TREIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 mars 2009
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN
relatif aux enjeux des nouvelles normes comptables
ET PRÉSENTÉ
par MM. Dominique Baert et Gaël Yanno
Députés.
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INTRODUCTION 5
I.– LES NOUVELLES NORMES COMPTABLES : UN CHOIX POLITIQUE DÉLÉGUÉ À DES EXPERTS 9
A.– LES IFRS : DES NORMES COMPTABLES INTERNATIONALES DESTINÉES À L’INFORMATION FINANCIÈRE DES INVESTISSEURS 9
1.– Une élaboration internationale 9
a) La délégation à un organisme supranational 9
b) Le choix des normes IFRS par l’Union européenne 15
2.– Des normes comptables qui privilégient les investisseurs mais dont l’interprétation est source de difficultés 22
a) Des normes d’inspiration anglo-saxonne qui rompent avec la tradition comptable française 22
b) Les difficultés de l’interprétation 30
B.– LE CHOIX FRANÇAIS D’UNE CONVERGENCE DES COMPTES SOCIAUX VERS LES NORMES IFRS 34
1.– La France a choisi de ne pas appliquer les normes IFRS aux comptes sociaux 34
a) Un dispositif de normalisation comptable en voie de réforme 34
b) Une application des normes IFRS limitée aux comptes consolidés des entreprises faisant appel public à l’épargne 39
2.– La modernisation du Plan comptable général 48
a) La modernisation du PCG 48
b) Une convergence qui ne va pas de soi 51
II.– AU DELÀ DES ENTREPRISES, DES CONSÉQUENCES POUR L’ÉCONOMIE TOUT ENTIÈRE 55
A.– LES CONSÉQUENCES DES NORMES IFRS 55
1.– La comptabilité n’est pas neutre pour les entreprises 55
a) Des conséquences significatives sur les capitaux propres, l’endettement et le résultat net des entreprises 55
b) Les conséquences en termes de gestion des entreprises 66
2.– Le rôle des normes comptables dans la crise financière 68
a) Un rôle procyclique 68
b) Les conséquences de la crise financière sur les normes comptables 74
B.– LES CONSÉQUENCES DE LA MODERNISATION DU PLAN COMPTABLE GENERAL 80
1.– Les difficultés des entreprises à appliquer les nouvelles normes comptables 80
a) Des normes comptables nouvelles, imprécises et complexes 80
b) L’insécurité juridique 84
2.– L’impact fiscal des nouvelles normes comptables 89
a) Le principe de la connexion entre comptabilité et fiscalité 89
b) L’impact fiscal des nouvelles normes comptables 92
III.– LA MODERNISATION DES NORMES COMPTABLES : ENTRE PRUDENCE ET NEUTRALITÉ 100
A.– MODERNISER AVEC PRUDENCE 100
1.– Surveiller le processus de normalisation comptable internationale 100
a) Renforcer le contrôle sur l’IASB/IASC 100
b) Surveiller les normes à venir 111
2.– Réformer prudemment les normes comptables françaises 119
a) Faire une pause dans la modernisation du PCG 119
b) Le cas des PME 122
B.– NEUTRALISER LES INCIDENCES FISCALES DES NOUVELLES NORMES COMPTABLES 128
1.– Maintenir la connexion entre la comptabilité et la fiscalité 128
a) Un choix raisonnable 128
b) Les conséquences fiscales de la poursuite de la convergence 131
2.– La neutralisation nécessaire des incidences fiscales des nouvelles normes comptables : jusqu’à la déconnexion ? 133
a) La neutralisation des conséquences fiscales des nouvelles normes 133
b) La déconnexion entre fiscalité et comptabilité : une perspective inévitable ? 138
CONCLUSION 145
PROPOSITIONS DE LA MISSION D’INFORMATION 147
EXAMEN EN COMMISSION 151
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 163
La comptabilité est une science, une norme, et peut être même, un art.
Science, parce qu’elle se présente, selon les termes de l’article 120-1 du Plan comptable général, comme « un système d’organisation de l’information financière permettant de saisir, classer, enregistrer des données de base chiffrées et présenter des états reflétant une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entité à la date de clôture ». Selon une formule ancienne et encore juste, la comptabilité est donc « l’algèbre du droit », qui synthétise l’ensemble des droits et obligations d’une entité et des opérations qu’elle réalise en un bilan, un résultat et un tableau des flux de trésorerie. Cette entité, c’est l’entreprise, un objet qu’à l’instar de toute science, la comptabilité définit, construit et modélise, afin de fournir des informations pertinentes et fiables sur sa valeur, sa performance et ses perspectives. Ces informations forment un langage, le « langage de la vie économique » que parlent les dirigeants, mais également les actionnaires, les créanciers (et derrière eux les autorités de surveillance prudentielle), l’État dans ses différentes fonctions (notamment fiscales et statistiques) et, finalement, l’ensemble des partenaires de l’entreprise (salariés, fournisseurs, clients…).
Comme le droit dont elle constitue l’une des branches autonomes, la comptabilité est également un ensemble de conventions uniformisant les pratiques comptables d’un pays et, de fait, intimement liées aux grandes évolutions politiques, économiques et sociales de celui-ci. Loin de n’être qu’une science, la comptabilité est aussi une norme. Or, une norme n’est jamais neutre ; elle porte en elle un jugement de valeur, et le choix qui doit être fait entre telle ou telle norme comptable – parce que celle-ci mesure in fine la richesse (celle de l’entreprise, de l’actionnaire, du pays…) – emporte avec lui une certaine vision de l’entreprise, des rapports économiques et, au-delà, du modèle social d’un pays. Ce choix est donc politique et l’État ne peut se désintéresser de la comptabilité, l’orientant avec plus ou moins de vigueur et de discernement mais toujours en concertation avec ses autres utilisateurs qui, eux aussi, cherchent à l’influencer. Aussi y a-t-il autant « d’images fidèles » de l’entreprise que de référentiels comptables et plus d’une se croyant parée des plus beaux atours s’est retrouvée nue en passant de l’un à l’autre(1). Car l’entreprise n’existe pas en soi, ce n’est pas un objet réel mais un artefact construit par la comptabilité ; le caractère scientifique de celle-ci, avec ses corollaires d’universalité, de neutralité et d’objectivité, s’il est en partie fondé, semble moins évident que son caractère politique, artificiel et provisoire.
Enfin, la comptabilité est un art et le comptable un artiste qui, fort de sa maîtrise d’une discipline complexe et mouvante, parfois mystérieuse, est à même d’en révéler toutes les possibilités, jusqu’aux plus inattendues.
Mais qui dit art dit artifice, et les jeux d’écritures comptables peuvent avoir, pour le profane, l’apparence d’une illusion dénuée de toute portée réelle (2). La comptabilité, manipulée par des comptables virtuoses, complexifiée au-delà du raisonnable par l’abondance de règles absconses, peut ainsi cesser de se référer à des objets réels, pour n’être plus qu’un instrument docile entre leurs mains. Car la maîtrise d’un art emporte toujours la possibilité de la transgression. Mais si celle-ci, dans l’art, reste de l’art sous une forme nouvelle, dans le domaine comptable, la transgression est un délit dont les conséquences, au-delà de la seule entreprise victime, peuvent frapper l’économie toute entière. De l’art à l’artifice, les normes comptables peuvent parfois se révéler maléfiques.
Enron ! C’est par la faillite en 2001 de cette entreprise de courtage en énergie, la plus grande de l’histoire américaine (du moins, jusqu’en 2008…) et la première d’une longue série de scandales comptables incluant des groupes aussi prestigieux que Worldcom, Parmalat, Vivendi et Arthur Andersen, que la comptabilité s’est retrouvée, pour la première fois, en pleine lumière, hors du cercle restreint dans lequel elle a toujours été confinée. L’importance des normes comptables a ainsi été portée à la connaissance de l’opinion qui a pu découvrir que celles-ci ne sont pas qu’un ennuyeux jeu de chiffres dénué de toute portée, une science abstraite et neutre révélant une réalité préexistante. Elle peut aussi mentir et de ses mensonges, il résulte des faillites, des licenciements et des crises financières, minant ce que le système économique a de plus précieux et sans lequel il ne peut fonctionner : la confiance.
En effet, sans normes comptables fiables, unanimement reconnues pour leur qualité, il n’y a pas d’investissement possible et, dans une économie dominée par les marchés financiers, c’est l’ensemble des entreprises qui pourraient se retrouver paralysées, faute de trouver les capitaux nécessaires à leur développement. Au tournant des années 2000, l’urgence était de rétablir la confiance dans les normes comptables. Alors que les Américains votaient la loi Sarbanes-Oxley et tentaient de moraliser la profession comptable, discréditée par la condamnation d’Arthur Andersen dans le scandale Enron, l’Union européenne a rendu obligatoires, à compter du 1er janvier 2005, les normes IFRS (International Financial Reporting Standards) pour l’établissement des comptes consolidés des sociétés faisant appel public à l’épargne.
Pourtant, on aurait tort de voir dans cette décision la seule conséquence des scandales comptables, bien que des groupes européens aient eux aussi manipulé leurs comptes.
En effet, dans l’Union européenne, contrairement aux États-Unis, cohabitaient quinze référentiels comptables, plus ou moins fiables, que l’achèvement du marché unique avec l’euro obligeait à harmoniser, afin que les comptes des entreprises soient comparables et que la circulation des capitaux dans ce marché et les décisions d’investissement soient optimales. Or, malgré des efforts constants, la Commission n’a jamais pu convaincre les États-membres d’aller plus loin qu’une harmonisation a minima, impropre à satisfaire tant les investisseurs que les entreprises qui, sous la pression de ceux-ci, se voyaient de plus en plus contraintes d’adopter les normes comptables américaines (US GAAP). En effet, malgré leurs imperfections mises en évidence par le scandale Enron, ces dernières apparaissaient comme les seules normes comptables internationalement reconnues.
Pour sortir de l’impasse où les États-membres l’avaient mise, l’Union européenne n’avait plus d’autre choix que d’adopter le référentiel IFRS, unique alternative crédible à l’adoption pure et simple des US GAAP. Par une singulière ruse de l’Histoire, les États européens, crispés sur leur souveraineté au point d’empêcher que soient élaborées de véritables normes comptables européennes, se sont résolus à l’unanimité, et dans une indifférence quasi-générale à abandonner leur pouvoir de normalisation comptable à un organisme international privé absolument inconnu en dehors d’un petit cercle d’initiés, l’IASB (International Accounting Standards Board) sur lequel ils n’ont aucun contrôle.
Cependant, une telle révolution comptable doublée d’un aussi considérable abandon de souveraineté ne pouvait rester sans réaction, tant des entreprises que des politiques et la comptabilité, à nouveau, fit la une des journaux dans une atmosphère de scandale. Alors que l’échéance du 1er janvier 2005 approchait, les entreprises, en particulier les banques et les compagnies d’assurances, ont découvert l’ampleur des conséquences qu’auraient ces normes sur leur activité et attiré l’attention des politiques sur celles-ci. Le Président Jacques Chirac, dans une lettre adressée en 2003 au Président de la Commission européenne Romano Prodi, a ainsi rappelé l’évidence que les enjeux des règles comptables vont bien au-delà de la comptabilité. En véhiculant une vision anglo-saxonne de l’entreprise orientée vers les investisseurs et les marchés financiers, les normes IFRS constituent un changement de paradigme dont il convient de saisir précisément les enjeux politiques, économiques et sociaux.
De plus, si les normes IFRS ne sont obligatoires dans l’Union européenne que pour les comptes consolidés des sociétés faisant appel public à l’épargne, c'est-à-dire environ 7 000 groupes en Europe dont 1 000 en France, notre pays a choisi de moderniser son Plan comptable général (PCG), applicable aux comptes individuels de toutes les sociétés, en le faisant converger vers les normes IFRS. C’est dire que par le biais de ce processus de convergence, ce sont des millions d’entreprises qui ont vu leur environnement comptable changer considérablement, avec toutes les difficultés qu’implique un tel changement, non seulement dans la pratique comptable mais également en matière fiscale puisque, dans notre pays, c’est la comptabilité qui détermine l’assiette de l’imposition des sociétés.
Or, a-t-on jamais vu un quelconque débat sur ce processus de convergence (ou de modernisation) ? Plus encore que l’adoption des normes IFRS par l’Union européenne, celui-ci s’est déroulé dans le secret d’enceintes administratives, sans intervention du politique, alors même que ces nouvelles normes comptables conditionnent, entre autres, l’assiette de l’imposition des entreprises qu’il appartient au Parlement de fixer en application de l’article 34 de la Constitution. Ainsi, le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2004-1382 du 20 décembre 2004 portant adaptation de dispositions législatives relatives à la comptabilité des entreprises aux dispositions communautaires dans le domaine de la réglementation comptable, déposé le 17 mars 2005 – ordonnance fondamentale qui a transposé en droit français le règlement (CE) n° 2002/1606 rendant obligatoires les normes IFRS pour l’établissement des comptes consolidés des sociétés faisant appel public à l’épargne – n’a jamais été examiné par l’Assemblée nationale (3).
Alors que la comptabilité, depuis la crise financière de l’été 2007, est à nouveau et pour la troisième fois, mise au banc des accusés, il était donc urgent de réintroduire le politique dans une matière comptable qui repose de plus en plus, au plan national comme au plan international, sur l’expertise des professionnels et d’éclairer le Parlement sur les rapports étroits entre la comptabilité et la fiscalité. C’est d’autant plus urgent qu’au-delà de la seule crise financière, les sujets comptables se sont multipliés ces dernières années. De la convergence des normes IFRS vers les US GAAP au projet d’assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés (ACCIS), de la création de l’Autorité des normes comptables (ANC) à la réforme de l’IASB, nombreuses sont les décisions qui, dans les années qui viennent, affecteront directement les entreprises et, au-delà, l’économie toute entière.
C’est pourquoi la mission d’information, par le présent rapport, entend éveiller l’attention des politiques et des citoyens sur les enjeux des nouvelles normes comptables et, par les trente propositions qu’elle y formule, participer aux débats actuels en matière comptable et fiscale, tant au niveau national qu’au niveau européen ou international.
I.– LES NOUVELLES NORMES COMPTABLES :
UN CHOIX POLITIQUE DÉLÉGUÉ À DES EXPERTS
A.– LES IFRS : DES NORMES COMPTABLES INTERNATIONALES
DESTINÉES À L’INFORMATION FINANCIÈRE DES INVESTISSEURS
1.– Une élaboration internationale
a) La délégation à un organisme supranational
● La nécessité de nouvelles normes comptables
Il n’est guère nécessaire de rappeler les changements considérables qu’a connus l’économie mondiale depuis les années soixante-dix. Les économies fermées de l’après-guerre, dans lesquelles les sociétés se limitaient à leur marché national, trouvant dans les banques le financement suffisant à leur développement, ont laissé place en un marché global, où les échanges sont mondialisés et où les entreprises, devenues multinationales, se financent auprès de marchés financiers. Or, ceux-ci, au-delà de la nationalité, du caractère ou du talent des gérants de portefeuille, traders et autres analystes qui les incarnent physiquement, ne poursuivent qu’un unique objectif : atteindre le rendement maximum en limitant le risque au minimum.
À cette fin, les investisseurs se doivent de disposer d’une information comptable de qualité, qui puisse être intelligible et comparable et, plus que par le passé, rapprochée des indicateurs de gestion servant directement à mesurer l’activité de l’entreprise, ses résultats et ses perspectives. C’est à cette seule condition que les décisions d’investissement seront prises rationnellement et que l’efficience et la transparence des marchés financiers seront assurées. C’est donc le développement de ces derniers qui a fait ressentir le besoin de normes comptables internationales, et, par voie de conséquence, a défini le champ d’application de celles-ci : les entreprises multinationales qui se financent par appel public à l’épargne (via des actions, des obligations et autres instruments financiers).
Or, force est de constater que la globalisation de l’économie ne s’est pas accompagnée d’une harmonisation des référentiels comptables nationaux qui, pour la plupart, ont continué à coexister et à s’appliquer aux entreprises relevant de leur champ d’application. De plus, ces référentiels ont évolué, mais insuffisamment pour prendre en compte les transformations de l’économie, notamment la sophistication croissante des opérations et des instruments financiers. Les règles comptables n’étaient plus capables de donner une « image fidèle » de l’entreprise, ouvrant la voie à des abus (pilotage des résultats au moyen de provisions excessives, gestion discrétionnaire des plus-values latentes, montages déconsolidants abusifs, engagements de retraite non provisionnés,…). À la multiplicité des référentiels comptables s’est donc ajoutée leur inadaptation aux conditions de la vie économique moderne.
La prise de conscience de la contradiction, potentiellement très dangereuse, entre la mondialisation de l’économie, les innovations financières et la fragmentation de référentiels comptables par ailleurs largement dépassés est donc antérieure aux scandales des années 2000.
Or, cette contradiction n’a pas été sans poser de graves problèmes aux entreprises. Dès lors qu’elles levaient – ou désiraient lever – des capitaux dans un ou plusieurs pays, elles devaient présenter leurs comptes dans le ou les référentiels nationaux applicables. La disparité de ceux-ci était, au mieux, un coût, au pire, une source de confusion dans la stratégie de communication. Pour les investisseurs, c’était un facteur d’opacité qui fragilisait les décisions d’investissement. Dans ces conditions, et en raison de la puissance des investisseurs américains, le choix s’est souvent imposé de présenter des comptes selon les normes américaines qui, jusqu’à la fin du siècle dernier, ont de facto été les normes comptables applicables aux entreprises désirant lever des capitaux sur les marchés internationaux.
En effet, les normes américaines bénéficiaient d’atouts très importants. Le premier d’entre eux était le régulateur de marché américain – la SEC (Securities and Exchange Commission). Celle-ci, estimant que seuls les US GAAP étaient susceptibles de garantir les intérêts des investisseurs américains, imposait aux entreprises souhaitant lever des capitaux auprès de ceux-ci de réconcilier leurs états financiers avec les normes américaines. Autres avantages : l’ancienneté de la normalisation comptable américaine, et le prestige dont jouissait le normalisateur américain. Enfin, de nombreuses entreprises internationales avaient d’ores et déjà adopté les normes américaines.
Cependant, les scandales intervenus au tournant des années 2000 (Enron, Worldcom, Andersen Consulting…), qui ont ébranlé la sphère financière américaine, ont également mis en évidence les failles du système comptable américain avec des possibilités de fraude, une insuffisance des contrôles et, dans une certaine mesure, une inadaptation des règles comptables elles-mêmes (4).
En effet, le scandale Enron – pour ne citer que lui – n’est pas seulement une entreprise de fraude et de dissimulation inégalée, au service de dirigeants prédateurs ; il marque également la découverte que l’évolution des normes comptables, de l’information et de la régulation financière n’a pas suivi l’innovation financière et la gestion des entreprises modernes. Le caractère très détaillé des US GAAP, qui reposent sur un canevas de prescriptions et d’interdits et non sur des principes généraux comme le droit comptable français ou les IFRS, avait été mis en avant par leurs défenseurs comme un gage de fiabilité. Cependant, pour pointilleuses qu’elles soient, et peut-être à cause de ces mêmes caractéristiques, ces normes n’en ont pas moins été dévoyées par des praticiens malicieux, au point de jeter un doute sur la qualité de l’information financière fournie par l’ensemble des sociétés cotées.
Le scandale Enron
Alors que l’ensemble des analystes financiers, des auditeurs et des banquiers d’affaires la considérait comme un modèle de réussite et de santé financière, la société Enron, numéro un mondial du courtage en énergie, s’est déclarée en faillite le 2 décembre 2001 entraînant dans son sillage une profonde remise en cause du mode de fonctionnement du capitalisme anglo-saxon.
Parmi les nombreuses causes de la faillite d’Enron, la plus importante de l’histoire économique américaine, plusieurs relèvent des malversations classiques. De nombreuses dépenses ont par exemple été enregistrées comme des investissements afin de réduire les pertes et certains actifs ont été réévalués artificiellement. La particularité de l'affaire Enron réside cependant dans l’ampleur de l’exploitation de pratiques comptables légales afin d’apparaître pour une entreprise performante, alors même que s’accumulaient des pertes colossales, et ce, en dépit de tous les dispositifs de surveillance censés assurer la crédibilité de l’information financière et comptable.
De fait, Enron, pour camoufler des investissements déficitaires ou peu rentables, a créé des structures financières appelées special purposes entities (SPE) qui peuvent ne pas être consolidées au bilan. Si Enron a recouru de manière particulièrement opaque à ces SPE, cet instrument est utilisé couramment par les entreprises américaines pour aménager leur bilan et constitue donc un moyen aisé d’optimisation de leurs résultats. La présentation de comptes pro forma, c’est-à-dire de comptes réajustés en fonction du périmètre retenu de l’entreprise, fait également partie de ces pratiques, certes légales, mais qui participent au manque de transparence de l’information sur les résultats des entreprises.
L’autre défaillance majeure mise en évidence par l’affaire Enron est celle de l’ensemble de la chaîne de l’information financière. En effet, le cabinet Arthur Andersen a certifié des comptes manifestement falsifiés peut-être pour préserver ses activités de conseil auprès d’Enron. Cette confusion des genres lui a valu une condamnation judiciaire qui s’est soldée par la disparition pure et simple du cabinet. Au-delà des auditeurs, les banques d’affaires sont également impliquées dans l’affaire Enron car elles ont participé de fait à l’ingénierie financière utilisée par le courtier en énergie. De peur de perdre un client et leurs intérêts déjà investis, elles ont préféré se taire, voire même conseiller l’achat des titres Enron par l’intermédiaire de leurs analystes financiers, profession elle aussi sérieusement discréditée par le scandale.
Plus généralement, les comptables et les agences de notation n’ont pas su lire dans les comptes d’Enron les fuites massives de dettes vers les SPE, alors que certains transferts ou profits réalisés, notamment dans les activités financières d’Enron, pouvaient apparaître douteux à la seule lecture du rapport d’activité de l’entreprise (à condition toutefois de lire les notes de bas de page…).
C’est pourquoi la nécessité de nouvelles normes comptables, née avec le développement des marchés financiers, l’ouverture des économies nationales et l’internationalisation des entreprises, s’est encore renforcée au tournant des années 2000, au nom d’une triple exigence que les événements susmentionnés avaient illustrée : assurer une meilleure comparabilité des comptes des sociétés faisant appel public à l’épargne, faciliter l’accès de ces mêmes entreprises aux marchés financiers internationaux et améliorer la fiabilité des données comptables. C’est à ces exigences que l’IASB et les normes comptables internationales IFRS ont l’ambition de satisfaire.
● Le processus d’élaboration des normes IAS/IFRS
Normes internationales ayant vocation à s’appliquer à l’ensemble des entreprises, quelle que soit leur forme, leur lieu d’implantation ou leur nationalité, les normes IAS/IFRS sont, très logiquement, élaborées par un organisme supranational : l’IASB (International Accounting Standards Board – Conseil des normes comptables internationales), émanation d’un autre organisme : l’IASC (International Accounting Standards Committee – Comité des normes comptables internationales).
L’IASC est, depuis la réforme intervenue en 2001, une fondation de droit privé américain, à but non lucratif, basée aux États-unis (dans le Delaware) et composée de 22 trustees cooptés selon des critères géographiques (5). Sorte de « conseil de surveillance », sans responsabilité exécutive, sa triple mission est de collecter des contributions financières provenant des principaux cabinets comptables, d’institutions financières, d’entreprises et d’autres organisations internationales et professionnelles, de désigner les membres des conseils et des comités qui lui sont liés (dont ceux de l’IASB) et de contrôler le respect des procédures auxquelles ils sont soumis.
Etabli à Londres, l’IASB est, quant à lui, le bras armé de l’IASC en matière de normalisation comptable. Composé de quatorze membres désignés pour leur compétence reconnue en matière comptable, il est chargé d’élaborer, dans le respect d’un due process, les normes IFRS. S’il est prévu un certain équilibre entre experts-comptables, financiers d'entreprise, investisseurs et universitaires, les trustees devant s’assurer que « l’IASB n’est dominé par aucune partie prenante particulière ou intérêt géographique », il faut cependant souligner la forte présence des membres anglo-saxons et des anciens auditeurs (6).
À ces deux organismes s’ajoute l’IFRIC (International Financial Reporting Interpretation Committee), chargé de l’interprétation des normes IFRS dans l’attente de l’adoption d’une norme définitive, et le SAC (Standards Advisory Council), comité consultatif (dont sont membres la Commission européenne ou encore le Fond Monétaire International), chargé de faire participer au processus de mise en œuvre des normes comptables internationales l’ensemble des parties intéressées et de conseiller l’IASB et l’IASC.
L’organisation institutionnelle de l’IASC/IASB se présente donc sous la forme suivante :
STRUCTURE INSTITUTIONNELLE DE L’IASB/IASC
Ses moyens humains et matériels (17 millions de livres en 2007, provenant presque exclusivement d’entreprises privées) sont mis au service d’un seul objectif. Selon le 6§ de son Cadre conceptuel, l’IASB a pour mission « d’élaborer, dans l’intérêt général, un jeu unique de normes comptables de haute qualité, compréhensibles et que l’on puisse appliquer dans le monde entier, imposant la fourniture dans les états financiers et autres informations financières, d’informations de haute qualité, transparentes et comparables, de manière à aider les différents intervenants sur les marchés de capitaux du monde, ainsi que les autres utilisateurs de ces informations dans leur prise de décisions économiques ».
Afin d’atteindre cet objectif, un processus international de consultation, préalable à la publication des normes comptables, le « due process », a été mis en place, constitué d’étapes de discussion, d’études et de consultation avec l’ensemble des parties prenantes à la comptabilité.
Le processus est lancé par l’IASB, à partir d’un sujet précis porté à sa connaissance, soit par ses services, soit par les utilisateurs des normes comptables. Un groupe de travail est alors constitué, chargé d’établir un plan de travail. Ces travaux, auxquels participent également le SAC et toute partie intéressée, aboutissent à un « discussion paper » ou « document de consultation », adopté par l’IASB à la majorité simple. Une période s’ouvre alors pour les commentaires, à l’issue de laquelle l’IASB décide ou non de poursuivre le processus. Dans ce dernier cas, un « exposure draft » ou « exposé-sondage » est publié sous la forme d’une proposition de norme (ou d’amendement à une norme existante). Une nouvelle période de commentaire s’ouvre, à l’issue de laquelle l’IASB peut modifier le projet de norme (ou d’amendement). La norme (ou l’amendement), éventuellement révisée, est alors publiée. Les discussions continuent cependant avec les parties prenantes afin d’évaluer l’impact de celle-ci.
Le processus est retracé dans le schéma suivant :
Présenté comme tel, le processus d’élaboration des normes IFRS par l’IASB semble parfaitement respecter les exigences de transparence et d’indépendance que les utilisateurs sont en droit d’attendre dans un domaine aussi sensible pour eux que la normalisation comptable. Cependant, les règles sont ce qu’elles sont, mais leur mise en pratique peut être très différente.
La règle, c’est une large consultation de l’ensemble des parties prenantes et l’indépendance par rapport à celles-ci. Mais en pratique, seules celles dotées des ressources financières et/ou de la compétence technique nécessaires peuvent réellement intervenir dans le « due process » ; bien qu'elle ne puisse être prouvée, l'influence directe ou indirecte des grands cabinets d’audit anglo-saxons sur les travaux de l'IASC/IASB est considérable, ne serait-ce que parce que la majorité des membres de l’IASB en sont issus et qu’ils contribuent largement à son financement. Quant aux trustees, la Constitution de l’IASC impose qu’au moins deux d’entre eux soient des associés des « Big Four ». Bien que la probité des membres de l’IASB/IASC ne puisse être mise en cause, leur indépendance intellectuelle est nécessairement, bien qu’inconsciemment, limitée par les schémas de pensée acquis au cours de leur carrière dans les institutions, les normalisateurs ou les cabinets d’audit anglo-saxons. La prédominance d’une seule culture comptable peut ainsi conduire à s’interroger sur le caractère véritablement international d’un organisme que certains ont pu voir comme un instrument (de plus) de l’expansion du modèle anglo-saxon de l’économie de marché.
La prééminence des anciens auditeurs au sein de l’IASB explique probablement aussi pourquoi les autres parties prenantes, notamment les entreprises, estiment avoir du mal à se faire entendre d’experts qualifiés « d’autistes » ou « d’ayatollahs de la comptabilité » par certaines personnes auditionnées par la mission d’information. Les décisions sont ainsi prises sans que quiconque sache réellement quels arguments ont pesé dans un sens comme dans l’autre, l’ampleur même des consultations lancées préservant la totale liberté de décision de l’IASB (7).
De plus, l’IASB comme l’IASC se défient des États et des pressions qu’ils pourraient exercer sur le processus de normalisation. La Constitution de l’IASC s’est ainsi attachée à organiser une stricte indépendance de l’IASC/IASB par rapport à eux. Certes, des rencontres régulières sont organisées entre les membres du Board, les trustees et les normalisateurs nationaux – souvent dominés par les États – et d’autres organismes officiels (Commission européenne notamment) mais, comme l’a déclaré M. Thomas E. Jones, vice-Président de l’IASB dans un entretien au journal Le Monde le 30 octobre 2003, « il est essentiel que l’élaboration de telles règles revienne à un organisme indépendant et ne soit pas inspirée par le corps politique ».
L’IASB jouit donc, en droit comme en fait, d’une liberté dans l’élaboration des normes IFRS qui est sans commune mesure avec celle des organismes nationaux de normalisation, lesquels sont toujours plus ou moins dépendants de l’État, qui fixe au moins le cadre général dans lequel s'exerce leur activité (8).
Certes, l’élaboration des normes IFRS s’inscrit dans un Cadre conceptuel et un « due process » supervisés par des trustees, mais ceux-ci ne peuvent être considérés comme un garde-fou ou des contre-pouvoirs. Bien au contraire, ils n’ont pour seule utilité, avec la compétence reconnue des membres de l’IASB, que de fonder « scientifiquement » les normes qu’ils élaborent et, par voie de conséquence, leur légitimité. En effet, en tant qu’organisme non élu mais investi d’une mission « d’intérêt général » – la normalisation comptable internationale – il lui faut constamment légitimer auprès de leurs utilisateurs les normes IFRS. Car c’est une chose d’élaborer des normes, même de qualité et à l’issue d’un « due process », c’en est une autre que de les faire accepter par les utilisateurs, en particulier les États. N’ayant pas le pouvoir d’imposer l’usage de ses normes, il est dans l’intérêt de l’IASB d’apparaître motivé par le seul « intérêt général », protégé des interférences gouvernementales et s’appuyant, pour l’accomplissement de sa mission, sur le « due process » et la compétence de ses membres.
Cependant, l’indépendance, la concertation (réelle ou supposée) et la compétence ne peuvent, à elles seules, fonder la légitimité d’un organisme à établir les normes comptables applicables aux entreprises des pays démocratiques. La légitimité ne peut être uniquement technico-rationnelle. Car la comptabilité n’est pas une science, et les conventions qu’elle élabore sont au cœur de la vie financière, économique et sociale. Il est ainsi paradoxal qu’une organisation qui élabore des normes comptables ne rende des comptes à personne !
b) Le choix des normes IFRS par l’Union européenne
● L’abandon de l’ambition comptable européenne
D’un point de vue économique, la construction européenne repose sur l’unification des marchés nationaux et, par conséquent, sur la suppression des entraves à la libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux. Cependant, il serait vain d’affirmer la liberté de circulation des capitaux sans une harmonisation minimale des référentiels comptables des États-membres, laquelle est indispensable à une décision rationnelle d’investissement des acteurs économiques. Ce constat, que l’introduction de l’euro en 1999 a encore renforcé (9) explique pourquoi la Commission européenne n’a jamais cessé de pousser les États membres, depuis les années soixante-dix, à harmoniser leurs normes comptables.
Deux directives ont ainsi été adoptées, après de longues négociations. La 4ème directive 78/660/CEE, du 25 juillet 1978 a harmonisé les dispositions nationales concernant la structure et le contenu des comptes annuels et du rapport de gestion, les modes d'évaluation ainsi que la publicité de ces documents. La 7ème directive 83/349/CEE du 13 juin 1983, a fait de même s’agissant des conditions d’établissement des comptes consolidés.
Le processus d’harmonisation comptable européenne entrait donc en concurrence avec les normes élaborées par l’IASC/IASB, qui perdaient ainsi l’espoir de les voir appliquées en Europe ; cependant, certains ont suggéré que c’est l’IASC lui-même qui avait été suscité en 1973 par la profession comptable, en particuliers les britanniques refusant la mainmise de l’Union européenne sur leur exercice professionnel, symbolisée, deux ans auparavant, par la publication, du premier projet de 4ème directive (10).
Toutefois, ce processus s’est rapidement enlisé et, dès les années quatre-vingt, les 4ème et 7ème directives sont apparues pour ce qu’elles sont : le fruit d’un laborieux compromis entre des États-membres jaloux de leurs prérogatives. À la multiplication des options ouvertes par les directives se sont ajoutées des traditions comptables nationales très différentes qui ont finalement abouti à des pratiques nationales divergentes reflétant en réalité l’absence de consensus politique et ruinant l’objectif initial d’harmonisation.
Or, c’est précisément à cette époque qu’est intervenue la déréglementation des marchés financiers et leur unification au niveau mondial, l’internationalisation des entreprises et la sophistication des outils de gestion (stock-options, rachats d’actions propres, information sectorielle, traitement comptable des fusions…). Autant de transformations qui appelaient une modernisation et une harmonisation du droit comptable que l’Union européenne, en raison de la rigidité de ses procédures, apparaissait incapable de mener à bien.
Les entreprises, comme les marchés financiers auprès desquels elles se finançaient de plus en plus, ont estimé que les référentiels comptables en vigueur en Europe ne leur procuraient pas une information financière suffisante, et en ont tiré toutes les conséquences. En outre, la SEC imposait aux groupes européens, notamment dans la haute technologie – souhaitant lever des capitaux sur les marchés financiers américains, de présenter leurs comptes selon les normes américaines, obligeant ceux-ci à une coûteuse réconciliation. Des voix se sont alors élevées pour que l’Union européenne, incapable de s’accorder sur un référentiel comptable commun, s’aligne purement et simplement sur les normes américaines.
Certes, en droit, rien n’interdisait à l’Union européenne d’adopter les
US GAAP. Cependant, une telle décision aurait posé un véritable problème de souveraineté, aux conséquences considérables pour les entreprises européennes. Adopter les US GAAP, c’était accepter une emprise de fait des normes américaines sur la gestion des entreprises européennes, se mettre dans les mains d’un normalisateur comptable susceptible de changer ces normes sans se soucier de leurs intérêts, d’une autorité de marché seule habilitée à interpréter et à contrôler leur bonne application et, enfin, de consultants/auditeurs généralement affiliés à un réseau américain, les seuls ayant une compétence reconnue sur ces normes.
Face à la menace que représentaient les normes comptables américaines, l’IASC/IASB, avec son corpus de normes internationalement reconnu, se présentait comme la seule alternative crédible. En effet, l’investissement intellectuel et matériel qu’exigeait la création d’un référentiel comptable de qualité comparable aux normes IFRS ou US GAAP est apparu hors de portée. De plus, rouvrir le débat de la normalisation comptable européenne aurait été revenir aux marchandages qui ont précédé l’adoption des directives comptables et aurait, selon toute probabilité, abouti à un nouvel échec.
En 1995, dans une communication intitulée « Harmonisation comptable, une nouvelle stratégie vis-à-vis de l’harmonisation internationale », la Commission, prenant acte de l’impossibilité de parvenir à un consensus entre les États membres comme de l’effort intellectuel, technique et financier considérable à fournir pour élaborer un référentiel comptable de qualité, a définitivement renoncé à créer un organisme de normalisation européen (11) pour soutenir officiellement les travaux menés par l’IASB/IASC. Ce faisant, l’Union européenne faisait « d’une pierre trois coups ». D’une part, parce que les normes IFRS n’étaient pas européennes mais internationales, il était possible que les entreprises européennes, à l’époque tentées de se faire coter aux États-Unis, y renoncent. D’autre part, l’Europe trouvait dans les normes IFRS, « clé en main », le référentiel comptable commun qu’elle était incapable d’élaborer. Enfin, en adoptant celui-ci, elle renforçait l’IASB/IASC face au normalisateur américain, contribuant ainsi à ce que la normalisation comptable soit réellement un sujet international.
Dans sa communication du 13 juin 2000 sur « la nouvelle stratégie comptable de l’Union européenne », la Commission a, logiquement, proposé une application obligatoire des normes IFRS aux comptes consolidés de toutes les sociétés européennes dont les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé de l’Union européenne. Un règlement (CE) n° 1606/2002 du 19 juillet 2002, adopté à l’unanimité des États-membres et avec le soutien du Parlement européen, entérinera cette stratégie.
L’échec de la normalisation comptable européenne est un exemple à méditer. Alors même que la structure de l’Union européenne la poussait à rechercher un consensus entre ses membres, l’impossibilité d’atteindre celui-ci, en raison de l’unanimité requise et du biais souverainiste des États-membres, a finalement contraint ceux-ci à accepter un référentiel comptable élaboré par un organisme international privé sur lequel ils n’exercent aucun contrôle. La difficulté à voir émerger un référentiel comptable issu d’autorités nationales ou internationales légitimes du point de vue démocratique a, comme dans d’autres domaines, ouvert un espace pour les normalisateurs privés et les approches autorégulatrices qui apparaissent plus efficaces et, paradoxalement, moins attentatoires à la souveraineté nationale.
● La reprise des normes IFRS par l’Union européenne
Ayant fait le choix d’appliquer les normes IFRS, l’Union européenne leur a donné la portée juridique d’une loi et, de fait, a conféré à l’IASB une certaine légitimité – au moins technique. Cependant, il n’était pas concevable qu’elle lui signe un « chèque en blanc » et adopte norme sur norme sans contrôle. C’est pourquoi l’article 3 du règlement du 19 juillet 2002 précité n’autorise l’application des normes IFRS qu’à la triple condition :
– qu’elles ne soient pas contraires au principe d’image fidèle ;
– qu’elles répondent à l’intérêt public européen ;
– qu’elles satisfassent aux critères d’intelligibilité, de pertinence, de fiabilité et de comparabilité exigés de l’information financière nécessaire à la prise de décisions économiques et à l’évaluation de la gestion des dirigeants de sociétés.
Les normes IAS/IFRS ne s’appliquent donc pas directement dans l’Union européenne. Elles doivent en quelque sorte être « homologuées » par un règlement de la Commission, à l’issue d’une procédure qui, comme l’écrit la Commission européenne, « garantit en soi la qualité technique, la légitimité politique et la pertinence pour les entreprises des normes » (12).
La procédure « d’homologation » des normes IFRS dans l’Union européenne
Une fois publiées par l’IASB, les normes IFRS doivent subir un long processus d’homologation, à la fois technique et politique. Organisme de droit privé dont la structure est curieusement semblable à celle de l’IASB/IASC (avec un comité de surveillance dont les membres sont nommés par les bailleurs de fonds et un comité technique) l’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group) a été créé en 2001 par les préparateurs, les utilisateurs et les membres des professions comptables, avec l’appui des normalisateurs nationaux. L’accord du 23 mars 2006 entre la Commission et l’EFRAG reconnaît la compétence de celui-ci pour émettre un avis technique des normes et des interprétations, avant leur homologation par la Commission.
Cependant, une décision de la Commission (n° 2006/505/CE du 14 juillet 2006) a institué un comité d’examen des avis sur les normes comptables émis par l’EFRAG, composé de membres indépendants dont les compétences et l’expérience dans le domaine de la comptabilité sont reconnues à l’échelle communautaire. Le rôle de ce comité consiste à « conseiller la Commission, avant qu’elle ne prenne une décision en matière d’adoption, sur le caractère équilibré et objectif des avis rendus par l’EFRAG ». L’EFRAG étant un organisme privé, il importait, pour la qualité, la transparence et la crédibilité du processus d’adoption, d’établir une instance garantissant l’objectivité de ses avis.
L’examen politique relève de la compétence de l’ARC (Accounting Regulatory Committee), institué par l’article 6 du règlement n° 1606/2002 précité, composé de représentants des États-membres, il se prononce sur la proposition de la Commission d’adopter une ou plusieurs normes IFRS par un vote à la majorité qualifiée.
Enfin, la décision du Conseil 2006/512/CE du 17 juillet 2006 a modifié les modalités de l’exercice des compétences d’exécution confiées à la Commission, notamment en matière de normalisation comptable, et introduit une nouvelle procédure dite de « réglementation avec contrôle ». Cette procédure, adoptée à la demande du Parlement européen, donne à celui-ci ainsi qu’au Conseil le pouvoir de s’opposer à l’adoption des normes IFRS par la Commission européenne.
Alors seulement les normes IFRS sont traduites dans chacune des langues de l’Union européenne et publiées sous la forme d’un règlement au Journal officiel des Communautés européennes.
En faisant le choix d’une homologation ex post, une fois la norme IFRS publiée, l’Union européenne se prive de toute possibilité de l’amender, se refusant ainsi à « européaniser » un référentiel comptable qui, conformément à l’objectif de l’IASB, a une vocation mondiale.
De même, elle se refuse à toute interprétation des normes IFRS. Comme l’explique la Commission européenne dans ses Observations sur certains articles du règlement 1606/2002/CE, publiées en novembre 2003, « dans un système fondé sur des principes, tel que les IAS, il y a toujours des transactions ou des accords non couverts par des règles explicites. Dans ces circonstances, les IAS exigent spécifiquement de la direction de la société qu’elle exerce son jugement pour définir le traitement comptable le plus approprié. […] Le droit national ne peut donc pas, en prescrivant des traitements particuliers, restreindre ou entraver cette obligation d’exercice d’un jugement de la manière envisagée ». Par conséquent, « le règlement IAS étant directement applicable, les États membres veilleront à ne pas essayer de soumettre les sociétés à des dispositions supplémentaires de droit national qui empêchent, contredisent ou entravent le respect, par celles-ci, des IAS adoptées » en vertu dudit règlement.
L’originalité de la délégation, par l’Union européenne, de sa souveraineté comptable apparaît ainsi en pleine lumière. Contrairement aux autres domaines – la santé, l’environnement ou la sécurité des personnes – dans lesquels la Commission européenne privatise de plus en plus sa production normative, celle-ci ne laisse pas les États-membres libres d’intégrer, de compléter, de limiter et d’interpréter la soft law ainsi élaborée par l’organisme privé qu’est l’IASB. Les normes IFRS doivent s’appliquer telles quelles dans l’Union européenne ; la comptabilité est ainsi le seul domaine où la totalité de la production normative obligatoire a été déléguée à un organisme privé.
Bien sûr, l’Union européenne s’est gardée la possibilité de refuser d’homologuer une norme IFRS. Mais dans ce cas, l’objectif de comparabilité internationale des comptes serait mis à mal. De plus, la SEC ne dispense, depuis 2007 les entreprises de l’obligation de réconcilier leurs comptes avec les US GAAP, qu’à la condition qu’elles établissent ceux-ci selon les normes IFRS telles qu’elles ont été publiées par l’IASB et non telles que l’Union européenne les a adoptées, à charge pour elles d’opérer alors les retraitements nécessaires : ces mêmes retraitements que les normes IFRS et leur reconnaissance par la SEC avaient pour avantage de supprimer. Les entreprises seraient d’ailleurs d’autant plus enclines à le faire (sauf, bien sûr, si elles ont elles-mêmes fait pression contre l’homologation de la norme – voir infra) que « dans la mesure où elle n’est pas incompatible avec les normes adoptées, […] une norme qui a été rejetée par l’Union européenne peut également être utilisée à titre d’orientation » (13). Ainsi serait probablement comblé le vide laissé par le refus d’homologation d’une norme IFRS : par la même norme, mais appliquée volontairement par les entreprises…
Consciente des limites de l’arme que constitue le refus d’homologation d’une norme IFRS, l’Union européenne n’en tire pas moins une certaine influence sur l’IASB ; en effet, celui-ci ne peut prendre le risque d’affaiblir sa légitimité, celle de son due process et celles de ses normes par un rejet, justifié par des arguments incontestables, d’une d’entre elles par son principal « client ». Aussi le Board se doit-il de collaborer étroitement avec la Commission et de tenir compte de son avis, qu’elle a d’ailleurs de nombreuses occasions d’exprimer au cours du due process, directement via le SAC auquel elle siège comme observateur, ou via l’EFRAG qui participe aux discussions préliminaires, assiste aux groupes de travail de l’IASB et commente « documents de consultation » et « exposés-sondages ».
Cette procédure « d’homologation » s’est appliquée pour la première fois en 2003 dans la perspective de l’application des normes IFRS, à compter du 1er janvier 2005, aux comptes consolidés des entreprises faisant appel public à l’épargne, conformément au Règlement n° 1606/2002 précité.
L’adoption de ce Règlement, déléguant de fait la souveraineté comptable de l’Union européenne à un organisme international privé, s’est déroulée dans une indifférence quasi-généralisée en Europe, sans doute parce qu’il s’agissait d’une perspective lointaine et encore incertaine, portant sur une matière complexe et technique dont bien peu avaient saisi l’importance. Cependant, « l’homologation » des normes IFRS lui donnait un contenu concret qui a obligé les entreprises concernées à analyser plus précisément les conséquences qu’entraînera pour elles le changement de référentiel comptable. Ce sont sans doute les banques qui l’auront le plus combattu en obtenant de la Commission européenne qu’elle refuse « d’homologuer » les normes qui les concernaient directement, c’est-à-dire les normes IAS 32 Instruments financiers : présentation et IAS 39 Instruments financiers : comptabilisation et évaluation (14).
Les suites de ce refus de l’Union européenne sont révélatrices des relations ambiguës que celle-ci entretient avec l’IASB. En effet, celui-ci se trouvait dans une situation délicate. Sa légitimité comme normalisateur international repose en grande partie sur son indépendance par rapport à toute autorité nationale ou internationale. Aussi ne pouvait-il apparaître comme ayant cédé à la pression de l’une d’entre elles et s’est-il attaché à minorer celle-ci. C’est pourquoi, dans son rapport annuel 2003, le Président de l’IASB, Sir David Tweedie, ne parle que des « normes controversées IAS 32 et IAS 39 » sans dire pourquoi elles le sont ni par qui, et noyant la révision de celles-ci avec celle de quatorze autres normes. Car si ces normes IAS 32 et IAS 39 ont été révisées, l’Union européenne n’a pas eu gain de cause. L’IASB a simplement recommencé le due process au cours duquel celle-ci s’est exprimée comme n’importe quelle autre partie prenante. Finalement, l’IASB n’ayant pas satisfait complètement aux exigences européennes, la norme IAS 39 n’a été homologuée que partiellement par la Commission.
Le rejet des normes IAS 32 et IAS 39 et la solution du « carve out »
Les normes 32 et 39 traitent de la présentation, de la comptabilisation et de l’évaluation des instruments financiers ; elles imposent notamment que ceux-ci soient évalués à la « juste valeur »
(« fair value »), c’est-à-dire à leur valeur de marché. Or, l’application de la juste valeur comporte de nombreux inconvénients et pose de délicats problèmes techniques. Le principal inconvénient de la « juste valeur », lorsqu'elle est donnée par le marché (ce qui suppose qu'il existe), est sa très grande volatilité, laquelle peut entraîner une très grande instabilité des performances des entreprises concernées. Par ailleurs, lorsqu'elle n'est pas donnée par le marché, elle repose sur des modèles mathématiques, avec un risque d'inadaptation, sans parler de la tentation, pour les dirigeants, de manipuler le modèle à leur profit et de pratiquer une comptabilité « créative » et « à haut risque » pour l'investisseur.
Les secteurs les plus sensibles à ces inconvénients, en raison de l’importance des instruments financiers pour leur activité, sont les banques et les compagnies d'assurance qui, par-delà les arguments techniques, ont également mis en cause la pratique de concertation de l'IASB, souligné ses limites et montré ainsi le caractère rhétorique de sa procédure d'élaboration des normes.
Le débat a pris un tour plus politique avec l'intervention du Président de la République française. Cette intervention a attiré l’attention de l’opinion publique sur l’harmonisation comptable internationale et sur des débats restés confinés dans un cercle très restreint de spécialistes. Le 4 juillet 2003, M. Jacques Chirac envoyait un courrier au Président de la Commission Européenne, M. Romano Prodi, pour l'alerter sur le fait que « certaines normes comptables en cours d’adoption dans l’Union européenne risquaient de conduire à une financiarisation accrue de notre économie et à des méthodes de direction des entreprises privilégiant trop le court terme ». Pour la première fois, un homme politique de premier plan intervenait directement dans un débat comptable et faisait sortir la comptabilité du cercle des professionnels où il était resté confiné. À l’évidence, les arguments du Président français ne sont pas techniques et placent le débat à un niveau politique. Ils ont trait à la gouvernance des entreprises par les investisseurs, c'est-à-dire par les marchés financiers ; gouvernance dont plusieurs affaires, à commencer par l’affaire Enron, montrent les limites. Ce que mettait alors en cause le Président français, ce ne sont pas seulement les normes de l'IASB mais bel et bien le cadre conceptuel dont elles sont déduites, c’est-à-dire un cadre conceptuel anglo-saxon qui fait primer l’intérêt des actionnaires sur celui des autres utilisateurs de la comptabilité.
En définitive, le Règlement n° 1725/2003 du 29 septembre 2003 a homologué l’ensemble des normes IFRS à l’exclusion des normes IAS 32 et IAS 39. Par la suite, l’IASB a retravaillé ses deux normes dont elle a publié deux nouvelles versions sur lesquelles l’EFRAG s’est prononcé le 8 juillet 2004. S’il a recommandé l’adoption de la norme IAS 32 révisée, il a à nouveau rejeté la norme IAS 39 révisée, en raison de l’obstination de l’IASB à généraliser la « juste valeur » à l’ensemble des instruments financiers. Puis, l’ARC a proposé l’adoption de l’IAS 39 à l’exception de certains paragraphes (« carve out »). Les règlements 2237/2004/CE du 29 décembre 2004 et 2 086/2004/CE du 19 novembre 2004 ont validé la position de l’EFRAG et de l’ARC, et ce, en contradiction avec la norme IAS 1 sur la présentation des états financiers qui impose aux entreprises qui optent pour le référentiel IAS/IFRS de l’appliquer en totalité.
De nombreux règlements se sont depuis succédés qui ont rendu applicables, dans l’Union européenne, les nouvelles normes IFRS, les normes révisées et leurs interprétations par l’IFRIC, modifiant profondément l’environnement comptable des sociétés européennes et instituant un pôle de stabilité comptable presque aussi important que la stabilité monétaire.
Rétrospectivement, le choix de l’Union européenne – mais avait-elle vraiment le choix ? – d’appliquer le référentiel IFRS ne peut guère être contesté. Non seulement la tentation, pour les groupes européens, de se faire coter aux États-Unis a largement disparu, mais ceux-ci appliquent désormais depuis plusieurs années des normes auxquelles les plus grands pays industrialisés (Japon, Chine, Inde, mais également les États-Unis) sont en train de se rallier. S’il faut regretter une chose, ce n’est pas tant la reprise des normes IFRS, conséquence de l’incapacité de l’Union européenne à élaborer ses propres normes comptables, mais le fait qu’elle n’ait pas négocié cette reprise, alors même qu’elle était en mesure de le faire, contre de l’influence sur l’IASB et son programme de travail.
2.– Des normes comptables qui privilégient les investisseurs
mais dont l’interprétation est source de difficultés
Applicable dans plus d’une centaine de pays, le référentiel IAS/IFRS est aujourd’hui constitué de 36 normes publiées et en vigueur et de 13 SIC/IFRIC (commentaires ou interprétations des normes). Il est également doté d’une préface et d’un cadre conceptuel général qui rappellent le contexte et les objectifs, établissent les principes généraux applicables et définissent certains éléments des états financiers ou des concepts utilisés dans le développement des normes.
a) Des normes d’inspiration anglo-saxonne
qui rompent avec la tradition comptable française
● Le cadre conceptuel des normes IFRS
La normalisation comptable est un processus à la fois technique et politique. Technique, car l’objet des normes comptables est, bien évidemment, de définir les règles de présentation et de comptabilisation des opérations accomplies par les entreprises. Cependant, toute règle porte en elle un jugement de valeur, et le choix qui doit être fait entre telle ou telle règle emporte avec lui une certaine approche de l’entreprise, des rapports sociaux et, au-delà, de la vie économique et sociale. Ce choix est politique et l’histoire de la comptabilité montre que celle-ci évolue en fonction des attentes et des besoins de ses utilisateurs, de leurs rapports de force, de leurs conflits ou de leurs ententes.
La comptabilité s’adresse en effet à des utilisateurs différents : actionnaires, bien sûr, mais également créanciers autorités de surveillance prudentielle, État dans ses différentes fonctions (notamment fiscales et statistiques) et, finalement, l’ensemble des partenaires de l’entreprise (dirigeants, salariés, fournisseurs…). Selon les traditions politiques, économiques et juridiques propres à chaque nation, l’importance donnée par la comptabilité au besoin d’information de ces différents utilisateurs varie considérablement et, avec elle, les modalités d’élaboration et la forme des normes comptables.
On peut, grossièrement, distinguer deux procédures de normalisation en matière comptable, donnant naissance à deux types de normes comptables.
La France a une conception régalienne de la comptabilité. Fondée sur des principes légaux, la comptabilité constitue une branche autonome du droit, qu’il appartient à l’État d’édicter seul, même s’il laisse d’autres utilisateurs participer à son élaboration (voir infra). Cette conception, conjuguée à la tradition interventionniste de l’État dans l’économie ainsi qu’à la nécessité de disposer d’un substrat comptable permettant d’asseoir la réglementation fiscale, a donné historiquement un pouvoir déterminant à l’administration fiscale (et, dans une moindre mesure, à l’INSEE) dans l’élaboration des normes comptables. Traditionnellement, celles-ci sont sommaires et le Plan comptable général (PCG) français ne s’est jamais distingué par sa précision, laissant aux utilisateurs une large marge d’appréciation.
À l’inverse, dans les pays anglo-saxons, les normalisateurs comptables disposent de l’autonomie juridique et financière et d’une réelle indépendance dans l’accomplissement de leur mission. Aux États-Unis comme en Grande-Bretagne, les principes comptables sont ceux « généralement admis » (15) par les utilisateurs de la comptabilité. Ces principes peuvent être :
– soit des règles, extraordinairement détaillées, tendant à prévoir l’ensemble des possibilités et, de ce fait, s’étalant sur des dizaines de milliers de pages (modèle américain) ;
– soit des principes proprement dits, laissant à l’utilisateur une marge d’appréciation pour leur application (modèle anglais).
Organisme privé, indépendant des États et tirant sa légitimité de la compétence de ses experts, largement issus de la « filière du chiffre », et du processus d’élaboration de ses normes, sensé en garantir la « haute qualité », L’IASB se rattache incontestablement à la tradition anglo-saxonne de la normalisation comptable, tout en refusant l’approche par les règles qui est celle des États-Unis. En revanche, l’orientation de son cadre conceptuel vers les investisseurs et les marchés financiers rappelle celle du normalisateur américain, assumée et largement la conséquence d’une histoire et d’une stratégie qu’il n’est pas inutile de rappeler.
