends, pouvoir judiciaire de l’OMC, joue un rôle pivot dans la prévalence de la règle de droit.

S’il fonctionne efficacement, il est cependant perfectible tant sur le renforcement de la transparence que sur le mode de désignation des panélistes de première instance. Par ailleurs, des dispositions particulières devraient être adoptées afin de faciliter l’accès des pays en développement à la justice de l’OMC.

Une des questions est de savoir si les séances de l’ORD doivent être rendues publiques ; il est certain que la publicité des audiences est une garantie de l’impartialité des juges. Sans faire de l’ouverture des débats une règle générale, il pourrait être envisagé qu’elle soit une faculté et que les parties puissent invoquer une raison suffisante pour s’y opposer. Les soumissions des parties devraient aussi être rendues publiques. La réduction des écarts de jugements entre le jugement de première instance et celui de l’organe d’appel devrait également être recherchée.

Le fonctionnement de l’ORD se caractérise par le recours systématique à l’appel. Si cela est le signe d’une certaine jeunesse d’un système dont la jurisprudence est en construction, cela témoigne aussi de l’insuffisance de recrutement des panélistes de première instance, à la différence de l’Organe d’appel dont les membres sont permanents. L’élargissement du nombre de panélistes à partir d’une liste de juristes compétents établie par consensus pourrait remédier à cette situation.

Enfin, des mesures spécifiques pourraient concerner les pays en développement (PED): création d’une procédure simplifiée ou à tout le moins, une modification des prévisions de délais pour la procédure lorsque le plaignant est un PED et le défenseur, un pays développé ; l’adoption de mécanismes de traitement spécial et différencié en matière de règlement des différends permettant d’accorder plus de temps aux PED pour la préparation de leurs mémoires et la mise en œuvre des recommandations de l’ORD.

c) Définir un nouveau paradigme pour le Traitement spécial et différencié et traiter de la question de la différenciation entre pays en développement

Les négociations de Doha avaient pour objectif d’aboutir à un compromis pro-développement et le PDD aurait dû être l’occasion d’ « élaborer une doctrine d’une mondialisation développante(78) ». Cette orientation n’était d’ailleurs pas totalement nouvelle : elle s’inscrivait dans la trajectoire prise dans les années quatre-vingts, marquées, dès la fin du round de Tokyo, par une révision de l’agenda international sur le contenu des politiques de développement dans laquelle la réforme du régime commercial international constitue un élément clé. Une logique d’intégration au marché mondial se substituait à celle du marché interne et de constitution de structures productives(79).

La composante « développement » du « programme de Doha pour le développement » a été mise de côté dans le cycle de Doha (voir partie I) et la négociation s’est polarisée sur la libéralisation des échanges. Les Etats-Unis n’y avaient d’ailleurs jamais vraiment cru et n’étaient pas prêts à accorder des mesures asymétriques en faveur des PVD. Par ailleurs, les déséquilibres macroéconomiques avec les pays en développement émergents pèsent lourdement sur la prise en compte de la situation de l’ensemble des PVD.

L’encadré ci-dessous montre que le modèle de croissance tiré par les exportations atteint rapidement ses limites pour ces pays (développement limité des capacités productives, flexibilités et facilités sous utilisées…). Dès lors, pour construire un futur commercial durable et pour favoriser l’accès aux marchés pour les économies des PVD et surtout des plus pauvres d’entre eux, deux axes complémentaires doivent s’articuler : l’ouverture des marchés et l’intégration dans le système multilatéral, d’une part, et le renforcement des capacités de production afin de leur permettre de tirer le plus possible de l’ouverture des marchés, d’autre part.

La situation des PMA(80) dans les flux et les règles du commerce international

I. Les PMA et le commerce international : l’échec partiel du modèle de croissance tiré par les exportations

Le modèle d’une croissance tiré par les exportations, qui a sous-tendu la plupart des stratégies de développement des PMA depuis les années quatre vingt dix ne s’est pas globalement traduit par l’amélioration de leur balance commerciale, ni par la hausse de l’investissement et de la formation du capital attendue de l’application de ce modèle. Ces pays sont aussi devenus plus sensibles à un ralentissement de l’économie mondiale, leur dépendance à l’égard des produits de base, la concentration de leurs exportations et de leurs importations de denrées alimentaires de base se sont accrues. Dans la première décennie du XXIe siècle, la plupart des PMA ont augmenté leurs exportations en volume (en moyenne, 7 à 8 % par an) mais beaucoup moins en valeur (1 %). Les balances du commerce des marchandises ont eu tendance à se détériorer et le taux de couverture des importations a considérablement diminué (de 7 à 8 points).

1) Le développement insuffisant des capacités productives des PMA pendant les périodes d’expansion économique et leur vulnérabilité croissante au ralentissement de l’économie mondiale peut être illustrée par la formation brute de capital fixe qui a en fait diminué dans 19 pays au cours de l’expansion des années 2002-2008, l’épargne intérieure s’est maintenue à un niveau très faible, soit 10 % du PIB,le secteur manufacturier a représenté 10 % du PIB et 27 PMA ont connu un processus de désindustrialisation entre 2000 et 2008 et les importation de biens d’équipement, source de développement technologique et de formation de capital, n’ont augmenté que marginalement.

2) L’Importance des flux Sud-Sud et concentration des exportations :Les autres pays en développement sont devenus des partenaires économiques de plus en plus importants et dans certains cas, les flux Sud-Sud ont dépassé les flux Nord-Sud ; depuis 1996, les PMA importent plus de la moitié de leurs produits du Sud. Les plus gros importateurs de produits en provenance des PMA sont la Chine, l’Union européenne, les Etats-Unis, l’Inde et la Thaïlande. Même si les PMA ont gagné des parts de marché dans les pays émergents, ils l’ont fait essentiellement grâce à leurs exportations de combustibles ou minéraux et ont en revanche perdu sur les produits industriels transformés.

II Les PMA ne profitent pas à plein des avantages et flexibilités

1) Le traitement spécial et différencié dans les accords OMC sur les biens et services
est peu exploité car les contraintes et exclusions sont souvent dirimantes. Dans les faits, l’objectif fondamental est moins de leur appliquer un traitement différent que le fond que de les aider à appliquer les accords généraux grâce à des dispositions transitoires.

2) L’accès préférentiel aux marchés. Conformément à la déclaration de Hong Kong en 2005, les PMA devraient bénéficier d’un traitement d’accès aux marchés en franchise et hors contingent pour tous leurs produits. Finalement, la déclaration finale a réduit la portée de cette décision à la demande des Etats-Unis et prévoit l’accès préférentiel en franchise et hors contingent de 97 % seulement des lignes tarifaires (sachant que 3 % des lignes tarifaires peuvent dans certains cas représenter jusqu’à 30 % des exportations en volume). De plus, pour l’ensemble des pays en développement, cet engagement ne vaut que s’ils estiment être en mesure de le faire. De fait, la part de traitement préférentiel réel en franchise de droits est passée de 35 % à 50 % de la fin des années quatre vingt dix en 2010(81). Dans les faits, ce traitement préférentiel n’a fait que compenser les coûts logistiques et les coûts de transaction plus élevés auxquels sont confrontés les exportateurs dans ces pays. La levée de ces entraves renforce la nécessité du soutien plus important aux PMA en matière de renforcement des capacités commerciales. A ces restrictions, s’ajoutent le caractère contraignant de certaines règles d’origine, les contraintes liées à l’application des normes, standards et autres barrières non tarifaires. Enfin, les abaissements tarifaires décidés dans le cadre de l’OMC ou des accords de libre échange réduisent les marges de préférence effectives des PMA.

3) les conditions d’accès à l’OMC. 30 PMA sont membres de l’OMC et 10 en procédure d’admission. Le niveau d’exigence s’accroît et les membres de l’OMC ont tendance à chercher à obtenir des concessions au-delà de ce qui était demandé précédemment.

III L’intérêt de Doha et de l’OMC pour les PMA

Bien qu’elle ait montré ses limites, l’approche des préférences commerciales demeure la principale réponse aux problèmes de développement des PMA. En fait, c’est la capacité d’offre limitée qui empêche les PMA de profiter des débouchés commerciaux, d’où la nécessité de renforcer les capacités productives intérieures, ce qui passe par des politiques macroéconomiques encourageant l’investissement dans les secteurs productifs.

Une conclusion positive du cycle de Doha serait favorable aux pays en développement, principalement aux émergents et beaucoup moins aux PMA. Les récents travaux de la Banque mondiale démontrent cependant que les PMA tireraient avantage de l’engagement DFQF.

Les PMA ont besoin d’utiliser toutes les flexibilités déjà disponibles au titre de l’OMC et des accords de libre échange comme les APE(82). La réussite de l’intégration commerciale régionale des PMA suppose comme préalable, l’existence d’un régime commercial maintenant un niveau de droits d’entrée suffisant pour permettre aux opérateurs de développer ou créer un secteur agroindustriel compétitif et d’un mécanisme de sauvegarde spéciale efficace et adapté aux capacités techniques de son utilisation par les PMA.

De même, les PMA doivent pouvoir continuer à appliquer les règles de l’OMC de restrictions quantitatives aux exportations pour des motifs de sécurité alimentaire, pour créer de la valeur ajoutée locale pour la transformation sur place des produits de base. Si l’objectif à long terme Mais à court et moyen terme, sont nécessaires des mesures visant à réduire la volatilité des prix des marchés des produits de base et les effets négatifs de cette instabilité telles que le financement de mécanismes contracycliques, la mise en place de mécanismes adossés au marché de gestion du risque prix des produits, l’utilisation de mesures de taxation conformément aux règles de l’OMC pour diminuer l’impact de la volatilité des prix des produits.

Source : Direction générale du Trésor.

La recherche d’une articulation optimale entre les engagements de libéralisation commerciale et stratégies nationales de développement est l’un des problèmes centraux du système commercial multilatéral à travers :

• Un accord sur l’accès aux marchés en franchise de droits et sans contingent, stable, sûr et prévisible pour tous les produits originaires des PMA ainsi que des règles d’origine préférentielles simples et transparentes ;

• La promotion des programmes de renforcement des capacités et de l’aide au commerce. En 2005, en partenariat avec d’autres organisations internationales(83), a lancé l’initiative « Aide pour le commerce » dont la fonction principale est de fournir une assistance financière et technique aux pays en développement, et en particulier aux PMA, afin qu’ils puissent renforcer leurs capacités d’offres de production et de leurs infrastructures liées au commerce. Le cadre intégré renforcé poursuit les mêmes objectifs. L’enjeu sera pour ces programmes de soutenir l’augmentation des ressources, même si entre 2005 et 2009, les ressources mobilisées en faveur des PMA ont augmenté de plus de 50 %.

• La rénovation du traitement spécial et différencié. Le TSD a été élaboré dès les années soixante sous l’égide de la CNUCED et a été traduit juridiquement dans la quatrième partie du GATT (« Commerce et développement). Par dérogation à la clause de la nation la plus favorisée, principe de base de l’OMC, le TSD admet la nécessité d’adapter les engagements commerciaux en fonction des besoins des pays en développement.
Alors que l’élaboration d’un accord cadre sur le TSD mis en place lors du Tokyo round (1973-1979) constituait un des thèmes centraux de l’agenda de Doha, aucune réflexion n’a abouti pour renouveler l’approche de la relation entre commerce et développement, deux axes que le TSD devrait concilier. Le TSD se décline, en matière d’accès aux marchés, par des préférence commerciales non réciproques comme le système des préférences généralisées (SPG) et en matière de règles commerciales, par des exemptions aux disciplines multilatérales et par l’adaptation de leurs conditions de mise en
œuvre.

