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N° 910

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 27 mai 2008.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,

FAMILIALES ET SOCIALES

En conclusion des travaux de la mission
sur
la pénibilité au travail

ET PRÉSENTÉ

par M. Jean-Frédéric Poisson,

Député.

___

TOME I

RAPPORT

INTRODUCTION : QUELQUES PRINCIPES DE TRAVAIL 9

1. Méthode de travail 9

a) Etablir un état des lieux le plus complet possible 9

b) Réfléchir de manière prospective 10

c) Proposer des axes forts de travail, et pas des conclusions fermées 10

2. Principes politiques 11

a) Respecter l’esprit de la loi du 31 janvier 2007 et le travail des partenaires sociaux 11

b) Veiller à ne pas solliciter abusivement les finances publiques 11

c) Ne pas reconstruire des régimes spéciaux de retraite 12

I.- LE CONSTAT 13

A. LE CONTEXTE SOCIO-ÉCONOMIQUE ET SANITAIRE DU TRAVAIL 13

1. Morbidité et espérance de vie des travailleurs 13

a) Les accidents du travail 14

b) Les maladies professionnelles 18

c) L’espérance de vie des travailleurs 21

d) Comparaison européenne sur l’impact du travail sur la santé 24

2. Les attentes en matière de pénibilité 25

3. Les difficultés dans les relations sociales 28

4. Les constats 31

B. L’ÉTAT DU DROIT EN MATIÈRE DE PÉNIBILITÉ 32

1. La notion de pénibilité dans le droit français 32

2. L’article 12 de la loi du 21 août 2003 relatif à la pénibilité 38

a) Le dispositif initialement proposé par l’Assemblée nationale 38

b) Le dispositif proposé par le Sénat 40

c) Le dispositif définitif retenu par la commission mixte paritaire 41

3. L’article 18 de la loi du 21 août 2003 relatif à la cessation anticipée d’activité 41

4. Le déroulement des négociations interprofessionnelles sur la pénibilité 43

II.- LA NOTION DE PÉNIBILITÉ 47

A. LA PEINE ET LE TRAVAIL : APPROCHE SÉMANTIQUE 47

B. LA DÉFINITION DE LA NOTION 49

1. Une définition en droit social est-elle possible ? 49

2. Les définitions présentées à la mission d’information 51

3. La proposition du rapporteur 54

C. DISTINGUER LA PÉNIBILITÉ DE NOTIONS PROCHES 56

1. Pénibilité et risque professionnel 56

2. Pénibilité et travaux ou métiers dangereux 57

3. Pénibilité, astreintes et contraintes 58

4. Pénibilité, violence et harcèlement 59

D. LES DIFFÉRENTES CATÉGORIES DE PÉNIBILITÉ ET LEURS EFFETS 61

1. La pénibilité physique et ses effets 62

a) L’existence de contraintes physiques 62

b) Le rythme ou la cadence de travail imposés 65

c) L’exposition à des agents toxiques 66

2. La pénibilité psychique ou mentale et ses effets 67

3. La pénibilité relationnelle 73

4. La pénibilité subjective ou vécue et la pénibilité objective 74

5. La pénibilité réductible et la pénibilité irréductible 75

E. LES CAUSES DE LA PÉNIBILITÉ 76

1. La nature des travaux 77

2. L’environnement du travail 78

3. La subjectivité liée aux personnes 78

F. LES CRITÈRES IDENTIFIANT LA PÉNIBILITÉ 79

1. Les critères liés à l’accomplissement de l’activité professionnelle 80

a) Les travaux nécessitant des efforts physiques importants 82

b) Les travaux obéissant à un rythme atypique ne respectant pas les caractéristiques physiologiques humaines 85

c) Les travaux s’effectuant dans un environnement agressif 89

d) Les travaux s’exerçant sous une pression psychologique excessive 95

2. Les critères liés à la morbidité ou à l’espérance de vie 99

III.- AGIR POUR LA PRÉVENTION DE LA PÉNIBILITÉ 101

A. LES ATTENTES DES PARTENAIRES SOCIAUX EN MATIÈRE DE PRÉVENTION DE LA PÉNIBILITÉ 102

B. LA SITUATION ACTUELLE 103

C. LES PROPOSITIONS DU RAPPORTEUR : 8 MESURES DE PRÉVENTION 109

1. Organiser une campagne nationale de prévention, ciblée et phasée (Proposition 1) 109

a) La nécessité d’une campagne ciblée 109

b) S’inspirer de l’exemple britannique de la Social Exclusion Unit 110

c) Une campagne d’action pragmatique et participative 111

2. Renforcer la formation de l’encadrement aux questions liées à la pénibilité et aux conditions de travail (Proposition 2) 112

3. Renforcer la présence et le rôle des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (Proposition 3) 114

a) Les attributions des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail 114

b) Renforcer la présence et l’action des CHSCT en matière de prévention de la pénibilité 117

c) La question des comités professionnels territoriaux 119

4. Inciter à l’aménagement et l’adaptation des postes de travail en vue de réduire la pénibilité au travail par une défiscalisation totale des dépenses engagées à cette fin (Proposition 4) 120

5. Réformer le document unique de prévention et d’évaluation des risques professionnels (Proposition 5) 121

a) Le cadre réglementaire du document unique 121

b) Réformer le document unique 124

6. Généraliser la gestion prévisionnelle des carrières afin d’accompagner l’évolution des parcours professionnels (Proposition 6) 125

7. Renforcer le rôle des intervenants locaux et des réseaux d’expertise extérieurs aux entreprises en doublant le budget annuel du réseau ANACT-ARACT (Proposition 7) 127

a) Le réseau ANACT-ARACT 127

b) Développer les interventions de terrain 128

8. Réformer la médecine du travail (Proposition 8) 129

IV.- LA COMPENSATION DE LA PÉNIBILITÉ 141

A. LA COMPENSATION FINANCIÈRE 141

B. LA GESTION DES FINS DE CARRIÈRE 142

1. Les dispositifs en vigueur en matière de préretraite et de cessation anticipée d’activité 143

a) Les différents types de préretraite ou cessation anticipée du travail 146

b) La fixation du montant des allocations de préretraite 150

c) Le financement des préretraites 152

d) Le régime d’imposition fiscale et sociale des préretraites 154

e) Le régime de sécurité sociale applicable aux préretraités du FNE 157

2. Les dispositifs en vigueur en matière de retraite anticipée 158

a) La retraite anticipée pour carrière longue dans le secteur privé 160

b) La retraite anticipée pour carrière longue dans la fonction publique 162

c) La retraite anticipée des travailleurs handicapés 162

3. Les revendications en matière de cessation anticipée d’activité ou de préretraite au titre de la pénibilité 164

a) Les conditions d’éligibilité au dispositif 165

b) Le financement du dispositif 166

3. L’appréciation du rapporteur 166

C. LES REVENDICATIONS EN MATIÈRE DE DROITS À PENSION DE RETRAITE 167

1. La demande des représentants des salariés 167

2. La demande des représentants des employeurs 168

3. L’appréciation du rapporteur 168

D. LA TRAÇABILITÉ INDIVIDUELLE DES PÉNIBILITÉS 169

1. Les propositions des partenaires sociaux : le « curriculum laboris » et le « carnet de santé au travail » 169

2. Etudier la mise en place du curriculum laboris (Proposition 9) 173

a) La mise en place d’un curriculum laboris est une bonne idée … 173

b) … mais difficilement réalisable en pratique 173

c) Proposition 9 : un calendrier d’étude et de mise en place 174

E. POUR UN TRAITEMENT COHÉRENT ET ÉQUITABLE DES SITUATIONS DE PÉNIBILITÉ 175

1. Les principes généraux d’une compensation de la pénibilité 175

2. L’égalisation des temps de retraite ne peut pas être un principe de décision 175

3. Le dispositif choisi doit rechercher l’équilibre entre l’exercice du métier et la prise en compte des situations personnelles 177

4. Privilégier l’aménagement de la fin de carrière à la cessation anticipée d’activité 177

F. OUVRIR LA POSSIBILITÉ D’UNE RÉDUCTION DE TEMPS DE TRAVAIL EN FIN DE CARRIÈRE OU D’UN DÉPART ANTICIPÉ À LA RETRAITE (PROPOSITION 10) 178

1. Associer la carrière et l’état de santé personnel 178

2. Réduire le temps de travail en fin de carrière 178

3. Permettre aux travailleurs ne pouvant plus travailler correctement de prendre une retraite anticipée 179

4. Estimation du coût de la proposition 10 180

V.- CONCLUSION GÉNÉRALE 185

RAPPEL DES PROPOSITIONS PRÉSENTÉES DANS LE RAPPORT 187

CONTRIBUTION PRESENTÉE PAR MM. RÉGIS JUANICO, JEAN MALLOT ET ALAIN NÉRI, MEMBRES DE LA MISSION APPARTENANT AU GROUPE SOCIALISTE, RADICAL, CITOYEN ET DIVERS GAUCHE 193

CONTRIBUTION PRESENTÉE PAR MME MARTINE BILLARD, MEMBRE DE LA MISSION APPARTENANT AU GROUPE DE LA GAUCHE DÉMOCRATE ET RÉPUBLICAINE 199

TRAVAUX DE LA COMMISSION 205

TOME 2 : ANNEXES

– Annexe n° 1 : Composition de la mission

– Annexe n° 2 : Liste des personnes auditionnées à Paris, Helsinki et Madrid

– Annexes n° 3 : Synthèses validées des auditions de la mission et contributions remises par les personnes auditionnées

– Annexe n° 4 : Compte rendu du déplacement à Helsinki

– Annexe n° 5 : Compte rendu du déplacement à Madrid

– Annexe n° 6 : Liste des principaux rapports, études et synthèses publiés en France en langue française depuis 2003 sur la pénibilité au travail

– Annexes nos 7 à 10 : Textes (documents de travail) des propositions d’accord sur la pénibilité soumis à la négociation interprofessionnelle nationale :

– Annexe n° 7 : proposition du patronat du 17 juin 2005

– Annexe n° 8 : proposition du patronat du 26 septembre 2007

– Annexe n° 9 : proposition du patronat du 21 mars 2008

– Annexe n° 10 : proposition de la CGT de septembre 2006

– Annexe n° 11 : Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) – La prévention de la pénibilité, état des lieux (note pour la rencontre interprofessionnelle du 3 mai 2007)

– Annexe n° 12 : Texte de l’accord-cadre européen sur le stress au travail du 8 octobre 2004, avec les commentaires de M. Yves Lasfargue

– Annexe n° 13 : Article sur la surveillance épidémiologique des troubles musculo-squelettiques publié dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire n° 44-45/2005 du 15 novembre 2005

– Annexe n° 14 : « Plus de trois établissements sur quatre déclarent évaluer les risques professionnels », étude de la DARES (Premières Synthèses Informations n° 09.3 de mars 2007)

– Annexe n° 15 : « La double peine des ouvriers », article d’Emmanuelle Cambois, Caroline Laborde et Jean-Marie Robine (INED, Population et sociétés n° 441 de janvier 2008)

– Annexe n° 16 : « Ergodistrib – Agir ! », guide de prévention des risques établi par le Centre interservices de santé et médecine du travail en entreprises (CISME) pour le compte de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD) : exemples de grilles d’observation et recommandations de prévention.

INTRODUCTION

QUELQUES PRINCIPES DE TRAVAIL

Alors que se profilent, dans les semaines et mois qui viennent, des rendez-vous sociaux très importants pour notre pays, la question de la pénibilité se retrouve au centre d’un grand nombre d’enjeux.

Au point de départ, la mission avait été constituée pour traiter un des aspects centraux inscrits dans la loi sur les retraites adoptée par le Parlement en 2003, et qui faisait de cette question un des enjeux majeurs de la « clause de revoyure » prévoyant de nouveaux débats et de nouvelles décisions en 2008. Nous y sommes.

Mais si la pénibilité a effectivement fait l’objet de nombreux travaux et d’intenses négociations pour préparer les échéances de cette année, s’il est confirmé (était-ce nécessaire ?) que le lien entre pénibilité et fin de carrière/départ en retraite est très étroit, il n’en reste pas moins que cette question concerne en fait quasiment tous les aspects de l’organisation du travail et de l’entreprise : depuis la formation professionnelle initiale jusqu’à la prise en charge des travailleurs soumis à la pénibilité dans le cadre des fins de carrière. 

Au fur et à mesure de nos travaux, nous avons touché du doigt une réelle préoccupation de tous les acteurs (représentants salariaux et patronaux, chercheurs, médecins, enseignants, etc.) pour cette question, dont les aspects multiples rendent la circonscription difficile.

C’est la raison pour laquelle il a paru nécessaire au rapporteur de préciser, avant d’entrer dans le contenu du travail lui-même, les principes de travail et de méthode qui ont guidé la mission afin d’être en mesure de présenter les conclusions qui suivent.

1. Méthode de travail

a) Etablir un état des lieux le plus complet possible

En installant la mission, le président-rapporteur a proposé aux membres de la mission que celle-ci travaille en sollicitant le plus grand nombre possible d’acteurs, de tous horizons, afin de n’exclure de la réflexion aucun (ou en tous cas le moins possible) des aspects de cette question éminemment complexe.

Cette volonté de n’omettre aucun aspect important explique le nombre inhabituel, et la grande diversité des personnes auditionnées.

Il n’a évidemment pas été possible d’être exhaustif, et si la mission a pu entendre de très nombreux représentants d’une grande diversité de métiers et de domaines professionnels, elle n’a pu bien sûr rencontrer l’intégralité des branches professionnelles concernées par le sujet. Le rapporteur a considéré que la diversité des personnes rencontrées a permis à la mission d’avoir une vision très complète de l’état des lieux et des propositions portées par les différents acteurs.

De plus, il est apparu nécessaire de proposer également une information précise sur les questions liées plus ou moins directement à la pénibilité au travail : cette intention explique la présence dans le rapport d’un grand nombre de données statistiques sur la santé au travail et ses conséquences.

b) Réfléchir de manière prospective

Les grandes mutations que nous connaissons sur le plan socio-économique doivent conduire à aborder ces questions avec un souci de prospective, en prenant en compte les évolutions qui se dessinent, et non pas seulement la réalité que nous connaissons aujourd’hui.

La mission a été encouragée dans cette attitude par l’expression de l’ensemble des acteurs rencontrés : leur volonté de trouver une solution, même si elle ne s’est pas si facilement incarnée dans les résultats des négociations entre les partenaires sociaux, nous a amenés à évoquer le traitement de la pénibilité dans l’avenir.

Il a cependant fallu imaginer des dispositifs valables pour les temps qui viennent, sans oublier la situation des travailleurs aujourd’hui déjà concernés par la pénibilité et ses conséquences, même si le sujet que nous traitons est censé produire des effets dans un délai de plusieurs dizaines d’années (ne serait-ce que pour les personnes qui entrent en ce moment sur le marché du travail).

Les nombreuses dispositions qui seront prochainement soumises au Parlement et aux partenaires sociaux (formation professionnelle, représentativité des syndicats, emplois des seniors) auront également un impact sur la pénibilité au travail : sans préjuger du contenu de ces textes futurs, le rapporteur a souhaité dans une certaine mesure anticiper sur leur mise en place, en considérant que si certaines des propositions ne peuvent pas entrer pleinement en vigueur en l’état actuel des choses, la lente évolution que notre société connaît sur ces sujets devrait en permettre à terme l’efficacité attendue.

c) Proposer des axes forts de travail, et pas des conclusions fermées

Tout comme les chercheurs et les partenaires sociaux, la mission s’est heurtée à la difficulté de définir la notion de pénibilité. Cette définition est pourtant nécessaire : il est en effet inenvisageable de faire entrer dans notre droit et dans nos systèmes de solidarité des mesures conditionnées par le fait d’avoir subi lourdement la pénibilité au travail sans être capable de dire ce qu’elle est.

Cette définition n’est pas aisée. Elle est plutôt pratique que théorique. Elle prend également en compte le caractère évolutif de la notion, celui-ci dépendant en effet très largement des conditions générales de travail dans une société donnée et à un moment donné.

C’est pourquoi certaines des propositions du rapport nécessitent des compléments, et doivent faire l’objet de discussions ultérieures : elles présentent des axes de travail, des orientations, dont les modalités doivent être soumises à nouveau à l’échange entre les partenaires sociaux. Du reste, l’efficacité des mesures prises dépendra largement des échanges ultérieurs : cette question de la pénibilité étant pour une grande part liée à des enjeux de nature culturelle, son traitement efficace et durable réclame des échanges constants entre tous ceux qui en ont la charge.

2. Principes politiques

a) Respecter l’esprit de la loi du 31 janvier 2007 et le travail des partenaires sociaux

A l’heure où ce rapport est publié, il demeure probable que les négociations entre les partenaires sociaux entamées depuis de nombreux mois n’auront pas abouti. Cet échec, que chacun souhaite temporaire, renforce l’importance des travaux de la mission, tout en la plaçant devant la nécessité de solliciter à nouveau les partenaires sociaux, peut-être non plus sur les principes du traitement de la pénibilité, mais éventuellement sur les modalités de mise en place des systèmes de traitement et de prise en charge. Ainsi par exemple, les dispositions qui concernent les aménagements de fin de carrière, si le législateur peut en décider le principe, doivent-elles être décidées dans leurs modalités de mise en place par les partenaires sociaux eux-mêmes, et probablement au sein des branches concernées.

Nous sommes donc en face d’une situation nouvelle, une sorte d’aller-retour entre les partenaires sociaux et le Parlement, le second devant prendre le relais des premiers lorsque les négociations n’aboutissent pas, et leur « repasser le témoin » pour la mise en place des dispositifs éventuellement choisis. Sans qu’évidemment le présent rapport ait quelque force législative que ce soit, c’est du moins l’esprit qui l’anime.

b) Veiller à ne pas solliciter abusivement les finances publiques

Le rapporteur a pris acte de l’état des finances publiques, et s’est attaché dans ses propositions à ne pas les solliciter au-delà de ce que réclame la justice.

Ainsi, dans la mesure où la pénibilité au travail demeure dans l’immense majorité des cas une des conditions d’exercice du contrat, lui-même essentiellement lié au métier de l’entreprise, il a paru équitable de proposer que soient sollicitées ensemble la contribution des entreprises et la solidarité nationale.

En effet, le but de ce rapport étant de proposer des solutions ou des dispositifs applicables, et donc supportables par tous, il n’était pas souhaitable de recourir uniquement, systématiquement et d’une manière déraisonnable à une augmentation des dépenses publiques.

c) Ne pas reconstruire des régimes spéciaux de retraite

Par souci de justice, le rapporteur n’a pas donné suite aux demandes présentées par certaines organisations syndicales et d’autres personnes auditionnées, visant à rétablir, sous une forme ou sous une autre, des cessations anticipées d’activité ou des régimes spéciaux de retraite. C’est en effet à partir de l’état de santé des personnes qu’il convient de traiter la question de la pénibilité, et non pas à partir de seuls éléments statutaires.

Par ailleurs, la mise en place de tels dispositifs pour traiter la pénibilité aurait sans doute pour conséquence une moindre préoccupation apportée à la prévention de la pénibilité et, plus généralement, à toutes les questions liées à la santé au travail.

Ce sont les deux raisons pour lesquelles le rapporteur, au terme des auditions, a adopté ces positions de principe.

En revanche, une mesure d’équité ouvrant une possibilité de retraite anticipée aux travailleurs usés par la pénibilité et qui ne sont pas en mesure, compte tenu de leur état physique, de bénéficier d’une mesure d’aménagement de leur temps de travail doit être étudiée.

I.- LE CONSTAT

La pénibilité au travail est un sujet récent de débat public et pourtant, la notion décrit une situation qui n’est pas nouvelle ; elle renvoie à la conception du travail qu’une société se fait, à la place de l’homme dans le processus productif et à l’équilibre acceptable entre les sacrifices individuels consentis pour la collectivité par la fourniture de sa force productive et la satisfaction des besoins individuels et familiaux procurée par le travail.

L’appréciation de la pénibilité est donc évolutive et variable. M. Philippe Askenazy, économiste, directeur de recherche au CNRS, estime que « les métiers que l’on désignait comme très pénibles sont plutôt en phase de déclin. Mais il existe des métiers émergents qui sont porteurs de pénibilités objectives ».

La pénibilité s’apprécie aujourd’hui en effet de plus en plus difficilement sur la base d’éléments objectifs, ce qui explique en grande partie les difficultés des négociations interprofessionnelles en cours depuis 2005. Naguère, la pénibilité résultait du constat d’atteintes portées à l’intégrité physique du travailleur ; elle était culturellement acceptée par la collectivité qui, grâce à la possibilité de procéder à des constats objectifs, intervenait en réparation. Aujourd’hui, les chercheurs ont mis en évidence la gravité des atteintes psychiques, qui sont également globalement reconnues par les partenaires sociaux. Cette forme nouvelle de pénibilité met en lumière la dématérialisation croissante du travail et rend très difficile son objectivation.

La pénibilité est aujourd’hui devenu un thème « à la mode ». Chacun en discute, ce qui est une bonne chose. Mais on finit par voir de la pénibilité partout et toutes les difficultés liées à l’organisation du travail, même si elles sont intrinsèques à la profession, finissent par être désignées comme des facteurs de pénibilité (précarité du contrat de travail, incertitudes nées du contexte économique, bruit créé par une classe d’enfants, plaintes continuelles des clients dans les commerces de détail, odeurs des usines de transformation alimentaire, etc.). Sur ce plan, la réflexion sur la pénibilité conduit à s’interroger sur ce qui est supportable par un individu.

L’ensemble de ces « portes d’entrée » dans le sujet explique la diversité des éléments de constat présentés ci-après.

A. LE CONTEXTE SOCIO-ÉCONOMIQUE ET SANITAIRE DU TRAVAIL

1. Morbidité et espérance de vie des travailleurs

Une enquête de l’INSEE réalisée en mars 2002 auprès de 38 384 personnes âgées de 15 à 64 ans représentatives des individus en âge de travailler avait montré que 20 % de ces personnes signalant un problème de santé l’attribuaient à leur travail, ce taux atteignant 40 % lorsqu’il s’agissait de problèmes de dos ou de membres. Les ouvriers et les agriculteurs étaient les deux catégories socioprofessionnelles à établir le lien le plus fort entre leurs problèmes de santé et leur travail passé ou actuel.

Une étude de la direction de l’animation, de la recherche et des statistiques du ministère chargé du travail (DARES), publiée en mars 2007 et reproduite en annexe du présent rapport, indique qu’à la question « qu’est-ce qui vous gêne pour vous investir dans votre travail ? », 44 % des salariés (53 % des ouvriers) des établissements de vingt salariés ou plus se disent « un peu » ou « tout à fait » gênés par leurs conditions de travail. Cette préoccupation vient après le manque de reconnaissance et la faiblesse des rémunérations mais avant l’ambiance de travail et l’insécurité de l’emploi.

Les absences consécutives aux accidents du travail diminuent mais le nombre de déclaration de maladies professionnelles augmente.

Les données relatives aux accidents du travail et aux maladies professionnelles permettent d’avoir une première approche sur la santé des travailleurs. C’est dans ce but que le rapport expose les principales statistiques disponibles en la matière.

Le rapporteur souligne toutefois que le traitement de la pénibilité au travail ne saurait relever de la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la sécurité sociale ou être assimilé au traitement des accidents du travail et des maladies professionnelles.

a) Les accidents du travail

En 2006, la branche des accidents du travail et maladies professionnelles de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAMTS) a indemnisé 1,4 million d’accidents du travail. Parmi ces accidents près de 700 000 ont donné lieu à un arrêt de travail. A l’échelon national, on compte environ quarante accidents du travail avec arrêt de travail pour mille salariés. Ce pourcentage, appelé « indice de fréquence », est globalement en baisse constante depuis 1950. Le nombre d’accidents du travail déclarés et reconnus a diminué de plus d’un tiers entre 1970 et 2000 mais en 2005 et 2006, il s’est légèrement accru.

Evolution du nombre d’accidents du travail depuis 1950 (secteur privé)

Source : Caisse nationale d’assurance maladie, direction des risques professionnels, mission statistique

Nombre d’accidents du travail avec arrêt dans le secteur privé

 

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

Nombre d’accidents du travail avec arrêt

689 859

+ 4,8 %

711 035

+ 3,1 %

743 435

+ 4,6 %

737 499

– 0,8 %

759 980

+ 3,0 %

721 227

– 5,0 %

692 363

– 4,0 %

699 217

+ 1,0 %

700 772

+ 0,2 %

Nombre d’accidents avec incapacité permanente

47 071

+ 3,3 %

46 085

– 2,1 %

48 096

+ 4,4 %

43 078

– 10,4 %

47 009

+ 9,0 %

48 774

+ 3,8 %

51 789

+ 6,2 %

51 938

+ 0,3 %

46 596

– 10,3 %

Nombre de décès

719

+ 4,2 %

743

+ 3,3 %

730

– 1,7 %

730

0,0 %

686

– 6,0 %

661

– 3,6 %

626

– 5,3 %

474

– 24,3 %

537

+ 13,3 %

Indice de fréquence

nd

nd

44,0

42,8

43,0

40,9

39,5

39,1

39,4

Source : Caisse nationale d’assurance maladie, direction des risques professionnels, statistiques technologiques

Nombre d’accidents du travail avec arrêt par secteurs d’activité du secteur privé

 

Salariés

AT avec arrêt

AT-IP

Jours IP

Décès

IF

TF

TG

IG

Métallurgie

1 940 259

78 602

5 677

3 308 032

46

40,5

24,7

1,04

16,84

BTP

1 487 269

126 945

9 498

6 706 925

158

85,4

53,4

2,82

48,48

Transports, eau, gaz, électricité, livre, communication

1 956 229

94 268

6 460

5 162 154

108

48,2

30,9

1,69

23,36

Alimentation

2 208 774

119 413

6 189

5 462 407

42

54,1

33,8

1,55

16,32

Chimie

476 579

15 613

1 162

722 116

9

32,8

20,5

0,95

14,70

Bois, textiles

597 632

32 252

2 538

1 544 974

37

54,0

33,3

1,60

28,59

Commerce

2 264 816

57 786

3 954

2 920 992

39

25,5

15,9

0,80

10,68

Services I

3 707 066

38 130

2 798

1 694 008

40

10,3

7,2

0,32

5,26

Services II et travail temporaire

3 148 365

137 763

8 320

7 204 994

58

43,8

30,9

1,62

17,56

Total

17 786 989

700 772

46 596

34 726 602

537

39,4

25,7

1,27

17,67

AT : arrêts de travail ; IP : incapacité permanente ; IF : indice de fréquence ; TF : taux de fréquence (nombre d’accidents avec arrêt par million d’heures de travail) ; TG : taux de gravité (nombre de journées perdues par millier d’heures de travail) ; IG : indice de gravité des IP (total des taux d’IP par million d’heures de travail) ; Services I : activités financières, cabinets d’études, assurances, recherche, administrations, accueil à domicile ; Services II : professions de santé, vétérinaires, action sociale, organisations sociales et économiques, services aux personnes, nettoyage.

Source : Caisse nationale d’assurance maladie, direction des risques professionnels, statistiques technologiques

Les dernières statistiques disponibles en matière d’accidents du travail et de maladies professionnelles dans la fonction publique d’Etat portent sur l’année 2004.

Nombre d’accidents du travail avec arrêt dans la fonction publique d’Etat

 

1999

2000

2001

2002

2003

2004

Nombre d’accidents du travail avec arrêt

35 113

36 960

+ 5,3 %

30 876

– 16,5 %

32 382

+ 4,9 %

36 680

+ 13,0 %

35 502

– 3,2 %

Nombre de décès (travail et trajet)

65

69

+ 6,2 %

66

– 4,3 %

61

– 7,6 %

45

– 26,0 %

36

– 20,0 %

Source : direction générale de l’administration et de la fonction publique

Dans la fonction publique hospitalière, on a recensé en 2004 29 464 accidents du travail ayant entraîné un arrêt de travail, soit une baisse de 6 % par rapport à 2003 (31 392 accidents). Le taux de fréquences de ces accidents (nombre d’accidents avec arrêt par million d’heures de travail) est tombé à 25,4, soit une valeur équivalente à celle du secteur privé.

La direction de l’animation de la recherche et des statistiques du ministère chargé du travail (DARES) donne les indications suivantes sur le lien entre accident du travail et conditions de travail.

ACCIDENTS ET CONDITIONS DE TRAVAIL
(PREMIÈRES SYNTHÈSES INFORMATIONS N° 31.2 D’AOÛT 2007)

« DES CONDITIONS DE TRAVAIL DIFFICILES S’ACCOMPAGNENT SOUVENT D’UN RISQUE ACCRU D’ACCIDENT. C’EST PRINCIPALEMENT LE CAS DU BRUIT : 9 % DES SALARIÉS SOUMIS À UN BRUIT NOCIF POUR L’AUDITION (NIVEAU SONORE DE PLUS DE 85 DBA OU AVEC DES CHOCS OU IMPULSIONS PENDANT PLUS DE 20 HEURES PAR SEMAINE) ONT CONNU UN ACCIDENT AVEC ARRÊT. UN BRUIT INTENSE ET PERMANENT PEUT CONTRIBUER À RELÂCHER LA VIGILANCE OU À EMPÊCHER LA PERCEPTION D’UN DANGER. LES NUISANCES THERMIQUES OCCASIONNÉES PAR LE PROCESSUS DE PRODUCTION, NOTAMMENT LE TRAVAIL DANS LE FROID, SONT ELLES AUSSI ASSOCIÉES À DES ACCIDENTS NOMBREUX.

« LES EFFORTS PHYSIQUES FAVORISENT ÉGALEMENT LA SURVENUE D’ACCIDENTS, NOTAMMENT LE FAIT DE MANIPULER DES CHARGES PLUS DE 10 HEURES PAR SEMAINE. LES SALARIÉS QUI CONDUISENT SUR LA VOIE PUBLIQUE SUBISSENT EUX AUSSI DES ACCIDENTS PLUS FRÉQUENTS (6,2 %), ET PLUS PARTICULIÈREMENT LES CHAUFFEURS ROUTIERS (7,1 %).

« LES SALARIÉS EXPOSÉS À DES PRODUITS CHIMIQUES NE SONT PAS PLUS SOUVENT VICTIMES D’ACCIDENTS DU TRAVAIL, TOUTES CHOSES ÉGALES PAR AILLEURS : LES RISQUES PORTENT SOUVENT DAVANTAGE SUR LES EFFETS DIFFÉRÉS DE CES PRODUITS. EN REVANCHE, L’EXPOSITION À DES AGENTS BIOLOGIQUES ACCROÎT LE RISQUE D’ACCIDENT.

« LES SALARIÉS EXPOSÉS AU TRAVAIL SUR ÉCRAN PLUS DE 20 HEURES PAR SEMAINE SONT MOINS SUJETS AUX ACCIDENTS, MÊME À CATÉGORIE SOCIOPROFESSIONNELLE IDENTIQUE : UN TRAVAIL SÉDENTAIRE AU BUREAU EXPOSE MOINS À CE TYPE DE RISQUE.

« PARMI LES POSTURES FATIGANTES DÉCLARÉES À L’ENQUÊTE, POSITION DEBOUT OU PIÉTINEMENT PROLONGÉS, DÉPLACEMENTS À PIED FRÉQUENTS OU GESTES RÉPÉTITIFS PLUS DE 20 HEURES PAR SEMAINE, SEULE LA PREMIÈRE ACCROÎT DE FAÇON SIGNIFICATIVE LE RISQUE D’ACCIDENT. EN REVANCHE, TRAVAILLER DANS L’UNE DES POSTURES DITES "PÉNIBLES" (TRAVAIL À GENOU, BRAS EN L’AIR OU DANS D’AUTRES POSITIONS FORCÉES, PLUS DE DEUX HEURES PAR SEMAINE) RENFORCE LA PROBABILITÉ D’AVOIR UN ACCIDENT DU TRAVAIL AVEC ARRÊT. MAIS, C’EST LE CUMUL DES CONTRAINTES POSTURALES OU ARTICULAIRES SUBIES QUI ENTRAÎNE LES EFFETS LES PLUS NÉFASTES.

« LES SALARIÉS EXPOSÉS À DES CONTRAINTES DE RYTHME LIÉES À DES AUTOMATISMES (DÉPLACEMENT AUTOMATIQUE D’UN PRODUIT OU D’UNE PIÈCE, CADENCE AUTOMATIQUE D’UNE MACHINE) SONT PLUS SOUVENT VICTIMES D’ACCIDENTS QUE CEUX SOUMIS À DES CONTRAINTES LIÉES À LA DEMANDE DES CLIENTS. TOUTEFOIS, IL S’AGIT SURTOUT D’UN EFFET DU CONTEXTE INDUSTRIEL ET DE SES CARACTÉRISTIQUES (MÉTIERS DES SALARIÉS ET ENVIRONNEMENT DE TRAVAIL) : TOUTES CHOSES ÉGALES PAR AILLEURS, LES CONTRAINTES LIÉES AUX MACHINES NE MAJORENT PAS DE FAÇON SIGNIFICATIVE LE RISQUE D’ACCIDENT.

« EN REVANCHE LA PRESSION DES COLLÈGUES PEUT JOUER : LES SALARIÉS QUI DISENT QUE LEUR RYTHME DE TRAVAIL DÉPEND DE CELUI DES COLLÈGUES, ONT CONNU DAVANTAGE D’ACCIDENTS, « TOUTES CHOSES ÉGALES PAR AILLEURS ». IL EN VA DE MÊME POUR LE TRAVAIL DANS L’URGENCE : LES SALARIÉS QUI DÉCLARENT DEVOIR TOUJOURS SE DÉPÊCHER SONT PLUS SOUVENT ACCIDENTÉS, TOUT COMME CEUX QUI DOIVENT CHANGER DE POSTE EN CAS D’URGENCE OU POUR SUPPLÉER L’ABSENCE D’UN COLLÈGUE, OU CEUX DONT LES HORAIRES SONT IMPRÉVISIBLES OU IRRÉGULIERS.

« TRAVAILLER AU CONTACT AVEC LE PUBLIC N’EST PAS EN SOI UN FACTEUR D’ACCIDENT DU TRAVAIL. EN REVANCHE, LES SALARIÉS QUI SIGNALENT VIVRE TOUJOURS OU SOUVENT DES TENSIONS AVEC LE PUBLIC RISQUENT NETTEMENT PLUS SOUVENT D’ÊTRE ACCIDENTÉS, TOUTES CHOSES ÉGALES PAR AILLEURS, QUE LES AUTRES.

« SELON LA LITTÉRATURE THÉORIQUE, DISPOSER DE MARGES DE MANœUVRE DANS SON TRAVAIL PEUT RÉDUIRE LES RISQUES D’ATTEINTE À LA SANTÉ, NOTAMMENT D’ACCIDENT DU TRAVAIL. EN EFFET, LES PERSONNES PEUVENT ALORS CHOISIR LE MODE DE TRAVAIL LE PLUS ADAPTÉ POUR PRÉSERVER LEUR SANTÉ. IL EST VRAI QUE LES SALARIÉS QUI DISPOSENT DE FAIBLES MARGES DE MANOEUVRE DANS LEUR TRAVAIL SONT PLUS SOUVENT ACCIDENTÉS. NÉANMOINS, TOUTES CHOSES ÉGALES PAR AILLEURS, CE FACTEUR NE SEMBLE PAS JOUER DE RÔLE DÉTERMINANT DANS LA SURVENUE D’UN ACCIDENT. CE CONSTAT EST CONFIRMÉ QUAND ON UTILISE, POUR DÉCRIRE LES MARGES DE MANOEUVRE, NON PLUS LES INFORMATIONS FOURNIES PAR LE MÉDECIN DU TRAVAIL ENQUÊTEUR, MAIS CELLES QUE DONNE LE SALARIÉ LUI-MÊME DANS L’AUTOQUESTIONNAIRE OÙ IL DÉCRIT SON RESSENTI DU TRAVAIL.

« L’EXISTENCE D’UN SOUTIEN DE LA PART DES SUPÉRIEURS ET DES COLLÈGUES EST UN FACTEUR DE PROTECTION DE LA SANTÉ. LES ACCIDENTS DU TRAVAIL SONT EN EFFET PLUS FRÉQUENTS POUR LES SALARIÉS QUI NE PEUVENT PAS DISCUTER AVEC LEUR CHEF EN CAS DE « DÉSACCORD SUR LA FAÇON DE FAIRE LEUR TRAVAIL ». DE LA MÊME FAÇON, LES SALARIÉS QUI DÉCLARENT NE « PAS AVOIR UN NOMBRE DE COLLÈGUES SUFFISANT POUR EFFECTUER CORRECTEMENT LEUR TRAVAIL », ONT EU PLUS D’ACCIDENTS QUE LES AUTRES. IL PEUT AUSSI DANS CE CAS S’AGIR DE L’EFFET D’UNE SURCHARGE DE TRAVAIL DUE À DES EFFECTIFS INSUFFISANTS. »

b) Les maladies professionnelles

Les maladies professionnelles déclarées, constatées et reconnues dans le secteur privé et entraînant un arrêt de travail connaissent, quant à elles, une très forte croissance depuis vingt ans.

Evolution du nombre de maladies professionnelles avec arrêt de travail dans le secteur privé

 

2002

2003

2004

2005

2006

Maladies professionnelles réglées

31 461

34 642

+ 10,1 %

36 871

+ 6,4 %

41 347

+ 12,1 %

42 306

+ 2,3 %

Maladies professionnelles avec incapacité permanente (IP)

 

15 713

19 155

+ 21,9 %

21 507

+ 12,3 %

22 763

+ 5,8 %

Décès

410

485

+ 18,3 %

581

+ 19,8 %

493

– 15,1 %

467

– 5,3 %

Source : Caisse nationale d’assurance maladie, direction des risques professionnels, statistiques technologiques

Répartition des maladies professionnelles réglées en 2006

Comités techniques nationaux (CTN)

Maladies professionnelles (MP)

MP avec IP

Jours d’incapacité temporaire

Décès

Métallurgie

5 093

2 743

872 140

26

BTP

3 431

1 661

652 226

11

Transports, eau, gaz, électricité, livre, communication

1 425

690

312 186

3

Alimentation

6 190

2 034

1 314 765

1

Chimie

1 438

671

276 539

5

Bois, textiles

2 419

1 293

495 729

8

Commerce

1 262

637

255 565

2

Services I

1 088

473

195 283

1

Services II et travail temporaire

3 409

1 270

672 139

0

Total des CTN

25 755

11 472

5 046 572

57

Hors CTN

16 551

11 291

2 488 486

410

Total France

42 306

22 763

7 535 058

467

Source : Caisse nationale d’assurance maladie, direction des risques professionnels, statistiques technologiques

La hausse du nombre de maladies reconnues et indemnisées est due en grande partie à une meilleure reconnaissance des droits du salarié. Celle-ci s’est traduite par l’inscription de nouvelles pathologies au tableau des maladies professionnelles et par une plus grande sensibilisation du corps médical à l’origine, éventuellement professionnelle, de certaines pathologies. Ainsi, les affections articulaires causées par certains gestes et postures de travail et celles provoquées par les poussières d’amiante constituent désormais les deux premières causes de reconnaissance des maladies professionnelles.

Pour l’essentiel, l’augmentation du nombre de maladies professionnelles constitue le reflet du développement de la reconnaissance des troubles musculo-squelettiques (TMS) qui sont retracés dans le tableau ci-après sous les rubriques affections péri-articulaires (maladie répertoriée sous le n° 57 dans le tableau des maladies professionnelles), affections dues aux vibrations (maladie n° 69), les lésions chroniques du ménisques (maladie n° 79) et lombalgies (maladies nos 97 et 98). En 2006, 32 500 cas de TMS ont été indemnisés par la CNAMTS au titre de la maladie professionnelle ; les TMS représentaient 7 millions de journées d’arrêt de travail, soit 710 millions d’euros de dépenses sociales (entièrement financées par les cotisations des entreprises). Selon tous les experts et la CNAMTS, ces données épidémiologiques sont sous-évaluées car 10 à 25 % seulement des cas de TMS seraient déclarées à l’assurance maladie.

Répartition des principales maladies professionnelles par affections
(indemnisations pour arrêt de travail)

 

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

Nombre de maladies

20 695

24 220
+ 17,0 %

31 461
+ 29,9 %

34 462
+ 9,5 %

36 871
+ 7,0 %

41 347
+ 12,1 %

42 306
+ 2,3 %

Nombre de TMS (maladies nos 57, 69, 79, 97 et 98)

15 302

18 436
+ 20,5 %

24 199
+ 31,3 %

26 794
+ 10,7 %

28 048
+ 4,7 %

31 441
+ 12,1 %

32 518
+ 3,4 %

Part des TMS dans le total

73,9 %

76,1 %

76,9 %

77,7 %

76,1 %

76,0 %

76,9 %

08 Affections dues aux ciments

173

0,8 %

202

0,8 %

190

0,6 %

199

0,6 %

147

0,4 %

160

0,4 %

111

0,3 %

25 Pneumoconiose (silice)

236

1,1 %

235

1,0 %

293

0,9 %

281

0,8 %

307

0,8 %

288

0,7 %

320

0,8 %

30 Poussières d’amiante

2 564

12,4 %

2 984

12,3 %

3 939

12,5 %

4 366

12,6 %

4 831

13,1 %

5 715

13,8 %

5 864

13,9 %

30 bis Cancers dus à l’amiante

346

1,7 %

370

1,5 %

555

1,8 %

652

1,9 %

818

2,2 %

821

2,0 %

867

2,0 %

42 Affections dues aux bruits

613

3,0 %

494

2,0 %

543

1,7 %

632

1,8 %

980

2,7 %

1 198

2,9 %

1 126

2,7 %

57 Affections péri-articulaires

13 104

63,3 %

15 912

65,7 %

21 126

67,1 %

23 672

68,3 %

24 848

67,4 %

28 278

68,4 %

29 379

69,4 %

65 Allergies eczématiformes de mécanisme allergique

296

1,4 %

304

1,3 %

365

1,2 %

364

1,1 %

351

1,0 %

351

0,8 %

315

0,7 %

66 Affections respiratoires de mécanisme allergique

255

1,2 %

255

1,1 %

322

1,0 %

309

0,9 %

315

0,9 %

292

0,7 %

259

0,6 %

69 Affections par vibrations dues à des machines-outils

165

0,8 %

172

0,7 %

167

0,5 %

187

0,5 %

185

0,5 %

182

0,4 %

161

0,4 %

79 Lésions chroniques du ménisque

98

0,5 %

171

0,7 %

231

0,7 %

254

0,7 %

292

0,8 %

299

0,7 %

316

0,7 %

97 Affections chroniques rachis lombaires (vibrations)

384

1,9 %

383

1,6 %

424

1,3 %

421

1,2 %

410

1,1 %

422

1,0 %

411

1,0 %

98 Affections chroniques rachis lombaires (port de charges lourdes)

1 551

7,5 %

1 798

7,4 %

2 251

7,2 %

2 260

6,5 %

2 313

6,3 %

2 260

5,5 %

2 251

5,3 %

Source : Caisse nationale d’assurance maladie, direction des risques professionnels, statistiques technologiques

c) L’espérance de vie des travailleurs

Les enquêtes de l’INSEE sur la santé et les soins médicaux fournissent, par croisement avec l’échantillon démographique permanent, des données précises sur l’espérance de vie des travailleurs selon leur catégorie socioprofessionnelle. L’espérance de vie est calculée à l’âge de 35 ans.

Évolution de l’espérance de vie à 35 ans de 1984 à 1999

(espérances de vie en années)

 

Hommes

Femmes

1976-1984

1983-1991

1991-1999

1976-1984

1983-1991

1991-1999

Cadres supérieurs

41,5

43,5

46

47,5

49,5

50

Professions intermédiaires

40,5

41,5

43

46,5

48

49,5

Exploitants agricoles

40,5

41,5

43,5

45,5

47

48,5

Artisans, commerçants, chefs d’entreprise

39,5

41

43

46

47,5

49

Employés

37

38,5

40

45,5

47,5

48,5

Ouvriers

35,5

37,5

39

44,5

46,5

47

Inactifs non retraités

27,5

27,5

28,5

44,5

45,5

47

Ensemble

38

39

41

45

46,5

48

Ecart cadres / ouvriers

+ 6 ans

+ 6 ans

+ 7 ans

+ 3 ans

+ 3 ans

+ 3 ans

Source : Institut national d’études démographiques (INED). Champ : France métropolitaine.

Les dernières données datent de 2003 (enquête décennale de santé de l’INSEE de 2002-2003). Elles ont été synthétisées dans le Bulletin mensuel n° 441 de janvier 2008 (La « double peine » des ouvriers : plus d’années d’incapacité au sein d’une vie plus courte) publié par l’Institut national d’études démographiques (INED). Cette étude son indique qu’en 2003, un ouvrier de 35 ans de sexe masculin avait une espérance de vie totale sans incapacité de 40,9 ans alors qu’un employé avait une espérance de vie de 42,1 ans, un homme exerçant une profession indépendante de 44,4 ans, un exploitant agricole de 45,3 ans, un membre d’une profession intermédiaire de 44,8 ans et un cadre supérieur de 46,6 ans. Cette statistique montre déjà une réduction – ou, à tout le moins un arrêt de la croissance – de l’écart d’espérance de vie entre les ouvriers et les cadres qui, après avoir atteint sept années en 1999 (arrondi du tableau ci-dessus), est redescendu à 6,7 ans en 2003. Pour les femmes, les écarts sont moins importants : une ouvrière de 35 ans avait une espérance de vie sans incapacité de 48,6 ans, une employée de 49,4 ans, une femme exerçant une profession indépendante ou étant exploitante agricole de 50,1 ans, une membre d’une profession intermédiaire de 49,8 ans et une cadre supérieure de 50,9 ans. Ce bulletin est reproduit en annexe 15 du rapport.

Le tableau ci-après distingue l’espérance de vie d’une personne de 35 ans selon qu’elle est ou non affectée d’une incapacité au cours des années qui lui restent à vivre. L’incapacité est appréciée au regard des limitations fonctionnelles sensorielles et physiques (existence de difficultés même en utilisant des corrections pour voir, entendre, marcher, se pencher, utiliser ses mains et ses doigts, etc.). L’occurrence des incapacités s’accroît avec l’âge ; elles prennent de plus en plus d’importance dans la détermination de l’espérance de vie du fait de l’accumulation des pathologies. A 60 ans, un homme peut espérer encore vivre 21 années, dont seulement la moitié sans aucune incapacité. Si les femmes ont une espérance de vie plus longue, à partir de 60 ans elles passeront plus d’années avec des incapacités que sans incapacité.

Les différences d’espérance de vie retracées dans le tableau ci-après s’accroissent donc avec l’âge. A 60 ans, contrairement aux cadres supérieurs, les ouvriers et les ouvrières peuvent s’attendre à vivre en moyenne davantage d’années en étant affectés d’une incapacité que d’années sans incapacité. En outre, leurs incapacités seront probablement plus graves que celles dont seront atteints les cadres.

Par ailleurs, les statistiques montrent que si l’espérance de vie s’accroît, un écart important entre les espérances de vie des ouvriers et des cadres supérieurs se maintient, même si cet écart s’est légèrement réduit en 2003.

Espérance de vie à 35 ans en 2003

(Espérances de vie en années)

 

Part dans la popu-lation

Difficultés dans les activités de soin personnel
(incapacité de type III)

Problèmes sensoriels et physiques
(incapacité de type I)

Espérance de vie totale
(en années)

(b)

 

Avec

Sans
(a)

Rapport (a/b)

Avec

Sans
(a)

Rapport (a/b)

 

Hommes à 35 ans

Cadres supérieurs

16 %

2,1

44,5

96 %

12,6

34,0

73 %

46,6

Professions intermédiaires

21 %

2,4

42,4

95 %

14,0

30,8

69 %

44,8

Exploitants agricoles

6 %

2,9

42,4

94 %

16,3

29,0

64 %

45,3

Artisans, commerçants, chefs d’entreprise

10 %

2,5

41,9

94 %

14,3

30,1

68 %

44,4

Employés

10 %

3,1

39,0

93 %

13,7

28,4

67 %

42,1

Ouvriers

34 %

3,4

37,5

92 %

16,5

24,4

60 %

40,9

Inactifs non retraités

3 %

8,7

21,7

71 %

19,9

10,5

35 %

30,4

Ensemble

100 %

3,0

39,8

93 %

15,1

27,7

65 %

42,8

Ecart cadres / ouvriers

 

– 1,3

+ 7

 

– 3,9

+ 9,6

 

+ 5,7

Femmes à 35 ans

Cadres supérieurs

8 %

4,4

46,5

91 %

15,5

35,4

70 %

50,9

Professions intermédiaires

14 %

4,4

45,4

91 %

17,7

32,1

65 %

49,8

Exploitants agricoles

5 %

6,2

43,9

88 %

20,7

29,4

59 %

50,1

Artisans, commerçants, chefs d’entreprise

5 %

5,3

44,8

89 %

18,4

31,7

63 %

50,1

Employés

35 %

5,0

44,4

90 %

20,5

28,9

59 %

49,4

Ouvriers

12 %

6,1

42,5

87 %

21,8

26,8

55 %

48,6

Inactifs non retraités

21 %

5,6

41,1

88 %

21,2

25,5

55 %

46,7

Ensemble

100 %

5,3

43,5

89 %

20,0

28,8

59 %

48,8

Ecart cadres / ouvriers

 

– 1,7

+ 4

 

– 6,3

+ 8,6

 

+ 2,3

Nota : Les incapacités de type I touchent un tiers des Français de métropole de 35 ans ou plus et celles de type III 4,5 % de la population métropolitaine âgée de 35 ans ou plus.

Lecture : À 35 ans, un homme peut encore espérer vivre 42,8 ans et une femme 48,8 ans. Un homme de 35 ans peut, sur ses 42,8 années d’espérance de vie, espérer encore vivre 27,7 ans sans incapacité de type I et 15,1 ans avec une incapacité de type I.

Source : Institut national d’études démographiques (INED), Population et Sociétés n° 441 de janvier 2008, calculs d’Emmanuelle Cambois, Caroline Laborde et Jean-Pierre Robine. Champ : France métropolitaine.

d) Comparaison européenne sur l’impact du travail sur la santé

La quatrième enquête européenne sur les conditions de travail de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (« Fondation de Dublin »), rendue publique le 27 juin 2007, fournit les données épidémiologiques suivantes sur l’impact du travail sur la santé en Europe (enquête auprès de 29 680 travailleurs dans 31 pays, questionnés en face à face, à leur domicile, à la fin de l’année 2005).

Impact du travail sur la santé en Europe

(pourcentage de réponse affirmative)

 

UE27

UE15

DK

DE

FR

NL

PL

FI

UK

Santé ou sécurité menacée à cause du travail

28,6

25,2

23,2

18,0

23,1

22,6

47,3

24,3

19,1

Travail affecte la santé

35,4

30,6

44,2

23,7

26,9

24,9

65,3

42,5

20,8

Problèmes d’audition

7,2

5,9

6,1

4,8

4,4

3,8

16,4

11,6

2,6

Problèmes d’yeux ou de vue

7,8

5,4

2,1

3,4

6,9

2,0

22,9

7,6

1,7

Problèmes de peau

6,6

5,3

5,9

5,0

4,4

3,4

12,5

10,7

2,7

Maux de dos

24,7

21,1

23,1

18,8

21,6

13,8

45,8

26,2

10,8

Maux de tête

15,5

13,1

15,9

12,0

11,9

8,7

27,6

15,7

7,0

Douleurs d’estomac

5,8

4,9

5,3

4,2

6,4

2,7

9,6

5,2

1,4

Douleurs musculaires

22,8

19,4

30,0

14,8

18,8

15,6

43,9

32,8

9,4

Difficultés respiratoires

4,7

3,5

2,5

1,9

3,2

3,9

8,4

6,9

2,7

Maladies de coeur

2,4

1,4

0,8

1,4

1,5

1,3

6,9

1,9

0,1

Blessure(s)

9,7

8,3

6,3

8,2

9,1

4,8

17,3

8,4

3,5

Stress

22,3

20,2

26,7

16,0

18,3

16,2

34,9

25,4

11,8

Fatigue générale

22,5

17,8

16,8

11,3

20,1

14,8

48,8

21,5

9,1

Problèmes d’insomnie

8,7

7,6

9,6

4,4

9,1

6,9

11,8

13,1

5,9

Allergies

4,0

3,2

3,1

2,3

3,7

2,5

8,2

7,4

0,8

Anxiété

7,8

7,9

2,0

1,5

10,8

2,6

5,6

6,6

6,1

Irritabilité

10,5

10,3

14,4

5,4

11,4

9,6

8,8

14,8

6,2

Faire le même travail à 60 ans

58,2

61,0

68,8

73,6

48,6

72,1

43,6

65,2

63,5

Absence pour des raisons de santé

22,9

23,5

32,9

28,2

19,4

33,7

19,9

44,7

22,6

Moyenne de jours d'absence pour des problèmes de santé au cours de l’année précédente

4,6

4,5

6,6

3,5

5,5

8,6

5,5

8,5

3,7

Source : quatrième enquête européenne de la Fondation de Dublin.

2. Les attentes en matière de pénibilité

Plusieurs chercheurs comme M. Michel Gollac à l’École des hautes études en sciences sociales, M. Serge Volkoff au Centre de recherches et d’études sur l’âge et les populations (CREAPT), Mme France Lert aujourd’hui directrice de l’unité Santé publique et épidémiologie des déterminants professionnels et sociaux de la santé de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) ou Mme Ellen Imbernon aujourd’hui responsable du département santé travail de l’Institut de veille sanitaire (InVS) ont étudié depuis le milieu des années 1980 la pénibilité au travail. Pour autant, les responsables politiques, syndicaux et du monde de l’entreprise n’ont pris conscience du problème qu’au début des années 2000. Les débats sur le projet de loi de réforme des retraites ont, en fait, constitué la première manifestation politique de la prise en compte du phénomène, et mis sur la place publique la question de la pénibilité au travail. A l’issue des débats, le législateur a confié aux partenaires sociaux la mission de définir, au plan interprofessionnel, la notion et les axes d’une prise en compte de la pénibilité.

Les attentes étaient multiples :

– maintenir dans l’emploi les travailleurs âgés qui sont écartés du marché du travail en raison de leur usure physique ou mentale accélérée par des facteurs de pénibilité ;

– améliorer, d’une manière générale, les conditions de travail ;

– améliorer la prise en compte et le suivi des questions de santé des travailleurs ;

– améliorer, par une réduction de la pénibilité, la productivité des entreprises et l’attractivité de certaines branches d’activité.

Plus récemment, avec l’ouverture de la négociation interprofessionnelle, est apparue une attente nouvelle dans sa forme d’expression : rétablir une certaine équité à l’endroit de « travailleurs » (1) âgés usés par la pénibilité des métiers qu’ils ont exercés et dont l’espérance de vie se trouve réduite par rapport à la moyenne. Cette attente s’est traduite par une demande d’égalisation du temps passé en retraite entre tous les travailleurs, et donc d’un avancement de l’âge de départ en retraite des travailleurs usés par la pénibilité au travail. Cette demande est relativement nouvelle ; elle n’avait pas été exprimée lors des débats sur le projet de loi portant réforme des retraites en 2003.

La question de la pénibilité pose des difficultés particulières tenant à la conjonction de plusieurs facteurs introduisant chacun une complexité dans le traitement de la question :

– le débat repose sur une notion qui n’est définie ni en droit ni en science sociale ;

– le traitement de la pénibilité conduit à appréhender l’ensemble des conditions de travail, ce qui conduit à mettre en débat des pans entiers du droit du travail (horaires et rythme du travail, médecine du travail, règles de sécurité, etc.) et de la sécurité sociale (accidents du travail et maladies professionnelles, cessation anticipée du travail, préretraite, conditions de liquidation d’une pension de retraite, etc.).

– les effets de la pénibilité ne peuvent être exactement évalués sans prendre en compte les situations individuelles, y compris extraprofessionnelles (mode de vie, habitudes de santé, hygiène, accès aux soins, conditions de vie, etc.) des travailleurs ;

– les effets de la pénibilité peuvent n’être observables que sur le très long terme, parfois même après la cessation d’activité du travailleur ;

– la pénibilité est multifactorielle : elle conduit à une dégradation de l’état de santé d’un travailleur souvent par une accumulation dans le temps de différents facteurs de pénibilité ;

– les compétences devant être mobilisées pour parvenir à un traitement global de la question de la pénibilité au travail sont imbriquées : Parlement, ministère du travail, ministère chargé de la santé, partenaires sociaux (interprofession, branches professionnelles, entreprises), médecine du travail, inspection du travail, etc.

– l’existence de multiples acteurs, compétents sans être explicitement en charge de la question (employeur, médecin du travail, comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, inspection du travail, caisses régionales d’assurance maladie,…), est facteur de déresponsabilisation ;

– l’existence de multiples réseaux d’expertise ou de recherche
– notamment l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) et son réseau des ARACT, l’Institut de veille sanitaire (InVS), l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (AFSSET), le Centre de recherches et d’études sur l’âge et les populations au travail (CREAPT), le Centre interservices de santé et médecine du travail en entreprises (CISME), l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (IRDES), l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), le Conservatoire national des arts et métiers, les caisses régionales d’assurance maladie, la Mutualité sociale agricole – permet de disposer d’études scientifiques précises mais disperse les références en la matière : on peut d’ailleurs s’interroger sur la réalité de l’action de certaines instances d’expertise comme le Conseil supérieur de protection des risques professionnels qui se réunit une fois par an pour prendre connaissance du bilan de l’action de l’État en matière de prévention des risques professionnels ;

– l’état d’avancement très variable du traitement de la question selon les branches et les entreprises.

La mission juge néanmoins légitimes les attentes exprimées en matière de pénibilité. Trois orientations majeures doivent être mises en relief :

– la volonté de compenser des situations professionnelles manifestement injustes ;

– l’impact de plus en plus connu des conditions de travail sur la santé à long terme et donc sur le temps passé en retraite et les conditions de vie en retraite ;

– la forte montée des exigences relatives à l’amélioration des conditions de travail face à la croissance du nombre de maladies professionnelles, des cas de stress, voire de suicides sur les lieux de travail, de la croissance préoccupantes des troubles musculo-squelettiques, etc. ;

Compte tenu de la dimension multifactorielle de la pénibilité au travail, les partenaires sociaux ont craint « d’ouvrir la boîte de Pandore » en décidant de prendre en compte la pénibilité dans l’organisation du travail et les systèmes sociaux.

Cette crainte est fondée puisque la pénibilité conduit à mettre en question quasiment tous les aspects de la vie au travail, notamment l’organisation du travail, l’aménagement des postes de travail, les méthodes de management, les règles relatives à la santé et la sécurité au travail, et à poser la question de la responsabilité des employeurs ainsi que des structures administratives chargées du contrôle de la santé des travailleurs et du travail dans les entreprises. Elle conduit également à mettre en cause l’insuffisance de la réglementation sur la protection de la santé, et à impliquer les systèmes de sécurité sociale au travers des mécanismes de traitement des accidents du travail, des maladies professionnelles, des préretraites ou cessations anticipées d’activité, voire des règles de liquidation des pensions de vieillesse. Les dimensions droit du travail et droit de la sécurité sociale sont en effet imbriquées puisque si un travailleur est usé par la pénibilité, c’est que la prévention de la pénibilité sur les lieux de travail a échoué et que la prise en charge par la sécurité sociale apparaît comme la seule issue pour compenser l’atteinte irréversible à la santé subie par ce travailleur.

3. Les difficultés dans les relations sociales

L’examen des questions relatives à la pénibilité ne peut être détaché de l’évolution des conditions de travail en France. Or, depuis une dizaine d’années, celles-ci connaissent une évolution très sensible qui a conduit à aggraver certains phénomènes de pénibilité.

Alors que certaines formes de pénibilité commençaient à être prises en compte par les entreprises et des branches d’activités très touchées par le phénomène (essentiellement des facteurs de pénibilité physique résultant d’efforts musculaires, de tâches répétitives et d’exposition à des produits toxiques ou à un environnement difficile), les conditions de travail ont évolué et ont fait apparaître ou ont accru les facteurs de pénibilité :

– le contexte concurrentiel a accru l’incertitude sur l’avenir des entreprises, générant ainsi un stress nouveau parmi les salariés ;

– les exigences nouvelles de rentabilité ont conduit à imposer une efficacité accrue dans le travail, donc un rendement plus élevé ; la direction de l’animation de la rechercher, des études et des statistiques (DARES) du ministère chargé de l’emploi constate cependant que « l’intensification du travail marque le pas : en 2005, 48 % des salariés déclarent devoir se dépêcher "toujours ou souvent" dans le travail, soit quatre points de moins qu’en 1998 » (2) ; toutefois, la DARES souligne que « le travail s’intensifie à tout âge : les contraintes techniques ou marchandes se sont fortement diffusées pour toutes les générations entre 1984 et 1998. Seules exceptions, les générations 1929-33 et 1924-28, qui ont plus de 57 ans en 1991 » (3) ; on peut légitimement penser que cette état de fait se vérifiera dans l’enquête sur les conditions de travail de 2005 ;

Une pause dans l’intensification du travail

(en %)

 

Années

Cadres

Professions intermédiaires

Employés administratifs

Employés de commerce et de services

Ouvriers qualifiés

Ouvriers non qualifiés (dont agricoles)

Ensemble

Devoir toujours ou souvent se dépêcher

1998
2005

57,7
54,3

53,3
49,8

50,6
45,6

48,4
45,2

51,5
46,4

49,2
43,9

51,8
47,9

Devoir fréquemment abandonner une tâche pour une autre plus urgente

1991
1998
2005

55,2
59,3
66,5

52,4
60,7
66,5

52,6
62,8
66,3

49,0
53,1
54,6

42,0
51,1
51,1

36,2
40,9
41,8

48,1
55,7
59,5

Changer de poste en fonction des besoins de l’entreprise

1991
1998
2005

12,2
10,7
8,8

17,5
18,7
15,7

23,5
23,2
18,8

19,9
19,7
15,6

29,9
33,0
28,6

32,5
35,3
30,7

22,8
23,2
18,7

— —

Avoir un rythme de travail imposé par des normes ou des délais de production à respecter en une heure au plus

1984
1991
1998
2005

2,1
9,6
15,5
16,8

3,2
13,7
21,6
23,6

2,7
12,8
17,3
17,5

2,9
13,1
16,5
19,1

8,6
23,8
37,1
40,5

10,6
22,1
30,8
37,3

5,2
16,2
23,2
25,0

Avoir un rythme de travail imposé par une demande extérieure à satisfaire immédiatement

1984
1991
1998
2005

35,0
52,6
59,3
56,5

31,6
54,7
62,4
61,7

36,4
58,7
63,5
60,9

43,1
56,9
56,1
54,8

18,9
30,5
43,2
43,1

7,9
17,3
29,1
27,9

28,3
45,8
54,0
53,2

Être en contact avec le public

1991
1998
2005

72,7
69,5
72,3

73,6
72,9
75,3

66,8
68,0
73,5

80,8
78,7
83,0

41,7
44,1
54,0

25,2
27,2
30,4

60,7
62,3
68,3

dont : vivre des situations de tensions avec le public (parmi les salariés en contact avec le public)

1991
1998
2005

39,1
53,6
45,7

37,8
55,2
48,9

36,6
48,8
45,3

34,9
44,5
39,2

25,7
36,6
29,5

20,3
26,0
21,8

34,4
47,7
41,9

Vivre des situations de tension avec ses supérieurs hiérarchiques

1998
2005

34,6
29,1

34,9
30,1

30,4
26,7

26,7
23,5

32,9
29,3

25,5
22,5

31,5
27,5

Vivre des situations de tension avec ses collègues

1998
2005

28,3
21,5

25,9
22,4

22,2
19,2

24,0
21,0

20,7
17,8

18,6
17,5

23,5
20,3

Lecture : en 1998, 57,7 % des cadres ont déclaré devoir toujours ou souvent se dépêcher, 54,3 % en 2005. Certaines questions n’étaient pas posées en 1984 et 1991.

