Accueil > Événements > Colloque « Rousseau et la Révolution » - Jeudi 9 février 2012 > Présentation des communications et de leurs auteurs

 

Colloque
« Rousseau et la Révolution »

jeudi 9 févier 2012

Colloque « Rousseau et la Révolution » - Jeudi 9 février 2012
Copyright Assemblée nationale

Présentation des communications et de leurs auteurs

Antoine Lilti

« Rousseau, la critique sociale et les paradoxes de la célébrité »

     Le rapport de Jean-Jacques Rousseau au public de son temps est caractérisé par deux paradoxes : promoteur d'une forme nouvelle, et radicale, de critique sociale et politique, Rousseau finit par revendiquer le retrait solitaire et l'abandon de l'écriture ; écrivain le plus célèbre de son temps, admiré par de très nombreux lecteurs, il est convaincu d'être détesté de ses contemporains. Pour comprendre ces paradoxes, qui lui valurent le surnom de Diogène,  il faut rappeler que Rousseau a cherché à s'affranchir des règles habituelles de prudence des philosophes des Lumières, a mis sans cesse en scène sa propre exemplarité, a volontiers recherché le scandale, avant de découvrir l'ambivalence des nouvelles formes de médiatisation liées aux transformations sociales et culturelles des Lumières. Le cas Rousseau pose ainsi une question nouvelle, à l'aube de la Révolution française : la célébrité de l'écrivain est-elle un atout, ou un obstacle, pour la critique sociale ?

Antoine Lilti est directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Spécialiste d'histoire sociale et de la culturelle des Lumières, il a publié notamment Le monde des salons, Sociabilité et mondanité à Paris au XVIIIe siècle (Fayard, 2005) et de nombreux articles.

 

James Swenson

« De Jean-Jacques Rousseau comme un des premiers auteurs de la Révolution française »

     Cette communication entend montrer que l'influence de Rousseau sur la Révolution est réelle mais non pas directe : elle opère à travers une série de renversements ou discontinuités causales qui réfléchissent la structure de la pensée de Rousseau dans le développement des concepts politiques à l'oeuvre dans l'histoire révolutionnaire.

James Swenson est professeur associé de littérature française et comparée et doyen de la faculté des lettres à l'Université Rutgers (New Jersey, USA). Il est l'auteur de On Jean-Jacques Rousseau considered as One of the First Authors of the Revolution (Stanford University Press, 2000), et traducteur de plusieurs livres de philosophie politique contemporaine. Il prépare un livre intitulé Institutions républicaines qui portera sur les questions de la société civile et de la politique culturelle à l'époque révolutionnaire.  

 

Carla Hesse

« Lire Rousseau en temps de révolution »

     Cette communication examinera les pratiques de la lecture de Rousseau chez les révolutionnaires et les contre-révolutionnaires à travers les premières années de la révolution.

Carla Hesse est professeur d'histoire et doyen de la faculté des science sociales à l'Université de Californie, Berkeley (USA). Elle est l'auteur de Publishing and Cultural Politics in Revolutionary Paris, 1789-1810  (University of California Press, 1991), The Other Enlightenment : How French Women Became Modern (Princeton University Press, 2001) et éditeur de plusieurs livres qui traitent l'histoire culturelle et politique de la France. Elle prépare un livre intitulé De l'Esprit des lois révolutionnaires qui portera sur les questions de droit, loi politique culturelle à l'époque révolutionnaire et un autre livre intitulé Les Tombeaux de Rousseau.

 

Michèle Sacquin

« Les manuscrits de Jean-Jacques Rousseau pendant la Révolution »

     La lecture des procès-verbaux du Comité d’Instruction publique de la Convention nationale, mais aussi celle du Moniteur et de la Décade philosophique et littéraire font apparaître une grande effervescence autour des manuscrits de Rousseau à partir de 1793.

     Elle se développe à la faveur de deux phénomènes convergents. C’est d’abord l’extraordinaire popularité du philosophe élevé au rang de père tutélaire de la Révolution et dont les tendances les plus diverses se réclament. C’est ensuite l’intérêt nouveau, quoique toujours relatif, pour les manuscrits littéraires, intérêt favorisé par le contexte exceptionnel et inédit des confiscations révolutionnaires qui fournissent les dépôts littéraires, créés pour l’occasion, en archives et manuscrits.