Ces dérogations s’appliquent aux pays en développement en général. Or cette catégorie se définit par auto déclaration. Lors de son accession à l’OMC, un pays peut choisir le statut de PED (Voir la liste du G77 qui regroupe l’ensemble de ces pays).

La question d’une meilleure différenciation des PED au regard de leur situation économique réelle est, du fait des nouveaux équilibres géoéconomiques liés à l’émergence de pays comme la Chine, le Brésil et l’Inde, au cœur du blocage des négociations. Les pays développés, et les Etats-Unis en tête, ne sont prêts à accepter au titre du TSD que des concessions proportionnées au revenu réel.

PAYS MEMBRES DU G77

Afghanistan

Ghana

Autorité palestinienne

Afrique du Sud

Grenade

Panama

Algérie

Guatemala

Papouasie-Nouvelle-Guinée

Angola

Guinée

Paraguay

Antigua-et-Barbuda

Guinée-Bissau

Pérou

Arabie saoudite

Guinée équatoriale

Philippines

Argentine

Guyana

Qatar

Bahamas

Haïti

République centrafricaine

Bahreïn

Honduras

République démocratique du Congo

Bangladesh

Maurice

République dominicaine

Barbade

Marshall

République du Congo

Belize

Salomon

Rwanda

Bénin

Inde

Saint-Christophe-et-Niévès

Bhoutan

Indonésie

Sainte-Lucie

Bolivie

Iran

Saint-Vincent-et-les-Grenadines

Bosnie-Herzégovine

Irak

Samoa

Botswana

Jamaïque

Sao Tomé-et-Principe

Brésil

Jordanie

Sénégal

Brunei

Kenya

Seychelles

Burkina Faso

Koweït

Sierra Leone

Burundi

Laos

Singapour

Cambodge

Liban

Somalie

Cameroun

Lesotho

Soudan

Cap-Vert

Liberia

Sri Lanka

Chili

Libye

Suriname

Chine

Madagascar

Swaziland

Colombie

Malaisie

Syrie

Comores

Malawi

Tchad

Corée du Nord

Maldives

Thaïlande

Costa Rica

Mali

Timor oriental

Côte d’Ivoire

Maroc

Togo

Cuba

Mauritanie

Tonga

Djibouti

Micronésie

Trinité-et-Tobago

Dominique

Mongolie

Tunisie

Égypte

Mozambique

Turkménistan

Salvador

Birmanie

Tanzanie

Émirats arabes unis

Namibie

Uruguay

Équateur

Népal

Vanuatu

Érythrée

Niger

Venezuela

Éthiopie

Nigeria

Viêt Nam

Fidji

Oman

Yémen

Gabon

Ouganda

Zambie

Gambie

Pakistan

Zimbabwe

Pendant longtemps, la question de la différenciation a été taboue. Pourtant, dans une certaine mesure, le cycle de Doha avait consacré l’existence d’une catégorie particulière de membres, celle des pays dépourvus de capacités manufacturières en matière pharmaceutique(84). L’accord sur l’agriculture admet, de la même façon, des catégories spécifiques comme les pays en développement importateurs nets de produits alimentaires. La création des RAM (« recently acceded members »), qui bénéficient de dérogations pour s’ajuster aux nouveaux accords, constitue un autre précédent. Par ailleurs, le contexte politique des négociations multilatérales tend à encourager en pratique la différenciation. On peut observer une certaine porosité entre les systèmes d’alliance se formant à l’OMC et certains regroupements à l’ONU que l’on retrouve dans les documents de négociations : petits Etats insulaires en développement, pays en développement enclavé ou les Economies petites et vulnérables mentionnées dans la déclaration de Doha.

L’adoption de nouvelles modalités de négociation sur le TSD et sa différenciation devrait être envisagées et d’une façon plus générale, il s’agirait d’ouvrir une réflexion sur la définition des catégories de pays à l’OMC, allant au-delà du découpage actuel (PED, PMA et pays développés). Les Etats membres pourraient ainsi s’identifier dans le cadre d’une négociation à une catégorie. Cette option donnerait des garanties à l’ensemble des membres de l’OMC et permettrait de mieux prendre en compte les intérêts en présence. Par ailleurs, elle sortirait les négociations de la logique des coalitions conçues comme des instruments de blocage pour une logique de catégories officielles reconnues par les Etats membres. Enfin, elle lèverait les blocages sur la différenciation, celle-ci étant un moyen de normaliser le traitement des émergents par rapport aux autres PED.

d) Réciprocité et équité dans les relations commerciales internationales 

Le droit de l’OMC ne donne pas de définition précise du principe de réciprocité. L’article XXVIII du GATT précise seulement que les Etats doivent s’efforcer de maintenir un « niveau de concessions réciproques et mutuellement avantageuses ». L’accord constitutif de l’OMC réutilise le concept en précisant que « les parties sont désireuses de contribuer à la réalisation de ces objectifs par la conclusion d’accords visant sur une base de réciprocité et d’avantages mutuels à la réduction substantielle des tarifs douaniers et des autres obstacles au commerce ». Le principe de l’engagement unique peut également être considéré une des applications de ce principe de réciprocité dans la mesure où il peut permettre de lier les concessions entre sujets.

Le concept de réciprocité recueille aujourd’hui un large écho. Il a le mérite d’être clair et il faut donc le porter et l’argumenter. C’est ce qu’a entrepris l’Union européenne. Ainsi, le Conseil européen du 26 septembre 2010 a défini une « stratégie commerciale fondée sur la réciprocité ». Dans cette acception, cela signifie qu’un démantèlement tarifaire d’un côté doit être suivi d’un démantèlement équivalent de l’autre partie. L’Union européenne peut, par exemple, en échange de concessions sur les droits de propriété intellectuelle et de l’ouverture de marchés publics, accorder une baisse des tarifs. Au nom du principe de réciprocité, elle peut exiger des produits qui entrent en Europe le respect des règles sanitaires, sociales, environnementales.

La portée de ce principe doit cependant être relativisée.

Cette réciprocité doit commencer à l’OMC. Or le blocage des négociations peut s’interpréter comme un refus des partenaires de l’Europe de pendre des engagements symétriques à ceux pris par l’Union européenne sur l’ouverture de ses marchés notamment agricoles, pesant ainsi sur la crédibilité du discours sur la réciprocité.

Par ailleurs, la réciprocité peut être difficile à mettre en œuvre et à appréhender, étant donné le poids et la diversité des barrières non commerciales qui revêtent une importance systémique majeure. Un récent rapport de la Commission européenne(85) en dresse une liste impressionnante, quoique non exhaustive. Les émergents en font un emploi manifeste, de sorte que les négociateurs américains sont fondés à appeler la Chine à revoir son approche du commerce international. La Chine recourt ainsi systématiquement à des mesures de restriction commerciale telles les droits et les quotas à l’exportation. En 2009, ces restrictions ont largement affecté les importations de matières premières et sont particulièrement problématiques dans un environnement global dans lequel aucune autre source d’approvisionnement alternative, ni aucune matière de substitution, ne sont aisément accessibles. Les questions récentes relatives aux terres rares sont une illustration de ce problème. Outre des barrières tarifaires élevées, l’Inde impose diverses barrières non tarifaires telles que les restrictions quantitatives, des licences d’importation, des procédures de certification ainsi que des formalités douanières longues et complexes pour un certain nombre de produits. Les émergents n’ont pas le monopole de telles pratiques. En matière de marchés publics, les Etats-Unis n’ont pas abrogé le « buy american act »et le projet de dispositions « 100 % scanning » qui prévoit de scanner 100 % de l’ensemble des conteneurs destinés aux Etats-Unis à partir de juillet 2012, pour renforcer la sécurité, constituerait un obstacle significatif aux échanges.

Devant vos rapporteurs, M. Pierre Jacquet a estimé douter que la réciprocité soit une solution convaincante et qu’elle pourrait même être inefficace économiquement. La dimension contractuelle sur laquelle repose la réciprocité peut être, dans le cas des pays en développement, même émergents, inégalitaire. En effet, les pays développés ne sont pas au même niveau de développement que les nouveaux venus sur le marché mondial, du fait des inégalités de capacités de production ou des difficultés de mises aux normes dans les domaines exposés aux échanges internationaux. La réciprocité pourrait n’être qu’une réaction à court terme qui, dans une perspective plus large, pourrait nuire, tout à la fois aux intérêts des pays développés et à ceux des pays en développement. Ainsi, quand les Etats-Unis ont aidé l’Europe à se reconstruire avec le plan Marshall, ils ont craint la concurrence potentielle des pays aidés. Dans cette même vision réaliste d’intérêts partagés, le principe d’équité devrait être préféré à celui de réciprocité et être conçu comme un instrument pour défendre les intérêts des pays développés en avançant sur celui des pays en développement et émergents, justifiant par exemple des mesures de protection des industries naissantes. C’est d’ailleurs ce principe d’équité qui a sous tendu les différentes conventions de Lomé liant l’Union européenne et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP).

L’application de ce principe d’équité qui revient à prendre en compte les besoins des pays, selon la logique de la pyramide de Maslow(86) n’est cependant pas facile à accepter du fait des déséquilibres macro économiques crées par le poids des grands émergents mais il correspond aux valeurs portées par l’Europe : humanisme, tolérance, ouverture et respect de la diversité. Quand le Commissaire européen au commerce, Karel De Gucht souligne qu’il « ne s’agit pas d’une réciprocité uniforme mais d’une réciprocité différenciée » et parle de « réciprocité ouverte et non de fermeture réciproque »(87), il s’inscrit dans cette conception.

3. Faire évoluer le périmètre et les objectifs de l’OMC

La gouvernance internationale s’est construite sur un principe de spécialisation, chaque institution gérant un domaine limité : le commerce pour l’OMC, la finance pour le FMI, les relations professionnelles pour l’Organisation internationale du travail. Cette spécialisation est une réponse à une exigence démocratique : « en l’absence de gouvernement mondial, il est essentiel de préserver la spécialisation des institutions car c’est précisément parce qu’elles ont reçu par traité, un mandat d’exercer une fonction donnée dans un domaine limité que les institutions internationales peuvent être considérées comme légitimes »(88).

S’inscrivant sur fond de « quête d’une nouvelle gouvernance mondiale qui n’est pas née que des excès et des sous produits de la libéralisation financière, mais qui concerne bien d’autres domaines, l’organisation du commerce international, en particulier, l’introduction de nouvelles normes sociales d’environnement, la recherche d’un développement durable et de façon constante, l’articulation entre les ambitions économiques et les objectifs sociaux »(89), cette spécialisation a été contestée au motif qu’elle ne prédisposerait pas les institutions internationales à la prise en compte de l’intérêt global.

a) Prendre acte de l’interférence accrue entre enjeux commerciaux et préoccupations non commerciales

La pensée dominante a été pendant longtemps que l’OMC ne devait pas traiter des questions autres que commerciales et devait se consacrer aux dossiers pour lesquels son savoir-faire et ses procédures étaient disponibles. Les faits se sont chargés de démentir cette analyse. En évacuant du débat des questions essentielles mais difficiles comme les normes internationales de travail, la concurrence, les investissements, les négociateurs pensaient que le cycle avancerait plus vite. Au contraire, cette démarche n’a fait que converger la négociation vers le « point focal du noyau dur(90)» des politiques commerciales nationales- agriculture et produits industriels - et a mené au blocage que connaissent actuellement les négociations.

Poser en 2011 l’agenda commercial multilatéral dans les mêmes termes qu’en 2001 ne peut que conduire à une impasse car l’écart est aujourd’hui trop grand entre les problématiques de l’OMC et les grands défis mondiaux.

