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L

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

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R A P P O R T D’ I N F O R M A T I O N

Présenté à la suite de la mission effectuée au Kirghizistan

du 24 au 30 mai 2009

par une délégation du

GROUPE D’AMITIÉ FRANCE-KIRGHIZISTAN (1)

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(1) Cette délégation était composée de M. Jean-Paul Chanteguet, Président, M.  Jean Launay, vice-président, MM. Claude Gatignol et Jean-Luc Reitzer.

SOMMAIRE

CARTE 4

INTRODUCTION 5

I. L’AVENIR DE LA BASE DE MANAS 9

II. L’EAU ET L’ÉNERGIE 14

III. LE CHEMIN DU DÉVELOPPEMENT 17

A. Un pays pauvre 17

B. La Fondation Aga Khan 18

C. Interrogations 21

IV. LA PRÉSENCE FRANÇAISE 25

CONCLUSIONS ET PROPOSITIONS 31

ANNEXE 1 : Journal du voyage 35

ANNEXE 2 : Liste des principales personnalités rencontrées par la délégation 41

ANNEXE 3 : Le Kirghizistan en bref 45

CARTE


INTRODUCTION

La République kirghize, ou Kirghizistan, capitale Bichkek, est l’un de ces jeunes États de l’Asie centrale, nés presque à contrecœur, voilà moins de vingt ans, de l’implosion de l’Union soviétique. A vrai dire, petit pays enclavé entre l’immense Kazakhstan et le riche Ouzbékistan, séparé par de très hautes montagnes du Tadjikistan de culture perse - qui fait lui-même écran avec l’Iran et l’Afghanistan -, tout comme du puissant voisin chinois, le Kirghizistan se laisserait assez facilement oublier. La fameuse route de la soie ne faisant que l’effleurer, les catalogues des agences de voyages ne le mentionnent guère, et seuls quelques passionnés d’équitation et de trekking s’y étaient risqués jusqu’ici. Il se peut néanmoins que ce tableau doive être bientôt nuancé.

Telle est sans doute, en tout cas, l’intuition qui conduisit, en décembre dernier, le Bureau de l’Assemblée nationale, après l’avis de la Délégation compétente, à inscrire au programme de l’année 2009 une mission parlementaire dans ce pays mystérieux. Une première ! Et divine surprise pour les quelques passionnés du groupe d’amitié, à commencer par son président, qui oeuvraient depuis longtemps, sans trop d’illusions, pour nouer des liens plus étroits entre la France et la République kirghize. Mais décision assez logique au vu de l’évolution qui se dessinait depuis plusieurs mois.

Les choses auraient pu en vérité aller plus vite, si l’on se rappelle que, dès le lendemain du 11 septembre 2001, le gouvernement kirghize avait mis l’aéroport de Manas à la disposition de la coalition conduite par les États-Unis pour faciliter ses opérations en Afghanistan. La France, partie prenante, y avait aussitôt stationné plusieurs aéronefs ; après une interruption, elle y est revenue en 2006 et maintient aujourd’hui un avion ravitailleur et une quarantaine de militaires de l’armée de l’air. Pourtant, cela n’a pas entraîné aussitôt le resserrement des liens qu’on aurait pu imaginer, la base demeurant comme une sorte d’îlot étranger en territoire kirghize. Du reste, il n’existe pas à ce jour d’ambassades respectives de plein exercice, ni à Bichkek ni à Paris, de sorte que les relations mutuelles doivent passer par Bruxelles d’un côté, Astana de l’autre.

Le climat a commencé de changer voici quelques mois. En septembre 2008, le ministre des Affaires étrangères kirghize d’alors, M. Karabaiev, a effectué une visite de travail à Paris, rencontrant son homologue français, M. Kouchner, ainsi que, à l’Assemblée nationale, le président du groupe d’amitié France-Khirghizistan, M. Jean-Paul Chanteguet. La partie kirghize n’a pas caché son souhait de voir augmenter l’intensité et le niveau des échanges entre les deux pays. Dans cette perspective, elle a suggéré qu’une délégation de l’Assemblée nationale se rende en République kirghize, afin d’explorer les voies d’une coopération accrue. L’invitation formelle du Parlement, le Jogurku Kenesh, a suivi peu après. Précisons que la visite d’une délégation de l’Assemblée nationale avait été précédée, en octobre 2008, du séjour d’une délégation du groupe de coopération Europe - Kirghizistan du Parlement européen (dont aucun député français ne faisait partie).

Sitôt arrêtée la décision d’organiser cette mission, le groupe d’amitié s’est mis au travail pour définir un certain nombre d’objectifs, en collaboration étroite avec M. Djyrgalbek Azylov, ambassadeur de la République kirghize à Bruxelles, ainsi qu’avec M. Azamat Kadyraliev, président de l’Amicale des kirghizes de France. En outre, des contacts ont été établis avec le représentant personnel de l’Aga Khan, dont la Fondation, très active en Asie centrale, a proposé de fournir un certain nombre de moyens en vue d’enrichir le programme de notre visite. D’autres échanges préparatoires ont eu lieu avec deux spécialistes du Quai d’Orsay, M. Millet et Mme Stepanyan. Il y eut certes un moment d’inquiétude en février, lorsque le Parlement kirghize ayant décidé de ne pas renouveler le contrat de location de la base de Manas aux Américains, les relations franco-kirghizes se trouvèrent ipso facto affectées. Mais cette ombre ne parut pas de nature à empêcher un voyage destiné précisément à ouvrir le dialogue. Il ne resta donc plus qu’à fixer des dates aussi appropriées que possible à la météorologie locale et aux calendriers parlementaires respectifs : ce fut la dernière semaine de mai.

La délégation du groupe d’amitié se composait de quatre députés, deux représentants du groupe UMP, M. Gatignol (Manche) et M. Reitzer (Haut-Rhin), et deux représentants du groupe socialiste, M. Chanteguet (Indre), président du groupe d’amitié, et M. Launay (Lot), vice-président. M. Kerautret, secrétaire du groupe d’amitié, accompagnait la délégation. Coïncidence en partie voulue, la diversité des compétences réunies au sein de la délégation allait se révéler particulièrement adaptée à la nature des principaux sujets abordés au cours du voyage : nature et tourisme (M. Chanteguet) ; politique de l’eau (M. Launay) ; hydro-électricité (M. Gatignol) ; relations avec l’OTAN (M. Reitzer). Cette circonstance heureuse nous a permis chaque fois d’aller rapidement au fond des choses, malgré l’inévitable brièveté des entretiens. Elle compense un peu le seul regret que l’on aurait pu avoir, l’absence de toute participation féminine, relevée non sans humour par la vice-présidente du Parlement kirghize.

Le 24 mai, la délégation s’est envolée de Roissy CDG sur un vol Aeroflot divisé en deux sections d’environ quatre heures chacune, vers Moscou d’abord, puis après une escale de trois heures à l’aéroport de Sheremetyevo 2, pour Bichkek (ci-devant Frounzé comme le rappelle le code FRU qui sert encore à désigner son aéroport). Elle est arrivée au petit matin, heure locale, c’est-à-dire au milieu de la nuit pour elle, et a été aussitôt prise en charge par deux députés particulièrement chaleureux : le professeur Kourmanov, président de la commission des lois, et M. Atambaiev, factotum très efficace, qui ne cessera de l’accompagner tout au long de son séjour. M. Jean-Pierre Godart, responsable de notre antenne diplomatique à Bichkek, était également présent. Par la suite, la délégation fut constamment escortée par un représentant de la France, M. Godart d’abord, puis deux jours entiers par M. l’ambassadeur Alain Couanon, venu spécialement de sa résidence d’Astana, au Kazakhstan, et de nouveau par M. Godart après le départ de l’ambassadeur.

On ne racontera pas ici par le menu les cinq journées qui suivirent1. Longues et bien remplies, assez fatigantes, mais joyeuses et amicales, elles laisseront avant tout aux participants le souvenir de multiples rencontres denses et animées, en dépit de l’obstacle de la langue : nos interlocuteurs politiques ne parlant quasiment pas le français, il a fallu passer soit par l’anglais, soit par une interprétation du russe ou du kirghize. On remporta aussi le souvenir d’un parfum d’aventure, lorsqu’il fallut braver une météo incertaine pour survoler en hélicoptère une chaîne de montagnes aussi haute et bien plus large que le massif du Mont Blanc. Et puis le souvenir de quelques fous rires, lorsque à une série de toasts émouvants, scandés d’autant de verres de vodka, succéda l’arrivée d’une tête de mouton noir sur une assiette, et que le président du groupe d’amitié, resté impavide, se prêta sans ciller au rite qui lui imposait de gober l’un des yeux avant d’offrir l’autre à sa voisine. La diplomatie parlementaire exige quelques sacrifices. Mais les vrais diplomates le savent, la bonne humeur n’est pas frivole, elle permet de créer la cordialité propice aux entretiens sérieux.

Ces derniers n’ont pas manqué, et ils ont permis notamment d’aborder de façon récurrente les quatre points suivants : l’avenir de la base de Manas ; la question de l’eau et de l’énergie hydro-électrique ; la problématique du développement ; la présence de la France et l’enseignement du français. Au fil des observations et des conversations, la délégation a pu également se former un certain nombre d’impressions plus précises sur le pays et sa culture, ainsi que sur la nature du régime politique.

I. L’avenir de la base de Manas

La base aérienne de Manas (appelée aussi base Ganci, du nom d’un pompier mort en service le 11 septembre 2001), est utilisée par les États-Unis et leurs alliés depuis décembre 2001. Cette base, très utile pour le ravitaillement des forces opérant en Afghanistan, est louée au gouvernement kirghize pour un montant de 17 millions de dollars par an (63 avec les taxes d’aéroport), dont l’essentiel est payé par les Etats-Unis. La France contribue pour sa part à hauteur de 1,5 million de dollars.

Or, le 3 février dernier, le président Bakiev annonça son intention de dénoncer le contrat. Deux semaines plus tard, le Parlement kirghize ratifia cette décision à la quasi-unanimité, demandant à la coalition d’évacuer la base dans les six mois, c’est-à-dire au plus tard le 18 août 2009.

Cette mesure fut interprétée de deux façons. On pouvait soit y voir une décision politique, attestant la volonté du gouvernement kirghize, sur fond de tension américano-russe, de rentrer dans l’orbite de l’ancien pays frère. Ce dernier, de plus en plus soucieux de se voir refoulé de toutes parts par une Amérique conquérante, voudrait desserrer un peu l’étreinte, et il a déjà obtenu, en 2005, la fermeture d’une base américaine en Ouzbékistan. Il aurait donc mis à profit les embarras financiers de son petit voisin kirghize pour exercer une pression sur lui, en lui offrant, outre un don de 150 millions de dollars, un prêt avantageux de 2 milliards. Ajoutons à cela le fait que les nombreux Kirghizes travaillant en Russie (plusieurs centaines de milliers) apportent une contribution importante à la balance des paiements de leur pays, ainsi qu’au bien-être de leurs familles. Du reste, un sondage assurait l’an dernier, si l’on en croit ce que l’ambassadeur d’Allemagne confiait alors aux députés européens, que 75 % des Kirghizes souhaiteraient être de nouveau gouvernés depuis Moscou.