     Dans le cas particulier de Jean-Jacques, cet intérêt s’inscrit dans la continuité de l’activité qui a entouré la publication de ses inédits depuis sa mort, entraînant querelles et polémiques autour de la censure de ses écrits les plus intimes. En 1794, tout en organisant la translation des cendres de Rousseau au Panthéon, proposée dès août 1791, le Comité d’Instruction publique confie au montagnard Joseph Lakanal la charge de rechercher et de rassembler les manuscrits du philosophe, considérés comme un patrimoine national, en vue de la publication des inédits. En raison des événements politiques et de la baisse de popularité de l’auteur du Contrat social, Lakanal et son équipe ne parviendront pas à mener cette entreprise à bien, cependant que les manuscrits de Rousseau, récupérés ou seulement examinés par le Comité d’Instruction publique, connaîtront des destins divers.

Michèle Sacquin est archiviste-paléographe, docteur en histoire, conservateur en chef au département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale de France. Auteur de Entre Bossuet et Maurras. L’antiprotestantisme en France de 1814 à 1872 , Champion/Droz, 1998, Un chat passant parmi les livres (BnF/Officina Libreria, 2010 et 2011). Elle a dirigé : Gabriel Marcel et son temps (BnF, 1989); Le Printemps des génies (BnF/Laffont, 1993) ; Zola. Cent ans après (BnF/Fayard, 2002) ; Henri Gouhier, historien des philosophes (BnF, 2004) ; Zola et les historiens (BnF, 2004) ; édition et préface de Paul Nizan, Essais à la troisième personne (BnF, 2006). Elle a publié plusieurs articles sur les manuscrits de La Nouvelle Héloïse.

 

Julien Boudon

« Les Jacobins et Rousseau »

     Les Jacobins sont communément présentés comme des "disciples" de Rousseau. On invoque aussi "l'influence" des écrits du Genevois sur les révolutionnaires français, à commencer par les Jacobins. Cette présentation est sujette à caution : les Jacobins sont des hommes politiques et non des philosophes. A ce titre, ils trient dans le corpus rousseauiste et en conservent ce qui est utile au triomphe de leurs couleurs. En conséquence, nombre de principes de Jean-Jacques sont transformés en slogans politiques à l'efficacité redoutable dans l'arène politique, d'autres sont prudemment oubliés ou encore manifestement écartés. Y compris chez Robespierre, l'orthodoxie rousseauiste revendiquée avec emphase trouve ses limites : on en a une illustration frappante avec la représentation. L'anathème lancé par l'auteur du Contrat social sur le principe représentatif sera in fine contredit par les leaders jacobins, notamment en 1793.

Julien Boudon, professeur de droit public à l'Université de Reims depuis 2004. A consacré sa thèse de doctorat à la Révolution française et plus particulièrement à l'utilisation des écrits de Jean-Jacques Rousseau par les Jacobins : Les Jacobins. Une traduction des principes de Jean-Jacques Rousseau (Paris, LGDJ, 2006). Depuis, ses travaux portent sur le droit constitutionnel américain, l'histoire de la doctrine juridique française au XIXe siècle et le contentieux constitutionnel français et étranger.

 

Anne Simonin

« De la censure du peuple ou comment institutionnaliser la vertu sous la révolution ? »

     La censure du peuple est une idée de Rousseau dont on a mal mesuré la portée démocratique et pacifique. Défendue par des députés isolés au sein de l'Assemblée, la censure du peuple n'a jamais été constitutionnalisée. Or cette idée contenait la possibilité d'une articulation inédite de la Morale (entendue au sens large) à la Politique. Son institutionnalisation eut peut-être permis, en l'an II, de faire régner la vertu, sans faire couler le sang.

Anne Simonin travaille en histoire, droit et littérature de la Révolution française aux années cinquante. Elle a entre autres publié "Le Déshonneur dans la République. Une histoire de l'indignité 1791-1958" (Grasset, 2008) et "Le Droit de désobéissance. Les Éditions de Minuit en guerre d'Algérie" (Minuit, 2012).

 

Céline Spector

« Rousseau dans la pensée politique contemporaine »

     Plus qu’aucun grand philosophe peut-être, Rousseau a fait l’objet d’interprétations contradictoires et de jugements partisans. Un siècle plus tard, ce temps est-il révolu ? Faut-il considérer qu’après l’époque des luttes partisanes qui prirent en otage l’auteur du Contrat social et firent de son œuvre leur champ de bataille, le XX e siècle serait celui de la critique érudite, enfin délivrée des passions révolutionnaires et du fardeau de l’idéologie ?