La question des nouveaux sujets se pose dans un contexte nouveau :

• Le cycle de Doha s’est ouvert dans un contexte caractérisé par une adhésion plus ou moins partagée au avantages du libre-échange, une hégémonie des pays industriels anciens renforcée par la crise économique et financière des pays émergents, des prix des produits agricoles et des matières premières en baisse et une prise en compte des exigences du développement durable qui était plus formelle qu’effective. Entre 2001 et 2011, le monde a glissé des problématiques de fin du vingtième siècle à de nouveaux enjeux;

• Les enjeux commerciaux interfèrent de plus en plus avec les préoccupations sociales, environnementales, monétaires et de souveraineté alimentaire. L’OMC a la légitimité pour soutenir les efforts de gouvernance mondiale et développer sa capacité d’examiner les politiques commerciales d’un point de vue plus horizontal et plus global. En effet, si l’OMC a une fonction essentiellement économique, l’Accord de Marrakech prévoit explicitement qu’elle doit stimuler la croissance des échanges dans le souci du bien être social et du respect du développement durable. Les règles de l’OMC doivent donc pouvoir être interprétées et mises en œuvre dans le respect de normes autres que commerciales. Depuis le cycle d’Uruguay, sont prises en compte la relation entre commerce international et investissement et entre commerce international et droits de propriété intellectuelle. Sur ce modèle, les Etats membres pourraient reconnaître d’autres domaines où un tel lien existe et nécessite une régulation : commerce international et autonomie alimentaire, commerce international et environnement, commerce international et concurrence socialement praticable ;

• Le faible recours aux mesures protectionnistes pour faire face aux crises survenues depuis 2008 s’explique en partie par un recours à des instruments hors du champ de l’OMC. Les taux de change en sont un signe le manifeste et sans doute le plus lourd de conséquence, ce qui explique les tensions entre les Etats-Unis et la Chine. De même, les pressions sur les salaires, les recours aux barrières non commerciales aux échanges et le contrôle des investissements ont pu s’y substituer. Comme l’a rappelé M. Jean-Marc Siroën, une partie des tensions protectionnistes a été captée par des clauses de préférence nationale pour les achats publics comme, par exemple, le « buy american » du plan de relance américain de 2009(91;

• La plupart des questions laissées en suspens au niveau multilatéral sont traitées dans des accords bilatéraux avec le risque évoqué précédemment de marginalisation de la norme multilatérale. L’ « Us trade act» de 2002 a donné mandat au l’exécutif américain de négocier les traités commerciaux intégrant les nouveaux sujets (environnement et droit du travail). Ainsi la ratification de l’Alena par le Congrès (accord de libre échange nord américain entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique), n’avait été acquise qu’après l’intégration de ces sujets. La fin de la « fast track »(92) en juin 2007 rend difficile toute ratification d’un accord multilatéral qui ne traiterait pas du travail et de l’environnement comme le montre les difficultés de ratification de l’accord avec la Colombie qui ne respecte pas les droits des syndicalistes.

Nombre de traités commerciaux intégrant des nouveaux sujets (2009)

Travail

Environnement

Investissement

Marchés publics

Concurrence

10

19

51

54

63

Source : Base de données (RTA-IS) de l’OMC sur les accords commerciaux régionaux.

b) Ouvrir l’agenda multilatéral à de nouveaux sujets 

(1) La question agricole et les enjeux de sécurité alimentaire

L’agriculture est un des points de la négociation sur lequel l’agenda de Doha a le plus vieilli. Si les questions agricoles ne sont plus aujourd’hui le principal obstacle à la conclusion des négociations alors que dans les cycles de négociations précédents, elles avaient catalysé toutes les oppositions, c’est largement parce que le paradigme a changé.

En effet, le programme de Doha s’est engagé sur la base d’une hypothèse de surproduction et de baisse des prix agricoles amplifiées par les politiques agricoles qui fausseraient les avantages comparatifs des pays développés au détriment des pays en développement. Aujourd’hui, la tendance s’est inversée. La question n’est plus de traiter des excédents et de la déflation des prix internationaux. De plus, le contexte est celui d’une grande instabilité économique, financière et climatique qui favorise une extrême volatilité des prix. Dés lors, le triptyque sur lequel reposent les négociations agricoles – accès aux marchés, subventions aux exportations et soutiens internes, perd de sa pertinence. Le programme de Doha devrait donc s’aligner sur les préoccupations actuelles – les effets néfastes de la volatilité sur les filières agricoles et la sécurité alimentaire mondiale – et inscrire dans son programme les deux questions suivantes : comment favoriser l’augmentation de la production et non sa limitation et comment établir une régulation par la constitution de stocks qui pourrait contenir la volatilité des prix ? Cette dernière question ne relève pas de la compétence de l’OMC mais celle-ci pourrait participer à sa mise en œuvre.

La lutte contre la volatilité agricole était un point déterminant du G20 et le « plan d’action sur la volatilité des prix alimentaires et sur l’agriculture » adopté en juin 2011 constitue incontestablement un progrès avec la création du système d’information sur les marchés agricoles (AMIS : agricultural market information system) qui permet d’améliorer la collecte, la qualité et l’analyse des données agricoles. L’OMC y participe, aux côtés d’autres institutions (FAO, Banque mondiale, OCDE, Programme alimentaire mondial).

La sécurité alimentaire fait cruellement défaut au volet agricole du cycle de Doha. Olivier De Schutter, rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation demande que les « politiques fondées sur la sécurité alimentaire soient totalement exonérées des disciplines de l’OMC et que la sécurité alimentaire et le droit à l’alimentation deviennent un objectif des règles commerciales et non une déviation de ces règles »(93).

Le temps est donc venu de rééquilibrer les règles de l’OMC afin que les pays, en notamment les pays en développement, puissent arbitrer au mieux entre stabilisation et protection(94). Les politiques commerciales sont le seul moyen efficace dont disposent les pays en développement pour se préserver de l’instabilité des prix internationaux. Ainsi, pour les pays importateurs, les taxes sur les importations indexées sur les prix internationaux permettent de compenser l’effet des turbulences du marché international (quand le prix international baisse, la taxe augmente du même montant et réciproquement, dans le cas d’une hausse du prix international). De même, les pays exportateurs peuvent pratiquer une restriction des exportations afin d’empêcher qu’une flambée des prix internationaux ne se répercute sur le marché domestique. Dans le même temps, ces politiques peuvent accroître l’instabilité des prix : les taxes sur les importations rendent la demande adressée au marché international, insensible aux variations de prix et les restrictions des exportations, en raréfiant l’offre, participe à la hausse.

Les règles de l’OMC devraient permettre aux pays de se protéger de l’instabilité sans qu’ils y participent. Or actuellement elles sont loin de cet équilibre. Les taxes variables sur les importations sont interdites(95) alors qu’elles seraient indispensables pour permettre aux pays importateurs de stabiliser leurs prix domestiques et que leur effet déstabilisateur sur les prix internationaux est le plus souvent assez faible, notamment pour de petits pays. En revanche, ces règles sont souvent trop laxistes car elles permettent aux pays de restreindre leurs exportations, ce qui peut contribuer à une flambée des prix (comme ce fut le cas en 2008).

Il est donc nécessaire de rééquilibrer les règles de l’OMC en donnant plus de liberté aux pays en développement importateurs d’utiliser des taxes variables tandis que réciproquement, on limiterait le droit des pays exportateurs de restreindre leurs exportations. Actuellement, les pays peuvent restreindre leurs exportations. Cette volonté peut être légitime en cas de flambée des prix. Mais ces restrictions peuvent avoir un caractère spéculatif : si les pays anticipent une montée des prix internationaux, ils peuvent avoir intérêt à différer leurs exportations. Les restrictions d’exportation pourraient se faire dans la limite de ce qui est nécessaire pour permettre un approvisionnement suffisant de leur marché domestique(96).

La sécurité alimentaire passe aussi par la constitution de stocks. En effet, les stocks mondiaux, notamment de céréales, ont fortement baissé dans la précédente décennie. Ainsi, la politique agricole de l’Union européenne a fortement contribué à la réduction d’excédents coûteux. L’instabilité accrue des prix internationaux peut s’expliquer en partie par la faiblesse actuelle des stocks. L’idée de stabiliser les prix par les stocks a souffert de l’échec des Accords internationaux sur les produits de base dont l’objectif était de stabiliser le prix de certaines denrées de base (café, cacao…)(97). L’idée de la mise en place d’un accord international pour maintenir les stocks de céréales au dessus d’un niveau minimum doit être approfondie. Frank Galtier propose ainsi de fixer un objectif minimal de stocks à atteindre et de laisser les pays choisir la politique qui leur semble être la meilleure pour y parvenir (subventions au stockage privé, développer le stockage public, subventions des instruments de couverture des risques des stockeurs…). Le niveau minimum de stocks à maintenir serait établi pour chacune des céréales principales (maïs, blé, riz) par un comité d’experts sur la base d’une analyse de l’évolution passée des marchés de ces produits. Les objectifs de stocks des pays pourraient être répartie suivant une logique redistributive, l’effort demandé s’accroissant avec le niveau de revenu des pays. Ce système aurait l’avantage de contraindre les pays à plus de transparence sur les stocks. Si ce point ne dépend pas de la compétence de l’OMC, celle-ci pourrait participer à la gouvernance du système en liaison avec d’autres institutions internationales comme c’est le cas pour l’AMIS.

Relève enfin, tant de la sécurité alimentaire que de la souveraineté alimentaire et politique, la question des investissements agricoles internationaux, autrement dit, l’acquisition de terres agricoles par des Etats, des fonds souverains ou des entreprises dans les pays en développement(98). Si l’ampleur du phénomène reste à mesurer, les risques en sont patents, de la spoliation des paysans, à la flambée du foncier en passant par les dégradations environnementales. Un code de bonne conduite pour l’acquisition des terres agricoles à destination des Etats, des investisseurs et de la société civile devrait donc être élaboré, sous l’égide des institutions internationales.

(2) Les taux de change et le protectionnisme monétaire

Même si on est loin des dévaluations compétitives et de l’instabilité monétaire d’avant guerre qui ont conduit à la reconstruction du système de Bretton Woods, la question de la valeur relative des monnaies a une importance cardinale dans la politique commerciale des Etats, car elle représente un facteur « compétitivité prix » essentiel quand les prix sont par trop décalés des fondamentaux de l’économie. Au regard des régles de l’OMC, une sous évaluation du taux de change peut être assimilée à une taxe à l’exportation ou à une subvention à l’exportation Ainsi, dans un domaine emblématique, le commerce des aéronefs, où les prix sont fixés en dollars, le système fonctionne au détriment des industries européennes. Aujourd’hui, la principale cible est la Chine qui est accusée de sous-évaluer le renminbi, ses réserves de change dépassant 3 000 milliards de dollars. Avec la crise financière et économique qui perdure, on peut craindre que la manipulation du change entraîne des guerres monétaires. Depuis 2008, l’ajustement des monnaies s’est substitué aux mesures protectionnistes, comme le montre le tableau ci-dessous.

Variations de taux de change par rapport à l’euro pendant la crise de 2008-2009

Variation entre les deux extrêmes entre le 1er juillet 2008 et le 30 mars 2009

Source : d’après la Banque centrale européenne.