L’autre interprétation prêtait simplement à Bichkek la volonté de faire monter les enchères et d’obtenir un loyer plus élevé pour la base, tout en donnant satisfaction, à la veille de l’élection présidentielle, à une opinion majoritairement hostile à la présence américaine. Selon certaines sources, les négociations continueraient en sous-main, et tout finirait par se dénouer au lendemain de l’élection, entre le 25 juillet et la mi-août. On verra plus loin que ce dénouement fut en réalité plus précoce.

Le groupe d’amitié avait naturellement souhaité inscrire cette question à son programme. Elle fit l’objet de deux épisodes importants du séjour : une visite de la base le premier jour, qui permit d’entendre le point de vue américain ; et dès le lendemain, un entretien substantiel avec le ministre des Affaires étrangères kirghize, M. Sarbaiev.

La visite de la base fut un moment fort. Après avoir franchi des contrôles de sécurité impressionnants, la délégation eut le plaisir et l’honneur d’être accueillie par le commandant de la base en personne, le colonel Christopher Bence, officier cordial et chaleureux, autant que (paraît-il) brillant pilote2. C’est une baraque sommairement aménagée en chapelle qui servit de salle de conférence, pour une présentation très positive des activités de la base dans le cadre de l’opération « Enduring Freedom ».

La base de Manas héberge la 376e AEW (Air Expeditionary Wing), unité célèbre pour divers exploits passés. Elle emploie 1 800 personnes au total, dont un millier d’Américains, une cinquantaine d’Espagnols et une quarantaine de Français, ainsi qu’environ 700 civils kirghizes. Les aviateurs restent en général quatre à six mois sur la base. Leur mission est de transporter des hommes et du matériel vers l’Afghanistan, ainsi que d’effectuer des opérations de ravitaillement en vol pour les chasseurs. Les avions peuvent également fournir un secours médical de première urgence. La base, qui sert de porte d’entrée et de sortie aux hommes qui se battent en Afghanistan, voit passer des milliers de vols par an, et des centaines de milliers de soldats3. Elle sert aussi de dépôt de matériel, allégeant d’autant les bagages des combattants.

La France, après y avoir stationné des avions de combat Mirage 2000 de février à octobre 2002, entretient aujourd’hui un avion de transport ravitailleur KC 135 (Boeing), tandis que les Espagnols disposent d’un C 130 (Lockheed). Le détachement français se compose de trois cellules, opérations, maintenance et transmissions.

Le colonel Bence insiste sur les avantages que la présence de la base procure à la population locale. L’armée a réalisé des travaux pour améliorer les pistes et construit une petite ville de baraques en dur au lieu du village de tentes initial. Ces travaux profiteront au pays d’accueil. D’autre part, la base verse des salaires relativement élevés à ses employés civils. Néanmoins, divers incidents ont eu lieu entre les militaires et les habitants (dont le meurtre d’un civil kirghize par un soldat qui a été rapatrié sans être jugé). Les militaires américains, à la différence de leurs camarades français, n’ont pas le droit de quitter l’enceinte de la base sans une autorisation spéciale, et ils ne sortent jamais qu’en groupe. On essaie de remédier à l’incompréhension mutuelle par un certain nombre d’actions de bienfaisance et de relations publiques à destination des villages voisins (plus de 50 000 heures et près de 200 000 dollars).

S’agissant de l’avenir, le colonel Bence affecte la sérénité. Au pire, les forces américaines se redéploieront en d’autres lieux, où on ne demande qu’à les accueillir. Il existe déjà une base opérationnelle à Douchanbé. De toute façon, le colonel Bence exclut une révision du montant du loyer, qui lui paraît déjà élevé.

Après cette introduction générale, la visite continue en compagnie d’un officier français, le commandant Cepparo, qui nous fait visiter l’avion ravitailleur et nous explique ses tâches. Quoique assez ancien, cet appareil est précieux, car il fait partie de la force stratégique. Il peut emporter une trentaine de tonnes de carburant, et l’acheminer en une heure environ vers le théâtre afghan. Chaque semaine, le commandant Cepparo annonce à la direction des opérations ses disponibilités - quelquefois contrariées par le manque de telle ou telle pièce -, et celle-ci lui assigne ses missions. Il suffit d’un équipage de quatre hommes pour gouverner ce mastodonte, un pilote, un copilote, un navigateur et un ravitailleur, couché à l’arrière. Cet exposé très instructif se termine par quelques échanges fort agréables, dans le baraquement français, avec les mécaniciens et les autres aviateurs présents (dont deux jeunes femmes).

Dès le lendemain, la délégation eut l’occasion d’interroger la partie kirghize sur le sujet de la base, dans le cadre de sa rencontre avec M. Sarbaiev, ministre des Affaires étrangères. Ce dernier n’est en fonction que depuis trois mois, ayant succédé à M. Karabaiev le 4 mars, et M. l’ambassadeur Couanon put faire à cette occasion la connaissance du nouveau ministre. S’il ne participe que depuis peu au gouvernement, ce dernier n’en connaît pas moins très bien les dossiers : c’est en effet un diplomate chevronné, ancien ambassadeur du Kirghizistan en Chine, puis haut fonctionnaire du ministère.

Le ministre confirme la décision prise en février par le Parlement kirghize, sur proposition du gouvernement, de fermer la base de Manas. Il rappelle que son pays s’était associé sans hésiter, fin 2001, à l’action de la coalition. A cette époque, la situation était en effet menaçante, et le Kirghizistan avait appelé plusieurs fois l’attention du monde, dans les années 1990, sur le danger que les talibans faisaient courir à toute la région par leur projet de créer un grand État islamique. Mais personne n’avait alors prêté attention à ces cris d’alarme. Après le 11 septembre, le Kirghizistan n’avait pas hésité à mettre son territoire à la disposition de la coalition, et cela gratuitement, se considérant lui-même comme partie prenante de l’action menée. Des personnels civils ont également été fournis, travaillant 24 heures sur 24 pour des salaires très faibles.

La situation régionale a changé depuis 2006. Des élections ont eu lieu en Afghanistan, un gouvernement a été formé. Le Kirghizistan a proposé aux Américains de nouveaux termes, et un groupe de travail a été formé pour y réfléchir. Différents problèmes se posent. D’abord, pour l’environnement : outre le problème du bruit, on a constaté que les avions alliés déversaient du carburant sur les villages des environs (une quinzaine de cas signalés), au grand dam des habitants qui se sont plaints très vivement. Puis il y a eu divers incidents entre des militaires américains et des civils, des accidents de la route, un meurtre, des violences diverses, sans que le gouvernement américain fasse jamais rien pour répondre aux demandes kirghizes. Bref, la dénonciation de l’accord sur la base n’est pas arrivée comme un coup de tonnerre dans un ciel serein, elle a été précédée de plusieurs avertissements.

Aujourd’hui, les Occidentaux sont donc mal venus de s’étonner. Le fond du problème, c’est sans doute l’insuffisance des contacts de haut niveau entre le Kirghizistan et la plupart des pays occidentaux. Le président actuel, en fonction depuis 2005, n’a été invité à ce jour dans aucun pays occidental, alors qu’il s’est rendu en Chine, au Japon et dans les pays de la CEI. Et tout à coup, après la décision concernant la base, l’Occident a l’air de découvrir le Kirghizistan. En général pour le critiquer, comme vient de le faire Pierre Morel, représentant spécial de l’Union européenne pour l’Asie centrale. Pendant huit ans, les Occidentaux n’ont jamais su dire merci, et aujourd’hui ils ne savent que dénoncer ! Le ministre assure qu’il souhaite une coopération entre son pays et l’Union européenne. Cela pourrait passer notamment par l’échange d’ambassades de plein exercice entre la France et le Kirghizistan.

Pour ce qui concerne la base, une décision a été prise, et il n’y a pas eu la moindre contre-proposition depuis lors. Le problème de la base ne peut du reste être séparé de la question afghane en général. Le Kirghizistan, qui n’a pas d’intérêt direct en Afghanistan, où la population kirghize est négligeable (à la différence des ethnies ouzbèke, turkmène et tadjike), a proposé d’organiser sur son sol une conférence réunissant tous les partenaires, y compris les talibans modérés (« initiative de Bichkek »). La voie de la réconciliation serait en effet bien préférable à l’escalade militaire que semble annoncer l’arrivée de renforts américains. Elle permettrait de mieux répondre à la menace qui pèse directement sur les pays voisins, du fait notamment du danger terroriste et du trafic de drogue.

Le groupe d’amitié a pu évoquer encore la question de la base lors de son entretien avec les représentants du groupe social-démocrate. Ce dernier a exprimé une approche différente de celle du gouvernement et une sensibilité plus favorable au point de vue américain, dans le fil de la politique suivie voici quelques années, sous l’ancien président Akaiev (1991-2005). Pour M. Beshimov, le gouvernement actuel est trop accessible aux pressions de la Russie. Celle-ci, qui dispose pourtant d’une base à Kant, à l’est de Bichkek, redoute une présence pérenne des Américains sur son flanc sud, prolongeant la tenaille déjà mise en place plus à l’ouest. Elle se sert des moyens dont elle dispose, et notamment des aides financières et techniques, pour ramener le Kirghizistan dans sa sphère d’influence.

Que conclure de tout cela ? A l’issue de son séjour, la délégation n’était pas en mesure de répondre avec certitude. Mais elle avait quelques raisons de penser que la fermeté proclamée des parties kirghize et américaine n’était que le préalable à la reprise d’une négociation – qui n’avait peut-être jamais cessé. Un certain apaisement semblant se dessiner entre la Russie et les Etats-Unis, depuis que le président Obama a remplacé le bâton de Bush par la carotte, cela pouvait faciliter un compromis, et d’aucuns prédisaient déjà un accord en juillet, après la rencontre Obama / Medvedev.

La réponse est arrivée plus vite que prévu : Le Monde daté du 24 juin 2009 annonce la signature d’un accord américano-kirghize visant à reconduire la location de la base pour un montant triplé (60 millions de dollars par an, soit 150 avec les taxes). Selon cet article, les démarches françaises auraient participé à ce résultat, et l’on peut penser que l’intérêt manifesté avec insistance par la délégation y aura eu sa part, tout comme la mission conduite ensuite par M. Pierre Lellouche, en contribuant à faire comprendre à la partie kirghize l’importance de cet enjeu pour notre pays.

