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N° 1324

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 décembre 2008.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 30 janvier 2008 (1),

sur « Iran et équilibre géopolitique au Moyen-Orient »

Président

M. Jean-Louis BIANCO

Rapporteur

M. Jean-Marc ROUBAUD

Députés

__________________________________________________________________

(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

La mission d’information « Iran et équilibre géopolitique au Moyen-Orient » est composée de : M. Jean-Louis Bianco, Président, M. Jean-Marc Roubaud, Rapporteur, Mmes Nicole Ameline, Martine Aurillac, MM. Philippe Cochet, Alain Cousin, Marc Dolez (jusqu’à son départ de la commission, le 13 novembre 2008), Tony Dreyfus, Jean-Michel Ferrand, Jean-Claude Guibal, Mme Elisabeth Guigou, MM. Jean-Paul Lecoq, Jean-Marc Nesme, Eric Raoult, Jean-Luc Reitzer.

INTRODUCTION 7

I – LES CERTITUDES : L’IRAN EST UNE PUISSANCE RÉGIONALE QUI SOUFFRE DE FAIBLESSES MAIS POURSUIT UN PROGRAMME NUCLÉAIRE À VISÉES MILITAIRES 11

A – L’IRAN : UNE PUISSANCE MOYEN-ORIENTALE 11

1) Un peuple fier de son histoire 11

2) Des voies d’influence nombreuses 14

a) L’Iran chiite tient un discours panislamique où dominent l’antisionisme et l’antiaméricanisme 14

b) La diaspora assure des relais aux intérêts iraniens 19

c) L’Iran soutient des groupes d’activistes 20

3) Un voisin inquiet mais craint 23

a) Israël, le « petit Satan » 24

b) Egypte et Arabie saoudite, des concurrents 26

c) Les Etats du Golfe, des voisins préoccupés 28

d) La Turquie, entre proximité et méfiance 30

e) Syrie, l’allié fidèle 30

B – DES FAIBLESSES STRUCTURELLES 31

1) Un régime soutenu mollement par une population qui a d’autres aspirations 32

a) Une population qui a beaucoup évolué depuis 1979 32

b) Un faible soutien au régime, sans velléité de renversement 34

2) Un Etat au fonctionnement opaque et complexe 36

a) Un système fondé sur une double légitimité 36

b) La conduite de la politique étrangère 38

3) Un gâchis économique 42

a) « Ni Est, ni Ouest » : un système économique hors modèle 42

b) Des résultats décevants 43

C – UN PROGRAMME NUCLÉAIRE DONT LES VISÉES MILITAIRES NE FONT PLUS DE DOUTE 46

1) Un programme ancien, qui a connu bien des vicissitudes avant d’être relancé 46

a) Les origines du programme nucléaire iranien 46

b) Les conséquences de la révolution de 1979 47

c) La découverte récente d’éléments clandestins 49

2) Des indices concordants sur le caractère militaire du programme 52

a) Le caractère dual de l’enrichissement 52

b) Des programmes annexes inquiétants 53

c) Le développement d’un programme balistique 55

3) Des justifications peu crédibles au programme actuel 56

a) Un programme d’enrichissement sans finalité immédiate 56

b) Le discours des autorités concernant les autres sujets d’interrogation 58

II – LA QUESTION : COMMENT EN EST-ON ARRIVÉ AU BLOCAGE ACTUEL ? 61

A – POURQUOI LES NÉGOCIATIONS ONT-ELLES ÉCHOUÉ JUSQU’ICI ? 61

1) Malgré la participation de tous les membres permanents du Conseil de sécurité… 61

a) L’Europe, acteur du début des négociations 62

b) L’entrée en jeu des autres membres du Conseil de sécurité 64

2) …et des concessions toujours plus nombreuses offertes aux Iraniens… 64

a) L’évolution favorable des offres faites aux Iraniens 64

b) Des refus systématiques, malgré d’apparentes ouvertures 65

3) …la suspension, même temporaire, de l’enrichissement n’a pu être obtenue. 66

B – LES SANCTIONS INTERNATIONALES ONT-ELLES L’EFFET RECHERCHÉ ? 67

1) Des sanctions multilatérales et unilatérales, formelles et informelles 67

a) Les sanctions imposées par les Nations unies 67

b) Les mesures complémentaires prises dans d’autres cadres multilatéraux, au premier rang desquels l’Union européenne 69

c) Les sanctions américaines 70

2) Un impact sur l’économie iranienne difficile à mesurer 71

a) Des sanctions en partie contournées 71

b) Des sanctions qui accentuent les fragilités de l’économie iranienne 74

3) Des sanctions qui n’ont pas modifié le comportement du régime 76

C – QUELLES SONT LES MOTIVATIONS DE L’IRAN ? 78

1) Les arguments à usage interne 78

2) Devenir un Etat du seuil ou disposer d’une véritable bombe ? 79

a) Construire la bombe, un objectif à la portée de l’Iran 79

b) Les possibilités offertes par le contournement du traité de non-prolifération 81

3) Une bombe pour quoi faire ? 81

a) Une utilisation offensive peu probable, une vocation défensive discutable 82

b) L’arme nucléaire, soutien d’une politique de puissance 83

III – L’OBJECTIF : OBTENIR DE L’IRAN QU’IL JOUE UN RÔLE STABILISATEUR DANS LA RÉGION 85

A – LE CONTEXTE POLITIQUE PEUT-IL ÉVOLUER POSITIVEMENT AU COURS DES PROCHAINS MOIS ? 85

1) Dans quelle mesure le président élu va-t-il faire bouger les positions américaines ? 85

a) Les critiques adressées à la politique menée par le président Bush envers l’Iran 86

b) Ce que peut faire le nouveau président élu 90

2) Que peut-on attendre des prochaines élections à la Knesset ? 93

3) Faut-il placer beaucoup d’espoirs dans l’élection présidentielle iranienne à venir ? 94

a) Le président sortant peut-il ne pas être réélu ? 94

b) Un autre président conduirait-il une politique étrangère différente ? 96

B – QUEL RÔLE L’IRAN PEUT-IL JOUER DANS LA RÉGION ? 99

1) En Irak : un jeu trouble dans un pays qui pourrait pourtant devenir un ami de l’Iran 99

a) Des relations en apparence amicales avec l’Irak 100

b) De fortes suspicions d’un double jeu iranien 101

c) Des intérêts communs avec les Etats-Unis 103

2) Au Liban : une influence considérable, parfois constructive 104

a) Une présence iranienne de plus en plus visible auprès de la population chiite 104

b) Une influence auprès du Hezbollah qui peut favoriser la modération 105

3) En Afghanistan : une volonté affichée de contribuer à la paix pour se préserver des conséquences du chaos 106

4) Dans les Territoires palestiniens : un activisme fondé sur des objectifs idéologiques, qui dessert ceux qu’il prétend aider 108

a) La défense d’une solution inacceptable 109

b) Un rôle très contre-productif, qui nuit aux intérêts palestiniens 109

C – QUELLES SONT LES ISSUES POSSIBLES ? 112

1) Accepter un Iran doté de l’arme nucléaire : un pari extrêmement risqué 112

2) Mener des frappes militaires préventives : une voie aux conséquences incalculables 114

a) Une déstabilisation assurée de la région et du monde 114

b) Des ambitions nucléaires iraniennes qui ne manqueraient pas de renaître 115

c) Des frappes éventuelles très délicates à mener 116

3) Durcir nettement les sanctions : une solution difficile à mettre en œuvre, aux effets incertains 118

4) Négocier un accord global : un travail délicat mais le seul moyen de préserver l’équilibre régional 120

a) Ouvrir un véritable dialogue en levant toute condition préalable 120

b) Envisager toutes les possibilités de règlement du « volet nucléaire » 121

c) Elargir l’offre internationale pour assurer une plus grande stabilité régionale 123

CONCLUSION 127

EXAMEN EN COMMISSION 129

ANNEXES 135

1. Liste des personnes rencontrées par la Mission 137

2. Chronologie de la crise du nucléaire iranien (2002-2008) 143

3. Les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies sur le nucléaire iranien 147

Mesdames, Messieurs,

Après avoir été, pour les Occidentaux, le pays des poètes et des roses, une destination rêvée pour tout amateur d’art, l’Iran est brutalement devenu, en 1979, le régime des mollahs, aussi étrange qu’inquiétant, menaçant la stabilité du monde par sa volonté de propager la révolution islamique hors de ses frontières. Le dialogue des civilisations, prôné par le président réformateur Khatami à la fin des années 1990, a suscité l’espoir d’une ouverture, vite effacé par la révélation, en 2002, de programmes clandestins d’enrichissement et de retraitement de l’uranium.

Depuis lors, le pays est redevenu l’une des principales préoccupations de la communauté internationale, qu’elle s’inquiète de la découverte de nouveaux indices renforçant l’hypothèse d’un programme nucléaire à finalités militaires, ou du soutien qu’il accorde à des groupes de dangereux activistes.

L’Iran est situé au cœur du Moyen-Orient, entre les mondes turc, indien et arabe. Avec ses 1 648 000 kilomètres carrés, il compte quinze voisins si l’on tient compte des pays qui sont séparés de lui par la Mer caspienne ou par le Golfe persique. Toute son histoire a été marquée par ses interactions économiques et culturelles avec ses voisins, même si c’est l’image de l’empire perse qui l’emporte.

Sa situation géographique, sa population nombreuse, son immense richesse en hydrocarbures donnent à l’Iran un poids considérable dans la région. A ces données objectives, s’ajoutent son influence culturelle et la particularité que lui confère l’idéologie de son régime politique. Car ce qui préoccupe l’Occident a une véritable force d’attraction sur les populations du Proche et du Moyen-Orient.

En créant, en février 2008, une mission d’information sur « Iran et équilibre géopolitique au Moyen-Orient », et pas sur le seul dossier nucléaire iranien, la commission des affaires étrangères a fait le choix de centrer ses travaux sur l’Iran, mais de ne les limiter ni à ce dossier, ni à ses frontières.

La question du nucléaire iranien a naturellement occupé une place importante dans son étude, mais les ambitions iraniennes ne s’expriment pas, loin s’en faut, exclusivement dans ce domaine. La Mission s’est aussi intéressée à l’influence que l’Iran a sur les pays de la région à travers d’autres vecteurs. Sans tomber dans la caricature, elle s’est efforcée de saisir dans quelle mesure l’Iran contribue à l’équilibre régional ou attise les tensions, s’il est possible de négocier des accords avec lui ou s’il cherche uniquement à gagner du temps.

Elle a commencé ses travaux en mars 2008 et a effectué une vingtaine d’auditions à Paris. Elle a reçu les responsables des différentes administrations concernées par ce dossier, de nombreux chercheurs spécialistes de tous les aspects de la problématique (de la situation sociale et politique iranienne, de la dimension religieuse, de la politique étrangère de l’Iran, de ses relations avec certains de ses voisins, du dossier nucléaire), des diplomates étrangers…

Elle a aussi effectué plusieurs déplacements : aux Emirats arabes unis et à Bahreïn, en Israël et dans les Territoires palestiniens, en Syrie, et, naturellement, en Iran. Votre Président et votre Rapporteur, ainsi que les membres de la Mission qui ont participé à ces voyages, tiennent à remercier vivement les ambassadeurs de France en poste dans ces différents pays, ainsi que leurs collaborateurs, pour leur accueil et l’organisation des entretiens. Ils expriment aussi leur reconnaissance aux nombreuses personnalités qui ont accepté de les rencontrer (1).

A propos d’un voyage au Liban effectué dans les années 1940, le général de Gaulle écrivait, dans ses Mémoires de guerre, « Vers l’Orient compliqué, je volais avec des idées simples. Je savais qu’au milieu de facteurs enchevêtrés une partie essentielle s’y jouait. Il fallait donc en être ».

La Mission s’est efforcée de dépasser les idées simplistes pour mieux cerner le jeu de l’Iran dans la région, comprendre ses préoccupations et ses objectifs et esquisser une voie à suivre pour sortir de l’impasse dans lequel la question nucléaire a conduit l’Iran et la communauté internationale.

A l’issue de dix mois de travail, elle a acquis quelques certitudes, et notamment la conviction que le programme nucléaire iranien poursuit des objectifs militaires. La Mission tente d’apporter des éléments de réponse à des questions qui restent en partie ouvertes, et retient un objectif : celui de parvenir, par un dialogue large et sans condition, à obtenir de l’Iran qu’il utilise désormais ses atouts et son influence dans la région au service de la stabilité.


I – LES CERTITUDES : L’IRAN EST UNE PUISSANCE RÉGIONALE QUI SOUFFRE DE FAIBLESSES MAIS POURSUIT UN PROGRAMME NUCLÉAIRE À VISÉES MILITAIRES

L’Iran n’est pas la seule République islamique : la Mauritanie, l’Afghanistan et le Pakistan appartiennent aussi à cette catégorie. Mais l’Iran est la première ; lorsque l’on évoque la révolution islamique, c’est de celle qui s’est déroulée sur son sol que l’on parle.

Cette particularité, et les conditions dans lesquelles la révolution a été menée, ont largement contribué à isoler le pays sur la scène internationale, mais elles lui ont aussi apporté une véritable indépendance vis-à-vis du reste du monde et de l’Occident, qui le distingue de la plupart des Etats du Proche et du Moyen-Orient et lui donne une aura auprès de nombreux peuples.

L’Iran est incontestablement une puissance régionale, mais il souffre de plusieurs maux, eux-mêmes liés aux conséquences de la révolution islamique. Ils ne l’ont pourtant pas empêché de développer un programme nucléaire dont le caractère militaire ne fait aucun doute pour la Mission.

A – L’Iran : une puissance moyen-orientale

Avec ses 70 millions d’habitants qui éprouvent, malgré leur diversité ethnique, un fort sentiment d’appartenance nationale, ses ressources naturelles exceptionnelles et sa stabilité politique depuis 1979, l’Iran occupe une place éminente au Proche et au Moyen-Orient, où il aspire à exercer un véritable leadership. Il dispose d’efficaces relais d’influence, ce qui suscite les craintes de la plupart des Etats de la région.

1) Un peuple fier de son histoire

« Dans l’imaginaire iranien, domine la très grande fierté d’appartenir à l’un des plus anciens Etats du monde, à une nation dont l’histoire a traversé les millénaires, à une culture qui a souvent subi les assauts d’invasions souvent dévastatrices, mais qui a toujours réussi à assimiler l’intrus, à reprendre en main sa destinée » (2) : c’est en ces termes que M. Bernard Hourcade résume l’histoire, vieille de plus de 2 500 ans, de l’Iran.

Si, de l’Empire achéménide, fondé par Cyrus au VIème siècle avant Jésus-Christ, à la révolution islamique, cette histoire a traversé des périodes difficiles, elle a aussi connu des époques glorieuses : le long règne des Sassanides, du IIème siècle au milieu du VIIème siècle, est perçu comme la référence par excellence de l’identité iranienne dans la mesure où il a restauré les noms, les usages iraniens et la religion zoroastrienne après la période d’influence grecque, puis les empires parthe et arsacide. L’islam a d’abord été imposé aux Iraniens par la domination arabe, mais le monde musulman oriental est ensuite passé sous l’autorité de souverains perses, tandis que les identités islamique et iranienne devenaient rapidement indissociables. Néanmoins, il ne faut pas oublier que l’Iran n’est pas un pays arabe.

Même les invasions successives qui ont ravagé le pays du XIème au XIVème siècle ont chacune été suivies d’une période d’expansion des arts et de prospérité sous le règne de dynasties locales. C’est pendant les deux siècles de l’empire safavide que le chiisme est devenu religion officielle, que le pays a été unifié face à l’empire ottoman et que l’Etat moderne iranien a été fondé, autour d’Ispahan, première vraie capitale.

Après un XVIIIème siècle marqué par le retour aux divisions, à l’insécurité et au déclin culturel, le pays est contrôlé par la dynastie qadjar, qui parvient à le préserver de la colonisation. Coincée entre les empires russe, britannique et ottoman, la Perse reste longtemps à l’écart de la révolution industrielle et de celle des transports, avant que les grandes puissances n’obtiennent le monopole de certaines activités économiques, ce qui provoque une première réaction nationaliste en 1890, la « révolte des tabacs » (3), organisée à l’initiative des oulémas.

La révolution constitutionnelle de 1906 est conduite par des nationalistes iraniens, formés à l’étranger, qui admiraient les démocraties occidentales mais dénonçaient le pouvoir abusif des étrangers en Iran et l’incapacité de gouvernements corrompus. La première constitution iranienne est laïque, nationaliste et respectueuse de l’islam. Soutenus par les Britanniques et les Russes qui ont partagé la Perse en deux zones d’influence, les contre-révolutionnaires l’emportent finalement.

La découverte de pétrole en 1908 redouble l’intérêt de la Grande-Bretagne pour l’Iran, sur lequel elle établit une tutelle de fait à partir de 1919. Et c’est avec son soutien que le général Réza Khan arrive au pouvoir à la suite d’un coup d’Etat, en février 1921. D’abord Premier ministre, il se fait ensuite couronner empereur et impose par tous les moyens, y compris par la force, la modernisation du pays, aussi bien dans les domaines économique, judiciaire, militaire et administratif, que dans la société, les mœurs et les vêtements. Réza Chah Pahlavi est un despote nationaliste, opposé aux libéraux et au clergé. Il change le nom de la Perse en Iran en 1935, pour moderniser l’image du pays.

Malgré sa neutralité, l’Iran est, en 1941, envahi par les alliés, inquiets de la forte présence économique allemande, et l’empereur est déposé. Son fils Mohammad Réza lui succède, dans un contexte très difficile, alors qu’islamistes et communistes attisent la crise politique. C’est parce que l’indépendance nationale passe par le contrôle du pétrole que Mohammad Mossadegh, chef d’une majorité parlementaire associant nationalistes et démocrates, nationalise, le 15 mars 1951, l’Anglo iranian oil company, entraînant immédiatement le départ des employés britanniques et indiens et l’arrêt total de la production pétrolière. Le coup d’Etat militaire qui renverse le Premier ministre, le 19 août 1953, est organisé par les Etats-Unis et la CIA : le pétrole iranien est alors confié à un consortium de compagnies en majorité américaines, même si la nationalisation est formellement confirmée. Les communistes, les religieux et les libéraux sont victimes d’une répression féroce, conduite par la police politique, la fameuse Savak, créée en 1957.

Pour protéger le pays du communisme, les Etats-Unis poussent néanmoins le Chah à conduire une politique de réformes et de développement, qui passe notamment par la « révolution blanche », qui fait émerger une nouvelle classe moyenne de paysans tout en favorisant l’industrialisation du pays. Les inégalités perdurent et la liberté d’opinion n’existe pas, mais l’Iran s’ouvre au progrès. Cette renaissance, notamment consacrée par les fêtes de Persepolis, en 1972, sera de courte durée. L’explosion du prix du pétrole, en 1974, assure tout à coup à l’Iran des ressources financières considérables, qui permettent une expansion économique et culturelle sans précédent, mais que le souverain n’accompagne pas d’une modernisation politique.

Après avoir été le premier pays de la région à se doter d’une constitution moderne, puis celui où on découvrit du pétrole en grande quantité, l’Iran devient le premier théâtre d’une révolution islamique réussie, qui est l’un des événements majeurs de la fin du XXème siècle.

Sous l’impulsion des libéraux modernistes laïcs, la République mise en place en 1979 est rapidement contrôlée par le clergé chiite. Fondée sur l’islam, elle conduit à un isolement international de l’Iran, à son appauvrissement, mais assure aussi l’indépendance du pays et permet la transformation de la société et de la région.

Comme l’écrit Mme Fariba Adelkhah, « l’empire perse, l’invasion des Arabes et la rencontre avec l’islam, l’irruption des Mongols, les liens avec l’Asie, la modernisation autoritaire des Pahlavi, la République islamique, ont fait l’Iran, sans qu’aucun de ces moments puisse être érigé en clef de l’iranité » (4), mais les Iraniens retiennent naturellement de l’histoire de leur pays les épisodes les plus glorieux, et en éprouvent une fierté légitime.

M. Jean Félix-Paganon, alors directeur d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, a ainsi cité à la Mission, parmi les « nombreux atouts » de l’Iran, le fait que « malgré la diversité ethnique, les 70 millions d’habitants ont un fort sentiment d’appartenance à la Nation iranienne, à son histoire et sa culture » (5).

Cette fierté se traduit par un nationalisme très sensible dans la population iranienne en général, et au sein de l’élite politique en particulier. Les membres de la mission d’information qui se sont rendus en Iran ont pu constater combien leurs interlocuteurs défendaient avec vigueur et sans nuances leur pays, en dénonçant comme partiale et sans fondement la moindre observation critique, et soulignant l’imperfection des autres Etats.

L’Iran étant la première République islamique, la seule puissance chiite, l’unique Etat majoritairement perse dans une région où l’influence arabe est forte, il se sent isolé, ce qui ne fait que renforcer le sentiment national de sa population.

M. Denis Bauchard, conseiller à l’Institut français des relations internationales, a ainsi expliqué à la Mission : « L’Iran est conscient de son brillant passé, de sa force, notamment militaire, de son importance géostratégique et de sa vocation de puissance régionale. Malgré tous ces atouts, il ressent un sentiment d’encerclement, entouré comme il l’est par des pays arabes et des puissances nucléaires. La politique étrangère iranienne se veut principalement défensive. » (6)

Si la fierté nationale des Iraniens peut être comprise par les observateurs étrangers, ce sentiment d’encerclement, et donc de faiblesse, surprend, tant l’Iran apparaît comme un acteur de premier plan au Moyen-Orient : sous une forme ou une autre, son influence est sensible dans toute la région, ce qui n’est d’ailleurs pas sans inquiéter les pays concernés.

2) Des voies d’influence nombreuses

L’Iran exerce incontestablement une influence au-delà de ses frontières, qui est particulièrement marquée au Moyen-Orient. On peut distinguer trois vecteurs principaux : le discours religieux, ou idéologique, la présence humaine, grâce à la très industrieuse diaspora iranienne, et le soutien, notamment financier, à des groupes d’activistes.

a) L’Iran chiite tient un discours panislamique où dominent l’antisionisme et l’antiaméricanisme

L’Iran est le seul Etat dans lequel les Chiites détiennent le pouvoir depuis le début du XVIème siècle. Le régime issu de la révolution de 1979 est une République islamique, dont la constitution associe étroitement les principes démocratiques assurant la légitimité populaire et l’affirmation de la suprématie du pouvoir divin, qui passe par le rôle reconnu au clergé chiite à travers le Conseil des gardiens de la constitution et la prééminence du Guide (7), en vertu du principe du velayat-e faqih (le gouvernement du jurisconsulte). A ce double titre, l’Iran se sent investi d’une mission particulière auprès des populations chiites des autres Etats.

M. Olivier Roy, directeur de recherche au CNRS (8), a souligné l’importance de la dimension chiite dans la politique étrangère de l’Iran, laquelle est facilitée par le caractère transnational du clergé chiite, qui repose sur un système de cooptation « familiale » des grands ayatollahs, ces derniers acquérant une autonomie financière par rapport aux Etats grâce à l’impôt religieux. Si l’alliance irano-syrienne repose aussi sur des intérêts partagés et complémentaires, force est de constater que l’Iran a reconnu l’appartenance au chiisme des Alaouites, minorité religieuse qui détient le pouvoir en Syrie et que les Sunnites considèrent comme des hérétiques. Cette reconnaissance s’est accompagnée d’une « chiitisation » des Alaouites et d’un développement des séminaires chiites en Syrie.

M. Hosham Dawod, ingénieur de recherches au Laboratoire d’anthropologie des institutions et des organisations sociales, va encore plus loin : « on peut dire que l’Iran a toujours cherché soit à dominer et, à défaut, à diviser le chiisme dans toute la région. Tout comme, au Liban, il a créé le Hezbollah pour affaiblir Amal, l’Iran a voulu dominer le parti al-Daawa irakien chiite et, devant sa résistance, a réussi à le diviser en trois courants. » (9)

Dans ce contexte, les inquiétudes exprimées par plusieurs responsables de l’Etat de Bahreïn au cours du déplacement de votre Président et de votre Rapporteur dans ce pays ne sont pas surprenantes. Alors que les deux tiers de la population sont de confession chiite, le pouvoir y est détenu par les Sunnites tandis que les Chiites constituent la partie la plus déshéritée de la population. Le ministre de l’intérieur de Bahreïn estime que l’Iran utilise la présence de communautés chiites pour interférer dans la politique intérieure des pays voisins, alors qu’il faudrait que le peuple fasse passer son appartenance nationale avant sa confession chiite. Son collègue chargé des affaires étrangères dénonce l’argent dépensé par l’Iran à travers le monde pour développer les conversions au chiisme et exercer par ce biais un pouvoir sur l’ensemble du monde musulman.


Plusieurs autres interlocuteurs de la Mission ont néanmoins relativisé ce vecteur d’influence. M. Denis Bauchard a rappelé que ce sont l’Egypte et la Jordanie qui ont le plus insisté sur la menace que représenterait « l’arc chiite » et le risque d’une déstabilisation de la région (10), alors que ces deux pays sont en concurrence politique avec l’Iran. Même M. Nasser Ahmed Kamel, l’ambassadeur d’Egypte à Paris, a dénoncé « la prétendue opposition entre Sunnites et Chiites » et souligné la proximité, « par certains aspects », du chiisme et de l’islam sunnite tel qu’il est pratiqué dans son pays (11).

M. François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France en Iran, a confirmé qu’il n’était pas fondé de parler d’un « arc chiite » solidaire de l’Iran (12).

Dans le même sens, M. Jean Félix-Paganon a insisté sur le caractère pluriel du chiisme : « Les chiismes iranien et irakien sont très différents : le premier a été imposé par le haut afin de devenir un phénomène identitaire ; le second est populaire et religieux. L’un est un phénomène de pouvoir, l’autre une question de foi. Le gouvernement théocratique est absent de la tradition chiite irakienne. » (13) M. Hosham Dawod, spécialiste des relations irano-irakiennes, a également souligné les différences entre chiisme iranien et chiisme irakien (14). Pendant la longue guerre entre l’Iran et l’Irak, au cours des années 1980, la majorité irakienne de confession chiite n’a en effet pas témoigné de solidarité à l’égard de ses condisciples iraniens, l’appartenance nationale, renforcée par le clivage entre Arabes et Perses, l’emportant incontestablement sur la communauté de confession.

Tout en s’intéressant de près aux communautés chiites vivant dans les autres pays, le République islamique a développé un discours destiné à l’ensemble des musulmans, qui veut dépasser les autres clivages, religieux comme ethniques.

Le préambule de sa constitution affirme l’ambition universaliste de l’Iran pour « la victoire de tous les déshérités sur les puissants », pour « ouvrir la voie à une communauté mondiale unique » et « renforcer la lutte engagée pour la délivrance des peuples démunis et opprimés dans le monde entier ». Mais, dans les faits, la phase d’expansion de l’Iran révolutionnaire, vite close par le déclenchement de la guerre contre l’Irak, a été marquée par des investissements politiques, militaires et financiers concentrés sur les pays musulmans proches de l’Iran, et surtout sur le Liban, où a été enregistrée la principale victoire de cette expansion, la création du Hezbollah. C’est aussi au tout début de la République islamique que celle-ci a entrepris d’apporter son soutien aux groupes palestiniens les plus radicaux.

Cet appui aux Palestiniens est à la fois un signe de rupture avec la politique pro-israélienne du Chah, l’Iran et Israël partageant alors une hostilité commune au monde arabe, et un moyen de s’attirer les sympathies de la « rue musulmane », y compris dans les pays qui ont reconnu Israël. M. Denis Bauchard a souligné cette instrumentalisation de la cause palestinienne, utilisée par l’Iran pour asseoir son leadership régional et international.

L’Iran s’efforce ainsi de dépasser le clivage entre Sunnites et Chiites, qui avait constitué un frein considérable à sa volonté d’expansionnisme révolutionnaire, en se présentant comme le chef de file du monde musulman. Selon M. Olivier Roy, « les Iraniens veulent se positionner comme l’avant-garde du monde musulman, ce qui les conduit à ne pas insister sur leurs spécificités chiites » (15).

L’Iran a pris la tête d’un front du refus contre « l’impérialisme », particulièrement dirigé contre les Etats-Unis et Israël, position très populaire dans la population des pays arabes, mais aussi dans des pays qui contestent la politique étrangère américaine, comme le Venezuela, dont le président multiplie les visites en Iran. L’antiaméricanisme de la République islamique est né en même temps qu’elle, la prise de l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran par de prétendus étudiants et la séquestration des diplomates américains pendant 444 jours constituant son « acte fondateur ». Le nouveau régime est, en outre, d’autant plus opposé aux Etats-Unis que ceux-ci étaient proches du Chah.

L’opposition à Israël relève de la même logique : il est le « petit Satan » selon l’expression en usage dans le régime, quand les Etats-Unis sont le « grand Satan ». Exprimée dans les termes les plus durs par l’ayatollah Khomeiny, elle a ensuite été mise en sourdine. Le président Khatami avait essayé de rétablir des relations apaisées avec les Etats-Unis et il avait admis, en octobre 2002, que l’Iran pourrait accepter tout accord de paix entre Palestiniens et Israël. Le président Ahmadinejad reprend en revanche les termes agressifs des débuts de la République islamique et calque son discours sur celui de l’ayatollah Khomeiny. L’organisation d’un colloque négationniste en décembre 2006 est une autre illustration de cette hostilité.

M. Jean Félix-Paganon insiste sur l’utilisation de ces partis pris idéologiques à usage externe : « Aujourd’hui, la particularité des ambitions iraniennes réside bien plutôt dans son discours, anti-occidental et anti-israélien, qui bénéficie de relais en Syrie, au Liban et à Gaza, sert de vecteur de rapprochement des autorités iraniennes vis-à-vis du reste de la communauté chiite, et attise les ressentiments anti-occidentaux que d’autres connaissent au sein du monde arabe. » (16)

Sur ces thèmes, les postures du régime iranien ne traduisent pas véritablement le sentiment de la population iranienne. Si la fierté nationale conduit celle-ci à combattre tout impérialisme qui menacerait l’indépendance du pays, elle n’est dans sa majorité foncièrement ni antiaméricaine, ni antisioniste, comme plusieurs bons connaisseurs de l’Iran entendus par la Mission l’ont souligné.

M. Olivier Roy présente ainsi la situation : « Les Iraniens dans leur majorité ne croient à aucune idéologie et ne sont pas antisionistes – ils seraient en fait plutôt antiarabes – ; ils sont fascinés par les Etats-Unis, où vivent plusieurs centaines de milliers de binationaux. Mais la population est très nationaliste : elle sera pro-occidentale si elle a le sentiment que cela ne nuit pas aux intérêts vitaux de l’Iran. » (17) M. Denis Bauchard fait la même analyse, remarquant que les Iraniens, qui portent sur les Arabes un jugement en général très négatif, ne se préoccupent guère du sort des Palestiniens.

La République islamique fait ainsi, en quelque sorte, feu de tout bois pour souligner la singularité de ses positions face à l’Occident afin d’entretenir vis-à-vis du reste du monde une image de défenseur des opprimés. Cette stratégie est loin d’être inefficace, comme le montre la remarquable popularité du président Ahmadinejad au sein du monde musulman.

b) La diaspora assure des relais aux intérêts iraniens

Environ deux millions d’Iraniens vivent à l’étranger. Si des « royalistes » ont quitté leur pays avant même la chute du Chah ou immédiatement après, beaucoup d’autres Iraniens ont pris, depuis, le chemin de l’étranger. M. Bernard Hourcade indique que ces vagues d’immigrés étaient composées « de jeunes hommes fuyant la guerre Irak-Iran, d’étudiants cherchant à étudier alors que les universités étaient fermées par la révolution culturelle, de militants politiques fuyant la répression des autorités libérales puis de gauche, de familles voulant échapper à l’hostilité latente sinon violente contre les minorités religieuses, de personnes fuyant l’effondrement des valeurs morales, de jeunes confrontés à l’immense ennui d’un pays où il était mal vu de rire et interdit de chanter » (18).

Si ces départs traduisent en fait un refus du régime en place depuis 1979, la présence d’une diaspora iranienne dynamique dans de nombreux pays constitue aujourd’hui un relais pour les intérêts nationaux. Les communautés iraniennes sont nombreuses aux Etats-Unis, en Allemagne, au Royaume-Uni, au Canada, en France, mais aussi en Israël, en Turquie, au Pakistan et en Inde.

Bien que les Iraniens de l’étranger comprennent mal les évolutions de leur pays d’origine auxquelles ils n’ont pas pris part, leur nationalisme demeure ; ils ont souvent renoué des liens avec l’Iran et y font volontiers des affaires. Malgré les différends idéologiques, le gouvernement et les grandes entreprises iraniennes établissent des contacts discrets avec les Iraniens expatriés, animent des lobbies dans les milieux les plus divers, surtout aux Etats-Unis où se sont créées plusieurs associations iraniennes influentes dans le monde des affaires.

L’Iran peut aussi compter sur le soutien de familles d’origine iranienne installées dans d’autres Etats du Golfe depuis plusieurs siècles. Des mouvements de population sont en effet intervenus entre les deux rives du Golfe : des Arabes se sont installés sur la côte sud de l’Iran aux XVIIème et XVIIIème siècles, contribuant au développement de la puissance maritime du pays. Leur retour vers la péninsule arabique, et en particulier vers Dubaï, à compter de la fin du XIXème siècle a ouvert la voie à des Perses chiites qui ont suivi le même chemin au cours du XXème siècle, et qui sont aujourd’hui émiriens.

Ainsi, à Dubaï, une grande partie de la population est d’origine iranienne tandis que 400 000 personnes de nationalité iranienne y sont installées. La proximité géographique a pour conséquence un flux continu d’échange de marchandises entre l’Iran et les Emirats arabes unis, qui s’accompagne de flux financiers sur lesquels votre Rapporteur reviendra. S’appuyant sur ces réseaux, de nombreux hommes d’affaires iraniens prennent pied aux Emirats pour s’assurer une solution de repli pour le cas où l’Iran se retrouverait économiquement isolé.

c) L’Iran soutient des groupes d’activistes

Depuis la révolution islamique, l’Iran apporte son soutien à des groupes d’activistes qui sont censés défendre, dans d’autres pays, les valeurs qui la fondent. Comme votre Rapporteur l’a mentionné supra, la création du Hezbollah a été le plus grand succès du jeune régime des mollahs, mais le soutien de l’Iran ne se limite pas à cette organisation.

C’est à la suite de l’invasion du sud du Liban par l’armée israélienne que l’Iran a envoyé 1 500 gardiens de la révolution dans la Bekaa, pour y former les premiers bataillons de combattants de la résistance islamique à Israël : ces combattants de différents groupes, venus du Liban-Sud ou de la banlieue de Beyrouth formeront le Hezbollah. Pendant les années 1980, les diplomates iraniens au Liban ont servi de relais pour propager les idées révolutionnaires et transmettre les directives de la République islamique, distribuer l’assistance sociale, fonder des institutions calquées sur les institutions iraniennes et apporter un soutien financier à des écoles ou des satellites du Hezbollah. Après les accords de Taëf de 1989, le Hezbollah a entamé un processus d’intégration dans la vie politique libanaise, qui l’a conduit à participer pour la première fois à un gouvernement en 2005. Parallèlement, malgré la formalisation de liens institutionnels entre le Hezbollah et le Guide de la révolution, l’Iran noue un dialogue avec l’ensemble des forces politiques libanaises sous la présidence de M. Mohammad Khatami. Les liens se resserrent en 2005, lorsque M. Mahmoud Ahmadinejad accède à la présidence iranienne, la direction du parti, le Guide de la révolution et le président iranien partageant à nouveau les mêmes affinités idéologiques (19).

L’étroitesse des liens idéologiques, financiers et militaires entre l’Iran et le Hezbollah a été soulignée par de nombreux interlocuteurs de la Mission. M. Gérard Araud, directeur général des affaires politiques et de sécurité, a rappelé que « l’Iran soutenait toujours le terrorisme et armait les combattants du Hezbollah, en violation de la résolution n° 1701 de l’ONU » (20). M. Bernard Squarcini, directeur central du renseignement intérieur, a confirmé la réalité et l’importance des relations qui unissent le Hezbollah à l’Iran, le soutien iranien au Hezbollah s’étant notamment manifesté lors du conflit armé ayant opposé cette organisation libanaise à Tsahal au cours de l’été 2006, et il a rappelé les actions terroristes perpétrées contre la France par le Hezbollah avec le soutien, voire sur instruction, de l’Iran, notamment l’attaque contre le camp Drakkar (au Liban, en 1983) et les attentats à Paris (1985-1986) (21).

M. François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique, a aussi souligné « l’étroitesse des liens entre l’Iran et le Hezbollah. Ce dernier est une création à la fois libanaise et iranienne, ce qui est unique pour une organisation terroriste ; le Hezbollah existe à la fois par et pour l’Etat iranien. » (22) Quant à M. Denis Bauchard, il a estimé que « au Liban, les liens avec le Hezbolllah se sont renforcés : un représentant du Guide participe aux travaux du comité directeur du mouvement et l’Iran a contribué à reconstituer son arsenal après la guerre de trente-trois jours. » (23)

Sans nier l’existence de ces liens, M. François Nicoullaud a néanmoins considéré que « [le Hezbollah] ne constitue pas un simple pion dans les mains des Iraniens : il prend ses propres décisions et dispose d’une véritable autonomie dont témoigne le respect des autorités iraniennes pour Hassan Nasrallah, son chef. » (24)

Si le Hezbollah n’est plus un simple exécutant des ordres émanant de Téhéran, il n’en relaie pas moins très efficacement les idées de la République islamique au Liban. L’Iran soutient par ailleurs d’autres groupes d’activistes au Proche et au Moyen-Orient même s’il n’exerce pas sur eux une influence aussi forte et directe que sur le Hezbollah. La Palestine, dont l’Iran se présente comme le premier défenseur, est aussi l’objet de toute son attention.

M. Nasser Ahmed Kamel analyse ainsi le soutient que l’Iran apporte au Hamas : « Les relations avec le Hamas font partie d’une stratégie régionale. En Iran, comme dans les pays arabes, la question palestinienne est devenue aussi un enjeu de politique intérieure, pour de bonnes raisons (de proximité religieuse et culturelle) et pour de mauvaises raisons, cette question étant volontiers instrumentalisée pour détourner l’opinion publique d’autres sujets. Le Hamas est un exemple de gouvernance musulmane radicale, qui ne peut qu’être perçu favorablement par le République islamique. Le soutenir, ainsi que le Hezbollah, c’est disposer de deux instruments précieux contre Israël, et acquérir ainsi un poids stratégique important. » (25)

Quant à M. François Nicoullaud, il a indiqué que : « Pour ce qui est du Hamas, il est certes soutenu par l’Iran, mais de manière surtout indirecte, notamment par l’intermédiaire du Hezbollah, et sans que ses liens avec l’Iran soient très serrés. » (26)

Au cours de leur déplacement dans les Territoires palestiniens, votre Président et votre Rapporteur ont rencontré des experts français qui leur ont fait part de leur analyse des liens entre l’Iran et les trois principaux groupes d’activistes présents dans les Territoires :

– les Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa, branche armée du Fatah, ne sont plus qu’un groupuscule mafieux combattu par l’Autorité palestinienne ; elles sont financées par le Hezbollah et l’Iran, mais n’en reçoivent pas de directives ;

– le Hamas a deux objectifs : la réalisation d’un projet de société suivant le modèle des Frères musulmans, qui est éloigné du régime des mollahs, et la création d’un Etat palestinien dans les frontières de 1967. Sur ces deux points, l’Iran n’est pas un allié objectif, mais il est un partenaire important pour ce qui concerne le financement. Le Hamas est en effet soutenu financièrement par les Etats sunnites du Golfe et par l’Iran. Il a aussi besoin des bases arrière pour l’entraînement que ce dernier, ainsi que la Syrie, lui offre. Il y a souvent des frictions entre le Hamas et l’Iran sur certains points d’action. L’Iran essaie de financer directement la branche militaire du Hamas à Gaza sans passer par sa branche politique, mais il ne fait pas ce qu’il veut du Hamas, dont le premier allié reste la Syrie. Aussi ses relations avec l’Iran sont très liées à celles de la Syrie avec l’Iran ;

– le Jihad islamique n’est pas un groupe structuré doté d’objectifs nationalistes clairs ; il défend en principe une idéologie islamiste sunnite, mais certains de ses membres optent pour le chiisme. Comme il n’a que le soutien de l’Iran, il se laisse instrumentaliser par celui-ci, qui lui fournit des armes et de l’argent. Il est composé de nombreuses cellules qui ont chacune des liens directs avec l’Iran. Mais, à l’occasion, il pourrait tout à fait décider de commettre un attentat à la demande d’Al-Qaïda.

Les armes provenant d’Iran – ou de Syrie – arrivent dans la Bande de Gaza par la mer, dans des colis portés par les courants marins, les vedettes israéliennes empêchant que des bateaux accostent, ou par des tunnels longs de 600 mètres à 2 kilomètres qui relient la Bande de Gaza à l’Egypte, où les gardes-frontières sont faciles à corrompre.

Le vice-ministre des affaires étrangères de l’Autorité palestinienne a souligné l’absence d’autonomie du Hamas par rapport à Téhéran, dont il attend des instructions, et estimé que cela constituait un « facteur qui interfère et qui fait obstacle à l’unité palestinienne ». Selon lui, l’Iran s’efforce, par le truchement du Hamas, de devenir une puissance régionale incontournable.

De manière plus discrète, l’Iran contribue aussi aux troubles qui agitent l’Afghanistan et l’Irak, votre Rapporteur y reviendra. Les gardiens de la révolution sont ainsi fortement suspectés d’apporter leur aide à divers groupes armés en Irak et aux talibans afghans, qui étaient pourtant, lorsqu’ils étaient au pouvoir, leurs pires ennemis.

3) Un voisin inquiet mais craint

En intervenant en Afghanistan puis en Irak, les Etats-Unis et leurs alliés ont renforcé le sentiment d’encerclement de l’Iran. Cette impression trouve son origine, selon M. Denis Bauchard, dans le fait que le pays est entouré de pays arabes et de puissances nucléaires (27). M. François Nicoullaud en fait une analyse différente : « le pays se sent en fait encerclé, par la Russie et sa zone d’influence d’une part, par la présence américaine en Afghanistan, en Irak et dans le Golfe, d’autre part ». Pour M. Hosham Dawod, c’est surtout le stationnement de forces américaines en grand nombre à l’est et à l’ouest du pays qui préoccupe les dirigeants iraniens (28).

Mais ces interventions militaires ont aussi libéré l’Iran de ses deux plus dangereux voisins : le régime de Saddam Hussein d’une part, les talibans d’autre part. Ils ont ainsi, même si ce n’était nullement leur objectif, renforcé la position régionale de l’Iran, et attisé les inquiétudes que les ambitions de celui-ci suscitent au Proche et au Moyen-Orient.

En effet, aucun des Etats de la région ne reste indifférent devant les capacités iraniennes d’influence : de l’Etat d’Israël, l’ennemi absolu, à la Syrie, fidèle allié, tous sont, à un degré ou à un autre, inquiets des ambitions de l’Iran. Sans revenir en détail sur les relations entre l’Iran et chacun des Etats de la région ni analyser ici la situation dans les zones où l’influence iranienne est la plus sensible, votre Rapporteur évoquera les craintes que les différentes auditions et les déplacements de la Mission ont permis de mettre en évidence.

a) Israël, le « petit Satan »

Renouant avec l’antisionisme virulent des premières années de la République islamique, le président Ahmadinejad, ainsi que de nombreux officiels iraniens, tiennent régulièrement des propos hostiles à l’égard de l’Etat d’Israël, dont ils sont toujours réticents à prononcer le nom, lui préférant l’expression « régime sioniste ». Par exemple, en juin 2007, le président iranien a évoqué « l’annihilation du régime israélien ». En février 2008, il a qualifié Israël de « sale microbe noir ».