L’IASC : histoire d’un succès planétaire
En 1973, M. Henry Benson, alors associé au cabinet Coopers & Lybrand de Londres (qui deviendra, après plusieurs fusions, PriceWaterhouseCoopers), proposa de créer un organisme international d’harmonisation des normes comptables, proposition à laquelle se rallièrent les professions comptables de dix pays (dont la France), pour l’essentiel anglo-saxons. Organisme international d’origine professionnelle, mais également d’origine britannique, l'IASC n'avait donc pas la possibilité d'imposer ses normes aux États dans lesquelles les professions qui en étaient membres exerçaient leurs activités. Il s’est donc attaché, dès l’origine, à renforcer son pouvoir d’influence.
Les premières normes IAS étaient donc suffisamment ouvertes pour ne pas heurter de front les normes comptables nationales, c'est-à-dire qu’elles comportaient de multiples options afin de prendre en compte toutes les règles nationales. De plus, profitant des vides dans les référentiels comptables nationaux, par exemple en matière de comptes consolidés, l’IASC a pu se forger une réputation de compétence et même voir certains groupes utiliser volontairement ses normes. En 1982, l’IFAC (International Federation of Accountants – Fédération internationale des experts-comptables), qui regroupait alors les organisations professionnelles d'audit d'une soixantaine de pays, l’a ainsi reconnu comme normalisateur. L’appui de l’IFAC présentait pour l’IASC un double avantage : d’une part, il étendait considérablement son pouvoir d’influence dans le monde et, d’autre part, il lui permettait de faire participer à ses activités les pays en voie de développement et de ne plus apparaître comme un club de pays riches.
L’IASC s’est ensuite rapproché de l’IOSCO (International Organization of Securities Commissions – organisation internationale des régulateurs de marché), qui fédère au niveau international l'ensemble des régulateurs boursiers nationaux. Ce rapprochement obéissait à une double nécessité : d’une part, si l’IOSCO n’avait, comme l’IASC, qu’un pouvoir d’influence, il était considérable du fait de la présence en son sein de la SEC. D’autre part, l’un de ses objectifs était d’élaborer et de promouvoir des normes destinées à faciliter le développement des opérations internationales sur les instruments financiers via des normes comptables adaptées. Il va sans dire que la réalisation d’un tel objectif aurait annihilé la raison d’être de l’IASC qui s’est donc attachée à satisfaire aux exigences de l’IOSCO en matière de normes comptables, en donnant à ses travaux une orientation définitive vers les besoins d’information financière des investisseurs et, surtout, en réduisant le nombre des options comptables.
La nouvelle orientation de ses travaux a été formalisée en 1989 dans une déclaration d’intention intitulée « Comparabilité des états financiers ». Celle-ci prévoyait que les normes révisées ainsi que celles à venir ne comporteraient plus d'options mais indiquerait pour chaque problème un traitement de référence ou préférentiel et un second traitement simplement toléré. Ce resserrement de ses normes, qui leur donnait un caractère plus coercitif, répondait aux exigences des marchés financiers. Publié la même année, le cadre conceptuel de l’IASC, intitulé « Cadre pour la préparation et la présentation des états financiers » s’inspirait très fortement du cadre conceptuel dont s’était doté au début des années quatre-vingt le FASB américain.
C’est à ce moment, dans les années quatre-vingt-dix, que l’IASC dut faire face à l’émergence d’un concurrent. Le G4 est un groupe de travail créé à l’initiative de membres des normalisateurs nationaux d’Australie, du Canada, des États-Unis et du Royaume-Uni, rejoint par la suite par la Nouvelle-Zélande. En d’autres termes, un club anglo-saxon dont le travail théorique, de grande qualité, a servi de base à plusieurs normes IFRS. C’est pour contenir cette menace que l’IASC s’est réformé au début des années 2000 en séparant formellement l’IASC de l’IASB, ce dernier étant en quelque sorte un G4 étendu à des membres provenant d’Allemagne, de France ou encore du Japon. De plus, afin de faire face à ses nouvelles responsabilités résultant de la reprise par l’Union européenne des normes IFRS, il a distendu ses liens avec les professions comptables, en particulier l’IFAC, renforcé le poids des préparateurs et des utilisateurs de comptes ainsi que les liens avec les normalisateurs nationaux des grands pays.
Enfin, cette orientation s’est poursuivie par une stratégie de convergence entre les normes IFRS et les normes comptables américaines, formalisée par l’accord de Norwalk du 18 septembre 2002, conclu entre l’IASB et le FASB. De plus, en avril 2004, le FASB et l'IASB se sont réunis pour examiner leurs plans d'actions communs et ont décidé, en octobre 2004, d'y ajouter le projet de développer un cadre conceptuel commun construit à partir des deux cadres existants.
Créé dans l’anonymat il y a près de 40 ans par quelques experts-comptables, l’IASC/IASB est devenu le principal normalisateur mondial, tout en conservant son caractère strictement privé et indépendant. Formidable réussite en soi, il la doit à l’habilité des alliances conclues, à l’échec de la normalisation européenne et au refus général de laisser aux États-Unis le monopole de la normalisation comptable internationale.
Les normes IFRS sont ainsi élaborées à la seule fin de guider les décisions des investisseurs et non celles, par exemple, des dirigeants dont l’entreprise n’est, de fait, pas considérée comme une institution produisant des biens et des services mais comme une marchandise que les investisseurs s’échangent sur le marché. Ce faisant, l’IASB, à la suite du FASB, adhère à la conception friedmanienne de l’entreprise, selon laquelle celle-ci n’a de responsabilité qu’économique et de comptes à rendre qu’à ses actionnaires (16), minorant corrélativement les autres fonctions sociales qu’elle peut avoir.
Le cadre conceptuel de l’IASB est sans ambiguïté : l’objectif premier des états financiers est, certes, « de fournir une information sur la situation financière, la performance et les variations de la situation financière d’une entreprise, qui soit utile à un large éventail d’utilisateurs pour prendre des décisions économiques ». Cependant, s’il reconnaît que les besoins d’informations des utilisateurs des états financiers peuvent diverger, il affirme également la primauté des investisseurs sur les autres utilisateurs : « bien que tous les besoins d'information des divers utilisateurs ne puissent pas être comblés par les états financiers, il y a des besoins qui sont communs à tous. Comme les investisseurs sont les apporteurs de capitaux à risque de l'entreprise, la fourniture d'états financiers qui répondent à leurs besoins répondra également à la plupart des besoins des autres utilisateurs ».
Bien que ce cadre conceptuel ne comporte aucune disposition normative, il oriente l’élaboration mais également l’interprétation des normes IFRS. Il fournit la clé de la compréhension du référentiel IFRS dans son ensemble et de ses finalités. En reprenant les normes IFRS, l’Union européenne a implicitement adhéré au cadre conceptuel dans lequel elles s’insèrent. C’est en cela que son choix de reprendre le référentiel IFRS ne fut pas un simple choix technique, mais un choix politique : désormais, la comptabilité aura pour objectif de servir aux mieux les besoins d’information des investisseurs plutôt que ceux des autres utilisateurs. Les conséquences s’en feront sentir au-delà des seules entreprises, dans l’économie toute entière.
● Les caractéristiques des normes IFRS sont très éloignées de la tradition comptable française
Bien que les principes sur lesquels reposent les normes IFRS soient largement semblables à ceux qui prévalent dans le droit comptable français (17), les différences entre les deux référentiels n’en demeurent pas moins considérables au point que l’on puisse raisonnablement parler de « révolution culturelle ». Si les deux visent à donner une « image fidèle » de la situation financière et de la performance de l’entreprise, tant la définition de celles-ci que des moyens d’atteindre cet objectif commun diffèrent largement.
– Des normes fondées sur des principes
Les normes IFRS sont des normes « principles-based », caractère que la faillite des normes américaines US GAAP a largement légitimé. Celles-ci sont en effet des règles, extraordinairement détaillées, s’étalant sur des dizaines de milliers de pages qu’une vie humaine ne suffirait pas à maîtriser totalement, d’autant qu’elles sont modifiées sans cesse (18).
Cependant, jamais des règles, si précises soient-elles, ne couvriront le champ infini du possible : dès lors, tout ce qui n’est pas interdit se trouve de ce fait autorisé. C’est ainsi qu’en les respectant à la lettre, les dirigeants d’Enron ont pu dissimuler des pratiques comptables frauduleuses, la surabondance même de règles permettant arbitrages et acrobaties avec pour seule limite l’imagination – on n’ose dire le talent – des conseils de l’entreprise.
Au contraire, les normes IFRS, à l’instar d’ailleurs des normes comptables françaises, reposent sur des principes qui limitent fortement la « créativité comptable », mais dont l’abstraction et l’indifférence affichée par rapport aux traditions historiques, économiques et comptables nationales feraient penser à du droit comptable « hors sol » sans les fortes influences anglo-saxonnes. Pour reprendre l’exemple cité plus haut, Enron aurait eu du mal, s’agissant de ses special purposes entities, à éviter la consolidation. Le Président de l’IASB a d’ailleurs déclaré, lors de son audition par le Sénat américain en février 2002, que le scandale Enron n’aurait pas pu avoir lieu en normes IFRS. Cette approche par les principes montre l’influence britannique sur l’IASB, lequel s’oppose tant à l’approche juridique franco-allemande qu’à l’approche américaine par les règles.
Une responsabilité particulière pèse donc, dans le référentiel IFRS, sur ses utilisateurs dont il privilégie la prudence et le sens de responsabilité. En effet, autant il peut apparaître aisé d’appliquer des règles, autant l’application des principes peut sembler aléatoire, en raison des possibilités variées d’interprétation qu’ils permettent. C’est pourquoi les normes comptables ne peuvent être uniquement des principes abstraits, pas plus que des règles à observer une à une ; aussi existe-il une nécessaire dialectique entre les principes et les règles dans le référentiel IFRS.
– Des normes orientées vers l’information financière des investisseurs
À l’origine des normes IFRS et de leur succès au tournant des années 2000 se trouve la nécessité urgente de restaurer la confiance des investisseurs, ébranlée par la faillite frauduleuse d’Enron et consorts et le discrédit ainsi jeté sur la fiabilité des normes comptables. Les US GAAP ayant fait la preuve de leurs défauts, l’approche « principles-based » des IFRS ainsi que le Cadre conceptuel dans lequel elles s’insèrent ne pouvaient que séduire les investisseurs.
En effet, à l’inverse des normes comptables françaises, qui prennent en compte, entre autres, les besoins de l’État et des créanciers, les normes IFRS ont été élaborées à la seule fin de satisfaire les besoins d’informations financières des investisseurs ; l’IASB justifie cette orientation par le fait que contrairement à d’autres utilisateurs de la comptabilité, et en particulier l’État, ces derniers ne peuvent faire pression, ni en fait ni en droit, sur les dirigeants pour obtenir des informations supplémentaires, informations que ces derniers ont d’ailleurs souvent la possibilité d’optimiser. En outre, il pose le postulat « que la fourniture d'états financiers qui répondent à leurs besoins répondra également à la plupart des besoins des autres utilisateurs ». Cependant, il ne s’agit que d’une affirmation qu’aucune étude économique n’est jamais venue démontrer.
Ce qui apparaît évident, en revanche, ce sont les conséquences, pour leurs autres utilisateurs, de cette orientation des normes comptables vers les seuls investisseurs. Lorsque la fiscalité s’appuie sur le résultat comptable, la volatilité introduite par la « juste valeur » pourrait avoir des répercussions sur les ressources de l’État ; de plus, comment mener une politique économique si des agrégats comme la valeur ajoutée sont ignorés par le référentiel comptable ? Les créanciers ne peuvent être que troublés par le principe « substance over form » qui dissocie droit de propriété et inscription à l’actif d’un bien. Enfin, que dire des dirigeants, dont la performance telle qu’elle apparaît dans les comptes ne résulte pas de leurs seules décisions mais de l’évolution de la valeur des actifs de l’entreprise ? Le changement de dénomination des normes comptables elles-mêmes, qui signifient désormais « normes internationales d’information financière », traduit plus qu’un changement symbolique.
– La prééminence de la réalité économique sur la forme juridique : le principe « substance over form »
Les normes comptables françaises ont une approche très civiliste du patrimoine qui peut être défini comme une universalité de biens, actif et passif, attachée à une personne. La comptabilité est donc, traditionnellement, la représentation chiffrée du patrimoine juridique, fondée sur le droit de propriété d’une personne et de l’évolution de celui-ci au cours d’un exercice. « La comptabilité est l’algèbre du droit », selon une formule célèbre, et le droit comptable français s’appuie généralement sur la forme juridique d’une opération pour déterminer les modalités de son traitement comptable.
À l’opposé de la fiction juridique d’un patrimoine représentant une unité de biens, les normes IFRS s’efforcent de révéler la substance économique sous-jacente, c'est-à-dire que la comptabilité doit refléter les droits, obligations et avantages économiques qui sont à la disposition d’une entité. La nature des actifs, définis par le contrôle de leurs avantages futurs, en est profondément modifiée, et s’éloigne du seul droit de propriété. C’est ainsi que certains actifs titrisés ou logés dans des véhicules juridiquement séparés de l’entreprise peuvent être réintégrés au bilan ou que les actifs faisant l’objet d’un crédit-bail (et donc n’appartenant pas juridiquement à l’entreprise) doivent être intégrés à l’actif.
Cependant, tout en levant le voile sur la fiction du patrimoine juridique, l’approche économique de la comptabilité qui est celle des normes IFRS apparaît quelque peu biaisée par l’orientation de celles-ci vers les investisseurs. En effet, il n'existe pas une réalité économique par nature. Comme en physique quantique, les caractéristiques d’un objet varient selon le point de vue, et il y a autant « d’images fidèles » pertinentes de l’entreprise que d’utilisateurs de la comptabilité. Les normes IFRS ne donnent donc à voir qu’une certaine réalité économique, celle propre à satisfaire les besoins d’informations des seuls investisseurs ; mais rien ne dit que les autres utilisateurs de ces normes y trouveront leur compte.
– La « juste valeur »
D’un point de vue conceptuel, la « fair value », communément traduite par « juste valeur » ou « valeur de marché » est sans doute la pierre angulaire du référentiel IFRS, une pierre lancée des États-Unis dans le jardin de la tradition comptable française – et plus largement continentale. Ainsi, au 18 septembre 2007, elle était citée pas moins de 4 152 fois dans le référentiel IFRS (normes et interprétations IFRIC) selon Ernst & Young (19).
En effet, dès lors que les investisseurs ont besoin d’avoir une vue précise de la valeur actuelle de l’entreprise et des perspectives d’évolution de celle-ci, l’évaluation au « coût historique » des actifs, c'est-à-dire l’inscription au bilan du prix d’un bien à sa date d’acquisition, n’est plus pertinente parce qu’elle s’éloigne, parfois considérablement en matière d’instruments financiers, de la valeur d’usage et/ou de cession de l’actif, c'est-à-dire de leur valeur normale de marché. Une « image fidèle » de la valeur de l’entreprise, du point de vue des investisseurs, oblige donc celle-ci à évaluer ses actifs (et ses passifs) à leur juste valeur (20).
La « juste valeur » repose, dans sa définition même, sur un postulat : « la juste valeur est le montant pour lequel un actif pourrait être échangé, ou un passif éteint, entre parties bien informées, consentantes, et agissant dans des conditions de concurrence normale » (IAS 16 §6). En d’autres termes, l’application de la « juste valeur » suppose un marché fonctionnant dans des conditions normales, c'est-à-dire suffisamment liquide pour fixer un prix à l’actif ou au passif concerné. De fait, la « juste valeur » repose, en particulier pour les actifs financiers, sur l’appréciation autoréférentielle des marchés et non sur les performances opérationnelles de l’entreprise, entraînant des plus ou moins values très fortes d’un exercice à l’autre, voire d’un trimestre à l’autre, jusqu’à présent constatées seulement lors de la cession des actifs concernés. Le bilan et le résultat de l’entreprise présentent un risque accru de volatilité en raison de fluctuations des marchés dont on sait qu’elles peuvent être considérables et résultent souvent d’aléas fondés sur des anticipations hasardeuses et mimétiques.
Mais il est également possible que la « juste valeur » d’un actif ne puisse être déterminée en raison d’un marché déficient ou en raison de leurs caractéristiques propres (notamment les actifs incorporels comme les marques). Dans ce cas, leur évaluation repose sur des modèles mathématiques dont les hypothèses (risque de marché, taux d’actualisation, taux d’intérêt …) sont celles de l’entreprise, avec toutes les incertitudes qui entourent le choix et la pertinence de celles-ci. La tentation est en effet très grande de jouer sur les hypothèses afin d’orienter le résultat dans le sens voulu. Cette « subjectivité » inévitable de la « juste valeur » risque ainsi d’altérer la fiabilité des comptes, alors même que les normes IFRS avaient pour objectif de restaurer la confiance des investisseurs dans les états financiers.
En outre, d’un point de vue conceptuel, le recours à la « juste valeur » fait indubitablement apparaître l’entreprise, non comme une institution au sens sociologique du terme, dont l’objet est de produire et de vendre des biens et des services, mais comme une somme d’éléments détachables, vendables « à la découpe », sans que leur organisation sous forme de combinaison complexe, sans parler des ressources humaines, soit considérée comme une source de valeur en soi.
Ainsi présentée, il est aisé de comprendre dans quelle mesure la « juste valeur » s’oppose à l’un des principes fondamentaux du droit comptable français qu’est la prudence (article L. 123-20 du code de commerce). En effet, le droit comptable français, outre l’État, a toujours privilégié la protection des créanciers. Inspiré par la crainte du défaut de paiement, il a érigé la prudence en principe dominant de la comptabilité, au détriment d’une évaluation fiable de l’entreprise. C’est ainsi qu’une entreprise française ne peut pas, en principe, comptabiliser en résultat des plus-values latentes ; en revanche, elle doit, aux termes du même article L. 123-20, tenir compte des risques et des pertes intervenus au cours de l'exercice ou d'un exercice antérieur, même s'ils sont connus entre la date de la clôture de l'exercice et celle de l'établissement des comptes ». Les pertes – y compris éventuelles – pèsent donc immédiatement sur le résultat, au contraire des profits potentiels qui ne sont comptabilisées qu’une fois réalisés.
Les normes IFRS ne sont pas tournées vers les créanciers mais vers les investisseurs et le principe de prudence, si essentiel pour les premiers, est un obstacle pour les seconds qui, dans leur stratégie d’investissement, ont besoin de connaître la valeur instantanée de l’entreprise.
– La primauté du bilan sur le compte de résultat
Parce que les normes IFRS sont orientées vers les investisseurs, avec pour objectif de leur fournir les informations financières dont ils ont besoin et, en particulier, la « juste valeur » de l’entreprise, celles-ci donnent la primauté au bilan sur le compte de résultat. Pourtant, dans la tradition anglo-saxonne, ce dernier a longtemps été considéré comme plus pertinent. Pour autant, en raison des difficultés conceptuelles à définir les produits et les charges, les normalisateurs anglo-saxons ont, dans les années quatre-vingt-dix, inversé leur démarche et défini les actifs et les passifs, définition dont ils ont déduit celle des charges et produits.
S’inspirant de cette démarche, le référentiel IAS/IFRS s’appuie prioritairement sur une définition des actifs et des passifs. Comme l’énonce le § 69 du Cadre conceptuel, « le résultat est fréquemment utilisé comme mesure de la performance ou comme base pour d’autres mesures telles que le rendement des placements ou le résultat par action. Les éléments directement liés à l’évaluation du résultat sont les produits et les charges. La comptabilisation et l’évaluation des produits et des charges, et par conséquent du résultat, dépendent en partie des concepts de capital et de maintien du capital utilisés par l’entreprise pour préparer ses états financiers ». C’est ainsi qu’un produit peut se définir comme un accroissement d’actif ou une réduction du passif et une charge comme une réduction d’actif ou un accroissement de passif.
Dans cette perspective, le compte de résultat, qui retranscrit l’activité productive de l’entreprise, n’a plus qu’un rôle « secondaire » dès lors que l’augmentation de la « juste valeur » d’une entreprise – la seule qui intéresse l’investisseur – peut résulter d’éléments étrangers à sa performance propre. L’information de l’actionnaire est encore une fois préférée à celle de l’entrepreneur pour lequel le compte de résultat, qui reflète l’efficacité de sa gestion, est le plus pertinent (21).
b) Les difficultés de l’interprétation
● Le rôle limité de l’IFRIC
Toute norme doit être interprétée et les IFRS doivent l’être d’autant plus qu’elles sont « principles-based ». Si ce caractère les rend moins susceptibles de détournements frauduleux, cet avantage a pour corollaire que leur interprétation est aussi déterminante que leur contenu lui-même. D’où la mise en place par l’IASC d’un mécanisme d’interprétation via l’IFRIC (International Financial Reporting Interpretations Committee) (22) dont le rôle est de fournir des interprétations sur :
– les questions de reporting financier nouvellement identifiées qui n'ont pas été spécifiquement traitées dans les IFRS ;
– les questions qui donnent lieu ou qui pourraient donner lieu à des interprétations non satisfaisantes ou contradictoires.
L'IFRIC est composé de 14 membres votants, nommés par les trustees, et de deux observateurs (l'IOSCO et la Commission européenne). Les membres votants sont choisis pour leur compétence technique. C’est pourquoi il s’agit normalement d’experts-comptables, d’auditeurs et d'utilisateurs d'états financiers, répartis selon une diversification géographique suffisamment large.
La responsabilité première de l'identification des questions à soumettre à l'IFRIC incombe à ses membres. Si les préparateurs, les auditeurs et toute personne concernés par l'information financière peuvent également poser des questions à l'IFRIC, seules sont examinées celles touchant un nombre important d'entreprises.
De l’avis général, la procédure d’interprétation des normes IFRS par l’IFRIC ne donne pas satisfaction ; non seulement l’IFRIC se saisit rarement d’une question mais des années sont nécessaires pour que celle-ci soit traitée (à peine 18 interprétations ont été publiées depuis 2001). Or, cette situation est d’autant plus dangereuse que l’application de normes IFRS « principles-based » soulève d’épineuses questions d’interprétation Celles-ci, liées aux spécificités juridiques, économiques et comptables de chaque pays où elles sont appliquées, ne seront probablement pas traitées par l’IFRIC, ou avec retard. Or, les entreprises ont besoin de réponses rapides et précises, ne serait-ce que parce que la publication de leurs comptes obéit à une périodicité trimestrielle. L’IFRIC n’est donc absolument pas l’équivalent du comité d’urgence du CNC, qui livre une décision dans un délai très court, sur un point particulier, applicable à une entreprise donnée.
Dès lors, la voie est libre aux autorités nationales pour interpréter à leur guise les normes IFRS, sans aucune certitude que ces interprétations soient cohérentes entre elles, voire avec celles de l’IFRIC.
● Les solutions empiriques à la question de l’interprétation
La réticence à faire de l’IFRIC un organe efficace d’interprétation des normes IFRS est pleinement assumée par l’IASB. Le §10 de la norme IAS 8 Méthodes comptables, changements d’estimations comptables et erreurs, dispose ainsi que « en l’absence d’une norme ou d’une interprétation spécifiquement applicable à une transaction, un autre événement ou condition, la direction devra faire usage de jugement pour développer et appliquer une méthode comptable permettant d’obtenir des informations pertinentes pour les utilisateurs ayant des décisions économiques à prendre et fiables, en ce sens que les états financiers présentent une image fidèle de la situation financière, de la performance financière et des flux de trésorerie de l’entité, traduisent la réalité économique des transactions, des autres événements et des conditions et non pas simplement leur forme juridique, sont neutres, c’est-à-dire sans parti pris, sont prudents et sont complets dans tous leurs aspects significatifs ». À défaut d’une interprétation de l’IFRIC, l’IASB s’en remet au jugement personnel des dirigeants de l’entreprise.
Pour exercer ce jugement, ils peuvent se référer aux dispositions et aux commentaires figurant dans les normes et interprétations traitant de questions similaires et liées aux définitions, aux critères de comptabilisation et d’évaluation des actifs, des passifs, des produits et des charges énoncés dans le Cadre conceptuel. De même, et sous réserve qu’elles ne soient pas contraires aux sources susmentionnées, la direction peut également considérer les positions officielles les plus récentes d’autres organismes de normalisation comptable qui utilisent un cadre conceptuel similaire, la littérature comptable et les pratiques admises du secteur d’activité.
À ce titre, est-il possible, par exemple, de se référer aux règles comptables en vigueur en France, en l’absence de Cadre conceptuel français, ou faut-il uniquement s’en tenir aux US GAAP ? Et qu’en est-il alors de la comparabilité des comptes, notamment en Europe, si les décisions des normalisateurs nationaux ou les pratiques nationales divergent ?
Afin d’anticiper ce risque d’une divergence dans l’application des normes IFRS, les régulateurs de marché européens, réunis au sein du Comité européen des valeurs mobilières (CESR) ont joué un rôle actif en apportant des réponses concrètes aux problèmes d’application et de communication liés au passage vers les normes IFRS au 1er janvier 2005. Par la suite, le CESR a publié en avril 2007 trois nouvelles communications sur l’information comptable et financière, la première sur les incidences des changements comptables, la seconde sur la portée juridique des décisions de rejet de l’IFRIC et la troisième portant publication de seize décisions des régulateurs de marché européens relatives à l’application des IFRS (la première ayant eu lieu en décembre 2007).
L’importance de cette dernière communication doit être soulignée. Ces seize décisions ont été élaborées dans le cadre de l’EECS (European Enforcers Coordination Sessions), forum informel créé en 2005 afin de permettre aux organismes européens (membres ou non du CESR) chargés de vérifier la conformité au référentiel IFRS des états financiers des entreprises, de partager leurs expériences et de confronter leurs analyses sur des problématiques concrètes d’application dudit référentiel. Ces décisions sont les premières d’une base de données publique dont l’objectif est de promouvoir une application cohérente des normes IFRS dans l’Union Européenne. Cette base de données est appelée à s’enrichir régulièrement de nouvelles décisions. C’est ainsi que de nouvelles décisions ont été publiées en février 2008, et d’autres encore en mai 2008.
Par ailleurs, la Commission européenne a créé, en avril 2006, une table ronde dont le but est d’identifier les cas où les divergences dans l’application des IFRS en Europe sont si significatives et si répandues qu’elles deviennent une réelle préoccupation pour les entreprises et leurs parties prenantes. Lorsque les questions soulevées sont d’intérêt général pour l’ensemble des parties, la Commission recommande l’examen de ces sujets par l’IFRIC.
Il n’y a donc guère de doute qu’à terme les autorités de marchés ou les juridictions européennes ou communautaires seront amenées à clarifier certaines positions. Il faut cependant éviter qu’elles ne se laissent tenter par une interprétation unilatérale des normes IFRS inspirée par des considérations locales. En effet, ce faisant, la SEC pourrait elle aussi s’estimer en droit d’interpréter les normes IFRS applicables aux sociétés étrangères cotées aux États-Unis. En raison de la puissance de cette institution et, derrière elle, des investisseurs américains et des grands cabinets d’audit, il est fort probable que ses interprétations auront force de normes auprès de l’ensemble des entreprises appliquant les normes IFRS, ruinant ainsi définitivement la marge de manœuvre que l’Union européenne aurait pu sauvegarder dans la mise en œuvre de ces normes.
L’interprétation ne peut donc raisonnablement être le fait d’autorités nationales, quelles que soient les velléités de celles-ci. La seule pression des investisseurs ne saurait, quant à elle, pousser à l’harmonisation des pratiques, faute d’un lien prouvé entre celles-ci et les performances boursières. Au final, l’harmonisation de l’interprétation des normes IFRS au niveau mondial comme au niveau national sera probablement assurée par les grands cabinets d’audit internationaux. En effet, parce que les normes IFRS font appel à leur jugement, les dirigeants recherchent une certaine sécurité qu’ils ne trouvent pas forcément dans les décisions des CESR, IFRIC et autres tables rondes. Ils se tournent donc vers les auditeurs qui sont, in fine, les juges des normes, car ils doivent porter un jugement sur les comptes. Ainsi, le Forum of firms qui, depuis janvier 2001, regroupe les grands cabinets d’audit internationaux (23), se consacre notamment, à travers son Comité d’audit transnational, à l’élaboration d’un guide des bonnes pratiques en matière d’application des normes IFRS qui, à n’en point douter, aura une portée pratique au moins aussi grande que les décisions susmentionnées pour les entreprises. Les autorités de marché risquent donc, à terme, d’être aussi marginalisées que les normalisateurs comptables nationaux, au profit de cabinets d’audit internationaux qui concentreront de plus en plus le pouvoir d’interprétation des normes IFRS.
Cependant, l’interprétation des normes IFRS par les auditeurs n’est pas sans risque pour les entreprises. Certaines des personnes auditionnées par la mission d’information ont ainsi fait part de leurs relations difficiles avec leurs commissaires aux comptes. En raison de la complexité des normes IFRS, il leur est désormais presque impossible d’obtenir de ceux-ci qu’ils s’engagent sur une interprétation sans en référer à la doctrine de leur cabinet, à leurs actuaires et autres experts qui, en retour, imposent sans discussion possible une « position de place » – définie en liaison avec les autres cabinets – parfois très éloignée de la situation concrète de l’entreprise.
En outre, avec l’interprétation centralisée des normes IFRS au niveau des grands cabinets d’audit anglo-saxons, le risque n’est pas mineur que les IFRS ne se rigidifient en règles pointilleuses, comme les US GAAP qui, à l’origine, étaient constituées de quelques principes simples, avant de se métamorphoser en une masse prescriptive indigeste, à mesure que les entreprises abusaient de dispositions imprécises. La convergence en cours entre les normes IFRS et les normes US GAPP ne fera probablement que renforcer la tendance profonde des principes à se muer en règles.
B.– LE CHOIX FRANÇAIS D’UNE CONVERGENCE
DES COMPTES SOCIAUX VERS LES NORMES IFRS
1.– La France a choisi de ne pas appliquer les normes IFRS aux comptes sociaux
a) Un dispositif de normalisation comptable en voie de réforme
● Un dispositif complexe traditionnellement dominé par l’État
Les formes de la normalisation comptable peuvent, selon les pays, reposer sur des acteurs différents (État, profession comptable…) et donner lieu à des combinaisons diverses de régulation dont la spécificité est encore renforcée par de nombreux autres facteurs politiques, économiques et sociaux. En France, l’État, en raison de leurs implications fiscales, a toujours porté une grande attention aux règles comptables dont il a encadré strictement le processus d’élaboration. Bien que le Conseil national de la comptabilité ait été créé par le décret n° 57-129 du 7 février 1957 (24), rassemblant, outre les représentants de l’État, les membres de la « filière du chiffre », ce n’est guère qu’après la réforme de 1996-1998 (25) que ces derniers se sont réellement investis dans le processus, en réaction aux profondes transformations que connaissaient depuis plusieurs années les entreprises françaises dans un contexte de mondialisation économique et de développement des marchés financiers.
L’organisation du dispositif français de normalisation se caractérisait donc, jusqu’à la réforme de 2007, par une complexité découlant de la volonté de l’État de garder la haute main sur le processus de normalisation tout en y associant l’ensemble des parties prenantes à la comptabilité.
Le Conseil national de la comptabilité est l’organisme français chargé de la normalisation comptable. C’est l’organe qui, en droit, est à l’origine de la doctrine comptable.
Le Conseil national de la comptabilité (jusqu’en 2007)
1. Les missions du CNC
Le Conseil national de la comptabilité a pour mission d'émettre, dans le domaine comptable, des avis et recommandations concernant l'ensemble des secteurs économiques. Les missions du CNC, définies par l’article 2 du décret du 26 août 1996 précité, sont :
– de donner un avis préalable sur toutes les dispositions d'ordre comptable, qu'elles soient d'origine nationale ou communautaire, étudiées par les administrations ou services publics, les commissions ou comités créés à l'initiative des pouvoirs publics et les organismes contrôlés directement ou indirectement par l'État ;
– de donner un avis sur les normes élaborées par les organismes internationaux ou étrangers de normalisation comptable ;
– de proposer toutes mesures relatives à l'exploitation des comptes, soit dans l'intérêt des entreprises et des groupements professionnels d'entreprises, soit en vue de l'établissement des statistiques nationales ou des budgets et comptes économiques de la Nation ;
– d'assurer la coordination et la synthèse des recherches théoriques et méthodologiques, de réunir toutes informations, de procéder à toutes études, de diffuser toute documentation relatives à l'enseignement comptable, à l'organisation, à la tenue et à l'exploitation des comptes.
2. L’organisation du CNC
Le CNC est composé d’un Président, de six vice-présidents (dont les présidents du CSOEC et de la CNCC), de quarante personnes compétentes en matière de comptabilité et représentant le monde économique et de onze représentants des pouvoirs publics.
Le président du CNC est nommé par arrêté du ministre chargé de l'économie. Les vice-présidents et les personnes compétentes en matière de comptabilité et représentant le monde économique, à l'exception de ceux qui siègent ès qualités, sont nommées par arrêté du ministre chargé de l'économie sur proposition des organisations représentatives, ou pour les personnes compétentes en matière de comptabilité et représentant le monde économique, sur proposition du président du CNC.
Le bureau du CNC, composé du président et des vice-présidents, détermine l'orientation des travaux du CNC. Suite aux décisions du bureau, des groupes de travail sont institués pour participer à l'élaboration de projets d'avis qui sont ensuite transmis au bureau qui décide ou non de les soumettre à l'Assemblée plénière.
Le Comité d’urgence a été créé en 1996, à l’occasion de la réforme du CNC, de façon à donner plus de réactivité au processus de normalisation. Cette instance peut être saisie par le Président du CNC ou par le ministre chargé de l’économie dès lors qu’une question nécessite une position urgente. Le Comité d’urgence doit, en effet, statuer sur les questions qui lui sont soumises dans les trois mois suivant sa saisine.
Jusqu’en 2007, l’État fixait donc, par décret, la composition du CNC et choisissait les parties prenantes admises à participer au processus de normalisation comptable. De même désignait-il le Président et les personnalités qualifiées.
L’État se réserve par ailleurs la possibilité d’émettre un veto ou, au contraire, de renforcer certains des avis du CNC (26), par l’intermédiaire du Comité de réglementation comptable (CRC) qu’il contrôle (27).
En effet, les avis du CNC restent de simples avis tant qu’ils n’ont pas été transformés en règlement par le CRC qui détient le monopole de l’établissement des règles comptables françaises, en matière de comptes individuels comme de comptes consolidés, vis-à-vis de toute personne physique ou morale soumise à l’obligation d’établir des documents comptables (28).
Enfin, ultime étape du processus de normalisation, le règlement adopté par le CRC est homologué (ou non) par un arrêté interministériel.
● La réforme en cours du dispositif français de normalisation
Conformément à une lettre de mission du ministre de l’Économie, des finances et de l’industrie en date du 21 mars 2007, M. Jean-François Lepetit, Président du Conseil national de la comptabilité, a présenté le 6 avril 2007 ses propositions de réforme du dispositif français de normalisation comptable.
Le constat que fait le Président du CNC de ce dernier est sans appel. Ce dispositif lui « paraît aujourd’hui complexe et inadapté dans des matières aussi évolutives que les référentiels comptables et financiers. D’une part, il est éclaté entre deux composants, le CNC et le Comité de réglementation comptable et d’autre part, il est constitué de normes de trois niveaux juridiques différents (loi, décret et arrêté) qui prêtent à confusion ». Une réforme s’impose donc, rendue urgente par « la modification du contexte de la normalisation comptable du fait de l’entrée en vigueur des normes IFRS et de l’intensification de la discussion et de la concurrence des normes au plan international ». En d’autres termes, le dispositif français de normalisation, complexe et dominé par l’État, n’est plus adapté à la technicité et à la nouvelle « compétition » mondiale en matière de normes comptables.
Fort de ce constat et afin de répondre efficacement à ces nouveaux enjeux, le Président du CNC a proposé que celui-ci, organisme consultatif aux pouvoirs très limités, soit transformé en une Autorité des normes comptables (ANC),
– compétente sur l’ensemble des sujets comptables ;
– crédible car indépendante et « disposant de moyens propres et adéquats » à l’accomplissement de sa mission ;
– et fondant son action sur les aspirations des acteurs professionnels et l’intérêt public.
En d’autres termes, comme l’Autorité des marchés financiers – dont M. Jean-François Lepetit fut le Président – l’ANC doit se voir attribuer le pouvoir réglementaire actuellement dévolu au CRC – qui serait supprimé (29), sous réserve de l’homologation par arrêté ministériel qui subsisterait.
La mise en œuvre de la réforme du CNC a franchi une première étape le 27 avril 2007, avec l’adoption d’un décret qui restructure le CNC pour « lui donner les moyens d’une concertation ouverte orientée vers l’action ». Si ses missions demeurent inchangées, son organisation est profondément modifiée :
– le collège, composé de seize membres issus des hautes juridictions, d’autorités financières, des entreprises, de la « filière du chiffre », de personnalités compétentes en matière économique et comptable ainsi que des syndicats ;
– deux commissions spécialisées, l’une pour les normes comptables internationales et l’autre pour les normes comptables privées, chargées de préparer les projets d’avis du collège sur les dispositions qui les concernent ;
– un comité consultatif représentant le monde économique et social.
La deuxième étape est celle de l’ordonnance n° 2009-79 du 22 janvier 2009 qui a confirmé à la fois la composition de l’ANC issue du décret précité et la teneur de ses missions :
– établir sous forme de règlements les prescriptions comptables générales et sectorielles que doivent respecter les personnes physiques ou morales soumises à l'obligation légale d'établir des documents comptables conformes aux normes de la comptabilité privée ;
– donner un avis sur toute disposition législative ou réglementaire contenant des mesures de nature comptable applicables auxdites personnes, élaborée par les autorités nationales ;
– émettre des avis et prises de position dans le cadre de la procédure d'élaboration des normes comptables internationales ;
– veiller à la coordination et à la synthèse des travaux théoriques et méthodologiques conduits en matière comptable.
Cette réforme, encore en cours (30), constitue une rupture dans la tradition française de la normalisation comptable. Celle-ci repose en effet sur une collégialité délibérative visant à dégager, sous le contrôle de l’État, un compromis entre une pluralité d'acteurs représentants des intérêts associés à des finalités différentes de l'information comptable. Aujourd’hui, à l’heure des normes IFRS, tant le rôle de l’État que la concertation entre l’ensemble des parties prenantes à la comptabilité ont été remis en cause :
– alors qu’historiquement, l’Assemblée plénière du CNC avait un rôle décisionnel, un collège resserré et des commissions spécialisées, composées de professionnels (31), adopteront seuls les règlements, la représentation des autres intérêts étant cantonné dans un comité consultatif ;
– l’État, représenté en tant que tel par un commissaire de Gouvernement, se bornera désormais à nommer les neuf personnalités qualifiées du collège ainsi que le Président du CNC ; il ne dispose plus ni de la majorité des voix qui est actuellement la sienne au CRC, ni de représentants ès qualitès, même si l’homologation des règlements de l’ANC subsiste. Symbole de cette rupture, un seul représentant de la Direction générale des impôts peut prendre part aux débats, mais sans voix délibérative.
Cet affaiblissement du lien entre l’État et le normalisateur comptable est l’une des conditions de la crédibilité de l’ANC au plan international, comme il illustre le fait que les compétences requises pour dialoguer avec l’IASB ne résident plus au sein de l’État mais dans les cabinets d’audit et les services comptables des grandes entreprises. L’importance nouvelle des normes comptables internationales se traduit d’ailleurs par une commission chargée d’organiser une « veille » des travaux de l’IASB et de coordonner l’action de la France auprès de celui-ci et des organismes européens (EFRAG…).
Pour autant, l’État garde les pouvoirs importants que sont la nomination des membres de l’ANC, la présence d’un Commissaire du Gouvernement, la participation des administrations aux groupes de travail et l’homologation des règlements. Quant au Parlement, la mission d’information estime qu’il devrait être associé à la nomination du Président de l’ANC via un avis des commissions permanentes compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat, comme c’est déjà le cas pour la nomination des Présidents de plusieurs autorités indépendantes (32).
Proposition n° 1 : Associer les commissions permanentes compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat, via un avis, à la nomination du Président de l’Autorité des normes comptables.
Cependant, l’efficacité de l’ANC et sa crédibilité au plan international -c'est-à-dire l’objet même de la réforme – ne sauraient être acquises sans un accroissement des moyens mis à sa disposition. En effet, dans son dialogue avec l’IASB et ses experts hautement qualifiés, l’ANC doit pouvoir s’appuyer sur la compétence de ses services. Il lui faut donc disposer de ressources suffisantes pour recruter, au prix du marché, les experts qui lui seront nécessaires. D’après les informations communiquées par l’ANC, le futur fonds de concours dévolu au financement de l’ANC sera ainsi abondé, en 2009, à hauteur de 400 000 € par les entreprises et les cabinets d’audit, l’État prenant à sa charge les frais de fonctionnement courant. Il conviendra cependant de veiller à ce que l’ANC ne se retrouve pas dans la dépendance des cabinets d’audit et/ou de grandes entreprises.
b) Une application des normes IFRS limitée aux comptes consolidés
des entreprises faisant appel public à l’épargne
Le règlement 1606/2002/CE du 19 juillet 2002 dispose que « pour chaque exercice commençant le 1er janvier 2005 ou après cette date, les sociétés régies par le droit national d’un État-membre sont tenues de préparer leurs comptes consolidés conformément aux normes comptables internationales […] si, à la date de clôture de leur bilan, leurs titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé d’un État-membre ». Par ailleurs, les États-membres peuvent autoriser ou obliger les sociétés susmentionnées pour leurs comptes sociaux et les autres sociétés pour leurs comptes consolidés et/ou leurs comptes sociaux à appliquer les normes IFRS. Enfin, les États-membres peuvent reporter l’application du référentiel IFRS aux exercices commençant le 1er janvier 2007 « aux sociétés dont seules les obligations sont admises sur un marché réglementé d’un État-membre […] ou dont les titres sont admis à la vente directe au public dans un pays tiers et qui utilisent à cet effet des normes acceptées sur le plan international ».
● La transition des entreprises françaises vers les normes IFRS
Toutes les entreprises françaises ne sont pas concernées par les normes IFRS. En pratique, seule une infime minorité l’est – environ un millier de groupes, soit 30 000 entreprises – puisque la France a fait le choix de ne pas appliquer ces normes aux comptes sociaux et de les réserver aux comptes consolidés des entreprises faisant appel public à l’épargne.
En effet, l’ordonnance n° 2004-1382 du 20 décembre 2004 a transposé dans le droit français le règlement 1606/2002/CE du 19 juillet 2002 selon les modalités suivantes (33) :
– les sociétés faisant appel à l’épargne sur un marché réglementé de l’Union européenne doivent appliquer les normes IFRS pour l’établissement de leurs comptes consolidés à compter du 1er janvier 2005 ;
– les sociétés dont seuls des titres de dettes sont admis à la négociation sur un marché réglementé de l’Union européenne peuvent appliquer les normes IFRS à compter du 1er janvier 2005, l’application de celles-ci devenant obligatoire au 1er janvier 2007 ;
– les sociétés ne faisant pas appel public à l’épargne mais établissant des comptes consolidés ont le choix, pour ces derniers, entre le maintien des normes comptables françaises et l’application des normes IFRS ;
– enfin, la France n’a pas exercé l’option ouverte par le règlement pour l’application des normes IFRS aux comptes sociaux qui, pour l’ensemble des sociétés, restent établis selon les normes du PCG.
Par conséquent, deux référentiels comptables coexistent depuis le 1er janvier 2005 en France : d’une part, les normes IFRS pour les comptes consolidés des sociétés faisant appel public à l’épargne (et, sur option, pour ceux des sociétés non-APE) et, d’autre part, le PCG pour les comptes consolidés des sociétés non-APE n’ayant pas opté pour les IFRS et pour les comptes sociaux de l’ensemble des sociétés françaises. Si cette dualité de référentiels comptables constitue une source de complexité pour les entreprises, il n’en reste pas moins que l’application des normes IFRS dans les comptes sociaux aurait constitué une révolution d’une ampleur considérable, aux conséquences incertaines, imposée à des entreprises dont beaucoup auraient été incapables de les anticiper (34). La France a donc fait le choix raisonnable de réserver l’application obligatoire des normes IFRS aux groupes faisant appel public à l’épargne, en cohérence d’ailleurs avec l’objectif premier des normes IFRS qui est d’améliorer l’information des investisseurs sur les marchés financiers.
Le passage d’une entreprise aux normes IFRS est organisé par la norme IFRS 1 Première application des IFRS.
La première application des normes IFRS : la norme IFRS 1
L’objectif prioritaire de la norme IFRS 1 est d’assurer la comparabilité, d’une part, entre les comptes de tous les exercices présentés en IRFS par une entreprise et, d’autre part, entre les comptes de toutes les entreprises appliquant pour la première fois et au même moment le référentiel IFRS. Pour atteindre cet objectif, les principes généraux de la première application des IFRS sont les suivants :
– la décision d’appliquer le référentiel IFRS entraîne l’obligation d’appliquer toutes les normes, y compris les interprétations de l’IFRIC, sans aucune exception (ce qui pose problème dès lors que toutes les normes et interprétations ne sont pas homologuées par l’Union européenne, ou homologuées que partiellement – IAS 39 – ou homologuées avec retard) ;
– l’établissement d’un bilan IFRS à la date d’ouverture de la première période comparative retraitée en IFRS dans les premiers états financiers IFRS. Ainsi, une entreprise présentant ses comptes consolidés en normes IFRS pour la première fois au titre de l’exercice 2008 devra retraiter en normes IFRS ses comptes consolidés de l’exercice 2007 ;
– l’application rétrospective à ce bilan d’ouverture et à toutes les périodes présentées en IFRS de la version des normes qui sera en vigueur à la date de clôture des premiers états financiers IFRS, par exemple le
31 décembre 2007 pour une entreprise qui publiera ses premiers comptes consolidés IFRS au titre de l’exercice 2007. Cette disposition, assortie de quelques exceptions facultatives ou obligatoires permet d’appliquer les mêmes normes et interprétations pour toutes les périodes couvertes par ces premiers états financiers (soit également les comptes consolidés de ou des périodes comparatives) ;
– l’imputation sur les capitaux propres du bilan d’ouverture IFRS de tous les ajustements résultant du passage du référentiel comptable antérieur aux IFRS, sauf lorsqu’il s’agit de retraiter une immobilisation incorporelle acquise dans le cadre d’un regroupement d’entreprises ;
– la présentation dans les premiers états financiers IFRS de nombreuses informations permettant d’expliquer aux utilisateurs de ceux-ci la transition du référentiel comptable antérieur aux IFRS, ainsi que l’impact de cette transition sur la situation financière, la performance financière et les flux de trésorerie.
La transition vers les normes IFRS s’est en pratique étalée sur plusieurs années avant la date du 1er janvier 2005. Elle a été encadrée par le CESR (35), via une recommandation faite sienne par l’AMF le 10 février 2004, et par la CNCC qui a validé, le 9 décembre 2004 un guide méthodologique définissant les diligences qui devront être appliquées aux comptes consolidés 2004. De manière générale, la profession comptable s’est fortement impliquée dans la transition vers les normes IFRS (formation spécifique aux IFRS, concertation avec les entreprises, mise en place d’un forum technique APE…). Le système du co-commissariat aux comptes en France a permis d’impliquer beaucoup de cabinets.
Pour les entreprises concernées, l’application des normes IFRS a représenté un défi technique et humain dont un simple détour par Internet – et les rapports annuels établis par celles-ci au titre des années 2003, 2004 et 2005 – révèle l’ampleur et la difficulté. En effet, la transition du vénérable PCG, connu et pratiqué durant des décennies, vers un référentiel comptable particulièrement complexe et, sur bien des points, en rupture avec ce dernier, n’a pu être menée à bien que par la mobilisation de l’ensemble de leur personnel et de ressources considérables. La plupart des méthodologies de transition aux normes IFRS mises en œuvre par les entreprises, avec l’aide de leurs commissaires aux comptes et d’autres consultants extérieurs, distinguent trois phases principales :
– une phase préliminaire, de deux à quatre mois, qui permet d'effectuer un diagnostic de la fonction comptable dans l’entreprise ;
– une phase préparatoire, de six mois à un an, qui permet d’identifier les différences potentielles entre les normes IFRS et les principes comptables utilisés jusqu’alors, de collecter les informations nécessaires, en particulier dans les groupes comportant beaucoup de filiales et, surtout de définir les options comptables permises par la norme IFRS 1, lesquelles auront un impact à long terme sur les résultats et sur les fonds propres de l'entreprise ;
– enfin, une phase opérationnelle proprement dite, qui se traduit notamment par l’adaptation de l’intégralité des systèmes d’information comptable et financière ainsi que de la communication financière auprès des investisseurs, sans parler de la formation du personnel aux nouvelles méthodes comptables.
Il va de soi qu’un tel bouleversement des normes comptables a un coût. Selon une étude de l’ICAEW (36), les coûts de mise en œuvre et les coûts ultérieurs périodiques liés à l’application des normes IFRS semblent plus élevés pour les sociétés de plus petite taille (d’un chiffre d’affaires inférieur à 500 millions d’euros) que pour les plus grandes ; ils représenteraient respectivement 0,31 % et 0,06 % du chiffre d’affaires. Ces ordres de grandeur correspondent plus ou moins aux chiffres communiqués par les entreprises ou leurs représentants auditionnés par la mission d’information.
Au final, s’il ne faut pas minimiser les difficultés considérables qu’ont eues à affronter les entreprises – à commencer par les moins importantes d’entre elles – la transition de celles-ci vers les normes IFRS s’est globalement bien déroulée, parce qu’elles avaient anticipé leur entrée en vigueur et consenti des investissements conséquents pour s’y préparer. Par ailleurs, 70 % des entreprises du CAC 40 ont communiqué sur le changement de méthode comptable, le calendrier de la communication IFRS et le choix des options retenues, contribuant ainsi à une bonne information des investisseurs. 68 % ayant communiqué de manière chiffrée sur les IFRS ont établi un rapprochement détaillé entre les normes françaises et les normes IFRS pour les capitaux propres au 1er janvier 2004 et/ou au 31 décembre 2004. Enfin, 57 % ont établi un rapprochement de même nature pour le résultat net au 31 décembre 2004 (37).
Cependant, et ce point est à souligner, le contexte économique favorable des années 2004-2005 a incontestablement facilité la transition vers les normes IFRS. Il va sans dire que si celles-ci étaient entrées en vigueur après l’été 2007, la transition se serait certainement déroulée dans des conditions moins optimales…
● Une appréciation mitigée des normes IFRS
Communiquer, au sens étymologique du mot, c’est rendre commun. La communication financière des entreprises s’adresse à tous et l’un des objectifs prioritaires de l’adoption des normes IFRS – et ce point a été suffisamment souligné par les personnes auditionnées – était d’améliorer la qualité et la comparabilité de l’information financière des entreprises, afin qu’elle réponde aux besoins des investisseurs et leur permette d’optimiser leurs décisions d’investissement. En d’autres termes, ceux-ci attendaient des normes IFRS qu’elles donnent une représentation aussi proche que possible de la réalité économique de l’entreprise. Bref, qu’elles en donnent une « image fidèle ».
Si les normes IFRS ont été appliquées de manière satisfaisante par les entreprises, cette bonne volonté s’apparente plus à de la résignation qu’à un véritable enthousiasme. En effet, dès lors que la décision avait été prise au niveau européen d’appliquer les normes IFRS à compter du 1er janvier 2005, l’heure était moins aux états d’âme qu’à une course contre la montre afin d’être en mesure, à l’heure dite, de présenter des comptes conformes au nouveau référentiel comptable.
Bien qu’un véritable bilan de l’application des normes IFRS ne pourra être fait que dans quelques années, il est néanmoins possible de synthétiser les études d’ores et déjà publiées et les opinions exprimées par les personnes auditionnées par la mission d’information afin d’apprécier les normes IFRS par rapport aux améliorations qu’elles étaient sensées apporter. Quatre critères ont ainsi été retenus : la comparabilité des comptes, la transparence et la pertinence de l’information financière et la qualité des normes.
– La comparabilité des comptes
En reprenant le référentiel IFRS pour les comptes consolidés des sociétés faisant appel public à l’épargne, l’Union européenne avait pour objectif d’assurer une meilleure comparabilité desdits comptes d’un État-membre à l’autre et d’une société à l’autre. À terme, à mesure que les normes IFRS seront applicables dans de nouveaux pays, ce n’est rien d’autre qu’une comparabilité mondiale qui est possible. S’il ne fait aucun doute que la comparabilité des comptes s’est globalement accrue, celle-ci reste néanmoins limitée en raison, d’une part des nombreuses options ouvertes par le référentiel IFRS et, d’autre part, des divergences nationales dans l’application de celui-ci.
Le seul fait que les normes IFRS soient obligatoires a mis un terme – au moins en Europe – à une pratique connue sous le nom de « vagabondage comptable ». Par cette expression est visé le comportement de certaines entreprises qui ont choisi, par le passé, d’établir leurs comptes selon le référentiel comptable national qui leur donne l’image la plus flatteuse et, ensuite, de se tourner vers les investisseurs de ce pays pour lever des capitaux. Si ce comportement n’a plus cours dans l’Union européenne, il semble que les entreprises pratiquent une nouvelle sorte de « vagabondage comptable » à l’intérieur même du référentiel IFRS.
En effet, les entreprises ont fait un très large usage non seulement des possibilités d’option ouvertes par la norme IFRS 1, mais également du choix laissé entre plusieurs traitements comptables pour des opérations identiques (38). De plus, les normes IFRS laissent une marge considérable au jugement du préparateur de comptes, lequel peut nuire à la comparabilité des comptes, non seulement avec les autres entreprises, mais également dans le temps puisqu’il peut évoluer d’un exercice à l’autre (39). Enfin, les sociétés ont eu toute liberté pour déterminer le traitement comptable d’opérations qui n’ont pas fait encore l’objet d’une norme ou d’une interprétation, par exemple les droits d’émission de gaz à effet de serre (40).
En outre, les normes IFRS offrent de nombreuses possibilités d’optimisation lorsque la « juste valeur » est déterminée à l’aide d’un modèle. La forte sensibilité de celui-ci aux hypothèses retenues, en particulier le taux d’actualisation, ouvre de nouvelles possibilités de manipulation des comptes.
Les divergences entre les choix comptables des entreprises se cumulent avec des différences dans l’application nationale du référentiel IFRS, en particulier dans la présentation des comptes. En effet, la norme IAS 1 Présentation des états financiers ne fixe que l’information minimale à présenter. Elle ne fournit pas de format obligatoire pour les états financiers ni de modèle développé de présentation de la performance.
Une étude réalisée par KPMG auprès de quatorze groupes internationaux de la distribution (41), montre ainsi que « au compte de résultat, les IFRS apportent une réelle harmonisation, mais [que] les divergences sectorielles n’en sont que plus marquantes. Alors que les distributeurs français restent très attachés à la notion de chiffre d’affaires, la plupart des sociétés ne présentent qu’une seule ligne au titre des produits des activités ordinaires. Le positionnement des produits des activités des sociétés financières et des sociétés immobilières reste un point de divergence marqué ». Concernant les indicateurs de mesure de la performance, l’étude note que : « si la présentation d’un agrégat intermédiaire de marge (non obligatoire) est quasiment toujours retenue, le recours aux agrégats de type EBITDA (non défini en IFRS) n’est utilisé que chez les groupes allemands. Le résultat exceptionnel disparaît, mais les groupes français se retrouvent autour de l’utilisation d’une rubrique de produits et charges non récurrents (de nature à modifier l’appréciation de la performance), quoiqu’ils n’en fassent pas toujours exactement le même usage ». Par ailleurs, l’étude souligne « qu’il est également assez inattendu de constater que les impairments du goodwill et des immobilisations ne sont pas toujours présentés de façon similaire au compte de résultat. Enfin, l’agrégat de résultat financier est l’un des plus diversement présentés. Quant au tableau des flux de trésorerie, les présentations apparaissent encore très hétérogènes et perfectibles au regard des exigences d’IAS 7 ».