Source : enquêtes sur les conditions de travail 1984, 199, 1998 et 2005 (champ : salariés) – DARES (Premières Synthèse Informations n° 01.2 de janvier 2007)

– le travail s’est de plus en plus individualisé : ainsi, par exemple, le travail en équipe qui permet de réduire la pénibilité physique comme psychique est de moins en moins vécu comme tel, y compris dans des branches industrielles ; les travailleurs sont évalués sur leurs résultats individuels, isolés et parfois mis en concurrence directe avec leurs collègues de travail. Tout ceci fait peser une charge mentale, nouvelle et inhabituelle dans la culture française, sur le travailleur ;

– le contexte concurrentiel exige des entreprises et des travailleurs une plus grande adaptation aux changements de contextes économiques. Ceci implique une mobilité accrue, l’acceptation de modifications incessantes des agendas, une obligation de multifonctionnalité amenant les salariés à sortir de leurs compétences habituelles, etc. ;

– l’introduction de la semaine de travail de 35 heures a, de l’avis unanime des syndicats et des organisations professionnelles auditionnées, constitué un point de bascule net. Cette disposition a conduit, par les décisions de modification de l’organisation du travail que les entreprises ont pu être amenées à prendre, à dégrader les conditions de travail dans le sens d’une plus grande pénibilité : accroissement de l’intensité du travail (la quantité de travail exigée par l’employeur restant la même malgré la réduction du temps de travail, cette quantité s’étant ensuite accrue par la pression du marché), suppression des pauses, temps des repas réduit, individualisation des plannings, recherche de la maximisation du temps libre qui conduit à accepter des horaires décalés accrus, etc. ;

– les lois sur la réduction du temps de travail sont une des causes de la densification du travail, qui ne laisse quasiment plus de place à l’entretien normal des relations humaines, sans la qualité desquelles – à l’évidence – le travail est plus pénible. Plus de dix ans après la mise en place des premières lois sur les 35 heures, ces dispositions montrent clairement leur limite humaine.

Globalement, si le progrès technique permettait de réduire les facteurs traditionnels et anciens de pénibilité physique, le nouveau contexte économique et les nouvelles organisations du travail ont accru la pénibilité psychique et ont par conséquent retenti sur certains aspects de pénibilité physique, même si dans beaucoup de cas les employeurs ont tenté de compenser les effets de ce contexte sur leurs salariés.

4. Les constats

Il ressort du contexte dans lequel se placent les débats sur la pénibilité au travail quelques constats qui doivent guider le traitement de ces questions au plan national :

– l’accumulation de certaines pénibilités au cours d’une carrière professionnelle a un impact scientifiquement démontré sur l’espérance de vie du travailleur ;

– la progression des sciences (médecine, épidémiologie, ergonomie) permet d’appréhender de manière de plus en plus précise les conditions de travail et de mesurer leurs effets sur la santé des travailleurs (au sens européen du terme) ;

– il existe un consensus parmi les experts sur l’identification des facteurs
– considérés comme objectifs – de pénibilité : port de charges lourdes, rythme et cadence de travail, exposition aux produits toxiques,… (cf. titre II du présent rapport) ;

– beaucoup de branches professionnelles (bâtiment et travaux publics, chimie, métallurgie, distribution,…) connaissent une évolution sensible de leurs conditions de travail permettant, même si beaucoup reste à faire, de réduire certains facteurs de pénibilité connus dans les métiers de leur secteur ;

– les enquêtes épidémiologiques françaises comme européennes montrent que la plupart des métiers sont concernés par les problèmes de pénibilité au travail, y compris ceux qui étaient communément considérés comme n’exigeant pas de réaliser des travaux pénibles (banque, administration, enseignement, recherche scientifique, direction d’entreprise, etc.) ; toutefois les différentes formes de pénibilité ont des effets très variables selon les activités professionnelles en cause et les travailleurs, ce qui nécessite de définir un traitement adapté à chaque situation ;

– les très petites entreprises et les petites et moyennes entreprises posent un problème particulier : sauf rares exceptions, la prévention et le traitement de la pénibilité y sont insuffisamment pris en compte, le plus souvent faute d’interlocuteurs, de moyens et d’information (donc de prise de conscience des enjeux du problème) ;

– les réseaux d’experts existants (ANACT-ARACT, AFPA,…), qui traitent directement ou indirectement les questions de pénibilité, disposent de moyens d’interventions insuffisants eu égard à l’étendue des problèmes, ce qui rend difficile leur réponse aux sollicitations des entreprises ;

– la médecine du travail, qui devrait être au cœur du traitement préventif de la pénibilité, est peu valorisée, pas reconnue et le caractère pédagogique ou préventif de ses interventions est trop rare.

B. L’ÉTAT DU DROIT EN MATIÈRE DE PÉNIBILITÉ

1. La notion de pénibilité dans le droit français

Le terme de « pénibilité » ne figure que dans cinq textes de droit français :

– au I de l’article 12 de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites pour inviter les partenaires sociaux à engager avant le 22 août 2006 une négociation interprofessionnelle afin de définir cette notion et de négocier sa prise en compte (« I. - Dans un délai de trois ans après la publication de la présente loi, les organisations professionnelles et syndicales représentatives au niveau national sont invitées à engager une négociation interprofessionnelle sur la définition et la prise en compte de la pénibilité »). Le II de ce même article a modifié l’article L. 2241-4 du code du travail (alinéa 7 de l’ancien article L. 132-12) pour prévoir que les partenaires sociaux « se réunissent, au moins une fois tous les trois ans à compter de la fin de la négociation prévue au I de l’article 12 de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites, pour négocier sur les conditions de travail et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences des salariés âgés et sur la prise en compte de la pénibilité du travail » ;

– à l’article 18 de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites qui a modifié le régime des préretraites (article L. 5123-6 du code du travail : dernière phrase du dernier alinéa de l’ancien article L. 352-3) afin de lier l’indemnisation versée aux « caractéristiques, notamment à la pénibilité, de l’activité des bénéficiaires » (4) ;

– à l’article D. 4153-4 du nouveau code de travail entrant en vigueur le 1er mai 2008 (ancien article D. 211–3) qui encadre le travail des enfants, notamment pendant les vacances scolaires (5) ;

– à l’article R. 4412-101 du nouveau code de travail (ancien article R. 231–59-4) qui impose à l’employeur d’un travailleur exposé à l’amiante de tenir compte de la pénibilité de chaque tâche pour déterminer la durée maximale du temps de travail, le temps nécessaire aux opérations d’habillage, de déshabillage et de décontamination et le temps consacré aux pauses après le port ininterrompu d’un équipement de protection respiratoire individuelle (6) ;

– à l’article D. 2323-12 du nouveau code de travail (ancien article D. 432-1) qui définit des indicateurs d’analyse de la situation comparée des femmes et des hommes dans l’entreprise (7).

Ce relatif vide juridique est amplifié par le fait qu’aucun texte ne définit la notion de « pénibilité ». Cette situation n’est pas propre à la France : les pays européens, les Etats-Unis et le Canada sont dans la même situation. En Grèce, la loi a certes dressé une liste des professions « pénibles et insalubres » (537 métiers au 1er mars 2008, représentant 32 % de la population active) afin d’ouvrir droit à des avantages en matière de retraite mais la notion ne fait l’objet d’aucune définition et la liste a été établie au cas par cas. Seule l’Italie se serait engagée dans un processus législatif de prise en compte de la pénibilité au travail mais la portée des délibérations parlementaires reste floue. En Suède et en Finlande, pays dont le droit social est pourtant très développé, la notion de pénibilité au travail n’existe pas dans le droit social ; le concept ne fait pas l’objet d’un débat dans la société, en dépit – au moins en Finlande – d’un plan d’action très incitatif visant à favoriser le travail des seniors et d’une très réelle préoccupation portant sur la santé au travail.

En France, M. Franck Héas, maître de conférence à la faculté de droit et de sciences politiques (droit social des affaires) à l’Université de Bretagne-Sud (Nantes), a réalisé un important travail d’analyse juridique de la notion de pénibilité. Ces travaux constituent l’analyse juridique la plus complète existante. Partant du constat que si juridiquement aucune définition de la notion de pénibilité ne figure dans les textes, M. Franck Héas remarque que cette notion transparaît dans de nombreuses lois, règlements ou jurisprudences traitant de situations conceptuellement proches de la pénibilité. Il a ainsi procédé à une analyse des dispositifs de traitement des situations où le travailleur a des difficultés à supporter une prestation de travail. A partir de l’analyse du droit positif français, M. Franck Héas a tenté de dégager les critères d’une définition juridique de la pénibilité au travail.

M. Franck Héas considère que les travaux pénibles doivent être distingués, afin de préserver l’autonomie juridique du concept de pénibilité, des concepts suivants :

– les travaux dangereux qui résultent de circonstances particulières rendant hautement probable la réalisation d’un risque professionnel ;

– le risque professionnel qui désigne un évènement futur plus ou moins éventuel susceptible de causer un préjudice au travailleur ;

– la notion d’emploi actif de la fonction publique qui couvre, aux termes de l’article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite, des emplois présentant un risque particulier ou des fatigues exceptionnelles ;

– la notion de sujétions spéciales de la fonction publique qui ouvrent droit à l’attribution d’avantages spécifiques, notamment financiers, pour compenser des contraintes subies ou des risques encourus dans l’exercice de l’emploi.

Certaines de ces quatre situations peuvent néanmoins concerner des travaux pénibles.

Pour dégager des indicateurs de pénibilité au travail, M. Franck Héas a recensé les dispositifs juridiques traitant de situations qui pourraient a priori illustrer une forme de pénibilité :

– Articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail (ancien article L. 230-2) imposant à l’employeur d’évaluer les risques (8) ;

– Décret n° 2001-1016 du 5 novembre 2001 portant création d’un document relatif à l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs (« document unique ») (9) ;

– Article L. 4111-6 du code du travail (ancien article L. 231–3-3) permettant d’organiser par branche d’activité, en fonction des risques constatés, la limitation progressive des modes de travail par équipes successives, des cadences et des rythmes de travail lorsqu’ils sont de nature à affecter l’hygiène et la sécurité des travailleurs (10) ;

– Articles L. 4141-2 et L. 4141-3 du code du travail (alinéas 1 et 2 de l’ancien article L. 231–3-1) obligeant l’employeur à établir la liste des postes nécessitant une formation renforcée à la sécurité pour les salariés engagés en contrat à durée déterminée ou en intérim (11) ;

Ces éléments tendent à indiquer que les conditions dans lesquelles est accomplie une prestation de travail peuvent renseigner de façon fiable sur le degré de pénibilité d’une profession.

Le code du travail se réfère lui-même à la notion de pénibilité ou de travaux pénibles dans les cas suivants :

– L’ancien article L. 133–5 du code du travail prévoyait : « La convention de branche conclue au niveau national contient obligatoirement, pour pouvoir être étendue, […] des dispositions concernant […] les éléments énumérés ci-dessous du salaire applicable par catégories professionnelles, ainsi que les procédures et la périodicité prévues pour sa révision : […] les majorations pour travaux pénibles, physiquement ou nerveusement, dangereux, insalubres » ; cependant, la recodification de cet article sous l’article L. 2261-22 a conduit à modifier sa rédaction et à faire disparaître la référence aux majorations pour travaux pénibles, dangereux ou insalubres ; cette référence a été inscrite dans le nouvel article D. 2261-2 : « La convention de branche susceptible d'extension peut contenir, sans que cette énumération soit limitative, des stipulations concernant : […] 2° Les conditions générales de rémunération du travail au rendement pour les catégories intéressées, sauf s'il s'agit de travaux dangereux, pénibles ou insalubres ; ».

– Article R. 4541-5 du code du travail (ancien article R. 231–68) : « Lorsque la manutention manuelle ne peut pas être évitée, l’employeur : 1° Evalue les risques que font encourir les opérations de manutention pour la santé et la sécurité des travailleurs ; 2° Organise les postes de travail de façon à éviter ou à réduire les risques, notamment dorso-lombaires, en mettant en particulier à la disposition des travailleurs des aides mécaniques ou, à défaut de pouvoir les mettre en œuvre, les accessoires de préhension propres à rendre leur tâche plus sûre et moins pénible. » ;

– Article D. 2323-12 du code du travail (ancien article D. 432–1) : « Le rapport annuel prévu à l’article L. 2323-57 comporte des indicateurs permettant d'analyser la situation comparée des femmes et des hommes dans l'entreprise et son évolution. Ce rapport comporte également des indicateurs permettant d'analyser les conditions dans lesquelles s'articulent l'activité professionnelle et l'exercice de la responsabilité familiale des salariés. […] I. - Indicateurs sur la situation comparée des femmes et des hommes dans l'entreprise : […] 4. Conditions de travail : Données générales par sexe : […] la pénibilité, dont le caractère répétitif des tâches » ;

– Article D. 4153-4 du code du travail (ancien article D. 211–3) : « L’emploi du mineur ne peut être autorisé que pour des travaux qui n’entraînent, eu égard à l’âge de l'intéressé, aucune fatigue anormale, tant à raison de la nature des tâches à accomplir qu’à raison des conditions dans lesquelles elles doivent être accomplies. Il est notamment interdit d’employer l’intéressé à des travaux répétitifs ou accomplis dans une ambiance ou à un rythme leur conférant une pénibilité caractérisée. ».

De manière moins directe, les dispositifs suivants peuvent être rattachés, selon M. Franck Héas, au concept de pénibilité :

– Les anciens articles R. 711–1 à R. 711-4 du code du travail, non repris dans le nouveau code en vigueur depuis le 1er mai 2008, qui protégeaient les mineurs de dix-huit ans en cas de séjour dans les chantiers souterrains des mines et carrières qui, en raison de leurs caractéristiques naturelles, appellent en permanence l’application de mesures particulières d’hygiène et de sécurité ;

– Le régime de cessation anticipée d’activité de certains travailleurs salariés (CATS) qui concerne des travailleurs ayant été soumis à des conditions de travail pénibles (cf. partie IV du rapport) ;

– L’article 86 de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale (article L. 241-3-1 du code général des collectivités territoriales) qui a créé la carte « station debout pénible » pour les personnes atteintes d’une incapacité inférieure à 80 % ;

En matière de jurisprudence, M. Franck Héas a relevé que « la Cour de cassation fait référence à la notion de pénibilité ou à celle de travaux pénibles sans véritable ligne directrice » :

– Chambre sociale, 10 décembre 1984, Bulletin civil V n° 474 : un transfert de lieu de travail de Fontainebleau à Melun augmentant le temps de trajet du personnel rend plus pénibles ses conditions de travail ;

– Chambre sociale, 12 février 1997, Bulletin civil V n° 58 : « le caractère pénible des tâches accomplies » ne peut pas justifier les différences de traitement entre les hommes procédant à des tâches de chargement et déchargement de charges lourdes, le cas échéant de nuit, et les femmes, exclusivement affectées au tri des champignons ;

– Chambre sociale, 5 décembre 2000, Benedetti c/ Sté Alpes Trophées : des travaux occasionnels de construction d’une villa peuvent être qualifiés de pénibles dès lors qu’ils ont été effectués par un salarié en arrêt maladie suite à un accident du travail et souffrant de lombalgie aiguë ;

– Chambre sociale, 25 octobre 2001, SA Péchiney c/ CPAM : les circonstances pénibles de travail peuvent être à l’origine d’un accident du travail ;

– Chambre sociale, 22 mai 2002, Bousnina c/ SA Lassarat Construction : postérieurement à la réalisation d’un risque professionnel, le médecin du travail peut déclarer un salarié apte à la reprise tout en limitant les charges et postures pénibles ;

– Chambre sociale, 14 novembre 2002, Jurisprudence sociale 2003 n° 668 : un labeur exécuté en position debout, rendant obligatoire le port du casque, imposant des manutentions manuelles et nécessitant pour les salariés la prise d’une collation supplémentaire peut être qualifié de pénible ;

– Chambre sociale, 21 janvier 2003, SA Humeau Bopy : en cas d’avis médical d’inaptitude, l’employeur doit proposer au salarié inapte un poste de reclassement présentant une pénibilité physique inférieure à celle du poste précédent ;

De ces jurisprudences, M. Franck Héas tire la conclusion que « la pénibilité est liée aux conditions de travail, à la dégradation de la santé des travailleurs qui peut en résulter et donc à l’espérance de vie des personnes » ; en fait « la pénibilité renvoie à des situations particulières de travail » : elle n’est pas liée exclusivement aux conditions objectives de travail. « Le concept se caractérise aussi par un élément subjectif, lié à la situation individuelle de la personne fournissant sa prestation de travail dans un tel environnement ».

2. L’article 12 de la loi du 21 août 2003 relatif à la pénibilité

Pour la première fois, en 2003, le Parlement a dans un texte de loi
– l’article 12 de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites – introduit dans le droit français un dispositif s’appuyant explicitement sur la notion pénibilité au travail.

TEXTE DE L’ARTICLE 12 DE LA LOI DU N° 2003-775 DU 21 AOÛT 2003

I. – DANS UN DÉLAI DE TROIS ANS APRÈS LA PUBLICATION DE LA PRÉSENTE LOI, LES ORGANISATIONS PROFESSIONNELLES ET SYNDICALES REPRÉSENTATIVES AU NIVEAU NATIONAL SONT INVITÉES À ENGAGER UNE NÉGOCIATION INTERPROFESSIONNELLE SUR LA DÉFINITION ET LA PRISE EN COMPTE DE LA PÉNIBILITÉ.

II. – L’ARTICLE L. 132-12 DU CODE DU TRAVAIL (12) EST COMPLÉTÉ PAR UN ALINÉA AINSI RÉDIGÉ :

« LES ORGANISATIONS VISÉES AU PREMIER ALINÉA SE RÉUNISSENT, AU MOINS UNE FOIS TOUS LES TROIS ANS À COMPTER DE LA FIN DE LA NÉGOCIATION PRÉVUE AU I DE L'ARTICLE 12 DE LA LOI N° 2003-775 DU 21 AOÛT 2003 PORTANT RÉFORME DES RETRAITES, POUR NÉGOCIER SUR LES CONDITIONS DE TRAVAIL ET LA GESTION PRÉVISIONNELLE DES EMPLOIS ET DES COMPÉTENCES DES SALARIÉS ÂGÉS ET SUR LA PRISE EN COMPTE DE LA PÉNIBILITÉ DU TRAVAIL. »

III. – UN BILAN DES NÉGOCIATIONS VISÉES À L’AVANT-DERNIER ALINÉA DE L’ARTICLE L. 132-12 DU CODE DU TRAVAIL (1) EST ÉTABLI AU MOINS UNE FOIS TOUS LES TROIS ANS À COMPTER DE LA FIN DE LA NÉGOCIATION PRÉVUE AU I DE L'ARTICLE 12 DE LA PRÉSENTE LOI, PAR LA COMMISSION NATIONALE DE LA NÉGOCIATION COLLECTIVE MENTIONNÉE À L'ARTICLE L. 136-1 DU MÊME CODE.

a) Le dispositif initialement proposé par l’Assemblée nationale

L’article 12 de la loi du 21 août 2003 tire son origine de l’adoption par l’Assemblée nationale d’un amendement de M. Xavier Bertrand, rapporteur pour avis, lors de sa troisième séance du 24 juin 2003. Cet amendement modifié par deux sous-amendements a inséré dans le projet de loi un article additionnel 16 ter, ensuite supprimé pour coordination par le Sénat, ainsi rédigé :

« I. – L’article L. 132-12 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les organisations visées au premier alinéa se réunissent pour négocier tous les trois ans sur les conditions de travail des salariés expérimentés, la prise en compte de la gestion prévisionnelle des emplois et le développement des compétences ainsi que sur les conditions particulières de cessation d’activité des salariés ayant accompli des travaux pénibles. »

« II. – Un bilan des négociations visées au dernier alinéa de l’article L. 132-12 du code du travail, en tant qu’elles concernent les conditions particulières de cessation d'activité des salariés ayant accompli des travaux pénibles, sera établi, dans les deux ans suivant la publication de la présente loi, par la commission nationale de la négociation collective mentionnée à l’article L.136-1 du même code. »

La rédaction du premier alinéa de cet article additionnel est issue d’un sous-amendement de MM. Xavier Bertrand, Jacques Barrot, président du groupe UMP, Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, et Bernard Accoyer, rapporteur (13). De même, la rédaction du dernier alinéa a été rectifiée par l’adoption d’un sous-amendement des mêmes auteurs (14).

Comme l’a expliqué M. Xavier Bertrand, rapporteur pour avis, l’ambition de cet article additionnel est de « ranger la pénibilité parmi les thèmes sur lesquels les partenaires sociaux se réunissent de façon régulière ». La périodicité triennale a été déterminée en rapport avec le rythme usuel des cycles de réunion des partenaires sociaux pour les discussions dans les branches professionnelles. Ce rythme triennal est celui prévu par la loi pour la négociation sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (nouvel article L. 2241-3 du code du travail qui recodifie les alinéas 3 à 5 de l’article L. 132-12), sur les conditions de travail et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (nouvel article L. 2241-4 qui recodifie le septième alinéa de l’article L. 132-12), sur les travailleurs handicapés (nouvel article L. 2241-5 qui recodifie le neuvième alinéa de l’article L. 132-12) et sur la formation professionnelle et l’apprentissage (nouvel article L. 2241-6 qui recodifie le premier alinéa de l’article L. 934-2). La pénibilité au travail s’insère donc parfaitement dans l’objet de ces discussions triennales.

Les auteurs des amendements et sous-amendements ont estimé que les partenaires sociaux étaient les mieux à même d’apprécier les critères de pénibilité au travail et de réévaluer ces critères de façon périodique. M. Xavier Bertrand a souligné la souplesse de l’approche proposée, qui est nécessaire pour aborder le thème de la pénibilité qui exige « faire du « sur mesure » pour coller à la réalité des branches et déterminer la façon dont il sera tenu compte de cette pénibilité ».

Cet article 16 ter, ainsi sous-amendé, a été adopté par les députés de la majorité comme de l’opposition par 174 voix pour, deux voix contre et cinq abstentions. Le dispositif de cet article a ensuite été inséré par la commission mixte paritaire dans l’article 8 ter A du projet de loi introduit par le Sénat.

b) Le dispositif proposé par le Sénat

Lors de sa séance du 11 juillet 2003, le Sénat a, quant à lui, adopté un amendement de la commission des affaires sociales qui est à l’origine du dispositif du I de l’article 12 de la loi du 21 août 2003. Le texte de l’article additionnel 8 ter A adopté par le Sénat était ainsi rédigé :

« I. – L’article L. 132-12 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les organisations visées au premier alinéa se réunissent, au moins une fois tous les cinq ans, pour négocier sur les conditions de travail et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences des salariés âgés et sur la prise en compte de la pénibilité au travail. »

« II. – Un bilan des négociations visées au dernier alinéa de l’article L. 132-12 du code du travail est établi, dans les trois ans suivant la publication de la présente loi, par la commission nationale de la négociation collective mentionnée à l’article L. 136-1 du même code. »

La proposition du Sénat élargissait le champ de la négociation sur la pénibilité par rapport à l’approche de l’article 12 du projet de loi (article 18 de la loi du 21 août 2003) qui la limitait à la seule question de la cessation d’activité des salariés ayant exercé des travaux pénibles. Pour la première fois, le Parlement demandait que la négociation interprofessionnelle porte sur la définition de la pénibilité et sa prise en compte tout au long de la carrière et sur les moyens de la limiter.

M. Dominique Leclerc, rapporteur du projet de loi au nom de la commission des affaires sociales du Sénat, a proposé un rythme de négociation quinquennal en justifiant qu’il correspondait à la périodicité de la négociation de branche en matière de formation professionnelle. En fait, la loi prévoit un rythme quinquennal pour la négociation sur les classifications (nouvel article L. 2241-7 du code du travail qui recodifie la fin du premier alinéa de l’article L. 132-12) et l’épargne salariale (nouvel article L. 2241-8 du code du travail qui recodifie le huitième alinéa de l’article L. 132-12). La commission mixte paritaire, sur la proposition de M. Bernard Accoyer, rapporteur pour l’Assemblée nationale, est ensuite revenue à la périodicité triennale.

c) Le dispositif définitif retenu par la commission mixte paritaire

La rédaction définitive de l’article 8 ter A du projet de loi, devenu l’article 12 de la loi du 21 août 2003, a été établie par la commission mixte paritaire qui s’est réunie le 23 juillet 2003. Elle a adopté à l’unanimité un amendement de M. Bernard Accoyer, rapporteur pour l’Assemblée nationale, conduisant à rédiger ainsi cet article :

« I A. – Dans un délai de trois ans après la publication de la présente loi, les organisations professionnelles et syndicales représentatives au niveau national sont invitées à engager une négociation interprofessionnelle sur la définition et la prise en compte de la pénibilité.

« I. – L’article L. 132-12 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les organisations visées au premier alinéa se réunissent, au moins une fois tous les trois ans à compter de la fin de la négociation prévue au I A de l’article 8 ter A de la loi n°....du....portant réforme des retraites, pour négocier sur les conditions de travail et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences des salariés âgés et sur la prise en compte de la pénibilité du travail. »

« II. – Un bilan des négociations visées à l’avant-dernier alinéa de l’article L. 132-12 du code du travail est établi au moins une fois tous les trois ans à compter de la fin de la négociation prévue au I A de l’article 8 ter A de la loi n°....du....portant réforme des retraites, par la commission nationale de la négociation collective mentionnée à l’article L. 136-1 du même code. »

3. L’article 18 de la loi du 21 août 2003 relatif à la cessation anticipée d’activité

Parallèlement, le gouvernement a proposé (article 12 du projet de loi) de recentrer sur les métiers pénibles le dispositif de cessation anticipée d’activité de certains travailleurs salariés (CATS) mis en place par le décret n° 2000-105 du 9 février 2000. Ce dispositif de préretraite est ouvert en exécution d’un accord professionnel national et d’un accord d’entreprise (article L. 352-3 du code du travail). À cette condition, l’État prend en charge une partie du financement des allocations. Le décret n° 2005-58 du 27 janvier 2005 et les arrêtés des 25 et 28 janvier 2005 ont défini les conditions d’application de la mesure (traitement automatisé d’informations nominatives, conditions d’âge, taux de prise en charge).

L’accord de branche définit les conditions d’ouverture du droit à la CATS, les conditions d’âge, le montant de l’allocation et les modalités de son versement et la période pendant laquelle les salariés peuvent adhérer aux mesures de CATS.

L’accord d’entreprise doit organiser une gestion prévisionnelle des emplois, le développement des compétences et l’adaptation à l’évolution de l’emploi pour que l’État intervienne financièrement. L’entreprise doit également avoir fixé une durée de travail de 35 heures hebdomadaires ou une durée qui ne peut excéder 1 600 heures sur l’année lorsqu’elle applique un accord de modulation.

L’accord de branche ou l’accord d’entreprise doit préciser le nombre maximal de bénéficiaires de l’allocation sur la période d’adhésion.

Une convention de gestion doit être conclue entre l’État, l’entreprise et l’organisme chargé de la gestion des CATS qui a été désigné par l’accord professionnel. La signature de cette convention tripartite conditionne l’intervention financière de l’État et la validation gratuite des périodes au titre du régime de base de l’assurance vieillesse et les exonérations de charges sociales.

Pour ouvrir droit à une aide financière de l’État, le salarié doit :

– soit avoir accompli quinze années de travail à la chaîne ou en équipes successives ;

– soit avoir travaillé habituellement plus de 200 nuits par an pendant quinze ans ;

– soit avoir la qualité de travailleur handicapé à la date de signature de l’accord de branche et justifier d’au moins 40 trimestres d’assurance vieillesse au titre d’un régime de salariés.

En outre, le salarié doit :

– avoir adhéré au dispositif au plus tôt à 55 ans et avant 65 ans, l’aide de l’État ne pouvant être versée que lorsqu’il a atteint l’âge de 57 ans ;

– être ou avoir été salarié de l’entreprise de façon continue pendant au moins un an ;

– n’exercer aucune activité professionnelle, mais une reprise d’activité est possible dans les conditions prévues par l’accord professionnel et entraîne en ce cas la suspension de l’aide de l’État ;

– ne pas réunir les conditions pour bénéficier d’une retraite à taux plein ;

– ne pas bénéficier d’une allocation de préretraite totale du Fonds national pour l’emploi (FNE).

Pendant la période d’adhésion au dispositif, le contrat de travail est suspendu, le bénéficiaire ne doit pas exercer d’activité professionnelle, il ne doit pas percevoir d’indemnité de l’assurance chômage ni bénéficier d’une pension de retraite ou d’un avantage de vieillesse.

4. Le déroulement des négociations interprofessionnelles sur la pénibilité

En application du I de l’article 12 de la loi du 21 août 2003, les partenaires sociaux ont tenu, au 14 mai 2008, 16 séances de négociation interprofessionnelle sur la définition et la prise en compte de la pénibilité.

La loi leur a donné un délai de trois ans à compter de la publication de la loi pour engager une négociation interprofessionnelle sur la pénibilité au travail, soit au plus tard le 21 août 2006. Alors que l’importance de la question est reconnue par l’ensemble des partenaires sociaux, ceux-ci ont attendu un an et demi pour se réunir : le 11 février 2005 s’est tenue une première réunion sur la méthode et le calendrier de négociation.

Par la suite, seize (15) séances de négociation ont été tenues aux dates suivantes : 23 février, 12 avril, 21 juin, 27 septembre, 2 novembre et 6 décembre 2005, 31 janvier et 30 mars 2006, 5 juin, 19 juillet, 26 septembre (les séances des 22 octobre et 13 novembre ont été annulées) et 11 décembre 2007, 23 janvier, 6 février, 4 mars et 25 mars 2008.

Parallèlement, les partenaires sociaux ont décidé de dissocier la discussion sur le stress au travail (transposition de l’accord-cadre européen du 8 octobre 2004 – cf. son texte en annexe du rapport –) de la négociation sur la pénibilité mais la première séance de négociation sur le stress prévue le 13 novembre 2007 a été annulée. La négociation sur le stress n’a débuté que le 7 avril 2008. Cette première réunion a été consacrée à la méthode et à la présentation des positions des parties. Lors de la seconde séance du 5 mai la délégation patronale a présenté un avant-projet d’accord interprofessionnel de transposition de l’accord européen du 8 octobre 2004. Deux séances supplémentaires de négociation sont programmées pour les 4 juin et 2 juillet 2008. Les premières difficultés portent sur la définition du stress, sa dimension collective ou individuelle et son lien avec l’organisation du travail, donc la responsabilité des entreprises.

Le calendrier des réunions finales de l’année 2008 sur la pénibilité a été fixé lors de la séance du 11 décembre 2007. L’objectif est de parvenir à un accord avant la tenue du « rendez-vous 2008 » sur les retraites prévu au printemps 2008. La réunion de clôture de la négociation avait initialement été fixée au 25 mars 2008 ; lors de la séance du 4 mars, elle a été repoussée au 21 avril 2008 pour permettre aux partenaires sociaux de disposer d’une séance supplémentaire de négociation. Cependant, quelques jours avant cette dernière date, l’ultime séance de négociation a été repoussée à la fin du mois de mai 2008. La CGT a d’ores et déjà fait savoir que ses représentants ne se rendraient pas à cette dernière séance.

Les partenaires sociaux reconnaissent qu’il s’agit peut-être du plus long processus de négociation interprofessionnelle intervenu depuis plusieurs décennies.

La négociation s’est en effet interrompue pendant un an d’avril 2006 à mai 2007 en raison de l’impasse dans laquelle se trouvaient les partenaires sociaux pour définir la pénibilité, arrêter ses critères, déterminer les modalités d’éligibilité des travailleurs à un dispositif de compensation ou de réparation et définir le financement des mesures. Le 13 avril 2007, les partenaires sociaux se sont à nouveau réunis pour discuter d’un nouveau calendrier de négociation. Le déblocage a été permis par l’action de M. Gérard Larcher, ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle, qui a mis en place un groupe interadministratif piloté par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) afin de doter les partenaires sociaux d’une structure administrative de soutien et d’expertise leur permettant notamment de leur fournir une analyse des dispositifs de compensation et de réparation existant en France aussi bien au titre du droit du travail que de la sécurité sociale ou de l’action sociale. Ce groupe interadministratif de soutien a été piloté par Mme Agnès Jeannet, inspectrice générale de l’IGAS.

Les représentants du patronat (MEDEF, CGPME, UPA), dont la délégation est conduite par M. François-Xavier Clédat, ont présenté un premier projet d’accord lors de la séance du 21 juin 2005, puis une nouvelle mouture lors de la séance du 26 septembre 2007 et lors de la séance du 6 février 2008 (cf. documents en annexe du rapport). La négociation interprofessionnelle s’est basée sur ces documents. La CGT a également présenté un projet d’accord en septembre 2006, remis en forme et présenté lors de la séance du 6 février 2008 (cf. documents en annexe du rapport).

Lors de la séance du 25 mars 2008, la délégation patronale a présenté un nouveau projet d’accord interprofessionnel (cf. document en annexe du rapport). Les organisations syndicales n’ont pas présenté de projet de texte d’accord.

L’absence d’accord – à la mi-mai 2008 – résulte essentiellement de l’affrontement de deux conceptions de la compensation des effets de la pénibilité au travail. D’un côté, le patronat défend un modèle de compensation individualisée que les syndicats considèrent injuste. De l’autre, les syndicats de salariés portent un modèle de compensation collective qui n’est pas accepté par le patronat au motif qu’il ignore les facteurs personnels entraînant un accroissement de la morbidité ou une réduction de l’espérance de vie.

Le rapporteur considère comme fondé l’argument selon lequel les facteurs personnels et privés (hygiène de vie, addictions, etc.) influant sur la santé du travailleur doivent être pris en compte pour apprécier la mise en œuvre d’une mesure de compensation. Dès lors que la pénibilité doit être compensée en raison de la morbidité accrue ou de la réduction d’espérance de vie qu’elle entraîne, la santé du travailleur doit être évaluée globalement pour déterminer la responsabilité des conditions de travail dans cette dégradation.

Néanmoins, la définition de critères collectifs d’éligibilité à un dispositif de compensation est fondée car les chercheurs ont mis en évidence la nocivité
– irréversible passé un certain stade d’accumulation – de certaines formes de pénibilité. En outre, il serait particulièrement injuste de pénaliser deux fois un travailleur qui n’a pas les moyens financiers d’avoir une bonne hygiène de vie en prenant acte de son état sanitaire personnel dégradé et en lui expliquant que la Nation ne peut pas lui accorder de compensation pour la dégradation accrue entraînée par des conditions de travail pénibles.

Le rapporteur avait volontairement reporté la présentation du présent rapport dans l’attente des conclusions de la négociation interprofessionnelle. Un nouveau report ne paraît plus opportun compte tenu du calendrier de l’action gouvernementale tant sur le plan législatif que réglementaire, s’agissant, au moins, de la réforme des retraites et de la promotion de l’emploi des seniors.

II.- LA NOTION DE PÉNIBILITÉ

A. LA PEINE ET LE TRAVAIL : APPROCHE SÉMANTIQUE

Selon le dictionnaire Le Grand Robert de la langue française, la plus ancienne trace du mot « pénibilité » figurant dans un document publié en France est un article de Dauzat publié dans une édition du journal Le Monde de 1952. Ce mot a été construit par dérivation de l’adjectif « pénible ». L’usage s’en est répandu vers 1960 dans le domaine économique pour désigner une activité présentant un caractère plus ou moins pénible, c’est-à-dire procurant peine ou fatigue. Le mot « peine » provient lui-même du latin pœna signifiant réparation ou punition et désignait au XIe siècle les tourments du martyre, comme dans la Chanson de Roland où la première trace du mot est conservée, puis au XIIe siècle la fatigue et la difficulté.

Selon le même dictionnaire, la première trace écrite du mot « pénible » remonte à 1 112 et signifiait alors « qui se fait avec peine, exige un effort, de la fatigue ». Vers 1 165, le mot prend le sens de « qui cause de la peine, de la souffrance, de la douleur » et par extension « qui est difficile à supporter moralement ou est ennuyeux ou met mal à l’aise ».

Les débats lors du vote du projet de loi portant réforme des retraites en 2003 ont mis en lumière la notion de pénibilité au travail (cf. ci-dessus l’historique de l’adoption de l’article 12 de la loi du 21 août 2003). L’expression est depuis cette date devenue d’un usage très courant au point de parfois perdre de vue le sens premier du mot et laisser penser que toute activité productive crée une pénibilité pour celui qui l’accomplit.

Le rapprochement des termes pénibilité et travail n’est pas sans poser question eu égard aux étymologies des deux mots. En effet, le mot « travail » apparaît dans la langue française vers 1 130 selon Le Grand Robert de la langue française, avec deux significations : « état d’une personne qui souffre, qui est tourmentée » et « période de l’accouchement pendant laquelle se produisent les contractions utérines aboutissant à l’expulsion du fœtus ». La première de ces deux significations se transforme rapidement en 1 160 en un synonyme du mot « fatigue ». Dès lors, « travail » et « activité pénible » sont donnés comme ayant le même sens par Le Grand Robert du XIIe au XVIe siècle. Ce n’est qu’à partir du XVe siècle que le mot « travail » prend les sens d’activités humaines de production et d’activités manuelles ou intellectuelles visant à parvenir à un résultat déterminé.

Plusieurs penseurs ou chercheurs auditionnés par la mission ne sont ainsi pas loin de penser que parler de « pénibilité au travail » ou de « pénibilité du travail » constitue un quasi-pléonasme. De nombreux représentants d’organisations syndicales ou professionnelles estiment qu’un nombre croissant de personnes jugent que tout travail productif comporte un aspect de pénibilité et donc que les termes « travail » et « pénibilité » se recouvrent largement.

Contrairement à un lieu commun, la tradition judéo-chrétienne ne considère pas que l’homme est condamné au travail et donc à souffrir pour assurer sa subsistance. Les auditions du Père Jacques Turck, directeur des questions familiales et sociales de la Conférence des évêques de France, et de M. Gilles Bernheim, Grand Rabbin, l’ont confirmé. De même celle de M. Tareq Oubrou, recteur de la mosquée El Huda de Bordeaux et président de l’association Imams de France. M. Gilles Bernheim, Grand Rabbin, a clairement montré que la pénibilité doit être rapportée à l’individu : elle dépend autant de lui que de la fonction qu’il exerce ; elle traduit le degré d’adaptation de l’individu au travail. Comme l’a indiqué à la mission M. Tareq Oubrou, la réflexion majeure doit donc porter sur la « supportabilité » de la peine au travail car une peine n’est en elle-même ni positive ni négative, dans la tradition musulmane comme dans la tradition chrétienne (ainsi que le sous-tend, par exemple, la fable Le meunier, son fils et l’âne de La Fontaine).

Les travaux d’Hannah Arendt, philosophe allemande naturalisée américaine (1906-1975), ont mis en évidence la double origine de la notion de travail qui, dans les langues européennes, possède le plus souvent deux étymologies : ponein et ergazestai en grec, laborare et facere en latin, to labor et to work en anglais, arbeiten et wirken en allemand, etc. (cfLa condition de l’homme moderne, Université de Chicago, 1958). Cette dichotomie du même terme désignant l’activité humaine de production organisée renvoie à l’opposition du « travail » et de « l’œuvre », c’est-à-dire du travail appréhendé, d’une part, sous son aspect de peine, de fatigue et de perte d’autonomie du travailleur et, d’autre part, sous son aspect d’accomplissement de soi, d’expression de la créativité de l’homme et de manifestation du fruit de sa liberté créative ou de son aptitude à transformer la nature et créer des richesses pour la collectivité. Aristote avait ouvert cette voie en opposant praxis et technè.

M. Raphaël Draï, professeur des universités, a expliqué lors de son audition que cette opposition est profondément ancrée dans les civilisations du Livre. L’hébreu oppose le travail matériel d’accomplissement d’une tâche (avoda) et l’œuvre qui présente le travailleur comme sujet (melara). Les Grecs anciens opposaient la pragma (action créatrice en elle-même) et l’ergon (réalisation de la pragma en collectivité). Cette opposition a ancré dans les cultures des sociétés d’inspiration judéo-chrétienne que le travail manuel n’a pas bonne réputation et que la société oppose ceux qui travaillent sans penser et ceux qui pensent sans travailler. L’étymologie du mot travail, qui dérive du bas latin tripalium, qui était un trépied utilisé par les femmes pour accoucher mais également un instrument de torture, n’est que le couronnement de cette approche culturelle.

C’est pourquoi on peut avancer que le travail est certes entaché d’une peine, mais qu’il est également l’expression d’une liberté ou l’instrument de la liberté de l’homme. Pour les chrétiens, il est le moyen par lequel l’homme coopère à l’œuvre du Créateur ; il est une récompense et une rédemption. Max Weber considérait que l’incertitude du salut au-delà de la mort pousse l’homme à chercher dans le travail et la réussite matérielle le signe d’une prédestination positive au salut. Dans cette perspective, même si la peine peut être rattachée au travail, cette pénibilité est largement compensée par la finalité la plus haute du travail : l’accomplissement personnel.

Karl Marx reprend cette approche en distinguant, d’une part, l’œuvre et, d’autre part, l’expression d’une volonté humaine d’autant plus forte qu’elle est contrainte. Cette contrainte pouvant aller jusqu’à se retourner contre elle-même, elle pousse le travailleur à se concentrer sur un objet qui ne le motive pas. Ainsi le travail contraindrait à s’obliger à une activité pénible ou douloureuse qui ne tient pas à la fatigue physique exigée des forces de production mais uniquement à l’absence totale de liberté dans laquelle elle se déroule. Dès lors l’existence d’une peine au travail serait naturelle car elle découlerait du temps contraint qui est consubstantiel du travail organisé. Seul l’exercice libre du travail serait de nature à libérer de cette pénibilité ; on pourrait à cette condition alors parler d’activité de création et non de travail.

Ainsi, si le mouvement spontané de la raison conduit à associer essentiellement le travail et la pénibilité, un très bref examen de l’histoire des idées conduit en revanche à dissocier – au moins dans un premier temps – ces deux notions. Et le fait de leur dissociation constitue une raison supplémentaire, théorique, d’aboutir à une définition de la pénibilité – en plus de la raison d’ordre pratique que constitue l’obligation stricte de définir une notion qui doit entrer davantage encore dans le droit.

B. LA DÉFINITION DE LA NOTION

En dépit des difficultés posées par l’exercice et des objections légitimes qu’il suscite, il est inenvisageable d’introduire dans la loi des droits attachés à la pénibilité sans en établir une définition. C’est d’ailleurs pourquoi le législateur a invité en 2003 les partenaires sociaux à engager une négociation interprofessionnelle pour, notamment, dégager une définition de la pénibilité.

Les partenaires sociaux ont répondu à cette attente et présenté à la mission leur vision de cette notion, rejoints en cela par beaucoup d’autres personnes qui sont intervenues dans cette recherche de définition.

1. Une définition en droit social est-elle possible ?

Parallèlement, de très nombreuses personnes ou organisations ont fait valoir qu’établir une définition générique n’est pas possible. Certaines organisations syndicales (CFDT, Solidaires) ou organismes auditionnés (l’Institut national de la santé et de la recherche médicale – INSERM –, l’Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail – ANACT – qui reprend l’approche d’Yves Struillou et les critères de Gérard Lasfargues, l’Institut de veille sanitaire
– InVS –, M. Philippe Askenazy, économiste, directeur de recherche au CNRS) ont également fait valoir qu’il ne leur appartenait pas d’apporter une définition à cette notion.

M. Thierry Debrand, chercheur économiste à l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES), a indiqué à la mission qu’il ne parvenait pas à définir la pénibilité car celle-ci est une rencontre entre une personne, son histoire et un emploi : la pénibilité est une interaction, ce qui, par parenthèses, constitue déjà un début de définition. Mme Ellen Imbernon, responsable du département santé travail de l’InVS justifie l’absence de définition de la pénibilité car la notion est « individu-dépendante ».

Des responsables d’organismes et des experts reconnus en matière de santé au travail, de droit du travail ou de pénibilité au travail ont fait valoir que la pénibilité est un terme polysémique dont la définition retenue conduit à poursuivre des buts différents dans la politique de lutte contre la pénibilité. Or la notion de pénibilité n’a de sens que si elle conduit à une action (Mme Agnès Jeannet, inspectrice générale des affaires sociales). M. Alexis Triclin, directeur du master Ressources humaines et protection sociale de l’Université de Versailles–Saint–Quentin, a la même analyse. Dès lors, ils concluent qu’une définition générique est impossible.

M. Serge Volkoff, chercheur au Centre de recherches et d’études sur l’âge et les populations (CRAPT) et un des experts français les plus respectés en matière d’analyse de la pénibilité au travail, souligne qu’il faut insister sur le pluriel de « pénibilités » lorsque l’on veut aborder la question.

Il est rejoint par M. Gérard Lasfargues, professeur des universités, praticien hospitalier (médecine et santé au travail), chef du département des expertises intégrées santé environnement travail de l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (AFSSET). Son rapport de recherche d’avril 2005 ne propose pas de définition de la notion. M. Gérard Lasfargues a expliqué à la mission qu’il n’existe que des pénibilités, deux types de pénibilité pouvant être distinguées : « les expositions professionnelles pesant sur l’espérance de vie sans incapacité ou/et la qualité de vie au grand âge » qui correspond à l’approche d’Yves Struillou et « la pénibilité vécue au travail » dont les effets sur la santé à long terme et sur la diminution d’espérance de vie ne sont pas nécessairement démontrés. Il faut donc écarter la notion de métiers pénibles pour examiner les parcours professionnels (durée, fréquence, niveau d’exposition aux pénibilités tout au long d’une carrière professionnelle) de chaque travailleur pour évaluer la pénibilité au travail.

M. Franck Héas, maître de conférence à la faculté de droit et de sciences politiques (droit social des affaires) de l’Université de Bretagne-Sud (Nantes), a montré qu’il n’existe en droit du travail et dans la jurisprudence, ou pour mettre en œuvre des dispositifs publics (cessation d’activité de certains travailleurs salariés, versement de primes, statuts d’agents publics ou parapublics, etc.), que des acceptions selon des situations données. Aucune définition de la pénibilité ne se dégage du droit positif. Il a cependant tenté, dans ses travaux d’études, de cerner une définition de la pénibilité ressortant de l’état du droit s’y rapportant indirectement : « la pénibilité serait une situation de travail dans laquelle la santé ou l’intégrité physique ou mentale du travailleur pourrait apparaître altérée à plus ou moins longue échéance. La pénibilité résulterait donc de conditions particulières dans lesquelles la prestation de travail est fournie, de telle sorte qu’une exposition prolongée à ce type d’environnement serait nécessairement préjudiciable à l’état de santé du salarié ».

L’ensemble des auditions de la mission montre que la notion de « pénibilité au travail » est protéiforme, variable selon les individus et les environnements et évolutive dans le temps. Il ressort également clairement que la pénibilité ne peut être détachée de la personne de chaque travailleur. Il semble donc difficile de trouver une vérité absolue en la matière, chaque individu répondant différemment aux sollicitations physiques ou psychiques. Pour autant, une définition est nécessaire, et possible.

2. Les définitions présentées à la mission d’information

Lors de ses auditions, de nombreuses définitions ont été présentées à la mission d’information.

Deux types d’approches peuvent être distinguées :

1° la pénibilité perçue comme un facteur de réduction de l’espérance de vie ou de dégradation de la santé ;

2° la pénibilité perçue comme une manifestation de souffrance.

M. Régis Mollard, professeur à l’Université Paris V – René Descartes, indique clairement que deux approches de la notion sont possibles : soit la pénibilité traduit une accumulation de fatigue en milieu professionnel, soit elle traduit des astreintes susceptibles d’affecter la santé du travailleur.

Les tenants de la première catégorie sont majoritaires ; elle a aussi la nette faveur des organisations syndicales et professionnelles car elle peut être soutenue par une mesure scientifique.

Parmi les tenants de la seconde approche, on peut citer M. Alain Dômont, professeur à l’Université Paris V – René Descartes, qui considère qu’au plan individuel, la pénibilité est une réponse psychophysiologique adaptative à une sollicitation (nature, durée, intensité,…) et qu’au plan collectif, la pénibilité consiste en des impacts sanitaires de l’organisation du travail (management, horaires,…) et des conditions de réalisation des tâches (relations professionnelles, maîtrise des risques,…).

Il est rejoint dans son approche par l’Association nationale de médecine du travail et d’ergonomie du personnel des hôpitaux (ANMTEPH) qui définit ainsi la pénibilité : « le travail est perçu comme pénible s’il expose le travailleur de façon habituelle à une ou plusieurs contraintes qu’elles soient inhérentes aux types d’activités physiques réalisées, qu’elles soient environnementales ou organisationnelles mais susceptibles de causer désagrément, fatigue ou souffrance physique ou psychique. »

Les définitions s’appuyant sur la notion de souffrance dérivent en fait directement de la définition littérale du mot « pénibilité » (cf. ci-dessus).

MM. Serge Volkoff et Michel Gollac ont depuis longtemps (cf. leur ouvrage Les conditions de travail publié en 2000 aux éditions La Découverte) montré le lien intime existant entre les deux notions de pénibilité et de souffrance : les travailleurs exprimant une souffrance au travail l’expliquent souvent par de mauvaises conditions de travail.

Parmi les définitions relevant du premier type, deux orientations se dégagent : les tenants d’une définition s’appuyant sur la seule réduction de l’espérance de vie et les tenants de la prise en compte de l’accroissement de la morbidité.

M. Michel Gollac, chercheur associé au centre Maurice Halbwachs de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, a clairement exposé les quatre définitions possibles de la pénibilité au travail, sous ces aspects :

1° Des conditions de travail entraînant une baisse de l’espérance de vie ;

2° Des conditions de travail entraînant une baisse de l’espérance de vie sans incapacité ;

3° Des conditions de travail nuisibles à la santé du travailleur mais n’entraînant pas d’incapacité ;

4° Des conditions de travail entraînant une baisse de la qualité de vie au travail et hors travail, sur les périodes de travail.

Le principal défenseur de la première de ces définitions est M. William Dab, professeur au Conservatoire national des arts et métiers, pour qui la pénibilité est une perte de chance de vie, ce qui conduirait à retenir un seul critère pour la caractériser : la mortalité prématurée du travailleur. Cette solution est, d’après lui, guidée par le pragmatisme ; toute autre approche serait vouée à l’échec ou à l’inefficience, faute d’outil objectif de mesure ou de discrimination.

M. Yves Struillou, auteur du rapport Pénibilité et retraite d’avril 2003, commandé par le Conseil d’orientation des retraites, n’a pas présenté dans son rapport une définition de la pénibilité mais seulement les formes de manifestation de la pénibilité. Toutefois son rapport tend à analyser les seules conditions de travail entraînant une réduction de l’espérance de vie ou de l’espérance de vie sans incapacité ou de la qualité de vie à la retraite. Ainsi, en page 26, il est écrit que les « formes de pénibilités les plus pénalisantes pour l’individu […] réduisent de manière irréversible et grave sa capacité à mener une vie professionnelle et extraprofessionnelle normale » et que « des autres formes de pénibilité […] sont à l’origine de troubles infra pathologiques et la souffrance de ceux qui les subissent ». Les partenaires sociaux s’appuient largement sur l’approche de M. Yves Struillou pour construire leurs propositions de définition.

Les organisations professionnelles patronales (MEDEF, CGPME, UPA) ont soumis à la concertation une définition de la pénibilité. Elle figure dans la proposition d’accord du 26 septembre 2007 qui reprend la proposition de définition présentée le 31 janvier 2006 : « la pénibilité résulte de sollicitations physiques et psychiques de certaines formes d’activités professionnelles, qui laissent des traces durables, identifiables et irréversibles sur la santé des salariés ». Trois facteurs ou critères principaux de la pénibilité sont proposés : l’existence de contraintes physiques et psychiques marquées (efforts, postures, gestes, etc.), la présence d’un environnement agressif et la soumission à certains rythmes de travail. Les propositions d’accord des organisations professionnelles patronales sont reproduites en annexe du présent rapport.

Dans son projet d’accord interprofessionnel sur la pénibilité présenté lors de la séance de négociation du 6 février 2008, la CGT a proposé la définition suivante :

« La pénibilité résulte de sollicitations physiques et psychiques liées à certaines formes d’activité professionnelle qui renforcent le risque :

« – de conséquences durables, identifiables et irréversibles sur la santé et l’espérance de vie sans incapacité des salariés,

« – d’une morbidité plus élevée,

« – d’atteinte à l’intégrité physique. »

Les propositions d’accord de la CGT présentées en septembre 2006 et le 6 février 2008 sont reproduites en annexe du présent rapport.

Le congrès confédéral de Force Ouvrière de juin 2007 a validé la définition suivante : « la pénibilité du travail résulte de sollicitations physiques et psychologiques entraînant un effort d’adaptation et une usure du salarié laissant des traces durables, voire définitives, altérant la santé ».

La CFTC propose de définir la pénibilité comme une « sollicitation physique ou psychique qui demande au salarié des efforts constants d’adaptation qui laissent des traces durables, identifiables et irréversibles sur sa santé ».

La CFE-CGC n’a pas présenté de définition lors de son audition mais un communiqué de la confédération de juin 2006 a indiqué que « l’exercice durable du travail dans certaines conditions génère une pénibilité créatrice d’une usure prématurée de la santé du salarié, difficilement compatible avec le maintien dans l’emploi, sans adaptation avant l’âge légal de la retraite. L’espérance de vie sans atteinte à la santé, participe donc au socle de définition de la pénibilité. Pour la CFE-CGC, la pénibilité peut être physique mais également mentale et psychique. L’évolution des organisations du travail augmente les risques psychosociaux comme source de la pénibilité. » Lors de la table ronde de la mission sur le bâtiment et les travaux publics (BTP), les représentants de la fédération CFE-CGC du BTP ont défini la pénibilité comme étant « tout travail ou toute activité créatrice d’une usure prématurée et irréversible de la santé qui n’est pas toujours immédiatement apparente ou décelée ».

L’UNSA a proposé de définir la pénibilité comme un « ensemble de facteurs inhérents à l’exercice de l’activité professionnelle et reconnus comme nocifs et délétères, qui causent une peine excessive, avec des conséquences sur la santé physique et psychique de l’individu ».

En dernier lieu, M. Denis Saint-Paul, représentant l’Ordre national des médecins, a proposé de qualifier de pénibilité « ce qui est difficile à supporter de par les contraintes et l’environnement du travail et qui aboutit à une dégradation de l’état de santé. ». Elle dépend donc de la capacité du travailleur à résister à ces facteurs.

3. La proposition du rapporteur

Le rapporteur estime possible de poser une définition servant de socle à la définition de mesures de prévention, de compensation et de réparation des effets de la pénibilité. Les auditions et déplacements de la mission montrent que même si la consistance des conditions de travail pénibles varie fortement, la réalité de la pénibilité au travail demeure.

En la matière, il existe, en effet, deux types de normes acceptables : la physiologie humaine et la demande sociale. Le croisement de ces deux exigences permet d’approcher la frange du travail humain exagérément fatigante, donc pénible. Cette frange varie selon la demande sociale et les conditions de travail. Le travail de nuit illustre bien cette situation : de tout temps il constitue une condition de travail pénible au égard à la physiologie humaine mais la société l’accepte car il est utile, voire indispensable, à la collectivité ; en quelque sorte la norme sociale demande que des activités productives et des services fonctionnent la nuit pour la satisfaction du bien-être collectif (services de sécurité, ordre public, services de santé, poste, communications et transports, sidérurgie, etc.) ; on ne peut donc pas tenir les entreprises employant des travailleurs de nuit responsables de la pénibilité qu’elles provoquent chez leurs employés. Cette frange peut être définie.

Le rapporteur constate que les propositions de définition des partenaires sociaux sont convergentes. Elles répondent en outre aux propositions de nombreux spécialistes des conditions de travail.

Le rapporteur propose donc la définition suivante : « la pénibilité au travail est le résultat de sollicitations physiques ou psychiques qui, soit en raison de leur nature, soit en raison de la demande sociale, sont excessives en regard de la physiologie humaine et laissent, à ce titre, des traces durables, identifiables et irréversibles sur la santé et l’espérance de vie d’un travailleur ».

Cette définition présente quelques caractères :

– elle est évolutive : les progrès scientifiques et la mise en place de nouveaux moyens devraient permettre dans un proche futur d’identifier des pénibilités dont on constate les effets nocifs mais que l’on ne peut ni cerner ni quantifier (il s’agit notamment de pénibilités psychiques) ; en outre, le seuil d’acceptation de la souffrance et de la morbidité ainsi que les attentes relatives à l’évolution de l’espérance de vie évoluent ;

– elle est liée à l’organisation des activités professionnelles productives : il doit revenir aux partenaires sociaux dans les branches professionnelles de déterminer si leur secteur d’activité est concerné par la pénibilité ainsi définie ;

– elle ne saurait conduire à rendre nuls et non avenus les contrats de travail des travailleurs exposés à une pénibilité. On a fait remarquer au rapporteur que, la définition de la pénibilité et son introduction dans le droit social pourraient avoir pour effet de rendre caduc le contrat de travail lui-même pour le motif suivant : en engageant un travailleur missionné sur des tâches « pénibles » (donc, aux termes de la définition, dont l’impact nocif sur la santé du salarié est reconnu), l’employeur se mettrait ipso facto dans une des circonstances de nullité du contrat de travail dans la mesure où il mettrait sérieusement en danger son salarié. Or, cette mise en danger volontaire est clairement une cause de nullité du contrat. Comment traiter cette question ? M. Vincent Veille, ancien inspecteur du travail et avocat spécialiste du droit du travail, a justement fait remarquer que le droit du travail actuel restait encore marqué par l’esprit du code Napoléon : le salarié est encore en quelque sorte considéré comme un mineur confiant sa personne à un employeur par la signature du contrat de travail et dans ce cadre se soumet totalement à l’organisation de la sécurité de son travail qui est décidée par l’employeur. Ce dernier ne peut éviter, compte tenu de l’activité de son entreprise, de placer son salarié dans des situations de pénibilité, voire de danger. Le contrat de travail reste néanmoins valable et la responsabilité de l’employeur ne saurait être engagée, premièrement, qu’en l’absence d’information de son salarié sur cette situation et les moyens de prévenir ses effets nocifs, deuxièmement qu’en cas de non-respect des normes de protection prévues par la loi, les règlements et les accords collectifs du travail et troisièmement que s’il est démontré qu’il n’a pas pris toutes les mesures possibles et connues par lui pour prévenir les atteintes à la santé ou à l’intégrité physique de son employé. C’est donc l’information précise sur les conditions de travail et l’acceptation par le salarié de ces conditions de travail, ainsi que les différents systèmes de prévention et de compensation qui doivent continuer de rendre valide le contrat de travail ;

– elle s’appuie sur l’existence de « sollicitations physiques ou psychiques ». Le « ou » employé est inclusif : la pénibilité peut résulter du cumul des deux types de sollicitations ou de l’un des deux types. Ces deux types de sollicitations renvoient, en outre, à différentes formes de pénibilité qui sont analysées dans un chapitre suivant de la présente partie du rapport ;

– le rapporteur considère qu’aussi bien la santé du travailleur que son espérance de vie doivent être altérées pour que soit identifiée l’existence d’une pénibilité. Les deux dimensions sont certes étroitement liées mais leur corrélation n’est pas systématique. L’exigence d’une altération de l’espérance de vie justifie que des mesures spécifiques de solidarité nationale soient mises en œuvre pour compenser les effets les plus graves de la pénibilité au travail ;

– cette définition a une visée opérationnelle : elle doit servir à cerner le champ d’application des mesures de prévention et à définir le champ d’application d’éventuelles mesures de compensation ou de réparation. Ces différents aspects sont analysés dans les parties III et IV du présent rapport.

Cette définition nécessite cependant des précisions permettant de mieux cerner la notion par rapport à d’autres concepts proches. En outre, elle couvre différentes formes de pénibilité au travail qui appellent des traitements différents.

En dernier lieu, pour mettre en œuvre des mesures de compensation ou de réparation, il est indispensable de définir des critères d’identification de la pénibilité. Ceci est d’autant plus nécessaire que la pénibilité est liée à l’existence de traces durables, identifiables et irréversibles sur la santé ou l’espérance de vie.

Ces considérations font l’objet des développements suivants.

C. DISTINGUER LA PÉNIBILITÉ DE NOTIONS PROCHES

Compte tenu de la dimension polysémique de la notion de pénibilité, il n’est pas inutile de la distinguer de notions proches afin d’en préciser les contours.

1. Pénibilité et risque professionnel

Le risque professionnel, comme les travaux dangereux, est fréquemment invoqué par les syndicats pour justifier la mise en place d’une mesure de prévention ou de compensation de la pénibilité. Pour de nombreux syndicats le risque professionnel et les travaux dangereux constituent une forme de pénibilité au travail. L’enquête SUMER (surveillance médicale des risques professionnels) du ministère du travail qui sert de référence en matière de mesure de la pénibilité physique au travail en France s’intitule d’ailleurs « les expositions aux risques professionnels – les ambiances et contraintes physiques ».

Le rapporteur est d’avis qu’il faut distinguer les deux notions. Elles peuvent se recouper mais ne se confondent pas. Le rapporteur invite à se référer aux travaux d’analyse juridique de M. Franck Héas, maître de conférence à la faculté de droit et de sciences politiques (droit social des affaires) de l’Université de Nantes, sur cette question.

M. Franck Héas donne la définition suivante du risque professionnel inspirée du dictionnaire juridique établi sous la direction Gérard Cornu (PUF, 2005) : « évènement futur, plus ou moins, certain (donc éventuel), susceptible de causer un préjudice à celui qui fournit une prestation de travail pour autrui ». Il rappelle un arrêt de la cour d’appel de Paris du 9 juin 2004 qui a affirmé que « le risque grave (au sens de du code du travail) ne saurait être constitué par la seule pénibilité au travail ». Le 1° de l’article L. 236-9 du code du travail (recodifié sous l’article L. 4614-12) prévoit que le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) peut faire appel à un expert agréé lorsqu’un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l’établissement.

Cette distinction est fondée sur le fait que le risque professionnel repose sur la réalisation d’un aléa alors que la pénibilité conduit, par son existence même, à une altération plus ou moins marquée de la santé du travailleur.

Le code du travail contient plusieurs dispositions pour la prévention des risques, notamment contre les incendies, dans les opérations de bâtiment et de génie civil (cf. l’arrêté du 25 février 2003 dressant la liste des travaux comportant des risques particuliers en application de l’article L. 235-6, recodifié sous l’article L. 4532-8) et dans le domaines des risques technologiques et naturels (cf. loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003). Ces éléments ne doivent pas être, de plein droit, assimilés à des facteurs de pénibilité au travail.

2. Pénibilité et travaux ou métiers dangereux

Le danger se situe au-delà du risque professionnel lié à l’exercice normal d’une activité : il apparaît en fonction de circonstances particulières qui modifient l’activité du travailleur en lui conférant une incidence particulière et inhabituelle sur sa sécurité et sa santé. Le code du travail ne donne pas une définition générique des travaux dangereux. Seul le danger grave et imminent est défini (article L. 231-8-1, recodifié sous l’article L. 4131-1) car un droit d’alerte et un droit de retrait y sont attachés depuis la loi n° 82-1087 du 23 décembre 1982.

Le code du travail contient de très nombreuses dispositions visant à assurer la sécurité des travailleurs pour les prévenir d’une exposition à un danger, notamment lorsque leur activité professionnelle les amène à effectuer des opérations dangereuses (processus de fabrication, etc.), à être placés dans des environnements dangereux (ambiance, localisation, etc.), à manipuler des substances ou préparations dangereuses (cf. liste figurant à l’article R. 231-51 du code du travail), à être exposés à des personnes ou des animaux dangereux.

Le concept de travaux dangereux est également protéiforme et variable. Certains travaux ne sont jugés dangereux que s’ils sont accomplis par certaines catégories de travailleurs (des personnes mineures, des femmes, des femmes enceintes, des personnes invalides, etc.) ou en certaines circonstances (conditions climatiques extrêmes, vent, absence d’équipement de protection ou d’assistance, urgence, etc.).

Yves Struillou a inclus dans son rapport Pénibilité et retraite d’avril 2003 l’exposition aux substances dangereuses et l’exercice d’un métier dangereux dans le champ de son étude de la pénibilité. Mais son champ d’investigation englobait en fait les principaux facteurs d’origine professionnelle conduisant à une réduction de l’espérance de vie.

3. Pénibilité, astreintes et contraintes

La conception de la pénibilité en tant que souffrance au travail tend à permettre des rapprochements avec les notions d’astreintes et de contraintes. De même, l’enquête SUMER (surveillance médicale des risques professionnels) du ministère du travail peut induire une assimilation puisqu’elle vise à analyser les « ambiances et contraintes physiques » et constitue le plus grand outil d’analyse de la pénibilité physique dont dispose la France à ce jour.

De nombreuses professions sont organisées sur la base d’astreintes ou de contraintes : il en est ainsi de tous les métiers liés, par exemple, à la sécurité publique ou à la santé publique. Mais de nombreuses activités nécessitent la mobilisation des forces de travail jours et nuits et les dimanches et jours fériés ou exigent des travailleurs une grande mobilité géographique, une disponibilité permanente, faute d’automatisation des tâches (c’est notamment le cas des élevages agricoles) ou encore exposent les travailleurs à une grande précarité du travail ou à des changements incessants de missions, d’agendas, etc., parfois du jour au lendemain.

Ces modes d’organisation du travail génèrent une usure réelle du travailleur. Toutefois, une astreinte ou une contrainte ne peut être considérée en elle-même comme une pénibilité. En l’espèce, seule une analyse au cas par cas des contraintes ou des astreintes peut permettre de conclure à leur caractère pénible en fonction du métier dans lequel elles s’exercent. Remarquons tout de même que, dans ce cas, la pénibilité est souvent l’effet d’un manque de formation ou d’une organisation dont les caractères déficients n’ont pas été réduits.

4. Pénibilité, violence et harcèlement

Comme on le verra au chapitre suivant, la pénibilité au travail peut être constituée pour le travailleur par une forme de violence physique, psychique ou mentale. Selon les témoignages des représentants syndicaux, des formes extrêmes de pénibilité sont vécues comme de véritables violences. C’est notamment le cas de certaines formes de harcèlement.

En revanche, toute violence sur les lieux de travail ne peut pas être assimilée à une pénibilité. Certes, la loi proscrit la violence comme méthode d’organisation du travail et de gestion des rapports professionnels (qui peut se traduire par des rumeurs, des injures, des mauvais traitements, etc.). Pour autant, la violence demeure souvent externe à l’entreprise et ne peut être considérée comme liée au cœur de l’activité professionnelle elle-même (agression ou incivilité d’autrui, vandalisme, banditisme, etc.). En ce cas, elle constitue un risque professionnel et ne crée une pénibilité que par les conséquences psychiques qu’elle provoque chez les travailleurs. Le rapporteur considère qu’il appartient à chaque profession ou entreprise de s’organiser pour prévenir cette violence et former les salariés afin qu’ils puissent affronter ce risque professionnel sans qu’il conduise à altérer leur santé psychique.

Depuis la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale (articles 168 à 180), le harcèlement moral est proscrit des relations du travail (articles L. 1152-1 à L. 1152-5 du code du travail ; anciens articles L. 122-49 à L. 122-51) et sanctionné pénalement (article 222-33-2 du code pénal, qui prévoit une peine d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende). Le harcèlement moral est défini comme des « agissements répétés […] qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail [du salarié] susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». L’article L. 1152-6 du code du travail organise une procédure de médiation extérieure à l’entreprise qui peut être engagée à la demande de toute victime. Un article 6 quinquies a également été introduit dans la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires pour interdire pareillement le harcèlement moral dans la fonction publique mais aucune procédure de médiation n’est prévue.

Cette législation reste toutefois difficile à appliquer en raison de l’obligation dans laquelle se trouve le salarié d’apporter la preuve du harcèlement qu’il a subi. En pratique, les victimes établissent les faits par des attestations de collègues de travail, des certificats médicaux constatant la survenance d’un état dépressif ou anxiogène, des traces d’insultes, menaces, pressions, brimades, etc. dans des courriers ou instructions écrites. Les condamnations d’employeurs restent exceptionnelles et cantonnées à des cas d’une grande gravité ayant soulevé une grande émotion au sein de l’entreprise.

Des avocats du droit du travail considèrent que la définition du harcèlement moral reste insuffisamment précise et claire. En outre, la notion serait devenue « à la mode » et donnerait lieu à des dérives aux effets contre-productifs. Cette dérive n’est pas sans menacer la notion de pénibilité.

La loi n° 92-1179 du 2 novembre 1992 relative à l’abus d’autorité en matière sexuelle dans les relations de travail avait déjà interdit le harcèlement sexuel (articles L. 1153-1 à L. 1152-6 du code du travail ; article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires).

Le deuxième compte rendu européen sur les conditions de travail, dont les résultats sont tirés de 16 000 entretiens individuels avec des travailleurs de toute l’Union européenne, indique que 4 % des travailleurs, soit 6 millions, font l’objet d’une violence physique, 2 %, soit 3 millions, d’un harcèlement sexuel et 8 %, soit 12 millions, d’une intimidation et d’une brutalité ; 40 % des travailleurs faisant l’objet d’une violence physique connaissent un stress, le taux atteignant 46 % pour ceux faisant l’objet d’un harcèlement sexuel et 47 % pour ceux faisant l’objet d’une intimidation et d’une brutalité. Cette violence se traduit également par un fort taux d’absentéisme (31 à 35 %).

La violence et le harcèlement ne peuvent cependant pas être confondus avec la pénibilité, en dépit des conséquences qu’ils peuvent engendrer sur la santé des travailleurs, et qu’il ne faut certes pas sous-estimer. En effet, violence et harcèlement ne peuvent être considérés comme liés à l’activité elle-même et à ses exigences. Ils présentent un caractère intentionnel et visent à contraindre le travailleur, au-delà des obligations normales de sa mission, soit dans son contenu, soit dans ses modalités. Violence et harcèlement constituent une violation directe de la loi et entrent directement de ce fait dans le champ pénal. Les sanctions prévues par le droit pour punir ces agissements et la prise en charge éventuelle par la santé publique conduisent à ne pas envisager de faire prendre en charge les conséquences de la violence et du harcèlement au titre de la pénibilité.

La quatrième enquête européenne sur les conditions de travail (16)de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (« Fondation de Dublin »), rendue publique le 27 juin 2007, fournit les données suivantes sur la violence, le harcèlement et les brimades au travail.

Violence, harcèlement et brimades au travail en Europe

(pourcentage de réponse affirmative)

 

UE27

UE15

DK

DE

FR

NL

PL

FI

UK

Menaces ou de violences physiques

6,0

6,3

5,0

4,5

6,9

12,2

6,2

12,5

10,9

Violences physiques provenant de personnes dans le lieu de travail

1,8

2,1

3,1

0,5

2,8

6,3

0,9

1,5

3,6

Violences physiques provenant de personnes n’appartenant au dehors du lieu de travail

4,3

4,6

2,4

3,5

7,1

6,6

3,9

7,1

7,2

Harcèlement moral

5,1

5,4

7,3

4,1

7,7

12,0

3,2

17,2

5,4

Attentions sexuelles non désirées

1,8

1,7

2,8

1,1

1,5

1,4

1,8

2,1

3,6

Discriminations liées à l'âge

2,7

2,6

2,0

2,9

2,4

3,6

2,3

3,5

2,5

Source : quatrième enquête européenne de la Fondation de Dublin.

D. LES DIFFÉRENTES CATÉGORIES DE PÉNIBILITÉ ET LEURS EFFETS

La pénibilité au travail peut prendre plusieurs formes. Chacune d’elles se traduit par une usure particulière du travailleur dont la gravité dépend du contexte dans laquelle elle se place, de la personne du travailleur et de son vécu.

M. Gérard Lasfargues, professeur des universités, praticien hospitalier, chef du département des expertises intégrées santé environnement travail de l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (AFSSET), estime que la pénibilité possède trois faces :

1° La pénibilité peut être constituée par des travaux ou des conditions de travail pénibles qui, à long terme, pèsent sur l’espérance de vie ou la qualité de vie au grand âge ou à la retraite ;

2° Il existe également une pénibilité vécue qui correspond à un mal-être au travail et qui ne résulte pas forcément de conditions de travail pénibles. Les chercheurs ne reconnaissent pas aujourd’hui cette pénibilité comme entraînant une réduction de l’espérance de vie. Les enseignants en sont le meilleur exemple ;

3° Les exigences du travail qui, bien que non pénibles en soi, deviennent difficiles à supporter pour les travailleurs vieillissants en raison de leur âge, de leurs capacités réduites ou des traitements médicaux qu’ils suivent. On estime qu’environ un tiers des salariés âgés de moins de 35 ans, la moitié des salariés de 40 à 50 ans et les deux tiers des salariés de plus de 50 ans sont exposés à cette troisième forme de pénibilité. Elle pose le problème de l’aménagement de la fin de vie active, avec d’autant plus d’acuité que l’on cherche à maintenir et prolonger l’activité des travailleurs âgés.

Ces distinctions fondamentales s’inspirent des travaux de M. Serge Volkoff, chercheur au Centre de recherches et d’études sur l’âge des populations (CREAPT). Le présent rapport en fait une présentation succincte en affinant les principales formes ou caractères que peut revêtir la pénibilité au sein de ces trois catégories.

1. La pénibilité physique et ses effets

La pénibilité physique est la pénibilité la plus répandue et la mieux admise comme cause d’usure du travailleur. Elle fait l’objet d’un large consensus parmi les chercheurs, les organisations syndicales et professionnelles pour être considérée comme un facteur d’altération de la santé des travailleurs. Elle a l’avantage d’être assez facilement quantifiable, sous réserve de mettre en place des outils de mesure et de conservation des données. De vastes enquêtes françaises (SUMER) ou européennes (SHARE) fournissent d’importantes données quantitatives.

Comme l’a indiqué à la mission M. Gérard Lasfargues, la pénibilité physique ne peut être pleinement mesurée que par l’analyse de l’ensemble du parcours professionnel d’un travailleur. Cette pénibilité est par nature globale. Or, aujourd’hui, on ne dispose pas d’outils permettant une telle mesure individuelle. Pour simplifier les données du problème et obtenir une approche de la pénibilité physique subie par un travailleur, cette pénibilité peut être décomposée selon trois origines : l’existence de contraintes physiques ; le rythme ou la cadence de travail imposés ; l’exposition à des agents toxiques.

a) L’existence de contraintes physiques

Les principales sources des contraintes physiques qui sont facteurs de pénibilité sont les suivantes :

– exigences posturales (station debout peu mobile, postures inconfortables, contraintes articulaires ou musculaires liées aux gestes ou aux postes de travail, etc.) ;

– port de charges lourdes ;

– intempéries ou exposition à des situations climatiques extrêmes ;

– bruit intense, chaleur ou froid important, vibrations fortes, poussières ou particules denses ;

– ambiance lumineuse ou sonore.

Les enquêtes de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère chargé de l’emploi donnent des indications quantitatives sur la pénibilité physique au travail en France et constatent que cette forme de pénibilité s’est stabilisée, sauf pour les ouvriers (cf. tableau ci-après).

Les données dont disposent les chercheurs établissent un lien clair entre la pénibilité résultant de contraintes physiques et la morbidité accrue des salariés. Cependant le retentissement de cette forme de pénibilité s’observe différemment à court, moyen et long termes :

• A court terme, c’est-à-dire alors que le salarié poursuit son activité professionnelle, des troubles musculo-squelettiques (TMS) (17) et des lombalgies surviennent : plus de 40 000 TMS sont déclarés et reconnus comme maladie professionnelle chaque année ; de 5 000 à 6 000 lombalgies sont déclarées et reconnues comme maladie professionnelle chaque année (souvent en raison de vibrations). Le plan santé travail 2005-2009 a prévu de réduire de 20 % les TMS déclarés mais pour de nombreux épidémiologistes et médecins du travail l’objectif ne sera pas atteint ; on trouvera en annexe du présent rapport une copie du Bulletin épidémiologique hebdomadaire du 15 novembre 2005 sur la surveillance épidémiologique des troubles musculo-squelettiques qui contient des données précises sur l’épidémiologie, les différents aspects et les méthodes de détection de ce facteur de pénibilité (document fourni par Mme Ellen Imbernon, responsable du département santé travail de l’Institut de veille sanitaire, et M. Yves Roquelaure à la suite de leur audition) ;

• A moyen terme, c’est-à-dire en fin de vie active, les salariés atteints sont engagés dans un processus d’exclusion du travail, soit par l’invalidité, soit par l’inaptitude. Les troubles de l’appareil moteur surviennent autour de 50 ans et on observe une tendance à l’abaissement progressif de cet âge. Par ailleurs, de nombreux salariés sont basculés du régime des accidents du travail - maladies professionnelles (AT-MP) vers l’invalidité en cas de TMS car l’indemnisation offerte par la branche des AT-MP est trop faible (10 % pour une pathologie du coude ; 13 % pour une pathologie de l’épaule) ;

• A long terme, c’est-à-dire à l’âge de la retraite, ces salariés sont atteints d’arthrose et d’incapacités motrices.

Une durée d’exposition de dix ans serait un cap qui, une fois franchi, provoquerait une altération définitive de la santé du salarié.

La pénibilité physique stabilisée, sauf pour les ouvriers

 

Années

Cadres

Professions intermédiaires

Employés administratifs

Employés de commerce et de services

Ouvriers qualifiés

Ouvriers non qualifiés (dont agricoles)

Ensemble

Rester longtemps debout

1984

19,6 %

42,7 %

15,5 %

77,7 %

64,6 %

73,3 %

49,5 %

1991

22,8 %

44,4 %

18,4 %

81,1 %

68,9 %

80,1 %

52,7 %

1998

25,5 %

45,6 %

21,2 %

81,5 %

72,0 %

85,1 %

53,7 %

2005

21,7 %

43,6 %

22,8 %

77,6 %

70,0 %

84,5 %

51,8 %

Rester longtemps dans une posture pénible

1984

5,3 %

8,5 %

11,3 %

15,0 %

28,8 %

25,6 %

16,2 %

1991

9,7 %

18,8 %

20,0 %

32,5 %

45,8 %

45,6 %

29,0 %

1998

12,9 %

25,7 %

26,8 %

48,7 %

55,7 %

59,9 %

37,3 %

2005

12,7 %

24,7 %

25,2 %

42,8 %

54,0 %

56,4 %

34,2 %

Devoir porter ou déplacer des charges lourdes

1984

3,8 %

10,4 %

5,7 %

27,1 %

41,5 %

37,9 %

21,5 %

1991

6,2 %

19,0 %

10,7 %

43,7 %

53,5 %

53,7 %

31,4 %

1998

10,0 %

26,5 %

16,7 %

55,3 %

60,9 %

60,8 %

37,6 %

2005

10,9 %

27,6 %

19,8 %

56,8 %

64,0 %

64,4 %

39,0 %

Faire des mouvements douloureux ou fatigants

1984

1991

1998

5,8 %

20,7 %

13,7 %

50,2 %

57,2 %

61,6 %

33,6 %

2005

7,1 %

22,9 %

16,4 %

52,5 %

60,5 %

69,0 %

35,7 %

Subir des secousses ou des vibrations

1984

2,3 %

2,8 %

2,4 %

1,1 %

20,5 %

13,4 %

7,6 %

1991

2,6 %

5,3 %

4,2 %

2,9 %

29,9 %

19,7 %

11,4 %

1998

3,2 %

7,8 %

6,4 %

4,2 %

34,7 %

22,6 %

13,2 %

2005

ns %

8,9 %

8,5 %

7,8 %

42,3 %

29,4 %

15,3 %

Etre exposé à un bruit intense (à savoir en pas entendre une personne située à 2 ou 3 mètres ou seulement si elle élève la voix)

1984

4,4 %

8,6 %

7,0 %

6,8 %

30,8 %

37,5 %

16,5 %

1991

5,6 %

11,1 %

9,1 %

10,4 %

36,2 %

39,4 %

18,8 %

1998

6,2 %

11,8 %

7,5 %

12,1 %

35,6 %

37,1 %

17,5 %

2005

6,5 %

13,6 %

8,1 %

11,1 %

38,4 %

40,5 %

18,0 %

Source : enquêtes sur les conditions de travail 1984, 1991, 1998 et 2005 de la DARES (champ : salariés). Premières Synthèses Informations n° 01.2 de janvier 2007.

Cette forme de pénibilité est la plus étudiée. Un large consensus, y compris au sein des partenaires sociaux, se dégage pour admettre qu’elle provoque une dégradation de la santé du travailleur et une réduction de son espérance de vie si elle est trop prolongée.

b) Le rythme ou la cadence de travail imposés

Au titre du rythme ou de la cadence de travail imposés, les conditions de travail suivantes peuvent constituer une source de pénibilité :

– le travail en horaires alternants ou travail posté (cf. définition ci-après au point F-1-b) ;

– le travail de nuit (cf. définition ci-après au point F-1-b) ;

– le travail en horaires atypiques : cette expression désigne le travail aménagé selon un temps différent de la semaine standard de travail qui est définie par quatre critères : horaires effectués entre 5 heures et 23 heures, travail accompli sur cinq jours pleins à raison d’au moins cinq heures de travail par jour, durée hebdomadaire de travail comprise entre 35 et 44 heures et existence de deux jours de repos consécutifs par semaine de travail ; le travail en horaires atypiques englobe donc les salariés travaillant le samedi ou le dimanche : le nombre de salariés travaillant le dimanche continue d’augmenter, comme le travail de nuit : 25 % des salariés travaillaient habituellement ou occasionnellement le dimanche en 2005 (11,7 % habituellement) contre 23 % en 1998 (7,6 % habituellement), alors que le travail le samedi s’est stabilisé à 49 % des salariés en 2005 (28 % des salariés travaillant habituellement le samedi) contre 48 % en 1998 et 1991. Le travail le samedi ou le dimanche ne présentent pas les mêmes caractères physiologiques que le travail de nuit ; le rapporteur considère donc qu’il ne peut pas être englobé dans le champ de la pénibilité, telle que définie précédemment ;

– le travail à la chaîne ou la cadence de travail imposée par un système automatisé.

Les chercheurs ont mis en évidence les effets suivants du travail de nuit ou en horaires alternants :

• A court terme, les travailleurs signalent des troubles du sommeil et de la digestion ainsi qu’une fatigue continue accrue.

• A long terme, les risques cardiovasculaires d’origine coronarienne sont accrus : troubles du rythme et de la conduction cardiaques, altération des parois artérielles, angine de poitrine, infarctus du myocarde, perturbations des systèmes nerveux et hormonal, notamment.

Les effets nocifs sur la santé du travail de nuit et du travail en horaires alternants sont indéniablement constatés chez les salariés exposés pendant dix ans à cette pénibilité. Le seuil de dix à quinze ans de travail de nuit, avec 200 nuits de travail par an, ou de travail en horaires alternants ou atypiques serait celui au-delà duquel les dégâts sanitaires de cette exposition seraient irréversibles.

Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) basé à Lyon tient une liste des agents cancérogènes internationalement reconnus. Cette liste est divisée en deux catégories : en catégorie 1 sont rangés les cancérogènes avérés (chrome, nickel, amiante, solvants,…) ; en catégorie 2 sont répertoriés les agents probablement cancérogènes. Au mois de janvier 2008, il a décidé de classer en catégorie 2 le travail de nuit posté (avec alternance irrégulière de périodes de travail de jour et de nuit). Ce classement fait débat parmi les chercheurs ; le CIRC a fait savoir que des études complémentaires sont prévues. Sont essentiellement concernés les ouvriers de l’industrie et les professionnels de santé. Le CIRC indique que le travail de nuit posté perturbe les rythmes circadiens (rythmes biologiques humains sur 24 heures) et bloquerait la production de mélatonine, que le corps fabrique normalement la nuit, du fait de l’exposition nocturne à la lumière, ce qui affaiblirait les défenses immunitaires et favoriserait le développement de tumeurs. Il dérégulerait également des gènes impliqués dans le développement de cellules cancéreuses (cancer du sein notamment chez les infirmières et les hôtesses de l’air) du fait des bouleversements des rythmes de sommeil et de veille.

Le travail à la chaîne ou sous cadences imposées se traduit par des troubles physiques résultant de la très forte sollicitation répétitive des muscles et articulations dont l’impact dépend notamment des mouvements, de la vitesse, de la fréquence, de la force, de l’amplitude des gestes demandés, des contraintes articulaires et posturales, de l’existence de vibrations et de bruit, d’une ambiance confinée mais également de facteurs psychosociaux de pénibilité (contrainte de temps, absence de marge décisionnelle). Les principales pathologies relevées sont des troubles musculo-squelettiques ayant des effets incapacitants conduisant à des arrêts d’activité professionnelle.

c) L’exposition à des agents toxiques

Si l’exposition à des agents toxiques n’est souvent pas vécue comme pénible, elle pèse sur l’espérance de vie du travailleur ou sa qualité de vie au grand âge ou à la retraite. Le c du point 1 du chapitre F suivant sur l’exposition aux produits toxiques donne une indication sur les principaux agents concernés.

M. Gérard Lasfargues a précisé à la mission qu’aucune étude scientifique ne permet d’avancer que les êtres humains sont moins résistants aujourd’hui qu’autrefois à la pénibilité physique au travail. On peut seulement avancer que la réduction des contraintes et efforts physiques par les technologies a été compensée par l’accroissement des rythmes et cadences de travail.

2. La pénibilité psychique ou mentale et ses effets

Ainsi que cela a déjà été évoqué, les circonstances dominantes de l’organisation de l’économie ont fait apparaître – et reconnaître – une nouvelle forme de souffrance liée au monde du travail : celle qui est due à des charges anormalement lourdes pesant sur les travailleurs et de nature à provoquer une altération de l’équilibre mental ou psychique.

Plusieurs facteurs psychosociaux de pénibilité majeurs peuvent être dégagés, entre autres :

• Le harcèlement, le plus souvent isolé mais également parfois utilisé comme un mode de management des travailleurs.

• L’isolement ou l’absence de solidarité d’une équipe de travail : les nouvelles formes d’organisation des entreprises reposent sur le renforcement de l’autonomie des salariés ; chacun d’eux se voit assigner une mission qu’il doit mener à bien en faisant appel à son esprit d’initiative. Ce mode d’organisation permet de répondre aux attentes des clients, d’être plus réactif face aux évolutions du marché et de la concurrence et accroît la productivité. Cependant, elle accroît la charge mentale pesant sur le salarié devenu relativement autonome et donc responsable et s’accompagne souvent d’une mise en concurrence des salariés d’une même entreprise entre eux.

Cependant, la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère chargé de l’emploi constate que « le soutien collectif de travail ne faiblit pas […] la grande majorité des salariés (73 % en 2005, 71 % en 1998) déclarent pouvoir trouver de l’aide auprès de leurs collègues quand ils ont "du mal à faire un travail délicat, compliqué". 58 % des salariés trouvent aussi de l’aide auprès de leurs supérieurs hiérarchiques. Seulement 11 % des salariés (14 % en 1998) estiment "ne pas avoir suffisamment la possibilité de coopérer (échange d’information, entraide)" pour effectuer correctement leur travail. Certes 27 % des salariés vivent des situations de tension avec leurs supérieurs, et 20 % avec leurs collègues, une perception néanmoins en recul de trois points par rapport à 1998 » (18).

• Le travail rendu impossible en raison des délais impartis ou de la nature de la mission : le modèle de Karasek (Job strain model, 1979) a mis en évidence ce facteur de stress ou de pénibilité mentale ; le questionnaire de Robert Karasek vise à évaluer le bien-être collectif au travail et à mesurer la santé mentale globale au sein d’une entreprise. Cette mesure est faite à partir de quatre éléments : la latitude décisionnelle du travailleur (degré d’autonomie de ses décisions, utilisation et développement de ses compétences) ; la charge psychologique associée à l’exécution des tâches, à la quantité et la complexité des tâches, aux tâches imprévues, aux contraintes de temps, aux interruptions et aux demandes contradictoires ; le soutien social dont bénéficie le travailleur de la part de sa hiérarchie et de ses collègues : la reconnaissance qu’il tire de son travail. Le modèle de Karasek montre que si une demande psychologique importante n’est pas associée à une latitude décisionnelle, un soutien social et une reconnaissance suffisants, le travail entraîne un stress nuisible pour la santé du travailleur.

Toutefois les chercheurs débattent de la pénibilité psychique induite par l’absence d’autonomie dans laquelle serait placée un travailleur : cette situation peut en effet être source de stress mais elle peut également apaiser le travailleur placé dans une position de simple exécution non responsable.

La direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère chargé de l’emploi a étudié l’évolution des marges de manœuvre dont disposent les salariés français. Elle constate que ces marges de manœuvre « ont eu tendance à se restreindre entre 1998 et 2005, à l’inverse des années 1991-1998 » (19).

Les marges de manœuvre en léger recul

(en %)

 

Années

Hommes

Femmes

Cadres

Professions intermédiaires

Employés administratifs

Employés de commerce et de services

Ouvriers qualifiés

Ouvriers non qualifiés (dont agricoles)

Ensemble

Recevoir des indications précises sur la manière de procéder

1984
1991
1998
2005


17,2
14,1
17,5


18,9
14,4
19,0


3,0
2,8
5,2


8,0
7,0
12,0


19,2
16,2
23,2


19,2
17,5
20,1


21,9
17,7
21,1


39,8
33,9
40,3


17,9
14,2
18,2

Régler en général personnellement les incidents

1984
1991
1998
2005


53,6
59,2
53,4


45,0
51,9
49,3


79,5
79,8
69,5


63,3
63,6
58,0


44,3
52,1
45,8


40,8
49,3
46,9


42,7
49,5
46,8


26,7
35,7
30,0


49,8
55,9
51,4

Régler les incidents dans certains cas précis

1984
1991
1998
2005


15,2
15,6
20,4


15,3
16,4
18,9


10,3
10,0
16,8


16,2
18,3
20,9


19,9
19,3
23,2


12,7
15,2
18,1


16,3
16,2
20,0


12,7
13,3
17,9


15,3
16,0
19,7

Pouvoir faire varier les délais fixés pour faire le travail

1984
1991
1998
2005


39,8
40,9
42,5


29,9
29,9
30,6


51,2
50,4
49,0


46,4
42,8
43,1


35,9
34,9
35,0


17,8
18,4
22,5


33,9
37,7
38,3


22,6
26,0
28,3


35,4
35,8
36,9

Lecture : en 1991, 17,9 % des salariés déclarent recevoir des indications précises sur la façon de procéder.

Source : enquêtes sur les conditions de travail 1984, 199, 1998 et 2005 (champ : salariés) – DARES (Premières Synthèse Informations n° 01.2 de janvier 2007)


L’absence de moyen d’intervention pour régler une difficulté survenant dans le travail : c’est par exemple le cas des employés confrontés à des systèmes informatiques régulièrement défectueux, des agents occupant les cabines de péage sur les autoroutes qui reçoivent les plaintes des automobilistes concernant la circulation ou le prix élevé du péage ou des agents chargés des litiges concernant le transport des bagages dans les aéroports qui ne peuvent que constater une perte et enregistrer la réclamation.

• Le stress : ce terme générique désigne la réaction des organismes subissant une agression physiologique ou psychologique qui les oblige à s’adapter en provoquant un traumatisme psychique. L’origine du stress est multiple ; elle peut être liée au travail (rapport avec la hiérarchie ou les collègues, rapport à la tâche demandée, rapport à la conception de son métier ou de sa mission que se fait le travailleur, rythme ou cadence imposé pour accomplir la mission,…), comme à des facteurs externes (situation familiale, trajet entre le domicile et le travail,...). Le lien entre le stress et les maladies coronariennes et les atteintes au système nerveux est désormais établi mais aucune conséquence sur l’espérance de vie du travailleur ou sa qualité de vie au grand âge n’a été démontrée.

Le stress a pris une importance particulière dans les entreprises en raison de l’évolution des modes d’organisation et de production. Cette importance a conduit les partenaires sociaux européen – la Confédération européenne des syndicats (CES), l’Union des industries de la Communauté européenne (UNICE, devenue en 2007 Business Europe, confédération des entreprises européennes), l’Union européenne de l’artisanat et des PME (UEAPME) et le Centre européen des entreprises à participation publique et de services d’intérêt économique général (CEEP) – à signer le 8 octobre 2004 un accord-cadre sur le stress au travail. Le stress y est décrit comme « un état qui est accompagné d’affections ou de dysfonctionnements physiques, psychiques ou sociaux et qui est la conséquence du sentiment d’incapacité à combler l’écart entre ce qu’on exige ou attend des individus et leur ressenti » (traduction libre). L’accord devait être transposé par les partenaires sociaux nationaux dans un délai maximum de trois ans après la signature de l’accord, soit au plus tard le 8 octobre 2007. Aucune transposition n’a été effectuée par les partenaires sociaux français qui ont décidé de détacher la question de cette transposition de l’objet des négociations interprofessionnelles sur la pénibilité au travail (cf. partie I du rapport sur ces négociations).

L’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail créée en 1994 a ainsi défini le stress : état qui « survient lorsqu’il y a déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face ».

La quatrième enquête européenne sur les conditions de travail (20)de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (« Fondation de Dublin »), rendue publique le 27 juin 2007, évalue à 20 milliards d’euros le coût économique du stress dans l’Europe des Quinze.

Dans sa La Lettre confédérale du 18 octobre 2006, la CFE-CGC a, dans un article intitulé « Le stress professionnel - Mal du siècle », estimé le coût moyen du stress professionnel à 3 % du produit intérieur brut (PIB), soit, pour la France, 51 milliards d’euros.

L’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) a évalué le coût social du stress au travail entre 800 et 1 600 millions d’euros.

Au Royaume Uni, en 2006, la Health and Safety Executive a évalué le coût du stress à 10% du produit national brut (PNB), soit environ 160 milliards de dollars américains. Il avait été recensé sur l’année 2006-2007 la perte de 13,8 millions de journées de travail pour cause de stress excessif. Le nombre de travailleurs ayant signalé pour la première fois un phénomène de stress, de dépression, d’anxiété lié au travail au cours des douze derniers mois a été estimé à 245 000 personnes. En 2006, environ 5 900 nouveaux cas de problèmes de santé mentale liés au travail ont été recensés, mais ce chiffre est, de l’avis de l’agence, sous-estimé.

En 2007, un article intitulé « Le nouveau mal du siècle » paru sur les sites canadiens www.Cyberpresse.ca et www.LeDevoir.com citait un sondage réalisé en 2001 révélant que 62 % des Canadiens sont stressés au travail, ce qui conduit chaque semaine 500 000 Canadiens à rester à la maison. Les coûts reliés au stress en milieu de travail pour l’économie canadienne atteindraient 13 à 14 milliards de dollars canadiens (8,5 milliards d’euros actuels) par année.

L’importance du stress, mise en relief par le rapport remis à M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, le 12 mars 2008 par MM. Philippe Nasse et Patrick Légeron (rapport sur la détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux au travail), est également liée au contexte économique et social français qui conduit les entreprises et les administrations à densifier le travail exigé des salariés et employés. Selon un avis unanime, cette évolution est patente depuis la mise en œuvre de la semaine de travail de 35 heures : la même quantité de travail est demandée pour un temps de travail réduit, les temps de repos et de repas sont réduits, etc.

• La précarité de la situation du travailleur (enchaînement de contrats de travail à durée déterminée, travail intermittent, vacataires, incertitudes sur le devenir du poste de travail ou de l’entreprise, etc.) : cette situation est aussi facteur de stress.

• La confrontation à des situations humainement difficiles (accompagnement des personnes lourdement handicapées, de personnes atteintes d’affections d’une particulière gravité ou de personnes en fin de vie, traitement des troubles psychiques ou mentaux, assistance aux personnes en situation de détresse personnelle,…) : cette pénibilité psychique se rencontre particulièrement dans les métiers de la santé ou de l’assistance sociale.

Les facteurs psychiques ou mentaux pèsent donc de manière importante sur la pénibilité. Contrairement à une idée reçue, pour les chercheurs comme M. Gérard Lasfargues, la pénibilité psychique ou mentale touche davantage les ouvriers que les cadres. En effet, les ouvriers, s’ils subissent une pression psychologique moindre, manquent de latitude décisionnelle, de reconnaissance et de récompense dans le travail et de soutien social dans le travail (à l’exception du BTP où la notion d’équipe reste forte et compense le stress des ouvriers) contrairement aux cadres. Au regard du modèle de Karasek, ils sont donc plus exposés que les cadres.

Le lien entre ces facteurs psychiques ou mentaux de pénibilité et la détérioration de l’état de santé du travailleur est aujourd’hui établi :

– une étude menée par une équipe de chercheurs britanniques dirigée par Sir Michael Marmot, professeur d'épidémiologie et de santé publique de l’University College de Londres, réalisée auprès de 10 308 fonctionnaires britanniques sur une période de douze ans et publiée sur le site de la revue The European Heart le 23 janvier 2008, vient de mettre en évidence un lien direct entre le stress chronique vécu au travail et la survenance de maladies coronariennes (angine de poitrine et infarctus du myocarde,…) chez les salariés qui y sont exposés : le stress professionnel peut, à lui seul, être source de problèmes cardiaques (21) ;

– auparavant, l’étude Interheart menée sur 25 000 personnes dans 52 pays et publiée en 2004 dans Lancet, avait, une nouvelle fois, établi une corrélation entre une augmentation du risque cardio-vasculaire et l’exposition à différentes situations stressantes rencontrées dans un milieu professionnel et montré que ce risque était en moyenne multiplié par deux.

Mais le lien entre ces facteurs psychiques ou mentaux de pénibilité et une réduction de l’espérance de vie du travailleur n’est pas du tout établi. Il est ainsi troublant de constater que les enseignants, dont le caractère stressant de l’activité professionnelle est reconnu et constaté à travers le nombre élevé de délivrance de traitements médicaux pour troubles nerveux ou psychiques, ont une des espérance de vie les plus élevées parmi les catégories socioprofessionnelles.


Si la pénibilité mentale ou psychique est réelle, son traitement au plan de la compensation ou de la réparation ne peut donc être calquée sur un modèle global.

Pour un tour d’horizon sur la nature de cette forme de pénibilité et ses modalités de prévention, on pourra se reporter au numéro 318 de mars-avril 2008 de la revue Travail et changement de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) qui fait un point sur les risques psychosociaux dans le travail (« Agir sur le stress et les risques psychosociaux »).

3. La pénibilité relationnelle

Cet aspect de la pénibilité a été évoqué devant la mission par le Père Jacques Turck, directeur du service pour les questions familiales et sociales de la Conférence des évêques de France. Il prend trois formes principales : les relations hiérarchiques, l’absence de participation à la stratégie, l’absence d’espace de convivialité. Voici comment elles ont été présentées à la mission (22) :

« Les relations hiérarchiques : dans certains pays, le n+1 vous invite pour vous féliciter. En France, ces relations sont rarement perçues avec une vision positive. On vous appelle le plus souvent pour vous faire remarquer vos insuffisances. Cet état d’esprit infantilise et ne facilite pas la liberté de dire non à une proposition. Cela conduit à une surcharge de travail dont l’employé est lui-même complice. Mais le sentiment de ne pouvoir réaliser son travail au niveau de qualité acceptable conduira à une perte de confiance en soi et bien entendu à un cercle vicieux vers de nouvelles critiques. Sans parler de harcèlement en expressions vexatoires qui portent atteinte au respect ou à la dignité des personnes. Il y a des managements par la peur qui sont odieux : se voir reprocher d’être des privilégiés par exemple.

« L’absence de participation à la stratégie ne permet pas de comprendre les procédures nouvelles ou les changements d’organisation fréquents.

« L’absence d’espace de convivialité : l’impossibilité d’inscrire son travail dans un ensemble isole et déprime. Le travail est l’affaire d’une communauté où s’exprime des points de vue, des savoir-faire, des projets différents. Le bien commun est la visée incontournable du travail. Ce bien commun introduit un principe de différence entre les personnes, leur type d’intelligence et d’appréhension des problèmes. Toute uniformité, toute privation de point de vue est source de souffrance et d’appauvrissement. Le morcellement des horaires, la non-régularité des présences en raison des jours de RTT n’autorisent pas à dire que le travail en équipe est une valeur en hausse dans l’entreprise. Le climat de course à la performance, les remises de primes, les chiffres à atteindre conduisent, pour sa propre survie, à la non-information, au non-partage du pouvoir de décision, à l’indépendance, à la diminution des points de rencontre. La convivialité, si elle existe, est prise sur des temps hors travail minutés. Cet ensemble de constats détériore le climat de travail, empêche la constitution d’une véritable communauté de travail. Cet espace est remplacé par un espace virtuel (téléphone, Internet,…). Les temps dits « morts » sont prohibés de même que le rire. Ils servent pourtant à prendre du recul, à faire fonctionner le vivre ensemble. »

Le concept de pénibilité relationnelle présente l’intérêt de mettre en lumière des aspects souvent occultés de la pénibilité psychique. Ces formes de pénibilité reposent essentiellement sur le management des travailleurs. Des solutions peu coûteuses de prévention peuvent donc être apportées, essentiellement par des actions de formation et un recours à un psychologue du travail.

4. La pénibilité subjective ou vécue et la pénibilité objective

Les chercheurs ont établi une distinction pour mettre en évidence un aspect fondamental de la pénibilité au travail : son caractère relatif à l’individu. En effet, face à un même facteur de pénibilité et placés dans des conditions identiques de travail, les individus répondent différemment à un facteur de pénibilité. C’est pourquoi il faut distinguer la pénibilité vécue de la pénibilité objective.

La pénibilité vécue rend compte de la perception et du vécu par le travailleur de la pénibilité de ses conditions de travail. Le stress au travail est un élément dominant de la pénibilité vécue, selon le rapport précité de M. Gérard Lasfargues.

Des chercheurs ont également mis en évidence qu’un travailleur bien rémunéré, intéressé par son travail et accomplissant ses missions dans une bonne ambiance de travail ressent moins de pénibilité, qu’elle résulte d’efforts physiques, de stress ou d’un travail de nuit. Cette situation est notamment observée dans le milieu des enseignants où des instituteurs ou des professeurs souhaitent partir en retraite le vite possible en raison de fatigues devenues insupportables et, inversement, où d’autres enseignants vivent comme une injustice le fait d’être mis d’office à la retraite à 60 ou 65 ans. La pénibilité au travail comporte donc une dimension personnelle difficilement mesurable, qui met en relief la difficulté d’appliquer des méthodes globales de compensation ou de réparation.

La pénibilité subjective ou vécue est notablement réductible par l’amélioration des organisations du travail.

Par ailleurs, cette distinction met également en relief un aspect complexe du traitement de la pénibilité au travail : des travailleurs peuvent subir des conditions de travail pénibles mais ne ressentir les effets de cette pénibilité qu’à très long terme, parfois même seulement en quittant leur emploi ou en partant en retraite. Les syndicats et les experts citent souvent le cas de l’exposition aux substances toxiques mais la mission considère qu’il ne convient pas d’englober dans le traitement de la pénibilité la prise en charge des travaux dangereux qui doivent être gérés spécifiquement.

Au plan juridique, M. Franck Héas, maître de conférence à la faculté de droit et de sciences politiques (droit social des affaires) de l’Université de Bretagne-Sud (Nantes), considère que l’étude des dispositions du droit social et de la jurisprudence montre que la pénibilité comporte deux dimensions indissociables : une dimension objective qui permet de mettre en place des normes limitant la pénibilité subie ; une dimension subjective qui conduit à faire varier l’appréciation de la pénibilité en fonction de chaque individu.

5. La pénibilité réductible et la pénibilité irréductible

Certains des facteurs de pénibilité exposés précédemment sont à ce jour incontournables, sauf à supprimer l’activité professionnelle ou le métier en cause. Les entreprises, les administrations, les partenaires sociaux, le législateur pourront définir de nouvelles modalités d’organisation du travail, de nouveaux postes de travail, de nouveaux équipements, etc., mais certaines formes de pénibilité ne pourront ni être éliminées, ni même atténuées. Ainsi, le travail de nuit ne pourra pas être effectué dans une ambiance diurne, le travail en sous-sol sur les voies d’un métro souterrain s’effectuera toujours en ambiance confinée, les hôpitaux et les services de police et de gendarmerie devront toujours fonctionner 24 heures sur 24, les bras des déménageurs devront toujours porter des charges lourdes, les ouvriers du bâtiment et des travaux publics seront toujours confrontés à des situations climatiques incommodes, les classes d’école accueilleront toujours des élèves insupportables, les agressions des clients des commerces et des guichets des services publics perdureront, les éleveurs devront se lever chaque matin pour la traite des vaches, la découpe des viandes en usine devra toujours s’effectuer manuellement à très basse température, les marins pêcheurs subiront toujours les intempéries et les dangers de la mer, etc. Ces pénibilités sont proprement irréductibles.

Cependant, les progrès technologiques ont incontestablement permis de réduire les efforts physiques. Ces progrès sont continus et permettent de réduire des pénibilités jusque-là considérées comme inéluctables : ainsi un système automatique de traite des vaches a été mis au point par l’entreprise suédoise Lely, parfaitement opérationnel ; il évite aux éleveurs de se lever à l’aube sept jours sur sept pour enclencher la traite de leurs vaches mais le coût d’achat de ce robot, de l’ordre de 140 000 euros, met le système hors de portée des petites exploitations.

De même, l’amélioration des conditions de travail, notamment par le recours aux enseignements de l’ergonomie, a permis de réduire la pénibilité de certaines postures ou gestes et la nocivité de certains rythmes de travail ou de certaines ambiances. La science du management permet même de réduire le stress au travail en améliorant les relations hiérarchiques, la manière de définir les missions, l’accompagnement des travailleurs.

Au regard de cette distinction, il doit appartenir au législateur ou au gouvernement d’intervenir prioritairement pour prévenir et compenser la pénibilité irréductible. Cette pénibilité étant elle-même susceptible de devenir réductible ultérieurement, ceci impose de réévaluer périodiquement les politiques de lutte contre la pénibilité.

E. LES CAUSES DE LA PÉNIBILITÉ

De nombreux travaux scientifiques ont été réalisés depuis une dizaine d’années sur les facteurs de pénibilité au travail. Une annexe du rapport dresse une liste des principaux rapports, études et synthèses réalisés en France depuis 2003. Le rapporteur a souhaité mettre en avant les causes principales de pénibilité qui ressortent des auditions et des déplacements qu’elle a effectués. La plupart de ces facteurs font l’objet d’un large consensus ; ce sont les conséquences à tirer de leur existence qui font débat.

M. Yves Struillou, dans son rapport Pénibilité et retraite d’avril 2003 a retenu quatre facteurs de pénibilité traduisant des conditions de travail susceptibles d’ouvrir droit à un traitement prioritaire au titre des droits à la retraite :

– le port de charges lourdes associé à des contraintes posturales, articulaires, de déplacement et de pénibilité physique en général ;

– le travail de nuit en horaire alternant ;

– le travail à la chaîne ou sous cadence imposée ;

– l’exposition à des produits toxiques.

Le rapport Départs en retraite et « travaux pénibles » d’avril 2005 de M. Gérard Lasfargues contient une liste, très proche de celle de M. Yves Struillou, des conditions de travail pénibles susceptibles de présenter des risques à long terme sur la santé des salariés (page 14) :

« – les efforts physiques, c’est-à-dire manutention, port de charges, postures pénibles ;

« – des conditions d’environnement « agressif » : chaleur, intempéries, bruits, exposition aux toxiques, etc. ;

« – les contraintes de rythme de travail et d’horaire atypique : travail de nuit, horaires alternants, travail à la chaîne, travail sous cadence, etc. »

L’ensemble de ces facteurs présente l’avantage de reposer sur des données objectives et mesurables.

1. La nature des travaux

Les enquêtes SUMER (surveillance médicale des risques) analysent les expositions aux ambiances et contraintes physiques. Parmi les expositions aux risques professionnels des salariés en France, les éléments suivants sont analysés au titre de l’environnement du travail :

– travail sur écran (en continu ou discontinu, vingt heures ou plus par semaine) ;

– travail avec appareils optiques ;

– autre travail de précision associant contraintes visuelle et posturale ;

– manutention manuelle de charges (deux heures, dix heures, vingt heures par semaine ou plus) ;

– contraintes posturales et articulaires ;

– position debout ou piétinement (vingt heures par semaine ou plus) ;

– déplacement à pied dans le travail (vingt heures par semaine ou plus) ;

– position à genoux (deux heures, dix heures par semaine ou plus) ;

– position fixe de la tête ou du cou (vingt heures par semaine ou plus) ;

– maintien de bras en l’air (deux heures, dix heures par semaine ou plus) ;

– autres contraintes posturales (accroupi, en torsion, deux heures par semaine ou plus) ;

– répétition d’un même geste ou d’une série de gestes à une cadence élevée (soit dix heures ou plus par semaine, soit vingt heures ou plus par semaine, soit avec un temps de cycle de moins d’une minute, soit avec un temps de cycle de moins d’une minute pendant au moins dix heures par semaine) ;

– travail avec machines et outils vibrants, travail avec outils transmettant des vibrations aux membres supérieurs (dix heures par semaine ou plus), vibrations créées par des installations fixes (concasseur, table vibrante,…), vibrations transmises au corps entier par des installations fixes ou par la conduite de machine mobile ;

– conduite de véhicules, conduite de machines mobiles sur le lieu de travail, conduite sur la voie publique (deux heures, vingt heures par semaine ou plus).

2. L’environnement du travail

Parmi les expositions aux risques professionnels des salariés en France faisant l’objet des enquêtes SUMER, les éléments suivants sont analysés au titre de l’environnement du travail :

– exposition à des nuisances sonores (bruit supérieur à 85 dbA, bruit supérieur à 85 dbA pendant vingt heures ou plus par semaine, bruit comportant des chocs ou des impulsions, bruit nocif, autres bruits gênant, ultrasons) ;

– exposition à des nuisances thermiques ;

– travail à l’extérieur exposé aux intempéries ;

– travail à froid (moins de 15° C) imposé par le processus de production ;

– travail à chaud (plus de 24° C) imposé par le processus de production ;

– travail en milieu humide imposé par le processus de production ;

– l’exposition à des radiations (ionisantes DATR de catégorie A ou B, non ionisantes, laser, optiques non cohérentes, électromagnétiques, etc.) ;

– travail en air et espace contrôlés (salle blanche, ambiance hyperbare, locaux climatisés, espace confiné).

On peut ajouter à ces éléments des facteurs, certes plus difficilement mesurables :

– la salubrité du poste de travail ;

– l’espace de liberté donné au travailleur dans l’accomplissement de ses missions ;

– la précarité du contrat de travail ;

– la situation économique de l’entreprise et du marché sur lequel travaille le salarié ;

– la fatigue physique et psychique entraînée par le trajet entre le lieu de travail et le domicile.

3. La subjectivité liée aux personnes

Nonobstant les facteurs liés à l’activité professionnelle et à son environnement, les effets de la pénibilité seront très variables selon les personnes. Plusieurs éléments liés à la personne du travailleur pondèrent le poids des pénibilités subies :

– l’âge du travailleur ;

– les antécédents professionnels du travailleur (l’accumulation des facteurs de pénibilité) ;

– la résistance individuelle à des effets de certaines pénibilités (faculté de récupération à la suite de travaux de nuit ou des efforts physiques prolongés,…) et le ressenti du travailleur face aux pénibilités subies ;

– la satisfaction au travail accompli ou le poste occupé ;

– l’état de santé du travailleur (fragilité physique naturelle, pathologies résultant d’antécédents familiaux, accidents ou maladies intervenues en dehors du travail) ;

– hygiène de vie personnelle (alimentation, tabac, alcool, etc.) ;

– situation familiale favorable ou défavorable du travailleur.

Ces considérations confirment le rapporteur à estimer que la prise en compte de la pénibilité ne peut être détachée d’un examen individuel de l’état de chaque travailleur.

F. LES CRITÈRES IDENTIFIANT LA PÉNIBILITÉ

Une fois la notion de pénibilité au travail définie et cernée, il est indispensable d’en poser les critères de détection afin de permettre la mise en œuvre d’éventuels dispositifs de prévention, de compensation ou de réparation. Sans critères, la lutte contre la pénibilité ne saurait être opérationnelle. Or cette tâche est de l’avis de toutes les personnes auditionnées une des plus complexes car les facteurs de risque, les facteurs sanitaires et humains, les environnements sociaux et professionnels et les contraintes de travail sont divers et multiples, ce qui rend difficile le repérage des causes de la pénibilité. En outre, lorsque les causes de pénibilité sont multifactorielles, leurs effets peuvent se cumuler, voire se multiplier. En dernier lieu, les effets de la pénibilité peuvent n’apparaître que sur le long terme, parfois bien après la cessation de l’activité professionnelle en cause ou après le départ en retraite.

Par nature, un critère de détection de l’existence d’une pénibilité au travail doit présenter un caractère objectif et mesurable. La définition de critères nécessite donc, si l’on veut prévenir la pénibilité, de confier à une autorité la charge de mesurer la pénibilité au travers de ces critères et, si l’on veut compenser ou réparer la pénibilité subie, de consigner les facteurs et le degré de pénibilité subie par le travailleur tout au long de sa carrière.

Il a été présenté à la mission d’information une grande variété de critères d’identification de la pénibilité au travail. Ces critères peuvent être répartis en quatre catégories correspondant à quatre caractères de la pénibilité.

On peut définir deux types de critères : des facteurs liés à l’activité professionnelle même ; des critères liés à la santé (morbidité, incapacité) ou à l’espérance de vie.

1. Les critères liés à l’accomplissement de l’activité professionnelle

Lors de la séance de négociation interprofessionnelle sur la pénibilité du 25 mars 2008, la CGT et la CFTC ont présenté leurs propositions de critères de détection de la pénibilité.

Pour la CGT, neuf facteurs de pénibilité peuvent être dégagés :

– les gestes répétitifs ;

– le travail à la chaîne ;

– l’exposition à des températures extrêmes et aux intempéries ;

– les expositions aux bruits intenses ;

– les contraintes posturales et articulaires ;

– les vibrations ;

– la manutention et le port de charges lourdes ;

– le travail de nuit et les horaires décalés ;

– les expositions à des produits toxiques et aux poussières et fumées.

De son côté, la CFTC a regroupé en quatre catégories les facteurs de pénibilité :

– les contraintes physiques ;

– l’environnement agressif ;

– les rythmes de travail ;

– les risques psychosociaux.

Les trois premières catégories font l’objet d’un consensus mais le patronat refuse d’inclure les facteurs psychiques dans les critères de la pénibilité en raison de leur caractère non mesurable et de leur lien avec des facteurs extérieurs au monde du travail.

La proposition d’accord interprofessionnel présentée par le patronat lors de cette séance du 25 mars 2008 énumère les facteurs de pénibilité suivants (cf. document en annexe du rapport) :

1° Les contraintes physiques marquées :

– le port de charges lourdes : manutention manuelle répétitive pendant plus de vingt heures par semaine, de charges supérieures à 55 kg par des hommes ;

– les postures pénibles tenues plus de vingt heures par semaine : positions forcées des articulations (à genoux, accroupies, en torsion,…) ; maintien de bras en l’air ;

– les vibrations de plus de 5 m/s² (unité d’accélération permettant de pondérer en une valeur unique les vibrations transmises dans les différentes bandes de fréquences) qui sont transmises plus de huit heures par jour aux membres supérieurs ou les vibrations de plus de 1,15 m/s² transmises à l’ensemble du corps.

2° Les environnements agressifs :

– les produits toxiques : contact quotidien, effectif et répété avec des agents cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques de classe 1 ou avec des poussières et fumées au sens de l’article R. 232-5-5 du code du travail recodifié sous l’article R. 4222-10 ;

– les températures extrêmes : travail pendant plus de vingt heures par semaine sous des températures supérieures à 30° C ou inférieures à – 10° C ;

– les bruits intenses : exposition de manière habituelle pendant plus de vingt heures par semaine à plus de 87 dB à l’oreille.

3° Les rythmes de travail :

– le travail de nuit : travail de plus de deux cents nuits par an ;

– les horaires alternants : travail au moins quinze ans en équipes successives alternantes ;

– le travail répétitif : répétition, plus de vingt heures par semaine, d’un même geste à une cadence élevée, imposée ou non par le déplacement automatique d’une pièce, avec un temps de cycle inférieur à une minute.

Ces critères s’appuient sur l’enquête SUMER.

On trouvera ci-après l’analyse des principaux facteurs de pénibilité reconnus scientifiquement. Le rapporteur rappelle que les données résultant de l’enquête SUMER sont tirées des réponses à un questionnaire recueillies par les médecins du travail de juin 2002 à décembre 2003 pour l’enquête SUMER 2003 (1 792 médecins du travail ont interrogé 56 345 salariés dont 49 984 ont répondu). L’attention doit être appelée sur le fait que les données d’exposition figurant dans ces résultats résultent des appréciations individuelles par les travailleurs des contraintes et ambiances de leur travail : les contraintes retenues ne sont pas quantifiées. On ne peut donc pas en déduire le nombre de travailleurs susceptibles d’être concernés par les critères débattus dans la négociation interprofessionnelle mais seulement avoir un ordre de grandeur sur l’importance épidémiologique d’une exposition à un risque professionnel.

a) Les travaux nécessitant des efforts physiques importants

La quatrième enquête européenne sur les conditions de travail (23)de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (« Fondation de Dublin ») précitée fournit les données suivantes sur l’exposition aux risques physiques en Europe.

Exposition aux risques physiques au travail en Europe

(pourcentage de réponse affirmative)

 

UE27

UE15

DK

DE

FR

NL

PL

FI

UK

Positions douloureuses ou fatigantes

45,5

44,4

33,5

46,4

52,8

24,8

51,0

45,2

30,6

Soulever ou déplacer des personnes

8,1

8,7

6,0

6,9

10,9

6,6

3,1

11,4

11,1

Porter ou déplacer des charges lourdes

35,0

33,9

29,8

31,8

39,2

22,0

40,8

38,5

33,9

Rester debout ou de marcher

72,9

72,9

73,5

73,5

74,9

59,1

73,1

79,4

71,6

Mouvements répétitifs de la main ou du bras

62,3

61,5

61,2

56,9

60,7

60,7

58,1

79,6

60,0

Porter un équipement personnel de protection

34,0

32,0

25,9

34,7

27,8

25,7

42,7

42,5

35,3

Source : quatrième enquête européenne de la Fondation de Dublin.

• Le port de charges lourdes

La directive européenne 90/269/CEE du 29 mai 1990 a défini les prescriptions minimales de sécurité et de santé relatives à la manutention manuelle de charges comportant des risques, notamment dorsolombaires, pour les travailleurs de la Communauté européenne. Aux termes de son article 2, la manutention manuelle de charges désigne « toute opération de transport ou de soutien d'une charge, par un ou plusieurs travailleurs, dont le levage, la pose, la poussée, la traction, le port ou le déplacement d'une charge qui, du fait de ses caractéristiques ou de conditions ergonomiques défavorables, comporte des risques, notamment dorsolombaires, pour les travailleurs ».

L’employeur doit prendre les mesures d’organisation appropriées ou utiliser les moyens appropriés, notamment les équipements mécaniques, en vue d’éviter la nécessité d'une manutention manuelle de charges par les travailleurs. Dans tous les cas où la manutention manuelle de charges ne peut être évitée, il doit organiser les postes de travail de telle façon qu’elle soit la plus sûre et la plus saine possible. La directive contient également des obligations d’information et de formation des travailleurs exposés.

Ces dispositions ont été entièrement transposées en droit français.

Aux termes de l’article R. 4541-9 du code du travail (ancien article R. 231-72), un salarié adulte ne peut porter de façon habituelle des charges supérieures à 55 kg sans aide mécanique s’il n’a pas été préalablement reconnu apte par le médecin du travail. Pour les femmes adultes, le port de charges supérieures à 25 kg est interdit (article R. 234-6 du code de travail). Pour les mineurs, le même article R. 234-6 fixe les limites de 20 kg pour les hommes de 16-17 ans, 15 kg pour les hommes de 14-15 ans, 10 kg pour les femmes de 16-17 ans et 8 kg pour les femmes de 14-15 ans. Des limites sont également prévues pour le transport par wagonnets circulant sur voie ferrée (600 kg véhicule compris pour les femmes adultes), le transport sur brouettes, le transport sur véhicules à trois ou quatre roues, le transport sur charrettes à bras à deux roues, le transport sur tricycles porteurs à pédales et le transport sur diables et cabrouets.

Cependant de nombreux secteurs d’activité dont les salariés sont particulièrement exposés au port de charges lourdes se sont organisés, par voie de convention collective ou par accords professionnels, pour adapter les limitations à leurs contraintes propres. Ainsi, dans le bâtiment, la plupart des conditionnements manipulés manuellement ne dépassent plus 25 kg contre 50 kg autrefois ; dans la boucherie, la convention collective limite à 15 kg le port de charge par les apprentis de 15 ans et à 20 kg par ceux âgés de 16-17 ans.

En tout état de cause, le code du travail interdit le maniement de charges supérieures à 105 kg.

L’Agence française de normalisation (AFNOR) a publié en avril 1989 la norme X35-109 définissant les limites acceptables de port manuel de charges par une personne. Cette norme française est proposée dans l’arrêté du 15 juin 1993 d’application de l’article R. 231-69 du code du travail comme un outil d’aide à l’évaluation des risques liés aux manutentions pour les médecins du travail. Elle recommande de limiter à 30 kg la charge pour les hommes et à 15 kg pour les femmes. L’Union européenne recommande une limite de 25 kg par travailleur.

L’importance des risques a également conduit la Caisse nationale d’assurance maladie à adopter le 6 décembre 1990 une recommandation R 344 sur le transport manuel de charges. Cette recommandation a été abrogée le 20 juin 2002 compte tenu des dispositions réglementaires adoptées dans l’intervalle.

L’enquête SUMER 2003 indique que 42,8 % des salariés sont astreints à une manutention manuelle de charges (selon la définition européenne), soit 7,49 millions de travailleurs. Ce facteur de pénibilité touche majoritairement les hommes (49,9 % d’entre eux) mais n’épargne pas les femmes (33,4 % d’entre elles). Sont surtout concernés les ouvriers (66,8 % des ouvriers qualifiés et 64,2 % des ouvriers non qualifiés et des ouvriers agricoles) et les employés du commerce et de service (58,8 % des travailleurs).

7,7 % des salariés (1,35 million de travailleurs) sont astreints à une manutention manuelle de charges au moins vingt heures par semaine.

Le critère d’exposition à ce facteur de pénibilité doit être un critère conjuguant la durée d’exposition (en années) avec un tonnage cumulé de manutention.

• Les contraintes posturales et articulaires

L’enquête SUMER 2003 indique que 71,8 % des salariés sont soumis à des contraintes posturales et articulaires, soit 12,57 millions de travailleurs. Ce facteur de pénibilité touche autant les hommes (73,8 % d’entre eux) que les femmes (69,3 % d’entre elles). Seuls les cadres et professions intellectuelles supérieures sont minoritairement touchés (39,5 % de cette catégorie) ; les ouvriers et les employés du commerce et de service sont presque tous concernés par ces contraintes (88,1 % des ouvriers qualifiés, 90,9 % des employés du commerce et de service, 94,2 % des ouvriers non qualifiés et des ouvriers agricoles) ; 62,7 % des professions intermédiaires le sont et 55,3 % des employés administratifs des secteurs public et privé.

48,9 % des salariés (8,54 millions de travailleurs) sont astreints à une position debout ou un piétinement et 27,2 % (4,76 millions) à une position debout ou un piétinement vingt heures par semaine.

43,5 % des salariés (7,62 millions de travailleurs) doivent effectuer des déplacements à pied dans le travail et 16,1 % (2,82 millions) le font vingt heures par semaine.

14,9 % des salariés (2,6 millions de travailleurs) doivent tenir une position à genoux et 2 % (358 600) y sont contraints dix heures ou plus par semaine.

22,5 % des salariés (3,93 millions de travailleurs) doivent maintenir une position fixe de la tête et du cou et 10,1 % (1,77 million) y sont contraints au moins vingt heures par semaine.

15,2 % des salariés (2,66 millions de travailleurs) doivent maintenir leurs bras en l’air et 2,7 % (472 300) y sont contraints dix heures ou plus par semaine.

24,9 % des salariés (4,35 millions de travailleurs) sont soumis à d’autres contraintes posturales difficiles (accroupi, en torsion, etc.).

50 % des salariés (8,75 millions de travailleurs) travaillent sur écran en continu ou discontinûment et 21,3 % (3,73 millions) le font contraints au moins vingt heures par semaine.

1,7 % des salariés (294 300) travaillent avec des appareils optiques et 6,3 % des salariés (1,09 million) déclarent effectuer un travail de précision associant des contraintes visuelles et posturales autres que celles précitées.

Il existe différente normes sur les contraintes posturales, par exemple la norme internationale ISO 11228-1 sur les manutention verticale et horizontale homologuée en 2003 ou la norme européenne EN 1005-2 (norme française X35-106) sur la manutention manuelle de machines et d’éléments de machines visant à limiter les risques de lésions musculo-squelettiques, notamment dorsolombaires. Lorsque de telles normes existent, le critère de pénibilité pourrait consister en une durée d’exposition (en années) et, lorsque la contrainte posturale s’accompagne de manipulations, en une valeur de masse manipulée cumulée (les neuf paramètres de la norme EN 1005-2 – distances de prise, dépose horizontale et verticale, angle de rotation du buste, facilité de prise en main de la charge, fréquence de levage, prise à une main, à deux personnes avec tâche additionnelle permettent d’établir une masse limite recommandée).

• Le travail à la chaîne et les gestes répétitifs

L’enquête SUMER 2003 indique que 16,9 % des salariés doivent répéter dans le travail le même geste ou la même série de gestes à une cadence élevée, soit 2,95 millions de travailleurs. Ce facteur de pénibilité touche autant les hommes (16,7 % d’entre eux) que les femmes (17,2 % d’entre elles). Ce sont les ouvriers non qualifiés et les ouvriers agricoles qui sont essentiellement touchés par cette contrainte (42,1 % d’entre eux).

6,6 % des salariés (1,15 million de travailleurs) sont astreints à ces gestes répétitifs au moins vingt heures par semaine.

8,7 % des salariés (1,52 million de travailleurs) sont astreints à ces gestes répétitifs avec un temps de cycle de moins d’une minute et 4,9 % (857 200) le sont à cette cadence élevée dix heures ou plus par semaine.

Le critère de détection de la pénibilité devrait suivre les mêmes principes que le critère des contraintes posturales et articulaires.

b) Les travaux obéissant à un rythme atypique ne respectant pas les caractéristiques physiologiques humaines

Il n’existe pas de statistiques ou d’études épidémiologiques permettrant de dénombrer le nombre de travailleurs astreints à un rythme atypique de travail. Néanmoins, un ordre de grandeur de 20 % des travailleurs est souvent avancé.

• Le travail de nuit

L’article L. 213-1-1 du code du travail qualifie de travail de nuit tout travail accompli entre 21 heures et 6 heures. Cette définition a été introduite par l’article 17 de la loi n° 2001-397 du 9 mai 2001. Est considéré comme travailleur de nuit tout salarié accomplissant sur cette plage horaire :

– soit, selon son horaire de travail habituel, au minimum trois heures dans la période de nuit, à raison de deux fois par semaine au moins ;

– soit, un nombre minimal d’heures de travail pendant une « période de référence ». Ce nombre minimal d’heures de travail de nuit et la période de référence sont fixés par accord collectif étendu. À défaut d’accord, le nombre minimal est de 270 heures accomplies pendant une période de douze mois consécutifs.

Une dérogation est prévue pour les activités de production rédactionnelle et industrielle de presse, de radio, de télévision, de production et d’exploitation cinématographiques, de spectacles vivants et de discothèque. La période de nuit dans ces secteurs est fixée entre 24 heures et 7 heures par le code du travail, une convention ou un accord collectif de branche étendu, un accord d’entreprise ou d’établissement pouvant fixer une autre période de travail de nuit, sous réserve de comprendre l’intervalle compris entre 24 heures et 5 heures.

Aux termes de l’article L. 213-1-1 du code du travail, le recours au travail de nuit doit être exceptionnel, prendre en compte les impératifs de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs et être justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale. La mise en place du travail de nuit ou son extension à de nouvelles catégories de salariés doit être prévue par convention ou accord collectif de branche étendu ou par accord d’entreprise ou d’établissement. À défaut d’accord, l’entreprise doit demander l’autorisation à l’inspecteur du travail d’affecter à titre dérogatoire et sous certaines conditions, des salariés sur des postes de nuit.

Le travail de nuit doit donner lieu à une compensation sous forme de repos compensateur et, éventuellement, d’un supplément salarial.

Par ailleurs, un travailleur de nuit bénéficie de certaines garanties :

– protection médicale particulière sous forme d’un examen par le médecin du travail préalable à l’affectation à un poste de nuit et à intervalles réguliers d’une durée ne pouvant dépasser six mois ;

– possibilité d’être affecté temporairement ou définitivement sur un poste de jour comparable et correspondant à sa qualification si l’état de santé du travailleur de nuit, constaté par le médecin du travail, l’exige ;

– l’employeur ne peut prononcer la rupture du contrat de travail du travailleur de nuit du fait de son inaptitude, sauf s’il justifie par écrit soit de l’impossibilité de proposer un poste de reclassement au salarié, soit du refus du salarié d’accepter ce changement de poste ;

– information, particulièrement des femmes enceintes et des travailleurs vieillissant, sur les incidences potentielles du travail de nuit sur la santé.

Les dernières statistiques disponibles du ministère du travail sur le travail de nuit remontent aux enquêtes sur les conditions de travail de 1998. Elles montrent la croissance continue du travail de nuit en France.

Evolution du travail de nuit de 1984 à 1998

Sexe

Année

Effectifs totaux (en milliers)

Répartition des salariés selon le nombre de nuits travaillées par an

Possibilité de se reposer pendant le travail de nuit

aucune

1 à 50

51 à 100

101 à 200

200 et plus

Hommes

1984

10 194

82,5 %

9,1 %

4,0 %

1,2 %

3,2 %

1991

10 406

82,5 %

10,1 %

3,8 %

2,1 %

1,5 %

1998

10 481

79,6 %

10,0 %

5,2 %

2,9 %

2,3 %

33,3 %

Femmes

1984

7 408

95,1 %

2,5 %

0,6 %

0,3 %

1,5 %

1991

8 396

94,7 %

3,3 %

0,6 %

1,0 %

0,4 %

1998

9 036

93,6 %

3,3 %

1,1 %

1,1 %

0,9 %

45,2 %

Ensemble

1984

17 602

87,9 %

6,3 %

2,6 %

0,8 %

2,5 %

1991

18 801

88,0 %

7,1 %

2,4 %

1,6 %

1,0 %

1998

19 517

86,1 %

6,9 %

3,3 %

2,1 %

1,6 %

35,8 %

Nota : Dans les enquêtes emploi de la DARES, est assimilé à un travailleur de nuit le salarié ayant travaillé, même partiellement, dans la tranche horaire de 0 à 5 heures, eu égard aux considérations physiologiques à l’activité pendant cette tranche horaire. Cette définition est donc différente de la définition juridique du travail de nuit.

Source : DARES, enquêtes sur les conditions de travail. La répartition est faite sans tenir compte des non-déclarés (pour faciliter les comparaisons). La dernière question n’a été posée qu’en 1998.

Le nombre de travailleurs de nuit, réguliers ou occasionnels, augmente depuis les années 1990. De nos jours, ils seraient plus de trois millions (environ 3,2 millions), ce qui représenterait 14,1 % des salariés français, contre 13,9 % en 1998. Plus de 20 % des salariés de sexe masculin travailleraient la nuit, alors que 7 % des femmes le feraient (elles ne sont autorisées à travailler de nuit que depuis la loi du 9 mai 2001). Les salariés travaillant habituellement de nuit représenteraient 7 % des salariés, soit 1,61 million de salariés fin 2006 (l’INSEE recense 22,69 millions d’emplois salariés fin 2005 et estime à 22,95 millions le nombre d’emplois salariés fin 2006). Ce volume de 7 % est en nette augmentation : le taux n’était que de 4 % en 1998 (environ 830 000 salariés à l’époque).

Les travailleurs de 50 ans et plus sont encore 3 %, soit 100 000, à travailler régulièrement la nuit, dont près de la moitié plus de deux cents nuits par an.

Compte tenu des résultats des études médicales sur les troubles à long terme du travail de nuit (cf. chapitre D ci-dessus), il conviendrait de retenir comme critère de pénibilité le travail de nuit pendant au moins quinze années (certains demandent dix ans par mesure de précaution afin de ne pas écarter certains travailleurs affectés), une année devant être validée si elle a donné lieu à au moins deux cents nuits de travail. La définition légale – ou conventionnelle en cas d’existence d’un accord collectif du travail – du travail de nuit doit être retenue pour l’application du critère (ce qui, en fin de carrière, pourrait ne pas être sans poser des difficultés puisque la définition des horaires peut varier d’une branche ou d’une entreprise à une autre).

• Le travail en horaires alternants ou le travail posté

Le travail posté est ainsi défini par la directive 93/104/CE du 23 novembre 1993 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail. Il s’agit de « tout mode d’organisation du travail en équipe selon lequel des travailleurs sont occupés successivement sur les mêmes postes de travail, selon un certain rythme, y compris le rythme rotatif, et qui peut être de type continu ou discontinu, entraînant pour les travailleurs la nécessité d’accomplir un travail à des heures différentes sur une période donnée de jours ou de semaines ». Ce type de travail est également qualifié de travail en horaires alternants.

Comme les travailleurs de nuit, les travailleurs postés bénéficient d’une surveillance médicale renforcée (visite médicale au moins annuelle en application des articles R. 4624-17 et R. 4624-19 du code du travail, anciennement articles R. 241-49 et R. 241-50). Il est en outre interdit aux entreprises d’affecter un salarié à deux équipes successives, sauf à titre exceptionnel et pour des raisons impérieuses de fonctionnement (article R. 3122-1 du code du travail, anciennement article R. 212-13) et de faire travailler un salarié affecté de façon permanente dans des équipes successives en cycle continu plus de trente-cinq heures par semaine travaillée en moyenne annuelle (article L. 3132-15 du code du travail, anciennement article 26 de l’ordonnance n° 82-41 du 16 janvier 1982 relative à la durée du travail et aux congés ; cette durée n’a pas été réduite lors de l’abaissement à trente-cinq heures de la durée légale du travail hebdomadaire).

Les dernières statistiques disponibles du ministère du travail sur le travail en horaires alternants remontent à l’enquête sur les conditions de travail de 1998.

Le travail en horaires alternants en 1998

Sexe

Effectifs
totaux

Proportion de salariés travaillant en horaires alternants

dont les salariés auxquels il arrive de rester plus longtemps lors du changement d’équipe

Hommes

10 481 000

11,1 %

38,3 %

Femmes

9 036 000

6,3 %

31,5 %

Ensemble

19 517 000

8,9 %

36,0 %

Source : DARES, enquête sur les conditions de travail de 1998.

En 2006, l’INSEE estime à 22,95 millions le nombre d’emplois salariés. Si le taux observé en 1998 est resté constant, le nombre de salariés occupant un travail posté serait donc de 2,04 millions.

Les travailleurs de 50 ans et plus sont 7 %, soit 230 000, à travailler en horaires alternants.

Le critère de détection de cette forme de pénibilité devrait être calqué sur le critère retenu pour le travail de nuit, compte tenu de la proximité de ces deux formes de pénibilité.

Le travail à la chaîne ou sous cadences imposées fait encore débat sur la quantification du critère de pénibilité à retenir. En effet, ce facteur de pénibilité est relié aux troubles musculo-squelettiques dont les contours sont difficilement objectivables, et comporte un facteur psychique de pénibilité important.

Par précaution, il semblerait cohérent de retenir un quantum identique à celui retenu pour le travail de nuit et le travail en horaires alternants.

• Les déplacements fréquents loin du domicile ou à l’étranger

Cette condition de travail signalée à la mission est une forme particulière d’organisation en horaires atypiques qui accentue les perturbations hormonales résultant de l’irrégularité des périodes de travail de jour et de nuit et l’effet de décalage horaire. Ce critère de pénibilité paraît d’une application trop complexe pour être pris en compte à ce stade.

c) Les travaux s’effectuant dans un environnement agressif

La quatrième enquête européenne sur les conditions de travail de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (« Fondation de Dublin ») précitée fournit les données suivantes sur l’exposition aux risques physiques environnementaux en Europe (24).

Exposition aux risques physiques environnementaux au travail en Europe

(pourcentage de réponse affirmative)

 

UE27

UE15

DK

DE

FR

NL

PL

FI

UK

Vibrations

24,2

23,1

16,8

28,8

21,8

15,9

31,2

21,6

15,4

Bruit

30,1

28,7

30,0

32,9

31,9

20,0

41,6

37,0

23,7

Températures élevées

24,9

23,4

20,5

23,7

26,7

23,6

29,4

24,9

16,4

Températures basses

22,0

20,4

19,9

18,3

23,9

17,0

27,3

25,9

19,7

Respirer des fumées, vapeurs, poussière, etc.

19,1

17,6

13,2

19,3

19,9

13,7

23,9

24,4

11,7

Respirer des vapeurs telles que des dissolvants et des diluants

11,2

10,9

4,5

13,8

13,5

6,7

11,0

14,4

6,0

Manipuler des substances chimiques

14,5

13,9

10,2

15,5

16,6

8,7

17,8

23,3

11,8

Radiations

4,6

4,7

3,6

6,8

3,7

4,2

4,0

6,2

3,1

Tabagisme passif

20,1

19,7

27,5

25,6

19,9

15,6

19,9

11,3

14,7

Manipuler des matériaux infectieux

9,2

9,0

9,1

10,5

9,9

10,4

6,2

15,8

8,2

Source : quatrième enquête européenne de la Fondation de Dublin.

• L’exposition au bruit

L’Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT) estime que « bien qu’en diminution constante, le bruit constitue encore en France une cause non négligeable de maladie professionnelle déclarée (plus de 600 par an). En Europe, 29% des travailleurs sont exposés à un niveau de bruit élevé pendant plus du quart de leur temps de travail. »

Les articles R. 232-8 à R. 232-8-7 du code du travail, qui ne sont pas repris dans la nouvelle partie réglementaire du code du travail, imposent des normes limitant les nuisances sonores. L’employeur doit estimer et, si besoin, mesurer le bruit subi pendant le travail de façon à identifier les travailleurs pour lesquels l’exposition sonore quotidienne atteint ou dépasse 85 dB (A) ou pour lesquels la pression acoustique de crête atteint ou dépasse 135 dB. Quand ces niveaux sont dépassés, des équipements de protection individuelle doivent être fournis gratuitement à chaque travailleur exposé. Par ailleurs, une information et une formation adéquates sur les risques, les moyens de prévention et les obligations de protection sont fournies avec le concours du médecin du travail. Quand les niveaux de 90 dB (A) et de 140 dB sont dépassés, l’employeur doit prendre toutes les dispositions pour que ces équipements soient utilisés. Un travailleur ne peut être affecté à des travaux l’exposant à un niveau sonore supérieur ou égal à 85 dB (A) que s’il a fait l’objet d’un examen préalable par le médecin du travail et si sa fiche d’aptitude ne contient pas de contre-indication médicale. Un arrêté du 31 janvier 1989 a précisé les modalités du contrôle par le médecin du travail.

La mesure de l’exposition au bruit en condition réelle d’activité est très complexe. Elle demande la contribution non seulement des acousticiens ou des médecins, mais aussi celle des spécialistes de l’analyse du travail. Comme le rappelle l’ANACT, le traitement du bruit est d’autant plus complexe qu’il constitue souvent un indicateur très utile dans la réalisation du travail, par exemple pour déceler des dysfonctionnements.

L’enquête SUMER 2003 indique que 31,9 % des salariés sont exposés à des nuisances sonores, soit 5,58 millions de travailleurs. Cette exposition touche majoritairement les hommes (42,5 % d’entre eux contre 17,7 % pour les femmes) et les ouvriers (60,7 % des ouvriers qualifiés et 55,4 % des ouvriers non qualifiés et des ouvriers agricoles).

17,8 % des salariés (3,11 millions de travailleurs) sont exposés à un niveau sonore supérieur à 85 dB et 5,9 % (1,03 million) à un niveau sonore supérieur à 85 dB au moins vingt heures par semaine.

6,8 % des salariés (1,19 million de travailleurs) sont exposés à un bruit qualifié de nocif, c’est-à-dire à niveau sonore supérieur à 85 dB ou un bruit comportant des chocs et impulsions au moins vingt heures par semaine.

0,4 % des salariés (63 900) sont exposés à des ultrasons.

Le critère d’exposition à cette pénibilité pourrait reposer sur une durée d’exposition calculée en années, une année étant validée si pendant un certain nombre de jours un travailleur a été exposé à des bruits atteignant une certaine valeur calculée en décibels cumulés.

• L’exposition aux vibrations

Le Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail signale sur son site que l’American Conference of Governmental Industrial Hygienists (ACGIH) a établi des valeurs limites d'exposition aux vibrations produites par les outils à main. Les limites d’exposition sont données sous forme d'une accélération pondérée en fréquence qui représente une valeur de mesure unique du niveau d'exposition aux vibrations. La pondération fréquentielle est basée sur une méthode recommandée par l’Organisation internationale de normalisation dans la norme internationale ISO 5349 datant de 1986. Les instruments de mesure des vibrations peuvent comprendre un réseau de pondération fréquentielle comme option pour la mesure des vibrations. Le tableau ci-dessous montre les niveaux d’accélération et les durées auxquels, selon l’ACGIH, la plupart des travailleurs peuvent être exposés de façon répétitive sans subir de dommages graves aux doigts. L’ACGIH recommande que ces lignes directrices soient appliquées conjointement avec d'autres mesures de protection, y compris des mesures de lutte contre les vibrations.

Valeurs limites d'exposition de l'ACGIH
pour l'exposition des mains aux vibrations dans les trois directions tridimensionnelles

Durée d’exposition journalière totale

Valeur maximale de l’accélération pondérée en fréquence dans n’importe quelle direction

4 heures à moins de 8 heures

4 m/s²

2 heures à moins de 4 heures

6 m/s²

1 heure à moins de 2 heures

8 m/s²

moins de 1 heure

12 m/s²

L’enquête SUMER 2003 indique que 12 % des salariés travaillent en contact avec des machines et des outils vibrants, soit 2,09 millions de travailleurs. Ce facteur de pénibilité touche essentiellement les hommes (19,5 % d’entre eux) et relativement peu les femmes (2 % d’entre elles). Ce sont les ouvriers qualifiés qui sont les premiers touchés par cette contrainte (31,5 % d’entre eux), suivis par les ouvriers non qualifiés et les ouvriers agricoles (24,9 % d’entre eux).

10,9 % des salariés (1,9 million de travailleurs) travaillent avec des outils transmettant des vibrations aux membres supérieurs et 2 % (352 200) le font dix heures ou plus par semaine.

1,5 % des salariés (255 700) travaillent en contact avec des installations fixes transmettant des vibrations (concasseur, table,…).

Le critère d’exposition à cette pénibilité pourrait reposer sur une durée d’exposition calculée en années, une année étant validée si pendant un certain nombre de jours un travailleur a reçu une certaine quantité de vibrations calculées en accélération pondérée.

• L’exposition au froid ou à la chaleur

L’enquête SUMER 2003 indique que 20,7 % des salariés sont exposés à des nuisances thermiques, soit 3,61 millions de travailleurs. Ce facteur de pénibilité touche beaucoup plus les hommes (29,8 % d’entre eux) que les femmes (8,5 % d’entre elles). Le taux d’exposition atteint respectivement 39,8 % et 38,2 % parmi les ouvriers qualifiés et les ouvriers non qualifiés et ouvriers agricoles. Les secteurs de l’agriculture (63,7 % des salariés), de la construction (52,2 %) et des industries agricoles et alimentaires sont avant tout touchés.

12,5 % des salariés (2,19 millions de travailleurs) sont exposés aux intempéries dans leur travail en extérieur. 47,6 % d’entre eux disposent d’une protection cutanée et 8,6 % d’une protection oculaire.

5,5 % des salariés (970 000) doivent accomplir un travail dans une ambiance inférieure à 15°C imposée par le processus de production. 47,2 % d’entre eux disposent d’une protection cutanée. Sont essentiellement concernés les bouchers et charcutiers (49,5 % des salariés).

5,4 % des salariés (945 700) doivent accomplir un travail dans une ambiance supérieure à 24°C imposée par le processus de production. 20,8 % d’entre eux disposent d’une protection cutanée. Sont essentiellement concernés les salariés de l’hôtellerie et de la restauration (21,2 % des salariés), des industries agricoles et alimentaires (16 % des effectifs) et de la métallurgie (12,5 % des effectifs).

Le critère d’exposition à cette pénibilité pourrait reposer sur une durée d’exposition calculée en années, une année étant validée si pendant un certain nombre de jours une personne a travaillé sous une certaine température.

• Le travail en espace confiné

L’enquête SUMER 2003 indique que 17,5 % des salariés travaillent dans un air et un espace contrôlés, soit 3,06 millions de travailleurs. Ce facteur de pénibilité touche autant les hommes (17,2 % d’entre eux) que les femmes (18,0 % d’entre elles). C’est une exposition qui concerne d’abord les cadres et professions intellectuelles supérieures (30,3 % de la catégorie) puis les professions intermédiaires (21,6 %). Les secteurs touchés sont, par ordre décroissant, l’industrie chimique (39,7 %), la production et la distribution de fluides (39,3 %), les services financiers (37,6 %), la fabrication d’équipements électriques et électroniques (33 %) et les administrations publiques (25 %) et les industries agricoles et alimentaires (23,9 %).

Le travail en salle blanche touche 1 % des salariés (172 500), le travail en ambiance hyperbare 0,1 % des salariés, le travail dans des locaux climatisés 15,4 % des salariés et le travail en espace confiné 2,3 % des salariés.

Le critère d’exposition à cette pénibilité pourrait reposer sur une durée d’exposition calculée en années, une année étant validée si pendant un certain nombre de jours une personne a travaillé dans un espace confiné défini par accord collectif du travail.

• L’exposition aux produits toxiques

Le dénombrement de cette exposition s’appuie sur la liste des agents cancérogènes professionnels dont les effets potentiels à long terme sur la santé ont été établis avec un niveau de preuve élevé. Le rapport de M. Gérard Lasfargues établi pour le Centre d’études de l’emploi en avril 2005 (cf. liste des études en annexe) contient une liste de ces agents (amiante, amines aromatiques, arsenic, benzène, chlorure de vinyle, chrome, silice, goudrons de houille, nickel, poussières de bois, rayonnements ionisants,…).

L’exposition à au moins un produit toxique concerne 10 % des salariés, soit 1,83 million de personnes (enquête SUMER 2003). Le secteur de la construction est particulièrement touché puisque un salarié exposé sur cinq appartient à ce secteur (367 000 salariés) ; le taux est ramené à 7 % si l’on ne prend en compte qu’une exposition supérieure à deux heures par semaine. Dans le secteur de la construction, le taux d’exposition toute durée des salariés est de 30 % et de 20 % pour une exposition d’au moins deux heures par semaine.

Après la construction, les plus gros contingents de salariés exposés viennent du commerce et de la réparation automobile (252 000 salariés exposés, soit 8 % du secteur, et 147 000 pour une exposition d’au moins deux heures par semaine, soit 5 %), de la métallurgie (172 000 salariés exposés, soit 33 % du secteur, et 136 000 pour une exposition d’au moins deux heures par semaine, soit 26 %) et de l’immobilier, la location et les services aux entreprises (169 000 salariés exposés, soit 6 % du secteur, et 115 000 pour une exposition d’au moins deux heures par semaine, soit 4 %).

Le secteur du travail du bois est également particulièrement exposé puisque 57 % de ses employés (38 000 personnes) sont exposés, ce taux ne s’abaissant qu’à 51 % pour des expositions d’au moins deux heures par semaine (34 000 personnes).

L’exposition à au moins un produit toxique touche essentiellement les hommes (87,4 % des salariés exposés).

Si l’on évalue l’exposition aux produits cancérogènes dont la liste – plus étendue (gaz d’échappement diesel, fibres céramiques,…) – sert de référence aux études menées par le ministère du travail, 14 % des salariés sont exposés, soit 2,37 millions de personnes.

Nonobstant la distinction qui doit être faite avec la notion de danger, il paraît nécessaire de retenir le critère de l’exposition aux produits toxiques comme un critère de détection de la pénibilité. La pénibilité résultant d’une exposition aux produits toxiques est une pénibilité peu ressentie par le travailleur car ses effets sont différés ; elle ne se traduit par une dégradation de la santé du travailleur qu’à l’issue d’un délai de quinze ou vingt ans, voire plus pour certains toxiques et certaines expositions.

• Le contact direct avec le public

Le simple contact direct (présence physique, contact visuel, relation téléphonique) ne saurait constituer une forme de pénibilité en elle-même. Une telle tendance conduirait à considérer la plupart des métiers du secteur tertiaire comme pénibles puisque 80,2 % des salariés du secteur tertiaire se disent confrontés à un contact direct avec le public.

Globalement, l’enquête SUMER 2003 indique que 70 % des salariés ont un contact direct avec le public, soit 12,25 millions de personnes. Cette forme de « contrainte » est en forte progression puisque, à champ constant (25), ces salariés n’étaient que 63,2 % dans l’enquête SUMER de 1994 contre 70,9 % en 2003. La progression touche le plus des secteurs traditionnellement non exposés : l’agriculture (54,4 %) et la construction (67,7 %) dont le contact direct avec le public a augmenté de 20 %.

Le taux d’exposition atteint 92 % pour les employés du commerce et des services et 86,8 % pour les employés administratifs, 81,5 % pour les professions intermédiaires et 75,5 % pour les cadres.

De manière plus significative, de nombreux salariés ressentent ce contact avec le public comme un risque professionnel dans la mesure où ils perçoivent un risque d’agression physique. En 2003, 26,6 % des salariés en contact avec le public se sentaient ainsi menacés, soit 3,25 millions de personnes, le taux atteignant 39,9 % parmi les employés de commerce et de service en contact avec le public. A champ constant, le taux d’exposition est passé de 18,5 % à 23,2 % entre les enquêtes SUMER de 1994 et 2003 (+ 25,4 %).

Compte tenu de la définition de la pénibilité retenue par le rapporteur, il ne paraît pas adapté de retenir comme critère d’éligibilité au mécanisme de compensation décrit dans la partie IV du rapport le critère du contact avec le public. Ce critère a un caractère trop général et conduit à englober des professions entières et non des individus en fonction de leur situation personnelle.

d) Les travaux s’exerçant sous une pression psychologique excessive

L’enquête SUMER de 2003 donne une évaluation de l’impact des facteurs psychosociaux de la pénibilité :

– 19 % des salariés, soit 3 millions de personnes, seraient en situation de tension (job strain), c’est-à-dire dans une situation de forte demande psychologique en n’ayant qu’une faible latitude décisionnelle ; ce sont majoritairement des femmes (51,8 %), ce qui met en lumière la spécificité de cette forme de pénibilité ; elle touche toutes les catégories socioprofessionnelles (10 % des cadres, 16 % des professions intermédiaires, 25 % des employés des administrations des secteurs public et privé, 24 % des employés du commerce et des services, 19 % des ouvriers qualifiés, 22 % des ouvriers non qualifiés et des ouvriers agricoles) ; les secteurs industriels sont plus exposés que la moyenne, de même que les secteurs de l’hôtellerie-restauration, de l’administration publique et de la santé publique ;

– 12 % des salariés, soit 1,92 million de personnes, se déclarent en situation de tension et déclarent manquer de soutien social (iso strain) ; cette forme de pénibilité touche exactement autant les hommes que les femmes ; elle touche toutes les catégories socioprofessionnelles mais les cadres dans une moindre mesure ; les secteurs concernés les plus exposés sont les mêmes que ceux relevés pour le job strain ;

– 27 % des salariés en contact avec le public, soit 3,19 millions de personnes, déclarent être exposés à un risque d’agression physique ; les salariés exposés sont à 57 % des femmes ; dans le commerce et la réparation automobile, le taux d’exposition est de 27 % (661 000 salariés exposés), soit la moyenne nationale, mais dans le secteur de la santé et de l’action sociale il atteint 49 % (882 000 salariés exposés) et, dans les secteurs des transports et des communications (361 000 salariés exposés), des activités financières (196 000 salariés exposés), l’administration publique (81 000 salariés exposés), la production et la distribution de l’électricité, le gaz et l’eau (45 000 salariés exposés), l’éducation (81 000 salariés exposés) et l’hôtellerie-restauration (209 000 salariés exposés), le taux va de 34 à 37 %.

L’enquête Santé et Vie professionnelle après 50 ans (SVP 50) réalisée en 2003 par une équipe du Centre interservices de santé et médecine du travail en entreprises (CISME) et du Centre de recherches et d’études sur l’âge et les populations au travail (CREAPT) auprès de 650 médecins du travail de services interentreprises ayant interrogé des salariés de 50 ans et plus (11 213 questionnaires exploités) fournit également des données épidémiologiques instructives. Il ressort que 38 % des salariés interrogés ont déclaré travailler « sous pression » (32 % des ouvriers et 54 % des cadres) ; 80 % d’entre eux décrivent cette pression comme « difficile ou pénible ». L’enquête fournit des éléments indiquant que cette pression se traduit par des troubles de la santé.

Part des salariés de 50 ans et plus exposés à une pression présentant des troubles de santé

 

N’a jamais travaillé « sous pression »

A travaillé « sous pression » uniquement dans le passé

Travaille actuellement « sous pression » mais ne perçoit pas cela comme difficile

Travaille actuellement « sous pression » et perçoit cela comme difficile

Travaille actuellement « sous pression »

Douleurs

53 %

65 %

46 %

71 %

66 %

Fatigue

43 %

55 %

33 %

69 %

61 %

Troubles du sommeil

35 %

46 %

35 %

55 %

51 %

Troubles digestifs

15 %

19 %

14 %

24 %

22 %

Troubles de la mémoire

24 %

34 %

22 %

40 %

37 %

Nervosité

30 %

38 %

33 %

58 %

53 %

Sensation de découragement

15 %

24 %

10 %

37 %

32 %

Consultations médicales

48 %

53 %

40 %

54 %

51 %

Consommation de médicaments

46 %

50 %

41 %

52 %

50 %

Santé dégradée ces dernières années

23 %

35 %

16 %

47 %

41 %

Source : Enquête SVP 50 de 2003.

Cette enquête permet de relativiser l’effet nocif du travail sous pression sur la santé : le travail sous pression ne fait qu’amplifier des pathologies existantes chez les travailleurs âgés ; il n’apparaît pas comme la cause principale des troubles de santé ressentis par les travailleurs de 50 ans et plus mais les fortes contraintes temporelles seraient une cause de prévalence accrue des troubles de santé. Céline Mardon et Serge Volkoff, chercheurs du Centre d’études de l’emploi et du Centre de recherches et d’études sur l’âge et les populations au travail (CREAPT), qualifient donc la pression de « facteur de "petits" troubles de santé » et concluent qu’il existe un véritable mal-être au travail de ces travailleurs mais que les troubles sur la santé sont « atténués lorsque ces salariés réussissent à mettre en œuvre des stratégies protectrices ».

La quatrième enquête européenne sur les conditions de travail de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (Fondation de Dublin), rendue publique le 27 juin 2007, fournit les données suivantes sur l’intensité du rythme de travail en Europe (enquête auprès de 29 680 travailleurs dans 31 pays, questionnés en face à face à leur domicile à la fin de l’année 2005).

Rythme de travail et intensité du travail en Europe

(pourcentage de réponse affirmative)

 

UE27

UE15

DK

DE

FR

NL

PL

FI

UK

Travail à des cadences élevées

59,6

61,1

75,5

72,2

49,7

60,9

42,8

77,7

46,7

Travail selon des délais stricts

61,8

62,4

68,8

70,9

54,3

61,2

56,0

73,6

63,5

Rythme de travail déterminé par le travail des collègues

42,2

42,1

49,4

39,2

38,4

43,4

33,0

42,2

53,8

Rythme de travail déterminé par les exigences directes des personnes

68,0

71,0

73,0

68,9

73,4

75,7

50,7

74,2

70,8

Rythme de travail déterminé par les objectifs numériques et de production

42,1

42,8

32,0

46,3

55,1

47,3

39,3

53,2

35,9

Rythme de travail déterminé par la vitesse automatique d’une machine

18,8

18,5

14,6

19,5

17,1

15,6

16,3

19,8

18,3

Rythme de travail déterminé par le contrôle direct du supérieur

35,7

34,0

19,8

31,5

35,5

18,3

36,4

15,5

47,0

Source : quatrième enquête européenne de la Fondation de Dublin.

La détection au moyen de critères objectifs de la pression psychologique excessive est particulièrement difficile. A cette fin, à la demande de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, MM. Philippe Nasse, magistrat honoraire, et Patrick Légeron, médecin psychiatre, ont remis le 12 mars 2008 un rapport sur la détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux au travail. Ce rapport dresse un inventaire des indicateurs, nombreux et variés, existants (pages 19 et suivantes). Ils reposent sur des enquêtes, parfois même menées par des confédérations syndicales (« baromètre » de la CFE-CGC, « le travail en question » de la CFDT). Le rapport insiste sur la nécessité d’améliorer les indicateurs de mouvements de main-d’œuvre, d’absentéisme et des suicides. MM. Philippe Nasse et Patrick Légeron relèvent qu’« il n’existe pas "d’indicateur global" observant simultanément et l’état de santé mental des personnes concernées, et celui de leurs conditions sociales de travail. La plupart des personnalités rencontrées durant la préparation de ce rapport ont regretté cette situation ; quelques unes ont exprimé le doute, et le regret, que la construction de tels indicateurs soit possible. […] L’abondance de l’information disponible […] résulte de ce que cette information a été réunie par des chercheurs, ou des statisticiens proches des préoccupations de la recherche. Il est bon qu’il en soit ainsi » (page 25). Ils proposent de construire une statistique nationale de la santé mentale au travail.

Le rapporteur souligne que ces indicateurs permettent d’avoir une approche macroéconomique de la pénibilité psychique et relationnelle mais sont difficilement exploitables pour traiter des cas individuels, donc pour mettre en œuvre un suivi des mesures de prévention ou des dispositifs de compensation ou de réparation. La difficulté principale d’approche de cette forme de pénibilité est donc d’objectiver et quantifier son intensité et son impact sur la santé de chaque travailleur.

Cette pénibilité mentale ou psychique est à la rencontre de la sphère intime du psychisme individuel et de la sphère sociale des comportements en milieu professionnel et des modes d’organisation du travail. Les chercheurs n’ont pour cette raison pas mis en évidence l’effet pathogène direct de cette pénibilité. En revanche, elle paraît avoir un effet aggravant certain sur des travailleurs fragiles par ailleurs.

Elle pose pour cette raison de grands problèmes de quantification et même d’identification.

Compte tenu de ces caractères spécifiques, le rapporteur recommande de ne pas retenir le facteur psychique comme critère unique de détection d’une pénibilité dans le but de mettre en œuvre une mesure de compensation ou de réparation. Pour être retenue, cette forme de pénibilité devrait s’ajouter aux autres formes de pénibilités.

Ce type de pénibilité résulte d’une grande variété de facteurs qui souvent se conjuguent. Le rapporteur en donne quelques exemples ci-après. Leur lecture permet de comprendre la difficulté – et à ce jour, l’impossibilité – d’établir un indicateur individuel de pénibilité psychique :

– la situation économique de l’entreprise et du marché ;

– la précarité du contrat de travail ;

– l’incertitude sur l’avenir de l’emploi occupé ou l’évolution de la carrière ;

– la flexibilité forte de l’emploi et la modification incessante de l’organisation du temps de travail (c’est en particulier le cas des hôtesses de caisse dans les surfaces de vente de la grande distribution) ;

– l’intensification forte du travail : dans un temps de travail hebdomadaire réduit, il est demandé d’accomplir autant et si ce n’est plus de tâches, tout en améliorant la qualité et en exigeant une polyvalence ; toutefois la direction de l’animation de la rechercher, des études et des statistiques (DARES) du ministère chargé de l’emploi constate que « l’intensification du travail marque le pas : en 2005, 48 % des salariés déclarent devoir se dépêcher "toujours ou souvent" dans le travail, soit quatre points de moins qu’en 1998 » (Premières Synthèses Informations n° 01.2 de janvier 2007 ; cf. tableau en partie I-A-3 du rapport).

– la fixation d’objectifs irréalistes ;

– le management intrusif dans la personnalité ;

– les difficultés des relations avec la clientèle ou le public.

2. Les critères liés à la morbidité ou à l’espérance de vie

On trouvera en début de partie I du rapport (point I-A-1-d) les statistiques sur l’espérance de vie des travailleurs français.

Les syndicats de salariés, à l’exception de la CFE-CGC, font valoir que la nette différence d’espérance de vie entre un cadre supérieur et un ouvrier âgés de 35 ans (5,7 années en 2003 et même 9,6 années si l’on prend en compte l’écart d’espérance de vie sans incapacité physique ou sensorielle) montre indubitablement l’effet délétère de la pénibilité sur les travailleurs qui en souffrent le plus. Les épidémiologistes concluent à l’existence d’une véritable « double peine » pour les ouvriers qui non seulement ont une espérance de vie plus courte mais sont atteints par des incapacités beaucoup plus sévères (cf. article d’Emmanuelle Cambois, Caroline Laborde et Jean-Marie Robine de l’Institut national d’études démographiques (INED) dans Population et sociétés n° 441 de janvier 2008).

Les chercheurs établissent un lien direct entre de nombreuses formes de pénibilité et l’espérance de vie et la morbidité des travailleurs. Les critères d’espérance de vie et d’espérance de vie sans incapacité physique ou sensorielle constitueraient donc des critères valables de mesure des effets de la pénibilité.

Le critère de l’espérance de vie a l’avantage d’être aisément mesurable. M. William Dab, ancien directeur général de la santé du ministère de la santé, chef du département hygiène et sécurité du Conservatoire national des arts et métiers, propose ainsi que la pénibilité au travail soit définie à partir de la seule perte de chance résultant d’un espérance de vie réduite et que tout dispositif de compensation ne soit mis en œuvre que sur la base de ce seul critère incontestable, accessible (via le registre des décès et les statistiques établis par l’INSEE et l’INED), objectif et opérationnel.

Le critère de l’espérance de vie a cependant l’inconvénient de s’appuyer sur des données globales et non individuelles et sur des observations anciennes : les décès d’aujourd’hui sont, toute chose égale par ailleurs, le résultat des pénibilités subies dans les années 1960, 1970 et 1980. Or les pénibilités évoluent sensiblement en vingt ans. Non seulement il ne serait pas objectif de déterminer un dispositif de compensation des pénibilités pour les travailleurs aujourd’hui en activité sur le fondement des effets de la pénibilité subie par leurs aînés de vingt, trente ou quarante ans, mais il serait injuste d’appliquer à des travailleurs des mesures selon qu’ils dépassent ou non un seuil déterminé en fonction d’une moyenne nationale, régionale ou socioprofessionnelle (il n’existe pas de tables
– du moins accessibles au public – de mortalité par branches d’activité, par métiers ou par entreprises).

Le critère de la morbidité présente l’intérêt de rendre compte pleinement du retentissement sur la santé de la pénibilité au travail et de son effet éventuellement invalidant. Il a l’avantage d’être adapté aux situations individuelles de chaque travailleur sans avoir à prendre référence sur des moyennes de morbidité nationales, socioprofessionnelles ou par métiers.

La mise en œuvre d’un tel critère exige cependant – c’est d’ailleurs son principal caractère distinctif – de mettre en place un suivi sanitaire pour chaque travailleur. Des solutions existent : l’extension du dossier médical personnel ou le recours à des systèmes développés pour les assurances privés à l’instar de l’outil présenté à la mission par MedicalMD (cf. comptes rendus des auditions). Cependant, pour l’application de dispositifs en matière de pénibilité au travail, ces systèmes ne seront pleinement opérationnels que pour les travailleurs âgés actuellement de trente ans au maximum (cf. analyses dans la partie IV-D-2 du rapport sur la traçabilité de la pénibilité).

Le rapporteur considère donc que le critère de la morbidité ne peut pas être immédiatement opérationnel. Il faut néanmoins préparer l’avenir et réfléchir à la mise en place d’un suivi sanitaire individuel tout au long de la vie professionnelle des travailleurs.

III.- AGIR POUR LA PRÉVENTION DE LA PÉNIBILITÉ

La distinction établie plus haut entre « pénibilité réductible » et « pénibilité irréductible » doit conduire à deux grands types de mesures. La pénibilité irréductible doit être traitée en tant que telle, par des mesures de compensation et de réparation qui seront étudiées ensuite (voir infra, partie IV).

La pénibilité réductible, quant à elle, doit faire l’objet d’un autre type de traitement. Le rapporteur a clairement entendu les revendications des représentants salariés, ne souhaitant pas que les conditions de travail non satisfaisantes fassent plus longtemps l’objet de compensations financières, de telle manière que cette compensation serait censée éteindre toute autre forme d’obligation.

C’est pourquoi la pénibilité réductible, essentiellement liée aux conditions d’exercice des métiers et non pas au métier, lui-même, doit faire l’objet d’une action spécifique, le plus possible concertée, et impliquant l’ensemble des acteurs.


Le droit social français est très développé en matière de prévention des risques professionnels. Les normes figurant dans le code du travail sont nombreuses et précises, au point d’ailleurs d’être parfois peu respectées par les travailleurs eux-mêmes eu égard à leur lourdeur ou à l’inconfort qu’elles génèrent dans le travail. La prévention utilise les canaux de la médecine du travail, de l’inspection du travail, des comités d’hygiène et de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et de quelques réseaux d’analyse des risques professionnels. Néanmoins, seule la prévention dans les métiers dangereux, pour les travaux dangereux ou en cas d’exposition à des produits toxiques a été développée sérieusement. Pour cette raison, la réglementation en vigueur prend mal en compte la pénibilité au travail.

En fait, sur l’ensemble des activités professionnelles, on a plutôt développé jusqu’ici des mesures de réparation : régime des arrêts de travail, organisation de la branche des maladies professionnelles et accidents du travail de la sécurité sociale, régimes des préretraites et cessations anticipées d’activité, régime de mise à la retraite. En matière de compensation, une médecine du travail a été mise en place et les entreprises et administrations ont développé des systèmes de primes et des droits à repos que le salarié ou l’employé n’est pas tenu de prendre.

C’est pourquoi il est nécessaire aujourd’hui de renforcer l’ensemble des moyens et mesures consacrés à la prévention de la pénibilité, qui passe avant tout par une amélioration ciblée des conditions de travail et des moyens de contrôle et de pédagogie portant sur ces conditions.

A. LES ATTENTES DES PARTENAIRES SOCIAUX EN MATIÈRE DE PRÉVENTION DE LA PÉNIBILITÉ

Les auditions de la mission ont permis de mettre en relief plusieurs axes de travail possibles, et très majoritairement, sinon unanimement, partagés par les partenaires sociaux :

1° La nécessité d’une politique de prévention est reconnue unanimement. Certains représentants de salariés considèrent cet enjeu comme aussi important que tout ce qui est lié à la compensation et d’un rang de priorité de traitement comparable. Tous s’accordent également à dire que seul un effort massif et durable en faveur de la prévention permettra à la solidarité nationale de prendre en compte correctement la compensation de la pénibilité et de ses conséquences.

2° S’engager dans un plan actif de prévention répond à l’intérêt partagé des salariés et de leur santé, tout autant que des branches professionnelles. Ces dernières en effet – en tous cas celles qui sont réputées accueillir des métiers difficiles – trouvent dans l’amélioration des conditions de travail, et dans la prévention de la pénibilité, des facteurs d’amélioration de leur attractivité. L’ensemble des partenaires sociaux partage ce point de vue.

3° Les partenaires sociaux expriment également une attente réelle à l’égard des pouvoirs publics. Dans beaucoup de cas, en effet, le respect des réglementations concernant l’hygiène et la sécurité au travail suffirait à améliorer immédiatement les conditions de travail dans l’entreprise, au bénéfice et des salariés et de ceux qui les emploient. Malheureusement, encore trop nombreux sont les dirigeants qui perçoivent ces règles (temps de repos, délais de prévenance,…) comme un coût affaiblissant l’entreprise alors que leur non-respect génère un coût différé nettement plus élevé du fait de la moindre efficacité des salariés démotivés ou subissant une pénibilité excessive, parfois génératrice d’une morbidité accrue.

C’est pourquoi une information, une sensibilisation et le renforcement des moyens de contrôle permettraient de faire prendre conscience aux décideurs et aux salariés de l’intérêt qu’ils ont à faire respecter et à respecter eux-mêmes scrupuleusement ces règles.

4° Les partenaires sociaux ont tous évoqué l’émergence d’une nouvelle forme de pénibilité, venue se surajouter à la pénibilité physique, et à distinguer de celle-ci : la pénibilité psychique, essentiellement liée au stress. On s’accorde majoritairement à considérer que les causes de cette nouvelle pénibilité sont à ranger du côté de ce que l’on nomme la « densification du travail ». Celle-ci peut être la conséquence directe de la réduction du temps de travail et des efforts considérables de productivité qui s’en sont suivis. La nécessaire concentration des salariés sur les objectifs à atteindre, objectifs eux-mêmes très souvent toujours plus élevés, et rarement concertés, produit un effet pervers très pénalisant sur le contexte relationnel des entreprises. L’humanité des relations peine à trouver sa place dans ce nouveau contexte, et de très nombreux salariés ressentent une réelle déshumanisation de leur travail, inconfortable sur le plan psychologique et dévalorisante. À des degrés divers, on évoque également le contexte général d’une concurrence accrue, qui conduit les entreprises à solliciter toujours davantage leurs salariés, selon des modalités et des méthodes encore souvent oublieuses du respect des personnes.

Cette dichotomie – encore trop souvent vécue comme telle – entre la performance des organisations et l’humanité de leur fonctionnement est clairement une des causes majeures du stress et de son augmentation en fréquence et en densité au sein des organisations.

Sans méconnaître la réalité et la gravité de ce phénomène, il semble très difficile de le faire prendre en compte dans des systèmes de compensation collective : il faut donc le traiter en termes de prévention.

B. LA SITUATION ACTUELLE

Il ressort des auditions et des déplacements de la mission que la prévention de la pénibilité au travail est non seulement une préoccupation largement partagée par tous les partenaires sociaux mais encore qu’elle a fait l’objet d’un ensemble de mesures concrètes dans beaucoup d’endroits.

Selon une enquête de la direction de l’animation, de la recherche et des statistiques du ministère chargé du travail (DARES), publiée en mars 2007 et reproduite en annexe du présent rapport, 81 % des responsables d’établissements de 20 salariés et plus déclarent avoir mis en œuvre, de 2002 à 2004, un dispositif de prévention des risques professionnels (information sur les risques, formation à la sécurité, mise à disposition d’équipements de protection, aménagement des postes de travail,…).

De même, 64 % des établissements employant 20 salariés et plus ont signalé avoir mené une négociation collective ou une discussion avec les partenaires sociaux sur les conditions de travail au cours des trois années précédant l’enquête, soit de 2002 à 2004. Ce taux était de 47 % sur les années 1996-1998, ce qui montre l’effet de la mise en œuvre du document unique d’évaluation des risques professionnels.

Au plan européen, les enquêtes montrent également une progression des actions de prévention et une amélioration du ressenti des conditions de travail.

Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail
(communiqué de presse du 7 novembre 2006)

Les conditions de travail en Europe – ce qu’en disent les travailleurs
Premières conclusions de la quatrième enquête européenne sur les conditions de travail

Selon la quatrième enquête européenne sur les conditions de travail, les travailleurs européens sont satisfaits de leurs conditions de travail, en grande partie en raison de l’amélioration de la sécurité au travail, du climat positif régnant sur les lieux de travail et des possibilités d’apprentissage et de développement. toutefois, ces conditions de travail varient considérablement d’un Etat membre a l’autre, entre les «anciens» et les «nouveaux» Etats membres, d’un secteur a l’autre, entre les femmes et les hommes et entre les différents groupes d’age.

Le secteur des services continue de prendre de l’importance sur le marché européen du travail. il emploie environ 66 % des travailleurs dans les 25 Etats membres de l’union européenne, ainsi qu’en Bulgarie et en Roumanie, les deux pays en voie d’adhésion. le pourcentage de travailleurs employés dans le secteur manufacturier et dans le secteur agricole est en régression; le premier ne représente plus que 29 % des emplois tandis que le second n’en offre plus que 5 %. en Europe, la proportion de travailleurs utilisant un ordinateur pendant au moins un quart du temps de travail est passée de 31 % en 1991 a 47 % en 2005.

Au cours des 15 dernières années, on relève également un recul constant du nombre de travailleurs qui estiment que leur santé et leur sécurité sont exposes a des risques dans le cadre de leur travail. leur proportion est passée de 31 % en 1991 a 27 % en 2005. On note toutefois d’importantes différences dans ce domaine entre les pays de l’ue-15 (25 %) et les nouveaux Etats membres (40 %).

Selon Jorma Karppinen, directeur de la fondation, « ces premières conclusions de l’enquête européenne sur les conditions de travail montrent que s’il existe incontestablement une marge pour l’amélioration de la productivité en Europe, les responsables politiques doivent et devront relever de nombreux défis afin d’atteindre les objectifs d’amélioration des taux d’emploi et de la qualité du travail établis dans les critères de lisbonne. La majorité des travailleurs européens déclarent que leur travail est intéressant et leur offre de nouvelles possibilités d’apprendre, mais l’accès a la formation ne s’est pas améliore, notamment pour les travailleurs ages, ce qui témoigne de la lenteur de la mise en œuvre des initiatives d’apprentissage tout au long de la vie. »

[…]

Environ quatre travailleurs sur cinq (80 %) se disent satisfaits de l’équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie privée, mais plus de 44 % de ceux qui ont des horaires de travail lourds (plus de 48 heures par semaine) pensent le contraire. les hommes, notamment les pères ayant un emploi, sont moins satisfaits de l’équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie privée que les femmes. Il semble que les horaires de travail standard restent la norme pour la plupart des travailleurs en Europe. pour la majorité de la population active de l’UE-27, la durée normale de travail s’élève généralement a 40 heures étalées sur 5 jours. plus de 55 % des travailleurs effectuent le même nombre d’heures de travail chaque jour et, pour plus de 70 % des travailleurs, la semaine de travail compte le même nombre de jours. La proportion des personnes n’ayant pas un horaire de travail standard (celles qui travaillent de nuit ou les week-ends) a légèrement recule depuis 1995.

Depuis 1990, les enquêtes européennes sur les conditions de travail effectuées tous les cinq ans par la fondation fournissent des informations précieuses sur la qualité du travail. la quatrième enquête présente les points de vue des travailleurs sur un large éventail de questions, y compris l’organisation du travail, la durée du travail, l’égalité des chances, la formation, la santé et le bien-être, et la satisfaction professionnelle. Les entretiens ont été menés a la fin de 2005 avec près de 30 000 travailleurs de 31 pays (UE-25, plus les deux pays en voie d’adhésion, la Bulgarie et la Roumanie, ainsi que la Croatie, la Norvège, la Suisse et la Turquie).

Le rapporteur prend acte des nombreuses actions de prévention engagées par des entreprises et dans les branches professionnelles. En 2005, 274 branches professionnelles de plus de 5 000 salariés étaient recensées ; à ce jour, 298 types de conventions collectives sont répertoriés. Le rapporteur souhaite néanmoins mettre en lumière le traitement de la pénibilité dans deux branches : le bâtiment et les travaux publics (BTP) et le commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.

Eu égard aux métiers auxquels fait appel la branche, la pénibilité physique est depuis longtemps reconnue dans le BTP et appréhendée comme un facteur pesant sur la rentabilité des entreprises car elle réduit l’efficacité au travail (accidents du travail, maladie professionnelle, troubles musculo-squelettiques,…) et provoque des modifications de l’organisation du travail. Elle est également considérée comme un facteur de réduction de l’attractivité de la branche d’activité rendant plus difficile les recrutements.

La prévention de la pénibilité dans le BTP est développée parce que les facteurs de pénibilité y ont été identifiés. Ce travail a été facilité par le fait que la pénibilité physique (travail de force, environnement agressif) est relativement facilement objectivable et quantifiable. Dans cette industrie de main d’œuvre et de travail en équipe, les responsables d’entreprises et de chantiers ont très tôt eu conscience de la nécessité de contenir la pénibilité dans des limites supportables non seulement pour l’efficacité du travail (délai de réalisation des travaux, qualité des ouvrages, accidents,…) mais également pour conserver des équipes qualifiées et éviter des départs vers d’autres secteurs moins pénibles.

Compte tenu de l’importance des risques professionnels et des dangers pour les personnes, la réglementation de la sécurité est très développée. Elle a contribué à réduire la pénibilité au travail grâce aux normes sur les ports de charges, les émissions de bruit, le temps passé en contact avec des machines vibrantes, les interruptions de chantiers extérieurs pour cause de climat extrême, les équipements de protection individuels, les rythmes de travail, etc. La pénibilité mentale apparaît également réduite par le maintien du travail en équipe contrairement à d’autres branches industrielles ; l’esprit de solidarité lié au travail en équipe contribue à réduire plusieurs aspects de pénibilité psychique.

Le BTP s’est également doté de structures d’intervention permettant de traiter certains aspects de la pénibilité (26) et les organisations patronales reconnaissent l’existence d’une usure de nombreux travailleurs.

Les entreprises du BTP doivent obligatoirement s’affilier à l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP) et acquitter la cotisation professionnelle correspondante. L’OPPBTP a été créé dans les années 1950 ; il est régi par le décret n° 85-682 du 4 juillet 1985. L’OPPBTP est structuré en réseau avec onze comités régionaux ; il dispose de 300 agents et intervient en tant qu’organisme professionnel de conseil en matière de prévention, de protection de la santé et d’amélioration des conditions de travail des salariés du BTP.

L’OPPBTP a pour mission d’être à l’écoute des professionnels de la branche et de les inciter à mettre en oeuvre des politiques de prévention et à améliorer les conditions de travail dans les entreprises. Il contribue par des actions de conseil, de formation et d’information à la promotion de la prévention des accidents de travail et des maladies professionnelles. Un prédiagnostic de sécurité gratuit et de très courte durée (quelques heures) est proposé ; il est pris en charge par les ingénieurs prévention et les délégués à la sécurité du comité régional de l’OPPBTP auquel est rattachée l’entreprise.

L’OPPBTP tient un rôle d’expert et d’assistant technique pour les entreprises et les acteurs de la construction. Il intervient par le biais d’études spécifiques et d’analyses de statistiques. Ces données recueillies auprès des entreprises du BTP et commentées par l’OPPBTP dressent la cartographie de la prévention par régions et par métiers.

Par ailleurs, la branche a mis en place une caisse de prévoyance sociale, Pro BTP, apportant des compléments pour les risques vieillesse, décès et invalidité. Une commission paritaire tripartite comprenant des médecins est chargée d’apprécier l’usure des salariés sur la base des résultats d’un examen médical annuel. Les salariés peuvent saisir cette commission et faire appel de ses décisions en cas de désaccord.

Toutefois, il ressort des auditions que si des progrès certains ont été réalisés depuis de nombreuses années dans le BTP, la réduction de la pénibilité n’a avant tout été très significative que dans les grandes entreprises. Or les petites entreprises sont très nombreuses dans le bâtiment (90 % des effectifs sont employés dans des entreprises de moins de dix salariés), contrairement à l’activité de travaux publics.

Le commerce de détail à prédominance alimentaire est l’exemple d’une branche professionnelle qui a longtemps ignoré les problèmes de pénibilité, hormis lorsqu’ils avaient trait à des problèmes de sécurité et d’hygiène, par manque d’information et par habitude professionnelle très ancienne. Depuis le début des années 2000, la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD) a cependant pris la question en main et un guide de prévention des risques, y compris de pénibilité, a été élaboré, à la demande de la FCD, par le Centre interservices de santé et médecine du travail en entreprises (CISME). Ce guide vise tout d’abord à fournir aux entreprises un outil de détection des sollicitations contraignantes et d’analyse des risques selon le type de tâche demandée (des fiches détaillées d’observation de terrain sont proposées). Il propose ensuite, pour chaque activité professionnelle, des recommandations de prévention des risques. On trouvera en annexe 15 du rapport des exemples de grilles d’observation et des exemples de recommandations de prévention.

Cette démarche pragmatique et concrète doit être privilégiée.

La méthode retenue doit conduire non pas à adopter une couche réglementaire supplémentaire mais à établir des référentiels d’action déclinables dans chaque entreprise sans avoir à faire appel à des experts. Les problèmes doivent cependant être cernés à l’échelon national et à l’échelon de la branche. Le rapporteur considère qu’il est de la responsabilité des branches professionnelles de solliciter les réseaux d’expertise sur les risques professionnels, la médecine du travail et les conditions de travail (caisses régionales d’assurance maladie, ARACT, CISME, Conservatoire national des arts et métiers, laboratoires de recherche universitaires,…). Des fiches pratiques doivent être adressées aux entreprises afin que des actions de terrain soient engagées sans que les chefs d’entreprises soient dans l’obligation d’avoir recours à de nouvelles expertises.

Le rapporteur constate cependant que ces fiches de prévention concernent exclusivement la pénibilité physique. Des fiches comparables devraient être élaborées sur les méthodes de management afin de réduire certains facteurs importants de pénibilité mentale.

La réglementation du travail est d’ores et déjà très fournie en matière d’hygiène et de sécurité. Ces normes et procédures de prévention concernent de nombreux aspect de la pénibilité au travail, notamment :

– l’ambiance et le confort des locaux de travail : état constant de propreté, absence d’encombrement, aération des locaux fermés, traitement des pollutions spécifiques liées à la présence de substances ou à une activité particulière (l’article R. 4222-10 du code du travail, anciennement R. 232-5-5, prévoit que « dans les locaux à pollution spécifique, les concentrations moyennes en poussières totales et alvéolaires de l’atmosphère inhalée par une personne, évaluées sur une période de huit heures, ne doivent pas dépasser respectivement 10 et 5 milligrammes par mètre cube d’air »), fourniture d’une lumière naturelle suffisante (l’article R. 4223-4, anciennement R. 232-7-2, du code du travail fixe des valeurs minimales d’éclairement) et d’un chauffage convenable pendant la saison froide,…

– la protection contre le bruit (anciens articles R. 232-8 à R. 232-8-7 du code du travail, non repris dans la nouvelle partie réglementaire du code du travail) ;

– la protection contre les intempéries en cas de travail en extérieur ;

– la protection contre les risques d’explosion, de combustion, la contamination biologique, les risques chimiques, contre les rayonnements ionisants et les risques d’exposition à divers agents nocifs

– l’utilisation d’équipements de protection individuelle et d’équipements de travail divers comportant des risques et soumis à des prescriptions de sécurité ;

– la manutention de charges : aux termes de l’article R. 4541-9 du code du travail (ancien article R. 231-72), un salarié ne peut porter de façon habituelle des charges supérieures à 55 kg sans aide mécanique s’il n’a pas été préalablement reconnu apte par le médecin du travail ; pour les femmes, le port de charges supérieures à 25 kg est interdit ; mais les secteurs d’activité s’organisent pour adapter les limitations à leurs contraintes propres : dans le bâtiment, la plupart des conditionnements manipulés manuellement ne dépassent plus 25 kg contre 50 kg autrefois ; dans la boucherie, la convention collective limite à 15 kg le port de charge par les apprentis de 15 ans et à 20 kg par ceux âgés de 16-17 ans ; en tout état de cause, le maniement de charges supérieures à 105 kg est interdit ;

– la transmission au corps de vibrations mécaniques ;

– le confort des postes de travail (mise à disposition de boissons, de sièges : articles R. 4225-2 et R. 4225-5 du code du travail) ;

– la présence d’installations sanitaires (vestiaires, douches, sanitaires) ;

– l’existence d’une salle de repos dans les établissements employant mille salariés et plus ;

– la protection de travailleurs fragiles : femmes enceintes, venant d’accoucher ou allaitant (articles R. 4152-1 et suivants du code du travail), jeunes travailleurs (articles R. 4153-1 et suivants du code du travail), salariés titulaires d’un contrat à durée déterminée et salariés temporaires (articles R. 4154-1 et suivants du code du travail), personnes handicapées (articles R. 4225-6 et suivants du code du travail).

De gros progrès en matière de réduction de la pénibilité seraient réalisés si cette réglementation était complètement respectée dans toutes les entreprises. C’est un problème de pédagogie ; la lutte contre la pénibilité au travail n’est pas enseignée en tant que telle : le port des équipements de protection, les règles tenant au rythme du travail, les obligations de travail en équipe, etc. ne sont pas pleinement respectés parce que ces réglementations sont perçues comme un frein à l’efficacité immédiate dans le travail, alors qu’elles visent à préserver non seulement la sécurité des travailleurs mais également leur santé sur le long terme.

Par ailleurs, la lutte contre la pénibilité est encore trop souvent perçue comme un coût, alors qu’elle constitue à l’évidence un investissement de long terme améliorant la productivité et renforçant l’attractivité des entreprises et des branches d’activités.

Cependant, le rapporteur souligne qu’un programme efficace de santé au travail ne parviendra pas à éliminer complètement la pénibilité au travail. Il arrive encore souvent que les travailleurs soient eux-mêmes la cause de la pénibilité qu’ils subissent, ne serait-ce qu’en ne respectant pas les consignes ou la réglementation, en gérant leur travail de manière à maximiser leur temps libre sans veiller à préserver les rythmes biologiques naturels ou en ne mettant pas à profit les périodes de récupération ou de congé pour se reposer.

C’est pourquoi le premier objectif d’une politique de prévention de la pénibilité doit être d’installer la prévention de façon pérenne dans le fonctionnement et la culture des entreprises. Les Propositions 1 (Campagne nationale d’action) et 2 (Généralisation des thèmes liés à la pénibilité dans les formations professionnelles) du présent rapport répondent à cet objectif.

Pour autant, il est clair que les entreprises doivent, en interne, bénéficier également de moyens renforcés afin que la question de la prévention de la pénibilité devienne un objet constant de dialogue interne, et que les entreprises soient encouragées tant à ce dialogue qu’à la mise en œuvre de ses conclusions. C’est ce à quoi visent la Proposition 3 (Renforcer les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail), la Proposition 4 (Mesures incitatives sur le plan fiscal), la Proposition 5 (Réforme du Document unique) et la Proposition 6 (Accompagnement des parcours professionnels).

Enfin, de très nombreuses entreprises – quels que soient leur taille et leur domaine d’activité – éprouvent le besoin d’être accompagnées dans ces évolutions, et souhaitent nouer des partenariats plus proches avec les interlocuteurs « naturels » en charge de ces questions. La Proposition 7 (Renforcement des moyens du réseau ANACT-ARACT) et la Proposition 8 (Valoriser et réformer la médecine du travail) répondent à cette demande.

C. LES PROPOSITIONS DU RAPPORTEUR : 8 MESURES DE PRÉVENTION

1. Organiser une campagne nationale de prévention, ciblée et phasée (Proposition 1)

a) La nécessité d’une campagne ciblée

Les actions de prévention ne peuvent être couronnées de succès que si elles ciblent des problèmes ponctuels et se traduisent par des mesures concrètes immédiatement adaptables par chaque employeur aux situations observées sur le terrain.

Par ailleurs, l’ensemble des auditions a clairement montré la difficulté d’introduire un processus concret d’amélioration des conditions de travail, dans les très petites entreprises et bon nombre de PME. Non pas – et tant s’en faut ! –que ces entreprises soient réfractaires : de nombreux témoignages ont même attesté du contraire. Mais le temps disponible, l’absence d’instance spécifique de dialogue interne sur ces sujets, la difficulté à entrer en relation avec l’inspection du travail et la médecine du travail sont aujourd’hui les causes les plus souvent mentionnées pour expliquer la difficulté des petites structures à prendre durablement en compte les thématiques liées à la pénibilité au travail.

C’est pourquoi les difficultés rencontrées par les petites structures, tout autant que l’expérience issue des campagnes d’information et de prévention, inclinent à préférer des campagnes ciblées, coordonnées au plan national, et affichant des priorités susceptibles de mobiliser tous les acteurs. De fait, les plans d’action à vocation large, voulant embrasser en même temps tous les problèmes et imposer uniformément des règles strictes, ont fait la preuve de leur inefficacité pratique.

C’est pourquoi il convient de s’inspirer de démarches pragmatiques dont l’efficacité a été reconnue ailleurs, en en acceptant cependant les limites : le caractère sélectif, l’action par phases, la concentration des moyens sur des objectifs partiels mais coordonnés et inscrits dans un plan d’ensemble.

b) S’inspirer de l’exemple britannique de la Social Exclusion Unit

A cette fin, le rapporteur propose de s’inspirer du travail et des méthodes mises en œuvre par la Social exclusion unit (« Unité sur l’exclusion sociale ») mise en place en décembre 1997 par M. Tony Blair, Premier ministre du Royaume-Uni, en matière de lutte contre l’exclusion sociale. Cette unité a été installée au sein du Cabinet Office sous l’autorité directe du Premier ministre. Initialement créée pour une durée de deux ans, son mandat a constamment été renouvelé.

L’unité a été chargée de définir l’exclusion sociale, cibler les causes et les problèmes (chômage, faible qualification, bas revenus, pauvreté du logement, environnement à taux de criminalité élevé, mauvaise santé, situation de rupture familiale », etc.) et proposer au Premier ministre des mesures hiérarchisées par ordre de priorité de lutte contre les facteurs d’exclusion sociale. Sa méthode de travail a conjugué le travail interministériel et la confrontation des expériences des administrations et des bénévoles et professionnels du travail social. Il ne s’agissait pas d’élaborer un plan d’élimination de l’exclusion sociale mais d’engager des actions concrètes sur l’ensemble du pays dont les résultats pourraient être observés par la population, mesurés par les administrations et les professionnels et évalués au regard d’objectifs quantifiés.

Cette structure administrative présente trois caractéristiques :

– elle est exclusivement consacrée au traitement d’un problème social défini ;

– elle est chargée de fournir un diagnostic social, de hiérarchiser les problèmes décelés, puis de présenter directement au gouvernement des propositions concrètes et claires sur les moyens et les voies de résolution de ces problèmes, à charge pour le Premier ministre de choisir les questions à traiter par ordre de priorité. A cette fin, elle doit conduire une action de recherche appliquée sur les questions à traiter ;

– elle travaille sur un plan interministériel avec un budget spécifique en coopération avec les unités de recherche sociale extérieures à l’administration (London School of Economics, par exemple) et les représentants des acteurs de terrain.

Ce mode d’action gouvernemental était au cœur du programme politique de la « troisième voie » conçu par M. Tony Blair qui, par une « stratégie décloisonnée », a cherché à appuyer l’action publique sur des partenariats entre les secteurs public et privé, la participation des citoyens dans le cadre d’une « société des intervenants » et le recours aux acteurs et experts communautaires et universitaires sans but lucratif.

Sur le même modèle de la Social Exclusion Unit, de nombreuses autres unités ont été créées par M. Tony Blair : la Performance and Innovation Unit (unité du rendement et de l’innovation), la Women’s Unit (unité chargée des questions relatives aux femmes), la Better Regulation Unit (unité d’optimisation de la réglementation), la Neighbourhood Renewal Unit (unité de revitalisation des quartiers), etc.

c) Une campagne d’action pragmatique et participative

Ce modèle peut être transposé en France pour traiter la question de la prévention de la pénibilité au travail.

Un comité spécialisé dans la résorption de la pénibilité au travail pourrait être mis en place sous l’autorité directe du ministre chargé du travail. Sa mission consisterait à définir le contenu d’une campagne nationale pluriannuelle d’action contre la pénibilité et d’amélioration des conditions de travail. Il devrait réaliser un diagnostic préalable, probablement par branches et par métiers, sur les modes de prévention de la pénibilité, hiérarchiser les problèmes à traiter et proposer des campagnes d’information visant à résorber l’un après l’autre les problèmes détectés. Ces campagnes d’information seraient ciblées sur les entreprises et concentreraient les moyens d’action sur les thèmes définis pour des périodes données.

Ce comité devrait travailler en s’appuyant sur les réseaux d’analyse et d’expertise existants. Des appels à propositions et prestations d’expertise devraient être lancés en direction des universités et des laboratoires de recherche disposant de moyens et d’experts reconnus dans le domaine de l’organisation du travail. Le renforcement de la coopération entre l’Etat (et sous sa responsabilité), les universités et les partenaires sociaux contribuerait également à sensibiliser les étudiants en formation sur la nécessité de traiter énergiquement la question des conditions de travail.

En lien avec ce plan d’action national demandé et piloté par l’Etat, il sera nécessaire de tout mettre en œuvre pour renforcer la formation et la sensibilisation des responsables d’entreprises (dirigeant et cadres) à la prévention de la pénibilité. Notamment on pourra solliciter les mouvements patronaux pour renforcer le traitement de cette question dans leur communication institutionnelle. De même, on pourra demander aux universités et aux écoles d’intégrer des modules particuliers de formation au traitement de la pénibilité dans le cursus de leurs futurs cadres. En particulier, il conviendra de suivre précisément les recommandations de M. William Dab, professeur au Conservatoire national des arts et métiers, qu’il présentera dans son rapport sur la formation en santé au travail prochainement remis à M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, et Mme Valérie Pécresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Cette politique, déjà amorcée par le gouvernement qui a lancé une vaste campagne de communication audiovisuelle sur les troubles musculo-squelettiques en avril 2008, doit permettre de faire évoluer l’appréciation des chefs d’entreprise qui n’ont pas cherché à réduire des facteurs de pénibilité au motif qu’il ne serait pas rentable pour l’entreprise de modifier les cadences, changer les outils de travail, etc.

2. Renforcer la formation de l’encadrement aux questions liées à la pénibilité et aux conditions de travail (Proposition 2)

La formation de l’encadrement aux problématiques liées à la pénibilité est encore très peu développée. Les formations proposées par le Conservatoire des arts et métiers sous la direction du Professeur William Dab en matière d’hygiène et de sécurité du travail sont exemplaires. C’est pourquoi, à la demande de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, et de Mme Valérie Pécresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, il doit remettre prochainement un rapport pour l’amélioration de la formation en santé au travail.

De façon générale, la présence des disciplines liées à une bonne compréhension des facteurs humains dans les organisations de travail est encore notoirement réduite. Si les formations professionnelles – en particulier dans les écoles d’ingénieurs et dans les écoles de commerce – sont effectivement très qualitatives sur le plan de l’apprentissage technique, il est hautement regrettable que les humanités et les sciences humaines soient encore considérées au mieux comme des gadgets, au pire comme dangereusement chronophages. Cette situation est d’autant moins compréhensible que des enseignements de cette nature trouveraient facilement leur place dans des cycles de formation longs.

La réussite du tournant culturel nécessaire à une prise en compte normale des questions liées à la pénibilité requiert pourtant que tout décideur d’entreprise soit sensibilisé (et même – pourquoi pas ? – compétent) dans l’appréhension des faits qui lui sont liés.

Les diverses formations existantes devraient proposer des modules obligatoires consacrés :

– à l’éthique et ses déclinaisons dans l’univers professionnel : non pas seulement les considérations sur l’éthique générale, ou sur la déontologie d’un métier ou l’autre, mais la manière de décider du meilleur possible dans l’entreprise, en fonction des aspirations des hommes et des contraintes subies ;

– aux méthodes de management, notamment dans le but de réduire le stress né des mauvaises relations sociales dans l’univers du travail ;

– aux conditions de travail, tant sur le plan matériel au regard de l’ergonomie que sur le plan psychologique, afin notamment de minimiser le stress ; les formations existantes sont en fait avant tout axées sur les risques professionnels (situations dangereuses, environnement agressif, non-respect des règles d’hygiène,…), or la pénibilité survient en dehors de ces risques professionnels.

Il va de soi que de tels modules de formation doivent être revêtus de tous les atours habituellement attachés aux « matières » importantes. On objectera peut-être que l’inclusion de tels temps de formation viendra mécaniquement diminuer le temps d’apprentissage dévolu aux aspects techniques propres à l’exercice même du métier qu’il s’agit d’apprendre.

Il faut sans doute répondre à cette remarque qu’il est difficile d’envisager l’exercice de quelque responsabilité que ce soit, tout particulièrement en situation d’encadrement, sans un apprentissage et une formation spécifiques aux enjeux humains des organisations. D’autant plus que ces enjeux prennent, avec la tertiarisation croissante de l’économie, une place de plus en plus importante dans les entreprises, où la mobilisation et la valorisation de tous les talents des travailleurs et de leur créativité sont de plus en plus susceptibles de faire la différence.

M. William Dab, professeur au Conservatoire national des arts et métiers et chef de son département hygiène et sécurité, devrait d’ailleurs proposer, dans son rapport sur la prise en compte des enjeux de la santé au travail dans les formations supérieures, l’inclusion de ces enjeux dans l’apprentissage des futurs cadres.

Pour finir, il n’y a aucune raison pour que des formations de ce genre ne soient pas également dispensées dans les organismes de formation professionnelle courte ainsi qu’aux apprentis. Une telle généralisation de ces thèmes de formation serait de nature à marquer l’importance qu’accorde la communauté nationale à ces enjeux.

3. Renforcer la présence et le rôle des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (Proposition 3)

a) Les attributions des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail

Les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ont été institués par la loi n° 82-1097 du 23 décembre 1982. Leur constitution est obligatoire dans chaque établissement ayant atteint un effectif de 50 salariés pendant douze mois au cours des trois années précédentes. Le passage à un effectif inférieur pendant 24 mois sur les trois années précédentes entraîne la disparition du CHSCT. En cas de carence de candidatures à l’élection au CHSCT dans les entreprises de 50 salariés et plus, les attributions du CHSCT sont exercées par les délégués du personnel.

Fin 2004, selon une enquête de la direction de l’animation, de la recherche et des statistiques du ministère chargé du travail (DARES), publiée en mars 2007 et reproduite en annexe du présent rapport, 72 % des établissements soumis à l’obligation légale disposaient d’un CHSCT (le taux était de 69 % fin 1998). Dans les établissements de plus de 500 salariés, ce taux dépassait 95 % mais il tombait à 59 % dans les établissements de 50 à 99 salariés. La DARES observe que si la présence d’un CHSCT dépend des politiques managériales – plus volontaires dans des groupes côtés en bourse ou participant à des organisations professionnelles –, elle résulte également de la pression sociale interne générée par la représentation syndicale ou par l’existence de conflits sociaux.

Dans les entreprises de moins de 50 salariés, l’inspecteur du travail peut, à titre exceptionnel, imposer la constitution d’un CHSCT si la nature des travaux, l’agencement ou l’équipement des locaux le rendent nécessaire. Hormis ce cas, les délégués du personnel sont investis des missions dévolues aux CHSCT mais sans bénéficier des moyens du CHSCT, sauf si une convention collective du travail en prévoit autrement.

L’enquête de la DARES précitée indique que, fin 2004, 17 % des établissements employant 20 à 49 salariés disposaient d’un CHSCT.

Un CHSCT comprend l’employeur et un collège salarial élu pour un mandat de deux ans par le comité d’entreprise et les délégués du personnel (27). Le médecin du travail et le chef du service de sécurité assistent, à titre consultatif, aux réunions du CHSCT. Le CHSCT est présidé par le chef d’entreprise ou son représentant. Son secrétariat est assuré par un de ses membres représentant le personnel élu à cet effet en son sein.

Les articles L. 4612-1 à L. 4612-18 du code du travail (anciens articles L. 236-2 et L. 236-4) définissent les attributions du CHSCT. Sa mission, fixée par l’article L. 4612-1, est :

« 1° De contribuer à la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des travailleurs de l'établissement et de ceux mis à sa disposition par une entreprise extérieure ;

« 2° De contribuer à l'amélioration des conditions de travail, notamment en vue de faciliter l'accès des femmes à tous les emplois et de répondre aux problèmes liés à la maternité ;

« 3° De veiller à l'observation des prescriptions légales prises en ces matières. »

Il est chargé d’analyser les risques professionnels auxquels peuvent être exposés les travailleurs et les conditions de travail (article L. 4612-2 du code du travail). L’action de prévention est placée par l’article L. 4612-3 du code du travail au cœur des missions du CHSCT.

Le code du travail définit les moyens d’action dont dispose le CHSCT :

– il peut procéder, à intervalles réguliers, à des inspections ; ces inspections visent à s’assurer de l’application de la réglementation et des consignes de sécurité et d’hygiène ainsi que du bon entretien et du bon usage des dispositifs de protection ;

– il peut réaliser des enquêtes en matière d’accidents du travail ou de maladies professionnelles ou à caractère professionnel ;

– ses membres élus représentant le personnel disposent d’un droit d’alerte : après l’avoir constaté personnellement ou par l’intermédiaire d’un salarié, ils avisent immédiatement l’employeur de l’existence d’une cause de danger grave et imminent qui a conduit un salarié à quitter son poste de travail ; l’employeur doit immédiatement procéder à une enquête avec le membre du CHSCT qui a signalé le danger et prendre les dispositions nécessaires pour faire cesser ce danger ; en cas de divergence sur la réalité du danger ou les moyens à mettre en œuvre pour le faire cesser, le CHSCT est réuni d’urgence et au plus tard dans les vingt-quatre heures ; en cas de désaccord entre l’employeur et la majorité des membres du CHSCT, l’inspecteur du travail, qui a été préalablement informé de cette réunion d’urgence, est saisi immédiatement et peut mettre en œuvre soit la procédure de mise en demeure, soit la procédure de référé ;

– le CHSCT peut demander à entendre le chef d’un établissement voisin dont l’activité expose les travailleurs à des nuisances particulières ;

– les représentants du personnel élus sont informés des visites de l’inspecteur ou du contrôleur du travail et peuvent présenter leurs observations ;

– le CHSCT est « consulté avant toute décision d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l’outillage, d’un changement de produit ou de l’organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail » (article L. 4612-8 du code du travail) ;

– il est « consulté sur le projet d’introduction et lors de l’introduction de nouvelles technologies […] sur les conséquences de ce projet ou de cette introduction sur la santé et la sécurité des travailleurs » (article L. 4612-9 du code du travail) ;

– il est « consulté sur le plan d’adaptation établi lors de la mise en oeuvre de mutations technologiques importantes et rapides prévues à l’article L. 2323-14 » (article L. 4612-10 du code du travail) ;

– il est « consulté sur les mesures prises en vue de faciliter la mise, la remise ou le maintien au travail des accidentés du travail, des invalides de guerre, des invalides civils et des travailleurs handicapés, notamment sur l’aménagement des postes de travail » (article L. 4612-11 du code du travail) ;

– il se prononce sur toute question de sa compétence dont il est saisi par l’employeur, le comité d’entreprise et les délégués du personnel

– au moins une fois par an, l’employeur lui présente :

« 1° Un rapport annuel écrit faisant le bilan de la situation générale de la santé, de la sécurité et des conditions de travail dans son établissement et des actions menées au cours de l’année écoulée dans les domaines définis aux sections 1 et 2 [sections définissant les missions et les consultations obligatoires du CHSCT] ;

« 2° Un programme annuel de prévention des risques professionnels et d'amélioration des conditions de travail » (article L. 4612-16 du code du travail) ;

– il émet un avis sur le rapport et le programme annuels de prévention et peut proposer un ordre de priorité et l’adoption de mesures supplémentaires.

Une étude de la direction de l’animation, de la recherche et des statistiques du ministère chargé du travail (DARES), publiée en mars 2007 et reproduite en annexe du présent rapport, montre que la présence d’un CHSCT incite les établissements à négocier des accords collectifs sur les conditions de travail : deux établissements sur trois de 20 salariés et plus ont négocié sur ce sujet entre 2002 et 2004 mais le taux passait à trois sur quatre lorsque existait un CHSCT.

La présence d’un CHSCT réduit également la propension des salariés à se plaindre de leurs conditions de travail : 41 % des salariés couverts par un CHSCT se disent gênés pour s’investir dans leur travail à cause des conditions de travail contre 47 % pour les salariés non couverts.

b) Renforcer la présence et l’action des CHSCT en matière de prévention de la pénibilité

La dimension spécifique de réduction de la pénibilité est relativement peu présente dans l’action des CHSCT, hormis dans les entreprises de certaines branches faisant appel à des métiers de force ou ne pouvant se soustraire à des environnements agressifs (bâtiment et travaux publics, chimie, métallurgie, par exemple). Les CHSCT s’attachent, en fait, avant tout, pour des raisons historiques, à veiller au respect des règles d’hygiène et de sécurité et leurs activités dépassent rarement les considérations liées aux risques attachés à la dangerosité d’une activité. Le rapporteur estime que la campagne d’information proposée devrait dès la première année viser à informer l’ensemble des membres élus des CHSCT sur leurs responsabilités en matière de prévention de la pénibilité.

De nombreuses personnes auditionnées par la mission ont fait valoir l’insuffisance des moyens d’action du CHSCT en matière de pénibilité, notamment par comparaison aux moyens d’intervention dont dispose le comité d’entreprise dans les domaines économique et social.

L’écart entre le comité d’entreprise et le CHSCT ne tient pas tant à une différence substantielle dans la nature de leurs attributions qui reste comparable (consultations obligatoires, recours à des experts, inspections sur place, droit d’alerte, informations, rôle de proposition) qu’à une différence des moyens matériels d’intervention :

– le comité d’entreprise dispose d’un budget propre qui lui permet de lancer des actions d’amélioration de la vie sociale dans l’entreprise et de conduire des expertises sur l’activité économique (par exemple, il peut se faire assister d’un expert-comptable de son choix pour examiner les comptes annuels et les documents de gestion prévisionnelle) ;

– le comité d’entreprise dispose d’un expert-comptable pour l’assister dans ses missions d’ordre économique et professionnel.

Sans qu’il soit question d’aligner purement et simplement les compétences et les moyens des CHSCT sur ceux des comités d’entreprise, il est nécessaire d’étendre les pouvoirs des CHSCT afin de leur donner davantage de capacité d’intervention sur l’ensemble des sujets liés aux conditions de travail, et plus spécifiquement sur les problèmes liés à la pénibilité.

Avant toute chose, il est nécessaire d’engager une action énergique, en lien direct avec les partenaires sociaux, pour faire en sorte que toutes les entreprises dans lesquelles la loi oblige à mettre en place un CHSCT en soient dotées.

Une intervention conjointe et directe de l’Etat dans chaque département, et une mobilisation active de mouvements patronaux qui pourraient aider partout à cette mise en place sont hautement souhaitables, en particulier dans les entreprises de 50 à 100 salariés.

Dans le même temps, il convient d’étudier le champ d’action des CHSCT, tant sur la pénibilité en tant que telle que sur ses ramifications. Ce renforcement des missions est un des facteurs-clés du succès de l’intensification du dialogue interne à l’entreprise sur ces sujets.

Les CHSCT devraient pouvoir bénéficier d’un budget spécifique permettant de réaliser des expertises, de recourir à des ergonomes du travail et d’être assistés par des psychologues. La pluridisciplinarité est en fait insuffisamment présente au sein des CHSCT.

Par ailleurs, la formation dont bénéficient les membres élus du CHSCT en application des articles L. 4614-14 et L. 4614-15 du code du travail (ancien article L. 236-10) (formation de cinq jours pour les entreprises de plus de 300 salariés et de trois jours pour les entreprises moins de 300 salariés, renouvelable tous les quatre ans) devrait contenir un module consacré à la pénibilité.

La dimension de prévention sanitaire des CHSCT devrait être rappelée : ceux-ci doivent renforcer leur attention aux manifestations sanitaires de la pénibilité (absentéisme, dépressions, fréquences et intensité des conflits sur les lieux de travail,…). La dimension « souffrance au travail » devrait devenir une mission explicite des CHSCT.

Reste posée la question de la protection des salariés amenés à siéger au sein des CHSCT. En la matière, la résistance des représentants des employeurs est forte : faute d’une conviction établie sur l’intérêt de voir fonctionner un CHSCT dans leur entreprise, craignant de voir germer au sein de leurs services une opposition durable, ils ne souhaitent pas, souvent, que les membres des CHSCT bénéficient d’un statut identique à celui des représentants élus au sein des comités d’entreprises. Inversement, il faut être conscient du fait que le rôle des membres d’un CHSCT peut être plus difficile à tenir et être source de relations plus dures entre les salariés et l’employeur. Au nom de cette dureté probable, et pour pouvoir remplir leur mission en toute quiétude, les représentants des salariés souhaitent souvent que les membres du CHSCT soient, d’une part, pleinement représentatifs et, d’autre part, puissent accomplir leur mandat en toute sécurité.

Dans la perspective d’un renforcement du rôle et des prérogatives des CHSCT, il conviendra certainement d’aller vers :

– une élection de ces salariés ;

– une formation obligatoire aux thématiques liées à la santé et à la pénibilité au travail ;

– un statut spécifique de ces salariés.

Par ailleurs, des dispositions spécifiques concernant les délégués du personnel dans les entreprises de petite taille doivent également être prises, notamment en termes de formation.

Enfin, afin de valoriser également ces différentes missions, il faudra veiller à ce que les mécanismes de validation des acquis de l’expérience puissent prendre en compte les responsabilités et les compétences acquises dans leur exercice.

Pour permettre une action globale, la dimension psychique de la pénibilité pourrait être étudiée dans l’entreprise par l’élaboration de questionnaires dont les réponses seraient analysées par le médecin du travail et présentées au CHSCT. Des synthèses devraient être transmises aux branches pour obtenir une vision plus précise de la situation professionnelle.

Dans les entreprises de moins de cinquante salariés, les compétences nouvelles seraient automatiquement attribuées aux délégués du personnel.

L’ensemble de ces mesures visant à prendre en compte réellement et partout les questions liées à la pénibilité au travail réclament, comme on l’a vu, une forte mobilisation des acteurs.

Idéalement, cette mobilisation devrait être spontanée, eu égard à l’importance des enjeux liés à la santé au travail et à ses conséquences à long terme. Malheureusement, l’expérience montre que cette spontanéité n’existe pas.

De plus, le présent rapport – reprenant ainsi des préoccupations largement partagées – propose la mise en place de nombreux moyens visant à aider les entreprises et les salariés à traiter correctement ces questions, y compris un élargissement des incitations financières à moderniser les postes de travail dans le sens d’une plus grande adéquation avec les enjeux liés à la pénibilité.

Enfin, il est proposé, ci-après, des mesures de compensation de la pénibilité qui appelleront, pour une part, des financements liés à la solidarité nationale.

Pour toutes ces raisons, il doit être envisagé que les entreprises qui ne feraient pas le nécessaire en matière de prévention, et notamment de mise en place des CHSCT, ou qui ne répercuteraient pas dans leur organisation les mesures de prévention identifiées chez elles comme nécessaires, fassent l’objet de sanctions financières.

c) La question des comités professionnels territoriaux

Constatant que l’absence de comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) dans les entreprises de moins de cinquante salariés conduit à ne pas faire bénéficier 53 % des salariés français (28) de la structure d’entreprise en charge de la surveillance et de la prévention de la pénibilité, les confédérations syndicales CFDT et UNSA proposent de mettre en place au plan départemental des commissions territorialisées chargées d’exercer cette mission de prévention auprès de toutes les entreprises non pourvues d’un CHSCT.

Pour pallier l’absence de CHSCT dans les entreprises de moins de dix salariés (dans celles de 11 à 49 salariés, les délégués du personnel peuvent exercer les missions du CHSCT à condition de recevoir une formation adaptée), la confédération syndicale Force ouvrière suggère d’utiliser le réseau des associations régionales pour l’amélioration des conditions de travail (ARACT) et ses agents pour expertiser les conditions de travail.

L’intrusion dans une entreprise, sans y être requis par le chef d’entreprise, d’un délégué syndical extérieur pour y examiner les conditions de travail pose des problèmes particuliers qui conduisent à écarter cette solution : il doit être formé, connaître les métiers exercés, passer plusieurs fois dans l’année, être impérativement accompagné par l’employeur,… Il y a également un problème de crédibilité de l’action de ces personnes face aux salariés et aux responsables de l’entreprise. En outre, un tel « CHSCT territorial » itinérant serait susceptible de créer une confusion avec les instances représentatives des entreprises, les médecins du travail, les inspecteurs et contrôleurs du travail et les réseaux d’expertise.

Les expériences de délégué syndical de site n’ont pas été concluantes dans les petites et moyennes entreprises, notamment de l’artisanat.

C’est pourquoi le rapporteur n’a pas retenu la proposition visant à mettre en place des comités professionnels territoriaux.

4. Inciter à l’aménagement et l’adaptation des postes de travail en vue de réduire la pénibilité au travail par une défiscalisation totale des dépenses engagées à cette fin (Proposition 4)

L’amélioration de l’ergonomie des postes de travail provoque une réduction sensible de la pénibilité au travail. Le code général des impôts permet déjà de déduire de l’assiette des bénéfices industriels et commerciaux et de l’impôt sur les sociétés les immobilisations faites dans l’intérêt de l’entreprise dès lors qu’elles ne constituent pas un accroissement de son actif. Une déduction plus large existe par ailleurs pour les investissements amortissables réalisés par les exploitants agricoles soumis à un régime réel d’imposition (article 72 D du code général des impôts).

Une déduction spécifique au bénéfice des investissements de modernisation des postes de travail dans le but de réduire leur pénibilité pourrait être étudiée. En particulier, les dépenses d’expertise en ergonomie devraient pouvoir être incluses.

Il convient cependant d’éviter de créer une nouvelle niche fiscale. C’est pourquoi, cette déduction devrait être encadrée, par exemple par le visa d’une autorité sanitaire certifiant son utilité pour réduire la pénibilité du travail et un avis du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) sur le projet d’investissement.

Le volume des investissements susceptibles de bénéficier de cette déduction fiscale sera certainement important. Cela étant, et même si l’évaluation devra en être faite, on peut très certainement en escompter un effet positif sur la santé des travailleurs, et donc un réel bénéfice pour les systèmes d’assurance sociale et de santé publique. Les bénéfices compenseraient, à n’en pas douter, la diminution des recettes fiscales de sorte que l’impact sur l’ensemble des comptes publics en sera, au pire, nul.

5. Réformer le document unique de prévention et d’évaluation des risques professionnels (Proposition 5)

a) Le cadre réglementaire du document unique

Le « document unique » de prévention et d’évaluation des risques professionnels a été créé par le décret n° 2001-1016 du 5 novembre 2001 portant création d’un document relatif à l'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs. Ce texte a été modifié par le décret n° 2007-1570 du 5 novembre 2007 pour prendre en compte l’exposition des travailleurs aux rayonnements ionisants. Le document unique est aujourd’hui régi par les articles R. 4121-1 à R. 4121-4 du code du travail (ancien article R. 230-1). Une circulaire de la direction des relations du travail n° 2002-6 du 18 avril 2002 a précisé les conditions de mise en place et l’usage du document unique.

Ce document est une conséquence de la directive n° 89/391/CEE du 12 juin 1989 qui a défini des mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail. Son article 9 dispose que « l’employeur doit disposer d’une évaluation des risques pour la sécurité et la santé au travail, y compris ceux concernant les groupes des travailleurs à risques particuliers ». La loi n° 91-1414 du 31 décembre 1991 modifiant le code du travail et le code de la santé publique en vue de favoriser la prévention des risques professionnels et portant transposition de directives européennes relatives à la santé et à la sécurité du travail a introduit dans le code du travail trois obligations : une obligation pour l’employeur d’assurer la santé et la sécurité des travailleurs, une définition des principes généraux de prévention des risques professionnels et une obligation de procéder à l’évaluation des risques professionnels (ancien article L. 230-2 du code du travail). Il a donc fallu attendre le décret du 5 novembre 2001 pour préciser les contours de cette obligation.

En application de ces textes, tout employeur est tenu d’établir et maintenir à jour un document unique retraçant l’évaluation des risques pour la sécurité et la santé des travailleurs dans chaque unité de travail de l’entreprise ou de l’établissement. Ce document unique constitue un inventaire des risques identifiés. Le document doit être mis à jour au moins une fois par an ainsi que « lors de toute décision d’aménagement important modifiant les conditions d’hygiène et de sécurité ou les conditions de travail » ou si « une information supplémentaire concernant l’évaluation d’un risque dans une unité de travail est recueillie ». Le premier document devait être établi au plus tard le 5 novembre 2002.

Cette obligation de mise à jour est particulièrement lourde puisqu’elle impose à l’employeur de modifier le document unique en cas de modification des outillages ou des processus de production (y compris les cadences et les normes de productivité qui sont visées expressément dans la circulaire du 18 avril 2002 du directeur des relations du travail), en cas de déplacement d’une unité de travail ou en cas de diffusion des résultats d’une recherche scientifique ou médicale concernant la santé ou la protection contre un risque sanitaire. L’accumulation d’informations non hiérarchisées finit par nuire à l’intelligibilité du document unique. Cette situation est d’autant plus préoccupante qu’il n’existe aucun modèle-type réglementaire de document unique. L’élaboration du document relève entièrement de la responsabilité de l’employeur.

Le code du travail n’impose aucune prescription quant au support du document unique : il peut être écrit ou électronique.

Ainsi, la nature du document unique dépasse celle d’un simple inventaire de risques identifiés. L’établissement du document unique implique de conduire un véritable audit des risques professionnels au sein de l’entreprise se traduisant, comme l’indique la circulaire du 18 avril 2002 de la direction des relations du travail, par une identification des dangers (le danger étant « la propriété ou capacité intrinsèque d’un équipement, d’une substance, d’une méthode de travail, de causer un dommage pour la santé des travailleurs ») et une analyse des risques. Il doit également permettre d’assurer la « traçabilité » des risques (le terme figure dans la circulaire du 18 avril 2002). Il a été conçu comme le socle de la politique de prévention des risques dans les entreprises françaises.

Le document unique est tenu à la disposition des personnes suivantes :

– les membres du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ou des instances qui en tiennent lieu ;

– les délégués du personnel ou, à défaut, les personnes soumises à un risque pour leur sécurité ou leur santé ;

– le médecin du travail ;

– l’inspecteur ou le contrôleur du travail ;

– les agents des services de prévention des organismes de sécurité sociale (essentiellement les agents des caisses régionales d’assurance maladie) et des organismes professionnels d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail constitués dans les branches d’activités à hauts risques (à savoir les agents de l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics).

En cas de non-respect des obligations de transcription ou de mise à jour des informations dans le document unique des résultats de l’évaluation des risques, l’employeur est passible d’une contravention de cinquième classe (amende maximale de 1 500 euros ou 3 000 euros en cas de récidive). L’absence de mise à disposition du document unique constitue un délit d’entrave vis-à-vis des représentants syndicaux ou un délit d’obstacle à contrôle vis-à-vis des inspecteurs ou contrôleurs du travail.

La complexité de la tâche d’élaboration du document a conduit la plupart des entreprises à y renoncer. La circulaire du 18 avril 2002 présente toutefois des repères de méthode. Elle insiste sur l’évaluation a priori des risques et sur le caractère dynamique de la démarche de prévention :

1° préparer la démarche selon une approche pluridisciplinaire ;

2° évaluer les risques : procédés de fabrication, équipements de travail, substances et préparations chimiques, aménagement des lieux de travail et définition des postes de travail, organisation du travail (cadences, productivité), indicateurs d’exposition à des risques physiques, chimiques ou biologiques, analyse du travail réel ;

3° élaborer un programme d’actions ;

4° mettre en œuvre les actions ;

5° réévaluer les risques suite aux actions réalisées ;

6° recommencer le cycle.

Selon une enquête de la direction de l’animation, de la recherche et des statistiques du ministère chargé du travail (DARES) publiée mars 2007 et reproduite en annexe 14 du rapport, 76 % des responsables d’établissement d’au moins vingt salariés déclarent avoir rédigé un document d’évaluation des risques professionnels en 2004. Cependant, les salariés et leurs représentants n’en sont pas toujours bien informés.

Cette même enquête montre que si la présence d’un CHSCT provoque nettement l’engagement de négociations sur les conditions de travail, l’existence d’un document unique dans l’établissement n’a pas du tout le même effet alors même que ce document a été distribué. Il est vraisemblable que la complexité de ce document n’a pas incité les salariés à en prendre connaissance, à en comprendre l’importance et à voir le lien avec une négociation collective du travail. En fait, très majoritairement (deux fois sur trois), les salariés interrogés disent s’adresser d’abord à leur supérieur hiérarchique ou à la direction de l’établissement, et non à un représentant du personnel (dans 16 % des cas, taux passant seulement à 18 % en cas d’existence d’un CHSCT) ou à leur représentant syndical quand ils sont syndiqués (36 % des cas), en cas de problème lié à des conditions de travail.

b) Réformer le document unique

La mission d’information sur les risques et les conséquences de l’exposition à l’amiante, créée par la conférence des présidents de l’Assemblée nationale et présidée par M. Jean Le Garrec, avait étudié l’adaptation du document unique à la politique de prévention des risques professionnels. Son rapport présenté par M. Jean Lemière (n° 2884 du 22 février 2006) tirait les conclusions suivantes.

Extrait du rapport (n° 2884) de la mission d’information sur les risques et les conséquences de l’exposition à l’amiante (p. 434 et s.)

L'élaboration du document unique reste aux yeux de beaucoup de chefs d'entreprise une contrainte réglementaire supplémentaire, assimilable à une « corvée ». La réalisation de ce document satisfait en grande part aux obligations de prévention fixées par l'article L. 230-2 du code du travail, et les employeurs devraient être sensibles à ce moyen simple d'assumer leurs responsabilités. Pourtant, force est de constater que les acteurs sociaux restent peu soucieux de santé au travail, et que le document unique nécessite malgré tout une politique nationale de sensibilisation importante de la part des pouvoirs publics. Cette négligence se traduit par un déficit de réalisation du document unique, en particulier dans les petites entreprises, ou par une volonté de contourner l'approche préventive. M. Jean-Luc Marié a ainsi expliqué que l'INRS avait reçu de nombreuses demandes de la part d'employeurs qui cherchaient à déléguer la réalisation du document, ou à le rapprocher d'un simple « questionnaire à choix multiples » (*) ! Le directeur des relations du travail, M. Jean-Denis Combrexelle, n'a d'ailleurs pas caché à la mission les « énormes difficultés » que posait l'obligation de réaliser le document unique pour les entreprises (table ronde du 19 octobre 2005) : « si les grandes entreprises ont compris qu'il ne se résume pas à une formalité administrative et qu'il peut les aider à progresser dans leur démarche de prévention, les moyennes entreprises ont tendance à se contenter de remplir un formulaire sans s'impliquer dans une démarche de prévention. Quant aux petites entreprises, une bonne part réclame la suppression pure et simple de cette obligation... Le ministère du travail estime quant à lui que l'importance du risque n'est pas proportionnelle à la taille de l'entreprise et que cette démarche de prévention s'impose à tous, ceci tout en prenant en compte les moyens des entreprises qui diffèrent en fonction de leur taille. La présentation du « Plan santé au travail » n'est à cet égard que le point de départ d'une démarche impliquant tous les acteurs, y compris les partenaires sociaux. »

(*) « L'INRS a reçu à peu près 5 000 demandes d'établissement de document unique envoyées par des cabinets d'avocats qui demandaient où il fallait mettre les croix... Ils recevaient, moyennant honoraires, les entreprises et leur donnaient une liste des risques - on peut en trouver partout - en leur expliquant qu'il suffisait de mettre des croix ! Si l'évaluation des risques se limite à ce type de documents, elle ne sert à rien. En revanche, amener un établissement à établir lui-même, au moins dans un premier temps, une véritable évaluation des risques à partir de sa propre réflexion, du regard qu'il porte lui-même sur ses postes de travail notamment, est fondamental. Il faut l'obliger à réfléchir. Le problème est que l'inspection du travail, les CRAM et même l'INRS ont reçu des montagnes de lettres demandant de l'aide. Au contraire, c'est l'employeur qui précisément doit fabriquer le document unique et prendre conscience des risques présents dans son établissement, particulièrement s'il s'agit d'une PME-TPE. » (table ronde du 19 octobre 2005)

Les auditions de la mission d’information sur la pénibilité au travail concordent avec les constats de la mission d’information sur les risques et les conséquences de l’exposition à l’amiante. Il paraît indispensable de simplifier le document unique pour en faire non seulement un document d’analyse mais également un document de management de l’entreprise devant faire l’objet d’une formation et d’une information internes spécifiques.

Outre l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), il conviendrait de solliciter les inspecteurs du travail pour fournir une aide pratique à la réalisation de ce document et à sa « vie » dans l’entreprise.

6. Généraliser la gestion prévisionnelle des carrières afin d’accompagner l’évolution des parcours professionnels (Proposition 6)

La pénibilité résulte le plus souvent d’un cumul de facteurs de pénibilité qui interviennent tout au long d’une carrière professionnelle. Si chaque facteur peut être isolément supportable, le cumul de plusieurs facteurs dans le temps provoque une usure précoce du travailleur. Cette manifestation de la pénibilité peut être contenue par des actions de prévention mais ne pourra pas être éliminée complètement. C’est pourquoi, une autre forme de lutte contre la pénibilité, qui ne consisterait pas en un aménagement des conditions de travail, doit être élaborée : il s’agirait d’organiser des parcours professionnels permettant de valoriser l’expérience des travailleurs et de faire évoluer leurs fonctions au sein de l’entreprise de manière à leur faire occuper des postes en fin de carrière adaptés aux diagnostics de pénibilité.

La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) pourrait être élargie à la prévention de la pénibilité. La GPEC vise à avoir une approche prospective des évolutions de l’emploi dans l’entreprise et permettre à chaque salarié d’élaborer et de mettre en œuvre un projet d’évolution. Elle vise à détecter les métiers stratégiques ou sensibles et à anticiper les besoins en compétences face aux mutations économiques.

L’article 72 de la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale (article L. 320-2 du code du travail recodifié sous les articles L. 2242-15 à L. 2242-18) a imposé aux chefs d’entreprises employant 300 salariés et plus et à ceux des entreprises de dimension communautaire ayant au moins un établissement ou une entreprise de 150 salariés en France d’engager tous les trois ans une négociation sur « la mise en place d’un dispositif de GPEC, sur laquelle le comité d’entreprise est informé, ainsi que sur les mesures d’accompagnement susceptibles de lui être associées, en particulier en matière de formation, de validation des acquis de l’expérience, de bilan de compétences ainsi que d’accompagnement de la mobilité professionnelle et géographique des salariés ».

La négociation doit aborder impérativement la formation, la validation des acquis de l’expérience, le bilan de compétence et la mobilité professionnelle et géographique. Elle porte également sur « les conditions de retour et de maintien dans l’emploi des salariés âgés et de leur accès à la formation professionnelle » (article L. 2245-19 du code du travail).

À ces thèmes pourrait être ajoutée la prévention de la pénibilité dans les métiers et les entreprises où une pénibilité au travail est reconnue.

Avant l’âge de 45 ans, les salariés devraient pouvoir exprimer des vœux d’évolution professionnelle. La GPEC pourrait planifier le reclassement des salariés âgés usés et la formation qui l’accompagne. Pourraient ainsi être organisé l’accès à des postes de travail moins pénibles, comme la transmission du savoir-faire, le tutorat, le monitorat de machines, la maintenance.

Des négociations de branche pourraient définir les modalités de mise en place de ces aménagements de carrière. Le rapporteur a constaté des convergences entre les organisations syndicales et patronales sur cette question. Par exemple, à l’instar de ce que les partenaires sociaux sont convenus dans le secteur du textile, un salarié ayant accompli un certain nombre d’années de travail de nuit pourrait bénéficier d’un traitement prioritaire de sa demande de mutation et d’évolution de carrière.

Chacun est conscient des difficultés liées à la nécessité de mobiliser les branches professionnelles pour aménager les fins de carrière. D’une part, de très nombreuses entreprises – même de grande taille – ne sont pas capables d’offrir à leurs salariés de véritables alternatives sous la forme de responsabilités nouvelles. D’autre part, les salariés eux-mêmes appréhendent encore souvent ce genre de changement de responsabilité, alors même qu’ils sont à une période de leur vie professionnelle où leur univers est stable. Leur appréhension du changement est réelle, et parfaitement compréhensible.

Cette double difficulté rend absolument nécessaire la négociation au sein de chaque branche professionnelle, afin que les volontés d’aménager les fins de carrière ne restent pas lettre morte. Même si les solutions envisageables sont encore lointaines, et même si – à leurs propres dires – les partenaires sociaux dans leur ensemble ne voient pas à ce jour comment traiter concrètement cette question, le rapporteur ne voit pas d’autre moyen de rendre pleinement efficace pour l’ensemble des travailleurs de ce pays la gestion prévisionnelle des emplois et des carrières.

Remarquons, comme l’a confirmé à la mission M. Serge Volkoff, directeur de recherche au Centre de recherche et d’études sur l’âge et les populations au travail, il n’existe aucun fondement scientifique, notamment neurophysiologique, à l’existence de résistances au changement de salariés âgés, contrairement à une idée reçue très prégnante en France. Le Plan seniors est donc fondé. D’ailleurs, le plan finlandais d’amélioration des conditions de travail (« l’expérience est une richesse nationale ») a permis de repousser de deux ans l’âge de demande de départ en retraite (cf. analyse de la situation finlandaise en annexe du rapport).

7. Renforcer le rôle des intervenants locaux et des réseaux d’expertise extérieurs aux entreprises en doublant le budget annuel du réseau ANACT-ARACT (Proposition 7)

a) Le réseau ANACT-ARACT

L’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) a été créée par les articles 6 à 10 de la loi n° 73-1195 du 27 décembre 1973 relative à l’amélioration des conditions de travail. Cette agence est aujourd’hui organisée en réseau : de 1983 à 2004, 25 associations régionales (ARACT) ont été créées. L’ANACT a un statut d’établissement public national à caractère administratif et est placée sous la tutelle du ministre chargé du travail. Les ARACT ont un statut associatif de droit privé. Le conseil d’administration de l’ANACT a une composition tripartite ; il rassemble des représentants des organisations d’employeurs et de salariés et des représentants de l’Etat. Il est assisté d’un comité scientifique chargé du suivi et de l’évaluation des actions menées par l’agence. Les conseils d’administration des ARACT ont une composition paritaire rassemblant des représentants des organisations d’employeurs et de salariés.

Le réseau de l’ANACT et des ARACT emploie 270 salariés dont 170 intervenants spécialistes de la conduite du changement concerté. Son budget annuel est d’environ 26 millions d’euros. Au total, 1 100 interventions en entreprises – type d’actions engagées depuis 1982 – et 110 manifestations (colloques, débats, présentations en entreprises,…) sont réalisées chaque année.

Les problèmes liés à la pénibilité sont au cœur de l’action du réseau ANACT-ARACT. Le réseau engage des actions très variées, adaptées aux situations locales : accompagnement des entreprises avec l’apport d’outils et de méthodes pour la conduite de projet, interventions de courte durée (5 jours) et gratuites destinées aux PME – ce type de diagnostic a été mis en place en 1990 –, actions collectives territoriales, de branche ou interprofessionnelles destinées aux petites et très petites entreprises, formations destinées aux acteurs de l’entreprise et aux intervenants de la prévention, études sur le contexte et les effets des interventions.

Un contrat de progrès quinquennal est conclu avec l’Etat pour définir les thèmes de travail du réseau. Cette activité est structurée autour de projets, au nombre de huit à ce jour. Parmi ces projets, on peut relever au titre du traitement de la pénibilité :

– la prévention des troubles musculo-squelettiques ;

– l’approche organisationnelle de la prévention des risques professionnels : le réseau s’attache à caractériser l’exposition des salariés aux risques, aider les entreprises à analyser les causes de ces risques afin d’intégrer dès l’amont la prévention à tous les projets de l’entreprise ;

– la gestion des âges tout au long de la vie : le réseau aide les entreprises à élaborer des diagnostics et des plans d’action prenant en compte les données liées à l’âge, au sexe, à l’état de santé, aux compétences, aux données démographiques et à l’organisation du travail, ces plans d’action pouvant porter, selon le cas, sur la réduction de la pénibilité pour prévenir le vieillissement prématuré, la prévention de l’exclusion, les deuxièmes carrières,… ;

– la gestion des âges et du handicap, notamment dans un but d’égalité professionnelle, de résorption des difficultés de recrutement et de maintien dans l’emploi.

On trouvera en annexe du rapport un état des lieux de la prévention de la pénibilité établi en 2007 par l’ANACT, qui présente une vision globale de la question (annexe 11).

b) Développer les interventions de terrain

Les actions locales du réseau de l’ANACT sont utiles dans la mesure où elles visent à répondre à une demande des chefs d’entreprises et qu’elles constituent une réponse en prise directe avec les contraintes et les besoins du terrain. Elles s’articulent donc avec une démarche d’entreprise : les agents du réseau ne proposent pas des plans préconçus mais des solutions pluridisciplinaires articulées avec l’histoire des travailleurs et des entreprises et reposant sur des approches collectives et individuelles. Ainsi l’ANACT invite les partenaires sociaux dans chaque entreprise à réfléchir ensemble sur les formes de la pénibilité, celle-ci ne pouvant être bien appréhendée que dans un dialogue constant avec les travailleurs. L’ANACT considère que ses méthodes sont en outre adaptées aussi bien aux très petites entreprises qu’aux groupes de taille internationale mais l’Union professionnelle artisanale (UPA) auditionnée par la mission a jugé que les produits et services proposés par les ARACT sont mal adaptés aux très petites unités économiques. L’UPA admet cependant que le manque de moyens opérationnels du réseau handicape fortement l’efficacité de celui-ci dans les PME artisanales.

Par exemple, dans le domaine du stress, sujet souvent peu abordé dans les relations du travail, les interventions des agents du réseau invitent les employeurs et les salariés à distinguer les charges de travail prescrites et réelles des charges ressenties. Cette démarche doit conduire à objectiver les facteurs de stress et à répéter régulièrement l’opération car aucune mesure ne saurait être considérée comme acquise et adaptée en matière de prévention.

Le rapporteur propose d’augmenter les moyens opérationnels du réseau. Sans ignorer les contraintes budgétaires, il est nécessaire de doubler le budget annuel de l’ANACT en le portant à 50 millions d’euros. De plus, le recours aux jeunes retraités des entreprises – moyennant qu’ils en aient la compétence – permettrait d’augmenter le nombre de personnes susceptibles de venir en appui des interventions du réseau en tirant parti de l’expérience des seniors. Tout devra être fait, dans ce sens, pour faciliter l’exercice du bénévolat, notamment les procédures de défraiement des bénévoles.

Le rapporteur considère par ailleurs que l’ANACT et ses représentations régionales doivent être un des premiers acteurs de la campagne nationale qui serait organisée, comme évoqué dans la Proposition 1.

8. Réformer la médecine du travail (Proposition 8)

La médecine du travail a récemment fait l’objet de deux rapports d’évaluation complets :

– le rapport sur le bilan de réforme de la médecine du travail établi par l’Inspection générale des affaires sociales et l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche en octobre 2007 ;

– l’avis sur l’avenir de la médecine du travail adopté par le Conseil économique et social, sur le rapport de M. Christian Dellacherie, lors de sa séance des 26 et 27 février 2008.

Ces rapports font suite à la réforme de la médecine du travail engagée par la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale et mise en œuvre par un décret n° 2004-760 du 28 juillet 2004. Son objectif était de faire évoluer la médecine du travail vers une culture de promotion de la santé en milieu de travail alors qu’elle était historiquement axée sur une politique sociale et se concentrait sur le contrôle de l’aptitude à occuper un poste de travail. Cette réforme s’est notamment traduite par la création de services de santé au travail donnant une approche pluridisciplinaire à la médecine du travail qui reposait sur la base médicale de l’examen clinique périodique : ces services doivent conduire une action collective en milieu du travail en s’appuyant, le cas échéant, sur des intervenants extérieurs spécialisés dans la prévention des risques professionnels (ergonomes, hygiénistes, toxicologues, ingénieurs en prévention,…). La prévention est donc au cœur de la réforme, cette prévention devant s’accompagner d’une évaluation des risques professionnels et tendre à développer la formation et l’information des salariés.

Ces deux rapports mettent l’accent sur la réorganisation de la santé au travail au service des actions de prévention.

En outre, la mission d’information sur les risques et les conséquences de l’exposition à l’amiante, créée par la conférence des présidents de l’Assemblée nationale et présidée par M. Jean Le Garrec, avait analysé le fonctionnement de la médecine du travail et présenté des propositions de réforme. Sont reproduits ci-après les extraits du rapport de M. Jean Lemière (n° 2884 du 22 février 2006) sur ce sujet.

Extraits du rapport (n° 2884) de la mission d’information sur les risques et les conséquences de l’exposition à l’amiante (p. 407 et s. et p. 425 et s.)

Une médecine du travail qui n'a pas répondu aux attentes

Défaillant sur l'expertise, le système français de prévention a également montré ses limites en matière de veille sanitaire. Celle-ci consiste à recueillir et centraliser les informations sur l'état de santé des travailleurs afin d'y déceler, le cas échéant, l'occurrence d'un risque professionnel. La veille sanitaire permet ainsi d'étayer la recherche sur les risques, à partir de données épidémiologiques indispensables.

Il serait vain de rechercher dans le dispositif hérité de 1945 un quelconque responsable bien identifiable de la veille sanitaire, nulle instance nationale n'ayant été clairement chargée de « veiller » à la santé de la population au travail. En réalité, chacun s'est accordé à penser que cette tâche incombait au réseau de la médecine du travail, au seul motif que l'obligation de visite médicale des salariés permet d'évaluer la santé de la population au travail. La médecine du travail a donc fait l'objet de vives critiques, notamment dans l'affaire de l'amiante, même si, s'agissant de l'amiante, les temps de latence des maladies ne permettent pas une mise en évidence rapide du risque.

La médecine du travail n'est pas sortie indemne du rapport de l'IGAS de 2003 qui a identifié son incapacité à alerter les pouvoirs publics. Le Dr Monique Larche-Mochel, chef de service de l'inspection médicale du travail, a tenté d'expliquer à la mission que l'échec de la médecine du travail dans l'affaire de l'amiante résultait du rôle attribué au médecin du travail, et que celui-ci avait « souffert » de ne pouvoir faire mieux : « En ce qui concerne la question de savoir si le drame de l'amiante a été une leçon pour les médecins du travail, je peux vous répondre en vous parlant de leur vécu et de ce que j'en perçois. Ce drame a mis en alerte leur responsabilité. On leur demande de traduire leur travail par un avis d'aptitude. Or, dire que quelqu'un est apte à être exposé à un risque pose aux médecins du travail un problème éthique fondamental. (...) Il leur est difficile de déclarer qu'une personne est « apte à être exposée à des produits cancérogènes ». La décision d'aptitude qu'ils ont à formuler est pour eux la source d'une grande souffrance. Leur malaise est d'autant plus grand qu'il existe des risques que non seulement ils ne maîtrisent pas, mais même qu'ils ne connaissent pas. C'est le cas des produits qui peuvent produire des effets différés. Le drame de l'amiante reste dans les esprits. (...) Les médecins du travail sont en grande souffrance. »

Cette « souffrance » renvoie à la question du rôle que doit jouer la médecine, comme l'a souligné le professeur Goldberg au cours de la table ronde du 19 octobre 2005 : « Ce n'est pas un hasard si ces 7 000 médecins - que j'ai moi aussi peine à considérer comme un réseau dans la mesure où il n'est pas organisé - que le monde entier nous envie, n'ont pas finalement sorti beaucoup de données. On pourrait nous croire les premiers du monde en termes de connaissance de l'état de santé des travailleurs et des expositions, puisque nous sommes les seuls à disposer de ce « réseau ». Or nous n'avons aucune donnée, beaucoup moins en tout cas que d'autres pays qui n'ont pas ce système. Pourquoi ? »

En effet, la médecine du travail n'est pas à proprement parler un « réseau », mais plutôt un ensemble de salariés d'entreprises, au statut particulier, dont la mission consiste principalement à rencontrer les travailleurs pour délivrer un certificat d'aptitude à exercer les fonctions confiées par l'employeur. Réformée en 2003 pour assurer une plus grande pluridisciplinarité, puis en 2004 pour regrouper « l'offre » au sein de services interentreprises, la médecine du travail appelle une double critique : d'une part, ses missions ne permettent en rien de prévenir le risque, pas même par une meilleure connaissance ; d'autre part, son indépendance vis-à-vis des employeurs fait problème.

La déclaration d'aptitude est une démarche contestée par les médecins du travail eux-mêmes, qui y voient une action trop limitée pour permettre une véritable protection des travailleurs. Cette critique a été reprise par l'IGAS, qui a vu dans la déclaration d'aptitude la marque d'un système guidé par un objectif de réparation et non de prévention : « L'aptitude que le médecin évalue s'apparente à l'estimation de la prédisposition à l'indemnisation. Elle est davantage un vestige de la médecine légale qu'un outil de prévention et correspond à la vocation « assurantielle » de la médecine du travail. La visite d'aptitude systématique peut être contestée pour deux raisons, d'ordre tout à fait différent. En premier lieu, sa pertinence sur le plan de la prévention reste à établir. En second lieu, et de manière plus conjoncturelle, la démographie de la profession laisse peu d'espoir à son maintien. Il faudrait véritablement s'interroger sur la pertinence du concept d'aptitude en tant qu'outil de prévention, a fortiori sur le concept récent de non contre-indication. Tous les « intoxiqués » de l'amiante ont en effet été déclarés aptes. Le certificat d'aptitude est vécu comme un permis de travail pour le salarié, comme un blanc-seing « assurantiel » pour l'employeur. »

Cette « autolimitation » de la mission du médecin du travail est en grande partie imputable à son lien de subordination à l'employeur. Si le médecin du travail est protégé par des dispositions légales, qui le garantissent, par exemple, contre le licenciement, il reste néanmoins un salarié recruté par un employeur chargé principalement de statuer sur l'aptitude des travailleurs. Ce lien avec l'entreprise, quoique défendu par les organisations patronales, a été présenté par certains témoins comme un obstacle majeur à l'indépendance du médecin dans son travail. Il est, du reste, surprenant d'attendre d'un tel salarié qu'il se charge d'une mission de service public que son employeur ne lui confie pas, et pour laquelle il n'est pas rémunéré. Il est d'ailleurs établi que le médecin du travail agit dans un cadre qui lui est fixé par son employeur, comme en a attesté le Dr Larche-Mochel : « Dans les services autonomes, un budget assez important est affecté au service de santé au travail. Le médecin n'aura pas de problème budgétaire, il pourra procéder aux examens complémentaires qu'il juge utiles. Mais il pourra faire l'objet de pressions autres que budgétaires, en ce qui concerne la gestion du reclassement ou la déclaration de maladie professionnelle. Dans les services interentreprises, la gestion est assurée par des directeurs qui sont souvent des gestionnaires financiers. Le médecin du travail pourra faire l'objet de pressions qui ne toucheront pas le contenu de sa mission mais, par exemple, la prescription d'examens complémentaires ou la gestion de son temps. »

La mission a donc considéré que l'organisation de la médecine du travail est une question majeure qui doit être examinée en fonction du rôle que l'on souhaite lui donner dans le dispositif de prévention. En effet, la pauvreté de son apport à la prévention des risques professionnels, rappelée par plusieurs témoins - qui parlent de « gâchis » -, n'est pas satisfaisante si la France veut se doter d'une veille sanitaire efficace. À cet égard, la mission a été surprise de l'échec du dispositif d'information prévu par la réglementation elle-même, puisque les articles 11, 16 et 17 du décret de 1977 organisaient un suivi par le médecin du travail des expositions des travailleurs à l'amiante, qui devait être conservé 30 ans.

À l'instar du Docteur Ellen Imbernon, épidémiologiste, responsable du département santé/travail à l'IVS, la mission a considéré que cet échec justifiait d'une refonte du rôle de la médecine du travail pour l'intégrer au dispositif de veille sanitaire : « Il faut également prendre conscience que les médecins du travail pourraient participer d'une façon plus effective à l'amélioration de la connaissance de la santé des populations au travail, en mettant en commun des informations qu'ils recueillent quotidiennement sur le terrain. Or ce n'est pas le cas aujourd'hui : un médecin du travail fait des études médicales, surveille l'entreprise, contrôle les postes de travail, mais rien ne sort de l'entreprise. Il n'existe aucune traçabilité des expositions auxquelles les salariés ont été soumis : la seule façon de reconstituer ces expositions reste de les interroger. (...) »

La mission a donc pris acte de la faillite d'un système de prévention des risques professionnels, dominé par l'objectif de réparation des dommages du travail et dont le mode de gestion doit être revu. Le changement d'approche indispensable à une politique appropriée de prévention appelle avant tout une redéfinition des responsabilités de chacun, et plus spécialement de celle de l'Etat. Celui-ci est dorénavant justiciable des ses carences, et ne peut refuser d'assumer son rôle de garant d'un système, qui devra être gouverné par une distinction entre ceux qui évaluent le risque et ceux qui le gèrent.

[…]

L'Etat doit replacer la santé au travail au centre des ses préoccupations de santé publique

La place secondaire de la santé au travail dans les préoccupations de l'Etat, et plus particulièrement dans ses politiques de l'emploi, est clairement résumée dans cette question en forme d'aveu, posée par un rapport de l'IGAS en 1999 (1999-090 Linsolas) : « (...) immergés parfois jusqu'à l'apnée, dans la mise en œuvre des politiques prioritaires de l'emploi, et soumis, à ce titre, à la pression continue de l'administration centrale et des préfets, les directeurs départementaux (...) savent que c'est sur ce terrain qu'ils seront jugés à l'aune de leur résultat. Qui a jamais demandé des comptes à un directeur départemental sur les résultats obtenus par ses services ou sur les actions engagées à son initiative, en matière de prévention des risques professionnels ou en matière de répression des infractions au droit du travail ?... »

Cette question, reprise par de nombreux témoins, résume la nécessité de rattraper un retard dont M. Gilles Brücker, directeur général de l'Institut de veille sanitaire, a détaillé les conséquences devant la mission (table ronde du 19 octobre 2005) : « La santé au travail doit désormais s'inscrire de manière parfaitement visible dans le champ de la santé publique. La santé ne se morcelant pas, il nous appartient de prendre en compte l'immense dimension des facteurs de risques liés au travail dans une approche globale de la santé. Or tel n'est pas le cas. Du fait de son histoire, la médecine du travail a toujours été une filière à part et (...) un peu en marge de la santé publique : la santé au travail reste l'affaire du médecin du travail et le médecin traitant ne s'en occupe pas. Cela pose un réel problème de fond. De ce fait, les progrès considérables observés en santé publique à partir des années 90 n'ont pas été équitablement répartis. Le nombre d'enseignants (...) dans le domaine de la santé au travail est hautement préoccupant. À l'inverse, les effectifs de professeurs de santé publique sont au plus haut... La santé publique, que l'on a critiquée pendant des années, a pris aujourd'hui une incontestable dimension dans de nombreux secteurs, y compris dans les centres hospitaliers universitaires (CHU) et les universités, et cela se retrouve dans la formation. De ce fait, hormis quelques travaux réalisés par les unités de recherche qui s'étaient engagés sur le sujet, nous ne disposons pas des capacités d'expertise et de production de données dont nous avons véritablement besoin. Le premier rapport que le Haut Comité de santé publique a produit en 1994 ne compte en tout et pour tout qu'une page - sur plusieurs centaines - consacrée à la santé au travail, autrement dit rien ! »

[…]

Cette question des moyens de la santé au travail est révélatrice de la place accordée à la prévention des risques professionnels. De ce point de vue, la France n'a pas encore corrigé les écueils de son histoire. Le professeur Goldberg a ainsi présenté un constat alarmant des capacités d'expertise mobilisables en France (table ronde du 19 octobre 1985) : « Nous nous retrouvons face à un paysage désolé, sans rapport avec les besoins d'expertise exprimés, à très juste titre, dans le « Plan santé au travail ». Mais comment trouverons-nous les experts compétents et en nombre suffisant pour répondre à toutes les sollicitations ? On a déjà évoqué la formation. On me permettra un regret un peu ponctuel : lors de la réforme de l'internat dans les années 80, la médecine du travail et la santé publique étaient ensemble. On les a très vite séparées et il y a tout lieu de le regretter. Mais on n'avait visiblement guère envie de faire entrer la santé au travail dans la santé publique, comme nous le souhaitons tous aujourd'hui. »

La mission a constaté que ce bilan ne fait que confirmer celui que dressait l'IGAS en 2003 (rapport 2003-015) : « La faiblesse de la formation en santé publique pose des problèmes de recrutement de spécialistes de la santé au travail, en particulier dans les jeunes générations. Cette faiblesse générale de la santé publique en France est d'autant plus grave dans le champ de la santé au travail que les travaux scientifiques doivent être irréprochables pour surmonter les intérêts industriels. Le retard de la France sur l'amiante s'explique en partie par le fait qu'il y avait très peu de chercheurs capables de faire face aux industriels sans bénéficier de surcroît du soutien des syndicats. Il n'y a dans l'université française qu'une dizaine d'équipes sur les sujets de santé au travail et trois unités de l'INSERM. La dizaine de centres de formation de médecins du travail ne peut remplacer un vrai dispositif de recherche. »

Le passage d'une logique de réparation à une démarche de prévention semble aujourd'hui acquis au plan des principes. Pour autant, de nombreux éléments restent concrètement à définir, comme par exemple la place des partenaires sociaux dans la définition des règles de prévention. La mission a cependant jugé prioritaire que l'Etat français se dote avant tout des outils d'expertise et de contrôle, lui permettant d'assumer au quotidien une responsabilité croissante et nécessaire dans la protection de la santé au travail.

Propositions de la mission d’information sur les risques et les conséquences de l’exposition à l’amiante (rapport n° 2884, p. 444 et s.)

La veille sanitaire en quête d'un réseau de sentinelles : la question de la médecine du travail

Deuxième volet de la connaissance des risques professionnels, la veille sanitaire est une méthode moderne de protection de la santé publique. Elle consiste en une surveillance de l'état de santé d'une population, qui peut être spécifique, afin d'en dégager des données de type épidémiologique qui établissent un lien entre une situation à risque et une dégradation de la santé de la population examinée. Comme l'a indiqué le Professeur Claude Got, l'épidémiologie « permet d'agir » sur le risque, en l'absence même de connaissances fondamentales sur la relation biologique entre la cause établie et la santé de la population. La décision d'instaurer une véritable veille sanitaire en matière de risques professionnels est donc un acte fort de prévention, mais il suppose des moyens importants pour recueillir les données épidémiologiques nécessaires à l'appréciation de ces risques. C'est sur ce point que se sont focalisées les critiques recueillies par la mission.

Le Plan santé au travail n'apporte pas de réponse institutionnelle franche à la question du réseau exploitable par le département santé/travail de l'Institut de veille sanitaire qu'il préconise (plan de santé au travail 2005-2009) : « L'IVS développera des partenariats avec la CNAMTS, créera ou consolidera des réseaux de médecins du travail pour améliorer la surveillance sanitaire en milieu professionnel et développera les compétences de ses structures régionales pour contribuer à la surveillance épidémiologique dans les entreprises. ». Dès lors que la veille sanitaire impose une proximité forte entre un professionnel de santé et la population au travail, il ne fait pas de doute que la médecine du travail est le « réseau » idéal sur lequel l'IVS doit s'appuyer. Les travaux de la mission font apparaître trois facteurs justifiant une telle solution.

- Premièrement, cette solution a été confortée par les expérimentations déjà conduites par l'IVS dans ce domaine comme, par exemple, le suivi des troubles musculo-squelettiques en Pays de Loire dont le succès est indéniable (Yves Roquelaure, Catherine Ha, Marine Sauteron : Réseau expérimental de surveillance épidémiologique des troubles musculo-squelettiques dans les Pays de la Loire - Surveillance en entreprises en 2002 ; mai 2005) ;

- Deuxièmement, en dépit des critiques dont elle a pu faire l'objet, la majorité des témoins n'a pas remis en cause la capacité de la médecine du travail à suivre la santé des travailleurs, mais a plutôt regretté le « gâchis », en termes d'exploitation, des données sanitaires recueillies ;

- Troisièmement, cette évolution des missions du médecin du travail est déjà perceptible dans les discours officiels du ministère du travail et elle est prévue par la réglementation qui ne crée cependant pas d'obligation de veille (article R. 241-58 du code du travail : «  Le médecin du travail peut participer, notamment en liaison avec le médecin inspecteur régional du travail et de la main-d'oeuvre, à toutes recherches, études et enquêtes, en particulier à caractère épidémiologique, entrant dans le cadre des missions qui lui sont confiées. »).

Ainsi, convaincue par les témoignages recueillis au cours de ses auditions que les médecins du travail pouvaient constituer ce réseau de sentinelles indispensable à l'action de l'IVS, la mission s'est interrogée sur leur capacité réelle à assurer un tel rôle, en l'état de leur statut et de leurs attributions. La médecine du travail fait en effet l'objet de critiques très vives, que la mission a déjà exposées, et qui tiennent essentiellement à la définition de sa fonction principale - la déclaration d'aptitude du salarié - et à son lien avec l'entreprise. Le Plan santé au travail n'apporte pas de réponse à ces critiques, tout comme les réformes conduites en 2003 et 2004 qui ont surtout consacré la pluridisciplinarité des services de santé au travail.

Il appartient au Gouvernement de résoudre ces obstacles pour donner corps à sa volonté d'instaurer une veille sanitaire au travail :

●  Le nombre de médecins du travail

La démographie des médecins du travail et des professeurs de médecine du travail a été identifiée par de nombreux témoins comme une réelle difficulté, les effectifs des deux catégories étant en forte régression sur les dernières années.

●  Le statut du médecin du travail

Le médecin du travail est un salarié direct ou indirect de l'entreprise, dont le statut et les missions sont protégés. Pour autant, le lien qui en découle entre le médecin et le chef d'entreprise a été fortement critiqué par les témoins entendus par la mission, soit qu'il jette un doute sur l'indépendance du médecin, soit qu'il obère la qualité du « colloque singulier » entre le médecin et le salarié en privilégiant l'objectif strictement professionnel de la visite.

●  Les missions du médecin du travail

Il s'agit sans doute d'un des points les plus délicats soulevés par les travaux de la mission, et qui n'est pas sans lien avec le statut du médecin du travail. La fonction première du médecin du travail est en effet la consultation obligatoire des travailleurs, dont la finalité est l'avis d'aptitude. Plusieurs témoins ont insisté sur les limites en termes de prévention de ce dispositif, qui fait d'ailleurs l'objet d'une action - timide - du PST. Cette fonction principale du médecin du travail pose en elle-même des difficultés, lorsque le médecin du travail tente une impossible conciliation entre un risque professionnel et la protection de la santé des salariés, comme l'a relevé M. Marc Boisnel : « On constate, à travers l'étude des recours contentieux ou hiérarchiques, que des avis d'aptitude sont parfois donnés avec des réserves telles que le salarié est dans l'impossibilité d'occuper le poste. Voilà qui nous fait sortir du droit comme de la logique. » De plus, sans être formellement incompatible avec une fonction d'alerte et de veille sanitaire, cette fonction de déclaration d'aptitude occupe un temps incompressible dans l'exercice régulier du médecin du travail, qui laisse peu de place à d'autres tâches, surtout si celles-ci sont jugées secondaires (*). Aujourd'hui, un tiers de son temps doit en théorie être réservé par le médecin du travail au milieu professionnel, alors qu'il en consacre les deux tiers aux visites médicales. Compte tenu de la réduction prévisible de la démographie médicale du travail, un élargissement des missions du médecin du travail à la veille et à l'alerte sanitaires ne pourra être obtenu qu'en revoyant la place accordée à la visite médicale et à la déclaration d'aptitude.

●  La culture du médecin du travail

Les témoins ont attiré l'attention de la mission sur la culture spécifique des médecins du travail, et notamment sur les principes déontologiques qui les animent. Sans contester la valeur de ces principes, qui ont été rappelés par le Dr Larche-Mochel, chef du service de l'inspection médicale du travail, force est de constater que la relation médicale tissée avec le travailleur ne permet pas, en l'état, de jouer un rôle de veille ou d'alerte sanitaire, centré avant tout sur la culture du « signalement ».

Pour franchir ces obstacles, la mission a jugé qu'une réforme ambitieuse serait nécessaire, plus efficace qu'une modification à la marge des rôles du médecin du travail, tout en étant consciente de la difficulté d'une telle réforme. Cette réforme doit permettre à l'Etat, pour ce qui concerne la veille sanitaire des risques professionnels, de disposer d'un véritable réseau de « sentinelles » épidémiologistes, indépendantes, et dédiées à leur fonction d'alerte et de prévention. Il ne peut en effet se satisfaire d'acteurs privés, qui ne sont mobilisables que par la « conviction », leur activité première - et rémunératrice - étant ailleurs. L'Etat doit donc réussir le pari difficile consistant à sortir le médecin du travail de sa relation à l'employeur - afin d'atteindre un degré d'indépendance comparable à celui qui est exigé pour l'expertise -, sans pour autant le sortir de l'entreprise où il devra, par définition, exercer ses fonctions. En tout état de cause, si la veille sanitaire en milieu de travail est une véritable priorité gouvernementale, il n'est guère concevable qu'elle continue d'être exercée par des travailleurs privés, financés exclusivement par les employeurs.

La mission, consciente de l'ampleur et de la difficulté de la tâche, recommande la création d'un véritable « service public de la santé au travail ». Ce service public, coordonné par les médecins inspecteurs du travail et de la main d'œuvre, serait animé par des médecins du travail, dont le statut public garantirait l'indépendance.

La fonction de ces médecins du travail serait double, mais entièrement consacrée au milieu de travail :

- d'une part, une fonction de veille et d'alerte sanitaire, assise sur le socle réglementaire existant en matière de collecte des données sur les risques professionnels (article R. 241-41-3 du code du travail), et pilotée par l'IVS ;

- d'autre part, un rôle d'accompagnement de l'entreprise dans l'évaluation obligatoire des risques, puis le cas échéant dans la mise en œuvre des mesures de prévention adaptées à ces risques, sous la conduite de la direction des relations du travail.

L'obligation de visite médicale préalable à l'embauche, et régulièrement organisée dans le cadre du contrat de travail, serait maintenue. Il convient cependant d'envisager de la confier à la médecine de ville, comme le préconisait l'IGAS en 2003 (**), et d'en prévoir la prise en charge par la branche AT-MP de la CNAMTS. La fréquence de ces visites médicales, et le cas échéant les examens médicaux complémentaires nécessaires, seraient alors établis par le médecin du travail en fonction de l'évaluation des risques professionnels obligatoirement conduite dans l'entreprise. Cette évaluation serait communiquée au médecin de ville par le travailleur, pour permettre à celui-ci de délivrer un certificat d'aptitude adapté aux risques auxquels le salarié est exposé.

Les employeurs seraient redevables d'une contribution spécifique, servant à financer une partie du service public de santé au travail, ainsi que les dépenses nouvelles occasionnées à la branche AT-MP si la médecine de ville venait à assurer les visites médicales obligatoires. Le montant de cette contribution devrait être calculé sur la base des économies réalisées par les employeurs sur le financement - qu'ils assument actuellement - des services de santé au travail. Cette contribution devrait être modulée en fonction du respect par l'employeur de ses obligations au sein du dispositif national de prévention, en particulier à travers l'évaluation préalable des risques professionnels dans son entreprise.

Propositions :

- Créer un service public de santé au travail, regroupant les médecins du travail et doter ces médecins d'un statut public garantissant leur autonomie, le financement de ce nouveau service public étant assuré par l'Etat et les employeurs.

- Charger ce service public d'une mission de veille et d'alerte sanitaires sous la tutelle de l'IVS et d'une mission d'accompagnement des entreprises dans le respect de leurs obligations nouvelles, sous la tutelle de la Direction des relations du travail.

- Engager une réflexion sur la possibilité de confier la visite médicale obligatoire et la délivrance de certificats d'aptitudes à la médecine de ville, qui pourrait s'appuyer sur les documents d'évaluation des risques professionnels et du poste de travail, établis par le service public de santé au travail, pour moduler la fréquence de la consultation et prescrire les examens nécessaires.

- Instaurer une contribution des employeurs destinée à financer en partie le service public de santé au travail, ainsi que les dépenses nouvelles de la branche AT-MP qui prendrait en charge les visites obligatoires, si celles-ci étaient confiées à la médecine de ville.

(*) Ce point a été soulevé dans le rapport 2003-015 précité de l’IGAS : « La priorité donnée à l'évaluation des risques repose la question de la présence effective du médecin du travail en entreprise, la fameuse proportion de temps qu'il doit, en vertu de l'article R 241-7, consacrer à sa mission en milieu de travail. Pour que cette présence soit effective, elle exige une inversion par rapport à la logique en vigueur. La priorité est actuellement donnée à la visite médicale annuelle. Celle-ci, au contraire, devrait avoir une périodicité fixée en fonction des conditions de travail et des risques particuliers à l'entreprise dans laquelle le salarié travaille et à l'activité de laquelle il participe. »

(**) « La visite annuelle était justifiée en 1946, compte tenu du tissu industriel et de l'état sanitaire général. Les conditions sont maintenant très différentes, y compris au niveau de la démographie médicale, ce qui conduit à se concentrer sur les risques actuels, et à venir, et pour le reste, à travailler avec la médecine de ville. » (rapport 2003-015 de l’IGAS)

Concernant le traitement des problèmes de pénibilité, cinq constats doivent conduire à des réformes de la médecine du travail :

– le nombre insuffisant de médecins du travail, pointé par tous les syndicats et organisations professionnelles auditionnés : au 1er janvier 2006, le Conseil de l’Ordre des médecins recensait 6 089 médecins du travail inscrits comme spécialistes ayant une activité régulière (5 980 en France métropolitaine, contre 5 942 au 1er janvier 2005, 5 895 au 1er janvier 2004 et 5 898 au 1er janvier 2003) et 1 866 médecins généralistes reconnus comme compétents en matière de médecine du travail, soit au total 7 955 médecins ; les évaluations sur le nombre de médecins du travail manquants sont très variables (plusieurs milliers pour la CGT, 300 dans le secteur privé pour l’UNSA) mais il est certain que des secteurs soumis à de fortes pénibilités manquent cruellement de médecins du travail : agriculture, bâtiment (150 médecins de prévention pour les 320 000 salariés du secteur), industrie (on compte un médecin du travail pour 6 800 salariés des industries), établissements de santé en particulier (il existe 350 médecins de prévention affectés aux établissements de santé, soit 290 équivalents temps plein) ;

– l’insuffisance de la présence physique du médecin du travail sur le lieu de travail (29) et lors des réunions des CHSCT ; en multipliant les visites médicales de routine, les médecins du travail ont fini par ne plus avoir assez de temps pour se rendre sur les lieux de travail ; les médecins ont d’ailleurs d’autant plus été enclins à multiplier ces visites médicales que leur rémunération est le plus souvent fonction de ce nombre ; la réforme, engagée en 2000, de la bisannualisation de l’examen médical périodique des salariés ne présentant pas de risque particulier porte toutefois ses fruits : le rapport des inspections générales de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche et des affaires sociales d’octobre 2007 signale la baisse significative, depuis 2004, du nombre de visites médicales, leur chiffrage étant difficile du fait de l’absence de système d’information ; ce rapport estime que le temps global de présence des médecins du travail en entreprises s’est accru mais la baisse du nombre de visites médicales périodiques s’avère insuffisante pour permettre aux médecins du travail de s’acquitter de leurs obligations réglementaires de présence en entreprise ; sur le sujet crucial de la présence des médecins du travail sur les lieux de travail, le rapport des deux inspections générales propose de « substituer à la surveillance médicale renforcée une prestation renforcée de santé au travail à visée préventive » (page 67) ;

– l’amélioration de la présence des médecins du travail dans les petites et très petites entreprises : le rapport des inspections générales de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche et des affaires sociales d’octobre 2007 indique que la généralisation de la fiche d’entreprise aux entreprises de moins de dix salariés en application du décret n° 2004-760 du 18 juillet 2004 a permis de remédier à cette lacune, mais la situation reste globalement très insatisfaisante en raison de l’insuffisance du nombre de médecins du travail qui choisissent, par souci d’efficacité, de concentrer leur action dans les entreprises de taille moyenne ou grande ; ainsi dans le secteur du bâtiment, les petites et moyennes entreprises artisanales très nombreuses sont peu ou pas visitées ;

– la dispersion de l’action du médecin du travail : le médecin du travail est souvent perçu comme le substitut du médecin de ville généraliste et doit contrôler la santé de tous salariés périodiquement par des visites de routine ; il conviendrait, comme le propose le Conseil économique et social, de réorienter son activité sur des actions ciblées engagées sur demande ou en fonction d’un programme préétabli ; les visites médicales périodiques devraient cibler des publics de travailleurs prioritaires ;

– la meilleure articulation entre le médecin du travail, le CHSCT et l’employeur : en particulier, comme le préconise le Conseil économique et social, le médecin devrait pouvoir transmettre au CHSCT ou, à défaut aux délégués du personnel, les recommandations auxquelles l’employeur n’a pas donné suite ;

– la formation des médecins conseils des CHSCT, notamment en ergonomie et psychologie des relations du travail.

Au-delà de ces mesures, comme le proposent les deux rapports, une réforme plus en profondeur de la médecine du travail est nécessaire pour revaloriser la filière : formation, rémunération, obligations professionnelles, attractivité de la fonction (sur 60 postes offerts en médecine du travail au titre de l’année universitaire 2006-2007, seuls 53 ont été pourvus, le premier candidat à retenir cette filière étant classé 776e et le dernier 4 738e sur 4 989 candidats).

Par ailleurs, de nombreuses personnes auditionnées ont pointé le manque d’indépendance du médecin du travail vis-à-vis de l’employeur, ce qui ne lui permettrait pas de prendre ou proposer les décisions nécessaires pour faire cesser des facteurs pénibilité ni de les dénoncer au CHSCT ou à l’inspection du travail. Cette question pose, en fait, le problème du financement de la médecine du travail. Comme le Conseil économique et social, le rapporteur considère qu’il faut maintenir le financement du médecin du travail par cotisations des employeurs en raison de la nature même de la médecine du travail qui doit rester un élément indissociable du processus de production et rester sous la responsabilité de l’employeur. D’autre part, comme l’écrit le rapporteur du Conseil économique et social, « la préservation de la santé des salariés fait partie inhérente de la relation contractuelle de travail » (page 29).

Les propositions du Conseil économique et social en matière de financement et de gouvernance (déconnecter le niveau de cotisation du nombre de visites médicales en généralisant le calcul de la cotisation à partir de la masse salariale comme cela est pratiqué dans le monde agricole, éviter la concurrence entre services, mutualiser les actions de prévention, mettre en place une gouvernance paritaire de la médecine du travail) devraient être expertisées car elles constituent des solutions structurelles susceptibles d’améliorer la prévention et la compensation de la pénibilité par les médecins du travail.

Le rapport des inspections générales de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche et des affaires sociales propose une mesure adaptée à la prévention de la pénibilité : élaborer pour chaque entreprise un plan pluriannuel de santé au travail (p. 63 et suivantes).

Ce même rapport pointe l’insuffisance du suivi des recommandations du médecin du travail. Il propose d’instaurer un suivi des observations et préconisations écrites du médecin du travail en imposant à l’employeur d’indiquer par écrit les suites données à ces observations ou les raisons pour lesquelles il n’y donne pas suite et en communiquant au CHSCT (ou à défaut aux délégués du personnel) et à l’inspection du travail les recommandations et réponses qui y sont données.

Au total, un plan général de revalorisation de cette filière est nécessaire, à l’instar de ce qui a été mis en place pour la médecine générale. Pour ce faire, le rapporteur préconise que les conclusions du rapport des deux inspections générales d’octobre 2007 soient suivies.

IV.- LA COMPENSATION DE LA PÉNIBILITÉ

Comme cela a été évoqué précédemment, la nécessité d’un ensemble de dispositions concernant la compensation ou la réparation de la pénibilité au travail s’explique de deux manières.

La première tient à la distinction entre pénibilité réductible et pénibilité irréductible. Si la première a vocation à être progressivement supprimée par l’amélioration de l’organisation du travail, la seconde en revanche existe en raison même de la nature des activités dans lesquelles on la rencontre : l’exemple le plus significatif est sans doute le travail de nuit dont la nécessité, dans un certain nombre d’activités (la santé publique, la sécurité civile, les transports, etc.) est incontournable. La pénibilité irréductible ne pourrait donc disparaître qu’avec la disparition des métiers qui la provoquent.

La seconde est liée au sort des salariés qui sont aujourd’hui dans des situations personnelles de santé difficiles, soit à cause de l’exercice d’un métier autrefois pénible et aujourd’hui « traité », mais qui a laissé sur eux des traces irréversibles, soit à cause d’un métier essentiellement pénible eu égard aux conditions de son exercice.

Pour ces derniers, les demandes de compensation ou réparation des effets de la pénibilité sont présentées au nom de l’équité vis-à-vis des salariés âgés usés et pour lesquels les mesures de prévention et de compensation qui pourraient éventuellement être mises en place ne permettront pas de rétablir une qualité de vie décente. Les mesures de réparation doivent permettre de traiter le « stock » des salariés touchés de manière irréversible par les différentes formes de pénibilité. Les mesures de compensation s’adressent d’une manière plus générale à tous les travailleurs exposés à une forte pénibilité.

Deux catégories de mesures ressortent : les mesures de compensation financière et les mesures permettant un départ anticipé en retraite ou une cessation anticipée d’activité. L’ensemble des syndicats de salariés demande de mettre en place ou de rétablir des mécanismes de préretraite ou de cessation anticipée d’activité sous la forme d’un congé de fin de carrière.

A. LA COMPENSATION FINANCIÈRE

La compensation la plus répandue et la plus ancienne en matière de pénibilité est l’attribution d’une prime salariale. Ce mode de compensation existe dans la plupart des activités exposant leurs salariés ou agents à une pénibilité physique particulière, dans le secteur public comme dans le secteur privé. La multiplicité des primes, leur dénomination très variable, les méthodes d’attribution souvent peu transparentes rendent tout inventaire quasiment impossible, y compris dans le secteur public. L’ancienneté de ces primes a d’ailleurs fini par faire disparaître le sens initialement donné à leur attribution : elles sont considérées comme un élément de rémunération à part entière déconnecté des conditions de travail (30).

Les métiers du bâtiment, des travaux publics, des transports sont particulièrement concernés. Cependant, les métiers de l’agriculture et de l’agro-alimentaire ne bénéficient pas de primes de pénibilité alors même que leurs salariés sont particulièrement exposés.

Il n’existe pas de données statistiques sur ces primes, y compris dans la fonction publique d’Etat.

La suppression de ces primes au motif de la mise en place de mesures de prévention de la pénibilité au travail n’a pas été envisagée par le rapporteur. Une telle mesure conduirait en effet à réduire le pouvoir d’achat des salariés concernés de manière insupportable. Cette situation explique d’ailleurs souvent l’acceptation par de nombreux corps de métiers de certaines formes de pénibilités physiques. Elle conduit même de nombreux travailleurs à demander à conserver un emploi pénible alors même qu’ils en ressentent la pénibilité et ses effets nocifs sur leur santé.

C’est la raison pour laquelle il faudra tenir compte d’un fait souvent constaté, et sur lequel les représentants des salariés ont attiré l’attention de la mission : si les primes constituent incontestablement une compensation de la pénibilité, qui aide à rendre un peu plus supportables certaines conditions de travail, elles peuvent être un frein à l’efficacité des mesures de prévention. Néanmoins, les organisations syndicales observent qu’avec l’âge les travailleurs renoncent aux emplois exposés à des pénibilités donnant lieu à l’attribution d’une compensation salariale (c’est notamment le cas du travail de nuit surtout très demandé par les travailleurs de moins de quarante ans).

B. LA GESTION DES FINS DE CARRIÈRE

Jusqu’à présent la seule réponse donnée à la question de la réparation de l’usure prématurée des travailleurs pour cause de pénibilité au travail repose sur l’utilisation des dispositifs de préretraite ou de cessation anticipée d’activité. Cependant ces dispositifs, mis en place depuis les années 1970, ont été conçus comme des mesures de traitement social du chômage et non comme des modalités de gestion de l’impact des conditions de travail sur les travailleurs âgés. A ce titre, la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites (qui a mis en place une retraite anticipée pour carrière longue) a fourni un instrument de traitement plus direct de nombreux cas de salariés précocement usés par la pénibilité de leur travail.

Le ministère du travail estime qu’à la fin 2006, 700 000 personnes bénéficiaient d’un dispositif de cessation anticipée d’activité ou de préretraite avec financement public, soit 1,8 % de la population en âge de travailler. Cet effectif est stable par rapport aux années 1982-1984 mais entre 1991 et 2003 il était redescendu autour de 500 000 personnes. Les personnes âgées de 55 à 59 ans bénéficiant d’un dispositif de cessation anticipée d’activité ou de préretraite représentent 12,2 % de la classe d’âge.

Toutefois, les mesures de préretraite et de cessation anticipée d’activité se heurtent à l’objectif politique posé par le gouvernement et le Parlement français mais également par l’Union européenne d’accroître le taux d’activité des seniors.

1. Les dispositifs en vigueur en matière de préretraite et de cessation anticipée d’activité

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 a réformé le régime d’assujettissement social et fiscal des indemnités de préretraite et cessation anticipée d’activité et des indemnités de mise à la retraite d’office. Le rapport de M. Yves Bur, rapporteur pour les recettes et l’équilibre général, contient une analyse complète des régimes de préretraite, cessation anticipée d’activité et mise à la retraite d’office existant en France (n° 295, tome I, p. 128 et suivantes). Les développements suivants sont extraits de ce rapport.

Les premières préretraites légales ont été mises en place par la loi n° 75-1279 du 30 décembre 1975 relatives aux conditions d’accès à la retraite de certains travailleurs manuels ; la mesure s’adressait alors aux seuls salariés âgés de 60 à 65 ans.

Depuis, les entreprises françaises disposent de plusieurs dispositifs de préretraite. Tous ont pour objet de fournir un revenu de remplacement à des salariés ayant atteint un certain âge et dont le contrat de travail est rompu ou l’activité professionnelle est devenue très réduite. Les dispositifs se répartissent en deux groupes : les préretraites relevant d’un régime légal défini par l’État (préretraite licenciement, préretraite progressive, préretraite amiante) et les préretraites conventionnelles définies entre les partenaires sociaux (cessations anticipées d’activité – CATS – dont les avantages fiscaux et sociaux sont cependant définis par la loi et subordonnés à une intervention de l’État et préretraite d’entreprise). Par ailleurs, dans la fonction publique (non concernée par le dispositif de réforme figurant dans la loi de financement de la sécurité sociale), il existe deux dispositifs de cessation anticipée du travail : le congé de fin d’activité (31) et la cessation progressive d’activité (32).

En dernier lieu, le régime de l’allocation de remplacement pour l’emploi (ARPE), créé en 1995 et reconduit jusqu’à la fin 2002 (accord des partenaires sociaux du 14 juin 2000), a cessé de produire ses effets. Il était en effet réservé aux salariés nés au plus tard en 1942 et justifiant de 160 trimestres validés d’assurance vieillesse à compter du premier jour du mois suivant le
58e anniversaire. Il organisait, pour les salariés ayant commencé à travailler avant leur 15e ou 16e anniversaire ou pour ceux qui totalisaient 43 ans d’assurance validés, une sortie du marché du travail qui est tombée en désuétude avec les dispositions de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites pour les carrières longues. L’ARPE était servie jusqu’à l’âge de 60 ans. L’allocation était égale à 65 % du dernier salaire brut annuel, limité à quatre fois le plafond de la sécurité sociale, sans pouvoir être inférieure au montant minimum de l’allocation spéciale du FNE qui est plafonnée à 85 % du salaire brut de l’intéressé.

Le nombre de préretraites accordées par les entreprises, notamment les préretraites d’entreprise, les caractéristiques des bénéficiaires et les montants d’allocations ou avantages alloués sont mal connus car il n’existe aucune obligation de déclaration pour les employeurs. Les dernières statistiques complètes et disponibles du ministère du travail portent sur l’année 2005.

État des préretraites avec participation de l’État au 31 décembre 2005

 

1992

1995

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

Allocation spéciale de préretraite FNE

           

Entrées annuelles

48 837

23 683

11 993

7 920

6 740

6 875

6 998

4 772

4 048

Nombre fin décembre

162 558

152 409

73 411

59 939

48 045

37 958

33 441

26 842

20 711

Préretraite progressive

                 

Entrées annuelles

4 517

26 858

13 372

11 117

12 357

14 616

15 299

6 534

5 096

Nombre fin décembre

13 114

52 520

44 675

42 045

42 742

47 267

50 942

41 260

33 414

Allocation de remplacement pour l’emploi (ARPE)

           

Entrées annuelles

 

2 650

45 170

37 461

21 354

834

0

0

0

Nombre fin décembre

 

2 622

84 519

86 580

73 125

38 161

16 295

5 331

1 053

Cessation anticipée d’activité de certains travailleurs salariés (CATS)

       

Entrées annuelles

     

6 133

5 313

11 824

16 519

15 446

9 612

Nombre fin décembre

     

6 133

9 871

20 948

34 581

45 723

40 377

Cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante

         

Entrées annuelles

     

3 894

5 803

8 335

7 685

8 100

7 930

Nombre fin décembre

     

3 785

9 152

16 681

22 516

27 409

32 570

Total des préretraites financées avec une participation de l’État

       

Entrées annuelles

50 354

53 191

70 535

66 525

51 567

42 484

46 501

34 852

26 686

Nombre fin décembre

175 672

207 551

202 605

198 482

182 935

161 015

157 775

146 565

128 125

Congé de fin d’activité (fonction publique)

             

Entrées annuelles

   

15 564

11 888

12 965

14 162

1 392

616

256

Nombre fin décembre

   

15 142

18 407

21 579

22 664

20 998

15 156

9 579

Cessation progressive d’activité (fonction publique)

           

Entrées annuelles

           

15 530

1 529

129

Nombre fin décembre

           

41 018

34 676

27 548

Source : DARES, ministère du travail, des relations sociales et de la solidarité (Premières synthèses Informations n° 52.1 de décembre 2006)

En matière de mise à la retraite d’office, au 11 juillet 2007, 109 accords de branche avaient été conclus et étendus dans le cadre juridique institué par la loi du 21 août 2003, sur un nombre total de 138 accords de branche signés (relevé de la direction du travail) ; ces accords couvrent 115 branches professionnelles. Quatre accords ont été signés en 2003, 73 en 2004, 32 en 2005, 27 en 2006 et deux entre le 1er janvier et le 11 juillet 2007.

Depuis la présentation du plan national d’action concerté pour l’emploi des seniors du 6 juin 2006, le nombre d’extensions s’est ralenti, mais ne s’est pas éteint contrairement aux déclarations du gouvernement lors de la présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007. Au second semestre 2006, cinq arrêtés d’extension ont été signés ; de janvier à avril 2007, six nouveaux arrêtés d’extension ont été signés. Sous le gouvernement de M. François Fillon, trois arrêtés d’extension ont été signés (les 5 et 15 juin 2007) concernant les branches de l’immobilier, des employés, techniciens et agents de maîtrise des travaux publics et du bâtiment.

Une mission de l’inspection générale des finances et de l’inspection générale des affaires sociales a remis un rapport en novembre 2006 évaluant entre 86 000 et 107 500 le nombre de mises à la retraite d’office prononcées chaque année avec allocation d’une indemnité de mise à la retraite. Cette estimation peut être rapprochée de celle du nombre de départ à la retraite volontaire avec indemnité de départ : 114 000 à 142 500 personnes.

La CNAV fournit une estimation inférieure du nombre de mises à la retraite : 57 308 en 2006, 63 360 en 2007, 65 960 en 2008, 70 771 en 2009 et 74 923 en 2011.

Les 138 accords de branche couvrent 115 branches employant 6,4 millions de salariés, soit 39,5 % des effectifs salariés affiliés à l’UNEDIC au 31 décembre 2006 (16,2 millions d’emplois salariés).

a) Les différents types de préretraite ou cessation anticipée du travail

• La préretraite totale FNE ou préretraite licenciement

La préretraite totale du Fonds national de l’emploi (FNE) s’adresse aux entreprises qui envisagent de procéder à un licenciement pour motif économique et qui ne sont pas en mesure d’assurer le reclassement des salariés âgés touchés par les licenciements. La mise en œuvre de cette procédure impose à l’entreprise d’avoir au préalable conclu avec l’État (direction départementale du travail) une convention d’allocation spéciale.

La convention vise à définir les mesures de protection de l’emploi des salariés âgés de 50 ans et plus et imposer à l’entreprise de soumettre à l’autorisation administrative ses embauches ultérieures.

Concernant les salariés âgés de 50 ans et plus, la convention doit, en principe, prévoir une clause de non-licenciement ou de limitation au minimum de ces licenciements ou, à défaut, une organisation de l’offre de reclassement interne. Lorsque le licenciement est inévitable, l’entreprise doit s’engager à assurer ou faciliter le reclassement des salariés. Une obligation de résultat ou de moyens doit être prévue, soit par une proposition de reclassement interne ou externe des salariés âgés de 50 à 56 ans, soit par une proposition d’offres valables d’emploi, soit par une proposition de congé de conversion. La convention doit comporter un engagement de l’entreprise de ne pas licencier pour motif économique ou de ne pas procéder à des départs négociés de salariés âgés de 56 ans et plus.

Le non-respect de la convention est sanctionné par le versement d’une contribution d’un montant qui, selon la taille de l’entreprise, atteint 40 à 100 % des salaires annuels moyens des bénéficiaires potentiels de la convention.

La validité de la convention est subordonnée au respect par l’entreprise de l’obligation de soumettre à l’autorité administrative compétente les embauches sous CDI ou CDD de plus de trois mois intervenant dans les douze mois suivants la notification du dernier licenciement ayant donné à une préretraite. L’accord de l’administration est réputé acquis après un silence de sept jours renouvelable une fois à la demande de l’administration. Toutefois, les conventions conclues pour un nombre de bénéficiaires inférieur à cinquante n’entraînent pas de contrôle administratif des embauches.

L’entreprise signataire doit proposer à ses salariés âgés d’au moins 57 ans (à la date de fin du préavis de licenciement) d’adhérer personnellement à la convention conclue avec l’État. Toute adhésion est irréversible et prive le salarié du droit de contester son licenciement pour motif économique.

Tout salarié adhérent et qui fait l’objet d’un licenciement pour motif économique tout en n’étant pas susceptible de reclassement selon les modalités fixées par la convention peut s’arrêter de travailler et percevoir jusqu’à l’âge de la retraite une allocation versée par l’ASSEDIC. Dans des cas limitativement énumérés (fermeture d’établissement, problème social d’emploi créé à l’échelon régional, plan social exemplaire), l’âge de 57 ans peut être abaissé à 56 ans.

Outre la condition d’âge, le salarié bénéficiaire de la convention doit avoir appartenu pendant dix ans à un régime de sécurité sociale au titre d’emplois salariés, justifier avant la fin du préavis d’une année d’appartenance continue à l’entreprise, ne pas être chômeur saisonnier, ne pas être en mesure de bénéficier d’une pension de retraite pour inaptitude au travail, ne plus exercer d’activité professionnelle et ne pas réunir les conditions pour obtenir une liquidation de pension de retraite au taux plein.

• La préretraite progressive

La préretraite progressive a été instituée par la loi n° 92-1446 du 31 décembre 1992 relative à l’emploi, au développement du travail à temps partiel et à l’assurance chômage (3° de l’article L. 322-4 du code du travail). L’article 18 de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites a abrogé ce dispositif à compter du 1er janvier 2005, les conventions signées à cette date continuant toutefois à produire leurs effets jusqu’à leur terme.

Ce dispositif visait à organiser le passage au temps partiel des salariés travaillant à temps plein et visés par un licenciement économique ou à organiser des embauches compensatrices de départs en préretraite progressive. Il s’adressait à des salariés âgés d’au moins 55 ans. Le salarié devait justifier de dix années d’affiliation à un régime de sécurité sociale au titre d’emplois salariés et de douze mois continus d’ancienneté dans l’entreprise en tant que travailleur à temps complet. N’étaient pas éligibles les salariés en mesure de bénéficier d’une pension de vieillesse pour inaptitude au travail et les salariés réunissant le nombre de trimestres d’assurance leur permettant de liquider leur retraite au taux plein.

Une convention de préretraite progressive devait être conclue par l’entreprise selon le même modèle que la convention de préretraite totale FNE. Le dispositif s’adressait aux entreprises engagées dans un processus de réduction d’effectifs ou aux entreprises ayant des capacités d’embauche. Plusieurs types de préretraites progressives étaient possibles : préretraite relevant d’un plan social visant à pallier le recours aux licenciements économiques (passage des salariés à un temps de travail partiel égal à 50 % de la durée antérieure de leur temps de travail), préretraite avec embauches compensatrices totales, préretraite avec embauches compensatrices partielles. Les embauches devaient bénéficier au moins pour moitié à des publics prioritaires et au moins pour les deux tiers à des jeunes de moins de 26 ans.

Le salarié devait adhérer personnellement à la préretraite progressive. Un avenant à son contrat de travail était conclu pour enregistrer le passage au temps partiel.

• La préretraite des travailleurs de l’amiante

L’allocation de cessation anticipée d’activité versée aux travailleurs de l’amiante a été mise en place par l’article 41 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999.

Ce régime de préretraite s’adresse aux salariés ou anciens salariés âgés d’au moins 50 ans. Le salarié ou ancien salarié doit être dans l’une des situations suivantes :

– soit être reconnu atteint d’une maladie provoquée par l’amiante ou d’une maladie reconnue d’origine professionnelle dont l’imputabilité à l’amiante est attestée ;

– soit avoir travaillé dans un établissement de fabrication de matériaux contenant de l’amiante ou réalisant des opérations de flocage ou de calorifugeage de l’amiante qui figure sur une liste fixée par arrêté, pendant une période déterminée également par arrêté au cours de laquelle des matériaux contenant de l’amiante y étaient fabriqués ou durant laquelle l’amiante y a été traité ; en ce cas, il doit avoir atteint un âge au moins égal à celui résultant de la soustraction du tiers du nombre de jours travaillé dans l’établissement à l’âge de 60 ans, sans qu’il soit inférieur à 50 ans ;

– soit avoir travaillé dans un établissement de construction ou réparation navales qui figure sur une liste fixée par arrêté, y avoir exercé un métier figurant sur une liste fixée par le même arrêté et avoir atteint un âge au moins égal à celui résultant de la soustraction du tiers du nombre de jours où il a exercé ce métier dans l’établissement à l’âge de 60 ans, sans qu’il soit inférieur à 50 ans ;

– soit avoir travaillé dans un port figurant sur une liste fixée par arrêté en tant qu’ouvrier docker professionnel ou personnel portuaire assurant la manutention ou marin, pendant une période déterminée également par arrêté au cours de laquelle y ont été manipulés des sacs d’amiante ; en ce cas, il doit avoir atteint un âge déterminé en fonction de la durée d’activité dans le port, sans qu’il soit inférieur à 50 ans.

L’allocation de cessation anticipée doit être demandée à la caisse régionale d’assurance maladie. L’admission au bénéfice de l’allocation doit entraîner la cessation de l’activité professionnelle par démission remise à l’employeur. Cette rupture du contrat de travail entraîne le versement d’une indemnité de cessation d’activité non assujettie aux cotisations de sécurité sociale, à la CSG et à la CRDS et à l’impôt sur le revenu.

• La cessation anticipée d’activité de certains travailleurs salariés

Le régime de la cessation anticipée d’activité de certains travailleurs salariés (CATS) a été mis en place par le décret n° 2000-105 du 9 février 2000. Il vise à permettre aux salariés ayant exercé des activités particulièrement pénibles de cesser leur activité avant 60 ou 65 ans. Le dispositif est ouvert en exécution d’un accord professionnel national et d’un accord d’entreprise (article L. 352-3 du code du travail). À cette condition, l’État prend en charge une partie du financement des allocations.

L’accord de branche définit les conditions d’ouverture du droit à la CATS, les conditions d’âge, le montant de l’allocation et les modalités de son versement et la période pendant laquelle les salariés peuvent adhérer aux mesures de CATS.

L’accord d’entreprise doit organiser une gestion prévisionnelle des emplois, le développement des compétences et l’adaptation à l’évolution de l’emploi pour que l’État intervienne financièrement. L’entreprise doit également avoir fixé une durée de travail de 35 heures hebdomadaires ou une durée qui ne peut excéder 1 600 heures sur l’année lorsqu’elle applique un accord de modulation.

L’accord de branche ou l’accord d’entreprise doit préciser le nombre maximal de bénéficiaires de l’allocation sur la période d’adhésion.

Une convention de gestion doit être conclue entre l’État, l’entreprise et l’organisme chargé de la gestion des CATS qui a été désigné par l’accord professionnel. La signature de cette convention tripartite conditionne l’intervention financière de l’État et la validation gratuite des périodes au titre du régime de base de l’assurance vieillesse et les exonérations de charges sociales.

Pour ouvrir droit à une aide financière de l’État, le salarié doit :

– soit avoir accompli quinze années de travail à la chaîne ou en équipes successives ;

– soit avoir travaillé habituellement plus de 200 nuits par an pendant quinze ans ;

– soit avoir la qualité de travailleur handicapé à la date de signature de l’accord de branche et justifier d’au moins 40 trimestres d’assurance vieillesse au titre d’un régime de salariés.

En outre, le salarié doit :

– avoir adhéré au dispositif au plus tôt à 55 ans et avant 65 ans, l’aide de l’État ne pouvant être versée que lorsqu’il a atteint l’âge de 57 ans ;

– être ou avoir été salarié de l’entreprise de façon continue pendant au moins un an ;

– n’exercer aucune activité professionnelle, mais une reprise d’activité est possible dans les conditions prévues par l’accord professionnel et entraîne en ce cas la suspension de l’aide de l’État ;

– ne pas réunir les conditions pour bénéficier d’une retraite à taux plein ;

– ne pas bénéficier d’une allocation de préretraite totale FNE.

Pendant la période d’adhésion au dispositif, le contrat de travail est suspendu, le bénéficiaire ne doit pas exercer d’activité professionnelle et il ne doit pas percevoir d’indemnité de l’assurance chômage ni bénéficier d’une pension de retraite ou d’un avantage de vieillesse.

• Les préretraites d’entreprise

Les entreprises peuvent par des accords professionnels, des conventions collectives, des accords d’entreprise ou simplement par un engagement du chef d’entreprise mettre en place des préretraites. Seules les entreprises les plus importantes sont en mesure d’assumer le coût de ces « préretraites maison ».

Selon le contenu de l’accord, le contrat de travail est suspendu ou rompu. La préretraite peut être gérée en interne dans l’entreprise ou par un assureur extérieur. Les formules sont d’une très grande variété.

b) La fixation du montant des allocations de préretraite

• La préretraite totale FNE, la préretraite des travailleurs de l’amiante et la cessation anticipée d’activité de certains travailleurs salariés

Le salarié en préretraite totale FNE, en préretraite amiante ou en CATS reçoit une allocation spéciale mensuelle (article R. 322-7 du code du travail), qui est versée par l’ASSEDIC compétente et dont le montant est égal à :

– 65 % de son ancien salaire brut calculé sur la base des douze derniers mois ayant servi au calcul des cotisations ASSEDIC, dans la limite du plafond de la sécurité sociale (2 773 euros pour un mois, au 1er janvier 2008) ;

– 50 % de ce salaire de référence pour la part supérieure au plafond de la sécurité sociale, dans la limite de deux fois le montant de ce plafond.

Pour les marins, le montant de l’allocation de préretraite amiante est égal à 65 % du salaire forfaitaire de la catégorie dans laquelle est classé le marin pendant la dernière activité précédant sa demande.

En matière de CATS, le montant ci-dessus constitue un montant minimum de revenu garanti par la loi. Il sert de base à la détermination de la participation de l’État, cette participation étant modulée en fonction de l’âge du bénéficiaire ; un taux de prise en charge de 20 % est appliqué pour les allocataires âgés de 55 ans, de 35 % pour ceux de 56 ans et 50 % pour ceux de 57 ans et plus. Certains accords professionnels prévoient des revenus supérieurs.

Le montant d’une allocation de préretraite ne peut être inférieur à 29,23 euros par jour depuis le 1er janvier 2008 ou 876,90 euros pour un mois de trente jours. L’allocation ne doit, en revanche, pas excéder 85 % du montant du salaire de référence.

L’allocation est revalorisée dans les mêmes conditions que les pensions de retraite du régime général d’assurance vieillesse (en fonction de l’indice des prix, au 1er janvier de l’année).

L’allocation de préretraite est versée jusqu’à l’âge de 60 ans si le bénéficiaire réunit, à cette date, le nombre de trimestres d’assurance permettant de liquider sa pension de retraite au taux plein ou jusqu’à la date où il réunit ces conditions de liquidation. Le versement s’arrête au plus tard à 65 ans, âge où les retraites des salariés sont toutes liquidées au taux plein quelle que soit la durée d’assurance réunie. L’allocation cesse d’être versée si son bénéficiaire fait liquider une pension de vieillesse personnelle (et non de réversion). Une reprise d’activité interrompt également le versement, sauf si l’activité est inférieure à 16 heures par mois et rapporte moins de 16/169e du salaire brut de référence (en ce cas, le montant perçu est déduit de l’allocation) ou si l’activité a un caractère bénévole et remplit certaines conditions (mandats syndicaux ou électifs, activité associative).

Deux allocations de préretraite ne peuvent être cumulées et une allocation ne peut être cumulée avec une pension de vieillesse de droit direct ni avec un revenu de remplacement visé à l’article L. 131-2 du code de la sécurité sociale. Le cumul est possible avec une rente d’accident du travail ou de maladie professionnelle, une pension militaire d’invalidité ou une pension de réversion versée par un régime complémentaire. Une allocation différentielle peut être versée pour les personnes titulaires d’une pension d’invalidité servie par un régime obligatoire, une pension de réversion, une pension de veuf ou veuve du régime général ou une pension de retraite d’un régime spécial de sécurité sociale.

• La préretraite progressive

Le salarié passé en retraite progressive perçoit une allocation complémentaire de préretraite s’ajoutant à la rémunération de son temps partiel. Son montant est égal à :

– 30 % du salaire de référence dans la limite du plafond de la sécurité sociale (2 773 euros pour un mois, au 1er janvier 2008),  

– 25 % de la part de ce salaire comprise entre ce plafond et deux fois le montant de ce plafond (5 546 euros).

Le salaire de référence est celui sur lequel ont été assises les contributions au régime d’assurance chômage des douze mois civils précédant le dernier jour de temps de travail à temps plein.

Le montant de l’allocation ne peut être inférieur à 14,62 euros par jour depuis le 1er janvier 2008, soit 438,60 euros pour un mois de trente jours (montant fixé par arrêté). Le montant de l’allocation est revalorisé dans les mêmes conditions que les pensions de retraite du régime général.

Comme pour l’allocation de préretraite totale FNE, l’allocation compensatrice de retraite progressive est versée jusqu’à 60 ans ou 65 ans ou jusqu’à l’obtention de la durée d’assurance nécessaire à la liquidation au taux plein de la pension de retraite. Si un allocataire âgé de 60 à 65 ans cesse totalement son activité professionnelle sans avoir la durée d’assurance nécessaire pour obtenir le taux plein, il a droit, à son départ en retraite, à une indemnité de départ en retraite. L’allocataire arrivant à l’âge où il peut obtenir une retraite au taux plein peut être mis à la retraite d’office avec versement d’une indemnité ou peut demander la liquidation de sa pension avec versement d’une indemnité de départ en retraite. L’allocataire peut également bénéficier des mesures de retraite progressive sous réserve du respect des conditions de cumul entre un emploi et sa retraite.

Le versement de l’allocation est suspendu en cas d’accroissement, au-delà du plafond prévu, de la durée du temps de travail ou en cas de reprise d’une activité professionnelle salariée sauf en cas de tutorat ou d’activité d’intérêt général pour des associations à but non lucratif ou des collectivités publiques ayant conclu une convention avec l’État à cet effet.

• Les préretraites d’entreprise

Le montant n’est pas encadré par la loi. Il résulte de l’accord des parties.

c) Le financement des préretraites

• La préretraite totale FNE ou préretraite licenciement

Le financement de l’allocation spéciale FNE est réparti entre l’entreprise signataire de la convention, l’État et le salarié au travers d’une contribution indirecte.

Le financement de l’employeur varie selon la taille de l’entreprise, sa situation financière et la qualité de son plan de sauvegarde de l’emploi. Ces facteurs sont appréciés par la direction du travail. L’assiette de calcul varie selon le salarié allocataire :

– pour le salarié qui a adhéré à la convention avant l’âge de 60 ans, l’assiette est égale à son salaire journalier de référence multiplié par le nombre de jours de prise en charge jusqu’à 60 ans, augmenté d’une majoration forfaitaire de 365 jours ;

– pour le salarié qui a adhéré à la convention après l’âge de 60 ans, l’assiette est égale à son salaire journalier de référence multiplié par une base forfaitaire de 455 jours de prise en charge.

Les taux suivants sont appliqués à ces assiettes :

– pour les entreprises de moins de 500 salariés n’appartenant pas à un groupe d’importance nationale : 22,5 % ou 30,5 % de l’allocation si le salarié est âgé moins de 57 ans ;

– pour les entreprises de plus de 500 salariés ou appartenant à un groupe d’importance nationale : 38 % ou 46 % si le salarié est âgé moins de 57 ans ;

– pour les entreprises de plus de 2 000 salariés : 48 % ou 56 % si le salarié est âgé moins de 57 ans.

L’entreprise verse dès l’admission du premier allocataire un montant forfaitaire égal à 80 % du montant de la contribution globale ainsi calculée. Le solde de la contribution est versé dans les deux mois suivant la clôture des adhésions et est calculé en fonction des adhésions effectives et des réfactions de la contribution globale résultant des participations des salariés au financement. La contribution propre de l’entreprise qui résulte de ces versements n’est pas assujettie aux cotisations de sécurité sociale et est exonérée de versement sur les salaires.

Le salarié allocataire participe au financement en abandonnant une partie de son indemnité de départ. Cette part est égale à la différence entre le montant de l’indemnité conventionnelle de licenciement et la plus élevée des deux indemnités suivantes : l’indemnité de départ à la retraite ou l’indemnité légale de licenciement. La participation du salarié ne peut pas dépasser 40 fois le montant de son salaire journalier de référence en cas de départ à partir de 57 ans ou 45 fois en cas de départ avant 57 ans. Cette participation ne peut être prise en charge par l’entreprise.

Compte tenu de ces deux recettes, l’État complète le financement pour assurer la couverture complète du coût des allocations spéciales FNE.

• La préretraite progressive

L’entreprise signataire d’une convention de préretraite progressive participe au financement des allocations sauf si elle fait l’objet d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ou si elle est dans l’incapacité d’assumer cette charge. Sa contribution financière est assise sur une assiette calculée comme suit :

– pour les salariés admis en préretraite progressive avant 60 ans : salaire journalier de référence du salarié multiplié par le nombre de jours pendant lesquels l’allocation est versée augmenté de 365 jours ;

– pour les salariés admis en préretraite progressive après 60 ans : salaire journalier de référence du salarié multiplié par un nombre forfaitaire de 455 jours.

Sur cette assiette est appliqué un taux déterminé comme suit :

– pour les entreprises de 250 salariés ou moins : 2 % en cas de compensation totale des adhésions ou 5 % (taux minimal) en cas d’absence d’embauche ou d’embauches compensatrices partielles ;

– pour les entreprises de plus de 250 salariés : 2 % en cas de compensation totale des adhésions avec des recrutements prioritaires portant sur au moins 90 % des embauches, 5 % (taux minimal) en cas de compensation totale des adhésions avec des recrutements prioritaires portant sur 50 à 90 % des embauches ou 8 % (taux minimal) en cas d’absence d’embauche ou d’embauches compensatrices partielles.

• La préretraite des travailleurs de l’amiante

Les allocations sont financées par le Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (33). Les entreprises sont redevables d’une contribution variant selon l’âge de l’admission au bénéfice de l’allocation.

d) Le régime d’imposition fiscale et sociale des préretraites

Les régimes d’imposition des différents mécanismes de préretraite et cessation anticipée d’activité ont été substantiellement modifiés par l’article 16 de la loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale pour 2008.

Cet article a supprimé les taux réduits (6,6 % et 3,8 %) et l’exonération de contribution sociale généralisée (CSG) dont bénéficiaient les allocations de préretraite. Celles-ci sont désormais assujetties au taux de CSG de droit commun de 7,5 % depuis le 11 octobre 2007, jour de délibération du projet de loi par le Conseil des ministres.

Il a également relevé le taux normal de la contribution spécifique acquittée par les employeurs sur les allocations ou avantages de préretraite d’entreprise de 24,15 % à 50 % et supprimé les taux réduits qui couraient jusqu’au 31 mai 2008 (taux de 19,5 % applicable en 2007 et taux de 22 % applicable de janvier à mai 2008). Ce nouveau taux de 50 % s’est appliqué aux avantages de préretraite d’entreprise versés à compter du 11 octobre 2007.

Il a, en outre, rapproché le régime d’imposition sociale des indemnités de mise à la retraite d’office du régime d’imposition des préretraites d’entreprise en les soumettant à une contribution à la charge de l’employeur calquée sur celle prévue par l’article L. 137-10 du code de la sécurité sociale en matière de préretraite d’entreprise. Cette contribution est appliquée aux indemnités de mise à la retraite versées à n’importe quel salarié quel que soit son âge, y compris au-delà de 65 ans (il n’existe aucun âge plafond pour liquider une pension de retraite). Cette contribution est acquittée sur toutes les indemnités versées à compter du 11 octobre 2007, y compris celles résultant d’une décision de mise à la retraite prise par un employeur avant cette date. Le taux normal de cette contribution est fixé à 50 % mais, à titre transitoire, jusqu’au 31 décembre 2008, un taux réduit de moitié est appliqué.

Le produit de ces différentes contributions sociales a été affecté à la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAV).

Enfin, le régime d’imposition de l’indemnité de départ en retraite avec l’accord de l’employeur prévu par les deuxième et troisième alinéas de l’article L. 122-14-13 du code du travail a été supprimé. Ce régime dérogatoire prolongeant sur les années 2010-2014 le mécanisme des mises à la retraite n’était plus cohérent avec l’ensemble des mesures législatives tendant à maintenir les seniors dans l’emploi. Il était, en outre, très coûteux pour les finances sociales : compte tenu des hypothèses retenues par l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale des affaires sociales dans leur rapport de novembre 2006, la charge annuelle du dispositif transitoire pour la sécurité sociale serait de l’ordre de 350 à 600 millions d’euros.

• Le régime des préretraites d’État

Le régime suivant est applicable à l’allocation spéciale FNE, à l’allocation compensatrice de retraite progressive, à l’allocation de préretraite amiante, aux allocations de CATS et à l’ARPE.

Ces allocations de préretraite ne sont pas assimilées à des salaires. Aucune cotisation ou contribution sociale assise sur les salaires n’est donc due par l’employeur. Néanmoins, elles sont soumises aux prélèvements sociaux suivants à la charge de l’allocataire :

– 1,7 % au titre de la couverture d’assurance maladie ;

– toutefois, l’allocation de préretraite amiante est assujettie à une cotisation d’assurance maladie au taux du régime général (0,75 %) pour les bénéficiaires de l’allocation au 26 décembre 2002 qui sont rattachés au régime général et au taux applicable à chaque régime d’affiliation de l’allocataire pour les bénéficiaires de l’allocation à compter du 26 décembre 2002 ;

– 7,5 % au titre de la contribution sociale généralisée (CSG), dont 4,2 % sont déductibles fiscalement ;

– 0,5 % au titre de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS).

Les prélèvements sociaux sont précomptés sur les allocations de préretraite. Ils ne peuvent avoir pour effet de ramener l’allocation journalière à un montant inférieur au SMIC brut journalier. Ces taux de prélèvement sont, le cas échéant, réduits d’autant pour atteindre ce résultat.

Fiscalement, les allocations de préretraite sont imposables au titre des revenus (catégorie traitements et salaires), à l’exception de l’indemnité de cessation d’activité des travailleurs de l’amiante (32° et 33° de l’article 81 du code général des impôts).

Depuis le 1er janvier 2001, les périodes de versement des allocations de CATS, si une convention est passée avec l’État, font l’objet d’une validation gratuite au titre des cotisations d’assurance vieillesse du régime général. Les cotisations sont prises en charge par le Fonds de solidarité vieillesse (FSV).

• Le régime des préretraites d’entreprise

Les avantages versés par les employeurs sont soumis aux cotisations et contributions sociales des revenus de remplacement. Elles sont à la charge de l’allocataire. Il s’agit :

– d’une cotisation au titre de l’assurance maladie au taux de 1,7 % lorsque le dispositif est mis en place dans le cadre de dispositions conventionnelles (accord négocié et conclu avec les organisations syndicales représentatives), c’est-à-dire le taux applicable aux revenus de remplacement ;

– d’une cotisation au titre de l’assurance maladie au taux de 1 % lorsque le dispositif résulte d’une pure décision unilatérale de l’employeur, c’est-à-dire au taux applicable aux avantages complémentaires de retraite versés par les employeurs ;

– du paiement de la CSG au taux de 7,5 %, dont 4,2 % sont déductibles fiscalement ;

– du paiement de la CRDS au taux de 0,5 %.

Ces trois prélèvements ne peuvent avoir pour effet de ramener l’allocation journalière à un montant inférieur au SMIC brut journalier. Ces taux sont réduits d’autant pour obtenir ce résultat.

Lorsque le contrat de travail est suspendu, l’employeur doit acquitter la contribution de solidarité pour l’autonomie (0,3 %). S’il est rompu, elle n’est pas due.

Fiscalement, les allocations de préretraite entreprise sont imposables au titre de l’impôt sur le revenu (catégorie traitements et salaires).

En outre, l’employeur doit acquitter une contribution spécifique sur les avantages servis dans le cadre d’une préretraite d’entreprise, qu’elle résulte d’une disposition conventionnelle ou d’une décision unilatérale de l’employeur, lorsque le contrat de travail du salarié est rompu. Cette contribution a été instituée par l’article 17 de la loi du 21 août 2003 (article L. 137-10 du code de la sécurité sociale). Elle s’applique aux dispositifs conventionnels ou unilatéraux conclus après le 27 mai 2003.

Depuis le 17 octobre 2007, le taux de cette contribution spécifique est fixé à 50 %. Les taux réduits transitoires prévus par la loi du 21 août 2003 ont été supprimés par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.

Cette contribution spécifique est applicable à tous les avantages de préretraite d’entreprise résultant d’accords collectifs, de stipulations contractuelles ou de décisions unilatérales d’employeurs conclus après le 27 mai 2003. Antérieurement, les préretraites d’entreprise n’avaient pas de taxation spécifique.

e) Le régime de sécurité sociale applicable aux préretraités du FNE

Le salarié partant en préretraite n’est pas inscrit sur la liste des demandeurs d’emploi et conserve ses droits aux prestations des régimes de sécurité sociale.

En matière d’assurance maladie, il bénéficie des prestations en nature (remboursement des frais médicaux et soins) mais les prestations en espèces (indemnités journalières) ne sont maintenues que pendant les douze mois suivant la cessation d’activité.

En matière d’accidents du travail, aucune indemnité journalière ne peut être accordée.

En matière d’invalidité-décès, les prestations en espèces ne sont maintenues que pendant les douze mois suivant la cessation d’activité.

En matière de prestations familiales, les allocations sont intégralement maintenues.

Enfin, les périodes de versement de l’allocation sont validées gratuitement par le régime de base de l’assurance vieillesse des travailleurs salariés (financement par le Fonds de solidarité vieillesse), les régimes complémentaires de l’ARRCO et de l’AGIRC procédant également à une validation gratuite à hauteur d’un taux plafonné (au-delà, le cadre peut acquérir des points AGIRC en cotisant) sur la base du salaire antérieur à la préretraite. Dans le régime complémentaire de l’ARRCO, la validation gratuite des points est complète pour la préretraite totale FNE mais limitée aux points acquis au taux minimal obligatoire de cotisation sur le salaire dans la préretraite progressive (cotisation exigée pour valider les points acquis par cotisation au taux facultatif). Dans le régime complémentaire de l’AGIRC, la validation gratuite des points n’est accordée que dans la limite des points acquis au taux minimal obligatoire de cotisation sur le salaire, la validation des points acquis par cotisation au taux facultatif n’étant effectuée qu’en contrepartie d’une cotisation aussi bien dans la préretraite totale FNE que la préretraite progressive.

La validation gratuite est financée par le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) qui rembourse à la CNAV et à l’AGIRC-ARRCO les cotisations correspondantes attribuées aux assurés. Cette mission du FSV résulte des dispositions de l’article L. 135-1 du code de la sécurité sociale. Compte tenu de l’insuffisance des recettes du FSV jusqu’en 2008, l’établissement n’était en mesure de rembourser à la CNAV via l’ACOSS les montants des cotisations vieillesse correspondant aux périodes validées gratuitement de chômage et de préretraites qu’avec un retard d’un an et demi à deux ans. En l’absence de réserve de trésorerie étant donné la situation de ses comptes, la CNAV est conduite à emprunter. Seules les validations des périodes de chômage et de préretraites – le financement par le FSV de ces cotisations gratuites aux régimes de base représentant toutefois 7,18 milliards d’euros sur les 14,3 milliards de charges totales du FSV en 2007 – faisaient l’objet de ce remboursement avec retard, dont les modalités ont d’ailleurs été encadrées contractuellement par la CNAV et le FSV, mais la charge financière devant être supportée par la CNAV pour assurer le financement de ses charges a atteint la somme de 96,5 millions d’euros en 2006.

Les titulaires de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante obtiennent des points de retraite complémentaire ARRCO et AGIRC pendant leur période de préretraite amiante. Ils sont affiliés à l’assurance vieillesse volontaire. Par conséquent, les périodes de versement de l’allocation sont prises en compte pour le calcul des droits à la retraite.

2. Les dispositifs en vigueur en matière de retraite anticipée

Dans un secteur d’activité particulièrement exposé à la pénibilité physique, les syndicats ont appelé l’attention de la mission sur le fait que la moitié des ouvriers du bâtiment cessent leur activité avant d’avoir atteint l’âge de la retraite. A 55 ans, 25 % des salariés sont au chômage et 11 % en invalidité. Globalement, les Français partent à la retraite à 58,7 ans mais cet âge est de 56 ans et demi pour les ouvriers.

Selon l’étude de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAV) sur les comportements de départ à la retraite établie pour le Conseil d’orientation des retraites (document n° 7 de la séance du 26 septembre 2007 ; enquête qualitative réalisée en juillet 2007 par cinquante entretiens d’environ quarante minutes conduits auprès des assurés âgés de 55 à 65 ans venus en agence locale pour déposer un dossier de retraite ou demander des renseignements), les conditions de travail des seniors influent directement sur leur décision de départ en retraite.

Extrait de la synthèse de l’enquête qualitative réalisée en juillet 2007 par la CNAV
sur les comportements de départ en retraite (septembre 2007)

Des motivations de départ fortement contraintes par le statut d’activité

[…]

Les conditions de travail

Les seniors qui décrivent des conditions de travail satisfaisantes sont aussi ceux qui souhaiteraient retarder leur départ en retraite. A l'inverse, ceux qui décrivent des conditions de travail peu satisfaisantes, souhaiteraient liquider leur retraite le plus vite possible.

Lorsque les conditions de travail sont jugées satisfaisantes, les assurés insistent sur la reconnaissance et la valorisation de leur travail. Ils témoignent des relations intergénérationnelles cordiales au sein de l'entreprise et de l’absence de pression exercée par l’employeur sur ses salariés.

Lorsque les conditions de travail décrites sont peu satisfaisantes, les assurés se plaignent de la dégradation de leurs conditions de travail, de la pénibilité, de la détérioration du climat professionnel. Ils dénoncent la quête de productivité (les restrictions de personnel, l’accroissement des charges de travail) et la course au rendement engendrées par le contexte économique et qui conduisent à la perte d’une ambiance sereine et conviviale et à la montée de l'individualisme. Enfin, un certain nombre évoque le manque de reconnaissance et de considération qui pèse parfois sur les travailleurs âgés.