C’est néanmoins la déclaration faite le 26 octobre 2005 par le président Ahmadinejad, élu en juin 2005, selon laquelle « Comme l’a dit l’imam [Khomeiny], Israël doit être rayé de la carte », qui a le plus retenu l’attention de la communauté internationale. Il faut souligner que cette déclaration est au coeur d’une controverse. Les Iraniens prétendent que la retranscription et/ou la traduction a été inexacte et que le président iranien n’aurait pas dit qu’Israël devait être « rayé [ou effacé] de la carte » mais que le « régime israélien allait disparaître de la page du temps ». Si l’on peut douter que tel fut le langage tenu en 2005, cela est plus conforme à ce qui est dit aujourd’hui, et qui reste en tout état de cause inacceptable : le discours iranien prend soin de dire que c’est par manque de légitimité que le régime israélien finira nécessairement par s’effondrer (comme l’Union soviétique ou l’apartheid sud-africain, selon les comparaisons iraniennes), victime de ce qu’ils considèrent comme la logique de l’Histoire.

Les propos du président Ahmadinejad ont récemment reçu une nouvelle interprétation, que M. Ali-Akbar Velayati, conseiller diplomatique du Guide suprême, a rappelée aux membres de la Mission qu’il a rencontrés à Téhéran : à l’occasion d’une entrevue avec un journaliste de CNN, le 23 septembre 2008, le président, alors à New York pour l’assemblée générale des Nations unies, a indiqué que lorsqu’il parlait de disparition, il s’agissait de la disparition du « crime » : « les meurtres et les assassinats doivent disparaître, la terreur doit disparaître, l’agression et l’occupation doivent disparaître ». M. Velayati a d’ailleurs affirmé ensuite que « la position officielle de la République islamique d’Iran était celle du Guide suprême, qui plaide pour un référendum en Palestine ».

Lorsqu’il a été entendu par la Mission en avril dernier, M. Ali Ahani, alors ambassadeur d’Iran en France, a défendu la première interprétation des propos du président, niant que celui-ci ait jamais proféré de menace contre l’Etat d’Israël. Il a en revanche soutenu que les autorités israéliennes avaient formulé de telles menaces contre l’Iran, prêtant même au président Pérès le souhait de « déraciner la nation iranienne » (29). Interrogé sur ce point par la Mission, le ministère des affaires étrangères et européennes a répondu qu’il n’avait pas connaissance de tels propos, auxquels l’ambassadeur se réfère aussi devant les diplomates français. Tout au plus, alors qu’il était vice-premier ministre, M. Pérès a-t-il déclaré en mai 2006, le jour où le président iranien a adressé une lettre à M. George Bush pour lui proposer de « nouvelles solutions » aux différends irano-américains – lettre sur le contenu laquelle votre Rapporteur reviendra –, que « le président de l’Iran devrait se souvenir que l’Iran peut aussi être rayé de la carte ».

L’ambassadeur a également soutenu devant la Mission que les autorités iraniennes ne niaient nullement l’holocauste, qu’il a reconnu comme un fait historique incontestable, mais qu’elles souhaitaient seulement qu’il fût un sujet d’étude comme un autre pour les historiens.

Indépendamment de ces polémiques ponctuelles – et de mauvaise foi –, l’hostilité des autorités iraniennes à l’égard d’Israël est patente, puisque la position officielle iranienne est qu’il n’y aura de paix au Proche-Orient qu’avec l’instauration d’un seul et unique Etat palestinien, et donc la disparition de l’Etat d’Israël. Beaucoup soulignent qu’elle relève essentiellement du discours antisioniste traditionnel du régime islamique destiné à la « rue arabe », mais elle n’en est pas pour autant acceptable. Elle occupe une place importante dans la préoccupation de la communauté internationale relative au programme nucléaire iranien : si un nouvel Etat possédant l’arme nucléaire constitue toujours une menace potentielle, un Etat ainsi doté ayant appelé à la destruction d’un autre est encore plus intolérable. Il ne faut pas s’étonner que, comme le souligne M. Gérard Araud, « pour les dirigeants israéliens, la perspective d’un Iran disposant de l’arme nucléaire est insupportable » (30).

Au cours de leur déplacement en Israël, votre Président et votre Rapporteur ont pu mesurer l’inquiétude des Israéliens, même si celle-ci n’était pas exprimée avec agressivité. Ils n’ont aucun doute sur la dimension militaire du programme nucléaire iranien et suivent de très près ce qui se passe en Iran, la moitié des moyens du Mossad, le service de renseignement extérieur, étant consacrée à ce pays. L’option diplomatique est toujours présentée comme devant être privilégiée, malgré un appel à plus de fermeté. Les Israéliens souhaitent un net renforcement des sanctions contre l’Iran et estiment indispensable de mettre en avant la possibilité de recourir à l’option militaire pour renforcer la pression contre le régime islamique, votre Rapporteur y reviendra.

Israël a donc des raisons spécifiques de craindre les ambitions régionales de l’Iran, qui, au-delà de la question nucléaire, gène plus qu’il ne favorise le règlement du conflit israélo-palestinien – en préconisant un référendum qui ne pourrait que conduire à la disparition d’Israël comme Etat juif – comme celui des différends israélo-syriens. Mais il est loin d’être le seul Etat de la région à éprouver de la méfiance vis-à-vis de la politique étrangère iranienne.

b) Egypte et Arabie saoudite, des concurrents

Si, contrairement à Israël, l’Egypte et l’Arabie saoudite ne craignent pas pour leur existence, elles sont aussi très préoccupées par les ambitions régionales de l’Iran, qui risquent de leur faire de l’ombre.

L’Egypte et l’Iran n’ont jamais complètement rétabli leurs relations diplomatiques rompues en 1979, malgré l’ouverture, en 1991, par chaque Etat d’une section d’intérêts dans la capitale de l’autre. Lors de son audition par la Mission (31), l’ambassadeur d’Egypte en France a rappelé que c’était la décision égyptienne d’accueillir sur son territoire le Chah d’Iran en exil au lendemain de la révolution qui avait déclenché la rupture, laquelle avait été approfondie par la joie exprimée par Téhéran à l’annonce de l’assassinat du président Sadate, dont le meurtrier a donné son nom à une rue. La question de la paix avec Israël et le soutien égyptien à l’Irak pendant la guerre contre l’Iran ont encore éloigné davantage les deux pays.

Les sources de tension ne sont pas seulement historiques. Depuis l’automne 2007, les contacts se multiplient entre Téhéran et Le Caire, selon les Egyptiens à la demande de l’Iran qui cherche ainsi à sortir de son isolement. Mais rompre cet isolement n’est pas dans l’intérêt immédiat de l’Egypte. L’influence croissante de l’Iran dans le mode arabe et dans l’environnement immédiat de l’Egypte effraie les autorités égyptiennes qui la considèrent comme une menace pour la sécurité de leur pays. L’ambassadeur d’Egypte a clairement dénoncé l’appui financier et politique que l’Iran apporte à ce qu’il appelle des « groupes extrêmes », au Liban comme dans les Territoires palestiniens. Les diplomates français en poste au Caire estiment que le soutien de l’Iran au Hamas irrite particulièrement l’Egypte et que la crise de Rafah en janvier dernier a accentué ce sentiment, les autorités égyptiennes ayant eu la lourde tâche de gérer l’ouverture, obtenue par la force, de sa frontière avec la Bande de Gaza.

M. Denis Bauchard (32) a aussi mentionné l’existence d’une rivalité à la fois politique et religieuse entre l’Iran et l’Egypte, cette dernière hébergeant l’université Al Azar (33).

Bien que la communauté chiite ne compte que quelques dizaines de milliers de membres en Egypte, les autorités la contrôlent étroitement par peur qu’elle ne devienne un relais d’influence iranienne. Les services de sécurité veillent aussi à ce que les Frères musulmans égyptiens et les Iraniens n’aient pas de contact. Les angoisses du régime sont naturellement accrues par le programme nucléaire iranien, car une bombe iranienne est susceptible de donner un avantage déterminant à l’Iran et de bouleverser les équilibres régionaux dans un sens défavorable aux intérêts des « Arabes modérés ».

Comme Mme Thérèse Delpech, directrice des affaires stratégiques au commissariat à l’énergie atomique, l’a souligné lors de son audition par la Mission (34), l’Egypte craint principalement qu’une bombe iranienne ne serve de moyen de coercition à des fins de domination régionale. Cette crainte est partagée par l’Arabie saoudite.

Même si, selon M. Olivier Roy, « les tensions au Proche et Moyen-Orient ont pour fondement le conflit entre Iran et Arabie saoudite pour le contrôle de la région, la seconde s’efforçant de se rallier l’Egypte pour faire bloc contre l’Iran, notamment en contribuant à l’extension du wahabisme en Egypte. » (35), les relations entre l’Iran et l’Arabie saoudite ne sont plus aussi tendues qu’elles l’étaient dans les années 1980, lorsque l’Iran contestait la légitimité de la maison des Saoud à garder les lieux saints musulmans, suscitait des troubles au cours du pèlerinage et tentait de mobiliser les 2 millions de Chiites saoudiens en sa faveur. En 1997, la normalisation des relations entre les deux pays a été rendue possible par la fin des ingérences iraniennes dans les affaires saoudiennes et la reconnaissance du rôle de gardien des lieux saints au service de la communauté islamique. Depuis quelque temps, les Iraniens sont particulièrement empressés auprès du roi Abdallah et soucieux de le ménager : M. Ali Ahani a ainsi évoqué de « récents gestes d’amitié » de l’Iran à son égard (36).

Mais les Saoudiens dénoncent la tentation des Iraniens de jouer les Chiites contre les Sunnites au Liban et en Irak et y voient un grand danger pour la communauté islamique. Aussi, à travers la Ligue islamique mondiale et l’Organisation de la conférence islamique, basées toutes les deux à Djeddah, s’efforcent-ils de veiller à ce que l’Iran reste marginalisé dans le monde musulman, tandis qu’ils utilisent leurs canaux d’influence habituels et leurs réseaux religieux bénéficiant d’un large soutien financier pour essayer de faire obstacle à l’extension des menées iraniennes dans la région.

Ils ont aussi la certitude que le programme nucléaire iranien a une finalité militaire et le considèrent comme une menace grave pour leur sécurité nationale. M. Denis Bauchard estime néanmoins que, en Arabie saoudite, « la crainte des effets dévastateurs d’une intervention américaine militaire contre l’Iran sur la stabilité de la région, même si elle était limitée, l’emporte nettement sur celle de la potentielle menace nucléaire iranienne » (37).

c) Les Etats du Golfe, des voisins préoccupés

La situation des petits Etats du Golfe est objectivement plus délicate que celle de l’Egypte et de l’Arabie saoudite.

La disproportion entre les forces en présence, l’importance des liens économiques avec l’Iran, la présence de communautés chiites ou d’origine iranienne conduisent les petits Etats du Golfe à se montrer conciliants. Officiellement, ils sont en faveur de l’apaisement et expriment la volonté d’entretenir des relations de bon voisinage avec leur puissant voisin, même si cela ne les empêche pas de contrer discrètement, et parfois efficacement, l’influence de l’Iran dans le monde arabe et islamique.

La polémique récurrente entretenue par l’Iran sur le caractère « persique », et non « arabo-persique », par exemple, du Golfe témoigne de son attachement à voir reconnaître son influence dans la région.

Pour des raisons différentes, les Emirats arabes unis et Bahreïn, deux pays où votre Président et votre Rapporteur se sont rendus, s’inquiètent particulièrement de la volonté de puissance de leur grand voisin iranien.

La relation entre les Emirats arabes unis et l’Iran est très ambivalente, comme la délégation de la mission d’information a pu le constater. Elle est d’abord marquée par le contentieux territorial relatif aux îles Tomb et Abou Moussa. Les deux îles Tomb sont occupées par l’armée iranienne depuis le 30 novembre 1971 – quelques jours seulement avant la création de la Fédération des Emirats arabes unis – tandis que l’île d’Abou Moussa a fait l’objet, la même année, d’un partage de souveraineté entre l’Iran et l’un des Emirats, obtenu, selon ce dernier, sous la contrainte, l’Iran menaçant d’envahir l’île. Ces îles ont notamment servi de base à diverses attaques iraniennes dans le Golfe entre 1986 et 1988, pendant la guerre Iran-Irak. Les Emirats appellent sans succès à une solution négociée, soit dans un cadre bilatéral, soit devant les Nations unies ou la Cour internationale de Justice.

La présence iranienne aux Emirats est réelle, du fait de la proximité géographique qui permet une desserte aérienne très dense, un « pont maritime » permanent et un accès aux médias audiovisuels et de presse écrite iraniens, et par l’ampleur de la communauté iranienne, qui représente la moitié du nombre total d’Emiriens. Les autorités exercent un contrôle étroit sur les activités de la communauté iranienne et s’efforcent de priver l’Iran de l’occasion d’instrumentaliser certaines causes, en s’engageant massivement dans des actions humanitaires et de déminage au Sud-Liban à l’été 2006 pour contrer l’influence du Hezbollah, par exemple.

Les Emiriens, comme les Bahreïniens, sont inquiets non seulement de la dimension militaire du programme nucléaire iranienne, mais aussi de son volet civil car ils craignent les conséquences qu’aurait une contamination des eaux du Golfe provoquée par un accident à la centrale de Bousher, sur leur approvisionnement en eau, environ 80 % de l’eau consommée aux Emirats provenant du dessalement de l’eau de mer. L’accès de l’Iran à la bombe nucléaire est jugé inéluctable et très dangereux, notamment à cause des risques d’escalade avec les Etats-Unis : en cas de frappes militaires contre l’Iran, les Etats-Unis ne manqueraient pas d’utiliser les facilités logistiques et techniques dont ils disposent aux Emirats, alors que, selon les autorités émiriennes, l’Iran les a menacés de représailles si cela se produisait.

Mais dans le même temps, l’importance des relations économiques bilatérales – les exportations émiriennes vers l’Iran, qui incluent tout le trafic effectué via Dubaï, ont atteint plus de 8 milliards de dollars en 2007 – conduit les Emirats à respecter de manière minimale les seules sanctions internationales imposées par les Nations unies, votre Rapporteur y reviendra.

La situation de Bahreïn est probablement encore plus inconfortable. Le petit Etat n’est, en principe, plus l’objet de revendications territoriales de la part de l’Iran (38), dont une partie importante de la population est originaire, mais 70 % des Bahreïniens sont chiites et toujours considérés par les dirigeants – la famille royale est sunnite – comme plus ou moins inféodés à l’Iran, ce dernier étant soupçonné de vouloir déstabiliser le pays. Il se contente d’exploiter, quand l’occasion s’en présente, la situation difficile des Chiites de Bahreïn, qui sont tenus en marge de l’essor économique national.

Bahreïn entretient des relations commerciales limitées avec l’Iran, mais négocie depuis quelque temps avec lui un accord de fourniture de gaz. La production locale de gaz diminue, alors que les besoins augmentent, en particulier pour les industries très consommatrices d’énergie installées à Bahreïn. Les autorités bahreïniennes ont expliqué à la délégation de la Mission qu’elles n’avaient d’autre choix que de se tourner vers le gaz iranien, le Qatar ayant décidé de ne plus accroître sa production de gaz pour des raisons techniques. Un memorandum d’accord a été signé, mais ne nombreuses questions sont encore en suspens, notamment sur la nature des investissements bahreïniens dans le secteur.

Cette situation pousse le pouvoir à une certaine prudence, même si le ministre des affaires étrangères a qualifié de « totalement inacceptable » la politique iranienne visant à dominer la région et d’« effrayante » la perspective d’un Iran devenu puissance nucléaire. La Vème flotte américaine étant basée à Manama, Bahreïn redoute par dessus tout, comme les Emirats arabes unis, une confrontation militaire avec l’Iran, qui « ferait plus de mal que de bien », et recommande au contraire une meilleure association de l’Iran à la prospérité de la région, son appauvrissement étant perçu comme une autre menace potentielle.

d) La Turquie, entre proximité et méfiance

La Turquie est le seul voisin de l’Iran à faire partie de l’Alliance atlantique, mais elle s’attache à entretenir des relations de bon voisinage avec lui. Les Turcs rappellent volontiers qu’ils vivent en paix avec les Iraniens depuis le XVIIème siècle.

M. Denis Bauchard a indiqué que ces relations étaient « à peu près normales, malgré les différences fortes entre une Turquie laïque (mais avec un gouvernement islamiste) et un Iran théocratique » et M. Jubin Goodarzi (39), le spécialiste des relations irano-syriennes entendu par la Mission, a souligné l’absence de différends bilatéraux majeurs entre les deux pays. Ils partagent en outre la crainte que ne se constitue un Kurdistan indépendant.

Les Iraniens peuvent se rendre en Turquie sans visa – ce qu’un million d’entre eux fait chaque année – et les relations commerciales entre les deux pays sont intenses. En particulier, 17 % du gaz naturel consommé par les Turcs, dont c’est la principale source d’énergie électrique, viennent d’Iran : Ankara souhaite donc développer ses relations avec Téhéran dans le secteur énergétique, malgré les protestations américaines, ces dernières ayant largement contribué à l’échec récent de la conclusion d’un accord de coopération dans ce domaine.

La Turquie s’efforce d’appliquer les sanctions décidées par le Conseil de sécurité, où elle siègera comme membre non permanent en 2009 et 2010, même si le contrôle de sa frontière avec l’Iran est loin d’être parfaitement fiable. Elle rejette l’éventualité d’une frappe militaire contre son voisin mais refuse la perspective d’un Iran disposant de l’arme nucléaire. Le président de la commission des affaires étrangères de la Grande Assemblée nationale de Turquie, que votre Président a récemment eu l’occasion de rencontrer, a même affirmé qu’aucun pays n’avait autant que la Turquie à redouter une arme nucléaire iranienne.

De même qu’ils servent d’intermédiaires pour les discussions entre la Syrie et Israël, les Turcs ont fait part de leur disponibilité pour jouer un rôle dans les négociations sur le dossier nucléaire.

e) Syrie, l’allié fidèle

Alors que l’Iran se sent isolé, dans le mode et au sein du Moyen-Orient, il peut compter depuis près de trente ans sur l’alliance, jusqu’ici sans faille, de la Syrie, le seul pays arabe à avoir soutenu l’Iran contre l’Irak de Saddam Hussein. M. Jubin Goodarzi a souligné le caractère « extraordinaire » de cette durée, « si l’on tient compte de la volatilité de la région et des changements politiques qu’elle a connus ».

Il l’explique par la nature surtout défensive de cette alliance, qui visait initialement « à neutraliser les capacités offensives irakiennes et israéliennes dans la région et à prévenir l’immixtion américaine au Moyen-Orient », et par la complémentarité des intérêts des deux Etats, dans la mesure où « pour l’Iran, la région du Golfe persique est la principale zone de préoccupation, alors que pour la Syrie c’est le théâtre arabo-israélien ». Il ajoute que, de manière apparemment paradoxale, « un facteur crucial du succès relatif et de la longévité de l’alliance est que les élites politiques de ces deux régimes autoritaires épousent des idéologies différentes », et ne sont donc pas en concurrence de ce point de vue.

Pour l’Iran, la Syrie est la clé d’entrée dans le monde arabe et le cordon ombilical par lequel il peut accéder au Hezbollah et lui apporter son soutien. L’activisme de l’ambassade d’Iran à Damas, en particulier dans le domaine culturel, est tel que les responsables religieux sunnites ont réclamé, et finalement obtenu, le rappel du précédent ambassadeur et de son conseiller culturel. Sunnites et Alaouites s’inquiètent en effet d’un mouvement de chiitisation de la Syrie, sous l’influence de l’Iran. Celui-ci mène une politique assez systématique de réhabilitation de monuments religieux chiites, ouvre des écoles et des instituts d’enseignement supérieur avec la complicité des autorités syriennes. L’influence iranienne se fait aussi sentir dans l’armée : beaucoup de jeunes officiers bénéficient de stages gratuits en Iran et Téhéran a vraisemblablement aidé à armer la Syrie, s’attirant ainsi la fidélité d’une armée qui est longtemps restée une laissée pour compte du régime baasiste.

La Syrie, dont les relations économiques avec l’Iran restent peu intenses malgré leur progression, n’applique pas les sanctions des Nations unies, mais les diplomates français estiment que la population syrienne, qui n’a que peu d’appétence pour l’Iran, considère le programme nucléaire iranien comme une menace pour leur pays, dans la mesure où cette dernière pourrait être une « victime collatérale » d’un conflit entre Américains et Iraniens.

Les interlocuteurs syriens de la délégation de la Mission ont voulu montrer que l’alliance avec l’Iran était avant tout égalitaire et non exclusive, et que l’influence iranienne était efficacement contrée par la méfiance de la population. Ils ont présenté leur pays comme ouvert à la conclusion d’alliances avec d’autres partenaires, certains d’entre eux mentionnant la Turquie. Un isolement accru de l’Iran permettrait en outre un rééquilibrage de la relation, aujourd’hui inégale, entre les deux pays. Si l’alliance syro-iranienne devrait donc perdurer, la Syrie n’a pas pour autant intérêt à ce que le tête-à-tête actuel demeure inchangé.

B – Des faiblesses structurelles

L’Iran est, dans les faits, une puissance régionale, même s’il considère que ce rôle n’est pas suffisamment reconnu par la communauté internationale en général, et par les Occidentaux en particulier.

Ses moyens d’influence, considérables, sont néanmoins limités par les faiblesses structurelles du pays. La révolution islamique et les valeurs qu’elle prétend défendre lui confèrent une aura certaine auprès d’une partie de la population de la région, mais elles ne suscitent plus l’adhésion massive des Iraniens et ont conduit à la mise en place d’un système étatique largement impotent. Elles ont aussi largement contribué à la sous-exploitation de l’immense potentiel économique du pays, le privant d’un véritablement développement.

1) Un régime soutenu mollement par une population qui a d’autres aspirations

Si le sentiment national est fort en Iran, la population ne présente pas une grande homogénéité. Il est vrai que 99 % des Iraniens sont musulmans, 89 % étant chiites ; outre les quelques milliers de juifs, de chrétiens et de zoroastriens, le pays compte aussi environ 350 000 bahaïs, dont la religion est interdite, et qui sont victimes de différentes formes de discriminations.

Seuls 51 % des Iraniens sont persans ; les Azéris représentent 24 % de la population, les Gilakis et les Mazandaranis (40) 8 %, les Kurdes 7 %, les Arabes 3 % ; vivent aussi en Iran 2 % de Baloutches, autant de Lours (41) et de Turkmènes et 1 % d’Arméniens.

a) Une population qui a beaucoup évolué depuis 1979

Le recensement de 1976 a chiffré à 33,7 millions d’habitants la population iranienne ; celle-ci a plus que doublé depuis, pour atteindre 70 millions d’habitants en 2006. La croissance annuelle a longtemps été très forte : autour de 3 % en 1966 et en 1976, elle était encore de 2,5 % en 1991. Elle nettement chuté depuis : de 1,5 % en 1996, elle est passée à 1,3 % en 2006.

Entre 1980 et 1985, la population croissait de 1,8 million de personnes par an, et encore de 1,1 million en 2001. Comme dans les autres pays de la région, jamais dans l’histoire moderne de l’Iran le poids démographique des jeunes n’a été aussi grand (60 % de moins de 25 ans en 1996), même s’il est en réduction rapide (58 % en 2001) en raison de la chute de la fécondité. En 2008, 22,3 % des Iraniens ont moins de 15 ans et 70 % moins de trente ans.

M. Bernard Hourcade voit dans la chute de la fécondité, qui est passée de 6,8 enfants par femme en 1986 à moins de 2 aujourd’hui, un indice essentiel du changement sociétal en cours en Iran (42). M. François Nicoullaud a rappelé que cette évolution avait été souhaitée par les religieux, qui ont facilité l’accès aux contraceptifs, ont fait assurer une information aux jeunes mariés et ont accéléré l’éducation des filles, le port du voile ayant ouvert l’université aux jeunes femmes issue des milieux traditionnels (43).

Un autre indice réside ainsi dans l’augmentation de la population étudiante. On comptait 100 000 étudiants en 1970, 250 000 en 1990 et 2 400 000 en 2005, dont 52 % de femmes. Cette évolution, bien plus rapide que la croissance de la population, est le résultat du développement des instituts d’enseignement supérieur dans les villes moyennes à travers tout le pays. 200 000 jeunes diplômés émigrent chaque année.

Si le taux de la population urbaine et celui de la population alphabétisée ont atteint 50 % en 1978-1979, ils s’établissent aujourd’hui respectivement à plus de 67 % et 85 %. M. François Nicoullaud a aussi signalé que le taux de divorce avait beaucoup augmenté et atteignait le quart des mariages à Téhéran.

Dès l’arrivée au pouvoir des autorités islamiques, a été proclamé le statut inférieur de la femme, tandis que les coutumes discriminatoires étaient à nouveau appliquées : la jurisprudence islamique s’impose ainsi pour les divorces, la garde des enfants, l’héritage et pour limiter la capacité juridique des femmes. A partir de 1982, le port du voile est obligatoire pour toutes les femmes, même non musulmanes. Des mesures du même ordre (à l’exception du port du voile pour les étrangères) sont en vigueur dans la plupart des autres pays musulmans, mais, lorsqu’elles ont été prises en Iran, la place de la femme dans la société avait commencé à changer rapidement depuis quelques années. Les manifestations contre le Chah avaient donné une première occasion de sortir seules aux femmes des familles les plus traditionnelles, l’ayatollah Khomeiny en ayant fait un devoir religieux ; pendant la guerre, elles étaient nombreuses à aller seules faire la queue pour se procurer les produits rationnés ; depuis, elles ont pris l’habitude d’aller au bazar sans être accompagnées.

M. Bernard Hourcade parle même de « tchador-passeport » (44) pour souligner l’effet paradoxal du voile sur ces femmes : conjugué à l’imposition de la ségrégation des sexes dans les écoles et les lieux publics, il a permis aux jeunes filles d’avoir une activité publique sans enfreindre la morale sociale dominante. Mais, dans le même temps, dans les milieux sociaux où les femmes avaient déjà acquis une certaine liberté, le voile est devenu une prison, une marque d’humiliation. Les femmes iraniennes, contrairement à nombre de leurs voisines, ont néanmoins le droit de voter (depuis 1964), d’étudier, de travailler et de se déplacer. Le taux d’activité des femmes, qui avait baissé à la suite de la révolution (passant de 12,9 % en 1976 à 8,2 % en 1986), s’est depuis redressé très lentement, ne dépassant que de peu 9 % en 1996 et s’établissant à 15,7 % en 2001, selon l’Organisation internationale du travail. Les femmes restent plus touchées que les hommes par le chômage et, malgré leur niveau élevé d’éducation, occupent des postes peu qualifiés : seuls 5,5 % des postes de direction dans la fonction publique sont confiés à des femmes.

Il existe donc une dynamique sociale intérieure en Iran sans commune mesure avec ce que connaissent les autres grands pays musulmans de la région. Mais celle-ci ne se traduit pas par des bouleversements politiques, malgré la faible adhésion d’une majorité d’Iraniens aux valeurs de la République islamique.

b) Un faible soutien au régime, sans velléité de renversement

La place des femmes dans la vie politique reste très limitée : en 2000, alors que les réformateurs ont dû leur victoire au vote féminin, dix femmes seulement ont été élues députés, soit quatre de moins que sous la législature précédente. Aujourd’hui, elles ne sont plus que huit : celles que les membres de votre Mission ont rencontrées en Iran, parmi lesquelles figurait un médecin de très haut niveau, étaient très conservatrices.

Une bourgeoisie moyenne se développe, évolue, tandis que le régime ne bouge pas. La question du degré d’ouverture de cette nouvelle classe sociale vis-à-vis du reste du monde est l’objet d’appréciations divergentes. M. Bernard Hourcade estime que, d’origine populaire, ses membres n’ont qu’une très faible connaissance du monde extérieur : il n’y a qu’environ 3 000 expatriés installés en Iran et les touristes, peu nombreux (de l’ordre de 300 000 par an) se concentrent sur quelques sites, si bien que, selon lui, « un grand nombre d’Iraniens n’a jamais eu le moindre contact avec un étranger » (45). M. François Nicoullaud juge pour sa part que, globalement, la société s’ouvre grâce à internet, aux voyages et aux liens avec les Iraniens de la diaspora (46). Internet fonctionne en effet en Iran, contrairement à ce qui se passe en Syrie ou dans d’autres pays de la région, et il est facile de se procurer des logiciels permettant de passer outre le filtrage mis en place par les autorités.

Mais les deux interlocuteurs de la Mission partagent le même avis à la fois sur la faiblesse du soutien populaire au régime et sur l’intérêt limité des Iraniens pour la vie politique. Pour M. Bernard Hourcade, « la classe moyenne n’est pas prête à une deuxième révolution politique. Elle représente une force politique et économique indispensable à un changement politique durable, mais elle s’abstient lors des élections depuis l’échec de la présidence Khatami » ; M. François Nicoullaud souligne que « une partie des gens éduqués ne vote pas et la société civile semble avoir passé un pacte de non-agression avec le régime. Il n’existe pas de velléité de renversement du régime. Les quelques milliers d’étudiants qui ont manifesté à plusieurs reprises à Téhéran n’étaient pas soutenus par la population. » Les faibles taux de participation aux dernières élections législatives de mars et avril 2008 en témoignent : ils étaient limités à 51,3 % au premier tour, comme en 2004, et à 26 % au second tour, alors qu’ils s’étaient établis à 71 % en 1996 et 67,3 % en 2000. Surtout, la participation a été très basse dans les grandes villes (30 % à Téhéran, 39 % à Ispahan, 46 % à Yazd, au premier tour), vraisemblablement à cause de l’élimination des principaux candidats réformateurs avant même le scrutin.

Les diplomates français estiment que le régime islamique, le seul qu’ait connu l’écrasante majorité de la population, a jusqu’à présent échoué à accompagner les mutations de la société de manière cohérente et à les inscrire dans un véritable discours politique, mais qu’il s’emploie à maîtriser tout éventuel débordement en faisant respecter des lignes rouges : en politique intérieure, il empêche toute remise en cause du velayat-e faqih et interdit les rassemblements au-delà d’une faible masse critique (des cafés ont été fermés, les universités sont contrôlées, les manifestations réprimées) ; vis-à-vis de l’extérieur, il fait obstacle à tout contact approfondi avec l’occident à connotation politique ou culturelle.

Les Iraniens, conscients de l’impossibilité ou de la difficulté de modifier drastiquement collectivement leur destin, ont plongé dans une attitude post-moderne et individualiste, qui fait que chacun s’occupe avant tout de son espace de liberté individuelle. M. Denis Bauchard porte le même jugement : « même si l’élite intellectuelle est persécutée, la masse de la population semble s’accommoder d’un régime moins pesant qu’il ne le paraît pour sa grande majorité. La sphère privée reste encore largement préservée et la population la défend, jouant au jeu du chat et de la souris lorsqu’elle veut sauvegarder son espace de liberté. » (47)

Il en résulte une indifférence affichée vis-à-vis des enjeux politiques internes et une méconnaissance de l’extérieur propice à l’entretien des clichés (mépris envers les Afghans, détestation des Arabes, et surtout de ceux du Golfe, goût pour la théorie du complot). Les membres de votre Mission ont pu constater que les clichés sur la France étaient fortement ancrés parmi les responsables politiques. Cette situation provoque aussi une énorme frustration dont les traductions sociales sont nombreuses : explosion de la consommation de drogues, phénomènes de repli identitaire, bricolage spirituel au détriment de la religion traditionnelle, les mosquées étant beaucoup moins fréquentées que dans le reste du monde musulman, et au profit de pratiques superstitieuses, tantôt intégrées dans le chiisme, tantôt inscrites dans une persanité zoroastrienne mythique.

Alors que c’est souvent l’inverse dans les pays arabes, le régime est, en Iran, en retard sur la société. Selon l’analyse de M. Jean Félix-Paganon, même s’« il existe un Iran " profond ", resté fidèle aux valeurs de la révolution, [à l’occasion des dernières élections] une rupture s’est confirmée entre les valeurs révolutionnaires et les valeurs de la société. » (48) Selon M. Gérard Araud, « globalement, même si seulement 5 à 10 % des Iraniens soutiennent réellement le régime, les autres l’acceptent car ils veulent absolument éviter la violence et considèrent que le régime est suffisamment respectueux de la vie privée de la population. » (49)

Dans ce contexte, et même si elles n’ont pas à craindre pour leur survie, du moins à court et moyen termes, les autorités iraniennes n’ont pas les coudées franches. Elles s’efforcent de maintenir une certaine paix sociale en dosant leur politique de répression des mouvements sociaux, au demeurant assez faibles, et en cédant, sous l’égide du président Ahmadinejad, au populisme.

2) Un Etat au fonctionnement opaque et complexe

Le faible intérêt des classes moyennes pour la politique est certainement lié à l’échec des réformateurs, mais il est probable que la complexité du fonctionnement des institutions, la primauté des autorités religieuses non élues sur les responsables désignés par le peuple, et l’absence de véritable alternative politique y ont aussi fortement contribué.

a) Un système fondé sur une double légitimité

Si la République islamique d’Iran est proclamée dès le 1er avril 1979 après un référendum où le oui l’a emporté avec 98,2 % des voix, sa constitution n’a été approuvée, également par référendum, que le 2 décembre 1979. Entre ces deux dates, l’Assemblée des experts en a rédigé la version finale, à partir d’un projet préparé en France et inspiré de la constitution de la Vème République. Les discussions furent très violentes entre les libéraux, auteurs de la première version, et le clergé, favorisé par les circonstances, qui imposa un contrôle islamique et clérical des nouvelles institutions. Il en est résulté une structure politique qui tente une synthèse de la démocratie et de l’islam, à travers la combinaison malaisée de deux légitimités : une légitimité théocratique et une légitimité populaire (50). La contradiction entre ces deux logiques est à la source des blocages politiques et économiques du pays.

Le Guide suprême, qui est le chef de l’Etat, bénéficie d’une légitimité théocratique : il est élu à vie par l’Assemblée des experts, qui est un conclave de quatre-vingt-six religieux élus au suffrage universel et dotés du pouvoir de désigner le Guide, d’évaluer sa compétence et de le démettre. Le principe d’une telle autorité est contraire à la tradition chiite, si bien que la hiérarchie religieuse la plus traditionnelle désapprouve ce mode de fonctionnement. Depuis juin 1989 et la disparition de l’ayatollah Khomeiny, c’est M. Ali Khamenei qui est le premier personnage de l’Etat : il trace les lignes directrices de la politique du régime, intervient dans le domaine législatif, domine le pouvoir judiciaire et surveille le pouvoir exécutif, dans la mesure où il confirme l’élection du président de la République et peut le révoquer, notamment après un vote du Parlement.

Se réclament en revanche de la légitimité populaire le président de la République, qui s’apparente, en dépit de son titre, à un chef de gouvernement, et les autres organes élus au suffrage universel direct, l’Assemblée des experts et surtout l’Assemblée consultative islamique d’Iran, parlement monocaméral de 290 membres. Mais cette désignation par le peuple est loin d’être dépourvue de toute exigence religieuse puisque le Conseil des gardiens de la constitution, composé de douze membres désignés pour six ans (51), exerce notamment une fonction de filtrage des candidatures et de surveillance du déroulement des élections : plus de 2 000 candidatures – essentiellement réformatrices – aux élections législatives du 14 mars dernier, soit le tiers de l’ensemble des candidatures, ont été refusées et il n’y a pas eu de véritable campagne électorale publique, les affiches et tracs ayant été interdits, la campagne réduite à quatre jours et les médias placés sous un strict contrôle.

En cas de désaccord entre le Parlement et le Conseil des gardiens de la constitution, ce dernier remplissant alors sa fonction de contrôle de la compatibilité des lois avec la constitution et l’islam, il revient au Conseil de discernement des intérêts supérieurs du régime de trancher. Créée en 1988, cette institution composée de trente membres, tous désignés par le Guide, assume une fonction de supervision générale de l’activité des trois pouvoirs.

Dans ces conditions, c’est incontestablement la légitimité théologique qui l’emporte, la volonté divine ne pouvant se retrouver soumise à celle du peuple : les organes non-élus dominent les organes élus, et en particulier, le Guide est plus puissant que le président.

Les conflits entre eux sont possibles, notamment en cas de « cohabitation à l’iranienne », le Guide actuel ayant dû trouver un terrain d’entente avec le président réformateur Khatami de 1997 à 2005, puis, dans une moindre mesure, avec le président radical Ahmadinejad, depuis 2005, mais le Guide dispose de moyens pour limiter l’autorité du président : il a seul autorité sur les institutions « révolutionnaires » dupliquant les institutions « régulières » (les gardiens de la révolution – les pasdarans –, opposés à l’armée régulière, par exemple) ; il maîtrise un appareil politico-économique étendu ; il a autorité sur les organes non élus qui verrouillent le système (Conseil du discernement des intérêts supérieures du régime, Conseil suprême de sécurité nationale, Conseil des gardiens de la constitution, pouvoir judiciaire).

M. Jean Félix-Paganon a souligné la multiplicité des lieux de débat en Iran, parmi lesquels le Parlement, mais indiqué que, en réalité, le Guide en est le seul arbitre. Il a ajouté : « Toutefois, la particularité de son rôle est liée au fait que, censé incarner la continuité de la révolution, il ne peut donner raison à un camp ou à un autre. » (52)

Le président de la République actuel cherche pour sa part à s’affranchir du jeu collégial et de la tutelle du Guide par le renforcement du réseau de ses partisans, par l’intimidation policière et judiciaire sur le thème de l’intelligence avec l’ennemi et par une répression accrue, quoique prudemment respectueuse de la sphère privée.

Il n’existe en tout état de cause aucune véritable opposition politique au système, celui-ci étant justement conçu pour l’empêcher. Comme l’a expliqué à la Mission M. Jean-Félix Paganon, « les conservateurs, les libéraux et les radicaux constituent autant de variantes de l’exercice du pouvoir par la révolution islamique (…) Les coalitions se font au cas par cas et les élections relèvent plus d’un phénomène de sélection entre ces variantes. »

Globalement, ce jeu de pouvoirs et de contre-pouvoirs conduit à un blocage politique et rend difficile toute prise de décision importante, ce qui est pénalisant aussi bien en politique intérieure que dans le domaine des relations internationales.

b) La conduite de la politique étrangère

M. Denis Bauchard (53) a expliqué aux membres de la Mission que, s’agissant des instances de décision en matière de relations internationales, il est clair que le pouvoir de décision appartient au Guide de la révolution, et non à la « superstructure », à savoir le président et le gouvernement. Le Guide dispose d’une administration propre – le Bureau de la guidance – qui lui permet d’exercer une tutelle directe sur les domaines les plus sensibles : justice, services de renseignements, nucléaire etc… Il a également à ses côtés un conseiller diplomatique, M. Velayati, ancien ministre des affaires étrangères.

Le président, quant à lui, préside le Conseil suprême de sécurité nationale, qui réunit notamment les ministres compétents (affaires étrangères, défense, renseignements), le chef des pasdarans, et des représentants du Guide. Ce conseil donne en particulier son avis sur la définition et la mise en œuvre de la politique de sécurité au sens large du terme. Le président n’est donc qu’un des acteurs de la politique étrangère parmi d’autres : cependant son influence est aujourd’hui indéniable.

Le président Ahmadinejad a en effet placé ses hommes dans de nombreuses institutions, notamment au ministère des affaires étrangères : ainsi des pasdarans occupent des postes traditionnellement réservés à des diplomates de carrière, et il a réussi à imposer M. Saïd Jalili, son homme de confiance, comme secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale et négociateur sur le dossier nucléaire, en remplacement de M. Laridjani, son rival aux élections présidentielles de 2005. En outre, le président, par sa rhétorique agressive, par ses nombreux déplacements, a donné une plus grande visibilité aux fonctions présidentielles en matière de politique étrangère. Il a, sans aucun doute, un rôle bien supérieur à celui de ses prédécesseurs en la matière. Le Guide reste cependant le maître, comme en témoigne son désaveu de plusieurs initiatives récentes du président.

M. Jean Félix-Paganon a pour sa part insisté sur la compétition qui existe, dans le domaine de la politique étrangère, entre le Bureau de la guidance et le gouvernement, ce dernier mettant en œuvre les orientations définies par le président. La rivalité entre les deux organismes est parfois instrumentalisée, offrant dès lors le risque, pour des interlocuteurs mal préparés, de voir leur partenaire iranien se désavouer lui-même, affirmant qu’il n’a pas reçu mandat pour engager le pays sur une question particulière. Toutefois, au-delà de cette concurrence administrative, un partage assez clair des tâches existe : le Guide et ses conseillers arbitrent sur les questions majeures, mais c’est le gouvernement qui conduit concrètement la politique étrangère de l’Iran.

Interrogée sur la question de savoir quelle autorité déciderait de l’utilisation de la bombe nucléaire si l’Iran s’en dotait, Mme Thérèse Delpech (54) a indiqué qu’au vu de l’équilibre institutionnel actuel, l’autorité reviendrait au Guide suprême, mais elle a reconnu que le processus de décision du régime iranien se caractérisait par sa grande complexité, que les élites iraniennes elles-mêmes ont du mal à saisir.

Du coup, le régime iranien éprouve des difficultés à prendre les décisions que les circonstances internationales exigent : de même qu’il n’a pas été capable de mettre un terme à la guerre contre l’Irak avant 1988, alors qu’il avait l’occasion de le faire dès 1982, il apparaît qu’il est plus facile pour lui de poursuivre le programme nucléaire que de l’interrompre, votre Rapporteur y reviendra.

M. Jean Félix-Paganon a souligné que « la faiblesse structurelle de l’Iran, au sein duquel la capacité de blocage l’emporte largement sur la capacité d’initiative, rend très difficile une véritable décision sur ce dossier ». Il semble que les autorités iraniennes ne prennent une décision que lorsqu’elles sont véritablement au bord du gouffre.

Pour la conduite de la politique étrangère, l’Iran dispose d’une diplomatie dont M. François Nicoullaud  (55), lui-même ancien ambassadeur en Iran, juge le niveau assez médiocre, à cause de l’importance accordée à la rigueur idéologique et à la piété dans le choix des diplomates. Quant à l’armée, elle ne joue pas, selon lui, un rôle central, seuls les pasdarans, placés sous l’autorité du Guide suprême, bénéficiant d’équipements modernes, d’un grand prestige et de la confiance du régime. Ce n’est pas un hasard s’ils gèrent l’ensemble du programme balistique de l’Iran, sont chargés de la protection des sites nucléaires civils et sans doute du programme de mise au point d’un engin nucléaire. Des efforts récents ont été faits afin de créer un commandement conjoint entre l’armée régulière et les gardiens de la révolution, mais ils ont été limités et n’ont pas eu d’impact significatif. Là encore, la structure duale conduit à une compétition stérile.

3) Un gâchis économique

L’Iran dispose des deuxièmes plus importantes réserves mondiales de pétrole d’une part, de gaz naturel d’autre part, et occupe la quatrième place parmi les producteurs et exportateurs de pétrole. Le pays ne connaît pourtant pas, loin s’en faut, le développement rapide et la prospérité visible de la plupart des autres Etats pétroliers de la région, malgré une croissance annuelle de 6,6 % en 2007-2008 (56), et un excédent de la balance des paiements courants de 18,5 milliards de dollars.

Ce paradoxe est la conséquence des spécificités du système économique iranien et de la politique économique menée par le régime.

a) « Ni Est, ni Ouest » : un système économique hors modèle

A travers la formule « ni Est, ni Ouest », l’ayatollah Khomeiny affirmait à la fois l’indépendance nationale, la volonté de mettre en œuvre une politique étrangère de non-alignement, et celle d’emprunter une nouvelle voie de développement, d’inspiration islamique, préservée des problèmes du socialisme comme du capitalisme.