Ni le FMI, ni l’OMC n’ont les moyens de régler ces problèmes. l’OMC considère que la question monétaire n’entre pas dans son champ de compétence, s’appuyant sur l’article XV du GATT selon lequel elle est tenue de renvoyer à l’avis du FMI, toute question relative aux régimes de change, aux réserves et à la balance des paiements. Ce rôle de surveillance du FMI est réduit de fait par l’accord de la Jamaïque en 1976 qui a mis fin au système des parités fixes et parce qu’il hésite à critiquer la politique de change d’importants pays membres(99). Dans le dernier rapport du FMI sur la Chine (2010), on lit que le « renminbi est sensiblement inférieur au niveau conforme aux fondamentaux à moyen terme » et qu’une hausse est nécessaire ». Même si le FMI concluait à une violation, il n’aurait pas les moyens d’obliger un pays à modifier sa politique. S’agissant de l’OMC, les mesures de rétorsion pourraient constituer une solution en cas de désaccord sur les taux de change, mais dans les textes, il n’y a pas vraiment d’accroche juridique à de telles mesures. L’article XV du GATT stipule que « les pays s’abstiennent de toute mesure de change qui irait à l’encontre de l’objectif de ces dispositions ». Cependant, si les textes de l’OMC sur les subventions et mesures compensatoires interdisent certaines formes d’aide à l’exportation, ils ne visent pas les politiques de change. Aucun différend n’a pour l’heure été fondé sur la disposition visant l’annulation et la réduction de l’objectif de libéralisation commerciale de l’accord dans un litige concernant les taux de change.

Faute de solution multilatérale, les tensions à propos des politiques de change pourraient entraîner une guerre monétaire ou à tout le moins des actions unilatérales qui compromettrait la crédibilité des institutions internationales. Une proposition de loi a ainsi été récemment déposée au Congrès américain qui sanctionnerait les pays qui manipulent leur taux de change contre le dollar.

Le FMI et l’OMC devraient fixer, en commun, des règles pour désamorcer les différends sur les politiques de change et clarifier les conditions dans lesquelles des sanctions commerciales pourraient être appropriées. Cette élaboration d’un instrument opérationnel sur les changes pourrait se faire sur le fondement de la « déclaration sur la contribution de l’Organisation mondiale du commerce à une plus grande cohérence dans l’élaboration des politiques économiques » adoptée dans le cadre des accords de Marrakech qui stipule qu’« une plus grande stabilité des changes, grâce à l’avantage d’ordre dans les conditions économiques et financières fondamentales, devrait contribuer à l’expansion du commerce, à la croissance et au développement durables et à la correction des déséquilibres extérieurs ». En application de ces dispositions, un accord de coopération entre les deux organisations a été signé en 1996 et pose la base de consultations régulières et de rapports de surveillance communs.

(3) Les enjeux environnementaux et sociaux

Les règles de l’OMC étant fondées sur la théorie des avantages comparatifs, la prise en compte des normes environnementales et sociales ressortent d’une problématique commune, celle du dumping social ou environnemental qui donne par un avantage compétitif donné au moins disant.

Afin d’aboutir à un marché mondial intégré et non simplement à l’élimination des barrières douanières, les pays développés avaient voulu introduire de nouveaux thèmes dans la négociation. La tâche était difficile car si tout le monde comprend l’échange entre deux abaissements de barrières douanières, il devient plus complexe d’échanger une baisse des droits de douane contre une norme, surtout dans des secteurs où la dimension commerciale n’est pas première. L’introduction de tels sujets a heurté de front les pays en développement qui l’ont interprété comme une ingérence dans leurs politiques publiques et comme un objectif, non pas d’ouverture des marchés mais d’accès aux marchés des pays du Sud. Face à la demande des pays développés, la réponse des pays du Sud fut de dire « laissez-nous faire, la croissance nous conduira vers des normes plus exigeantes et ne nous imposez pas des normes qui ne sont qu’une forme de protectionnisme déguisé ».

Ces questions ont été qualifiées un peu trop vite et trop simplement de protectionnistes. Faut-il rappeler que des « normes de travail équitables » avaient été introduites pour la première fois dans les accords de produits étain, cacao, sucre, caoutchouc avec un double objectif de progrès social et de lutte contre la concurrence déloyale ?

Les sujets environnementaux et sociaux sont maintenant au cœur des défis qui se posent à la gouvernance mondiale. L’opinion publique mondiale est d’ailleurs favorable à l’instauration de normes minimales (voir le graphique ci-dessous). Le constat qui ouvrait la constitution de l’Organisation internationale du travail de 1919 « La non adoption par une nation quelconque d’un régime de travail réellement humain fait obstacle aux efforts des autres nations, désireuses d’améliorer le sort des travailleurs dans leur propre pays » résume la dialectique posée par la mondialisation des échanges.

L’OMC n’est toutefois pas restée à l’écart sur ces questions mais cela s’est fait, soit par le biais de l’Organe de règlement des différends, soit par celui de la politique dite de cohérence avec les autres organisations internationales.

S’agissant de l’environnement, deux accords – l’accord sanitaire et phytosanitaire et l’accord sur les obstacles techniques aux échanges – le prennent




en compte. Par ailleurs, l’article XX du GATT de 1994(100) a servi de base au juge de l’OMC pour traiter de cette question d’autant que le préambule de l’accord sur l’OMC fait expressément état d’un objectif de développement durable. Il permet en effet à tout membre de prendre une mesure nécessaire à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la protection des végétaux ou se rapportant à la conservation des ressources naturelles épuisables. L’ORD s’est montré soucieux des questions environnementales (un quart de ses décisions sont en rapport avec ce thème) : sur la base de l’article XX a ainsi rangé les tortues marines parmi les ressources naturelles épuisables(
101).

Par ailleurs, en dehors du champ de l’OMC, plus de 250 accords multilatéraux environnementaux (AME) sont en vigueur dont une vingtaine comporte des dispositions qui peuvent influer sur les échanges, par exemple des mesures interdisant le commerce de certaines espèces ou de certains produits(102). Afin de régler les conflits entre objectifs de développement du commerce international et de protection de l’environnement, la conférence de Marrakech a institué un groupe de travail à l’OMC ayant pour mission de clarifier l’articulation entre les deux sources de règles, OMC et AME. Le Comité du commerce et de l’environnement au sein de l’OMC est chargé de mener des négociations sur la relation entre les règles de l’OMC et les obligations commerciales spécifiques énoncées dans les accords multilatéraux ». Pour l’heure, aucun différend n’a été porté devant l’ORD au sujet d’une mesure inscrite dans un AME.

En revanche, les droits sociaux ne peuvent trouver aucune accroche directe dans l’article XX, seule la disposition relative à la protection de la moralité publique pourrait s’y apparenter ou celle relative aux articles fabriqués dans les prisons qui pourrait s’apparenter au travail forcé ! Sans doute de crainte d’ouvrir la boîte de Pandore, aucune jurisprudence n’est intervenue sur la base de ces dispositions. Il revient donc à d’autres enceintes que l’OMC de traiter des normes sociales. L’adoption de la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux du Travail en 1998 dans le cadre de l’OIT (Organisation internationale du Travail) qui consacre quatre droits de base – liberté d’association et reconnaissance effective du droit de négociation collective, élimination de toute forme de travail forcé ou obligatoire, abolition effective du travail des enfants et élimination de la discrimination en matière d’emploi – a introduit une rupture dans la politique normative de l’OIT.

Initialement, les Etats – principalement les Etats-Unis – avaient mis en place une logique commerciale punitive qui prévoyait des sanctions commerciales pour les Etats coupables de violations des droits des salariés(103). La jurisprudence de l’ORD avait condamné cette logique punitive contenu dans certains accords commerciaux(104). Une logique plus positive s’y est, depuis, substituée car la déclaration de 1998 organise la protection des droits en cessant de les faire reposer sur la technique des conventions internationales auxquelles les Etats souscrivent volontairement. Désormais, « le respect des droits sociaux fondamentaux est envisagé comme une obligation inhérente à la qualité de membre de l’OIT, qu’importe le niveau de développement de l’Etat. Un mécanisme de suivi est par ailleurs institué permettant d’évaluer chaque année par un dispositif simplifié les efforts déployés par les Etats membres qui n’ont pas encore ratifié les conventions consacrées aux quatre droits fondamentaux »(105).

La déclaration de 1998 est de plus en plus mentionnée par des accords commerciaux régionaux. L’Union européenne a ainsi abandonné l’approche punitive qui consistait à retirer le bénéfice des préférences tarifaires accordées aux candidats au système généralisé de préférences (SGP). Le nouveau système européen, entré en vigueur en 2006, offre ainsi des préférences tarifaires supplémentaires (par rapport aux tarifs de la clause de la nation la plus favorisée (NPF) aux Etats dits vulnérables qui ratifient et mettent en œuvre la déclaration de 1998. Cette approche connaît cependant des limites, comme le note Laurence Dubin : « si l’approche rétributive de l’Union européenne permet de parer à la critique du protectionnisme, elle reste cependant limitée dans son efficacité. Peu de pays ont fait la demande du bénéfice de ces préférences tarifaires, révélant par là leur hostilité à se voir opposer des normes, fusse t il par la voie de la récompense. Par ailleurs, l’approche implique une marge de manœuvre sur les tarifs, laquelle en raison de la consolidation tarifaire pratiquée au sein de l’OMC est loin d’être pérenne »(106).

A ces normes établies par les Etats, il faut ajouter les codes de conduite tels les principes directeurs de l’OCDE, les codes et les chartes d’entreprises multinationales qui dés lors qu’ils sont introduits dans les conditions générales d’achat fonctionnent comme des clauses sociales privées, constituant ce que les juristes nomment du « soft law ».

Depuis 2001, les enjeux de gouvernance mondiale se posent en termes nouveaux.

Une évolution sur la question des normes sociales est perceptible et certains préjugés et malentendus sur la clause sociale évoluent progressivement. La mise en place d’un socle mondial de protection sociale est de plus en plus perçue comme un moyen d’éviter une explosion sociale et de favoriser le développement. Ainsi, la Chine coopère depuis trois ans avec l’OIT à un projet concernant d’abord la mise en place d’une couverture santé.

Les questions d’environnement ont pris aussi une autre ampleur avec les enjeux liés aux changements climatiques : il importe que le système commercial international intègre cette problématique et adapte ses principes en conséquence. L’actuel dispositif de traitement de la relation commerce environnement sur la base de l’article XX du GATT est inapproprié pour traiter de la question climatique. En posant des problèmes de compétitivité, des risques de fuite de carbone, de transfert de technologie et d’émissions de gaz à effets de serre liées aux transports internationaux, la lutte contre le changement climatique pose la question du paradigme du libre-échange. Enfin, la question climatique pose celle du modèle de développement et un agenda commercial centré sur le développement ne peut s’y soustraire, d’autant plus que pour les pays en développement, les enjeux du commerce des ressources naturelles, des technologies vertes et des énergies renouvelables sont d’une importance cruciale.

Pour intégrer ces préoccupations, pourrait être envisagées :

- la reformulation de l’article XX de l’OMC qui pourrait définir de façon précise et rénovée les principes de l’OMC et intégrer plus explicitement des objectifs de développement durable. Cela pourrait ainsi servir de feuille de route au juge de l’OMC car comme le souligne Jean-Marc Siroën(107) « l’insuffisance ou l’imprécision des textes, notamment l’article XX ou l’accord SPS, confère aux experts et juges d’appel de l’OMC, un pouvoir d’interprétation élevé et une insécurité juridique qui peuvent contribuer à ce qu’aucun pays n’ait franchi le pas dans certains domaines, notamment dans celui des droits de l’homme au travail. Elle favorise une sorte de gouvernement mondial des juges, d’autant plus sujet à débat qu’il est spécifique à l’OMC ». Cette clarification s’impose car les différends vont être de plus en plus fréquents, comme le montre la plainte récemment déposée par les Etats-Unis et l’Union européenne contre les subventions chinoises à l’énergie éolienne(108) pour entrave à la libre concurrence et la bataille qui s’amplifie entre ces deux pays pour le marché du photovoltaïque. Par ailleurs, l’examen des politiques commerciales pourrait prendre en compte l’effet des règles commerciales et de la libéralisation du commerce sur le développement durable ;

l’élargissement de la liste des concessions. Un pays pourrait ainsi inscrire sur sa liste d’offres dans les négociations, l’engagement de mieux faire respecter les normes de travail, par exemple dans les zones franches d’exportations où des abus concernant les droits sociaux sont largement constatés, avec des objectifs quantitatifs vérifiables. Les pays auraient ainsi la possibilité d’arbitrer entre baisse des tarifs pour certains biens industriels et une amélioration sensible des conditions de travail. Certains pays émergents, réservés ou hostiles à l’inclusion d’une protection douanière mais en même temps soucieux de promouvoir le travail décent, pourraient adhérer à cette modalité d’élargissement du champ de la négociation. Dans le même ordre d’idées, pourraient être mises en place certaines conditions préférentielles tarifaires à des produits apportant la preuve d’un respect des droits sociaux fondamentaux. L’OMC pourrait jouer un rôle dans le contrôle et l’intégration des labels, comme la RSE (norme responsabilité sociale et environnementale des entreprises(109)), dans son ordre juridique.