La pénibilité physique est évoquée essentiellement par des travailleurs manuels tandis que la pénibilité psychologique, engendrée par le stress, la détérioration de l'environnement professionnel, la pression exercée sur les salariés ou le désintérêt pour les tâches effectuées, est évoquée tant par les ouvriers que par le personnel administratif ou les cadres. Les ouvriers ou les professions intermédiaires se plaignent davantage du stress alors que le sentiment de lassitude touche autant les ouvriers que les cadres.

Les conditions de travail dépendent de la gestion des ressources humaines et des fins de carrières par l’entreprise.

Certains employeurs souhaitent garder en poste les personnes ayant une longue expérience professionnelle, notamment des ouvriers qualifiés. Dans d’autres situations, lorsque les assurés sont incités au départ, on trouve une certaine stigmatisation des seniors. Elle est le fait tant de l’employeur que des collègues, et s’illustre par le discours sur le coût trop élevé des travailleurs âgés. Le sentiment d’inutilité et de disqualification constitue autant d'éléments de rejet poussant au départ des seniors. La désaffection à l’égard de leur emploi se rencontre parfois parmi les plus qualifiés, y compris des cadres supérieurs, dans certaines situations, quand par exemple des restructurations interviennent dans l’emploi, dans lesquelles ils ont l’impression d’être "mis de côté". C’est comme si les employeurs anticipaient déjà leur départ et ne prenaient aucun compte de leur avis. Ils expriment un sentiment de perte de pouvoir, de non reconnaissance de leurs activités passées, et préfèrent anticiper leur départ, non sans une certaine amertume.

Les personnes interrogées ont parfois mentionné des stratégies d’éviction plus directes : suppression du poste, mutation dans des lieux de travail plus contraignants, attribution de tâches sinon dégradantes du moins inintéressantes, usage des préretraites. Les conditions de travail difficiles, une entrée sur le marché du travail précoce ou encore un travail guère motivant sont autant de motifs alimentant le succès de la mesure sur la retraite anticipée. Les assurés qui manifestent une fatigue physique ou une lassitude psychologique n’envisagent pas de cumuler une activité pendant la retraite.

La santé

Les assurés confrontés à des problèmes de santé sont poussés à cesser leur activité pour liquider leur retraite le plus tôt possible. Il s’agit essentiellement de personnes vivant seules ou d’ouvriers ayant un travail physiquement pénible.

L’état de santé reste un puissant motif de liquidation. Mais ce n’est pas seulement quand une santé déficiente rend plus difficile et pénible la poursuite du travail. L’argument relatif à la santé joue également auprès des personnes en bonne santé, qui souhaitent accroître leurs chances de la conserver en mettant fin au stress de la vie professionnelle, partir tant qu’ils sont en bonne santé pour en profiter et avoir une retraite active, anticipant une inéluctable dégradation future avec le vieillissement. Ainsi les motivations relatives à la santé peuvent être également liées à la représentation de la retraite.

Enfin l’état de santé personnel n'est pas le seul en jeu. Les assurés mentionnent également le besoin ou la nécessité de s’occuper d’un proche dont l’état de santé se dégrade. Un enfant à charge ou plus fréquemment un parent, peut aussi participer à la décision d’un départ en retraite.

a) La retraite anticipée pour carrière longue dans le secteur privé

La retraite anticipée pour longue carrière a été mise en place par les articles 23, 24, 90, 97 et 99 de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites. Elle bénéficie aux travailleurs salariés du régime général, du régime des salariés agricoles (article L. 351-1-1 du code de la sécurité sociale), aux exploitants agricoles (article L. 732-18-1 du code rural), aux membres des professions indépendantes (artisans, industriels et commerçants : article L. 634-3-2 du code de la sécurité sociale) ou libérales (II de l’article L. 643-3 du code de la sécurité sociale) et aux avocats (article L. 723-10-1 du code de la sécurité sociale). En application du décret n° 2003-1036 du 30 octobre 2003, cette retraite est ouverte depuis le 1er janvier 2004 :

– aux assurés âgés de 59 ans ayant débuté leur activité professionnelle avant la fin de l’année civile de leurs 17 ans, ayant 42 ans de durée d’assurance validée (168 trimestres) et ayant cotisé (34) au moins 40 ans (160 trimestres) ;

– aux assurés âgés de 58 ans ayant débuté leur activité professionnelle avant la fin de l’année civile de leurs 16 ans, ayant 42 ans de durée d’assurance validée (168 trimestres) et ayant cotisé au moins 41 ans (164 trimestres) ;

– aux assurés âgés de 56 ans ayant débuté leur activité professionnelle avant la fin de l’année civile de leurs 16 ans, ayant 42 ans de durée d’assurance validée (168 trimestres) et ayant cotisé au moins 42 ans (168 trimestres).

La mise en place de cette retraite anticipée, qui est la traduction du relevé de décisions du 15 mai 2003 signé par le gouvernement, la CFDT et la CFE-CGC, répond à un souci d’équité sociale et de reconnaissance des services rendus vis-à-vis des travailleurs ayant commencé à travailler à un très jeune âge.

Le point 3 de ce relevé de décisions indique que « ce dispositif sera revu en 2008 ». Dans l’attente des résultats du rendez-vous de 2008 sur les retraites, la circulaire DSS/3A/2007/396 du 5 novembre 2007 du ministre chargé de la sécurité sociale a borné l’application du dispositif au 30 novembre 2008. « Pour les demandes relatives à des départs en retraite anticipée prenant effet postérieurement au 1er décembre 2008, il revient [aux caisses de retraite] d’informer les assurés concernés que leur dossier est pris en compte et dûment enregistré mais ne pourra recevoir aboutissement que lorsque les paramètres applicables après cette date auront été définitivement arrêtés lors du réexamen du dispositif programmé en 2008 et que des réponses individuelles leur seront communiquées après cette échéance. » En conséquence, les attestations de situation peuvent être délivrées pour des dates d’effet de pension courant jusqu’au 1er décembre 2008 et les droits pour lesquels les assurés ont d’ores et déjà déposé leur demande de retraite seront liquidés.

Au 30 septembre 2007, en métropole, au titre du seul régime général d’assurance vieillesse (35), 228 900 personnes bénéficiaient d’une mesure de retraite anticipée pour carrière longue.

Depuis l’entrée en vigueur du dispositif jusqu’au 31 décembre 2007, 454 421 attributions de pension pour retraite anticipée pour longue carrière ont été prononcées, dont 90 dans les départements d’outre-mer : 2 287 en 2003, 124 125 en 2004, 103 005 en 2005, 108 397 en 2006 et 116 607 en 2007 (116 557 en métropole et 50 dans les départements d’outre-mer). En termes de départ effectif du marché du travail (la date d’attribution de la pension diffère souvent de la date d’effet de la pension), la mesure s’est traduite par 112 200 départs effectifs en 2004, par 100 700 départs effectifs en 2005, par 107 300 départs effectifs en 2006 et par 79 500 départs effectifs au premier semestre 2007. La CNAV prévoit 112 000 départs anticipés pour 2007.

Le coût de cette mesure pour le régime général est très élevé : 565 millions d’euros en 2004, 1,35 milliard en 2005, 1,8 milliard en 2006 et il devrait atteindre 2,2 milliards en 2007 et 2,3 milliards en 2008, majorations de pension incluses (estimation présentée à la commission des comptes de la sécurité sociale de septembre 2007 qui, au 15 avril 2008, n’a pas encore fait l’objet d’une révision).

En 2007, dans le régime général, l’âge moyen d’attribution des retraites anticipées pour carrière longue était de 57,53 ans (57,46 ans pour les hommes et 57,78 ans pour les femmes). La durée moyenne d’assurance au régime général des bénéficiaires était de 127,23 trimestres.

En 2007, dans le régime général, 77,4 % des bénéficiaires d’une retraite anticipée pour carrière longue (régime de droit commun) étaient des hommes (85,5 % en 2004, 80,9 % en 2005 et 78,7 % en 2006). Plus de la moitié des bénéficiaires étaient des ouvriers, notamment qualifiés.

b) La retraite anticipée pour carrière longue dans la fonction publique

L’article 57 de la loi n° 2004-1370 du 20 décembre 2004 et l’article 119 de la loi de finances pour 2005 n° 200-1484 du 30 décembre 2004 ont introduit un dispositif équivalent de départ anticipé en retraite pour carrière longue dans la fonction publique. Cette retraite est ouverte :

– à compter du 1er janvier 2005, aux fonctionnaires âgés de 59 ans ayant débuté une activité professionnelle avant la fin de l’année civile de leurs 17 ans, ayant 42 ans de durée d’assurance validée tous régimes confondus (168 trimestres) et ayant cotisé au moins 40 ans tous régimes confondus (160 trimestres) ;

– à compter du 1er janvier 2006, aux fonctionnaires âgés de 58 ans ayant débuté une activité professionnelle avant la fin de l’année civile de leurs 16 ans, ayant 42 ans de durée d’assurance validée (168 trimestres) et ayant cotisé au moins 41 ans (164 trimestres) ;

– à compter du 1er janvier 2008, aux fonctionnaires âgés de 56 ans ayant débuté une activité professionnelle avant la fin de l’année civile de leurs 16 ans, ayant 42 ans de durée d’assurance validée (168 trimestres) et ayant cotisé au moins 42 ans (168 trimestres).

En 2005, moins de 700 départs en retraite anticipée pour carrière longue ont été constatés, mais leur nombre a bondi à 8 400 en 2006.

c) La retraite anticipée des travailleurs handicapés

Les articles 24, 90 et 99 de la loi nº 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites (articles L. 351-1-3, L. 634-3-3 et L. 643-4 du code de la sécurité sociale et article L. 732-18-du code rural) ont mis en place un dispositif spécifique de retraite anticipée avant 60 ans pour les assurés handicapés relevant du régime général, du régime aligné des salariés agricoles, des régimes des artisans et commerçants (régime social des indépendants), des professions libérales et des exploitants agricoles. Le décret n° 2004-232 du 17 mars 2004 relatif à l’abaissement de l’âge de la retraite pour les assurés sociaux handicapés a défini les conditions d’attribution de cette retraite anticipée. Il a ouvert ce droit aux personnes handicapées dont les pensions prennent effet à compter du 1er juillet 2004.

La mesure consiste en un abaissement à 55 ans de l’âge d’ouverture des droits à pension de retraite des personnes qui ont accompli, alors qu’ils étaient atteints d’une incapacité permanente d’au moins 80 % ou de 66 % pour les victimes d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail, une durée d’assurance vieillesse ou de périodes reconnues équivalentes au moins égale à la limite de droit commun (160 trimestres) diminuée de 40 trimestres et une durée d’assurance ayant donné lieu à cotisations à leur charge au moins égale à cette même limite diminuée de 60 trimestres. Les conditions tenant aux périodes d’assurance validée et de cotisation sont fonction de l’âge de départ à la retraite.

Durées d’assurance et de cotisation exigées
pour la retraite anticipée des personnes handicapées

Age de départ à la retraite

Durée d’assurance minimum

Durée cotisée exigée

55 ans

120 trimestres

100 trimestres

56 ans

110 trimestres

90 trimestres

57 ans

100 trimestres

80 trimestres

58 ans

90 trimestres

70 trimestres

59 ans

80 trimestres

60 trimestres

Une personne handicapée âgée de 55 ans peut donc partir à la retraite avec un taux plein si elle a travaillé pendant 30 ans en étant atteinte d’une incapacité d’au moins 80 %.

En pratique, les personnes handicapées suivantes sont éligibles au dispositif :

– les titulaires de la carte d’invalidité attribuée à toute personne dont le taux d’incapacité permanente est au moins de 80 % ou qui a été classée en troisième catégorie de la pension d’invalidité (article L. 241-3 du code de l’action sociale et des familles) ;

– les titulaires de la carte d’invalidité des aveugles ;

– les titulaires de la carte d’invalidité militaire (avec un taux de 80 % ou plus) au titre de l’article L. 9 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre ;

– les titulaires de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) au taux de 80 % ou plus (article L. 821-1 du code de la sécurité sociale) ;

– les personnes pour lesquelles la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (anciennes COTOREP) a reconnu la qualité de travailleur handicapé catégorie C (articles L. 323-8-2, L. 323-10 et L. 323-12 du code du travail) ;

– les titulaires d’une pension d’invalidité de deuxième catégorie (invalides incapables d’exercer une profession quelconque) ou de troisième catégorie (invalides incapables d’exercer une profession quelconque et ayant recours à l’assistance d’une tierce personne) ayant notifié un taux d’incapacité permanente d’au moins 66 % et ayant la qualité de victime d’accident du travail ou de maladie professionnelle (articles L. 431-1 de la sécurité sociale et L. 752-6 du code rural).

Le nombre de retraites anticipées attribuées à des personnes handicapées est relativement faible : du 1er juillet 2004 au 31 décembre 2007, le régime général d’assurance vieillesse a attribué 3 724 retraites (375 en 2004, 1 142 en 2005, 1 056 en 2006, 1 151 en 2007), pour un coût d’environ 30 millions d’euros. En 2007, ces retraites bénéficiaient, à hauteur de 72,8 %, à des hommes.

3. Les revendications en matière de cessation anticipée d’activité ou de préretraite au titre de la pénibilité

Les organisations syndicales considèrent que l’Etat doit intervenir pour réparer les injustices dont sont victimes les salariés ayant subi au cours de leur carrière professionnelle une pénibilité qui entraîne une réduction de leur espérance de vie ou de leur espérance de vie en bonne santé. Pour ces travailleurs âgés, les mesures de prévention ne pourront en effet pas résorber les effets nocifs de cette pénibilité. Une compensation sous forme de réparation paraît alors indispensable aux syndicats ; elle ne peut que prendre la forme d’une cessation anticipée d’activité, d’un départ anticipé en retraite ou d’une bonification des droits au titre de l’assurance vieillesse. La revendication principale porte sur une cessation anticipée d’activité. Concernant la préretraite, les syndicats demandent unanimement le maintien des dispositifs de retraite anticipée pour longue carrière prévus par la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites pour le secteur privé et par les lois des 20 décembre et 30 décembre 2004 pour les fonctionnaires. A la différence de la retraite anticipée, la cessation anticipée d’activité n’entraîne pas la suppression du contrat de travail : le salarié reste donc couvert par les régimes de protection sociale attachés à son statut de salarié et peut reprendre une activité professionnelle normale s’il le souhaite, ce qui entraîne la suspension du versement de l’allocation de préretraite.

Les représentants des employeurs considèrent également que la pénibilité dont souffrent les travailleurs âgés – le « stock » qui ne peut être résorbé par les mesures de prévention – ne peut être résolue que par un dispositif de préretraite ou par un aménagement de carrière permettant d’alléger la charge de travail du salarié (tutorat, travail à mi-temps).

La différence d’approche entre les syndicats et les représentants des employeurs porte, en fait, sur deux aspects fondamentaux : les conditions d’éligibilité au dispositif et le financement du dispositif.

a) Les conditions d’éligibilité au dispositif

En raison de son coût, le patronat veut limiter la mesure aux salariés qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire ceux remplissant les conditions suivantes (article 16 de la proposition d’accord interprofessionnel soumise à la réunion du 25 mars 2008) :

– être ouvrier ou employé d’exécution au moment de la demande ;

– avoir accompli 40 ans effectifs d’activité salariée ;

– avoir été exposé pendant au moins 30 ans à un facteur de pénibilité défini par l’accord ;

– avoir cumulé pendant au moins 10 ans un des facteurs de chacun des trois types de pénibilité (contraintes physiques marquées, environnement agressif, rythme de travail) ;

– présenter des traces durables, identifiables et irréversibles sur sa santé résultant des travaux pénibles exercés ;

– ne pas remplir les conditions pour liquider sa retraite au taux plein.

Ces conditions s’inspirent largement des conditions d’éligibilité à la cessation anticipée d’activité des travailleurs salariés (CATS) (cf. ci-dessus).

Le patronat propose que le respect de ces conditions soit apprécié par une commission paritaire à laquelle participeraient un médecin du travail et un médecin de la sécurité sociale. Cette commission examinerait les cas individuellement et validerait les durées d’activité salariée et d’exposition aux travaux pénibles.

Ce traitement individuel des cas de travailleurs usés par la pénibilité fait débat parmi les syndicats. Certains représentants demandent l’application de critères généraux détachés de l’examen des situations médicales personnelles. D’autres conviennent qu’il n’est pas possible d’éviter une évaluation individualisée de la situation des travailleurs. Néanmoins, ils considèrent que cette évaluation doit ressortir de la compétence des autorités médicales.

Les demandes des syndicats conduisent, en pratique, à rétablir le dispositif de CATS mais en le concentrant sur les travailleurs usés par des travaux pénibles.

La CFDT a, par exemple, présenté une proposition élaborée de système de cessation anticipée d’activité pour cause de pénibilité. Les interprofessions ou les branches professionnelles définiraient les critères d’éligibilité au dispositif qui permettrait d’accorder une à cinq années de cessation anticipée d’activité. Les pénibilités identifiées pourraient entraîner l’attribution d’un certain nombre de points au salarié en fonction de critères prédéfinis. En fonction du nombre de points total acquis en fin de carrière, un « congé pénibilité » d’au maximum cinq années pourrait être accordé. Ce congé pourrait être aménagé selon les besoins des entreprises et les souhaits du salarié, par exemple en un travail à mi-temps (trois ans de congé pénibilité pouvant être transformé en six de travail à mi-temps).

Afin d’éviter que l’existence d’un nombre important de points de pénibilité ne constitue une dissuasion à l’embauche du travailleur, des aides à l’embauche devraient être mises en place pour valoriser l’embauche de salariés proportionnellement au nombre de points pénibilité cumulés, à l’âge du salarié, à la durée du contrat de travail, au handicap éventuel du salarié, etc.

La CFTC attire néanmoins l’attention sur le fait qu’une mesure de cessation anticipé d’activité ne doit pas présenter un caractère impératif mais être acceptée par le salarié concerné.

La CFDT propose un dispositif complémentaire : la définition d’un dispositif d’invalidité spécifique dédié à la prise en charge par l’assurance maladie de la pénibilité.

D’autres syndicats rejoignent cette dernière proposition tendant à réformer le mécanisme de l’incapacité permanente.

b) Le financement du dispositif

Les syndicats proposent un mécanisme calqué en tout ou partie sur le financement des indemnisations pour accidents du travail ou maladies professionnelles, c’est-à-dire un financement par cotisation des employeurs au moins à hauteur de la moitié des besoins, alors que le patronat considère que ces mesures relèvent de la solidarité nationale et donc qu’il appartient à l’Etat ou à la sécurité sociale d’en assurer l’essentiel du financement.

En particulier, la CFDT propose soit un financement pour moitié par l’Etat et pour moitié par l’entreprise concernée, qui a néanmoins l’inconvénient de faire peser une charge très lourde sur les entreprises, soit un financement mutualisé entre les employeurs, l’Etat, l’UNEDIC (qui peut être sollicitée puisque 25 % de ses dépenses de recherche d’emplois des salariés sont engagées du fait de l’existence de mauvaises conditions de travail), l’assurance maladie et les régimes d’assurance vieillesse de travailleurs salariés. En revanche, pour les travailleurs jeunes, le financement de la réparation future de la pénibilité devrait être essentiellement tiré des entreprises dont la responsabilité serait engagée pour défaut de prévention d’un facteur de mortalité ou de morbidité connu.

3. L’appréciation du rapporteur

La mise en cessation anticipée d’activité, en préretraite ou en retraite anticipée ne doit pas être considérée comme « la » solution pour réparer ou compenser les expositions excessives à des facteurs de pénibilité reconnus.

Du reste, les salariés âgés n’expriment majoritairement pas de demande en ce sens : l’enquête Santé et Vie professionnelle après 50 ans (SVP 50) réalisée en 2003 auprès de plus de 11 000 salariés de 50 ans et plus (cf. partie II-F-1.d) montre que les possibilités de départ anticipé du marché du travail ne sont pas spécialement souhaitées, ni d’ailleurs développées, par les salariés quinquagénaires travaillant « sous pression » : 8,1 % pourraient être concernés par une mesure de départ anticipé mais seuls 25,2 % d’entre eux ont déclaré avoir l’intention d’arrêter le travail avant l’âge légal de retraite. Des proportions identiques sont constatées parmi l’ensemble des salariés de 50 ans et plus interrogés lors de l’enquête : 8,4 % étaient éligibles et seuls 22,2 % avaient l’intention d’arrêter de travailler avant l’âge légal de départ à la retraite.

La CNAV note également dans ses enquêtes qualitatives une corrélation entre la satisfaction des conditions de travail et la demande tardive de liquidation de la pension de retraite.

Pour cette raison, il est capital de veiller à ce que les conditions de travail ne conduisent pas les travailleurs âgés à renoncer, alors qu’ils ne le souhaitent pas, à leur activité professionnelle. Non seulement la cessation anticipée d’activité ou la préretraite ne sont pas des solutions structurelles au problème de la pénibilité, mais elles paraissent aller dans la majorité des cas à l’encontre de la volonté des travailleurs âgés.

C. LES REVENDICATIONS EN MATIÈRE DE DROITS À PENSION DE RETRAITE

1. La demande des représentants des salariés

Au-delà des demandes de cessation anticipée d’activité et de préretraite, des syndicats demandent d’accorder aux travailleurs victimes de travaux pénibles des majorations de droits à pension de retraite selon un mécanisme mis en place dans certains régimes spéciaux de retraite.

En sus d’un avancement de l’âge de départ en retraite, l’exposition à des facteurs de pénibilité reconnus donnerait droit à l’attribution de trimestres supplémentaires d’assurance proportionnellement à la durée cumulée d’exposition ou à l’intensité de la pénibilité (quel que soit par ailleurs le mode de calcul, ou de détermination des effets de la pénibilité).

Les auditions ont permis de sensibiliser les représentants des salariés au fait que cette demande entre directement en conflit avec l’objectif prioritaire de maintien dans l’emploi des travailleurs âgés de plus de 50 ans. Les syndicats ont répondu qu’il s’agit à leurs yeux de la seule solution équitable pour les travailleurs usés par la pénibilité au travail. La mesure ne concernerait donc que le « stock » des travailleurs âgés actuellement en activité.

2. La demande des représentants des employeurs

Lors des dernières séances de négociation entre les partenaires sociaux, les représentants des entreprises ont proposé des modalités de prise en compte de la pénibilité pour les travailleurs concernés. Ces conditions, qui peuvent sans réserve être qualifiées de drastiques, visent à limiter le plus possible le recours aux cessations anticipées d’activité, et à tout autre mécanisme de compensation de la pénibilité qui pourrait être mis en place.

Pour autant, et malgré la sévérité des dispositions proposées par le patronat, il est impossible au rapporteur de conclure que l’ouverture de droits supplémentaires à la retraite pour les travailleurs ayant subi la pénibilité fait l’objet d’un refus de principe de la part des représentants du patronat.

3. L’appréciation du rapporteur

Le rapporteur considère que le recours aux cessations anticipées d’activité n’est pas la bonne manière de traiter les conséquences de la pénibilité même si, comme cela a déjà été évoqué, il faut trouver le moyen de compenser la pénibilité subie par les travailleurs.

Premièrement, il n’est pas souhaitable, pour des raisons tant de justice que de cohérence politique, de rétablir des régimes spéciaux – ou équivalents – au moment même où leur suppression progressive est à l’ordre du jour. Les efforts annoncés en faveur du maintien des seniors dans la vie professionnelle vont également dans ce sens.

Deuxièmement, il est souhaitable au contraire de tout faire pour maintenir en activité professionnelle tous les salariés dont la santé le permet.

Troisièmement, il faut prendre en compte de manière spécifique les travailleurs qui ont subi des conditions pénibles, et qui, s’ils peuvent continuer d’exercer une vie professionnelle normale, ne peuvent cependant plus pratiquer le métier qui les a exposés à une trop longue pénibilité.

Quatrièmement, un mois après l’engagement de la concertation avec les partenaires sociaux le 27 mars 2008, quelques jours après la présentation le 28 avril, par le gouvernement, d’une synthèse sur les orientations du rendez-vous 2008 sur les retraites et à quelques semaines de la présentation par le gouvernement des mesures qu’il entend retenir au titre du rendez-vous 2008 sur les retraites, et alors que le pays s’apprête à renforcer le mécanisme de la surcote, il n’est pas souhaitable de fragiliser la cohérence des dispositifs à venir en mettant en place des avantages de retraite supplémentaires ou des majorations de droits non liés à une prolongation de l’activité professionnelle.

Pour toutes ces raisons, le rapporteur n’est pas favorable à une mise en place de retraites anticipées ou cessations anticipées d’activité ou à une augmentation des droits à pension de retraite pour les travailleurs ayant été exposés à la pénibilité.

D. LA TRAÇABILITÉ INDIVIDUELLE DES PÉNIBILITÉS

Dès lors que des dispositifs de compensation et de réparation de la pénibilité sont mis en place, il devient indispensable de définir une procédure permettant de déterminer les travailleurs éligibles au dispositif.

Comme la pénibilité au travail résulte d’un cumul de facteurs subis tout au long d’une carrière professionnelle, se pose le problème de la traçabilité dans le temps des expositions diverses à ces facteurs subies par chaque travailleur.

1. Les propositions des partenaires sociaux : le « curriculum laboris » et le « carnet de santé au travail »

La mise en place d’une traçabilité de la pénibilité tout au long de la carrière d’un salarié est principalement portée par la CFE-CGC. La confédération part du constat que l’on ne peut pas entièrement s’appuyer sur les statistiques de décès et de morbidité des salariés pour définir un dispositif de compensation ou de réparation de la pénibilité. Ces données seraient en effet le reflet des conditions de travail des années 1970 et 1980, qui ont profondément changé. Ainsi, la forte croissance de la pénibilité psychique et la réduction de la pénibilité physique classique pourraient déboucher dans dix à vingt ans sur un renversement des données concernant l’espérance de vie comparée des ouvriers et des cadres (cf. analyse page 21).

La CFE-CGC propose de mettre en place à cette fin un « curriculum laboris ». Il s’agirait d’un relevé suivant chaque salarié tout au long de sa carrière, à l’instar du livret de campagnes des militaires. Ce relevé permettrait de connaître précisément, en fin de carrière, les diverses expositions à la pénibilité subies par un travailleur, soit au moment de la mise en œuvre d’un dispositif de réparation de la pénibilité, soit après l’âge de 45 ans pour la gestion des secondes carrières. Ce relevé pourrait consister soit en un document unique tenu par l’employeur, soit en une fiche d’entreprise tenue par le médecin du travail. Le dossier médical personnel ou le Web médecin pourrait être utilisé en cas de gestion de ce curriculum laboris par les services de santé au travail.

Les facteurs de pénibilité devraient être signalés par le salarié, le médecin du travail ou l’employeur, mais ce dernier aurait la responsabilité finale de la déclaration d’exposition en cas de désaccord. Le secret médical devrait être attaché à certaines données du curriculum laboris.

Le curriculum laboris doit être distingué de la fiche d’aptitude qui constitue, pour la CFE-CGC, une protection du salarié du fait qu’elle évite que l’employeur ne s’immisce dans la sphère médicale ou génétique, cette fiche étant en tout état de cause établie avec le consentement du salarié. Il se distingue également de la fiche d’entreprise qui constitue l’analyse par les services de santé au travail des risques professionnels auxquels un établissement expose ses salariés et présente les précautions prises.

Ce relevé d’exposition à la pénibilité paraît indispensable à la CFE-CGC du fait que les employeurs sont certes sensibilisés à la problématique de la pénibilité mais qu’ils ne sont pas prêts à assurer d’eux-mêmes une gestion des expositions de leurs salariés.

Les autres confédérations syndicales représentatives, notamment la CFTC, FO, l’Association nationale de médecine du travail et d’ergonomie du personnel des hôpitaux, sont d’accord sur la nécessité de mettre en place une traçabilité de la pénibilité et adhèrent, au moins pour partie, à la proposition de la CFE-CGC. Elle étaye ainsi leur revendication de prise en compte des parcours professionnels pour définir des droits supplémentaires en matière de retraite lorsqu’un certain temps de travail a été accompli dans des conditions pénibles.

La CFDT propose, par exemple, de créer un « carnet de santé au travail » qui répertorierait l’activité, les métiers, les types d’exposition à des risques professionnels et à des facteurs de pénibilité, la durée de ces expositions, la fréquence de l’exposition, etc. Ce carnet serait rempli par le salarié mais les informations devraient être validées par l’employeur ou le médecin du travail, notamment au regard du document unique de prévention qui devrait analyser les risques poste par poste dans chaque établissement. A défaut, la CFDT considère que le salarié devrait bénéficier d’une « présomption d’imputation », à l’instar du mécanisme de reconnaissance des maladies professionnelles. Il appartiendrait, en ce cas, à l’entreprise d’apporter la démonstration de l’absence d’exposition. En cas de litige, une commission paritaire examinerait le dossier sur le rapport d’experts. Le stockage de ces informations pourrait être réalisé selon un procédé comparable à celui de la carte Vitale, ce qui renforcerait le lien entre travail et santé publique.

Les syndicats mettent toutefois en garde sur un point : le curriculum laboris ne doit pas conduire à rétablir, sous une autre forme, le livret ouvrier créé en 1803 et supprimé en 1890, qui servait à contrôler le travail et le déplacement des ouvriers par la police et les employeurs. La difficulté du système peut d’ailleurs venir du salarié lui-même qui peut s’opposer à ce qu’il pourrait considérer comme une intrusion dans vie personnelle alors même que le document resterait sa propriété.

Les organisations professionnelles d’employeurs ne s’opposent pas à cette proposition mais elles ne l’ont pas reprise dans leurs propositions successives d’accord interprofessionnel sur la pénibilité (cf. documents en annexes 7, 8 et 9 du rapport) car comme l’a indiqué M. Dominique Tellier, directeur des relations sociales du MEDEF, le patronat ne privilégie pas la logique de la traçabilité tendant organiser le rétablissement des départs anticipés en retraite en se concentrant sur la réparation. Il n’estime donc pas indispensable de disposer d’un système de suivi des pénibilités tout au long de la carrière d’un salarié. Cette traçabilité pourrait être évitée par l’amélioration des conditions de travail mais le MEDEF admet qu’un curriculum laboris pourrait s’intégrer dans le dispositif de traitement de la pénibilité qu’il propose. Le patronat propose qu’une commission paritaire ad hoc soit chargée de valider les durées d’activité, les expositions à des travaux pénibles ayant des effets sur la santé et l’existence de traces durables, identifiables et irréversibles sur la santé pour chaque salarié éligible au dispositif de réparation. La présence du médecin du travail et du médecin de la sécurité sociale permettrait d’avoir une appréciation médicale de l’existence des traces de la pénibilité sur la santé.

La CGPME demande en particulier que tout curriculum laboris suive une procédure de gestion la plus simple possible, par exemple sur le modèle des documents types normalisés CERFA (Centre d’enregistrement et de révision des formulaires administratifs). Il faut éviter de donner l’impression aux employeurs que ce curriculum laboris constitue une nouvelle source de contrôle administratif des entreprises.

Globalement, le rapporteur constate qu’il existe un accord général sur le fait que la reconnaissance et la compensation de la pénibilité soient fondées sur la personne qui travaille et non sur des références abstraites (code APE de l’entreprise employeur, métier exercé selon la nomenclature FAP-1993 répertoriant 224 familles professionnelles ou selon le code du Répertoire opérationnel des métiers et des emplois (ROME) utilisé par l’ANPE, etc.).

Le ministère du travail réfléchit également de son côté à la mise en place d’une traçabilité.

Une expérience est actuellement menée dans la région Nord-Pas-de-Calais par la sécurité sociale (branche des accidents du travail et des maladies professionnelles) et le ministère du travail pour tracer les expositions à des risques professionnels.

Le rapport sur le bilan de la réforme de la médecine du travail établi par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR) en octobre 2007 propose, quant à lui, d’améliorer la traçabilité des expositions par la mise en place d’un dossier médical personnalisé du travail.

Extrait du rapport sur le bilan de réforme de la médecine du travail
établi par l’IGAS et l’IGAENR (pp. 68 et 69)

La traçabilité des expositions aux risques et le suivi longitudinal des salariés ne peuvent aujourd’hui être assurés correctement, faute d’outils adaptés. Le développement de tels outils constitue une priorité. dans un contexte marqué par le développement des risques à effet différés, d’une part, et de l’accroissement de la mobilité professionnelle, d’autre part.

La possibilité pour le médecin du travail d’accéder au dossier médical personnel (DMP) selon les règles prévues pour les autres professionnels de santé contribuerait sans aucun doute à un tel objectif. Cette modalité n’a pas été retenue par le législateur et rencontre de fortes oppositions, notamment du côté des organisations représentatives des salariés.

Ne pouvant considérer le statu quo comme une situation satisfaisante, la mission a donc voulu suggérer une alternative aux pouvoirs publics et aux partenaires sociaux pour fournir le support nécessaire à l’échange d’information entre les praticiens et au suivi post professionnel, à la discrétion du salarié. Dans cette perspective il est proposé :

• soit de permettre au médecin du travail de renseigner le DMP du salarié sur les facteurs professionnels intéressant sa santé sans pour cela remettre en cause l’interdiction qui lui est faite actuellement d’accéder à la totalité des informations figurant dans ce dossier

• soit de mettre en place un outil spécifique sous forme d’un dossier médical personnel du travail (DMPT).

Renseigné par le médecin du travail ou ses collaborateurs sous son contrôle, le DMPT permettrait de recenser l’historique des postes occupés par le salarié et des risques auxquels il a été exposé.

Si le salarié le souhaite, le DMPT pourrait être renseigné par les professionnels de santé consultés, en ville ou à l’hôpital. Le salarié pourrait également décider de l’accessibilité de ces informations pour la médecin du travail.

Plusieurs options sont envisageables concernant la transmission et peuvent être discutées remise au salarié et transmission par lui aux professionnels de santé, médecins du travail, en ville ou à l’hôpital; centralisation et dématérialisation avec accès direct possible pour les professionnels de santé, mais sécurisé c’est-à-dire avec l’accord du salarié

La mise en place de ce support d’information pourrait être utilement complétée par la réalisation pour tous les salariés de plus de 50 ans d’un bilan et d’un suivi spécifique de santé au travail destinés à :

• établir la traçabilité de l’ensemble des expositions â différentes nuisances lors de son cursus professionnel ;

• donner les informations nécessaires pour mieux gérer une éventuelle prise en charge ultérieure (suivi post professionnel et post exposition).

Des entreprises dont les employés sont exposés à des facteurs de pénibilité reconnus de longue date ont pris l’initiative de mettre en place des outils de traçabilité des pénibilités subies. Il en est ainsi d’Air France qui présente toutefois la particularité d’employer des agents restant, une fois embauchés, jusqu’à la fin de leur carrière dans l’entreprise. Air France est également soumise à des normes particulières en matière de prévention des risques professionnels qui ont conduit sa direction des ressources humaines à organiser un suivi des facteurs considérés aujourd’hui comme des expositions à des pénibilités.

2. Etudier la mise en place du curriculum laboris (Proposition 9)

a) La mise en place d’un curriculum laboris est une bonne idée …

La création d’un curriculum laboris paraît être la seule manière de traiter efficacement et le moins injustement possible la pénibilité pour les travailleurs des générations futures. Il constitue un instrument de nature à permettre d’identifier, décrire, qualifier et suivre tous les postes de travail occupés par un travailleur, avec le souci d’évaluer le cumul des pénibilités subies.

Sur le principe, le rapporteur exprime son accord avec la mise en place d’un tel dispositif mais des aménagements stricts sont nécessaires pour préserver l’éthique de la gestion des personnels et la protection des informations personnelles.

La faisabilité du curriculum laboris ne devrait pas se heurter à des obstacles techniques. Divers systèmes d’information existent et peuvent être développés pour créer cet instrument :

– les logiciels de gestion des ressources humaines comme le GPRH développé et commercialisé par ITM ;

– le dossier médical personnel ;

– les systèmes privés de gestion des dossiers de santé comme le logiciel Web MedForYou de gestion informatisée du dossier médical personnel et de la santé personnelle développé au Canada et aux Etats-Unis par l’entreprise canadienne Medical.MD (cf. compte rendu de l’audition du 20 décembre 2007 en annexe du rapport).

b) … mais difficilement réalisable en pratique

La difficulté de réalisation du curriculum laboris n’est liée ni à son objet (traçabilité d’une carrière professionnelle) ni à son mode de gestion et de fonctionnement mais aux points suivants :

– le curriculum laboris exige un très long délai pour s’appliquer à l’ensemble des salariés en activité ; en pratique, seuls les salariés actuellement âgés de moins de trente ans pourraient pleinement en bénéficier. En effet, ni les employeurs, du fait de la mobilité des travailleurs, ni les salariés, qui ne disposent pas de traces écrites décrivant leurs conditions de travail, ni les services de santé au travail, qui ne tiennent pas d’archives individualisées sur les conditions de travail dès lors qu’elles ne présentent pas au regard du droit du travail des risques pour la santé des travailleurs, ne sont en mesure de renseigner le curriculum laboris pour les expositions à des facteurs de pénibilité passés ; or dans le monde du travail, une des conditions de succès d’un dispositif est d’être opérationnel partout ;

– un délai est nécessaire pour l’entrée en vigueur de l’obligation de renseigner le système par les employeurs ; on n’a actuellement aucune visibilité sur la date envisageable pour cette entrée en vigueur ;

– il y aura un décalage entre l’entrée en vigueur du curriculum laboris et le début de la prise en compte des informations qu’il contient ; en effet, le curriculum laboris ne trouvera une utilisation qu’en fin de carrière professionnelle et à tout le moins seulement dans une quinzaine d’années, délai au delà duquel la réversibilité de l’exposition à certains facteurs de pénibilité est compromise et donc délai à l’issue duquel les employeurs et les médecins du travail constateront qu’une exposition excessive à des facteurs de pénibilité nocifs pour la santé (travail de nuit,…) exige un aménagement de carrière.

Le curriculum laboris devrait en outre résoudre cinq difficultés :

– la prise en compte des emplois occupés à l’étranger ;

– la procédure de rectification a posteriori (dans quel délai ?) et de règlement des litiges portant sur les informations contenues dans le document ou ses lacunes ;

– la détermination du rôle des régimes d’assurance vieillesse par rapport aux employeurs dans l’exploitation des données ;

– le risque que le curriculum laboris soit un frein à l’embauche de salariés ayant été exposés longuement à des facteurs de pénibilité ;

– le fait qu’il s’agit d’un dispositif dont les effets sont attendus au terme de plusieurs années, donc dans un temps où le monde du travail et celui de la santé publique auront évolué d’une manière qu’il est rigoureusement impossible de prévoir ou d’imaginer.

c) Proposition 9 : un calendrier d’étude et de mise en place

En conclusion, la mise en place d’un dispositif de cette nature réclame une volonté politique forte, partagée par tous les acteurs.

C’est pourquoi, compte tenu des nombreux problèmes opérationnels à régler avant que ce dispositif ne soit rendu obligatoire pour tous les intervenants (employeurs, salariés, organismes de santé, de prévoyance et de retraite, etc.), il doit faire l’objet d’un travail spécifique devant aboutir à la définition d’un calendrier de mise en place.

Comme pour les grands sujets sociaux traités actuellement dans le pays, les partenaires sociaux d’un côté, le Parlement en ce qui le concerne d’un autre côté, pourraient engager ce travail et s’accorder sur une date de partage de leurs conclusions respectives.

E. POUR UN TRAITEMENT COHÉRENT ET ÉQUITABLE DES SITUATIONS DE PÉNIBILITÉ

1. Les principes généraux d’une compensation de la pénibilité

Une fois mises en place toutes les dispositions de prévention qui précèdent, il restera tout de même à traiter la situation des travailleurs qui auront été exposés durablement à des conditions pénibles sans qu’aucune modification de leurs conditions de travail ne soit venue en améliorer l’exercice.

Les salariés actuellement concernés – et qui par définition ne pourront que partiellement, dans le déroulé de leur carrière, bénéficier des dispositions précédentes (ce que l’on appelle trivialement le « stock ») – doivent également trouver de justes compensations aux détériorations qu’ils auront subies dans leur santé.

Par souci de cohérence et de justice, il convient d’imaginer un système de prise en charge identique pour tous, applicable aux salariés du « stock » d’aujourd’hui comme à ceux qui auront à faire valoir demain la pénibilité subie au cours de leur carrière. Il est également impératif que ce système soit, non seulement lisible et suffisamment durable pour que les partenaires sociaux aient le temps de le mettre en place et de le faire vivre, mais également équitable, c’est-à-dire sollicitant équitablement le concours des principales parties en présence, à savoir l’entreprise elle-même et la collectivité nationale au titre de la solidarité.

Au nom de ces différents principes, le système de compensation ne peut pas répondre à un certain nombre de demandes et de propositions formulées par les partenaires sociaux au cours des auditions ou présentées lors des séances de négociation.

2. L’égalisation des temps de retraite ne peut pas être un principe de décision

Les revendications en matière de départ anticipé en retraite et d’attribution de bonifications de droits à la retraite ont conduit les syndicats à développer un argumentaire nouveau pour justifier ces avantages : dès lors que la pénibilité conduit à réduire l’espérance de vie des salariés qui y sont exposés, il faudrait leur permettre de bénéficier d’un temps de retraite équivalent à celui dont peuvent en principe bénéficier les salariés non exposés à des facteurs de pénibilité. En quelque sorte, les syndicats demandent à ce que les travailleurs bénéficient d’une égalité au titre des temps passés en retraite. L’énoncé de ce principe est apparu avec le début des négociations interprofessionnelles sur la pénibilité.

Cet objectif d’égalisation des temps de retraite pose plusieurs problèmes importants.

Premièrement, le rapporteur considère que la revendication d’une égalité de ce genre procède davantage d’une vision égalitariste des sociétés et des relations et droits sociaux que d’une vision portée par l’équité. Si la réduction des inégalités doit effectivement faire partie, et au premier plan, des objectifs politiques, il est en revanche illusoire de vouloir faire combattre les contingences de la vie par des décisions législatives. Ainsi, l’égalité des travailleurs en ce qui concerne le temps passé à la retraite doit demeurer ce qu’elle est pour l’instant dans son principe qui découle des principes fondateurs mêmes de l’assurance vieillesse française, c’est-à-dire premièrement le droit à recevoir une pension à partir d’un certain âge, deuxièmement le calcul de cette pension sur la base des éléments de carrière professionnelle, complétés, le cas échéant, par des droits non contributifs définis par le Parlement au titre de la politique familiale ou de la solidarité nationale (par exemple, en faveur des personnes handicapées ou des invalides du travail). Il est impossible et illusoire de garantir un temps de retraite égal pour tous – donc de définir un âge de départ à la retraite en fonction du parcours professionnel et de l’état de chaque assuré – autrement que par une volonté constante et collective d’améliorer les conditions de travail. Du reste, la diminution progressive et constante de l’écart entre l’espérance de vie des ouvriers et celle des cadres (cf. partie I du rapport), évidemment sous l’impulsion des programmes de santé au travail, montre la bonne voie. Tout ceci indique que l’égalisation de l’espérance de vie en pleine santé ne peut à l’évidence faire l’objet d’aucune garantie de quelque ordre que ce soit. Faire de cette intention un objectif en tant que tel des politiques publiques serait pour cette raison excessif en regard des responsabilités normales de l’Etat, et ne pourrait conduire qu’à des confusions de tous genres. Ceci, comme il a été dit, ne doit en revanche rien retirer à la détermination nécessaire au règlement de cette question dans le cadre des politiques de santé et de prévention.

Deuxièmement, s’il est indubitable que des différences réelles en matière d’espérance de vie sont constatées entre les ouvriers et les cadres, il demeure impossible de considérer que la seule cause de cet écart provient des conditions de travail. La santé est une réalité suffisamment personnelle pour que soient également évoquées des considérations qui touchent au mode de vie des personnes, et en particulier à la qualité de leur accès aux soins non moins qu’à leurs habitudes.

Troisièmement, et de même, il est très difficile d’envisager que l’on puisse a priori accorder des droits sociaux sur la seule base d’un constat épidémiologique statistique, en ignorant la singularité des personnes. La probabilité qu’un travailleur qui a subi des conditions de travail pénibles pendant sa carrière voie réduite son espérance de vie existe, mais elle n’est qu’une probabilité. En conséquence, il est très difficilement envisageable d’accorder des droits applicables à la collectivité sur le fondement d’un événement seulement probable.

Au total, et tout en comprenant l’intention des représentants des salariés en la matière, le rapporteur n’a pas souhaité retenir ce point de départ, qui déboucherait sur des propositions dont les fondements lui paraissent contestables, tant en principe qu’en pratique. En réalité, on ne voit pas très bien sur quel réel principe de justice sociale une telle revendication pourrait se fonder.

3. Le dispositif choisi doit rechercher l’équilibre entre l’exercice du métier et la prise en compte des situations personnelles

Ainsi qu’il a déjà été évoqué, les négociations sur la prise en compte de la pénibilité ont achoppé pour une grande part sur une question précise : comment déterminer les salariés qui auront le droit de bénéficier des droits ouverts à la suite d’une carrière marquée par la pénibilité au travail ? Faut-il privilégier un système très majoritairement collectif, et faire référence aux métiers exercés en fonction de leur codification ? Faut-il au contraire privilégier les situations personnelles, prendre pour référence la santé elle-même du travailleur concerné, et faire passer les demandeurs au cas par cas devant des commissions médicales spécialisées ?

Prise en elle-même, aucune de ces deux solutions n’est ni convaincante, ni juste. La première, portée par les représentants des salariés, ignore la diversité des missions, de leurs conditions d’exercice et les éléments liés à la santé et à la vie personnelle des salariés concernés. La seconde, quant à elle, fait trop cas précisément des éléments personnels et propose un système d’examen individuel qu’il sera extrêmement difficile de mettre en place, compte tenu des contraintes matérielles d’organisation.

Il doit être possible de trouver un dispositif prenant acte du caractère essentiellement pénible d’un certain nombre d’activités, tout en laissant le soin à des commissions médicales d’ouvrir le cas échéant des droits spécifiques à ceux qui auraient eu à souffrir dans leur corps de la pénibilité telle que définie dans la partie II du rapport.

4. Privilégier l’aménagement de la fin de carrière à la cessation anticipée d’activité

Le rapporteur a pris le parti de ne pas reconstruire des régimes spéciaux dont, par ailleurs, le rapprochement progressif des régimes de droit commun de la fonction publique d’Etat ou du régime général a été engagé. Cela étant, les salariés concernés par la pénibilité irréductible doivent pouvoir bénéficier d’un aménagement spécifique de leur fin de carrière, visant à protéger leur santé.

Le rapporteur rappelle que la solution idéale en l’espèce consisterait à faire évoluer vers des missions fonctionnelles les salariés concernés, par exemple vers des métiers de formation ou d’expertise des conditions de travail. Mais le rapporteur est également conscient du fait que ces emplois ne peuvent que ponctuellement se trouver dans les entreprises elles-mêmes, en admettant que les salariés concernés aient la motivation suffisante pour les occuper.

F. OUVRIR LA POSSIBILITÉ D’UNE RÉDUCTION DE TEMPS DE TRAVAIL EN FIN DE CARRIÈRE OU D’UN DÉPART ANTICIPÉ À LA RETRAITE (PROPOSITION 10)

Il convient donc de déterminer, premièrement, la manière de définir la population concernée par une compensation de la pénibilité ou un accompagnement de fin de carrière et, deuxièmement, les modalités de cette compensation ou de cet accompagnement.

1. Associer la carrière et l’état de santé personnel

On l’a vu, aucun des deux systèmes proposés pour définir la population concernée par la prise en compte de la pénibilité au travail n’est, en l’état, satisfaisant. Un point d’équilibre peut néanmoins être trouvé en trois étapes dont la conduite doit être laissée au soin des partenaires sociaux :

– définir précisément les branches professionnelles et, en leur sein, les métiers ou activités concernés par la réparation de la pénibilité ;

– définir, au sein de ces branches, les conditions de déroulement de carrière ouvrant droit au dispositif qui suit ;

– faire examiner les personnes ainsi potentiellement éligibles par une commission médicale idoine, dès que les circonstances de carrière sont réunies, afin que cette commission prononce leur admission au dispositif si elle constate une altération irréversible de la santé du travailleur du fait de cette pénibilité.

Dans l’hypothèse où les partenaires sociaux n’auraient pas abouti, il conviendrait que le législateur reprenne directement en charge ces différentes définitions. Cela étant, il est hautement souhaitable que les partenaires sociaux trouvent eux-mêmes un accord dans ce domaine très directement lié à l’exercice des activités professionnelles, et que conformément à l’esprit de la loi n° 2007-130 du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social, le législateur n’intervienne que pour consacrer les principes déterminés par eux et leur donner un cadre juridique opposable à tous.

2. Réduire le temps de travail en fin de carrière

Les travailleurs dont la carrière pénible aurait été reconnue se verraient ouvrir de plein droit une réduction de leur temps de travail jusqu’à la date de leur départ en retraite, avec le maintien de leur rémunération et de l’ensemble des clauses salariales de leur contrat (revalorisation, avancement, droit à congés, etc.).

Cette réduction du temps de travail pourrait osciller, par exemple, entre un quart et un tiers de leur temps de travail contractuel. Le pourcentage devrait faire l’objet d’une discussion entre les partenaires sociaux qui devraient proposer au gouvernement le quantum qui leur paraît le mieux adapté.

La charge induite par cette réduction du temps de travail serait supportée, par exemple :

– pour moitié par l’entreprise, qui continuerait ainsi de payer le salarié à hauteur de son salaire contractuel, moins la moitié de la réduction de salaire induite par la reconnaissance de la pénibilité ;

– pour moitié par les comptes publics, par le biais de laquelle la solidarité nationale jouerait son rôle à l’égard des salariés ayant eu une carrière pénible. Cette moindre recette publique pourrait être simplement calculée sous la forme d’une réduction des charges payées par l’entreprise, la nature et la répartition de ces réductions étant à préciser.

Cette clé de répartition par moitiés devrait être étudiée par les partenaires sociaux qui devraient proposer au gouvernement les taux qui leur paraissent les mieux adaptés.

Là encore, les partenaires sociaux devront donc être sollicités pour déterminer les modalités de mise en place de ces dispositifs, en veillant à ce que l’équilibre entre la sollicitation publique et la sollicitation privée soient prises en compte de manière équilibrée.

3. Permettre aux travailleurs ne pouvant plus travailler correctement de prendre une retraite anticipée

Plusieurs dispositifs de sécurité sociale permettent de prendre en charge les travailleurs usés par la pénibilité et qui ne sont plus en mesure d’exercer leur profession et d’occuper un emploi salarié. Il s’agit de la branche des accidents du travail et des maladies professionnelles, de l’assurance maladie au travers des dispositifs relatifs à l’inaptitude physique au travail ou à l’invalidité et des prestations aux personnes atteintes d’une incapacité d’au moins 50 % ou d’au moins 80 %. En particulier, les pensions d’invalidité sont souvent perçues comme un instrument de traitement de la cessation d’activité pour raison de santé (plus de 510 000 personnes de plus de 50 ans en étaient attributaires au 31 décembre 2004).

La proposition 10 permet d’apporter une compensation au bénéfice des travailleurs qui sont en mesure de poursuivre leur activité professionnelle ou de s’engager dans une nouvelle carrière. Cependant, certains travailleurs usés par la pénibilité ne pourront pas, physiquement, s’engager dans un tel aménagement de carrière ou de temps de travail, tout en restant aptes au travail. Il s’agit en fait des travailleurs que les entreprises ne pourront plus employer alors même que médicalement ils ne seront pas éligibles aux dispositifs d’inaptitude au travail ou d’invalidité.

Pour ces travailleurs, l’équité commande de prévoir un dispositif de réparation : une mesure de retraite anticipée paraît être la mieux adaptée. Le rapporteur est défavorable à une mesure de cessation anticipée d’activité qui s’accompagne du maintien du lien contractuel de travail, donc du lien avec l’entreprise alors même que l’activité professionnelle a cessé.

Le bénéfice de cette retraite anticipée devrait être accordée sur décision de la commission médicale prévue ci-dessus au point 2. Face aux dossiers qui lui seraient transmis, celle-ci aurait donc à choisir entre trois options :

– le rejet de la demande de compensation du fait que les critères d’éligibilité et d’atteinte à la santé ne sont pas réunis ;

– le prononcé d’une mesure d’aménagement de fin de carrière avec compensation salariale, comme décrit ci-dessus ;

– le prononcé d’une mesure de retraite anticipée si la précédente option ne peut pas être mise en œuvre compte tenu de l’état de santé du travailleur.

Cette troisième option vise donc à traiter les situations les plus délicates, concernant les travailleurs dont la carrière aura été particulièrement exposée.

Cette retraite anticipée devra s’inscrire dans un dispositif de retraite anticipée négocié par les partenaires sociaux dans les branches professionnelles, donc se fonder sur une convention collective du travail. Elle devrait s’inscrire dans le cadre du régime de droit des préretraites d’Etat redéfini par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 (cf. ci-dessus).

4. Estimation du coût de la proposition 10

La définition des critères qu’il est possible de retenir pour la prise en compte de la pénibilité (voir le présent rapport, partie II) constitue une base permettant de présenter une tentative d’estimation du coût de la mise en place de la proposition 10, dans son volet « réduction du temps de travail ». En revanche, le nombre probablement faible des personnes concernées par la retraite anticipée et les nombreuses possibilités offertes par ce dispositif rendent pour le moment difficile une estimation pour ce volet.

Le chiffrage de l’impact potentiel de la proposition « Réduction du temps de travail » doit conduire à en estimer le plancher et le plafond, dans une seule intention : vérifier le caractère supportable ou non d’une telle mesure pour l’économie de notre pays.

Ces chiffrages s’appuient sur les données de l’enquête épidémiologique SUMER 2003. Cette enquête permet de recenser les emplois répondant aux critères qui mettent en évidence une pénibilité susceptible d’ouvrir droit à une mesure de compensation.

Compte tenu des critères de pénibilité que le rapporteur propose de retenir, le tableau suivant de la pénibilité subie et ressentie peut être dressé.

Quantification de la pénibilité d’après SUMER 2003

Critère de pénibilité

Nombre d’emplois concernés

Port de charges lourdes plus de 20 heures par semaine

1,35 million

Contraintes posturales

12,6 millions

Position debout ou un piétinement au moins vingt heures par semaine

4,76 millions

Déplacements à pied dans le travail au moins vingt heures par semaine

2,82 millions

Position à genoux dix heures ou plus par semaine

0,36 million

Position fixe de la tête et du cou au moins vingt heures par semaine

1,77 million

Maintien des bras en l’air dix heures ou plus par semaine

0,47 million

Autres contraintes posturales difficiles (accroupi, en torsion, etc.)

4,35 millions

Travail sur écran en continu ou discontinûment au moins vingt heures par semaine

3,73 millions

Travail de précision associant des contraintes visuelles et posturales autres que celles précitées

1,09 million

Répéter dans le travail le même geste ou la même série de gestes à une cadence élevée au moins vingt heures par semaine


1,15 million

Travail de nuit effectué de façon habituelle

1,61 million

Travail posté

2,04 millions

Exposition au bruit (niveau sonore supérieur à 85 dB au moins vingt heures par semaine)

1,03 million

Vibrations (travail avec des outils transmettant des vibrations aux membres supérieurs dix heures ou plus par semaine)


0,35 million

Ambiance thermique froide ou chaude

3,61 millions

Travail en espace confiné

3,06 millions

Exposition aux produits toxiques

1,83 million

Total des emplois (*)

28,63 millions

(*) Le nombre d’emplois est supérieur au nombre de personnes actives du fait qu’une même personne peut rencontrer plusieurs de ces critères de pénibilité dans le cadre de sa mission.

Ce tableau ne dénombre pas les travailleurs éligibles à un dispositif de compensation de la pénibilité ; il dresse un décompte des emplois occupés et répondant aux critères de pénibilité définis en partie II du rapport. De nombreux travailleurs exercent simultanément ou successivement au cours de leur carrière plusieurs de ces emplois ; les enquêtes montrent d’ailleurs que les facteurs de pénibilité subis à partir de l’âge de cinquante ans sont toujours multiples. En outre, ce tableau dresse un inventaire exhaustif des travailleurs ayant déclaré subir un facteur de pénibilité ; il englobe tous les travailleurs quel que soit leur âge (or le dispositif de compensation s’adresse essentiellement aux travailleurs seniors) et comptabilise les travailleurs qu’ils soient en activité ou inactifs.

Pour aboutir à un chiffrage correct du nombre de personnes physiques répondant aux critères de pénibilité pour un dispositif de compensation, il est donc indispensable d’éliminer les doubles emplois. A titre indicatif, en première approximation, l’ordre de grandeur maximal de la population active affectée par un critère de pénibilité au travail pourrait être estimé à 20 millions. Pour mémoire, la population active française fin 2007 est estimée à 27,6 millions de travailleurs par l’INSEE.

En prenant une hypothèse très haute d’estimation du nombre de travailleurs potentiellement concernés par une mesure de ce genre, par exemple en l’estimant à 5 % de la population concernée (l’ensemble des travailleurs subissant une pénibilité reconnue), on aboutit à une population d’un million de travailleurs (chiffre par ailleurs très hautement improbable).

Dans cette hypothèse très haute et très improbable, et en prenant en compte une réduction du temps de travail dont le coût mensuel serait d’environ 500 euros, le coût annuel du dispositif serait environ de six milliards d’euros, à répartir entre les entreprises et les comptes publics, selon des modalités à définir.

En prenant en compte l’âge des personnes concernées, c’est-à-dire spécifiquement les tranches d’âge de 55 à 59 ans exposées à des conditions pénibles durant leur carrière pendant plus de vingt ans, on peut considérer que la population concernée se monterait à environ 250 000 personnes (en retenant une exposition de dix années, le nombre de personnes concernées pourrait être établi autour de 430 000).

La population concernée in fine dépendra des critères retenus (type de pénibilités subies, nombre d’années d’exposition, etc.), si bien que le coût global possible d’une telle mesure doit pouvoir être compris entre, au plus bas, 1,5 milliard d’euros et, au plus haut, six milliards d’euros

Pour les comptes publics, le coût global se situerait donc dans le même ordre de grandeur que le coût des retraites anticipées pour carrière longue adoptées par la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites qui a été estimé à 2,4 milliards d’euros pour 2008 (cf. partie IV-B-2). Une dépense de 3 milliards d’euros représenterait 0,16 % du PIB annuel de la France.

Si la mesure proposée se traduit par une dépense publique substantielle directe, elle est cependant de nature à induire un effet vertueux sur les comptes publics. En effet, contrairement à une mesure de retraite anticipée ou à ce qui se pratique actuellement et qui consiste à mettre les salariés usés par la pénibilité en arrêt maladie, en invalidité, au chômage et à faire supporter par la branche des accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) les préjudices causés par la pénibilité, la mesure d'aménagement du temps de travail en fin de carrière qui est proposée permettrait de maintenir les seniors dans l’emploi actif, ce qui maintiendrait les versements de cotisations pour la branche vieillesse, éviterait des dépenses d’indemnisation pour les Assedic et serait de nature à réduire les dépenses de la branche AT-MP – et donc les cotisations dues par les entreprises – ainsi que les dépenses de solidarité engagées en cas de mise en invalidité ou au chômage.

A moyen terme, le coût réel de cette mesure pour les comptes publics pourrait être nul. En effet, le salaire annuel net moyen des employés et des ouvriers âgés de 50 ans et plus observé par l’INSEE sur les années 2000 à 2005 à partir des déclarations annuelles de données sociales est de 20 000 euros ; chaque salaire représente donc 1 367 euros de cotisation à l’assurance chômage (taux de 6,40 %), 3 134 euros de cotisation à l’assurance maladie, maternité, invalidité, décès (taux de 13,55 %), 3 515 euros de cotisation à l’assurance vieillesse (taux de 14,95 %), 1 141 euros de cotisation versée à la branche famille au titre des allocations familiales (taux de 5,40 %), 60 euros de cotisation de solidarité versée à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (taux de 0,30 %) et 1 087 euros de cotisation à la CSG et CRDS (taux de 8 % sur 97 % du salaire brut), soit au total 10 304 euros de cotisations, sans compter les cotisations aux retraites complémentaires obligatoires, les contributions à la construction et au logement, à la formation professionnelle, au transport, la taxe sur la contribution patronale de prévoyance ou la taxe d’apprentissage. Si la mesure permet à 200 000 travailleurs, soit 20 % de l’hypothèse haute ou 80 % de l’hypothèse basse, de bénéficier de la mesure d’aménagement de fin de carrière proposée d’être maintenus dans l’emploi, les comptes publics pourraient bénéficier des cotisations assises sur leurs salaires, soit 2 milliards d’euros, sans compter les recettes fiscales tirées de l’impôt sur le revenu.

V.- CONCLUSION GÉNÉRALE

Les propositions de ce rapport sont en définitive une invitation à continuer le travail de négociation engagé par les partenaires sociaux.

Le rapporteur est cependant convaincu que le règlement de la question de la pénibilité au travail réclame au moins autant un ensemble d’actions à caractère culturel très marqué qu’un changement radical dans la manière d’envisager le poids et la portée des conditions de travail dans les entreprises. C’est la raison pour laquelle les propositions visant à renforcer les moyens d’information, de formation et de partenariat entre les acteurs occupent une place importante dans le présent rapport.

Les hypothèses de chiffrage présentées dans le rapport font apparaître que la compensation de la pénibilité en fin de carrière requiert des fonds d’un montant important. Cependant, elle ne représente pas des montants à ce point élevés qu’ils seraient insupportables pour la collectivité nationale. Les chiffres présentés sont par ailleurs, compte tenu des hypothèses de travail, des plafonds en dessous desquels il reste suffisamment de marges de manœuvre pour mettre en place des solutions adéquates.

Certes, la réussite de telles intentions est tributaire d’une volonté politique ferme et constante, tant de la part des partenaires sociaux que de la part des pouvoirs publics. Cela étant, les auditions ont montré que les préoccupations portant sur ces questions sont largement partagées et que les différents acteurs ne divergent que sur les moyens d’aboutir, mais certainement pas sur les fins et les objectifs à atteindre.

Il reste que ce sujet est suffisamment important pour mobiliser l’ensemble des personnes concernées, en pensant premièrement à tous ceux qui sont directement touchés par la pénibilité et pour lesquels ce travail a été effectué, à savoir les travailleurs, quels que puissent être leur métier et leur niveau de responsabilité.

RAPPEL DES PROPOSITIONS
PRÉSENTÉES DANS LE RAPPORT

A. Concernant la prévention de la pénibilité

1. Organiser une campagne nationale de prévention, ciblée et phasée

Un comité spécialisé dans la résorption de la pénibilité au travail pourrait être mis en place sous l’autorité directe du ministre chargé du travail. Sa mission consisterait à définir le contenu d’une campagne nationale pluriannuelle d’action contre la pénibilité et d’amélioration des conditions de travail. Il devrait réaliser un diagnostic préalable, probablement par branches et par métiers, sur les modes de prévention de la pénibilité, hiérarchiser les problèmes à traiter et proposer des campagnes d’information visant à résorber l’un après l’autre les problèmes détectés. Ces campagnes d’information seraient ciblées sur les entreprises et concentreraient les moyens d’action sur les thèmes définis pour des périodes données.