II. L’eau et l’énergie

Seconde question importante inscrite à notre ordre du jour, celle de l’eau – liée à celle de l’énergie. Le Kirghizistan et son voisin du sud le Tadjikistan, forment une sorte de château d’eau pour l’Asie centrale, avec leurs immenses glaciers d’où jaillissent les rivières qui les traversent avant de rejoindre les fleuves servant notamment à irriguer les champs de coton de l’Ouzbékistan.

Comment valoriser cette eau dans le pays même ? Dans un pays dépourvu de gaz et de pétrole, à la différence de ses principaux voisins, la réponse semble évidente : elle a nom hydro-électricité, et l’URSS avait déjà construit un certain nombre d’ouvrages. Le plus important était celui de Toktogul, sur la Naryne, mis en service en 1976 : barrage de béton de 215 mètres de hauteur, et retenue de 284 kilomètres carrés (14 milliards de mètres cubes), qui sert à la fois à produire de l’électricité (capacité de 1200 MW) et à irriguer 5 000 kilomètres carrés au Kazakhstan et en Ouzbékistan. La construction de cet ensemble avait entraîné la destruction d’une vingtaine de villages kirghizes et la disparition de plus de 200 kilomètres carrés de terres cultivées, ce qui fut compensé par des livraisons de gaz notamment. D’autres retenues plus modestes barrent le cours de la Naryne, formant une « cascade » de cinq centrales d’une capacité totale de 350 MW.

Tant que l’URSS existait, cette imbrication ne posait guère de problèmes, les économies des républiques voisines étaient complémentaires et la solidarité jouait. Les choses ont changé depuis, d’autant plus que le prix des carburants fossiles, gaz et pétrole, a fortement augmenté, tandis que la régression des glaciers et plusieurs années de sécheresse ont abaissé le niveau de l’eau dans les rivières et les retenues kirghizes.

Une certaine tension se manifeste aujourd’hui à ce sujet, d’autant plus qu’à ces notions quantitatives s’ajoute un facteur saisonnier. Même si l’eau retenue n’est pas définitivement confisquée, elle n’est pas toujours rendue de façon utilisable : les pays d’amont tendent à retenir l’eau pendant le printemps et l’été, pour reconstituer leurs réserves, tandis que les pays d’aval en auraient besoin à ce même moment, puisque c’est la saison propice à la végétation. A l’inverse, en saison froide, quand le besoin d’énergie atteint son maximum, les turbines tournent à plein, entraînant un déversement d’eau massif qui provoque parfois des inondations en aval. Pour résoudre cette contradiction, il faudrait que les pays voisins puissent fournir au Kirghizistan de l’énergie en hiver. Face au déficit électrique global de la région, cela suppose la construction de centrales thermiques et le développement de réseaux de transport à très haute tension. En tout cas, la coopération est indispensable si l’on veut désamorcer les conflits potentiels.

Dans l’immédiat, la discussion pourrait se cristalliser autour de la construction des centrales de Kambarata, sur la Naryne supérieure, en amont de Toktogul. Afin de pourvoir à la demande domestique, mais aussi à une demande extérieure (Russie et Chine) en croissance rapide, il est logique que le Kirghizistan veuille augmenter sa production hydro-électrique, sachant que son potentiel n’est utilisé qu’à moins de 10 %. Néanmoins la dimension des projets envisagés suscite une vive inquiétude de la part des pays d’aval. Si Kambarata 2, en construction, pour une mise en service progressive à partir de décembre 2009, demeure d’une taille raisonnable, avec ses 360 MW, il en va autrement du projet pharaonique de Kambarata 1 : 1900 MW et 5 Md KWH, avec un lac de retenue gigantesque.

Cette question a donc été plusieurs fois évoquée pendant notre visite, et surtout lors de nos entretiens avec la commission de l’énergie et lors de notre visite du chantier de Kambarata 2. Sur ce site, les conduites (souterraines) sont presque terminées, la centrale se construit rapidement, les turbines sont prêtes. Quant au barrage, il s’édifiera en quelques minutes, puisqu’il résultera de l’explosion d’une colline qui viendra barrer le cours de la rivière et la détourner vers les tunnels déjà construits. Notre guide est fier de nous indiquer qu’il s’agit d’une entreprise entièrement kirghize (coût estimé à 270 millions de dollars), mais les turbines ont été fabriquées à Saint-Pétersbourg.

On nous parle aussi beaucoup du projet suivant, Kambarata 1, dont le coût est estimé à 2 milliards de dollars. Des études de faisabilité et de coûts ont été faites par EDF, dont les ingénieurs seraient venus l’an dernier (à cheval !). Il nous a été dit ensuite qu’ils avaient émis des réserves sur l’opération, et notamment sur le recours au barrage masse sans ancrage au sol. Mais les Kirghizes comptent surtout sur des financements russes. Une ligne à 500 KV est envisagée pour emporter le courant produit vers le Pakistan et l’Afghanistan.

A cette option titanesque, les pays voisins préféreraient manifestement une série de petites centrales, aptes à fournir l’énergie nécessaire à une région donnée, sans qu’il soit besoin de construire, dans ce pays cloisonné par de hautes montagnes, d’immenses pylônes ni de lignes à haute tension, menacées par les intempéries en hiver. L’ambassadeur Pierre Morel aurait relayé récemment l’inquiétude des pays voisins en se prononçant contre les grandes unités. L’un n’exclut pourtant pas l’autre, nous assurent nos interlocuteurs, qui verraient du reste d’un bon œil une participation d’EDF aux appels d’offres. Mais l’expertise française serait surtout bienvenue pour le transport et la distribution, estime M. Gatignol.

D’une façon générale, les officiels kirghizes insistent sur la nécessité, pour leur pays, de valoriser sa seule ressource énergétique, et n’hésitent pas à parler d’un « prix » de l’eau. Lorsque leurs voisins revendiquent des droits sur l’eau venue d’amont, ils répondent que Dieu a donné aux uns du pétrole, et aux autres de l’eau. Si les premiers vendent le pétrole, pourquoi eux n’auraient-ils pas le droit d’en faire autant pour l’eau ? Un raisonnement qui ne manque pas d’une certaine logique, observe M. Launay, même s’il heurte les habitudes, et pour lequel le Kirghizistan recherche manifestement l’approbation des tiers. Lors de la conférence de presse finale, M. Chanteguet reconnaît la cohérence d’un tel raisonnement.

Mais l’énergie n’est évidemment qu’un des facteurs, essentiel certes, d’une problématique plus large, celle du développement.

III. Le chemin du développement

A. Un pays pauvre

Le Kirghizistan fait partie des pays dits en voie de développement. Dépourvu de richesses naturelles, en dehors de l’eau et de l’or, il ne dispose ni d’une industrie puissante, ni d’une agriculture exportatrice. Son économie s’est effondrée dans les années 1990, et elle n’a pas encore rattrapé le niveau qu’elle avait au moment de l’indépendance. Cela tient notamment à la fuite des cerveaux, du fait de l’émigration massive des Russes et des Allemands qui a suivi la proclamation de la langue kirghize comme seule langue nationale en 1990. L’erreur a été réparée en 1996, le russe retrouvant le statut de seconde langue officielle, et l’émigration des cadres s’est ralentie, mais le mouvement antérieur n’a pas été inversé. La part de la population russe ne serait plus que d’environ 10 % dans l’ensemble du pays contre 25 % en 1990. L’effondrement économique s’est traduit par une forte dette extérieure, et celle-ci fournit une corde particulièrement sensible pour exercer des pressions sur le Kirghizistan ou s’assurer sa reconnaissance.

Pour mesurer la situation actuelle, il faut s’en remettre à différents indices. La croissance a été rapide au cours des dernières années, 7 à 8% par an, mais inégalitaire. Elle s’est accompagnée d’une forte inflation (25 % en 2008), le cours de la monnaie nationale, le som, passant de 20 soms pour un dollar (1998) à 45 soms pour un dollar aujourd’hui (60 soms pour un euro). Le taux de pauvreté demeure donc élevé, de 50 à 80 % selon les sources - qui ne prennent sans doute qu’insuffisamment en compte, il est vrai, l’économie souterraine. Les principales victimes sont les retraités, dont les pensions restent figées à des niveaux très faibles, ainsi que les salariés du public - un jeune professeur d’université gagne l’équivalent de 250 euros par mois, et beaucoup d’enseignants de lycée se sont reconvertis dans le privé. Les agriculteurs vivotent sur les quelques hectares qu’ils ont reçus lors du partage des kolkhozes et sovkhozes, et qu’ils cultivent de façon intensive, en mobilisant toute leur famille. Déjà, l’endettement en a conduit beaucoup à revendre leur maigre bien pour venir grossir les quartiers misérables de la banlieue de Bichkek, tandis que se reconstituent peu à peu des exploitations plus vastes. A terme, ce phénomène devrait néanmoins permettre une amélioration de la productivité.

Si les revenus sont très bas, au regard des références auxquelles nous sommes habitués, le niveau des prix l’est beaucoup moins, autant que nous ayons pu en juger. Néanmoins, le spectacle de la capitale ne donne pas une impression de pauvreté, dans le centre du moins. Les bâtiments paraissent bien entretenus, les rues sont propres, les nombreux parcs sont nets et agréables, les passants bien vêtus. Une sorte de légèreté, voire de gaieté paraît flotter sur la foule en mouvement, les jeunes filles sont belles et coquettes, et la mini-jupe se rencontre bien plus souvent que le voile islamique. A Bichkek en tout cas, il semble bien exister une classe moyenne vivant correctement. Cela résulte peut-être des progrès accomplis depuis quelques années, et risque d’être remis en cause par la crise mondiale, s’il faut en croire les prévisions pessimistes sur le taux de croissance kirghize en 2009. Par ailleurs, ce que nous avons vu de la province, à Och, ne donne pas la même image, et l’on nous a dit que l’écart était encore bien plus grand avec les provinces les plus reculées. Néanmoins, nous avons vu à Och beaucoup de très belles voitures, sans doute liées au trafic de drogue, qui prospère à partir de l’opium produit en Afghanistan : la « route du nord » traverse en effet le Kirghizistan, contaminant au passage, semble-t-il, quelques milliers de Kirghizes.

Quoi qu’il en soit, l’enjeu du développement est évidemment essentiel pour le pays. Au cours de notre visite, nous avons abordé ce sujet avant tout par le prisme de la Fondation Aga Khan, qui a participé à l’organisation de notre séjour, nous a expliqué ses objectifs et présenté quelques-unes de ses réalisations.

