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Communication de MM. Michel Herbillon et Christophe Caresche
Réunion de la Commission des affaires européennes du 14 juin 2011, 17h30

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Objet :   Proposition de résolution sur les recommandations de la Commission européenne relatives aux programmes de stabilité et de réforme de la France pour 2011-2014

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Notre communication clôt le suivi parlementaire du premier semestre européen.

Afin de renforcer la surveillance des trajectoires budgétaires et la cohérence des politiques nationales et européennes au service des objectifs communs de la stratégie Europe 2020, le Conseil a en effet défini, le 7 septembre 2010, un « semestre européen » garantissant une coordination harmonisée des politiques économiques commençant véritablement en amont des procédures budgétaires nationales et permettant d’infléchir les trajectoires budgétaires manifestement inadaptées avant l’adoption des lois de finances nationales.

Il est dans ce contexte indispensable que le Parlement, souverain budgétaire, soit pleinement associé à chacune des étapes qui forgent désormais l’arbitrage de nos grands choix de finances publiques.

– A cet effet, nous avions consacré notre réunion commune du 30 mars avec la Commission des affaires européennes du Sénat et les représentants français au Parlement européen aux « orientations stratégiques pour les politiques économiques » formulées par le Conseil européen des 24 et 25 mars qui suivaient « l’examen annuel de la croissance » de la Commission européenne du 14 janvier.

– Par suite, à l’initiative de notre Président Pierre Lequiller et du Président et du Rapporteur général de la commission des Finances, Jérôme Cahuzac et Gilles Carrez, l’Assemblée nationale a pour la première fois débattu et approuvé par 163 voix contre 74, le 2 mai, le programme de stabilité transmis par la France, simultanément à tous ses partenaires, aux institutions communautaires.

– La Commission européenne a publié, le 7 juin, ses recommandations sur ces programmes de stabilité et de réforme, sur la base desquelles le Conseil européen des 23 et 24 juin prochain adoptera ses avis définitifs destinés à inspirer nos débats budgétaires de l’automne. Nous vous proposons de permettre à l’Assemblée de se prononcer sur cette ultime et décisive étape, et de parachever cette appropriation exemplaire du semestre européen en examinant la présente proposition de résolution, qui sera ensuite débattue par la commission des Finances le 21 juin.

La nouveauté de l’exercice plaide toutefois pour que nous nous exprimions à cette occasion sur le champ plus vaste du gouvernement économique européen, dans la lignée du rapport d’information que nous vous avions soumis en novembre dernier.

I.- L’édification du gouvernement économique européen

Nous assistons aujourd’hui en effet à l’édification, dans un vif tempo tranchant avec le rythme habituel de la construction européenne, d’un véritable gouvernement économique commun.

La crise de 2008 et sa « réplique sismique » de 2010 sur des dettes souveraines contraintes d’en absorber le choc ont en effet brutalement mis l’Europe au pied du mur. L’édifice bancal d’une monnaie unique non adossée sur la convergence des politiques économiques s’est violemment lézardé, laissant apparaître des divergences béantes de compétitivité qui exposent aujourd’hui les Etats les plus fragiles aux assauts de la spéculation et de la défiance.

Le moins que l’on puisse dire est qu’en réaction l’Union a su prendre ses responsabilités sur les deux piliers qui fondent un gouvernement économique.

A- La solidarité financière européenne

■ L’urgence a d’abord commandé la rapide mise en place de « filets de sécurité » pérennes pour les Etats victimes de crise de dette publique.

– D’abord, en mai 2010, les Etats ont dessiné un ambitieux dispositif d’aide européenne appuyé, d’une part, sur le « mécanisme européen de stabilité financière » (MESF), étendu à cette occasion, qui permet à la Commission européenne d’emprunter jusqu’à 60 milliards d’euros ensuite prêtés aux Etats demandeurs, et, d’autre part, sur un nouveau Fonds de stabilité financière (FSE). La capacité effective de prêt de ce dernier, qui s’appuie sur les garanties de tous Etats membres dont l’inégale qualité de signature impose de mobiliser des fonds complémentaires pour atteindre la notation maximale, a été portée à 440 milliards d’euros en mars dernier. Ces 500 milliards d’euros sont complétés par 250 milliards d’euros de prêts pouvant être sollicités auprès du FMI.