- l’idée de la création d’une Organisation mondiale de l’environnement qui assurerait le respect de l’application des instruments environnementaux et leur caractère non discriminatoire au regard du commerce devrait être concrétisée, en liaison avec les négociations climatiques générales ;

une plus grande cohérence avec les règles des autres organisations internationales permettrait de corriger les défaillances dues à la spécialisation de l’OMC. Celle-ci entretient des relations de travail régulières avec des organisations comme l’OIT(110). Ainsi le secrétariat de l’OMC a le statut d’observateur dans les réunions du conseil d’administration de l’OIT et du groupe de travail sur la dimension sociale du commerce international. Une coopération avec d’autres institutions a également été mise en place : cadre intégré pour les PMA (avec le FMI, la Banque mondiale, la CNUCED et le PNUD).

Ces expériences de coopération doivent être davantage promus, autour de la notion de développement durable(111). Pourraient être établies des modes de consultation et de coopération. Le manque de cohérence entre les travaux des différentes organisations provient souvent d’un manque de coordination entre les représentants d’un même Etat : il serait utile de réfléchir à des mécanismes de consultation et d’échange permettant d’identifier les points de contacts ou d’accrochage. Cette recherche de cohérence doit aussi passer par l’adoption de mécanisme permettant au juge de l’OMC de consulter ou de renvoyer pour appréciation à d’autres organisations des questions relevant de leur compétence. Cela pourrait se faire par le biais de questions préjudicielles. L’ORD a déjà la possibilité de consulter les secrétariats des autres organisations mais il ne s’agit que d’avis non obligatoires. Le mémorandum d’accord sur le règlement des différends pourrait prévoir de rechercher un accord entre les parties prévoyant un plus grand recours à la consultation d’autres organisations, ce qui exige parallèlement le renforcement du pouvoir normatif et juridictionnel de ces institutions.

Une caisse internationale de compensation multilatérale ?

Le G20 pourrait charger le Fonds monétaire international en liaison avec l’OMC et la Banque mondiale d’engager une réflexion sur la mise en place d’un mécanisme de compensation multilatérale entre les Etats excédentaires et les Etats déficitaires, qui lierait les problématiques du commerce, de la dette et des finances. Ce mécanisme aurait pour objet de stabiliser les taux de change, d’octroyer des financements aux pays en difficultés et de faire des ajustements entre pays.

En tant qu’organisation dirigée par ses membres, l’Organisation mondiale du commerce n’a, en tant qu’institution, pas la maîtrise de son champ de compétence. L’inflexion de son organisation interne et de sa feuille de route ne peut venir que du « concert des nations ».

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le 29 novembre 2011, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d’information.

L’exposé des rapporteurs a été suivi d’un débat.

« M. Michel Diefenbacher. Je tiens à féliciter les rapporteurs pour leurs exposés très clairs, en dépit de l’aridité du sujet. Je souhaite évoquer la question de la réciprocité dans les échanges internationaux. Elle est essentielle car chacun mesure les risques d’un retour au protectionnisme et, en même temps, tout le monde est conscient de ce que le commerce international ne peut être ouvert à tous vents. Il faut des dispositifs de régulation. L’avantage du concept de réciprocité est sa compatibilité, tant avec la libéralisation des échanges, puisqu’il y a commerce dans un sens comme dans l’autre, si les conditions sont réunies de part et d’autre, qu’avec les principes d’une régulation efficace. Néanmoins, on ne voit pas les choses se mettre en place. Parfois, la notion est évoquée comme cela avait été le cas lorsqu’il s’est agi de mettre en place une taxe carbone en France et ensuite au niveau européen. Qu’en est-il au sein de l’OMC ? Peut-on avoir en la matière des règles multilatérales, sachant que le risque de passer par des accords bilatéraux ou de champ plus réduit est de créer des distorsions ?

M. Hervé Gaymard, co-rapporteur. Il y a plusieurs risques dans une négociation commerciale internationale. Le premier évoqué est celui de la tyrannie du résultat. A l’approche de la clôture, on répète sans cesse les mêmes choses sur l’obligation de conclure car le monde entier attend un résultat et tout échec signifierait la catastrophe. C’est ce qui a été dit à Cancún notamment. En définitive, le cycle de Doha n’a pas été encore conclu et la catastrophe absolue qui était annoncée ne s’est pas produite. Pour reprendre une expression clausewitzienne, avec leur montée immédiate aux extrêmes, ces grands cycles médiatiques conduisent à se crisper sur un discours du « tout ou rien » et sur la tyrannie de l’aboutissement à tout prix. Or, malgré les échecs de ces dernières années, il n’y a pas eu de flambée du protectionnisme. Il n’y a pas, en la matière, en effet, de vérité absolue et, pour reprendre ce qu’indiquait l’économiste Jacques Mistral, le plus grand risque du protectionnisme est que l’on s’engage dans un mécanisme de mesures de rétorsion dont on ne sait pas jusqu’où il va. Il ne faut pas donc voir la question d’une manière idéologique avec ses excommunications, mais avec pragmatisme.

S’agissant de la réciprocité, c’est un concept qui a le mérite d’être clair. C’est essentiel du point de vue politique car toute négociation commerciale multilatérale est par essence complexe et devient vite une affaire de spécialiste. Cet excellent concept, il faut néanmoins encore le travailler, l’argumenter et le porter.

L’OMC n’a pas, pour sa part, la maîtrise de la maîtrise. Ce n’est donc pas de l’intérieur de l’Organisation que viendra l’inflexion dont elle a besoin. En l’état, son action repose sur sa charte, laquelle est libre-échangiste. Tout changement des règles actuelles, de la « feuille de route », ne peut provenir que du concert des nations ou, pour employer un terme plus d’actualité, de la gouvernance.

Mme Marietta Karamanli, co-rapporteure. Il y a clairement un enjeu dans les négociations actuelles car elles doivent permettre de faire face au risque de protectionnisme. Tout échec pourrait l’attiser. Le G20 s’est d’ailleurs penché sur la question puisque, comme le mentionne les conclusions de son dernier sommet, les Etats se sont engagés à retirer toute nouvelle mesure protectionniste. L’OMC a donc un rôle important à jouer dans la mise en œuvre des conclusions et il faut croire tant à l’avenir du rôle de cette Organisation qu’à celui du G20 en la matière.

M. Jean Gaubert. Je m’associe aux remarques de Michel Diefenbacher sur la qualité du rapport, dont les conclusions sont tout à fait satisfaisantes. Le cycle de Doha a été engagé dans une époque qui n’était pas la même et où l’on croyait que l’application générale des principes du libre-échangisme allait régler l’ensemble des difficultés. On a vu que tel n’était pas le cas, notamment parce que certains souhaitent réserver la liberté du commerce pour les autres et que la culture libre-échangiste reste pour eux un article d’exportation mais certainement pas un principe à exploiter pour eux-mêmes. On peut ainsi penser aux Etats-Unis.

Pour ce qui concerne ainsi la question agricole, la présentation par l’Union européenne de ses propositions et lignes rouges très en amont a été clairement prématurée. Il n’est pas de bonne négociation de « tout mettre sur la table », sans conserver quelques éléments pour la fin. En définitive, l’échec des négociations n’est donc peut être pas si problématique.

La situation a changé depuis quinze ans avec des préoccupations nouvelles et essentielles sur le développement durable et les considérations sociales. Il est nécessaire de s’y intéresser car sinon le libre-échange n’est pas équilibré. Nous constatons tous du dumping social, y compris de la part de certains pays développés, comme on l’a vu encore récemment à propos de certains secteurs en Allemagne. Pour ce qui concerne les produits agricoles, il est clair que la suppression des outils de gestion et de régulation, en permettant de constater la tension sur les marchés, a naturellement ouvert la porte à la spéculation. Auparavant, faute de pouvoir constater la situation des marchés, cela limitait les risques de spéculation.

En définitive, si l’on doit parvenir à un accord général, il ne faut pas que cela se fasse à n’importe quel prix et, notamment, pas au prix de renoncements.

Je m’interroge par ailleurs sur la compatibilité des points 11 et 12 de la proposition de résolution. Le point 11 indique qu’un accord partiel sur l’agriculture ne doit pas être envisagé, au risque de ne plus avoir d’armes de négociations pour la suite. Or il me semble qu’une négociation continue, comme le suggère le point 12, permettrait ce type d’accords partiels sectoriels. S’agissant de la réciprocité, on doit se poser la question de savoir si elle est compatible avec une négociation globale car elle peut intéresser plus particulièrement un pays ou un groupe de pays.

M. Didier Quentin. Je souhaiterais quelques précisions sur le rôle exact du directeur général de l’OMC, ainsi que l’échéance de son mandat et les noms des personnes éventuellement pressenties pour lui succéder. Doit-on considérer que M. Pascal Lamy a agi comme grand commis du libre-échangisme parce que les choses ne peuvent évoluer de l’intérieur de l’OMC ? Sur les modalités de cette nécessaire évolution, quelle est l’hypothèse la plus vraisemblable, celle d’un changement de la « feuille de route » ou bien celle d’une meilleure coordination entre l’OMC et les différentes organisations internationales ?

S’agissant de la réciprocité, je souhaite mentionner la question des marchés publics. La situation actuelle est particulièrement déséquilibrée avec la Chine. Les marchés publics chinois sont totalement fermés.

Enfin, pour ce qui concerne les Etats-Unis, leur position sur la question du libre échange est-elle en train d’évoluer, dans la mesure où les rapports de force ne sont plus les mêmes ?

M. Gérard Voisin. Le rapport est empreint d’une très grande lucidité sur les enjeux du commerce équitable. Mais ce sujet est évidemment, et avant tout, dominé par la question monétaire, l’évolution des changes étant le facteur le plus déterminant mais malheureusement celui sur lequel nous avons le moins de prise.

M. Hervé Gaymard, co-rapporteur. Le rapport entre les monnaies est en effet le paramètre majeur, qui commence seulement à être abordé, par la question de la parité entre le Yuan et le Dollar. Cet enjeu surplombe tous les autres, chacun peut en convenir.

Mais je veux aussi insister sur quelques faiblesses qui nous sont propres. Je pense à ce véritable vice de construction qui laisse nos trois commissaires européens concernés, chargés respectivement du commerce, de l’agriculture et du développement, travailler si peu ensemble. Le rapport sur les accords de partenariat économique (APE) que j’avais eu l’honneur de vous soumettre constatait d’ailleurs déjà ce handicap réel.