Mais le régime s’est rapidement trouvé confronté à l’opposition entre les tenants d’une vision tiers-mondiste de l’économie, arguant de l’impératif religieux de justice sociale, et les partisans de la propriété privée, défendue par la loi islamique. Tout au long des années 1980, les réformes agraires et du code du travail ont été bloquées par cet affrontement. Finalement, « dans les faits, l’islamisation de l’économie s’est bornée à la dénomination religieuse d’organisations ou de fondations de l’ancien régime, saisies, pour certaines, au moment de la révolution – Fondation des déshérités, Fondations des martyrs, Caisse de secours de l’imam, etc. –, et à l’interdiction de l’intérêt bancaire en 1983. » (57) Cette dernière mesure n’a néanmoins pas empêché la bancarisation de la société, grâce au développement de la finance islamique, qui repose sur des caisses de prêt sans intérêt et des sociétés de commandite.

Après la fin de la guerre contre l’Irak, le commerce extérieur a été en partie libéralisé, à la demande du bazar (58), mais les autorités politiques et administratives n’ont pas renoncé au dirigisme économique, qui renforce leurs prérogatives. L’Etat continue de contrôler 80 % de l’économie formelle, à travers, principalement, le secteur pétrolier et le secteur bancaire nationalisé. Un milieu d’affaires s’est constitué, surtout dans les industries de transformation, mais il reste très lié aux responsables politiques et au clergé. Quelques entreprises nationalisées ont ensuite été privatisées, mais elles restent entre les mains des détenteurs du pouvoir politique. Le pays n’est que très peu ouvert aux investissements directs étrangers, tandis que les biens de main morte et les diverses fondations continuent d’échapper à l’impôt.

L’économie iranienne est donc tout aussi particulière que son système politique : si ce mode de fonctionnement profite à certains, il n’a pas conduit à une réussite économique dont pourrait bénéficier le plus grand nombre, malgré l’ampleur de la rente pétrolière.

b) Des résultats décevants

Si l’économie iranienne présente des signes de bonne santé, cette dernière est essentiellement due à la rente pétrolière et cache des fragilités importantes.

En 2007, le pays a réalisé des exportations pour 101 milliards de dollars, dont 85 % en pétrole brut et gaz, et importé pour 73 milliards de dollars, dont plus du tiers de produits provenant de l’Union européenne. Son solde commercial est positif à hauteur de 10,2 % de son PIB.

La croissance soutenue enregistrée en 2007-2008 est fragile car elle est la conséquence d’un effet-prix sur les exportations de pétrole brut, dont la valeur a augmenté d’un quart, effet qui compense la stagnation de la production – entre 3,7 et 3,9 millions de barils par jour depuis la fin des années 1990, pour un quota OPEP de 4,174 millions de barils par jour actuellement ; la production est inférieure de 30 % à son niveau des années 1970 –, conséquence de la vétusté des installations et du sous-investissement dans ce secteur, et celle des exportations, à cause de la hausse de la consommation intérieure, qui s’établit en moyenne à 7 % par an, le marché intérieur absorbant actuellement 40 % de la production de brut.

Les exportations non pétrolières ont néanmoins également progressé, grâce à l’ouverture de marchés limitrophes, principalement l’Afghanistan et l’Irak, qui est devenu le deuxième marché d’exportations non pétrolières de l’Iran. M. Hosham Dawod (59) a ainsi indiqué que les relations économiques entre les deux pays représentaient environ 3 à 4 milliards de dollars en 2006-2007, contre 1,5 à 2 milliards pour celles entre l’Irak et la Chine. Les exportations iraniennes en Irak, largement supérieures aux importations iraniennes, concernent des produits très variés : de l’électroménager, des produits manufacturés ou alimentaires, et même des voitures Peugeot assemblées en Iran !

Cette situation a permis à l’Iran d’accumuler d’importantes réserves en devises, qui sont passées de 46 à 82 milliards de dollars américains entre 2006 et 2008, soit douze mois d’importations de biens et services, et de consolider son désendettement, qui a chuté de 41 % du PIB en 1999 à 9 % en 2008.

Mais cette richesse apparente ne contribue pas à la prospérité de la majorité des Iraniens.

L’inflation moyenne a dépassé 29 % en septembre 2008, après avoir été de 16 % en 2007 et de 10,4 % en 2005. Cette inflation est la conséquence de la politique budgétaire expansionniste conduite par le président, qui redistribue 80 % des revenus pétroliers en subventions à la consommation. M. François Géré, président de l’Institut français d’analyse stratégique, a souligné en ces termes l’absurdité de la politique économique iranienne : « la situation économique est mauvaise non pas à cause des sanctions internationales mais essentiellement en raison de la gestion irresponsable et populiste faite par le président Ahmadinejad. Il distribue des subsides à certaines villes, certaines organisations mais ne crée aucun emploi. Tout cela aboutit à des situations absurdes. Par exemple, en raison de l’inflation galopante et du renchérissement excessif des produits alimentaires, l’Etat organise des ventes de produits alimentaires à prix très bas. Par conséquent, les gens n’achètent plus les produits au prix normal. » (60) Selon les chiffres fournis par le ministère iranien de l’industrie, le niveau total des subventions serait situé entre 200 et 220 milliards de dollars, sur un PIB de 260 milliards de dollars en 2007.

L’inflation est concentrée sur les produits de première nécessité, comme les produits alimentaires, pour lesquels elle dépasserait 40 %, et affecte surtout les ménages à faibles revenus. La Banque centrale iranienne estime à 20 % la part de la population vivant sous le seuil de pauvreté. Seules les clientèles du régime peuvent compenser ces pertes de revenus, grâce à des investissements dans l’immobilier et à des contrats publics. Les inégalités s’aggravent. Beaucoup d’Iraniens doivent exercer deux, voire trois, métiers pour pallier les effets de l’inflation et de la faiblesse des salaires. Le prix des logements s’envole et les coupures d’électricité, de gaz et d’eau sont courantes.

La politique d’appréciation du taux de change – de 14 % entre 2006 et 2007 – mise en place pour lutter contre l’inflation a favorisé une hausse des importations de marchandises, à hauteur de 16 % en valeur entre 2007 et 2008, qui, couplée à des investissements productifs insuffisants, a contribué à affaiblir l’appareil de production.

La mauvaise gestion de la rente pétrolière est d’autant plus inquiétante que la croissance ne crée pas suffisamment d’emplois : le taux de chômage officiel, qui est officiellement de 12 % en moyenne fin 2007 et de 20,6 % pour les 15-24 ans, ne baisse pas en raison de l’arrivée sur le marché du travail de 750 000 personnes de plus chaque année et de la création trop lente de PME. Ce taux est en outre largement sous-estimé, le taux réel étant de l’ordre de 30 %.

La préemption de la rente pétrolière au profit des subventions à la consommation empêche le pays d’effectuer les investissements productifs nécessaires pour créer des emplois et augmenter la capacité d’absorption de l’économie. De tels investissements seraient aussi indispensables dans le secteur des hydrocarbures, qui est pourtant à l’origine de près de la moitié des recettes de l’Etat et devrait donc constituer une priorité. Selon l’American scientist organisation, sans ces investissements, la production iranienne de pétrole sera totalement absorbée par la consommation intérieure d’ici à 2020 (61). Mais le fonds de stabilisation pétrolier, dont le niveau stagne entre 10 et 15 milliards de dollars malgré l’explosion des recettes pétrolières et alors qu’il devrait être doté d’environ 150 milliards de dollars, est ponctionné pour financer les dépenses courantes, au détriment de l’investissement.

Faute d’une capacité de raffinage suffisante, l’Iran importe ainsi 40 % des produits pétroliers raffinés qu’il consomme et plus de gaz qu’il n’en exporte. Les hydrocarbures sont vendus à la population à un prix inférieur à leur coût réel grâce à des subventions estimées à plus de 88 milliards de dollars en 2007-2008. Au printemps 2007, le Parlement avait obtenu qu’au-delà d’une certaine quantité par personne, le prix du carburant soit libre, mais les autorités ont eu peur des troubles sociaux que cette mesure aurait pu entraîner et des dispositifs moins rigoureux ont été mis en place.

Globalement, M. François Géré a évoqué « l’exaspération des classes moyennes et populaires » face à la situation économique. Le président Ahmadinejad a d’ailleurs présenté en août dernier un programme d’austérité visant notamment à supprimer progressivement l’ensemble des subventions, à les remplacer par des aides accordées aux plus pauvres et à lutter contre les spéculateurs. Beaucoup d’observateurs doutent de la capacité du régime à mettre en œuvre le système de reversement des aides aux plus pauvres, tandis que la Banque centrale d’Iran craint que ce programme ne provoque d’avantage d’inflation, voire une récession. Le Parlement ainsi que de nombreux économistes ont aussi mis le président en garde contre ses possibles conséquences. Il constituera en tout cas un thème central de la prochaine campagne présidentielle, votre Rapporteur y reviendra.

De même, le projet, déjà modifié à plusieurs reprises, de mise en place d’une taxe sur la valeur ajoutée suscite des oppositions très fortes et a provoqué une grève du bazar au début du mois d’octobre dernier, laquelle a constitué une première depuis la révolution islamique. Le mécontentement gagne donc l’un des soutiens traditionnels du régime.

Enfin, si le système financier iranien est pour l’instant relativement épargné par la crise financière, notamment du fait des sanctions formelles et informelles qui le coupent du reste du monde, la baisse du prix du pétrole ne manquera pas de réduire encore davantage les marges de manœuvre iraniennes : une baisse de un dollar du prix du baril de pétrole réduit de 900 millions de dollars par an les recettes de l’Iran, si bien que, si le prix moyen du baril exporté passe durablement de 110 dollars, niveau qu’il avait atteint entre mars et août 2008, à 70 dollars, les recettes nationales annuelles pourraient chuter de 36 milliards de dollars américains.

C – Un programme nucléaire dont les visées militaires ne font plus de doute

Le programme nucléaire, lancé par le Chah, a connu des vicissitudes immédiatement après la révolution de 1979. Révélée par l’opposition iranienne, la poursuite clandestine de projets relatifs à l’énergie nucléaire sert, de toute évidence, des objectifs militaires. En effet, les arguments avancés par le régime actuel, qui visent à justifier les éléments connus de son programme nucléaire, n’emportent pas la conviction.

1) Un programme ancien, qui a connu bien des vicissitudes avant d’être relancé

a) Les origines du programme nucléaire iranien

Comme l’a rappelé M. François Heisbourg à la Mission, « le premier programme a été élaboré sous le règne du Chah, à la suite du premier choc pétrolier qui avait eu pour effet de donner à l’Iran les moyens de mener la politique ambitieuse dont le souverain rêvait(62)». La réalisation de ce projet est confiée à un organisme public, l’Organisation iranienne pour l’énergie atomique (OIEA).

Annoncé officiellement en 1974, après avoir fait l’objet de rumeurs dès 1972, le programme nucléaire vise officiellement à diversifier les sources d’énergie utilisées par l’industrie iranienne en devenir. Les autorités iraniennes s’étaient ainsi fixé un objectif, très ambitieux, de 23 000 mégawatts de puissance installée, à l’horizon de 2000. Un tel niveau de production impliquait la mise en route d’une vingtaine de centrales. Il convient de rappeler, afin d’apprécier ces chiffres, que la France pouvait compter, en 2000, sur 63 000 mégawatts environ, grâce à une cinquantaine de centrales, l’Allemagne disposant, en 2007, de 23 000 mégawatts installés.

Les premières commandes effectuées par l’Iran dans le cadre de cette politique mettent en concurrence les acteurs principaux du marché nucléaire civil, afin de lancer huit des vingt chantiers de centrales prévus. L’Allemagne, par l’intermédiaire de la société KWU, qui appartient aujourd’hui au groupe Siemens, s’est vu confier, dès 1974, la mise au point de deux réacteurs à construire sur le site de Bousher, l’achèvement étant prévu entre 1980 et 1981, ainsi que de quatre autres centrales, faisant de ce pays le partenaire privilégié du régime du Chah en matière nucléaire. La société française Framatome reçoit, pour sa part, la commande de deux réacteurs situés près d’Ahvaz, entre 1974 et 1975.

Afin de faire fonctionner un dispositif de cette ampleur, le régime se devait d’accéder facilement aux matières premières nécessaires pour produire l’énergie d’origine nucléaire, principalement de l’uranium en vue de l’enrichir. L’Iran s’est ainsi lancé dans l’extraction de l’uranium naturel, en ouvrant notamment plusieurs mines sur son propre territoire.

L’enrichissement de l’uranium est négocié avec la France, entre 1974 et 1977. La société Cogema, devenue depuis Areva, s’engage à fournir à l’Iran le combustible nécessaire au fonctionnement des centrales nucléaires. En 1975, un accord de long terme est ainsi passé entre les deux pays. L’OIEA et la Cogema acquièrent ainsi, respectivement, 40 % et 60 % des parts de la société franco-iranienne pour l’enrichissement de l’uranium par diffusion gazeuse (Sofidif), celle-ci devenant, pour sa part, actionnaire à hauteur de 25 % de l’entreprise Eurodif, récemment dotée d’une nouvelle usine au Tricastin. En contrepartie de cette prise de participation, et d’un prêt accordé par le Chah à Eurodif pour un montant de 180 millions de dollars (soit environ un milliard de dollars de 2007), l’Iran se voit reconnaître le droit d’acheter 10 % de la production de la nouvelle usine.

Les finalités des installations précitées sont uniquement civiles. Toutefois, l’Iran se montre, dès 1974, intéressé par la maîtrise de la technologie de retraitement, qui permet d’extraire du plutonium hautement enrichi à partir du combustible irradié. L’Iran exige en plus de pouvoir mener ces activités sur son propre sol. Les Etats-Unis opposent un clair refus à ces demandes de transfert de technologies. L’Iran se tourne ensuite vers la France, en exigeant de ne pas faire l’objet d’un traitement moins favorable que le Pakistan, avec lequel la France avait signé un accord – jamais mis en œuvre – prévoyant la fourniture d’une unité de retraitement. Toutefois, ce projet n’aboutira pas.

b) Les conséquences de la révolution de 1979

Le renversement, en 1979, du régime du Chah, et l’arrivée au pouvoir de responsables religieux, bouleversent profondément le programme nucléaire iranien.

D’abord, la modification en profondeur des structures du pouvoir et la guerre avec l’Irak, rendent difficile la mobilisation de ressources, tant humaines que financières, nécessaires à un programme nucléaire de grande ampleur. D’un point de vue idéologique, les nouvelles autorités ne sont pas favorables au développement d’armes de destruction massive, et les ressources énergétiques offertes par les réserves de pétrole et de gaz leur garantissent un niveau stable et suffisant de production d’électricité.

Par ailleurs, les réactions de la communauté internationale face au changement de régime compromettent beaucoup le succès des projets nucléaires iraniens. Seul fournisseur d’uranium faiblement enrichi, la France interrompt les livraisons dès 1979, et gèle les avoirs de la société Eurodif. Ainsi privé du combustible indispensable à la production d’énergie nucléaire, l’Iran renonce progressivement à son programme nucléaire, en annulant successivement les contrats relatifs aux centrales de Bousher, puis de Karoun. Au cours de ses premières années, le nouveau régime ne déploie que peu d’efforts pour sauver quelques éléments des projets nucléaires du Chah, satisfaisant ainsi la relative « technophobie » de certains de ses dirigeants.

Comme l’indique M. Yves Girard (63), expert français dans le domaine de l’énergie nucléaire, la fin de la guerre Iran-Irak voit la renaissance du programme nucléaire iranien, de manière modeste, mais affirmée. Deux grandes puissances contribuent de façon essentielle à la reprise des activités nucléaires iraniennes. La Chine apporte ainsi à l’Iran les moyens de conversion de l’uranium sous sa forme gazeuse, l’hexafluorure d’uranium ou UF6, forme utilisée dans le processus d’enrichissement, et procède également à des livraisons directes d’UF6.

La Russie, quant à elle, reprend le chantier, abandonné par KWU, des centrales de Bousher, qui ont subi beaucoup de dégâts pendant la guerre. Toutefois, les unités de production d’électricité qu’elle prévoit d’y installer ne peuvent être alimentées qu’avec un combustible enrichi en Russie. Un projet de livraison d’une unité russe d’enrichissement de l’uranium aurait ainsi été annulé, sous pression américaine, selon M. François Heisbourg (64).

Dans les années qui suivent la fin du conflit avec l’Irak, le programme nucléaire iranien, tel que décrit par les autorités, est composé des éléments préservés des conséquences du changement de régime, notamment le réacteur expérimental d’Ispahan, de mines d’uranium, d’unités de conversion de l’uranium extrait en hexafluorure d’uranium, et des centrales de Bousher en cours de construction. L’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA) procède à des contrôles et confirme ces déclarations lorsque l’opposition iranienne révèle l’existence d’un programme clandestin à l’origine de la crise actuelle.

c) La découverte récente d’éléments clandestins

Comme l’a rappelé M. Michel Miraillet, le directeur chargé des affaires stratégiques au ministère de la défense, « malgré l’existence d’un accord de garanties entre l’AIEA et l’Iran, aucune des inspections régulières ne sera en mesure de déceler les éléments cachés par le régime. » (65)

C’est le 14 août 2002 que le Conseil national de la résistance iranienne, organisation proche des Moudjahidines du peuple, révèle l’existence de deux projets d’un niveau de dangerosité sans comparaison possible avec les éléments connus du programme nucléaire iranien.

D’abord, la construction, sur le site de Natanz, situé entre Ispahan et Kachan, d’une installation secrète d’enrichissement de l’uranium. En voie d’enfouissement, cette usine se révélera destinée à accueillir environ 50 000 centrifugeuses, dont les premiers exemplaires auraient été fournis par le réseau clandestin organisé par le scientifique pakistanais Abdul Qater Khan.

En second lieu, à Arak, est prévue la mise au point d’une centrale nucléaire dite « à eau lourde ». Cette filière a été abandonnée par la plupart des Etats exportant la technologie nucléaire civile, car elle est productrice de plutonium en grande quantité, et peut donc facilement être détournée à des fins militaires.

Lors de la réunion du bureau des gouverneurs de l’AIEA de septembre 2002, le représentant iranien admet que son pays a choisi de développer un programme de grande ampleur impliquant la construction de centrales, ainsi que l’acquisition de technologies relatives au cycle du combustible et à son retraitement. Autorisée à mener des inspections sur les sites jusque là secrets de Natanz et Arak, l’Agence disposera rapidement d’une vision étendue du programme nucléaire iranien, dont les visées militaires sont aujourd’hui confirmées.

LES ÉTAPES DE FABRICATION DE L’ARME NUCLÉAIRE

Les difficultés pour réaliser une arme nucléaire ne tiennent pas à l’accès aux connaissances mais à l’obtention de matières fissiles (uranium enrichi ou plutonium). Ces matières fissiles n’étant pas en libre circulation sur le marché, il faut les produire ou les acheter illégalement (en violation du traité de non-prolifération). Il faut ensuite les installer dans un engin explosif.

La production de matières fissiles

1) Extraction du minerai d’uranium

L’uranium naturel (U) est extrait d’un minerai, la pechblende, composé de 99,3 % d’U 238, de 0,72 % d’U 235, seul capable de produire de l’énergie par fission, et d’une fraction d’U 234. L’Iran possède trois mines d’uranium, à Saghand.

2) Transformation de l’uranium

Cette transformation comprend deux phases :

– la concentration : le minerai est broyé et l’uranium extrait par des solutions acides. Après séchage, le tout est transformé en une pâte jaune vif d’oxyde d’uranium (UO2), le yellowcake.

– la conversion : le yellowcake est transformé en cristaux de tétrafluorure d’uranium (UF4), puis en hexafluorure d’uranium (UF6).

3) Enrichissement

Qu’ils soient civils ou militaires, les procédés d’enrichissement utilisent de l’UF6 préalablement transformé en gaz par chauffage. Il existe six techniques industrielles. L’Iran travaillerait sur deux d’entre elles :

– la centrifugation : cette technique est utilisée de manière industrielle par la Russie, l’Europe, le Japon et la Chine et, de manière plus confidentielle, par certains pays comme le Pakistan. Il s’agit, comme pour la fabrication de la crème dans l’industrie laitière, de recourir à la force centrifuge pour séparer les constituants les plus légers des plus lourds, par rotation rapide des bols. Cette technique présente l’énorme avantage de ne nécessiter que des unités de production de petite taille et de consommer relativement peu d’énergie, constituant donc la technique la plus efficace et la plus facile à camoufler. Mais comme elle utilise des matériaux très modernes, sa mise au point prend plusieurs années.

– le laser : ce procédé a été développé aux Etats-Unis et en France, mais il n’est pas encore utilisé à échelle industrielle ; il exige un très haut niveau technologique.

4) Fabrication du combustible

Deux voies sont possibles :

– Celle de l’uranium 235 enrichi à 90 % : il faut environ 22 kg d’U 235 pour fabriquer un engin nucléaire ;

– Celle du plutonium 239 (Pu 239), qui ne se trouve pas dans la nature, mais que l’on peut obtenir en irradiant des « couvertures » d’U 238 dans des réacteurs à eau lourde civils ou destinés à la recherche. Il faut environ 5 kg de Pu 239 pour fabriquer un engin.

La militarisation des matières fissiles : la fabrication de l’engin explosif

Le fonctionnement d’une arme nucléaire repose sur le principe de la réaction en chaîne, qui consiste à frapper le noyau d’uranium avec un neutron, ce qui, cassant le noyau, libère des neutrons qui vont eux-mêmes venir frapper d’autres noyaux, chaque fission du noyau libérant une masse d’énergie. Ainsi, la fission de tous les atomes contenus dans un gramme d’uranium 235 libère une énergie équivalente à celle obtenue à partir de trois tonnes de charbon.

Parvenir à maîtriser cette réaction en chaîne dans une arme requiert des capacités conceptuelles (dessiner le plan de l’arme) et techniques (caractère délicat de la fabrication de certaines parties de l’arme, telle que, par exemple, l’usinage de l’uranium métallique). Il faut en outre adapter l’engin explosif à l’arme qui le porte, par exemple à des missiles.

LES DIFFÉRENTES VOIES DE FABRICATION D’UNE ARME NUCLÉAIRE


Source : Commissariat à l’énergie atomique.

2) Des indices concordants sur le caractère militaire du programme

M. Michel Miraillet a indiqué à la Mission que divers programmes, concernant tant l’enrichissement que la militarisation – weaponization – de certains projets liés à l’énergie nucléaire, « permet[aient] de conclure, sans passion, qu’il n’existe aucun doute sur la nature militaire du programme nucléaire iranien. » Cette affirmation repose sur les seuls éléments connus à ce jour du programme iranien, et se voit renforcée par le refus, de la part de l’Iran, contrairement à son engagement de 2003, de mettre en œuvre le protocole additionnel au traité de non-prolifération, qui permet un renforcement des contrôles de l’AIEA.

a) Le caractère dual de l’enrichissement

L’enrichissement de l’uranium naturel peut poursuivre deux fins, civile ou militaire. Le passage de l’uranium faiblement enrichi à l’uranium utilisé dans la fabrication d’une bombe nucléaire n’implique pas de révolution technologique comparable à celle que suppose le passage de l’uranium naturel à l’uranium faiblement enrichi. Il s’agit avant tout d’arriver à utiliser différemment les mêmes équipements.

Ainsi, pour produire de l’uranium enrichi à 3 %, destiné aux centrales nucléaires civiles, des groupes de 164 centrifugeuses peuvent fonctionner en parallèle. Pour produire de l’uranium militaire enrichi à 85 % au minimum, il faut que ces « cascades » de centrifugeuses fonctionnent en série.

Cette dualité a conduit à limiter le transfert de technologies d’enrichissement, et la plupart des pays dotés d’installations électronucléaires importent de l’uranium déjà enrichi.

Refusant cette limitation, l’Iran a acquis, auprès du réseau clandestin du pakistanais A.Q. Khan, des centrifugeuses permettant d’enrichir de l’uranium sur son sol. Le programme le plus avancé concerne l’usine de Natanz. Celle-ci dispose, à l’heure actuelle, d’une unité de 4 500 centrifugeuses (66), inspirées de modèles pakistanais. Celles-ci sont organisées en « cascades », structures qui associent plusieurs centrifugeuses afin de répéter plusieurs fois l’opération d’enrichissement permettant d’obtenir les taux souhaités. Cinq cascades de 164 machines sont disponibles, et douze cascades supplémentaires sont en cours d’installation. Depuis février 2007, les centrifugeuses ont permis de traiter environ 7,5 tonnes d’hexafluorure d’uranium, pour une production d’environ 600 kilogrammes d’uranium faiblement enrichi. Par ailleurs, des installations annexes ont été dotées de centrifugeuses de conception beaucoup plus récente, impliquant la maîtrise de technologies avancées (67).

Parce qu’il met en jeu une technologie qui peut être très facilement détournée de ses fins affichées, le refus catégorique de l’Iran opposé aux demandes visant à une interruption du programme d’enrichissement est un premier indice tendant à montrer que ses visées en matière d’énergie nucléaire ne sont pas seulement civiles.

b) Des programmes annexes inquiétants

A elle seule, la détention, par l’Iran, d’une vaste unité d’enrichissement d’uranium permet d’émettre des doutes sur le caractère civil de son programme nucléaire dont la justification n’est toujours pas démontrée. Ces doutes sont renforcés par l’absence de réponses aux questions posées par l’AIEA sur d’autres éléments qui sont liés, directement ou indirectement, à la fabrication d’une arme nucléaire.

Elargissant son contrôle à des projets industriels menés parallèlement au programme nucléaire, dont la justification n’est toujours pas démontrée, l’AIEA a successivement mis au jour plusieurs éléments qui laissent à penser que l’Iran cherche à utiliser ses infrastructures nucléaires à des fins militaires. Ces divers points font l’objet de questions répétées, de plus en plus précises, auxquelles l’AIEA n’obtient pas de réponses satisfaisantes.

Dans son dernier rapport, publié le 19 novembre dernier, le directeur général de l’AIEA récapitule les principaux points du programme nucléaire iranien qui tendraient à confirmer son caractère militaire. Il convient de rappeler, comme le note l’AIEA, que ces diverses critiques sont d’autant plus fortes que, du fait du refus iranien de ratifier le protocole additionnel au traité de non prolifération, l’Agence n’a pas accès à toutes les installations industrielles iraniennes, et ne peut donc certifier qu’aucun projet nucléaire secret n’est actuellement poursuivi.

D’abord, des infrastructures à même de fournir du matériau nucélaire militaire, en l’espèce du plutonium, sont présentes sur le sol iranien. Le réacteur de recherche de Téhéran est ainsi apte à procéder au retraitement de combustibles usagés. Même si les contrôles tendent à montrer que ce réacteur n’a pas été utilisé, la capacité de retraitement demeure. De plus, selon l’Agence, la construction d’un réacteur à eau lourde, plutonigène, se poursuit sur le site d’Arak. L’Iran s’oppose à ce que tous les renseignements qu’il a fournis puissent être vérifiés sur le site.

Ensuite, la difficulté rencontrée par l’Agence pour obtenir des informations sur les projets de construction d’une centrale nucléaire à Darkhovin, la fabrication de nouvelles centrifugeuses, la recherche et développement concernant l’enrichissement, et les activités d’extraction et de préparation du minerai, contribuent encore à renforcer l’impression qu’une partie du programme iranien a des visées qui n’ont rien de civiles.

Enfin, d’autres éléments tendent à montrer que l’Iran, qui refuse de fournir les explications demandées par l’AIEA, prépare un programme nucléaire militaire. Le rapport du 15 septembre 2008, auquel le rapport du 19 novembre fait référence, fournit une liste exhaustive de ces indices conférant au programme nucléaire iranien un caractère militaire probable, et fait état de la difficulté des discussions les concernant.

En 2005, la découverte, par hasard, d’un document, en possession des autorités iraniennes, relatif à la production d’uranium métal est d’une importance primordiale. En effet, la fabrication d’une arme nucléaire implique que soit maîtrisé ce processus particulier, qui n’a, par ailleurs, aucune utilité civile. Provenant vraisemblablement du réseau du docteur Khan, cette notice fait l’objet de questions de la part de l’AIEA sans que des réponses convaincantes ne soient apportées par les Iraniens.

D’autres points concentrent les inquiétudes de l’Agence. Le projet dit « Green salt » (68), mené clandestinement au moins jusqu’en 2003, associe des recherches sur la conversion de l’uranium, des explosifs, et la conception d’une tête nucléaire. Par ailleurs, un projet de développement d’explosifs dits « brisants », dont un centre de tests souterrains et des expériences visant à associer plusieurs explosifs selon un schéma utilisé dans les bombes atomiques, fait l’objet de questions. Enfin, le « projet 111 », destiné à doter certains missiles iraniens d’un corps de réentrée dans l’atmosphère pouvant emporter une charge utile importante, fait partie des points que l’AIEA considère comme étant des indices de la militarisation du programme iranien.

L’ensemble de ces questions, dites « en suspens », constitue un faisceau d’indices concordants tendant à montrer que l’Iran s’est engagé dans la militarisation de son programme nucléaire. La nature de ces éléments ne fait plus de doute, même si leur état d’avancement a pu faire l’objet de discussions.

La National intelligence estimate 2007 (NIE), rapport publié en décembre 2007 par la direction nationale du renseignement américaine, et très médiatisé, estime ainsi comme hautement probable que l’Iran a interrompu le développement d’armes nucléaires à partir de 2003, et pendant au moins plusieurs années. Elle considère également que les programmes de développement de l’arme nucléaire n’ont pas repris depuis mi-2007.

Au-delà des débats sur les éventuelles contradictions entre les conclusions et le contenu du rapport de la NIE, Mme Thérèse Delpech a rappelé à la Mission (69) que ces conclusions ne fournissaient aucune indication quant au niveau de développement auquel les autorités iraniennes étaient déjà parvenues. Cela réduit considérablement leur impact, d’autant qu’elles reconnaissent que l’enrichissement de l’uranium dans les structures déjà installées est la voie la plus vraisemblable que suivrait l’Iran pour se doter d’une arme nucléaire. En somme, les services de renseignement américains ne prennent pas position sur les intentions du régime, et indiquent même que l’Iran pourrait produire de l’uranium hautement enrichi entre 2009 et 2013.

A l’impossibilité, pour l’AIEA, d’obtenir des réponses sur l’état d’avancement de ces activités, qui tendent à prouver la militarisation du programme nucléaire iranien, s’ajoutent les développements récents du programme balistique, qui viennent conforter les soupçons de développement d’un programme nucléaire militaire.

c) Le développement d’un programme balistique

L’Iran est doté de plusieurs modèles de missiles, inspirés notamment de modèles chinois et nord-coréens. La plupart de ceux déjà déployés ne répondent pas aux critères qui pourraient en faire le vecteur d’une éventuelle arme nucléaire. Toutefois, les projets poursuivis actuellement sont beaucoup plus adaptés à l’emport d’une arme de destruction massive.

M. Olivier Caron indiquait ainsi à la Mission que « l’Iran [développe] un programme balistique, notamment sur un missile de 2 000 kilomètres de portée sans intérêt pour des charges conventionnelles et donc toujours lié aux armes de destruction massive ». Ces éléments sont d’autant plus inquiétants que, comme le rappelait M. François Heisbourg, « tous les travaux de développement de programmes balistiques peuvent être menés indépendamment de toute activité nucléaire ». Dès lors, la capacité de contrôle, de l’AIEA notamment, est très limitée, et ne peut s’exercer que sur les programmes évidemment liés à l’acquisition de capacités nucléaires militaires.

M. François Nicoullaud a indiqué que les autorités militaires avaient lancé, peu après la fin de la guerre contre l’Irak, un programme balistique important (70).

M. François Heisbourg a rappelé que l’Iran développait aujourd’hui une gamme de missiles « Shahab » dont les versions 1, 2, 3 et 3-M étaient « connues pour être opérationnelles ». Les missiles Shahab 3, d’une portée d’environ 1 500 km, peuvent emporter une charge utile de 800 kg, ce qui correspond au poids des armes nucléaires de modèle pakistanais.

La version 3-M du missile Shahab semble particulièrement adaptée à l’emport d’une charge nucléaire. Ce modèle, d’une portée similaire à celle du Shahab 3 fait l’objet du programme spécifique baptisé « programme 111 », précédemment évoqué.

M. Michel Miraillet a complété la liste des programmes balistiques iraniens, en indiquant qu’une version 4 du missile Shahab était en cours d’étude. Celle-ci, imitant le missile nord-coréen Taepo Dong 2, d’une portée estimée à 2 500 km, est dotée de la technologie dite « bi-étage », qui permet d’accroître considérablement la portée du missile en dotant chacun de ses étages d’un moteur propre.

En développant également le missile Ashoura, l’Iran cherche à maîtriser une autre technologie cruciale, celle des missiles à propulsion solide. Egalement bi-étage, le missile Ashoura, d’une portée d’environ 2 000 km mais disposant apparemment d’une charge utile limitée, pourrait néanmoins permettre à l’Iran de construire, à l’avenir, des missiles à propergol solide, qui ont pour principal avantage de ne nécessiter qu’un faible délai de préparation avant d’être lancés.

La certitude que l’Iran poursuit un programme de fabrication de missiles balistiques dotés d’une charge nucléaire découle donc d’un ensemble d’indices. Les arguments avancés par la partie iranienne pour justifier chacun d’entre eux ne résistent pas à l’examen.

3) Des justifications peu crédibles au programme actuel

Le développement de missiles de dernière génération n’est pas interdit à un Etat souverain. En revanche, il accrédite l’idée selon laquelle l’Iran cherche à utiliser ses infrastructures nucléaires pour construire une arme nucléaire de portée stratégique. Les dénégations iraniennes, relatives à cette dernière affirmation, ne se fondent pas sur des éléments suffisamment solides pour être convaincantes.

a) Un programme d’enrichissement sans finalité immédiate

M. Ali Ahani, ancien ambassadeur d’Iran en France, a soutenu, devant la Mission, que « l’Iran a besoin d’une capacité de production d’électricité plus importante, d’environ 20 000 mégawatts. Malheureusement, il ne peut compter sur le marché international pour son approvisionnement en combustible, ses différents partenaires n’ayant pas, dans le passé, apporté les preuves de leur fiabilité. En l’état actuel des relations entre les pays producteurs et l’Iran, il est clair que ce dernier ne pourrait pas négocier d’accord favorable, puisque même des produits humanitaires lui sont refusés au motif qu’ils seraient potentiellement à double usage, civil et militaire. L’Iran demande donc que lui soit reconnu son droit, légitime, à l’énergie nucléaire. L’Iran est prêt à offrir toutes les garanties qui lui seraient demandées dans le cadre d’une négociation, mais demande simplement à ne pas être jugé sur ses intentions. » (71)

L’installation de Natanz, pour les autorités iraniennes, serait ainsi justifiée pour deux raisons : en premier lieu, la volonté de garantir un approvisionnement autonome de l’Iran en combustible nucléaire ; en second lieu, la nécessité de développer une source d’énergie autre que les hydrocarbures.

Pour autant, tous les interlocuteurs de la Mission ont souligné que l’objectif final du site de Natanz, voué à accueillir 50 000 centrifugeuses, ne serait justifié que par l’existence d’un nombre très élevé de centrales nucléaires, si les intentions iraniennes étaient uniquement civiles. Or, l’Iran n’est pas doté, et ne cherche pas à construire un parc électronucléaire correspondant à ses capacités d’enrichissements projetées.

La seule centrale en état de fonctionner en Iran est conçue pour utiliser du combustible produit en Russie, sous l’entier contrôle de l’AIEA. Ce type de procédé, on l’a vu, est courant en matière d’énergie nucléaire. Comme le soulignait M. Olivier Caron, « la plupart de la trentaine de pays qui exploitent l’énergie nucléaire ne maîtrisent pas l’enrichissement et importent leur combustible » (72).

Par ailleurs, la volonté de l’Iran de réduire sa dépendance vis-à-vis des producteurs d’uranium enrichi n’est pas crédible. En effet, l’Iran ne possède pas de réserves suffisantes d’uranium naturel qui lui permettraient d’alimenter un parc aussi important de centrifugeuses. Il lui faudrait donc, de toutes manières, recourir à des fournisseurs extérieurs.

De plus, pour être une puissance nucléaire civile autonome, l’Iran devrait maîtriser la totalité du cycle du combustible, de l’uranium naturel à l’uranium faiblement enrichi. L’Iran fournit des efforts importants pour développer son parc de centrifugeuses, qui permettent d’enrichir l’uranium lorsqu’il est sous sa forme gazeuse. En revanche, l’Iran n’est pas doté de suffisamment d’usines permettant de convertir de l’uranium naturel en hexafluorure d’uranium, présent sous forme solide à température ambiante, mais qui se transforme en gaz lorsqu’il est porté à des températures supérieures à 50° celsius.

L’Iran ne cherche pas à remédier à ce déséquilibre, et semble donc renoncer à enrichir faiblement de grandes quantités d’uranium, ce qui serait nécessaire dans le cadre d’un programme nucléaire civil. Au contraire, l’augmentation du nombre de centrifugeuses, sans ajout de nouvelles unités de conversion, tend à montrer que l’Iran se prépare à enrichir fortement des quantités limitées d’uranium. L’intérêt prioritairement accordé à l’enrichissement réduit donc d’autant la crédibilité de l’objectif affiché de 50 000 centrifugeuses utilisées à des fins exclusivement civiles.

Comparé, par M. Michel Miraillet, à « une autoroute s’arrêtant en plein désert », le programme iranien d’enrichissement de l’uranium semble bien poursuivre des finalités militaires, comme de nombreux Etats en sont persuadés. M. Gérard Araud indiquait ainsi que les autorités saoudiennes, par exemple, ne nourrissaient aucun doute à ce sujet. Les réponses fournies par les autorités iraniennes sur d’autres points de leur programme nucléaire ne sont pas plus satisfaisantes.

b) Le discours des autorités concernant les autres sujets d’interrogation

En premier lieu, la poursuite par l’Iran du développement d’un programme nucléaire donne lieu, de la part des autorités, à un discours particulièrement martial, qui évoque les menaces pesant sur le territoire et la population. Il a déjà été fait mention, par ailleurs, des menaces proférées par le président Ahmadinejad à l’encontre de l’Etat d’Israël, dans des termes évoquant une destruction définitive, terminologie associée à l’emploi de l’arme nucléaire.

En second lieu, les réponses apportées par les autorités iraniennes aux questions de l’AIEA concernant les points les plus sensibles des activités nucléaires iraniennes manquent singulièrement de contenu. Les derniers rapports du directeur général de l’AIEA notent ainsi que, tant sur le projet « Green salt » que sur les études d’explosifs, le document relatif à l’uranium métal, la conception d’un corps de réentrée adapté au missile Shahab 3, ou l’acquisition de composants nucléaires par des autorités militaires, l’Iran ne fait pas preuve de transparence.

Sur la plupart de ces points, l’Iran répond que les affirmations de l’Agence sont « falsifiées » ou « forgées de toutes pièces ». Les autorités précisent également que certaines des questions posées par l’Agence ne peuvent être traitées, car elles mettent en jeu des éléments cruciaux du programme balistique, qui relève de la souveraineté nationale. Enfin, l’Iran soutient ne pas avoir eu communication de certains des documents auxquels l’Agence fait référence.

Récemment, les autorités iraniennes ont reconnu que certains des constats de l’AIEA étaient vérifiés. Face à cette nouvelle attitude, l’AIEA demande, sans obtenir satisfaction pour le moment, que l’Iran indique clairement lesquelles des affirmations de l’Agence sont fausses.

Enfin, l’Iran n’a pour le moment apporté aucune explication crédible à la détention d’un document concernant l’uranium métal. Celui-ci aurait été, aux dires des autorités iraniennes, fourni par les correspondants pakistanais, sans avoir été demandé.

Les membres de la Mission qui ont effectué des déplacements dans le Golfe persique et en Israël ont pu constater que, à de très rares exceptions près
– essentiellement des personnes d’origine ou de nationalité iranienne –, la dimension militaire du programme nucléaire iranien ne faisait de doute ni pour les experts ni pour les responsables politiques. L’ensemble des auditions de la Mission est venu confirmer cette conviction.

II – LA QUESTION : COMMENT EN EST-ON ARRIVÉ AU BLOCAGE ACTUEL ?

Dès la découverte d’indices concordants sur la dimension militaire du programme nucléaire iranien, l’inquiétude a été grande dans la communauté internationale. Bien qu’il soit difficile de percer les objectifs véritablement poursuivis par l’Iran à travers ces recherches, on ne pouvait ignorer qu’il avait violé les règles posées par le traité de non-prolifération, dont il a été l’un des premiers Etats parties. Certes, l’Inde, le Pakistan et Israël se sont dotés d’armes nucléaires sans y être autorisés par ce traité, mais ils n’y sont pas parties. La crédibilité du traité n’était donc pas remise en question par leurs agissements, aussi critiquables soient-ils, alors que le cas iranien constituerait un précédent dangereux.

Des négociations ont donc été lancées pour obtenir de l’Iran qu’il respecte les règles internationales. Malgré l’offre de contreparties considérables, celui-ci n’a toujours pas accepté de revenir dans la légalité internationale.

La Mission a essayé de comprendre comment on en était arrivé à un tel blocage, ce qui l’a conduite à tenter de répondre aux trois questions suivantes : pourquoi les négociations ont-elles échoué ? Les sanctions, prises afin de faire pression sur l’Iran, sont-elles efficaces ? Pourquoi l’Iran tient-il autant à maîtriser les technologies permettant de se doter de capacités nucléaires militaires ?

A – Pourquoi les négociations ont-elles échoué jusqu’ici ?

Toutes les personnes auditionnées par la Mission et qui ont suivi les négociations menées jusqu’à présent avec l’Iran ont souligné la difficulté de ces discussions. Au-delà de la complexité du système politique iranien, au sein duquel il n’est pas toujours évident d’identifier le décideur en dernier ressort, l’attitude des autorités iraniennes n’a jamais permis d’identifier un point d’accord possible sur les éléments clés du programme nucléaire. En effet, aucune des propositions n’est apparue comme une contrepartie suffisante aux Iraniens, qui continuent de refuser toute concession concernant leur programme d’enrichissement.

1) Malgré la participation de tous les membres permanents du Conseil de sécurité…

Après plusieurs années de dialogue associant l’Iran et trois pays européens – l’E3, à savoir la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne –, les trois autres membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies se sont finalement impliqués dans les discussions.

a) L’Europe, acteur du début des négociations

M. Gérard Araud (73) a rappelé à la Mission que, peu de temps après la confirmation par l’AIEA des révélations relatives au programme nucléaire iranien, deux attitudes différentes avaient été adoptées, par les Européens d’une part, les Américains d’autre part. Les premiers ont choisi de privilégier la voie de la négociation, alors que les Etats-Unis souhaitaient faire immédiatement appel au Conseil de sécurité des Nations unies.

Les Européens et les Américains partagent les mêmes analyses sur la dangerosité du programme iranien, comme le révèlent la déclaration sur la non-prolifération adoptée dans le cadre du G8 d’Evian les 1er et 3 juin 2003, ainsi que la déclaration commune adoptée dans le cadre du sommet UE-Etats-Unis le 25 juin 2003.

Toutefois, la position américaine, qui intègre l’Iran dans un « axe du mal » comprenant également la Corée du Nord et l’Irak, conduit à l’échec d’une première tentative de négociations, proposée par l’Iran, visant à inscrire le programme nucléaire dans des discussions globales destinées à reconnaître les intérêts stratégiques de l’Iran dans la région, et au-delà. Tenue secrète à l’époque, cette offre dite du global bargain est rejetée par les Américains (74).