B. La Fondation Aga Khan

La Fondation Aga Khan (AKDN, Aga Khan Development Network), créée en 1967, coordonne une dizaine d’agences visant à développer un certain nombre de pays pauvres, situés notamment en Afrique orientale, au Moyen Orient et en Asie. La Fondation affiche comme objectifs prioritaires, la santé, l’éducation et la culture, le développement rural, la promotion des petites entreprises. L’Aga Khan lui-même, 49e imam des musulmans chiites ismaïlis, réside en France, près de Chantilly, et il était assez naturel qu’une collaboration s’engage entre la France et la Fondation, même si, pour des raisons diverses, la Suisse et le Canada étaient jusqu’ici beaucoup plus impliqués. En tout cas, le 9 décembre 2008, un accord de partenariat a été signé à Paris entre l’Aga Khan et le ministre français des Affaires étrangères. Cet accord mentionnait notamment, parmi les priorités retenues, l’Institut médical français en Afghanistan et la centrale hydro-électrique de Bujagali en Ouganda. Mais le Kirghizistan figurait aussi sur la liste des pays d’intérêt commun. Puis, le 28 mai dernier, lors d’une cérémonie organisée au ministère de la Culture, l’Aga Khan a reçu la médaille de « grand mécène et de grand donateur » du ministère pour l’action conduite à Chantilly.

Le Kirghizistan se trouve depuis 2001 au nombre des pays concernés par l’action de la Fondation, et l’Aga Khan s’y est rendu personnellement en octobre 2008, dans le cadre d’une tournée qui l’a conduit aussi au Tadjikistan et au Kazakhstan. Il était donc naturel, dans l’esprit de l’accord signé en décembre, que la délégation s’adresse en priorité à la Fondation, bien implantée dans le pays, et visant des buts analogues à ceux que se donne la France en matière de développement. Nous n’avons pu que nous féliciter de cette coopération, orchestrée sur place avec beaucoup d’efficacité et de gentillesse par Mme Nurjehan Mawani, responsable de la Fondation Aga Khan au Kirghizistan. Non seulement, nous avons bénéficié de la logistique de la Fondation pour deux déplacements en hélicoptère, mais nous avons également pu nous persuader, au cours de plusieurs visites et entretiens, de l’intérêt de l’action conduite par le Réseau Aga Khan au Kirghizistan.

En vue de fonder solidement l’avenir, la priorité absolue semble donnée à la formation des hommes et des femmes qui seront les cadres de demain. Cela commence avec les jardins d’enfants et les écoles primaires - on en a créé 48, notamment dans les régions très reculées où la transhumance estivale enlevait les enfants à l’école pendant plusieurs mois. Cela continue dans le secondaire : la Fondation a ouvert à Och, en 2002, un collège-lycée accueillant environ 500 enfants et adolescents. La scolarité est mixte, le cadre moderne et agréable, les élèves que nous avons rencontrés semblaient épanouis, et les enseignants motivés. L’école est privée, donc payante, mais on nous assure qu’un système de bourses permet d’accepter les enfants méritants de familles modestes. Les cours se donnent en anglais et en russe, mais on apprend aussi l’allemand comme langue étrangère. Le français ? Plus tard, peut-être…

Pour le niveau supérieur, la Fondation est encore plus ambitieuse. Elle a décidé la création d’une université supra-nationale, l’University of Central Asia, associant trois pays, le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan. Chacun de ces pays hébergera un campus universitaire (Tekeli au Kazakhstan, Khorog au Tadjikistan, Naryn au Kirghizistan), mais les étudiants pourront aller de l’un à l’autre pour suivre leur cursus, l’enseignement se faisant principalement en anglais. Pour le Kirghizistan, un énorme chantier de construction est en cours à Naryn, dans une province reculée du pays, au milieu des montagnes. Nous n’avons pas pu le visiter, mais nous avons été reçus au QG de Bichkek par M. Krawchenko, directeur de l’UCA depuis 2004. Les ambitions qu’il nous décrit sont considérables, il s’agit de faire de cette UCA trinitaire un véritable pôle d’excellence en faisant venir de l’étranger des professeurs et des chercheurs de haut niveau dans plusieurs disciplines. En réponse à nos questions, on nous assure que l’université ne sera pas seulement tournée vers la référence anglo-saxonne, mais largement ouverte à l’environnement immédiat du pays, c’est-à-dire aux cultures russe, chinoise et turque. Quant aux Français, ils seront les bienvenus aussi – à condition de s’exprimer en anglais.

En attendant que ces campus soient opérationnels et puissent former les cadres supérieurs de demain, la formation continue pourvoit aux besoins les plus immédiats : une section de l’UCA opère depuis 2006 comme « école pour l’éducation professionnelle et continue » (SPCE), dirigée par Mme Gulnara Junushalieva.

L’enseignement est donc prioritaire, mais d’autres actions sont menées en parallèle. Dans le domaine de la transmission culturelle (musique traditionnelle par exemple). Dans l’ordre économique, cela passe notamment par le micro-crédit : une société de droit suisse, la FMCC, s’est installée à Och pour octroyer de petits prêts à court terme à des familles modestes, afin de leur permettre de lancer un mini-projet, agricole, artisanal ou commercial. Selon le directeur, M. Hering, cette banque est une vraie banque, vouée à faire du profit, et elle y parvient, tout en rendant de réels services à ses utilisateurs (dont 40% de femmes). Diverses succursales ont déjà été ouvertes dans plusieurs petites villes de la région. A un niveau plus large, la Fondation Aga Khan participe aussi à la Banque d’investissement et de crédit du Kirghizistan.

C. Interrogations

On ne peut que se féliciter de cette action multiforme et puissante, menée par la Fondation Aga Khan, qui jouera peut-être à terme le rôle du levain dans la pâte. Le fait qu’elle privilégie l’usage de l’anglais dans l’enseignement est sans doute un choix réaliste dans la perspective de la mondialisation. Mais les trois pays concernés par l’UCA ayant eu jusqu’ici la langue russe en partage, ce pourrait être aussi le moyen de préparer l’éviction à terme de la Russie de la région, en commençant par miner les fondations culturelles de son influence. Entre l’affirmation du kirghize, langue nationale, et la montée en puissance de l’anglais, langue mondiale, il ne resterait bientôt plus d’espace pour le russe, langue régionale. On n’en est pas là néanmoins. Pour l’heure, il existe à Bichkek, à côté d’une université américaine, une université russe et une université turque. Le plus sage serait sans doute, et c’est l’intention affichée de l’AKDN, de mobiliser au service d’un développement sui generis toutes les capacités disponibles, toutes les traditions et toutes les langues. Tel est le sens de la publication récente, sous les auspices de la Fondation, d’un glossaire anglo-russe des termes politiques et économiques4.

Il ne faut pas se cacher néanmoins que certains obstacles demeurent sur la voie du développement. La première hypothèque tient aux tensions avec les pays voisins, surtout l’Ouzbékistan. Pour la question de l’eau, déjà mentionnée, mais aussi parce que la frontière, extrêmement compliquée, grevée de diverses enclaves de part et d’autre, donne lieu à des contestations infinies. Ce n’est pas tant l’effet d’un machiavélisme stalinien, comme on le lit souvent, que l’héritage d’un passé ancien que l’URSS n’a pas pris la peine de corriger dans la mesure où l’appartenance des deux républiques à un même ensemble relativisait l’enjeu. Quoi qu’il en soit, et en dépit de la médiation offerte par l’OSCE, cette question n’est pas réglée – et elle est d’autant plus délicate que les ethnies s’opposent de façon assez virulente dans la vallée de la Fergana. Des incidents avaient d’ailleurs eu lieu dans ce secteur la veille de notre venue à Och, faisant plusieurs victimes et entraînant la fermeture de la frontière. Et nul n’a oublié les graves violences qui s’étaient déchaînées en 1990 dans la région d’Och et d’Ozgon, entraînant des centaines de morts. A cela s’ajoute le fait que, par suite d’incursions islamistes réelles ou supposées, on a posé, voici quelques années, de nombreuses mines le long de la frontière tadjike.

Une autre hypothèque, moins grave peut-être, tient aux insuffisances de la démocratie kirghize. Même si celle-ci passe pour la plus aimable de la région, elle conserve un caractère clanique, facilitant les tentations autoritaires et prédatrices. Le président actuel, originaire du sud, n’est pas très bien accepté par les élites du nord. Selon différents témoignages, son fils Maxime se serait taillé un empire économique et médiatique depuis l’arrivée de M. Bakiev au sommet de l’État. On entend souvent parler de corruption, d’un retour aux pratiques de la présidence antérieure, et l’opposition porte des accusations assez graves : fermeture de médias indépendants, mise en tutelle de la justice, falsification du résultat des élections législatives en 2007, disparition d’un député qui n’a pas reparu depuis plusieurs mois. Le gouvernement, de son côté, minore ces incidents, et souligne plutôt les progrès accomplis depuis que la révolution des tulipes a renversé le régime d’Akaiev en 2005. D’aucuns nous inviteraient même volontiers à la modestie en nous demandant si nous sommes nous-mêmes irréprochables sous ces différents rapports. En tout cas, il était difficile pour la délégation de se faire en quelques jours une opinion tranchée.

D’une façon plus générale, il conviendrait sans doute d’améliorer la législation sur un certain nombre de points. Les étrangers se plaignent souvent de l’insécurité juridique, qui les dissuaderait d’investir, du moins dans de petites structures. Une société française, qui exploitait une petite centrale hydro-électrique, a connu naguère diverses mésaventures. Le cas des grandes entreprises, telle la firme canado-kirghize qui exploite la mine d’or de Kumtor, se présente de façon différente. Le gouvernement fait valoir qu’il a simplifié le système fiscal, réduit la TVA de 20 à 12% et qu’il s’efforce de créer un climat favorable aux investissements étrangers – le pays se placerait désormais au 68e rang sur l’indice de la Banque mondiale qui mesure cela. Les investissements étrangers directs progressaient sur une pente d’environ 20% en 2008 avant l’arrivée de la crise ; outre la Russie et le Kazakhstan, l’Allemagne, le Royaume Uni et la Turquie se plaçaient en tête des investisseurs.

Quid de la France ? On a vu qu’EDF avait été associée aux études sur la centrale de Kambarata 2 : peut-on imaginer qu’elle s’implique davantage ? D’autre part, selon notre expert Claude Gatignol, la France pourrait utilement faire partager son expérience en matière de transport et de réseau de distribution. Des coopérations ne seraient-elles pas envisageables encore dans le secteur agricole et agro-alimentaire ?

La question de l’environnement mérite également d’être posée. La République kirghize ne peut rien au réchauffement climatique, et elle doit subir passivement la réduction de la superficie de ses glaciers, avec les conséquences qui en résultent pour l’hydrographie. Elle ne pourra pas non plus restaurer rapidement les pâturages détruits par l’élevage excessif des moutons, ni annuler les effets dévastateurs de l’érosion, dont nous avons constaté les ravages en survolant les abords du lac d’Issyk Kul. Elle a su en revanche arrêter à temps l’exploitation de l’uranium et du mercure. Reste le cas de l’or, qui procure des ressources précieuses, mais comporte aussi des risques d’accidents industriels : le lac d’Issyk Kul a été gravement contaminé voici quelques années.