– Pour pérenniser ces instruments qui expirent le 30 juin 2013, les chefs d’Etat et de gouvernement ont décidé les 24 et 25 mars 2011 de modifier l’article 136 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne afin de créer un mécanisme permanent de stabilité financière dont l’usage sera « subordonné à une stricte conditionnalité » et devra prévoir, à l’insistance de l’Allemagne, « une méthode adéquate et proportionnée d’implication du secteur privé ». Cette révision des traités, qui devrait être formellement agréée très prochainement, sera ensuite soumise à une ratification dont l’issue, en particulier chez nos partenaires allemands, demeure encore incertaine.

– Surtout, la solidarité européenne a subi et résisté à l’épreuve du feu. 45 milliards d’euros seront mobilisés, pour trois ans, dans le cadre du plan d’aide à l’Irlande du 28 novembre 2010 (sur 85 milliards d’euros d’aide internationale) et 52 milliards d’euros (sur 78 milliards d’euros) dans celui des prêts au Portugal décidés le 15 mai dernier. La situation grecque est plus inquiétante, les 80 milliards d’euros de prêts garantis pour trois ans par les Etats européens en mai 2010 (sur 110 milliards d’aide internationale) ne couvrant pas les échéances financières auxquelles sera confronté l’Etat en 2012.

■ Ces difficiles expériences permettent de dégager quelques premiers enseignements sur la solidarité européenne.

– En premier lieu, la « signature » européenne est appréciée, et son aide apparaît donc efficace. Les émissions réalisées par la Commission européenne et le FESF, qui ont bénéficié d’une notation optimale, ont rencontré un net succès sur les marchés, permettant à ce jour de lever 15 milliards d’euros (10 milliards pour le MESF en deux tranches en janvier et en mai et 5 milliards d’euros pour le FESF en janvier) à des taux seulement supérieurs de 50 points de base à celui des obligations allemandes de même maturité.

– En second lieu, l’aide européenne s’accompagne de conditions extrêmement rigoureuses, qui n’exonèrent pas ses bénéficiaires de leur responsabilité. L’ajustement budgétaire atteint ainsi environ 2,5 % du PIB en Irlande et au Portugal, et désormais plus de 4 % en Grèce. Dans un même esprit, la solidarité européenne n’est pas gratuite. Les taux d’intérêt tarifés, bien que désormais ramenés aux pratiques traditionnelles du FMI, retiennent une majoration de 2 % par rapport aux taux de levée (+ 1 % supplémentaire pour les dettes supérieures à 3 ans).

■ Des redoutables difficultés demeurent cependant.

– La situation grecque met clairement en évidence l’extrême difficulté de mener un ajustement budgétaire brutal et profond dans une conjoncture économique désastreuse. L’ampleur des besoins financiers qu’impose chaque année le simple refinancement des dettes existantes montre que si l’aide européenne a efficacement circonscrit l’incendie, elle n’a pas encore trouvé les moyens propres à l’éteindre. Dans ce contexte, des solutions de plus en plus audacieuses, apportant une assistance technique aux Etats en difficulté, sont expérimentées, avec notamment la menée d’un vaste programme de privatisation confié à des experts indépendants.

– En passant d’une crise de liquidité à une crise de soutenabilité, la Grèce attise les débats relatifs aux modalités pertinentes d’association du secteur privé à l’effort commun. La question de la restructuration, aujourd’hui clairement – et heureusement – écartée, est d’ailleurs encore compliquée par l’acquisition sur le marché secondaire de près de 90 milliards d’euros d’obligations souveraines par la banque centrale européenne. On s’oriente aujourd’hui vers une solution plus prudente assise sur la reconduction volontaire des dettes arrivant à échéance.

B.- La réforme du pacte de stabilité et de croissance

■ Cette éloquente solidarité européenne, acquise dans l’urgence, commande en retour une meilleure discipline budgétaire, tant il est désormais évident que nous acquittons tous le prix de la défiance.

Dans ce contexte, la Commission européenne a présenté un paquet de six propositions législatives mettant en place une « nouvelle gouvernance économique » sur lequel notre Commission, sur notre rapport, s’est exprimée en novembre dernier.

Le Conseil européen des 24 et 25 mars 2011 s’est entendu sur un texte reprenant les conclusions du groupe de travail présidé par M. Herman Van Rompuy qui nous apparaissaient alors équilibrées et satisfaisantes.

Cependant, la commission des affaires économiques du Parlement européen s’est écartée de ce compromis, le 19 avril dernier, notamment sur le rapport de notre collègue Mme Sylvie Goulard, et l’état des débats à Strasbourg semble menacer la perspective d’une adoption définitive du paquet au début de l’été. 

■ Nous rappellerons brièvement ses principales dispositions, qui s’enracinent dans un constat unanime des carences qui affectent aujourd’hui le pacte de stabilité.