2. Renforcer la formation de l’encadrement aux questions liées à la pénibilité et aux conditions de travail

Les diverses formations existantes devraient proposer des modules obligatoires consacrés :

– à l’éthique et ses déclinaisons dans l’univers professionnel : non pas seulement les considérations sur l’éthique générale, ou sur la déontologie d’un métier ou l’autre, mais la manière de décider du meilleur possible dans l’entreprise, en fonction des aspirations des hommes et des contraintes subies ;

– aux méthodes de management, notamment dans le but de réduire le stress né des mauvaises relations sociales dans l’univers du travail ;

– aux conditions de travail, tant sur le plan matériel au regard de l’ergonomie que sur le plan psychologique, afin notamment de minimiser le stress ; les formations existantes sont en fait avant tout axées sur les risques professionnels (situations dangereuses, environnement agressif, non-respect des règles d’hygiène,…) or la pénibilité survient aussi en dehors de ces risques professionnels.

Des formations de ce genre devraient être dispensées dans les organismes de formation professionnelle courte ainsi qu’aux apprentis.

3. Renforcer la présence et le rôle des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail

Avant toute chose, il est nécessaire d’engager une action énergique, en lien direct avec les partenaires sociaux, pour faire en sorte que toutes les entreprises dans lesquelles la loi oblige à mettre en place un CHSCT en soient dotées.

Dans le même temps, il convient d’étudier le champ d’action des CHSCT, tant sur la pénibilité en tant que telle que ses ramifications.

Les CHSCT devraient pouvoir bénéficier d’un budget spécifique permettant de réaliser des expertises, de recourir à des ergonomes du travail et d’être assistés par des psychologues. La pluridisciplinarité est en fait insuffisamment présente au sein des CHSCT.

La formation dont bénéficient les membres élus du CHSCT devrait contenir un module consacré à la pénibilité.

La dimension de prévention sanitaire des CHSCT devrait être rappelée.

Dans la perspective d’un renforcement du rôle et des prérogatives des CHSCT, il conviendra certainement d’aller vers :

– une élection de ces salariés ;

– une formation obligatoire aux thématiques liées à la santé et à la pénibilité au travail ;

– un statut spécifique de ces salariés.

Par ailleurs, des dispositions spécifiques concernant les délégués du personnel dans les entreprises de petite taille doivent également être prises, notamment en termes de formation.

Enfin, afin de valoriser également ces différentes missions, il faudra veiller à ce que les mécanismes de validation des acquis de l’expérience puissent prendre en compte les responsabilités et les compétences acquises dans leur exercice.

Pour permettre une action globale, la dimension psychique de la pénibilité pourrait être étudiée dans l’entreprise par l’élaboration de questionnaires dont les réponses seraient analysées par le médecin du travail et présentées au CHSCT. Des synthèses devraient être transmises aux branches pour obtenir une vision plus précise de la situation professionnelle.

Dans les entreprises de moins de cinquante salariés, les compétences nouvelles seraient automatiquement attribuées aux délégués du personnel.

Les entreprises qui ne feraient pas le nécessaire en matière de prévention, notamment pour la mise en place des CHSCT, ou qui ne répercuteraient pas dans leur organisation les mesures de prévention identifiées chez elles comme nécessaires, doivent faire l’objet de sanctions financières.

4. Inciter à l’aménagement et l’adaptation des postes de travail en vue de réduire la pénibilité au travail par une défiscalisation totale des dépenses engagées à cette fin

Une déduction spécifique au bénéfice des investissements de modernisation des postes de travail dans le but de réduire leur pénibilité pourrait être étudiée. En particulier, les dépenses d’expertise en ergonomie devraient pouvoir être incluses.

5. Réformer le document unique de prévention et d’évaluation des risques professionnels

Il paraît indispensable de simplifier le document unique pour en faire non seulement un document d’analyse mais également un document de management de l’entreprise devant faire l’objet d’une formation et d’une information internes spécifiques. Outre l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), il conviendrait de solliciter les inspecteurs du travail pour fournir une aide pratique à la réalisation de ce document et à sa « vie » dans l’entreprise.

6. Généraliser la gestion prévisionnelle des carrières afin d’accompagner l’évolution des parcours professionnels

La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) pourrait être élargie à la prévention de la pénibilité dans les métiers et les entreprises où une pénibilité au travail est reconnue.

Avant l’âge de 45 ans, les salariés devraient pouvoir exprimer des vœux d’évolution professionnelle. La GPEC pourrait planifier le reclassement des salariés âgés usés et la formation qui l’accompagne. Des négociations de branche pourraient définir les modalités de mise en place de ces aménagements de carrière.

7. Renforcer le rôle des intervenants locaux et réseaux d’expertise extérieurs aux entreprises en doublant le budget annuel du réseau ANACT-ARACT

Les moyens opérationnels du réseau doivent être augmentés en doublant le budget annuel de l’ANACT afin de le porter à 50 millions d’euros.

Le recours aux jeunes retraités des entreprises permettrait d’augmenter les ressources humaines consacrées aux interventions du réseau en tirant parti de l’expérience des seniors. Tout devra être fait, dans ce sens, pour faciliter l’exercice du bénévolat, notamment les procédures de défraiement des bénévoles.

8. Réformer la médecine du travail

La mission préconise que les conclusions du rapport des Inspection générale des affaires sociales et Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche d’octobre 2007 soient suivies.

B. Concernant la compensation de la pénibilité

9. Etudier la mise en place du curriculum laboris

La mise en place d’un curriculum laboris est une bonne idée mais difficilement réalisable en pratique. Cette proposition doit donc faire l’objet d’un travail spécifique devant aboutir à la définition d’un calendrier de mise en place.

10. Ouvrir la possibilité d’une réduction de temps de travail en fin de carrière ou d’un départ anticipé à la retraite

Les partenaires sociaux devraient engager des discussions pour :

– définir précisément les branches professionnelles et en leur sein les métiers ou activités concernés par la réparation de la pénibilité ;

– définir, au sein de ces branches, les conditions de déroulement de carrière ouvrant droit au dispositif qui suit ;

– faire examiner les personnes ainsi potentiellement éligibles par une commission médicale idoine, dès que les circonstances de carrière sont réunies, afin que cette commission prononce leur admission au dispositif si elle constate une altération irréversible de la santé du travailleur du fait de cette pénibilité.

Dans l’hypothèse où les partenaires sociaux n’aboutiraient pas, il conviendrait que le législateur reprenne directement en charge ces différentes définitions.

Les travailleurs dont la carrière pénible aurait été reconnue se verraient ouvrir de plein droit une réduction de leur temps de travail jusqu’à la date de leur départ en retraite, avec le maintien de leur rémunération et de l’ensemble des clauses salariales de leur contrat (revalorisation, avancement, droit à congés, etc.).

Cette réduction du temps de travail pourrait osciller, par exemple, entre un quart et un tiers de leur temps de travail contractuel. Cette clé de répartition devrait être étudiée par les partenaires sociaux qui devraient proposer au gouvernement les taux qui leur paraissent les mieux adaptés.

La proposition 10 permet d’apporter une compensation au bénéfice des travailleurs qui sont en mesure de poursuivre leur activité professionnelle ou de s’engager dans une nouvelle carrière. Cependant, certains travailleurs usés par la pénibilité ne pourront pas, physiquement, s’engager dans un tel aménagement de carrière ou de temps de travail, tout en restant aptes au travail. Il s’agit en fait des travailleurs que les entreprises ne pourront plus employer alors même que médicalement ils ne seront pas éligibles aux dispositifs d’inaptitude au travail ou d’invalidité.

Pour ces travailleurs, l’équité commande de prévoir un dispositif de réparation : une mesure de retraite anticipée paraît être la mieux adaptée. Cette retraite anticipée devra s’inscrire dans un dispositif de retraite anticipée négocié par les partenaires sociaux dans les branches professionnelles, donc se fonder sur une convention collective du travail. Elle devrait s’inscrire dans le cadre du régime de droit des préretraites d’Etat redéfini par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.

CONTRIBUTION PRESENTÉE PAR MM. RÉGIS JUANICO, JEAN MALLOT ET ALAIN NÉRI, MEMBRES DE LA MISSION APPARTENANT AU GROUPE SOCIALISTE, RADICAL, CITOYEN ET DIVERS GAUCHE

Mission d'information parlementaire sur la pénibilité au travail :

une occasion manquée.

Lors de son installation mi-décembre 2007, la mission d'information parlementaire sur la pénibilité au travail s’était fixé deux grands objectifs :

• établir un rapport spécifique sur la question de la pénibilité dans le cadre de la préparation de la réforme des retraites de 2008 en s'appuyant sur l'article 12 de la loi du 21 août 2003 qui prévoit que « dans un délai de trois ans, les organisations professionnelles et syndicales représentatives au niveau national sont invitées à engager une négociation interprofessionnelle sur la définition et la prise en compte de la pénibilité »

• établir dans ce rapport un état des lieux le plus précis possible, délimiter la notion de pénibilité et étudier les modalités de son intégration dans la législation.

Malgré des pistes intéressantes en matière de prévention et d'amélioration des conditions de travail, nous considérons le rapport final déséquilibré et clairement insuffisant dans les perspectives qu'il ouvre pour les salariés sur le plan de la réparation et des compensations des situations de pénibilité au travail.

Loin de clarifier le débat, le rapport est source de confusion sur la notion de pénibilité et risque de « fragiliser » les chances de parvenir à un accord entre les partenaires sociaux dans le cadre de la négociation interprofessionnelle en cours.

1. Une conception de la pénibilité au travail en retrait par rapport aux propositions des partenaires sociaux.

Le rapport de la mission parlementaire propose la définition suivante de la pénibilité : « la pénibilité au travail est le résultat de sollicitations physiques ou psychiques qui, soit en raison de leur nature, soit en raison de la demande sociale, sont excessives en regard de la physiologie humaine et laissent, à ce titre, des traces durables, identifiables et irréversibles sur la santé et l'espérance de vie d'un travailleur ».

Nous estimons que la proposition de définition ainsi faite est source de confusion par rapport à la définition qui fait consensus entre partenaires sociaux dans la négociation interprofessionnelle : « la pénibilité résulte de sollicitations physiques et/ou psychiques de certaines formes d'activités professionnelles qui laissent des traces durables, identifiables et irréversibles sur la santé des salariés et susceptibles d'influer sur leur espérance de vie ».

De même, la distinction opérée par le rapporteur entre une pénibilité « réductible » et une pénibilité « irréductible », les mesures de réparation devant permettre de traiter le stock des salariés touchés de manière irréversible par les différentes formes de pénibilité, est également source de confusion.

Au-delà de ce qui, à nos yeux, représente un recul par rapport à l'état des discussions – certes laborieuses – entre partenaires sociaux depuis maintenant plus de trois ans, nous tenons également à nous démarquer très clairement de certaines considérations et appréciations du rapport qui tendent à privilégier les facteurs personnels et non collectifs dans la prise en compte de la pénibilité au travail.

Ainsi, le rapporteur considère « comme fondé l'argument selon lequel les facteurs personnels et privés (hygiène de vie, addictions,…) influant sur la santé du travailleur doivent être pris en compte pour apprécier la mise en œuvre d'une mesure de compensation. Dès lors que la pénibilité doit être compensée en raison de la morbidité accrue ou de la réduction de l'espérance de vie qu'elle entraîne, la santé du travailleur doit être évaluée globalement pour déterminer la responsabilité des conditions de travail dans cette dégradation ».

Plus loin, le rapporteur ajoute « qu'il arrive encore souvent que les travailleurs soient eux-mêmes la cause de la pénibilité qu'ils subissent, ne serait-ce qu'en ne respectant pas les consignes ou la réglementation, en gérant leur travail de manière à maximiser leur temps libre sans veiller à préserver les rythmes biologiques naturels ou en ne mettant pas à profit les périodes de récupération ou de congé pour se reposer ».

Certaines affirmations nous paraissent de la même façon assez éloignées de la réalité vécue par les salariés : « non seulement la cessation anticipée d'activité ou la préretraite ne sont pas des solutions structurelles au problème de pénibilité, mais elles paraissent aller dans la majorité des cas à l'encontre de la volonté des travailleurs âgés ».

La philosophie générale développée dans le rapport semble poursuivre un objectif que nous ne partageons pas et qui consiste à refuser de tirer les conséquences de l'effet de la pénibilité au travail sur l'espérance de vie.

2. Des pistes intéressantes en matière de prévention qui méritent d'être précisées.

Nous souscrivons d'une façon globale aux propositions du rapport touchant à la prévention de la pénibilité au travail :

• le renforcement de l'information (campagne nationale de prévention ciblée sur la question de la pénibilité). Nous souhaitons que ce type de campagne ne se réduise pas seulement à de la communication mais se traduise bien en proposition d'actions déclinables dans l'ensemble des entreprises (notamment TPE et PME) et de la fonction publique ;

• l'amélioration de la formation de l'encadrement (introduction de modules obligatoires dans les cursus) ;

• le renforcement de la présence et du rôle des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail dans les entreprises (CHSCT). Nous ne souhaitons pas en revanche fermer la porte, comme le fait le rapport, à la réflexion nécessaire sur les CHSCT territoriaux ou de site ;

• la simplification du document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP). Nous pourrions, de ce point de vue, nous inspirer de l'exemple des Pays-Bas où un effort important d'harmonisation des grilles d'évaluation a été réalisé et où des négociations préalables sont obligatoires au niveau des branches ;

• le renforcement et la revalorisation de la filière de médecine du travail. Nous ne pouvons réduire les services de santé au travail aux seuls médecins du travail, mais au contraire promouvoir un large partenariat entre les différents spécialistes (CRAM, CHSCT, entreprises, ANACT,…) en matière de prévention primaire ;

• la généralisation de la Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) et des aménagements de secondes carrières pour les salariés de plus de 45 ans.

Toutefois, nous aurions souhaité que toutes ces propositions soient précisées par un calendrier volontariste (plan d'action pluriannuelle, intégration des propositions dans les textes de loi à venir,…) et par un plan d'accompagnement en termes de moyens humains et financiers. C'est par exemple le cas pour la proposition de doublement du budget du Réseau de l'Agence Nationale pour l'Amélioration des Conditions de travail (ANACT) qui permettra de renforcer significativement le nombre d'intervenants au service des entreprises sur les questions de pénibilité au travail.

3. Le rapport, par la faiblesse de son volet réparation, constitue un mauvais signal et risque de fragiliser des négociations sur la pénibilité au travail entre partenaires sociaux déjà enlisées.

Le rapporteur affirme clairement « qu'il n'est pas favorable à une mise en place des retraites anticipées ou cessations anticipées d'activité ou à une augmentation des droits à pension de retraite pour les travailleurs ayant été exposés à la pénibilité ».

Nous constatons cependant que le rapporteur se contredit dans ses conclusions en proposant à la dernière minute une possibilité de retraite anticipée en décalage avec la philosophie générale développée tout au long du rapport et dont la démonstration est orientée vers l'idée qu'il faut écarter les solutions de réparation de type retraites ou cessation d'activité anticipées !

Le rapport, en privilégiant l'aménagement de la fin de carrière sous forme de réduction du temps de travail (entre un quart et un tiers), et en n'explorant pas de façon satisfaisante les pistes de cessations anticipées d'activité ou de retraites anticipées, fragilise les possibilités d'un accord entre les partenaires dans l'actuelle négociation.

Ce choix reflète non seulement les positions les plus conservatrices, alignées sur la partie patronale hostile à toute solution de réparation, mais elles sont clairement en-deça des propositions sur l'allègement de la charge de travail en fin de carrière formulées par le Medef, à savoir une réduction du temps de travail jusqu'à un mi-temps.

Certes, les négociations interprofessionnelles ont été laborieuses (3 années, 18 séances…) et des différences subsistent entre les organisations syndicales et patronales sur l'ampleur du dispositif, son financement, la population salariée concernée, sur la définition précise des critères et des facteurs ou les conditions d'accès au dispositif de prise en compte de la pénibilité.

Mais les partenaires sociaux ont néanmoins réussi à s'accorder sur trois facteurs principaux de pénibilité : contraintes physiques (port de charges lourdes, postures pénibles,…), environnement de travail agressif (exposition à des produits toxiques, températures extrêmes, bruits intensifs,…) et rythmes de travail (travail de nuit, répétitif, horaires alternants). Le Medef, qui avait été longtemps réticent, a accepté d'envisager dans son dernier document de travail la possibilité de départs anticipés, même si elle est assortie de conditions contestées par les organisations syndicales. Le parti-pris du rapport qui traite de façon marginale et résiduelle cette voie n'est pas un encouragement à la conclusion d’un accord collectif.

Nous pensons pour notre part qu'il est juste d'accorder des avantages spécifiques aux salariés qui ont subi des conditions de travail pénibles, car ils risquent de bénéficier de leur retraite beaucoup moins longtemps que les autres et dans un état de santé nettement plus dégradé (l'écart d'espérance de vie à 35 ans entre un cadre et un ouvrier est de 7 ans pour les hommes ; à 60 ans, un ouvrier vivra 30 % de son espérance de vie en situation d'incapacité contre 20 % pour un cadre). Ces inégalités constatées justifient le principe d'un départ anticipé dont les modalités précises sont à négocier par les partenaires sociaux.

En conclusion, les propositions de ce rapport, loin de constituer « une invitation à continuer le travail de négociation entamé par les partenaires sociaux », pourraient au contraire leur porter un « coup fatal », d'autant plus que le gouvernement a complètement ignoré dans ses orientations concernant la réforme des retraites toute avancée sur la question de la pénibilité, alors même qu'il propose une nouvelle augmentation de la durée de cotisation à 41 années pour bénéficier d'une retraite à taux plein.

Parce que les conclusions du rapport ne donnent pas de perspectives à l'engagement de la loi de 2003 sur les retraites qui pose le principe d'une prise en compte effective de la pénibilité au travail, nous ne pouvons cautionner ces conclusions et nous avons décidé au nom du groupe Socialiste, Radical et Citoyen de voter contre.

Régis JUANICO, député de la Loire

Jean MALLOT, député de l’Allier

Alain NÉRI, député du Puy-de-Dôme

CONTRIBUTION PRESENTÉE PAR MME MARTINE BILLARD, MEMBRE DE LA MISSION APPARTENANT AU GROUPE DE LA GAUCHE DÉMOCRATE ET RÉPUBLICAINE

La loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites a fait de la pénibilité un sujet de négociation sociale entre les partenaires sociaux : elle a prévu notamment l'ouverture d'une négociation interprofessionnelle dans un délai de trois ans pour arrêter une définition de la pénibilité et un mécanisme de sa prise en compte. Le cycle de discussion qui ne s'est engagé que depuis février 2005, entre trois organisations patronales et les cinq organisations syndicales de salariés dites « représentatives », n'a pas abouti.

Ce rapport s’appuie sur deux partis pris : le refus de toute prise en compte collective de la pénibilité (sous prétexte que cela reviendrait à reconstruire des régimes spéciaux) et la renonciation à la suppression des écarts d'espérances de vie en bonne santé (voir : « l'égalisation de l'espérance de vie en pleine santé ne peut à l'évidence faire l'objet d'aucune garantie [...]. Faire de cette intention un objectif en tant que tel des politiques publiques serait [...] excessif en regard des responsabilités normales de l'Etat », rapport, p.176)

Or, un des arguments utilisés par le gouvernement pour remettre en cause l'existence des régimes spéciaux de retraites à l'automne 2007, reposait sur l’idée que tous les métiers et postes de travail couverts par ces régimes n’étaient pas forcément pénibles et qu'en revanche beaucoup de métiers pénibles ne relevaient pas de régimes spéciaux. Justifier maintenant le refus d’étudier globalement la possibilité qu’un métier ou qu'une activité professionnelle relève de la pénibilité pour tous les travailleurs concernés conduit à nier l'une des raisons de la remise en cause des régimes spéciaux ou dévoile la duplicité qui a présidé à l’établissement de ce démantèlement.

Certaines présentations de données dans le rapport ainsi que certaines interprétations appellent de nombreux commentaires.

• Il est discutable de parler de dématérialisation croissante du travail. Il existe un certain éclatement des lieux collectifs de travail en structures de taille bien inférieure à celle de l’époque des grandes concentrations ouvrières. Mais le nombre de postes de travail dans la production reste important et de nouveaux emplois du tertiaire ont remplacé une partie des anciens emplois industriels avec d’autres formes de pénibilité physique. Le travail posté à la chaîne concerne plus de salariés qu'il y a vingt ans et le nombre de travailleurs soumis à des vibrations et au travail de nuit a aussi augmenté.

• Rien ne permet d'affirmer qu'en dehors des chercheurs et des spécialistes travaillant sur les conditions de travail, la prise de conscience de la pénibilité ne date que du début des années 2000. Ce n’est pas un hasard si les régimes spéciaux avaient été créés et si les salariés se sont tant battus pour la réduction du temps de travail. Il ne faut pas oublier qu’en 1968, malgré la durée légale du travail à 40 heures, la durée effective était souvent supérieure à 45 heures allant facilement jusqu’à 48 heures. C'était souvent un des motifs de grève.

• Les comparaisons européennes comportent des glissements : il en est ainsi de l’enquête retracée dans le tableau de la page 24, portant sur le ressenti des salariés quant à l’impact du travail sur leur santé et plaçant la France en dessous des moyennes européennes. Les résultats dénotent plus un niveau d’information des salariés interrogés dans chaque pays qu’une réalité concrète. Dans le tableau de la page 82 portant sur les expositions aux risques, la France se situe au dessus des moyennes européennes dans 4 cas sur 6 montrant ainsi les limites de l'interprétation du tableau de la page 24.

• Aucune étude n’est citée pour justifier le choix de la durée de 10 ans, indiquée à plusieurs reprises comme la durée d’exposition entraînant des effets nocifs sur la santé (p.63).

• La différence entre pénibilité réductible et pénibilité irréductible. Le terme « irréductible » peut laisser penser qu’il y a des pénibilités que l’on ne peut pas réduire. Qu’on ne puisse pas supprimer certains travaux pénibles est un fait mais des aménagements sont toujours possibles : d’une part en modifiant les postes de travail, d’autre part en réduisant le temps de travail et le nombre d’années sur ces postes. Il ne faudrait pas que cette distinction dédouane les entreprises d’efforts possibles et nécessaires et sur lesquels d’ailleurs de nombreux experts ont travaillé. Le terme irréductible est donc inadapté et aurait du être remplacé par « non supprimable ».

DES PARTIS PRIS IDÉOLOGIQUES

• Tout au long du rapport, revient comme une obsession l’idée que les 35 heures seraient responsables de l’intensification du travail. Il s’agit d’une affirmation purement gratuite et à vrai dire totalement idéologique qui est répétée à plusieurs reprises. L’intensification du travail a été constatée dans tous les pays européens alors même que la réduction du temps de travail a concerné peu de pays. C’est donc un phénomène international lié à l’évolution des process de travail et non à la RTT française. Par ailleurs, si dans certaines entreprises, une intensification du travail a pu être notée après l'entrée en vigueur des 35 heures, c'est plus par suite du type de mise en œuvre que par la réduction du temps de travail en tant que telle. D'ailleurs une étude de la DARES citée en page 28 du rapport indique « en 2005, 48 % des salariés déclarent devoir se dépêcher … soit quatre points de moins qu’en 1998 ». Or, la période 1998-2005 correspond à la mise en œuvre des 35 heures.

• Selon de nombreux experts, la pénibilité est un terme polysémique (page 50 du rapport). De ce fait, les politiques de luttes contre la pénibilité doivent varier selon les buts recherchés. Ils concluent qu’une définition générique est impossible. Aussi la volonté du rapporteur de donner une définition unique de la pénibilité est fort discutable et amène à des glissements qui ne sont pas neutres. Ainsi, la notion de « demande sociale » et non de « nécessité sociale » amène à ne pas remettre en cause l'organisation de certaines productions en flux tendus. Le choix de l'affirmatif « laissent [des traces durables...] » au lieu de la potentialité « peuvent laisser » pour définir la pénibilité explique le choix du rapporteur de limiter les mesures de compensations à « une altération irréversible de la santé du travailleur ». Cela revient à sortir du cadre de la compensation de la pénibilité au travail, pour tomber dans la réparation individuelle de la maladie.

• Le refus de prendre en compte la probabilité pour définir les conséquences de la pénibilité. « Il est très difficilement envisageable d’accorder des droits sur la collectivité sur le fondement d’un événement seulement probable. ». Une telle conception revient donc à supprimer toute prévention, puisque le principe même de prévention est la probabilité d’un risque et non sa certitude. Inutile aussi de réfléchir en fonction de l’espérance de vie et d’allonger la durée de cotisation puisque l’allongement de la durée de vie est une probabilité et non une certitude. Et lorsque le rapporteur s’interroge « sur quel réel principe de justice sociale une telle revendication pourrait se fonder », il oublie tout simplement que les retraites sont financées par le travail et donc si certaines conditions de travail rendent la retraite probablement plus courte, il n’est pas anormal de prévoir une compensation.

• La confusion entre risque et réalisation. La pénibilité renforce le risque de séquelles. Prendre comme définition la réalisation de ces séquelles revient à mélanger maladie professionnelle et pénibilité. S’il y a constatation d’une dégradation de l’état de santé, cela relève du régime des AT-MP et de l’invalidité. Par contre, prendre en compte la pénibilité, c'est mettre en œuvre une politique de prévention des conséquences d’une vie de travail pénible afin de compenser la diminution de l'espérance de vie en bonne santé. Si la pénibilité ne devait être reconnue qu’au moment où des effets pathologiques apparaissent, nombre de travailleurs de l’amiante seraient décédés avant même d’avoir pu jouir de leur retraite compte tenu des délais d’apparition des maladies liées à l’amiante.

Le rapport des sénateurs Gérard Dériot et Jean-Pierre Godefroy d’octobre 2005 au nom de la mission sur le bilan et les conséquences de la contamination par l’amiante rejette la recommandation de la Cour des Comptes de « réserver le bénéfice de l’ACAATA aux seules victimes de pathologies déclarées. » en précisant : « il est logique … qu’elles [les personnes intensément exposées à l’amiante] bénéficient d’une préretraite sur la base d’une attestation d’exposition et non d’un diagnostic médical. De surcroît, la proposition de la cour n’aurait pas grand sens pour les victimes des pathologies les plus graves : quel intérêt trouverait une personne atteinte d’un mésothéliome à partir en préretraite une fois le diagnostic établi, alors que l’espérance de vie moyenne des malades, à ce stade, n’est que de 18 mois ? » (rapport du Sénat, p. 177).

• En conséquence, le raisonnement en termes de santé individuelle des travailleurs justifie les propositions du rapporteur. Dans toute dégradation de la santé, il y a bien évidemment une part individuelle, et ceci sans entrer dans le débat sur la pénibilité. Mais il n’est pas possible de nier la part centrale du travail lorsqu’il s’agit de l’état de santé des travailleurs sinon les écarts d’espérances de vie (et encore plus d'espérances de vie sans incapacité), ne seraient pas explicables. Centrer l’appréciation de la pénibilité sur la santé individuelle de chaque travailleur est donc une erreur de raisonnement. Le rapporteur conclut : « Il ressort également clairement que la pénibilité ne peut être détachée de la personne de chaque travailleur ». Ce glissement revient à renvoyer sur l’individu les conséquences d’un poste de travail pénible. Mais le même salarié travaillant sur un poste de travail non pénible n’aura pas les mêmes problèmes de santé, tandis que parmi tous les travailleurs qui passeront sur un poste de travail pénible, pratiquement tous auront des séquelles. Qu’il y ait quelques exceptions ne saurait justifier le renvoi à la situation de santé individuelle. Cette transformation n’est pas neutre. Elle vise à dédouaner les entreprises de leurs responsabilités.

LES PROPOSITIONS DU RAPPORTEUR

• la traçabilité individuelle des pénibilités

Le rapport indique qu’il y aurait « accord général sur le fait que la reconnaissance et la compensation de la pénibilité soient fondées sur la personne qui travaille et non sur des références abstraites ». Ceci n’est pas exact et réintroduit la confusion entre poste de travail et individu.

• le refus d'étudier la mise en place de CHSCT territoriaux

Ce refus maintient l'exclusion de nombreux salariés des dispositifs de prévention de la pénibilité.

• l'incitation à l'aménagement des postes de travail par la défiscalisation totale des dépenses engagées à cette fin

Les entreprises ont une obligation de santé au travail et, par là même, de conception des postes de travail qui ne soit pas contraire à la santé des travailleurs. La proposition du rapporteur revient donc à faire financer ces obligations par les finances publiques et risque d'avoir comme effet induit le recul de l'aménagement des postes de travail dans l'attente d'un financement public

• la réduction du temps de travail en fin de carrière

L'aménagement de la fin de carrière (réduction entre un quart et un tiers du temps de travail contractuel) peut être une bonne proposition mais elle ne peut être opposée à la cessation anticipée d'activité, comme le fait le rapport, parce qu'elle ne répond pas aux mêmes situations. Par ailleurs, la définition de la population concernée s'appuie sur une notion factice d'équilibre entre carrière et état de santé personnel censé être trouvé par les partenaires sociaux par un dispositif envisagé en trois étapes, la dernière étape étant l'examen de personnes potentiellement éligibles par une commission médicale, à condition que soient réunies certaines circonstances de carrière. Conditionner la protection des personnes à leur état de santé à un moment donné n'est pas acceptable, parce que nombre de symptômes liés à la pénibilité n'apparaissent que postérieurement à la cessation de l'activité exposée.

• le refus de la cessation anticipée d’activité

Partant d'un a priori idéologique sur les régimes spéciaux, le rapport défend le refus de toute possibilité de départ anticipé en retraite basé sur l'exposition à un poste de travail pénible et reprend la proposition de l’approche individuelle du salarié et non celle du poste de travail. C’est ainsi que le rapport en page 165 indique que « les demandes des syndicats conduisent, en pratique, à rétablir le dispositif de CATS mais en le concentrant sur les travailleurs usés par des travaux pénibles ». Pour refuser cette possibilité, le rapporteur revient sur l’enquête Santé et vie professionnelle après 50 ans en introduisant un glissement. Le rapporteur (page 167) partant du fait que sur 8,1 % des salariés pouvant être concernés par une mesure de départ anticipé, seuls 25,2 % expriment une telle intention, en conclut que ces travailleurs ne souhaitent pas partir plus tôt. Or il y a une différence sémantique entre un souhait et une intention. Pour avoir l’intention, il faut en avoir la possibilité (nombre de trimestres suffisant, plus d’enfants à charge, revenus et montant de la retraite suffisants,…) alors qu’un souhait n’exprime qu’un vœu indépendant de la situation concrète. Il est donc totalement abusif et inadmissible d’affirmer que la cessation anticipée et la préretraite « paraissent aller dans la majorité des cas à l’encontre de la volonté des travailleurs âgés ». Toutefois, au dernier moment, le rapporteur a réintroduit une possibilité très restreinte de pouvoir postuler à un départ anticipé en retraite, mais uniquement basée sur l'état de santé de chaque travailleur attesté par une commission médicale.

Conclusion

Il est clairement apparu au cours des négociations entre les partenaires sociaux qu’il y avait désaccord sur la définition de la pénibilité. Le patronat veut imposer une définition individuelle de la pénibilité basée sur les troubles de santé des salariés, tandis que les syndicats de salariés souhaitent que l’on se fonde sur la prise en compte de la pénibilité des postes de travail et leur conséquence sur l’espérance de vie. Le rapport choisit clairement la position du patronat.

En conséquence les propositions n'ont plus comme résultat de compenser la pénibilité d'un poste de travail mais aboutissent à créer un statut supplémentaire à côté de l'invalidité et de la maladie professionnelle basé sur l'état de santé individuel des travailleurs. Nous ne sommes donc plus dans une réponse à la pénibilité au travail.

Compte tenu de cette philosophie, au nom des députés Verts, Communistes et des DOM-TOM du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, j'émets un avis négatif sur ce rapport.

Martine BILLARD, députée de Paris

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission s’est réunie, le mardi 27 mai 2008, sous la présidence de M. Pierre Méhaignerie, président, pour examiner le rapport de M. Jean-Frédéric Poisson, député.

Un débat a suivi l’exposé du rapporteur.

M. Régis Juanico a rappelé que les deux objectifs initiaux de la mission étaient, d’une part, de dresser un état des lieux le plus précis possible auquel le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche adhère grosso modo, et, d’autre part, de faire des propositions dans le sillage de l’article 12 de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites, qui prévoyait une négociation interprofessionnelle sur la définition et la prise en compte de la pénibilité, en contrepartie de l’allongement de la durée de cotisation. C’est sur le second point que le bât blesse. Le rapport manque d’audace en matière de réparation et de compensation, même s’il ouvre des pistes intéressantes en matière de prévention et d’amélioration des conditions de travail.

La définition de la pénibilité est davantage source de confusion que le point d’équilibre auquel étaient parvenus les partenaires sociaux après trois ans de négociations laborieuses. Au-delà, le rapport privilégie une approche individuelle, au détriment des éléments collectifs. Ainsi, on peut lire dans le rapport : « Le rapporteur considère comme fondé l’argument selon lequel les facteurs personnels et privés (hygiène de vie, addictions, etc.) influant sur la santé du travailleur doivent être pris en compte pour apprécier la mise en œuvre d’une mesure de compensation ». Il y a là une vraie différence d’approche, même si le rapport est cohérent.

Sur la prévention, le travail n’est pas terminé. Oui, il faut renforcer les CHSCT car il est anormal que près d’un salarié sur deux ne dispose pas d’un CHSCT sur son lieu de travail, mais c’est une erreur de fermer la porte aux CHSCT territoriaux ou de site. Oui, il faut renforcer la médecine du travail en revalorisant cette filière, mais attention à ne pas considérer les services de santé au travail comme relevant seulement des médecins du travail. C’est l’affaire de bien d’autres acteurs : les caisses régionales d’assurance maladie ou les chefs d’entreprise eux-mêmes et les CHSCT. Ces mesures auraient dû être accompagnées d’un calendrier et d’un plan précis relatif aux moyens humains et financiers, le rapport ne demandant de manière concrète que le doublement du budget du réseau ANACT-ARACT, ce qu’il convient d’approuver.

Le rapport est très timide sur le curriculum laboris, se contentant de proposer de le mettre à l’étude, timide aussi sur l’aménagement des fins de carrière et la réduction, entre un quart et un tiers, du temps de travail, ce qui est en deçà de la plus basse des positions patronales. Une telle position augure mal de l’issue de la négociation sociale, qui s’enlise. Il y a contradiction entre la page 167 du rapport, où il est répété que les cessations progressives d’activité et les retraites anticipées ne sont pas une solution à la pénibilité au travail et la conclusion qui les réintroduit. De toute façon, le dispositif de retraite anticipée qui a été ajouté à la dernière minute est très insuffisant et il faudra le revoir.

En conclusion, il est juste d’accorder des avantages spécifiques à des salariés qui ont subi des conditions de travail difficiles. L’écart d’espérance de vie entre un cadre et un ouvrier âgés de trente-cinq ans atteint sept années, ce qui justifie le principe d’un départ anticipé en raison de la pénibilité au travail. Parce que les propositions en matière de réparation sont insuffisantes, le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche (SRC) n’a pas voté ce rapport auquel sa contribution sera annexée.

M. Jean Mallot a reconnu que des ajustements ont été effectués par le rapporteur par rapport à la première version de son rapport. Il a notamment atténué l’automaticité du lien entre augmentation de la pénibilité et réduction du temps de travail et revu l’expression selon laquelle certains salariés créeraient leur propre pénibilité. Mais le rapprochement de la pénibilité et des accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) peut créer des confusions, tout comme le flou qui entoure la distinction entre la pénibilité réductible et la pénibilité irréductible, la première relevant en principe de la prévention, la seconde de la réparation. Par ailleurs, le rapport procède à des analogies contestables avec le dispositif des carrières longues et avec les retraites anticipées dans le cadre de plans de licenciement du type Fonds national pour l’emploi (FNE), qui n’ont rien à voir avec la pénibilité. Il reste donc des points de désaccord, mais surtout en ce qui concerne les propositions qui sont de trop faible portée.

La première phrase de la conclusion générale, qui invite à poursuivre le travail des partenaires sociaux, laisse perplexe le lecteur qui se demande à quoi sert ce rapport. L’exercice était certes difficile puisque le travail du rapporteur s’inscrivait dans le calendrier d’une négociation qui n’a pas abouti, l’enfermant dans une alternative : soit décrire la pénibilité au travail dans tous ses états et les traitements qui l’accompagnent, ce qui aurait donné un rapport universitaire, soit se substituer à la négociation en partant du principe qu’elle ne déboucherait pas, au risque de la compromettre. Cet entre-deux n’est pas satisfaisant. Ainsi, conclure qu’il faut mettre le curriculum laboris à l’étude laisse franchement sur sa faim. Quant aux réparations envisagées, le rapporteur s’est prononcé a priori contre toute formule de retraite anticipée, mais a mangé à moitié son chapeau en concédant finalement qu’une moindre espérance de vie due à un travail pénible pouvait se réparer par une diminution de la période d’activité. Remédier aux écarts d’espérance de vie entre ouvriers et cadres en réduisant d’un quart ou d’un tiers le temps de travail, sans toucher à l’âge de départ à la retraite, aurait été franchement inadapté. On ne meurt pas à temps partiel ! Si l’espérance de vie est réduite, alors il faut réduire la période d’activité. La formule de la retraite anticipée est seulement évoquée, parce qu’on ne pouvait pas l’éviter, mais elle n’est que le croupion du rapport. La procédure de l’examen du dossier par une commission médicale est d’ailleurs contestable dans la mesure où elle pose la question du choix entre objectivation ou individualisation de la prise en compte de la pénibilité. Quels seront les critères retenus ? Enfin, l’articulation entre le champ de la loi et celui de la négociation, qui a été l’objet de maintes discussions, n’est pas traitée dans le rapport. Or il faudra bien trancher.

Compte tenu de l’importance accordée à l’écart d’espérance de vie, le président Pierre Méhaignerie s’est étonné qu’il ait fallu attendre 2003 pour que ceux qui avaient l’espérance de vie la plus faible, et en fait la durée d’activité la plus longue, puissent partir plus tôt à la retraite. L’opposition ayant exercé le pouvoir, elle aurait pu remédier à cette inégalité majeure.

Mme Martine Billard a répondu que les erreurs commises ne doivent pas empêcher de progresser. Au nom du groupe de la gauche démocrate et républicaine (GDR), elle a voté contre le rapport en raison, non pas du constat qu’il établit, mais de l’interprétation de ce constat. Le rapporteur explique ainsi que les politiques publiques ne doivent pas avoir pour objectif de réduire l’écart d’espérance de vie à la retraite. La volonté de faire retomber la responsabilité de l’intensification du travail sur les 35 heures relève chez lui quasiment de l’obsession. Le phénomène est pourtant observable dans l’ensemble des pays développés.

Le désaccord porte, en premier lieu, sur la définition même de la pénibilité qui s’appuie sur la notion de « demande sociale ». Il y a certes des nécessités sociales qui expliquent que certains services publics travaillent vingt-quatre heures sur vingt-quatre mais, au nom de la « demande sociale », on peut justifier le travail le dimanche. La formulation choisie correspond à un choix de société.

Par ailleurs, faire de la pénibilité le résultat de sollicitations physiques ou psychiques qui laissent des traces durables, identifiables et irréversibles sur la santé, implique qu’elle n’est pas considérée comme une probabilité. Cette approche conduit à la personnalisation de la prise en compte de la pénibilité. Ce n’est plus le poste de travail qui est considéré, mais l’état de santé du travailleur. Il y a là un désaccord de fond qui se prolonge dans les propositions qui sont faites. Ainsi, la compensation n’est consentie qu’à une double condition : que le poste de travail soit pénible et que la commission médicale constate une altération irréversible de l’état de santé du travailleur. Le rapport opère ainsi un glissement entre la pénibilité et la maladie professionnelle.

Ensuite, les propositions manquent d’audace sur le CHSCT territorial. Même si la tâche n’est pas simple, il faut étudier des solutions pour les centaines de milliers de salariés qui sont aujourd'hui, de fait ou de droit, privés de CHSCT, donc exclus de la prévention.

La proposition n° 10, qui réintroduit la possibilité de la retraite anticipée par rapport au premier projet de rapport, interpelle, comme l’incitation fiscale pour aménager les postes de travail. Normalement, c’est bien à l’employeur de faire en sorte que les postes de travail ne nuisent pas à la santé des employés. Annoncer des avantages fiscaux risque de pousser les chefs d’entreprise à l’attentisme, pour profiter de l’effet d’aubaine, et de coûter très cher aux finances publiques. Opter pour la retraite anticipée, plutôt que pour la cessation anticipée d’activité, est aussi une solution onéreuse, la participation des entreprises étant moindre, ce qui réduit les droits à la retraite de ceux à qui il manquera des trimestres, même si leur santé est définitivement altérée, alors qu’ils pourraient légitimement prétendre à un dispositif plus favorable.

M. Xavier Breton a insisté sur le travail de définition accompli par le rapporteur. La pénibilité est une notion complexe, à la fois hétérogène dans l’approche qui en est faite – pénibilité réductible et irréductible, subjective et objective – et évolutive en fonction du contexte économique et social. Les statistiques fournies dans le rapport sont riches d’enseignements sur l’impact de l’individualisation du travail et de son intensification, en particulier dans le sillage de la réforme des 35 heures. La loi du 21 août  2003 invitait les partenaires sociaux à négocier sur la définition même de la pénibilité, et ils ont du mal à se mettre d’accord. À cet égard, la proposition qui est faite dans le rapport constitue une bonne base de travail, alors que l’exercice était difficile.

Le rapport est en accord total avec les trois principes politiques posés au départ : respecter le travail des partenaires sociaux, conformément à la loi du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social, et envisager des allers-retours entre eux et le Parlement ; ne pas solliciter abusivement les finances publiques ; ne pas reconstruire des régimes spéciaux.

Les dix propositions présentées sont intéressantes et témoignent d’un souci de souplesse et de pragmatisme, par exemple en invitant à appliquer la réglementation en vigueur, déjà abondante en matière d’hygiène et de sécurité, avant d’en créer de nouvelles. Elles privilégient la mobilisation, plutôt que la contrainte. Dans les très petites entreprises et les PME, les obligations légales sont perçues souvent comme un frein à l’efficacité immédiate au travail. Il faut les convaincre que les progrès à venir peuvent renforcer l’attractivité de certains métiers qui souffrent aujourd'hui d’une mauvaise image. Dans cette optique, infliger des sanctions financières aux entreprises qui n’ont pas mis en place un CHSCT est-il approprié ? Les incitations fiscales sont préférables.

La proposition n° 5 tend à simplifier le document unique de prévention et d’évaluation des risques professionnels, qui constitue, aux yeux de certains employeurs, une « corvée ». Il faudra veiller à ce que le curriculum laboris n’en devienne pas une non plus, en modérant les ambitions et en avançant pas à pas. S’inspirer, pour une campagne de prévention ciblée et découpée en phases, de l’expérience conduite par Tony Blair est très intéressant. Bien des politiques publiques devraient en faire autant. Il faudra, sur le terrain, tenir compte de la taille des entreprises, le problème se concentrant dans les plus petites d’entre elles.

En conclusion, ce rapport – le premier consacré à la pénibilité – est didactique, complet, équilibré entre les différentes positions exprimées, concret dans ses propositions. Enfin, il est constructif car il entend ne pas opposer les acteurs économiques et sociaux les uns aux autres, et inviter les partenaires sociaux à poursuivre leur négociation, en plein accord avec la volonté de moderniser le dialogue social dans notre pays. Puisse ce rapport contribuer à lui permettre d’aboutir.

M. Alain Néri a souligné combien la notion de pénibilité est évolutive. Maintenant, la pénibilité n’est plus seulement physique et les auditions ont permis d’en prendre conscience. La pénibilité a des conséquences directes sur l’espérance de vie.

Au titre des avancées sociales antérieures à la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites, le Président Pierre Méhaignerie devrait reconnaître que dans certains métiers pénibles, ceux des mineurs ou des conducteurs de train par exemple, on partait plus tôt à la retraite. En 1982, l’âge de la retraite est passé à soixante ans, sous un gouvernement de gauche. En revanche, c’est le gouvernement de M. Edouard Balladur qui a décidé d’allonger la durée de cotisation et de calculer la retraite sur les vingt-cinq meilleures années. Mme Elisabeth Guigou avait proposé une allocation équivalent retraite pour permettre à ceux qui avaient fait une carrière longue de partir, ce qui revenait à prendre en compte la pénibilité de leur travail et leur moindre espérance de vie.

Au-delà des divergences, la vie est le bien le plus précieux. Dès lors, la justice voudrait que l’espérance de vie soit effectivement prise en compte. Or ceux qui exercent les métiers les plus pénibles sont souvent ceux qui ont les carrières les plus longues. Il faudra bien, un jour ou l’autre, s’en préoccuper. La pénibilité physique n’est pas la seule en cause, il faut penser au stress, aux produits toxiques. Aujourd'hui, un premier pas a été fait mais il faudra aller plus loin, notamment en se penchant sur les conséquences de la pénibilité non plus seulement sur l’espérance de vie mais aussi sur les maladies professionnelles.

Le rapport aurait dû faire preuve de davantage de persuasion pour mettre en œuvre la compensation. D’ailleurs, la conclusion de la dernière version envisage le départ anticipé à la retraite, en contradiction avec le corps du rapport.

M. Jacques Domergue a estimé qu’il fallait d’abord se demander à quoi allait servir le rapport. Selon sa finalité, les critères retenus pour définir la pénibilité ne seront pas les mêmes. Le rapporteur tend à confondre pénibilité et dangerosité. Or les deux notions ne sont pas identiques. Par ailleurs, il est souvent fait référence à l’état de santé de la personne considérée, qui influence sa perception de la pénibilité d’un travail. Il faudrait s’appuyer sur les critères les plus objectifs possible pour définir la pénibilité qui relève souvent d’une appréciation subjective. Tous les Français ne trouvent-ils pas leur métier pénible ? L’espérance de vie peut être un élément objectif, par exemple pour déterminer la durée de cotisation. Mais on n’a pas aujourd'hui les moyens d’évaluer la situation de chaque travailleur. Après tout, le métier de Premier ministre en période de cohabitation est sûrement un métier pénible !

Enfin, il manque une proposition pour « positiver » la notion de métier et de travail, d’autant que la majorité a à cœur de revaloriser le travail. Le travail est aussi un bienfait, y compris sur le plan psychologique.

Le Président Pierre Méhaignerie a rappelé qu’en 2003 la prise en compte des carrières longues a fait faire un bond en avant fantastique qu’ont pu mesurer les quelque 400 000 bénéficiaires. Il s’agit d’une reconnaissance de fait de la pénibilité du travail car ceux qui ont commencé à travailler à quatorze ou quinze ans ont en général un métier manuel, donc difficile. C’était la meilleure mesure possible tant qu’on ne pouvait pas définir la pénibilité de tel ou tel secteur.

M. Jacques Domergue a répondu que la durée de cotisation est un critère objectif, même s’il faut reconnaître qu’il y a souvent un lien entre carrière longue et travail pénible. Il ne faut pas négliger l’intérêt du travail, qu’il est difficile de mesurer.

Mme Catherine Génisson a souligné l’intérêt des propositions de Jacques Domergue. Par ailleurs, personne ne conteste la mesure en faveur des carrières longues, que la gauche aurait aimé prendre.

Un parallèle systématique, mais contestable, est fait dans le rapport entre durée de la carrière et pénibilité. Existe-t-il des études sur l’espérance de vie en fonction des métiers exercés ? Selon ce critère, les médecins ne sont pas bien classés.

Le rapporteur a précisé que chaque profession dresse ses propres statistiques mais, à sa connaissance, l’INSEE n’a pas établi de comparatif global par métiers. Cela étant, on peut être d’accord sur le principe.

Le Président Pierre Méhaignerie a relevé que l’espérance de vie à trente-cinq ans des actifs est supérieure à celle des inactifs, même en bonne santé, et suggéré, pour favoriser les bonnes pratiques, de s’inspirer des expériences qui ont fait leurs preuves dans les pays de l’Union européenne.

M. Jean Mallot a souligné que, parmi la catégorie des inactifs des tableaux statistiques reproduits dans le rapport, se trouvent des personnes en mauvaise santé et qui, pour cette raison précisément, ne peuvent pas travailler, ce qui explique l’écart d’espérance de vie au sein de cette catégorie. Par ailleurs, les recommandations sont bien conditionnées par la volonté, confirmée par le rapporteur lui-même, de limiter à 6 milliards d’euros, à répartir entre les entreprises et les comptes publics, le coût global maximal du dispositif.

Le rapporteur a dit son désaccord avec l’idée selon laquelle la justice sociale consisterait à assurer à chaque retraité la même durée de vie en bonne santé, ce qui serait d’ailleurs irréalisable en pratique. Ce serait confier à la puissance publique une responsabilité excessive. S’il faut réduire les écarts d’espérance de vie à la retraite en améliorant les conditions de travail, le nivellement mécanique par le biais du départ à la retraite ne relève pas de la justice sociale. Sur ce point, le désaccord avec l’opposition est très net.

Par ailleurs, il n’y a pas confusion entre pénibilité et maladie professionnelle : celle-ci est définie selon des critères différents de ceux employés pour analyser la pénibilité au travail.

Le curriculum laboris, même s’il n’est pas parfait, est un moyen de tendre à l’objectivité réclamée par M. Jacques Domergue, et la proposition n° 9 consiste bien à fixer un calendrier de mise en place. Le plus tôt sera le mieux.

Les critères de pénibilité sont classés selon qu’ils auront été jugés pertinents, ou non. Ainsi la pénibilité psychique est très difficile à mesurer objectivement.

S’agissant de la finalité du rapport, il a été souligné à juste titre que le contexte est délicat. Il ne fallait pas aller trop loin dans les propositions, la discussion entre les partenaires sociaux n’étant pas achevée. L’esprit de la loi du 31 janvier 2007 doit être respecté et le législateur n’a pas à apprécier la pénibilité de chacun des métiers, ni à déterminer les modalités d’accès à la compensation. En tout état de cause, la retraite anticipée n’est pas une bonne solution, même s’il est probable qu’il faudra prendre acte des demandes en ce sens.

M. Jean Mallot a indiqué que, même s’il a voté contre son adoption, le groupe SRC est favorable à la publication du rapport, sa contribution devant y être intégrée.

La commission a autorisé, en application de l’article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.

1 () Le terme de travailleur renvoie à la notion européenne définie notamment par la directive 89/391/CEE du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail : il s’agit de « toute personne employée par un employeur ainsi que les stagiaires et apprentis, à l’exclusion des domestiques », l’employeur étant « toute personne physique ou morale qui est titulaire de la relation de travail avec le travailleur et qui a la responsabilité de l’entreprise et/ou de l’établissement ».

2 () Premières Synthèses Informations n° 01.2 de janvier 2007.

3 () Premières Synthèses Informations n° 19.2 de mai 2004.

4 () « Lorsque cette indemnisation vise à permettre à certains salariés de bénéficier d'un avantage de préretraite, elle doit, pour ouvrir droit au bénéfice de ces dispositions, être mise en oeuvre dans le respect de conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, liées à l'âge et aux caractéristiques, notamment à la pénibilité, de l'activité des bénéficiaires. »

5 () « L'emploi du mineur ne peut être autorisé que pour des travaux qui n'entraînent, eu égard à l'âge de l'intéressé, aucune fatigue anormale, tant à raison de la nature des tâches à accomplir qu’à raison des conditions dans lesquelles elles doivent être accomplies.

« Il est notamment interdit d’employer l'intéressé à des travaux répétitifs ou accomplis dans une ambiance ou à un rythme leur conférant une pénibilité caractérisée. »

6 () « Le chef d'établissement doit tenir compte de la pénibilité de chaque tâche pour déterminer, après avis du médecin du travail, du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, des délégués du personnel :

« 1° La durée maximale du temps de travail avec port ininterrompu d'un équipement de protection respiratoire individuelle ;

« 2° Le temps nécessaire aux opérations d'habillage, de déshabillage et de décontamination des travailleurs, dans les conditions prévues à l'article L. 212-4 ;

« 3° Le temps consacré aux pauses après le port ininterrompu d'un équipement de protection respiratoire individuelle, sans préjudice des dispositions de l'article L. 220-2. »

7 () « Le rapport annuel prévu à l’article L. 2323-57 comporte des indicateurs permettant d'analyser la situation comparée des femmes et des hommes dans l'entreprise et son évolution. Ce rapport comporte également des indicateurs permettant d'analyser les conditions dans lesquelles s'articulent l'activité professionnelle et l'exercice de la responsabilité familiale des salariés.

« Ces indicateurs comprennent des données chiffrées permettant de mesurer les écarts. Ils contiennent également des données explicatives sur les évolutions constatées ou à prévoir.

« Ces indicateurs sont les suivants :

« I. - Indicateurs sur la situation comparée des femmes et des hommes dans l'entreprise

[…]

« 4° Conditions de travail :

« Données générales par sexe :

« Répartition par poste de travail selon :

« – L’exposition à des risques professionnels ;

« – La pénibilité, dont le caractère répétitif des tâches. »

8 () « Art. L. 4121-1.- L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

« Ces mesures comprennent :

« 1° Des actions de prévention des risques professionnels ;

« 2° Des actions d'information et de formation ;

« 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

« L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et « tendre à l'amélioration des situations existantes. »

« Art. L. 4121-2..- Le chef d'établissement met en oeuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

« 1° Eviter les risques ;

« 2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

« 3° Combattre les risques à la source ;

« 4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé;

« 5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

« 6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

« 7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral, tel qu'il est défini à l'article L. 1152-1 ;

« 8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

« 9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs. »

9 () Ce décret a notamment introduit l’article R. 230-1 dans le code du travail, dont le premier alinéa a été recodifié sous l’article R. 4121-1 :

« Art. R. 4121-1. - L'employeur transcrit et met à jour dans un document unique les résultats de l'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle il procède en application de l'article L. 4121-3.

« Cette évaluation comporte un inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail de l'entreprise ou de l'établissement. »

10 () « Des décrets en Conseil d'Etat déterminent :

« 1° Les modalités de l'évaluation des risques et de la mise en oeuvre des actions de prévention pour la santé et la sécurité des travailleurs prévues aux articles L. 4121-3 à L. 4121-5 ;

« 2° Les mesures générales de santé et de sécurité ;

« 3° Les prescriptions particulières relatives soit à certaines professions, soit à certains modes de travail, soit à certains risques ;

« 4° Les conditions d'information des travailleurs sur les risques pour la santé et la sécurité et les mesures prises pour y remédier ;

« 5° Les conditions dans lesquelles les formations à la sécurité sont organisées et dispensées. »

11 () « Art. L. 4141-2. - L'employeur organise une formation pratique et appropriée à la sécurité au bénéfice :

« 1° Des travailleurs qu'il embauche ;

« 2° Des travailleurs qui changent de poste de travail ou de technique ;

« 3° Des salariés temporaires, à l'exception de ceux auxquels il est fait appel en vue de l'exécution de travaux urgents nécessités par des mesures de sécurité et déjà dotés de la qualification nécessaire à cette intervention ;

« 4° A la demande du médecin du travail, des travailleurs qui reprennent leur activité après un arrêt de travail d'une durée d'au moins vingt et un jours.

« Cette formation est répétée périodiquement dans des conditions déterminées par voie réglementaire ou par convention ou accord collectif de travail. »

« Art. L. 4141-3. – L'étendue de l'obligation d'information et de formation à la sécurité varie selon la taille de l'établissement, la nature de son activité, le caractère des risques qui y sont constatés et le type d'emploi des travailleurs. »

12 () L’article L. 132-12 du code du travail a été recodifié sous les articles L. 2241-1 à L. 2241-8, R. 2241-3, D. 2241-1 et D. 2241-2 dans le code du travail en vigueur à compter du 1er mai 2008 ; cet article définit le cadre légal de négociation des conventions collectives de branches et des accords professionnels et interprofessionnels.

13 () Le premier alinéa de l’amendement proposé par M. Xavier Bertrand était ainsi rédigé : «  Les branches professionnelles sont invitées à négocier sur les conditions de travail des salariés expérimentés, la prise en compte de la gestion prévisionnelle des emplois et le développement des compétences ainsi que sur les conditions particulières de cessation d'activité des salariés ayant accompli des travaux pénibles. »

14 () Le dernier alinéa de l’amendement proposé par M. Xavier Bertrand était ainsi rédigé : «  Un bilan de ces négociations sera établi chaque année par la Commission nationale de la négociation collective mentionnée à l’article L. 136-1 du code du travail. »

15 () Une erreur de décompte est souvent présente dans divers documents qui donnent un chiffre de dix-sept, voire dix-huit séances de négociation du fait de la comptabilisation de la séance du 19 juillet 2007 en tant que 11e séance après la 9e séance du 5 juin 2007 et de la prise en compte d’une réunion consacrée à la fixation du calendrier de négociation.

16 () Enquête auprès de 29 680 travailleurs dans 31 pays, questionnés en face à face à leur domicile à la fin de l’année 2005.

17 () L’ANACT définit ainsi les troubles musculo-squelettiques (TMS) : « les TMS résultent d’un déséquilibre entre les capacités fonctionnelles des personnes et les sollicitations qui apparaissent dans un contexte de travail notamment, sans possibilité de récupération suffisante. Et il apparaît que les travaux exigeant des gestes répétés sous forte contrainte de temps restent très répandus, voire se développent dans de nouveaux secteurs d’activité. Si le coût humain est important (souffrance, risques d’inaptitude professionnelle, atteinte à l’image de soi, dégradation de la vie privée), le coût économique est aussi élevé pour l’entreprise. »

18 () Premières Synthèses Informations n° 01.2 de janvier 2007.

19 () Premières Synthèses Informations n° 01.2 de janvier 2007.

20 () Enquête auprès de 29 680 travailleurs dans 31 pays, questionnés en face à face à leur domicile à la fin de l’année 2005.

21 () Chez les salariés qui subissent du stress de manière chronique, l’étude montre que la fréquence cardiaque et le tonus vagal sont plus faibles que chez les autres travailleurs, d’où le développement de maladies coronariennes. Pour les salariés de moins de 50 ans, le risque de souffrir de ces maladies serait 68 % plus élevé chez les personnes qui déclarent subir du stress au travail que chez celles qui ne font pas état d'un tel stress. Les personnes soumises à des stress chroniques ont plus que d’autres des taux matinaux anormalement élevés de cortisol ; leur appareil cardio-vasculaire n’a plus les mêmes capacités d’adaptation. Les chercheurs britanniques estiment que les facteurs comportementaux (tabagisme, alcoolisme, sédentarité) – qui peuvent être induits par le stress – ne joueraient que pour un tiers dans la genèse des manifestations pathologiques coronariennes et cardio-vasculaires.

22 () Cf. en annexe du rapport la note établie par le Père jacques Turck en vue de son audition.

23 () Enquête auprès de 29 680 travailleurs dans 31 pays, questionnés en face à face à leur domicile à la fin de l’année 2005.

24 () Enquête auprès de 29 680 travailleurs dans 31 pays, questionnés en face à face à leur domicile à la fin de l’année 2005.

25 () L’enquête SUMER de 2003 a englobé les agents d’EDF-GDF, des hôpitaux publics, de La Poste, de la SNCF et d’Air France.

26 () La Fédération française du bâtiment considère que l’effort physique étant consubstantiel des métiers du bâtiment, la notion de pénibilité, dévalorisante, n’est pas pertinente.

27 () Trois élus pour les entreprises jusqu’à 199 salariés, quatre pour celles employant 200 à 499 salariés, six pour les entreprises de 500 à 1 499 salariés et neuf pour celles ayant 1 500 salariés et plus.

28 () Source Unédic 2005. Par ailleurs, les entreprises employant moins de 50 salariés représentent 97 % du total des entreprises françaises.

29 () Chaque médecin du travail doit, en application de l’article 28 du décret n° 2004-760 du 28 juillet 2004, passer 150 demi-journées par an au sein de l'entreprise (contre une heure par mois pour 20 employés ou 15 ouvriers ou 10 salariés sous surveillance médicale avant la réforme), le nombre d'entreprises maximal pouvant être visitées par un médecin étant de 450 par an (contre 300 avant la réforme). Le nombre annuel d’examens médicaux pouvant être effectués par un médecin du travail travaillant à temps plein est plafonné à 3 200 et l’effectif de salariés placés sous sa surveillance médicale à 3 300 (contre 2 700 avant la réforme).

30 () Il faut battre en brèche l’exemple souvent cité de la prime de charbon des conducteurs de la SNCF qui a, en fait, été supprimée en 1974.

31 () Le congé de fin d’activité a été mis en place en 1997 et aménagé par l’article 74 de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites. Elle est réservée aux fonctionnaires nés de 1943 à 1946 totalisant au moins 15 ans de services et 40 années de cotisations ou retenues (ou 25 ans et 37,5 années pour ceux nés en 1943 ou 1944) : ils peuvent bénéficier d’une retraite progressive avec 75 % de leur traitement brut ou 70 % s’ils sont non titulaires et leur pension de retraite est liquidée lorsqu’ils atteignent l’âge de 60 ans, le calcul de la pension étant effectué selon les modalités en vigueur à la date d’accès au congé.

32 () La cessation progressive d’activité a été mise en place en 1982 et a été profondément réformée par l’article 73 de la loi du 21 août 2003. Elle est réservée aux fonctionnaires âgés d’au moins 57 ans totalisant au moins 25 ans de services et 33 années de cotisations ou retenues et qui sont soumis à une limite d’âge de 65 ans : ils peuvent sur leur demande et sous réserve de l’intérêt du service bénéficier d’un temps partiel dégressif (soit 80 % du temps de travail les deux premières années, puis 60 % au-delà, soit quotité fixe de 50 %). La rémunération est égale, pendant les deux premières années, à 6/7e du traitement et des primes et indemnités correspondant à l’emploi de temps plein puis à 70 % des mêmes éléments.

33 () Cf. rapport de M. Jean-Pierre Door sur les branches maladie et accidents du travail (n° 295 tome 2, projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008).

34 () La durée cotisée incorpore les périodes de service militaire dans la limite de quatre trimestres, les périodes de maladie ou de maternité dans la limite de quatre trimestres.

35 () La grande majorité des assurés bénéficiant d’une mesure de retraite anticipée pour carrière longue dans les régimes d’assurance vieillesse alignés sur le régime général (salariés agricoles, professions indépendantes) et dans le régime des exploitants agricoles sont polypensionnés (plus de 95 % des assurés disposent d’un report de compte sur le régime général). Les données du régime général sur les départs anticipés pour carrière longue reflètent correctement la situation d’ensemble des régimes. La moitié des attributions de pension de retraite anticipée pour carrière longue concerne des polypensionnés.


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