Afin de pallier l’absence de formalisation des états financiers dans les référentiels IFRS, le CNC a publié le 27 octobre 2004 deux recommandations n° 2004 R 02 et 2004 R 03 proposant des modèles (un par nature et un par fonction) pour le compte de résultat. Ces recommandations offrent une certaine continuité avec la pratique française en permettant aux utilisateurs de mieux distinguer certains éléments comme le résultat opérationnel (qui n’est pas défini par les normes IFRS) et en proposant un format de compte de résultat établi sur la base de celles-ci. Naturellement, il ne s’agit que de recommandations, que les entreprises sont libres d’appliquer ou non ; de plus, elles ne s’adressent qu’aux entreprises françaises, les autres normalisateurs nationaux ayant eux aussi (ou pas) publié des recommandations semblables.
Enfin, les normes IFRS telles qu’elles sont homologuées par l’Union européenne peuvent parfois différer, notamment pour la norme IAS 39
(voir supra), des normes adoptées par l’IASB, introduisant une confusion supplémentaire pour les investisseurs.
Les avis divergent sur la capacité des mécanismes existants – pression du marché, concertation des auditeurs, des normalisateurs comptables et des autorités de marché, benchmarking entre les entreprises… – à faire peu à peu disparaître les divergences observées pour atteindre un degré de comparabilité satisfaisant. Quoi qu’il en soit, l’amélioration de la comparabilité des comptes sera un processus très long et probablement partiel, tant la souplesse nécessaire du référentiel IFRS laissera toujours possibles plusieurs options ou interprétations également correctes.
– La transparence
L’application des normes IFRS a incontestablement apporté une transparence nouvelle dans de nombreux domaines auparavant insuffisamment traités par les référentiels comptables nationaux, à commencer par le PCG. Ainsi en est-il des instruments financiers, en particulier des produits dérivés que la norme IAS 39 oblige à enregistrer au bilan, des engagements de retraite, des stock-options et autres avantages du personnel, ou de l’information sectorielle. Sur tous ces points, la richesse de l’information apportée par les normes IFRS est en général jugée très positivement par l’ensemble des utilisateurs de comptes, même s’ils déplorent la longueur parfois difficile à gérer des rapports financiers. D’une manière générale, le fait que les normes IFRS soient « principles-based » contrecarre largement la tentation de la « comptabilité créative » à l’origine des scandales de type Enron.
Cependant, l’exigence de transparence a ses limites et une entreprise ne peut tout divulguer aux investisseurs, parce que les concurrents lisent eux aussi les états financiers. Le bon fonctionnement du système économique ne peut se passer du secret – le secret des affaires – et d’une asymétrie d’information entre l’entreprise et ses partenaires.
C’est dans cette dialectique entre la transparence et le secret que doit être analysée la norme IFRS 8 Segments opérationnels, entrée en vigueur au
1er janvier 2009, dont beaucoup d’analystes estiment qu’elle constitue un recul par rapport à la norme IAS 14 à laquelle elle se substitue.
La norme IFRS 8 Segments opérationnels
Afin de rétablir la confiance des investisseurs ébranlée par les scandales comptables en Europe et aux États-Unis, la norme IAS 14 Information sectorielle exigeait la décomposition des états financiers des entreprises en secteurs d’activité et secteurs géographiques. Cette décomposition était basée sur les notions de rentabilité et de risque, l’objectif étant de mieux appréhender la performance d’une organisation et de faciliter la comparaison avec des entreprises concurrentes. Cependant, la norme IAS 14 s’est heurtée à deux difficultés :
– d’une part, elle obligeait les entreprises à trouver un juste équilibre entre les nouvelles exigences d’information et le secret des affaires ;
– d’autre part, elle manquait de réalisme. En effet, elle entraînait un processus mécanique et arbitraire de découpage de l’entreprise aboutissant à des secteurs « créés de toutes pièces » dans le seul but de satisfaire à ses exigences.
Afin d’éviter de telles difficultés, la nouvelle norme IFRS 8, inspirée de la norme américaine
SFAS 131 Disclosures about segments of an enterprise and related information, fonde désormais l’information financière sur les données du reporting interne. Elle favorise donc une « approche managériale » de celle-ci, appréhendée du point de vue de la direction, plutôt qu’une analyse fondée sur les risques et la rentabilité des secteurs , laissant ainsi toute latitude à la direction sur l’information à divulguer ; or, il est « vital », comme le souligne le Parlement européen dans sa résolution du 14 novembre 2007, que « les dirigeants d'entreprises continuent de fournir des informations sectorielles suffisantes pour permettre aux utilisateurs d'évaluer les risques et les acteurs économiques sur le plan géographique, pays par pays, le cas échéant, et sur le plan des secteurs d'activité ». De plus, comme les états financiers sont désormais structurés de manière cohérente avec la façon dont est organisée et dirigée l’entreprise, deux entreprises appartenant au même secteur d’activité peuvent avoir à présenter leurs états financiers de manière complètement différente puisque leurs structures sont différentes.
– La pertinence de l’information financière
Il y a une manière très simple d’apprécier la pertinence de l’information financière telle qu’elle est produite selon les normes IFRS : c’est l’usage que les entreprises en font, ou non. C’est ainsi que le recours par celles-ci à des données pro forma (produites hors du référentiel IFRS) est la preuve de leur inadaptation aux besoins tant des émetteurs que des investisseurs.
Or, une étude menée par Ernst & Young (42) a mis en lumière la difficile appropriation des nouvelles normes comptables par les entreprises européennes dont l’une des conséquences est d’avoir largement « déconnecté résultats comptables et communication financière ». Selon cette étude, « la majeure partie des entreprises ont utilisé, pour leur communication financière, des indicateurs différents de ceux directement issus des IFRS afin d’éliminer les éléments considérés comme nuisant à la lisibilité ou à la comparabilité de la performance ». Des retraitements ont ainsi été opérés pour éliminer l’incidence de certaines évaluations, jugées inappropriées ou source de confusion comme la comptabilisation en charge des stock-options ou l’évaluation à la « juste valeur » de certains instruments financiers. S’agissant des entreprises françaises, Ernst & Young observe que celles-ci « s’appuient sur le résultat opérationnel courant qui a fait l’objet de la recommandation du CNC. Cette recommandation constate que la notion de résultat opérationnel n’est pas définie par les normes IFRS. Or cette définition apparaît d’autant plus nécessaire qu’il s’agit d’un indicateur très largement utilisé dans la communication financière des entreprises ».
Une étude portant sur les indicateurs autres que ceux prévus par les normes IFRS utilisés par les sociétés du CAC 40 (43), a révélé que celles-ci ont utilisé, dans leur rapport annuel 2005, les indicateurs suivants :
Indicateurs |
Nombre d’entreprises |
Résultat opérationnel |
19 |
Marge brute |
18 |
Résultat d’exploitation |
14 |
Résultat opérationnel courant |
12 |
Free cash-flow |
11 |
Résultat brut d’exploitation |
8 |
EBITDA |
7 |
Capacité d’autofinancement |
7 |
Résultat courant |
5 |
La moitié des entreprises du CAC 40 a donc suivi la recommandation du CNC sur le résultat opérationnel, qui est l’indicateur non obligatoire le plus fréquemment utilisé, quasiment à égalité avec la marge brute. Ces deux indicateurs ne sont pas prévus par les normes IFRS.
Un autre moyen d’évaluer la pertinence des normes IFRS est le recours par les entreprises à l’évaluation à la « juste valeur » de leurs actifs, lorsque celle-ci est possible. Les normes IAS 16 Immobilisations corporelles, IAS 38 Immobilisations incorporelles et IAS 40 Immeubles de placement laissent aux préparateurs des comptes le choix entre deux méthodes pour l’évaluation après comptabilisation initiale : « une entité doit choisir pour méthode comptable soit le modèle du coût, soit le modèle de la réévaluation » (IAS 16 §29, IAS 38 §72 et IAS 40 §30). De plus, la norme IFRS 1 §16 autorise « une entité à évaluer une immobilisation corporelle (incorporelle ou un immeuble de placement) à la date de transition aux IFRS à sa juste valeur et utiliser cette juste valeur comme coût présumé ». Cette réévaluation ponctuelle ne l’oblige cependant pas à appliquer ultérieurement la « juste valeur » à l’évaluation de ces immobilisations.
Le tableau suivant, établi à partir des états financiers 2005 des groupes appartenant à l’indice SBF 120, récapitule les options exercées lors de la transition aux normes IFRS (44) :
OPTIONS RETENUES POUR LES NORMES IAS 16, IAS 38, IAS 40 ET IFRS 1
Normes |
Coût historique |
« Juste valeur » |
Données manquantes |
Non-application | ||||
IFRS 1 |
71 |
66,35 % |
19 |
17,76 % |
17 |
15,88 % |
- |
- |
IAS 16 |
101 |
94,39 % |
4 |
3,74 % |
2 |
1,87 % |
- |
- |
IAS 38 |
83 |
77,57 % |
0 |
0 % |
24 |
22,43 % |
- |
- |
IAS 40 |
24 |
22,43 % |
9 |
8,41 % |
70 |
65,42 % |
4 |
3,74 % |
L’analyse des premiers états financiers en normes IFRS permet donc d’observer que l’évaluation à la « juste valeur » des actifs était loin, en 2005, d’avoir convaincu les préparateurs de comptes français…
– La qualité des normes
Par qualité des normes comptables, il faut entendre leur simplicité, leur précision et leur stabilité qui rendent leur application aisée par les entreprises. Ainsi définies, c’est peu dire que les normes IFRS ne sont pas toujours de bonne qualité - et ce point a été souligné à maintes reprises lors des auditions menées par la mission d’information. La seule norme IAS 39 comporte ainsi plus de 300 pages ! Il n’est ainsi plus possible aujourd’hui, pour un dirigeant d’avoir une vision immédiate et sûre des conséquences comptables des opérations effectuées par son entreprise sans l’aide de ses comptables ou/et de ses auditeurs, eux-mêmes ayant souvent le besoin de se tourner vers des experts extérieurs ou la doctrine de leur cabinet pour être en mesure d’apporter une réponse à une question précise.
De plus, dès lors que les normes IFRS sont « principles-based », elles se présentent plus sous la forme d’un cadre laissant une large place à l’interprétation que de règles qu’il suffit d’appliquer. L’imprécision des normes IFRS – dont la nécessité a déjà été analysée (voir supra) – est sans conteste une de ses caractéristiques irrémédiables à laquelle les émetteurs doivent s’adapter (45).
Enfin, le référentiel IFRS est encore loin d’avoir atteint la stabilité qu’en son temps, ses utilisateurs pouvaient reconnaître au PCG. Les normes IFRS sont en perpétuelle et rapide évolution. Pour ne prendre qu’un exemple, l’IASB a publié en octobre 2007 un « exposé-sondage » portant sur les 41 modifications qu’il estime nécessaire d’apporter à 22 normes existantes afin d’en préciser la portée et d’en supprimer les incohérences.
Il faut cependant reconnaître que la complexité et l’instabilité des
normes IFRS – en laissant de côté l’imprécision qui est consubstantielle à ce référentiel comptable – ne font que refléter celles de la vie économique de l’entreprise qu’elle a pour objet de saisir ; de même, la sophistication croissante des instruments financiers ne pouvait raisonnablement aboutir à des dispositions aussi concises que celles du PCG.
2.– La modernisation du Plan comptable général
Si environ un millier de groupes français sont directement concernés par les normes IFRS, c’est en pratique l’ensemble des entreprises françaises qui l’est. En effet, quoique la France n’ait pas exercé l’option offerte par le règlement 1606/2002/CE d’appliquer les normes IFRS aux comptes sociaux, les autorités comptables françaises – c'est-à-dire en pratique le CNC – ont en effet décidé de rapprocher progressivement le PCG des normes IAS/IFRS. Il s’agit là d’un choix spécifiquement français, ni prévu ni interdit par le règlement 1606/2002/CE.
● Un PCG devenu inadapté
Le plan comptable général a une longue histoire. Sans remonter jusqu’à l’ordonnance sur le commerce de Colbert (1673) – qui se bornait à rendre obligatoire, pour les commerçants, la tenue d’une comptabilité – c’est le 4 avril 1946 qu’une « Commission de normalisation des comptabilités » fut chargée d’élaborer un plan comptable général, le PCG 1947 ; celui-ci, modernisé en 1957 par le nouveau Conseil national de la comptabilité et rendu obligatoire par le décret n° 65-968 du 28 octobre 1965 (46), est resté en vigueur jusqu’en 1982.
En raison de la mainmise de l’État sur le processus de normalisation (voir supra), l’orientation des normes comptables était claire dès l’origine : loin d’être un outil de gestion à la disposition de l’entreprise, la classification des comptes qu’était en réalité le PCG servait, d’une part, le besoin de la comptabilité nationale dans une France où l’économie était planifiée et, d’autre part, le besoin de l’administration fiscale d’avoir une base incontestable pour le calcul de l’impôt.
En 1982, sous la pression de l’Union européenne dont les 4ème et 7ème directives ébauchaient une harmonisation comptable européenne, l’urgence s’est fait sentir de moderniser le PCG et d’en faire un véritable instrument de gestion. C’est ainsi que le PCG de 1982 a introduit deux innovations majeures :
– d’une part, il énonce enfin les concepts et les conventions comptables de base ainsi que la définition de certaines caractéristiques qualitatives de l’information comptable, notamment « l’image fidèle » qui autorise des dérogations à une règle comptable lorsque celle-ci ne permet pas d’atteindre cet objectif ;
– d’autre part, il améliore le format du compte de résultat, désormais structuré autour d’une cascade de soldes intermédiaires de gestion ; de même, il introduit un tableau de financement qui apporte une vision dynamique de l’analyse économique fonctionnelle sous-jacente au modèle de bilan ; cependant, en contradiction avec la logique économique, la notion de patrimoine juridique devient un critère décisif du contenu des éléments du bilan.
Par ailleurs, par la transposition de la 7ème directive par la loi n° 85-11 du 3 janvier 1985 et par le décret 86-221 du 17 février 1986 ainsi que par l’insertion dans le PCG d’un chapitre spécifique aux comptes consolidés, la France a écarté toute incidence fiscale des comptes consolidés. Elle a ainsi limité l’influence de l’harmonisation comptable internationale aux seuls comptes de groupe, entraînant une déconnexion entre les comptes consolidés et les comptes sociaux, et une dualité des référentiels comptables.
Le PCG de 1999, issu du règlement CRC n° 99-03, est une réécriture à droit constant du PCG de 1982 en y incluant toutefois les avis du CNC publiés depuis 1986. Désormais présenté sous la forme d’un véritable code avec des titres, des chapitres et des sections, le PCG ne traite plus des aspects liés à la consolidation et à la comptabilité analytique. Les règles propres à la consolidation sont réunies dans le règlement particulier : le règlement CRC 99-02. Quant à la comptabilité analytique, elle a été purement et simplement supprimée du droit comptable français.
Par conséquent, depuis sa création en 1947, le PCG n’a été modifié que trois fois, si bien qu’au tournant des années 2000, il apparaissait de plus en plus inadapté à l’environnement économique des entreprises, inadaptation qui plus est soulignée par la comparaison avec des normes IFRS dont l’application dans l’Union européenne se rapprochait inéluctablement. Une modernisation du PCG était donc urgente et nécessaire, qui s’est traduite par la convergence des normes comptables françaises vers les normes IFRS.
● Les étapes de la modernisation : le bouleversement du PCG 1999
La modernisation du PCG a constitué l’essentiel du travail du CNC au tournant des années 2000 ; elle s’est réalisée selon deux modalités : d’une part, un règlement spécifique transposant une seule norme (par exemple, le règlement
2000-06 pour la norme IAS 37 Provisions, passifs éventuels et actifs éventuels) et, d’autre part, un règlement unique transposant un grand nombre de normes
(par exemple, le règlement CRC 2004-06 pour les normes IAS 2, 16, 23 et 38).
– Le règlement n° 2000-06 du 7 décembre 2000 relatif aux passifs
L’adoption de ce règlement a introduit dans le droit comptable français une définition rigoureuse et précise des éléments de passif. Alors qu’antérieurement, le PCG se bornait à les définir comme « un élément du patrimoine ayant une valeur négative pour l'entité » (ancien article 212-1 du PCG), il s’agit désormais d’« une obligation de l'entité à l'égard d'un tiers dont il est probable ou certain qu'elle provoquera une sortie de ressources au bénéfice de ce tiers, sans contrepartie au moins équivalente attendue de celui-ci » (actuel article 212-1 du PCG). Ces précisions complémentaires ont, entre autres, mis fin à l’abus, par nombre d’entreprises, des provisions pour risques et charges, dites provisions « bain de sang » passées à l'occasion d’un changement de direction et destinées à fausser l'image de l'entreprise dans un sens favorable à la nouvelle équipe.
– Le règlement n° 2002-10 sur l’amortissement et la dépréciation des actifs
L’amortissement des actifs est défini par l’article 322-1 du PCG : « un actif amortissable est un actif dont l’utilisation par l’entité est déterminable. L’utilisation pour une entité se mesure par la consommation des avantages économiques attendus de l’actif. L’utilisation d’un actif est déterminable lorsque l’usage attendu par l’entité est limité dans le temps. Cet usage est limité dès lors que l’un des critères suivants, soit à l’origine, soit en cours d’utilisation, est applicable : physique, technique, juridique... L’amortissement d’un actif est la répartition systématique de son montant amortissable en fonction de son utilisation ». De cette définition, il résulte que seuls sont amortissables les actifs dont l’utilisation est limitée dans le temps et que la durée d’amortissement est celle de leur utilisation par l’entreprise. Celle-ci est définie comme la consommation des avantages économiques attendus par l’entreprise.
Ce changement de terminologie, largement inspirée d’une vision économique de l’entreprise qui est celle des normes IFRS, est bien le signe d’une nouvelle conception de l’amortissement même si, hormis l’approche par composants (voir infra), ses conséquences sont limitées.
Quant à la dépréciation d’un actif, l’article 322-1 du PCG la définit comme « la constatation que sa valeur actuelle est devenue inférieure à sa valeur comptable ». La valeur actuelle « est la valeur la plus élevée de la valeur vénale ou de la valeur d'usage » (PCG, art. 322-1.8), la valeur d'usage étant déterminée en fonction des flux nets de trésorerie attendus.
– Le règlement n° 2004-06 sur la définition, la comptabilisation et l’évaluation des actifs
Un élément d'actif doit désormais respecter quatre conditions :
– l'élément doit être identifiable. Si ce caractère identifiable n’est pas défini pour les actifs corporels, en revanche, pour les éléments incorporels, reprenant la norme IAS 38 Immobilisations incorporelles, le nouvel article 211-3 du PCG dispose que l'exercice d'un droit opposable aux tiers (brevets, marques…) n'est désormais plus indispensable pour que l'élément soit reconnu comme un élément d'actif, dès lors que celui-ci est « susceptible d'être vendu, transféré, loué ou échangé de manière isolée ou avec un contrat, un autre actif ou passif » ;
– ensuite, l'élément doit être contrôlé. Le nouvel article 211-1 du PCG complète l'actuelle définition des actifs par la notion de contrôle reprise du conceptuel de l'IASB (principe « substance over form » – voir supra). Désormais, une entité peut inscrire à l’actif de son bilan un bien qu’elle « contrôle du fait d’événements passés et dont elle attend des avantages économiques futurs » sans pour autant en avoir nécessairement la propriété ;
– de plus, l'élément est porteur « d'avantages économiques futurs », définis par l’article 211-2 du PCG comme « potentiel qu’a cet actif de contribuer, directement ou indirectement, à des flux nets de trésorerie au bénéfice de l’entité » (47), notion déjà utilisée par l’article 322-1 du PCG pour la définition de la valeur d’usage d’un actif.
– enfin, son coût ou sa valeur doit être évalué avec une fiabilité suffisante, selon les modalités fixées par l’article 321-1 du PCG (variables selon que le bien est acquis à titre onéreux, à titre gratuit, par voie d’échange ou produit par l’entité).
b) Une convergence qui ne va pas de soi
● Une modernisation sans ligne politique
Il n’est pas dans l’intention de la mission d’information de contester l’œuvre considérable accomplie par le Conseil national de la comptabilité, dont les règlements susmentionnés ne constituent qu’une infime partie. La modernisation qu’il a insufflée au PCG, en renforçant la conceptualisation et la rigueur dans les définitions, les conditions de comptabilisation et les modalités d’évaluation des actifs et des passifs, était au contraire bienvenue après des années d’immobilisme. De plus, celle-ci a réduit les divergences entre les comptes sociaux et les comptes consolidés et simplifié la tâche des entreprises appliquant les normes IFRS. Enfin, le processus de convergence a permis d’émanciper la réglementation comptable en favorisant la substitution de règles proprement comptables à des solutions inspirées par la jurisprudence fiscale ou le droit des sociétés et parfois peu compatibles avec « l’image fidèle » de l’entreprise.
En revanche, il est regrettable que la décision de faire converger le droit comptable français vers les normes IFRS – aussi justifiée qu’elle soit – ait été l’œuvre du seul CNC et que les modalités de cette convergence aient été définies dans le secret de ses délibérations (48). En effet, par ses conséquences fiscales, sociales, économiques et juridiques, ce processus aurait mérité que ses options soient débattues et qu’une ligne directrice soit fixée par le politique ; au contraire, celui-ci s’est borné à entériner a posteriori un processus déclenché en dehors de lui. Le CNC a ainsi comblé l’absence du politique et défini une ligne directrice exclusivement comptable, l’alignant autant qu’il est possible sur les IFRS. Sans garde-fou politique, l’alignement s’est ainsi fait au « pas de charge », bouleversant en quelques années les pratiques de millions d’entreprises.
Il a fallu attendre la fin de l’année 2004 et la publication de l’ordonnance du 24 décembre 2004 précitée pour qu’enfin, il y ait une expression politique sur le processus de convergence. M. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Économie, des finances et de l’industrie, a indiqué, dans un communiqué de presse du 20 décembre 2004, que la modernisation du PCG se poursuivra « à un rythme mesuré, dans la concertation avec les professionnels et en respectant un objectif de neutralité fiscale ».
S’il faut saluer cette intervention politique dans le processus de convergence, il faut néanmoins convenir que, bien tardive, elle n’a guère connu de suites. Quelques jours plus tard, au 1er janvier 2005, les normes IFRS étaient applicables et le débat comptable, s’agissant des comptes consolidés, se déplaçait au niveau international. Quant au processus de modernisation, l’essentiel avait été fait (voir supra). Seuls des esprits chagrins remarqueront que cette intrusion du politique dans la comptabilité a justement coïncidé avec le début d’une pause dans la modernisation du PCG qui se poursuit encore aujourd’hui…
● Une modernisation partielle
Convergence ou modernisation ? Certes, la convergence du PCG vers les normes IFRS est incontestable, et le CNC n’a jamais fait mystère de sa volonté de rapprocher autant que possible les deux référentiels comptables ; mais, à supposer que l’objectif ait un jour été un alignement pur et simple du PCG sur les normes IFRS, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Un tel objectif serait d’ailleurs en contradiction avec la ligne fixée par le Gouvernement qui, dans l’ordonnance du 20 décembre 2004 précité, n’a pas autorisé l’application des normes IFRS dans les comptes sociaux. En définitive, le PCG n’a fait que puiser dans le référentiel IFRS – aux définitions et concepts bien plus élaborés – les outils nécessaires à sa modernisation, mais il a conservé ses particularismes. Les normes IFRS n’ont ainsi pas toutes été transposées dans le PCG, loin de là, et parmi celles qui l’ont été, beaucoup conservent un caractère optionnel pour les entreprises.
– Le caractère optionnel des normes IFRS reprises dans le PCG
Afin de laisser aux entreprises le choix entre la règle nouvelle issue des normes IFRS et la règle traditionnelle du PCG, le CNC a, à de nombreuses reprises, transposé la première tout en laissant subsister la seconde, ouvrant ainsi une option en contradiction avec le référentiel IFRS.
Ainsi en est-il des dépenses de grosses réparations ou grandes révisions. L’article 322-3 du PCG distingue entre les dépenses dites de 1ère catégorie pour les « éléments principaux d’immobilisations corporelles devant faire l’objet de remplacement à intervalles réguliers, ayant des utilisations différentes ou procurant des avantages économiques à l’entreprise selon un rythme différent et nécessitant l’utilisation de taux ou de modes d’amortissement propres » et les dépenses dites de 2ème catégorie pour les « dépenses faisant l’objet de programmes pluriannuels de grosses réparations ou de grandes révisions en application de lois, règlements ou de pratiques constantes de l’entreprise ». Si, pour les premières, l’amortissement par composants est obligatoire, le PCG ouvre une option pour les secondes entre celui-ci et une provision. Or, la norme IAS 36 Dépréciation d’actifs impose dans les deux cas l’amortissement par composants.
De même s’agissant des frais de développement, l’article 311-3 du PCG permet aux entreprises soit de les comptabiliser en immobilisations, s’ils remplissent les critères de définition et de comptabilisation des immobilisations incorporelles générées en interne, soit de les comptabiliser en charges, même s’ils répondent à ces critères. Si l’article 361-1 du PCG dispose que l’activation de ces frais constitue la méthode préférentielle, la norme IAS 38 l’impose.
Enfin, s’agissant des frais d’acquisition des immobilisations corporelles (frais qui, par nature, sont directement attribuables, en droit ou en fait, à l’acquisition : droits de douanes, frais de livraison, honoraires…), l’article 320-1 du PCG autorise les entreprises à les comptabiliser en charges ou dans le coût d’entrée de l’immobilisation (49) ; mais les normes IAS 16 et IAS 38 imposent de les comptabiliser dans les coûts d’entrée.
– La non-transposition d’une norme IFRS
À de nombreuses reprises, le CNC n’a pu ou voulu transposer certaines normes IFRS dans le PCG. En effet, s’il est l’organisme où s’élabore la doctrine comptable, son pouvoir est très strictement encadré, à la fois par des textes d’un niveau supérieur et par l’existence d’un contrôle a posteriori du pouvoir politique sur les avis qu’il élabore. Par conséquent, il doit tenir compte de la hiérarchie des normes et des contraintes du politique, lequel, en dépit de son peu d’intérêt pour la matière comptable, ne peut ignorer totalement les conséquences pour les entreprises de l’évolution des règles comptables.
C’est ainsi que les provisions en matière de pension de retraite sont encadrées par l’article L. 123-13 du code de commerce ; celui-ci dispose que les entreprises « peuvent » inscrire au passif, sous forme de provisions, le montant de ces engagements, ce qui fait obstacle à l’application dans les comptes sociaux de la norme IAS 19 Avantages du personnel qui impose le provisionnement de ceux-ci. En revanche, selon l’article 531-3 du PCG, le montant des engagements contractés pour pension de retraite doit figurer dans l’annexe. De même, s’agissant de l’activation des frais de développement imposée par la norme IAS 38, le caractère optionnel de celle-ci est imposé par l’article R 123-186 du code de commerce, ce même article imposant également une option s’agissant de l’activation des frais d’établissement (article 361-1 du PCG).
De même, la nouvelle définition des actifs, qui repose sur la notion de contrôle et non plus de propriété, aurait dû se traduire, conformément à la norme IAS 17 Contrats de location, par l'activation des biens loués en crédit-bail, avec de lourdes conséquences tant pour le crédit-preneur que pour le crédit-bailleur (voir infra). Par conséquent, le règlement CRC 2004-06 a exclu les contrats de crédit-bail de son champ d’application.
Il existe donc une borne à partir de laquelle les conséquences de la convergence n’étant plus soutenables, le CNC ne peut plus faire « cavalier seul » sans tenir compte des autres parties prenantes à la normalisation, plus soucieuses des conséquences de la convergence que de la cohérence entre les référentiels comptables. Le PCG actuellement en vigueur constitue donc un mélange hybride de l'approche patrimoniale et de l'approche économique, de la tradition comptable française et des solutions IFRS.
II.– AU DELÀ DES ENTREPRISES, DES CONSÉQUENCES
POUR L’ÉCONOMIE TOUT ENTIÈRE
Longtemps, la comptabilité s’est faite modeste, se présentant comme une discipline neutre, se bornant à refléter une réalité préexistante, un miroir dans lequel « l’image fidèle » de l’entreprise se reflète, pour autant que les normes comptables soient bien faites. Cependant, la comptabilité n’est pas une matière « hors sol », les règles comptables sont des règles et, en tant que telles, elles induisent des comportements. Non seulement le miroir qu’est la comptabilité est déformant – selon l’utilisateur dont elle privilégie les besoins d’information - c’est-à-dire qu’elle donne à voir une certaine réalité de l’entreprise, mais elle a, en retour, des conséquences nombreuses (économiques, sociales et managériales) sur celle-ci et, au-delà, sur l’économie toute entière.
A.– LES CONSÉQUENCES DES NORMES IFRS
1.– La comptabilité n’est pas neutre pour les entreprises
a) Des conséquences significatives sur les capitaux propres,
l’endettement et le résultat net des entreprises
● Les résultats des études de la Banque de France
De nombreuses études ont été menées afin d’analyser l’impact des normes IFRS sur les comptes des entreprises. L’étude la plus complète est celle menée à partir de la base de données de la Banque de France regroupant l’ensemble des groupes français non financiers cotés (50). L’année 2004 qui, en pratique constituait une année de transition vers les normes IFRS, offrait une opportunité historique de disposer à la fois de comptes consolidés établis en normes françaises et en normes IFRS ; l’étude (dont sont issus les tableaux infra) montre ainsi que l’impact de ces dernières sur les capitaux propres, l’endettement et le résultat net est loin d’être négligeable et les règles comptables loin d’être neutres pour l’entreprise.
S’agissant plus spécifiquement des groupes bancaires français, une autre étude très complète de la Banque de France a été réalisée afin d’analyser les conséquences pour BNP-Paribas, le Crédit agricole et la Société générale du passage aux normes IFRS (51).
– Un impact modéré sur les capitaux propres
S’agissant des groupes bancaires, l’application des IFRS entraîne une augmentation des totaux de bilan des trois établissements de crédit français étudiés (+ 12,6 % en moyenne) plus importante que l’augmentation constatée par le CECB pour les établissements de crédit européen (+ 9 %). Cette hausse s’explique essentiellement par l’inclusion des dérivés au bilan à leur « juste valeur » 2 (ils représentent 14 % des totaux de bilan en IFRS) et par la réévaluation en juste valeur de certains actifs précédemment enregistrés au coût amorti (les plus values latentes sur actifs disponibles à la vente atteignent environ 5,7 milliards d’euros au total pour les trois établissements). L’application de règles de compensation plus strictes en IFRS aux opérations de pension a aussi contribué à l’augmentation observée.
En outre, l’application des normes IFRS a entraîné, pour les trois établissements français, une augmentation des capitaux propres de 5,8 % au total, qui provient essentiellement de l’incorporation dans les réserves des plus-values latentes constatées sur le portefeuille d’actifs financiers disponibles à la vente et de la majeure partie du Fonds pour risques bancaires généraux (FRBG), ces effets étant supérieurs aux impacts négatifs sur les réserves de la première application des normes IFRS.
Outre les évolutions susmentionnées, le goodwill 1 des établissements français enregistre une forte augmentation (+ 26,7 %) qui s’explique d’une manière générale par l’inclusion dans le goodwill de certains éléments enregistrés en immobilisations incorporelles en normes françaises, qui ne satisfont pas aux conditions d’enregistrement en immobilisations incorporelles de la norme IAS 38, à l’annulation des dotations aux amortissements du goodwill comptabilisées en normes françaises et au remplacement de l’amortissement de l’écart d’acquisition par un test de dépréciation.
Enfin, au passif, la diminution des provisions pour risques et charges
(- 6,8 %) s’explique dans un sens par la réaffectation des provisions générales en dépréciation d’actif et dans l’autre par l’application des règles de provisionnement relatives aux avantages postérieurs à l’emploi (IAS 19) et aux paiements fondés sur les actions accordés au personnel (IFRS 2).
S’agissant des groupes non financiers, l’étude de la Banque de France montre une baisse globale de 2 % des capitaux propres de l’ensemble des groupes concernés, le jeu de compensation entre les groupes expliquant la faiblesse de l’impact global. En effet, sur le plan individuel, l’impact du passage aux normes IFRS est limité pour 45 % des groupes, avec un impact inférieur à 5 % en valeur absolue. À l’inverse, l’impact est assez sensible (variation supérieure à 10 % en valeur absolue) pour 36 % des groupes, avec des variations extrêmes allant de – 660 % à + 1 267 %, ainsi que le montre le graphique suivant.
RÉPARTITION DES GROUPES SELON LE NIVEAU D’IMPACT SUR LES CAPITAUX PROPRES
Plusieurs facteurs expliquent la variation des capitaux propres, ainsi que le montre le graphique ci-après :
FACTEURS DE VARIATION DES CAPITAUX PROPRES
(en milliards d’euros)
Parmi les plus importants facteurs de baisse des capitaux propres figure la comptabilisation des engagements de retraite. Optionnelle en normes françaises et obligatoire en IFRS (norme IAS 19), celle-ci touche en effet près de 20 % des groupes à hauteur de – 26,9 milliards d’euros. Cependant, comme le régime de sécurité sociale français est un régime de retraite dit « à cotisation définie » dans lequel l’entreprise est dégagée de ses obligations par le règlement de cotisations fixes, l’effet est modéré pour les entreprises dont l’activité est majoritairement située en France mais important pour les groupes ayant leur activité dans les pays anglo-saxons (dont les régimes de retraite sont dits « à prestations définies »).
Explique également la baisse des capitaux propres la comptabilisation des impôts différés sur les marques que permettent les normes IFRS, même si une cession de celles-ci n’est pas envisagée. En ce qui concerne les actions propres, lorsqu’elles sont destinées à la régularisation des cours ou à des plans de stock-options, la norme IAS 32, au contraire des normes françaises, ne les considère pas comme des actifs ; elles sont, de ce fait, toutes déduites des capitaux propres.
En sens inverse, la valorisation du résultat net dans les capitaux propres, les revalorisations d’actifs (à la « juste valeur ») et l’activation des coûts de développement (dont le PCG impose la comptabilisation en charges), compensent, pour une large part, la baisse résultant des facteurs susmentionnés.
– Un accroissement significatif de l’endettement
Lors du passage aux normes IFRS, l’endettement financier net des groupes non financiers a augmenté de 16 %, et près de 28 % des groupes ont vu leur endettement croître de plus de 20 % :
RÉPARTITION DES GROUPES SELON L’IMPACT SUR L’ENDETTEMENT FINANCIER NET
Cet accroissement résulte d’un ensemble de facteurs, ainsi que l’illustre le graphique suivant :
FACTEURS DE VARIATION DE L’ENDETTEMENT FINANCIER NET (EN MILLIARDS D’EUROS)
Parmi les premiers facteurs de hausse de l’endettement – qui concerne un quart des groupes étudiés – figure la baisse de la trésorerie active en raison de la définition restrictive de la trésorerie par la norme IAS 7 qui reclasse notamment en actifs financiers des valeurs mobilières de placement insuffisamment liquides ou présentant un certain niveau de risque. De plus, les engagements de rachat d’actions, fermes ou optionnels, doivent désormais être comptabilisés directement au bilan. A l’inverse, dans le droit comptable français, ceux-ci figurent hors bilan. Ce retraitement, s’il ne concerne que quelques grands groupes, affecte de manière significative leur endettement.
Enfin, bien que les règles de consolidation des entités ad hoc françaises aient été rapprochées des normes IFRS par la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière, la réintégration des créances titrisées, auxquelles s’ajoutent, de manière générale, la réintégration de l’ensemble des créances mobilisées sans transfert en substance du risque, a joué un rôle notable dans l’augmentation de l’endettement des groupes.
En sens inverse, le traitement comptable en normes IFRS des obligations convertibles a pu alléger l’endettement des groupes.
En effet, les normes IFRS répartissent les titres « hybrides », c'est-à-dire les instruments financiers partageant des caractéristiques de dettes et de capitaux propres, entre une composante de dette et une composante de capitaux propres. Ainsi, la catégorie « fonds non remboursables » des normes françaises disparaît au profit des dettes financières (à l’exception des obligations remboursables en actions) et les obligations convertibles comptabilisées intégralement dans les dettes en normes françaises sont, pour une petite partie, reclassées en capitaux propres. Pour les groupes ayant émis des obligations convertibles pour des montants significatifs, ce traitement aboutit à une réduction sensible de leur taux d’endettement du fait de la baisse de l’endettement d’une part et de l’augmentation des capitaux propres d’autre part.
– L’accroissement important du résultat net
Lors du passage aux normes IFRS, le résultat net des groupes non financiers français a augmenté en moyenne de 38 %. Pour 74 % des groupes, la variation du résultat net est positive. Pour 26 %, elle est peu sensible (inférieure à 5 % en valeur absolue) alors que pour 37 % d’entre eux, elle est supérieure à 20 %, ainsi que le montre le tableau suivant :
RÉPARTITION DES GROUPES SELON LE NIVEAU D’IMPACT SUR LE RÉSULTAT NET
C’est donc sur le compte de résultat que l’impact du passage aux
normes IFRS s’est fait le plus fortement sentir, impact résultant des facteurs détaillés dans le graphique suivant.
FACTEURS DE VARIATION DU RÉSULTAT NET (EN MILLIARDS D’EUROS)
La cause principale de l’augmentation du résultat des groupes, tant sur le plan global que sur le plan individuel, est la suppression de l’amortissement du goodwill (52) par la norme IFRS 3 Regroupements d’entreprises. Alors que dans le droit comptable français, le goodwill est amorti sur une durée librement choisie par le groupe, la norme IFRS 3 a substitué à l’amortissement un test de dépréciation que l’entreprise doit réaliser au moins une fois par an, voire plus fréquemment si des événements indiquent qu’une perte de valeur pourrait exister. À cette cause s’ajoutent des effets plus spécifiques à certains grands groupes qui contribuent significativement à l’impact global sur le résultat net :
– d’une part, l’effet comptable de deux grandes acquisitions sur 2004, avec la reconnaissance des coûts de développement pour l’un des groupes et la reprise immédiate en résultat de l’écart d’acquisition négatif, pour l’autre ;
– d’autre part, l’effet indirect de la remise à zéro des écarts de conversion sur les filiales étrangères, qui a pour effet de ne plus les recycler en résultat lors de la cession d’une filiale étrangère.
Enfin, les variations de « juste valeur » enregistrées directement en résultat concernent presque exclusivement les variations de valeur des immeubles de placement (53).
En sens inverse, a contribué à la diminution du résultat net la comptabilisation en charges des plans de stocks-options, mais d’une manière limitée en raison des montants relativement faibles que ceux-ci représentent dans notre pays.
S’agissant des groupes bancaires français, le passage aux normes IFRS se traduit par une volatilité potentiellement plus élevée du compte de résultat. Les produits et les charges peuvent être notamment affectés par :
– la variation de juste valeur des portefeuilles d’instruments financiers détenus à des fins de transaction, en particulier les instruments dérivés ;
– la disparition de l’amortissement obligatoire, annuel, du goodwill ; cet élément peut s’avérer important pour certains groupes bancaires ;
– l’actualisation des créances dépréciées ;
– l’affectation du FRBG et de certaines provisions de passif en réserves ;
– la comptabilisation des paiements basés sur des actions et la comptabilisation des avantages au personnel, notamment dans le cadre des régimes à prestations définies ; cet élément ne joue pas un rôle significatif pour les banques françaises qui avaient déjà provisionné leurs engagements futurs de retraite ;
– le retraitement du « day one profit » (54) sur les activités de marché, qui n’est pas reconnu en normes IFRS.
BNP-Paribas et le Crédit agricole ont donné des indications chiffrées sur les effets sur le résultat net 2004 des normes IAS 32, 39 et IFRS 4, dont l’application n’était obligatoire qu’à compter du 1er janvier 2005. En revanche, la Société générale a présenté uniquement l’impact des normes applicables en 2004. L’impact sur le résultat net est positif, dans des proportions variables — mais dans l’ensemble modérées — de 0,5 %, 5,4 % et 13,8 % selon les cas. Cette variation provient essentiellement de l’arrêt de l’amortissement des écarts d’acquisition, comme le montre le tableau suivant :
● Exemples d’impacts comptables de la transition aux normes IFRS
Conformément à la tradition comptable française, qui lui accorde une large place, les entreprises françaises ont fait preuve de « prudence » dans la préparation de leurs comptes consolidés 2005. L’observation des choix comptables opérés lors de la transition vers les normes IFRS révèle en effet une remarquable stabilité des pratiques, les groupes ont majoritairement choisi les options les plus proches des pratiques antérieures.
Il n’en reste pas moins que l’effet du passage aux normes IFRS a parfois été considérable. Afin de mieux saisir celui-ci, la mission d’information a choisi d’analyser plus précisément le cas de trois entreprises : une entreprise industrielle, une entreprise publique et une institution financière.
– Le groupe Michelin : un exemple caractéristique
Le 20 janvier 2005, la société Michelin a présenté aux analystes les principaux effets du passage aux normes IFRS sur les comptes du groupe. En termes d’évaluation, trois normes ont eu un impact significatif :
– l’impact de la norme IFRS 1 pour le traitement des différences actuarielles sur les avantages du personnel couverts par la norme IAS 19. La norme IFRS 1 offre une option de « mise à zéro » (« fresh start ») des différences actuarielles en matière d’avantages du personnel. L’évaluation actuarielle annuelle des avantages du personnel repose sur des hypothèses en matière d’inflation, de hausse des salaires, de rendement des actifs ou de taux utilisés pour actualiser les obligations, hypothèses qui évoluent d’une année à l’autre, et sur les écarts constatés entre ces hypothèses et la réalité. Dans le cadre du passage aux normes IFRS, en application de l’option offerte par la norme IFRS1, Michelin a choisi d’imputer les différences actuarielles non encore reconnues dans le bilan au 31 décembre 2003 sur les capitaux propres d’ouverture IFRS au 1er janvier 2004, ce qui s’est traduit par une diminution de ceux-ci de 1,2 milliard d’euros nets d’impôts différés ;
– en matière de contrat de crédit-bail, Michelin applique la norme IAS 17 Contrats de location depuis son entrée en vigueur le 1er janvier 1999. Ceux-ci sont, depuis cette date, comptabilisés au bilan sous forme d’actifs immobilisés et de dettes financières. L’application de la norme IFRS 1 Première application des IFRS a conduit Michelin à réexaminer les contrats signés antérieurement à cette date et à en retraiter certains. Ce retraitement a entraîné une hausse de l’actif de 129 millions d’euros et de la dette de 199 millions d’euros, et par voie de conséquence une diminution des engagements hors bilan. Cette réintégration a été sans effet sur le résultat net ;
– le montant de la perte de valeur des actifs, résultant de l’application de la norme IAS 36, est, net d’impôts différés, de 108 millions d’euros, représentant moins de 2 % du total des actifs immobilisés du groupe. Ce montant a réduit les capitaux propres d’ouverture IFRS de Michelin au 1er janvier 2004.
Au total, les capitaux propres sont passés de 4,677 milliards d’euros en normes françaises à 3,546 milliards d’euros en normes IFRS, portant logiquement l’endettement net à 93 % des capitaux propres (contre 69 % précédemment) et le résultat net de 527 millions d’euros en normes françaises à 654 millions d’euros en normes IFRS.
Enfin, l’application de la norme IAS 1 Présentation des états financiers sur la présentation du bilan et du compte de résultat a entraîné la disparition des notions de résultat d’exploitation et de résultat exceptionnel. Si ceci n’est toutefois pas spécifique au groupe Michelin, ce dernier, dans un souci de clarté de lecture de ses comptes et en conformité avec les recommandations du CNC, a fait le choix d’isoler les éléments non-récurrents significatifs au sein de son résultat opérationnel. La partie non-récurrente pérenne sera matérialisée par un sous-total « résultat opérationnel avant éléments non récurrents ».
– EDF/GDF : le cas des engagements de retraite
Dès lors qu’une entreprise publique introduit une partie de son capital en bourse, elle a l’obligation, à l’instar de ses concurrentes privées, d’établir ses comptes consolidés en normes IFRS. Or les entreprises publiques, en particulier les anciens monopoles que sont EDF et GDF ont mis en place, pour des raisons historiques et politiques, des régimes spéciaux de retraite particulièrement favorables à leurs salariés. Dans le référentiel IFRS et en application de la norme IAS 19, le montant de ces engagements doit être provisionné au passif du bilan. Mais dans ce cas, les calculs entrepris par les entreprises susmentionnées dans la perspective de l’ouverture de leur capital ont montré que leurs capitaux propres deviendraient négatifs, en particulier ceux d’EDF dont les engagements de retraite représentaient en 2003 trois fois le montant de ses fonds propres.
La loi relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières (n° 2004-803 du 9 août 2004) a permis de régler ce problème. Comme l’a écrit le Rapporteur du projet de loi à l’Assemblée nationale, M. Jean-Claude Lenoir, « la norme IAS 19 impose aux entreprises de provisionner dans leurs comptes l'intégralité de leurs engagements de retraites. Pour EDF et GDF, cette règle imposerait la constitution de provisions d'un montant total dépassant les 70 milliards d'euros. Les deux entreprises se trouveraient mécaniquement en situation de faillite comptable et deviendraient en conséquence incapables de se financer et même simplement de se refinancer sur les marchés. Afin d'éviter que cette situation se produise, [le projet de loi] organise le financement des droits spécifiques passés correspondant aux activités régulées que sont le transport et la distribution par une contribution tarifaire pesant sur l'acheminement de l'énergie, réforme totalement neutre pour les consommateurs mais permettant de déconsolider du bilan des entreprises les engagements correspondants ». En effet, la contribution – dont le rendement est d’environ 450 millions d’euros par an – présente l’avantage considérable d’éviter la comptabilisation des charges qu’elle couvre (qui, normalement, auraient nécessité la constitution de provisions).
C’est ainsi que dans le bilan d’ouverture de l’exercice 2004 d’EDF, les provisions pour avantages du personnel s’élèvent à 2,072 milliards d’euros en normes françaises mais à 60,021 milliards d’euros en normes IFRS, les capitaux propres devenant très largement négatifs (- 58,0557 milliards d’euros). Comme l’écrit EDF dans son rapport annuel pour l’exercice 2005, « la réforme du financement du régime spécial de retraite a pour effet de reprendre les provisions constituées à l’ouverture pour un montant de 49 755 millions d’euros » si bien qu’au 31 décembre 2004, les provisions pour retraites ne s’élevaient plus qu’à 9,007 milliards d’euros, ouvrant ainsi la voie à l’ouverture du capital d’EDF.
– La société d’assurances AXA : l’impact de la « juste valeur »
La transition vers les normes IFRS a été lancée, pour le groupe AXA, en janvier 2003. Le 21 juin 2005, il présentait ses comptes consolidés 2004 en normes IFRS, complétés par une annexe récapitulant les effets de celles-ci sur le bilan et le résultat du groupe au titre de l’exercice 2004.
S’agissant du bilan, les capitaux propres (part du groupe) au 31 décembre 2004 ont augmenté de 9 %, passant de 26,2 milliards d’euros en normes françaises à 28,5 milliards d’euros en normes IFRS et le total du bilan de 4,9 %, passant de 481 à 504,5 milliards d’euros en raison, notamment, de l’évaluation des actifs investis (hors immobilier et prêts) en « juste valeur » et de l’extension du périmètre de consolidation. En revanche, la comptabilisation du déficit antérieur et des gains ou pertes actuariels des exercices en cours au titre des avantages du personnel a diminué les capitaux propres de 2,2 milliards d’euros.
Le résultat net d’AXA a enregistré une augmentation considérable, passant de 2,519 milliards d’euros à 3,738 milliards d’euros (soit une hausse de plus de 48 %) en raison de la suppression de l’amortissement du goodwill (+ 607 millions d’euros) et des gains sur les actifs financiers évalués en « juste valeur » et les produits dérivés (+ 427 millions d’euros).
b) Les conséquences en termes de gestion des entreprises
● La nouvelle importance de la fonction comptable
Les normes comptables sont des normes et, à ce titre, et contrairement à une vision traditionnelle qui ne voit en elles qu’un simple miroir reflétant la réalité économique de l’entreprise, elles influencent directement la gestion et les décisions de celles-ci.
Du point de vue organisationnel, le passage aux normes IFRS a incité les entreprises à repenser totalement leurs systèmes d’information dans le sens d’une unification entre le reporting interne et externe et entre la comptabilité du groupe et celle des filiales, les spécificités locales faisant l’objet d’un retraitement. Seuls 6 % des grands groupes, d’après une étude du MEDEF, contre 23 % des moyens ou petits, gardent des systèmes de reporting interne et externe totalement séparés. De plus, les normes IFRS ont entraîné un décloisonnement entre les services juridiques et comptables. Le principe « substance over form » a en effet rendu la traduction comptable des opérations plus délicates, obligeant les comptables à avoir une vision précise de l’économie réelle des contrats. De même, les juristes ne peuvent être pertinents dans la description des droits et obligations qu'ils font dans des contrats que s'ils connaissent les critères comptables qui permettent de déterminer les règles de comptabilisation applicables.
De plus, en raison de leur caractère « principles-based », les normes IFRS font appel au jugement des préparateurs de comptes, c'est-à-dire des dirigeants. En effet, dès lors qu’elles ne fournissent qu’un cadre au sein duquel plusieurs interprétations sont possibles, il appartient à ceux-ci de choisir celle qu’ils jugent la plus appropriée. Les décisions comptables deviennent des décisions de gestion.
Certes, les entreprises françaises n’ont pas attendu les normes IFRS pour tenir compte des impacts comptables de leurs décisions de gestion, ne serait-ce qu’en raison de la connexion très forte entre la comptabilité et la fiscalité dans notre pays. De fait, les impacts comptables n’étaient pas analysés en tant que tels, mais avec, dans la ligne de mire, leurs conséquences fiscales. Avec les normes IFRS, ce sont les normes comptables elles mêmes qui influencent les décisions de gestion des entreprises. Ainsi, selon l’étude du MEDEF précitée, 36 % des groupes, estiment que les IFRS ont conduit à une plus grande prise en compte des incidences comptables dans les choix stratégiques. C’est notamment le cas en matière de regroupement d’entreprises. La norme IFRS 3 ayant substitué à l’amortissement du goodwill une dépréciation de celui-ci comptabilisée en résultat, peut-être une entreprise renoncera-t-elle à une acquisition si l’impact potentiel de celle-ci sur son résultat est négatif. De même l’évaluation à la « juste valeur » complique-t-elle les fusions, comme récemment, celle des Caisses d’épargne et de la Banque Populaire, la volatilité des marchés financiers entraînant celle de leurs apports respectifs.
En outre, l’amélioration du reporting interne et l’accroissement des informations à destination du conseil d’administration est également de nature à renforcer la position du conseil d’administration face aux dirigeants.
S’agissant des avantages consentis au personnel, la norme IAS 19 contraint les entreprises à évaluer et comptabiliser l’ensemble des avantages, quelle que soit leur forme, octroyés à leurs salariés. Par exemple, le groupe La Poste qui, en raison de son appel public à l’épargne via des instruments de dette, est contraint d’appliquer les normes IFRS depuis le 1er janvier 2007, a dû évaluer l’ensemble des avantages qu’il consent tant à ses salariés qu’à ses retraités, (depuis l’accès à vie à la cantine jusqu’aux centres des vacances) en incluant des calculs actuariels comme l’espérance de vie et le taux de fréquentation. Les entreprises seront-elles à l’avenir aussi généreuses dès lors que ces avantages ont pour elles un coût aussi clairement identifié et qu’ils viennent diminuer le résultat comptable à partir duquel leur performance est évaluée par les investisseurs ?
Quant à la norme IFRS 2, elle impose que les stocks-options soient comptabilisées en charges ; bien qu’une telle règle soit contestable (les stock-options ne se traduisent par aucun décaissement lors de leur attribution), leur coût devient ainsi visible ; les rémunérations aberrantes qui ont pu être consenties à certains patrons l’auraient-elles été si l’ensemble des actionnaires et des salariés en avaient été informés par la lecture du rapport annuel ? D’après une étude du cabinet d’audit Deloitte auprès de 165 entreprises américaines – qui, en application des US GAAP, doivent elles aussi comptabiliser en charges les stock-options : 46 % d’entre elles avaient, en 2004, prévu de réduire la place des stock-options dans leur stratégie de rémunération. Le cas des groupes européens sera probablement le même, la norme IFRS 2 étant la copie de la norme américaine (55).
Ces quelques exemples, qui sont loin d’épuiser la longue liste des opérations affectées par les nouvelles normes IFRS, donnent la mesure des conséquences positives et négatives que celles-ci peuvent avoir sur la gestion des entreprises. Cependant, d’une manière générale et au-delà du choix de telle ou telle décision de gestion, c’est le management global des entreprises que les normes IFRS ont profondément modifié.
● Une gestion plus court-termiste des entreprises
De l’avis général, la « fair value », qui est littéralement traduite – y compris dans le présent rapport – par « juste valeur », devrait plutôt se dénommer « instant value » ou « valeur instantanée » (56). En effet, définie comme « le montant pour lequel un actif pourrait être échangé, ou un passif éteint, entre parties bien informées, consentantes, et agissant dans des conditions de concurrence normale », la « juste valeur » est celle calculée à un instant t, aussi éloignée du coût d’acquisition de l’actif que de sa valeur future. De fait, elle évolue sans cesse et même, pour les instruments financiers, quotidiennement, au rythme des soubresauts des marchés.
Or, en normes IFRS, le résultat d’une entreprise résulte autant de la variation de la valeur des instruments financiers qu’elle détient que des performances de son activité ordinaire. En outre, des investisseurs qui détiennent des titres de l’entreprise doivent eux aussi les évaluer à leur « juste valeur », ce qui entraîne inévitablement une préférence pour celles qui privilégient une rentabilité immédiate, propre à soutenir le cours des titres. Les investisseurs vont donc faire pression sur les dirigeants pour qu’ils maximisent la rentabilité à court terme de leur entreprise. Ils sont d’autant plus enclins à leur céder que le montant de leur rémunération est largement corrélé avec l’évolution du cours de leur entreprise via les stock-options. L’intérêt des dirigeants rejoint donc, sur ce point, celui des investisseurs.
Mais comment accroître rapidement le résultat d’une entreprise autrement qu’en réduisant ses charges, c'est-à-dire l’emploi et l’investissement ? Les exemples sont nombreux d’entreprises dont le cours de l’action s’envole après l’annonce d’un plan social. Au contraire, une stratégie de développement à long terme qui est dans l’intérêt de l’entreprise et de ses salariés, pourrait rebuter les investisseurs et les conduire à la sanctionner par un ajustement brutal de sa valeur.
Parce qu’elle sous-évalue la combinaison de ressources humaines et matérielles, d’expériences et de perspectives d’une entreprise au profit d’une rentabilité immédiate, la mission d’information estime que la « juste valeur » peut entraîner une gestion plus court-termiste des entreprises.
Cependant, les normes IFRS ne sont pas les seules à blâmer. C’est le fonctionnement du système financier international lui-même, dans son ensemble, qui conduit à une gestion court-termiste des entreprises, avec des exigences de retour sur investissement difficilement soutenables, des investisseurs qui se considèrent comme des créanciers de court terme et non des partenaires à long terme des entreprises et des dirigeants dont les avantages (stock-options, « retraites chapeau » et autres « parachutes dorés ») reposent de moins en moins sur le développement de leur entreprise et le devenir de ses salariés.
2.– Le rôle des normes comptables dans la crise financière
● Les quatre actes de la crise
Depuis août 2007 s’est déclenché ce qu’on compare désormais à un « tsunami financier » (Jacques Attali) ou à « la plus grave crise économique depuis 1929 » (Alan Greenspan). Les unes après les autres, des banques d’affaires prestigieuses, des compagnies d’assurances centenaires, de grands noms de la banque commerciale, aux États-Unis comme en Europe, accumulent des pertes considérables aboutissant à un rachat – souvent à vil prix – par un concurrent (Merril Lynch, Bear Stearn…), à une nationalisation (Northern Rock, Fortis…), ou, pour les moins chanceuses, à la faillite (Lehman Brothers…).
Il serait bien audacieux de ne voir là qu’un processus de « destruction créatrice », selon les termes de Schumpeter, au vu des conséquences brutales et dramatiques sur l’économie réelle, celle de la production et de la consommation, de l’emploi et de l’investissement, des pays du monde entier, à commencer par les pays les plus développés (États-Unis et Europe).
Le mécanisme de la crise est désormais bien connu, et nombreux sont les travaux économiques qui en dévoilent le « scénario ». La crise trouve sa source au début des années 2000 aux États-Unis lorsque, pour lutter contre la récession générée par l’éclatement de la bulle Internet puis les attentats du 11 septembre 2001, les taux d’intérêt américains ont été ramenés à des niveaux historiquement bas (1 % - soit des taux réels négatifs), générant une abondance de liquidités et des primes de risque très faibles. Une bulle du crédit s’est donc formée qui s’est traduite, aidée par la concurrence entre des prêteurs parfois avides et peu scrupuleux, par une distribution souvent agressive de prêts immobiliers à taux variable aux ménages américains, en particulier les plus modestes (prêts « subprimes »). Octroyés sur la valeur estimée des biens et non sur la capacité de remboursement, nombre de ménages sont ainsi devenus « propriétaires » sans en avoir les moyens ; mais qu’importe, les prix de l’immobilier américain semblaient devoir grimper sans limite. Tel est le premier acte de la crise.
Le deuxième acte de la crise a pour nom « titrisation ». Afin de poursuivre plus encore leur activité de prêts hypothécaires que les normes prudentielles (dites de « Bâle II ») bridaient par leurs exigences d’un ratio de fonds propres, les institutions financières ont cédé des portefeuilles de prêts à des investisseurs spécialisés qui les transformaient par des techniques de titrisation en produits structurés de crédit et les cédaient ensuite sur le marché. Certains des prêts immobiliers qui étaient identifiés comme plus risqués que les autres (subprimes) se sont ainsi retrouvés mélangés à d’autres prêts, noyés dans des produits « exotiques » bien notés par les agences de notation et achetés par les investisseurs du monde entier.
Entre 2000 et 2007, porté par une hausse continue des prix de l’immobilier américain et un laxisme grandissant dans les conditions d’octroi des prêts, le marché des produits structurés de crédit a connu un développement spectaculaire, passant de 640 à plus de 2 000 milliards de dollars. Sur ce total, la part des crédits subprimes est elle-même passée durant la même période de 8 % à plus de 20 %.
Le troisième acte de la crise intervient à la fin de l’année 2005, lorsque la FED, la banque centrale américaine, a commencé à relever fortement ses taux d’intérêt. Les ménages américains les plus fragiles ne furent alors plus en mesure d’assumer la charge de leur emprunt dont le taux était variable. Le taux de défaut de paiement sur les prêts hypothécaires des ménages, qui atteignait à peine 4 % en 2005 a alors considérablement augmenté pour atteindre 10 % en septembre 2007 puis 20 % à la fin de cette même année.
L’effondrement de la valeur des prêts subprimes et des titres adossés aux prêts hypothécaires dans leur ensemble – comme une pomme pourrie dans un panier contamine tous les fruits – a obligé les institutions financières qui les détenaient – banques, compagnies d’assurances, FCP, aux États-Unis mais également dans le monde entier, car le monde entier avait acheté ces produits – à inscrire dans leurs comptes des dépréciations considérables et à afficher des pertes dont le montant cumulé, en janvier 2009, atteignait 1 200 milliards de dollars (soit 925 milliards d’euros). Le FMI a même pronostiqué qu’elles atteindraient un total de 2 200 milliards de dollars…
Le quatrième acte de la crise est, bien sûr, sa transmission à l’économie réelle, par le biais des faillites d’institutions financières, du resserrement du crédit et de la paralysie du marché interbancaire.
● Le caractère procyclique des normes comptables combinées aux normes prudentielles
Les normes comptables interviennent au troisième acte de la crise, lorsqu’elles ont contraint les institutions financières à afficher des pertes considérables sur leur portefeuille d’instruments financiers, pertes qui, pour certaines, les ont menées à la faillite.
En effet, tant la norme IAS 39, applicable dans l’Union européenne, que la norme FAS 157, applicable aux États-Unis, imposent que les actifs et passifs négociables soient évalués à leur « juste valeur », c'est-à-dire à leur valeur telle qu’elle est fixée par le marché.
Il est légitime de considérer que l’introduction de la « juste valeur » dans l’évaluation des actifs et des passifs constitue un indéniable progrès par rapport à l’évaluation traditionnelle au coût historique ; cette dernière figeait en effet dans le bilan des entreprises une valeur parfois très éloignée de leur valeur réelle. La « juste valeur » améliore donc l’information des investisseurs qui disposent ainsi, trimestre après trimestre, d’une évaluation fine de leurs plus ou moins-values potentielles, ainsi que du profil de risque des entreprises concernées, permettant ainsi une meilleure allocation des investissements.
La contrepartie, c’est cependant une forte volatilité de la valeur des actifs et des passifs. Parce que celle-ci est fixée par des marchés financiers qui peuvent connaître aléas, passions médiatiques ou « bulles », le résultat et le bilan des entreprises – et en particulier celui des institutions financières qui sont gorgées d’instruments financiers – découlent plus de la bonne ou mauvaise orientation de ceux-ci que des résultats de la gestion ordinaire de leur activité. Lorsque les marchés sont à la hausse, le résultat augmente mécaniquement ; à l’inverse, lorsque les marchés sont à la baisse, le résultat se réduit dans les mêmes proportions, quelles que soient les décisions de gestion des dirigeants ou la performance de l’activité ordinaire. Ces normes comptables aboutissent à déconnecter les résultats et la valeur de l’entreprise de son activité propre.
Ce qui est déjà un problème en soi peut devenir encore plus grave lorsque les marchés ne fonctionnent plus correctement, comme actuellement. En effet, la « juste valeur » repose, dans sa définition même, sur un postulat : « La juste valeur est le montant pour lequel un actif pourrait être échangé, ou un passif éteint, entre parties bien informées, consentantes, et agissant dans des conditions de concurrence normale ». En d’autres termes, l’application de la « juste valeur » suppose un marché fonctionnant dans des conditions normales, c'est-à-dire suffisamment liquide pour fixer un prix à l’actif ou au passif concerné.
Or, l’une des caractéristiques de la crise actuelle est la contraction du marché des produits structurés de crédit et de la titrisation en général. Revenus à la raison et conscients de l’effondrement du sous-jacent de ces produits dérivés (l’immobilier américain), les investisseurs refusent désormais d’acheter ces produits. Leur valeur de marché est donc théoriquement nulle, obligeant ainsi leurs détenteurs, en application des normes comptables, à les déprécier massivement dans leur bilan. Or, la valeur ne peut être nulle, et l’immobilier américain ne vaudra jamais zéro. La valeur reflétée par les marchés n’est plus la valeur réelle, même amoindrie, mais reflète simplement le volume de liquidé dont disposent les acheteurs, ce qui est le propre des marchés imparfaits. Les normes IFRS n’avaient simplement pas anticipé les effets de la liquidité sur la valeur des instruments financiers, postulant le fonctionnement parfait des marchés.
Cependant, les normes IFRS comme les normes américaines US GAAP, ont prévu le cas où la « juste valeur » ne peut être fixée, en l’absence de valeur de marché. Dans ces conditions, elle est déterminée grâce à des modèles mathématiques de valorisation qui recréent, théoriquement, le prix auquel aurait abouti une opération équilibrée dans un marché liquide. Mais ces modèles étaient à l’origine conçus pour des actifs pour lesquels n’existaient pas de marchés organisés, et non pour les cas où le marché existant ne fonctionnait pas.
Ce « mark to model », par opposition au « mark to market », est depuis août 2007 largement utilisé par les institutions financières pour leurs produits structurés de crédit, du moins par celles qui avaient anticipé le problème et affecté des ressources suffisantes au développement de ces modèles mathématiques complexes.
Mais le problème n’est pas pour autant résolu. Non seulement la « juste valeur » ainsi établie par la modélisation mathématique des conditions de marché des produits structurés de crédits n’a pas empêché leur dépréciation massive dans le bilan des banques mais elle a aussi jeté la suspicion sur les montants de dépréciation ainsi annoncés. En effet, personne ne sait, en dehors des directions financières des établissements concernés, quelles hypothèses ont été utilisées pour créer ces modèles. L’asymétrie d’information ainsi créée entre les banques et les investisseurs a renforcé la méfiance de ces derniers ainsi que celle des banques entre elles.
Par conséquent, les banques, déjà échaudées, ont commencé à se méfier les unes des autres parce qu’aucune n’était en mesure, malgré la publication des comptes trimestriels de leurs contreparties, de savoir si leur bilan comportait une juste évaluation des risques et des dépréciations. La paralysie du marché interbancaire que nous vivons actuellement découle sans aucun doute de ce phénomène qui repose en partie sur les normes comptables.
La « juste valeur », que celle-ci découle du « mark to market » ou du « mark to model », a donc contraint les institutions financières à déprécier massivement la valeur de leurs produits structurés de crédit mais également celle de l’ensemble de leur portefeuille de titres négociables, à mesure que les marchés boursiers se retournaient. Mais les conséquences de ces dépréciations n’auraient pas été aussi graves sans l’intervention des normes prudentielles. En effet, si les règles comptables et les règles prudentielles, ne sont pas, en elles-mêmes et individuellement, procycliques, en revanche, prises ensemble, leur combinaison semble avoir aggravé la crise financière.
Les règles prudentielles dites de « Bâle II » définissent le montant de fonds propres que les banques doivent conserver en fonction des risques de leurs activités. Plus une banque a des activités risquées ou détient des titres qualifiés de « risqués » par les agences de notation et plus elle doit maintenir un ratio de fonds propres élevé. Ces règles apparaissent de bon sens et constituent une amélioration dont il faut se féliciter par rapport aux règles de Bâle I, qui se contentaient d’exiger des fonds propres équivalents à 8 % du montant des engagements des banques, que ceux-ci soient risqués ou non. Il appartient aux autorités de tutelle des banques (en France, la Commission bancaire) de veiller à ce que celles-ci respectent les ratios exigés par leur profil de risque.
Seulement, la combinaison de ces règles prudentielles avec les règles comptables a des effets redoutables, tant d’ailleurs en période d’expansion qu’en période de récession. En période d’expansion, des bulles du prix des actifs peuvent se former à la faveur d’un excès de liquidité sur le marché – ce qui s’est passé depuis 2001 avec des taux d’intérêt réels négatifs. Le prix des actifs détenus dans leur bilan augmentant régulièrement – et donc leurs fonds propres – les banques peuvent tout à la fois respecter les normes prudentielles et accroître le montant de leurs prêts aux investisseurs et leurs propres investissements qui, via l’effet de levier, entraîne une nouvelle hausse du prix des actifs et ainsi de suite…
Mais ce mécanisme procyclique fonctionne également en sens inverse, comme c’est le cas actuellement. Dès lors que le prix des actifs évalué en « juste valeur » s’effondre, les dépréciations que les banques sont obligées d’inscrire dans leurs comptes réduisent leurs fonds propres. Parallèlement, comme les agences de notation ont, enfin, considérablement abaissé la note des produits structurés que les banques détiennent dans leur bilan – désormais classés parmi les actifs « risqués » – leur besoin de fonds propres s’accroît encore afin de simplement respecter les normes prudentielles. Les banques sont donc contraintes de trouver très rapidement de l’argent frais.
Or, après avoir sollicité leurs actionnaires et les fonds souverains, voire les États, elles sont désormais contraintes de vendre des actifs afin de restaurer le niveau de fonds propres exigé par les normes prudentielles ; or ces ventes interviennent alors que les marchés sont déprimés, le crédit disparu et les acheteurs rares, et donc à un prix bradé qui déprime plus encore les cours. Par exemple, en juillet 2008, la banque d’investissement Merril Lynch s’est délestée d’un portefeuille de 30 milliards de dollars d’actifs « toxiques » pour 22 % de leur valeur.
Mais il y a pire ! Ce prix bradé auquel sont vendues telles ou telles catégories d’actifs – pas forcément « toxiques » d’ailleurs – devient leur « juste valeur » en application des normes comptables et les banques et institutions financières qui en détiennent également sont obligées de passer de nouvelles dépréciations qui réduisent leurs fonds propres et donc de vendre à leur tour des actifs pour respecter les normes prudentielles. Le cycle de dépréciations s’entretient donc de lui-même.
Enfin, les fonds propres des banques étant réduits, leur capacité à prêter se trouve d’autant plus amoindrie, et la crise se transmet à l’économie réelle par le biais du crédit crunch.
L’impact de la dépréciation du goodwill
Les écarts d’acquisition – goodwill – représentent la différence positive entre le prix d’acquisition de titres de sociétés consolidées et la part du groupe dans la juste valeur de leurs actifs nets à la date de la prise de participation. En effet, lorsqu’une entreprise en rachète une autre, toute la valeur de celle-ci n’est pas dans son bilan. Il s'agit des avantages immatériels que procure sa prise de contrôle : disparition d'un concurrent, acquisition d'un savoir faire technologique…
Le goodwill, qui est une immobilisation incorporelle, fait l’objet d’un amortissement sur vingt ans selon les normes comptables françaises. En revanche, en application de la norme IFRS 3 Regroupements d’entreprises, l’entreprise qui en a acheté une autre doit, annuellement, faire un « test de dépréciation » (ou « impairment test ») de son goodwill à partir de l’actualisation des flux de trésorerie futurs attendus de celui-ci, afin de réactualiser le montant de l’écart d’acquisition. Si le test de dépréciation montre une perte de valeur du goodwill, celle-ci doit être enregistrée dans le bilan et provisionnée pour l’établissement du résultat.
Or, il va sans dire que les dernières années ont été très riches en fusions et acquisitions, lesquelles se sont toutes traduites par l’activation de goodwills pour des montants considérables. Ainsi, selon La Tribune du 22 janvier 2009, en 2007, le montant total des écarts d’acquisition s’élevait à 345 milliards d’euros dans le bilan des sociétés du SBF 120, soit plus de la moitié de leur actif net de l’époque. En outre, 18 groupes, hors banques et assurances, affichent des écarts d’acquisition d’une à près de quatre fois leur actif net. Cependant, le risque est moins fonction du montant de ceux-ci que du secteur d’activité dans lequel les entreprises opèrent, ainsi, celles du secteur minier, qui conjuguent effondrement des cours des matières premières et fusions nombreuses (1 732 en 2007 selon PriceWaterhouseCoopers) pour un montant considérable (160 milliards de dollars en 2007, dont 44 pour la fusion entre RioTinto et Alcan, laquelle s’est traduite par un goodwill de 14,6 milliards de dollars), semblent particulièrement vulnérables. Si les entreprises déprécient massivement leur goodwill, l’impact sur les résultats sera considérable, même si elles disposent d’une marge de manœuvre pour estimer les flux futurs de trésorerie et, ainsi, limiter les dépréciations.
Cependant, il ne faut pas exagérer la responsabilité des nouvelles normes comptables dans la dépréciation du goodwill. Celles-ci ne font qu’enregistrer une perte de valeur résultant d’un test de dépréciation. Elles ne sont pas à l’origine de celle-ci. En outre, si, en application des normes comptables françaises, les entreprises amortissent le goodwill, en cas d’indice d’une dépréciation supérieure à celle de l’amortissement, elles doivent néanmoins pratiquer un amortissement exceptionnel qui impacte également leur résultat.
Il résulte de ces considérations deux conclusions ;
– premièrement, les normes comptables seules ne sont pas à l’origine de la crise financière. Elles n’interviennent, dans notre « scénario », qu’au troisième acte et n’ont fait qu’enregistrer dans le résultat et le bilan des institutions financières, via des dépréciations, l’effondrement de la valeur des produits structurés de crédit puis des autres instruments financiers. Elles ne sauraient donc être le bouc émissaire des organismes de crédit qui ont surendetté des millions d’américains modestes, désormais à la rue, des manipulations des départements de titrisation des banques d’affaires, qui ont camouflé les subprimes dans des produits extraordinairement complexes, de la légèreté des agences de notation qui ont donné la note maximale AAA à ces produits et des banques qui les ont achetés sans les comprendre, et de l’insuffisance des dispositifs de régulation financière ;
– deuxièmement, les normes comptables, combinées aux normes prudentielles, ont incontestablement eu un effet procyclique qui a aggravé la crise en incitant les institutions financières à se débarrasser « à tout prix » de leurs actifs, même les plus sains, alors même que les marchés financiers sont fragilisés.
Proposition n° 2 : Renforcer les liens entre les instances de normalisation prudentielles (comme le comité de Bâle), les autorités de régulation bancaire et le normalisateur comptable international, notamment via une présence de celles-ci au sein du futur « conseil de surveillance » de l’IASC.
b) Les conséquences de la crise financière sur les normes comptables
● La tentation d’un retour en arrière
L’une des pires décisions qui pourraient être prises, dans le contexte de crise actuel, serait de remettre en cause l’application du référentiel IFRS dans l’Union européenne. En effet, ce ne sont pas tant les normes IFRS elles-mêmes qu’une seule norme, la norme IAS 39, dont la procyclicité peut être mise en accusation. Les autres normes IFRS, de l’avis général des personnes auditionnées par la mission d’information, ne sont certes pas parfaites mais ont amélioré la transparence, la sincérité et l’image fidèle des comptes ; elles ont conforté l’information financière des investisseurs dans un contexte post-Enron où la comptabilité avait (déjà !) été mise en accusation. Il est facile d’imaginer l’impact qu’aurait sur les investisseurs la remise en cause par l’Union européenne des normes IFRS.
En outre, par quoi les remplacer ? L’Europe n’a pas de normalisateur comptable. Reviendrait-on aux 27 référentiels comptables nationaux dont le nombre, les incohérences et l’archaïsme ont largement pesé dans la décision de l’Union européenne de rendre applicables, faute de mieux, les normes IFRS ? Personne, aujourd’hui, à la Commission, parmi les Gouvernements des États-membres ou les représentants du monde économique, ne propose de revenir sur l’application en Europe des normes IFRS.
Certains soutiennent qu’il faudrait revenir sur l’évaluation des actifs et des passifs à la « juste valeur », le temps que l’orage se passe. Mais est-on sûr des conséquences d’une telle décision ? Si un titre est inscrit dans les comptes d’une banque, par exemple à sa valeur historique, pour 100, mais que le marché lui donne une valeur de 10, certes la banque n’inscrirait pas de dépréciation dans ses comptes. Mais les conséquences seraient bien pires ! La confiance des investisseurs, de ses actionnaires comme celle de ses clients serait ébranlée ! Qui investirait ou déposerait son argent dans une banque dont le bilan ne refléterait pas la « juste valeur » de ses actifs qui, in fine, garantissent, en cas de faillite, le remboursement de leurs créances ou de leurs dépôts ?
Adapter les modalités de calcul de la « juste valeur » ne serait-il pas la solution ? Ce ne sont pas les idées qui manquent. Mais toutes présentent des inconvénients. Lisser les valeurs de marché sur six ou douze mois ? Avec des indices de crédit déprimés depuis plus d'un an, la mesure aurait été inefficace. Abandonner immédiatement, en cas de crise, la valeur de marché (« mark-to-market ») au profit d'une estimation interne aux entreprises (« mark-to-model ») s'appuyant sur l'analyse fondamentale de l'actif concerné ? Le procédé permet généralement aux dirigeants « d'ajuster les paramètres clefs et, ainsi, d'influencer largement la valeur attribuée à un instrument donné », observe l'économiste Nicolas Véron, membre du think-tank européen Bruegel. « S'il est facile d'identifier les défauts de la « juste valeur », il est moins évident de proposer une méthode alternative qui remplirait mieux les exigences de pertinence, de fiabilité, de compréhension indispensables pour des normes de comptabilité financière » (57).
Or c’est justement une crise de confiance que traverse actuellement le système financier. Le marché interbancaire est bloqué parce que les banques ne se font plus confiance les unes aux autres. Qu’en serait-il si leur bilan publié ne faisait plus mention de la valeur réelle de leurs actifs « toxiques » mais d’une valeur « fictive » reposant par exemple sur le prix d’acquisition de ceux-ci ?
Alors, en période de crise, n’y aurait-il pas des vertus à voir ces corrections prises en compte dans le bilan des institutions financières ? En les incitant à un assainissement de leur bilan, les normes IFRS obligent les banques à constater trimestre après trimestre leurs pertes sans possibilité de s’accrocher au coût historique pour en reporter la constatation. Quoique sans doute brutal, l’ajustement des comptes peut sans doute éviter à l’Union européenne de connaître une longue et douloureuse déflation à la japonaise ; les banques de ce pays avaient en effet mis plus de dix ans, suite à l’éclatement de la bulle immobilière et boursière de la fin des années quatre-vingt, à nettoyer leur bilan en raison de leur possibilité de maintenir à la valeur historique des créances douteuses – et donc d’éviter de les passer en pertes – dont elles savaient pourtant qu’elles étaient irrécouvrables (58).
Il est toujours tentant de vouloir casser le thermomètre mais la fièvre ne disparaîtra pas pour autant. Dans une tribune publiée dans Les Échos, MM. Jean-François Lepetit, Président du CNC, Philippe Bordenave, directeur financier de BNP-PARIBAS et Patrice Marteau, professeur à l’ESCP, tous trois auditionnés par la mission d’information, soulignent avec force la pertinence de la « juste valeur », qui seule garantit la transparence des comptes, la confiance des investisseurs et, in fine, le bon fonctionnement de l’économie. Cette opinion est partagée par la grande majorité des analystes financiers interrogés à ce propos par le Chartered Financial Analyst Institute qui les fédère au niveau mondial.
● Un aménagement bienvenu mais incomplet de la norme IAS 39
Cependant, le maintien de l’évaluation des actifs et des passifs à la « juste valeur » n’interdit pas – et justifie d’une certaine façon – que celle-ci soit améliorée. L’un des reproches majeurs adressés à la norme IAS 39 par les intervenants auditionnés par la Mission d’information, en particulier les banques, est la rigidité introduite par celle-ci en matière de classification des instruments financiers. En effet, la norme IAS 39 définit quatre catégories dans lesquels les entreprises doivent classer leurs actifs :
– les actifs financiers détenus à des fins de transaction ;
– les placements détenus jusqu’à leur échéance ;
– les prêts et créances émis par l’entreprise ;
– les actifs disponibles à la vente (c'est-à-dire les actifs financiers qui ne sont classés dans aucune des trois autres catégories).
De plus, les modalités d’évaluation de ces instruments diffèrent selon la catégorie dans laquelle ils ont été classés :
– les actifs et passifs financiers détenus à des fins de transaction sont comptabilisés à leur « juste valeur », les variations de juste valeur étant comptabilisées dans le résultat de l’exercice ;
– les placements détenus jusqu’à leur échéance et les prêts et créances émis ou détenus jusqu’à leur échéance sont comptabilisés au coût historique amorti, la perte ou le profit étant constaté dans le résultat de l’exercice ;
– les actifs disponibles à la vente sont comptabilisés à leur « juste valeur », la variation de juste valeur étant constatée dans les capitaux propres.
Enfin, la norme IAS 39 n’autorise pas les transferts d’instruments financiers d’une catégorie à une autre, sauf les transferts de la catégorie des placements détenus à échéance vers celle des actifs disponibles à la vente, c'est-à-dire d’une évaluation au coût historique à une évaluation à la « juste valeur ».
Or, les institutions financières ont leur bilan gorgé d’actifs financiers détenus à des fins de transaction ou disponibles à la vente, notamment les banques d’investissement dont le métier est justement d’acheter et de vendre des actifs financiers. Ces derniers étant obligatoirement comptabilisés à leur « juste valeur », lorsque celle-ci s’effondre, les pertes se révèlent rapidement insoutenables. Si elles avaient la possibilité (sous certaines conditions strictes) de transférer les actifs d’une catégorie où ils sont évalués à la « juste valeur » vers une autre catégorie, elles n’auraient plus à subir dans leurs comptes les soubresauts des marchés.
L’Union européenne a pris conscience des conséquences dommageables de la norme IAS 39 et, lors de la réunion du Conseil ECOFIN du 7 octobre dernier, a fait pression sur l’IASB pour que celui-ci assouplisse ladite norme. C’est chose faite depuis le 13 octobre. L’IASB a adopté très rapidement un amendement à la norme IAS 39 qui autorise les entreprises :
– à reclasser des actifs financiers non dérivés hors de la catégorie des actifs et passifs détenus à des fins de transaction ;
– et à transférer les actifs financiers de la catégorie des actifs disponibles à la vente vers la catégorie des placements détenus jusqu’à l’échéance (où ils sont évalués au coût historique amorti), à la condition toutefois que l’entreprise ait l’intention et la capacité de détenir ces actifs pendant un avenir prévisible ou jusqu’à la date d’échéance.
Cette possibilité de reclassement est applicable rétroactivement, à compter du 1er juillet 2008. L’impact s’est donc fait sentir dès l’établissement des comptes du troisième trimestre 2008, clos le 30 septembre. C’est ainsi que la Deutsche Bank, pour ne citer qu’elle, a agréablement surpris les investisseurs en affichant pour le troisième trimestre un bénéfice net de 414 millions d’euros. Certes, elle a dû passer pour 1,2 milliard d’euros de nouvelles dépréciations mais, en raison de l’aménagement de la norme IAS 39, elle s’est épargné quelques 845 millions d’euros de dépréciations supplémentaires (59). Cependant, les banques françaises n’ont pas usé de cette possibilité ; en effet, comme l’indique M. Gérard Gil, Président de la Commission des normes internationales du CNC, « si les portefeuilles ont été gérés dans le trading book dans le trimestre, ils ne peuvent être reclassés dans le banking book, car les risques ne sont pas gérés de la même manière » (60). Cependant, elles ont laissé entendre que la possibilité de reclassement pourrait être utilisée lors de l’arrêté des comptes 2008.
La mission d’information ne peut que saluer une évolution réclamée par de nombreux intervenants ainsi que la vigueur de la réaction de l’Union européenne qui, en fixant un véritable ultimatum à l’IASB, a contraint celui-ci à modifier en urgence et dans le sens voulu la norme IAS 39. Cependant, elle regrette qu’il n’ait pas fait preuve de la même diligence dans l’amélioration de la méthode de valorisation théorique des actifs en cas d’illiquidité des marchés.
La question cruciale est en effet celle de la valorisation des actifs lorsque les marchés sont illiquides. La crise financière a révélé les limites des normes IFRS et de leurs fondements théoriques, en particulier la « juste valeur ». Participant d’une croyance très anglo-saxonne que les marchés ont toujours raison, qu’ils s’autorégulent et qu’ils parviennent toujours à fixer un prix à toute chose dès lors que les États les laissent agir librement, les normes IFRS ont été mises en échec par l’illiquidité des marchés et l’impossibilité dans laquelle se sont trouvées les entreprises de donner un prix à leurs actifs.
Valoriser des actifs (et des passifs) lorsque les marchés ne sont pas en mesure de le faire oblige à recourir à des modèles qui reconstituent fictivement le fonctionnement normal des marchés afin de déterminer leur prix. Cependant, l’IASB s’est peu préoccupé d’une telle valorisation, laissant ainsi les entreprises face une alternative entre une valorisation « à la casse » qui entraînerait des dépréciations massives et une valorisation selon des modèles « faits maison » qui ruinerait la comparabilité des comptes. Il a néanmoins publié, les 2 et 14 octobre 2008, deux communications par lesquelles il se rallie en pratique aux lignes directrices élaborées par la SEC et le FASB le 30 septembre 2008 en matière de valorisation des instruments financiers dans des marchés illiquides.
Reprenant ces communications, le CNC, l'AMF, la Commission bancaire et l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (ACAM) ont précisé, dans une communication du 15 octobre 2008, que la valorisation des actifs dans un marché illiquide devrait désormais obéir aux principes suivants :
– l'utilisation des hypothèses de l'entreprise relatives aux flux de trésorerie futurs et de taux d'actualisation correctement ajustés des risques en l'absence de données de marché pertinentes (risque de contrepartie, de non-performance, de liquidité ou de modèle notamment) est justifiée ;
– les cotations des courtiers ne sont pas forcément représentatives de la « juste valeur », lorsqu'elles ne sont pas le reflet de transactions intervenant sur le marché ;
– les transactions forcées n'ont pas à être prises en compte pour la détermination de la « juste valeur » d'un instrument financier. En période de marché illiquide, il n'est pas approprié de conclure que toute l'activité de marché traduit des liquidations ou des ventes forcées, ni que tout prix de transaction observé est nécessairement représentatif de la « juste valeur ». L'appréciation du caractère forcé repose sur l'exercice du jugement ;
– les prix des quelques transactions intervenant sur un marché inactif sont à prendre en considération dans la valorisation d'un instrument financier, mais ne sont pas nécessairement déterminants. La détermination du caractère actif ou pas d'un marché, qui peut s'appuyer sur des indicateurs tels que la baisse significative du volume des transactions et de son niveau d'activité, la forte dispersion des prix disponibles dans le temps et entre les différents intervenants ou le fait que les prix ne correspondent plus à des transactions suffisamment récentes, requiert l'utilisation du jugement.
Les principes ainsi dégagés apparaissent de bon sens. Mais outre qu’ils ne valent que pour les entreprises françaises (même s’ils reprennent ceux dégagés par la SEC avec l’approbation de l’IASB), ils n’entrent pas dans le détail des méthodes de valorisation. Si les dysfonctionnements que connaissent les marchés financiers depuis l’été 2007 sont inédits par leur durée et leur ampleur, au moins depuis l’entrée en vigueur des normes IFRS, celles-ci ne peuvent s’abstenir de les prendre en compte et de définir des modèles adaptés et précis de valorisation, en particulier pour les instruments financiers complexes (Collaterized Debt Obligations – CDO…). Si tel était le cas, il faut craindre alors que les banques sous le contrôle (ou non) des autorités nationales de supervision, élaborent leurs propres modèles, ruinant la comparabilité de leurs comptes et la confiance des investisseurs.
Ce risque est loin d’être virtuel. Outre les autorités susmentionnées, le CESR (Committe of European Securities Regulators – Comité européen des régulateurs de marché) a ainsi élaboré un document sur l’évaluation à la juste valeur pour les instruments financiers dans le cas de marchés inactifs (61). Quant aux cabinets d’audit, ils ont pris les devants dès la fin de l’année 2007 et publié leurs lignes directrices sur l’évaluation en « juste valeur » des instruments financiers (62).
Proposition n° 3 : Fixer dans la norme IAS 39 des principes fiables et précis d’évaluation des instruments financiers en cas de marché illiquide, en particulier pour les instruments financiers complexes.
Cependant, même encadrés, ces modèles d’évaluation resteront élaborés en interne à partir d’hypothèses et d’estimations qui feront appel au jugement des préparateurs de comptes. Or, elles sont susceptibles de faire varier considérablement la « juste valeur » des instruments financiers concernés. Il importe donc, afin de restaurer la confiance des marchés, que les investisseurs soient correctement informés et que soient renforcées les obligations d’information découlant de la norme IFRS 7 Instruments financiers : informations à fournir.
Proposition n° 4 : Aménager la norme IFRS 7 afin de renforcer les obligations d’information sur les méthodes d’évaluation des instruments financiers utilisées en cas de marché illiquide.
Enfin, et même si l’IASB s’est bien gardée de toute déclaration en ce sens, l’un des enseignements qu’il pourrait tirer de la crise financière actuelle est le danger que représente une « full fair value », c'est-à-dire la généralisation de l’évaluation à la « juste valeur » à l’ensemble des instruments financiers (dont les crédits et les dépôts…). Bien que l’IASB se défende régulièrement de poursuivre un tel objectif, il faut reconnaître que toute nouvelle norme IFRS ou amendement à une norme existante se traduit généralement par une dose de « juste valeur » supplémentaire. La mission d’information espère que la crise l’amènera à plus de prudence dans l’utilisation de la « juste valeur ».
B.– LES CONSÉQUENCES DE LA MODERNISATION
DU PLAN COMPTABLE GENERAL
1.– Les difficultés des entreprises à appliquer les nouvelles normes comptables
a) Des normes comptables nouvelles, imprécises et complexes
● L’imprécision et la complexité des nouvelles normes comptables
Les normes IFRS constituent une rupture profonde par rapport à la tradition comptable française ainsi que les rapporteurs l’ont indiqué dans la partie I supra. Tant qu’elles ne s’appliquent qu’aux grandes entreprises que sont les groupes faisant appel public à l’épargne, leur mise en œuvre ne pose pas de difficultés insurmontables, ceux-ci ont les moyens humains et matériels de les maîtriser. Cependant, dès lors que le choix a été fait de moderniser l’ensemble des normes comptables françaises, ce sont les gérants et les experts-comptables de millions de PME qui ont dû se former très rapidement à des normes radicalement nouvelles.
Quelques années ont en effet suffi pour renouveler les fondements du droit comptable français (les passifs, les actifs, les dépréciations…), donnant l’impression que le processus de modernisation a été mené « au pas de charge » et laissant peu de temps aux entreprises pour s’y adapter. Par exemple, si le règlement 2002-10 du 12 décembre 2002 sur l’amortissement et la dépréciation des actifs ne s’est appliqué qu’aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2005, le règlement 2000-06 du 7 décembre 2000 relatif aux passifs s’est, quant à lui, appliqué dès les exercices ouverts au 1er janvier 2002. Enfin, le règlement 2004-06 du 23 novembre 2004 sur la définition, la comptabilisation et l’évaluation des actifs est entré en vigueur le 1er janvier 2005, soit à peine un mois après avoir été publié et porté à la connaissance des entreprises.
De plus, non seulement les règles comptables ont été aménagées, mais la terminologie comptable elle-même a été remaniée. C’est ainsi que les règlements 2002-10 et 2005-09 du 3 novembre 2005 portant diverses modifications au règlement n° 99-03 ont adapté certains termes du PCG à la nouvelle rédaction de la quatrième directive 78/660/CEE du 25 juillet 1978. Les termes « provision pour dépréciation » ont été remplacés par le terme de « dépréciation ». Quant au terme « provision », il ne concerne plus que « la provision pour risques et charges ». Le décret n° 2005-1757 du 30 décembre 2005 a appliqué cette nouvelle terminologie dans les décrets n° 67-236 du 23 mars 1967 sur les sociétés commerciales et n° 83-1020 du 29 novembre 1983 relatif aux obligations comptables des commerçants et de certaines sociétés. De même, le terme « amortissement » ne s’applique plus aux « amortissements exceptionnels » (expression cependant conservée dans le code général des impôts) mais à toute diminution systématique et planifiée de la valeur d’un actif. Ces changements de terminologie ont en outre des répercussions sur les intitulés des comptes de dotations et de reprises et sur la présentation du compte de résultat.
De plus, si le Plan comptable général s’inspire des définitions des normes IFRS, il n’en reste pas moins que celles-ci ne sont pas littéralement reprises dans le PCG, en particulier s’agissant des normes IAS 16 et IAS 36. Ainsi, la valeur vénale est définie par l’article 322-1-10 du PCG comme « le montant qui pourrait être obtenu, à la date de clôture, de la vente d’un actif lors d’une transaction conclue à des conditions normales de marché, net des coûts de sortie ». En revanche, le §5 de la norme IAS 36 n’évoque pas des « conditions normales de marché » mais des « conditions de concurrence normale entre des parties bien informées et consentantes », ce qui n’est pas exactement la même chose, la définition française étant bien plus large. De plus, à l’expression « valeur vénale », la norme IAS 16 préfère l’expression « prix de vente net ». Quant à la valeur d’usage, que le même §5 de la norme IAS 36 nomme « valeur d’utilité », l’article 322-1-11 du PCG la définit comme « la valeur des avantages économiques futurs attendus de son utilisation et de sa sortie ». En normes IFRS, elle se définit comme « la valeur actualisée des flux de trésorerie futurs estimés attendus de l’utilisation continue d’un actif et de sa sortie à la fin de sa durée d’utilité ». On imagine le désarroi des comptables qui ont à élaborer à la fois des comptes sociaux en normes françaises et des comptes consolidés en normes IFRS…
De même, certaines dispositions du PCG sont parfois imprécises. Ainsi l’article 322-1 définit-il la valeur d’usage d’un actif comme « la valeur des avantages économiques futurs attendus de son utilisation et de sa sortie. Elle est calculée à partir des estimations des avantages économiques futurs attendus ». Aucune précision n’est fournie quant à la base d’estimation des flux de trésorerie futurs, leur composition, ni la détermination du taux d’actualisation à retenir, le comptable devant en pratique se reporter aux dispositions bien plus précises de la norme IAS 36 et faire preuve de « jugement ».
Enfin, quel meilleur exemple de la complexité des nouvelles normes comptables que la révolution de l’amortissement par composants introduit dans le droit comptable français par le règlement 2002-10 ?
L’amortissement par composants
L’approche par composants pour les immobilisations corporelles est la méthode obligatoire si, dès l’acquisition ou la production de l’actif considéré, une ou plusieurs de ses parties ont chacune des utilisations différentes. Dans ce cas, chaque élément est comptabilisé séparément et fait l’objet d’un plan d’amortissement propre. Par exemple, un avion acheté par une compagnie aérienne comprend différents éléments qui ont chacun des durées d’utilisation différentes : le fuselage, les moteurs, les sièges, la cuisine… Le PCG (art. 311-2) distingue deux catégories de composants : les dépenses de remplacement et les dépenses de gros entretien.
Les dépenses de remplacement concernent des parties d’actif corporel amortissable devant faire l’objet de remplacement à intervalles réguliers et ayant des durées d’utilisation différentes ou procurant des avantages économiques à l’entreprise selon un rythme différent. La constatation de composants de première catégorie par une entreprise nécessite donc la réalisation de deux conditions cumulatives.
Les dépenses de remplacement sont à comptabiliser obligatoirement en composants dès l’entrée de l’immobilisation dans le patrimoine de l’entreprise. Au moment du remplacement, la valeur nette comptable du composant remplacé est comptabilisée dans le compte 675 « Valeurs comptables des éléments d’actif cédés ».
Pour le CNC (avis du Comité d’urgence n° 03-E du 9 juillet 2003), le composant identifié doit cependant être significatif et le rester au moment de son remplacement. Cette précision a pour objet d’éviter les excès dans le processus de décomposition. L’approche par composants sera donc, de facto, limitée aux éléments d’une certaine taille, ce qui imposera aux entreprises de se fixer un montant en dessous duquel les dépenses de remplacement ne seront pas identifiées comme composants. Dans ce cas, l’impact du remplacement apparaît dans le compte de résultat en tant que charge d’entretien.
La deuxième catégorie de composants est constituée par les dépenses de gros entretien qui recouvrent les grosses réparations et les grandes révisions faisant l’objet de programmes pluriannuels, c’est-à-dire d’une programmation détaillée des travaux à entreprendre plusieurs années à l’avance. Ces dépenses ont pour objet de vérifier le bon état de fonctionnement d’un bien ou l’entretenir sans le modifier ni prolonger sa durée de vie. Les dépenses d’entretien courantes, engagées au cours de chaque exercice comptable, ne sont donc pas concernées, ces dernières restent en charges.
La comptabilisation du composant « entretien » se fait au sein du coût initial de l’actif, par prélèvement sur le composant « structure ». Le montant du composant est égal à tous les coûts attribuables au programme pluriannuel de gros entretien ou de grandes révisions, autres que les coûts de renouvellement des autres composants identifiables. L’activation de ces dépenses traduit le fait que dès l’acquisition de l’immobilisation, ces dépenses à venir seront nécessaires pour que le bien puisse fonctionner conformément à son utilisation. Elles font donc partie intrinsèquement du coût de l’immobilisation achetée.
Le CNC a prévu un traitement alternatif pour les dépenses de gros entretien (PCG art.311-2) : elles peuvent être réparties par anticipation sur la durée séparant deux révisions par le biais de provisions pour gros entretien ou de grandes révisions. Lors de la réalisation des travaux, ceux-ci sont comptabilisés en charges et la provision est alors reprise.
L’approche par composants constitue un progrès indiscutable qui permet aux entreprises de mieux prendre en compte la complexité de certains actifs amortissables, dont certains éléments ont des utilisations différentes, et, par conséquent, de refléter plus fidèlement leurs conditions d’exploitation.
Cependant, nombre de personnes auditionnées par la mission d’information ont souligné l’extraordinaire complexité de l’amortissement par composants et les difficultés qu’ont rencontrées les entreprises, en particulier les plus petites, pour l’appliquer. Non seulement il leur a fallu décomposer leurs immobilisations corporelles, à partir d’un seuil « significatif » que le CNC n’avait pas jugé nécessaire de préciser, mais la décomposition a été faite sans que l’impact fiscal de celle-ci ait pu être anticipé puisque l’administration fiscale n’a publié l’instruction concernée (4 A-13-05 du 30 décembre 2005) qu’un an ou presque après l’entrée en vigueur du règlement 2002-10 et un jour avant la clôture de l’exercice 2005.
Or, c’est dans cette instruction, extrêmement détaillée, que se trouvent en pratique fixées les modalités d’application de l’amortissement par composants. En effet, la comptabilité et la fiscalité sont, en France, fortement liées et toute modification des règles comptables emporte avec elle des conséquences fiscales ; les instructions fiscales sont donc particulièrement scrutées par les entreprises parce qu’elles déterminent largement l’application des règles comptables. C’est ainsi que l’instruction précitée a précisé qu’un composant de valeur unitaire inférieure à 500 euros pourra ne pas être identifié. Ce seuil fiscal a été retenu comme seuil comptable par les entreprises. En effet, si le CNC laisse une marge d’appréciation pour le caractère significatif du composant, il va de soi que l’entreprise se calera sur le seuil fiscal afin d’éviter un redressement.
L’exemple de l’amortissement par composant symbolise la complexité des nouvelles normes comptables et des difficultés des entreprises, notamment les PME, à les appliquer correctement, même si quelques mesures de simplification ont été prévues. Les PME estiment ainsi que ces normes, inspirées des IFRS, ont été conçues pour les grandes entreprises et qu’elles-mêmes, moins concernées par la nécessité d’améliorer l’information financière à destination des investisseurs, n’ont pas les moyens techniques et humains pour les mettre en œuvre.
● La coexistence des référentiels comptables
L’application obligatoire des normes IFRS aux comptes consolidés des entreprises faisant appel public à l’épargne a compliqué le paysage comptable français. En effet, la France a refusé d’appliquer les normes IFRS aux comptes individuels pour lesquels les normes françaises restent obligatoires ; même si ces dernières ont été largement modernisées et rapprochées des normes IFRS, elles n’en demeurent pas moins différentes, si bien que quelques 1 000 groupes sont contraints à tenir deux comptabilités, l’une en normes IFRS et l’autre en normes françaises. Quant à leurs filiales, elles doivent non seulement établir des comptes individuels en normes françaises mais disposer d’un reporting interne qui permet au groupe auquel elles appartiennent d’établir ses comptes consolidés. Si l’on ajoute que l’adoption de règles simplifiées sera sans doute nécessaire pour les PME, quatre référentiels comptables pourront être applicables dans notre pays :
– les normes IFRS applicables aux comptes consolidés des entreprises faisant appel public à l’épargne ;
– le règlement CRC n° 99-2 applicable aux comptes consolidés des entreprises autres que les précédentes ;
– le règlement CRC n° 99-3 (c'est-à-dire le PCG) applicable aux comptes individuels de l’ensemble des entreprises françaises ;
– les normes comptables simplifiées ou dérogatoires applicables aux PME.
Enfin, à ces quatre référentiels comptables s’ajoutent les interprétations fiscales dont les entreprises doivent tenir compte dans l’établissement tant de leurs comptes consolidés que de leurs comptes sociaux.
Par conséquent, les entreprises sont obligées de multiplier les retraitements entre les comptes individuels et les comptes consolidés (63), comme elles retraitent déjà leurs comptes individuels pour parvenir au résultat fiscal. De plus, les entreprises retraitent leurs comptes consolidés afin, par exemple, de faire apparaître leur résultat opérationnel courant ou leur marge brute, indicateurs de performance que les IFRS n’imposent pas. Enfin, il ne faut pas oublier que tous ces jeux de normes sont en évolution constante, ce qui implique une « veille » coûteuse.
Une telle situation n’est, certes, pas satisfaisante. Pour autant, les solutions qui pourraient être envisagées le sont encore moins, ce qui n’interdit pas, évidemment, les évolutions propres à en diminuer les conséquences négatives. Dans la troisième partie du présent rapport, celles-ci seront précisément analysées.
● Une insécurité comptable et fiscale
L’insécurité juridique en matière comptable a souvent été soulignée lors des auditions. En effet, dès lors que les nouvelles normes comptables, tant les IFRS que les normes françaises, sont complexes et mouvantes, les entreprises s’exposent nécessairement à un risque juridique dans leur application. Ce risque est d’autant plus présent que, s’agissant de normes fondées sur des principes, celles-ci font très souvent appel au « jugement » du préparateur de comptes à qui revient la responsabilité, sous le contrôle des commissaires aux comptes, de choisir le traitement comptable approprié d’une opération.
De plus, en raison des liens étroits entre la fiscalité et la comptabilité, les entreprises sont parfois contraintes d’appliquer les règles comptables sans que leurs incidences fiscales aient été précisées par l’administration fiscale, comme ce fut le cas avec les amortissements. De plus, si celle-ci n’a pas à connaître des comptes consolidés en normes IFRS – qui n’ont pas d’incidence sur l’assiette fiscale – nul ne sait dans quelle mesure elle peut les utiliser pour éclairer les comptes sociaux. Par exemple, dans l’instruction 4 A-13 05 du 30 décembre 2005 précitée, elle prévient ainsi que « pour les entreprises établissant des comptes consolidés, le niveau de décomposition [d’une immobilisation] retenu pour l’établissement des comptes sociaux devrait, dans la plupart des cas, être identique à celui adopté pour l’établissement des comptes consolidés ». Si la disposition semble en l’espèce de bon sens, il n’en demeure pas moins que l’administration fiscale ne s’interdit pas a priori de comparer comptes sociaux et comptes consolidés, lesquels peuvent relever, pour l’un, du PCG et pour l’autre des IFRS, avec toutes les contradictions qui peuvent surgir entre les deux. Il en résulte une insécurité fiscale aux conséquences potentiellement graves pour les entreprises.
En outre, le PCG, au contraire des normes IFRS qui ne s’intéressent qu’à la substance des opérations, définit très précisément le format des documents de synthèse et la nomenclature des comptes ; en effet, les comptes ont, à côté de leur rôle informatif pour les investisseurs, une fonction probatoire, non seulement entre commerçants (article L. 123-23 du code de commerce) mais également contre l’Administration fiscale en cas de contrôle.
Enfin, l’entrée en vigueur des normes IFRS comme, d’ailleurs, le processus de modernisation du PCG, sont des événements relativement récents, au point que la jurisprudence n’est pas encore stabilisée. C’est ainsi que l’influence des normes IFRS sur la jurisprudence fiscale et leur interprétation par le juge reste incertaines. Par exemple, dans un arrêt du 24 mars 2006 Société Arcatime, le Conseil d’État a modifié sa jurisprudence concernant la taxe professionnelle en matière de pneus des ensembles routiers en s’inspirant de la norme IFRS concernant l’amortissement par composants et de la convergence du PCG vers celles-ci (64).
Afin de réduire quelque peu ces incertitudes et leurs conséquences pour les entreprises confrontées aux difficultés d’application des normes comptables, l’article 49 de la loi de finances rectificative pour 2008 (n° 2008-1443 du 30 décembre 2008) dispense les contribuables du paiement de l’intérêt de retard dû « au titre des éléments d'imposition afférents à une déclaration souscrite dans les délais prescrits, lorsque le principe ou les modalités de la déclaration de ces éléments se heurtent […] à une difficulté de détermination des incidences fiscales d'une règle comptable », c'est-à-dire lorsque l’administration fiscale n’a pas pris formellement position avant l’expiration du délai de déclaration.
Cependant, si les incidences fiscales des normes comptables ont été encadrées dans le sens d’une meilleure garantie des contribuables, il n’en va pas de même de l’application des normes comptables elles-mêmes. Or, les conséquences d’une mauvaise application de celles-ci peuvent être très lourdes.
● La sanction pénale de la comptabilité
En application de l’article L. 123-14 du code de commerce, « les comptes annuels doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise ». Il est donc de la responsabilité des dirigeants d’entreprise ainsi que des professionnels comptables qui les entourent (experts-comptables, commissaires aux comptes…) d’appliquer correctement les règles comptables qui, ainsi, donneront une « image fidèle » de l’entreprise propre à assurer les besoins d’information des investisseurs, de l’administration fiscale et de tout autre utilisateur de la comptabilité.
Parce que la comptabilité est au cœur de la vie économique, que sur elle repose la confiance sans laquelle une économie moderne ne peut fonctionner, le législateur a, depuis le 19ème siècle (65), assorti de sanctions pénales de nombreuses violations des règles comptables. Par exemple, l’article L. 241-6 du code de commerce punit d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 375 000 euros le fait pour « le président, les administrateurs ou les directeurs généraux d'une société anonyme de publier ou présenter aux actionnaires, même en l'absence de toute distribution de dividendes, des comptes annuels ne donnant pas, pour chaque exercice, une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice, de la situation financière et du patrimoine, à l'expiration de cette période, en vue de dissimuler la véritable situation de la société » (66). L’article L. 241-3 du même code applique les mêmes sanctions aux gérants de SARL pour les mêmes faits. Quant à l’article L. 242-6 du même code, il punit des mêmes peines « le président, les administrateurs ou les directeurs généraux d'une société anonyme qui, en l'absence d'inventaire ou au moyen d'inventaires frauduleux, auront, sciemment, opéré entre les actionnaires la répartition de dividendes fictifs ».
De ces quelques exemples, il ressort que la comptabilité peut être soit l’objet même de l’infraction (délit de présentation de comptes infidèles) soit l’instrument servant à commettre l’infraction (distribution de dividendes fictifs). Seuls les premiers cas nous intéresseront ici, parce que les nouvelles normes comptables ont rendu la notion « d’image fidèle » bien plus incertaine.
« L’image fidèle », pour fondamentale qu’elle soit en matière comptable, n’a jamais fait l’objet d’une définition légale ; par conséquent, le juge pénal doit interpréter les dispositions imprécises des articles L. 241-6 et L. 241-3 précités et déterminer dans quels cas des irrégularités affectant les comptes annuels peuvent être constitutifs desdits délits. Or, il n’est nul besoin de rappeler que les nouvelles normes comptables privilégient la vision économique de l’activité de l’entreprise sur la forme juridique de ses opérations et qu’elles font appel, pour leur application et le contrôle de celle-ci, au « jugement » des préparateurs de comptes et commissaires aux comptes.
Comment, dans ces conditions, concilier la souplesse d’interprétation des nouvelles normes comptables et l’imprécision de l’élément matériel du délit avec le principe cardinal d’interprétation stricte sur lequel repose le droit pénal ? La recherche de l’intention des auteurs desdites normes semble en effet délicate, dès lors que les travaux préparatoires, pour autant qu’ils soient publiés, sont rédigés exclusivement en langue anglaise et font appel à des notions comptables complexes que le juge peut ne pas maîtriser parfaitement.
Tout aussi délicate est la question de la preuve. En application de l’article L. 123-23 du code de commerce, « la comptabilité régulièrement tenue peut être admise en justice pour faire preuve entre commerçants pour faits de commerce ». De même, aux termes de l’article L. 192 du livre des procédures fiscales, une comptabilité régulièrement tenue impose à l’administration fiscale la charge de la preuve du bien-fondé du redressement qu’elle souhaite appliquer. Tant qu’il s’agit de conserver simplement des factures, par exemple, la chose est aisée. Mais, avec les normes IFRS, la déconnexion entre le traitement juridique d'une opération et son traitement comptable, assis sur l’économie de celle-ci, peut remettre en cause la valeur probatoire de la comptabilité.
Dans ces conditions, le risque n’est pas négligeable que tels interprétation ou choix quant au traitement comptable de certaines opérations puissent fausser « l’image fidèle » des comptes de l’entreprise, du moins l’idée qu’un juge pourra s’en faire s’il venait à être saisi. Quant à l’élément intentionnel, le juge, pour le caractériser, devra avoir à l’esprit les différentes interprétations possibles d’une norme, juger de leur plus ou moins grande légitimité et les rapprocher des justifications données par les préparateurs de comptes. Selon que le juge aura une conception rigoureuse ou non de « l’image fidèle », seules les infractions les plus grossières seront sanctionnées ou, à l’inverse, toute interprétation un peu audacieuse sans être véritablement illégale le sera. L’insécurité juridique dans laquelle exercent dirigeants d’entreprises et professionnels comptables (67) apparaît alors en pleine lumière.
Pourquoi ne pas, dès lors, trancher définitivement la question de la sanction pénale de la comptabilité en dépénalisant les infractions comptables ? Si cette proposition a le mérite de la simplicité, elle n’apparaît cependant pas raisonnable en raison de ses conséquences sur la confiance des citoyens et des investisseurs ; en outre, le délit « en col blanc » constitue bien un acte de délinquance, comme le sont les infractions de violence. Le mensonge qui le caractérise est socialement aussi nocif que la violence avec laquelle il entretient une relation étroite. Le mensonge est en effet un substitut de la violence qui permet, comme celle-ci, de s'emparer du bien d'autrui. La dépénalisation des délits comptables a ainsi été vigoureusement rejetée par M. Jean-Marie Coulon dans son rapport de 2008 sur la dépénalisation du droit des affaires.
Si la dépénalisation du droit comptable ne semble donc pas opportune (68), d’autres réponses doivent être envisagées afin de limiter autant que possible le risque pénal qu’encourent les dirigeants d’entreprise et les professionnels comptables dans l’application des nouvelles normes comptables.
Parmi ces réponses, l’une relève de la responsabilité des entreprises elles-mêmes. C’est le soin qu’elles apportent à la rédaction de l’annexe. En effet, la notion de jugement impose au débiteur d'information comptable de justifier et de documenter les éléments publiés. Or, selon les termes de l’article L. 123-13 du code de commerce, « l'annexe complète et commente l'information donnée par le bilan et le compte de résultat » par toute indication complémentaire de nature à éclairer le lecteur sur la situation réelle de l'entreprise. Dès 1974 le Bulletin de la COB (aujourd'hui AMF), insistait sur l’importance de l’annexe : « Quelles que soient l'honnêteté de ceux qui préparent les comptes et les connaissances comptables de leurs lecteurs, les états financiers, si bien agencés soient-ils, ne peuvent communiquer par eux-mêmes l'image fidèle dont ont besoin et à laquelle ont droit leurs utilisateurs. C'est pourquoi les bilans et comptes de résultat ne peuvent remplir utilement l'objet d'information qui leur est assigné que s'ils sont accompagnés de notes annexes ». Par l’attention portée à l’annexe, les entreprises peuvent significativement réduire le risque juridique en explicitant les choix comptables retenus et en démontrant le bien-fondé de ceux-ci ; certes, ces choix pourront être contestés, mais l’accusation de publication de faux bilan ou faux compte de résultat sera affaiblie par la volonté de transparence qu’aura manifestée l’entreprise.
L’autre réponse relève de la responsabilité de l’État à qui il appartient de renforcer la compétence des juridictions en matière comptable. Un simple détour par le site Internet de l’École nationale de la magistrature révèle ainsi que la formation des magistrats, aujourd’hui encore, ne comporte qu’un seul module optionnel consacré à la vie des entreprises et destiné à apporter aux auditeurs de justice, en 40 heures, « un socle de connaissance dans le domaine comptable (technique, vocabulaire, processus d’élaboration et d’interprétation des comptes) et du droit de la consommation ». En outre, les pôles économiques et financiers rattachés à certains tribunaux de grande instance et chargés de lutter contre la délinquance financière souffrent, de l’avis général, d’un manque de moyens humains et matériels qui les empêchent de remplir correctement leur mission (69).
Proposition n° 5 : Renforcer les moyens humains et matériels des pôles économiques et financiers et mettre en place, pour les auditeurs de justice ainsi que pour les magistrats se destinant à une juridiction financière, une formation préalable significative et obligatoire en gestion, comptabilité et analyse financière.
2.– L’impact fiscal des nouvelles normes comptables
a) Le principe de la connexion entre comptabilité et fiscalité
● Un principe ancien
Si la France se caractérise, comme d’autres pays d’Europe continentale, par une connexion très forte entre la comptabilité et la fiscalité, le droit fiscal français a toujours limité la liberté du droit comptable. En 1947, sur le mode plaisant, M. Charles Penglaou soulignait que « la fiscalité est à la comptabilité ce que le snobisme est à l’art. Il ne faut pas en dire du bien parce qu’elle lui a fait beaucoup de mal, mais il ne faut pas en médire parce qu’elle lui a fait beaucoup de bien » (70). Il confirmait ainsi l’opinion de M. Jean Fourastié qui pressentait déjà, en 1943, « l’impérieuse nécessité de la normalisation comptable et la dualité d’intérêts entre l’entrepreneur soucieux d’utiliser la technique comptable pour les besoins de sa gestion et les pouvoirs publics soucieux de diriger l’économie et de prélever sur les entreprises le coût de cette direction et de cette coordination et donc d’imposer une comptabilité légale » (71). Parce que les ressources publiques reposent sur la comptabilité des entreprises, la normalisation comptable française a longtemps été dominée par l’État, et plus particulièrement par l’administration fiscale (voir supra).
Pourtant, avant 1917, la comptabilité était totalement détachée de la fiscalité. Les impôts de l’époque n’étaient pas assis sur les données comptables mais sur un forfait ou encore sur des signes extérieurs. La loi du 31 juillet 1917 sur l'établissement d'un impôt sur diverses catégories de revenus est à l’origine de notre système fiscal et du lien unissant fiscalité et comptabilité. Cette loi, qui institua un impôt annuel assis sur les bénéfices des professions industrielles et commerciales, a contribué à modifier le rôle de la comptabilité, devenue l’instrument de mesure de l’assiette imposable et de contrôle de l’administration.
Aujourd’hui, le principe de connexion fiscalo-comptable découle de l’article 38 quater de l’annexe III au code général des impôts qui dispose que, pour la détermination de leur résultat fiscal, « les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l’assiette de l’impôt ». Ce principe n’a donc qu’une valeur réglementaire. Il n’en reste pas moins que, sur ce fondement, la comptabilité gouverne la fiscalité. Ainsi, seules les opérations effectivement comptabilisées sont prises en compte par le droit fiscal. Par exemple, une entreprise ne peut déduire, pour l’établissement de son résultat imposable, que les dépenses comptabilisées dans un compte de charges, que ces dépenses soient des frais généraux, des amortissements ou des provisions.
Plus important encore, le résultat imposable est déterminé à partir du résultat comptable (72). Par conséquent, l’assiette de l’impôt sur les sociétés s’appuie sur les comptes sociaux des entreprises établis conformément aux règles du PCG ; de même pour la taxe professionnelle dont l’assiette est assise sur la valeur locative des immobilisations corporelles telles que définies par le PCG.
C’est ce lien très fort entre la comptabilité et la fiscalité qui explique que la France n’ait pas opté, comme l’autorise le règlement 1606/2002/CE, pour l’application des normes IFRS dans les comptes sociaux ; en limitant celle-ci aux seuls comptes consolidés, elle évitait que l’assiette fiscale soit ainsi indirectement modifiée via le changement des règles comptables. Les normes IFRS sont ainsi sans incidence directe sur les règles fiscales ; cependant, en raison du processus de modernisation du PCG, les entreprises ont dû non seulement faire face à des changements comptables considérables, mais également assumer, dans une certaine mesure, les conséquences fiscales de ceux-ci.
● La connexion fiscalo-comptable remet en cause la compétence exclusive du Parlement dans la détermination de l’assiette fiscale
En elles-mêmes, les normes IFRS n’ont aucune conséquence fiscale puisque la France a refusé d’appliquer ces normes aux comptes sociaux à partir duquel est établi le résultat fiscal. Mais le processus de modernisation du PCG, remet incontestablement en cause l’article 34 de la Constitution qui dispose que « la loi fixe les règles concernant l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ». Si l’assiette de l’impôt sur les sociétés et de la taxe professionnelle sont, du fait de la connexion fiscalo-comptable, gouvernées par les règles comptables établies en pratique par le CNC (73), le principe de légalité de l’impôt est-il encore respecté ? Les arrêtés ministériels homologuant les règlements du CRC ne sont-ils pas entachés d’incompétence ? Si tel était le cas, c’est l’ensemble du processus de convergence qui pourrait être remis en cause.
Il est revenu au Conseil d’État de trancher cette délicate question à l’occasion d’un recours formé par la SAS Sofinad contre l’arrêté du 4 juin 2004 portant homologation du règlement 2004-1 du CRC relatif au traitement comptable des fusions qui prévoit, entre autres, que les apports effectués au titre des fusions entre sociétés sous contrôle distinct peuvent être enregistrés à leur valeur nette comptable. La société arguait que l’arrêté – et le règlement du CRC qu’il homologuait – avait pour conséquence de modifier substantiellement l’assiette de l’impôt et, par conséquent, empiétait sur la compétence du législateur. C’est donc le principe même de la connexion fiscalo-comptable qui se trouvait attaqué.
Le principe de connexion fiscalo-comptable étant de niveau règlementaire, le Conseil d’État aurait pu le remettre en cause sans se heurter à la théorie de la loi-écran. Pourtant, statuant conformément aux conclusions du commissaire du Gouvernement, il a rejeté le recours qui lui était soumis, au motif « que si, comme le fait valoir la SAS Sofinad, l’enregistrement des apports à leur valeur comptable peut, dans certains cas, entraîner, pour les sociétés entre lesquelles est réalisée une opération de fusion ou assimilée, des conséquences fiscales moins favorables que si ces apports avaient été pris en compte pour leur valeur réelle, il ne résulte pas de cette circonstance que le règlement critiqué, qui ne compte aucune disposition d’objet fiscal, doive être regardé comme instituant des règles d’assiette de l’impôt relevant de la compétence du législateur, ou comme comportant une violation de dispositions de la loi fiscale telles que celle de l’article 38, 2 du CGI » (74).
C’est peu dire que cet arrêt n’a pas convaincu les commentateurs, qui se sont demandés si le Conseil d’État n’avait pas statué en opportunité. En effet, s’il avait fait droit au recours de la SAS Sofinad, il aurait remis en cause le principe même de la connexion fiscalo-comptable, avec des conséquences incalculables pour les entreprises comme pour l’administration fiscale. Afin de « sauver » la connexion fiscalo-comptable, il distingue ainsi entre l’objet et l’effet des règles comptables. Certes, celles-ci ont des effets sur l’assiette de l’impôt sur les sociétés, mais elles n’ont pas un objet fiscal à proprement parler et ne peuvent donc, par elles-mêmes, violer l’article 34 de la Constitution.
On peut ne pas être convaincu par l’argumentation du Conseil d’État, qui pêche par un excès de subtilité sans masquer pourtant pas une situation bien réelle : par ses avis, le CNC influe sur l’assiette fiscale, en dehors de toute compétence constitutionnelle. Certes, jusqu’à l’ordonnance du 22 janvier 2009, le CNC n’émettait que des avis, repris ou non dans des règlements du CRC dont l’homologation relevait de ministres responsables devant le Parlement. Mais désormais, c’est l’ANC qui aura la haute main sur la réglementation comptable française, sous réserve d’une homologation ministérielle largement formelle. Ainsi, non seulement les nouvelles normes comptables sont un choix politique délégué à des experts, mais ces mêmes experts, dans le secret de leurs délibérations, peuvent modifier l’assiette fiscale ; si le Parlement peut s’y opposer en neutralisant, en loi de finances, l’impact fiscal des modifications comptables, il faut reconnaître que le plus souvent, sauf si le Gouvernement en prend l’initiative, il tolère ces empiétements sur sa compétence fiscale.
Mais le pire n’est peut-être pas dans cette dépossession de la compétence du Parlement. En effet, même si l’assiette de l’impôt n’est plus définie au Parlement, du moins sont-ce des représentants d’entreprises, d’institutions et de juridictions françaises, réunis au sein du CNC/ANC qui les définissent et des ministres qui les homologuent. Or, le processus de modernisation du PCG signifie en pratique que des normes élaborées par un organisme international affectent, lorsqu’elles sont reprises dans le PCG, l’assiette de l’impôt dû en France.
La régulation des incidences fiscales du processus de convergence passe également par une plus grande réactivité du législateur face aux évolutions comptables. Les difficultés occasionnées par l’article 1647 B sexies du code général des impôts peuvent nourrir la réflexion. Cet article, qui définit la notion de valeur ajoutée pour les besoins du plafonnement de la taxe professionnelle, résulte à l’origine de la loi n° 80-10 du 10 janvier 1980 portant aménagement de la fiscalité directe locale ; or, ayant été adoptée avant l’homologation du PCG de 1982, la définition fiscale de la valeur ajoutée – calée sur les agrégats du PCG de 1957 – s’est trouvée en contradiction avec sa nouvelle définition comptable jusqu’à ce que l’article 85 de la loi de finances pour 2006 (n° 2005-1719 du 30 décembre 2005) l’actualise enfin. Dans l’intervalle, les incertitudes sur la définition de la valeur ajoutée ont donné lieu à de multiples litiges qui auraient pu être évités.
Proposition n° 6 : Afin d’éclairer le Parlement sur l’impact fiscal des nouveaux règlements comptables qu’elle adoptera, l’Autorité des normes comptables lui transmettra chaque année, avant l’examen du projet de loi de finances, un rapport récapitulant ceux-ci et présentant leurs incidences fiscales.
b) L’impact fiscal des nouvelles normes comptables
● Les incidences fiscales des normes comptables
Le processus de modernisation du PCG combiné à la connexion fiscalo-comptable a modifié en profondeur l’environnement comptable et fiscal des entreprises, même si l’État a neutralisé les conséquences fiscales les plus importantes des nouvelles normes comptables (voir infra). Il est presque impossible, dans le cadre du présent rapport, de dresser la liste des incidences fiscales des nouvelles normes comptables ; cette impossibilité même prouve, si besoin en était, que celles-ci ont été considérables pour les entreprises. Les trois exemples qui suivent sont, à des titres divers, particulièrement éclairants.
– Les frais d’acquisition des immobilisations corporelles : la rétroaction entre normes comptables et fiscales
Aux termes de l’article 321-10 du PCG, le coût d’acquisition d’une immobilisation corporelle est constitué, outre de son prix d’achat (75) et des coûts de démantèlement, de « tous les coûts directement attribuables engagés pour mettre l’actif en place et en état de fonctionner selon l’utilisation prévue par la direction ». Ces frais accessoires sont obligatoirement comptabilisés dans le coût d’entrée de l’immobilisation acquise, sauf dans le cas particulier des frais d’acquisition des immobilisations. En effet, selon le même article, « dans les comptes individuels, les droits de mutation, honoraires ou commissions et frais d’actes, liés à l’acquisition, peuvent sur option, être rattachés au coût d’acquisition de l’immobilisation ou comptabilisés en charges ».
Bien que ces frais d’acquisition constituent des coûts directement attribuables à ladite acquisition, un traitement comptable identique aux autres frais accessoires aurait entraîné des conséquences majeures pour les entreprises ; en effet, dès lors que l’administration fiscale refusait d’envisager une déduction extra-comptable de ces frais (donc de déconnecter traitement comptable et traitement fiscal), l’incorporation obligatoire de ceux-ci dans le coût d’entrée de l’immobilisation se serait traduite par une déduction fiscale étalée au même rythme que l’amortissement de celle-ci, voire différée jusqu’à sa sortie de l’actif en cas d’immobilisation non amortissable. En outre, la base imposable à la taxe professionnelle s’en serait trouvée automatiquement rehaussée, dès lors que l’article 310 HF de l’annexe II au code général des impôts dispose que « pour la détermination de la valeur locative qui sert de base à la taxe professionnelle, le prix de revient des immobilisations est celui qui doit être retenu pour le calcul des amortissements ». Il était donc nécessaire d’ouvrir dans le PCG une option aux entreprises pour leur permettre de comptabiliser ces frais d’acquisition en charges et ainsi les déduire immédiatement (76).
Une option identique est parallèlement ouverte pour le traitement fiscal des frais d’acquisition d’immobilisations. En application de l’article 38 quinquies de l’annexe III au code général des impôts, « les droits de mutation, honoraires ou commissions et frais d'acte liés à l'acquisition peuvent être, au choix de l'entreprise, soit portés à l'actif du bilan en majoration du coût d'acquisition de l'immobilisation à laquelle ils se rapportent, soit déduits immédiatement en charges ». Comme le précise l’administration fiscale dans l’instruction 4 A-13-05 précitée, cette option « est exercée par la simple comptabilisation des frais d’acquisition concernés en immobilisation ou en charges ». L’option comptable commande donc l’option fiscale et l’instruction précise logiquement « qu’il n’est pas possible d’exercer une option fiscale différente de l’option retenue en matière comptable, les traitements comptable et fiscal devant être cohérents ». Enfin, en principe irrévocable, l’option fiscale pourra cependant être révisée « lorsque, comptablement, un tel changement est autorisé » (77).
En définitive, si la fiscalité suit les règles comptables en matière de frais d’acquisition des immobilisations corporelles, il apparaît que l’option ne se justifie que par les conséquences fiscales qu’aurait eue leur incorporation dans les coûts d’entrée d’une immobilisation. Ainsi, les liens entre la comptabilité et la fiscalité sont si étroits qu’il est parfois difficile de savoir laquelle influence l’autre, de sorte qu’il n’est pas possible d’adopter une norme comptable sans s’interroger, préalablement, sur ses incidences fiscales.
– Les immeubles de placement : l’influence directe des normes IFRS sur les règles fiscales
La norme IAS 40 Immeubles de placement définit ceux-ci comme « un bien immobilier détenu pour en retirer des loyers ou pour valoriser le capital ou les deux ». Il s’agit des actifs immobiliers utilisés par les entreprises pour en retirer des loyers ou valoriser le capital. À l’inverse, ne sont pas considérés comme des immeubles de placement les biens immobiliers occupés par leur propriétaire, les immeubles destinés à la revente et les hôtels exploités par leur propriétaire ou une société liée. Les immeubles de placement sont valorisés à l’actif d’une entreprise – et au choix de celle-ci – soit à la « juste valeur », les plus ou moins-values latentes devant alors être comptabilisées en résultat, soit au coût historique, c'est-à-dire au coût d’acquisition diminué du cumul des amortissements et des pertes de valeur.
Si les immeubles de placement font l’objet d’un traitement particulier en normes IFRS, le PCG ne fait, quant à lui, pas de distinction entre ceux-ci et les autres immeubles (78). Aussi font-ils partie de la catégorie des immobilisations corporelles et se voient-ils appliquer les règles comptables de droit commun.
En revanche, le 5° du 1 de l’article 39 du code général des impôts définit la notion d’immeuble de placement comme « les biens immobiliers inscrits à l’actif immobilisé et non affectés par l’entreprise à sa propre exploitation industrielle, commerciale ou agricole ou à l’exercice d’une profession non commerciale ». Cette définition s’inspire largement de celle de la norme IAS 40 précitée (79). De plus, « les dotations aux provisions pour dépréciation comptabilisées au titre de l'exercice sur l'ensemble des immeubles de placement ne sont pas déductibles à hauteur du montant des plus-values latentes sur ces mêmes immeubles existant à la clôture du même exercice ». Les immeubles de placement sont ainsi, avec les titres de placement, les seuls cas où sont prises en compte, en matière fiscale, les plus-values latentes.
En effet, autant les moins-values latentes sont prises en compte, comptablement et fiscalement, via les provisions pour dépréciations, autant le PCG comme le droit fiscal interdisent, en principe, à une entreprise d’enregistrer les plus-values latentes dans le compte de résultat (80). Or, s’agissant des immeubles de placement, ces dernières – définies comme « la différence existant entre la valeur réelle de ces immeubles à la clôture de l'exercice et leur prix de revient corrigé des plus ou moins-values en sursis d'imposition sur les immeubles appartenant à cet ensemble » – viennent en déduction des provisions pour dépréciation constatées au titre d’un exercice. C’est pourquoi, en minorant les provisions pour dépréciation, elles peuvent donc se traduire par une hausse du résultat fiscal.
Le cas des immeubles de placement présente donc la particularité, inédite ou presque dans le code général des impôts, de normes fiscales directement influencées par les normes IFRS (81).
Les immeubles relèvent a priori de la méthode de décomposition des actifs. Cependant, l’instruction fiscale 4 C-13-05 précitée précise que « il n’a pas été envisagé de maintenir les durées antérieures d’usage au titre de l’amortissement de la structure ». En d’autres termes, les sociétés foncières ne peuvent pas bénéficier de la tolérance administrative et doivent retenir des durées réelles d’amortissement plus longues que celles admises par les usages (voir infra). Les durées comptables et fiscales sont donc ici identiques.
– L’amortissement des immobilisations incorporelles : la réduction des contradictions
En application de l’article 8 du décret n° 83-1020 du 29 novembre 1983, relatif aux obligations comptables des commerçants et de certaines sociétés, sont amortissables les immobilisations qui perdent de leur valeur de manière irréversible ; lorsque la perte de valeur n’est pas irréversible, elle est constatée via une provision pour dépréciation. Le caractère irréversible de la perte de valeur d’une immobilisation incorporelle, longtemps considérée comme « immortelle », pouvant difficilement être démontrée, celle-ci se traduisait donc en pratique par une provision pour dépréciation.
Cependant, la référence à l’irréversibilité de la perte de valeur ne figure plus dans le PCG applicable depuis le 1er janvier 2005. Aux termes de son article 322-1, « un actif amortissable est un actif dont l’utilisation par l’entité est déterminable ». L’utilisation se mesure par la consommation des avantages économiques attendus qui doit être limitée dans le temps. Cette dernière condition est remplie lorsque l’un des critères suivants, soit à l’origine, soit en cours d’utilisation, est applicable : physique (l’actif subit une usure physique par l’usage qu’en fait l’entreprise ou par l’écoulement du temps), technique (l’actif subit une obsolescence liée aux évolutions techniques), juridique (la période de protection juridique de l’actif est limitée dans le temps) (82).
Par conséquent, les normes comptables françaises, conformes sur ce point à la norme IAS 38 Immobilisations incorporelles, admettent que les immobilisations incorporelles puissent être amorties dès lors que les conditions susmentionnées sont remplies.
En revanche, le droit fiscal s’est toujours opposé à l’amortissement des immobilisations incorporelles. Aujourd’hui encore, l’article 38 sexies de l’annexe III au code général des impôts, reprenant les termes du décret n° 83-1020 précité, dispose ainsi que « la dépréciation des immobilisations qui ne se déprécient pas de manière irréversible, notamment les terrains, les fonds de commerce, les titres de participation, donnent lieu à la constitution de provisions ». Le droit fiscal s’oppose donc formellement, sur ce point, aux nouvelles normes comptables.
Pourtant, depuis plusieurs années, l’amortissement des immobilisations incorporelles a été de plus en plus largement admis en matière fiscale par la jurisprudence. Le droit fiscal s’est rapproché des règles comptables via l’évolution de la jurisprudence du Conseil d’État. Dans son arrêt du 1er octobre 1999 Société Foncia Particimo, il a ainsi jugé que malgré sa lettre, l’article 38 sexies précité ne faisait pas obstacle, par lui-même, à l’amortissement du fonds de commerce ou de l’un de ses éléments (83). Le juge a donc fait prévaloir le principe général de connexion fiscalo-comptable de l’article 38 quater précité pour s’aligner sur les règles comptables, au moins partiellement et sous certaines conditions spécifiques, en particulier qu’il soit normalement prévisible que « les effets bénéfiques [de l’immobilisation] prendront fin à une date déterminée ».
Cependant, si le Conseil d’État a admis que les immobilisations incorporelles puissent être amorties fiscalement, il s’est montré très rigoureux dans l’application de sa jurisprudence ; loin de poser un principe général dont le coût pour l’État serait considérable – entre 6 et 8 milliards d’euros par an de moins-values fiscales – il a limité celle-ci à quelques cas particuliers.
Ainsi, dans deux arrêts du 14 octobre 2005 Chiesi et Pfizer, le Conseil d’État a admis que l’autorisation de mise sur le marché d’une spécialité pharmaceutique puisse faire l’objet d’un amortissement dès lors qu’il est possible de déterminer la durée prévisible durant laquelle la commercialisation de celle-ci produira ses effets bénéfiques sur l’exploitation, en tenant compte notamment de l’évolution des conditions scientifiques, techniques et économiques du marché de cette spécialité. Dans l’instruction 4 A-13-05 du 30 décembre 2005 précitée, l’administration fiscale a indiqué qu’elle se ralliait à cette jurisprudence.
Il est, en outre, intéressant de noter que le commissaire du Gouvernement, dans ses conclusions sous les arrêts précités, a justifié l’assouplissement de la jurisprudence en se référant explicitement à la norme IAS 38 qui a posé « le principe d’un amortissement systématique des immobilisations incorporelles sur une durée normalement limitée à vingt ans, au motif qu’aucun actif n’a une durée de vie infinie ».
Les marques peuvent elles aussi faire l’objet d’un amortissement. Comme l’explique le commissaire du Gouvernement sous l’arrêt du 27 décembre 2007
SA Domaine Clarence Dillon, « le principe d'un possible amortissement des marques est acquis ». Cependant, l’application du principe est loin d’être simple. Conformément à sa jurisprudence ainsi qu’au droit comptable, « « une marque ne peut être amortie que s'il est possible de déterminer la durée prévisible durant laquelle cette marque produit des effets bénéfiques sur l'exploitation » et, en l’espèce, a rejeté la requête. La durée de protection d'une marque étant illimitée, la question se pose de savoir quand en pratique il est possible d'en amortir le coût d'acquisition…
Enfin, la loi peut, d’elle-même, autoriser les entreprises à amortir fiscalement leurs immobilisations incorporelles. Ainsi, le II de l’article 236 du code général des impôts dispose que « lorsqu’une entreprise acquiert un logiciel, le coût de revient de celui-ci peut être amorti en totalité dès la fin de la période de onze mois consécutifs suivant le mois de l’acquisition ». Tel un nouveau converti, le droit fiscal va, en l’espèce, au-delà des règles comptables selon lesquelles les logiciels s’amortissent sur leur durée réelle d’utilisation.
On observe ainsi, à la lumière des arrêts précités, les liens étroits entre la comptabilité et la fiscalité, et comment le juge, comme l’administration, connaît des règles comptables via les règles fiscales et interprètent celles-ci suite à une analyse non seulement juridique mais également économique des faits. Si l’évolution doit être saluée, il n’en reste pas moins que l’influence des nouvelles normes comptables, en particulier des normes IFRS, sur la jurisprudence fiscale est encore entourée d’incertitudes.
● Les mesures prises pour simplifier l’application et limiter les incidences fiscales des nouvelles normes comptables
Outre la neutralisation fiscale des nouvelles normes comptables (voir infra) et les dispositions de l’article 49 de la loi de finances rectificative pour 2008 précité, l’État s’est efforcé de limiter autant que possible les conséquences des nouvelles normes comptables. L’amortissement par composants offre l’exemple parfait d’une limitation de ses conséquences fiscales qui a eu, en retour, des effets sur l’application du droit comptable lui-même.
– L’article 42 de la loi de finances rectificative pour 2004
Alors que l’échéance du 1er janvier 2005 approchait, l’article 42 de la loi de finances rectificative pour 2004 (n° 2004-1485 du 30 décembre 2004) a, entre autres, inséré dans le code général des impôts un article 237 septies autorisant les entreprises à répartir « la majoration ou la minoration du résultat imposable du premier exercice ouvert à compter du 1er janvier 2005 résultant de l’application aux immobilisations de la méthode par composant […] par parts égales, sur cet exercice et sur les quatre exercices ou périodes d’impositions suivants ». En d’autres termes, les conséquences fiscales du changement des normes comptables en matière d’amortissement ont été lissées sur cinq exercices.
En effet, en application des règlements 2002-10 et 2004-06, les nouvelles règles comptables applicables en matière de définition, de valorisation et de dépréciation des actifs s’appliquaient de manière obligatoire aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2005. Aux termes de l’article 314-1 du PCG, « lors de changements de méthodes comptables, l’effet, après impôt, de la nouvelle méthode est calculé de façon rétrospective, comme si celle-ci avait toujours été appliquée ». Cependant, « dans les cas où l’estimation de l’effet à l’ouverture ne peut être faite de façon objective, en particulier lorsque la nouvelle méthode est caractérisée par la prise en compte d’hypothèses, le calcul de l’effet du changement sera fait de manière prospective ». Par conséquent, les entreprises ont pu comptabiliser pour la première fois les composants de leurs immobilisations selon deux méthodes, l’une rétrospective et l’autre prospective, précisées par l’avis du Comité d’urgence du CNC n° 2003-E du 9 juillet 2003 :
– la reconstitution du coût historique des composants : l’entreprise identifie rétrospectivement les composants et modifie en conséquence le solde de l’amortissement de ceux-ci à l’ouverture, l’amortissement étant recalculé à partir de la valeur brute du composant et de la durée écoulée depuis son acquisition ;
– la réallocation des valeurs comptables : l’entreprise identifie les composants séparément, mais le solde de l’amortissement à l’ouverture n’est pas recalculé ; la valeur nette comptable du composant est amortie par la suite sur sa durée résiduelle.
Si la méthode prospective n’a pas d’impact fiscal, dans la mesure où la simple réallocation des valeurs nettes comptables n’est, en principe, pas susceptible d’augmenter ou de minorer l’actif net de l’entreprise, il n’en va pas de même pour la méthode rétrospective. En outre, selon l’article 311-2 du PCG, « la méthode de comptabilisation par composants de gros entretien ou de grandes révisions exclut la constatation de provisions pour gros entretien ou de grandes révisions » ; l’identification des composants a donc pour corollaire la reprise de ces provisions dans les capitaux propres. Par conséquent, le bénéfice imposable de l’entreprise a pu, en application du 2 de l’article 38 du code général des impôts, subir une augmentation ou une minoration, conséquence que l’article 237 septies précité a pour objet d’étaler sur cinq exercices (84).
Toutefois, cet étalement peut ne pas être appliqué, sur option de l’entreprise, lorsque le montant net de la majoration ou de la minoration est inférieur à 150 000 euros. L’objectif est d’éviter toute obligation de suivi de cet étalement aux entreprises pour lesquelles l’impact de ce changement comptable est mineur.
– L’instruction fiscale 4 A-13-05 du 30 décembre 2005
La veille de la clôture de l’exercice 2005, le premier à être comptabilisé sous l’empire du nouveau règlement 2002-10 précité, l’administration fiscale a publié une longue instruction précisant les modalités fiscales d’application de la méthode de l’amortissement par composants et comportant un certain nombre de « tolérances » visant à faciliter la mise en œuvre de cette méthode par les entreprises, en particulier les PME.
C’est ainsi qu’au plan fiscal – et contrairement au plan comptable qui se contente de préciser que le composant doit être « significatif » (85) – elle a admis que les composants ayant une valeur unitaire inférieure à 500 euros hors taxes ne soient pas identifiés en tant que tels ; ce seuil en valeur absolue est complété par un seuil en valeur relative. Ainsi, des composants dont la valeur est inférieure à 15 % du prix de revient de l’immobilisation dans son ensemble pour les biens meubles et 1 % pour les immeubles pourront ne pas être considérés comme des éléments principaux et identifiés comme tels. Les entreprises ne sont donc pas tenues de justifier l’absence de décomposition des éléments respectant les seuils susmentionnés. De plus, « les composants identifiés du point de vue comptable ne seront pas remis en cause sur le plan fiscal, sauf cas manifestement abusif de décomposition ».
La notion de durée réelle d’utilisation d’un composant correspond normalement à l’intervalle séparant l’acquisition de l’immobilisation et le renouvellement du composant ou deux remplacements. Par mesure de simplification, l’administration fiscale a également admis que « les éléments principaux d’une immobilisation dont la durée d’utilisation est égale à 80 % ou plus de la durée réelle d’utilisation de l’immobilisation prise dans son ensemble ne soient pas identifiés en tant que tels ». De même, les éléments considérés comme principaux, notamment du fait de leur coût, mais ayant une durée d’utilisation inférieure à douze mois n’auront pas à être identifiés comme composants.
De plus, afin de garantir la sécurité juridique des entreprises, l’administration fiscale a admis (§36) que « le niveau de décomposition retenu en matière comptable ne [sera] pas remis en cause sous réserve qu’il ne résulte pas d’erreurs manifestes ».
III.– LA MODERNISATION DES NORMES COMPTABLES :
ENTRE PRUDENCE ET NEUTRALITÉ
1.– Surveiller le processus de normalisation comptable internationale
a) Renforcer le contrôle sur l’IASB/IASC
● La réforme en cours de l’IASB
M. Henri Benson, lorsqu’il a fondé l’international Accounting Standards Committee en 1973, aurait-il pu imaginer que ce club de « gentlemen » comptables, aurait un jour en charge la normalisation comptable internationale et que ses normes seraient applicables dans plus de cent pays ? Probablement pas, et si tel était sans doute le but que lui et ses associés ont poursuivi obstinément, il n’en reste pas moins qu’une réussite si exceptionnelle pour un organisme privé a rendu plus criants encore les défauts de son organisation et son déficit de légitimité.
À l’origine, l’IASC n’était qu’un think tank parmi tant d’autres, dont les membres se préoccupaient de théoriser la comptabilité, de discuter de concepts savants et d’élaborer des normes comptables dans l’indifférence générale. Dans ces conditions, la question de la légitimité de l’IASC ne se posait pas, pas plus que celle des nombreux cercles de réflexion internationaux qui font le siège des responsables politiques afin de faire avancer leurs idées. En effet, celles-ci n’ont pas d’autre portée que celles que veulent bien leur donner les États ou les organisations internationales qui les reprennent à leur compte.
C’est pourquoi le règlement 2002/1606/CE du 19 juillet 2002 a totalement changé la nature de l’IASC. De think tank, élaborant des normes dont l’application reposait sur le bon vouloir des entreprises, il est devenu, par délégation de la Commission européenne, le normalisateur comptable des plus grandes entreprises européennes ; puis, fort de ce premier succès, il s’est employé à promouvoir son œuvre auprès d’un nombre toujours croissant de pays, au point qu’aujourd’hui, plus de cent pays imposent ou autorisent l’application des normes IFRS. Par ailleurs, plusieurs pays (dont les États-Unis, le Canada et le Japon) ont entamé un processus de convergence de leurs normes comptables nationales vers les IFRS. À terme, il est probable que l’IASC/IASB devienne le normalisateur comptable mondial.
L’IASB/IASC est désormais investi d’un pouvoir dont la portée est considérable. Les normes comptables sont en effet loin d’être neutres. Elles portent en elle une certaine vision de l’entreprise et, au-delà, des rapports économiques et sociaux. Elles sont politiques au sens étymologique du terme, car elles constituent l’une des structures essentielles de la vie dans la cité, avec des conséquences fiscales et juridiques (entre autres) considérables.
En démocratie, le pouvoir se doit d’être légitime ; à l’échelon national, la légitimité des normes comptables découle ainsi du contrôle que l’État exerce, d’une manière ou d’une autre, sur le normalisateur, veillant notamment à ce que les intérêts de l’ensemble des parties prenantes soient pris en compte.
Or, force est de reconnaître que l’IASB/IASC est loin d’être légitime au sens démocratique. Sa légitimité est technico-rationnelle, c'est-à-dire qu’elle repose sur la compétence de ses membres et l’efficacité de son « due process ». Certes, depuis 2001, l’IASB normalise sous la surveillance d’une fondation (l’IASCF dont il s’est séparé formellement) composée de trustees indépendants et le « due process » s’est considérablement amélioré, notamment en termes de transparence et de concertation. Pour autant, les trustees se recrutent toujours par cooptation, ne rendent compte à personne et surveillent de loin un IASB dont les membres ont toute liberté pour élaborer selon leur bon vouloir des normes par la suite applicables dans le monde entier.
Une telle situation n’est d’ailleurs pas sans danger pour l’IASB/IASC. Le récent conflit entre l’Union européenne et l’IASB sur les normes IAS 32 et IAS 39 pourrait n’être que le premier. En effet, à mesure que les normes IFRS seront appliquées dans le monde entier, elles risquent de se heurter à des pratiques nationales profondément ancrées et à des acteurs puissants qui refuseront de s’en laisser compter par un organisme privé « irresponsable », faisant voler en éclat l’objectif d’un référentiel comptable international unique.
L’IASB/IASC semble avoir pris conscience de l’urgence qu’il y avait à réformer son organisation. Le 6 novembre 2007, les trustees ont avancé trois propositions pour en améliorer la gouvernance et en renforcer sa responsabilité :
– établir un lien formel avec des organisations officielles, parmi lesquelles les régulateurs de marché, qui approuveraient la nomination des trustees et contrôleraient leur activité, notamment les modalités de financement ;
– développer une approche plurielle de la responsabilité, au-delà du seul lien formel avec des organisations officielles, à travers l’intensification et l’approfondissement des relations avec toutes les parties prenantes ;
– continuer les efforts pour élargir le financement de l’IASB/IASC.
Il n’est pas inutile de souligner que ces propositions sont intervenues la veille d’une déclaration commune de la Commission européenne, de la SEC, de l’IOSCO et de l’Agence japonaise des services financiers dont il est peu probable que les trustees n’aient pas eu connaissance en avance. Ces quatre autorités ont proposé « d’établir un nouvel organisme de contrôle […] afin de renforcer la fonction de surveillance d’intérêt général exercée par les trustees. La création d’un tel organe de contrôle seconderait les trustees dans leur mission de représentation des intérêts de la communauté des investisseurs, et de fait, la confiance du public dans les normes IFRS ».
En reprenant à son compte l’idée d’un lien formel avec les régulateurs de marché et en lançant un processus de réforme de sa Constitution, l’IASC se donne les moyens de maîtriser le bouleversement de son organisation.
Le processus est toujours en cours et les régulateurs de marché (la SEC, IOSCO et l’Agence japonaise des marchés financiers) comme la Commission européenne ont fait part de leur satisfaction par un communiqué du 17 juin 2008. En effet, l’instauration de ce « monitoring group » semble désormais acquise. Composé de représentants de la SEC, de l’Union européenne, de la Banque mondiale…, il désignera formellement les trustees, approuvera le budget de l’IASB/IASC et discutera avec eux des perspectives stratégiques. Autre aménagement qui semble acquis, l’IASB comportera deux membres de plus.
Si la mission d’information salue l’évolution de l’organisation de l’IASB/IASC dans le sens d’une plus grande responsabilité, elle estime cependant que la réforme n’est pas suffisante et qu’elle présente certains défauts majeurs.
– Le financement de l’IASB/IASC
L’IASB/IASC n’en fait pas mystère : son financement repose très majoritairement sur les dons d’entreprises privées et, en particulier, des grands cabinets d’audit internationaux (PriceWaterhouseCoopers, KPMG, Ernst & Young et Deloitte en particulier). La lecture du rapport annuel 2007, particulièrement détaillé, est éloquente. Le montant des contributions s’est élevé à 11,277 millions de livres dont 3,238 millions pour les cabinets d’audit qui ont donc contribué pour plus d’un quart au total des contributions.
PRINCIPAUX CONTRIBUTEURS À L’IASB/IASC EN 2007 (86)
Contributeurs |
Montant de la contribution (en M£) |
Cabinets d’audit internationaux |
3,238 |
États-Unis |
2,061 |
Japon |
1,026 |
Allemagne |
0,965 |
Royaume-Uni |
0,787 |
France |
0,425 |
Pays-Bas |
0,412 |
Australie |
0,339 |
Source : Rapport annuel 2007 de l’IASC
Il est étonnant de constater qu’à l’exception des grands cabinets d’audit internationaux, lesquels sont directement concernés par les normes IFRS, les principaux contributeurs sont américains et japonais, c'est-à-dire ressortissants d’États qui ne les appliquent pas. Moins étonnant est l’écrasante présence des entreprises et institutions anglo-saxonnes. Outre les « big four », les contributions totales de celles-ci s’élèvent à 3,71 millions de livres.
Quant à la France, ses entreprises (parmi lesquelles la quasi-totalité des entreprises du CAC 40) contribuent à hauteur de 425 000 livres par an (87), soit quasiment le même niveau que les Pays-Bas et deux fois moins que la contribution d’un seul des « big four », même si, d’après les informations communiquées par l’ANC, leurs contributions devraient s’élever à un million d’euros en 2009 (soit 900 000 livres). La faiblesse des contributions collectives et individuelles françaises est peut-être l’une des explications du peu d’influence de la France et de la tradition continentale sur la normalisation comptable internationale.
En outre, de la même manière que la rémunération des agences de notation par leurs clients entraîne des conflits d’intérêt, il n’est pas sain que la normalisation comptable soit financée quasi-exclusivement par des personnes privées directement intéressées. Il apparaît donc nécessaire de prévoir un financement public de l’IASB, au moins pour une certaine part, via le budget communautaire. La diversification des ressources qui en résulterait serait de nature à desserrer l’emprise des grands cabinets d’audit comme des entreprises anglo-saxonnes et à renforcer l’influence de l’Union européenne sur l’IASB.
Proposition n° 7 : Élargir le financement de l’IASB/IASC en instituant un financement public de ceux-ci via le budget communautaire.
– Le « conseil de surveillance » de l’IASC
Le principal acquis de la réforme en cours de l’IASC est l’instauration d’un « conseil de surveillance » ; composé de membres de la Commission européenne, du FMI, de l’IOSCO, de la SEC et de l’Agence japonaise des services financiers (et, à titre d’observateur, d’un membre du comité de Bâle), il sera chargé, notamment, de désigner les trustees – mettant ainsi fin à leur cooptation – et de contrôler l’activité de l’IASB.
La mission d’information s’interroge cependant à la fois sur la légitimité de ces autorités et sur la portée des prérogatives de ce « conseil de surveillance ». Quelle légitimité ont des autorités de marché non élues dont, en outre, la crise financière a révélé les défaillances ? Nommeront-elles comme trustees des personnalités différentes ou puiseront-elles parmi le même vivier de présidents de société retraités, de banquiers d’affaires et autres anciens auditeurs ?
En outre, les prérogatives du « conseil de surveillance » apparaissent singulièrement limitées. La mission d’information estime qu’il doit se voir reconnaître le pouvoir de déterminer le programme de travail de l’IASB et d’en contrôler la mise en œuvre. En effet, celui-ci est seul maître de ses priorités et le moins que l’on puisse attendre d’un organe destiné à renforcer la légitimité de l’IASB est bien qu’il définisse les orientations générales de son travail.
Proposition n° 8 : Reconnaître au « conseil de surveillance » de l’IASC le pouvoir de fixer le programme de travail de l’IASB et de contrôler sa mise en œuvre.
– Les études d’impact préalables à l’adoption d’une norme
L’évaluation, qu’elle soit a priori – via des études d’impact – ou a posteriori, est désormais au cœur de l’action publique. C’est ainsi qu’en France, pour le budget de l’État, par exemple, des rapports annuels de performances comparent, en application de l’article 54 de la LOLF, les performances réellement obtenues avec les objectifs figurant dans les projets annuels de performances annexés au projet de loi de finances. De même une loi organique prise en application de l’article 39 de la Constitution, tel que modifié par l’article 15 de la loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la cinquième République, (n° 2008-724 du 21 juillet 2008) imposera que les projets de loi soient désormais accompagnés d’une étude d’impact.
L’IASB a, lui aussi, renforcé l’évaluation des normes IFRS ; avant la publication d’une norme, un « feedback statement », c'est-à-dire une étude d’impact réalisée auprès des préparateurs de comptes, de celle-ci est analysée. En outre, deux ans après son entrée en vigueur, la norme fait l’objet d’une « post-implementation review », c’est-à-dire une évaluation a posteriori.
Cependant, de l’avis général, des progrès restent à faire dans l’évaluation des normes IFRS. En effet, la réalisation d’études d’impact est récente ; par conséquent, la quasi-totalité des normes IFRS actuellement en vigueur n’ont pas été évaluées. En outre, ces études, comme les études post-implementation, pêchent par leur abstraction. En effet, l’IASB se cantonne à une analyse purement comptable des conséquences d’une norme en termes de transparence, de mise en œuvre ou de comparabilité des comptes, sans jamais s’interroger sur les conséquences sociales, managériales ou économiques de celle-ci, notamment sur la stabilité financière.
Face à ce constat, le Parlement européen, dans une résolution du 24 avril 2008, a demandé à ce que des études d’impact des normes IFRS soient réalisées, préalablement à leur homologation par l’Union européenne, afin de déterminer les coûts et les avantages (notamment pour les entreprises concernées) de celles-ci ainsi que leurs conséquences sur la stabilité financière. Depuis, la Commission a publié plusieurs études d’impact (88) qui, il faut le reconnaître, n’arrivent pas à s’élever au-dessus de la technique comptable pour embrasser l’ensemble des conséquences économiques et sociales de normes comptables.
Proposition n° 9 : Améliorer les études d’impact réalisées par l’IASB et la Commission européenne préalablement à l’adoption et à l’homologation des normes IFRS, en y incluant les conséquences sur la stabilité financière de celles-ci, menées auprès de l'ensemble des parties intéressées et en tenant compte de la diversité régionale et des structures de marchés.
– La composition de l’IASB
Le principe semble désormais acquis d’une augmentation du nombre des membres de l’IASB de 14 à 16. En outre, leur désignation serait désormais assortie de critères géographiques (89) :
– quatre ressortissants européens ;
– quatre ressortissants nord-américains ;
– quatre ressortissants de la région Asie-Pacifique ;
– quatre ressortissants des régions précitées et d’autres régions.
Par conséquent, le nombre d’Européens (actuellement de six) pourrait être réduit, désormais à égalité avec les Nord-Américains bien que ceux-ci n’appliquent pas les normes IFRS. De plus, parmi les Européens figurera inévitablement un ou deux britanniques lesquels sont, philosophiquement, bien plus proches des Nord-Américains que des continentaux.
En outre, s’agissant du profil des membres du Board, le §21 de la Constitution de l’IASC dispose que les trustees doivent les choisir parmi les auditeurs, les préparateurs et les utilisateurs de comptes ainsi que parmi les universitaires. Les membres actuels de l’IASB appartiennent effectivement à ces professions, avec une majorité relative pour les auditeurs. L’absence d’économistes parmi ceux-ci n’en est que plus flagrante. Alors que les normes IFRS ont été mises en accusation lors de la crise financière et que les études d’impact souffrent d’une absence de prise en compte des effets macro-économiques de celles-ci, une plus grande attention portée aux compétences économiques de ses membres aiderait l’IASB à prendre conscience que ses normes sont destinées à être appliquées et qu’elles ne sont pas sans conséquences économiques.
Enfin, un aspect non abordé dans le cadre de la réforme de l’IASB est celle de la durée du mandat de ses membres. Actuellement, ils sont nommés pour cinq ans renouvelables une fois. La quasi-totalité accomplit deux mandats, ce qui apparaît très long, d’autant qu’ils sont généralement nommés en fin de carrière. En d’autres termes, ceux qui ont élaboré les normes IFRS ne les appliqueront jamais. Au contraire, peut-être les membres de l’IASB porteraient-ils une plus grande attention à l’application pratique de leurs normes s’ils savaient devoir les appliquer en tant que préparateurs ou auditeurs une fois leur mandat achevé. L’élaboration d’une norme IFRS durant environ trois ans, la durée d’un mandat pourrait utilement être réduite à cette durée.
Proposition n° 10 : Ne nommer au sein de l’IASB que des ressortissants de pays qui appliquent les normes IFRS, pour un mandat de trois ans renouvelable une fois, en prêtant une plus grande attention aux compétences économiques et financières des candidats.
● Renforcer l’influence de l’Union européenne
C’est une évidence d’affirmer que l’Union européenne a fait le succès des normes IFRS. En choisissant de les rendre obligatoires pour l’établissement des comptes consolidés de ses plus grandes entreprises, l’Union européenne a transformé un think tank en normalisateur comptable et incité de nombreux États à faire de même. Ce choix est définitif et il n’est plus temps de regretter que la Commission n’ait pas négocié de l’influence sur l’IASB en échange de l’homologation des normes IFRS, lorsqu’elle était en position de force. Pour le meilleur et pour le pire, l’Union européenne doit désormais « faire avec » les IFRS.
Si l’application de ces normes est aujourd’hui un fait irréversible dans l’Union européenne, celle-ci ne doit pas se désintéresser de l’activité de l’IASB. Bien au contraire, c’est justement parce qu’elle a délégué son pouvoir de normalisation comptable qu’elle doit exercer un contrôle étroit et permanent sur l’usage qui en est fait.
Or, ce contrôle n’apparaît pas, aujourd’hui, satisfaisant. Si la Commission européenne dispose d’un poste d’observateur à l’IFRIC et au SAC, elle n’est pas en mesure de peser directement sur les travaux de l’IASB dont les membres se contentent de rencontrer régulièrement ceux de l’EFRAG (qui participe en outre à quelques groupes de travail de l’IASB). Elle le pourra peut-être à l’avenir via le « monitoring group » si celui-ci se voit reconnaître, comme le souhaite la mission d’information, le pouvoir de fixer l’agenda de l’IASB et d’en contrôler la mise en œuvre. Quant au Parlement européen, il se borne à auditionner, une fois l’an, le Président de l’IASB. En définitive, l’essentiel de l’influence de l’Union européenne sur l’IASB repose sur la menace d’un refus d’homologation d’une norme IFRS qu’elle jugerait contraire à ses intérêts.
Si les normes IFRS sont un fait pour l’Europe, tout l’enjeu est désormais de mettre ces normes au service des intérêts de l’Union européenne. Or, celle-ci est, pour l’IASB, dans la position d’un lobby comme le sont les représentants du monde économique et les États ou organisations internationales et en concurrence avec eux pour faire prévaloir ses intérêts. La mission d’information estime donc que la stratégie d’influence de l’Union européenne sur l’IASB devrait suivre les trois axes suivants.
– Promouvoir une vision européenne de la comptabilité
À la base de toute norme se trouve une certaine vision. Depuis toujours, c’est la vision anglo-saxonne de la comptabilité qui domine au sein de l’IASB, simple reflet de l’influence considérable des schémas de pensée anglo-saxons, en comptabilité comme ailleurs. En effet, en Grande-Bretagne, et plus encore aux États-Unis, la richesse, la qualité et la diversité des travaux menés au sein des universités et centres de recherche américains et britanniques fournissent une base théorique pour de nombreux principes repris par l’IASB, principes qu’il est ensuite difficile de remettre en cause.
Parallèlement, la faiblesse doctrinale de la profession comptable en France s’explique par le fait qu’historiquement, elle n’a jamais été en charge de la normalisation comptable, dominée par les fonctionnaires des finances et de l’INSEE. L’activité de recherche est donc récente (90).
Si l’Europe, notamment la France et les pays de tradition continentale, veulent peser sur l’élaboration des normes IFRS, le renforcement de leur capacité de recherche en comptabilité doit être une priorité. Ce n’est pas tout de s’opposer à la « juste valeur », il faut être en mesure de proposer des alternatives et de soutenir la discussion avec les théoriciens de haut niveau que sont les membres de l’IASB.
Pour ce faire, l’Union européenne dispose des moyens que lui donnent les programmes de recherche et d’enseignement. Il pourrait être envisagé, par exemple, de créer un programme de recherche spécialisé sur la matière comptable et, sur le modèle de l’Académie (française) des sciences et techniques comptables et financières, de créer une Académie comptable européenne qui, par des colloques, des publications ou des bourses, aiderait à l’activité de la recherche comptable en Europe et à l’émergence d’une vision européenne de la comptabilité.
Certes, au sein même de l’Union européenne coexistent plusieurs traditions comptables dont l’une – la tradition anglaise – est totalement acquise à l’IASB. Cependant, alors que des banques outre-Manche subissent de lourdes pertes (91), il n’est pas impossible que les Britanniques fléchissent sur le dogme de la « juste valeur », pour autant qu’un autre modèle pertinent d’évaluation puisse lui être opposé.
Proposition n° 11 : Renforcer la recherche académique et universitaire européenne en matière comptable, notamment via des programmes européens d’échanges et de soutien à la recherche et, à terme, une Académie comptable européenne.
– Renforcer les moyens matériels et humains de l’EFRAG
L’Union européenne est, pour l’IASB, dans la position d’un lobby. À charge pour elle, au-delà de la seule homologation des normes IFRS – qui intervient a posteriori – de peser sur leur processus d’élaboration afin de les orienter dans un sens favorable à ses intérêts et à ceux de ses États-membres. Ce lobbying s’exerce principalement via l’European Financial Reporting Advisory Group (EFRAG), organisme privé chargé depuis 2001 de conseiller techniquement la Commission européenne pour l’homologation des normes IFRS. Cependant, son rôle va bien au delà puisque l’EFRAG représente l’Union européenne dans les groupes de travail de l’IASB, entretient des relations régulières avec les membres du Board et commente les projets de normes IFRS et les projets d’interprétation de l’IFRIC. Enfin, il travaille étroitement avec les normalisateurs nationaux afin d’encourager le débat comptable en Europe.
Cependant, l’efficacité de l’action de l’EFRAG ainsi que sa légitimité pourraient être améliorées sur plusieurs points (92).
L’EFRAG a été fondé par des institutions telles que Business Europe (qui représente le patronat européen), la Fédération bancaire européenne, la Fédération européenne des analystes financiers ou encore la Fédération européenne des comptables et des auditeurs. En d’autres termes, c’est un organisme privé qui a en charge le rôle essentiel d’éclairer la Commission européenne dans l’homologation des normes IFRS et de faire prévaloir le point de vue européen lors de l’élaboration de celles-ci. La comptabilité est, une fois de plus, abandonnée aux experts privés. La compétence de l’EFRAG et son dévouement à sa mission ne sont pas en cause, mais s’agissant d’un bien public comme la comptabilité, il serait préférable que ce soit une institution publique, créée et financée par l’Union européenne, qui défende les intérêts de celle-ci dans la normalisation comptable internationale.
De plus, l’EFRAG n’est que l’une des institutions européennes chargées de la comptabilité. Ses avis sont en effet soumis à un Comité d’examen des avis sur les normes comptables, chargé d’éclairer la Commission sur le caractère équilibré et objectif des avis rendus par l’EFRAG. Quant à l’Accounting Regulatory Committee (ARC), composé de représentants des États-membres, il donne un avis politique sur l’homologation des normes IFRS. Enfin, depuis juin 2005, l'EFRAG et les normalisateurs comptables nationaux (notamment allemand, britannique et français) coordonnent certains de leurs travaux via un nouvel organisme informel : le PAAinE (Proactive Accounting Activities in Europe).
La multiplication de ces comités, groupes et autres cercles informels, outre qu’elle allonge considérablement la durée de la procédure d’homologation des normes IFRS, se traduit également par un gaspillage d’énergie et de moyens. Ces organismes pourraient utilement être regroupés en un seul, public, sous contrôle de la Commission européenne, qui donnerait un seul avis définitif à l’homologation (ou non) des normes IFRS. Cet organisme serait dans les faits une véritable « Autorité européenne des normes comptables » agissant en étroite concertation avec les normalisateurs nationaux, certes, sans pouvoir de normalisation, mais avec une position institutionnelle telle qu’elle serait la « voix de l’Europe » dans le dialogue avec l’IASB. C’est maintenant que l’Union européenne a délégué son pouvoir de normalisation comptable à un organisme privé international que, paradoxalement, il devient possible pour les États-membres de parler d’une seule voix.
Enfin, l’influence internationale du « nouvel » EFRAG dépendra largement de ses moyens financiers et humains. Or, ceux-ci sont actuellement très limités. L’EFRAG dispose en tout et pour tout d’un président, d’un directeur technique et d’une dizaine de chefs de projet. Les onze membres du comité technique de l’EFRAG sont des bénévoles mis à disposition à temps partiel par leur employeur qui, pour quatre d’entre eux, sont des cabinets d’audit. Il en est de même pour certains des chefs de projet. Afin de « muscler » la compétence technique de l’EFRAG et la détacher de la seule profession comptable, il faut qu’il ait les moyens de recruter lui-même, au prix du marché, des professionnels comptables de haut niveau. Un financement communautaire, cohérent avec son caractère désormais public, lui permettrait ainsi d’assurer son indépendance.
Proposition n° 12 : Rationaliser l’organisation du processus européen d’homologation des normes IFRS autour de l’EFRAG, organisme désormais public dont les moyens matériels et humains seraient renforcés.
– Utiliser les pressions politiques
L’IASB et les normes IFRS exercent une diffuse mais indiscutable fascination sur la Commission européenne. En effet, un organisme privé, avec des moyens somme toute limités, a réussi là où celle-ci, malgré toute sa volonté et des moyens financiers, humains et politiques autrement plus importants, a échoué : établir un référentiel comptable unique dans l’Union européenne. Certes, la Commission est à l’origine de la reprise du référentiel IFRS, mais ce choix fut largement contraint (voir supra) et le pouvoir de normalisation comptable échappe désormais tant à la Commission qu’aux États-membres (sous la réserve d’une procédure d’homologation d’une influence limitée).
Dès lors, la Commission souffre d’une sorte de complexe d’infériorité vis-à-vis de l’IASB et, sans l’obstination de la France, sans doute les normes IAS 32 et IAS 39 auraient-elles été adoptées telles quelles en 2003, dans l’indifférence générale tant la Commission était favorable à une adoption sans condition des normes IFRS afin de ne pas perturber leur éventuelle reconnaissance par la SEC. Le « carve out » maintenu par la Commission sur la norme IAS 39 montre cependant que celle-ci, lorsqu’elle est appuyée par les États-membres, peut dire non à l’IASB et ne pas homologuer la totalité d’une norme. L’incident a démontré l’utilité de la procédure d’homologation même si aucun autre « carve out » (ou non-homologation de certaines dispositions d’une norme IFRS) n’a eu lieu depuis.
Le « carve out » a cependant un défaut : il n’intervient qu’a posteriori, alors que la norme est déjà publiée. En outre, il nuit à la comparabilité des comptes en dissociant les IFRS « européennes » des IFRS telles qu’adoptées par l’IASB, semant ainsi la confusion dans les entreprises et parmi les investisseurs. Le « carve out » ne peut être – comme le refus d’homologation – qu’une arme de dissuasion, destinée en pratique à ne jamais être appliquée mais dont la menace – réelle – doit conduire l’IASB à se montrer conciliant. Il est donc un atout dans le rapport de force entre l’Union européenne et l’IASB.
En outre, l’adoption des normes IFRS ne fut qu’un pis-aller pour des États-membres incapables de s’accorder sur des normes comptables communes et non une adhésion à l’idéal d’une harmonisation comptable mondiale. L’objectif premier du règlement n° 1606/2002/CE était d’harmoniser les règles comptables applicables dans les États-membres et cet objectif peut parfaitement être atteint en dissociant les normes IFRS de l’organisme qui les élabore et en confiant à un organisme européen le soin de les réviser et de les interpréter. Les normes IFRS telles qu’élaborées ensuite par l’IASB ne serait alors plus qu’un divertissement d’experts tant il est prévisible, au regard du poids économique de l’Europe, que les normes IFRS « européennes » seraient reprises dans le monde entier.
Cependant, l’Union européenne souscrit à l’objectif de l’IASB d’une harmonisation comptable mondiale et se refuse, par conséquent, à faire un usage élargi du « carve out » ; en revanche, elle ne doit pas s’interdire de faire pression sur l’IASB pour infléchir les normes IFRS dans un sens favorable à ses intérêts et à ceux de ses États-membres. Comme la Commission semble répugner au rapport de force, c’est aux États-membres qu’il revient d’agir. Ainsi, c’est le Conseil ECOFIN – qui rassemble les ministres des finances des vingt-sept – qui, le 7 octobre dernier, a demandé à l’IASB d’amender la norme IAS 39 afin d’autoriser les reclassements entre les différentes catégories d’actifs, « cette question [devant] être réglée d'ici la fin du mois ». En d’autres termes, le Conseil a posé un véritable ultimatum à l’IASB qui l’a d’ailleurs ressenti comme tel puisque dès le 13 octobre, il a modifié dans le sens voulu les dispositions de la norme précitée.
La preuve est ainsi faite que l’Union européenne dispose d’un véritable pouvoir d’influence sur l’IASB qui ne se limite pas à la seule « homologation » des normes IFRS. Elle ne doit pas s’interdire d’en user. La normalisation comptable internationale n’est pas un long fleuve tranquille. C’est une lutte d’influence que se livrent les différentes parties prenantes et l’entrée en scène des États-Unis, dans la perspective d’une éventuelle application des normes IFRS aux entreprises américaines, doit lever les dernières réticences des Européens à utiliser toutes les armes à leur disposition.
Proposition n° 13 : L’Union européenne ne doit pas s’interdire de faire pression, autant que nécessaire, sur l’IASB pour orienter les normes IFRS dans un sens favorable à ses intérêts et à ceux des États-membres.
Enfin, quel peut être le rôle de la France dans la normalisation comptable internationale ? Limité, sans doute, en raison des moyens financiers, humains et politiques qu’exige l’influence sur l’IASB. En matière comptable comme dans d’autres, l’influence de la France passe par l’Union européenne. Cependant, le Gouvernement comme les entreprises auraient tort, sous ce prétexte, de se désintéresser de la matière comptable. Ce n’est heureusement pas le cas. Ainsi, les entreprises ont-elles créé ACTEO afin, notamment, d’assurer une « veille » comptable et, le cas échéant, de réagir elles-mêmes ou saisir les autorités politiques.
Un organisme français dédié aux normes IFRS : Acteo
Acteo a été créé en 1997 par le MEDEF pour rassembler toutes les entreprises françaises appliquant les IFRS afin de peser sur le processus d’élaboration de celles-ci.
Les missions d’ACTEO vont de l’élaboration à l’application des normes IFRS. Acteo assure la veille technique sur tous les projets de normes ou d’interprétations IFRS et porte les avis et propositions des entreprises françaises auprès de l’IASB et de l’IFRIC. ACTEO participe aux processus de consultation de l’IASB et de l’EFRAG (lettre de commentaire, tables rondes…) et contribue à la réflexion coordonnée par le CNC sur le développement ou la mise en œuvre des normes IFRS. Il participe au Standard Advisory Board de l’IASB et aux groupes de travail de l’IASB (instruments financiers, assurances, présentations des états financiers). ACTEO participe également au travail de l’EFRAG (assurances, concessions, comptabilisation du chiffre d’affaires, performance reporting, IFRS pour PME…).
S’agissant de l’application des normes IFRS, ACTEO aide les émetteurs à définir leurs pratiques de place. Il recherche, à travers le forum ACTEO/CNCC auquel participent le CNC et l’AMF une compréhension commune des normes IFRS par tous les acteurs de la place. ACTEO permet ainsi de valider les pratiques de place définies par les émetteurs.
Pour ce faire, ACTEO rédige en français des comptes rendus systématiques, en temps quasi-réel, des travaux mensuels de l’IASB. Il constitue des groupes de travail ad hoc chargés de développer analyses et argumentaires. ACTEO organise des réunions de travail spécifiques pour traiter des problématiques d’application des IFRS et tient des réunions plénières mensuelles pour expliquer l’avancement des travaux du Board, pour décider des actions à mener, pour préparer le forum ACTEO /CNCC, pour approuver les lettres de commentaires. Enfin, ACTEO organise et participe à des colloques afin de porter le message des entreprises.
Car les États-membres, dont la France, conservent un rôle essentiel qui est celui d’alerter l’opinion et les institutions communautaires sur les conséquences éventuelles de l’application d’une nouvelle norme. Lors de la crise de 2003 sur les normes IAS 32 et IAS 39, l’intervention publique du Président Jacques Chirac, sur demande des banques françaises, fut décisive dans la décision de la Commission européenne de ne pas homologuer ces normes.
b) Surveiller les normes à venir
● La convergence avec les US GAAP : menace ou opportunité ?
L’application des normes IFRS dans une centaine d’États ne peut être qu’une étape sur la route menant à un référentiel comptable mondial, lequel reste l’objectif final de l’IASB. Cependant, outre que cette route est longue, elle est également semée d’obstacles dont les plus importants, maintenant que l’Union européenne s’est ralliée au référentiel IFRS, sont les États-Unis et, plus précisément, la SEC et le FASB.
Les faits sont d’ailleurs éloquents. L’encre paraphant le règlement 2002/1606 du 19 juillet 2002 était à peine sèche que l’IASB s’empressait de conclure avec le FASB les « accords de Norwalk » (Connecticut) en octobre 2002 par lesquels les deux normalisateurs s’engageaient à rendre comparables les deux référentiels et à coordonner à l’avenir leur programme de travail afin d’assurer cette compatibilité à long terme. En février 2006, ils publièrent un accord-cadre (« Memorandum of understanding ») constituant la feuille de route pour la convergence entre les IFRS et les US GAAP pour les années 2006-2008, approuvé par la Commission européenne comme par la SEC.
Entamé par les seuls normalisateurs comptables, le processus de convergence transatlantique des normes comptables fut ensuite validé, sans véritable débat, au plus haut niveau politique. En avril 2007, le Président américain Georges Bush, la Chancelière Allemande Angela Merkel et le Président de la Commission européenne José Manuel Barroso ont en effet évoqué la convergence des normes comptables lors du sommet annuel « Union Européenne – États-Unis » en ces termes : « promouvoir et chercher à garantir, d’ici 2009 ou éventuellement plus tôt, les conditions dans lesquelles les [US GAAP et les IFRS] seront reconnues dans les deux juridictions sans qu’il soit nécessaire de procéder à des opérations de réconciliation ».
La convergence entre les IFRS et les US GAAP n’est pas absurde en elle-même. Non seulement elle participe à l’émergence d’un référentiel comptable mondial, mais, plus prosaïquement, elle est l’une des conditions implicitement posées par la SEC pour la reconnaissance des normes IFRS. Or, sur les 7 000 groupes européens appliquant les normes IFRS, environ 200 sont également cotés aux États-Unis à qui la SEC impose une note chiffrée et commentée, à la fois coûteuse et complexe, de réconciliation de leurs résultats et de leurs capitaux avec les normes américaines. La perspective d’un allègement de ces contraintes ne peut que les satisfaire. Enfin, la convergence est également encouragée par de nombreux acteurs de marché aux États-Unis qui craignent le manque d’attractivité des marchés américains pour les sociétés étrangères (loi Sarbanes-Oxley…).
Cependant, le diable est, comme toujours, dans les détails. À la base d’un processus de convergence, il y a l’idée que les deux partenaires fassent un bout de chemin l’un vers l’autre. Or, les situations respectives de l’IASB et du FASB ne sont pas équivalentes. D’un côté, il y a l’IASB, organisme international relativement récent, indépendant et amalgamant de nombreuses traditions comptables au service d’un idéal ; de l’autre, le FASB, héritier d’une longue tradition de normalisation comptable et appuyé par la SEC – le plus puissant régulateur de marché du monde – et composé de membres dont l’objectif est avant tout d’établir les meilleures normes possibles pour les entreprises américaines.
Le risque est donc réel que la convergence soit à sens unique et que les normes IFRS convergent seules vers les US GAAP. Les exemples sont ainsi nombreux où les nouvelles normes IFRS ne sont que la quasi-copie des normes américaines équivalentes. Ainsi la norme IAS 39, copie presque conforme des normes américaines sur les instruments financiers, la norme IFRS 8 « Segments opérationnels », alignée sur la norme américaine SFAS 131 Disclosures about segments of an enterprise and related information. Or, cette dernière a été très largement critiquée (voir supra), notamment parce qu’elle risquait de conduire à une réduction de la pertinence de l’information financière. Le fait qu’elle ait néanmoins été publiée révèle que, pour l’IASB, la convergence vers les US GAAP prime la qualité intrinsèque d’une norme IFRS et ce, en contradiction avec sa Constitution qui lui impose d’élaborer des normes de « haute qualité ». Un tel tropisme vers les normes américaines est ainsi de nature à nuire à la légitimité des normes IFRS dans le monde.
Toujours est-il que la convergence a satisfait la SEC qui a pris la décision, le 15 novembre 2007, de dispenser les entreprises établissant leurs comptes selon les normes IFRS de l’obligation de réconcilier ceux-ci avec les US GAAP. Si l’IASB a salué comme il se doit cette décision, « étape importante vers […] l’élaboration d’un référentiel comptable unique de haute qualité accepté par l’ensemble des marchés financiers internationaux », celle-ci n’en fut pas moins un camouflet pour l’Union européenne, qu’elle a d’ailleurs encaissé sans broncher. En effet, la dispense de la SEC ne s’applique qu’aux entreprises établissant leurs comptes selon les normes IFRS telles qu’elles sont publies par l’IASB et donc sans tenir compte du « carve out » européen sur la norme IAS 39.
Le risque que l’Union européenne soit marginalisée dans le processus de convergence est donc réel. L’autre risque est qu’elle se conforme strictement aux normes IFRS telles que publiées par l’IASB en abandonnant toute possibilité de faire un « carve out » sur une norme qui irait à l’encontre de ses intérêts, voire de remettre en cause le « carve out » actuel sur la norme IAS 39, auquel les banques sont particulièrement attachées.
Proposition n° 14 : Maintenir l’homologation partielle (« carve out ») de la norme IAS 39 par l’Union européenne.
De plus, avec la perspective d’une application des normes IFRS par les entreprises américaines (93), la SEC sera amenée à s’intéresser de près à l’élaboration des IFRS et à leur interprétation et, par conséquent, à renforcer son influence sur l’IASB. Le renouvellement du poste de Président de l’IASB en 2010 sera un test de l’influence des États-Unis ; surtout, dès lors que les US GAAP seront, sans doute sur option, abandonnée au profit des IFRS, de nombreux professionnels et chercheurs américains de haut niveau pourront s’investir dans les IFRS et postuler au Board ou l’influencer.
Finalement, au-delà des modalités pratiques de la convergence, celle-ci est-elle vraiment dans l’intérêt de l’Union européenne ? Il est permis d’en douter. La déférence de l’IASB envers les US GAAP n’a pas de justification et le succès des normes IFRS repose sur des qualités qui leur sont propres. De plus, la convergence vers les US GAAP ne semble plus être une revendication des entreprises européennes. Le mirage de la cotation à Wall Street s’est largement évaporé, notamment en raison de la loi Sarbanes-Oxley. Surtout, les marchés financiers européens se sont considérablement développés depuis l’époque où l’essentiel de la puissance financière se concentrait outre-atlantique. Il n’est plus indispensable, aujourd’hui, pour une entreprise européenne souhaitant lever des capitaux, de s’adresser à Wall Street et, par conséquent, de présenter des comptes en normes américaines. Enfin, la convergence vers les US GAAP mobilise des énergies qui pourraient être utilement utilisées ailleurs, par exemple à imaginer une méthode alternative à la « juste valeur » pour l’évaluation des instruments financiers.
La convergence a cependant toutes les chances d’être poursuivie dans les années à venir. Même si le « monitoring group » se voyait reconnaître le pouvoir de fixer l’agenda de l’IASB, il y a fort à parier qu’il ne la remette pas en cause, d’autant que les Européens sont, sur la convergence, largement indifférents, sinon favorables comme les Britanniques et les Allemands. L’Union européenne ayant adopté les IFRS contre les US GAAP, l’Histoire ne manquerait pas d’ironie si celles-ci se retrouvaient finalement applicables en Europe sous un autre nom.
Proposition n° 15 : Surveiller, via le « conseil de surveillance », l’EFRAG et l’ECOFIN, la convergence entre les normes IFRS et les US GAAP afin que celle-ci ne se traduise pas par un alignement des premières sur les secondes.
● Les projets controversés de l’IASB
Les normes IFRS sont en évolution constante, notamment en raison de la convergence avec les US GAAP qui s’est traduite par un programme de travail commun IASB/FASB pour les années 2009-2011. Plusieurs projets de normes et d’amendements à des normes existantes sont actuellement en préparation qui suscitent, pour certains d’entre eux, de fortes réserves de la part de l’EFRAG, des normalisateurs nationaux et des entreprises européennes. La mission d’information s’est ainsi penchée sur trois projets controversés inscrits sur l’agenda de l’IASB :
– La réforme du Cadre conceptuel
Dans le cadre du processus de convergence, l’IASB et le FASB ont entrepris l’élaboration d’un cadre conceptuel commun, projet qui, pour l’IASB, comporte huit phases (de A à H) et doit normalement s’achever en 2010. Pourtant, début 2009, seules les phases A « Objectives and qualitative characteristics » et D « Reporting entity » ont fait l’objet de « documents de consultation » (94).
Le Cadre conceptuel est fondamental dans un référentiel comptable « principles-based ». En effet, dès lors que les normes sont fondées sur des principes, celles-ci doivent être interprétées, et ne peuvent l’être que par référence à un cadre conceptuel dans lequel elles s’insèrent et qui assure une application cohérente de celles-ci en bornant les interprétations possibles. Par conséquent, toutes les normes doivent être conformes au cadre conceptuel ; les nouvelles comme les anciennes qui doivent donc être amendées (95).
Parmi les questions que doit trancher le Cadre conceptuel, il y a celle des utilisateurs des normes comptables. En effet, les objectifs, le contenu et la forme de celles-ci découlent largement de leur destinataire. Que celui-ci soit l’État, les dirigeants ou les investisseurs, et les normes ne seront pas les mêmes. Déterminer les utilisateurs de la comptabilité ainsi que leurs besoins est donc une question prioritaire, justifiant que l’IASB ait commencé par travailler sur les phases A et D.
Les « documents de consultation » publiés depuis 2006 sont sans ambiguïté. L’IASB considère toujours que les « investisseurs, les créanciers et les autres apporteurs de capitaux » sont les utilisateurs premiers de la comptabilité. L’information financière délivrée par les entreprises leur est donc destinée. Le principe est donc maintenu que les besoins d’information de ceux-ci couvrent l’essentiel des besoins des autres utilisateurs de la comptabilité. Cependant, ce principe est un postulat que l’IASB se garde bien de démontrer.
En outre, les derniers « documents de consultation » donnent l’impression que les enseignements de la crise financière n’ont pas été tirés ; l’IASB continue à considérer que le bon fonctionnement des marchés va de soi, ignorant qu’ils peuvent connaître des dysfonctionnements majeurs. Ainsi, l’EFRAG note, dans son commentaire du « discussion paper » publié le 29 mai 2008 : « il est essentiel que le Cadre conceptuel prenne pleinement en compte les expériences issues des récents événements sur les marchés financiers. Il est trop facile de faire des hypothèses implicites sur l’environnement dans lequel les concepts s’appliqueront et de découvrir plus tard que, celui-ci ayant changé, les concepts ne s’appliquent pas correctement ». L’EFRAG recommande donc que le cadre conceptuel « ne tienne pas pour acquis la stabilité des marchés financiers ».
Enfin, la mission d’information s’étonne que l’IASB mène conjointement la réforme de son cadre conceptuel tout en continuant à publier de nouvelles normes. En effet, les normes IFRS doivent être conformes au cadre conceptuel. S’il apparaissait que les normes publiées en 2009 et 2010 lui étaient contraires, elles devront faire l’objet d’amendements, sauf si l’IASB les laisse subsister en l’état, et on peut se demander alors à quoi sert le cadre conceptuel. L’essentiel des ressources de l’IASB devrait être consacré à l’élaboration du cadre conceptuel (96).
Proposition n° 16 : Accélérer l’élaboration du nouveau cadre conceptuel de l’IASB, infléchi par les enseignements de la crise financière, et subordonner la publication de toute nouvelle norme IFRS à l’adoption de celui-ci.
– La consolidation
La norme IAS 31 Participation dans des coentreprises fixe les règles applicables à la comptabilisation des entités contrôlées conjointement, c'est-à-dire des coentreprises. La coentreprise correspond au cas où deux ou plusieurs partenaires ont décidé de diriger conjointement l’activité d’une entité, décision qui doit être entérinée dans un contrat prévoyant que toutes les décisions stratégiques de nature financière ou opérationnelle sont prises à l’unanimité des partenaires.
Une entreprise consolidante dispose, en application de la norme IFRS 31 comme du règlement n° 99-02, de deux méthodes pour comptabiliser une participation dans une coentreprise : la mise en équivalence et l’intégration proportionnelle :
– l'intégration proportionnelle consiste à substituer dans le bilan de la société mère la quote-part des éléments d'actifs et de passifs composant le bilan de la coentreprise à la valeur des titres de participation détenus dans celle-ci. De même, au compte de résultat, la quote-part de ses produits et charges est ajoutée à ceux de la société mère au prorata de sa part relative ;
– la mise en équivalence consiste à substituer à la valeur comptable des titres de participation de la filiale détenus par la société mère, la part correspondante dans les capitaux propres de la filiale (97).
La norme IAS 31 considère que l’intégration proportionnelle est la méthode préférentielle pour comptabiliser les coentreprises. La mise en équivalence est autorisée, mais elle est explicitement considérée comme aboutissant à une information financière de moindre qualité. Lors du passage aux IFRS, en 2005, les groupes français ont majoritairement choisi l’intégration proportionnelle, maintenant le traitement appliqué par le droit comptable français aux coentreprises.
Or l’IASB travaille actuellement sur un projet de norme ED9 Accords conjoints qui, contrairement à la norme IAS 31 qu’elle est destinée à remplacer, supprimera l’option pour la méthode de l’intégration proportionnelle. En effet, pour l’IASB, cette méthode conduit à reconnaître respectivement à l’actif et au passif de l’entité consolidante des éléments qui ne sont ni contrôlés ni des obligations de l’entité consolidante ou de ses filiales. Ces éléments ne sont donc pas des actifs ou des passifs au regard du Cadre conceptuel (98).
Le moins que l’on puisse dire est que le projet suscite de très fortes réserves, tant de la part des normalisateurs nationaux que des Autorités de marchés et des entreprises (99). En effet :
– les principales informations opérationnelles concernant les activités d'une coentreprise (telles que le chiffre d'affaires, le résultat opérationnel, les actifs et les passifs de la coentreprise) ne seront plus présentées dans ses principaux états financiers, lesquels perdront de leur pertinence, mais dans les notes annexes où les groupes développeront leurs propres indicateurs de performance ;
– la création d’une coentreprise en partenariat avec un industriel local est souvent la seule voie d’implantation et de développement dans certaines régions du monde, notamment en Chine ; si les entreprises ne peuvent plus consolider, dans leur bilan et leur résultat, la quote-part de ceux-ci découlant de la coentreprise, c’est l’ensemble de la stratégie de leur développement qui pourrait être remise en cause ;
– certaines entreprises pourraient convertir leurs accords conjoints en simples « joint operations » afin de continuer à appliquer une forme de méthode de consolidation par intégration proportionnelle, ce qui démontre au passage que les dispositions de la norme ED9 lient le traitement comptable à la forme légale de l'accord, en contradiction avec le principe « substance over form » ;
– enfin, alors que la convergence avec les US GAAP est un objectif majeur de l’IASB, l’ED9 introduirait une divergence nouvelle entre celles-ci et les IFRS puisque les normes comptables américaines autorisent, par exception, l’intégration proportionnelle des coentreprises pour deux secteurs d’activités parmi les plus concernés : l’industrie pétrolière et la construction.
De surcroît, le projet ED9 soulève de nombreuses interrogations sur le processus d’élaboration des normes IFRS. En effet, le choix de supprimer l’intégration proportionnelle ne résulte pas d’une étude comparée des différentes méthodes de consolidation. Seules ont été étudiées la méthode de l’intégration proportionnelle et ses incohérences avec le cadre conceptuel. Le moins que l’on aurait pu espérer de l’IASB est qu’il se livre à une étude approfondie de leurs avantages et de leurs inconvénients. Ce n’est pas le cas. Décider de supprimer une méthode jusque-là reconnue comme la meilleure au motif qu’elle ne serait pas conforme au Cadre conceptuel paraît enfin d’autant plus discutable que celui-ci est en cours de réforme, et que des réflexions sont engagées sur la définition des actifs, des passifs et sur les différentes formes de contrôle (voir proposition n° 16). Reste maintenant à espérer que l’IASB tiendra compte des critiques unanimes des normalisateurs, des Autorités de marché et des entreprises européennes.
Proposition n° 17 : Maintenir la possibilité pour une entreprise appliquant les normes IFRS de consolider une coentreprise via la méthode de l’intégration proportionnelle ou, comme les US GAAP, la maintenir dans certains secteurs.
– Les contrats d’assurance
L’IASB n’est jamais parvenu à faire œuvre de normalisation en matière de contrats d’assurance. Ceux-ci présentent donc la particularité de se voir appliquer une norme – IFRS 4 Contrats d’assurance – qui, dès son adoption en mars 2004, a été présentée comme provisoire. Autre particularité, en application de cette norme, les actifs des sociétés d’assurance sont évalués à la « juste valeur » alors que leurs passifs sont évalués selon les règles comptables nationales en vigueur, c'est-à-dire généralement au coût historique amorti, avec cependant quelques aménagements parmi lesquels l’interdiction des provisions pour égalisation (en matière de réassurance et de grands risques) et l’activation des frais d’acquisition.
Par conséquent, non seulement la norme IFRS 4 a rendu artificiellement volatils, via la « juste valeur », les bilans et les résultats des sociétés d’assurance, mais l’objectif de comparabilité est mis à mal par le renvoi aux normes nationales en matière d’évaluation des passifs, cette divergence compliquant également considérablement l’activité courante des sociétés.
Si l’adoption d’une norme IFRS définitive pour les contrats d’assurance a pris tant de retard, c’est probablement parce que, ne pouvant être négociés sur un marché, les passifs d’assurance ne peuvent être évalués à la « juste valeur », sinon par des modèles mathématiques très complexes. En outre, conceptuellement, il serait paradoxal d’appliquer une valeur instantanée à des passifs dont la gestion relève, par nature, d’un processus de long terme. L’IASB s’est donc heurté, pour la première fois à une impossibilité tant théorique que pratique d’appliquer la « juste valeur », l’obligeant à concevoir une autre méthode d’évaluation des passifs d’assurance (100). Si un « exposé-sondage » est annoncé sur le site Internet de l’IASB pour le second semestre 2009, il est cependant peu probable que la norme définitive voit le jour à la date prévue – soit en 2011.
Cependant, le véritable enjeu, pour les sociétés d’assurance, est l’évolution des normes prudentielles européennes. Une directive, dite « Solvabilité II », est en cours de négociation dont l’objet est d’améliorer la mesure et le contrôle de l’exposition au risque des sociétés d’assurances. « Solvabilité II » repose en pratique sur trois piliers :
– la refonte de la formule de calcul du besoin de marge de solvabilité ;
– le renforcement des exigences de contrôle interne et de surveillance par les autorités de contrôle ;
– l’harmonisation des informations communiquées aux assurés et, le cas échéant, aux marchés financiers.
Par conséquent, trois jeux de normes seront à terme applicables aux sociétés d’assurance : les normes comptables nationales, la norme IFRS 4 - provisoire ou définitive- et les normes prudentielles. La mission d’information estime essentiel que l’IASB et la Commission européenne se coordonnent afin que les normes prudentielles « Solvabilité II » et la norme IFRS 4 tiennent compte l’une de l’autre, afin, notamment, que leur combinaison ne conduisent pas aux mêmes effets pervers que la norme IAS 39 et les normes prudentielles dites de « Bâle II ».
Proposition n° 18 : Veiller à ce que la future norme IFRS applicable aux contrats d’assurance prenne en compte à la fois les spécificités de ceux-ci et les normes prudentielles dites « Solvabilité II » actuellement en discussion.
2.– Réformer prudemment les normes comptables françaises
a) Faire une pause dans la modernisation du PCG
● Une pause pour permettre aux entreprises, en particulier les plus petites, d’assimiler les nouvelles normes comptables
Le PCG a connu, entre 2000 et 2004, des changements aussi rapides que considérables, comme si l’échéance du 1er janvier 2005 s’imposait également à lui. Il est vrai qu’à cette date, les normes IFRS sont devenues applicables aux comptes consolidés et que le CNC a souhaité limiter les divergences entre ceux-ci et les comptes individuels. Cependant, pour limiter les retraitements d’un millier de groupes ayant pourtant les moyens de les effectuer, ce sont des millions d’entreprises qui ont subi un changement radical de leur cadre comptable.
La mission d’information estime donc nécessaire de limiter désormais les évolutions du PCG au strict nécessaire, afin de permettre aux entreprises et aux comptables de « souffler » et d’assimiler les nouvelles normes comptables. Cependant, il est possible que l’Autorité des normes comptables, pressée d’utiliser ses nouvelles compétences, ressente au contraire le besoin de relancer le processus de modernisation du PCG (101) : dans cette éventualité, la mission d’information suggère deux garde-fous :
– comme l’IASB et la Commission européenne pour les normes IFRS, l’ANC pourrait utilement mener des études d’impact préalables à la publication des nouvelles normes comptables nationales ;
Proposition n° 19 : Subordonner l’adoption de nouvelles normes comptables par l’Autorité des normes comptables à la réalisation d’études d’impact préalables, notamment de leurs incidences fiscales.
– les règlements jalonnant le processus de modernisation entre 2000 et 2004 ont été adoptés de manière échelonnée, sans réelle cohérence dans l’ordre choisi, et avec des dates d’entrée en vigueur différentes, compliquant ainsi l’application des nouvelles normes comptables. Il serait donc souhaitable que les prochains règlements de l’ANC soient annoncés à l’avance et leur entrée en vigueur uniformisée. Non seulement les comptables, les auditeurs et les dirigeants, correctement informés par leurs représentants (CSOEC, CNCC, CGPME…), pourraient se former progressivement, et non pas dans l’urgence, mais le PCG aurait ainsi une cohérence d’ensemble à la date d’application desdits règlements.
Proposition n° 20 : Sauf demande contraire des entreprises, prévoir un délai suffisant entre l’annonce d’un nouveau règlement comptable, sa publication et son entrée en vigueur.
● Une pause pour réfléchir à la structure et à la modernisation du droit comptable français
L’Autorité des normes comptables pourrait utilement consacrer ses premiers mois d’existence à répondre à plusieurs questions fondamentales délaissées dans l’urgence de la modernisation du PCG :
– La hiérarchie et le foisonnement des normes comptables
Le droit comptable français est, depuis toujours, un mille-feuille de normes issues de nombreux textes d’une portée juridique variable :
– les 4ème et 7ème directives comptables relatives, respectivement, aux comptes individuels et aux comptes consolidés ;
– les lois n° 83-353 du 30 avril 1983 et n° 85-11 du 3 janvier 1985 transposant les directives susmentionnées ;
– le décret n° 83-1020 du 29 novembre 1983 relatif aux obligations comptables des commerçants et de certaines sociétés qui a complété la loi
n° 83-353 précitée ;
– les arrêtés du 22 juin 1999 portant homologation des règlements n° 99-02 et 99-03 du Comité de réglementation comptable.
Enfin, hier comme aujourd’hui, s’ajoutent à ce mille-feuille comptable, fait de directives, de lois, de décrets et d’arrêtés, les avis du CNC et de son comité d’urgence ainsi que certaines dispositions et instructions fiscales ayant des conséquences en matière comptable.
Outre la confusion qui en résulte, le foisonnement de textes comptables entraîne également un certain nombre d’incohérences et, de fait, une insécurité juridique pour les entreprises (102). De plus, comme l’a déclaré M. Antoine Bracchi ; Président du CNC, en 2002, « s’il y a trop de difficultés pour modifier les textes et des concepts, parce qu’ils sont écrits dans la loi ou même dans un dispositif supérieur, il est pratiquement certain que l’on ira vers une sclérose et que la réflexion comptable s’appauvrira » (103). C’est pourquoi son successeur, M. Jean-François Lepetit, a estimé dans son rapport précité qu’« il est souhaitable de revoir l’ensemble du dispositif de normalisation français afin qu’il appartienne à la nouvelle Autorité des normes comptables d’édicter l’intégralité des règles relatives à la présentation des comptes et à la définition de leur contenu ».
La mission d’information est favorable à ce que l’Autorité des normes comptables fixe les règles applicables à la présentation des comptes et à la définition de leur contenu. D’ailleurs, l’article 5 de l’ordonnance n° 2009-79 du 22 janvier 2009 créant l’Autorité des normes comptables a donné partiellement satisfaction au Président de l’ANC (104). Elle souhaite également que soient mis en cohérence les différents textes en matière comptable. Pour autant, maintenant que le normalisateur comptable est une autorité indépendante, le maintien des principes généraux du droit comptable dans la loi et les décrets constitue un « garde-fou » qui lui semble nécessaire, afin de limiter son éventuel activisme et la possibilité pour celle-ci de remettre en cause les fondements du droit comptable français.
Proposition n° 21 : Maintenir une définition législative des principes comptables et simplifier la structure actuelle du droit comptable français en harmonisant les dispositions du règlement comptable avec celles du PCG.
– Le cadre conceptuel
La création de l’ANC constitue une rupture dans la tradition de la normalisation comptable française. Pour la première fois, celle-ci relève d’une autorité indépendance dans laquelle la représentation de l’État est minoritaire. La France se rapproche ainsi des modalités en vigueur dans les pays anglo-saxons comme au niveau international. Cependant, l’IASB comme le FASB ou encore l’Accounting Standards Board ont précisé dans un cadre conceptuel (ou un document assimilé) les principes guidant leurs travaux.
Il apparaît ainsi nécessaire, avant que le processus de modernisation ne soit relancé, de fixer un cadre à celui-ci. Élaboré par l’ANC en concertation avec l’ensemble des parties prenantes, y compris l’État via ses différentes administrations (INSEE, administration fiscale…), il contiendrait, comme les autres cadres conceptuels, la réponse aux questions essentielles de la normalisation comptable : qui sont les utilisateurs de la comptabilité ? Quels sont leurs besoins ? Quelles sont les caractéristiques d'une information comptable utile et pertinente ? Quelle présentation pour l’information financière... mais également un certain nombre de définitions qui sont actuellement dans le PCG (actifs, passifs, capitaux propres, charges, produits…). Le cadre conceptuel de l’ANC serait ainsi l’occasion de synthétiser une conception « française » de la comptabilité, susceptible d’être opposé aux autres cadres conceptuels, notamment celui de l’IASB.
Proposition n° 22 : Encadrer le processus de modernisation des normes comptables françaises par un Cadre conceptuel élaboré par l’ANC avec l’ensemble des parties prenantes à la comptabilité et homologué par l’État.
– La poursuite du processus de modernisation du PCG
L’élaboration d’un Cadre conceptuel de l’Autorité des normes comptables permettra également de répondre à l’une des questions majeures et encore irrésolue depuis que le processus de convergence (ou de modernisation) a été lancé : jusqu’où converger (moderniser) ? Si le bien-fondé de la convergence (ou de la modernisation) du PCG est indiscutable, il reste à en fixer les limites. Car ce processus est par essence inachevé, se poursuivant au rythme du renouvellement des normes IFRS et de leur interprétation et des évolutions économiques. Par conséquent, des dispositions, parfois récentes, peuvent devenir rapidement obsolètes. Ainsi le règlement 2002-06, entré en vigueur au 1er janvier 2005, est-il directement inspiré des normes IAS 16 et IAS 18 qui ont, depuis, été substantiellement modifiées. Le règlement 2002-06 doit-il être modifié afin de tenir compte de ces évolutions ?
M. Claude Cazes, Président du CSOEC, a très justement identifié les deux travers à éviter dans la modernisation des normes comptables françaises : « l'IAS idolâtrie, qui ne jurerait que par une application pure et dure du nouveau référentiel international, ou le complexe d'Astérix, qui conduirait à défendre bec et ongles le Plan comptable général français » (105). C’est pourquoi la mission d’information considère que les normes IFRS sont un aiguillon, une source d’inspiration pour la modernisation des normes comptables françaises mais en aucun cas un modèle à recopier tel quel.
Tant que cette question n’aura pas été résolue et le Cadre conceptuel élaboré, il apparaît prudent que la modernisation du PCG soit momentanément interrompue, sauf cas d’urgence. En revanche, celle du règlement n° 99-02 sur les comptes consolidés peut être utilement poursuivi dans le sens d’un rapprochement avec les normes IFRS.
Proposition n° 23 : Poursuivre sans attendre le processus de convergence entre le règlement CRC n° 99-02 relatif aux comptes consolidés et les normes IFRS.
● Le projet de l’IASB pour les PME : les IFRS for private entities
Les normes IFRS ne sont obligatoirement applicables, en France, qu’aux comptes consolidés des entreprises dont les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé de l’Union européenne. L’ordonnance du 24 décembre 2004 a fait le choix de ne pas les appliquer aux comptes sociaux, même sur option, non seulement parce ces normes sont d’une application inutilement complexe et coûteuse pour les entreprises, en particulier les PME (106), mais également en raison des liens étroits entre la comptabilité et la fiscalité.
Cependant, bien que les normes IFRS puissent être appliquées aux comptes sociaux – ce qui est le cas dans certains pays, y compris de l’Union européenne – l’IASB avait parfaitement conscience que celles-ci restent, dans une large mesure, inadaptées aux PME. En plus d’être d’une redoutable complexité, elles fournissent des informations dont elles n’ont pas besoin (ensemble des règles d’évaluation des instruments financiers par exemple) et ne comprennent pas, à l’inverse, les informations nécessaires à leur activité (flux de trésorerie à court terme…) (107). C’est pourquoi l’IASB a pris l’initiative de lancer, dès 2001, un processus d’élaboration de normes IFRS simplifiées. L’affaire apparaît suffisamment importante pour que, sur son site Internet, il ait pris la peine de traduire les documents de travail en plusieurs langues dont le français, l’allemand et l’espagnol.
Selon l’IASB, ces normes devront répondre aux objectifs suivants :
– constituer un référentiel de grande qualité, compréhensible, pratique et adapté aux PME ;
– répondre aux besoins des utilisateurs des états financiers des PME ;
– permettre d’alléger le poids des contraintes d’information financière des PME souhaitant utiliser un référentiel international ;
– faciliter la transition vers l’application des normes IFRS elles-mêmes.
« L’exposé-sondage » publié en février 2007 constitue le dernier état public de la réflexion de l’IASB. Dans ce document, il réaffirme l’utilité d’un jeu de normes comparables pour les PME à l’échelle internationale et sa propre légitimité à établir celui-ci. De nombreuses simplifications des normes IFRS sont envisagées et, pour les plus importantes, récapitulées dans les tableaux suivants.
SIMPLIFICATIONS RELATIVES AUX MÉTHODES COMPTABLES
Thèmes |
Simplifications |
Immeubles de placement |
Utilisation du modèle du coût et du modèle de la juste valeur par renvoi à la norme IAS 40. |
Immobilisations corporelles |
Utilisation du modèle du coût et du modèle de la réévaluation par renvoi à la norme IAS 38. |
Immobilisations incorporelles |
Utilisation du modèle du coût et du modèle de la réévaluation par renvoi à la norme IAS 38. |
Coûts d’emprunt |
Comptabilisation en charges ou « capitalisation » par renvoi à la norme IAS 23. |
Présentation des flux de trésorerie liés aux activités opérationnelles |
Utilisation de la méthode indirecte et autorisation de la méthode directe par renvoi à la norme IAS 38. |
Subventions publiques |
Possibilité de choisir entre les deux méthodes suivantes : application du modèle proposé pour toutes les formes de subventions publiques ou application du modèle proposé pour les subventions liées aux actifs évalués à la juste valeur par le compte de résultat et application des dispositions de la norme IAS 20 pour toutes les autres formes de subventions. |
SIMPLIFICATIONS RELATIVES À LA COMPTABILISATION ET À L’ÉVALUATION
Thèmes |
Simplifications |
Classification des instruments financiers |
En deux catégories seulement : coût ou coût amorti, juste valeur par le biais du compte de résultat. |
Simplification des conditions de décomptabilisation d’un actif |
Décomptabilisation d’un actif financier si et seulement si l’une des conditions suivantes est avérée : les droits contractuels sur les flux de trésorerie liés à l’actif financier arrivent à expiration, l’entité transfère la quasi-totalité des risques et avantages inhérents à la propriété de l’actif ou l’entité transfère le contrôle physique de l’actif financier. |
Comptabilité de couverture |
La norme pour les PME ne traite que de quatre types d’opérations de couverture : couverture du risque de taux d’un instrument de dette évalué au coût amorti ; couverture du risque de change ou du risque de taux d’un engagement ferme ou d’une transaction prévue hautement probable ; couverture du risque de prix d’une marchandise détenue ou correspondant à un engagement ferme ou à une transaction prévue hautement probable ; couverture du risque de change d’un investissement net dans une activité à l’étranger. |
Goodwill et actifs incorporels à durée de vie indéfinie comptabilisés séparément du goodwill |
Un test de dépréciation devrait être effectué uniquement s’il existe un indicateur de perte de valeur à la clôture, sans obligation de réaliser systématiquement un test de dépréciation annuel. |
Coûts de développement |
Comptabilisation immédiate en charges. |
Enfin, l’IASB précise que ces normes IFRS simplifiées seront applicables aux entités qui n’ont pas de responsabilité publique (108), y compris les plus petites, sans cependant fixer un seuil de chiffre d’affaires comme c’est le cas, par exemple, pour la notion française de « petite et moyenne entreprise ». Ce sont donc les États qui détermineront, en pratique, leur champ d’application.
S’il faut saluer l’effort de simplification de l’IASB, il n’en reste pas moins que le projet d’IFRS for private entities soulève de nombreuses objections :
– l’objectif de comparabilité des comptes a-t-il vraiment un sens s’agissant de petites et de moyennes entreprises ? Autant les groupes faisant appel public à l’épargne auprès des investisseurs internationaux gagnent-ils à présenter des comptes consolidés comparables, autant l’objectif de comparabilité, au cœur de l’ambition des IFRS apparaît inutile dans le cas des PME ancrées dans un marché local et, pour l’immense majorité d’entre elles, sans perspective d’en sortir ;
– les normes IFRS for private entities s’inscrivent dans le même cadre conceptuel que les « full IFRS ». Par conséquent, même simplifiées, elles sont toujours orientées vers les investisseurs alors même que la relation entre un entrepreneur et son banquier diffère largement de celle d’un groupe coté avec les investisseurs sur les marchés internationaux. De plus, la comptabilité est avant tout pour une PME un outil de gestion. Or, comme le dit l’IASB, « l’objectif de l’IFRS pour les PME n’est pas de fournir aux dirigeants propriétaires une information pour les aider à prendre des décisions de gestion » ; enfin, la « juste valeur » serait applicable à certains actifs et passifs financiers ;
– enfin, même simplifiées, les normes IFRS for private entities restent d’une extraordinaire complexité pour les PME. Les artisans et les commerçants de proximité devront-il connaître l’anglais comptable pour établir leurs comptes ? Et à quel coût ? Le PCG français, modernisé, apparaît largement suffisant (et complexe). De plus, ces IFRS simplifiées renvoient souvent aux full IFRS qui sont en évolution constante.
Ces objections théoriques recoupent largement les observations pratiques et la position des intervenants auditionnés par la mission d’information. Ainsi, le CNC a organisé fin 2007, en collaboration avec la Banque de France, une enquête auprès de 10 000 PME afin de mieux connaître leurs besoins et leurs attentes, notamment par rapport au projet d’IFRS for private entities. Plus de 80 % des entreprises interrogées n’ont aucune connaissance ou des connaissances faibles en IFRS. Seules 3,7 % d’entre elles estiment avoir des demandes de fournir des informations comptables comparables au plan international et 7,5 % avoir besoin de disposer d’informations comptables comparables sur le plan international (alors qu’un tiers d’entre elles ont une activité à l’étranger).
Les PME n’ont pas besoin de référentiel comptable unique à l’échelle européenne, sans parler d’un référentiel à l’échelle mondiale, parce que l’objectif de comparabilité des comptes qui sous-tend ce besoin est inopérant. Il convient, au contraire, de conserver pour ces entreprises des référentiels comptables nationaux adaptés à leur gestion plutôt que de céder à l’idéal d’une harmonisation dont les PME européennes seraient les premières victimes. En définitive, rien ne s’oppose à ce qu’un pays dispose de deux systèmes de normes, différents sans être mutuellement exclusifs, dès lors qu’ils n’ont pas les mêmes objectifs, qu’ils ne concernent pas les mêmes entreprises et ne prennent pas en compte les intérêts des mêmes catégories d’utilisateurs.
Proposition n° 24 : Refuser l’application dans l’Union européenne d’un référentiel comptable commun pour les PME et, en particulier, du projet IFRS for private entities de l’IASB.
● Quelles normes comptables pour les comptes individuels ?
Une fois rejetée l’idée d’une harmonisation comptable internationale pour les PME, la question reste posée de savoir quelles normes comptables - éventuellement simplifiées- doivent être appliquées aux comptes individuels, en France, mais également dans l’Union européenne.
L’application des normes IFRS elles-mêmes, dans les comptes sociaux, doit également être écartée pour les mêmes raisons de complexité, d’inutilité et de connexion fiscalo-comptable. Cependant, l’idée a parfois été soulevée d’une éventuelle application de ces normes limitée aux comptes individuels des groupes appliquant les normes IFRS pour l’établissement de leurs comptes consolidés. Cependant, le seul avantage résultant de cette application – à savoir la suppression des retraitements entre comptes consolidés et comptes individuels – serait contrebalancé par la multiplicité de ses inconvénients et effets pervers :
– la volatilité introduite par la « juste valeur » dans les comptes sociaux se répercuterait sur le résultat et, donc, sur l’assiette fiscale ; afin de limiter celle-ci et de garantir la stabilité des recettes de l’État, il est évident que l’Administration fiscale s’attacherait à neutraliser cette volatilité et à imposer des retraitements considérables annihilant la simplicité d’un référentiel comptable unique ;
– de plus, le résultat comptable formant, sous réserve de retraitements, l’assiette de l’impôt, il s’en suivra que selon qu’une entreprise appliquera ou non les normes IFRS pour l’établissement de ses comptes sociaux, deux assiettes fiscales coexisteront, entraînant une rupture d’égalité devant l’impôt ;
– enfin, l’application de la « juste valeur » aurait également des conséquences sur le calcul de la participation des salariés et, surtout, des dividendes, avec le risque que soient versés des dividendes fictifs calculés sur des plus-values latentes ?
La mission d’information n’a pas eu le sentiment que les entreprises appliquant les IFRS, qui ont les moyens de gérer deux référentiels comptables, soient favorables à l’application de ces normes dans leurs comptes sociaux, d’autant que le processus de modernisation des normes françaises dans le sens d’une convergence avec les normes IFRS se poursuivra probablement, réduisant ainsi progressivement les divergences entre les deux référentiels. En outre, le maintien de la connexion fiscalo-comptable leur apparaît plus important que la simplification très relative résultant de l’unicité du référentiel comptable.
À l’inverse, ne faudrait-il pas aller plus loin dans la simplification des formalités comptables, en particulier pour les PME ? Sans toucher aux normes comptables elles-mêmes, celles-ci, en deçà d’un certain seuil, pourraient être dispensées de certaines, voire de l’intégralité des formalités comptables.
C’est l’avis de la Commission qui, dans une communication du 10 juillet 2007, a avancé plusieurs propositions tendant à « simplifier l’environnement des sociétés en matière juridique, comptable et de contrôle des comptes », parmi lesquelles la possibilité d’exonérer les micro-entités, c'est-à-dire les entreprises employant moins de dix salariés et dont le total de bilan est inférieur à 500 000 € et le chiffre d’affaires à 1 million d’euros, des directives relatives à la comptabilité ainsi que de leurs exigences en matière de contrôle légal des comptes.
L’allègement des formalités comptables pour les PME, en particulier les plus petites d’entre elles, est une idée en vogue, séduisante en apparence mais non dénuée d’effets pervers pour les entreprises concernées. En effet, la comptabilité est, certes, une charge, mais aussi et surtout un outil d’information indispensable pour l’entrepreneur comme pour les tiers, à commencer par les créanciers. Le raisonnement qui consiste à considérer qu’une réduction des obligations comptables se traduira automatiquement par une augmentation de la compétitivité est une vision à court terme susceptible de générer des effets contre-productifs.
En outre, les seuils de chiffre d’affaires proposés par la Commission européenne sont bien supérieurs à ceux fixés par l’article 50-0 du code général des impôts (auquel renvoie l’article L. 123-28 du code de commerce), relevés par l’article 2 de la loi de modernisation de l’économie précitée (109), lequel détermine le régime fiscal et comptable applicable aux micro-entreprises (110).
En définitive, les normes comptables françaises applicables aux comptes sociaux gardent toute leur pertinence, tant pour les grandes entreprises que pour les petites. Il n’apparaît donc pas nécessaire de leur substituer les normes IFRS ou, à l’inverse, de supprimer toute obligation comptable. La poursuite d’une modernisation mesurée et concertée de ces normes, sans rechercher l’alignement systématique sur les normes IFRS, est en tout point préférable à une nouvelle révolution comptable dans les comptes individuels.
Proposition n° 25 : Préserver l’unité du référentiel comptable applicable aux comptes individuels et l’obligation pour toutes les entreprises, y compris les plus petites, de satisfaire à des formalités comptables minimales.
Cependant, rien n’interdit que ces obligations comptables soient simplifiées. Le rapport remis par M. Jean-Luc Warsmann au Premier ministre le 29 janvier 2009 contient à cet égard des propositions intéressantes, notamment :
– l’extension aux entreprises relevant du régime simplifié d’imposition (RSI) de la possibilité de tenir leur comptabilité selon des modalités simplifiées, dites « comptabilité de trésorerie » conformément à l’article L. 123-25 du code de commerce ;
– la création d’une annexe super-simplifiée pour les entreprises relevant du régime simplifié d’imposition, laquelle se traduirait par la substitution de tableaux normalisés aux informations littérales de l’annexe simplifiée ;
– la suppression de l’obligation de la tenue du livre d’inventaire, lequel fait doublon avec la balance des comptes et le compte annuel et n’est, en pratique, jamais consulté ni par l’entrepreneur, ni par les tiers, ni par l’administration fiscale.
La mission d’information approuve l’esprit de ces propositions qui, tout en conservant des obligations de nature comptable pour les petites entreprises, sont de nature à alléger la charge administrative que celles-ci représentent.
B.– NEUTRALISER LES INCIDENCES FISCALES
DES NOUVELLES NORMES COMPTABLES
1.– Maintenir la connexion entre la comptabilité et la fiscalité
● Une déconnexion difficile, coûteuse et dangereuse
La connexion fiscalo-comptable, à l’origine et dans son principe même, était l’exemple parfait de la simplicité. Les entreprises établissaient leur résultat selon les règles comptables nationales et, à partir de celui-ci, calculaient leurs impositions que l’administration fiscale, pour autant que les règles comptables aient été régulièrement appliquées, ne pouvait remettre en cause. Simplicité et sécurité ont assuré le succès et la pérennité de la connexion fiscalo-comptable.
Cependant, le processus de convergence du PCG vers les normes IFRS orientées vers les seuls investisseurs a entraîné, à des fins de neutralisation de leurs incidences fiscales, la multiplication des retraitements du résultat comptable pour l’établissement du résultat fiscal, actuellement au nombre possible de 170 dans le tableau 2058 de la liasse fiscale, remettant pratiquement en cause la connexion entre la comptabilité et la fiscalité. L’idée a donc été avancée qu’il serait peut-être souhaitable, comme au Royaume-Uni et aux États-Unis par exemple, de déconnecter totalement la fiscalité de la comptabilité (111).
Une telle déconnexion présenterait, selon ses défenseurs, plusieurs avantages parmi lesquels :
– la neutralité fiscale de l’évolution des normes comptables serait pleinement assurée dès lors que celles-ci n’emporteraient plus aucune incidence en matière fiscale ;
– l’application des normes IFRS dans les comptes sociaux deviendrait plus facile, le verrou de la connexion fiscalo-comptable ayant sauté : les entreprises consolidantes n’auraient alors plus à faire qu’avec un seul référentiel comptable ;
– les entreprises ne seraient plus contraintes d’enregistrer dans leurs comptes des opérations (par exemple les provisions réglementées) dans le seul but de bénéficier d’avantages fiscaux : la qualité de l’information financière serait ainsi améliorée.
Cependant, outre que l’application des normes IFRS aux comptes individuels n’est pas – connexion fiscalo-comptable ou pas – souhaitable par elle-même, la déconnexion aboutirait à des incohérences graves par rapport à notre tradition comptable. De plus, les complications d’une telle déconnexion sont loin d’avoir été analysées en profondeur et les coûts de sa mise en œuvre seraient, à n’en pas douter, considérables.
En outre, M. René Ricol, alors Président du CSOEC, affirmait en 1997 qu’il ne pouvait y avoir de déconnexion durable entre les comptes sociaux et les comptes fiscaux sans que cela ne soit contraire aux intérêts de l’entreprise contribuable (112). En effet, la détermination d'une base imposable arrêtée à partir de comptes individuels audités – et par-là l'opposabilité à l’administration fiscale des écritures comptables régulièrement établies – constitue un cadre assurant une certaine sécurité qu'il serait dangereux de voir disparaître, tant pour les entreprises que pour l’administration fiscale, elle-même rassurée de pouvoir s’appuyer sur le travail des comptables, en particulier dans les grands groupes.
● Le maintien de la connexion : un choix raisonnable
L’Administration fiscale n’a jamais fait mystère de son attachement à un lien fort entre la comptabilité et la fiscalité, n’envisageant la déconnexion (de manière limitée) que dans la perspective d’assurer autant que possible la neutralité fiscale de l’évolution des normes comptables. Cependant, elle ne pouvait rester indifférente aux évolutions rapides des normes comptables françaises. C’est pourquoi elle a défini, dans l’instruction 4 A-13-05 précitée, un cadre pour les rapports entre fiscalité et comptabilité : « cette évolution comptable a pour conséquence une nécessaire adaptation des règles fiscales, que l’administration a engagée selon trois axes principaux : le maintien de la connexité de la fiscalité avec la comptabilité, la préservation de la neutralité fiscale et la simplicité des retraitements fiscaux ». Ces principes ont fait l’objet d’une large publicité auprès des entreprises à l’occasion de rencontres avec l’Administration fiscale.
– Le maintien de la connexion fiscalo-comptable
L’administration fiscale a réaffirmé son attachement au maintien de la connexion entre la comptabilité et la fiscalité. Ce choix, qui est aussi celui de la plupart des États-membres de l’Union européenne, est dicté par le constat que le résultat comptable apparaît comme le meilleur moyen d’appréhender la richesse produite par l’entreprise. La connexion limite ainsi la possibilité de créer des impositions déconnectées de la performance de l’entreprise. En outre, la connexion évite aux entreprises n’établissant pas de comptes consolidés le coût de l’établissement de deux liasses, l’une fiscale et l’autre comptable. Cependant, des formalités comptables peuvent être imposées aux entreprises dans le seul but de satisfaire aux obligations fiscales et à leur contrôle par l’administration (par exemple les provisions réglementées). La connexion limite ainsi les possibilités d’allègement des formalités comptables.
Ce n’est pas peu de dire qu’en dépit des considérables évolutions qu’ont connues les normes comptables françaises, la connexion de celles-ci avec la fiscalité a été largement préservée.
– La neutralité financière des opérations pour l’État et pour les entreprises
L’administration fiscale s’est attachée à neutraliser les incidences fiscales des nouvelles normes comptables pour les entreprises. À l’inverse, elle s’est aussi employée à sauvegarder le montant des recettes de l’État qui aurait pu être diminué par l’application d’une nouvelle norme comptable. Ainsi, l’article 123 de la loi de finances rectificative pour 2006 (n° 2006-1771 du 30 décembre 2006) a neutralisé les incidences fiscales résultant de l’application de la durée réelle d’utilisation des immobilisations sur les bases de taxe professionnelle (voir infra).
– La simplicité des retraitements fiscaux
Malgré la connexion fiscalo-comptable, les entreprises sont obligées d’effectuer un certain nombre de retraitements de leur résultat comptable afin d’établir leur résultat fiscal, en raison notamment du choix de neutraliser autant que possibles les incidences fiscales de l’évolution des normes comptables. Il en résulte un coût important pour les entreprises que l’administration fiscale a voulu limiter.
S’agissant des modalités de la première application des nouvelles règles comptables, l’instruction 4 A-13-05 précitée a ainsi autorisé les entreprises à utiliser une méthode prospective. De même, a-t-elle repris la simplification prévue par l’article 322-4 du PCG qui autorise les PME à « retenir la durée d’usage pour déterminer le plan d’amortissement des immobilisations non décomposables », les dispensant ainsi de rechercher la durée réelle d’utilisation de leurs immobilisations et de séparer les amortissements comptables (calculés sur la durée réelle d’utilisation) des amortissements fiscaux (calculés sur la durée d’usage).
Ces trois principes ont été salués par les entreprises et leurs représentants auditionnés par la mission d’information, lesquels se sont unanimement déclarés favorables au maintien de la connexion fiscalo-comptable. Si la mission d’information approuve également celui-ci, elle regrette cependant que ces principes aient été fixés dans une simple instruction fiscale. Certes, le principe de connexion fiscalo-comptable relève du pouvoir réglementaire (article 38 quater de l’annexe II au code général des impôts) et non du pouvoir législatif mais la détermination de l’assiette fiscale appartient, en application de l’article 34 de la Constitution, à la loi. Si on peut considérer que le Parlement a validé a posteriori le choix de neutraliser les incidences fiscales des nouvelles normes comptables, via l’adoption des dispositions législatives, il n’en reste pas moins qu’il n’a pas été à l’origine de cette décision qui, en outre, n’a fait l’objet d’aucun débat public.
Proposition n° 26 : Maintenir le principe d’un lien fort entre la comptabilité et la fiscalité, tempéré par les assouplissements dictés par la nécessité de neutraliser les incidences fiscales de l’évolution des normes comptables.
Cependant, la mission d’information tient à souligner le difficile équilibre entre ces trois principes. Ainsi, le maintien de la connexion fiscalo-comptable, qui se traduit par un alignement de la fiscalité sur la comptabilité, est contradictoire avec le principe de neutralité ; celui-ci entraîne une déconnexion au moins partielle de la fiscalité et de la comptabilité via des retraitements toujours plus nombreux et complexes qui, à leur tour, mettent à mal le principe de simplicité. L’équilibre risque de devenir de l’équilibrisme…
b) Les conséquences fiscales de la poursuite de la convergence
Le tropisme des normes comptables françaises vers les normes IFRS est incontestable. Que le projet IFRS for private entities soit finalement repris par l’Union européenne ou que le processus de convergence du PCG se poursuive, il faut dès à présent mesurer les conséquences fiscales qu’aurait l’application de certaines normes IFRS dans les comptes individuels des entreprises françaises. C’est à cette tâche que s’est consacré le groupe de travail « IAS/Fiscalité » dont le rapport a été présenté à l’assemblée plénière du CNC le 24 mars 2005. L’analyse qu’il a faite de la poursuite de la convergence conserve toute sa pertinence.
● L’actualisation
L’actualisation est une méthode comptable qui consiste à estimer la valeur d'une somme d'argent à une date ultérieure par rapport à sa valeur actuelle, via un taux d’actualisation (calculé sur la base de l’inflation, des taux d’intérêt, de la durée…). Afin que la réalité économique des opérations soit représentée plus fidèlement dans les comptes, les normes IFRS, imposent l’actualisation, si l’effet en est significatif, pour :
– les produits (IAS 18). En IFRS, les « produits des activités ordinaires », selon la traduction française, évalués à la « juste valeur » de la contrepartie à recevoir, sont à actualiser en cas de différé de paiement ;
– les passifs (IAS 37). Pour l’estimation des provisions pour risques et charges, les dépenses attendues que l’entreprise estime nécessaires pour éteindre l’obligation doivent être actualisées ;
– la détermination de la valeur d’utilité dans le cadre de la dépréciation des actifs (IAS 36). La valeur d’utilité est calculée sur la base de la valeur actualisée des flux de trésorerie attendus de l’utilisation de l’actif et de sa sortie ;
– les coûts d’entrée et de sortie des immobilisations (IAS 36 et 38). Si le paiement d’une immobilisation est différé au-delà des durées normales de crédit, son coût d’entrée est l’équivalent du prix comptant, calculé par actualisation. La différence entre ce montant et le total des paiements est comptabilisée en charges financières sur la durée du crédit, à moins que l’entreprise n’ait opté pour l’incorporation au coût d’entrée. En outre, les coûts de démantèlement inclus dans le coût d’acquisition sont à actualiser ;
– les provisions pour créances douteuses (IAS 39). La dépréciation est actualisée sur la base d’un calendrier prévisionnel de perception de flux actualisés ;
– l’évaluation postérieure des instruments financiers (IAS 39). La méthode du taux d’intérêt effectif conduit à constater des produits financiers sur une base nominale ou sur une « juste valeur » et à amortir les primes et décotes de manière actualisée sur la durée de vie des titres.
Si l’actualisation présente un intérêt certain pour les entreprises (mais également pour l’État puisqu’elle peut aboutir à minorer certaines provisions), les normes comptables françaises sont nettement plus réservées, bien qu’elles ne l’interdisent pas à proprement parler. Dans l’attente d’une prise de position formelle de l’ANC, la CCNC considère ainsi que l’actualisation est une option que les entreprises sont libres d’exercer ou non (113). Quant à l’administration fiscale, elle n’est pas totalement fermée à la reconnaissance de l’actualisation, pour autant que celle-ci soit limitée à quelques domaines précis (par exemple la provision pour coûts de démantèlement (114)) et que la définition du taux d’actualisation fasse l’objet, dans l’intérêt même des entreprises, d’un encadrement précis.
Proposition n° 27 : Étudier la possibilité d’introduire, de manière limitée et encadrée, l’actualisation dans les droits comptable et fiscal français.
● Le crédit-bail
Le crédit-bail (ou leasing) est une technique contractuelle par laquelle une entreprise, le crédit-bailleur, acquiert la propriété de biens d'équipement à usage professionnel, en vue de les donner en location à un crédit-preneur pour une durée déterminée, en contrepartie du versement de loyers. Le droit comptable français s’appuyant généralement sur la forme juridique d’une opération pour déterminer les modalités de son traitement comptable, il en résulte que le crédit-preneur, parce qu’il n’est pas le propriétaire du bien dont il contrôle pourtant les avantages économiques, ne l’inscrit pas à l’actif de son bilan ; il comptabilise seulement en charges les loyers versés au crédit-bailleur, lequel conserve l’actif dans son propre bilan et enregistre dotations aux amortissements et frais financiers.
Dès lors, les comptes sociaux ne donnent pas une « image fidèle » de la réalité économique du crédit-preneur, seule l’annexe comportant des informations sur les contrats de crédit-bail.
Or, les normes IFRS s’efforcent de révéler la substance économique sous-jacente à une opération, c'est-à-dire que la comptabilité doit refléter les droits, obligations et avantages économiques qui sont à la disposition d’une entreprise. Le principe « substance over form » privilégie la réalité économique d’une opération (le contrôle des avantages futurs de l’actif) sur sa qualification juridique.
Dès lors, il n’est pas étonnant que la norme IAS 17 Contrats de location considère l’actif loué en crédit-bail comme une immobilisation avec pour contrepartie une dette financière au passif du bilan du crédit-preneur qui, par conséquent, doit comptabiliser des dotations aux amortissements et des frais financiers. En d’autres termes, la solution retenue par les IFRS est à l’opposé de celle du droit comptable français et ôte une bonne partie de son intérêt au crédit-bail puisque le bilan (ratio endettement/capitaux propres) et le résultat du crédit-preneur sont autant dégradés que s’il avait financé son acquisition par l’emprunt.
En outre, l’éventuelle reprise de la norme IAS 17 dans le PCG ne serait pas neutre fiscalement pour les crédit-preneurs. En effet, leur résultat imposable pourrait varier selon les montants respectifs des loyers, des dotations aux amortissements et des frais financiers, avec pour conséquence une majoration ou une minoration de l’impôt dû. En revanche, l’impact d’une telle reprise serait neutre s’agissant de la taxe professionnelle dont l’assiette intègre déjà, en application de l’article 1469 du même code, les biens loués en crédit-bail. Cette taxe, souvent dénoncée comme archaïque, se révèle, sur ce point, très moderne.
Proposition n° 28 : En cas de reprise des dispositions de la norme IAS 17 dans le droit comptable français, ne pas les appliquer aux contrats de crédit-bail en cours.
2.– La neutralisation nécessaire des incidences fiscales
des nouvelles normes comptables : jusqu’à la déconnexion ?
a) La neutralisation des conséquences fiscales des nouvelles normes
● Les formes de la neutralisation
Par neutralisation, il faut entendre l’acte par lequel le CNC, l’administration fiscale ou le législateur limitent, totalement ou partiellement, et selon des formes variées, les incidences fiscales d’une nouvelle norme comptable.
– La neutralisation des incidences fiscales des dépréciations comptables
En application des nouvelles règles issues du règlement n° 2002-10 précité, dès lors qu’une dépréciation est constatée, la base amortissable est diminuée du montant de cette dépréciation ce qui réduit d’autant la dotation aux amortissements. Cette réduction du montant de la dotation aux amortissements subsiste jusqu’à la fin de la durée d’utilisation de l’actif et ce, même en cas de disparition de l’indice montrant que l’actif a pu perdre de la valeur et de reprise de la dépréciation.
Ce traitement comptable soulève des difficultés quant à la mise en oeuvre des règles de déductibilité fiscale des amortissements. En effet, au plan fiscal, la base pour le calcul des amortissements correspond, en application de l’article 15 de l’annexe II au CGI, au prix de revient de l’immobilisation et non à la valeur comptable diminuée des dépréciations.
La dépréciation, si elle n'est pas déductible fiscalement, sera réintégrée dans sa totalité l'année de sa constatation en comptabilité. Quant à la dépréciation déductible fiscalement, elle sera imputée sur une base fiscale réduite par rapport à la base comptable dans tous les cas où le rythme de déductibilité des amortissements est plus rapide du point de vue fiscal que du point de vue comptable. Une partie de la dépréciation comptabilisée sera non déductible fiscalement et devra être réintégrée l'année de sa constatation en comptabilité. Au cours des exercices ultérieurs, dans ces deux hypothèses, la quote-part du prix de revient de l'immobilisation qui reste comptabilisée en dépréciation ne pourra pas faire l'objet d'une déduction fiscale avant la fin d'utilisation de l'immobilisation.
Pour permettre la déductibilité fiscale de la dépréciation des immobilisations amortissables, l’avis n° 2006-12 du CNC du 24 octobre 2006 autorise les entreprises à transférer annuellement une quote-part de la dépréciation en compte d’amortissement, à hauteur de la différence entre le montant des dotations aux amortissements calculé sur la nouvelle base amortissable et le montant des dotations aux amortissements qui aurait été comptabilisé en l’absence de dépréciation. La dépréciation non déductible est ainsi transformée progressivement en amortissement déductible.
Par conséquent, c’est le CNC lui-même qui, dans un simple avis, a neutralisé totalement – via une astuce comptable – les incidences fiscales des nouvelles règles de dépréciation des actifs amortissables. Cependant, cet exemple traduit la complexité accrue des règles comptables suite à la prise en compte des considérations fiscales. Le maintien de la connexion fiscalo-comptable risque de conduire à une perte de lisibilité des textes comptables.
– L’étalement dans le temps des incidences fiscales de l’application de la méthode d’amortissement par composants
L’article 42 de la loi de finances rectificative pour 2004 (n° 2004-1485 du 30 décembre 2004) a, entre autres, inséré dans le code général des impôts un article 237 septies autorisant les entreprises à répartir « la majoration ou la minoration du résultat imposable du premier exercice ouvert à compter du 1er janvier 2005 résultant de l’application aux immobilisations de la méthode par composant […] par parts égales, sur cet exercice et sur les quatre exercices ou périodes d’impositions suivants ». En d’autres termes, les conséquences fiscales de l’amortissement par composants ont été lissées sur cinq exercices (voir supra).
Le même article neutralise également la suppression, par l’avis n° 2004-15 du CNC du 23 juin 2004, de la notion de « charges différées » et de « charges à étaler ». Ces dépenses sont, depuis les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2005, comptabilisées de manière rétrospective, selon leur nature, soit en charges, soit en immobilisations (115).
Or, ces charges étaient immédiatement déductibles fiscalement ; par conséquent, l’entreprise aurait pu comptabiliser en immobilisation des charges déjà déduites fiscalement. C’est pourquoi l’article 42 précité dispose que le montant de ces charges transférées dans un compte d’immobilisation au titre des exercices ouverts à compter du 1er janvier 2005 ne pourra être amorti ou déprécié.
– Le report de l’application d’une norme comptable
Une des formes de neutralisation des incidences fiscales d’une nouvelle norme comptable qui pourrait à l’avenir être utilisée est le report de l’application de celle-ci. Par exemple, s’agissant de la comptabilisation des actifs loués en crédit-bail, l’éventuelle norme nationale reprenant les dispositions de la norme IAS 17 pourrait ne pas s’appliquer aux contrats de crédit-bail en cours, mais uniquement à ceux qui auront été conclus après son entrée en vigueur. Non seulement les crédit-bailleurs auraient le temps de s’adapter, mais l’économie des contrats en cours ne serait pas remise en cause ; les entreprises qui, par la suite, choisiront de conclure un contrat de crédit-bail le feront en toute connaissance de cause (voir proposition n° 28).
Enfin, il apparaît nécessaire que les entreprises soient, dès que possible, informées des intentions de l’administration fiscale s’agissant des incidences fiscales d’une nouvelle norme comptable, afin de lever une incertitude potentiellement dommageable à leur activité et à leurs décisions.
Proposition n° 29 : Annoncer dès que possible si les incidences fiscales d’une nouvelle norme comptable feront l’objet ou non d’une neutralisation et quelle forme celle-ci prendra.
● L’exemple des amortissements
Pour la plupart des entreprises, la révolution qu’a constituée l’amortissement par composants symbolise, à elle seule, l’ampleur de l’évolution des normes comptables qu’elles ont subie depuis plusieurs années. Par la charge de travail qu’il a constituée, par le changement de méthodes éprouvées d’amortissement et par ses conséquences fiscales, l’amortissement par composants a posé un défi aux entreprises et, par conséquent, à l’administration qui s’est efforcée d’en limiter les incidences fiscales.
En application de l’article 322-1 du PCG, l’amortissement se définit comme « la consommation des avantages économiques de l’actif en fonction de son utilisation probable » et non plus comme la récupération d’un coût. C’est donc aux caractéristiques propres de l’entreprise qu’il convient de se référer pour déterminer la durée et le mode d’amortissement d’un actif. Ce dernier doit traduire au mieux le mode de consommation des avantages économiques de l’immobilisation, c’est-à-dire correspondre au rythme d’utilisation probable qui a été arrêté par la direction de l’entreprise, et non pas à des durées d’usage ou à des pratiques généralement admises pour certaines catégories de biens.
Admettre les durées réelles, plus longues que les durées d’usage, a un coût fiscal pour les entreprises : les dotations annuelles aux amortissements sont moins élevées puisque l’amortissement fiscal s’appuie sur les durées d’usage. C’est pourquoi le PCG a fait un compromis : il retient le principe de la durée réelle (qui est celle imposée par les normes IFRS) mais les entreprises pourront, dans leurs comptes sociaux, continuer à comptabiliser des amortissements dérogatoires pour des raisons fiscales, solution que l’administration fiscale a reprise afin de faire coïncider, dans les comptes sociaux, amortissements fiscaux et sociaux.
– L’amortissement des immobilisations non décomposées
Aux termes du 2° du 1 de l’article 39 du code général des impôts, les amortissements déductibles fiscalement sont les amortissements réellement comptabilisés par l’entreprise, dans la limite de ceux qui sont généralement admis d’après les usages de chaque nature d’industrie, de commerce ou d’exploitation. Or, par l’instruction 4 A-13-05 précitée, l’administration fiscale a rapporté ce principe selon lequel les durées d’amortissement sont nécessairement identiques sur le plan comptable et sur le plan fiscal.
Deux situations doivent désormais être distinguées, selon que la durée réelle d’utilisation est plus longue ou plus courte que la durée d’usage fiscale.
Lorsque la durée réelle d’utilisation est plus longue que la durée d’usage, il en résulte un amortissement comptable inférieur à l’amortissement déductible fiscalement. Cette situation devrait être la plus fréquente, les durées résultant des usages étant généralement inférieures aux durées réelles d'utilisation. Dans ce cas, les entreprises peuvent bénéficier d’un amortissement dérogatoire égal à la différence entre la durée réelle d’utilisation et la durée d’usage (116).
Dans l’hypothèse inverse, celle où la durée réelle d’utilisation est inférieure à la durée d’usage, les entreprises doivent procéder à une réintégration fiscale de la fraction d’amortissement comptable excédentaire. Cependant, dans son avis n° 2005-D du 1er juin 2005 le comité d’urgence du CNC a autorisé les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 7,3 millions d’euros (ou le total bilan inférieur à 3,65 millions d’euros) et l’effectif inférieur à 50 salariés à pratiquer dans leurs comptes individuels l’amortissement des immobilisations non décomposables à l’origine sur leur durée d’usage.
Ainsi, les entreprises, et en particulier les PME devraient continuer à bénéficier, au plan fiscal, d'un rythme d'amortissement au moins en partie aligné sur les durées d'usage fiscales actuelles ; l’administration fiscale a neutralisé via une instruction le rallongement global des durées d'amortissement généralement induit par la référence comptable aux durées réelles d’utilisation.
– L’amortissement des immobilisations décomposées
La définition des composants implique que ceux-ci aient une durée réelle d’utilisation différente de celle de l’immobilisation à laquelle ils se rattachent. En outre, un plan d’amortissement distinct doit être établi pour chacun d’entre eux. Il en va de même pour la structure qui est constituée de l’élément restant de l’immobilisation après sa décomposition.
Conformément au 2° du 1 de l’article 39 précité, les composants, comme la structure, doivent être amortis suivant la durée normale d’utilisation fixée d’après les usages. Or, celle-ci n’est généralement connue que pour les immobilisations corporelles prises dans leur ensemble, et non pour des fractions d’entre elles ou la seule structure. Dès lors, la durée d’amortissement fiscal de celles-ci doit correspondre à leur durée de vie, c’est-à-dire, dans la plupart des cas, à la durée réelle d’utilisation retenue en matière comptable. L’instruction 4 A-13-05 précité a cependant prévu deux tempéraments :
– dans le cas où la durée normale d’utilisation du premier composant identifié à l’origine serait supérieure à la durée d’usage de la structure, ce composant peut être amorti sur la durée d’usage de la structure, et non sur sa durée propre d’utilisation. Cette différence entre la durée d’amortissement fiscale et la durée comptable est constatée par voie d’amortissements dérogatoires ;
– par dérogation à l’alignement des durées comptable et fiscale, la structure (sauf celle des immeubles de placement) peut être amortie sur la durée d’usage fiscale applicable à l’immobilisation corporelle prise dans son ensemble.
– La neutralisation des conséquences de l’application de la durée réelle d’utilisation sur la taxe professionnelle
La durée d’amortissement des immobilisations est une donnée essentielle pour connaître le prix de revient à retenir pour le calcul de la taxe professionnelle. En effet, pour les immobilisations non passibles d’une taxe foncière, la valeur prise en compte pour le calcul de la taxe professionnelle est, en application de l’article 1469 du code général des impôts, déterminée de la façon suivante :
– pour les immobilisations dont la durée d’amortissement est de moins de trente ans, la valeur à retenir est fixée à 16 % du prix de revient ;
– pour les immobilisations dont la durée d’amortissement est au moins égale à trente ans, la valeur à retenir est fixée à 8 % du prix de revient.
Le recours à l'amortissement selon la durée réelle d'utilisation est susceptible d'exercer – via un allongement au-delà de trente ans de la durée d’amortissement – un impact substantiel à la baisse des bases afférentes aux immobilisations de certains sites industriels, et donc de minorer les recettes des collectivités territoriales.
L’article 123 de la loi de finances rectificative pour 2006 (n° 2006-1771 du 30 décembre 2006) a donc prévu deux dispositions :
– d'une part, pour les équipements et biens mobiliers dont la durée d'amortissement est d'au moins trente ans, cette durée est déterminée conformément aux dispositions du 2° du 1 de l'article 39, c'est-à-dire « dans la limite (des amortissements) qui sont généralement admis d'après les usages de chaque nature d'industrie, de commerce ou d'exploitation », et non selon la durée réelle d'utilisation des biens, applicable désormais aux amortissements comptables ;
– d'autre part, l'application de la méthode par composants mentionnée à l'article 237 septies du code général des impôts est « sans incidence sur la durée d'amortissement des biens dont l'entreprise ou un autre redevable de la taxe professionnelle qui lui est lié [...] disposait à la date de clôture du dernier exercice ouvert avant le 1er janvier 2005 ».
Par conséquent, afin de sécuriser le montant de taxe professionnelle perçu par les collectivités territoriales, le législateur a déconnecté les durées d’amortissement comptable et fiscale et maintenu l’application des durées d’usage pour les biens acquis avant le 1er janvier 2005. La neutralisation ne s’applique donc pas aux flux entrants de biens à compter de cette date (117).
L’exemple des amortissements montre que les trois principes dégagés par l’administration fiscale pour encadrer le processus de convergence sont difficilement conciliables, l’objectif de neutralité fiscale des nouvelles normes comptables se traduisant nécessairement par des retraitements plus ou moins complexes qui nuisent à la connexion entre la fiscalité et la comptabilité.
b) La déconnexion entre fiscalité et comptabilité : une perspective inévitable ?
● Le projet d’assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés
Depuis le 1er janvier 2005, l’harmonisation comptable au sein de l’Union européenne est une réalité, au moins pour les comptes consolidés des plus grandes entreprises. En revanche, l’harmonisation fiscale s’est toujours heurtée au désir légitime des États-membres de conserver une compétence exclusive sur une composante essentielle de leur souveraineté. L’harmonisation fiscale n’a donc guère porté que sur les impositions indirectes (TVA et accises), à l’exclusion des impositions directes que sont l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les bénéfices.
Cependant, la Commission n’a pas renoncé à harmoniser les règles fiscales et l’exemple du système commun de taxe sur la valeur ajoutée montre que l’harmonisation en matière fiscale est non seulement souhaitable pour le bon fonctionnement du marché intérieur, mais également possible.
En effet, la concurrence de vingt-sept systèmes fiscaux au sein de l’Union européenne n’est pas sans effets dommageables sur le fonctionnement du marché commun. La Commission a ainsi recensé un certain nombre d’entraves fiscales aux échanges sur le marché intérieur (118) sur le constat desquelles elle a proposé, dans une Communication de 2003, (119) une stratégie à deux niveaux :
– des mesures ciblées, détaillées et immédiates (120) ;
– l’imposition des sociétés sur la base d’une assiette consolidée (Assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés – ACCIS).
La Commission reconnaît ainsi, dans la Communication du 2 mai 2007, que « même si les mesures [ciblées] sont de nature à éliminer un certain nombre d'obstacles, une approche globale passant par l'introduction de l'ACCIS peut apporter les améliorations globales les plus sensibles au regard des problèmes liés à l'imposition des profits des sociétés opérant dans le marché intérieur ». L’ACCIS présenterait en effet de nombreux avantages :
– une réduction significative des coûts de mise en conformité résultant, pour les entreprises ayant des établissements dans au moins deux États membres, de la coexistence de vingt-sept systèmes fiscaux différents ;
– l'élimination, au sein de l'Union européenne, des problèmes liés à la détermination des prix de transfert (121) ;
– la compensation et la consolidation globale des profits et des pertes au niveau de l’Union européenne ;
– un renforcement de la concurrence et de l’efficacité du marché intérieur par la réduction des distorsions fiscales entre les États-membres ;
– l’élimination du risque de double-imposition ;
– l’amélioration de l’efficacité administrative en matière de contrôle et de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale ;
– la définition d’un véritable statut fiscal pour la société anonyme européenne, créée par le règlement n° 2157/2001 du 8 octobre 2001 et la directive 2001/86/CE du 8 octobre 2001 qui le complète (122).
En définitive, l’ACCIS devrait permettre d'accroître la compétitivité des entreprises européennes par rapport à celle des entreprises des grands marchés concurrents (États-Unis, Japon et Chine), renforcer la concurrence sur le marché commun et améliorer le fonctionnement de celui-ci en supprimant les entraves fiscales, les double-impositions et les discriminations, avec pour conséquence un accroissement des ressources fiscales des États-membres, résultat d’un dynamisme nouveau et d’une lutte facilitée contre la fraude et l’évasion fiscale.
Fort de ce constat, le Conseil ECOFIN des 10 et 11 septembre 2004 a instauré un groupe de travail (le « GT ACCIS »), composé d’experts des 27 États-membres et des services de la Commission afin d’examiner les principes fiscaux de base, les éléments structurels fondamentaux d'une ACCIS et d'autres points techniques nécessaires tels le mécanisme de répartition de celle-ci.
Au fil de la publication des documents de travail et des communications de la Commission depuis 2004 (123), le projet d’ACCIS a progressivement pris consistance. La Communication du 2 mai 2007 précitée, intitulée « mise en œuvre du programme communautaire pour l'amélioration de la croissance et de l'emploi et pour le renforcement de la compétitivité des entreprises de l'UE : progrès accomplis en 2006 et étapes suivantes en vue de la proposition d'une assiette commune consolidée pour l'impôt des sociétés », présente le dernier état officiel des propositions de la Commission.
Trois principes semblent désormais acquis :
– l'assiette commune pour l'imposition des sociétés devrait impliquer la consolidation des assiettes, c’est-à-dire s’appliquer à une comptabilité qui a agrégé les différents résultats de chacun des établissements composant le groupe et opéré des retraitements afin de faire comme s'il ne s'agissait que d'une seule et même entité, la méthode de consolidation devant être commune. Ce point fait l’objet d’un large consensus avec le Parlement européen (124) et le Comité économique et social européen (125) ;
– par conséquent, le choix d’une assiette consolidée oblige à instituer un mécanisme de répartition de celle-ci entre les États membres, à la fois simple à mettre en œuvre, difficile à manipuler par les contribuables et équitable pour les États-membres. Ceux-ci appliqueraient ensuite leur taux d'imposition national à la fraction de la base d'imposition globale qui leur serait ainsi attribuée ;
– enfin, le recours à l'ACCIS devrait être optionnel, c'est-à-dire qu'il serait possible pour les entreprises de rester soumises aux règles existantes si les États membres les maintenaient concurremment avec l'ACCIS.
Au-delà de la multitude des questions techniques qui font encore l’objet de discussions approfondies dans les sous-groupes de travail, deux questions fondamentales restent encore à trancher :
– d’une part, le cas du secteur financier. Si les entreprises concernées sont favorables à ce que l’ACCIS leur soit applicable, il n’en reste pas moins que celle-ci devra tenir compte des spécificités de leur activité ; de même pour le mécanisme de répartition, en raison de l’inégale répartition territoriale de celle-ci.
– d’autre part, l’encadrement administratif de l’ACCIS. En pratique, la question centrale est celle du « guichet unique » : une administration fiscale unique, par exemple celle du pays dans lequel il a son siège social, doit-elle ou non traiter directement l’imposition de tout un groupe ?
Enfin, les effets de l’ACCIS sur la concurrence fiscale sont incertains ; si celle-ci ne sera plus possible s’agissant de l’assiette de l’impôt sur les sociétés - désormais commune, elle risque de s’exacerber sur les taux qui, eux, resteront de la seule compétence des États-membres.
La Commission s’était engagée, dans sa communication du 2 mai 2007 précitée, à présenter une proposition de directive avant la fin de l’année 2008. Début 2009, force est de constater qu’il n’en est rien. La question de l’ACCIS fut pour la dernière fois évoquée publiquement dans un discours de M. Laszlo Kovacs, Commissaire européen à la fiscalité et à l’Union douanière, prononcé le 31 août 2008 au congrès de L’Association fiscale internationale. Il s’est contenté de souligner que les travaux continuaient et que les consultations et les discussions allaient être prolongées, sans s’engager sur un calendrier précis. Il est vrai que le vote négatif de l’Irlande sur le traité de Lisbonne a tempéré les ardeurs de la Commission en matière d’harmonisation fiscale ; par ailleurs, l’aggravation de la crise économique en 2008 a certainement rendu moins urgente la présentation d’un projet de directive sur ce sujet.
● Les enjeux et les conséquences possibles de l’ACCIS
Rentrer dans le détail des débats techniques du « GT ACCIS » ne présente guère d’intérêt tant que les propositions de celui-ci n’auront pas été validées (ou non) par la Commission et formalisées dans une proposition de directive. En outre, il est inconcevable que celle-ci ne soit pas considérablement amendée par le Conseil et le Parlement européen, au cours de discussions qui se poursuivront pendant de longues années. Cependant, et même si la proposition de directive se fait attendre, la mission d’information a souhaité, dès à présent, attirer l’attention sur les conséquences qu’aurait l’ACCIS sur la connexion fiscalo-comptable telle qu’elle est actuellement appliquée en France.
En application du principe de connexion fiscalo-comptable, le résultat fiscal est établi conformément aux règles comptables nationales applicables aux comptes sociaux. Les entreprises, si la connexion était parfaite, n’auraient ainsi à établir qu’une seule liasse – comptable – à partir de laquelle l’impôt serait liquidé. Naturellement, dans la pratique, il y a toujours des retraitements entre le résultat comptable et le résultat fiscal ; il n’en reste pas moins que la connexion fiscalo-comptable, même imparfaite, simplifie la vie des entreprises et leur assure une certaine sécurité dans leurs rapports avec l’administration fiscale.
Or, une assiette fiscale commune à l’ensemble des États-membres serait, par nature, incompatible avec une connexion fiscalo-comptable qui repose sur des règles comptables et fiscales nationales. Ainsi, une entreprise française continuerait à établir ses comptes sociaux – et donc son résultat comptable – selon les règles du PCG mais, en matière fiscale, elle pourrait opter pour les règles de l’ACCIS, lesquelles n’auront probablement qu’un rapport distant avec ces dernières comme, d’ailleurs, avec les règles fiscales qui lui sont actuellement applicables. Dès lors que la connexion fiscalo-comptable ne sera plus possible, l'ACCIS devra contenir des définitions (actifs, passifs, dépréciations, amortissements…) qui, actuellement, sont issues des normes comptables nationales, sauf, bien sûr, à imaginer que la directive renvoie à des normes comptables harmonisées. C’est pourquoi la question d’un lien entre l’ACCIS et les IFRS a été posée.
En effet, pour maintenir la connexion fiscalo-comptable, il suffirait simplement – si l’on peut dire – d’une part que l’ACCIS reprenne les définitions des normes IFRS et, d’autres part, que celles-ci soient applicables dans les comptes sociaux. Ces deux hypothèses se heurtent chacune à des obstacles majeurs.
S’agissant de la reprise dans l’ACCIS des définitions des normes IFRS, la réponse de la Commission, dans sa communication du 5 avril 2006 (126), a été très claire : « bien que la définition de l'ACCIS puisse, théoriquement, s'inspirer des normes comptables internationales correspondantes (IAS/IFRS), aucun lien formel entre ces deux approches ne devrait être établi […]. La législation relative à l'ACCIS devrait, en conséquence, être un document à part entière comportant toutes les définitions nécessaires pour déterminer le bénéfice imposable ». En effet, non seulement les normes IFRS sont orientées vers les investisseurs et ne constituent pas un point de référence valable pour l’établissement d’une assiette fiscale, mais il n’apparaît pas raisonnable de définir celle-ci par rapport à un référentiel qui, d’une part, est en constante évolution et, d’autre part, est élaboré par un organisme sur lequel l’Union européenne n’a pas de contrôle (127).
D’ailleurs, les entreprises elles-mêmes ne sont pas favorables à un tel lien. Le 7 juillet 2003, la Commission a publié un résumé de la consultation publique concernant « l'application des normes comptables internationales (IAS) en 2005 et ses conséquences en ce qui concerne l'instauration d'une base d'imposition consolidée pour les activités transeuropéennes des sociétés commerciales ». Outre l’imposition des plus-values latentes qu’entraînerait éventuellement l’application du référentiel IFRS en matière fiscale – à laquelle la quasi-totalité des entreprises interrogées s’opposent – celles-ci estiment qu’une ACCIS reposant sur les IFRS ne serait possible que pour autant que l’ensemble des entreprises européennes applique ce référentiel, afin de limiter les risques d’inégalité fiscale entre les entreprises ayant opté pour l’ACCIS et les autres. En raison du lien entre la fiscalité et la comptabilité, même celles qui n’opteraient pas pour l’ACCIS en appliqueraient de fait les règles. Cependant, pour les raisons longuement évoquées dans le présent rapport, une telle application des IFRS dans les comptes sociaux n’est pas souhaitable.
La question de l’égalité devant l’impôt complique ainsi fortement la situation. Dès lors que l’ACCIS serait optionnelle, la charge fiscale des entreprises variera selon qu’elles auront opté ou non. Dans ces conditions, maintenir la connexion fiscalo-comptable pourrait se traduire par un rapprochement des normes comptables françaises des règles fiscales de l’ACCIS, rapprochement qui aurait également pour effet de rétablir les entreprises n’ayant pas opté pour l’ACCIS dans une position d’égalité avec celles ayant opté. Cependant, outre l’impact fiscal considérable qu’aurait un tel rapprochement, ce serait lancer une nouvelle modernisation du PCG qui devra être conciliée avec la convergence de celui-ci vers les normes IFRS.
Enfin, si le principe constitutionnel de l’égalité devant l’impôt prime le principe réglementaire qu’est la connexion fiscalo-comptable, la France pourrait toujours faire converger ses seules règles fiscales vers l’ACCIS, distendant de plus en plus les liens entre la fiscalité et la comptabilité, avec toutes les conséquences que cette évolution implique.
Malgré ses conséquences sur la connexion fiscalo-comptable, la mission d'information considère que la France doit soutenir activement l’établissement d’une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, le cas échéant en recourant à une coopération renforcée. Non seulement les avantages de l’ACCIS en termes de simplification, de compétitivité et d’efficacité sont indéniables, mais celle-ci contribuera également à atténuer le handicap français d'un taux élevé appliqué à une assiette réduite.
Proposition n° 30 : Expertiser le projet d’assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés, en prenant en considération les conséquences de celle-ci sur la connexion fiscalo-comptable.
Les normes comptables, tant nationales qu’internationales, ont considérablement évolué depuis le tournant des années 2000. L’internationalisation des entreprises, conjuguée à une sophistication croissante des opérations et des instruments financiers ont obligé les États, via leur normalisateur comptable, à adapter leurs règles comptables nationales aux conditions de la vie économique moderne et, sous la pression des marchés financiers, à rechercher les moyens d’une harmonisation de celles-ci afin de satisfaire leur besoin d’une information financière comparable.
Le paysage comptable mondial, en 2009, n’a ainsi plus rien à voir avec celui qu’il était dix ans plus tôt. Les normes IFRS, bien qu’élaborées par un organisme privé indépendant des États, se sont imposées pour l’établissement des comptes consolidés des plus grandes entreprises européennes ; elles sont désormais utilisées dans plus de cent pays et leur convergence avec les normes comptables américaines ouvre la voie à un référentiel comptable mondial, comme il se doit dans une économie mondialisée. Non seulement ces normes ont renforcé la comparabilité des comptes consolidés, mais elles ont également amélioré la transparence et la fiabilité de ceux-ci et, en raison de leurs qualités techniques comme de l’attention qu’elles portent à la réalité économique des opérations, ont servi de modèles à la modernisation du PCG français. Aujourd’hui, le référentiel IFRS constitue un fait irréversible que personne ne souhaite ni n’a la capacité de remettre en cause.
Pour autant, les nouvelles normes comptables ne sont pas parfaites. Elles sont même largement perfectibles. La crise financière actuelle a révélé le rôle néfaste que peuvent jouer les normes comptables, en particulier l’évaluation des actifs à la « juste valeur » ; si celui-ci a été exagéré au point de leur imputer la responsabilité de cette crise, il est vrai que, combinées aux normes prudentielles, elles ont contribué à son aggravation. Si la comptabilité a pour objet de refléter « l’image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat » d’une entreprise, elle influence en retour le comportement de celle-ci et, au-delà, l’économie toute entière. C’est pourquoi il semble nécessaire, à l’avenir, que les nouvelles normes comptables fassent l’objet d’études d’impact prenant en compte leurs conséquences économiques, sociales et managériales et, le cas échéant, qu’elles soient modifiées.
Une responsabilité particulière repose donc sur les États, d’autant plus que l’élaboration des normes comptables, tant au niveau international avec l’IASB qu’au niveau national avec l’ANC, est désormais déléguée à des organismes indépendants composés d’experts et de professionnels de la comptabilité. Si la responsabilité de ces derniers doit être renforcée, l’État, dans toutes ses dimensions, ne doit pas fuir les siennes :
– le pouvoir exécutif doit surveiller étroitement l’élaboration des normes comptables nationales et internationales et, le cas échéant, peser sur celles-ci, lorsque ses intérêts ou ceux des entreprises françaises apparaissent menacés ;
– le pouvoir législatif, outre le contrôle du pouvoir exécutif dans sa mission de surveillance des normalisateurs comptables, doit veiller à ce que ceux-ci ne modifient pas, via les règles comptables, l’assiette fiscale dont la détermination relève de sa compétence exclusive ;
– enfin, les juridictions auront, de plus en plus, à juger de contentieux comptables très techniques pour lesquels une formation préalable en comptabilité et en analyse financière apparaît nécessaire.
Cependant, le rôle de l’État, dans le domaine comptable comme dans bien d’autres, passe désormais par l’Union européenne qui, seule, a les moyens d’agir au plan international ; mais celle-ci poursuit via la Commission, ses propres objectifs qui, parfois, peuvent s’opposer à ceux de ses États-membres. La perspective d’une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés montre une nouvelle fois les liens qui unissent la fiscalité et la comptabilité et les enjeux politiques autant qu’économiques de celle-ci. La mission d’information espère donc qu’à l’avenir, tant les citoyens que les responsables publics porteront une attention plus soutenue aux débats en cours sur les nouvelles normes comptables.
PROPOSITIONS DE LA MISSION D’INFORMATION
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Proposition n° 1 : Associer les commissions permanentes compétentes de l’Assemblée
nationale et du Sénat, via un avis, à la nomination du Président de l’Autorité des normes comptables. p. 38
Proposition n° 2 : Renforcer les liens entre les instances de normalisation prudentielles (comme le comité de Bâle), les autorités de régulation bancaire et le normalisateur comptable international, notamment via une présence de celles-ci au sein du futur « conseil de surveillance » de l’IASC. p. 74
Proposition n° 3 : Fixer dans la norme IAS 39 des principes fiables et précis d’évaluation des instruments financiers en cas de marché illiquide, en particulier pour les instruments financiers complexes. p. 79
Proposition n° 4 : Aménager la norme IFRS 7 afin de renforcer les obligations d’information sur les méthodes d’évaluation des instruments financiers utilisées en cas de marché illiquide. p. 79
Proposition n° 5 : Renforcer les moyens humains et matériels des pôles économiques et financiers et mettre en place, pour les auditeurs de justice ainsi que pour les magistrats se destinant à une juridiction financière, une formation préalable significative et obligatoire en gestion, comptabilité et analyse financière. p. 88
Proposition n° 6 : Afin d’éclairer le Parlement sur l’impact fiscal des nouveaux règlements comptables qu’elle adoptera, l’Autorité des normes comptables lui transmettra chaque année, avant l’examen du projet de loi de finances, un rapport récapitulant ceux-ci et présentant leurs incidences fiscales. p. 92
Proposition n° 7 : Élargir le financement de l’IASB/IASC en instituant un financement public de ceux-ci via le budget communautaire. p. 103
Proposition n° 8 : Reconnaître au « conseil de surveillance » de l’IASC le pouvoir de fixer le programme de travail de l’IASB et de contrôler sa mise en œuvre. p. 103
Proposition n° 9 : Améliorer les études d’impact réalisées par l’IASB et la Commission européenne préalablement à l’adoption et à l’homologation des normes IFRS, en y incluant les conséquences sur la stabilité financière de celles-ci, menées auprès de l'ensemble des parties intéressées et en tenant compte de la diversité régionale et des structures de marchés. p. 103
Proposition n° 10 : Ne nommer au sein de l’IASB que des ressortissants de pays qui appliquent les normes IFRS, pour un mandat de trois ans renouvelable une fois, en prêtant une plus grande attention aux compétences économiques et financières des candidats. p. 105
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Proposition n° 11 : Renforcer la recherche académique et universitaire européenne en matière comptable, notamment via des programmes européens d’échanges et de soutien à la recherche et, à terme, une Académie comptable européenne. p. 107
Proposition n° 12 : Rationaliser l’organisation du processus européen d’homologation des normes IFRS autour de l’EFRAG, organisme désormais public dont les moyens matériels et humains seraient renforcés. p. 109
Proposition n° 13 : L’Union européenne ne doit pas s’interdire de faire pression, autant que nécessaire, sur l’IASB pour orienter les normes IFRS dans un sens favorable à ses intérêts et à ceux des États-membres. p. 110
Proposition n° 14 : Maintenir l’homologation partielle (« carve out ») de la norme IAS 39 par l’Union européenne. p. 113
Proposition n° 15 : Surveiller étroitement, via le « conseil de surveillance » de l’IASC, l’EFRAG et l’ECOFIN, la convergence entre les normes IFRS et les US GAAP afin que celle-ci ne se traduise pas par un alignement des premières sur les secondes. p. 114
Proposition n° 16 : Accélérer l’élaboration du nouveau cadre conceptuel de l’IASB, infléchi par les enseignements de la crise financière, et subordonner la publication de toute nouvelle norme IFRS à l’adoption de celui-ci. p. 115
Proposition n° 17 : Maintenir la possibilité pour une entreprise appliquant les normes IFRS de consolider une coentreprise via la méthode de l’intégration proportionnelle ou, comme les US GAAP, la maintenir dans certains secteurs. p. 117
Proposition n° 18 : Veiller à ce que la future norme IFRS applicable aux contrats d’assurance prenne en compte à la fois les spécificités de ceux-ci et les normes prudentielles dites « Solvabilité II » actuellement en discussion. p. 118
Proposition n° 19 : Subordonner l’adoption de nouvelles normes comptables par l’Autorité des normes comptables à la réalisation d’études d’impact préalables, notamment de leurs incidences fiscales. p. 119
Proposition n° 20 : Sauf demande contraire des entreprises, prévoir un délai suffisant entre l’annonce d’un nouveau règlement comptable, sa publication et son entrée en vigueur. p. 119
Proposition n° 21 : Maintenir une définition législative des principes comptables et simplifier la structure actuelle du droit comptable français en harmonisant les dispositions du règlement comptable avec celles du PCG. p. 121
Proposition n° 22 : Encadrer le processus de modernisation des normes comptables françaises par un Cadre conceptuel élaboré par l’ANC avec l’ensemble des parties prenantes à la comptabilité et homologué par l’État. p. 121
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Proposition n° 23 : Poursuivre sans attendre le processus de convergence entre le règlement CRC n° 99-02 relatif aux comptes consolidés et les normes IFRS. p. 122
Proposition n° 24 : Refuser l’application dans l’Union européenne d’un référentiel comptable commun pour les PME et, en particulier, du projet IFRS for private entities de l’IASB. p. 125
Proposition n° 25 : Préserver l’unité du référentiel comptable applicable aux comptes individuels et l’obligation pour toutes les entreprises, y compris les plus petites, de satisfaire à des formalités comptables minimales. p. 127
Proposition n° 26 : Maintenir le principe d’un lien fort entre la comptabilité et la fiscalité, tempéré par les assouplissements dictés par la nécessité de neutraliser les incidences fiscales de l’évolution des normes comptables. p. 130
Proposition n° 27 : Étudier la possibilité d’introduire, de manière limitée et encadrée, l’actualisation dans les droits comptable et fiscal français. p. 132
Proposition n° 28 : En cas de reprise des dispositions de la norme IAS 17 dans le droit comptable français, ne pas les appliquer aux contrats de crédit-bail en cours. p. 133
Proposition n° 29 : Annoncer dès que possible si les incidences fiscales d’une nouvelle norme comptable feront l’objet ou non d’une neutralisation et quelle forme celle-ci prendra. p. 135
Proposition n° 30 : Expertiser le projet d’assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés, en prenant en considération les conséquences de celle-ci sur la connexion fiscalo-comptable. p. 143
La commission des Finances, de l’économie générale et du Plan procède, en application de l’article 145 du Règlement, à l’examen du rapport de la mission d’information sur les enjeux des nouvelles normes comptables.
M. Dominique Baert, rapporteur. Je tiens d’abord à remercier le Président de la commission des Finances et le Rapporteur général pour la confiance qu’ils nous ont accordée, à moi-même et à M. Gaël Yanno, en acceptant de nous confier ce rapport d’information.
La comptabilité est souvent présentée comme une matière aride, technique, sans réelle portée. Pourtant, la comptabilité n’est pas qu’une technique. C’est aussi une norme. Or, une norme n’est jamais neutre ; elle porte en elle un jugement de valeur, et le choix d’une norme comptable, parce que celle-ci mesure in fine la richesse (celle de l’entreprise, de l’actionnaire, du pays…) emporte avec lui une certaine vision de l’entreprise, des rapports économiques et, au-delà, du modèle social d’un pays. Ce choix est donc politique et l’État ne peut se désintéresser de la comptabilité.
C’est pourtant malheureusement le cas. En dix ans, tant les normes comptables internationales que le Plan comptable général français ont connu des évolutions considérables. Pressés par les marchés financiers de moderniser leurs normes comptables et de les harmoniser, les États membres de l’Union européenne, incapables de s’entendre sur des normes communes, ont délégué, dans l’indifférence générale, leur pouvoir de normalisation comptable à un organisme supranational indépendant, l’IASB (International Accounting Standards Board) ; les normes qu’il élabore, les IFRS (International Financial Reporting Standards), sont obligatoires depuis le 1er janvier 2005 pour l’établissement des comptes consolidés des plus grandes entreprises européennes et ont servi de modèles à la modernisation du Plan comptable général (PCG) mise en œuvre sous l’impulsion du Conseil national de la comptabilité français.
Or, a-t-on jamais vu en France un quelconque débat sur ce processus de modernisation du PCG ? Plus encore que l’adoption des normes IFRS par l’Union européenne, celui-ci s’est déroulé dans le secret, sans intervention du politique, en particulier du Parlement, alors même que ces nouvelles normes comptables impactent l’assiette de l’imposition des entreprises qu’il lui appartient de fixer en application de l’article 34 de la Constitution.
Alors que la comptabilité, depuis la crise financière de l’été 2007, est mise au banc des accusés, il était donc urgent de réintroduire le politique dans une matière comptable qui repose de plus en plus, au plan national comme au plan international, sur l’expertise des professionnels et d’éclairer le Parlement sur les rapports étroits entre la comptabilité et la fiscalité. C’est à cette tâche que s’est consacrée la mission d’information sur les enjeux des nouvelles normes comptables depuis sa création le 29 avril 2008.
Quelques mots pour commencer sur le processus de normalisation comptable. Celui-ci varie selon les pays et les traditions économiques et politiques. La France a ainsi une conception régalienne de la comptabilité. Fondée sur des principes légaux, la comptabilité constitue une branche du droit, qu’il appartient à l’État d’édicter seul, même s’il laisse d’autres utilisateurs participer à son élaboration. Jusqu’en 2007, la normalisation comptable s’effectuait ainsi sous le contrôle étroit de l’État : le Conseil national de la comptabilité (CNC), représentant les professionnels, adopte un avis qui est repris dans un règlement du Comité de réglementation comptable (CRC), dominé par l’État, lequel est enfin homologué par un arrêté ministériel.
Désormais, c’est une Autorité des normes comptables, créée par une ordonnance du 22 janvier 2009, où les professionnels sont majoritaires, qui édictera seule les règlements comptables, même si l’homologation subsiste.
C’est donc ce CNC – organe qui élaborait la doctrine comptable – qui, au tournant des années 2000, a lancé le processus de modernisation du PCG, c'est-à-dire des normes comptables applicables aux comptes individuels, dans le sens d’une convergence vers les normes IFRS. Si l’œuvre de modernisation doit être saluée, il est regrettable qu’elle ait été décidée par le seul CNC, sans qu’une ligne directrice soit fixée par le politique, lequel s’est borné à entériner a posteriori un processus qui a bouleversé l’environnement de millions d’entreprises.
Sur le plan international, les normes IFRS sont élaborées par un organisme indépendant composé d’experts : l’IASB, qui est l’émanation d’une fondation américaine composée de trustees indépendants et cooptés entre eux, via un processus de consultation sensé en garantir la qualité et la légitimité auprès de l’ensemble des parties prenantes. Pourtant, nombreux sont les personnes auditionnées qui, estimant avoir du mal à se faire entendre d’experts parfois qualifiés « d’autistes » ou « d’ayatollahs de la comptabilité », ont souligné la mainmise de la vision anglo-saxonne et des grands cabinets d’audit anglo-saxons sur la normalisation comptable internationale.
C’est pourtant à un tel organisme que l’Union européenne a délégué, faute d’avoir su élaborer des normes comptables communes, son pouvoir de normalisation comptable. En effet, depuis le 1er janvier 2005, les groupes européens faisant appel public à l’épargne (au nombre de 7 000 dont 1 000 environ en France) ont l’obligation d’établir leurs comptes consolidés selon les normes IFRS. Celles-ci ne sont applicables qu’une fois homologuées par la Commission européenne ; cependant, cette homologation a posteriori est largement formelle et se fonde sur l’avis d’un organisme également privé : l’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group). L’Union européenne n’a donc ni le pouvoir de susciter ni celui d’amender les normes IFRS, pas plus qu’elle n’exerce de contrôle sur l’IASB.
Si ces nouvelles normes comptables, en particulier les normes IFRS, ont bouleversé l’environnement de l’ensemble des entreprises françaises, c’est qu’elles sont très éloignées de la tradition comptable de notre pays. Ainsi, elles sont fondées sur des principes, c'est-à-dire qu’elles font appel, pour leur application, au « jugement » des dirigeants, lesquels doivent les interpréter ; elles sont également destinées à satisfaire les besoins d’information des seuls investisseurs. En outre, à l’opposé de la tradition française d’une comptabilité reflétant un patrimoine fondé sur le droit de propriété, en normes IFRS, la réalité économique d’une opération prime sur sa forme juridique. C’est ainsi que les biens loués en crédit-bail doivent être intégrés à l’actif du bilan.
Enfin, les normes IFRS font un usage immodéré de la « juste valeur », c'est-à-dire de l’évaluation des actifs et des passifs à leur valeur de marché ; si celle-ci améliore l’information des investisseurs, elle entraîne aussi un risque accru de volatilité des résultats et du bilan des entreprises et s’oppose à l’un des principes fondamentaux du droit comptable français qu’est la prudence qui interdit la comptabilisation en résultat des plus-values latentes.
Quel jugement porter sur ces normes IFRS ainsi présentées,? Celui des groupes français chargés de les appliquer est pour le moins mitigé. Certes, comme un référentiel comptable unique est désormais applicable aux comptes consolidés des entreprises européennes faisant appel public à l’épargne, la comparabilité des comptes s’est globalement accrue ; cependant, celle-ci reste limitée en raison, d’une part des nombreuses options ouvertes par le référentiel IFRS et, d’autre part, des divergences nationales dans l’application de celui-ci.
En revanche, l’application des normes IFRS a incontestablement apporté une transparence nouvelle dans de nombreux domaines insuffisamment traités auparavant par les référentiels comptables nationaux, à commencer par le PCG. Ainsi en est-il des instruments financiers, en particulier des produits dérivés que la norme IAS 39 oblige à enregistrer au bilan, des engagements de retraite, des stock-options et autres avantages du personnel, ou de l’information sectorielle.
Enfin, la meilleure preuve que les entreprises ne considèrent pas les normes IFRS comme pertinentes, c’est qu’elles ont souvent recours à d’autres indicateurs de performance (résultat opérationnel, marge brute…) que ceux prévus par le référentiel IFRS ; en outre, l’option pour la « juste valeur » n’a quasiment pas été exercée lors du passage en normes IFRS, la quasi-totalité des entreprises françaises s’en tenant à l’évaluation au coût historique.
La mission d’information s’est également intéressée aux conséquences des nouvelles normes comptables. En effet, la comptabilité s’est longtemps faite modeste, se présentant comme une discipline neutre, un miroir dans lequel « l’image fidèle » de l’entreprise se reflète, pour autant que les normes comptables soient bien faites. Cependant, non seulement le miroir est déformant, c’est-à-dire que la comptabilité ne donne à voir qu’une certaine réalité de l’entreprise, mais elle a, en retour, des conséquences sur celle-ci et, au-delà, sur l’économie toute entière.
Du point de vue comptable, le passage des normes comptables françaises aux normes IFRS en 2005 a eu des conséquences importantes pour les groupes concernés. Ainsi, selon une étude de la Banque de France, 74% des groupes français non financiers cotés ont enregistré de ce fait une augmentation de leur résultat net de 38 % en moyenne.
L’exemple d’EDF est également significatif. Dans la perspective de l’ouverture de son capital, les normes IFRS devenaient applicables à ses comptes consolidés. Or, la norme IAS 19 imposait que le montant des engagements de retraite fût inscrit au passif de son bilan, montant qui s’est révélé trois fois supérieur à celui des fonds propres d’EDF, rendant impossible son introduction en bourse. C’est pourquoi la loi du 9 août 2004 a instauré une contribution couvrant les engagements de retraite, ce qui a permis de déconsolider ceux-ci du bilan.
Par ailleurs, en normes IFRS, les investisseurs qui détiennent des titres d’une entreprise doivent les évaluer, dans leur bilan, à leur « juste valeur » ; par conséquent, ils auront inévitablement une préférence pour celles qui privilégient une rentabilité immédiate, propre à soutenir le cours des titres. Les dirigeants sont donc incités à maximiser la rentabilité à court terme de leur entreprise, ce qui passe souvent par la réduction de l’emploi et de l’investissement. Inversement, une stratégie de développement à long terme, qui est dans l’intérêt de l’entreprise, pourrait rebuter les investisseurs et les conduire à la sanctionner par un ajustement brutal de sa valeur. La mission d’information estime donc que la « juste valeur » peut entraîner une gestion plus court-termiste des entreprises.
Enfin, la mission d’information a analysé, dans une communication présentée le 30 octobre 2008, le rôle des normes comptables dans la crise financière. Ses conclusions restent aujourd’hui encore valables.
Premièrement, les normes comptables seules ne sont pas à l’origine de la crise financière. Elles n’ont fait qu’enregistrer dans le résultat et le bilan des institutions financières, via des dépréciations, l’effondrement de la valeur des produits structurés de crédit puis des autres instruments financiers. Elles ne sauraient donc être le bouc émissaire des organismes de crédit qui ont surendetté des millions d’américains modestes, des manipulations des départements de titrisation des banques d’affaires, qui ont camouflé les subprimes dans des produits extraordinairement complexes, de la légèreté des agences de notation qui ont donné la note maximale AAA à ces produits et des banques qui les ont achetés sans les comprendre, ni de l’insuffisance des dispositifs de régulation financière.
Deuxièmement, les normes comptables, en particulier la norme IAS 39 sur les instruments financiers, combinées aux normes prudentielles, ont incontestablement eu un effet procyclique qui a aggravé la crise en incitant les institutions financières à se débarrasser « à tout prix » de leurs actifs, même les plus sains, alors même que les marchés financiers sont fragilisés.
L’Union européenne a cependant pris conscience des conséquences dommageables de la norme IAS 39 et, lors de la réunion du Conseil ECOFIN du 7 octobre dernier, a fait pression sur l’IASB pour que celui-ci autorise les entreprises à reclasser leurs instruments financiers dans une catégorie où ils ne sont plus évalués à la « juste valeur ». C’est chose faite depuis le 13 octobre 2008, ce qui a permis à certaines banques de réduire le montant de leurs dépréciations. Ainsi, la Deutsche Bank a réduit de 845 millions d’euros ses dépréciations au troisième trimestre 2008. De même, Natixis a-t-il réduit au quatrième trimestre 2008 de 310 millions d’euros ses dépréciations. Cependant, il n’est pas sûr que de tels artifices comptables restaurent la confiance des marchés dans les institutions financières…
Cependant, la question cruciale – comment valoriser des instruments financiers dans un marché inactif – n’a pas été traitée par l’IASB. Valoriser des actifs lorsque les marchés ne sont pas en mesure de le faire oblige à recourir à des modèles mathématiques qui reconstituent le fonctionnement normal des marchés afin de déterminer leur prix. Or, les normes IFRS ne définissent aucun modèle précis de valorisation, pas plus qu’elles n’imposent que les hypothèses et les estimations utilisées par les entreprises soient communiquées aux investisseurs.
Enfin, l’un des enseignements à tirer de la crise est le danger que représente la « full fair value », c'est-à-dire la généralisation de l’évaluation à la « juste valeur » à l’ensemble des instruments financiers, à laquelle l’IASB semble particulièrement tenir. La mission d’information espère que la crise l’amènera à renoncer à ce que certains présentent comme une « folle » fair value.
M. Gaël Yanno, rapporteur. Les conséquences de la modernisation du PCG ne sont pas moins importantes que celles découlant des normes IFRS. Comme l’a souligné M. Dominique Baert, les normes IFRS constituent une véritable rupture par rapport à la tradition comptable française. Les grandes entreprises que sont les groupes faisant appel public à l’épargne ont les moyens de les mettre en oeuvre. Cependant, dès lors que le choix a été fait de moderniser l’ensemble des normes comptables françaises, ce sont les gérants et les experts-comptables de millions de PME qui ont dû se former dans l’urgence à des normes nouvelles, parfois imprécises et souvent complexes, par exemple l’amortissement par composants.
L’insécurité juridique qui en résulte a souvent été soulignée lors des auditions. Elle est d’autant plus réelle que, s’agissant de normes fondées sur des principes, celles-ci font très souvent appel au « jugement » du préparateur de comptes à qui revient la responsabilité, sous le contrôle des auditeurs, de choisir le traitement comptable approprié d’une opération.
Or, des sanctions pénales lourdes sont prévues s’il apparaissait que les comptes ne donnent pas une « image fidèle » de l’entreprise. Or, le risque n’est pas négligeable que telle interprétation puisse fausser « l’image fidèle » des comptes de l’entreprise, du moins l’idée qu’un juge pourra s’en faire s’il venait à être saisi. Afin de limiter cette insécurité, il apparaît nécessaire de renforcer la compétence et les moyens des juridictions en matière comptable.
Enfin, les normes comptables ont une influence directe sur la fiscalité. En effet, l’assiette de l’impôt sur les sociétés s’appuie sur les comptes individuels des entreprises établis conformément aux règles du PCG ; de même pour la taxe professionnelle dont l’assiette est assise sur la valeur locative des immobilisations corporelles telles que définies par le PCG.
En elles-mêmes, les normes IFRS n’ont aucune conséquence fiscale puisque ces normes ne s’appliquent qu’aux comptes consolidés. Mais le processus de modernisation du PCG remet incontestablement en cause l’article 34 de la Constitution qui dispose que « la loi fixe les règles concernant l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ». Si l’assiette de l’impôt est définie par les règles comptables établies en pratique par le CNC (devenu l’ANC), le principe de légalité de l’impôt est-il encore respecté ? Les arrêtés ministériels homologuant les règlements du CRC ne sont-ils pas entachés d’incompétence ? Le Conseil d’État a répondu par la négative, en distinguant entre l’objet et l’effet des normes comptables : certes, celles-ci ont des effets sur l’assiette de l’impôt sur les bénéfices, mais elles n’ont pas un objet fiscal à proprement parler et ne peuvent donc, par elles-mêmes, violer la constitution.
Bien que la question ait été tranchée du point de vue du droit, il n’en reste pas moins que dans les faits, par ses avis, le CNC a influé sur l’assiette fiscale, en dehors de toute compétence constitutionnelle. Par exemple, l’amortissement par composants a entraîné, au titre de l’exercice 2005, selon les entreprises, une majoration ou une minoration de leur résultat imposable que l’article 42 de la loi de finances rectificative pour 2004 a dû étaler sur cinq ans.
Certes, le CNC n’émettait que des avis, repris ou non dans des règlements du CRC dont l’homologation relevait de ministres responsables devant le Parlement. Mais l’homologation est largement formelle et rien ne dit qu’un Gouvernement ne verra pas dans les règles comptables un outil discret pour modifier l’assiette fiscale. Si le Parlement peut neutraliser ou lisser l’impact fiscal des modifications comptables, il ne peut cependant le faire qu’à la condition d’être informé de celles-ci, ce que souhaite la mission d’information.
Les enjeux des nouvelles normes comptables sont donc à la mesure de leurs conséquences : considérables. C’est pourquoi la mission d’information formule dans son rapport trente propositions afin d’améliorer la qualité et la légitimité des normes comptables et du processus de normalisation.
L’IASB qui, à l’origine, n’était qu’un think tank, est aujourd’hui le normalisateur comptable de plus de cent pays. Un tel pouvoir ne peut aller sans responsabilité ni légitimité. Cependant, la réforme en cours de l’IASB est insuffisante ; pour l’essentiel, elle se contente de créer un « conseil de surveillance » composé, notamment, des autorités nationales de marché. Non seulement les pouvoirs de celui-ci seront très limités – désigner les trustees et surveiller leur activité – mais la réforme ne traite pas deux questions majeures : d’une part le financement de l’IASB qui ne peut reposer uniquement sur les entreprises privées et les cabinets d’audit et, d’autre part, l’insuffisance des études d’impact des normes IFRS qui ne prennent pas en compte les conséquences sociales, managériales ou macro-économiques de celles-ci.
En outre, il apparaît nécessaire, maintenant que l’Union européenne a délégué son pouvoir de normalisation comptable, qu’elle exerce un contrôle étroit et permanent sur l’usage qui en est fait. Afin d’améliorer son influence sur l’IASB, la mission d’information estime qu’elle devra d’abord renforcer sa capacité de recherche en comptabilité afin de promouvoir une vision européenne de la comptabilité alternative à celle de l’IASB.
De plus, il apparaît nécessaire de faire de l’EFRAG un organisme public et d’en renforcer les moyens matériels et humains, afin que l’Union européenne parle d’une seule voix, et d’une voix forte, sur la scène comptable internationale.
Enfin, l’assouplissement en urgence, en octobre 2008, de la norme IAS 39, conformément aux exigences du Conseil ECOFIN, a démontré que l’influence de l’Union européenne ne se limite pas à la seule procédure d’homologation. Elle ne doit pas s’interdire de faire pression, autant que nécessaire, sur l’IASB pour orienter les normes IFRS dans un sens favorable à ses intérêts.
Le renforcement de l’influence de l’Union européenne sur l’IASB apparaît d’autant plus nécessaire que des nombreux projets de normes sont susceptibles, prochainement, d’affecter fortement les entreprises européennes.
Depuis 2002, l’IASB et le normalisateur comptable américain ont entrepris de faire converger leurs normes comptables respectives. Si la convergence est de nature à améliorer la comparabilité des comptes et à simplifier la vie des entreprises européennes cotées aux États-Unis, elle apparaît en pratique à sens unique, c'est-à-dire que les normes IFRS convergent seules vers les US GAAP. Les exemples sont ainsi nombreux où les nouvelles normes IFRS ne sont que la quasi-copie des normes américaines équivalentes, quand bien même celles-ci sont d’une qualité inférieure.
Si l’on peut douter que la convergence soit vraiment dans l’intérêt de l’Union européenne, elle a cependant toutes les chances de se poursuivre ; c’est pourquoi elle doit être étroitement surveillée, via le « conseil de surveillance » de l’IASC, l’EFRAG et l’ECOFIN.
De plus, plusieurs projets de normes et d’amendements à des normes existantes sont actuellement en préparation qui suscitent, pour certains d’entre eux, de fortes réserves de la part de l’EFRAG, des normalisateurs nationaux et des entreprises européennes.
Le premier de ces projets est la réforme du cadre conceptuel des normes IFRS, qui ne remet en cause ni l’orientation des normes IFRS vers les seuls investisseurs ni le postulat du bon fonctionnement des marchés.
Le deuxième est l’aménagement de la norme IAS 31 Participation dans des coentreprises, qui supprimera la possibilité pour les groupes de consolider leur participation dans des coentreprises par la méthode de l’intégration proportionnelle, au risque de réduire la pertinence des comptes consolidés et de remettre en cause les stratégies de développement des entreprises, laquelle, notamment en Asie, passe souvent par des coentreprises.
Enfin, le dernier est la future norme IFRS 4 applicable aux contrats d’assurance, que la mission d’information estime nécessaire de coordonner avec les normes prudentielles « Solvabilité II », afin que leur combinaison ne conduisent pas aux mêmes effets pervers que la norme IAS 39 et les normes prudentielles « Bâle II ».
S’agissant des normes comptables nationales, le PCG a connu, entre 2000 et 2004, des changements aussi rapides que considérables. La mission d’information estime donc nécessaire de limiter désormais les évolutions du PCG au strict nécessaire, afin de permettre aux entreprises et aux comptables d’assimiler les nouvelles normes comptables. Cependant, dans l’éventualité d’une poursuite de la modernisation du PCG, l’ANC pourrait mener des études d’impact préalables à la publication des nouvelles normes comptables nationales. Elle pourrait également se doter d’un cadre conceptuel, soumis au Gouvernement pour homologation. Si le politique n’a pas à rentrer dans le détail des règles comptables, il lui appartient cependant de fixer la ligne que celles-ci doivent suivre.
La mission d’information s’est intéressée à la question de savoir quelles normes comptables - éventuellement simplifiées - doivent être appliquées aux comptes individuels, c'est-à-dire à ceux de l’ensemble des entreprises françaises.
Tant l’application des IFRS que celle des IFRS simplifiées pour les PME doivent être rejetées pour des raisons de complexité et d’inutilité. En outre, les comptes individuels servant de base à l’établissement de l’assiette de l’impôt, l’application des normes IFRS entraînerait l’obligation de déconnecter la fiscalité et la comptabilité afin d’éviter la volatilité des ressources publiques. La mission d’information estime donc qu’il convient de conserver, pour les comptes sociaux, des référentiels comptables nationaux.
Par ailleurs, des propositions ont été avancées, notamment par la Commission européenne, afin d’exonérer les plus petites entreprises de toutes formalités comptables. Si la comptabilité est, certes, une charge, elle est aussi et surtout un outil d’information indispensable pour l’entrepreneur comme pour les tiers, à commencer par les créanciers.
La poursuite d’une modernisation mesurée et concertée de ces normes, sans rechercher l’alignement systématique sur les normes IFRS mais avec un objectif de simplification, est en tout point préférable à une nouvelle révolution comptable dans les comptes individuels.
Enfin, la mission d’information s’est intéressée à la pérennité de la connexion entre la comptabilité et la fiscalité dans un contexte d’évolution rapide des normes comptables et de perspective d’une assiette consolidée de l’impôt sur les sociétés au niveau européen.
La déconnexion totale entre fiscalité et comptabilité, comme c’est le cas aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, n’est souhaitée ni par l’administration fiscale ni par les entreprises pour lesquelles elle constitue une garantie dans leurs rapports avec celle-ci ; l’administration fiscale a quant à elle défini trois principes : le maintien de la connexité fiscalo-comptable, la neutralisation des incidences fiscales des évolutions comptables et la simplicité des retraitements.
Si la mission d’information soutient la position de l’administration fiscale, elle regrette cependant que ces principes aient été fixés dans une simple instruction fiscale et attire l’attention sur le difficile équilibre entre ceux-ci. Ainsi, le maintien de la connexion, qui se traduit par un alignement de la fiscalité sur la comptabilité, est contradictoire avec le principe de neutralité ; celui-ci entraîne une déconnexion au moins partielle de la fiscalité et de la comptabilité via des retraitements complexes qui mettent à mal le principe de simplicité.
Par ailleurs, le projet d’une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, que prépare actuellement la Commission européenne, s’il devrait permettre d’améliorer le fonctionnement du marché commun en supprimant les entraves fiscales, les double-impositions et les discriminations, risque de rompre les liens entre comptabilité et fiscalité.
En effet, une assiette fiscale commune à l’ensemble des États-membres serait, par nature, incompatible avec une connexion fiscalo-comptable qui repose sur des règles comptables et fiscales nationales. Ainsi, une entreprise française continuerait à établir ses comptes individuels – et donc son résultat comptable – selon les règles du PCG mais, en matière fiscale, elle pourrait opter pour les règles de l’ACCIS, lesquelles n’auront probablement qu’un lointain rapport avec ces dernières.
La question du maintien de la connexion fiscalo-comptable est également compliquée par celle de l’égalité devant l’impôt. Dès lors que l’ACCIS serait optionnelle, la charge fiscale des entreprises variera selon qu’elles auront opté ou non. Dans ces conditions, maintenir la connexion fiscalo-comptable pourrait se traduire par un rapprochement des normes comptables françaises vers les règles fiscales de l’ACCIS, rapprochement qui aurait également pour effet de rétablir les entreprises n’ayant pas opté pour l’ACCIS dans une position d’égalité avec celles ayant opté. Cependant, outre l’impact fiscal considérable qu’aurait un tel rapprochement, ce serait lancer une nouvelle modernisation du PCG qui devra être conciliée avec la convergence de celui-ci vers les normes IFRS.
Enfin, la France pourrait toujours faire converger ses seules règles fiscales vers l’ACCIS, mettant ainsi un terme à la connexion entre la fiscalité et la comptabilité, avec toutes les conséquences que ce terme implique.
Pour conclure, maintenant que l’élaboration des normes comptables, tant nationales qu’internationales, a été déléguée à des organismes indépendants composés d’experts, une responsabilité particulière repose sur l’État.
Le pouvoir exécutif doit surveiller étroitement l’élaboration des normes comptables nationales et internationales et, le cas échéant, peser sur celles-ci, lorsque ses intérêts ou ceux des entreprises françaises apparaissent menacés. Le pouvoir législatif, outre le contrôle du pouvoir exécutif dans sa mission de surveillance des normalisateurs comptables, doit veiller à ce que ceux-ci ne modifient pas, via les règles comptables, l’assiette fiscale dont la détermination relève de sa compétence exclusive.Enfin, les juridictions auront, de plus en plus, à juger de contentieux comptables très techniques pour lesquels une formation préalable en comptabilité et en analyse financière apparaît nécessaire.
M. le président Didier Migaud. Je félicite les rapporteurs pour leur excellent travail. Bien que la comptabilité soit une matière très technique, ils ont parfaitement mis en avant ses enjeux politiques, lesquels justifient l’intervention du Parlement.
M. François Goulard. Il est vrai que les normes comptables n’ont que rarement suscité l’intérêt du Parlement. A tort, il faut en être conscient.
En effet, comme l’ont souligné les rapporteurs, dès lors que l’assiette de l’impôt sur les bénéfices est déterminée par les règles comptables, toute modification de celles-ci a un impact en matière fiscale, matière qui relève de la compétence du Parlement. Cependant, s’il est vrai qu’elles sont élaborées par le Conseil national de la comptabilité, devenu l’Autorité des normes comptables, elles doivent être homologuées par un arrêté signé par des ministres responsables devant le Parlement. Celui-ci peut, en outre, neutraliser, par une disposition législative, les incidences fiscales d’une norme comptable. Enfin, les rapporteurs ont eu raison de souligner que les normes comptables ont des conséquences considérables sur les entreprises et, au-delà, sur l’économie toute entière.
L’harmonisation comptable internationale est désormais un fait ; elle était une nécessité en raison de la mondialisation des entreprises et des échanges. Cependant, il est regrettable qu’une seule vision de la comptabilité, la vision anglo-saxonne, domine la normalisation comptable internationale. L’Union européenne ne doit pas abandonner la comptabilité aux seuls experts de l’IASB mais peser sur les choix afin de les orienter dans un sens favorable aux entreprises européennes.
Enfin, il serait souhaitable que les entreprises qui appliquent les normes IFRS pour leurs comptes consolidés appliquent les mêmes normes pour leurs comptes individuels, et non plus les règles du Plan comptable général, à la condition toutefois que les normes IFRS évoluent dans un sens plus favorable aux entreprises.
M. Michel Bouvard. Je souscris aux propos de notre collègue François Goulard, qui a exprimé l’essentiel de ce qu’il faut dire sur ce sujet. La vigilance est essentielle sur les évolutions des normes comptables, notamment en raison de leurs liens avec la fiscalité.
C’est un fait qu’il faut renforcer l’influence de l’Union européenne sur la normalisation comptable international et, donc, les moyens matériels et humains de l’EFRAG, sauf à subir des normes élaborées sans débat et sans étude d’impact, dont le caractère néfaste a été révélée par la crise financière actuelle.
M. Dominique Baert, rapporteur. Le message que la mission d’information souhaite faire passer est le suivant : il est faux de voir dans les normes comptables une simple matière technique ; celles-ci ont une dimension politique essentielle.
Certes, notre collègue François Goulard a raison d’insister sur la possibilité, pour le Parlement, de neutraliser les incidences fiscales d’une norme comptable ; mais encore faut-il que celui-ci soit informé de ces incidences. C’est pourquoi la mission d’information propose que l’Autorité des normes comptables établisse chaque année, à l’intention du Parlement, un rapport sur les incidences fiscales des normes qu’elle élabore.
S’agissant de l’influence de l’Union européenne sur le processus de normalisation comptable internationale, la mission d’information estime nécessaire de renforcer la recherche universitaire européenne en matière comptable, via des programmes européens d’échanges et de soutien à la recherche et, à terme, une Académie comptable européenne. En outre, l’Union européenne devrait contribuer en tant que telle au financement de l’IASB et mener de véritables études d’impact des normes IFRS, préalablement à leur homologation.
M. François Goulard. Il n’est effectivement pas sain que les entreprises et les cabinets d’audit, qui sont les premiers intéressés par les normes comptables, soient les seuls à financier l’organisme qui les élabore.
M. Gaël Yanno, rapporteur. En complément à nos propositions, il me semble important que la commission des finances puisse auditionner le Président de l’Autorité des normes comptables afin d’être éclairée sur la poursuite ou non du processus de modernisation du PCG ainsi que sur les modalités de celle-ci.
M. François Goulard. Un exemple parmi bien d’autres de la dimension politique des normes comptables est la proposition du Président de la République de partager le profit en trois tiers (actionnaires, salariés, investissement) ; or, qui définit ce qu’est le profit, sinon les normes comptables ?
M. le président Didier Migaud. Les conclusions du rapport d’information vont être transmises officiellement à Mme Christine Lagarde, ministre de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi, ainsi qu’au Sénat, en particulier aux membres du groupe de travail commun à l’Assemblée nationale et au Sénat. Je rappelle que ce groupe continue son travail sur les paradis fiscaux, côté Assemblée nationale, et sur la régulation des marchés financiers, côté Sénat.
Nous vous remercions une fois encore, Messieurs les rapporteurs, pour votre excellent travail. La Commission est-elle favorable à la publication du rapport ?
Le principe de la publication du rapport d’information sur les enjeux des nouvelles normes comptables, mis aux voix, est approuvé par la Commission.
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LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
1. Institutions publiques, normalisateurs et Autorité de marché
– M. Jean-François Lepetit, Président du Conseil national de la comptabilité (devenu depuis l’Autorité des normes comptables), M. Gérard Gil, Président de la Commission des études comptables et M. Éric Preiss, Directeur général.
– M. Paul Perpère, sous-directeur de la fiscalité des entreprises à la Direction de la législation fiscale du ministère de l’Economie, des finances et de l’emploi, M. Frédéric Himpens, inspecteur principal des impôts.
– M. Michel Prada, Président de l’Autorité des marchés financiers et
Mme Sophie Baranger, Directrice des affaires comptables.
– M. Bertrand Collomb, Président d’honneur du groupe Lafarge, trustee de l’International Accounting Standards Committee Foundation.
– M. Daniel Houri, Conseiller-maître à la Cour des comptes, membre du CNC.
– M. Jérôme Haas, Directeur-adjoint à la Direction générale du Trésor et de la politique économique (DGTPE), membre du CNC.
– M. Gilbert Gélard, membre de l’International Accounting Standards Board.
– Mme Christine Guéguen, sous-directrice du droit économique à la Direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la Justice, M. Daniel Barlow, adjoint au chef du bureau du droit commercial et M. Eugène Nivon, rédacteur.
– M. Pierre Delsaux, Directeur « mouvement des capitaux, droit des sociétés et gouvernance » à la Commission européenne.
2. Représentants des entreprises et directeurs financiers
– M. Gérard de la Martinière, Président du comité des finances du MEDEF, Mme Agnès Lepinay et Mme Anne Colmeet-Dage, membres de la commission fiscalité, Mme Marie-Pascale Antoni, Directrice des affaires fiscales,
M. Patrice Marteau, Président d’ACTEO.
– M. Pascal Labet, Directeur des affaires économiques de la CGPME et
M. Gérard Orsini, Directeur-adjoint.
– Mme Ariane Obolensky, Directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF), Mme Sylvie Grillet-Brossiet, Directrice du département supervision bancaire et financière.
– M. Bertrand Labilloy, Directeur des affaires économiques, financières et internationales de la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA), Mme Christine Tarral, chargée des questions économiques et financières.
– M. Philippe Bordenave, Directeur des affaires financières de BNP-Paribas.
– Mme Yolaine de Courson, Directeur financier de Géopost.
– M. Philippe Calavia, Directeur général délégué aux affaires économiques et financières d’Air France et M. Michel Cascarino, Directeur des affaires comptables.
– M. John Glen, Directeur financier d’Air Liquide et M. Thierry Sueur, Directeur des affaires européennes et internationales.
3. Professions du chiffre et du droit
– M. Dominique Villemot, avocat fiscaliste.
– M. Laurent Levesque, Président de la commission du droit comptable du Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables, Mme Hélène Parent, directrice des études comptables.
– M. Gilles Hengoat, Président de la commission des études comptables de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, Mme Marie-Claude Picart, Directrice en charge des normes IFRS.
– Mme Mireille Berthelot, Associée au cabinet Deloitte et M. Jean-Yves Jégourel, Associé au Cabinet Ernst & Young.
– M. Dominique Ledouble, expert-comptable, membre du CNC.
– M. René Ricol, ancien Président de l’International Fédération of Accounts (IFAC, fédération internationale des experts-comptables).
4. Universitaires
– M. Éric Delessalle, Professeur agrégé en sciences de gestion au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM).
– M. Bernard Colasse, Professeur agrégé en sciences de gestion à l’Université
Paris IX-Dauphine.
1 () On se souvient du choc produit lors de l’introduction de Daimler-Benz à Wall Street en 1993. Son résultat est passé de 615 millions de Marks (en normes allemandes) à une perte de 1 900 millions de Marks (en normes américaines).
2 () Mais également pour certains dirigeants d’entreprise. M. Jean-Marie Messier, pour expliquer la perte nette de 13,6 milliards d’euros réalisée par le groupe Vivendi en 2002 a eu cette formule : « ces charges comptables [les provisions] ne sont qu’un jeu d’écriture. On ne sort pas l’argent. Il n’y a pas d’impact sur la situation opérationnelle du groupe » (Le Monde, 14 mars 2002). On connaît la suite…
3 () En revanche, il convient de souligner l’attention que le Parlement, notamment les commissions des Finances de l’Assemblée nationale et du Sénat, portent aux normes comptables publiques.
4 () L’Europe a également connu son lot de scandales, avec les mésaventures de Vivendi Universal, Ahold ou Parmalat. Cependant, les transactions fictives d’Enron, afin de dégager une « juste valeur » permettant de réévaluer l’actif, n’auraient jamais été acceptées par un commissaire aux comptes français.
5 () Six pour l’Europe, dont un Français, M. Bertrand Collomb, six pour les États-Unis et le Canada, six pour l’Asie et l’Océanie, et quatre originaires d’autres régions du monde.
6 () Sur les treize membres du Board (un siège étant vacant), huit sont d’origine anglo-saxonne (dont quatre Américains, deux Anglais, un sud-Africain et un Australien), deux Français, un Suédois, un Japonais et un Chinois. Quant aux anciens auditeurs, ils sont au nombre de sept (soit la majorité absolue).
7 () Comment expliquer autrement qu’une norme telle que l’IAS 39 sur les instruments financiers ait pu être adoptée contre l’avis de la quasi-totalité des banques européennes.
8 () Le FASB américain lui-même, modèle de l’IASB, normalise par délégation de la SEC, laquelle peut refuser une norme qui ne lui convient pas et dont les responsables rendent compte au Congrès.
9 () Qui a réglé en grande partie deux importantes questions : celles des monnaies de présentation des comptes, facteur de complexité pour la comparaison des données, et des taux de conversion fluctuants qui créaient pour l’investisseur un risque de change.
10 () Voir Eve Chiapello « Les normes comptables comme institution du capitalisme : une analyse du passage aux normes IFRS en Europe à partir de 2005 », in Sociologie du travail n° 47, 2005.
11 () Quelques tentatives en ce sens avaient eu lieu. En 1979, un comité de contact avait été mis en place pour assurer le suivi de l’application et la mise à jour de la 4ème directive. En 1990, un Forum consultatif de la comptabilité avait été créé pour conseiller la Commission européenne dans le domaine comptable.
12 () Rapport de la Commission au Conseil et au Parlement européen concernant l’application du règlement n° 1606/2002 du 19 juillet 2002 sur l’application des normes comptables internationales.
13 () Observations sur certains articles du règlement 1606/2002/CE précitées.
14 () La Commission exigeait en effet de supprimer certaines dispositions relatives à la « juste valeur » (suppression de la possibilité d’appliquer cette option aux passifs financiers) et au traitement comptable des opérations de macrocouverture (ouvrant la possibilité d’évaluer les dépôts à vue dans les opérations de macrocouverture et modifiant les modalités de mesure des tests d’efficacité).
15 () Telle est la signification des initiales de « US GAAP », référentiel comptable américain : Generally Accepted Accounting Principles c'est-à-dire principes comptables généralement admis aux États-Unis.
16 () Même si elle est pour le moins discutable, cette orientation ne pouvait que satisfaire l’IOSCO qui, dans une résolution du 17 mai 2000, a recommandé à ses membres l’approbation du référentiel IFRS.
17 () Le cadre conceptuel de l’IASB cite ainsi, parmi les caractéristiques qualitatives des états financiers, l’intelligibilité, la pertinence, l’importance relative, la fiabilité, l’image fidèle ou encore la prudence, autant de principes qui se retrouvent dans le droit comptable français.
18 () Par exemple, les normes américaines sur les opérations crédit-bail et leur comptabilisation dans les livres du bailleur et du preneur comportent plus de 400 pages. À l’inverse, la norme IAS 17 se réduit à 25 pages, se contentent d’énoncer les principes généraux et s’en remettent, pour leur application, au jugement d’expert que portera l’utilisateur.
19 () Dominique Thouvenin « How fair is fair value ? », étude Ernst & Young.
20 () Si le principe n’est pas appliqué à tous les actifs, pour les actifs et passifs financiers, la « juste valeur » est l’outil de mesure de référence, le coût historique étant l’exception ; pour les autres actifs et passifs, le coût historique reste la référence, la « juste valeur » n’étant utilisée que par exception, pour certains actifs (immeubles de placement) ou lors de certaines opérations (regroupement d’entreprises).
21 () Cherchant la meilleure manière d’évaluer les actifs et les passifs du bilan, afin de donner une valeur à l’entreprise, et l’ayant trouvé dans le concept de « juste valeur », le référentiel IFRS n’a que faire de la cascade des soldes intermédiaires de gestion qui caractérisent le PCG, bien qu’une bonne analyse du risque repose sur l’utilisation de différents indicateurs.
22 () L’IFRIC a succédé en 2001 au SIC (Standing Interpretation Committee), créé en 1997 et dont l’œuvre interprétative est pour le moins réduite.
23 () Les membres fondateurs en sont BDO, Deloitte Touche Tohmatsu, Ernst & Young, Grant Thornton, KPMG et PriceWaterhouseCoopers.
24 () Le CNC a lui-même succédé à la Commission de normalisation des comptabilités, créée par le décret n° 46-619 du 4 avril 1946.
25 () La loi n° 98-261 du 6 avril 1998 portant réforme de la réglementation comptable, le décret n° 96-749 du
26 août 1996 relatif au Conseil national de la comptabilité et le décret n° 98-939 du 14 octobre 1998 relatif au Comité de la réglementation comptable ont aménagé l’organisation de la normalisation comptable en France dans le sens d’une plus grande implication du monde économique et social, en particulier des entreprises, au sein du collège du CNC. En revanche, la création du CRC, où les représentants de l’État étaient majoritaires, chargé de transformer en règlement les avis du CNC, révèle que l’État n’entendait pas abandonner son pouvoir de normalisation comptable aux seuls professionnels.
26 () La valeur juridique des avis du CNC diffère en effet selon qu’ils ont été, ou non, repris par un règlement du CRC. Seuls les avis de l’Assemblée plénière qui sont transmis au CRC sont homologués par un arrêté interministériel qui leur donne force obligatoire. Les autres n’ont que la portée pratique d’une interprétation. Enfin, les avis du Comité d’urgence n’ont pas vocation à être soumis au CRC dans la mesure où ils répondent à un besoin d’urgence, incompatible avec le mode de fonctionnement du CRC.
27 () Le CRC est composé de quatre représentants de l’État, de trois représentants du pouvoir juridictionnel et de huit membres du CNC(dont le Président du CNC, le Président du CSOEC et le Président de la CNCC).
28 () À l'exception des personnes morales de droit public qui sont soumises aux règles de la comptabilité publique et sont donc exclues du périmètre d’intervention du CRC
29 () Une telle suppression nécessite une disposition législative. A cet effet, l’article 152 de loi de modernisation de l’économie a habilité le Gouvernement à prendre une ordonnance.
30 () Un décret en Conseil d’État doit encore fixer les modalités d’application de l’ordonnance.
31 () Ainsi, la composition de la commission des normes internationales comporte quatre personnalités appartenant à des grands cabinets, quatre appartenant à des entreprises du CAC 40. Quant au président et au vice-président, ils appartiennent respectivement à BNP-Paribas et à Ernst & Young.
32 () L’article L. 130 du code des postes et des communications électroniques prévoit un avis des commissions compétentes en matière de postes et de communications électroniques préalable à la nomination du président de l’ARCEP ; l’article 28 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité prévoit un avis des commissions compétentes en matière d’énergie préalable à la nomination du président de la CRE ; l’article 2 de la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté prévoit un avis des commissions compétentes préalable à la nomination de ce dernier.
33 () L’ordonnance a également transposé les directives comptables n° 2001/65/CE du 27 septembre 2001 et 2003/51/CE du 18 juin 2003, dite « de modernisation » dont l’objet était d’éviter les incompatibilités entre les 4ème et 7ème directives et les normes IFRS.
34 () D’ailleurs, dans l’Union européenne, très peu d’États membres ont rendu obligatoires les normes IFRS dans les comptes sociaux. Il s’agit, pour la plupart, d’ancien pays communistes ou de pays sans véritable tradition comptable (la Grèce, Malte, la Slovénie, la Lettonie, la Lituanie et Chypre). La majorité des États-membres a fait le choix, à l’instar de la Grande-Bretagne, des Pays-Bas ou du Danemark, d’autoriser les entreprises, même celles ne faisant pas appel public à l’épargne, à opter pour l’application de ces normes aux comptes sociaux.
35 () « European regulation on the application of IFRS in 2005 – Recommandation for additionnal guidance regarding the transition to IFRS », 30 décembre 2003.
36 () Institute of Chartered Accountants in England and Wales.
37 () « Communication financière et IFRS : où en sont les entreprises du CAC 40 ? », in Les collections de l’Observatoire de la communication financière n°1, juin 2005.
38 () Par exemple la comptabilisation des immobilisations incorporelles ou corporelles en coût amorti ou en réévaluation à la valeur de marché.
39 () À condition toutefois que ce changement des hypothèses soit explicité dans l’annexe.
40 () Suite au retrait en 2005, par l’IASB, de l’interprétation IFRIC 3 Droits d’émission, de fortes divergences sont apparues dans le traitement comptable de ces droits. Deux méthodes ont ainsi été retenues pour la préparation des états financiers 2006 : soit la comptabilisation des droits d’émission alloués à titre gratuit ont été comptabilisés au bilan en valeur nulle, soit en leur valeur de marché au jour de leur attribution.
41 () « IFRS 2005, révolution ou simple retouche pour les groupes de distribution ? », décembre 2005.
42 () Ernst & Young, « Communication financière 2006 – Première application des IFRS, les pratiques des groupes européens », juin 2006.
43 () Grégory Heem : « La communication financière sur les indicateurs de performance non définis en IFRS par les sociétés du CAC 40 », in Revue française de comptabilité n° 403.
44 () Samira Demaria et Dominique Dufour : « Les choix d'options comptables lors de la transition aux normes IAS/IFRS : quel rôle pour la prudence ? », in Comptabilité Contrôle Audit, numéro spécial IFRS,
Décembre 2007.
45 () En outre, les normes IFRS étant rédigées en langue anglaise, leur traduction en français laisse parfois à désirer, ne serait-ce que parce les termes comptables ne sont pas exactement les mêmes dans les deux langues. L’imprécision peut cependant, parfois, être levée en se référant à la version originale de la norme.
46 () Ce décret ne rendait pas le PCG obligatoire en tant que tel. Simplement, il exigeait des entreprises, lors de la déclaration de résultat, la production d’une liasse fiscale comprenant un bilan et un compte de résultat similaires aux modèles du PCG.
47 () Par contre, on notera que le règlement ne fournit pas de précision sur la notion de potentiel, au contraire des §53 à 55 du Cadre conceptuel de l’IASB.
48 () Cependant, le terme de décision lui-même est impropre puisqu’il n’est pas possible de rattacher formellement la convergence à une décision d’un homme ou d’un organisme, même si le Président du CNC à l’époque, M. Antoine Bracchi, est considéré par beaucoup comme le « père » de la convergence.
49 () Ces frais seront alors amortis, si l’immobilisation est amortissable, sur la durée de l’immobilisation concernée. Si celle-ci n’est pas amortissable, ces frais ne pourront être comptabilisés en charges que lors de la sortie de l’actif de l’immobilisation concernée.
50 () Sylvie Marchal, Mariam Boukari et Jean-Luc Cayssials : « L’impact des normes IFRS sur les données comptables des groupes français cotés », Bulletin de la Banque de France n° 163, juillet 2007
51 () Catherine Gouteroux : « Les conséquences du passage aux normes IFRS dans les groupes bancaires français », Bulletin de la Banque de France n° 151, juin 2006.
52 () C'est-à-dire l’écart d’acquisition correspondant à l'excédent du coût d'acquisition, lors d'une prise de participation ou d'une fusion, sur la quote-part de l'acquéreur dans la juste valeur des actifs et passifs identifiables.
53 () De fait, il n’est pas étonnant que les résultats nets des sociétés foncières cotées aient connu des variations significatives. Une étude d’ Éric Tort (Revue française de comptabilité n° 380, 2005) montre que sur 8 sociétés foncières cotées à Paris qui ont communiqué leurs résultats en normes française et IFRS, le passage des unes aux autres a eu pour conséquence une envolée du résultat net. Il a plus que doublé en moyenne, à cause principalement de l'application de la « juste valeur » aux immeubles et à l'ajustement des écarts d'acquisition.
54 () Le « day one profit » est la marge commerciale sur instruments financiers complexes, qui résulte de la différence entre le prix de transaction et le prix obtenu d’après les modèles internes.
55 () Citée par les Échos, supplément du 13 mai 2004, p. 17.
56 () Cependant, une telle dénomination, certes plus juste, n’aurait pas eu le caractère « vendeur » de la dénomination actuelle. Certains auteurs estiment même que ce choix du terme « fair value » a constitué un véritable coup de génie marketing de la part des membres de l’IASB. En effet, qui raisonnablement, peut être contre une méthode de valorisation présentée comme donnant la juste valeur d’un actif ou d’un passif ?
57 () « Alternatives économiques » n°272, septembre 2008.
58 () À noter cependant que les sociétés d’assurance françaises ont obtenu, par le décret n° 2008-1437 du 22 décembre 2008, la possibilité de lisser sur huit ans la provision pour risque d’exigibilité, constituée lorsque l’ensemble du portefeuille (actions, obligations, immobilier…) se retrouve en moins-values latente.
59 () Voir Les Échos du 31 octobre 2008.
60 () Cité dans l’AGEFI du 19 novembre 2008.
61 () « Fair value measurement and related disclosures of financial instruments in illiquid markets», oct.2008.
62 () Le Global Public Policy Committee, qui rassemble six des plus grands réseaux internationaux, a publié en décembre 2007 un document intitulé « Determining fair value on financial instruments under IFRS ».
63 () Par exemple en matière d’immeubles de placement, la norme IAS 40 permet leur évaluation à la « juste valeur » alors que le PCG ne reconnaît que le coût historique amorti (hors le cas particulier des SCPI et des SIIC). En outre, le PCG permet, sur option, de comptabiliser en charges les frais d’acquisition (droits de mutation, honoraires, commissions, frais d’actes…) alors que leur incorporation dans le coûts d’entrée de l’immobilisation est obligatoire selon les IFRS (mais également selon le règlement CRC 99-2).
64 () En l'espèce, la société Arcatime, qui exerce une activité de transport routier, a conclu un contrat avec la société Michelin selon lequel cette dernière assure, moyennant le versement d'une redevance kilométrique, la mise à disposition, l'entretien et le remplacement des pneumatiques qui équipent ses véhicules. L'administration fiscale avait analysé la convention conclue par les parties comme étant une location de pneumatiques. Par conséquent, le service avait réintégré, dans les bases de la taxe professionnelle, les pneumatiques équipant, initialement ou au titre de remplacement, les véhicules pour une valeur correspondant aux redevances kilométriques versées au manufacturier.
65 () La loi du 24 juillet 1867 sur les sociétés commerciales avait érigé en délit la distribution de dividendes fictifs, puni des mêmes peines que l’escroquerie.
66 () Pour les comptes consolidés, l’article 441-1 du code pénal dispose que constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques. Le faux et l’usage de faux sont punis de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.
67 () Rappelons qu’il existe des infractions spécifiques aux professionnels comptables que sont les experts-comptables et les commissaires aux comptes. Par exemple le délit de confirmation d’informations mensongères
ou le délit de non-révélation de faits délictueux (article L. 820-7 du code de commerce).
68 () Par ailleurs, de nombreux États sanctionnent pénalement les infractions aux règles comptables, notamment la publication de fausses informations (Allemagne, Belgique, Italie…).
69 () Ce mouvement de spécialisation est d'ailleurs commun aux États européens. Ainsi, aux Pays-Bas, le ministère public dispose d'un parquet spécialisé à compétence nationale pour les affaires économiques et financières, composé de cinquante procureurs spécialisés et deux cent cinquante collaborateurs. Les juridictions de jugement sont également différentes des juridictions de droit commun. En Espagne, une division spécialisée du parquet de Madrid a également une compétence nationale pour certaines infractions économiques ou lorsque l'affaire présente une grande complexité. En Allemagne, des procureurs bénéficient de formations spécifiques dans le domaine comptable et économique. Au Royaume-Uni, enfin, le service des poursuites de la Couronne (Office of Public Prosecution) dispose d’une branche indépendante et spécialisée, le bureau des fraudes graves (Serious Fraud Office).
70 () « De l’incidence des doctrines sur la pratique comptable », in Revue d’économie politique, mai-juin 1947.
71 () Cité par J.G Degos, Histoire de la comptabilité, Presses Universitaires de France, Que sais-je (1998).
72 () Ce dernier fait cependant l’objet de certains retraitements sur le tableau 2058A de la liasse afin de tenir compte des spécificités fiscales. En effet, bien qu’ayant besoin de la comptabilité, le droit fiscal a ses propres exigences. Ainsi, même si la comptabilité offre à la fiscalité ce qu’elle recherche, à savoir le résultat de l’entreprise, le droit fiscal marque son autonomie en retenant des règles différentes pour des motifs qui lui sont propres : lutte contre l’évasion fiscale (théorie de l’acte anormal de gestion), ou mise en place d’un régime légal (avantages fiscaux dédiés à certaines entreprises ou dépenses).
73 () Sous réserve d’une transformation en règlements par le CRC et de l’homologation de ceux-ci par arrêté.
74 () CE 8 juin 2005 n°270957 SAS Sofinad.
75 () Y compris les droits de douane et taxes non récupérables, après déduction des remises, rabais commerciaux et escomptes de règlement.
76 () En cas d’option pour la comptabilisation en charges, il y aura donc un retraitement dans les comptes consolidés, l’immobilisation de ces frais étant obligatoire.
77 () Un tel changement de méthode comptable n’est possible, aux termes de l’article 130-5 du PCG, que « si un changement exceptionnel est intervenu dans la situation de l'entité ou dans le contexte économique, industriel ou financier et que le changement de méthodes fournit une meilleure information financière compte tenu des évolutions intervenues ».
78 () Sauf au cas particulier des sociétés civiles de placement immobiliers (SCPI).
79 () Qui retient au demeurant, au titre des comptes consolidés, une approche de groupe pour identifier les immeubles de placement. Ainsi un immeuble détenu par une société (une SCI par exemple) et loué à une autre société du groupe sera considéré comme une immobilisation corporelle au titre des comptes consolidés et comme un immeuble de placement au titre des comptes individuels.
80 () En revanche, les plus-values latentes constatées à l’occasion de la réévaluation d’une immobilisation doivent être inscrites, en application de l’article 350-1 du PCG, dans les capitaux propres.
81 () Il faut cependant rappeler que la solution retenue obéit principalement à des motifs d’opportunité. En effet, comme l’écrit Gilles Carrez dans son commentaire sous l’article 17 du projet de loi de finances pour 2006, « en cas de correction du marché immobilier, il s'agit de ne pas se trouver dans la situation de résultats fortement minorés, avec une baisse conséquente des recettes de l'État, alors que des plus-values latentes existent sur d'autres immeubles de placement, soit du fait du maintien de certains secteurs, soit en raison de la date d'acquisition de ces immeubles. Le plafonnement se justifie donc aujourd'hui (présence d'importantes plus-values latentes du fait des prix élevés de l'immobilier), mais aussi en cas de retournement du marché », in Rapport général sur le projet de loi de finances pour 2006, tome II, page 269.
82 () À noter que la précision des critères de l’article 322-1 du PCG résulte de l’instruction fiscale 4 A 13-05 du 30 décembre 2005 précitée (§86).
83 () Selon cette jurisprudence, deux conditions doivent être remplies pour que cet amortissement soit possible. Tout d'abord, seuls les éléments individualisables du fonds de commerce peuvent faire l'objet d'un amortissement. Tel n'est pas le cas de mandats de gestion acquis dont les caractéristiques ne différaient pas des autres mandats de gestion que l'entreprise exploitait et qui s'étaient indissociablement intégrés dans un portefeuille qui se renouvelait en permanence. Ensuite, il convient de pouvoir démontrer que les effets bénéfiques futurs de l'élément du fonds de commerce prendront fin à une date déterminée.
84 () Cependant, en application de l’article 15 bis de l’annexe II au code général des impôts, seuls les composants de « première catégorie » sont concernés par cette possibilité d’étalement. En effet, si, comptablement, le choix est laissé aux entreprises entre l’activation du composant et la comptabilisation d’une provision pour gros entretien, fiscalement, les dépenses d’entretien demeurent des charges. Dès lors, dans l’hypothèse où une entreprise aura choisi de considérer ces dépenses comme un composant, les dotations excédentaires qui auront été constatées sur le plan comptable devront être réintégrées extra-comptablement.
85 () Avis du Comité d’urgence n° 2003-E du 9 juillet 2003.
86 () Naturellement, ce ne sont pas les États en tant que tels qui ont contribué à l’IASB/IASC mais leurs entreprises, cabinets d’audit, banque centrale, régulateur de marché…
87 () De plus, individuellement, aucune de ces contributions ne dépassent 25 000 livres.
88 () Le 28 novembre 2008, la Commission a publié les études d’impact relatives à des amendements aux normes IFRS 3 Regroupements d’entreprises, IAS 27 États financiers consolidés et individuels, IAS 39 Instruments financiers ainsi qu’aux interprétations IFRIC 15 Accords pour la construction d’un bien immobilier et
IFRIC 16 Couverture d’un investissement net dans une activité à l’étranger.
89 () Jusqu’à présent, les membres de l’IASB étaient recrutés sur leur seule compétence.
90 () Ainsi le centre de recherche en comptabilité du CNAM n’a-t-il été créé qu’en 1999 et le centre de recherche européen en finance et en gestion (CREFIGE) de l’université Paris-Dauphine qu’en 1988.
91 () La Royal Bank of Scotland, pour ne citer qu’elle, a annoncé pour 2008 des pertes à hauteur de 28 milliards de livres, notamment en raison de dépréciations d’actif à hauteur de 20 milliards de livres.
92 () L'EFRAG a publié en juillet 2008 un plan de restructuration ayant pour but de renforcer son influence au sein du processus de normalisation internationale. Ce plan met notamment l'accent sur la nécessité pour l'EFRAG d'effectuer ses recherches et de publier ses documents consultatifs dès le début des travaux de l'IASB. Parmi les innovations introduites figurent notamment la création d'un Comité planification et ressources (PRC) composé de 9 membres, la mise en place d'un Comité gouvernance et nomination, composé de 17 membres, d'un forum consultatif informel pour les mécanismes de financement nationaux (NFM), et d'un nouveau groupe consultatif en remplacement de l'actuel forum consultatif. L'intention générale est de permettre à l'EFRAG d'être en mesure d'exercer une influence proactive sur les développements futurs de la normalisation comptable internationale, en collaboration avec les instances nationales de normalisation.
93 () Le 27 août 2007, la SEC a décidé de lancer une vaste consultation sur l’opportunité d’appliquer les normes IFRS aux entreprises américaines. Sous réserve d’une décision définitive en 2011, les IFRS deviendraient applicables en 2014 pour les grandes entreprises américaines cotées.
94 () Selon l’IASB, les phases B et C devraient être lancées au premier trimestre 2009.
95 () Cependant, en cas de conflit entre une norme et le cadre conceptuel, la norme prévaut (§3 du Cadre conceptuel actuel).
96 () Et aux questions comptables soulevées par la crise financière.
97 () Par exemple, une société A détient 30 % d’une société B ; la valeur comptable de cette participation est de 100. Or les capitaux propres de la société B sont de 400. La mise en équivalence de cette participation dans les comptes consolidés de la société A sera de 30 % x 400 = 120, valeur qui sera substituée à 100.
98 () Afin de respecter la cohérence avec le cadre conceptuel, ED 9 propose donc que ne soient comptabilisés que les droits et obligations directs du groupe du fait de l’accord conjoint, notamment les joint assets qui sont des actifs sur lesquels chacun des partenaires a un droit d’utilisation ou les joint operations qui sont des activités exercées en commun, en utilisant les actifs et obligations propres à chaque partenaire.
99 () Voir à ce sujet les lettres de commentaires très critiques du CNC et du CESR du 7 janvier 2008.
100 () Le document de consultation « Preliminary views on insurance contracts » propose ainsi une méthode d’évaluation des passifs d’assurance fondée sur trois composantes : l’évaluation des cash flows futurs sur la base d’une moyenne des différents scénarios pondérée par leurs probabilités d’occurrence, la prise en compte de la valeur temps et l’estimation d’une marge de risque.
101 () Ainsi le CNC, créé en 1957 a t-il immédiatement modernisé le PCG de 1947 et le « nouveau » CNC de 1998 a-t-il adopté le PCG 1999.
102 () Par exemple, les frais de constitution, de transformation et de premier établissement (droits d’enregistrement sur les apports, honoraires, débours…) sont, en application de l’article R. 123-186 du code de commerce, soit comptabilisés en charges, soit comptabilisés à l’actif comme immobilisations incorporelles. Or, ces frais ne remplissent pas les critères généraux de définition et de comptabilisation d’un actif introduits par le règlement n° 2004-06 et devraient donc être obligatoirement comptabilisés en charges (comme l’impose d’ailleurs la norme IAS 38). Cependant, l’article 361-1 du PCG conserve l’option imposée par le code de commerce dont le niveau dans la hiérarchie des normes est plus élevé.
103 () Les Petites affiches, 26 avril 2002 n° 84 p. 3.
104 () Cet article substitue dans le code de commerce des règlements de l’ANC aux décrets prévus par les articles L. 123-16 relatif aux conditions dans lesquels les commerçants peuvent adopter une présentation simplifiée de leurs comptes annuels, L. 123-15 relatif au classement des éléments du bilan et du compte de résultat, les éléments composant les capitaux propres ainsi que les mentions à inclure dans l'annexe, L. 123-27 relatif à la méthode d’évaluation simplifiée des stocks et des productions en cours et L. 233-20 relatif aux modalités d’établissement et de publication des comptes consolidés.
105 () Cité par Les Échos du 22 avril 2002.
106 () Cependant, des PME ont pu appliquer les normes IFRS dès lors qu’elles établissaient des comptes consolidés ou qu’elles faisaient partie d’un groupe appliquant les normes IFRS.
107 () Cependant l’IASB a réaffirmé avec force que l’adoption d’IFRS simplifiées pour les PME ne signifiait pas que les IFRS elles-mêmes ne leur sont pas appropriées.
108 () Une entité exerce une responsabilité publique si elle a émis des titres sur un marché réglementé.
109 () 80 000 euros hors taxes s'il s'agit d'entreprises dont le commerce principal est de vendre des marchandises, objets, fournitures et denrées à emporter ou à consommer sur place, ou de fournir le logement, à l'exclusion de la location directe ou indirecte de locaux d'habitation meublés ou destinés à être loués meublés, ou 32 000 euros hors taxes s'il s'agit d'autres entreprises.
110 () En application de l’article L. 123-28 du code de commerce, les personnes physiques bénéficiant du régime défini à l’article 50-0 du code général des impôts peuvent ne pas établir de comptes annuels. Elles tiennent un livre mentionnant chronologiquement le montant et l’origine des recettes qu’elles perçoivent au titre de leur activité professionnelle ainsi qu’un registre présentant le détail de leurs achats. En outre, en application de l’article 50-0 précité, ces entreprises doivent tenir un livre-journal présentant le détail de leurs recettes professionnelles, appuyé des factures et de toutes autres pièces justificatives. Elles doivent également tenir un registre présentant le détail de leurs achats.
111 () Au Royaume-Uni, les entreprises négocient le montant de leur impôt avec l’administration fiscale, de sorte qu’une liasse fiscale peut n’être établie que plusieurs années après la clôture de l’exercice. Mais une fois l’accord trouvé, les contrôles a posteriori ne sont plus nécessaires. Parce qu’il ignore le contrôle fiscal, le système anglais offre aux entreprises une vraie sécurité juridique. A l’inverse, dans le système américain, l’administration fiscale bénéficie de pouvoirs exorbitants, semblables à ceux de l’administration des douanes française. Elle déploie des vérificateurs qui effectuent un contrôle permanent sur les entreprises. Le moindre groupe américain dispose ainsi d’une quarantaine de fiscalistes dont la seule mission est de s’occuper des vérificateurs.
112 () La Tribune, 22 mai 1997.
113 () Bulletin de la CNCC n° 125, mars 2002. En revanche, le décret n° 2007-243 du 23 février 2007 impose l’actualisation de la provision pour démantèlement s’agissant des exploitants d’installations nucléaires.
114 () Voir en ce sens l’instruction 4 E-2-07 du 30 mars 2007.
115 () C’est le cas, par exemple, des charges à répartir telles que les primes et indemnités de mutation versées aux sportifs, qui seront transférées en tant qu'immobilisations incorporelles.
116 () Inversement, lorsque la durée d’utilisation comptable est plus courte que la durée d’usage de référence, il en résulte un amortissement comptable supérieur à l’amortissement déductible fiscalement. Dans ce cas, les entreprises doivent procéder à la réintégration extra-comptable de la fraction de l’amortissement comptable qui excède le montant de l’amortissement fiscalement déductible. Cette fraction de l’amortissement comptable ainsi reportée du point de vue fiscal sera admise en déduction lors de la cession ou de la mise au rebut de l’immobilisation, ou extra-comptablement de manière linéaire sur la durée résiduelle d’usage.
117 () De même, l’article 46 de la loi de finances rectificative pour 2005 (n° 2005-1720 du 30 décembre 2005) a neutralisé les incidences de l’inscription des coûts de démantèlement à l’actif sur la valeur locative servant de base à la taxe professionnelle.
118 () Parmi lesquels le traitement fiscal des prix de transfert intragroupe, les flux transfrontaliers de revenus entre sociétés associées, la compensation transfrontalière des pertes, les opérations transfrontalières de restructuration et, d’une manière générale, les conflits de compétence fiscale qui multiplient les risques de double imposition (Communication de la Commission COM(2001) 582 du 23 octobre 2001).
119 () COM(2003) 726 final.
120 () Par exemple l’adoption de la directive 2003/123/CE visant à élargir le champ d'application et à améliorer la directive du Conseil 90/435/CEE concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents, l’instauration d’un forum conjoint sur les prix de transfert ou encore le code de conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises.
121 () Selon la définition de l'OCDE, les prix de transfert sont « les prix auxquels une entreprise transfère des biens corporels, des actifs incorporels, ou rend des services à des entreprises associées ». Plus simplement, il s’agit du prix des transactions entre sociétés d'un même groupe et résidentes d'États différents : ils supposent des transactions intragroupes et le passage d'une frontière. Il s'agit finalement d'une opération d'import-export au sein d'un même groupe, ce qui exclut toute transaction à l'international avec des sociétés indépendantes ainsi que toute transaction intragroupe sans passage de frontière.
122 () En effet, cette société n’a aucun statut fiscal défini dans les instruments communautaires : elle relève du droit fiscal national de chacun des États membres. Ainsi, elle est soumise à la législation fiscale de son siège social et éventuellement de ses établissements stables en vertu du principe de territorialité de l’impôt.
123 () COM(2006) 157 final et COM(2007) 223 final.
124 () Résolution 2005/2120 (INI) du 13 décembre 2005.
125 () Avis ECO/165 du 14 février 2006.
126 () COM (2006) 157 Final.
127 () Cependant, le groupe de travail ne s’interdit pas de s’inspirer des normes IFRS pour la définition de l’ACCIS (voir le document de travail du 26 juillet 2007 « ébauche d’un cadre technique »).