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N° 1719

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 juin 2009

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

en conclusion des travaux de la Mission d’évaluation et de contrôle (MEC) (1)

sur le musée du Louvre

et prÉsentÉ

par MM. Nicolas PERRUCHOT, Richard DELL’AGNOLA

et Marcel ROGEMONT

Députés

___

MM. Georges TRON et David HABIB

Présidents.

____

La mission d’évaluation et de contrôle est composée de : MM. Georges Tron, David Habib, Présidents ; M. Didier Migaud, Président de la commission des Finances de l’économie générale et du Plan, M. Gilles Carrez, Rapporteur général ; MM. Pierre Bourguignon, Jean-Pierre Brard, Alain Claeys, Charles de Courson, Richard Dell’Agnola, Yves Deniaud, Jean-Louis Dumont, Jean-Michel Fourgous, Laurent Hénart, Jean Launay, François de Rugy, Philippe Vigier.

INTRODUCTION 5

LISTE DES PROPOSITIONS DE LA MEC 7

I.– AUTONOMIE ET RESPONSABILISATION : LES DEUX PILIERS DE LA RÉFORME DES MUSÉES NATIONAUX 10

A.– L’AUTONOMIE, UNE CHANCE POUR LES MUSÉES 10

1.– La réorganisation de l’administration centrale de la Culture dans le cadre de la RGPP 10

2.– La transformation de quatre musées nationaux SCN en établissements publics 11

3.– Pour la généralisation du statut d’établissement public 12

B.– L’AUTONOMIE DES MUSÉES IMPLIQUE UNE RESPONSABILITÉ ACCRUE 14

1.– Généraliser la contractualisation aux musées nationaux établissements publics 14

2.– Étendre le pilotage par la performance aux musées nationaux SCN 15

3.– Veiller au respect des orientations de la politique immobilière de l’État par les ministères et leurs opérateurs 16

4.– Assurer la cohérence des objectifs et indicateurs de performance d’un établissement à l’autre 17

II.– LES RESSOURCES HUMAINES : CONCILIER SOUPLESSE DE GESTION ET ACCOMPLISSEMENT DES MISSIONS DE SERVICE PUBLIC TOUT EN PRÉVENANT L’INFLATION DES EFFECTIFS 18

A.– REPENSER LES LEVIERS D’ACTION À LA DISPOSITION DU MUSÉE-EMPLOYEUR 19

1.– Un contrôle encore trop partiel du volet « ressources humaines » 19

2.– Encourager une déconcentration plus poussée de la gestion des ressources humaines 20

3.– Adapter le système de rémunération 22

B.– MAÎTRISER LES RESSOURCES HUMAINES 25

1.– Surveiller la croissance de la masse salariale et des effectifs 25

2.– Améliorer le pilotage par la tutelle de la gestion des ressources humaines 27

III.– LES ENJEUX DE FINANCEMENT DU LOUVRE : ENTRE RÉUSSITES ET INTERROGATIONS 29

A.– L’ÉVOLUTION DES FINANCEMENTS DU MUSÉE 29

1.– Le Louvre a réussi à développer et à diversifier ses ressources 29

2.– La gratuité, une mesure pertinente ? 31

B.– LA CRISE FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE ACTUELLE FAIT PESER UNE TRIPLE INCERTITUDE SUR LA SITUATION FINANCIÈRE FUTURE DU LOUVRE 34

1.– Première incertitude : le niveau de fréquentation 34

2.– Deuxième incertitude : le montant des ressources de mécénat. 34

3.– Troisième incertitude : le rendement du fonds de dotation. 35

IV.– LA RMN ET LES MUSÉES NATIONAUX : JE T’AIME, MOI NON PLUS ? 37

A.– LES RELATIONS ENTRE LA RMN ET LE LOUVRE : DÉPASSER LES DIFFÉRENDS 38

1.– Les publications : une concurrence coûteuse et source d’inefficacités 38

2.– Le fonds photographique : en attente d’une clarification de la part de la tutelle 39

3.– La boutique du Carrousel : rétablir le dialogue 41

4.– Déterminer l’opérateur le plus efficace : la nécessité d’une analyse des coûts comparés 42

B.– RÉÉQUILIBRER LES RELATIONS ENTRE LA RMN ET LES MUSÉES SCN 43

1.– Le constat partagé d’un dialogue insuffisant entre la RMN et les musées SCN 43

2.– Associer pleinement les musées SCN à la politique de la RMN 44

V.– LE LOUVRE HORS LES MURS : ASSURER LES COOPÉRATIONS 46

A.– LA DÉCENTRALISATION CULTURELLE : LE PROJET LOUVRE-LENS 46

1.– Un projet ambitieux mené en partenariat avec le territoire 46

2.– La nécessité de dépasser les blocages 47

B.– LE DÉVELOPPEMENT DU MUSÉE À L’INTERNATIONAL 48

1.– Des partenariats traditionnels aux nouvelles formes de coopération 48

2.– Le Louvre-Abou Dabi : porte-drapeau du rayonnement culturel de la France 50

C.– LA NÉCESSITÉ D’UNE GESTION PRÉVISIONNELLE ET COORDONNÉE DE LA POLITIQUE DE PRÊTS 51

1.– Les craintes d’une tension sur les collections du Louvre 51

2.– Mettre en place un « guichet unique » pour assurer le développement futur du musée 52

EXAMEN EN COMMISSION 55

I.– LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 67

II.– COMPTE RENDU DES AUDITIONS 69

INTRODUCTION

Sur la suggestion du Rapporteur spécial, M. Nicolas Perruchot, le bureau de la commission des Finances a souhaité que la mission d’évaluation et de contrôle procède à une évaluation de la politique des musées. Afin d’en délimiter suffisamment le champ, il a cependant choisi de centrer les travaux sur le cas emblématique du musée du Louvre.