S’agissant de l’action de l’OMC et de son directeur M. Pascal Lamy, je veux saluer la qualité du travail accompli et l’utilité des nombreuses réflexions et contributions lancées. Toutefois, on ne peut demander à l’institution plus que ce que les missions qui lui sont assignées, aujourd’hui essentiellement juridictionnelles. Cela ne doit pas pour autant nous conduire à négliger ses qualités essentielles, qui sans doute reposent sur un important « flair » politique, permettant de savoir quand il faut geler des négociations dans l’impasse et quand on peut relancer le mouvement, en honnête courtier. Il n’en reste pas moins que la sclérosante règle de l’unanimité limite le champ des possibles. Il faut dire que la dialectique est complexe, la réciprocité indispensable étant bien plus aisément acquise aujourd’hui dans les accords régionaux que dans les grandes négociations globales, je pense par exemple à la postérité des fameux sujets dits « de Singapour ».

Mme Marietta Karamanli, co-rapporteure. Nous pouvons en effet clarifier l’articulation des paragraphes 11 et 12 de la proposition de résolution, dont M. Gaubert souligne qu’elle peut prêter à ambiguïté en encourageant les accords partiels, secteur par secteur, ce qui reviendrait à acter un accord agricole alors que d’autres contreparties pour l’Union européenne seraient oubliées. Dans notre esprit, tel ne pourrait évidemment pas être le cas. »

Puis la Commission a approuvé la proposition de résolution dont le texte figure ci-après.

PROPOSITION DE RESOLUTION EUROPEENNE

L’Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu l’accord de Marrakech du 15 avril 1994 instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC),

Vu la déclaration de la Conférence ministérielle de l’OMC adoptée à Doha le 14 novembre 2001,

Vu les objectifs du Millénaire pour le développement des Nations unies adoptés en septembre 2000 dans le cadre de l’Organisation des Nations unies,

Considérant que le Programme de Doha pour le développement s’est donné pour objectif, d’ouvrir de nouvelles perspectives commerciales, de renforcer les règles multilatérales et de remédier aux asymétries des échanges internationaux afin d’y intégrer les pays en développement, notamment les pays les moins avancés (PMA),

Considérant que, depuis la Conférence ministérielle de juillet 2008, aucune avancée dans les négociations n’a été possible et qu’aucun accord sur les questions en suspens ne sera vraisemblablement conclu lors de la huitième conférence ministérielle qui se tiendra du 15 au 17 décembre 2011,

Considérant que les Etats membres du G20 ont, dans leur communiqué final du 4 novembre 2011, renoncé à appeler une nouvelle fois à la conclusion réussie du cycle de Doha,

Considérant que l’enlisement des négociations et le recours accru aux accords commerciaux bilatéraux et régionaux porte atteinte à la crédibilité de l’OMC et au système multilatéral, favorise l’unilatéralisme et crée des rapports de force défavorables aux pays en développement,

Considérant, d’une part, l’interférence accrue entre les enjeux commerciaux et les défis environnementaux, sociaux, monétaires, d’accès aux matières premières, de souveraineté et de sécurité alimentaire et, d’autre part, la spécificité institutionnelle de l’OMC consistant en un système de règles et de procédures encadrées par un mécanisme de règlement des différends,

1. Est convaincue de l’avantage que représente l’OMC en tant qu’institution centrale chargée de relever les défis de la gouvernance commerciale mondiale, en liaison avec les autres institutions internationales et considère fondamentale l’organisation, sous son égide, de négociations multilatérales ne laissant pas en tête à tête des pays ayant des pouvoirs de négociation asymétriques, ce qui dans une négociation bilatérale est de nature à causer des dommages aux pays les plus faibles ;

2. Souligne que, plus que la libéralisation des échanges sur lesquels ont buté et échoué les négociations, l’enjeu pour le système commercial multilatéral est désormais leur régulation ; la création de règles de droit par l’OMC constitue un levier pour avancer dans le sens d’un développement d’échanges plus équitables et plus durables ;

3. Rappelle son attachement au « consensus de Genève » qui place le développement au cœur des préoccupations du cycle de Doha ainsi que la nécessité de mettre en place un traitement spécial et différencié pertinent, de renforcer les programmes d’aide au commerce et d’engager une réflexion sur une différenciation entre pays en développement ;

4. Considère indispensable une mise en œuvre immédiate de mesures en faveur des pays les moins avancés sur les points suivants : un accès au marché en exemption de droits et quotas pour au moins 97 % des lignes tarifaires, conformément à ce qui avait été décidé lors de la conférence de Hong Kong en 2005 ainsi que la poursuite de l’effort des pays développés pour suivre le modèle européen de l’initiative « Tout sauf les armes », la suppression des subventions au coton, un traitement spécial et différencié et l’amélioration du système de règles d’origine dans le sens d’une plus grande transparence et d’une simplicité accrue ;


5. Estime que des progrès rapides pourraient être réalisés dans l’agenda de Doha, d’une part, sur les négociations relatives à la facilitation des échanges qui ont un impact positif sur la baisse des coûts de transaction et la prévention des abus et d’autre part, sur des sujets d’accès aux marchés non agricoles (NAMA) dans certains secteurs, comme les biens et services environnementaux ;

6. Juge qu’aucune avancée ne peut être envisagée si les Etats membres de l’OMC n’engagent une réflexion sur l’évolution de leurs situations économiques respectives depuis le lancement du cycle de Doha et demande aux pays émergents d’assumer une partie du coût de la négociation, en fonction de leur poids effectif dans l’économie mondiale ;

7. Soutient que les préoccupations relatives à la protection de l’environnement et du climat, ainsi que celles relatives aux normes sociales minimales inscrites dans la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux du travail de l’Organisation internationale du travail de 1998, doivent être articulées avec les règles du commerce international, dans la mesure où le préambule de l’OMC fait expressément mention d’un objectif de développement durable ;

8. Tout en se félicitant de la création du système d’information sur les marchés agricoles dans le cadre du G20 agricole, regrette que les questions de sécurité alimentaire et de lutte contre la volatilité de prix agricoles fassent défaut dans l’agenda de Doha, demande que les règles limitent le droit des pays exportateurs de restreindre leurs exportations, sauf pour ce qui est nécessaire pour permettre un approvisionnement suffisant et juge nécessaire que l’OMC participe à l’élaboration d’un code de bonne conduite pour les cessions d’actifs agricoles ;

9. Estime que les restrictions à l’exportation de ressources naturelles stratégiques dont la disponibilité est limitée et pour lesquelles il n’existe aucune source d’approvisionnement alternative doivent être soumises aux règles du commerce international ;

10. Souligne les risques de protectionnisme déguisé que constituent des politiques de change ne correspondant pas aux fondamentaux des économies et invite l’OMC et le Fonds monétaire international à coopérer pour mettre en place un instrument opérationnel sur les changes ;

11. Rappelle que l’Union européenne a, en matière agricole, établi ses lignes rouges sur la base du « paquet » de juillet 2008 mais estime prématuré de conclure un accord séparé sur les questions agricoles dans la mesure où cela priverait l’Union européenne de marges de manœuvre dans des domaines offensifs comme les services et des indications géographiques ;

12. Estime indispensable d’engager des réformes sur le fonctionnement et la gouvernance de l’OMC, en préférant aux négociations par cycle, un processus régulier d’élaboration et d’actualisation de la règle de droit respectueux de l’équilibre des concessions réciproques, en mettant en place un comité exécutif, en examinant les possibilités d’alternative à l’engagement unique (accords plurilatéraux et accords de masse critique), en assurant plus de cohérence entre engagements multilatéraux et accords commerciaux régionaux et en perfectionnant le mécanisme de règlement des différends pour plus de transparence et une meilleure prise en compte des spécificités des pays en développement ;

13. Demande aux Etats membres de l’OMC de favoriser la mise en place de liens institutionnels avec les autres institutions internationales : l’Organisation internationale du travail (OIT), l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED), la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CNUCC) ainsi que le Fonds monétaire international (FMI) ;

14. Invite le G20 à demander au Fonds monétaire international (FMI), en liaison avec l'OMC et la Banque mondiale, d'engager une réflexion sur la mise en place d'un mécanisme de compensation multilatérale entre Etats excédentaires et Etats déficitaires, en liant les problématiques du commerce, de la dette et des finances.

ANNEXE :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Ø A Genève

– M. Pascal Lamy, directeur général de l’Organisation mondiale du commerce ;

– M. François Riegert, délégué permanent de la France auprès de l’Organisation mondiale du commerce ;

– Isabelle Nutti, conseillère pour l’agriculture, l’environnement et les mesures sanitaires et phytosanitaires, la pêche et les indications géographiques à la Délégation permanente de la France auprès de l’OMC ;

– Jean-Louis Gourbin, président directeur général de Bunge International.

Ø A Paris

 M. Medhi Abbas, professeur au Laboratoire d’Economie de la Production et de l’Intégration Internationale à l’Université Pierre Mendès de Grenoble et chercheur ; associé Centre Economie Internationale et Mondialisation à l’Université du Québec à Montréal ;

– Mme Laurence Dubin, professeure des universités ;

– M. Emmanuel Dupouy, adjoint au chef du bureau « politique commerciale, OMC et accords commerciaux de l’Union européenne » à la Direction générale du Trésor au ministère de l’économie, des finances et de l’industrie ;

– M. Frank Galtier, chercheur au CIRAD (Centre de recherche agronomique pour le développement ), contribution écrite ;

– M. Yves Gueymard, chef du Pôle commerce international à la direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats au ministère des affaires étrangères ;

– M. Pierre Jacquet, directeur de la stratégie et économiste en chef à l’Agence française de développement (AFD) ;

– M. Renaud Lassus, sous directeur de la politique commerciale et de l’investissement au service des affaires multilatérales et du développement à la Direction générale du Trésor au ministère de l’économie, des finances et de l’industrie ;

– M. François Pitti, conseiller du commerce extérieur ;

– Mme Héléne Ruiz Fabri, professeure à l’Université Paris I – Panthéon Sorbonne, Directrice de l’UMR de droit comparé de Paris et Présidente de la Société européenne de droit international ;

– M. Jean-Marc Siroën, professeur de sciences économiques à l’université de PARIS Dauphine et chercheur au CERI (centre d’études et de recherches internationales) ;

– M. Serge Tomasi, directeur de l’économie globale et des stratégies du développement à la direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats au ministère des affaires étrangères ;

– Mme Laurence Tubiana, directrice de Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI).

Ø A Bruxelles

- M. Jean-Paul Thullier, ministre conseiller pour les affaires économiques auprès de la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne ;

- M. Jean–Luc Demarty, directeur général de la direction du commerce extérieur à la Commission européenne ;

- M. Frank Hoffmeister, directeur adjoint au cabinet de M. Karel De Gucht, commissaire européen chargé du commerce extérieur ;

- M. Denis Rodonnet, chef d’unité OMC à la direction générale du commerce à la Commission européenne.

1 () La composition de cette Commission figure au verso de la présente page.

2 Par opposition au consensus de Washington imposé aux pays en développement par les institutions de Bretton Woods (Fonds monétaire international et Banque mondiale).

3 () Selon une étude conduite dans le cadre du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), la libération des échanges qui résulterait d’un accord profiterait à la Chine (36,4 milliards de dollars contre 9,6 milliards aux Etats-Unis), soit.

4 () Lors du sommet de coopération économique Asie-Pacifique (APEC) à Hawaï, le 13 novembre 2011.

5 () Etats-Unis, Canada, Japon et Union européenne.

6 () Article 218 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

7 () Voir le rapport d’information sur les résultats du cycle d’Uruguay par M. Patrick Hoguet, au nom de la Délégation pour l’Union européenne. 30 mars 1993.

8 () Déclaration ministérielle du Groupe des 77 du 24 septembre 1999.