– Tout d’abord, en se concentrant exclusivement sur le critère du déficit public, les règles européennes actuelles tendent à ignorer les indicateurs décisifs que constituent le niveau d’endettement public ou les déséquilibres macroéconomiques tels le taux d’endettement privé ou le solde extérieur, dont l’impact sur la prospérité commune est décisif.

En réaction, les propositions législatives enrichissent les critères d’appréciation de l’état des économies et des finances publiques.

A côté du traditionnel déficit, serait ainsi tout d’abord « activé » un nouveau critère de dette publique imposant que les dettes supérieures à 60 % du PIB soient réduites en moyenne d’au moins 5 % par an de la différence entre leur niveau et ce plafond. Cette prescription est très exigeante. Elle imposerait concrètement à un pays dont la dette publique s’approche de 90 % du PIB et dont la croissance ne dépasse pas 1,5 % ne contenir son déficit sous les 2 % du PIB.

Surtout, le paquet introduit un prometteur mécanisme de surveillance des déséquilibres macroéconomiques fondé sur des seuils d’alerte (balance des paiements, endettement privé, etc.) adaptés à chaque pays, permettant le cas échéant au Conseil d’adresser des recommandations voire de prononcer des sanctions annuelles.

– La deuxième faiblesse du pacte actuel tient à ses sanctions, trop uniformément lourdes et intervenant sans doute trop tard pour être réellement dissuasives.

En réaction, il est proposé de rendre les sanctions beaucoup plus rapides, pouvant être prononcées avant même le franchissement des seuils de déficit ou de dette, et surtout plus systématiques, ne pouvant être écartées que si une majorité des Etats membres s’y opposent (c’est la « majorité qualifiée inversée »).

■ Dans ce contexte, les débats au Parlement européen nous invitent à insister sur trois éléments à nos yeux décisifs.

– Tout d’abord, le compromis forgé par le Conseil européen de mars préserve un équilibre absolument fondamental entre la rigueur, nécessaire, des sanctions, et la nécessité, impérieuse, de ne pas faire basculer l’Europe dans des automatismes aveugles qui ont tant fait pour décrédibiliser le pacte de stabilité dans sa version actuelle.

A cette fin, il prévoit, d’une part, que les critères soient appréciés en tenant compte de « tous les facteurs pertinents » désormais explicitement énumérés.

Surtout, dans le texte agréé par l’ensemble des Etats membres, le Conseil demeurerait seul compétent, à la majorité qualifiée habituelle, pour enclencher la procédure d’infraction, les sanctions « automatiques » venant seulement dans un deuxième temps lorsque l’Etat concerné n’a pas entrepris des efforts de correction suffisants. Dans un même esprit, le Conseil garderait la faculté d’aménager les délais accordés aux Etats pour se conformer à ses recommandations.

Ces précautions essentielles ont été remises en cause par la commission des affaires économiques du Parlement européen, qui souhaite en particulier que l’infraction soit constituée dès le franchissement des seuils sauf si une majorité qualifiée des Etats s’y oppose.

Nous estimons indispensable de conserver une marge d’appréciation politique sans laquelle la légitimité même du gouvernement économique européen serait entamée, et vous soumettons à cette fin le 3. de la présente proposition de résolution.

– Ensuite, nous considérons que le nouveau mécanisme de surveillance macroéconomique constitue l’une des avancées majeures du paquet.

Or son efficacité repose étroitement sur la pertinence des indicateurs formant le tableau de bord sur lequel reposera ce contrôle « entre pairs ».

La proposition initiale de la Commission se contentait de confier leur définition à la Commission européenne, dont les premières ébauches négligeaient manifestement certains éléments importants, en particulier dans le domaine social.

Il nous paraît à l’inverse opportun de soutenir ici le Parlement européen, qui souhaite que l’adoption des critères soit soumise au contrôle des deux législateurs européens, en demandant dans le 4. de notre résolution que la détermination des indicateurs respecte les exigences d’un débat démocratique

– Enfin, nous continuons de regretter que le paquet sur la gouvernance économique néglige la question du financement des investissements d’avenir, pourtant indispensables au succès de la stratégie 2020. C’est pourquoi le 5. de la proposition rappelle que les débats sur la mutualisation de certains éléments des budgets nationaux et les réflexions sur la mise en place d’obligations européennes en particulier consacrées aux grands investissements européens ne doivent pas être prématurément fermés.


II.- Les recommandations de la Commission européenne sur les programmes de stabilité et de réforme de la France

Dans ce nouveau cadre d’ensemble, l’examen des premiers programmes de stabilité inscrits dans le semestre européen revêt une importance particulière, forgeant les premières habitudes et dégageant les voies que prendra la coordination renforcée de nos politiques économiques.