Même si les quelque 20 tonnes d’or extraites chaque année demeurent pour l’instant indispensables à la balance commerciale, les réserves s’épuiseront un jour, et le gouvernement kirghize a bien compris que son principal atout, pour l’avenir, résidait sans doute dans son capital naturel, ses hautes montagnes et ses parcs nationaux. Il paraît décidé à miser sur le tourisme, et entend privilégier un tourisme écologique, raids à cheval, trekking, rafting, en y associant autant que possible une dimension traditionnelle (le gîte à la yourte). Cette offre serait sans doute de nature à attirer des Occidentaux, des Chinois ou des Japonais, en tout cas des happy few, et la délégation souhaiterait contribuer à la faire connaître en France. Pour l’heure, néanmoins, c’est le lac Issyk Kul qui continue de représenter la principale attraction, tant pour les Kirghizes eux-mêmes que pour les touristes venus en nombre de la Russie ou du Kazakhstan.

L’une des grandes difficultés, pour le développement du tourisme, c’est en effet l’éloignement des grands pays à pouvoir d’achat élevé. Il nous a fallu douze heures d’avion pour aller de Paris à Bichkek, en l’absence de liaison directe, et les horaires sont malcommodes. Il existe aussi une liaison passant par Istanbul, mais la section Paris-Istanbul est saturée en été. Tout cela peut dissuader, mais ne changera que si la demande est forte. Qui amorcera la pompe ? Les liaisons intérieures sont également très insuffisantes : routes médiocres, lignes ferroviaires presque inexistantes. On parle de nouvelles infrastructures, tant routières que ferrées, pour faciliter le transit entre la Chine et l’Ouzbékistan. Le tourisme en tirerait sans doute avantage.

Il convient enfin de construire des hébergements, et de préparer des professionnels qualifiés. Certains ont déjà été formés à l’université de Chambéry, en complément de l’enseignement reçu à la faculté de tourisme de l’université d’État de Bichkek. La France, forte d’une grande expérience en ce domaine, pourrait sans doute donner une assistance supplémentaire.

Telles sont quelques-unes des idées qui ont surgi au fil de nos entretiens, et que la délégation aimerait soumettre à la réflexion de tous les partenaires susceptibles d’être intéressés.

IV. La présence française

La délégation du groupe d’amitié ne pouvait pas manquer, enfin, de s’informer de la présence française au Kirghizistan. Sur ce point, elle a engrangé des données contrastées.

Nos deux pays sont évidemment très éloignés, ils appartiennent à des zones économiques et politiques très différentes, n’ont guère de tradition commune, et l’on ne s’étonnera donc pas trop de la faible intensité de leurs relations. Certes, il y a la présence de nos aviateurs, mais elle n’est guère visible à l’ombre du géant américain, et reste de toute façon confinée dans une sorte d’extra-territorialité, même si les militaires français sortent volontiers de leurs bases et ne paraissent pas rencontrer de difficultés dans leurs contacts avec la population locale. Un ancien militaire, M. Philippe Machet, a du reste fondé une entreprise dans le pays après avoir épousé une jeune femme kirghize.

Hors le cas particulier des aviateurs, la présence française se limite à quelques diplomates et à une minuscule communauté locale. Les diplomates ne sont que trois, le chef d’antenne, Jean-Pierre Godart, qui a succédé en août 2008 à Éric Millet, aujourd’hui sous-directeur d’Asie centrale au ministère ; l’attachée de coopération culturelle, nommée pour quatre ans, Charlotte Urbain, par ailleurs directrice de l’Alliance française ; et l’attaché militaire adjoint, qui ne reste en général que quelques mois.

Nous avons pu visiter la jolie maison avec jardin sur laquelle flotte le drapeau tricolore : elle offre à l’antenne un cadre simple, mais digne du pays qu’elle représente. Cela semble suffisant pour remplir les tâches quotidiennes avec l’aide de deux secrétaires recrutées localement, et le jardin permet d’organiser une modeste réception lors de la fête du 14 juillet. Quant à l’Alliance française, elle a réussi à optimiser ses coûts en partageant un bâtiment avec le DAAD allemand. La baisse des crédits n’a pas épargné cependant le poste de Bichkek, et nous avons entendu quelques plaintes à ce sujet - en ce qui concerne notamment la vétusté du véhicule officiel, qu’il conviendrait de remplacer bientôt, et l’enveloppe de fonctionnement, ramenée cette année à 69 000 euros, après application d’une baisse de 30 %.

Le rôle de l’antenne de Bichkek est certes limité, puisque l’ambassadeur, M. Alain Couanon, réside à Astana, capitale du Kazakhstan, auprès duquel il est également accrédité. Par ailleurs, la délivrance des visas est déléguée à l’ambassade de la République fédérale d’Allemagne, cet État disposant (seul de tous les Etats de l’Union européenne), d’un poste de plein exercice à Bichkek. Si rationnel que cela puisse paraître, il n’est pas sûr que ce soit véritablement avantageux du point de vue financier, dans la mesure où les droits de chancellerie couvrent en général assez largement les dépenses qu’ils occasionnent. Surtout, cela nuit à la visibilité de notre pays, et nous avons fréquemment entendu, de la part de nos interlocuteurs kirghizes, le souhait que la France ouvre elle aussi une ambassade à Bichkek. Le projet serait, nous a-t-on dit, inscrit à plus ou moins bref délai à l’horizon du Quai d’Orsay. Nous formons le voeu que cela s’accomplisse sans trop tarder.

Par ailleurs, la Commission européenne, dont une délégation est présente à Bichkek depuis 2004, est incarnée pour partie par une jeune Française, Colombe de Mercey (sous l’autorité de M. Ketelsen). Elle contribue à sélectionner des projets à co-financer, et disposerait d’une enveloppe de 50 millions d’euros. On peut d’ailleurs se demander si le détour par l’échelon européen est le levier le plus efficace, et en tout cas s’il ne tend pas à brouiller les choses et à rendre peu visible l’action des Européens dans la région5. Parallèlement, différents programmes visent à sécuriser les frontières, en vue de contrecarrer notamment le trafic de drogue.

Outre la représentation diplomatique, il existe à Bichkek une minuscule communauté française, dont nous avons pu rencontrer quelques membres, tous passionnés par le pays et désireux de le faire connaître. Ainsi, le général Kuttlein, ancien attaché militaire, devenu professeur de droit à l’Université nationale ; M. David Gaüzère, docteur en géographie, auteur d’une thèse sur le Kirghizistan, qui a choisi d’enseigner à Bichkek en renonçant à une carrière toute tracée dans l’université française ; ou encore Mme Jacqueline Ripart, passionnée de chevaux, qui passe près de la moitié de son temps dans la région et œuvre depuis des années pour la résurrection de la race kirghize ; ou Mme Raphaelle Vilboux, jeune orthophoniste venue passer quelques mois dans le pays pour prêter son concours à une école de langue française. On citera aussi M. René Cagnat, ex-attaché militaire à Moscou, auteur de plusieurs livres sur la région, qui demeure la plus grande partie de l’année à Bichkek, mais absent lors de notre passage.

Grâce aux moyens modernes de communication, ce n’est heureusement plus un déracinement et un exil absolu que de vivre si loin de la mère patrie. La poste marche mal, les journaux n’arrivent que sporadiquement, la télévision laisse beaucoup à désirer, mais le contact est maintenu quotidiennement grâce à Internet et à la presse en ligne.

Cela vaut aussi pour les plus jeunes ou les mieux équipés de ces Kirghizes qui s’intéressent à notre pays, et disons-le, qui aiment la France. Beaucoup sont à vrai dire assez âgés, comme ce vieil homme rencontré à Och, dont l’œil a brillé quand il a commencé de nous parler d’Athos, Porthos et Aramis. Et ce député qui cite Jeanne d’Arc et notre révolution, ou cet autre qui évoque Normandie-Niémen et s’anime à l’évocation par Jean-Luc Reitzer des 60 000 morts kirghizes tombés pour la même cause que les combattants français lors de la Seconde guerre mondiale. Et puis ce vétéran du parti communiste qui se souvient de Jacques Duclos et nous prie de transmettre son salut aux communistes français. Et quelle agréable surprise de trouver dans un jardin de sculpture en plein air, parmi les héros de l’humanité, un Victor Hugo pensif à côté d’un Gavroche sautillant. Manifestement, l’histoire de la France, la littérature française, cela dit encore quelque chose à un certain nombre de gens.

Héritage soviétique sans doute, mais qui ne demande qu’à être préservé, comme l’a montré le succès de la semaine de la francophonie, en mars 2009, et l’écho rencontré par plusieurs manifestations organisées récemment par Mme Urbain - en dernier lieu, l’exposition en plein air des photos de Yann Artus-Bertrand. Comme le montre aussi l’audience des émissions en français de la radio animée par M. Artem Mavlonazarov.

Quant à la pratique de notre langue, elle ne paraît pas très répandue, mais nous avons éprouvé un plaisir particulier à rencontrer par deux fois des étudiants et jeunes intellectuels francophones. D’abord à l’Université nationale, où s’est engagé un débat très intéressant, en français, entre les députés et les étudiants. Puis lors d’une soirée amicale particulièrement sympathique avec un certain nombre de jeunes très motivés, parlant très bien le français. Peut-être conviendrait-il d’ailleurs de rechercher une meilleure synergie au niveau local entre les institutions françaises et tous ces acteurs officieux de la francophonie bénévole.

Selon ce qui nous a été dit, ils seraient de fait beaucoup plus nombreux à apprendre notre langue si l’offre d’enseignement était à la hauteur de la demande. Il n’existerait aujourd’hui, à Bichkek, que trois écoles publiques secondaires (sur une trentaine) enseignant le français de façon intensive. Un certain nombre d’autres écoles l’enseignent de façon moins spécialisée.

On peut aussi apprendre le français à l’extérieur du système scolaire. Soit à l’Alliance française, qui aurait environ 150 inscrits, et dispenserait 70 heures de cours par semaine, avec neuf enseignants, dont trois Françaises en comptant la directrice. Soit en prenant des cours privés, tels ceux que dispense la petite école de langue ouverte par Mme Adamalieva. Au total, environ 10 000 jeunes apprendraient le français dans les écoles, et 2 000 adultes dans d’autres structures - beaucoup de ces derniers étant motivés, nous a-t-on dit, par un projet d’émigration au Québec.

Il existe par ailleurs des départements de français à l’Université d’État de Bichkek comme à l’université d’Och. Quelques étudiants kirghizes poursuivent du reste leurs études en France, notamment dans le domaine des sciences politiques (universités Pierre Mendès-France de Grenoble, d’Aix-en-Provence, de Saint-Étienne), grâce aux programmes européens. Mais à cet égard, nous avons entendu s’exprimer le regret que le nombre des bourses pour la France soit trop faible, et que les bourses Soros, en particulier, ne concernent pas les étudiants en langue et littérature, ainsi que l’a confirmé Mme Urbain qui instruit les dossiers. Précisons néanmoins que la France finance chaque année trois stages d’un mois pour des professeurs de français.