9 () Rappelons que le consensus de Washington regroupait les principes qui ont servi de base aux organisations internationales (FMI, Banque mondiale) pour gérer la crise de la dette extérieure et intérieure des pays en développement dans les années 80 : stricte discipline budgétaire avec une réorientation des dépenses publiques, réforme fiscale, libéralisation du commerce extérieur, élimination des barrières aux investissements directs étrangers.

10 () Voir l’analyse de Mehdi Abbas, «  Mondialisation et développement. Quelle soutenabilité au régime de l’Organisation mondiale du commerce ? ». Avril 2011. Cahiers de recherche no 4/2010, LEPII-EDDEN.

11 () Afrique du Sud, Argentine, Australie, Bolivie, Brésil, Canada, Chili, Colombie, Costa Rica, Guatemala, Indonésie, Malaisie, Nouvelle-Zélande, Paraguay, Philippines, Thaïlande et Uruguay.

12 () Afrique du Sud, Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Chine, Colombie, Costa Rica, Cuba, Equateur, Egypte, El Salvador, Guatemala, Inde, Mexique, Pakistan, Paraguay, Pérou, Philippines, Thaïlande et Venezuela.

13 () L’expression « agenda en contraction » est de Gilbert Windham, 2007.

14 () Voir le rapport d’information no 1210 présenté par M. Marc Laffineur au nom de la Délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne, « La Conférence de Cancún, un échec salutaire pour l’Organisation mondiale du commerce ? », 13 novembre 2003.

15 () Argentine, Brésil, Bolivie, Chili, Paraguay, Thaïlande, Indonésie, Nigeria, Chine…

16 () Voir rapport d’information no 423 au nom de la commission des affaires économiques du Sénat et du groupe de travail chargé de suivre le déroulement des négociations commerciales multilatérales au sein de l’OMC, par M. Jean Bizet, 27 juin 2006.

17 () Déclaration lors d’une réunion du comité des négociations commerciales, le 24 juillet 2006

18 () La procédure de fast track est une loi votée par le Congrès américain qui donne, pour une durée déterminée, l’autorisation de négocier et de conclure des accords, précise le mandat de négociations et permet de raccourcir la procédure en supprimant le droit d’amendement du Congrès, ce qui n’empêche toutefois pas un possible rejet du projet de Traité.

19 () La formule suisse comprend des coefficients distincts pour les pays développés et les pays en développement. Si le coefficient pour les pays développés est uniforme, trois options sont possibles pour les pays en développement, selon l’ampleur des flexibilités qu’ils souhaitent utiliser. Plus le coefficient est faible (réduction plus forte des droits de douane), plus les flexibilités sont grandes, et vice versa.

20 () Un consensus s’était dessiné pour que les pays développés puissent protéger 3 % de leurs produits, 11 à 12 % pour le Brésil et l’Inde et 14 % pour les autres émergents.

21 () La Chine demandait une période de quatre ans.

22 () Les pays développés souhaitent que soit introduire une telle clause anticoncentration afin d’empêcher certains émergents de protéger des réductions tarifaires des pans entiers de leurs industries, comme l’automobile en les obligeant à diminuer leurs droits sur au moins 20 % de leurs lignes tarifaires d’un secteur ou sur 9 % du volume des échanges d’un secteur.

23 () Cette question oppose les pays en développement entre eux dans la mesure où certains (Pays ACP, PMA) profitent d’avantages douaniers de la part des pays développés et demandent que les autres n’en bénéficient pas avant un certain délai.

24 () Ces flexibilités additionnelles sont demandées par des pays comme l’Afrique du Sud, l’Argentine et le Venezuela pour défendre leurs industries plus vigoureusement et plus longtemps.

25 () Conférence de presse de la réunion « mini ministérielle » de juillet 2008 à Genève.

26 () « Qui gouverne à l’OMC et que gouverne l’OMC ? », « En temps réel », cahiers no 44. Octobre 2010.

27 () « Le cycle de Doha n’aura pas lieu », Mehdi Abbas, Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation. Septembre 2008.

28 () Le G20 qui regroupe des pays comme l’Argentine, le Brésil, la Bolivie, le Chili, le Nigeria, la Chine, réclame la libéralisation des marchés agricoles accompagnée par la suppression des droits de douane et quotas, accompagnée d’un traitement spécial et différencié au profit des PED.

29 () « The international economic order, essays in financial crisis and international public goods », 1988.

30 () Notamment en matière de services financiers et bancaires, de droits de la propriété intellectuelle…

31 () « Mondialisation et développement : que nous enseigne l’enlisement des négociations commerciales de l’OMC ? », Mehdi Abbas. Laboratoire d’économie de la production et de l’intégration internationale. Décembre 2009.

32 () « Le traitement spécial et différencié et la différenciation des pays en développement à l’OMC », document de travail préparé par Jean–Marie Paugam, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI) dans le cadre du forum de l’espace économique francophone concernant les négociations multilatérales dans le cadre du cycle de Doha.

33 () « Economic impact of potential outcome of the DDA », rapport de recherche du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), janvier 2009, par Yvan Decreux et Lionel Fontagné. Etude faite à partir du modèle Mirage, comme le rapport au Gouvernement français de Yvan Decreux, « Effets d’un accord multilatéral sur la base des propositions de décembre 2008 » (2009). Voir aussi textes de l’atelier sur les analyses récentes concernant le cycle de Doha (novembre 2010) centre William Rappard.

34 () « Un round mondial en faveur du développement pourrait améliorer le revenu mondial d’au moins 520 milliards de dollars et sortir 144 millions de personnes de la pauvreté », selon les propos de Eveline Herfkens, ancienne directrice générale de la Banque mondiale, lors de la réunion ministérielle à Cancún en 2003.

35 () « Figuring out the Doha Round ». Peterson Institute for International Economics. juin 2010.

36 () Etude du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII). octobre 2011.

37 () OECD Journal of development. 3 juillet 2009.

38 () « Agriculture trade reform and the Doha developpement agenda », Kym Anderson et William Martin, Banque mondiale, 2005.

39 () Depuis 2004, des plaintes simultanées des deux constructeurs dénoncent les aides publiques accordées respectivement par les Etats-Unis et l’Union européenne. Dans un premier jugement rendu en juin 2010, l’ORD avait jugé contraires aux règles du commerce international les subventions versées à Airbus par l’Union européenne. Ce jugement a été infirmé par l’Organe d’appel en mai 2011.

40 () Kamal Nath, ministre indien du commerce et de l’industrie.

41 () « Il aurait vraiment été triste de constater que la conclusion du cycle du développement s’accompagne d’un accroissement des barrières à l’échange. Un véritable cycle du développement implique la libéralisation des échanges et non la fermeture des marchés ». Déclaration de Mme Susan Schwab, représentant des Etats-Unis à l’OMC.

42 () Dans ce débat, les avantages du libre-échange seraient : exploiter les avantages comparatifs, favoriser la baisse des matières premières et des biens d’équipement pour favoriser l’industrialisation, stimulation de la production par les exportations, diffusion du progrès technique, élargissement du choix des consommateurs, facteur de paix et de démocratie. Les inconvénients seraient la dépression des prix agricoles, le risque de spécialisation dans des activités peu favorables à la croissance, la captation des gains de l’échange par des pays partenaires, perte de recettes fiscales peu substituables, perte d’un instrument de régulation macroéconomiques.

43 () Discours devant le Comité des négociations commerciales, le 29 avril 2011.

44 () Discours lors de la réunion informelle du Comité des négociations commerciales, 29 avril 2011.

45 () Cette catégorie inclut aussi bien les accords bilatéraux que les accords plurilatéraux, aussi bien les zones de libre échange que les unions douanières.

46 () « Une Europe compétitive dans une économie mondialisée », COM (2006) final.4 octobre 2006.

47 () « Commerce, croissance et affaires mondiales : la politique commerciale au cœur de la stratégie Europe 2020 », COM (2010) 612 final. 9 novembre 2010.

48 () Dans les accords de l’OMC, la clause de la nation la plus favorisée (clause NPF) stipule que tout avantage commercial accordé par un pays à un autre pays (même s’il ne fait pas partie de l’OMC) doit obligatoirement être accordé à la totalité des membres.

49 () « OMC : le déclin irréversible de la réciprocité et du multilatéralisme », par Charles Deblock, in L’économie politique. Janvier 2010.

50 () Analyse de Christian Chavagneux, Alternatives économiques no 259, juin 2007.

51 () Entretien dans le journal «  Le Monde », 13 septembre 2011.

52 () Voir « L’unilatéralisme des Etats-Unis » de Jean–Marc Siroën. Annuaire français des relations internationales (AFRI). Janvier 2001. L’auteur analyse la persistance, voire la généralisation de l’unilatéralisme américain qui trouve son origine à la fois tant sa tradition commerciale et dans ses institutions. La procédure multilatérale mise en place en 1995 a sans doute affaibli les instruments de cet unilatéralisme mais ne les a pas rendus caducs.

53 () Cette analyse est celle formulée par Pascal Lamy, directeur général de l’OMC.

54 () L’état gazeux se caractérise par la coexistence de particules dépourvues de différenciation hiérarchique.

55 () Voir l’étude « Qui gouverne l’OMC et que gouverne l’OMC ? », En temps réel, cahiers no 44, octobre 2010.

56 () Dont un quart seulement a été jusqu’au bout, ce qui signifie que le dépôt de la plainte a fait cesser le différend.

57 () 24 mai 2011.

58 () Déclaration à l’occasion du sommet des affaires Union européenne- Brésil, le 4 octobre 2011.

59 () Bouet et Laborde, « Assessing the potential cost of a failing Doha Round », World trade review 9 (2010).

60 () « Peut-on gouverner la mondialisation ? », note de l’IFRI (Institut français des relations internationales). Février 2011.

61 () Selon cette étude du CEPII du 31 octobre 2011, les gains d’un accord sur les échanges mondiaux de produits agricoles et industriels et de services se traduiraient par une hausse annuelle de 359 milliards de dollars des exportations mondiales. En cas d’accords sectoriels sur les produits chimiques, l’électronique et les machines, l’essor annuel des exportations mondiales pourraient atteindre 505 milliards de dollars. Sur la base du compromis de 2008, en termes de gains, pour tous les acteurs – pays développés, émergents et en développement – un accord conduirait à 0,2 % de croissance économique supplémentaire et pour l’Union européenne, par une hausse supplémentaire de son PIB de 30 milliards par an. Volet essentiel d’un accord multilatéral, la facilitation des échanges consistant en la suppression des obstacles au passage des frontières pour les marchandises, la simplification des procédures douanières et l’allègement administratif pour les transports et pour la logistique contribuerait à elle seule à une hausse de 100 milliards de dollars chaque année, notamment en faveur des pays en développement. Des accords sectoriels sur la libéralisation du commerce des produits chimiques, des machines et de l’électronique porteraient à 505 millions de dollars la hausse annuelle des exportations mondiales, contre 359 milliards sans eux. La Commission européenne souligne que « contrairement à une perception commune, un accord conduirait aussi à des effets positifs sur les recettes tarifaires pour certaines régions plus démunies comme l’Afrique subsaharienne ».

62 () Voir le rapport du Président David Walker au comité des négociations commerciales au nom du groupe de négociation sur l’agriculture.