■ Il importe de rappeler en préalable que ces programmes doivent désormais s’inspirer des priorités fixées par le Conseil européen. L’exercice 2011 est toutefois moins contraignant qu’il n’y paraît, les grands orientations retenues par les chefs d’Etat et de gouvernement demeurant très générales, allant de la réduction rapide des déficits structurels et la modération des dépenses publiques à un rythme nettement inférieur à la croissance potentielle à la réduction du chômage par des réformes du marché du travail en passant par le déploiement de nouveaux efforts, en particulier de recherche et d’innovation, afin de renforcer la croissance.

S’y ajoutent pour les Etats membres de la zone euro, rejoints par la Bulgarie, le Danemark, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne et la Roumanie, les engagements plus spécifiques qu’ils ont décidé de souscrire dans le pacte pour l’euro plus adopté le 25 mars 2011, qui décline une série d’actions nationales concrètes dans des domaines identifiées en commun.

Surtout, le semestre européen prévoit désormais que les programmes de stabilité sont accompagnés des programmes de réforme, qui détaillent les diverses actions prévues par les Etats pour atteindre les objectifs de la Stratégie Europe 2020, encourageant le tissage d’un lien plus direct entre la surveillance budgétaire et la convergence des politiques économiques concrètes.

■ Dans ce contexte, la Commission européenne s’est attachée à suggérer au Conseil d’émettre des recommandations précises, exigeantes et détaillées à l’ensemble des Etats membres, la tonalité des vingt-sept avis étant uniformément prescriptive et généralement sévère sur l’appréciation de la qualité des efforts consentis par les Etats. Notre pays n’échappe pas à cette rigueur.

– La Commission européenne encourage ainsi la France à renforcer son effort budgétaire structurel, qu’elle estime dans ses calculs « légèrement inférieur à l’effort supérieur à 1 % du PIB recommandé par le Conseil », indiquant qu’« en l’absence de mesures supplémentaires, il ne peut pas être garanti que le déficit excessif sera corrigé en 2013 ». Elle relève en effet que le scénario macroéconomique retenu par la France (2,25 % de croissance en 2012 et 2,5 % en 2013) « est trop optimiste » et « nettement supérieur à la croissance potentielle des dernières années ».

– A cette fin, la Commission propose au Conseil de demander à notre pays de mieux détailler les actions précises envisagées pour rétablir le solde public, déplorant le « manque de précision de certaines mesures », et l’enjoint à utiliser « toute recette exceptionnelle pour accélérer la réduction du déficit et de la dette ».

– Elle concentre enfin ses recommandations de politique économique sur trois domaines. Afin de « lutter contre la dualité du marché de l’emploi », elle suggère d’encourager l’accès la formation pour contribuer au maintien en activité des plus âgés et d’améliorer le fonctionnement du service public de l’emploi pour renforcer « le soutien individualisé » aux chômeurs de longue durée. Pour « accroître l’efficacité du système fiscal », elle recommande de déplacer « la charge fiscale du travail vers l’environnement et la consommation » et de réduire les niches sociales et fiscales. Enfin, elle invite la France à poursuivre la levée des « restrictions » sur les marchés et les professions réglementés.

■ Nous ne sommes pas en mesure de vous proposer une rédaction commune en réponse à ces éléments, sur lesquels nos opinions divergent. C’est pourquoi nous avons préféré déposer à ce stade des amendements  individuels que nous soumettrons à votre vote. Deux précisions toutefois feront consensus.

En premier lieu, il nous apparaît qu’en exigeant de disposer des toutes les mesures précises susceptibles de constituer les budgets pour 2012 et 2013, la Commission contrevient à l’esprit du semestre européen, dont l’objet doit légitimement se borner à encadrer efficacement et inspirer la convergence de nos politiques économiques. Les programmes de stabilité ne sauraient en effet préjuger des modalités précises des mesures adoptées souverainement par le Parlement. Surtout, et cette précision prend une importance particulière dans la période de programmation que nous examinons, si nos engagements européens de respect des critères du pacte de stabilité s’imposent naturellement à toute majorité, la forme concrète qu’ils prennent demeure de la responsabilité exclusive des représentants du peuple et des mesures détaillées ne sauraient en aucune manière préempter les libres choix démocratiques qui s’expriment naturellement au cours des élections.

Dans cet esprit, en second lieu, il va de soi que toute précision complémentaire apportée par le Gouvernement en réponse aux institutions européennes devra être préalablement soumise au Parlement.