D’une manière générale, il serait sans doute souhaitable de faire un effort pour améliorer l’offre par l’envoi d’enseignants et la distribution d’incitations diverses, ainsi que de dispenser beaucoup plus largement les supports, sous forme de manuels et de matériel pédagogique, mais aussi de livres. Cela nous a été formellement demandé par Mme Koulikova, membre du groupe d’amitié au Parlement, et vice-présidente de la Commission de l’éducation, qui propose en contrepartie d’offrir un certain nombre de livres en russe et en kirghize – offre d’autant plus opportune que l’INALCO envisage d’ouvrir un enseignement de kirghize à Paris. Le transport des livres ne poserait pas trop de problèmes actuellement, du fait des liaisons de fret régulières qu’occasionne la présence militaire française dans la région, à Bichkek et à Douchanbé.

C’est maintenant qu’il faut agir, si l’on veut que le français, à défaut de contenir l’emprise inévitable de l’anglais, ne soit pas du moins trop distancé par l’allemand : ce dernier, porté par le souvenir de la communauté des Allemands de la Volga, transplantée en Asie centrale au temps de Staline, marque en effet des points, et l’on peut s’en réjouir, mais il serait dommage que ce soit au détriment d’une transmission de la culture et de la langue françaises, alors même que la demande de France est bien réelle dans le pays. Une coopération avec la Fondation Aga Khan permettrait sans doute, moyennant quelques efforts financiers, mais à moindre coût, de bénéficier des infrastructures scolaires et universitaires qu’elle met en place.

CONCLUSIONS ET PROPOSITIONS

Au terme de ce voyage tout à fait passionnant, les députés du groupe d’amitié se sont convaincus que la France pouvait apporter une contribution au développement de ce petit pays lointain, mais éminemment sympathique et digne d’intérêt. Ce faisant, elle agirait conformément à ses traditions d’ouverture et de générosité, et trouverait de nouveaux amis, tout disposés à accueillir son message. Même si les perspectives économiques immédiates sont limitées, elles ne sont pas nulles. Et ce serait de toute façon un investissement à long terme que de semer les germes d’une relation de confiance dans cette région stratégique.

Pour concourir de façon concrète à la réalisation de cette ambition, la délégation formule ici un certain nombre de propositions.

Il conviendrait d’abord de donner quelques signaux forts au sommet de l’État. Cela pourrait passer par un échange de visites à haut niveau, président de la République ou Premier ministre, conformément à un souhait formulé expressément par nos interlocuteurs. Cela suppose également l’ouverture à bref délai d’une ambassade française à Bichkek.

Au niveau parlementaire, il conviendrait de rendre rapidement l’invitation et d’accueillir en France une délégation du groupe d’amitié Kirghizistan-France du Parlement kirghize – en s’assurant que l’opposition y sera représentée. Peut-être pourrait-on signer à cette occasion une déclaration d’intentions, un « mémorandum de l’amitié » selon la formule du député Kunakunov, à moins que cela ne soit fait dans le cadre d’une visite politique au sommet. Des échanges plus ciblés pourraient également se révéler utiles (mise en commun des expériences juridiques, en matière de pratique constitutionnelle notamment, expertise parlementaire, stages de fonctionnaires, peut-être en coopération avec le PNUD).

D’autre part, M. Launay, qui est par ailleurs président du groupe d’amitié avec le Tadjikistan, souligne la similitude des problèmes rencontrés par ces pays voisins, et suggère que les deux groupes d’amitié se réunissent ensemble pour y réfléchir. Ils pourraient contribuer ainsi, à leur niveau, à faciliter les coopérations régionales ainsi que l’intervention d’investisseurs français dans les deux pays.

Pour cimenter l’amitié entre la France et le Kirghizistan, il faudra sans doute quelques engagements financiers de l’État. Le renforcement de la coopération culturelle passera par l’octroi de missions à des professeurs d’université, de bourses d’études, de dotations en livres et autres supports. Pourquoi ne s’appuierait-on pas, dans ce domaine, sur le réseau de la Fondation Aga Khan, dans l’esprit de l’accord de partenariat signé en décembre 2008 ? Chacun des partenaires y trouverait probablement son compte.

Mais il n’est pas nécessaire de tout attendre de l’État. On peut imaginer une série de coopérations et d’échanges à différents niveaux, en partant de ce qui existe déjà. Des opérations de jumelage ont été proposées entre Bordeaux et Bichkek, entre Auch et Och. Des accords existent entre universités (côté français, avec Grenoble, Saint-Étienne et Bordeaux 3 notamment). Il serait utile de poursuivre dans cette voie, en mobilisant autant que possible les régions et les autres collectivités locales, ainsi que les associations. D’autres coopérations sont envisageables pour la gestion des parcs nationaux par exemple.

Pour faire connaître le Kirghizistan à un public plus large, et susciter un désir de voyage dans ce pays, pourquoi ne pas organiser de temps à autre une journée kirghize, afin de mettre en valeur la culture traditionnelle, l’artisanat, la musique, la gastronomie, l’équitation, etc. On pourrait s’appuyer pour cela sur quelques opérateurs de tourisme, ainsi que sur l’association des kirghizes de France et de leurs amis (AKFA), présidée par le très dynamique Azamat Kadyraliev.

Il a été également proposé de développer les échanges sportifs, dans deux directions notamment : la lutte, tradition ancestrale du peuple kirghize, et le rugby, discipline moins ancienne, pour laquelle il semble manifester de réelles dispositions – l’équipe féminine a déjà cueilli quelques lauriers à l’échelle internationale. Sans oublier tout ce qui a rapport aux chevaux : les Kirghizes sont fiers de leurs traditions nomades, qui revivent lors de fêtes diverses, et ils souscrivent pleinement aux efforts entrepris pour ressusciter la race autochtone. Des contacts ont eu lieu dans le passé avec l’INRA, et l’on pourrait imaginer d’autres échanges franco-kirghizes autour du cheval. Peut-être avec la Normandie, comme l’a suggéré M. Gatignol.

Last but not least, il y aurait beaucoup à faire dans le domaine industriel. Raison de plus pour en appeler aux initiatives. On pense évidemment au secteur électrique, où le savoir-faire français n’est plus à démontrer : à défaut de grands contrats, on peut imaginer des opérations plus limitées, soit de construction, soit plutôt dans le secteur du transport et de la distribution. L’agro-alimentaire devrait offrir aussi un champ prometteur à l’investissement français.

En tout état de cause, on ne peut que se réjouir des perspectives qu’offre déjà, dans de nombreux domaines, la coopération avec l’AKDN. Celle-ci est bien implantée dans le pays, et ses objectifs coïncideront parfaitement avec ceux de la France, dès lors qu’elle fera une place accrue à l’enseignement de la langue et de la culture françaises, comme elle y semble disposée. Le groupe d’amitié a également été sensible à son approche régionale des problèmes, qui tend à enjamber des frontières nationales arbitraires pour susciter des projets supra-nationaux, en commençant par la belle réalisation de l’UCA. Les pays d’Asie centrale ont été séparés par l’histoire récente, mais ils partagent un même héritage et la géopolitique les obligera à envisager ensemble leur avenir, tout comme la géographie physique les contraint déjà de réfléchir ensemble à leurs problèmes d’eau et d’environnement. Là encore, la France, forte de l’expérience de 50 ans de construction européenne, peut apporter un témoignage précieux.

Mais les pistes ne manqueront pas si la volonté est forte. Les députés du groupe d’amitié, instruits par ce qu’ils ont vu et perçu au cours de cette brève mission, feront de leur mieux, quant à eux, pour contribuer à façonner cette volonté.

ANNEXE 1 : Journal du voyage

Dimanche 24 mai

13 h 40 :

Départ de Roissy CDG pour Bichkek via Moscou.

Lundi 25 mai

5 h 30 (1 h 30 h. f.) :

Arrivée à l’aéroport. Accueil par M. Kourmanov, président de la commission des lois, M. Atambaiev, membre du groupe d’amitié, et M. Godart, responsable de l’antenne diplomatique de la France à Bichkek.

12 heures :

Début des rencontres au Parlement (Jogurku Kenesh).

-entretien avec M. Ormonov, président du groupe majoritaire (Parti du Peuple Ak Jol) et quelques membres du groupe.

-entretien avec des membres du groupe d’amitié.

-entretien avec M. Beshimov et plusieurs membres du groupe minoritaire social-démocrate.

15 heures :

Entretien avec M. Mamachov, directeur de l’Agence nationale du tourisme.

16 h 30 :

Arrivée à la base alliée de Manas.

-Exposé du colonel Bence (US Air Force) sur la base.

-Puis visite de la base en compagnie d’un officier français. Présentation de l’avion ravitailleur KC 135. Rencontre avec divers membres du détachement français.

Mardi 26 mai

8 h 30 :

Arrivée de M. Couanon, ambassadeur de France au Kazakhstan et au Kirghizistan, résidant à Astana. Il accompagnera la délégation jusqu’à mercredi soir.

9 heures :

Entretien avec M. K. Sarbaiev, ministre des affaires étrangères.

10 heures :

Rencontre au Parlement avec la commission de l’énergie, présidée par M. Iouri Danilov.

11 heures :

Visite de l’Université nationale.

-allocutions du recteur, de M. Chanteguet, de M. Kadyraliev, de M. Gaüzere.

-échange de questions et de réponses avec les étudiants.

-programme artistique présenté par les étudiants.

15 heures :

Entretien avec M. Jakypov, président d’une société d’exploitation minière.

17 heures :

Départ pour le parc national d’Ala Artcha, à une trentaine de kilomètres de Bichkek. Brève promenade à pied dans un beau paysage de montagne.

20 heures :

Dîner présidé par M. le député Atambaiev.

Mercredi 27 mai

9 heures :

Départ en avion de Bichkek pour Och, capitale du sud, en compagnie de M. Couanon et de Mme Mawani.

10 heures :

Arrivée à l’aéroport d’Och.

11 heures :

Visite du site historique et religieux de Suleiman-Too.

Dégustation de lait de jument fermenté (koumys) et visite d’une yourte-musée.

13 heures :

Déjeuner offert par le maire de la ville. Cérémonial de la tête de mouton.

15 heures :

Visite de l’école secondaire de la fondation Aga Khan (AKS).

16 h 30 :

Rencontre avec le directeur de la banque de micro-crédit FMCC.

L’ambassadeur répond aux questions d’une télévision locale.

18 heures :

Retour à Bichkek en avion.

21 heures :

Dîner avec l’ambassadeur et quelques membres de la communauté française.

Jeudi 28 mai

8 h 30 :

Visite des locaux de la représentation française, puis de l’Alliance française et du centre de ressources en compagnie de M. Godart et de Mme Urbain.

10 heures :

Entetien à l’UCA (University of Central Asia) avec son directeur, M. Krawchenko.
Présentation de l’action de la Fondation Aga Khan.