Premier musée de France, et l’un des tout premiers du monde par l’étendue, la qualité et la vocation encyclopédique de ses collections, le Louvre peut être considéré comme un laboratoire de la politique publique des musées. Sa puissance lui a permis des expérimentations qui étaient hors de portée des institutions plus modestes. De ces expérimentations, des leçons peuvent être tirées pour les autres musées, au bénéfice de mesures d’adaptation.

Trois Rapporteurs ont été désignés : outre les deux Rapporteurs spéciaux de la commission des Finances pour la mission Culture – MM. Richard Dell’Agnola et Nicolas Perruchot – , M. Marcel Rogemont qui, au nom de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales, a présenté l’avis budgétaire relatif à cette mission lors de l’examen des deux derniers projets de loi de finances. Les députés chargés du rapport représentent à la fois les deux Commissions les plus concernées, mais aussi trois groupes politiques sur les quatre composant l’Assemblée nationale : respectivement l’Union pour un mouvement populaire, le Nouveau centre et le groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

Les travaux de la mission, de février à avril 2009, l’ont conduite à entendre par deux fois M. Henri Loyrette, président-directeur du musée du Louvre, accompagné des principaux responsables administratifs du musée. Pour sa seconde audition, la mission s’est déplacée au musée du Louvre, en ce qu’une juridiction appellerait une « audience foraine » ; mais la mission d’évaluation et de contrôle n’est pas une juridiction : elle entend, non pas juger des gestionnaires, mais évaluer des politiques publiques. Au demeurant, la mission a eu la satisfaction de constater au Louvre le bilan globalement positif d’une politique active et dynamique, indéniablement favorisée par le statut d’établissement public.

Afin de recueillir le point de vue d’une tutelle en plein aggiornamento, la MEC a entendu le secrétaire général du ministère et la directrice des Musées de France, puis, au terme de ses auditions, la ministre de la Culture et de la communication. Il est apparu que la modernisation en cours méritait d’être encouragée, voire stimulée.

Un grand opérateur de la politique muséale devait également être écouté : la Réunion des musées nationaux. Son spectaculaire redressement financier, ses frictions avec le Louvre, la mutation de ses modes de relations avec les autres musées sont révélateurs des évolutions en cours et des difficultés rémanentes.

Enfin, pour mettre en perspective le caractère, soit particulier, soit véritablement exemplaire du Louvre, la mission a tenu à entendre les responsables d’institutions muséales variées : musée et domaine national de Versailles, musée national Picasso, musée national Gustave Moreau. D’autres musées encore ont été consultés directement par les Rapporteurs.

En complément, pour faire le point sur le projet « Louvre-Lens », deux des Rapporteurs se sont rendus à Lille auprès du président et des services de la région Nord-Pas-de-Calais ainsi qu’à Lens, sur le site où sera posée prochainement la première pierre. Après avoir envisagé de se rendre également sur le site du projet « Louvre-Abou Dabi », les Rapporteurs ont préféré renoncer, dans un esprit d’économie. La MEC se doit à un usage parcimonieux des fonds publics, et le coût du voyage n’était pas en rapport avec les informations attendues.

En tout état de cause, sur ce dossier comme sur les autres, la mission a disposé d’informations très complètes, du fait de l’esprit de coopération des services du Louvre, et de la collaboration avec la troisième chambre de la Cour des comptes, présidée par M. Jean Picq. La Cour, qui a adopté en juin 2008 un important référé relatif aux enjeux de gestion du ministère de la Culture, vient de réaliser un contrôle sur le Louvre (2). Les travaux des rapporteurs de la MEC ont été une fois de plus enrichis par le dialogue avec les magistrats de la Cour – tenus en public à un devoir de réserve faute de pouvoir, à titre individuel, engager la collégialité.

Les propositions contenues dans le présent rapport portent finalement, en cercles concentriques, sur le musée du Louvre, sur la politique des musées, sur le rôle de la tutelle, et de façon plus large, sur des aspects transversaux de la politique de l’État, concernant la gestion de son patrimoine – immobilier, artistique ou immatériel – ainsi que ses relations avec ses opérateurs.

Au-delà du cas particulier d’un musée – fût-il le plus beau du monde ! – c’est bien la modernisation de l’État qui est en cause.

LISTE DES PROPOSITIONS DE LA MEC

A.– L’AUTONOMIE ET LES MOYENS DE L’ASSUMER

Proposition n°1 : Généraliser le statut d’établissement public administratif à l’ensemble des musées nationaux.

Proposition n°2 : Procéder, chaque fois que cela est pertinent, au regroupement des musées nationaux établissements publics administratifs ou à leur rattachement à des établissements plus importants.

Proposition n°3 : Mettre en œuvre dans les meilleurs délais le principe de la contractualisation pour tous les musées nationaux ayant statut d’établissement public administratif.

Proposition n°4 : