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PROJET DE LOI

RENFORCANT LA PREVENTION ET LA REPRESSION DU TERRORISME

ETUDE D’IMPACT

1. Etat du droit/diagnostic

1.1. Etat et application de la législation anti terroriste

1.1.1. Etat du droit

1) Origine des dispositions anti-terroristes :

Le dispositif judicaire français de lutte antiterroriste n’est pas nouveau et témoigne d’une expérience bien établie. En effet, dès les années 1970, la France a été confrontée à des vagues successives d’actions terroristes d’origine nationale et internationale, actions qui se sont multipliées dans les années 1980, créant un climat de terreur à Paris notamment. C’est pourquoi, dès 1986, la France s’est dotée d’un arsenal législatif spécifique en matière de lutte contre le terrorisme. Le dispositif a été renforcé au fur et mesure, au regard de nouveaux modes d’actions terroristes, ou de l’émergence de nouvelles menaces.

Dès l’origine, le législateur a choisi de doter la puissance publique de pouvoirs dérogatoires du droit commun, par un dispositif particulier, mais permanent, qui maintient le juge au cœur de la lutte antiterroriste, tout en maintenant l’équilibre entre l’efficacité de la lutte contre ce phénomène et les libertés publiques.

Grâce à ce système, la France a su éviter les législations d'exception destinées à éluder les garanties fondamentales apportées par le système judiciaire.

Les législateurs successifs se sont attachés à respecter cette ligne de conduite, qui maintient la lutte contre le terrorisme dans le cadre de l'état de droit et de la démocratie.

C’est ce qui explique qu’à la suite des attentats du 11 septembre 2001, contrairement à de nombreux pays, la France n’a pas procédé à une modification radicale de sa législation, mais a choisi d’opérer un renforcement limité à des dispositions bien précises.

Les principales lois à l’origine de la législation anti-terroriste sont les suivantes :

La loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à la sûreté de l'Etat, qui a défini la notion de terrorisme, mais uniquement pour en tirer des conséquences procédurales (compétence parisienne, garde à vue allongée..).

La loi n° 86-1322 du 30 décembre 1986 complétant la loi précitée, notamment pour prévoir une cour d’assises composée seulement de magistrats.

La loi n° 92-686 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre la nation, l'Etat et la paix publique, qui a inséré les actes de terrorisme dans le nouveau code pénal, pour en faire des infractions spécifiques et plus sévèrement sanctionnées.

La loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992 relative à l'entrée en vigueur du nouveau code pénal et à la modification de certaines dispositions de droit pénal et de procédure pénale rendue nécessaire par cette entrée en vigueur, qui a maintenu et précisé la procédure dérogatoire applicable aux actes de terrorisme.

La loi n° 95-125 du 8 février 1995, qui a allongé la prescription des crimes et des délits terroristes

La loi n° 96-647 du 22 juillet 1996 tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire, qui a notamment créé l’association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme, définie comme constituant également un acte de terrorisme.

La loi n° 96-1235 du 30 décembre 1996 relative à la détention provisoire et aux perquisitions de nuit en matière de terrorisme, qui a permis les perquisitions de nuit en enquête de flagrance, préliminaire ou au cours de l’instruction.

La loi n° 97-1273 du 29 décembre 1997 tendant à faciliter le jugement des actes de terrorisme.

La loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, qui a notamment facilité les contrôles d’identité pour lutter contre le terrorisme, créé le délit de financement des actes de terrorisme et prévu la peine de confiscation générale de l’ensemble des biens des personnes coupables d’actes de terrorisme.

La loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité qui a créé de nouvelles possibilités d’investigations applicables en matière de terrorisme et de délinquance ou de criminalité organisée, comme les écoutes téléphoniques lors de l’enquête, les infiltrations et les sonorisations.

La loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, qui a permis une garde à vue de 6 jours en cas de risque d’attentats.

La loi n° 2008-1245 du 1er décembre 2008 visant à prolonger l'application des articles 3, 6 et 9 de la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers.

La loi n° 2001-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, qui a permis la captation de données informatiques.

La loi n° °2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, qui a renforcé la présence de l’avocat en garde à vue, y compris pour les gardes à vue en matière de terrorisme.

2) Etat actuel de la législation

a) Dispositions pénales

Ø En droit pénal

La force du dispositif judicaire français en matière de terrorisme repose sur un droit spécialisé (infractions spécifiques, règles procédurales exorbitantes du droit commun), et sur des magistrats et services d’enquêtes spécialisés.

C’est l’article 421-1 du code pénal qui définit la notion d’acte de terrorisme par la réunion de deux éléments:

- l’existence d’un crime ou d’un délit de droit commun incriminé par le code pénal. Les délits sont énumérés par une liste limitative établie par le législateur à l’article 421-1 du code pénal.

- la relation de ces crimes ou délits de droit commun limitativement énumérés avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, qui caractérise la circonstance de terrorisme.

Ces actes de terrorisme sont punis de peines aggravées (art. 421-3 et suivants du code pénal).

Par ailleurs, sont également incriminées des infractions terroristes par nature ou pouvant en revêtir ce caractère :

- l’acte de terrorisme écologique (art. 421-2 et 421-4 du code pénal) ;

- l’association de malfaiteurs terroriste délictuelle et criminelle (art. 421-2-1, 421-5 et 421-6 du code pénal) ;

- la direction et l’organisation d’une association de malfaiteurs délictuelle ou criminelle en vue de préparer des actes terroristes (art. 421-5 alinéa 2 du code pénal) ;

- l’acte de financement d’une entreprise terroriste (art. 421-2-2 du code pénal). En outre, sont créés un dispositif de gel des avoirs et une peine complémentaire de confiscation de l’ensemble des biens du délinquant terroriste et affectation du produit des condamnations au fonds de garantie des actes de terrorisme (art. 422-6 et 422-7 du code pénal),

- la non justification de ressources de toute personne étant en relations habituelles avec un ou plusieurs personnes se livrant à des actes de terrorisme (art. 421-2-3 du code pénal),

- le recel d’auteurs d’un acte de terrorisme (art. 434-6 du code pénal).

La clé de voûte des infractions en matière de terrorisme est l’infraction d’association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme définie par l’article 421-2-1 du code pénal.

Cet article énonce que « constitue également un acte de terrorisme le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un des actes de terrorisme mentionnés aux articles précédents ».

Cette infraction permet d’ouvrir des enquêtes judiciaires très en amont, avant la commission d’actes de terrorisme, en intégrant les éléments de renseignements collectés par les services spécialisés.

Elle incrimine ainsi les actes préparatoires aux actes de terrorisme. La peine prévue est de 10 ans d’emprisonnement et 225.000 euros pour toute participation à une association de malfaiteurs terroriste. Elle est portée à 20 ans et 350.000 euros lorsque le groupement formé avait pour objet la préparation d’actes de terrorisme considérés comme graves car mettant en danger l’intégrité physique de personnes (crimes, attentat via destruction par substance explosive,…- articles 421-5 et 421-6 du code pénal).

C’est cette infraction qui est régulièrement retenue et admise par la jurisprudence pour poursuivre les membres de réseaux terroristes qui ont été interpellés avant de mettre en œuvre leur projet.

Aux termes de l’article 706-25-1 du code de procédure pénale, en matière de terrorisme, l’action publique des crimes se prescrit par 30 ans, et l’action publique des délits se prescrit par 20 ans.

Ø En droit de la presse

Il existe également des incriminations prévues à l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Ainsi, la provocation directe d’actes de terrorisme, qu’elle soit ou non suivie d’effet, est punissable lorsque l’un des moyens prévus à l’article 23 de la même loi aura été utilisé, à savoir « soit des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit tout moyen de communication au public par voie électronique ».

Il convient de relever parmi les moyens cités pour définir la provocation, que la mention de « tout moyen de communication au public par voie électronique », a été ajoutée par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, et renvoie à l’utilisation d’internet, dont l’expansion n’avait pas été anticipée par les lois de 1986 et 1992 qui avaient introduit ces infractions.

En outre, ce même article 24 incrimine l’apologie des actes de terrorisme.

La peine prévue tant pour la provocation directe que pour l’apologie est de 5 ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende.

Il convient de souligner que la provocation directe et l’apologie ne figurent pas parmi les délits visés à l’article 421-1 du code pénal, de sorte que :

-d’une part, ces délits obéissent aux règles de prescription et de procédures spécifiques prévues par les articles 51, 52, 53 et 65 de la loi du 29 juillet 1881 :

- Il ne peut être procédé qu’à la saisie de quatre exemplaires de l’écrit, du journal ou du dessin incriminé (art. 51) ;

- La personne ne peut être préventivement arrêtée (art. 52), ce qui interdit également une mesure de contrôle judiciaire, puisque son inobservation serait privée de toute sanction (crim. 16 juillet 1986 ; BC n° 235) ;

- La citation doit obéir à des règles précises, à peine de nullité (art. 53) ;

- L'action publique et l'action civile se prescrivent, après trois mois révolus, à compter du jour où ils auront été commis ou du jour du dernier acte d'instruction ou de poursuite s'il en a été fait (art. 65).

- d’autre part, ils sont soumis (sous les réserves précitées prévues par la loi de 1881) aux règles de procédures de droit commun : ils ne bénéficient ainsi pas de la possibilité de recourir aux techniques spéciales d’enquête prévues pour lutter contre les actes de terrorisme ou la criminalité organisée, et la poursuite de ces délits relèvent de l’ensemble des juridictions du territoire national dont la compétence résulte de l’article 43 du code de procédure pénale (il n’y a pas de possibilité de centraliser les poursuites auprès du Tribunal de Grande Instance de Paris comme c’est le cas pour les actes de terrorisme).

b) Dispositions de procédure pénale

Les infractions terroristes obéissent à un régime procédural particulier :

Un régime de garde à vue spécifique (article 706-88 à 706-88-2 du CPP) :

La garde en vue en matière de terrorisme est soumise aux règles du code de procédure pénale applicables à toutes les infractions, quelles qu’elles soient, concernant les critères permettant le placement en garde à vue et les droits de la personne placée en garde à vue.

Depuis la loi n°2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, pour placer en garde à vue, l’existence de raisons plausibles de soupçonner la personne ne suffit plus. Il convient en outre de préciser en quoi la garde à vue est l'unique moyen de parvenir à un ou des objectifs précisément définis et listés dans la loi (exemple : empêcher que la personne ne modifie les preuves, …).

Le gardé à vue en matière de terrorisme bénéficie également, comme n’importe quel gardé à vue, des droits attachés à la mesure : droit de prévenir un proche, droit à un médecin, droit au silence, et le droit d’être assisté immédiatement par un avocat, sauf raisons impérieuses (auparavant, en matière de terrorisme, la personne en garde à vue ne pouvait bénéficier d’un avocat qu’à compter de la 72ème heure).

La garde à vue en matière de terrorisme demeure cependant spécifique sur 2 points :

- l’accès à l’avocat peut être reporté pour raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’enquête, soit pour permettre le recueil ou la conservation de preuves, soit pour prévenir une atteinte aux personnes, pour un délai maximal de 72 heures (ce délai est de 12 ou 24 heures maximum selon les cas en droit commun, et de 48 heures en matière de criminalité et délinquance organisées).

- la durée de garde à vue est allongée : la durée maximum de garde à vue (48 heures en droit commun) peut être prolongée par un magistrat (juge des libertés et de la détention ou juge d’instruction selon la procédure). Elle peut ainsi être portée à 96 heures (4 jours) y compris pour des mineurs de 16 ans et plus, impliqués « comme auteurs ou complices à la commission de l’infraction ». Exceptionnellement, elle peut être portée à 144 heures (6 jours) s’il existe un risque sérieux de l’imminence d’une action terroriste en France ou à l’étranger ou si les nécessités de la coopération internationale le requièrent impérativement1.

Des techniques spéciales d’enquêtes

Comme en matière de criminalité et délinquance organisées, il est possible, en matière de terrorisme, de mettre en œuvre plusieurs techniques spéciales d’enquêtes, notamment :

- les opérations d’infiltration autorisées par le procureur de la République ou le juge d’instruction (articles 706-81 à 706-87 du CPP) ;

- la possibilité d’effectuer des saisies et perquisitions en dehors des heures légales, soumises à un régime d’autorisation particulier (articles 706-89 à 706-94 du CPP) ;

- la possibilité, en enquête de flagrance ou préliminaire, d’écoutes téléphoniques pour une durée d’un mois renouvelable une fois, après autorisation du juge des libertés et de la détention, à la requête du procureur de la République (article 706-95 du CPP) ;

- la sonorisation et fixation d’images de tout lieu ou véhicule public ou privé ordonnées par le juge d’instruction, sans le consentement des intéressés (article 706-96 à 706-102 du CPP) ;

- la captation des données informatiques (articles 706-102-1 à 706-102-9 du CPP) : il s’agit d’une nouvelle disposition introduite par la loi du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (dite LOPPSI 2). L’article 706-102-1 du code de procédure pénale prévoit ainsi la mise en place d’« un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, d'accéder, en tous lieux, à des données informatiques, de les enregistrer, les conserver et les transmettre, telles qu'elles s'affichent sur un écran pour l'utilisateur d'un système de traitement automatisé de données ou telles qu'il les y introduit par saisie de caractères ».

L'objectif poursuivi est de donner aux enquêteurs la possibilité d'utiliser des dispositifs techniques visant à capter en temps réel, « en direct », des données informatiques utilisées ou saisies sur un ordinateur, avant que celles-ci ne soient supprimées ou modifiées (par cryptage par exemple).

Ce dispositif est également destiné à permettre de prendre connaissance de textes tapés sur un ordinateur, puis transportés grâce à un périphérique (clé USB, CD ROM, etc.) sur un autre ordinateur choisi au hasard et non surveillé (type cybercafé), ce que les délais de mise en place d’une interception de télécommunications sur ce dernier ne permettraient pas de réaliser.

Il peut en outre permettre de prendre connaissance, en contournant de la même manière l’obstacle du cryptage, des messages échangés en temps réel entre deux interlocuteurs dans le cadre de conversations sur internet (forums de discussion, « chat », etc.).

La captation de données informatiques ne peut être mise en œuvre que pour une durée de 4 mois renouvelable une seule fois (article 706-102-3 CPP).

La mise en place du dispositif ne peut concerner les systèmes automatisés de traitement des données se trouvant dans les lieux visés aux articles 56-1,56-2 et 56-3 ni être réalisée dans le véhicule, le bureau ou le domicile des personnes visées à l'article 100-7 (député, sénateur, avocat ou magistrat ; article 706-102-5 alinéa 3 CPP).

Lorsque la mise en place du dispositif technique nécessite de pénétrer de nuit dans un local d’habitation, seul le juge des libertés et de la détention peut autoriser cette modalité de mise en œuvre de la captation de données informatiques ordonnée par le juge d’instruction (article 706-102-5 alinéa 1 CPP).

Il en ira ainsi lorsque le dispositif technique employé est constitué par un appareil.

La loi réserve toutefois la possibilité alternative d’utiliser des dispositifs techniques sous la forme de logiciels (de type « keylogger ») pouvant être installés par un réseau de communications électroniques (internet) ne nécessitant pas d’installation physique sur l’appareil objet de la mesure (article 706-102-5 alinéa 2 CPP).

Enfin, outre cette possibilité de captation de donnés informatiques, il convient de rappeler l’article 706-25-2 du code de procédure pénale issu également de la loi dite LOPPSI 2 du 14 mars 2011 permettant aux cyberpatrouilles d’enquêter sur les infractions d’apologie du terrorisme et provocation au terrorisme.

Les organisations terroristes font en effet une utilisation massive d’internet, en se servant notamment du réseau comme outil de menace et de propagande.

Afin de renforcer l’efficacité de la lutte contre l’apologie du terrorisme, et la provocation au terrorisme prévus et réprimés par l’article 24 sixième aliéna de la loi de 1881, l’article 706-25-2 du code de procédure pénale autorise désormais les services enquêteurs spécialement habilités à cette fin à :

- participer sous un pseudonyme aux échanges électroniques ;

- à être en contact par ce moyen avec les personnes susceptibles d’être les auteurs de ces infractions ;

- et à extraire, acquérir ou conserver par ce moyen les éléments de preuve et les données sur les personnes susceptibles d’être les auteurs de ces infractions.

Une compétence judiciaire spécifique:

Il est prévu une compétence concurrente entre les juridictions locales et le tribunal de grande instance de Paris. En pratique, les poursuites, l’instruction, et l’application des peines sont centralisées au tribunal de grande instance de Paris (art 706-17 et 706-22-1 du CPP).

Cette centralisation se manifeste par la création d’un pôle antiterroriste au tribunal de grande instance de Paris qui réunit magistrats du parquet (8), juges d’instruction (8), et juge d’application des peines, tous spécialisés en matière de terrorisme et dédiés à cette matière.

En outre, il est prévu le jugement des crimes terroristes par une cour d’assises spécialement composée de magistrats professionnels pour les accusés majeurs et les mineurs de plus de 16 ans (art. 706-25 du CPP).

1.1.2. Application de la législation anti-terroriste

 1) Observations générales

La qualification terroriste induit l’application de la législation anti-terroriste, qui répond de manière adaptée et proportionnée à la gravité et à la complexité de la menace terroriste, en permettant la mise en œuvre de techniques spéciales d’enquête contrôlées par un juge du siège.

Le recours à ces qualifications ne saurait correspondre à l’application d’un droit exceptionnel, en raison des garanties suivantes :

- la législation anti-terroriste n’est pas un droit d’exception mais un droit spécifique s’intégrant dans le cadre de la lutte contre la criminalité organisée, soumis aux mêmes garanties procédurales admises pour toute infraction ;

- dans toutes les procédures judiciaires où la qualification terroriste est visée, elle a été retenue souverainement par les magistrats après examen attentif des faits ;

- les faits susceptibles d’être qualifiés de terroristes en raison de leur mobile, s’ils ont en commun une certaine gravité, ne concernent pas seulement les meurtres ou les attentats à la bombe, mais aussi des infractions de moindre gravité, qui troublent toutefois particulièrement l’ordre public ;

- à tout moment de la procédure, cette circonstance aggravante terroriste, attribuée initialement à tout ou partie des faits, peut être abandonnée au profit d’une qualification «  de droit commun », et à l’initiative de toutes les parties. Celles-ci peuvent en effet contester cette qualification tout au long de la procédure, ainsi qu’à l’audience.

112 infractions, selon la nomenclature du Ministère de la justice, sont ainsi qualifiées d’actes de terrorisme. Le point commun des actes ainsi incriminés résulte de leur finalité terroriste dans la mesure où ils sont commis intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur

La spécificité de ce contentieux tient à la part des crimes punissables par rapport aux délits, avec 62 crimes contre 50 délits soit plus de 69% d’infractions criminelles. Ce déséquilibre en faveur des infractions les plus graves reflète la gravité intrinsèque des atteintes ainsi incriminées.

Sur la base de ce champ d’infractions, les statistiques issues du Casier judiciaire national apportent un certain nombre d’éclairages.

S’agissant des infractions ayant donné lieu à condamnations définitives :

Ø entre 2000 et 2010, le nombre d’infractions visées dans les décisions judiciaires varie ainsi de 231 à 195 avec des évolutions annuelles variables. Il faut noter, dans la perspective d’une interprétation de ces données, que plusieurs de ces infractions peuvent être dénombrées pour une seule condamnation.

Ø Il convient en outre de préciser que :

o les années 2006 à 2009 ont connu un pic d’infractions retenues par les juridictions avec un maximum de 343 infractions en 2008 ;

o le rapport crime/délit au sein du nombre total d’infractions a évolué très nettement sur les 11 années susvisées dans la mesure où les crimes, absents ou très peu représentés dans les infractions entre 2000 et 2002, ont progressivement augmenté pour représenter, en 2010, 34 % des infractions ayant entrainé des déclarations de culpabilité ;

o les qualifications très majoritairement retenues par les juridictions sont, d’une part concernant les délits, la participation à une association de malfaiteur en vue de la préparation d’un acte terroriste (retenue 75 fois en moyenne par an sur la décennie) et, d’autre part s’agissant des crimes, les destructions et dégradations à finalité terroriste (retenu 14 fois en moyenne par an sur la décennie).

S’agissant des condamnations mentionnant comme infraction principale une infraction entrant dans le champ du terrorisme, leur nombre est de fait très inférieur car une condamnation peut concerner plusieurs infractions.

 2) Application des dispositions de la loi sur la presse :

Il peut être rappelé que lors de la discussion à l’Assemblée nationale de la loi sur le traitement de la récidive des infractions pénales, (séance du 24 novembre 2005), un amendement avait été proposé pour porter les peines en matière d’apologie du terrorisme et provocation au terrorisme à sept ans d’emprisonnement et à 75.000 euros d’amende.

L’amendement était défendu ainsi : « L'amendement 142 vise à renforcer les dispositions relatives à la répression de la provocation aux actes de terrorisme et à l'apologie du terrorisme sur Internet. En effet, les moyens électroniques de communication constituent le principal vecteur de propagande des groupes terroristes car ils permettent la diffusion massive, répétée et instantanée de leurs messages. Mais, à l'époque de l'introduction des incriminations de provocation aux actes de terrorisme et d'apologie du terrorisme par la loi du 9 septembre 1986, modifiée par la loi du 16 décembre 1992, cet outil de communication n'avait pas encore cette ampleur. De surcroît, cet outil, par son interactivité, provoque le plus souvent une escalade, au moins verbale, de la violence. Le délit initial se répète en permanence, devient continu et doit donc être plus sévèrement réprimé ».

L’amendement a finalement été rejeté, son intérêt ayant été jugé relatif, après interventions du rapporteur et du Garde des Sceaux fondées sur le fait que les peines prévues étaient suffisantes : en pratique il avait été en effet observé peu de condamnations fondées sur ce texte. Elles étaient en outre bien en deçà de la peine maximale encourue (peine de 4 mois d’emprisonnement ferme prononcée, prise à titre d’exemple lors des débats).

Au niveau statistique :

Il convient au préalable de garder à l’esprit que du fait d’un délai de prescription très court (3 mois), la plupart des procédures ouvertes de ces chefs d’infractions a sans doute été clôturée par un classement sans suite (qui n’est pas quantifiable en l’état).

Sur le nombre de condamnations intervenues de ces chefs :

- le délit de provocation à la commission d’un acte de terrorisme n’est pas recensé au Casier judiciaire national comme ayant donné lieu à condamnation depuis 1994.

- en revanche, le délit d’apologie d’un acte de terrorisme a été sanctionné à 14 reprises depuis cette même date. Ces condamnations ont été prononcées par 11 juridictions de ressorts différents, répartis sur le territoire national.

Sur les 14 condamnations recensées depuis 1994, il s’avère que 8 d’entre elles concernent des faits commis entre le 15 septembre et le 18 octobre 2001, soit immédiatement après les attentats commis aux Etats-Unis le 11 septembre 2001.

Ces condamnations concernent quasi exclusivement des faits commis une seule fois.

Le délit d’apologie d’un acte de terrorisme n’a toutefois donné lieu à condamnation de manière unique qu’à deux reprises, une fois en 2001 et une fois en 2008.

En 2001, la condamnation prononcée contre un majeur avait été de quatre mois d’emprisonnement ferme. En 2008, le tribunal pour enfants avait dispensé de peine un mineur, âgé de 16 ans à la date des faits.

Dans 7 des 12 condamnations pour lesquelles ce délit a été donné lieu à condamnation en concours avec d’autres infractions, le délit d’outrage ou celui d’injure publique envers une personne dépositaire de l’autorité publique était également visé.

Dans 2 cas, le délit de dégradation d’un bien d’utilité publique était visé en concours avec celui d’apologie d’un acte de terrorisme.

Enfin, dans 2 cas également, était visé en concours le délit d’injure publique à caractère racial ou celui de provocation à la haine raciale.

Les peines prononcées dans ces 12 condamnations sont très variées, les magistrats utilisant l’ensemble du panel des peines prévues par la loi.

 3) Application des dispositions concernant l’association de malfaiteurs terroriste

L’infraction d’association de malfaiteurs terroriste est sans doute l’infraction la plus utilisée par les magistrats spécialisés chargés de la lutte contre le terrorisme (membres de la section antiterroriste du parquet de Paris et juges d’instruction), celle-ci leur permettant d’ouvrir des enquêtes judicaires très en amont et donc de lutter préventivement contre le terrorisme.

A titre d’illustration, depuis 2002, 13 filières d’acheminement au djihad ont été démantelées et leurs membres définitivement condamnés principalement sur ce chef d’infractions, ce qui correspond à 93 personnes condamnées au total.

Cette infraction permet ainsi de poursuivre et réprimer les actes préparatoires tels que : l’acquisition de matériel de toute nature devant servir au projet terroriste, les repérages de cibles, le recrutement d’individus, via si besoin internet, les formations diverses des membres de l’entreprise terroriste, etc.

Ce constat est corroboré par le fait que le délit fait l’objet d’un taux annuel de condamnation unique par rapport au nombre d’infractions ayant donné lieu à condamnation compris entre 20 et 40%.

Entre 2000 et 2010, la totalité des condamnations pour le seul délit de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme a donné lieu au prononcé d’une peine d’emprisonnement.

Dans 94% de ces condamnations, l’emprisonnement prononcé a été, en tout ou partie, ferme.

Lorsqu’une peine d’emprisonnement ferme a été prononcée, le quantum moyen annuel se situe entre 2 et 5 ans.

Il n’est pas observé d’évolution tendancielle sur 10 ans concernant ce quantum moyen, les variations annuelles dépendant alors probablement de la nature des faits et de la personnalité des condamnés.

1.2. Cadre constitutionnel et conventionnel

1.2.1. Cadre constitutionnel

La quasi-totalité des lois successivement adoptées pour lutter contre le terrorisme ont été soumises au Conseil constitutionnel.

En effet, dans la mesure où la législation antiterroriste constitue un terrain « à risques » pour les libertés, l’opposition parlementaire saisit en général le Conseil afin qu’il exerce son contrôle.

Ainsi, la loi du 9 septembre 1986, dans laquelle la législation antiterroriste trouve sa source, a fait l’objet d’une décision du 3 septembre 1986 (n° 86-213 DC).

Depuis lors, la législation anti-terroriste a été complétée, pour l’essentiel, par cinq textes. Il s’agit de la loi du 22 juillet 1996 qui faisait suite aux attentats terroristes commis sur le sol français pendant l'été 1995 ; de la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne ; de la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure ; de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ; et enfin, de la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme.

Parmi toutes ces lois, seule celle du 15 novembre 2001 n’a pas été déférée au Conseil (sans doute au regard du traumatisme causé par les attentats du 11 septembre, à la suite desquels elle est intervenue).

De manière globale, le contrôle du Conseil s’est traduit par une validation des dispositions adoptées par le Parlement. Toutefois, des censures partielles ou des réserves ont assorti chacune de ses décisions, sans remettre en cause les grandes options choisies par le législateur.

En 1986, dans la décision précitée, le Conseil a ainsi jugé que la définition de l’acte de terrorisme, reposant sur la combinaison d’un crime ou d'un délit de droit commun en lien «avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur », satisfaisait aux conditions de clarté et de précision exigées de la loi pénale.

Il a également validé le choix d’un recours à des règles de procédure spécifiques, et notamment la poursuite des crimes terroristes devant une cour d’assises spécialement composée ou la possibilité de prolonger la durée des gardes à vue: il a été jugé qu’il était loisible au législateur de prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, pourvu que ces différences ne procèdent pas de discriminations injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect des droits de la défense.

En 1996, le législateur avait souhaité introduire dans la liste des actes terroristes le délit d’aide à l’entrée ou au séjour irrégulier des étrangers.

Le Conseil a censuré cette disposition, estimant que le législateur avait «entaché son appréciation d’une disproportion manifeste », dans la mesure où les agissements visés n’étaient pas des actes matériels directement attentatoires à la sécurité des biens ou des personnes mais constituaient un simple comportement d'aide à des personnes en situation irrégulière qui n'était pas en relation immédiate avec la commission de l'acte terroriste.

Le Conseil a également relevé qu’au cas où un lien avec une entreprise terroriste apparaîtrait, les faits pourraient être poursuivis sous d’autres qualifications, comme le recel de criminel ou la participation à une association de malfaiteurs.

Dans sa décision du 19 janvier 2006, le Conseil rappelle que le législateur doit effectuer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public, notamment à la sécurité des personnes et des biens, et la recherche des auteurs d'infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties.

Parmi ces libertés figurent évidemment la liberté individuelle au sens de l’« habeas corpus », la liberté d'aller et venir, l'inviolabilité du domicile privé, le secret des correspondances et le respect de la vie privée, autant de libertés auxquelles la lutte contre le terrorisme impose d’apporter certaines restrictions.

Enfin, le 17 février 2012, le Conseil Constitutionnel, saisi suite à une question prioritaire de constitutionnalité, a dû se prononcer sur la nouvelle disposition de l’article 706-88-2, ajoutée au code de procédure pénale par la loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue issue de la loi du 14 avril 2011. Elle prévoyait la possibilité par le juge des libertés et de la détention saisi par le procureur de la République ou le juge d’instruction de limiter le choix de l’avocat du gardé à vue en matière de terrorisme.

Le Conseil a déclaré contraire à la Constitution cet article, estimant qu’il n'encadrait pas suffisamment les conditions dans lesquelles le juge des libertés et de la détention pouvait faire usage de cette faculté que lui reconnaissait la loi.

Sur la question plus particulière de la liberté d’expression via internet :

Il apparaît que la décision la plus importante du Conseil sur ce sujet est la décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004 relative à la loi pour la confiance dans l’économie numérique. Elle porte non pas sur l’appréciation du délai de prescription au regard de la liberté d’expression (dont le Conseil ne s’est pas saisi à cette occasion), mais sur la conciliation d’un régime dérogatoire applicable aux nouvelles technologies de l’information avec le principe d’égalité devant la loi.

En effet, cette loi visait notamment à instaurer un régime de prescription particulier pour les infractions à la loi sur la presse pour les messages et informations diffusées sur internet.

Il s’agissait pour les messages diffusés exclusivement sur internet, de reporter le point de départ du délai de prescription au moment de la cessation de la diffusion, la Cour de Cassation, estimant depuis plusieurs arrêts de principe de 2001 (faisant suite à plusieurs revirements de jurisprudence), que la prescription court à compter du premier acte de publication.

Selon les requérants, ces dispositions méconnaissaient le principe d'égalité devant la loi dans la mesure où, pour les autres messages (y compris les messages diffusés sur internet reproduisant un support « papier »), ces délais courent à compter du premier acte de publication.

Le Conseil a rappelé, classiquement, que le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce qu'à des situations différentes soient appliquées des règles différentes, dès lors que cette différence de traitement est en rapport direct avec la finalité de la loi qui l'établit.

Dans le cas d’espèce, il a considéré que par elle-même, la prise en compte de différences dans les conditions d'accessibilité d'un message dans le temps, selon qu'il est publié sur un support papier ou qu'il est disponible sur un support informatique, n'est pas contraire au principe d'égalité ; que toutefois, la différence de régime instaurée dépasse manifestement ce qui serait nécessaire pour prendre en compte la situation particulière des messages exclusivement disponibles sur un support informatique, et a en conséquence déclaré contraire à la Constitution ce report du point de départ de la prescription.

Il convient également de citer rappeler la décision du Conseil constitutionnel 2011-625 DC du 10 mars 2011 sur la LOPSSI II. Dans cette décision le Conseil a validé le dispositif de blocage administratif des sites pédopornographiques en estimant que ces dispositions assuraient une conciliation qui n'était pas disproportionnée entre l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et la liberté de communication garantie par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

1.2.2. Cadre conventionnel

La France est partie à plusieurs conventions en matière de terrorisme telle que la Convention européenne pour la répression du terrorisme signée à Strasbourg le 27 janvier 1977 ou la convention pour la répression des actes de terrorisme nucléaire adoptée à New York le 13 avril 2005.

Il convient de relever que les conventions sectorielles relatives à la lutte contre le terrorisme ne comprennent pas de définition globale du terrorisme mais l’énumération d’une série d'actes pouvant faire l'objet d'une qualification de « terrorisme ». Les négociations portant sur une convention internationale définissant de manière générale ce crime sont à ce stade dans l’impasse en raison des divergences sur le champ d'application de la définition (les Etats de l'Organisation de la coopération islamique souhaitent exclure les actes commis contre des forces armées sous un régime d'occupation, et inclure des actes commis par des forces armées).

Concernant la jurisprudence de la cour Européenne des droits de l’Homme, il peut être relevé de manière utile :

- sur les expulsions : aux termes de l’arrêt rendu dans l’affaire Boujlifa c. France du 21 octobre 1997, la Cour a soulevé le problème de l’expulsion. Elle a estimé que les infractions commises par le requérant constituaient une atteinte particulièrement grave à la sécurité publique. Elle a souligné que le requérant n’avait jamais manifesté la volonté d’obtenir la nationalité française. Par conséquent elle indiquait que l’arrêté d’expulsion du requérant n’était pas disproportionné aux buts légitimes poursuivis.

Dans une autre affaire, Boughanemi c. France du 24 avril 1996, la Cour, se prononçant sur des problèmes similaires, a relevé que le requérant avait des liens familiaux très étroits avec la France. Mais dans la mesure où il avait conservé la nationalité tunisienne et maintenu des liens avec la Tunisie, et qu’il n’avait jamais manifesté la volonté d’obtenir la nationalité française, la Cour a conclu que la mesure d’expulsion n’était pas, là aussi, disproportionnée aux buts légitimes poursuivis.

- sur la liberté d’expression : l’article 5 de la convention du Conseil de l’Europe de 2005 sur la prévention du terrorisme oblige les Etats membres à incriminer la provocation publique à une infraction terroriste.