63 () Une note de Pascal Lamy au comité des négociations commerciales constatait que dans certains domaines « des progrès nécessaires n’ont pas été possibles. Il s’agit notamment de l’accès aux marchés pour les produits industriels… J’ai fait état des difficultés persistantes rencontrées pour aplanir les divergences importantes entre les participants clés au sujet du niveau d’ambition dans les actions sectorielles… Il y a des divergences fondamentales sur le niveau d’ambition qui résulte des réductions de droits sur les produits industriels selon la formule suisse telle qu’elle se présente actuellement, sur le point de savoir si les contributions des différents membres seront proportionnées et équilibrées et sur la contribution des actions sectorielles. Nous sommes confrontés à une divergence politique manifeste qui, en l’état actuel des choses, ne peut pas être surmontée aujourd’hui… Il est évident que l’AMNA n’est pas la seule question qui reste en suspens et que le cycle ne peut être achevé si ces questions ne sont pas résolues. Mais je pense sincèrement que, dans de bonnes conditions de température et de pression, il serait possible d’arriver à un accord, sachant que « rien n’est convenu tant que tout n’est pas convenu », sauf que dans le cas de l’AMNA où les divergences actuelles bloquent de fait les progrès et font peser de sérieux doutes sur l’aboutissement du cycle cette année ».

64 () En juillet 2011, Pascal Lamy reconnaissait que « l’OMC avait d’énormes problèmes pour accoucher rien que de ce petit bébé » (entretien au journal allemand « Handelsblatt »).

65 () Réunissant les grands exportateurs de matières premières agricoles comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Canada, le Brésil, l’Argentine.

66 () Notamment lors la réunion du Conseil économique transatlantique à Washington, le 21 juin 2011.

67 () Résolution du Parlement européen sur l’état actuel des négociations autour du programme de Doha pour le développement. P7 TA (2011)0380. 14 septembre 2011

68 () « L’avenir de l’OMC : relever les défis institutionnels du nouveau millénaire », 2005.

69 () «  L’avenir du système commercial multilatéral », 2007.

70 () Déclaration de Pascal Lamy devant le Conseil général de l’OMC, 29 avril 2009.

71 () Composé de vingt quatre représentant des pays ou groupe de pays.

72 () Décision relative à une plus grande cohérence dans l’élaboration des politiques économiques au niveau mondial, qui figure dans l’acte final de l’Uruguay Round et incite à une coordination avec les institutions de Bretton Woods.

73 () Discours du 29 avril 2009, « Renforcer l’OMC en tant qu’organisation globale chef de file du commerce mondial ».

74 () « L’OMC face à la crise des négociations multilatérales », études du CERI (centre d’études et de recherches internationales), décembre 2009.

75 () Selon le concept de multifonctionnalité de l’agriculture, les activités agricoles ne produisent pas seulement des denrées pour l’alimentation et l’industrie, mais aussi, dans leurs territoires, des biens et services multiples, marchands ou non marchands, environnementaux, économiques, sociaux et culturels.

76 () Pascal Lamy indique que « selon le principe de la séparation des pouvoirs, le suivi et la surveillance se trouveraient quelque part entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire ». Allocution prononcée à l’Université de Georgetown, le 22 octobre 2007.

77 () L’article X du Gatt dispose que les membres doivent publier dans les moindres délais toutes les mesures relatives aux questions traitées par le Gatt ainsi que tout accord intéressant la politique commerciale internationale.

78 () « Le cycle de Doha n’aura pas lieu », Mehdi Abbas, Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation. Septembre 2008.

79 () Cela a conduit à l’abandon des politiques de réforme graduelles remplacées par des stratégies d’ouverture rendues nécessaires pour l’obtention de prêts dans le cadre de la conditionnalité exigée du Fonds monétaire international en vue de l’accession au GATT, et plus tard à l’OMC.

80 () L’Afrique regroupe 33 des 49 PMA.

81 () Cette part variant considérablement selon les produits, 63 % pour les produits textiles et 26 % pour l’agriculture.

82 () Accords de partenariat économique entre les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique et l’Union européenne.

83 () PNUD (programme des Nations Unies pour le développement, CNUCDED, Banque mondiale, FMI, Centre du commerce international (ITC).

84 () Pays susceptibles de bénéficier du mécanisme de dérogations à l’accord ADPIC autorisant l’émission de licence obligatoire sur pays tiers pour l’importation de médicaments essentiels en cas de crise sanitaire.

85 () Rapport de la Commission européenne au Conseil européen sur les obstacles au commerce et à l’investissement – Faire participation nos partenaires stratégiques à l’amélioration de l’accès au marché : priorités d’action pour la levée des barrières commerciales. COM (2011) 114 final. 10 mars 2011.

86 () Pyramide des besoins de Maslow.

87 () Discours prononcé le 2 septembre 2011 à Paris, à l’occasion de l’université d’été du MEDEF.

88 () « Gouvernance mondiale », rapport de synthèse de Pierre Jacquet, Jean Pisani-Ferry et Laurence Tubiana. Conseil d’analyse économique. Décembre 2001.

89 () Christian de Boissieu, contribution au rapport précité du Conseil d’analyse économique.

90 () « L’OMC face à la crise des négociations multilatérales » par Jean-Marc Siroën, CERI (Centre d’études et de recherche internationales ». Décembre 2009.

91 () American recovery and reinvestment act.

92 () Procédure rapide de ratification sans amendement..

93 () Lettre d’information du rapporteur spécial de l’ONU. 16 novembre 2011.

94 () « Que peut faire la communauté internationale pour aider les pays en développement à gérer l’instabilité des prix alimentaires ? », Frank Galtier, CIRAD (Centre de recherche agronomique pour le développement). mai 2011.

95 () Les taxes variables indexées sont interdites à l’OMC. Seules les taxes fixes sont tolérées, à condition soit qu’elles restent inférieures aux taux plafonds déterminées en 1994 (dits taux consolidés), soit que le pays se trouve dans la situation d’application de la clause de sauvegarde spéciale. En revanche, les taxes indexées sont interdites, même si la tranche de taxation reste en deçà du taux consolidé. La justification d’une telle interdiction est que de telles taxes indexées rendent insensibles aux prix internationaux la demande adressée par les pays importateurs, ce qui est en théorie, un facteur d’accroissement de l’instabilité. Néanmoins, pour les petits pays importateurs, cet effet déstabilisateur est négligeable  alors que l’effet stabilisateur sur les prix payés par les consommateurs et reçus par les producteurs a des effets bénéfiques sur la sécurité alimentaire et la sécurité de la production.

96 () Selon Frank Galtier, précité, une des manières de procéder pourrait être d’interdire les prohibitions mais d’autoriser la mise en place de quotas d’exportation dont le montant serait basé sur une estimation des besoins des pays. L’expérience de l’aide alimentaire dont le montant est souvent basé sur de telles estimations, montre qu’une telle approche est possible même si les bilans céréaliers suscitent toujours discussions et controverses.

97 () La vraie raison de l’échec de ces accords était que leur objectif a été détourné : ils devaient soutenir les prix au lieu de les stabiliser. Cela a conduit à la constitution de stocks importants (cacao) ou à des tensions entre pays importateurs et exportateurs (café). Frank Galtier précise donc que « l’échec des accords internationaux de produits de base ne permet pas de conclure à l’impossibilité de stabiliser les prix internationaux ».

98 () « Les cessions d’actifs agricoles dans les pays en développement », rapport du Centre d’analyse stratégique de la mission présidée par Michel Clavé. 2010.

99 () « IMF surveillance over China’s exchange trade policy », Michael Mussa. 2008.

100 () Cet article reprend celui de 1947et dispose que « Sous réserve que ces mesures ne soient pas appliquées de façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays où les mêmes conditions existent, soit une restriction déguisée au commerce international, rien dans le présent Accord ne sera interprété comme empêchant l'adoption ou l'application par toute partie contractante des mesures :

a) nécessaires à la protection de la moralité publique ;

b) nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux ;

c) se rapportant à l'importation ou à l'exportation de l'or ou de l'argent ;

d) nécessaires pour assurer le respect des lois et règlements qui ne sont pas incompatibles avec les dispositions du présent Accord, tels que, par exemple, les lois et règlements qui ont trait à l'application des mesures douanières, au maintien en vigueur des monopoles administrés conformément au paragraphe 4 de l'article II et à l'article XVII, à la protection des brevets, marques de fabrique et droits d'auteur et de reproduction et aux mesures propres à empêcher les pratiques de nature à induire en erreur ;

e) se rapportant aux articles fabriqués dans les prisons ;

f) imposées pour la protection de trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ;

g) se rapportant à la conservation des ressources naturelles épuisables, si de telles mesures sont appliquées conjointement avec des restrictions à la production ou à la consommation nationales ;

h) prises en exécution d'engagements contractés en vertu d'un accord intergouvernemental sur un produit de base qui est conforme aux critères soumis aux parties contractantes et non désapprouvés par elles ou qui est lui-même soumis aux parties contractantes et n'est pas désapprouvé par elles ;

i) comportant des restrictions à l'exportation de matières premières produites à l'intérieur du pays et nécessaires pour assurer à une industrie nationale de transformation les quantités essentielles desdites matières premières pendant les périodes où le prix national en est maintenu au-dessous du prix mondial en exécution d'un plan gouvernemental de stabilisation, sous réserve que ces restrictions n'aient pas pour effet d'accroître les exportations ou de renforcer la protection accordée à cette industrie nationale et n'aillent pas à l'encontre des dispositions du présent Accord relatives à la non-discrimination ;

j) essentielles à l'acquisition ou à la répartition de produits pour lesquels se fait sentir une pénurie générale ou locale ; toutefois, lesdites mesures devront être compatibles avec le principe selon lequel toutes les parties contractantes ont droit à une part équitable de l'approvisionnement international de ces produits, et les mesures qui sont incompatibles avec les autres dispositions du présent Accord seront supprimées dès que les circonstances qui les ont motivées auront cessé d'exister. Les parties contractantes examineront, le 30 juin 1960 au plus tard, s'il est nécessaire de maintenir la disposition du présent alinéa. »

101 () Différends 58 et 61 de l’OMC, décision du 6 novembre 1998, plainte déposée par l’Inde, la Malaisie, le Pakistan et la Thaïlande contre les Etats-Unis.

102 () Protocole de Kyoto, convention de Vienne pour la protection de la couche d’ozone, convention sur la pollution atmosphérique à longue distance, convention sur la diversité biologique, accord sur la conservation des cétacés de la Mer noire…

103 () Par exemple, la section 301 du Trade act de 1974 ou l’accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail accompagnant au même titre que l’accord de coopération dans le domaine de l’environnement, l’Alena.

104 () Le rapport adopté par le groupe spécial de l’OMC sur la section 301 du Trade act de 1974 avait condamné le recours unilatéral à la contrainte commerciale, y compris pour répondre à des faits qui n’entrent pas dans la compétence de l’OMC, comme la question de la violation des droits sociaux. Rapport WTDS/152/R  du 22 décembre 1999.

105 () « La dimension sociale de la mondialisation –- Clause sociale et responsabilité sociale des entreprises » par Laurence Dubin, note d’analyse pour le Conseil d’analyse stratégique, janvier 2010.

106 () Idem.

107 () Précité.

108 () Depuis le 1er janvier 2011, les énergies renouvelables sont officiellement inscrites dans le nouveau plan quinquennal de l’économie chinoise.

109 () Adoptée par 93 % des pays, la norme ISO 26000 définit la responsabilité sociétale d’une organisation comme la maîtrise par celle-ci «  des impacts de ses décisions et activités sur la société et sur l’environnement se traduisant par un comportement éthique et transparent qui contribue au développement durable, y compris à la santé et au bien être de la société ; prend en compte les attentes des parties prenantes ; respecte les lois en vigueur tout en étant en cohérence avec les normes internationales de comportement ».

110 () Les secrétariats travaillent conjointement sur des questions techniques comme les statistiques, la formation.

111 () Ce concept englobe le développement économique, social, environnemental et culturel des Etats et couvre ainsi une vision du développement qui va au-delà de la croissance économique.