     Contre cette vision illusoire d’une transposition de la polémique politique à la controverse savante, je souhaiterais mettre en lumière les usages philosophiques et idéologiques de l’œuvre de Rousseau depuis la guerre froide. Usages et non images : plutôt qu’étudier sa réception ou de proposer une historiographie de son commentaire, cartographier les usages de la conceptualité rousseauiste dans les théories politiques contemporaines. Car si le magistère d’opinion exercé par Rousseau pendant la Révolution française n’a plus lieu d’être, son autorité théorique régit toujours le débat philosophique. Plus que des solutions, sa philosophie offre un horizon au sein duquel prennent sens les réflexions sur la démocratie, l’autonomie, la justice et la reconnaissance. Au-delà du renouveau du contractualisme et des théories de la démocratie délibérative, notamment dans l’univers anglophone, les développements des analyses marxistes, libérales, straussiennes, républicaines, communautariennes, habermassiennes, honnethiennes ou féministes se traduisent par un « retour » à Rousseau. Depuis une trentaine d’années surtout, l’auteur du Contrat social est au cœur de polémiques majeures : dans une constellation post-marxiste où le libéralisme lui-même est sur la sellette, l’œuvre de Rousseau recèle des trésors pour qui veut diagnostiquer les perversions et les maux des démocraties libérales.

Céline Spector est Professeur au Département de philosophie de l’Université de Bordeaux et membre de l’Institut Universitaire de France. Ses travaux portent sur la philosophie française du XVIII e siècle (Montesquieu, Rousseau) et la philosophie politique contemporaine. Elle a notamment publié : Montesquieu. Pouvoirs, richesses et sociétés, Paris, PUF, 2004 (rééd. Paris, Hermann, 2011) ; Montesquieu et l’émergence de l’économie politique, Paris, Champion, 2006 (prix Léon Faucher de l’Académie des Sciences morales et politiques) ; Rousseau, Principes du droit de la guerre, Ecrits sur le Projet de Paix Perpétuelle de l’abbé de Saint-Pierre, B. Bachofen et C. Spector éd., Paris, Vrin, 2008 ; Au prisme de Rousseau : usages politiques contemporains, Oxford, Voltaire Foundation, 2011.

 

Olivier Beaud

« Rousseau et la pensée constitutionnelle »

     L'objet de cette conférence sera d'examiner comment la pensée constitutionnelle, chez les juristes, a interprété l'oeuvre politique de Jean-Jacques Rousseau et de rechercher s'il y a ou non un renouveau de l'intérêt des juristes envers le philosophe genevois.

Olivier Beaud, professeur de droit public à l'Université de Panthéon-Assas (à Paris II), enseigne le droit constitutionnel en première année de droit et en M2. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages portant sur la théorie constitutionnelle (notamment La puissance de l'Etat, 1994, Théorie de la Fédération, 2007).

 

Blaise Bachofen

« L’égalité, une idée révolutionnaire ? »

     L’égalité est-elle une idée nouvelle à l’époque de Rousseau ? Est-elle devenue, avec l’établissement des démocraties, une réalité garantie par le droit ? Ou reste-t-elle un idéal justifiant de remettre en cause l’ordre établi ? Est-elle au contraire une idée usée, un frein à l’évolution de nos sociétés ?

     Il s’agira d’abord de comprendre comment Rousseau conçoit l’égalité. Il ne se contente pas de juger, comme la plupart des philosophes de son temps, que les privilèges aristocratiques sont illégitimes : il est l’un des premiers théoriciens de l’inégalité économique. Il n’est pas égalitariste pour autant. C’est parce qu’il place la liberté au dessus de toute autre exigence qu’il considère que, « la force des choses tendant toujours à détruire l’égalité, la force de la législation doit toujours tendre à la maintenir » (Du Contrat social).

Blaise Bachofen est maître de conférences à l’université de Cergy-Pontoise. Il est l’auteur de nombreux articles sur la philosophie politique moderne et d’un ouvrage sur la philosophie politique de J.-J. Rousseau : La Condition de la liberté. Rousseau, critique des raisons politiques (Payot, 2002). Il a dirigé ou codirigé plusieurs ouvrages collectifs : Le Libéralisme au miroir du droit (ENS Éditions, 2008) ; Cornelius Castoriadis, réinventer l’autonomie (Éditions du Sandre, 2008) ; une édition commentée des Principes du droit de la guerre et des Écrits sur la paix perpétuelle de Rousseau (Vrin, 2008) ; Rousseau, politique et esthétique : sur la Lettre à d’Alembert (ENS Éditions, 2011).