Elle laisse les Etats membres libres de la manière dont ils entendent mettre en œuvre cette incrimination. Toutefois, tant le préambule que l’article 12 (clause de sauvegarde) rappellent que, la mise en œuvre de cette incrimination devrait être subordonnée au principe de proportionnalité eu égard aux buts légitimes poursuivis et à leur nécessité dans une société démocratique, « et devraient exclure toute forme d’arbitraire, de traitement discriminatoire ou raciste ».

L'article 10 de la CEDH dispose quant à lui que toute personne a droit à la liberté d'expression.

Dans sa jurisprudence, la CEDH se montre très exigeante s’agissant de la répression pénale des infractions restreignant la liberté d’expression.

Suivant cette jurisprudence, « l’ingérence » doit être absolument nécessaire pour répondre à un besoin social impérieux et être proportionnée aux buts légitimes poursuivis (Affaire Ceylan c. Turquie [GC], no. 23556/94, ECHR 1999-IV).

La CEDH a statué en décidant que même les déclarations apportant un soutien moral à des mouvements terroristes sont protégées par l'article 10 si les autorités sont incapables de fournir des preuves convaincantes que lesdites déclarations pourraient avoir « des conséquences néfastes pour la défense de l'ordre et la prévention du crime» (Affaire Öztürk c. Turquie [GC], no. 22479/93, ECHR 1999-VI).

Elle a par ailleurs estimé que les déclarations exprimant de l'hostilité à l'encontre des autorités nationales, un soutien à des aspirations séparatistes, des critiques virulentes à l'égard de l'action gouvernementale, une condamnation de la démocratie, ou promouvant la charia, sont protégées au sens de l'article 10 dans la mesure où elles ne prônent pas directement la violence (Affaire Association Ekin c. France, no. 39288/98, ECHR 2001-VIII).

S’agissant de l’apologie du terrorisme, le principal enseignement est donc que la CEDH est très exigeante s’agissant de l’appréciation portée sur la dangerosité des messages diffusés, à l’instar de la Convention de 2005 qui exige que les messages « créent un danger », restriction que ne connaît pas le droit interne.

1.3. Eléments de droit comparé

Dans un très grand nombre de pays, sont réprimées la création de sites internet incitant au terrorisme et leur alimentation par des informations à caractère terroriste. En revanche, la simple consultation de tels sites fait l’objet de réponses variables et beaucoup moins uniformisées à l’échelle mondiale.

Dans un premier groupe de pays (Etats-Unis, Brésil, Canada, Espagne, Italie, Roumanie, Royaume-Uni, Russie et Sénégal), la consultation de sites internet provoquant à la commission d’actes terroristes ou en en faisant l’apologie n’est pas réprimée. Ainsi, aux Etats-Unis, la consultation de sites provoquant à la commission d’actes terroristes ou en en faisant l’apologie est libre, et ce en vertu de dispositions constitutionnelles. C’est en effet le premier amendement à la Constitution sur la liberté d’expression qui constitue un obstacle à toute incrimination.

Dans un deuxième groupe de pays (Maroc et Turquie), la consultation de ces sites, si elle n’est pas réprimée, peut toutefois faciliter des poursuites pénales du chef d’infraction en relation avec le terrorisme ou le crime organisé.

Enfin, en Allemagne, le téléchargement d’instructions, de manuels, de modes d’emploi destinés à la commission d’un acte de violence grave mettant en danger l’Etat est puni d’une peine allant jusqu’à 3 ans d’emprisonnement.

Au Canada, un projet de loi en préparation sur les enquêtes accroit les prérogatives de la police pour lutter contre la cybercriminalité, en durcissant le dispositif légal existant en matière d’accès aux données personnelles d’utilisateurs.

1.4. Décision cadre 2008/919/JAI du 28 novembre 2008

1.4.1 - Adoption par le Conseil de l’Union européenne de la décision-cadre 2008/919/JAI du 28 novembre 2008 modifiant la décision-cadre 2002/475/JAI relative à la lutte contre le terrorisme

La décision-cadre 2008/919/JAI du 28 novembre 2008 résulte d’une initiative de la Commission, qui a déposé un instrument visant à compléter la décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme, intégrant dans l’acquis de l’Union les avancées résultant de la convention du Conseil de l’Europe relative à la prévention du terrorisme du 16 mai 2005.

Cette convention comportait des obligations nouvelles pour les États membres de l’Union européenne, notamment l’obligation d’introduire les incriminations suivantes dans leur droit au cas où ces faits ne seraient pas encore incriminés :

- La provocation publique à commettre des actes de terrorisme ;

- le recrutement en vue de commettre des actes de terrorisme ; et

- l’entraînement pour le terrorisme.

Pour la Commission, la modification de la décision-cadre de 2002 avait pour valeur ajoutée d’intégrer ces incriminations dans l’acquis de l’Union, en permettant notamment l’application aux nouvelles infractions du régime défini par la décision-cadre de 2002 relatif aux peines, aux règles de compétence ou à l’application du mandat d’arrêt européen.

En outre, la décision-cadre imposait de considérer comme des infractions liées aux activités terroristes certains faits déjà incriminés dans toutes les législations des États membres de l’Union européenne, quand bien même un acte de terrorisme n’était pas commis :

- le vol aggravé commis en vue de réaliser un acte de terrorisme ;

- le chantage commis en vue de réaliser un acte de terrorisme ;

- l’établissement de faux documents administratifs commis en vue de réaliser certains crimes ;

Durant les négociations de la décision-cadre, les principaux points de discussion ont porté sur :

- l’incrimination de l’incitation publique à commettre des actes de terrorisme : certaines inquiétudes se sont exprimées au regard de cette incrimination, en raison de la compréhension extrêmement large, par certains États membres, des exigences liées au respect de la liberté d’expression. Plusieurs clauses dites « de sauvegarde » ont en conséquence été introduites, ayant pour objectif d’assurer un équilibre satisfaisant entre la répression des comportements et la défense des libertés publiques et, plus généralement, de s’assurer que l’instrument est bien « proportionné » aux buts poursuivis (article 2.1, article 1 bis de la décision-cadre 2002/475/JAI modifiée par la décision-cadre 2008/919/JAI) ;

- L’incrimination de la tentative : certaines délégations (Allemagne, Pologne, Suède, République Tchèque) se sont opposées à l’obligation d’incriminer la tentative pour certaines des nouvelles infractions introduites par l’instrument, par crainte de devoir punir des comportements se situant trop en amont de l'infraction terroriste proprement dite. Pour répondre à ces objections, il a été décidé de rendre optionnelle l’incrimination de la tentative de recrutement et d’entrainement (cf. article 4.3 de la décision-cadre 2002/475/JAI modifiée par la décision-cadre 2008/919/JAI).

1.4.2 – Modifications nécessaires de la législation française pour respecter les obligations résultant de la décision-cadre 2008/919/JAI

La France a ratifié la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention du terrorisme, dont la décision-cadre assure l’intégration au sein de l’UE. La ratification de cet instrument a été autorisée par la loi n°2008-134 du 13 février 2008.

Le droit français permet déjà, dans une large mesure, d’appréhender les comportements correspondants aux incriminations couvertes par l'instrument sur la base, soit d’incriminations spécifiques, soit d’incriminations de portée plus générale.

La provocation publique à commettre des faits de terrorisme est en effet incriminée par les articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse, selon qu’elle est suivie ou non d’effet.

Le recrutement et l’entraînement pour le terrorisme sont appréhendés par l’application des dispositions relatives à l’incrimination d’association de malfaiteurs terroristes (article 421-2-1 du code pénal).

Les faits de vol aggravé commis en vue de réaliser un acte de terrorisme  sont déjà considérés par la législation française comme des actes en relation avec des activités terroristes (cf. article 421-1 2° du code pénal). De la même façon, l’établissement de faux documents administratifs commis en vue de réaliser certains crimes est également déjà incriminé de façon spécifique (cf. article 441-2 du code pénal).

En revanche, le chantage, qui est bien évidement constitutif d’une infraction pénale n’est pas expressément visé à l’article 421-1 2° du code pénal et ne peut donc constituer un acte de terrorisme. De même le recrutement, lorsqu’il n’est pas suivi d’effet, n’est pas constitutif d’une infraction pénale, car il n’y a dans ce cas pas d’association de malfaiteurs terroristes. Quand bien même ces situations sont probablement particulièrement rares, il convient de modifier le code pénal pour être en parfaite conformité avec la décision-cadre considérée.

Cette décision-cadre devait être transposée au plus tard le 9 décembre 2010. Toutefois, contrairement aux directives et aux règlements dont le retard de transposition entraînait immédiatement des pénalités financières pour la France, c’est seulement à compter du 1er décembre 2014 que la Commission pourra saisir la Cour de justice de l’Union Européenne pour retard ou défaut de transposition des décisions-cadres adoptées sous l’empire du Traité de Maastricht.