12 heures :

Départ pour le lac d’Issyk Kul en hélicoptère.

13 heures :

Arrivée à Tcholpon Ata, petite ville riveraine du lac.

Visite du parc Rouk Ordo (Aitmatov).

16 heures :

Vol de retour.

17 h 30 :

Participation à une réception donnée à l’hôtel Hyatt par la Fondation Aga Khan à l’occasion de la publication d’un glossaire anglo-russe.

Vendredi 29 mai

8 heures :

Départ en hélicoptère pour la centrale hydroélectrique (GES) en construction à Kambarata (sur la Naryne).

9 heures :

Visite du chantier de Kambarata 2, en compagnie de M. Danilov, président de la commission de l’énergie du Parlement et de M. Albert Abazbekov, directeur du chantier.

11 heures :

Vol de retour.

12 h 30 :

Déjeuner offert par Mme Mawani, responsable de la Fondation Aga Khan au Kirghizistan.

14 heures :

Entretien avec M. Tagaiev, président du Parlement.

Visite de l’hémicycle du Parlement.

Conférence de presse de M. Chanteguet, président du groupe d’amitié.

15 h 30 :

Visite de Bichkek.

19 heures :Dîner d’adieu offert par Mme Baiekova, vice-présidente du Parlement. Spectacle musical.

22 heures :

Rencontre avec de jeunes francophones.

Samedi 30 mai

5 h 30 :

Cérémonie d’adieu à l’aéroport en présence de M. Kourmanov et de M. Atambaiev.

6 h 30 (2 h 30 h. f.) :

Envol pour Paris via Moscou.

14 h 30 :

Arrivée à Paris.

ANNEXE 2 : Liste des principales personnalités rencontrées par la délégation

1) Députés, membres du « Jogorku Kenesh » (assemblée unique du Parlement)

- M. Tagaiev, président du Parlement

- Mme Baiekova, vice-présidente du Parlement

- M. Kourmanov, président de la Commission des lois

- M. Danilov, président de la Commission de l’énergie

- M. Omourkulov, président de la Commission de l’éducation

- M. Ormonov, président du groupe majoritaire Ak Jol

- M. Vektourov, membre du groupe majoritaire

- M. Kunakunov, membre du groupe majoritaire, benjamin du Parlement

- M. Beshimov, président du groupe minoritaire social-démocrate

- Mme Otunbayeva, vice-présidente du groupe, ancienne ministre des Affaires étrangères.

- Mme Karamouchkina, membre du groupe s-d

- M. Kadyrov, membre du groupe s-d

- M. Akounov, doyen d’âge, député communiste, membre du groupe d’amitié

- Mme Mamaseitova, députée communiste

- Mme Isanova, vice-présidente du groupe d’amitié

- M. Atambaiev, membre du groupe d’amitié, accompagnateur de la délégation

- Mme Koulikova, membre du groupe d’amitié, vice-présidente de la Cion de l’éducation

- Mme Kerimova, membre du groupe d’amitié

- M. Nargozouyev, membre du groupe d’amitié

- M. Kabaiev, membre de la Commission de l’énergie, héros du travail

- M. Seitkaziev, membre de la Commission de l’énergie

- M. Jopdochbekov, membre de la Commission des Affaires étrangères

2) Membres du Gouvernement

- M. Sarbaiev, ministre des Affaires étrangères

- M. Mamachov, directeur de l’Agence nationale du tourisme

3) Cadres de la Fondation Aga Khan

- Mme Nurhejan Mawani, responsable de la Fondation au Kirghizistan

- Mme Anna Vorobieva, chargée des relations publiques

- M. Bogdan Krawchenko, directeur de l’University of Central Asia

- Mme Gulnara Junushalieva, directrice de la SPCE

- M. Mirlan Osmonaliev, directeur de l’école secondaire d’Och

- M. Christian Hering, directeur d’une société de micro-crédit

4) Personnalités diverses

- M. Bekbolaiev, recteur de l’université d’Etat

- M. Djuraiev, professeur à l’Université d’Etat

- M. Myrzakmatov, maire d’Och

- M. Djakypov, président d’une société minière

- M. Albert Abazbekov, directeur du chantier de Kambarata

- Mme Asel Doolotkeldieva, doctorante en sciences politiques.

- M. Artem Mavlonazarov, directeur d’une radio francophone

- Mme Chinara Adamalieva, directrice d’un cours privé de français

5) Diplomates et communauté française de Bichkek

- M. Alain Couanon, ambassadeur de France au Kazakhstan et au Kirghizistan

- M. Jean-Pierre Godart, chef de l’antenne diplomatique de Bichkek

- Mme Charlotte Urbain, attachée de coopération et d’action culturelle

- M. le Commandant Emmanuel Grünner, attaché militaire adjoint

- Mme Colombe de Mercey, représentant la Commission européenne à Bichkek

- M. David Gaüzère, maître de conférences, délégué des Français de l’étranger

- M. le général (CR) Georges Kuttlein, professeur à l’Université

- Mme Jacqueline Ripart, spécialiste des chevaux

- M. Philippe Machet, agent de voyage à Bichkek

- Mme Raphaelle Vilboux, professeur de français

6) Base de Manas

- M. le colonel Christopher Bence (US air Force), commandant de la base

- M. le Commandant Bruno Cepparo, chef du détachement aérien français

ANNEXE 3 : Le Kirghizistan en bref

Le pays s’appelle officiellement « République kirghize », mais on le désigne aussi sous le nom de Kirghizie, et plus couramment de Kirghizistan, ou à la manière anglaise, par décalque du russe, de Kirghizstan.

Géographie

• Situé entre 39 et 43° de latitude nord (la capitale Bichkek est à la latitude de Rome), de 69 à 81° de longitude est.

• Superficie 198 900 km2 (on trouve parfois des chiffres un peu différents, le tracé des frontières faisant encore l’objet de certaines contestations).

• Pays très montagneux (altitude moyenne, 2 750 m, 94% du territoire au-dessus de 1 000 mètres, 40% à plus de 3 000 mètres, 33% sous les neiges éternelles, 4% de glaciers). Il culmine à l’est, à 7 439 mètres, au pic de la Victoire (Pobiedy) dans les monts Tien Shan (ou Monts Célestes) à la frontière chinoise.

• Une longue chaîne centrale, d’environ 4 000 mètres de hauteur, l’Ala Too (qui appartient au système des Tien Shan) sépare les vallées fertiles du sud-ouest (Fergana) des plaines et vallées du nord (Tchui et Talas). La communication entre le nord et le sud est donc très difficile, ce qui entraîne une forte individualisation des deux grandes parties du pays.

• Le nord-est du Kirghizistan est occupé en grande partie par une sorte de mer intérieure, le lac Issyk Kul (« lac chaud »), vaste étendue d’eau légèrement salée (182 km de long, 6 236 km2, 700 m de profondeur), qui représente un important atout touristique.

• Seule rivière d’importance, la Naryne (807 km dont 535 au Kirghizistan) traverse presque tout le pays d’est en ouest avant de rejoindre le Syr-Daria. Elle est coupée de nombreux barrages hydro-électriques (« cascade »).

• États limitrophes : Kazakhstan au nord, Ouzbékistan à l’ouest, Tadjikistan au sud-ouest, Chine au sud et à l’est. La frontière occidentale, très sinueuse, donne lieu à diverses contestations avec le Tadjikistan, et surtout avec l’Ouzbékistan. Sept enclaves compliquent en outre la situation.

• 5,2 millions d’habitants. Croissance démographique assez rapide (1 % par an) ; espérance de vie moyenne de 68 ans. Densité moyenne, 25 habitants au kilomètre carré, avec de grands écarts : 100 dans la vallée de Fergana au sud-ouest, 10 dans la région d’Issyk Kul ou dans la province de Batken. Migrations intérieures vers la capitale, forte émigration de travailleurs vers la Russie et le Kazakhstan.

• La capitale Bichkek (Frounzé à l’époque soviétique) est située au centre de la plaine septentrionale, tout près de la frontière avec le Kazakhstan, non loin d’Alma-Aty. Elle compte environ 800 000 habitants et s’accroît rapidement.

• Population urbaine, 40 %. Villes principales : Och (« capitale du sud »), 250 000 habitants ; Djalal Abad, 83 000 ; Kara Balta, 50 000 ; Tokmak, 60 000 ; Toktogul, 70 000 ; Karakol, 70 000 ; Uzgen, 42 000 ; Naryn, 38 000 ; Talas, 33 000.

• L’environnement est menacé par le réchauffement climatique : fonte alarmante des glaciers, même s’il en reste encore beaucoup, et baisse du niveau des rivières.

Économie

• Monnaie : depuis 1993, le som (1 euro valait 60 soms à la fin de mai 2009).

• PIB de 5,1 Mds de dollars (2008). Taux de croissance élevés après la lourde chute des années 1990 : 8,5% en 2007 et 7,6% en 2008, mais prévisions beaucoup plus modestes pour 2009. Taux d’inflation de 24,5 % en 2008.

• Part des secteurs d’activité dans le PIB : agriculture, 30% ; industrie, 19% ; services, 51%. Part des secteurs d’activité dans l’emploi : agriculture, 55%, industrie, 15%, services, 30%.

• Productions agricoles destinées pour l’essentiel à la consommation locale : céréales, pommes de terre, betteraves à sucre, fruits et légumes, noix, coton, tabac. Nombreuses petites exploitations formées après la dissolution des fermes collectives, avec un début de reconcentration dénoncé parfois comme « féodal ».

• Élevage des chevaux, vaches, yaks en altitude, et surtout moutons (mais le nombre de ces derniers serait tombé de 10 à 4 millions par suite de la privatisation). L’élevage intensif des moutons a provoqué de graves dommages, érosion massive, disparition d’un tiers des pâturages et de la moitié de la forêt en quelques décennies.

• Matières premières : l’antimoine, le mercure et l’uranium ne sont plus ou presque plus exploités. Reste l’or, avec des réserves de 700 tonnes repérées en 1978, et exploitées aujourd’hui par une société canado-kirghize (70-30 %), dans la mine de Kumtor, au-dessus du lac Issyk Kul, à plus de 4000 mètres d’altitude. Production annuelle d’environ 20-25 tonnes, soit 10% du PNB et un tiers de la valeur des exportations du pays. Plusieurs accidents industriels se sont produits, entraînant la pollution du lac (cyanure, chlore). On exploite également quelques mines de charbon.

• L’industrie se limite à la transformation locale. Il existe cependant six zones franches (FEZ) pour tenter d’attirer les investissements.

• Transports : 400 km de lignes de chemin de fer existantes au nord, projet de liaison avec la Chine ; routes médiocres, et cols souvent fermés en hiver. Liaisons aériennes régulières entre Och et Bichkek.

