«
La Fayette, nous voici » : la phrase généralement attribuée au
général Pershing, et prononcée le 4 juillet 1917 par le colonel
Stanton sur la tombe parisienne du « Héros des Deux-Mondes »,
résume superbement l’idée d’une solidarité franco-américaine dans
la défense de la liberté.
C’est pour avoir contribué à l’indépendance des
États-Unis que La Fayette, devenu très populaire, joue un rôle si
important au début de la Révolution française.
Quand la France à son tour devient une République,
l’amitié américaine est recherchée. Sait-on que le drapeau
américain flotte dans la salle de séance de la Convention, à côté
de celui de Genève et du pavillon tricolore ? Sait-on que les
conventionnels ont voté symboliquement l’octroi de la citoyenneté
française à George Washington et aux pères fondateurs de
l’indépendance ? Sait-on que l’un d’eux, Thomas Paine, rédacteur
de la constitution de Pennsylvanie, sera élu député français dans
cinq départements ?
Née dans la tourmente révolutionnaire, cette amitié
ne se démentira plus, d’autant que de nombreux Français, fuyant
les excès de la Terreur, trouvent refuge en Amérique. Certains
vont s’y établir durablement : la ville de Gallipolis, dans
l’Ohio, cette « cité des Gaulois » fondée par deux anciens députés
français, revendique aujourd’hui sa French touch avec une certaine
fierté. D’autres émigrés politiques reviendront en France, comme
Talleyrand, qui s’est embarqué pour Philadelphie en 1794. Son
séjour aux États-Unis l’impressionne vivement et c’est fort de
cette expérience qu’il consignera, dans ses Mémoires, ce jugement
visionnaire : « Du côté de l’Amérique, l’Europe doit toujours
avoir les yeux ouverts, et ne fournir aucun prétexte de
récrimination ou de représailles. L’Amérique s’accroît chaque
jour. Elle deviendra un pouvoir colossal, et un moment doit
arriver où, placée vis-à-vis de l’Europe en communication plus
facile par le moyen de nouvelles découvertes, elle désirera dire
son mot dans nos affaires et y mettre la main. »
Au XIXe siècle, la doctrine Monroe tend à définir
des sphères d’influence distinctes : « l’Amérique aux Américains »
d’un côté, l’Europe et ses colonies de l’autre. Mais la Grande
Guerre change la donne, en portant atteinte au principe de la
liberté des mers. En mai 1915, le torpillage du Lusitania choque
profondément l’opinion américaine ; le 2 avril 1917, les
États-Unis déclarent la guerre à l’Allemagne et au mois de juin,
le général Pershing arrive en France avec ses troupes.
Cet engagement dans le camp des Alliés ne va pas de
soi à l’époque : outre la force du courant pacifiste, il a fallu
surmonter l’opposition des nombreux Américains d’origine
allemande. Quant aux descendants d’Irlandais, rien ne les
prédispose à combattre aux côtés des soldats britanniques. La
grandeur de Wilson est d’avoir dépassé ces considérations
particulières pour ancrer clairement son pays dans la défense du
droit. Héraut d’une paix durable, garantie par des traités justes
et la création d’une Société des nations, il est reçu
triomphalement sur le sol français. Le 3 février 1919, il souligne
lui-même « l’insigne et extraordinaire honneur » qui lui est fait
: reçu dans l’hémicycle du Palais-Bourbon, il monte à la tribune
pour développer sa vision de l’avenir. Quelques mois plus tard, il
reçoit le prix Nobel de la Paix.
L’isolationnisme, à partir de 1920, a eu
provisoirement raison de cet « idéalisme wilsonien » sur lequel on
a trop ironisé : mais la montée de nouveaux périls entraînera sous
Roosevelt une nouvelle et décisive intervention américaine, puis
la création de l’ONU. La Guerre froide a renforcé le lien
transatlantique, donnant définitivement raison à Wilson.
Rétrospectivement, il nous paraît même étonnant que le premier
voyage en Europe d’un président américain ne date que de 1919.
Comme toutes les amitiés, celle qui unit la France
et les États-Unis a connu ses périodes de tension et ses brouilles
passagères. Car l’amitié n’admet pas la tutelle et notre nation a
eu raison de veiller à préserver son indépendance. Le général de
Gaulle, en particulier, a su faire respecter « une certaine idée
de la France », ne confondant pas alliance et allégeance. La
construction européenne, en outre, a fait apparaître sur la scène
mondiale un nouveau géant, avec lequel la superpuissance
américaine doit apprendre à négocier.
C’est en agissant dans le respect mutuel que la
France et les États-Unis peuvent affirmer leurs valeurs communes
avec le plus de force. Sur l’essentiel en effet, les deux pays
ont toujours su se retrouver : l’essentiel, c’est-à-dire la
défense de la démocratie, contre l’arbitraire, l’injustice, le
totalitarisme sous toutes ses formes et, aujourd’hui, le
terrorisme.
La visite du Président Wilson au Palais-Bourbon
n’est donc pas seulement un épisode pittoresque et anecdotique :
elle a constitué un moment privilégié de ce dialogue
franco-américain qui, commencé entre Beaumarchais et Benjamin
Franklin, ne s’est jamais interrompu depuis. À l’heure où la
démocratie américaine entre dans une phase nouvelle de son
histoire, je forme le vœu que ce dialogue se poursuive et
s’intensifie. |