2. Objectifs

2.1. Nécessité d’une réforme

Même si la législation française en matière de lutte contre le terrorisme est particulièrement complète, elle comporte quelques lacunes qui ne peuvent être comblées que par la loi.

La première lacune résulte de l’importance des limitations procédurales concernant le délit de provocation aux actes de terrorisme et d’apologie des actes de terrorisme résultant du fait qu’il est prévu par l’article 24 de la loi sur la presse et est soumis au régime prévu par cette loi (courte prescription de trois mois, limitation du nombre des saisies, interdiction de recourir à la détention provisoire, et donc au contrôle judiciaire et à l’assignation à résidence avec surveillance électronique, interdiction de la comparution immédiate) Or ce régime est de nature à entraver ou à rendre moins efficace l’action des autorités judiciaires dans un contexte de lutte contre le terrorisme.

La deuxième lacune résulte de l’impossibilité de poursuivre et de condamner une personne qui participe à l’étranger à une association de malfaiteurs terroristes mais qui n’a commis aucun acte délictueux en France. L’examen des principales affaires d’acheminement au djihad portées à la connaissance du ministère de la justice qui ont été définitivement jugées montre en effet que les condamnations ne sont possible que si :

- ont été commis en France des faits préparatoires à la participation à un camp d’entrainement à l’étranger ;

- ou les faits d’association de malfaiteurs terroristes commis à l’étranger étaient connexes à d’autres faits d’association de malfaiteurs terroristes commis en France, formant un tout indissociable (à ce sujet, cf. Cass. Crim. 26 novembre 2008).

Lorsque ces conditions ne sont pas remplies, l’association de malfaiteurs terroristes étant en outre un délit, les poursuites et une condamnation ne sont possibles que si les faits sont également punis à l’étranger et si l’Etat étranger dénonce les faits à la France, conformément aux articles suivants du code pénal :

Article 113-6. - La loi pénale française est applicable à tout crime commis par un Français hors du territoire de la République.

Elle est applicable aux délits commis par des Français hors du territoire de la République si les faits sont punis par la législation du pays où ils ont été commis.

(…)

Article 113-8. Dans les cas prévus aux articles 113-6 et 113-7, la poursuite des délits ne peut être exercée qu'à la requête du ministère public. Elle doit être précédée d'une plainte de la victime ou de ses ayants droit ou d'une dénonciation officielle par l'autorité du pays où le fait a été commis.

En tout état de cause, si les faits ont été commis non par un Français mais par une personne qui réside habituellement en France, même en cas de réciprocité d’incrimination et de dénonciation, aucune poursuite n’est possible.

La troisième lacune résulte du fait que les personnes qui, sans aucun motif légitime, consultent de façon habituelle des sites internet qui provoquent aux actes de terrorisme ou en font l’apologie, ne commettent aucune infraction, alors même qu’un tel comportement dénote de la part de ces personnes un risque de basculement dans le terrorisme actif.

Enfin, deux lacunes ont été mises en évidence par la décision cadre précitée de 2008 : le chantage n’est pas compris dans les actes de terrorisme ; la proposition de recrutement d’une personne par un terroriste, si la personne contactée ne donne pas suite à la demande, n’est pas réprimée.

En outre, les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), relatives à la commission départementale d’expulsion, présentent des difficultés d’application.

Rappelons d’abord que l’article L.521-3 du CESEDA permet l’expulsion des étrangers dont les comportements sont « liés à des activités à caractère terroriste » (mineurs excepté).

Les articles L. 522-1 et L. 522-2 du même code disposent que, sauf en cas d’urgence absolue, l’expulsion d’un étranger ne peut être prononcée qu’après qu’il a été entendu par une commission chargée d’émettre un avis, composée de trois magistrats et réunie à la demande de l’autorité administrative (le préfet).

La partie réglementaire fixe certes les modalités d’examen des dossiers par la commission, notamment la possibilité de renvoyer son examen (art. R. 522-7) et le délai dans lequel elle doit statuer (art. R. 522-8). Mais aucune règle n’indique les conséquences de l’abstention prolongée de la commission à rendre son avis. L’abstention ou le dépassement du délai prive le préfet ou le ministre de son pouvoir de prendre une décision dans un délai raisonnable après sa saisine de la commission.

195 arrêtés d’expulsion ont été pris en 2011 après avis de la commission d’expulsion. Il ressort d’une enquête réalisée auprès d’une douzaine de préfectures particulièrement représentatives, dont la préfecture de police, à partir de 180 propositions d’expulsion soumises en 2011 aux commissions d’expulsion, que si, d’une manière générale et en l’absence de tout report, la commission émet son avis dans un délai moyen de quinze jours après que l’ordre du jour lui a été transmis, en revanche le délai d’un mois prévu à l’article R. 522-8 n’est en pratique jamais respecté lorsqu’elle décide de renvoyer l’affaire à une date ultérieure.

Or, sur les 180 dossiers examinés en 2011, 58, c’est-à-dire un tiers, ont fait l’objet d’un ou de plusieurs renvois. Parmi ces 58 cas, 9 ont été renvoyés à deux reprises et 1 à trois reprises.

Pour la presque totalité des 58 dossiers dont l’examen a été renvoyé, le délai écoulé entre la première réunion de la commission et son avis final dépasse largement le délai d’un mois puisqu’il s’établit en moyenne à 109 jours. Le délai le plus bref observé en cas de renvoi est de 28 jours, les autres renvois dépassant fréquemment les 100 jours (10 dossiers), voire les 200 jours (11 dossiers).

2.2. Objectifs poursuivis par le Gouvernement

Les objectifs poursuivis par le Gouvernement sont les suivants :

1) Améliorer l’efficacité de la répression de la propagation et de l'apologie d'idéologies extrémistes que constituent la provocation aux actes de terrorisme et l’apologie du terrorisme, en permettant que ces actes soient soumis aux règles de procédure de droit commun, et à certaines des règles prévues en matière de terrorisme, en considération du fait qu’il ne s’agit pas en l’espèce de réprimer des abus de la liberté d’expression, mais de sanctionner des faits qui sont directement à l’origine des actes terroristes.

2) Instituer un nouveau délit permettant de punir pénalement toute personne qui consultera de manière habituelle, et sans aucun motif légitime, des sites internet qui provoquent au terrorisme ou en font l'apologie.

3) Permettre la répression à l’encontre de toute personne française ou résidant habituellement en France, qui s’est rendue à l'étranger pour y suivre des travaux d'endoctrinement à des idéologies conduisant au terrorisme, en participant notamment à des camps d’entrainement, sans qu’il soit besoin d’attendre qu’elle commette des infractions de nature terroriste sur le territoire national.

4) Transposer la décision cadre de 2008 sur les deux points précités.

5) Clarifier le dispositif législatif et réglementaire relatif à la commission départementale d’expulsion. Pour cela, il est prévu que si la commission ne rend pas son avis à l’expiration d’un délai fixé par décret en Conseil d’Etat, l’avis est réputé rendu et l’autorité administrative peut statuer.

3. Options

Compte tenu des objectifs précis poursuivis par le Gouvernement, il apparaît que seuls deux points peuvent donner lieu à des solutions différentes de celles retenues par le projet de loi. Il s’agit de ceux concernant d’une part le renforcement de l’efficacité de la répression en matière de provocation et d’apologie terroriste, et d’autre part la participation à des camps d’entraînement se situant à l’étranger.

Seules ces deux questions font en conséquence l’objet d’une étude d’options.

3.1. Infractions en matière de diffusion des idéologies terroristes

3.1.1. Option 1 : Maintenir l’infraction dans la loi sur la presse, en modifiant son régime

Une telle solution a été envisagée dans le passé.

En effet, dans le cadre de la LOPPSI 2, un amendement, n° 90, signé notamment par le Sénateur LEGENDRE, proposait d’intégrer le délit d’apologie du terrorisme dans l’article 65-3 de la loi de 1881. Le gouvernement avait émis un avis favorable, mais l'amendement a été retiré conformément à l'avis de la commission des Lois.

Le principal argument avancé au soutien de la modification proposée était donc, non pas celui de la trop faible pénalité encourue, mais celui de la brièveté du délai de prescription de l’article 65 de la loi de 1881, délai qui serait incompatible  avec la lourdeur des investigations à conduire pour mener à bien l’identification de l’internaute.

La brièveté de la prescription en matière d’infraction à la législation sur la presse est un principe général applicable à l’ensemble des infractions prévues la loi de 1881. Cette courte prescription « a pour objet de garantir la liberté d’expression », comme a pu le rappeler la Cour de Cassation (Cass.Civ. 2e, 14 janvier 2000).