• Commerce. Les principaux clients sont (2007) la Russie (21%), la Suisse (20%), le Kazakhstan (18%) ; pour 60%, les exportations proviennent du charbon et des métaux rares ; il s’y ajoute laine, coton et viande. Les principaux fournisseurs (2007) : Russie (40%), Chine (15%), Kazakhstan (13%). Principal poste d’importations, l’énergie (gaz et pétrole).

• Balance commerciale structurellement déficitaire (de 1,9 milliard de dollars en 2008). Cela est en partie compensé par les envois d’argent des quelque 500 000 Kirghizes travaillant en Russie et au Kazakhstan.

• Taux de pauvreté, 50%. Le système de santé et le système scolaire ont régressé depuis 1991.

Culture

• Langues officielles : kirghize (langue du groupe turc) et russe. Test de kirghize obligatoire pour remplir une fonction publique.

• Alphabétisation, 98%.

• Ethnies : plusieurs dizaines. Les principales sont les Kirghizes (66%), les Ouzbeks (14%) et les Russes (11%). Il y a aussi des Kazaks, Tadjiks, Dungans, Ouigours, Hans, Kurdes, Coréens, Allemands, Ukrainiens, etc. Conflit interethnique dans la région d’Och et Ozgon en 1990.

• Un million de Kirghizes « ethniques » sont dispersés dans plusieurs pays voisins : 600 000 en Ouzbékistan, 180 000 en Chine, 60 000 au Tadjikistan, 3 000 en Afghanistan. Sans oublier un demi-million de citoyens kirghizes travaillant en Russie et au Kazakhstan.

• La place de la femme a toujours été moins subordonnée que dans d’autres pays islamiques (tradition du partage des tâches dans la vie nomade). Néanmoins, polygamie (de fait sinon de droit) et tradition du mariage par enlèvement (qui permet surtout, aujourd’hui, de tourner des obstacles sociaux). A l’époque soviétique, les femmes ont acquis plus d’autonomie, beaucoup ont étudié. On assiste à une certaine régression depuis l’indépendance.

• Religions : l’islam sunnite (très laïcisé) est fortement majoritaire ; après la répression soviétique, on observe un certain retour de la pratique, attestée notamment par la construction de mosquées ; le sud (sédentaire) est plus religieux que le nord (autrefois nomade). Il existe une minorité orthodoxe (cf. les églises de Bichkek, Karakol et Talas).

• Fête nationale le 31 août (jour de l’indépendance).

• Drapeau rouge, avec comme motif central un soleil à 40 rayons (comme les 40 tribus), surmonté d’un sommet de yourte stylisé.

• Sentiment national en formation. Fêtes du millénaire de Manas en 1995 et du 3e millénaire de Och en 2003.

• Littérature : épopée de Manas, tradition orale transmise par les récits de bardes itinérants (akyns) et fixée au 19e siècle par les Russes, 500 000 vers, la plus longue épopée du monde ; Aitmatov (1928-2008), auteur de Djamila et du Premier maître.

• Quatre universités à Bichkek (nationale, russe, américaine et turque) et deux à Och. Système scolaire semi-public, semi-privé.

• Quelques symboles : le cheval kirghize, le léopard des neiges, le mouton de Marco Polo ; le chapeau conique des hommes en feutre blanc ; le komouz, instrument à trois cordes traditionnel ; le koumys, lait de jument fermenté ; la yourte et le shyrdak (tapis de feutre).

• Communauté française en République Kirghize, 30 personnes.

• Communauté kirghize en France, quelques centaines de personnes (700 selon M. Kadyraliev, président de l’AKFA).

Histoire

• Dans l’Antiquité, région de la Sogdiane et de la Bactriane, célèbre pour ses chameaux. Alexandre le Grand serait venu jusque là, et aurait ramené en Grèce le noyer (« noix grecque » en russe), à moins que ce soit l’inverse.

• Le peuple nomade des Kirghizes serait arrivé dans la région, en provenance du haut bassin du Iénissei, à partir du Xe siècle. Son nom signifierait, assure-t-on, « 40 filles » (kyrk kyz), et l’on explique ainsi l’origine des tribus ou clans (aujourd’hui 21) qui jouent un rôle encore important dans la société kirghize. L’épopée de Manas évoque les tribulations plus ou moins légendaires de cette époque.

• Islamisation assez tardive, étalée sur plusieurs siècles, à partir du sud (aux dépens du chamanisme traditionnel).

• Le territoire kirghize, traversé par une des routes de la soie, est d’abord disputé entre les Arabes, les Mongols, les Chinois, les Perses, puis intégré au khanat de Kokand. A la fin du 19e siècle, dans le cadre de la rivalité anglo-russe et du « grand jeu », il est progressivement conquis et colonisé par les Russes.

• De 1918 à 1920, d’importants combats opposent les rouges et les blancs dans la région, et notamment à Bichkek. Le chef bolchevik Mikhail Frounzé remporte des victoires décisives sur les contre-révolutionnaires, mais les troubles continuent plusieurs années (guérilla des Basmachi).

• En 1924, création d’une république autonome de la Fédération de Russie, devenue RSS en 1936. Terreur stalinienne en 1937, des centaines d’exécutions.

• Au cours de la seconde guerre mondiale, de nombreux Kirghizes sont mobilisés (60 000 morts). D’autre part, on installe dans le pays une bonne partie des « Allemands de la Volga ». Enfin, diverses industries sont repliées de l’ouest avec leur personnel, ce qui sera le point de départ du développement ultérieur.

• Après la guerre, forte immigration russe et relative prospérité du pays.

• A partir de 1989, la Kirghizie s’achemine vers l’indépendance, officiellement proclamée le 31 août 1991. Différentes maladresses provoquent des violences interethniques à Och et Ozgon en 1990 (plusieurs centaines de morts). Une loi de 1989 fait du kirghize la seule langue officielle, provoquant le départ de milliers de Russes. Elle sera rapportée en 1996.

• Présidence d’Akaiev de 1991 à 2005. Il libéralise rapidement, et de façon plus radicale que ses voisins, supprimant notamment les sovkhozes et kolkhozes. Mais la corruption, le népotisme, la fraude électorale suscitent le mécontentement. Tout cela aboutit à la « révolution des tulipes » (24 mars 2005) et à la fuite d’Akaiev. L’élection présidentielle de juillet 2005 est remportée par Bakiev, dont le mandat (renouvelable) arrive bientôt à échéance (élection prévue le 23 juillet). Une nouvelle constitution est adoptée en 2007.

Politique intérieure et administration

• La Constitution actuelle est en vigueur depuis octobre 2007, mais le président Bakiev a été élu dès 2005.

• Régime semi-présidentiel, comparable à celui de la France, avec un président élu pour quatre ans au suffrage universel, qui désigne un premier ministre responsable devant le Parlement (M. Tchoudinov depuis décembre 2007). Cela comporte un risque de conflit en cas de cohabitation, comme on l’a vu entre 2005 et 2007.

• Le mandat du président Bakiev arrive à échéance dans deux mois, et l’élection présidentielle est fixée au 23 juillet. M. Kourmanbek Bakiev aura sans doute pour principal adversaire M. Almazbek Atambaiev, ancien premier ministre, social-démocrate.

• Assemblée unique de 90 membres élus pour 5 ans au scrutin de liste proportionnel. Il existe un système de « double seuil » pour être représenté au Parlement : un pourcentage minimum doit être obtenu à l’échelle nationale, mais aussi dans chaque région (0,5%), et ce système a exclu en 2007 le parti Ata Meken, arrivé pourtant second pour l’ensemble du pays. Les élections de décembre 2007 ont donné 71 députés au « parti du peuple » Ak Jol, 11 au parti social démocrate et 8 au PC. A noter la présence de 23 femmes, du fait de la nouvelle loi électorale (contre 0 précédemment).

• Structure administrative : 2 villes à statut spécial (Bichkek et Och) + 7 régions (oblast). Trois régions au sud (Batken, Djal Alabad et Och), trois régions au nord (Tchui, Yssik Kul, Talas) et une vaste région centrale (Naryne). Les maires et les gouverneurs sont nommés par le président sur proposition des conseils régionaux.

• A l’échelon inférieur, il existe des « raïon (y) » (départements) et des municipalités (ail). A chaque niveau, il y a un conseil et un administrateur.

• Justice en principe indépendante, couronnée par une Cour suprême.

• Presse relativement libre, malgré les pressions du clan Bakiev, en tout cas plus libre que celle des pays voisins.

Relations internationales

• La République Kirghize est indépendante depuis 1991.

• Elle est membre de l’OSCE (1992), de l’OMC depuis 1998, du groupe de Shanghai (SCO) avec la Chine, le Kazakhstan, la Russie, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan, du forum de l’Asie centrale (CAF), ainsi que de la Communauté économique eurasienne (EurAsEC) avec la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan. Pacte d’amitié éternelle avec la Turquie.

• Accord de partenariat et de coopération avec l’UE (1999).

• Le Kirghizistan fait partie du traité de sécurité collective des pays de la CEI. Base russe à Kant depuis octobre 2003 (à l’est de Bichkek).

• Présence d’une base américaine à Manas depuis la fin 2001. Le traité correspondant avait été dénoncé en février 2009 par le Parlement kirghize, mais un nouvel accord vient d’être trouvé.

• Divers traités ont garanti les frontières avec les pays voisins. Il reste cependant à fixer exactement le tracé des frontières avec l’Ouzbékistan et le Tadjikistan.

Bibliographie sommaire

• René Grousset, L’empire des steppes, 1939 (nombreuses rééditions).

• Rafis Abazov, Historical Dictionary of Kirghizistan, The Scarecrow Press, 2004.

• Rowan Stewart et Susie Weldon, Kyrgyz Republic, Odyssey, 2008.

• René Cagnat, En pays kirghize, Transboréal, 2006 (photos)

• Romans et nouvelles de Tchinguiz Aïtmatov

• J. Radvanyi (dir.), Les États post-soviétiques, Armand-Colin, 2003 (rééd. 2004).

• Julien Thorez, Flux et dynamiques spatiales en Asie centrale. Géographie de la transformation post-soviétique, thèse de doctorat, Université Paris X – Nanterre, 2005.

• David Gaüzere, Les Kirghizes et la Kirghizie à l’époque contemporaine. La construction d’un État-nation, thèse de doctorat, Université de Bordeaux 3, 2006.

© Assemblée nationale

1 Pour le programme de la semaine, cf. annexe 1.

2 Il a été remplacé deux semaines plus tard par le colonel Holt, ainsi qu’il nous l’avait annoncé.

3 6 370 vols et 189 000 hommes au cours des douze derniers mois selon une dépêche AP du 23 juin.

4 Alexandre Kilievitch, English-Russian glossary of terms and concepts in policy analysis, public administration and public economics, Bichkek, University of Central Asia, 2009, 484 p.

5 Pour en savoir plus sur l’action de la Commission en Asie centrale, on peut se reporter au site www.delkaz.ce.europa.eu.