A l’inverse, trois Etats européens, la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, décident de conduire des négociations avec l’Iran. Les trois ministres des affaires étrangères se rendent à Téhéran à l’automne 2003, et adoptent, avec leur homologue iranien, une déclaration conjointe Iran-E3 le 21 octobre. L’Iran s’engage à signer le protocole additionnel au traité de non-prolifération, et affirme que son programme nucléaire ne poursuit pas de fins militaires. En contrepartie de la reconnaissance du droit iranien à l’énergie nucléaire civile, l’Iran s’engage donc à suspendre ses activités d’enrichissement et de retraitement.

En application de cet engagement, l’Iran signe le protocole additionnel le 18 décembre 2003, sans le ratifier. Toutefois, son application donne lieu à plusieurs controverses entre l’AIEA et l’Iran, car ce dernier s’efforce de distinguer, au sein des activités qu’il s’est engagé à suspendre, certains éléments, notamment les équipements étrangers au site de Natanz.

Mais, dès juin 2004, l’Iran menace de réactiver son programme nucléaire si l’AIEA ne considère pas que ce dossier est clos, menace qu’il met à exécution en reprenant certaines activités durant l’été. En septembre 2004, le Conseil des gouverneurs de l’AIEA riposte et adopte une résolution soulignant les omissions faites par l’Iran concernant ses activités nucléaires.

Suite à la menace, brandie par l’AIEA, de transférer le dossier au Conseil de sécurité, les négociations entre l’E3 et l’Iran recommencent. Un accord est finalement conclu à Paris le 15 novembre 2004. L’Iran s’engage alors à suspendre toutes les activités liées à l’enrichissement, à la conversion et au retraitement. En contrepartie, l’Union européenne propose de reprendre les discussions concernant la conclusion d’un accord de coopération et de développement, et affirme son soutien à la candidature de l’Iran à l’Organisation mondiale du commerce.

Concernant ce nouvel accord de 2004, Mme Thérèse Delpech établissait la comparaison suivante avec l’offre de 2003 : « La première offre date de [2003] et a été faite par les Européens. Elle était solide d’un point de vue politique […] mais plus faible du point de vue technique, car on ne mesurait pas encore la complexité technique de la mise en œuvre d’une demande de suspension des activités d’enrichissement. […] En 2004, la situation était en quelque sorte inversée : des progrès importants avaient été réalisés sur les questions techniques, et des erreurs du premier accord ont été redressées, mais la période électorale en Iran (2004-2005) avait conduit les Européens à éviter d’être trop stricts dans la mise en œuvre de peur de favoriser les conservateurs. » (75)

Malgré ces avancées, l’élection de M. Mahmoud Ahmadinejad fait peser de nouveaux risques sur l’application de l’accord de Paris et l’Iran annonce, le 8 août 2005, la reprise de la conversion de minerai d’uranium en hexafluorure dans les usines d’Ispahan. Les discussions entre l’E3, l’Union européenne et l’Iran sont interrompues, puis brièvement renouées en septembre, en marge du sommet de l’ONU. Constatant que celles-ci se trouvent dans une impasse, les chefs d’Etat de l’E3 et le Haut représentant de l’Union européenne pour la politique étrangère et de sécurité commune décident de saisir le Conseil de sécurité des Nations unies via l’AIEA, dans le cadre de la réunion E3-UE du 12 janvier 2006.

M. Gérard Araud a expliqué à la Mission que les deux parties tiraient des conclusions « extrêmement différentes » de ces années de négociation. « Pour les Iraniens, il s’agit de deux années perdues, durant lesquelles aucune proposition acceptable ne leur a été soumise. Les Européens soutiennent pourtant qu’ils ont plusieurs fois offert, en contrepartie d’une suspension des programmes d’enrichissement de l’uranium et de centrales à l’eau lourde, une coopération très poussée dans presque tous les domaines, incluant un volet très complet sur l’énergie nucléaire. ».

b) L’entrée en jeu des autres membres du Conseil de sécurité

En l’absence de compromis obtenu par l’E3, le Conseil de sécurité des Nations unies est officiellement saisi par le Conseil des gouverneurs de l’AIEA, le 4 février 2006, à une très forte majorité(76). Cette décision introduit trois nouveaux acteurs : les Etats-Unis, la Russie et la Chine.

M. Olivier Caron (77) a décrit à la Mission les conditions du débat, au sein de l’AIEA, entre ce qu’il est convenu d’appeler « l’E3+3 » ou le groupe des Six. Si la Russie et la Chine ont voté pour la saisine du Conseil de sécurité, il n’en reste pas moins que les Russes ont fait preuve jusqu’à maintenant d’une implication plus importante que les Chinois. Ainsi, « ces derniers ont plutôt tendance à se mettre en retrait par rapport aux discussions, et à laisser la négociation s’engager à partir, notamment, de débats suscités par les positions russes. ». De fait, le débat se fait principalement entre les Etats-Unis, les Européens et les Russes, les Chinois se prononçant in fine sur l’éventail de solutions proposées.

Au cours de l’année 2006, une évolution notable de la position américaine semble ouvrir la voie à une solution positive. Comme l’a rappelé M. Gérard Araud à la Mission, « pour la première fois, la Secrétaire d’Etat des Etats-Unis, Condoleezza Rice, affirmait qu’elle accepterait de s’asseoir à la table de négociations avec l’Iran pour y discuter de tous les sujets ». Pourtant, cette proposition ne rencontre aucun écho, à l’image des différentes offres faites successivement aux Iraniens.

2) …et des concessions toujours plus nombreuses offertes aux Iraniens…

Tant au cours des discussions avec les Européens, qu’après la saisine du Conseil de sécurité, les propositions faites à l’Iran ont été constamment améliorées, sans pour autant susciter de réaction positive.

a) L’évolution favorable des offres faites aux Iraniens

Commencées comme des discussions visant à conduire un Etat à revenir au respect du traité de non-prolifération, les négociations ont finalement abouti à des offres de partenariats très diversifiés.

A l’origine, la première déclaration conjointe de l’E3 et de l’Iran se borne à constater que les activités iraniennes suscitent des accusations de la part de l’AIEA, et demande à Téhéran de modifier son comportement en conséquence. Assez vite, l’Union européenne apporte, en plus de ces éléments, des offres de coopération dans des domaines variés, dont certains concernent le nucléaire.

Voyant son influence grandir dans la région, du fait notamment du conflit irakien, l’Iran a toutefois cherché à pousser son avantage, persuadé qu’aucune mesure de rétorsion grave ne pourrait lui être opposée. Une telle attitude a été renforcée par l’élection de M. Ahmadinejad à la présidence.

Face au blocage de la situation, le groupe des Six a choisi de proposer de nouvelles coopérations à l’Iran. La première offre globale, au sujet de laquelle M. Gérard Araud a rappelé à la Mission qu’il s’agissait d’une « offre générale continuellement ouverte aux Iraniens », a été communiquée le 6 juin 2006, par M. Javier Solana. Elle comprend des propositions dans des secteurs allant de l’aviation civile à l’agriculture, en passant par les questions de sécurité régionale. Dans le domaine nucléaire, le soutien actif à la construction de réacteurs à eau légère est notamment offert.

En juin dernier, une offre révisée de coopération a été remise à Téhéran. Celle-ci reprend les thèmes de l’offre de 2006, en les développant très nettement. Les questions relatives au développement économique et social pourraient ainsi faire l’objet de nombreuses actions conjointes. Enfin, le groupe des Six s’engage à associer l’Iran aux efforts de pacification régionale, et lie la suspension du programme nucléaire iranien à la promotion d’une zone exempte d’armes nucléaires au Moyen-Orient.

b) Des refus systématiques, malgré d’apparentes ouvertures

Alors même qu’il est juridiquement impossible d’accéder à la demande de l’Iran, qui souhaite se voir reconnaître le statut de première puissance régionale, les offres de 2006 et 2008 proposent malgré tout de faire de ce pays un acteur essentiel, et considéré comme tel par tous les membres du Conseil de sécurité, de la paix dans la région. Malgré cela, les Iraniens ont persisté dans leur refus.

Ces deux propositions adressées à l’Iran ont donné lieu, de la part de ce dernier, à des contre-propositions qui ne donnent pas satisfaction. En effet, il continue de refuser de se plier aux obligations, très précises, qui lui sont faites au titre des résolutions successivement adoptées par le Conseil de sécurité des Nations unies en 2006, 2007 et 2008.

Comme le soulignait M. Gérard Araud, « les résultats de ces négociations ne lassent pas d’étonner. En réalité, il semble qu’aucune proposition, qu’elle soit sécuritaire ou commerciale, n’intéresse les Iraniens. Le seul sujet qui suscite l’intérêt de leurs négociateurs est celui de l’enrichissement de l’uranium, et ils ne répondent pas aux questions relatives à la destination finale du produit enrichi. ». C’est donc sur le point particulier de l’enrichissement que se sont cristallisées les oppositions.

3) …la suspension, même temporaire, de l’enrichissement n’a pu être obtenue.

Phase cruciale dans la conception et la fabrication d’une arme nucléaire, l’enrichissement de l’uranium est actuellement maîtrisé et effectué, sur son propre sol, par l’Iran. Faisant suite à l’AIEA, le Conseil de sécurité a demandé à l’Iran de suspendre immédiatement toutes les activités d’enrichissement, et les programmes liés.

Devant l’impossibilité de contraindre l’Iran à appliquer intégralement cette exigence, les différents négociateurs ont conçu plusieurs propositions destinées à limiter les concessions demandées à l’Iran. Dans la proposition de juin 2006, il était proposé à l’Iran de suspendre son programme d’enrichissement, en contrepartie de quoi le groupe des Six prévoyait de suspendre l’action au sein du Conseil de sécurité. Après l’adoption des premières sanctions multilatérales, l’E3+3 proposera de suspendre l’application des sanctions si l’enrichissement était suspendu.

L’Iran a répondu en affirmant être prêt à signer le protocole additionnel, dont l’application ne permet toutefois pas à l’AIEA de garantir qu’aucun programme secret n’est poursuivi, si les sanctions étaient levées. Les Six estiment que cette proposition reviendrait à autoriser l’Iran à poursuivre l’enrichissement alors même que des négociations sont en cours, lui permettant donc d’utiliser ces dernières pour gagner du temps afin de construire une bombe.

Afin de faire progresser les discussions une nouvelle proposition a été faite, explicitée dans le document de procédure The way forward, qui accompagne l’offre révisée de coopération de juillet 2008. Elle a été baptisée « double gel », et est souvent désignée sous son appellation anglo-saxonne de « freeze for freeze ».

Elle consiste, pendant une période de six semaines préalables à l’ouverture des négociations, à garantir le double engagement suivant : le programme iranien ne serait pas étendu, mais pourrait continuer à fonctionner ; en contrepartie, aucune nouvelle sanction ne serait prise, mais les sanctions actuelles continueraient à s’appliquer.

L’attitude radicale des autorités iraniennes, dès lors que le sujet de l’enrichissement de l’uranium est abordé, conduit certains observateurs à une adopter une attitude pessimiste quant à l’issue des négociations. M. François Nicoullaud expliquait ainsi à la Mission que « M. El Baradei a compris que les Iraniens ne renonceront pas à la centrifugation, car ce serait pour eux une humiliation historique, la victoire de l’Occident dans sa volonté supposée de priver le reste du monde de l’accès à la technologie. » (78)

Toutefois, l’action menée en vue de contraindre l’Iran à fournir toutes les garanties quant à la suspension des aspects militaires de son programme nucléaire ne passe pas que par des offres de négociations. En effet, des sanctions ont été adoptées, dont les effets pourraient amener les autorités iraniennes à faire évoluer leur position.

B – Les sanctions internationales ont-elles l’effet recherché ?

Hormis les premières, et importantes, sanctions américaines mises en place dès le milieu des années 1990, la plupart des sanctions internationales prises contre l’Iran l’ont été au cours des toute dernières années, dans le but d’exercer une pression sur le régime et de le pousser à respecter les demandes formulées par l’AIEA et le Conseil de sécurité des Nations unies. Elles constituent donc le « bâton » qui accompagne les « carottes » proposées dans le cadre des négociations.

L’absence d’avancées notables dans les négociations laisse à penser que les sanctions n’ont pas été efficaces, mais elles peuvent aussi avoir un effet sur le long terme, que les autorités iraniennes n’ont pas encore mesuré ou dont elles ont encore les moyens de faire abstraction.

1) Des sanctions multilatérales et unilatérales, formelles et informelles

Le diplomate américain reçu par la Mission, M. Robert Waller, a insisté sur le fait que les sanctions visaient à freiner le développement du programme nucléaire. Elles sont dirigées contre les entités participant aux activités proliférantes, et pas contre le peuple iranien, mais elles constituent un moyen de lui faire comprendre que la politique de ses dirigeants a un prix (79).

Cette conception s’applique aussi bien aux sanctions multilatérales qu’à celles imposées par les Etats-Unis.

a) Les sanctions imposées par les Nations unies

La résolution 1696 prise par le Conseil de sécurité le 31 juillet 2006 prévoit que celui-ci travaillera à l’adoption de sanctions internationales croissantes si l’Iran ne respecte pas ses engagements internationaux c’est-à-dire ne coopère pas complètement avec l’AIEA et/ou ne suspend pas ses activités sensibles avant le 31 août. Dès le 22 août, l’Iran annonce son refus de suspendre ses activités sensibles.

Mais il faut attendre le 23 décembre 2006 pour que soit adoptée par le Conseil de sécurité, à l’unanimité, la résolution 1737, qui rend obligatoire la suspension de toutes les activités liées à l’enrichissement et à l’eau lourde en Iran, y compris en recherche et développement, et met en place, en application de l’article 41 du chapitre VII de la Charte des Nations unies, les premières sanctions, modestes au demeurant : interdiction de toute contribution extérieure aux activités sensibles de l’Iran, sanctions financières à l’encontre des entités – organismes ou individus – liées aux programmes balistique et nucléaire.

L’AIEA ayant constaté, soixante jours plus tard, que l’Iran ne remplissait pas ses obligations au titre de la résolution 1737, son Conseil des gouverneurs entérine formellement la suspension de 22 des 55 projets d’assistance technique à l’Iran (80). Le 24 mars 2007, la résolution 1747 est adoptée, encore à l’unanimité. Elle comporte de nouvelles mesures qui portent sur deux domaines essentiels, l’armement (interdiction faite à l’Iran d’exporter toute arme et appel à la vigilance et à la retenue pour les exportations de certaines armes vers l’Iran) et les relations financières du gouvernement iranien avec d’autres Etats ou avec les institutions financières internationales.

Bien que l’Iran n’ait pas donné de signes de coopération, il faut attendre près d’un an avant que les sanctions soient encore renforcées. Après l’adoption de la résolution 1803 du 3 mars 2008, l’Indonésie étant le seul membre du Conseil de sécurité à s’être abstenu, la liste des sanctions est la suivante : restriction des déplacements d’une liste étendue de personnes et interdiction de visa pour une liste réduite, gel des avoirs des entités et des personnes liées aux activités proliférantes de l’Iran (en particulier la banque Sepah) ou aidant au contournement des sanctions, vigilance sur les transferts d’armes à destination de l’Iran et interdiction pour ce pays d’exporter des armes, appel à la vigilance à l’égard des activités financières de toutes les banques domiciliées en Iran, en particulier les banques Melli et Saderat, interdiction de l’exportation vers l’Iran d’une liste très étendue de biens à double usage, vigilance sur l’octroi de crédit export à destination de l’Iran, inspection des cargaisons des deux principales compagnies aériennes de transport, vigilance sur l’accès des étudiants iraniens aux formations sensibles.

La résolution 1835 du 27 septembre 2008, elle aussi adoptée à l’unanimité, est venue confirmer ces sanctions, sans en ajouter de nouvelles.

Si les négociations préalables à l’adoption de ces différentes résolutions ont souvent été difficiles, et si certains souligneront le caractère mesuré des sanctions imposées à l’Iran, force est de constater que la communauté internationale a réaffirmé à cinq reprises sa préoccupation vis-à-vis du programme nucléaire iranien et a appelé l’Iran à suspendre ses activités suspectes.

b) Les mesures complémentaires prises dans d’autres cadres multilatéraux, au premier rang desquels l’Union européenne

A travers la présence de trois de ses membres au sein du groupe des Six et le rôle éminent joué dans les négociations avec l’Iran par le Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, l’Union européenne est directement impliquée depuis longtemps dans le dossier nucléaire iranien.

Les Etats membres ont eu à cœur de prendre des dispositions visant à élargir la portée des sanctions décidées par le Conseil de sécurité des Nations unies. Une première position commune a été adoptée le 27 février 2007 (81), à la suite du vote de la résolution 1737, puis complétée le 23 avril 2007 (82) ; une troisième position commune renforçant les précédentes a été adoptée le 7 août 2008 (83).

La première position commune interdit à l’Iran de vendre ou de fournir des armes quelle qu’en soit la nature. Aux sanctions déjà en vigueur, elle ajoute une mesure invitant les États à faire preuve de vigilance et de retenue dans la vente ou la fourniture d’armements conventionnels et d’assistance technique ou financière à l’Iran. Enfin, elle élargit la liste des personnes et entités concernées par des sanctions financières (gel de fonds et avoirs financiers) et des restrictions de voyage.

Quelques jours plus tard seulement, une nouvelle position commune complète les listes précitées et impose de nouvelles mesures restrictives : interdiction aux Etats membres de fournir une assistance technique et financière, de financer et d’investir dans les armes ou dans les matières connexes en Iran ou en vue de leur utilisation par l’Iran, et de souscrire de nouveaux engagements aux fins de l’octroi de subventions, d’une assistance financière et de prêts assortis de conditions libérales au gouvernement iranien, y compris par le biais de leur participation à des institutions financières internationales, si ce n’est à des fins humanitaires et de développement

Enfin, la troisième position commune demande à tous les États membres de faire preuve de retenue lorsqu’ils souscrivent de nouveaux engagements d’appui financier public aux échanges commerciaux avec l’Iran, notamment en consentant des crédits, des garanties ou une assurance à l’exportation, et d’être vigilants s’agissant des activités menées par les institutions financières avec les banques domiciliées en Iran, en particulier la banque Saderat, dont toutes les activités dans l’Union doivent être déclarées. Elle demande aussi de faire inspecter dans leurs aéroports et leurs ports maritimes les chargements à destination et en provenance d’Iran des aéronefs et navires, en particulier ceux que possèdent ou contrôlent Iran Air Cargo et l’Islamic Republic of Iran Shipping Line, pour autant qu’il existe des motifs raisonnables de penser que tel aéronef ou navire transporte des biens frappés d’interdiction par cette position commune.

Parallèlement, trois institutions multilatérales importantes dans le domaine des affaires ont pris des initiatives renforçant dans les faits la portée des mesures décidées par les Nations unies, même si elles ne présentent pas la même force juridique que les sanctions onusiennes et communautaires.

Le Groupe d’action financière (GAFI) a adopté deux communiqués, en octobre 2007 et février 2008, mettant en garde les entreprises et les banques contre le risque de blanchiment et de financement du terrorisme associé à l’Iran et appelant les Etats membres à prendre des contre-mesures à l’encontre de l’Iran. En novembre 2007, le G 7 a publié un communiqué soulignant l’accroissement du risque pour les activités liées à l’Iran, du fait de la perspective de sanctions croissantes, d’une déstabilisation possible de la région et du risque de blanchiment identifié par le GAFI. Le groupe de l’OCDE chargé du crédit export a pour sa part déclassé le risque iranien à deux reprises, le faisant passer du groupe 4 au groupe 5 en 2006, puis du groupe 5 au groupe 6 en 2007, ce qui a conduit à un renchérissement du coût de l’assurance pour les opérations en Iran.

c) Les sanctions américaines

Devançant les initiatives multilatérales, les Etats-Unis ont pris une série de sanctions contre l’Iran, qui relèvent de quatre catégories :

– l’embargo économique de 1995 : il interdit les activités commerciales, les transactions financières et les investissements avec l’Iran, conduits à partir des Etats-Unis ou par les « US persons » ;

– les sanctions économiques de portée extraterritoriale mises en place par des lois : les plus anciennes datent de l’Iran Lybia sanctions act de 1996, remplacé en 2006 par l’Iran sanctions act, et sont dirigées contre les personnes réalisant des investissements dans le secteur pétrolier iranien ou conduisant des activités permettant à l’Iran d’acquérir ou de développer des armes chimiques, biologiques, nucléaires ou conventionnelles avancées ; elles ont été complétées en 2000 par l’Iran nonproliferation act visant les exportations de biens à double usage, puis, en 2001, par l’USA patriot act rendant obligatoire la notification des transactions suspectes ; d’autres initiatives législatives sont à l’étude au Congrès ;

– les sanctions économiques de portée extraterritoriale mises en place par des décrets-lois : il s’agit d’executive orders de 2001 et 2005 traitant respectivement le soutien au terrorisme et la participation à la prolifération, qui visent des entités dont les avoirs et intérêts sont gelés et dont les transactions avec des « US persons » sont interdites ; les listes de ces entités sont très régulièrement complétées par les autorités américaines : une nouvelle banque iranienne, l’Export development bank of Iran, a par exemple été ajoutée le 22 octobre dernier aux entités visées par le second executive order ;

– les consignes discrètes et efficaces d’abstention, informellement communiquées par les autorités américaines : ces dernières ont entrepris de convaincre les acteurs du système bancaire international de ne plus travailler avec les clients iraniens dont ils ne pourraient pas se porter pleinement garants. Pour les banques, le choix est clair : continuer à travailler avec l’Iran au risque d’être perçus par les Américains comme traitant avec des partenaires réputés dangereux, pouvant entraîner la perte de leur licence bancaire leur permettant de travailler sur l’immense marché américain ; ou bien réduire à près de zéro leurs relations avec l’Iran afin de préserver leurs positions aux Etats-Unis. Comme le souligne M. François Heisbourg, face à une telle alternative, « généralement, le calcul était vite fait… » (84) Il souligne aussi l’habileté de ce procédé, qui évite aux Américains d’apparaître en première ligne, puisque l’initiative de la rupture avec l’Iran vient des banques elles-mêmes, et qui vise l’étouffement bancaire de l’économie iranienne.

2) Un impact sur l’économie iranienne difficile à mesurer

Bien que M. Denis Bauchard et M. Michel Miraillet aient estimé que, du fait des réticences russe et chinoise, les sanctions prises par les Nations unies sont restées de faible portée et ne comportent par de dispositions très gênantes (85), la plupart des interlocuteurs de la Mission a reconnu qu’elles – et particulièrement les sanctions informelles des autorités américaines – avaient un certain effet sur l’économie iranienne, malgré les possibilités de contournement offertes aux Iraniens.

a) Des sanctions en partie contournées

Tous les Etats membres des Nations unies ne respectent pas scrupuleusement les sanctions décidées par le Conseil de sécurité, tous les membres de l’Union européenne ne font pas preuve de la même vigilance et certains organismes financiers ne se laissent pas influencer par les pressions américaines. L’Iran peut donc s’engouffrer dans de nombreuses failles pour parvenir à ses fins, ou du moins pour desserrer l’étau des sanctions.

Les Emirats arabes unis – et plus précisément Dubaï – et la Chine sont les deux Etats les plus souvent cités par les personnes entendues par la Mission parmi ceux qui aident l’Iran à contourner les sanctions.

M. François Nicoullaud (86) et M. Gérard Araud (87) ont constaté que de nombreux achats se font à Dubaï en contournant les sanctions américaines.

M. Denis Bauchard a poussé plus loin ses accusations, en affirmant que « la contrebande se développe, en particulier via Dubaï, devenu deuxième fournisseur de l’Iran, qui est la plaque tournante des flux commerciaux et financiers avec ce pays. Des produits sensibles, voire sous embargo, y transitent. » (88)

Il est vrai que les sanctions américaines ne sont véritablement contraignantes que pour les entreprises américaines et gênantes que pour les entreprises d’autre nationalité qui ont des activités aux Etats-Unis. Si l’absence de respect de ces mesures par les Emirats arabes unis peut surprendre au regard de leur proximité stratégique des Etats-Unis, elle ne constitue pas un manquement à leurs engagements internationaux ; il en irait évidemment tout autrement du non-respect des sanctions onusiennes.

A l’occasion de leur déplacement à Abou Dabi et à Dubaï, votre Président et votre Rapporteur ont naturellement interrogé leurs interlocuteurs sur ce point. La ministre du commerce extérieur a présenté très clairement la position officielle de son pays sur ce sujet : les Emirats s’efforcent de trouver un équilibre entre de bonnes relations économiques avec l’Iran, qui est leur premier partenaire commercial dans la région, et le respect des règles internationales. Ils mettent donc en œuvre les sanctions décidées par les Nations unies, sur le fondement interne d’une loi d’application, mais pas les sanctions unilatérales américaines relatives au secteur financier car le pays veut avant tout préserver sa réputation de place financière, essentielle pour son avenir. Il est d’ailleurs apparu dans la conversation que les autorités ne mettaient pas de zèle particulier dans l’application des sanctions internationales : par exemple, elles interviennent si un bateau leur est signalé comme susceptible de transporter des marchandises prohibées à destination de l’Iran, mais elles ne contrôlent pas toutes les cargaisons, mettant en avant le temps perdu et l’énormité des moyens que des contrôles systématiques exigeraient.

Le sous-directeur exécutif de l’Iranian business council de Dubaï, lui-même d’origine iranienne, a surtout insisté sur l’impossibilité de faire respecter les interdictions d’exportations de marchandises vers l’Iran à cause de la longueur des frontières iraniennes et du grand nombre de ses voisins, par l’intermédiaire desquels toutes les marchandises peuvent entrer illégalement dans le pays. Il a d’abord minimisé le rôle des banques iraniennes installées aux Emirats avant de reconnaître la place de Dubaï dans les mécanismes de financement des importations iraniennes : selon lui, même si elles achètent des produits autorisés, les entreprises iraniennes ont tendance à transférer leur argent hors d’Iran ou possèdent des filiales émiriennes qui assurent le financement des achats. Il est en effet possible d’ouvrir des lettres de crédit dans des banques émiriennes dont les capitaux sont en partie iraniens pour assurer le paiement de marchandises vendues à l’Iran, alors que les autres banques refusent ce type de transactions car les mises en garde américaines les dissuadent d’avoir des relations avec les banques iraniennes.

L’ambassadeur de France aux Emirats arabes unis a confirmé que les sanctions étaient contournées via des pays comme la Malaisie et le Pakistan, la compréhension témoignée par ce dernier n’étant probablement pas sans lien avec le fait qu’il abrite la deuxième communauté chiite du monde.

Plus généralement, les sanctions stimulent le développement du secteur informel, qui représente, selon M. Bernard Hourcade, 40 % de l’économie iranienne (89).

La mise en cause de la Chine par les personnes entendues par la Mission a été fréquente mais moins directe : elle n’est pas accusée de contrebande, mais de manque de fermeté dans ses relations économiques avec l’Iran. En particulier, elle est présentée comme totalement insensible aux pressions américaines, ce dont témoigne la récente conclusion d’un accord entre les compagnies pétrolières nationales des deux pays. Elle profite ainsi des réticences occidentales à commercer avec l’Iran pour intensifier ses relations avec lui. Plusieurs responsables politiques iraniens ont souligné devant la délégation de la Mission ce phénomène de substitution des investisseurs de pays asiatiques, au premier rang desquels la Chine, aux investisseurs occidentaux.

Globalement, les interlocuteurs français de la Mission mettent en avant le fait que notre pays et nos entreprises appliquent très rigoureusement les sanctions internationales et font preuve de retenue dans leurs investissements en Iran, contrairement à nombre de nos partenaires : outre la Chine et l’Inde, certains citent, parmi les Etats qui sont nettement plus souples, l’Autriche et l’Italie, d’autres la Suisse et l’Allemagne.

Il est probable que, dans une certaine mesure, les ressortissants de ces Etats formulent le même type d’accusations contre la France, mais il est indéniable que la place de notre pays dans l’économie iranienne est en net recul.

Entre 2006 et 2007, nos importations en provenance d’Iran sont restées stables, mais nos exportations ont enregistré une contraction de 20 %, qui a surtout touché les biens d’équipement professionnels, le secteur automobile et les produits raffinés. Les garanties accordées par la COFACE pour le compte de l’Etat ont été réduites de plus de 15 % entre la fin 2006 et le 30 juin 2008, et sont désormais limitées à 13,5 % de l’encours allemand. Le montant maximal des opérations couvertes a été abaissé de 20 % entre 2005 et 2007. Les entreprises françaises ont divisé par quatre leur flux d’investissements directs vers l’Iran au cours des trois dernières années et le stock des investissements directs a aussi fortement chuté, de 638 millions d’euros en 2005 à 134 millions d’euros en 2006. L’exposition des banques françaises, pourtant installées de longue date en Iran, a été réduite de plus de la moitié en un an et leurs engagements sont passés de 5,8 milliards de dollars en mars 2006 à 2 milliards de dollars mi-2007. De même, les entreprises énergétiques françaises ayant été expressément appelées par nos autorités à faire preuve de retenue en Iran, elles n’ont pas répondu aux appels d’offres lancés dans le domaine des hydrocarbures.

Les sanctions ont aussi un coût non négligeable pour l’économie américaine. Selon plusieurs études, il correspondrait à une réduction de 50 à 90 % du flux potentiel d’exportations. S’y ajoute la perte de revenus liée à l’absence de relations bancaires entre les Etats-Unis et l’Iran, qui est impossible à chiffrer. L’idée selon laquelle les importations iraniennes en provenance des Etats-Unis seraient simplement détournées par Dubaï ne trouve qu’une confirmation limitée dans les statistiques commerciales disponibles : l’écart entre les exportations vers l’Iran déclarées par les douanes américaines et les importations originaires des Etats-Unis déclarées par les douanes iraniennes est inférieur à 500 millions de dollars sur la période 1997-2003, contre un chiffre équivalent de 2,8 milliards de dollars pour la Suisse et de 1,8 milliard de dollars pour l’Allemagne.

Votre Rapporteur a ainsi l’impression que les sanctions ont comme effet certain de faire un tort considérable aux intérêts économiques des pays qui les appliquent avec le plus de rigueur. Il estime que ce sacrifice ne doit être consenti que si les sanctions atteignent leur but final, qui est de gêner l’économie iranienne et d’exercer à travers elle une pression sur les autorités politiques. Or, il semble que si, en dépit des moyens de contournement, le premier objectif est en partie atteint, le second ne soit pas encore en vue.

b) Des sanctions qui accentuent les fragilités de l’économie iranienne

La quasi-totalité des personnes entendues par la Mission juge que les sanctions ont des effets sur l’économie iranienne, les mises en garde des autorités américaines adressées aux banques actives en Iran étant généralement considérées comme les plus efficaces.

C’est en effet à travers le système financier que les conséquences des sanctions se font sentir de la manière la plus immédiate. Elles ont contribué à couper le système bancaire iranien des grandes banques internationales, qui ont réduit ou cessé leur financement d’activités en Iran, en particulier après l’adoption à l’encontre des banques publiques Sepah, Melli, Saderat et Mellat des sanctions internationales et américaines. La contraction de l’offre bancaire internationale a entraîné une hausse des primes de risque sur l’Iran, le tarif de confirmation des lettres de crédit étant ainsi passé de 2 % début 2006 à une fourchette comprise entre 6 et 12 % aujourd’hui.

M. Gérard Araud a souligné le poids des sanctions informelles américaines sur le financement de l’économie iranienne : « Les banques occidentales, soucieuses de leur réputation, ont rompu toute relation avec l’Iran, provoquant dès lors un véritable assèchement des liquidités. Les investisseurs sont obligés de passer par les circuits financiers de Dubaï, ce qui occasionne des taux d’intérêt supérieurs d’environ cent points de base à la normale. » (90)

Les sanctions contribuent ainsi incontestablement à accentuer un phénomène inflationniste dont les causes internes ont été mentionnées supra. Le président de la Chambre de commerce et d’industrie d’Iran a déclaré, le 16 septembre 2008, que le coût des importations avait augmenté à cause des sanctions. Il a expliqué que, en comparant les prix des produits importés au cours des quatre premiers mois de l’année iranienne avec les chiffres de la même période de l’année précédente, on constatait que leurs prix avaient augmenté de 48 % en dollars et de 25 % en euros, alors que les indices d’inflation sur les marchés mondiaux restaient compris entre 2,5 % et 4,5 %. Cette hausse est liée au recours à un plus grand nombre d’intermédiaires, à la progression des coûts bancaires et des primes d’assurance.

A plus long terme, les sanctions vont se traduire par de grandes difficultés à maintenir la productivité du tissu industriel iranien et à réaliser les programmes d’infrastructures : l’importation des biens d’équipement sera plus coûteuse, voire impossible – du moins par une voie légale – pour les biens considérés comme d’usage dual, et les investissements étrangers vont se tarir. Mme Thérèse Delpech a observé que les investissements dans le pays avaient déjà fortement baissé (91). Selon la CNUCED, le flux des IDE entrants n’a représenté que 700 millions de dollars en 2007, contre 24 milliards de dollars en Arabie Saoudite. Cela va pénaliser en particulier le secteur de la construction automobile, qui est pourtant susceptible de créer un grand nombre d’emplois, et celui des hydrocarbures. Dans ce dernier domaine, l’Iran aurait besoin de 5 milliards de dollars d’investissements étrangers par an pour moderniser ses sites d’exploitation terrestres et en ouvrir de nouveaux, et de 8 à 10 milliards de dollars pour développer ses sites en haute mer.

Pour développer, et même seulement maintenir, son niveau de production d’hydrocarbures et sa capacité de raffinage, l’Iran doit bénéficier d’investissements étrangers et de transferts de technologies : si les puissances asiatiques peuvent éventuellement lui fournir les premiers, le pays ne peut totalement se passer des pays occidentaux qui sont les seuls à maîtriser les technologies les plus avancées.

Selon M. Gérard Araud, « les entreprises occidentales disposent d’une expertise technologique qui fait d’elles des partenaires incontournables, comme dans le domaine de la liquéfaction du gaz, tandis que certains contrats signés par la Chine ou la Russie ont peu de chance d’être réellement mis en œuvre ». M. Olivier Caron a également mis en avant le ralentissement des transferts technologiques en provenance de l’Occident (92).

En l’absence du soutien occidental au secteur énergétique, l’Iran va notamment devoir accroître encore ses importations de produits raffinés.

Il serait donc inexact d’affirmer que les sanctions actuellement dirigées contre l’Iran n’ont aucun impact sur son économie. Comme l’a indiqué M. Robert Waller, les effets des sanctions sont lents, mais semblent réels. Il a fait remarquer que, lorsque l’on écoute les autorités iraniennes, l’impression prévaut que ces sanctions n’ont guère d’impact, mais qu’elles en demandent néanmoins la levée (93). On peut objecter que les Etats-Unis ont tout intérêt à valoriser les effets de sanctions dont ils sont directement ou indirectement à l’origine. Mais la quasi-totalité des interlocuteurs israéliens de votre Rapporteur et votre Président ont aussi reconnu que les sanctions avaient des effets réels, même s’ils ont plaidé pour leur durcissement.

Faire la part entre le poids des sanctions et celui de la politique économique dans la situation économique actuelle est malaisé, notre conseiller économique estimant que la responsabilité de chacun de ces deux facteurs est à peu près équivalente. Les mesures prises donc ont bel et bien des effets, mais ceux-ci n’ont pas suffi à faire évoluer la position des autorités iraniennes sur le dossier nucléaire.

3) Des sanctions qui n’ont pas modifié le comportement du régime

Avant même d’avoir un impact sur l’économie iranienne, les sanctions multilatérales ont constitué, dès leur adoption, un signe politique à destination du régime iranien : décidées sans opposition, elles témoignent de l’unité de la communauté internationale, et donc de l’isolement du pays.

Comme M. Michel Miraillet l’a observé, même si les sanctions sont de faible portée, leur adoption a « eu le mérite de démontrer que la Russie et la Chine restaient aux côtés des Occidentaux, signal non négligeable pour Téhéran » (94). M. Denis Bauchard a aussi mentionné la portée essentiellement politique et symbolique de l’adoption des différentes résolutions des Nations unies exigeant de l’Iran qu’il coopère avec l’AIEA et suspende ses activités suspectes (95).

M. Olivier Caron a mis l’accent sur un autre élément psychologique intéressant : jusqu’à aujourd’hui, l’Iran semblait penser, avant chaque nouvelle étape, que les Occidentaux n’oseraient pas aller jusqu’au bout de la logique des sanctions, offrant donc une échappatoire pour les revendications iraniennes (96). La poursuite du processus et l’aggravation progressive des sanctions ont démontré au régime iranien qu’il pêchait par excès de confiance, ce que M. Jean Félix-Paganon a lui aussi souligné (97).

M. François Heisbourg rappelle pour sa part l’effet politique que l’adoption de la première résolution du Conseil de sécurité imposant des sanctions a eu en Iran, alors qu’elle intervenait après que l’impopularité du président Ahmadinejad avait été révélée par des élections municipales et à l’Assemblée des experts. Pour la première fois, des journaux exprimaient des doutes sur la façon dont le gouvernement gérait ses ambitions nucléaires tandis que des responsables politiques, parmi lesquels l’ancien président Rafsandjani, président du Conseil de discernement des intérêts supérieurs du régime, critiquait le président iranien et mettait en garde contre les conséquences d’éventuelles actions militaires occidentales. Le désordre était tel que le Guide suprême est intervenu pour affirmer qu’il ne craignait pas une intervention américaine, à laquelle l’Iran saurait riposter. (98)

M. Bernard Hourcade a observé que les sanctions avaient eu le mérite de faire bouger les lignes politiques internes. Selon son analyse, elles poussent les « fondamentalistes réformateurs » à rompre avec le président Ahmadinejad dont la politique est jugée suicidaire (99).

L’adoption des sanctions multilatérales a donc bel et bien suscité des réactions politiques en Iran, mais pas au point de faire évoluer positivement la position du régime.

Mme Thérèse Delpech considère que les sanctions actuelles ne sont pas assez efficaces pour qu’un vrai débat s’ouvre à Téhéran sur l’opportunité de poursuivre la politique de confrontation. M. Denis Bauchard constate que, si l’impact commence à se faire sentir sur l’économie, pour l’instant, il n’a pas modifié la politique extérieure de l’Iran, notamment ses positions sur le nucléaire.

M. François Nicoullaud établit quant à lui un lien entre l’impuissance des sanctions à remettre en cause le régime lui-même, et le niveau très élevé du cours du pétrole. (100) On peut donc s’attendre à ce que la brutale chute des cours provoquée par la crise financière mondiale renforce dans une certaine mesure l’effet des sanctions. Le conseiller économique de l’ambassade de France à Téhéran confirme que la baisse des recettes pétrolières rendra plus difficile la situation budgétaire du pays et donc la poursuite de la politique de redistribution du régime, indépendamment de toute éventuelle réforme du système de subventions. Mais il rappelle que le pays est parvenu à survivre lorsque le baril de pétrole n’était qu’à 15 dollars, grâce à une grande capacité de résilience.

Comme on pouvait s’y attendre, les sanctions sont aussi instrumentalisées par le pouvoir, qui les présente comme dictées par les Américains, leur attribue l’entière responsabilité de la situation économique difficile et tente de dissimuler ainsi les erreurs de sa politique dans ce domaine. Mais il n’est pas sûr du tout que la population soit dupe.

Globalement, les sanctions ne sont pas dépourvues de tout effet sur le pays comme sur le régime, mais ce dernier n’en a pas pour autant infléchi sa position dans le dossier nucléaire. Il convient donc de s’interroger sur les buts qu’il poursuit à travers son programme nucléaire, lesquels lui apparaissent plus importants que le développement économique de l’Iran.

C – Quelles sont les motivations de l’Iran ?

La puissance régionale de l’Iran est déjà considérable, votre Rapporteur l’a démontré supra. On peut donc légitimement s’interroger sur ce que la possession d’une bombe nucléaire, ou au moins l’acquisition de la technologie nécessaire à en fabriquer une, lui apporterait de plus.

Dans la mesure où l’Iran ne reconnaît pas ouvertement ses ambitions nucléaires militaires, il n’a évidemment pas l’occasion de présenter sa stratégie d’utilisation d’une éventuelle bombe. On ne peut donc compter que sur les analyses des différents experts pour essayer de percer ses motivations et ses objectifs.

1) Les arguments à usage interne

Comme votre Rapporteur l’a expliqué supra, les autorités iraniennes justifient leur programme nucléaire par leur volonté de se doter d’une capacité nucléaire civile. Elles mettent en avant un souci d’indépendance nationale, argument qui ne résiste pas à l’examen des experts, mais auquel le peuple iranien est naturellement très sensible.

Plusieurs interlocuteurs iraniens de la Mission ont déclaré ne pas comprendre pourquoi l’Occident s’opposait ainsi aux progrès de la science et de la technologie en Iran, refusant de reconnaître que ses inquiétudes quant à la finalité des recherches en cours pouvaient avoir un fondement. Les Occidentaux sont accusés de vouloir défendre égoïstement leur supériorité technologique actuelle et maintenir le retard des pays musulmans en général, et de l’Iran en particulier.

Face à une telle présentation de la situation, il n’est pas étonnant que, conformément à ce qu’affirme M. François Géré, « les Iraniens demandent unanimement la reconnaissance de leur droit inaliénable au nucléaire civil » (101), droit que, en fait, personne ne conteste en tant que tel. Selon l’analyse de M. Gérard Araud, leur sensibilité à ce type d’arguments est accentuée par leur fierté nationale, et par l’influence du chiisme, qui conduit le pays à se présenter volontiers comme une victime (102).

On ne peut pas pour autant déduire de ce soutien au nucléaire civil une volonté populaire en faveur du nucléaire militaire, ce dernier ayant été condamné par plusieurs fatwas.

L’instrumentalisation à usage interne de ce dossier par le pouvoir ne fait guère de doute. M. Ahmed Kamel affirme que le régime iranien a besoin de tensions avec l’extérieur pour contrôler la situation intérieure (103). Quant à M. Jubin Goodarzi, il replace cette question dans le contexte de mécontentement croissant de la population et y voit l’occasion, pour le régime, de remporter un succès qui fasse oublier les sujets de mauvaise humeur (104).

Le régime ne manque d’ailleurs pas de faire grande publicité de chaque progrès accompli sur la voie de la maîtrise de tous les éléments du cycle de combustible, et notamment de l’entrée en fonctionnement de nouvelles centrifugeuses.

Ce qui constitue un sujet légitime de fierté nationale pour le peuple iranien représente aussi un élément de prestige international, sur lequel votre Rapporteur va revenir.

2) Devenir un Etat du seuil ou disposer d’une véritable bombe ?

M. Gérard Araud résume ainsi les perspectives du programme nucléaire iranien : « le cas du programme nucléaire iranien se résume à une alternative à deux branches. Soit l’Iran souhaite disposer d’une bombe nucléaire, soit il souhaite disposer de ce qu’il est convenu d’appeler " l’option japonaise ", à savoir la mise au point des capacités technologiques leur permettant de disposer, dans un délai très court, d’une arme nucléaire. ».

a) Construire la bombe, un objectif à la portée de l’Iran

Les recherches menées par l’Iran afin de développer un missile balistique doté d’une tête nucléaire ont été précédemment évoquées. S’il est évident que l’Etat iranien cherche à maîtriser les technologies nécessaires à cette fin, la question des obstacles restant à franchir ne doit pas être négligée. En effet, l’Iran dispose à l’heure actuelle des compétences clés pour fabriquer une arme nucléaire, seule la question de l’enrichissement posant encore problème.

Le rapport National Intelligence Estimate 2007 sur l’Iran indique que d’importantes difficultés sont à attendre au dernier stade de la transformation de l’uranium hautement enrichi en uranium métal. Plusieurs interlocuteurs de la Mission ont affirmé, au contraire, que cette question ne posait pas de problème majeur. La possession d’un document relatif à l’uranium métal semble montrer, par ailleurs, que l’Iran dispose de connaissances certaines dans ce domaine.

Les problèmes liés à la miniaturisation de la bombe ne se poseraient que si l’Iran développait une arme de type « canon à uranium », qui correspond au procédé employé par la bombe d’Hiroshima. Toutefois, l’existence du programme « Green salt » et des projets de développement d’explosifs disposés en demi-sphère semblent montrer que l’Iran s’inspire des modèles de bombes A chinoises, qui sont dès l’origine plus compactes.

En réalité, de nombreux interlocuteurs de la Mission ont souligné que le principal obstacle à la production d’une bombe iranienne concernait le passage de l’uranium faiblement enrichi à l’uranium hautement enrichi. En effet, la mise au point de centrifugeuses et leur fabrication semblent maîtrisées par l’Iran. Toutefois, ce dernier peine encore à faire fonctionner de manière optimale les structures dont il s’est doté. Bien que la conversion d’un système d’enrichissement civil en une infrastructure à vocation militaire soit théoriquement simple à concevoir, plusieurs problèmes pratiques doivent être résolus avant d’arriver à ce résultat.

M. Olivier Caron a rappelé que ces conclusions devaient être appréciées par rapport aux exigences requises pour la fabrication des armes nucléaires occidentales. Ces dernières, destinées à offrir à leur détenteur un outil de dissuasion efficace, doivent répondre à un grand nombre de contraintes opérationnelles, auxquelles une éventuelle arme iranienne pourrait sans doute se soustraire.

Dès lors, il a indiqué que l’Iran ne pourrait pas fabriquer une bombe nucléaire avant trois à cinq ans. Cette estimation est la plus lointaine parmi toutes celles proposées à la Mission. D’autres experts estiment possible que l’Iran soit capable de construire sa première bombe à la fin de l’année 2009, quoique cette date ne soit pas très probable. Si le rythme actuel du programme d’enrichissement iranien est maintenu, la plupart des analyses situent donc entre 2010 et 2012 la date de fabrication de la première arme nucléaire iranienne.

Mais l’Iran pourrait préférer ne pas rendre public un tel événement, sa contentant de faire savoir aux autres Etats qu’il est en mesure de se doter rapidement d’une arme nucléaire, voire même qu’il est déjà en possession de cette dernière.

b) Les possibilités offertes par le contournement du traité de non-prolifération

Afin de profiter des effets politiques de la détention de l’arme nucléaire, sans pour autant devoir se retirer du traité de non-prolifération, comme l’impliquerait la révélation au reste du monde de l’existence d’une bombe nucléaire, l’Iran pourrait opter pour un statut ambigu, parfois baptisé « d’option japonaise ».

Constitutionnellement contraint de limiter fortement son effort de défense, le Japon n’a pas renoncé pour autant à exercer une influence importante sur les équilibres internationaux. Dès lors, et malgré la protection nucléaire offerte par la puissance américaine, le Japon a fourni des efforts importants afin de se hisser parmi les Etats les plus compétitifs dans le domaine de l’énergie nucléaire.

Les compétences des équipes scientifiques japonaises intervenant dans le domaine nucléaire, récemment rappelées, par exemple, dans le cadre du projet ITER, offrent l’assurance à leur pays de pouvoir disposer, dans un délai très rapide – certains l’évaluent à moins d’un an – d’une arme nucléaire de niveau avancé. Pour autant, aucun programme n’est officiellement poursuivi dans ce domaine, juridiquement et politiquement extrêmement sensibles.

L’autre possibilité ouverte à l’Iran s’inspirerait de la situation d’Israël, qui possède des armes nucléaires sans jamais en faire officiellement état. Une telle voie comporte toutefois des inconvénients importants pour l’Iran. En effet, en tant qu’Etat partie au traité de non-prolifération, l’Iran serait soumis à un régime d’inspection de l’AIEA qui ne concerne pas Israël à l’heure actuelle.

Dès lors, « l’option japonaise » semble une alternative envisageable pour l’Iran. Toutefois, comme le rappelait M. Michel Miraillet à la Mission, elle n’est pas cohérente avec le fait que l’Iran mène un programme balistique dont plusieurs indices tendent à montrer qu’il est voué à être associé à un programme nucléaire militaire. Quel que soit le choix final effectué par l’Iran, il est nécessaire de comprendre les usages que ce pays pourrait faire de sa future arme nucléaire afin d’essayer de lui faire renoncer à ce projet.

3) Une bombe pour quoi faire ?

L’arme nucléaire n’a été utilisée que deux fois de manière offensive. Depuis, elle sert essentiellement à prévenir toute attaque, en menaçant l’ennemi d’une destruction complète. Reste à savoir si l’équilibre de la dissuasion s’applique également au cas iranien.

a) Une utilisation offensive peu probable, une vocation défensive discutable

Les déclarations du président Ahmadinejad concernant l’avenir de l’Etat d’Israël ont très légitimement suscité un grand émoi. L’idée d’un Iran doté d’une arme nucléaire, et dirigé par un individu souhaitant la disparition d’un autre Etat, est en effet l’une des plus inquiétantes qui soit.

Il faut toutefois examiner la situation plus avant. En effet, dans le cas d’une attaque nucléaire d’Israël par l’Iran, ce dernier devrait faire face à une riposte sans commune mesure avec ses éventuels moyens d’offensive. Israël, selon les estimations publiques les plus connues, disposerait d’environ 150 têtes nucléaires. Par ailleurs, la présence de la Vème flotte américaine rappelle à l’Iran que l’arsenal américain, supérieur à 2 000 têtes nucléaires, serait certainement utilisé contre lui. De la même manière, une éventuelle agression nucléaire contre un Etat européen, ou tout autre allié de la France, pourrait justifier l’utilisation de l’outil de dissuasion français, fort d’environ 300 têtes nucléaires.

M. Jubin Goodarzi (105) a observé que : « Depuis 29 ans, il [le régime iranien] n’a jamais été ni irrationnel, ni suicidaire ». La vocation d’un éventuel arsenal nucléaire iranien serait donc plutôt défensive.

Comme le notait M. Gérard Araud, « l’Iran est entouré par trois Etats disposant de l’arme nucléaire, et a subi sur son sol les conséquences d’attaques d’armes de destruction massive lors de la guerre Iran-Irak, lorsque les Irakiens ont utilisé des armes chimiques, sans que cela suscite de réaction de la part des grandes puissances. ». Ainsi, proche d’Israël et de l’Inde, voisin immédiat du Pakistan et de la Russie, et entouré par la flotte américaine, l’Iran verrait, dans la possession d’une arme nucléaire, un instrument essentiel à la défense de son indépendance, et un moyen d’éviter que ne soient employés contre lui des moyens de guerre provoquant de trop nombreuses pertes civiles, comme lors de la « guerre des villes ». Certains ont d’ailleurs observé que le programme nucléaire iranien s’était accéléré depuis la prise de Bagdad par l’armée américaine, qui avait montré l’immense supériorité militaire des Etats-Unis et fait craindre que Téhéran soit leur prochain objectif.

Compréhensible, cette justification n’est pas recevable pour autant. L’apparition d’une nouvelle puissance nucléaire de la région ne manquerait pas, en effet, de susciter un renouveau des efforts déjà amorcés par certains Etats du Proche et Moyen-Orient en vue de se doter à leur tour d’une arme nucléaire. Certains des interlocuteurs de la Mission ont ainsi souligné que, si l’on ne pouvait pas parler de véritables « programmes nucléaires militaires » algérien ou égyptien, il est certain que d’autres Etats, notamment l’Egypte ou la Turquie, possèdent des compétences, voire des infrastructures, qui leur permettraient de s’engager à leur tour, et rapidement, sur la voie du nucléaire militaire. L’Arabie saoudite a, quant à elle, les moyens financiers de se doter d’une arme nucléaire, notamment par l’intermédiaire du Pakistan, avec lequel elle a des liens de proximité.

La perspective d’une prolifération nucléaire accélérée est parfois considérée comme une source de stabilité (106). De telles spéculations sont difficiles à soutenir, d’autant que la perspective d’un Iran nucléaire recèle d’autres dangers pour la préservation des équilibres dans une région hautement sensible.

b) L’arme nucléaire, soutien d’une politique de puissance

Pour l’Iran, la détention d’une arme nucléaire pourrait n’être ni une question défensive, ni un moyen d’attaquer Israël. Ambitionnant de voir sa puissance s’imposer dans la région, l’Iran semble poursuivre, à travers la conduite d’un programme nucléaire militaire, une politique de prestige, destinée à asseoir son influence.

M. Nasser Kamel (107) a ainsi affirmé que l’objectif de l’Iran était d’appartenir au « club des Etats nucléaires ». M. François Géré a quant à lui rappelé à la Mission que « l’Iran voulait être perçu comme la principale puissance de la région ». M. François Nicoullaud évoque, au sujet du programme nucléaire, « un instrument d’affirmation de soi et d’influence pour l’Iran ». Pour M. Jubin Goodarzi, le programme nucléaire a pour principal objectif l’accroissement de l’influence et du prestige iraniens.

L’objectif de l’Iran doit être pris en compte, sans pouvoir pour autant être accepté. M. Gérard Araud a ainsi expliqué à la Mission que « le principal risque lié à la possession de l’arme nucléaire par l’Iran réside dans le sentiment d’invulnérabilité qui peut en résulter pour Téhéran ». Cette perspective pourrait être très perturbatrice pour le maintien de la stabilité régionale, notamment en l’absence de changement de la posture iranienne concernant les conflits voisins.

En outre, s’il est peu probable que l’Iran mette une arme nucléaire directement à la disposition de l’un des groupes d’activistes qu’il soutient dans la région, il est à craindre que ceux-ci se sentent d’autant plus libres d’agir que leur protecteur sera puissant. La peur du détournement de substances radioactives par ces groupes afin de fabriquer des bombes sales susceptibles d’être utilisées partout dans le monde n’est pas non plus infondée.

En dernière analyse, le programme nucléaire iranien ne peut être abordé que comme un des éléments de la transformation des équilibres régionaux, dans un contexte marqué, notamment, par les difficultés rencontrées par les Etats-Unis en Irak et par l’OTAN en Afghanistan, et l’absence d’avancées dans le règlement du conflit israélo-palestinien. Reconnu par plusieurs interlocuteurs de la Mission, ce constat donne plusieurs clés pour permettre de renouveler le cadre des négociations.

III – L’OBJECTIF : OBTENIR DE L’IRAN QU’IL JOUE UN RÔLE STABILISATEUR DANS LA RÉGION

Malgré les efforts déployés par le groupe des Six, et surtout par le Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, pour poursuivre la négociation avec les autorités iraniennes et obtenir de celles-ci qu’elles respectent les résolutions du Conseil de sécurité, les circonstances n’ont pas été très favorables au déblocage de la situation : la présence, à la tête des Etats-Unis d’une part, à la présidence iranienne d’autre part, de personnalités radicales n’a pas facilité le dialogue ; l’importance des troupes occidentales et la situation sécuritaire dégradée en Irak et en Afghanistan ont alimenté le sentiment d’encerclement de l’Iran, même si ce dernier joue un rôle ambivalent dans ces deux pays ; l’aggravation de la situation dans les Territoires palestiniens et l’absence d’avancée dans la création d’un Etat palestinien, ainsi que le regain des tensions intercommunautaires au Liban, crises dans lesquelles les groupes d’activistes soutenus par l’Iran sont directement en cause, ont mis en évidence, une fois de plus, la capacité de nuisance de la République islamique.

A – Le contexte politique peut-il évoluer positivement au cours des prochains mois ?

Les trois pays qui jouent, d’une manière ou d’une autre, les premiers rôles dans la situation au Moyen-Orient vont connaître des échéances politiques importantes au cours des prochains mois : tel est le cas des Etats-Unis, où le président élu le 4 novembre dernier entrera en fonction le 20 janvier, mais aussi celui de l’Iran, où l’élection présidentielle se tiendra en juin prochain, et d’Israël, qui s’apprête, de manière anticipée, à renouveler en février prochain la Knesset.

Votre Rapporteur s’interroge ici sur ce que l’on peut raisonnablement attendre de ces échéances électorales, à l’issue encore inconnue, et du changement à la tête des Etats-Unis pour le déblocage du dossier nucléaire et l’amélioration des relations de l’Iran avec le reste du monde.

1) Dans quelle mesure le président élu va-t-il faire bouger les positions américaines ?

L’élection de M. Barack Obama à la présidence des Etats-Unis a déclenché un vent d’enthousiasme sur toute la planète. Chacun en attend des changements fondamentaux dans la politique étrangère américaine, qui permettraient de résoudre les nombreuses crises internationales actuelles dont la responsabilité est attribuée, au moins à un certain degré, aux erreurs du président Bush.

a) Les critiques adressées à la politique menée par le président Bush envers l’Iran

Si l’on ne peut, de toute évidence, rendre l’administration Bush responsable de l’absence de relations entre les Etats-Unis et l’Iran, des critiques peuvent lui être faites dans sa gestion des affaires moyen-orientales et la manière dont il s’est comporté vis-à-vis de ce pays.

De fait, les interventions militaires américaines en Afghanistan et en Irak ont directement contribué à renforcer la position de l’Iran dans la région en supprimant les deux ennemis les plus immédiats du pouvoir iranien, c’est-à-dire le régime des talibans et celui de Saddam Hussein. Cette conséquence paradoxale des deux conflits déclenchés à la suite des attentats du 11 septembre 2001 a été soulignée par de nombreux interlocuteurs de la Mission.

Comme l’a rappelé M. Ali Ahani, l’Iran a été l’un des premiers pays à reconnaître la validité du processus politique amorcé après la chute de Saddam Hussein. Il a souligné que cette posture avait d’ailleurs été très vivement critiquée par nombre de pays arabes qui lui reprochaient de se placer du côté des Etats-Unis (108).

Mais cette position iranienne doit être replacée dans son contexte : alors que, dans son discours sur l’état de l’Union de janvier 2002, M. George Bush avait inclus l’Iran dans « l’axe du mal », les Américains apparaissaient victorieux en Irak, au printemps 2003. L’Iran, qui se sentait encerclé et craignait être la prochaine victime des Etats-Unis – selon M. Jubin Goodarzi, la formule alors en vogue à Washington était : « tout le monde veut aller à Bagdad, mais les hommes, les vrais, veulent aller à Téhéran » (109) –, a alors proposé à ceux-ci un « grand marchandage » couvrant les affaires nucléaires, la lutte contre le terrorisme et l’Irak. Cette offre leur fut transmise par l’ambassade de Suisse en Iran, qui gère les intérêts américains depuis la rupture des relations diplomatiques irano-américaines. On espérait qu’un accord du type de celui conclu entre les Etats-Unis et la Libye du général Kadhafi pourrait être signé. Même si on ignore à quelles concessions l’Iran était alors disposé, force est de constater que, « les substantielles ouvertures iraniennes furent traitées par le mépris à Washington », pour citer M. François Heisbourg (110), qui parle d’une « occasion manquée ». Il attribue cette fin de non-recevoir, à la situation politique américaine du moment – le déclin de l’influence de M. Colin Powell, qui était encore le secrétaire d’Etat, et celle, prédominante, de M. John Bolton –, mais aussi à l’immensité du contentieux irano-américain, cause bien plus fondamentale, et sur laquelle votre Rapporteur reviendra. Mais il souligne fort justement que « quelles qu’eussent été les difficultés du dialogue proposé, de plus ou moins bonne foi, par l’Iran à l’époque, l’exercice se serait déroulé dans des conditions moins dégradées en Iran et surtout plus favorables stratégiquement dans la région que celles qui prévalent aujourd’hui ». M. François Nicoullaud a lui aussi déploré que cette proposition de règlement des différends entre les deux pays soit restée sans réponse (111).

L’autre signe d’ouverture – ou présenté comme tel – qui peut être mis au crédit des autorités iraniennes et dont l’absence de prise en compte pourrait être reprochée au président Bush est la lettre envoyée par le président Ahmadinejad à son homologue américain le 8 mai 2006. Cette lettre constituait un geste sans précédent depuis 1980, et se voulait l’occasion de proposer au président américain de « nouveaux moyens » de régler les tensions entre l’Iran et l’Occident. Il suffit de lire ce courrier, ou même seulement les quelques extraits de l’encadré suivant, pour constater qu’il s’agit d’un implacable réquisitoire contre la politique étrangère menée par les Etats-Unis au cours des soixante dernières années, qui ne reconnaît aucune part de responsabilité iranienne dans la situation actuelle, ne propose aucune solution concrète pour en sortir, mais s’achève par un appel à la conversion du président américain à la religion musulmane.

Parallèlement, des contacts informels entre les ambassadeurs américain et iranien ont eu lieu à Bagdad sur la situation en Irak. Malgré leur champ limité, ils semblent qu’ils aient provoqué des réactions de désapprobation dans les deux pays. M. Denis Bauchard a ainsi mentionné l’existence, de part et d’autre, de groupes très opposés au dialogue et indiqué que le parlement iranien, comme le président, n’avait pas caché son hostilité à ces contacts (112).

Les Américains considèrent qu’ils ont déjà fait preuve de souplesse dans la gestion du dossier nucléaire iranien. M. Gérard Araud a rappelé que, en juin 2006, dans le cadre de la présentation de la proposition du groupe des Six, pour la première fois, la secrétaire d’Etat des Etats-Unis, Mme Condoleezza Rice, affirmait qu’elle accepterait de s’asseoir à la table de négociations avec l’Iran pour y discuter de tous les sujets (113). Mme Thérèse Delpech a souligné que les Etats-Unis proposaient même, dans le cadre de cette offre et pour la première fois depuis 1979, de renouer des contacts directs avec l’Iran (114). Mais l’Iran, comme votre Rapporteur l’a indiqué supra, a rejeté la proposition, refusant le préalable de la suspension de l’enrichissement. M. Robert Waller a insisté sur l’ouverture au dialogue des Etats-Unis, citant les propos tenus par la secrétaire d’Etat le 29 mai 2008 : « J’ai dit aux Iraniens que s’ils font la seule et unique chose que leur demande la communauté internationale, c’est-à-dire suspendre toutes leurs activités liées à l’enrichissement et au retraitement, nous pouvons nous rencontrer n’importe quand, n’importe où, dans n’importe quel lieu et parler de n’importe quel sujet », et rappelant que le vice-secrétaire d’Etat américain avait participé à la rencontre de Genève du 18 juillet dernier, à l’occasion de laquelle le groupe des Six avait demandé à l’Iran de se prononcer sur la proposition du « double gel ».

EXTRAITS DE LA LETTRE DU 8 MAI 2006
DU PRÉSIDENT AHMADINEJAD AU PRÉSIDENT GEORGE BUSH

M. George Bush, Président des Etats-Unis d’Amérique,

Depuis quelque temps, je me demande comment l’on pourrait justifier les contradictions indéniables qui existent sur la scène internationale – et qui font l’objet de débats constants, en particulier dans les instances politiques et entre étudiants à l’université. De nombreuses questions demeurent sans réponse.

C’est ce qui m’a amené à examiner certaines de ces contradictions et de ces questions, dans l’espoir que cela puisse offrir une occasion d’y trouver une solution.

Comment un adepte de Jésus-Christ (Que la Paix soit sur Lui), le grand Messager de Dieu, peut-il se sentir obligé de respecter les droits de l’homme, de présenter le libéralisme comme un modèle de civilisation, de proclamer son opposition à la prolifération des armes nucléaires et des AMD, de faire de la « guerre contre le terrorisme » son slogan et finalement d’œuvrer à l’instauration d’une communauté internationale unifiée – une communauté que le Christ et les vertueux sur Terre gouverneront un jour – mais en même temps faire attaquer certains pays, détruire la vie, la réputation et les biens des gens ; et, alors qu’il n’y avait qu’une chance minime que des criminels soient présents dans un village, une ville ou un convoi par exemple, incendier tout le village, la ville ou le convoi en question?

Ou bien encore, sous prétexte qu’il abriterait éventuellement des armes de destruction massive, qu’un pays soit occupé, près de 100 000 personnes tuées, que ses sources d’eau, son agriculture et son industrie soient détruites, que près de 180 000 soldats étrangers soient déployés sur son territoire, que le caractère sacré du domicile privé de ses citoyens soit violé, et que ce pays soit ramené à peut-être cinquante ans en arrière ? A quel prix ? Des centaines de milliards de dollars dépensés, prélevés sur le trésor public d’un pays et de certains autres, et des dizaines de milliers de jeunes hommes et femmes constituant les troupes d’occupation exposés au danger, tenus éloignés de leur famille et de leurs êtres chers, les mains tachées du sang d’autrui, soumis à une telle pression psychologique que, tous les jours, certains d’entre eux se suicident et que ceux qui retournent chez eux souffrent de dépression, de maladie et sont en proie à toutes sortes de maux, tandis que d’autres se font tuer et qu’on remet leur dépouille à leurs familles.

[…]

Les jeunes, les étudiants et l’homme de la rue se posent beaucoup de questions à propos du phénomène que représente Israël. Je suis certain que vous connaissez certaines d’entre elles.

Tout au long de l’Histoire, bien des pays ont été occupés, mais je crois que la création d’un nouveau pays, avec une nouvelle population, est un phénomène qui n’a aucun précédent historique.

Mes étudiants me disent qu’il y a soixante ans, ce pays n’existait pas. Ils me montrent d’anciens documents et globes terrestres et me disent qu’ils ont eu beau chercher, ils n’ont pas trouvé de pays appelé « Israël ».

Je leur conseille d’étudier l’histoire des Première et Seconde Guerres mondiales. Un de mes étudiants m’a dit qu’au cours de la Seconde Guerre mondiale, qui a causé la mort de plusieurs dizaines de millions de personnes, les informations relatives au conflit étaient rapidement diffusées par les belligérants. Chacun se vantait de ses victoires et des dernières défaites infligées à l’adversaire sur le front. Après la guerre, ces pays ont prétendu que six millions de Juifs avaient été exterminés. Six millions de personnes qui devaient avoir un lien de parenté avec deux millions de familles au moins.

Là encore, supposons que ces événements soient véridiques.

Doivent-ils se traduire logiquement par la création de l’Etat d’Israël au Moyen-Orient, ou par un soutien à un Etat de ce genre ? Comment ce phénomène peut-il être rationalisé ou expliqué ?

[…]

Pourquoi toute réalisation technique et scientifique accomplie au Moyen-Orient est-elle immédiatement interprétée et dépeinte comme une menace pour le régime sioniste ? La R&D scientifique ne constitue-elle pas un droit fondamental pour tout pays ?

Vous connaissez bien l’Histoire. A l’exception du Moyen-Âge, à quelle autre époque, dans l’Histoire, le progrès scientifique et technique a-t-il été considéré comme un crime ? L’éventualité que des réalisations scientifiques soient utilisées à des fins militaires constitue-t-elle une raison suffisante pour s’opposer en bloc à la science et à la technologie ? Si une telle assertion était vraie, alors il faudrait s’opposer à toutes les disciplines scientifiques, y compris la physique, la chimie, les mathématiques, la médecine, l’ingénierie, etc.

Au sujet de l’Iraq, on a raconté des mensonges. Quel en a été le résultat ? Je suis convaincu que proférer des mensonges est répréhensible dans n’importe quelle culture, et que vous n’aimeriez pas non plus que l’on vous mente.

[…]

L’Histoire nous enseigne que les gouvernements répressifs et cruels ne sauraient survivre. Dieu leur a confié le sort des hommes. Le Tout-Puissant n’a pas laissé l’univers et l’humanité livrés à eux-mêmes. De nombreux événements qui contrecarraient les souhaits et les projets des gouvernements se sont produits. Cela nous indique qu’une puissance supérieure est à l’œuvre et que tous les événements sont déterminés par Lui.

Peut-on nier les signes de changement intervenant dans le monde aujourd’hui ?

La situation actuelle du monde est-elle comparable à celle d’il y a dix ans  ? Les changements se produisent rapidement, et s’enchaînent à un rythme effréné.

Les peuples du monde ne se satisfont pas du statu quo, et ne font que peu de cas des promesses et discours d’un groupe de dirigeants mondiaux influents. Beaucoup de personnes dans le monde ne se sentent pas en sécurité, s’opposent à l’accroissement de l’insécurité et à la multiplication des guerres, et n’approuvent ni n’acceptent certaines politiques douteuses.

[…]

Le libéralisme et la démocratie de style occidental n’ont pas été capables de contribuer à la réalisation des idéaux de l’humanité. Aujourd’hui, ces deux concepts ont échoué. Les personnes clairvoyantes peuvent d’ores et déjà entendre s’effondrer l’idéologie et la pensée des systèmes démocratiques libéraux.

Nous voyons de plus en plus de personnes, dans le monde entier, affluer vers un même point de convergence : Dieu Tout-Puissant. Nul doute que grâce à la foi en Dieu et aux enseignements des prophètes, les hommes surmonteront leurs problèmes. La question que je vous pose est la suivante : « Ne voulez-vous pas vous joindre à eux ? »

Monsieur le Président,

Que cela nous plaise ou non, le monde est en train de graviter vers la foi en le Tout-Puissant, et la justice et la volonté de Dieu prévaudront sur toute chose.

Source : service de traduction du ministère des Affaires étrangères et européennes.

Il faut donc reconnaître que, si l’administration américaine a commis des erreurs, et a peut-être laissé échapper une chance de régler le dossier nucléaire en 2003, elle a depuis, en pratique, assoupli son discours, tout en renforçant ses sanctions nationales, en plaidant pour l’aggravation des sanctions multilatérales et en n’excluant pas des frappes militaires contre les sites nucléaires iraniens. Depuis quelques mois, elle réfléchit même à l’ouverture éventuelle d’une section d’intérêts à Téhéran, aucune décision ferme n’ayant apparemment été prise pour le moment.

Mais elle n’est pas allée jusqu’à ouvrir le dialogue sans conditions préalables que demandait le rapport Baker-Hamilton de décembre 2006 (115). Celui-ci suggérait notamment d’offrir à l’Iran la possibilité d’accéder à des organisations internationales, y compris l’Organisation mondiale du commerce, et de développer ses relations avec les Etats-Unis, ces derniers devant mettre l’accent sur les réformes politiques et économiques en Iran et ne plus demander un changement de régime – alors que c’est la perception que les Iraniens ont de la position américaine. Le dossier nucléaire devant rester de la compétence du groupe des Six, l’Iran était appelé à faire les concessions suivantes : cesser toute aide aux groupes d’activistes en Irak, déclarer son soutien à l’intégrité territoriale de l’Irak et au respect de sa souveraineté, utiliser son influence, en particulier auprès des groupes chiites, pour favoriser la réconciliation nationale et, si les circonstances le permettaient, contribuer à la reconstruction économique de l’Irak.

Dans la mesure où il ne fait pas de doute qu’aucun règlement des différends entre l’Iran et la communauté internationale ne pourra voir le jour sans la participation des Etats-Unis, que peut-on désormais attendre de l’arrivée à la Maison blanche de M. Barack Obama ?

b) Ce que peut faire le nouveau président élu

Les interlocuteurs de la Mission, qui se sont pour la plupart exprimés au printemps ou à l’été dernier, ont souligné qu’il n’y avait guère de chance que la situation évolue positivement avant l’installation du nouveau président américain. M. Denis Bauchard et M. Gérard Araud ont indiqué que la plus grande ouverture au dialogue des candidats démocrates à l’élection présidentielle contribuait à pousser l’Iran à l’attentisme.

L’élection a désormais eu lieu, et il est incontestable que le discours de M. Barack Obama est assez différent de celui de M. John MacCain, et a fortiori de celui de l’administration Bush, sur la question des relations avec l’Iran.

Dès juillet 2007, M. Barack Obama a appelé à un dialogue sans conditions préalables avec les chefs d’Etat iranien, syrien et nord-coréen. Il a reçu le soutien de nombreux démocrates. En mai 2008, M. John Kerry a dénoncé « l’échec lamentable de la stratégie actuelle, qui n’a pas empêché que l’Iran soit désormais plus fort et plus influent que jamais dans la région ». Tout en reconnaissant que le succès d’une stratégie de dialogue n’était pas garanti, il a jugé qu’elle permettrait d’isoler le président Ahmadinejad, « plutôt que de lui donner les moyens d’isoler [les Etats-Unis] ». M. Joseph Biden, alors président de la commission des affaires étrangères du Sénat, et désormais vice-président élu des Etats-Unis, avait de même constaté que « fixer des conditions préalables que l’Iran rejette n’a pas d’effet », alors qu’il en profite pour se rapprocher de la bombe. Sans en attendre de miracle, il mettait en avant les avantages d’une posture de dialogue pour exploiter les faiblesses du régime iranien : « une Amérique prête, désireuse et capable de dialoguer est le pire cauchemar d’un régime qui prospère sur les tensions avec les Etats-Unis ».

Le candidat MacCain avait d’abord réagi en taxant M. Obama de naïveté et d’inexpérience, puis renvoyé dos à dos partisans du dialogue, celui-ci ayant déjà été tenté vainement à plusieurs reprises, et partisans de l’option militaire, jugée dangereuse.

Le candidat Obama a d’abord complété son appel au dialogue par la préconisation d’une diplomatie visant à augmenter les coûts pour l’Iran de la poursuite de son programme nucléaire par l’application de sanctions plus sévères et une plus grande pression sur ses partenaires commerciaux. Il a préconisé une diplomatie active combinant dialogue et sanctions à l’égard de l’Iran et de la Syrie, dans le but d’y favoriser les mouvements et positions modérés, d’aider à la stabilisation de l’Irak, de libérer le Liban de l’emprise de Damas et de garantir une plus grande sécurité à Israël. Devant les accusations d’inexpérience, il a ensuite progressivement adopté un ton plus dur et moins conciliant à l’approche de l’élection, allant jusqu’à formuler la proposition suivante aux Iraniens : « Si vous abandonnez votre programme nucléaire, votre soutien au terrorisme, et stoppez vos menaces à l’égard d’Israël, il y aura des résultats significatifs. Si vous refusez, nous augmenterons la pression des sanctions unilatérales et multilatérales. »

Il semble que les autorités iraniennes aient vu un signe positif dans l’élection de M. Obama puisque le président Ahmadinejad lui a présenté ses félicitations le 6 novembre dernier, lui demandant, dans un message teinté d’antisémitisme (116), un changement radical de la politique des Etats-Unis.

Le 15 septembre 2008, à l’occasion d’une conférence publique à l’université George Washington, MM. Colin Powell, Warren Christopher, Henry Kissinger et James Baker, ainsi que Mme Madeleine Albright ont encore appelé le prochain président des Etats-Unis à entamer un dialogue avec l’Iran – et avec la Syrie.

Au cours de la campagne pour les primaires démocrates, et alors qu’elle était en concurrence avec M. Barack Obama, Mme Hillary Clinton, qui sera la secrétaire d’Etat du nouveau président, avait, comme le candidat républicain, taxé d’« irresponsable et franchement naïve » l’idée de rencontres sans conditions entre le président américain et les chefs des Etats « ennemis de l’Amérique ». Comme Mme Thérèse Delpech l’a rappelé, elle avait néanmoins préconisé la voie diplomatique, tout en tenant des propos très durs contre l’Iran en cas d’attaque visant Israël : en avril dernier, elle avait menacé de « réduire à néant » les Iraniens s’ils tentaient de lancer une attaque contre Israël.

L’opinion publique américaine est, selon un sondage de mai dernier, favorable à des rencontres entre chefs d’Etat américain et iranien, à hauteur de 60 %, alors qu’elle soutient cette solution à hauteur de 75 % lorsque la question concerne les « ennemis de l’Amérique » en général.

Ce moindre soutien à un dialogue lorsqu’il est question de l’Iran traduit certainement la persistance, aux Etats-Unis, du souvenir de l’humiliation qu’a constituée pendant 444 jours la prise en otage des diplomates de l’ambassade américaine à Téhéran, en 1979-1980. L’antisionisme et l’antiaméricanisme du régime iranien entretiennent évidemment cette méfiance originelle et pourraient constituer des obstacles difficiles à franchir, sinon pour ouvrir un dialogue direct, du moins pour parvenir à un accord.

M. Jubin Goodarzi a ainsi estimé devant la Mission que, tant que dure le régime issu de la révolution islamique, il n’est pas possible que l’Iran et les Etats-Unis retrouvent des relations normales (117). Il est vrai qu’un rapprochement avait été tenté à la fin de la présidence de M. Clinton, comme M. Denis Bauchard l’a rappelé, mais malgré la présence de M. Khatami à la présidence de République islamique, les choses n’étaient pas allées bien loin.

La personnalité des responsables politiques joue un rôle considérable dans la conduite d’un dialogue : si on connaît le nom du prochain président américain et celui de sa secrétaire d’Etat, on ignore encore l’identité de l’homme qui dirigera le gouvernement de la République islamique après le mois de juin prochain.

En attendant, il semble que la perspective de frappes militaires américaines contre les sites nucléaires iraniens s’éloigne : depuis le rapport du NIE de décembre 2007, ce risque était déjà moins grand, et il est peu probable que le président Bush prenne une telle initiative avant de quitter le pouvoir, tout comme il apparaît exclu que le futur président Obama choisisse cette solution – du moins sans avoir au préalable tenté de nouer un dialogue avec l’Iran, ce qui suppose d’attendre au moins que l’élection présidentielle iranienne soit passée.

Mais pour ce qui est d’éventuelles frappes aériennes, une autre inconnue réside dans l’issue des prochaines élections législatives en Israël.

2) Que peut-on attendre des prochaines élections à la Knesset ?

Après que le premier ministre Ehud Olmert a démissionné le 21 septembre, et que Mme Tzipi Livni, appelée à lui succéder, a renoncé à former un gouvernement de coalition, il a été décidé, le 28 octobre 2008, que des élections anticipées se tiendraient le 10 février 2009 pour constituer la 18ème Knesset. Pendant la préparation des élections, le premier ministre sortant assure l’intérim et la 17ème Knesset s’abstient de voter des textes sujets à polémique.

Dans ce pays à la vie politique aussi intense que complexe, et où tout gouvernement est formé par une coalition de partis, il est bien difficile d’anticiper sur les résultats d’un scrutin qui sera certainement serré. Si la question de la création d’un Etat palestinien est évidemment celle qui clive le plus les partis politiques, l’attitude à adopter vis-à-vis de l’Iran est aussi un thème de campagne important, le régime iranien étant considéré comme la plus sérieuse menace potentielle pour l’existence d’Israël.

Tous les membres d’un même parti ne partagent pas forcément le même point de vue dans ce domaine. Ainsi, au cours des primaires au sein du parti Kadima, à l’issue desquelles Mme Livni a été désignée pour succéder à M. Olmert, la stratégie à mettre en œuvre à l’égard de l’Iran a été l’un des sujets de désaccord entre la ministre des affaires étrangères et le ministre des transports, M. Shaul Mofaz, son adversaire. Ce général, ancien ministre de la défense, né en Iran, prônait ouvertement une campagne militaire contre les installations nucléaires iraniennes si les négociations en cours n’aboutissaient pas. Ces déclarations ont été nettement critiquées, notamment par le président de la commission des affaires étrangères de la Knesset, qui a condamné, devant votre Président et votre Rapporteur, des propos qui mettaient Israël en première ligne et jouaient ainsi contre les intérêts du pays. Il n’en défendait pas moins le maintien sur la table de l’option militaire afin de faire comprendre à l’Iran qu’un échec des négociations aurait des conséquences lourdes pour lui.

Cette position de fermeté est défendue par le plus grand nombre en Israël, où l’on préconise un net durcissement des sanctions dans un premier temps, d’éventuelles frappes militaires ensuite, si l’Iran ne cède pas sous la pression des sanctions. Les nuances entre les partis ou les personnalités politiques portent plus sur le ton que sur le fond. Parmi les responsables israéliens que votre Président et votre Rapporteur ont rencontrés, seul l’ancien ministre des affaires étrangères membre du Likoud, M. Silvan Shalom, a clairement affirmé que « si rien ne marche et si le reste du monde est passif, Israël devra agir militairement pour éviter le cauchemar que constituerait une bombe nucléaire ».

D’autres, comme Mme Colette Avital, parlementaire travailliste, insistent sur la nécessité de faire tout ce qui est possible diplomatiquement pour éviter la guerre.

Lors de son audition par votre commission des affaires étrangères, en juillet 2007 (118), Mme Livni n’avait pas brandi de menace contre l’Iran. Elle avait souligné le fait qu’Israël n’était pas le seul pays qui se sentait en danger du fait des ambitions nucléaires iraniennes, et appelé à un durcissement rapide des sanctions, sur une base multilatérale, ou, si cela s’avérait impossible, unilatérale. Deux jours après l’élection de M. Obama, elle l’a mis en garde contre le fait qu’ouvrir le dialogue trop rapidement avec l’Iran pourrait être perçu par celui-ci comme un signe de faiblesse.

Leur relative discrétion sur l’option militaire n’empêche pas les autorités israéliennes de faire en sorte que, en cas de besoin, tout soit prêt pour des frappes, qui pourraient suivre plusieurs scénarios, votre Rapporteur y reviendra. Il ne paraît pas envisageable que de telles opérations puissent être conduites sans le soutien logistique ou au moins l’accord des Etats-Unis. Le risque politique serait en outre considérable, comme plusieurs interlocuteurs israéliens de la Mission l’ont remarqué. Aussi, sauf geste d’agressivité caractérisé de la part du régime iranien, le gouvernement Olmert actuellement en charge des seules affaires courantes ne devrait pas prendre une telle initiative.

3) Faut-il placer beaucoup d’espoirs dans l’élection présidentielle iranienne à venir ?

Si l’arrivée au pouvoir de M. Barack Obama dans quelques semaines laisse espérer l’ouverture d’un dialogue plus nourri avec l’Iran, on attend aussi beaucoup de la prochaine élection présidentielle iranienne, tant le président Ahmadinejad apparaît aujourd’hui comme un obstacle majeur à toute concession aux demandes de la communauté internationale.

Deux questions se posent : le président sortant peut-il ne pas être réélu en juin prochain ? Un autre président conduira-t-il une politique étrangère différente ? Répondre à la première question, plus de six mois avant le déroulement du scrutin, est particulièrement délicat ; il n’est guère plus aisé de répondre à la seconde, mais les prises de position de possibles candidats à l’élection peuvent apporter un éclairage utile.

a) Le président sortant peut-il ne pas être réélu ?

Depuis 1981, tous les présidents de la République islamique – soit trois jusqu’ici, à savoir MM. Khamenei, Rafsandjani et Khatami – ont été réélus. Il ne fait guère de doute que le président Ahmadinejad sera candidat à sa propre succession.

Si son élection en 2005 avait constitué une surprise pour beaucoup d’observateurs, elle était la conséquence de son charisme personnel, de son discours populiste, mais aussi du soutien du Guide suprême, qui, après avoir soutenu un temps la candidature de M. Qalibaf, l’actuel maire de Téhéran, s’était ensuite rallié à celle de M. Ahmadinejad.

Le bilan du président Ahmadinejad n’apparaît pas particulièrement flatteur à un observateur étranger. Votre Rapporteur a présenté supra les conséquences de la politique économique de courte vue qu’il a menée. Si la population n’est pas en mesure de manifester bruyamment son mécontentement, elle n’en souffre pas moins. Selon M. Bernard Hourcade, le président Ahmadinejad a toujours des partisans, dont le noyau dur est constitué par environ 15 à 20 % de la population, mais cela ne suffira pas forcément à sa réélection.

En décembre 2006, le président a subi des échecs à l’occasion des élections aux conseils municipaux et à l’Assemblée des experts, dont la présidence a été confiée à l’ancien président pragmatique Rafsandjani.

Mais les résultats des élections législatives du printemps dernier ont été plus nuancés. Au premier tour, à l’occasion duquel plus de 200 des 290 députés ont été élus, le courant conservateur dans son ensemble a obtenu 154 sièges, les réformateurs 44 sièges et les indépendants 10 sièges. Mais M. Bernard Hourcade estime que seuls environ 70 députés conservateurs soutiennent véritablement le président (119). Au second tour, sur les 82 sièges restant à pourvoir, 46 ont été attribués à des conservateurs, 18 à des réformateurs et 18 à des indépendants, si bien que, au total, l’ensemble des conservateurs obtient 68 % des sièges, les réformateurs 16 % et les indépendants 14 %.

En dépit de ce succès apparent, les diplomates français considéraient que le nouveau Parlement serait probablement moins docile vis-à-vis du président que celui-ci l’espérait et qu’il fallait s’attendre à ce qu’il adopte une attitude critique vis-à-vis de la gestion économique du gouvernement, ce qui a par exemple été le cas à propos du projet de réforme du système de subventions, comme votre Rapporteur l’a mentionné supra. Une « mouvance critique » conduite par MM. Laridjani, Rezai, Qalibaf et Haddad-Adel (120), pourrait s’opposer au président s’il était candidat à un deuxième mandat.

Il ressort de l’ensemble des auditions de la Mission que, si l’élection présidentielle iranienne était libre, le président sortant ne serait très probablement pas réélu, étant donné le mécontentement de la grande majorité de la population dans le domaine économique.

Même avec le système actuel, M. François Géré a estimé que le rapprochement des conservateurs pragmatiques et des libéraux, associé au mécontentement économique, devrait logiquement conduire à la défaite de M. Ahmadinejad, à moins que des événements extérieurs – comme des frappes militaires – ne lui confèrent une image de protecteur de la nation en danger. Mais il a souligné que, cette fois encore, tout dépendrait de la position que prendrait le Guide de la révolution. Or, ce dernier est influencé par les religieux, que le président Ahmadinejad exaspère par ses déclarations associant la théologie et la politique (121).

M. Bernard Hourcade a tenu le même raisonnement, en insistant sur le fait que, grâce au réseau des mollahs, le Guide connaissait parfaitement le sentiment de la population iranienne et qu’il saura utiliser son influence en fonction de ce qu’il jugera nécessaire pour le pays. Aussi estime-t-il « moyenne » la probabilité d’une réélection du président sortant.

Certains interlocuteurs auditionnés plus récemment par la Mission, notamment en Iran, ont indiqué que l’issue de l’élection iranienne serait influencée par celle de l’élection américaine : l’arrivée d’un homme ouvert à la tête des Etats-Unis devrait jouer en faveur d’une plus forte participation au scrutin en Iran et d’un renouvellement à la présidence de la République islamique.

b) Un autre président conduirait-il une politique étrangère différente ?

Bien que l’élection présidentielle ne soit ni libre ni sincère en Iran, la personnalité des candidats qui se présenteront contre le président sortant jouera un rôle important dans l’issue du scrutin. Pour M. Bernard Hourcade, M. Mohammed Baqer Qalibaf semble le meilleur candidat pour battre M. Ahmadinejad ; pour M. François Géré, ce serait M. Ali Laridjani, actuel président du Parlement, que la délégation de la Mission a rencontré. Pour l’heure, un seul candidat est déclaré : il s’agit du religieux réformateur Mehdi Karoubi, qui en a fait l’annonce le 12 octobre dernier.

Sans faire de spéculations sur les personnes, peut-on néanmoins avoir une idée de la politique étrangère que préconisent les uns et les autres ?

Lorsqu’il était président, M. Khatami a fait preuve d’une certaine ouverture vis-à-vis de l’Occident, qui laisse espérer qu’un autre président de cette tendance ferait de même. Mais il semble qu’un réformateur ait bien peu de chances de l’emporter, compte tenu du faible score obtenu par ce mouvement aux élections législatives du printemps dernier. C’est en effet lui qui souffre le plus de la faible participation des classes moyennes aux scrutins. La candidature de M. Khatami lui-même, qui est encore très populaire, n’est pourtant pas exclue. Dans ce cas, les conservateurs feraient probablement bloc derrière M. Ahmadinejad pour empêcher son élection.

Aussi M. Bernard Hourcade a-t-il qualifié de « faible » la probabilité d’un retour au pouvoir des réformateurs, lorsqu’il a présenté à la Mission cinq scénarios d’évolution de la situation en Iran (122). Le seul scénario qui lui semble encore plus improbable est celui de l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement délibérément intégré à la mondialisation économique et culturelle et qui serait un allié de l’Europe et des Etats-Unis, du fait de l’enracinement du nationalisme iranien et de l’islam politique.

En revanche, il considère comme « fortement probable » la victoire à la prochaine élection présidentielle des pasdarans modernistes et nationalistes, dont le candidat pourrait être M. Qalibaf. Il souligne la différence de culture entre l’actuel maire de Téhéran et son prédécesseur, le président Ahmadinejad : alors que le premier a combattu sur le front extérieur pendant la guerre Iran-Irak, le second faisait partie des « volontaires » (les basijis) qui luttaient contre « l’ennemi intérieur », c’est-à-dire les Kurdes iraniens et les opposants libéraux, royalistes ou de gauche. Contrairement aux « volontaires », les véritables gardiens de la révolution sont, selon lui, conscients des rapports de force internationaux et réalistes. A ce titre, M. Qalibaf voudrait ouvrir l’Iran sur le plan international pour faire cesser l’embargo et favoriser les investissements étrangers. Il considère surtout que l’Iran ne pourra pas occuper une place dans la communauté internationale s’il ne renoue pas des relations avec les Etats-Unis. Tout en étant respectueux de l’islam, condition sine qua non pour pouvoir être candidat à l’élection, il n’est ni un idéologue, ni un extrémiste en matière de mœurs. M. Bernard Hourcade a souligné qu’il se devait d’adopter des positions très prudentes en ce qui concerne le rapprochement avec les Etats-Unis, pour ne pas choquer l’opinion publique iranienne.

M. François Nicoullaud, qui a eu l’occasion de le rencontrer, a rappelé que son échec à l’élection présidentielle de 2005 était la conséquence de ses prises de position trop libérales sur les questions de société et notamment vis-à-vis de la jeunesse, qui avaient conduit les pasdarans comme les basijis à se détourner de lui. Bien qu’il soit conservateur, en particulier en matière religieuse, il est ouvert et apparaît plus crédible que les réformateurs qui ont fait, par le passé, la preuve de leur faiblesse (123).

Les membres de la Mission qui se sont rendus en Iran en octobre n’ont pas constaté le même optimisme sur les chances d’une éventuelle candidature de M. Qalibaf auprès de leurs interlocuteurs. Beaucoup le considèrent comme peu charismatique et peu connu de la population hors de Téhéran.

Pour M. François Géré, c’est M. Larijani qui est le mieux placé pour succéder à M. Ahmadinejad à la présidence de la République islamique. L’actuel président du Parlement n’a jamais caché ses divergences avec les réformateurs, auxquels il a imposé une véritable censure lorsqu’il était directeur de la radio-télévision d’Etat. D’abord favori des conservateurs pour succéder au président Khatami, il a été largement battu par M. Ahmadinejad, puisqu’il n’a obtenu que 6 % des suffrages, les plus radicaux s’étant finalement ralliés à la candidature de ce dernier. Il est connu par la population, mais n’apparaît pas très charismatique et n’a pas encore fait part d’une nouvelle candidature à l’élection présidentielle. Il ne faudrait d’ailleurs pas en attendre une politique étrangère très différente de celle de l’actuel président. C’est en effet lorsqu’il était secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale et négociateur nucléaire que l’enrichissement de l’uranium a repris.

MM. Rohani (124) et Velayati ont aussi été cités comme de possibles candidats conservateurs, mais, selon les interlocuteurs de la Mission, le premier n’est pas connu du tout et le second a l’image d’un homme faible.

Il existe incontestablement des sensibilités différentes au sein des responsables politiques iraniens pour ce qui est de la politique étrangère à mener, mais les différences sont bien moins marquées que dans le domaine de la politique économique, par exemple. M. Gérard Araud a ainsi souligné que « l’appétence pour la bombe nucléaire est à peu près également partagée par tous les acteurs du jeu politique iranien ».

Tout en voulant voir dans la publication d’un éditorial critique sur le sujet rédigé par l’ancien directeur adjoint de l’agence nucléaire iranienne le signe d’un débat sur ce thème, M. Robert Waller a reconnu l’existence d’un consensus au sein du pouvoir iranien sur le programme nucléaire militaire. L’analyse des diplomates français va dans le même sens : des critiques ont été formulées contre la politique nucléaire du président, à titre collectif (lorsque M. Laridjani a dû renoncer à ses fonctions de secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale), et à titre individuel par des personnalités protégées par leur statut (comme MM. Rafsandjani, Khatami, Rohani, Rezai et Montazeri (125)), mais elles visent les conséquences, en particulier économiques, de la diplomatie nucléaire du président, et non la légitimité du programme.

Surtout, la décision appartenant en dernier ressort au Guide de la révolution, qui, pour l’heure, soutient le consensus dont le programme nucléaire fait l’objet, un changement de président peut conduire à l’adoption d’un ton moins radical, ce qui constituerait déjà un progrès, mais pas forcément à la mise en œuvre d’une ligne radicalement différente. Comme l’a indiqué M. Denis Bauchard, « le changement de président en Iran aurait sans doute plus de conséquences sur le style que sur le fond de la politique étrangère ».

M. Olivier Roy estime même pour sa part que, si un accord global avec les Etats-Unis est envisageable, il ne pourra être conclu qu’après la disparition du Guide actuel. Selon lui, « si M. Rafsandjani le remplace, tout sera alors possible ». Sans évoquer explicitement la possibilité que celui-ci devienne Guide de la révolution, M. Gérard Araud et Mme Thérèse Delpech ont également laissé entendre que, étant donné sa fortune personnelle et son affairisme, l’ancien président de la République islamique pourrait être plus sensible que les autres responsables politiques iraniens au poids des sanctions économiques, et donc plus ouvert au dialogue avec l’Occident.

B – Quel rôle l’Iran peut-il jouer dans la région ?

Les négociations menées par le groupe des Six ont pour objectif d’obtenir de l’Iran qu’il coopère pleinement avec l’AIEA et qu’il suspende ses activités suspectes. Parallèlement, les Etats-Unis ont tenté d’établir des contacts informels sur le seul thème de l’Irak. Le rapport Baker-Hamilton, dont l’objet était la situation en Irak, soulignait la convergence des intérêts iraniens et occidentaux pour ce qui est de la stabilité de ce pays, mais aussi en ce qui concerne l’exclusion des talibans du pouvoir en Afghanistan. De même, le « grand marchandage » proposé par l’Iran au printemps 2003 incluait les affaires nucléaires, la lutte contre le terrorisme et l’Irak.

En effet, si le dossier nucléaire est le plus urgent – le temps jouant en faveur des Iraniens –, lui apporter une solution ne résoudrait qu’une partie du problème que les ambitions iraniennes posent pour la stabilité régionale. Il faudrait donc parvenir à rendre plus responsable l’attitude du régime à l’égard des pays où son influence est la plus grande et, souvent, la plus déstabilisatrice. L’Iran doit prendre conscience de l’intérêt qu’il y a pour lui à contribuer à la pacification du Proche et du Moyen-Orient. Alors qu’il utilise aujourd’hui ses atouts pour jouer les perturbateurs, il pourrait les mettre en œuvre dans une perspective plus constructive. Il semble qu’une évolution en ce sens se dessine dans certains pays ; la communauté internationale doit s’efforcer d’obtenir qu’elle soit accélérée et généralisée.

1) En Irak : un jeu trouble dans un pays qui pourrait pourtant devenir un ami de l’Iran

Malgré une histoire récente conflictuelle, et une certaine concurrence religieuse, l’Iran et l’Irak ont renoué des relations denses depuis la chute de Saddam Hussein et l’arrivée au pouvoir à Bagdad de membres de la communauté chiite. Elles restent néanmoins complexes à cause de la défiance d’une partie de la population irakienne vis-à-vis de ce qui apparaît comme des ingérences iraniennes.

L’Irak de Saddam Hussein a longtemps représenté un rempart contre l’expansionnisme iranien aux yeux de l’Occident, qui préférait une dictature laïque à la République islamique, et à ceux des Etats arabes, méfiants vis-à-vis des ambitions perses. Une fois passée l’inquiétude suscitée en Iran par ce qui apparaissait alors comme une victoire militaire américaine rapide, la chute du régime baasiste a donc considérablement renforcé la position de l’Iran.

a) Des relations en apparence amicales avec l’Irak

Officiellement, l’Iran a toujours soutenu le processus démocratique enclenché après le renversement de Saddam Hussein, comme M. Ali Ahani l’a souligné (126). Le pays affiche sa volonté de contribuer à la stabilité de l’Irak, de soutenir sa reconstruction et de l’aider à recouvrer son entière souveraineté. Les relations bilatérales ont été très denses depuis 2005 : les deux premiers ministres irakiens successifs ainsi que le président Talabani ont effectué des visites officielles à Téhéran. Les Etats-Unis ont fini par accepter une visite du président Ahmadinejad à Bagdad, en mars 2008. Les déplacements de responsables irakiens en Iran sont réguliers, tout comme les missions techniques bilatérales.

Cette proximité entre les hommes s’explique notamment par le fait qu’un grand nombre de membres de l’actuel gouvernement irakien a vécu en exil en Iran, comme M. Jubin Goodarzi (127) et M. Denis Bauchard (128) l’ont expliqué. Environ 600 000 Irakiens vivaient ainsi en Iran en 2003, parmi lesquels des Perses d’Irak et des Kurdes chiites qui avaient été déchus de leur nationalité irakienne. M. Hosham Dawod a aussi évoqué le soutien logistique que l’Iran a apporté, dès la chute du régime baasiste, aux organisations et partis politiques chiites qui se formaient (129). De nombreux responsables irakiens nourrissent une sympathie sincère pour l’Iran : c’est le cas des Chiites en général, mais aussi d’une partie des Kurdes, l’UPK du président Talabani ayant reçu le soutien de l’Iran pendant la guerre civile du début des années 1990.

Malgré la différence déjà évoquée entre les chiismes iranien et irakien et la concurrence, signalée notamment par M. Hosham Dawod, entre les grands séminaires de Nadjaf, en Irak, et de Qom, en Iran, l’espace irakien présente, selon son analyse, une forme de sacralité liée au fait que sept des onze imams vénérés par les Chiites duodécimains sont enterrés en Irak : « Les sept mausolées chiites en Irak sont en quelque sorte des mythes, dont les Chiites en général et les Irakiens en particulier se sentent chargés de partager la responsabilité au nom de leur foi. »

L’influence iranienne en Irak a aussi des traductions en matière économique. Votre Rapporteur a déjà signalé le rapide développement des relations économiques et commerciales entre les deux pays, qui sont florissantes. Les importations iraniennes doublent chaque année depuis 2004, trois banques iraniennes ont reçu des licences d’exploitation en Irak et les sociétés iraniennes cherchent à obtenir des contrats, certains financements iraniens ayant clairement un sens politique.

La plupart des Chiites d’Irak, parmi lesquels un vigoureux retour de la religion est perceptible, voit l’Iran avec sympathie, ou du moins sans défiance. Mais tel n’est pas le cas des Sunnites, parmi lesquels il suscite la méfiance, voire, le plus souvent, le rejet. M. Hosham Dawod a souligné que l’influence iranienne en Irak était « manifeste » mais ne concernait pas l’ensemble du territoire. Elle se concentre dans les régions où se trouve l’essentiel de la population arabe chiite. Les Kurdes lui semblent avoir adopté un « profil bas », car ils sont conscients de leurs faiblesses et de l’impossibilité de s’opposer simultanément à la Turquie et à l’Iran. Quant aux Sunnites, ils sont peu sensibles à l’influence iranienne. La diplomatie française constate ainsi que les autorités irakiennes n’arrivent pas à s’accorder sur une position commune à l’égard de l’Iran, compte tenu des différences de jugement liées à la diversité des appartenances partisanes et confessionnelles.

En dépit de velléités iraniennes de revoir le tracé de la frontière et d’un différend sur l’exploitation des nappes pétrolifères frontalières, les relations irano-irakiennes peuvent être qualifiées de bonnes. Il semble pourtant que les Iraniens ne se contentent pas de la perspective d’un voisinage amical, qui pourrait pourtant rétablir la confiance des autres pays arabes envers lui, mais jouent un double jeu en Irak.

b) De fortes suspicions d’un double jeu iranien

Malgré les dénégations de M. Ali Ahani, qui a qualifié d’« infondée » « l’idée, trop répandue, selon laquelle l’Iran, à travers le pouvoir détenu par la communauté chiite irakienne, aspirerait à exercer le pouvoir en Irak », les diplomates, notamment occidentaux, ont le sentiment que Téhéran est l’acteur de l’ombre du jeu politique irakien. Certains dirigeants irakiens nient cette ingérence iranienne dans leurs affaires intérieures, d’autres la considèrent comme la source de tous les maux du pays, en fonction de leur appartenance politico-confessionnelle.

L’ambassadeur d’Egypte en France estime, pour sa part, que l’influence iranienne en Irak est « de premier ordre, peut-être plus importante que celle des Etats-Unis » (130). M. Jubin Goodarzi a confirmé que l’Iran jouait double jeu en Irak, en soutenant le gouvernement tout en exerçant indirectement une pression sur les Etats-Unis. Il estime que Téhéran a essayé de maintenir et de cultiver des liens étroits avec tous les grands partis politiques et milices irakiens, notamment chiites, pour s’assurer que Bagdad n’adopte pas une position hostile à son égard. Pour les diplomates français, cette ingérence a pour objectifs de pousser les intérêts économiques et politiques iraniens et de se défendre face à la présence militaire américaine.

Les Iraniens sont accusés de visées tant sur les villes saintes du chiisme que sur les champs pétroliers du Sud.

Surtout, des suspicions graves pèsent sur les liens entre les autorités iraniennes et des groupes violents actifs en Irak. Les forces de la coalition comme des responsables iraniens ont apporté des preuves de l’origine iranienne d’armes et d’explosifs découverts en Irak, aussi bien entre les mains de groupes terroristes sunnites que de milices chiites. La présence de « conseillers » iraniens
– souvent des gardiens de la révolution – dans les rangs de l’insurrection a été dénoncée par les médias irakiens, américains et arabes, tout comme le soutien de Téhéran à des cellules d’Al-Qaïda. M. Gérard Araud, M. François Nicoullaud et M. Denis Bauchard ont dénoncé ces liens, tandis que M. Robert Waller a accusé l’Iran de soutenir le terrorisme en Irak.

Des Iraniens contrôleraient même une partie de la milice de Moqtada Sadr, l’Armée du Mahdi, pourtant nationaliste. La lutte menée contre ce courant a conduit nombre de ses membres, et même son chef, à se réfugier temporairement en Iran. Si, en mars dernier, à Bassora, les Iraniens ont joué de leur influence en faveur du cessez-le-feu, ils ont aussi montré aux Américains qu’ils étaient indispensables à la gestion de la situation et qu’ils avaient les cartes en main pour rendre leur vie impossible, comme l’a analysé M. Olivier Roy (131).

Leur opposition à la conclusion par l’Irak d’un accord sur la présence américaine en Irak (Status of Forces Agreement, SOFA) constitue une forme de test de leur influence sur les autorités majoritairement chiites. Conformément à l’analyse de M. Hosham Dawod, « si d’ici à la fin de l’année, les Etats-Unis réussissent à faire passer ou imposer un accord de sécurité légitimant leur présence militaire en Irak, cela constituera sans aucun doute une défaite sévère pour Téhéran car non seulement cela légitimerait une présence militaire massive américaine mais aussi cela provoquerait une cassure peut être irrémédiable entre les Chiites au pouvoir en Iran et en Irak ». Paradoxalement, ce sont les forces sunnites qui sont les plus favorables à l’accord – car elles y voient le seul moyen de limiter les immixtions de l’Iran –, tandis que les partis chiites sont tiraillés entre leur soutien aux Etats-Unis, qui les ont portés au pouvoir, et leurs affinités avec Téhéran, qui fait pression sur eux pour qu’ils le refusent. Le départ des forces américaines d’Irak reste en effet la priorité politique pour l’Iran (132). Après des mois de discussion, l’accord a finalement été signé le 17 novembre dernier et adopté par le Parlement irakien le 27 novembre.

De l’avis quasi général des spécialistes entendus par le Mission, l’Iran entretient un certain degré d’instabilité en Irak pour que les Etats-Unis ne puissent se targuer d’y avoir remporté une victoire. Tous pensent aussi que l’objectif de l’Iran est le maintien de ce que M. Jubin Goodarzi a appelé un « chaos maîtrisé ».

c) Des intérêts communs avec les Etats-Unis

Si une certaine instabilité convient aux Iraniens, ils redoutent néanmoins une déstabilisation complète de l’Irak. Leur double jeu les conduit en fait à jouer avec le feu et à prendre le risque de nuire à leurs propres intérêts.

M. François Nicoullaud et M. Denis Bauchard ont souligné la convergence objective d’intérêts entre les Etats-Unis et l’Iran en ce qui concerne le maintien de l’unité territoriale irakienne.

M. Ali Ahani n’a pas caché l’attachement de son pays à cette unité. Il s’est exprimé dans les termes suivants : « L’Iran a insisté auprès de la communauté chiite majoritaire sur le fait qu’elle ne pouvait diriger l’Irak sans tenir compte des autres communautés du pays. Ainsi, il faut intégrer la communauté kurde et faire participer ses représentants au gouvernement du pays. Il est nécessaire en revanche de combattre les revendications autonomistes, qui conduiraient immanquablement à la dislocation de l’Etat irakien, et à la création d’un Kurdistan indépendant. »

L’ambassadeur Kamel a parlé de la « hantise de voir se constituer un Kurdistan indépendant », partagée par l’Iran, la Syrie et la Turquie. Mais, comme le laisse entendre M. Ahani, même les revendications autonomistes doivent être combattues, car elles ne seraient qu’une première étape vers l’indépendance. M. François Nicoullaud a confirmé cette crainte de l’Iran, liée à l’importance de la minorité kurde dans le pays, qui est plus nombreuse que celle d’Irak et « pourrait être tentée de suivre son exemple ». Elle se traduit par une très grande attention iranienne à l’attitude des autres pays envers les Kurdes d’Irak : l’ouverture, en 2007, d’un bureau de l’ambassade de France à Erbil, au Kurdistan irakien, a par exemple été très mal perçue par la diplomatie iranienne ; l’ambassadeur en France n’a pas manqué de le rappeler aux membres de la Mission.

L’Iran défend ainsi le dialogue entre le gouvernement central irakien et celui de la région du Kurdistan pour parvenir à régler les différends sur Kirkouk et Khanaqine, deux villes dont les Kurdes demandent le rattachement à leur région semi-autonome.

Malgré leur hostilité persistante à la conclusion du SOFA, il semble que les autorités iraniennes prennent progressivement conscience des risques que leur jeu trouble en Irak pourrait leur faire courir. Selon les diplomates français, elles auraient modéré leurs interférences sur la scène politique irakienne depuis quelques mois.

2) Au Liban : une influence considérable, parfois constructive

Les relations politiques entre l’Iran et le Liban passent moins par des échanges inter-gouvernementaux classiques que par des relations directes et étroites avec la communauté chiite libanaise, et surtout le Hezbollah, qui constitue la pièce maîtresse de l’alliance stratégique avec la Syrie et l’Iran. Ses armes leur confèrent une capacité de rétorsion aux portes d’Israël en cas d’atteintes aux intérêts vitaux de l’un des membres de cette alliance. Mais l’Iran peut aussi être amené à jouer un rôle modérateur auprès du Parti de Dieu.

a) Une présence iranienne de plus en plus visible auprès de la population chiite

L’influence religieuse et théologique de l’Iran au sein des communautés chiites libanaises, qui représentent entre 30 et 40 % de la population, selon une évaluation officieuse, est importante et ancienne. La majorité d’entre elles a pour référent religieux l’ayatollah irakien Al Sistani, mais le Hezbollah suit l’ayatollah Khamenei.

Comme M. Denis Bauchard l’a souligné, l’intervention d’Israël contre le Hezbollah au Liban pendant l’été 2006 a permis à ce mouvement, soutenu par l’Iran, d’apparaître comme le symbole même de la « résistance » contre les Etats-Unis et Israël et a contribué à renforcer la présence iranienne au Liban.

Elle a donné à l’Iran, dont les relations commerciales avec le Liban sont peu développées, l’occasion d’accroître nettement son influence économique au Sud-Liban en jouant un rôle important dans la reconstruction consécutive au conflit. Des investissements importants ont été réalisés dans deux domaines principaux : les infrastructures de communication et les services aux personnes. L’Iran a contribué à la reconstruction de cent dix ponts et 400 kilomètres de routes ; plus de soixante centres religieux ont été réhabilités à ses frais – parmi lesquels des monastères et des églises –, cent cinquante centres éducatifs et dix-neuf centres hospitaliers ont été construits. Il fait largement publicité de ses réalisations, en soulignant son efficacité et son engagement, et en reprochant aux Etats occidentaux et du Golfe de ne pas en faire autant. Le Hezbollah, probablement avec des soutiens financiers iraniens, serait en outre en train d’acheter des terrains au sud-est du pays pour établir une continuité de peuplement chiite entre le Sud-Liban et la Bekaa.

L’Iran bénéficie ainsi, en premier lieu, de l’absence de l’Etat libanais au sud du pays, ses efforts financiers visibles ayant consolidé sa présence et ses soutiens parmi les Chiites libanais. Pour l’heure, son influence ne semble pas dépasser la communauté chiite, mais le rapprochement entre les Chrétiens du Général Aoun et le Hezbollah pourrait lui ouvrir des possibilités d’extension.

L’objectif déclaré de l’Iran est d’obtenir la reconnaissance du nouvel équilibre entre les communautés, au profit de la communauté chiite, et sa traduction en termes politiques. Selon M. Ali Ahani, « rien ne progressera aussi longtemps que certains refuseront de voir que les équilibres entre les différents groupes ont changé ». Il a appelé au dialogue entre les communautés, après avoir signalé que son pays avait contribué à l’organisation de la rencontre de La Celle-Saint-Cloud, avant que « M. Bernard Kouchner ne lui fasse reproche de son échec, ainsi qu’à la Syrie ». Lui attribue la responsabilité de cet échec à « des manipulations américaines et saoudiennes ».

b) Une influence auprès du Hezbollah qui peut favoriser la modération

Lorsque M. Robert Waller qualifie de « négative » l’influence iranienne au Liban, il vise évidemment le soutien au Hezbollah, que les Etats-Unis considèrent comme une organisation terroriste.

M. Ali Ahani a, au contraire, mis en avant l’idée que son pays s’efforce de soutenir les plus modérés au sein du mouvement. Selon son analyse, « il existe en réalité plusieurs tendances au sein du Hezbollah, et M. Nasrallah incarne plutôt une voix réaliste, ouverte et raisonnable. Il s’agit donc de ne pas laisser les éléments les plus radicaux prendre les rênes du mouvement. » Aussi a-t-il qualifié de « courageuse » la position de la France contre l’inscription du Hezbollah sur la liste des mouvements terroristes, car une telle décision aurait pu favoriser l’évolution du mouvement dans un sens plus radical.

Au-delà de cette pétition de principe, il faut reconnaître que, en quelques occasions, l’Iran a exercé son influence sur le Hezbollah afin de le pousser à davantage de modération.

M. Denis Bauchard a rappelé que, en 1996, l’Iran avait joué un rôle positif dans la mise en place d’un « Comité de surveillance » chargé d’éviter des incidents à la frontière nord d’Israël.

Surtout, il a contribué à la conclusion, le 21 mai 2008, de l’accord de Doha qui a permis de mettre – au moins temporairement – un terme à la crise politique ouverte depuis 2005 et aux affrontements interlibanais du printemps dernier, qui risquaient de dégénérer en guerre civile. Le ministre des affaires étrangères de Bahreïn, qui faisait partie de la délégation de la Ligue arabe à la conférence de Doha, a confirmé que les discussions n’avaient quasiment pas progressé lorsque des consultations téléphoniques entre Doha, Damas et Téhéran avaient, à l’étonnement général, permis de débloquer brusquement la situation, dans la dernière demi-heure. Les interlocuteurs iraniens de la Mission n’ont pas manqué de mettre l’accent sur le rôle joué par l’Iran dans l’adoption de cet accord, et d’opposer ce succès aux échecs des tentatives occidentales précédentes.

Téhéran a certainement compris que le Hezbollah avait commis une erreur grave pendant les événements du printemps dernier en utilisant ses armes contre des Libanais, dans une lutte politique intérieure. Il a, ce faisant, jeté le doute sur la légitimité de leur détention, fondée jusqu’ici sur l’idée qu’elles servent à défendre le pays contre Israël. L’accord de Doha, en posant les conditions d’une sortie de l’impasse politique, a contribué à faire passer cette erreur au second plan. M. Denis Bauchard a d’ailleurs souligné que cet accord, dont il reconnaît à la fois les limites et l’effet stabilisateur, sert aussi les intérêts iraniens, puisqu’il renforce la place du Hezbollah au sein de l’Etat libanais.

L’Iran a ainsi fait d’une pierre deux coups en contribuant à mettre un terme à une crise susceptible de dégénérer et en obtenant un gain politique pour ses alliés. On pourrait observer qu’il a aussi fait, une fois de plus, la preuve de l’ampleur de sa capacité d’influence. Toutefois, ce que la communauté internationale reproche à l’Iran, ce n’est pas son influence en tant que telle, mais l’usage négatif qu’il en fait le plus souvent. S’il l’utilise au service de la stabilité, personne ne lui en fera le reproche.

La mise en œuvre de l’accord de Doha est en cours : le président Sleimane a été élu le 25 mai et un gouvernement d’union nationale a été formé le 11 juillet, mais les deux autres piliers de l’accord, l’adoption d’une loi électorale et l’ouverture d’un dialogue national, ne sont pas encore satisfaits. L’Iran aura donc l’occasion, tout au long des prochains mois, puis dans la perspective des élections législatives de 2009, d’exercer à nouveau son influence. Dans l’intérêt du Liban et de la stabilité régionale, il faut souhaiter qu’il continue à le faire dans un esprit constructif.

3) En Afghanistan : une volonté affichée de contribuer à la paix pour se préserver des conséquences du chaos

Alors que l’Afghanistan des talibans sunnites était un ennemi de la République islamique iranienne, l’intervention des forces de l’OTAN et la chute du régime ont permis à l’Iran d’y exercer une influence considérable.

Son influence culturelle est prégnante, surtout parmi les populations tadjikes et hazaras, ces dernières étant chiites. Téhéran est le quatrième partenaire commercial de l’Afghanistan, mais il concentre ses intérêts économiques essentiellement dans la région occidentale, proche de la longue frontière (900 kilomètres) entre les deux pays.

Il est surtout substantiellement engagé dans la reconstruction : il y a consacré plus de 650 millions de dollars depuis 2001, destinés à la réhabilitation de routes, du réseau ferroviaire vers Hérat (133), de réseaux de distribution d’électricité. M. Ali Ahani a insisté sur cet aspect, tout comme les interlocuteurs de la Mission en Iran. Ceux-ci ont surtout souligné l’efficacité de l’aide iranienne, qui contribue à améliorer concrètement la vie des populations locales, quand il est reproché à l’aide occidentale de ne pas parvenir pas jusqu’à elles. Un responsable politique iranien a même attribué à l’importante aide énergétique apportée par son pays à l’Afghanistan la responsabilité des fréquentes coupures d’électricité en Iran !

L’Iran a été invité à la Conférence internationale de soutien à l’Afghanistan qui s’est tenue à Paris le 12 juin 2008, puis à la réunion informelle des pays voisins de l’Afghanistan du 14 décembre dernier, à laquelle il a finalement renoncé à participer.

Le pays abrite par ailleurs environ 900 000 réfugiés afghans et plus d’un million d’« illégaux », dont plus de 270 000 ont été rapatriés de force au printemps 2007. M. Ahani n’a pas caché que, si la plupart des réfugiés afghans s’efforçaient de s’intégrer, un problème important demeurait, lié au transit illégal d’Afghans sur le territoire de l’Iran.

S’y ajoute le problème de la production de drogues, qui a atteint 7 700 tonnes d’opium en 2008 et est, selon l’ambassadeur, principalement destinée à l’Europe. Mais, dans les faits, une partie de ces drogues ne va pas au-delà de l’Iran, où elle alimente un nombre toujours croissant de toxicomanes, qui seraient entre 4 et 5 millions. M. Ahani a mentionné la contribution de la police iranienne à la lutte contre ce fléau, et signalé que trois mille officiers iraniens avaient déjà perdu la vie en menant ce combat. M. Bernard Hourcade a confirmé que c’est surtout à cause du trafic de drogues que l’Afghanistan est considéré comme dangereux par les Iraniens.

Selon l’analyse des responsables politiques iraniens, la situation en Afghanistan est le fruit d’une politique délibérée de mise en tutelle du pays et de la région par les forces extérieures, le Pakistan, les Etats-Unis, l’Arabie saoudite et le Royaume-Uni, ce dernier étant présenté comme le « cerveau » de cette manipulation. Lors de son audition, en avril dernier, M. Ali Ahani a dénoncé clairement l’attitude adoptée par la Grande-Bretagne vis-à-vis des talibans : « Il n’est pas possible d’établir des contacts avec les talibans, leur retour au pouvoir est sans doute la plus grave menace pesant sur la région ». Plusieurs personnes rencontrées par la Mission en Iran ont de même mis en garde contre cette stratégie qui finirait, selon elles, par se retourner contre l’Occident et l’OTAN en exportant le terrorisme dans la région et au-delà.

Mais M. Ali-Akbar Velayati, le conseiller diplomatique du Guide, a pris une position différente : tout en soulignant la nécessité de continuer à soutenir le président Karzaï, il a reconnu la pertinence d’un dialogue avec les « talibans modérés », définis comme ceux qui acceptaient les règles démocratiques, étaient guidés par un sentiment national et rejetaient le terrorisme. Il a expliqué que les talibans n’émanaient pas naturellement de la société afghane, et qu’ils étaient une création extérieure : les Britanniques avaient fourni l’idée, les Saoudiens les fonds, le Pakistan la logistique et les Américains les moyens. Il a estimé que, sans soutien extérieur, nombre d’entre eux pourrait être convaincu de jouer le jeu de la démocratie et des intérêts afghans. Il a rappelé que, sans l’aide de l’Iran, il n’y aurait eu ni renversement des talibans, ni processus démocratique en Afghanistan, et a affirmé que son pays était prêt à coopérer à nouveau, dans le cadre d’une véritable concertation internationale incluant toutes les parties.

Cette offre confirme les dires de M. Bernard Hourcade, selon lesquels les Iraniens pensent qu’aucune solution de long terme ne pourra être élaborée sans eux.

M. François Nicoullaud a évoqué le rôle positif joué par l’Iran dans le dossier afghan, après le 11 septembre 2001, attitude motivée notamment par la crainte d’une intervention américaine sur son propre territoire.

Mais ces signes de bonne volonté ne doivent pas cacher les fortes suspicions qui pèsent sur l’Iran quant à ses relations avec certains groupes terroristes opérant en Afghanistan, parmi lesquels Al-Qaïda, et avec des talibans qui n’ont rien de modéré. MM. Nicoullaud, Hourcade, Waller et Goodarzi y ont fait allusion.

Comme dans les autres crises de la région, l’Iran n’a pas renoncé à un double jeu : conscient de son influence, il est partagé entre la possibilité d’en faire une utilisation positive et celle de la transformer en capacité de nuisance ; il fait en sorte de conserver ces deux options et penche davantage vers l’une ou l’autre selon la perception qu’il a de ses intérêts du moment. Il semblerait que, ces derniers temps, les préoccupations liées au risque de « talibanisation » de la région l’emportent sur la tentation d’instrumentaliser la situation en Afghanistan pour nuire aux pays occidentaux.

4) Dans les Territoires palestiniens : un activisme fondé sur des objectifs idéologiques, qui dessert ceux qu’il prétend aider

Comme votre Rapporteur l’a mentionné supra, l’Iran se présente comme le premier défenseur de la cause palestinienne. Mais la solution qu’il préconise étant inacceptable pour la communauté internationale, son rôle est particulièrement contre-productif.

a) La défense d’une solution inacceptable

M. Velayati a rappelé aux membres de la délégation de la Mission que le Guide de la révolution, exprimant la position officielle de l’Iran, plaidait pour un référendum en Palestine. Il a fait observer que seule la « légitimité démocratique » pouvait constituer la base « logiquement défendable » d’un règlement de cette question.

Dans le même sens, M. Ali Ahani a affirmé que « si aucun plan de paix n’a abouti, c’est qu’ils ne prennent jamais en compte les racines de la crise, et notamment la question des réfugiés » et que « l’Iran défend la paix et la stabilité en Palestine, à l’issue d’un processus démocratique qui respecte les droits des Palestiniens ».

Le régime refuse donc absolument de reconnaître que cette solution « démocratique » n’en constitue pas une dans la mesure où elle n’est acceptable ni au regard du droit international, qui a avalisé le principe de deux Etats, ni d’un point de vue politique, puisque l’arithmétique garantit que le résultat d’un référendum serait inacceptable pour Israël.

M. Jean Félix-Paganon a présenté la position iranienne comme la volonté de « renouer avec le projet, très en vogue dans les années 1960, d’une Palestine multiculturelle, qui ne laisserait aucune place à un Etat national juif ».

b) Un rôle très contre-productif, qui nuit aux intérêts palestiniens

Dans ces conditions, l’influence de l’Iran dans les Territoires palestiniens gêne, bien plus qu’elle n’aide, l’élaboration d’une solution qui ne peut que reposer sur la coexistence de deux Etats.

C’est pourquoi les relations longtemps amicales entre Yasser Arafat et l’ayatollah Khomeiny ne sont plus de mise entre leurs successeurs. Bien qu’il y ait toujours une représentation de l’Autorité palestinienne à Téhéran, son président éprouve une forte défiance à l’égard du président Ahmadinejad.

Ce sentiment a été clairement exprimé par le vice-ministre des affaires étrangères de l’Autorité palestinienne, que votre Président et votre Rapporteur ont rencontré à Ramallah. Il a même déclaré : « " L’amour " du président Ahmadinejad pour la Palestine " tue " l’Autorité palestinienne ! »

Les canaux d’influence de l’Iran dans les Territoires palestiniens sont multiples. Téhéran développe une stratégie de soutien rhétorique mais aussi matériel aux Palestiniens, à la fois pour mobiliser la population iranienne et dans une volonté de propager la révolution islamique et de favoriser les violences contre Israël.

M. Ali Ahani a vivement critiqué le refus des Occidentaux de discuter avec le Hamas : « Partout, il faut chercher des solutions justes et réalistes, ce qui suppose d’écouter l’ensemble des acteurs des différentes crises. Il n’est pas acceptable que certains d’entre eux soient boycottés : le dialogue avec le Hamas ne peut être refusé. Le fait que ce groupe lutte pour que son peuple ait un territoire ne fait pas de lui un groupement terroriste. Il a en plus gagné des élections démocratiques ! Son boycott est vain. » Selon M. Denis Bauchard, l’isolement du Hamas initié par les Etats-Unis et Israël, et avalisé par les pays européens, a conduit ce mouvement à rechercher et obtenir l’appui financier et militaire de l’Iran.

Les liens entre le Hamas et l’Iran, déjà signalés, sont devenus de plus en plus visibles depuis 2006 et la victoire du mouvement aux élections législatives, alors que les Iraniens lui préféraient auparavant le Jihad islamique – qu’ils continuent d’aider par ailleurs. Leur proximité est a priori moins grande que celle de l’Iran et du Hezbollah. En effet, contrairement au Parti de Dieu, le Hamas n’est pas d’inspiration iranienne, mais l’émanation palestinienne des Frères musulmans, mouvement sunnite dont la conception d’un Etat islamique s’oppose au modèle iranien, comme l’a souligné l’ambassadeur d’Egypte en France. Le Hamas ne préconise pas une théocratie où les religieux seraient au pouvoir, mais veut inculquer aux détenteurs du pouvoir politique des principes d’action islamiques. Il est un groupe nationaliste religieux, qui ne milite pas pour la révolution islamique hors du cadre palestinien. Enfin, il n’y a pas d’unanimité en son sein sur l’alliance avec l’Iran, certains souhaitant renouer avec l’Egypte et l’Arabie saoudite.

L’appui financier de l’Iran au Hamas est conséquent : par exemple, en décembre 2006, M. Ismail Haniyeh, alors premier ministre palestinien, a effectué une visite à Téhéran de laquelle il a rapporté 120 millions de dollars en espèces, destinés au Hamas. Des fonds lui ont aussi été promis pour financer les salaires de certains fonctionnaires, de « travailleurs » et de pêcheurs, sans que l’on sache s’ils ont effectivement été versés. L’Iran participe également au développement d’un potentiel militaire clandestin dans les Territoires et fournit une base arrière opérationnelle au Hamas, dont il assure la formation d’une partie des forces combattantes sur son territoire.

Ce soutien a permis au Hamas de mener son coup de force à Gaza, en juin 2007. En privé, le président de l’Autorité palestinienne y a vu une manière, pour l’Iran, de se réintroduire de force dans le jeu régional. M. Saeb Erekat, le chef de l’équipe de négociation palestinienne, a déclaré au lendemain de cette prise de pouvoir que, désormais, « Sderot est à 5 kilomètres de Téhéran » (134).

Cette perception est confortée par le fait que l’Iran peut jouer sur une forme de rivalité, objective quoique non déclarée, entre le Hamas et le Jihad islamique : comme ce dernier poursuit exclusivement une stratégie tournée vers la lutte armée et le terrorisme, il offre en permanence un levier d’action pour l’Iran ; si la stratégie du Hamas devait évoluer dans un sens contraire aux intérêts iraniens, la République islamique pourrait ainsi adopter une alliance de revers, exclusive, avec le Jihad islamique. Les experts français de la situation dans les territoires palestiniens ont confirmé à votre Président et votre Rapporteur que le seul but de ce dernier était de tuer, et que c’était lui, et non le Hamas, qui était à l’origine des tirs de roquettes depuis la Bande de Gaza, et des attentats suicides.

L’influence iranienne s’amplifie donc dans les Territoires palestiniens, et surtout à Gaza. Le président Ahmadinejad y est apprécié en tant que symbole de la « résistance » à Israël et à l’Occident, tandis que M. Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, est auréolé de prestige. La chaîne de télévision de son mouvement, El Manar, est en outre très regardée dans les Territoires.

Pour beaucoup, le soutien massif de Téhéran à ces deux groupes palestiniens vise surtout à affaiblir Israël, puisqu’il le met en mesure d’ouvrir, si nécessaire, un second front contre l’Etat hébreu, en plus du front libanais sur lequel opère le Hezbollah, son autre allié.

Du coup, il n’est pas dans l’intérêt de l’Iran de contribuer à un règlement du conflit israélo-palestinien, quel que soit son souci prétendu de la cause palestinienne. Interrogé sur le point de savoir si la création d’un Etat palestinien serait de nature à débloquer les relations entre l’Iran et l’Occident, M. Gérard Araud a indiqué qu’il n’en serait rien, la sécurité de leur régime étant la seule véritable préoccupation des Iraniens.

M. Jubin Goodarzi a reconnu que, dans le dossier israélo-palestinien, les positions iraniennes n’étaient pas constructives, mais il a également affirmé que, si les Palestiniens d’une part, les Syriens de l’autre, parvenaient à trouver un accord avec Israël, Téhéran ne pourrait pas l’empêcher. Il laisserait la Syrie choisir la solution qui lui semblerait la meilleure. Les principales difficultés dans cette affaire proviennent, selon lui, des positions israéliennes et des positions palestiniennes, pas de l’Iran.

Votre Rapporteur a le sentiment qu’il ne faut certainement pas compter sur la participation de l’Iran au règlement de la question palestinienne, mais que celui-ci priverait Téhéran d’une partie de la sympathie que sa défense affichée de cette cause suscite dans le monde arabe, et de relais susceptibles d’être utilisés contre Israël. En favorisant le coup de force à Gaza, il a affaibli l’Autorité palestinienne, dans le but de rendre impossible ou du moins illégitime tout éventuel accord avec Israël. L’Iran ne s’attendait certainement pas à ce que cette situation relance le dialogue israélo-palestinien.

Si le processus de paix se traduisait enfin par des avancées concrètes dont la population palestinienne puisse bénéficier au quotidien, voire aboutissait à la création d’un Etat palestinien, le régime iranien perdrait une partie de sa capacité d’influence sur la région et de sa confiance en lui. En faisant de la résolution du conflit israélo-palestinien une priorité dès son arrivé au pouvoir, comme le lui a demandé le représentant du Quartette pour le Proche-Orient, M. Tony Blair, et en obtenant des résultats, M. Obama contribuerait à rééquilibrer le rapport de force entre la communauté internationale et l’Iran, et à favoriser l’avancée du dialogue qu’il appelle de ses vœux.

C – Quelles sont les issues possibles ?

Alors que le Moyen-Orient est, depuis des décennies, l’une des zones les plus troublées du monde, il n’est pas acceptable de laisser l’Iran se doter d’armes nucléaires, même s’il n’est pas du tout certain qu’il en fasse usage.

Comme votre Rapporteur l’a mis en évidence, l’Iran dispose d’ores et déjà d’une capacité de nuisance régionale considérable, dont on ne peut prendre le risque qu’elle soit décuplée par la détention de la bombe nucléaire. Seuls ceux qui ont une confiance absolue dans l’efficacité de la dissuasion nucléaire peuvent préconiser le laisser-faire. Pour les autres, il faut agir tant qu’il est encore temps pour éviter que l’Iran n’acquière cette arme. Plusieurs voies peuvent être envisagées pour sortir du blocage actuel de la situation, mais elles présentent souvent, aux yeux de la Mission, plus d’inconvénients que d’avantages.

1) Accepter un Iran doté de l’arme nucléaire : un pari extrêmement risqué

Avant d’analyser les différents moyens auxquels il serait concevable de recourir pour dissuader l’Iran de poursuivre son programme de recherche nucléaire à finalités militaires, il convient d’évoquer les arguments des partisans du laisser-faire. Pour eux, il n’est pas possible d’empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire, et il n’est même pas utile d’essayer de le faire car un Iran nucléaire ne constituerait pas un danger objectif.

Nous serions dans un cas classique de dissuasion nucléaire entre deux Etats – l’Iran et Israël –, comme le président Chirac le pensait lorsqu’il affirmait que « si l’Iran possédait une bombe nucléaire et si elle était lancée, elle serait immédiatement détruite avant de quitter le ciel iranien. Il y aurait inévitablement des mesures de rétorsion et de coercition. C’est tout le système de la dissuasion nucléaire » (135). La question des risques de prolifération mise à part, la situation serait globalement la même que celles ayant existé entre les Etats-Unis et l’Union soviétique pendant la guerre froide, et entre l’Inde et le Pakistan depuis 1998.

Ce raisonnement est notamment soutenu avec conviction par M. Yves Bonnet : « [la règle qui s’impose aux Etats nucléaires] est parfaitement claire : la détention de telles armes de destruction massive oblige au respect des autres Etats nucléarisés. C’est le principe même de la dissuasion qui n’a jamais été remis en cause, ni n’est susceptible de l’être, comme en attestent les affrontements " silencieux " de l’Est et de l’Ouest, de l’Inde et du Pakistan, de l’Inde et de la Chine, de la Chine et de l’URSS. Pourquoi en irait-il autrement d’Israël et de l’Iran, puisqu’il semble bien que ce soit cette éventualité de conflit qui inquiète les gouvernements ? » (136)

M. François Heisbourg s’est en revanche élevé contre tout parallèle de ce type. En effet, « l’Iran nie le droit à l’existence de l’Etat d’Israël, ce qui n’est nulle part ailleurs le cas entre Etats dotés de l’arme nucléaire ». Il a aussi relativisé l’efficacité de la dissuasion nucléaire, même pendant la guerre froide, faisant allusion à la crise de Cuba qui, selon les archives soviétiques récemment rendues publiques, « a vraiment failli dégénérer en guerre nucléaire » (137).

Mme Thérèse Delpech partage clairement son avis : pour elle, dans le cas de l’Iran, « rien n’est moins certain que " le point d’équilibre " ». Elle a rappelé que durant la crise de 1962, le risque principal de basculement dans la guerre nucléaire n’a pas été le fait de Kennedy ou de Khrouchtchev, mais de Fidel Castro. Khrouchtchev, qui avait connu les horreurs de la seconde guerre mondiale en Ukraine, n’a jamais voulu la guerre nucléaire, pas plus qu’aucun dirigeant soviétique. Fidel Castro a en revanche laissé entendre, lors de la reconstitution de la crise, en 1992, qu’il était alors favorable à l’usage des armes nucléaires contre les Etats-Unis.

Selon l’analyse de Mme Delpech, « le point le plus important de la crise de 1962 pour ce qui est de l’Iran, reste que, sur les trois acteurs impliqués, seul Castro était prêt prendre le risque d’un acte suicidaire en le sachant. Les textes disponibles ne laissent aucun doute sur ce sujet. Or, Ahmadinejad ou Kim Jong Il ressemblent beaucoup plus à Fidel Castro qu’à John Kennedy ou Nikita Khrouchtchev. Le risque que pose la prolifération au XXIème siècle tient précisément au fait qu’on ne peut pas considérer que la dissuasion soit la résultante obligatoire du fait que deux pays se trouvent être en possession de l’arme nucléaire. Et le Moyen-Orient est une région où il est particulièrement imprudent de soumettre cette proposition à un test. »

Il est difficile de ne pas adhérer à cette démonstration, surtout lorsque l’on songe au millénarisme auquel croit le président Ahmadinejad et au fait que, au grand dam des plus hautes autorités religieuses chiites, ce dernier affirme régulièrement que ses décisions politiques ou économiques sont inspirées par l’imam caché !

Comme votre Rapporteur l’a développé supra, il est très peu probable que l’Iran lance une bombe contre Israël – les Israéliens eux-mêmes le reconnaissent –, mais on ne peut pas pour autant accepter qu’il se dote de l’arme nucléaire sans rien faire pour l’en empêcher.

2) Mener des frappes militaires préventives : une voie aux conséquences incalculables

Régulièrement évoquée, l’éventualité d’une réponse militaire aux provocations iraniennes semble plus ou moins sérieuse en fonction de l’actualité internationale et interne aux principaux acteurs de la crise. Avant de revenir sur les difficultés de mise en œuvre d’une telle option, il convient de souligner l’ampleur des conséquences qu’elle pourrait avoir sur la région et sur le monde.

a) Une déstabilisation assurée de la région et du monde

Une opération militaire contre l’Iran pourrait avoir des conséquences dévastatrices pour l’équilibre régional, soulignées notamment par Mme Thérèse Delpech (138), ce qui explique que la plupart des Etats de la région veuillent l’éviter absolument : votre Rapporteur a mentionné les craintes exprimées notamment par les autorités émiriennes, bahreïniennes, égyptiennes et syriennes à ce propos.

L’Iran a menacé les Emirats arabes unis et Bahreïn de représailles militaires en cas d’utilisation des bases américaines situées sur leur territoire dans le cadre de frappes contre lui. Il recourrait très probablement à des tirs de missiles contre Israël et les troupes américaines présentes dans la région ; il pourrait bloquer le détroit d’Ormuz, empêchant l’approvisionnement en hydrocarbures d’une grande partie du monde.

Comment douter que, pour répondre à une telle agression, Téhéran utiliserait non seulement ses armes conventionnelles mais aussi tous les relais dont il dispose à l’étranger ? Son instrumentalisation discrète des populations chiites hors de ses frontières ou son soutien à des groupes d’activistes pourraient prendre une autre dimension. Les groupes présents au Liban et à Gaza seraient poussés à multiplier les actions violentes contre Israël, tandis que ceux qui sont actifs en Irak et en Afghanistan attaqueraient les intérêts américains. En outre, alors que l’Iran a déjà eu recours par le passé au terrorisme pour exercer une pression sur l’Occident, pourquoi ne ferait-il pas de même dans une telle situation ?

L’opinion publique des pays musulmans, déjà sensible au discours antioccidental du président Ahmadinejad, prendrait certainement le parti d’un Iran victime d’une agression, rendant difficilement tenables les positions pro-occidentales de bon nombre de dirigeants.

Comme M. François Géré l’a fait observer, l’action militaire n’aurait sans doute d’autre conséquence que de rendre encore plus difficile la position des Etats-Unis dans la région. Elle balaierait tous les efforts en cours pour stabiliser le Proche et le Moyen-Orient et offrirait une victoire politique à Téhéran.

Les défenseurs de l’option militaire, comme M. Bruno Tertrais (139), relativisent les effets négatifs que des frappes préventives pourraient avoir sur la région et le reste du monde, et les comparent aux dangers d’une véritable guerre nucléaire déclenchée par l’Iran. Ainsi, selon M. Tertrais, pour limiter les conséquences d’une riposte iranienne, les Etats-Unis feraient en sorte que leurs forces en Irak soient moins vulnérables, tandis qu’Israël dispose de moyens de défenses antimissiles. Pour ce qui est des conséquences sur le marché des hydrocarbures, il observe qu’un Iran nucléaire ne manquerait pas d’en avoir aussi, que les pays occidentaux sont moins sensibles à la montée des prix qu’ils ne l’étaient dans le passé du fait de l’utilisation massive des pétrodollars pour des achats de biens à l’étranger, et que la fermeture du détroit d’Ormuz priverait surtout l’Iran de sa source principale de revenus. Enfin, la réaction de la population iranienne ne serait pas forcément un soutien inconditionnel à ses dirigeants.

Mais cette analyse n’est que partielle ; elle n’évoque ni les immenses risques de déstabilisation de la région, ni la menace terroriste qui pèserait sur le monde, deux aspects qui ne peuvent être tenus pour négligeables pas la Mission.

b) Des ambitions nucléaires iraniennes qui ne manqueraient pas de renaître

Par ailleurs, force est de constater que, pour ce qui est du dossier nucléaire stricto sensu, même si des frappes ponctuelles permettaient de retarder de quelques années le programme de recherche iranien, et donc d’offrir une forme de répit à la communauté internationale, alors que c’est actuellement l’Iran qui gagne du temps en refusant de négocier, elle ne résoudrait rien : la technologie accumulée par les Iraniens ne disparaîtrait pas pour autant, et le pays n’aurait probablement de cesse de reconstituer sa capacité de recherche et de reprendre son programme.

Telle est la conclusion que M. François Heisbourg donne au scénario intitulé « Confrontation » qu’il présente dans son livre Iran, le choix des armes ? : des frappes militaires semblent avoir permis aux Etats-Unis de remporter une victoire, mais, quatre ans plus tard, l’Iran fait exploser une charge d’uranium enrichi produit dans des sites clandestins. En effet, selon lui, « à plus long terme, la grande nation qu’est l’Iran ferait sans doute l’impossible pour prendre sa revanche nucléaire après des frappes américaines » (140).

c) Des frappes éventuelles très délicates à mener

Il est très probable que, aux lendemains du lancement des opérations militaires en Afghanistan puis en Irak, l’Iran a craint d’être la prochaine victime. Comme votre Rapporteur l’a évoqué supra, c’est sûrement ce qui a poussé le régime à formuler son offre de dialogue aux Etats-Unis, au printemps 2003. Mais, depuis l’enlisement américain en Irak et l’absence de retour à la stabilité en Afghanistan, la perspective d’une opération militaire conduite par les Etats-Unis contre l’Iran s’éloigne, comme plusieurs interlocuteurs de la Mission l’ont souligné : l’envoi de troupes au sol ne saurait être accepté par une population américaine déjà fortement éprouvée par les milliers de pertes humaines subies en Irak ; c’est plutôt l’idée de frappes aériennes, qui ne seraient pas aussi risquées pour les hommes, qui a été mise en avant.

Mais la question est alors de savoir quelles seraient les cibles d’une campagne de frappes aériennes. Des frappes contre les sites nucléaires sont souvent évoquées, mais encore faudrait-il connaître la localisation de ces sites, alors qu’il existe très probablement des emplacements tenus secrets. M. François Géré a souligné le fait que les conditions d’utilisation de l’arme aérienne seraient bien plus délicates qu’en Irak car les sites nucléaires actuellement connus sont proches de villes très peuplées, si bien que toute erreur de calcul aurait des conséquences tragiques que les Iraniens ne manqueraient pas d’exploiter, renforçant l’opposition qu’une telle attaque susciterait nécessairement au sein de l’opinion internationale. Il a aussi indiqué que les simulations menées sur ce scénario montrent que le résultat d’une telle opération serait très faible, à moins de mener une campagne de bombardement particulièrement intense pendant au moins trois voire quatre semaines (141).

Les Etats-Unis sont-ils prêts à se lancer dans une telle opération ? Si, comme votre Rapporteur l’a expliqué supra, la victoire de M. Barack Obama à l’élection présidentielle américaine rend cette hypothèse peu probable, du moins à court voire moyen terme, les interlocuteurs de la Mission ne considéraient déjà pas ce risque comme très important au printemps dernier. M. Michel Miraillet a rappelé que la publication du rapport du NIE avait sans aucun doute accrédité l’idée à Téhéran que cette menace était écartée (142), tandis que Mme Thérèse Delpech avait confirmé que ce rapport avait eu pour conséquence de rendre très difficile le déclenchement d’une action militaire américaine par l’administration Bush.

Dans ces conditions, ce sont plutôt les Israéliens qui pourraient être tentés de s’en charger. M. Ehud Olmert a notamment affirmé que « le peuple juif, qui était profondément marqué par les cicatrices de l’Holocauste, ne peut pas se permettre d’être à nouveau confronté à une menace contre son existence même », et que « celui qui le menace devait savoir qu’il avait la détermination et la capacité de se défendre et de répondre par la force, en fonction de la situation, et par tout autre moyen à sa disposition, en tant que de besoin » (143).

M. Michel Miraillet a souligné que « les autorités israéliennes, pourtant soumises à des déclarations inacceptables de la part de l’Iran, s’étaient jusqu’à présent gardées de multiplier les déclarations belliqueuses, mais qu’il ne faisait guère de doute qu’une planification de circonstances existait sur ce thème en Israël ». Votre Rapporteur et votre Président ont fait le même constat au cours de leur déplacement en Israël : comme indiqué supra, les Israéliens estiment que l’option militaire doit rester une éventualité crédible, pour faire pression sur Téhéran, et font tout pour qu’il en soit ainsi. Plusieurs options possibles leur ont été présentées : un interlocuteur a expliqué que, pour que l’opération soit vraiment efficace, il fallait envisager une campagne d’environ deux semaines, mais qui serait politiquement difficile à accepter pour Israël ; d’autres ont mentionné une frappe ponctuelle sur les principaux centres d’enrichissement, bien connus des services de renseignements israéliens. Dans le premier scénario, c’est l’anéantissement du régime qui serait recherché, par la destruction des structures économiques, politiques et sécuritaires ; dans le second, il s’agirait seulement de ralentir de quelques années – deux ou trois au moins – l’avancée des recherches nucléaires iraniennes.

La frappe opérée par Tsahal en septembre 2007 contre un site syrien suspecté d’abriter un centre de recherche nucléaire en construction a montré la capacité de frappe israélienne à longue distance. Mais des frappes sur l’Iran présenteraient des difficultés supplémentaires : la flotte israélienne ne comprend pas d’avions furtifs, elle rencontrerait des problèmes de ravitaillement et ne pourrait pas utiliser de drones à une aussi grande distance. Les diplomates français considèrent donc que les Israéliens n’entreprendront rien sans l’accord et la coopération des Etats-Unis, desquels ils devraient obtenir la permission de se ravitailler en Irak – ce que le SOFA interdit (144) –, mais aussi une couverture permettant d’éviter les actions de représailles et le blocage du détroit d’Ormuz.

La Mission a le sentiment que ni Israël, ni les Etats-Unis n’entreprendront de frappes préventives contre l’Iran tant que la communauté internationale recherchera activement d’autres solutions crédibles à la crise actuelle. Les conséquences incalculables qu’une action militaire aurait dans la région et dans le monde doivent pousser les responsables politiques de tous les pays à travailler ensemble dans ce sens.

3) Durcir nettement les sanctions : une solution difficile à mettre en œuvre, aux effets incertains

Même pour ceux qui sont le plus attachés à ce que l’option militaire ne soit pas ouvertement écartée, il faut d’abord poursuivre dans la voie des sanctions. L’efficacité sur le régime de celles qui sont déjà en vigueur n’ayant pas encore été véritablement démontrée, un net durcissement est préconisé.

Mais, là encore, les moyens d’accroître les sanctions, le contenu qu’il conviendrait de leur donner, comme les effets qui peuvent en découler posent problème.

Comment faudrait-il mettre en place de nouvelles sanctions ? Par la voie multilatérale ou au niveau des différents Etats ? La première voie apparaît étroite. Au Conseil de sécurité, la Russie et la Chine ne semblent pas ouvertes à renforcer nettement les sanctions déjà prises. Ces deux pays, qui n’ont pas de raison évidente de se réjouir de la perspective d’un Iran nucléaire, ont essayé de convaincre Téhéran de coopérer avec l’AIEA, mais ils restent prudents, soucieux avant tout de préserver leurs intérêts énergétiques dans le pays. M. Vladimir Poutine, alors président de la Fédération de Russie, a souligné à plusieurs reprises que le caractère militaire du programme nucléaire iranien n’était pas prouvé. Les autorités israéliennes s’agacent du « très sale jeu de Moscou », pour citer l’expression utilisée devant votre Président et votre Rapporteur par M. Silvan Shalom, et doutent que l’obstruction permanente de la Russie aux efforts de la communauté internationale s’explique uniquement par sa rivalité avec Washington. Quelles que soient les éventuelles intentions cachées des Russes, et malgré la force des relations que l’Iran a nouées avec eux – qui se traduisent dans le secteur de l’armement, de la fourniture d’équipements militaires sensibles ou dans la coopération en matière de nucléaire civil –, soulignée par M. Denis Bauchard, ils ont fait preuve de retenue dans l’avancée du chantier de Bousher, mais ne soutiendront probablement pas de nouvelles sanctions du Conseil de sécurité, à moins qu’elles restent d’une portée limitée.

Les sanctions européennes n’ont dans ce contexte que peu de « chances » d’être fortement accrues, puisqu’un certain nombre de pays membres considère qu’elles doivent rester dans le cadre fixé par les résolutions du Conseil de sécurité, qui reflètent l’unité de la communauté internationale, celle-ci leur paraissant indispensable à l’efficacité de toute action envers l’Iran. Si les sanctions onusiennes sont maintenues en l’état, les mesures communautaires feront très probablement de même.

Les plus fervents partisans des sanctions en sont conscients et en appellent à des dispositifs nationaux. Les responsables israéliens ne manquent pas d’idées : les uns demandent que les sanctions américaines soient adoptées par d’autres pays et que des mesures soient prises contre les responsables politiques iraniens ; d’autres défendent des décisions radicales visant l’isolement le plus complet possible de l’Iran, qui serait privé de tout approvisionnement et de toute possibilité de voyager pour ses ressortissants ; beaucoup sont favorables à des sanctions dans le domaine des hydrocarbures, qui sont à la fois la première ressource du régime et son point faible pour ce qui est des produits raffinés.

Mme Thérèse Delpech a préconisé deux de ces voies : interdire la livraison de produits pétroliers raffinés et empêcher les Iraniens de circuler, ce qui constituerait selon elle « le meilleur moyen non belliqueux de convaincre le régime de reprendre sérieusement les négociations ».

Un embargo sur le pétrole iranien pourrait aussi être envisagé, même s’il se traduirait par un regain de tension sur le marché des hydrocarbures.

Outre les possibilités de contournement des sanctions et les risques économiques pris par les pays qui s’engageraient seuls sur cette voie, il faut aussi avoir à l’esprit le réflexe nationaliste que des sanctions très fermes pourraient déclencher au sein de la population : au lieu de contribuer à exercer une pression sur le régime, elles pourraient finalement le renforcer, comme ce fut le cas en Irak.

Mme Thérèse Delpech écarte cette comparaison en mettant en avant deux arguments : la situation en Iran est moins proche de celle qui prévalait en Irak que de celle de la Libye, qui avait aussi besoin d’investissements occidentaux dans les infrastructures pétrolières et gazières et a finalement été sensible aux sanctions ; il existe une société civile iranienne qui « n’est en aucun cas comparable à celle de l’Irak sous Saddam Hussein », et qui ne partage pas les positions antiaméricaines et antisionistes du régime. Si elle a certainement raison quant aux besoins de l’économie et aux sentiments profonds de la majorité de la population iranienne, son immense fierté nationale peut toutefois la conduire à serrer les rangs derrière le régime.

L’instrument des sanctions doit donc être utilisé avec précaution, même s’il ne faut pas s’interdire d’y recourir dans certaines conditions.

Votre Rapporteur estime que le risque de l’utilisation par les Russes et les Chinois de leur droit de veto contre l’établissement de nouvelles sanctions doit être pris au sérieux, car il affaiblirait l’unité dont la communauté internationale a fait preuve jusqu’ici dans la gestion du dossier nucléaire, ce qui aurait pour effet de renforcer la position iranienne. En revanche, l’efficacité des sanctions déjà en vigueur peut être améliorée par une plus grande vigilance des Etats et la mise en œuvre, par ces derniers, de sanctions effectives contre les entreprises qui passeraient outre. Il est établi que certains pays ne sont pas suffisamment attentifs au respect des sanctions sur leur territoire : une pression internationale pourrait être exercée sur eux pour les appeler à plus de rigueur. Les Etats-Unis et la France ont par exemple d’excellentes relations avec plusieurs petits Etats du Golfe qu’ils pourraient pousser à consentir davantage d’efforts en la matière.

4) Négocier un accord global : un travail délicat mais le seul moyen de préserver l’équilibre régional

Pour la Mission, il est clair que la solution militaire n’en est pas une, pas plus que le laisser-faire. Les sanctions ne sont pas à exclure absolument, mais doivent être maniées avec prudence. La voie à suivre pour obtenir à la fois un règlement du dossier nucléaire et la contribution de l’Iran à l’équilibre régional est étroite. Elle ne peut, d’évidence, passer que par la diplomatie, le dialogue, la négociation. Il ne s’agit pas de donner à l’Iran tout ce qu’il demande, mais de trouver un équilibre entre ses préoccupations légitimes et celles de la communauté internationale.

a) Ouvrir un véritable dialogue en levant toute condition préalable

Depuis que, à partir de l’été 2005, l’Iran a repris les activités suspectes qu’il avait suspendues dans le cadre de l’accord de Paris du 15 novembre 2004, il n’y a plus eu de négociations au sens propre du terme, puisque l’Iran a toujours refusé de suspendre à nouveau ses activités liées au retraitement et à l’enrichissement, alors que cette suspension était la condition à l’ouverture de négociations. Les propositions de coopération qui lui ont été faites n’ont donc jamais été véritablement discutées.

Même la proposition de « double gel » pendant une période de pré-négociations, devant permettre de préparer à la fois la suspension effective et les négociations, n’a pas été acceptée par l’Iran.

Les exigences, légitimes, de la communauté internationale, dont l’absence de satisfaction justifie les sanctions des Nations unies, visent à « rétablir la confiance ». Elles sont perçues en Iran comme un signe de profonde défiance. Nous sommes donc dans une impasse.

Dans ces conditions, la Mission considère que le seul moyen de surmonter ce blocage est de lever le préalable aux négociations. En effet, malgré les effets des sanctions sur l’économie iranienne, tout le temps consacré à essayer d’obtenir que ce préalable soit rempli est mis à profit par l’Iran pour poursuivre son programme nucléaire. La communauté internationale n’y gagne rien, contrairement à l’Iran. Obtenir la suspension des activités suspectes et la coopération complète de l’Iran avec l’AIEA doit être le premier objectif de la négociation ; cela doit même être une condition à la conclusion d’un accord plus large, mais pas constituer un préalable à l’ouverture des négociations. Il est en effet facile pour l’Iran de refuser ce préalable et donc de ne pas entrer dans la négociation. On peut penser qu’il lui sera plus difficile de renoncer à toutes les autres propositions de la communauté internationale une fois qu’il aura progressé dans la négociation, à cause de son intransigeance sur les seules questions nucléaires.

b) Envisager toutes les possibilités de règlement du « volet nucléaire »

Officiellement, l’Iran veut seulement que soit reconnu son droit au nucléaire civil, qui, passe selon lui, par la possibilité d’enrichir et de retraiter de l’uranium sur son territoire. La communauté internationale, de son côté, veut que ses doutes sur les finalités du programme nucléaire iranien puissent être levés, ce qui suppose que Téhéran fournisse des réponses satisfaisantes aux demandes de l’AIEA et suspende ses activités suspectes pendant la durée de l’examen de leurs finalités.

Votre Rapporteur a montré que les raisons mises en avant par l’Iran pour justifier ses activités suspectes n’étaient pas convaincantes. Le traité de non-prolifération n’accorde pas aux Etats parties le droit d’enrichir de l’uranium, mais il ne pose pas non plus d’interdiction en la matière, dès lors que l’AIEA peut contrôler le processus pour s’assurer que ses finalités sont conformes aux stipulations du traité.

La plupart des pays qui possèdent des centrales électronucléaires achètent l’uranium enrichi dont ils ont besoin sur le marché international. Les quantités produites dans le monde correspondent aux besoins, voire les dépassent, et le marché fonctionne bien. La Corée du Sud, par exemple, alimente ses nombreuses centrales en recourant à du combustible enrichi dans d’autres pays. L’Iran refuse de faire appel au marché international et de dépendre d’un pays étranger pour son approvisionnement en rappelant le souvenir de l’affaire Eurodif, dans laquelle les partenaires français n’auraient pas respecté leur engagement de permettre à l’Iran d’acheter 10 % de l’uranium enrichi produit sur le site du Tricastin.

Il faut néanmoins souligner à nouveau que la centrale de Bousher sera alimentée par du combustible russe pendant toute la durée de son fonctionnement, conformément aux engagements pris par le Russie, qui en a déjà livré une grande quantité. Il s’agit donc d’assurer à l’Iran la fourniture de l’uranium enrichi dont il pourrait avoir besoin pour alimenter de futures centrales.

Plusieurs propositions lui ont été faites pour répondre à cette préoccupation. La Russie a d’abord offert, en novembre 2005, d’enrichir, sur son territoire, l’uranium nécessaire aux infrastructures iraniennes. Devant le refus iranien, Moscou a proposé que l’infrastructure d’enrichissement sur le sol russe fasse l’objet d’un accord de partenariat russo-iranien, proposition rejetée une première fois sans examen, puis examinée, puis définitivement rejetée par Téhéran en mars 2006.

Dans le même esprit, les pays du Conseil de coopération des Etats arabes du Golfe (Bahreïn, Koweït, Oman, Qatar, Arabie Saoudite, Emirats arabes unis) ont proposé, en novembre 2007, la création d’un consortium localisé dans un pays neutre et qui fournirait de l’uranium enrichi d’usage civil à l’Iran, ainsi qu’à l’ensemble des pays du Moyen-Orient. Téhéran n’a pas souhaité donner suite à cette idée.

Les Iraniens ne sont apparemment pas opposés à l’idée d’un consortium international d’enrichissement de l’uranium mais tiennent absolument à ce que le processus d’enrichissement se fasse sur leur territoire. Cette exigence, difficile à justifier rationnellement, pose naturellement problème à la communauté internationale. En effet, comment être sûr que l’Iran ne profitera pas de cette implantation sur son sol pour détourner de l’uranium faiblement enrichi afin de le transformer en uranium d’usage militaire ? Même si le processus est placé sous un contrôle étroit de l’AIEA, comment ne pas craindre que les autorités iraniennes décident un jour d’interdire aux contrôleurs l’accès au site, voire au pays ? Comment les éventuels manquements de l’Iran aux engagements pris vis-à-vis de l’AIEA pourraient-ils être sanctionnés ? Une telle solution supposerait que l’Iran d’une part, la communauté internationale et l’AIEA d’autre part, entretiennent des relations mutuelles d’entière confiance, ce qui n’est absolument pas le cas actuellement.

Une autre voie intéressante mais tout aussi délicate à mettre en œuvre pourrait consister à laisser l’Iran avoir une infrastructure d’enrichissement propre, mais à encadrer très strictement les activités qui y seraient autorisées : le taux d’enrichissement serait plafonné à un niveau peu élevé, le nombre de centrifugeuses et le volume d’uranium enrichi seraient limités. Tout cela se ferait sous le contrôle attentif de l’AIEA, après que l’Iran ait au moins ratifié le protocole additionnel aux garanties de l’AIEA. M. François Nicoullaud a indiqué que c’était la solution défendue par M. El Baradei : elle « consisterait à encadrer étroitement la centrifugation et les autres activités sensibles afin d’être en mesure de repérer très à l’avance tout franchissement de la ligne entre domaine civil et domaine militaire, comme cela a fonctionné en Corée du Nord. En 2004, un accord portant sur 500, voire 1 000, centrifugeuses, ne devant pas enrichir à plus de 3,5 % par exemple, aurait peut-être pu être conclu ; aujourd’hui, il est clair, si l’on allait dans cette voie, qu’il faudrait accorder à l’Iran un nombre nettement plus élevé de centrifugeuses. » (145)

Pourrait aussi être étudiée par des spécialistes l’idée de l’installation en Iran d’un site d’enrichissement d’uranium à usage civil dont la technologie serait apportée par une entreprise étrangère, qui se chargerait de tout et n’opérerait aucun transfert de technologie au profit de l’Iran, selon le principe de la « boîte noire ».

Si l’on parvenait à mettre en place un système de garanties adéquat, de telles solutions techniques pourraient donner satisfaction aux demandes formulées par l’Iran, tout en limitant au maximum les risques de détournement de l’uranium enrichi ou de la technologie à des fins militaires. L’Iran ne pourrait dès lors pas les refuser sans mettre en évidence des intentions inavouables, qu’il nie pourtant énergiquement.

Mais la voie la plus sûre viserait certainement à intégrer les demandes de l’Iran dans le cadre de la résolution du problème plus général de l’approvisionnement en uranium enrichi d’un nombre croissant de pays équipés de centrales électronucléaires, laquelle passerait par la création d’une banque multilatérale du combustible, gérée par l’AIEA. Une telle solution, défendue à l’origine par l’Autriche et l’Allemagne notamment, consisterait à accorder à l’Agence la gestion d’une réserve prédéterminée d’uranium faiblement enrichi, destinée à être utilisée en cas de rupture d’engagements contractuels afin de fournir en uranium les pays dépourvus de programmes nationaux d’enrichissement. Elle offrirait une alternative crédible à de tels programmes nationaux en garantissant l’approvisionnement en cas de défaillance du marché.

L’Union européenne s’est déclarée favorable à cette initiative, les Etats membres s’étant engagés, au cours du Conseil des ministres des affaires étrangères du 8 décembre dernier, à consacrer 25 millions d’euros à ce projet, quand ses modalités auront été approuvées par le Conseil des gouverneurs de l’AIEA. Le Congrès américain s’est également prononcé en faveur de cette idée, et a décidé d’y consacrer 50 millions de dollars, tandis que la Russie a offert de mettre à la disposition d’une telle banque une réserve d’uranium faiblement enrichi, située à Argansk, d’une valeur estimée à 300 millions de dollars.

La mise en œuvre de ce projet permettrait de répondre aux préoccupations officiellement affichées par les Iraniens, en leur garantissant la fourniture d’uranium enrichi en toute circonstance, même si l’enrichissement n’est pas réalisé sur leur territoire.

c) Elargir l’offre internationale pour assurer une plus grande stabilité régionale

Pour la Mission, trouver une solution acceptable au dossier nucléaire ne doit pas être le seul objectif de la négociation. L’Iran sera d’autant plus ouvert à faire des concessions sur la question nucléaire – accepter de participer à un consortium enrichissant l’uranium hors de ses frontières ou de recourir à une banque multilatérale du combustible, par exemple – qu’il aura satisfaction sur d’autres points. Mais une négociation large peut aussi fournir l’occasion d’obtenir des engagements iraniens en faveur de la stabilité de la région.

La période de la campagne électorale iranienne ne semble guère propice à l’ouverture d’une telle négociation, qui pourrait être instrumentalisée par les responsables politiques pour peser sur l’issue du scrutin. Mais la Mission estime que l’Union européenne doit mettre à profit les prochains mois pour élaborer, en lien avec les Etats non européens du groupe des Six, une offre équilibrée sur laquelle une négociation avec l’Iran pourra être conduite dès que l’élection présidentielle iranienne aura eu lieu.

En s’inspirant notamment du rapport Baker-Hamilton, la négociation pourrait tenter d’obtenir de l’Iran, notamment, qu’il cesse de soutenir les groupes d’activistes de la région – alors qu’il nie un tel soutien – et participe effectivement à la lutte contre le terrorisme, qu’il joue de son influence régionale en faveur de la réconciliation nationale en Irak, en Afghanistan, au Liban et dans les Territoires palestiniens, et qu’il contribue davantage à la reconstruction économique de ces pays. Si le dialogue se développe, la reconnaissance de l’Etat d’Israël ou, pour le moins, la fin de toute prise de position officielle agressive vis-à-vis de lui, pourrait aussi être demandée à l’Iran.

Evidemment, l’Iran, pourrait accepter de prendre des engagements sur tel ou tel point précité et ne pas les tenir. Comment la communauté internationale pourrait-elle s’assurer que plus aucun gardien de la révolution ne conseille un groupe terroriste ou un autre, que les transferts de fonds et envois d’armes ont pris fin, qu’un éventuel accord de réconciliation nationale est dû, au moins en partie, à l’influence iranienne ? On ne peut que reconnaître les difficultés de l’exercice. Seule une nette amélioration de la situation régionale – dont les difficultés actuelles sont certes attisées par le jeu iranien, mais ne lui sont pas exclusivement imputables – pourrait témoigner a posteriori de son changement d’attitude.

Il ne faudrait donc pas que la communauté internationale accorde des contreparties trop nombreuses et d’un effet trop immédiat à l’Iran. Mais elle pourrait négocier un ensemble de mesures, dont l’entrée en vigueur serait échelonnée dans le temps et conditionnée aux progrès constatés. Etant donné l’isolement actuel du pays, on dispose d’un large choix de propositions susceptibles de lui être faites.

Dans le domaine économique, la levée de toutes les sanctions, nationales et internationales, formelles et informelles, devrait être proposée ; elle pourrait s’opérer de manière graduelle. Certains pays pourraient prendre des engagements en matière de transferts de technologies, notamment dans le domaine des hydrocarbures, et d’investissements, par des mesures incitant leurs entreprises à travailler davantage avec l’Iran. La communauté internationale dans son ensemble ou les pays qui comptent le plus à l’Organisation mondiale du commerce pourrait aussi décider de soutenir la candidature de l’Iran à l’OMC (146). L’Union européenne pourrait pour sa part proposer la relance de la négociation de l’accord de commerce et de coopération, entamée en 2002 mais suspendue depuis.

L’accueil que l’Iran est susceptible de réserver à ces offres dépend du rang auquel ses plus hauts dirigeants placent le développement économique parmi leurs préoccupations. De l’avis de M. Bernard Hourcade (147), « le Guide de la révolution craint qu’une ouverture économique à l’international n’entraîne l’arrivée de nombreux expatriés, qui corrompraient la société ». Cette ouverture pourrait aussi dévoiler au grand jour les immenses faiblesses structurelles de l’économie iranienne. Mais la dégradation actuelle de la situation économique, accentuée par les sanctions et le recul du prix du pétrole, et le mécontentement qu’elle suscite dans la population, ainsi qu’un éventuel changement à la présidence de la République, peuvent conduire les dirigeants à saisir l’opportunité d’une ouverture de leur économie.

Les possibilités ne manquent pas non plus dans le domaine plus strictement politique.

L’Union européenne pourrait réactiver le « dialogue global », qui avait succédé au « dialogue critique » en 1998, reprendre la négociation d’un accord sur le dialogue politique et la lutte contre le terrorisme, relancer le dialogue sur les droits de l’homme. Répondant à une préoccupation forte de la République islamique, les Etats-Unis pourraient renoncer officiellement à toute tentative de regime change (et à tout soutien à des groupes minoritaires susceptibles de déstabiliser le régime) et proposer un rétablissement des relations diplomatiques bilatérales.

L’Iran tient à ce que son statut de puissance régionale soit reconnu : pourquoi ne pas s’engager, par exemple, à l’associer à toutes les conférences multilatérales sur l’Irak, l’Afghanistan, la question palestinienne et le Liban ?

De même, les inquiétudes de l’Iran quant à sa sécurité pourraient être apaisées par un renforcement du dialogue avec l’OTAN sur ces questions, qui inclurait des mesures de confiance et de sécurité. En 2006, un rapport de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN (148), rédigé par M. Ruprecht Polenz, le président de la commission des affaires étrangères du Bundestag, envisageait l’échange d’observateurs lors d’exercices militaires, une coopération navale en mer, et l’ébauche d’un accord de maîtrise des armements rédigé sur le modèle du Traité sur les armes conventionnelles en Europe et destiné à limiter l’effectif des forces proches des frontières irano-irakiennes et irano-afghanes.

Pourrait aussi être favorisée la conclusion d’accords régionaux de sécurité, qui constitueraient un cadre dans lequel apaiser les tensions et initier un dialogue confiant. Elles pourraient prendre la forme de « communautés régionales de sécurité », sur le modèle de celle qui a été établie pour l’Ukraine après que ce pays a abandonné ses armes nucléaires en échange de garanties multilatérales du Conseil de sécurité des Nations unies, en 2004. On pourrait en effet envisager d’inclure l’Iran dans une telle communauté régionale multilatérale de sécurité. Dans cette perspective, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité ainsi que l’Allemagne pourraient établir des accords mutuels de sécurité avec l’Iran. Ils pourraient aussi chercher à s’assurer que d’autres acteurs régionaux ne s’engagent pas dans des hostilités, en échange, pour les Iraniens, de la promesse de ne pas se lancer dans une agression (149). En parallèle, la négociation de la transformation du Moyen-Orient en zone exempte d’armes nucléaires – solution que la France, mais aussi les pays arabes, soutiennent depuis longtemps – pourrait être relancée.

Les éléments susceptibles de faire partie d’une offre de la communauté internationale à l’Iran dans le cadre d’un accord large incluant un volet nucléaire sont donc nombreux et variés ; ceux qui ont été évoqués supra n’ont aucune prétention à l’exhaustivité. Tous apportent, sur un point ou un autre, une réponse aux préoccupations iraniennes. Le précédent libyen témoigne des avantages multiples qu’un pays peut trouver dans une ouverture internationale après des décennies d’isolement. Pour la rendre possible, la Libye a officiellement renoncé aux armes de destruction massive ; l’Iran a au moins autant intérêt qu’elle à adopter cette démarche.

De la même manière, la reprise du dialogue de la France avec la Syrie pourrait montrer la voie.

CONCLUSION

Les scénarios les plus noirs ont été élaborés par certains experts pour sensibiliser les responsables politiques au danger que représenterait un Iran doté de l’arme nucléaire. Cette perspective est loin d’être une chimère et le danger est réel et multiforme ; il convient d’en avoir conscience, mais de garder son sang-froid. Ni le Moyen-Orient ni le monde n’ont besoin d’une guerre de plus. D’ailleurs, le Guide suprême a rappelé le président iranien, cet été, à plus de modération.

La Mission est persuadée que, si la diplomatie est actuellement dans une impasse, elle n’est pas allée au bout de ses possibilités et qu’elle constitue la seule voie à suivre.

Tout comme le pire, le meilleur n’est jamais sûr. Néanmoins, plusieurs évolutions acquises, en cours ou probables, devraient contribuer à favoriser l’établissement d’un véritable dialogue avec l’Iran, de nature à permettre d’avancer vers la résolution de la crise nucléaire et de réintégrer pleinement l’Iran dans la communauté internationale. L’élection de M. Obama à la présidence des Etats-Unis, l’arrivée possible de Mme Livni à la tête d’Israël, un changement, espéré par beaucoup, à la présidence de la République islamique, la chute du prix du pétrole sont autant de facteurs qui pourraient avoir de considérables effets sur les relations de l’Iran avec l’Occident et avec ses voisins.

La perspective, désormais acquise, d’un prochain retrait des forces américaines d’Irak, où la sécurité s’est améliorée, la mise en œuvre progressive des stipulations de l’accord de Doha au Liban sont des signes fragiles mais réels d’une forme de détente. Il est vrai que les espoirs nés de la conférence d’Annapolis sont pour l’heure déçus, alors que la résolution du conflit israélo-palestinien constituerait un immense soulagement et apaiserait les esprits. Surtout, l’Afghanistan est loin d’avoir retrouvé la stabilité, et les désordres dont il est à l’origine commencent à dépasser ses frontières. Mais il n’est pas impossible que ce risque, qui pourrait atteindre aussi l’Iran, pousse Téhéran à adopter un comportement responsable et à coopérer davantage avec la communauté internationale.

Sans optimisme excessif, la Mission pense que l’année à venir offrira des conditions plus favorables qu’elles ne l’ont été depuis 2005 pour renouer un véritable dialogue avec l’Iran et le ramener à la raison. C’est important pour la paix, c’est important pour l’Iran.

La communauté internationale doit donc tout mettre en œuvre pour aider à la résolution du conflit israélo-palestinien, sans oublier l’impérieuse nécessité de ramener l’Iran au dialogue.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission examine le présent rapport d’information au cours de sa réunion du mardi 16 décembre 2008.

Après les exposés du Président et du Rapporteur, un débat a lieu.

M. Axel Poniatowksi. Il aurait été intéressant de connaître les détails de l’offre globale qui pourrait être faite aux Iraniens. Le rapport de la Mission doit sans doute y revenir.

Qu’est-ce que la Mission recommande de faire si les négociations échouent ? Quel est son plan B ?

M. Jean-Paul Lecoq. Le rapport de la Mission propose des conclusions sages, et examinent différents plans. Toutefois, certains éléments manquent.

Le rapport n’insiste pas sur le rôle joué par Israël, dont l’attitude à l’égard du peuple palestinien n’est pas sans conséquence sur le développement du Hamas. De plus, il n’est pas fait référence à la résistance iranienne et à son rôle en Iran : est-ce seulement un mouvement extérieur, ou dispose-t-il de relais internes ? Par ailleurs, il n’y a pas de référence au rôle des acteurs économiques en Iran, qui ne respectent pas les sanctions. Certains industriels ont admis devant la Mission qu’ils n’envisageaient pas ne pas intervenir en Iran, malgré les sanctions. Ce comportement est notamment le fait d’entreprises britanniques et nuit aux entreprises françaises.

Le rapport ne revient pas sur l’évolution des religions dans le monde, qui pose problème. La réponse à cela, nous la connaissons, c’est la laïcité, mais il aurait fallu insister sur la nécessaire séparation des pouvoirs politique et religieux dans le rapport. Autre élément d’interrogation, on insiste aujourd’hui, dans diverses instances internationales, sans que je partage cette idée, sur l’intérêt que représente l’énergie nucléaire dans un contexte de réchauffement climatique, ce qui va à l’encontre de l’interdiction, prononcée contre l’Iran, d’utiliser les technologies nucléaires civiles. Enfin, le Président Bush a révélé qu’il avait été trompé par ses services de renseignement au sujet des armes de destruction massive censées être détenues par l’Irak. Il n’est pas besoin de se pencher sur la signification de cette révélation tardive, mais elle souligne qu’il y a trop de subjectivité dans les opinions exprimées au sujet du programme nucléaire iranien.

Il était donc judicieux de conclure le rapport sur la nécessité de laisser le nucléaire de côté au début des négociations. Il faudrait toutefois être proactif, et ne pas attendre les Etats-Unis pour commencer ces démarches.

M. Jacques Myard. En tant que co-rapporteur, avec M. Jean-Michel Boucheron, de la mission d’information en cours sur les enjeux géostratégiques de la prolifération, je considère que la certitude de l’existence d’un programme nucléaire militaire iranien doit être relativisée. Des experts occidentaux parmi les mieux renseignés, au Département d’État ou au sein des services de renseignement américains, mais aussi d’autres services occidentaux – il ne s’agit pas des services français – émettent de sérieux doutes à ce sujet.

Les Occidentaux, qui n’ont pas protesté contre les essais nucléaires de l’Inde et du Pakistan, sont évidemment dans une situation délicate à l’égard de l’Iran, qui est, de surcroît, cerné par les armements nucléaires : ceux d’Israël, de la Russie, de la Chine ou de la sixième flotte américaine qui patrouille dans le Golfe. Aux négociateurs américains qui faisaient pression pour éviter la poursuite d’un programme nucléaire militaire, les Nord-coréens ont fait cette réponse cinglante : « Nous éviterons ainsi de connaître le sort que vous avez réservé aux Irakiens ».

Je partage la conclusion de la mission selon laquelle il faut négocier avec l’Iran sur d’autres thèmes que le nucléaire. En effet, si l’on en croit le récent rapport World At Risk publié aux États-Unis par la commission pour la prévention de la prolifération des armes de destruction massive et du terrorisme, une attaque terroriste majeure est à redouter d’ici cinq ans. Or le terrorisme ne doit jamais se combattre frontalement. Selon un adage de diplomate que j’utilise souvent, « quand on veut planter un clou, il faut le faire tenir par les autres ». Dès lors, je souscris tout à fait à l’idée de proposer à l’Iran une négociation ouverte ne portant pas d’abord sur le nucléaire, afin d’éviter tout blocage.

Par ailleurs, la réalité de la situation iranienne est plus nuancée qu’il n’y paraît. Ainsi, les élites de ce pays sont très désireuses de se former aux États-Unis et il n’est qu’à observer les délivrances de visas américains dans des pays voisins de l’Iran pour s’en convaincre. Certes, la présence du président Ahmadinejad pose problème mais il existe le pouvoir du Guide suprême et celui de ses deux mille conseillers, de sorte que la prise de décision est un phénomène très complexe. Par conséquent, adopter face à ces dirigeants une attitude d’ouverture comme le préconise le rapport, est sans doute le moyen de provoquer un déblocage aussi efficace qu’inattendu.

Il faut que les États-Unis affirment qu’ils ne recherchent pas de changement de régime en Iran. D’ailleurs, il est actuellement un régime présentant des risques autrement plus grands en termes de sécurisation de la force de frappe nucléaire, c’est celui du Pakistan ; la récente explosion de l’un des grands hôtels de sa capitale ne laisse pas d’inquiéter. À cet égard, la signature par l’administration Bush d’un accord avec l’Inde est à la fois une marque d’hypocrisie flagrante et un réel problème pour la non-prolifération.

Mme Martine Aurillac. Ayant largement participé aux travaux de la mission, je partage tout à fait l’analyse et les propositions de son président et de son rapporteur. Je voudrais souligner deux traits culturels qui nous ont frappés. Le peuple iranien est orgueilleux et fier : combien de fois nos interlocuteurs ne nous ont-ils pas répété qu’ils n’étaient pas des Arabes mais des Persans ? Dans ce contexte, la poursuite d’un programme nucléaire est un enjeu de souveraineté, à la fois une condition de l’indépendance du pays et de la survie du régime. L’autre élément est l’importance de la question religieuse : dans la définition des rapports avec l’extérieur, les nuances entre les différentes branches d’une même religion – chiites, sunnites, alaouites – comptent bien plus que les relations économiques, par exemple.

Le caractère militaire du programme nucléaire iranien n’est peut-être pas encore avéré mais tel est évidemment le but visé. La « course aux sanctions » m’apparaît contre-productive à un double titre : en plus d’être relativement inefficaces, ces sanctions dressent la population locale contre les étrangers. Les espoirs résident dans la mise en place de l’administration Obama, dans l’évolution possible de la position d’Israël et dans la tenue des élections en Iran même. Cela étant, même si les urnes désignaient M. Mohammed Baqer Qalibaf ou M. Mohammed Khatami, qui sont plus ouverts au reste du monde que M. Ahmadinejad, cela n’apporterait vraisemblablement pas de changement majeur. Pour toutes ces raisons, c’est bien une offre globale qu’il faut proposer, sans préalable nucléaire. Nous avons tout intérêt à parler avec l’Iran d’égal à égal.

Le Président Axel Poniatowski. Le but ultime de l’offre globale est tout de même le renoncement au nucléaire militaire.

Mme Martine Aurillac. Il faut à tout le moins que l’ensemble du processus nucléaire soit contrôlé pour s’assurer de l’absence de finalité militaire.

M. Renaud Muselier. Je lirai le rapport avec grand intérêt. J’en partage globalement, moyennant quelques nuances, les conclusions telles qu’elles viennent d’être présentées. Deux éléments me paraissent capitaux dans le cadre du processus électoral qui s’annonce, si les élections ont bien lieu à la date prévue : la nécessité pour les dirigeants iraniens de développer un discours fédérateur sur le thème du nucléaire, et l’élément tout aussi fédérateur que représentent les diatribes à l’encontre d’Israël.

Je participais au récent déplacement du groupe d’amitié France-Israël et les discours qui nous ont été tenus sur place étaient très aisés à décrypter : face à la menace iranienne si proche, une frappe est envisagée. Dès lors, on peut nourrir quelques interrogations à l’égard de l’attitude de la nouvelle administration américaine. En effet, celle-ci est engagée dans un processus de retrait d’Irak qui suppose une forme d’entente avec l’Iran, laquelle est tout à fait incompatible avec la position israélienne. Avons-nous, à la commission des affaires étrangères, les outils en main pour démêler cette question complexe ?

M. Pascal Clément. Les propositions du rapport satisfont le néophyte que je suis sur le sujet abordé. Pour ce grand et fier pays de 70 millions d’habitants, il ne fait guère de doute que le développement d’un programme nucléaire est tout autant un élément de défense que d’affirmation nationale. Aucune pression diplomatique n’y changera quoi que ce soit. Mais que l’Iran se dote de l’arme nucléaire n’est pas fatalement une menace pour la paix, puisque la particularité de cette arme est d’engendrer un équilibre des forces confinant à la paralysie. Si une frappe devait intervenir contre l’Iran, les conséquences en chaîne seraient dramatiques pour la planète. Il convient donc de désamorcer la pression israélienne ; pour ce faire, la future administration américaine semble bien mieux placée que celle dont le mandat s’achève. Après la guerre d’Irak, qui pourrait encore imaginer qu’une frappe préventive soit possible ? Enfin, naturellement, aucun pays ne sera exempt de soupçons quant au matériel vendu à l’Iran dans le cadre de son programme nucléaire.

M. Jacques Myard. Je voudrais ajouter que s’agissant de l’enrichissement de l’uranium, l’idée, rappelée par le rapport, d’une banque internationale est connue… mais pas forcément pour le meilleur, si l’on veut bien se souvenir de l’affaire Eurodif. L’Iran s’était vu garantir de l’uranium pour ses centrales nucléaires, et c’est nous qui avons violé l’accord ; je suis particulièrement bien placé pour le savoir, ayant eu à connaître de ce dossier dans mes fonctions antérieures.

Enfin, il faut rappeler qu’il existe des députés juifs iraniens, l’un d’entre eux ayant même réussi à faire interdire la diffusion d’un feuilleton télévisé pour son caractère antisémite.

M. Jean-Marc Roubaud, rapporteur. M. Lecocq, vous avez posé de très bonnes questions et je vous remercie de votre participation. Nous n’avons pas voulu faire un rapport de 400 pages et tout aborder, mais je voudrais néanmoins revenir sur vos propos. Il est clair qu’Israël se sent menacé et, comme nous l’a dit notamment le directeur des services de sécurité, les Israéliens sont prêts à frapper. Ils ont peur d’attaques directes, de divers modes, missiles ou bateaux téléguidés sur Tel Aviv par exemple et se sentent quasiment en état de guerre. Sur la résistance iranienne qui a fait du lobbying devant l’Assemblée nationale, et qui se présente comme une alternative démocratique, il s’agit de l’organisation des Moudjahidines du peuple qui est considérée comme terroriste par l’Union européenne et les Etats-Unis. Quant aux sanctions, nous avons eu l’occasion de rencontrer des entreprises françaises qui sont incontestablement pénalisées. Toutefois, tous les produits ne sont pas soumis aux sanctions, l’alimentation notamment, et certaines entreprises peuvent travailler normalement, comme Carrefour ou Renault, par exemple. Certains produits soumis aux sanctions arrivent cependant à Téhéran par des voies détournées. Ce sont les banques françaises, qui étaient traditionnellement bien implantées en Iran, qui sont surtout pénalisées. Malgré cela, même si c’est plus coûteux pour lui, l’Iran passe par l’intermédiaire de banques off shore et peut finalement obtenir quasiment tout ce qu’il veut.

Sur la question de la religion, il faut se garder d’une vision selon laquelle l’Iran serait composé de 70 millions de fanatiques. En fait, la quasi-totalité de la population aspire sinon à vivre à l’occidentale, du moins à la paix et ne se sent pas concernée par ce qui se passe au sein du régime. Les gens sont résignés, comme le prouve la très faible participation aux élections, qui ne dépasse pas les 30 %. Le régime est une dictature dans laquelle les candidatures sont filtrées strictement, comme M. Jean-Louis Bianco l’a dit, c’est la raison pour laquelle le président pourrait être réélu l’an prochain. Ce n’est qu’une parodie de démocratie. Il n’y a ni séparation des pouvoirs, ni laïcité, mais la religion est surtout un enjeu de pouvoir et n’est pas au cœur des préoccupations de la majorité des Iraniens. Cela étant, il faut souligner le formidable décalage entre l’image que donne le régime, les aspirations de la population et la jeunesse du pays qui ne pense qu’au modèle américain.

M. Jean-Paul Lecoq. Cela n’apparaît pas dans le rapport.

M. Jean-Marc Roubaud. Cette situation est décrite dans le rapport, mais sans entrer dans les détails de la vie quotidienne.

M. Jean-Louis Bianco, Président de la Mission. Je voudrais apporter quelques compléments à ce qu’a dit le rapporteur, avec lequel je suis tout à fait d’accord. Nous disons dans le rapport que le régime est soutenu mollement par la population, qui a d’autres aspirations. Je confirme également l’information que donnait M. Myard : un feuilleton télévisé jugé antisémite a été interdit. Ce qui nous a été dit aussi c’est que la population, en profondeur, n’est ni antisémite ni même antisioniste et aurait même plutôt un préjugé ou un ressentiment anti-arabe. Cela étant, Ahmadinejad est un cas particulier, qui tient des propos provocateurs et scandaleux. C’est un des sujets sur lesquels nous avons eu des contradictions, certains de nos interlocuteurs mettant en avant que l’important était non pas ce que disait le président, mais ce que disait le Guide pour lequel il n’est pas question de détruire Israël. C’est important d’avoir cela en tête.

Cela me ramène à la question antérieure : ce programme nucléaire, pourquoi faire ? Pour se protéger. Et aussi pour avoir une influence régionale. L’Iran a gardé le traumatisme de la « guerre des villes » et comme M. Myard l’a souligné, il y a la question du Pakistan ; il y a des forces autour des Iraniens dont ils ont envie de se protéger. La politique que mène l’Iran est donc une politique de protection et d’influence. On ne peut bien sûr exclure que les Iraniens aient l’intention d’utiliser réellement l’arme nucléaire, mais c’est aux yeux de la mission, une arme politique avant tout. Néanmoins, même si l’Iran ne fabriquait pas la bombe ou ne l’utilisait pas, il est clair que l’on peut aussi envisager le pire, à cause du sentiment d’impunité que la capacité nucléaire lui procurerait et de son soutien à des mouvements terrorises. C’est de cela qu’il faut parler avec eux, car ils ont un rôle ambigu ; on a le sentiment qu’ils pourraient avoir un rôle positif, comme ils l’ont eu parfois en Irak, voire en Afghanistan, où ils jouent en fait un double jeu. Donc, le danger de l’arme nucléaire, c’est surtout l’usage qu’ils pourraient en faire à des fins de déstabilisation autant que le risque d’une frappe.

Quant à la question de M. Myard, si certains estiment que le fait que l’Iran ait l’arme atomique n’est pas si grave et pourrait même être stabilisateur, ce n’est pas l’avis de la Mission. Le problème est qu’il y a le traité de non-prolifération nucléaire, dont l’Iran est signataire, qui, avec ses défauts, a néanmoins le mérite d’exister. Si l’on n’en tient pas compte, au motif que le Pakistan, l’Inde, Israël, la Chine, et d’autres, ont l’arme nucléaire, il n’y a plus de traité et l’on entre dans une situation à risques pour l’avenir. Même si ce traité est imparfait, c’est une garantie pour que chacun ait droit au nucléaire civil. Faire le choix contraire serait extrêmement risqué pour l’avenir.

En ce qui concerne Eurodif, on nous a opposé l’argument, et je crois qu’il est de bonne foi : les Iraniens considèrent s’être fait duper une fois et ne veulent pas qu’il y en ait une deuxième. Nous avons envisagé quatre types de solutions, et pour répondre à la question du président Poniatowski, non, nous n’avons pas de plan B. Pour entrer un peu plus dans le détail, nous revenons sur les suggestions du rapport américain Baker-Hamilton sur le fait de discuter avec eux de la lutte contre le terrorisme, qui est aussi de leur intérêt.

Pour le reste, la question de la laïcité et de la religion est cruciale ; on l’a vu en Turquie et la capacité de résistance de la laïcité est un élément fondamental. A l’évidence, l’Iran manipule ou influence un arc chiite, qui agace les pays à dominante sunnite. Il veut apparaître comme le leader de l’opposition au « grand Satan » américain et au « petit Satan » israélien, le meilleur défenseur dans la région. Il joue une fonction tribunicienne et ça marche de fait assez bien, pas forcément en Iran, mais vis-à-vis du monde arabe.

En ce qui concerne les sanctions, on pourrait voir pays par pays quel est leur rôle et au fur à mesure, envisager la levée des sanctions en échanges de gages, du rôle apaisant effectivement joué par l’Iran. Une politique d’incitations, en quelque sorte. Dans le domaine économique, on pourrait voir un programme de levée de sanctions formelles et informelles, prendre des engagements en matière de transferts de technologie et d’investissements dans le domaine des hydrocarbures en particulier, voir si l’Iran est intéressé par une entrée à l’OMC. On peut aussi reprendre un dialogue global Europe – Iran, qui les intéresse, et on peut aussi espérer que le Président Obama renoncera au « regime change ». Même si ce régime ne nous plait pas, ce n’est pas à la communauté internationale de le changer et un tel renoncement rassurerait les Iraniens. Une démarche en ce sens d’Obama, avec le soutien de l’Union européenne, de la Chine, les intéresserait évidemment car le régime cherche d’abord sa survie. Il faut envisager aussi des mesures de confiance et de sécurité dans le cadre d’un dialogue avec l’OTAN, par exemple, proposer des accords régionaux de sécurité dans le cadre d’une région exempte d’armes nucléaires, même si c’est encore très théorique, car on ne voit pas comment Israël renoncerait à l’arme nucléaire. L’ensemble peut former un paquet suffisamment attractif.

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Je vous remercie M. le président et M. le rapporteur et vous adresse mes félicitations pour la qualité de votre rapport.

La commission autorise, à l’unanimité, la publication du présent rapport d’information.

ANNEXES

1. LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES PAR LA MISSION

(par ordre chronologique)

1) A Paris

– M. Jean Félix-Paganon, directeur d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient au ministère des affaires étrangères et européennes, accompagné de M. Franck Gellet, sous-directeur du Moyen-Orient (25 mars 2008)

– M. Olivier Roy, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), spécialiste de l’islam (1er avril 2008)

– Son Excellence M. Ali Ahani, ambassadeur d’Iran en France (2 avril 2008)

– M. Bernard Hourcade, directeur de recherche au CNRS, spécialiste des mutations sociales et politiques de l’Iran (8 avril 2008)

– M. François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France en Iran (15 avril 2008)

– M. Gérard Araud, secrétaire général adjoint, directeur général des affaires politiques et de sécurité au ministère des affaires étrangères et européennes, accompagné de M. Martin Briens sous-directeur du désarmement et de la non-prolifération nucléaires (30 avril 2008)

– M. François Heisbourg, président de l’International institute for strategic studies de Londres, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique (30 avril 2008)

– M. Michel Miraillet, directeur chargé des affaires stratégiques, ministère de la défense (6 mai 2008)

– Son Excellence M. Nasser Ahmed KAMEL, ambassadeur d’Egypte en France (21 mai 2008)

– M. François Géré, président de l’Institut français d’analyse stratégique, directeur de recherche à l’Université de Paris III (27 mai 2008)

– Mme Thérèse Delpech, directrice des affaires stratégiques au Commissariat à l’énergie atomique (28 mai 2008)

– M. Denis Bauchard, conseiller au centre Maghreb-Moyen-Orient de l’Institut français des relations internationales (IFRI) (10 juin 2008)

– M. Jubin Goodarzi, professeur à la Webster University de Genève et consultant pour les Nations unies (25 juin 2008)

– M. Olivier Caron, directeur du pôle stratégie et relations extérieures du Commissariat à l’énergie atomique, gouverneur pour la France auprès de l’AIEA (2 juillet 2008)

– M. Bernard Squarcini, directeur central du renseignement intérieur (10 septembre 2008)

– M. Hosham Dawod, ingénieur de recherches au Laboratoire d’anthropologie des institutions et des organisations sociales (LAIOS), spécialiste des relations Iran-Irak (17 septembre 2008)

– M. Robert Waller, premier secrétaire de l’Ambassade des Etats-Unis, accompagné de Mme Marie-Claude Dumay (22 octobre 2008)

2) Au Emirats arabes unis (Abou Dabi et Dubaï) (le Président et le Rapporteur)

31 mai 2008

– Son Exc. M. Patrice Paoli, ambassadeur de France

– M. Sylvain Lambert, premier conseiller

– M. Bernard Urbany, conseiller financier

– M. Didier Gazagnadou, conseiller de coopération et d’action culturelle

1er juin 2008

– M. Jean Messiha, conseiller financier

– M. Ashraf Fouad Makkar, conseiller pour la presse du Prince hériter d’Abou Dabi

– Sheikha Lubna Al Qassimi, ministre du commerce extérieur

– Sultan Seif Al Eriani, secrétaire général du ministère des affaires étrangères

– M. Jamal Sanad Al Suwaidi, directeur général de l’Emirates center for strategic studies and research (ECSSR)

– M. Abdelkader Zaoui, ambassadeur du Maroc

– M. Jean-Paul Villain, directeur de la stratégie et conseiller du président de l’Abu Dhabi Investment Authority (ADIA)

2 juin 2008

– Mme Nada Yafi, consule générale de France à Dubaï

– M. Nasser Hashempour, président exécutif adjoint de l’Iranian business council

– M. Christian Koch, directeur des études internationales au Gulf research center

3) A Bahreïn (le Président et le Rapporteur)

2 juin 2008

– Son Exc. Mme Malika Bérak, ambassadrice de France

– M. Alain Lechevalier, groupe Total

– M. Mansoor Al Arayedh, président du conseil du Golfe pour les relations étrangères

– M. Dhafer Al Umran, directeur des relations bilatérales

– M. Jean-Marc Lebrun, Géant Casino

– M. Waleed Kanoo, Kanoo information for technology

– M. Marco Dondi, Al Salma Bank

– M. Stephen Wagstaff, Axa Insurance

– M. Pierre Fabre, conseiller économique et commercial

– Mme Rim Jalali, adjointe du conseiller économique et commercial

– M. Christian Reigneaud, conseiller politique

3 juin 2008

– M. Abdulhussain Bin Ali Mirza, ministre pour les affaires du pétrole et du gaz

– Cheikh Rashid Bin Abdallah Al Khalifa, ministre de l'intérieur

– Cheikh Khaled Bin Ahmad Al Khalifa, ministre des affaires étrangères

– M. Hassan Fakhro, ministre de l'industrie et du commerce

– M. Nicolas Fouad Trad, senior banker chez Calyon

– M. Valiollah Seif, directeur exécutif de la Future Bank

– M. Jean-Christophe Durand, directeur régional de BNP Paribas

4) En Israël et dans les Territoires palestiniens (le Président et le Rapporteur)

8 juillet 2008

– Son Exc. M. Jean-Michel Casa, ambassadeur de France

– Colonel Bertrand Chandouineau, attaché de défense

– M. Jérémy Opritesco, premier secrétaire

– M. Jean-Philippe Métayer, premier secrétaire

– M. David Danieli, directeur général adjoint de la Commission de l’énergie atomique

9 juillet 2008

– M. Yossi Gal, directeur général adjoint au ministère israélien des affaires étrangères, et ses collaborateurs

– M. Nimrod Barkan, directeur du Centre d’analyses et de perspectives du ministère des affaires étrangères

– M. Tzahi Hanegbi, président de la commission des affaires étrangères et de la défense de la Knesset

– M. Alexis Le Cour Grandmaison, consul général adjoint à Jérusalem

– M. Saleh Ra’fat, secrétaire général de l’Union démocratique palestinienne (FIDA) et membre du Comité exécutif de l’OLP

– M. Ahmad Soboh, vice-ministre des affaires étrangères de l’Autorité palestinienne

– M. Silvan Shalom, membre Likoud de la Knesset, ancien ministre des affaires étrangères

10 juillet 2008

– Mme Colette Avital, membre travailliste de la Knesset

– M. Laurent Alègre, consul général adjoint à Jérusalem

– M. Alain Rémy, consul général de France à Jérusalem

5) En Iran (le Président et le Rapporteur, ainsi que Mmes Martine Aurillac, Elisabeth Guigou et M. Philippe Cochet)

10 octobre 2008

– Son Exc. M. Bernard Poletti, ambassadeur de France

– M. Jean Greabling, premier conseiller

– M. David Cvach, deuxième conseiller

– M. Michel Lallemand, chef de la mission économique

– M. Sylvain Fourrière, conseiller de coopération et d’action culturelle

– M. Jean-Claude Olivié, chef de la section consulaire

– M. Fabrice Desplechin, chef du service de presse

– Colonel Bernard Villette, attaché de défense

– M. Arnaud Pescheux, rédacteur au ministère des affaires étrangères et européennes

11 octobre 2008

– M. Alaeddine Boroudjerdi, président de la commission de la politique étrangère et de la sécurité nationale du Madjles, et ses collègues :

– Mme Fatemeh Alia, députée de Téhéran

– Mme Zohreh Elahian, députée de Téhéran

– M. Mehdi Mehdizadeh, député de Gonabad

– M. Hossein Naghavi-Hosseini, député de Varamin

– M. Mehdi Safari, vice-ministre des affaires étrangères pour l’Europe

– M. Hossein Adeli, président de l’Institut Ravand

– M. Ali-Akbar Velayati, conseiller diplomatique du Guide suprême de la Révolution islamique

– M. Ali Laridjani, président du Madjles

– Les ambassadeurs à Téhéran d’Arabie Saoudite, de Jordanie, des Emirats arabes unis et d’Egypte

12 octobre 2008

– M. Mohammad-Djalal Firouznia, directeur général du Golfe persique au ministère des affaires étrangères

– M. Manouchehr Mottaki, ministre des affaires étrangères

– Rencontre avec des hommes d’affaires :

– M. Mehdi Miremadi, chambre de commerce franco-iranienne

– M. Pierre Foret, Peugeot

– M. Jean-Michel Kerebel, Renault

– M. Nigel Coulthard, Alstom

– M. Marc Corbion, Carrefour

– M. Farzad Amanpour, Calyon

– M. Alain Zimmermann, Société générale

– M. Rémy Morizet, Renault Trucks

– M. Ahmad Tavakkoli, président du Centre de recherches du Madjles

– M. Hassan Kamran, président du groupe d’amitié Iran-France du Madjles, et ses collègues :

– M. Ali Eslami-Panah, député de Jiroft

– M. Abolfath Niknam, député de Tonekabon et de Ramsar

– M. Behrouz Jafari, député de Samirom

6) En Syrie (le Président et Mme Martine Aurillac)

24 octobre 2008

– Son Exc. M. Michel Duclos, ambassadeur de France

– M. Nicolas Suran, premier conseiller

25 octobre 2008

– Sheikh Salahedine Kaftaro, directeur du centre Abou Nour

– Khaled Mahjoub, homme d’affaires

– M. Wadha Abd Rabbo, rédacteur en chef du quotidien Al Watan

– M. François Burgat, Institut français pour le Proche-Orient

– M. Kamel Dorai, Institut français pour le Proche-Orient

– M. Franck Mermier, Institut français pour le Proche-Orient

– M. Abdulwahab Lahham, vice-président de la chambre de commerce

– M. Hani Mourtada, directeur du complexe de Sitt Zeinab

26 octobre 2008

– M. Samir Seifan, économiste

– M. Jihad Yazigi, économiste

– M. Samir Al Taqi, directeur du centre Al Sharq pour l’Orient, et son équipe :

– M. Samer Ladkany

– M. Zyiad Arbache

– M. Marwan Kabbalan

– M. Hani Houri

– M. Sleiman Haddad, président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée du peuple

– Mme Sylvie Sturel, chef de la mission économique

– M. Fayçal Meqdad, ministre-adjoint des affaires étrangères

2. CHRONOLOGIE DE LA CRISE DU NUCLÉAIRE IRANIEN (2002-2008)

2002

Grâce à l’opposition iranienne, des programmes clandestins d’enrichissement et de retraitement sont découverts.

2003

Août : l’Allemagne, la France, et la Grande-Bretagne, dits E3, proposent des négociations à l’Iran sur le nucléaire.

Septembre : le Conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) adopte une première résolution appelant l’Iran à faire preuve de transparence et à suspendre les activités en cause ; huit autres résolutions du même type suivront.

Octobre : à l’occasion d’une visite des ministres des E3 en Iran, Téhéran s’engage à coopérer pleinement avec l’AIEA, à signer et à mettre en œuvre le protocole additionnel au traité de non-prolifération (TNP), qui permet des inspections inopinées de l’AIEA, et à suspendre l’enrichissement et le retraitement.

2004

Février et mai : victoire écrasante des conservateurs à l’occasion des élections législatives.

15 novembre : en application de l’accord de Paris, négocié par les E3, Téhéran suspend toutes ses activités liées à l’enrichissement et au retraitement de l’uranium.

2005

Juin : Mahmoud Ahmadinejad remporte l’élection présidentielle.

Juillet : les E3 présentent à l’Iran d’une première offre visant à résoudre la crise.

Août : en violation de l’accord de Paris, Téhéran reprend ses activités de conversion de l’uranium dans son usine d’Ispahan.

24 septembre : une résolution de l’AIEA (la Russie et la Chine s’abstenant) prévoit un recours implicite au Conseil de sécurité des Nations unies.

2006

10 janvier : en violation de l’accord de Paris, l’Iran lève des scellés placés par l’AIEA sur plusieurs centres de recherche nucléaire et reprend des activités d’enrichissement à Natanz.

4 février : l’AIEA décide de transmettre le dossier nucléaire iranien au Conseil de sécurité des Nations unies. En réaction, l’Iran renonce à appliquer le protocole additionnel du traité de non-prolifération nucléaire signé en décembre 2003.

26 février : échec des négociations russo-iraniennes sur la création d’une société conjointe d’enrichissement de l’uranium iranien en Russie.

8 mars : l’AIEA transmet le dossier nucléaire iranien au Conseil de sécurité.

29 mars : le Conseil de sécurité adopte une déclaration présidentielle par laquelle il exige que l’Iran cesse ses activités d’enrichissement d’uranium et lui impose une date limite fixée au 28 avril.

11 avril : le président Ahmadinejad annonce que « l’Iran a rejoint les pays nucléaires » avec l’enrichissement d’uranium à 3,5 %, qui permet de produire du combustible nucléaire, grâce à une cascade de 164 centrifugeuses.

25 avril : l’Iran avertit qu’il suspendra ses relations avec l’AIEA s’il est soumis à des sanctions.

3 mai : Paris et Londres déposent un projet de résolution au Conseil de sécurité, demandant formellement à l’Iran de suspendre son programme d’enrichissement. Ce projet se réfère au chapitre VII de la charte de l’ONU qui peut ouvrir ultérieurement la voie à d’éventuelles sanctions voire à une intervention militaire.

8 mai : Mahmoud Ahmadinejad écrit à George W. Bush pour proposer de « nouveaux moyens » de régler les tensions dans le monde, geste sans précédent depuis la révolution en 1979.

12 mai : le secrétaire général de l’ONU Kofi Annan appelle les Etats-Unis à dialoguer directement avec Téhéran pour résoudre la crise.

31 mai : Washington, dans un changement majeur de politique vis-à-vis de l’Iran, propose de participer directement aux négociations sur le programme nucléaire iranien aux côtés des Européens, à condition que Téhéran suspende son enrichissement de l’uranium.

1er juin : l’Iran se dit prêt au dialogue avec les Etats-Unis mais refuse de suspendre l’enrichissement d’uranium.

6 juin : le Haut représentant de l’Union européenne pour la politique étrangère et de sécurité commune remet à l’Iran une offre dont les détails sont gardés secrets. Les grandes puissances proposent d’aider l’Iran à construire des réacteurs à eau légère et de lui accorder des avantages commerciaux s’il suspend l’enrichissement de l’uranium, mais elles n’évoquent pas de sanctions.

16 juin : l’Iran est « prêt à commencer à négocier », mais « sans conditions préalables », selon le vice-ministre iranien des Affaires étrangères Abbas Araqchi.

31 juillet : le Conseil de sécurité de l’ONU adopte une résolution 1696 qui endosse l’offre, demande à l’Iran une coopération complète avec l’AIEA, rend obligatoire la suspension des activités sensibles et prévoit qu’en cas de non-respect par l’Iran de ses obligations, le Conseil de sécurité travaillera à l’adoption de sanctions internationales croissantes.

22 août : la République islamique refuse la suspension de l’enrichissement tout en proposant des « négociations sérieuses », par le biais d’un document remis aux Nations unies.

25 octobre : l’Iran met en service, dans son usine de Natanz, une deuxième cascade de centrifugeuses destinées à enrichir de l’uranium.

23 décembre : le Conseil de sécurité de l’ONU impose des sanctions à l’Iran par la résolution 1737 qui interdit la vente de tout matériel ou technologie susceptible de contribuer aux activités de l’Iran dans les domaines nucléaire et balistique. Elle n’autorise pas le recours à la force et donne soixante jours à l’Iran pour « suspendre toutes ses activités nucléaires sensibles en termes de prolifération ».

2007

21 février : le délai accordé en décembre par l’ONU à Téhéran pour suspendre ses activités nucléaires sensibles expire sans que l’Iran ne manifeste d’ouverture.

24 mars : le Conseil de sécurité de l’ONU alourdit les sanctions infligées à l’Iran dans sa précédente résolution (1737), pour son refus de suspendre ses activités d’enrichissement et de retraitement de l’uranium. L’Iran qualifie la résolution 1747 d’« illégale », et limite sa coopération avec l’AIEA.

23 mai : l’AIEA publie un nouveau rapport constatant que « L’Iran n’a pas suspendu ses activités liées à l’enrichissement » et accroît ses activités à l’usine de Natanz. Le pays aurait même accéléré le déploiement de ses centrifugeuses, dont 1 300 tourneraient alors à plein régime.

13 juillet : Téhéran accepte que des inspecteurs de l’AIEA se rendent avant la fin juillet sur le site du réacteur à eau lourde d’Arak, qui était fermé aux inspections depuis mars, à la suite des sanctions imposées par l’ONU.

22 août : un accord est conclu entre l’Iran et l’AIEA sur un calendrier de plusieurs mois pour que Téhéran réponde aux questions en suspens sur son programme nucléaire.

Fin août : un rapport de l’AIEA constate que l’Iran poursuit l’enrichissement d’uranium à Natanz, en y faisant fonctionner près de 2 000 centrifugeuses.

16 septembre : Bernard Kouchner affirme que le monde doit se « préparer au pire », c’est-à-dire à la possibilité d’une « guerre » avec l’Iran.

25 octobre : les Etats-Unis adoptent de nouvelles sanctions contre l’Iran. Elles visent les gardiens de la révolution, l’unité d’élite Al Qods, et les trois principales banques du pays.

7 novembre : le président iranien affirme que son pays a atteint le cap des 3 000 centrifugeuses, étape qui permet théoriquement d’obtenir suffisamment d’uranium enrichi nécessaire à la fabrication d’une bombe atomique. Il avait fait, le 2 septembre, une déclaration identique, mise en doute par l’AIEA.

15 novembre : un rapport de l’AIEA évoque des « progrès substantiels » dans la coopération de Téhéran avec l’agence mais qualifie ces avancées d’« insuffisantes ».

3 décembre : publication d’un rapport des seize agences de renseignement américaines (Nation intelligence estimate 2007) qui considère avec « un haut degré de confiance » que « l’Iran a arrêté son programme d’armement nucléaire à la fin 2003 ».

2008

22 février : présentation d’un nouveau rapport de l’AIEA devant le Conseil de sécurité, qui conclut que l’Iran a fourni de nouvelles informations sur son programme nucléaire controversé mais « toujours pas d’une manière complète et cohérente ».

3 mars : faisant notamment suite aux affirmations du directeur général adjoint de l’AIEA, allant à l’encontre du rapport inter-services de décembre 2007 et du rapport de février 2008, le Conseil de sécurité des Nations unies adopte la résolution 1803, qui renforce les sanctions internationales contre l’Iran.

26 mai : un nouveau rapport de l’AIEA souligne que l’Iran poursuit ses activités sensibles en violation des résolutions du Conseil de sécurité et qu’il développe quantitativement et qualitativement son programme de centrifugeuses ; il dresse une longue liste d’éléments relatifs à de possibles activités iraniennes liées à la conception et à la fabrication des armes nucléaires, lesquels sont qualifiés de « sources de grave préoccupation ».

14-15 juin : sont remis à Téhéran une offre révisée de coopération – sur laquelle les E3+3 s’étaient mis d’accord le 2 mai – et un document de procédure, qui propose le « double gel » destiné à permettre la préparation de l’ouverture des négociations elles-mêmes, ces derniers restant conditionnées à la suspension des activités sensibles.

19 juillet : le Haut représentant de l’Union européenne pour la politique étrangère et de sécurité commune, accompagné des directeurs politiques des E3+3 (y compris le vice-secrétaire d’Etat américain), rencontre à Genève le secrétaire général du Conseil suprême de sécurité nationale iranien, auquel ils demandent une réponse claire à la proposition de « double gel », dans un délai de deux semaines.

5 août : la réponse iranienne évoque la contre-proposition iranienne de document de procédure remise à Genève et les points communs entre les deux documents de procédure et fait état de la disposition à l’Iran à apporter la « réponse claire » demandée, pour peu qu’il en reçoive une à ses propres questions afin de lancer les négociations en vue d’un accord complet de coopération, sur la base des points communes entre l’offre des E3+3 et une « offre » iranienne remis le 13 mai 2008.

27 septembre : le Conseil de sécurité adopte la résolution 1835 qui réaffirme les résolutions précédentes, sans nouvelle sanction.

19 novembre : un rapport de l’AIEA confirme sa « grave préoccupation ».


3. LES RÉSOLUTIONS DU CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES SUR LE NUCLÉAIRE IRANIEN

1 () La liste des personnes rencontrées par la Mission à Paris et à l’occasion de ses déplacements figure en annexe.

2 () Bernard Hourcade, Iran. Nouvelles identités d’une république, Belin-La documentation française, 2002, 223 pages, p. 87.

3 () Les oulémas obtinrent de la population qu’elle ne fume plus et organisèrent des émeutes, afin de protester contre le projet d’accorder le monopole du tabac à une compagnie britannique ; le Chah renonça finalement à ce projet.

4 () Fariba Adelkhah, L’Iran, collection idées reçues, Le Cavalier Bleu éditions, Paris, 2005, 125 pages, p. 15.

5 () Audition du 25 mars 2008.

6 () Audition du 10 juin 2008.

7 () Le fonctionnement du régime iranien est expliqué infra dans le 2) du B du I.

8 () Audition du 1er avril 2008.

9 () Audition du 17 septembre 2008.

10 () Audition du 10 juin 2008.

11 () Audition du 21 mai 2008.

12 () Audition du 15 avril 2008.

13 () Audition du 25 mars 2008.

14 () Audition du 17 septembre 2008.

15 () Audition du 1er avril 2008.

16 () Audition du 25 mars 2008.

17 () Audition du 1er avril 2008.

18 () Bernard Hourcade, Iran. Nouvelles identités d’une république, op. cit., pp. 206-207.

19 () Sabrina Mervin, Le Hezbollah. Etat des lieux, Sindbad, Actes Sud, 2008, 359 pages, pp. 75-85.

20 () Audition du 30 avril 2008.

21 () Audition du 10 septembre 2008.

22 () Audition du 30 avril 2008.

23 () Audition du 10 juin 2008.

24 () Audition du 15 avril 2008.

25 () Audition du 21 mai 2008.

26 () Audition du 15 avril 2008.

27 () Audition du 10 juin 2008.

28 () Audition du 17 septembre 2008.

29 () Audition du 2 avril 2008.

30 () Audition du 30 avril 2008.

31 () Audition du 21 mai 2008.

32 () Audition du 10 juin 2008.

33 () Cette université, créée en 1005, se présente comme la plus ancienne université au monde. Depuis le XIVème siècle, c’est l’un des centres intellectuels musulmans les plus importants ; elle se considère comme la meilleure institution pour l’instruction religieuse et l’interprétation légale des écritures sacrées de l’islam. Elle est souvent critiquée pour son conservatisme.

34 () Audition du 28 mai 2008.

35 () Audition du 1er avril 2008.

36 () Audition du 2 avril 2008.

37 () Audition du 10 juin 2008.

38 () Cela n’empêche pas que certains responsables iraniens fassent de temps en temps une déclaration sur l’appartenance de Bahreïn à l’Iran.

39 () Audition du 25 juin 2008.

40 () Ces deux peuples, qui parlent des langues très proches l’une de l’autre, sont installés au nord-ouest de l’Iran, au sud de la mer caspienne.

41 () Les Lours (ou Lors) parlent le Lori et vivent dans les province de l’Ilam et du Khouzistan, qui bordent la partie sud de la frontière entre l’Iran et l’Irak.

42 () Audition du 8 avril 2008.

43 () Audition du 15 avril 2008.

44 () Bernard Hourcade, Iran. Nouvelles identités d’une république, op. cit., pp. 186.

45 () Audition du 8 avril 2008.

46 () Audition du 15 avril 2008.

47 () Denis Bauchard, Iran 2007 : entre défis et incertitudes, note du centre Maghreb-Moyen-Orient de l’IFRI, mai 2007, disponible sur le site internet www.ifri.org.

48 () Audition du 25 mars 2008.

49 () Audition du 30 avril 2008.

50 () Un schéma du fonctionnement des institutions figure à la fin de ce 2). La Mission remercie la sous-direction du Moyen-Orient du ministère des affaires étrangères et européennes qui l’a élaboré et lui a permis de le publier.

51 () Ces douze membres sont six religieux nommés par le Guide suprême et six juristes élus par le Parlement, sur proposition du pouvoir judiciaire, qui dépend lui-même du Guide.

52 () Audition du 25 mars 2008.

53 () Audition du 10 juin 2008.

54 () Audition du 28 mai 2008.

55 () Audition du 15 avril 2008.

56 () L’année iranienne commence le 20 mars.

57 () Fariba Adelkhah, L’Iran, op.cit., pp. 38-39.

58 () Les marchands du bazar ont toujours ont toujours exercé une influence importante sur les autorités iraniennes. Ils ont financé et soutenu les révolutions constitutionnelle et islamique de 1905 et de 1979. Avec la modernisation – relative – de l’économie, l’influence du bazar a été réduite mais il reste une force significative en Iran.

59 () Audition du 17 septembre 2008.

60 () Audition du 27 mai 2008.

61 () Etude citée par M. Denis Bauchard, Iran 2007 : entre défis et incertitudes, note précitée.

62 () Audition du 30 avril 2008.

63 () Yves Girard, Un neutron entre les dents, Rive Droite, 1997, cité dans François Heisbourg, Iran, le choix des armes ?, Stock, 2007, 176 pages, p. 38.

64 () François Heisbourg, Iran, le choix des armes ?, Stock, 2007, 176 pages, p. 41.

65 () Audition du 6 mai 2008.

66 () Réponse du ministre des affaires étrangères et européennes à la question de M. Pierre Lellouche, député, au cours de la séance du 26 novembre 2008.

67 () Les centrifugeuses de type IR-2 impliquent une utilisation très avancée du composite carbone-carbone.

68 () Le tétrafluorure d’uranium, étape intermédiaire de la conversion de l’hexafluorure d’uranium en uranium métal, est de couleur verte

69 () Audition du 28 mai 2008.

70 () Audition du 15 avril 2008.

71 () Audition du 2 avril 2008.

72 () Audition du 2 juillet 2008.

73 () Audition du 30 avril 2008.

74 () François Heisbourg, op. cit., pp. 93 à 96.

75 () Audition du 28 mai 2008.

76 () Les trois pays qui ont voté contre sont Cuba, la Syrie, et le Venezuela. Les pays qui se sont abstenus sont l’Algérie, la Biélorussie, l’Indonésie, la Libye et l’Afrique du Sud

77 () Audition du 2 juillet 2008.

78 () Audition du 15 avril 2008.

79 () Audition du 22 octobre 2008.

80 () Ces projets concernaient par exemple la réglementation en matière de sécurité nucléaire, la planification dans le domaine du nucléaire civil et la production de radio-isotopes à des fins médicales.

81 () Position commune 2007/140/PESC du Conseil du 27 février 2007 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran.

82 () Position commune 2007/246/PESC du Conseil du 23 avril 2007 modifiant la position commune 2007/140/PESC concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran.

83 () Position commune 2008/652/PESC du Conseil du 7 août 2008 modifiant la position commune 2007/140/PESC concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran

84 () François Heisbourg, Iran, le choix des armes ?, op. cit., p. 116.

85 () Auditions respectivement du 10 juin et du 6 mai 2008.

86 () Audition du 15 avril 2008.

87 () Audition du 30 avril 2008.

88 () Audition du 10 juin 2008.

89 () Audition du 8 avril 2008.

90 () Audition du 30 avril 2008. Un point de base désigne en langage économique et financier un centième de point de pourcentage : cent points de base font donc 1 %.

91 () Audition du 28 mai 2008.

92 () Audition du 2 juillet 2008.

93 () Audition du 22 octobre 2008.

94 () Audition du 6 mai 2008.

95 () Audition du 10 juin 2008.

96 () Audition du 2 juillet 2008.

97 () Audition du 25 mars 2008.

98 () François Heisbourg, Iran, le choix des armes ?, op. cit., pp. 114-115.

99 () Audition du 8 avril 2008.

100 () Auditions, respectivement, du 28 mai, 10 juin et 15 avril 2008.

101 () Audition du 27 mai 2008.

102 () Audition du 30 avril 2008.

103 () Audition du 21 mai 2008.

104 () Audition du 25 juin 2008.

105 () Audition du 25 juin 2008.

106 () Voir, par exemple, Kenneth Waltz, « The Spread of Nuclear Weapons : More May Be Better », Adelphi Papers, Number 171, London, International Institute for Strategic Studies, 1981.

107 () Audition du 21 mai 2008.

108 () Audition du 2 avril 2008.

109 () Audition du 25 juin 2008.

110 () François Heisbourg, Iran, le choix des armes ?, op. cit., pp. 95-96.

111 () Audition du 15 avril 2008.

112 () Audition du 10 juin 2008.

113 () Audition du 30 avril 2008.

114 () Audition du 28 mai 2008.

115 () The Iraq Study Group Report, rédigé sous la co-présidence de James Baker et Lee Hamilton, décembre 2006.

116 () Le message comprenait notamment la phrase suivante : « J’espère que vous ferez de votre mieux (...) et que vous laisserez un bon souvenir en préférant les vrais intérêts du peuple et la justice aux demandes insatiables d’une minorité indécente et égoïste ».

117 () Audition du 25 juin 2008.

118 () Commission des affaires étrangères, session extraordinaire 2006-2007, mercredi 4 juillet 2007, compte rendu n° 3.

119 () Audition du 8 avril 2008.

120 () M. Haddad-Adel était le président du Parlement jusqu’aux élections de mai dernier ; M. Rezaï est l’ancien chef des gardiens de la révolution et actuel secrétaire du Conseil de discernement des intérêts supérieurs du régime.

121 () Audition du 27 mai 2008.

122 () Audition du 8 avril 2008.

123 () Audition du 15 avril 2008.

124 () M. Rohani est le prédécesseur de M. Laridjani au poste de secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale.

125 () M. Montezari avait été désigné par l’ayatollah Khomeiny pour lui succéder à la tête de la République islamique, avant d’être désavoué pour avoir critiqué la répression contre les Moudjahidines du peuple.

126 () Audition du 2 avril 2008.

127 () Audition du 25 juin 2008.

128 () Audition du 10 juin 2008.

129 () Audition du 17 septembre 2008.

130 () Audition du 21 mai 2008.

131 () Audition du 1er avril 2008.

132 () L’accord prévoit que toutes les forces américaines, devront avoir quitté le territoire irakien le 31 décembre 2011 au plus tard et que, au 30 juin 2009 au plus tard, toutes les forces de combat américaines devront s’être retirées des villes et localités.

133 () Hérat est une ville de l’ouest de l’Afghanistan proche des frontières de l’Iran et du Turkménistan.

134 () Sderot est la ville israélienne la plus proche de la Bande de Gaza ; elle est la première victime des tirs de roquettes effectués depuis ce territoire sur le territoire israélien.

135 () Entretien accordé notamment au Nouvel Observateur le 30 janvier 2007, à la suite d’un premier entretien du 29 janvier 2007, au cours duquel le président Chirac avait souligné que détenir une bombe ne serait d’aucune utilité à l’Iran : « Où l’Iran enverrait-il cette bombe ? Sur Israël ? Elle n’aura pas fait 200 mètres dans l’atmosphère que Téhéran sera rasée. »

136 () Yves Bonnet, Nucléaire iranien. Une hypocrisie internationale, Michel Lafon, 2008, 398 pages, p. 385.

137 () Audition du 30 avril 2008.

138 () Audition du 28 mai 2008.

139 () Bruno Tertrais, Iran. La prochaine guerre, Le cherche midi, novembre 2007, 140 pages.

140 () François Heisbourg, Iran, le choix des armes ?, op. cit., p. 162.

141 () Audition du 27 mai 2008.

142 () Audition du 6 mai 2008.

143 () Cette citation est extraite de son intervention du 24 janvier 2007 à la 7ème conférence d’Herzliya.

144 () Celui-ci stipule que « le territoire irakien, ainsi que son espace aérien et ses eaux, ne pourront être utilisés comme point de départ ou de passage pour des attaques contre d’autres pays ».

145 () Audition du 15 avril 2008.

146 () L’Iran a formulé sa demande d’accession à l’OMC en juillet 1996. Mais le groupe de travail chargé d’étudier sa demande n’a été créé qu’en mai 2005, à la suite de la levée de l’opposition américaine à sa candidature, déjà destinée à favoriser un règlement du dossier nucléaire.

147 () Audition du 8 avril 2008.

148 () Ruprecht Polenz, L’Iran – Un défi pour la coopération transatlantique, Assemblée parlementaire de l’OTAN, 2006, document 176 PCTR 06 F, 2006.

149 () Cette proposition est développée par Hall Gardner, « Vers " les Communautés régionales de sécurité " : l’OTAN, l’ONU et la résolution 1948 de Vandenberg », Géostratégiques, n° 14, novembre 2006, pp. 89-99.


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