L’amendement, en incluant le délit d’apologie du terrorisme dans la liste des infractions visées par l’article 65-3 de la loi de 1881, permettait de le soumettre à un délai de prescription d’un an.

Les délits qui bénéficient de cette prescription d’un an et auxquels le texte renvoie sont :

- le délit de provocation à la discrimination et à la haine raciale ou religieuse ;

- le négationnisme ;

- la diffamation aggravée, déterminée en fonction de l’origine ethnique, raciale ou de l’appartenance religieuse ;

- l’injure aggravée, déterminée en fonction de l’origine ethnique, raciale ou de l’appartenance religieuse.

La question d’étendre cette liste avait également été posée en matière d’infractions de presse à caractère sexiste par amendement au Sénat lors du vote de la loi « violences faites aux femmes ». La DACG avait alors souligné les difficultés que cela entraînerait d’un point de vue d’application de la loi dans le temps. La commission des lois du Sénat avait rejeté l’amendement.

En tout état de cause, si le délit de provocation aux actes de terrorisme et d’apologie de ces actes devait rester dans la loi sur la presse tout en étant soumis à un régime de droit commun et à une partie du régime anti-terroriste, cela impliquerait :

- de modifier de nombreux articles de la loi de 1881 : art. 51 sur les saisies, art. 52 sur la détention provisoire, art. 53 sur les citations et art. 65-3 sur la prescription (qui n’aurait cependant alors été que d’un an, et non de trois ans)

- de modifier également plusieurs articles du code de procédure pénale concernant la procédure applicables en matière d’acte de terrorisme.

Outre la complexité de cette solution, cela aboutirait à multiplier, au sein de la loi de 1881, des régimes différenciés, ce qui n’a pas paru opportun.

3.1.2. Option 2 : Introduire l’infraction dans le code pénal, en lui appliquant une partie du régime dérogatoire relatif aux infractions terroristes

3.1.2.1. Solution générale

De manière immédiate, le fait de « sortir » du cadre juridique de la loi de 1881 les infractions de provocation et d’apologie du terrorisme constituerait un précédent, et serait susceptible de remettre en cause l’économie générale de la loi sur la presse, notamment en incitant au transfert d’autres incriminations visées par l’article 24 de la loi.

Cette solution permettrait toutefois d’appliquer à ces délits des délais de prescription allongés, et des règles de procédures plus adaptées (techniques spéciales d’enquête notamment).

En effet, il ne s’agit pas en l’espèce de réprimer des abus de la liberté d’expression, mais de sanctionner des faits qui sont directement à l’origine des actes terroristes. Force est de constater dans de nombreuses procédures judicaires, mais aussi de manière générale, qu’internet constitue un puissant vecteur d’endoctrinement conduisant des individus à se radicaliser en les incitant à commettre des actes de terrorisme.

3.1.2.2. Règles dérogatoires auxquelles sera soumise cette infraction

Dans sa décision n° 2004-492 DC du 02 mars 2004 relative à la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, le Conseil a validé les dispositions procédurales dérogatoires en matière de délinquance et de criminalité organisée après avoir constaté, au regard de la gravité des infractions concernées, qu’elles assuraient la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figurent la liberté d'aller et venir, l'inviolabilité du domicile privé, le secret des correspondances et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, ainsi que la liberté individuelle, que l'article 66 de la Constitution place sous la surveillance de l'autorité judiciaire.

Il en résulte qu’appliquer l’ensemble des dispositions procédurales dérogatoires au délit de provocation aux actes de terrorisme et d’apologie de ces actes, compte tenu de la nature de ces actes (punis de seulement cinq ans d’emprisonnement, hors la nouvelle circonstance aggravante de commission par internet que propose le projet de loi), ne permettrait pas de concilier les objectifs de prévention et de répression avec les libertés constitutionnelles.

Il est donc proposé d’écarter l’application des règles qui prévoient :

- une prescription de 20 ans

- une garde à vue de quatre jours

- des perquisitions de nuit.

Seules seront donc applicables les règles concernant :

- la compétence de la juridiction parisienne

- la surveillance

- l’infiltration

- les interceptions de correspondance

- les sonorisations

- les captations de données informatiques

- les mesures conservatoires sur les biens saisis

3.1.3. Option 3. Réprimer la consultation habituelle des sites terroristes.

Cette répression est directement inspirée du délit de consultation habituelle de sites pédopornographiques prévu par le cinquième alinéa de l’article 227-23 du code pénal.

Cet article punit tout d’abord le fait, en vue de sa diffusion, de fixer, d'enregistrer ou de transmettre l'image ou la représentation d'un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique, ainsi que le fait d'offrir, de rendre disponible ou de diffuser une telle image ou représentation, par quelque moyen que ce soit, de l'importer ou de l'exporter, de la faire importer ou de la faire exporter.

Il punit également le fait de consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition une telle image ou représentation ou de détenir une telle image ou représentation par quelque moyen que ce soit. Les peines encourues sont deux ans d'emprisonnement et 30000 euros d'amende.

La répression de la consultation habituelle de sites pédopornographiques fait l’objet d’un consensus en Europe. La directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 relative à la lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants, ainsi que la pédopornographie et remplaçant la décision-cadre 2004/68/JAI impose d’ailleurs aux Etats membres de punir d’une peine privative de liberté le fait « d’accéder, en connaissance de cause et par le biais des technologies de l’information et de la communication, à de la pédopornographie ».

Il est donc proposé, dans la même logique, de réprimer de la même peine le fait de consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages provoquant directement à des actes de terrorisme ou faisant l’apologie de ces actes au moyen notamment d’images montrant la commission d’infractions d’atteinte volontaire à la vie.

Dès lors que l'internaute ne peut ignorer que le site auquel il se connecte habituellement est illégal car provoquant directement au terrorisme, il est logique de pénaliser ce comportement, et cette pénalisation ne constitue nullement une restriction excessive à la liberté de communication.

Du reste, si les messages provoquant au terrorisme ou en faisant l’apologie comportent des images montrant la commission d’assassinats terroristes – comme par exemple des décapitations – on se rapproche très fortement du délit de recel.

Il faut par ailleurs rappeler à nouveau la décision du Conseil constitutionnel du 10 mars 2011 sur la LOPSSI II, dans laquelle le Conseil valide le dispositif de blocage administratif des sites pédopornographiques (article 4) en considérant que ces dispositions assurent une conciliation qui n'est pas disproportionnée entre l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et la liberté de communication.

Certes, il s'agissait d'une mesure de police portant sur l'émetteur, et non d'une sanction pénale pesant sur le récepteur. Mais l'atteinte portée par l'article 4 de la LOPPSI II à la liberté de communication, en-dehors de tout cadre judiciaire, est très forte et cette décision montre que la sanction de consultation habituelle de sites terroristes participe du même objectif constitutionnel de sauvegarde de l’ordre public et est de ce fait également conforme aux exigences constitutionnelles.

La consultation de sites terroristes présente toutefois une différence avec la consultation de sites pédopornographiques dans la mesure où elle peut dans certains cas être justifiée par des motifs légitimes : droit à l’information des journalistes, études scientifiques ou recherche d’éléments de preuve.

La situation est similaire à celle prévue par le délit dit de « happy slapping » (art. 222-33-3 du code pénal) qui prévoit qu’est constitutif d'un acte de complicité des atteintes volontaires à l'intégrité de la personne prévues par les articles 222-1 à 222-14-1 et 222-23 à 222-31 et est puni des peines prévues par ces articles le fait d'enregistrer sciemment, par quelque moyen que ce soit, sur tout support que ce soit, des images relatives à la commission de ces infractions, et qui réprime également de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende le fait de diffuser l'enregistrement de telles images est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 Euros d'amende.

Cet article prévoit en effet qu’il n'est pas applicable lorsque l'enregistrement ou la diffusion résulte de l'exercice normal d'une profession ayant pour objet d'informer le public ou est réalisé afin de servir de preuve en justice.

Cette exception doit donc être reprise pour le nouveau délit de consultation de sites terroristes, en ajoutant l’hypothèse de la recherche scientifique.

3.2. Infractions en matière de réseau terroriste ou commise à l’étranger

3.2.1. Option 1 : Créer une nouvelle infraction

Il aurait pu être envisagé de créer une infraction nouvelle et spécifique de participation à un camp d’entraînement à l’étranger en vue de commettre des actes de terrorisme, infraction qui aurait été qualifiée d’acte de terrorisme et qui aurait été insérée dans le chapitre Ier du titre II du livre IV du code pénal.

Cette solution présentait toutefois plusieurs inconvénients.

Elle n’était pas cohérente avec les dispositions actuelles du code pénal, qui ne contient en principe pas d’incrimination ne concernant que des faits commis à l’étranger, mais réprime in abstracto des comportements, sans préciser leur lieu de commission, tout en indiquant par ailleurs de façon générale que la loi française est applicable si un des éléments de l’infraction a été commis sur le territoire national (art. 113-1 et s.), et que, dans certains cas, elle l’est également lorsque l’infraction a été commise à l’étranger (art. 113-6 et s.).

Elle pouvait donner l’impression que de tels faits n’étaient actuellement pas réprimés ce qui est inexact puisque de nombreuses condamnations ont déjà été prononcées par le passé pour de tels faits sous la qualification d’association de malfaiteurs. La création d’une incrimination spécifique aurait du reste été invoquée par les personnes poursuivies pour ces faits afin de contester le bien fondé de leurs condamnations.

Enfin, la création d’une telle incrimination risquait fortement d’être considérée comme contraire au principe de nécessité, puisque ces faits tombent déjà sous le coup de la loi pénale.

Dans sa décision n° 96-377 DC du 16 juillet 1996 relative à la loi tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire, le Conseil constitutionnel a ainsi censuré des dispositions qui prévoyaient que constituerait un acte de terrorisme, lorsqu'elle est intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur, l'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger.

Se fondant notamment sur les termes de l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, " la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires... ", le Conseil a considéré que le comportement que voulait sanctionner le législateur pouvait déjà entrer dans le champ de la répression de la complicité des actes de terrorisme, du recel de criminel et de la participation à une association de malfaiteurs prévue par ailleurs, et que le législateur avait dès lors entaché son appréciation d'une disproportion manifeste.

3.2.2. Option 2 : Créer une nouvelle exception aux règles d’application de la loi pénale dans l’espace en matière d’association de malfaiteurs terroristes

Il existe déjà dans le code pénal des exceptions aux conditions générales posées par les articles 113-6 et 113-8 du code pénal ne permettant des poursuites pour les délits commis à l’étranger que si ces faits sont également punis par la législation du pays étranger, et s’ils font l’objet d’une dénonciation de la part des autorités de ce pays.

Ces exceptions ont été prévues en matière de tourisme sexuel, en matière d’excision ou d’activité de mercenaires (art. 222-16-3, 227-27-1, 436-3 du code pénal).

Il est donc proposé de prévoir une exception similaire en matière d’association de malfaiteurs terroristes, en complétant à cette fin l’article 421-2-1 du code pénal par un alinéa disposant que lorsque la participation à une association de malfaiteurs terroristes est commise à l’étranger par un Français ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français, la loi française est applicable par dérogation au deuxième alinéa de l’article 113-6, et que les dispositions de la seconde phrase de l’article 113-8 ne sont pas applicables.

Le texte permet ainsi de réprimer également, comme c’est le cas en matière de tourisme sexuel, une personne étrangère mais résidant habituellement en France qui participerait à des camps d’entraînement à l’étranger.

4. Impacts sur les citoyens et les personnes morales

4.1. Impact sur les citoyens

Les droits des victimes d’actes de terrorisme sont par nature renforcés du fait de l’amélioration du dispositif de lutte contre le terrorisme.

4.2. Impact sur les collectivités territoriales

Néant

4.3 Impact sur les entreprises

Néant

4.4. Impact sur l’intelligibilité de la loi

Le Gouvernement a veillé à ce que la réforme ne nuise pas à la qualité de la norme pénale. Il s'est attaché à faire en sorte que les nouveaux articles insérés dans le code pénal le soient de manière cohérente et lisible afin de ne pas rendre plus complexe l'ordonnancement de ce code.

La solution consistant à transférer le délit du 6ème alinéa de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dans le code pénal, outre qu’elle permet de regrouper dans le code pénal toutes les dispositions pénales liées au terrorisme, évite de compliquer la loi de 1881, et renforce ainsi l’intelligibilité de notre législation.

5. Impact sur les services de l’Etat

5.1. Impact sur le fonctionnement des juridictions

Le transfert des dispositions relatives à l’apologie du terrorisme et la provocation au terrorisme issues de la loi de 1881 au sein du code pénal et du code de procédure pénale aura pour conséquences :

- une saisine accrue de la section antiterroriste du parquet de Paris et des magistrats instructeurs du pôle antiterroriste, du fait de la centralisation des procédures à laquelle ces infractions seraient désormais soumises.

- le nombre d’ouvertures d’enquêtes de ces chefs devrait augmenter, ainsi que le nombre de poursuites pénales. En effet, ainsi qu’il avait été indiqué, actuellement, une part sans doute non négligeable des procédures ouvertes de ces chefs d’infractions fait l’objet d’un classement sans suite du fait d’un délai de prescription de l’action publique très court. En intégrant ces dispositions au sein du code de procédure pénale et du code pénal, les délais de prescription se trouvent allongés, ce qui devrait accroître logiquement la possibilité de poursuivre ces infractions.

- enfin, l’augmentation du nombre de poursuites pénales entraînera l’augmentation du nombre procédures qu’il faudra audiencer devant le tribunal correctionnel de Paris. Le nombre de condamnations devrait également sensiblement s’accroître.

5.2. Impact sur l’activité des services enquêteurs

L’impact sera fonction de la capacité des services enquêteurs à mener des investigations sur des faits susceptibles de caractériser la nouvelle infraction de consultation de sites appelant au terrorisme (les autres dispositions du projet de loi ne posant pas de difficultés).

Il s’agit d’une capacité opérationnelle mais également juridique, le texte exigeant de caractériser une consultation « habituelle ».

Il a déjà été rappelé :

- l’existence de cyberpatrouilles qui peuvent, depuis la loi LOPPSI 2 du 14 mars 2011, mener des investigations en ligne, en prenant contact si besoin avec des suspects, afin de rassembler des preuves des délits d’apologie et provocation au terrorisme (706-25-2 du code de procédure pénale) ;

- la possibilité d’user de la technique spéciale d’enquête dite de « captations de données informatiques » (706-102-1 du même code) : cette technique n’est intéressante qu’une fois l’individu déjà ciblé.

Néanmoins, des obstacles techniques peuvent apparaître. En effet, la consultation de sites internet est déterminable soit par les logs (c'est-à-dire l’historique) des connexions demandées vers le site (chez le client et son fournisseur d’accès à internet), soit par les logs des connexions reçues sur le site (le serveur abritant le site).

A défaut de captation de données « en direct », une telle infraction de consultation sera déterminable en demandant les données conservées par le fournisseur d’accès à internet (R.10-13 du code des postes et communications électroniques) pendant un an ou en réalisant une perquisition chez la personne soupçonnée ou en effectuant une réquisition auprès du serveur.

En pratique, des réquisitions sont couramment adressées aux opérateurs par les officiers de police judiciaire sous le contrôle du procureur de la République ou du juge d’instruction afin d’identifier les auteurs d’infractions en matière de pédopornographie commises au moyen d’internet. Il s’agit, en effet, du moyen le plus efficace d’identifier les auteurs de ces agissements via notamment l’obtention de l’adresse IP et de l’identification de son propriétaire. Ces réquisitions pourront donc également être faites pour identifier les personnes consultant de façon habituelle des sites terroristes.

5.3 Impact sur les commissions d’expulsions

L’article R.522-8 fixe le délai imparti à la Comex pour se prononcer à un mois après la date de la réunion de la séance. Le Gouvernement envisage de modifier par décret en Conseil d’Etat le mode de computation de ce délai pour en fixer le point de départ à la date de la saisine de la commission. Mais la pratique des commissions, telle qu’elle ressort d’une enquête effectuée sur 180 cas examinés en 2011, montre un large usage de la faculté de renvoyer à une séance ultérieure, dont la date est parfois très éloignée – jusqu’à plusieurs mois. En l’état actuel des pratiques des commissions d’expulsion, il est donc possible qu’une part significative des dossiers soumis puisse désormais être traitée en l’absence d’avis formellement émis dans le délai requis, dès lors que l’avis est réputé rendu. On estime qu’un tel dispositif prévu par la loi aura toutefois un effet préventif efficace et que la plupart des commissions examineront désormais dans le délai imparti l’ensemble des dossiers qui leur seront soumis. Dans ce cas, l’effet pratique se limiterait à l’exigence de réunions plus fréquentes des commissions, fût-ce pour examiner un seul dossier.

1 Depuis leur adoption par la loi du 23 janvier 2006, ces dernières dispositions n’ont été utilisées qu’une seule fois en France, et dans un cas où la garde à vue de 6 jours s’est fait en deux temps et non de manière continue : le mis en cause avait été interpellé une première fois puis libéré ; et suite à de nouveaux éléments, il avait été replacé en garde à vue.


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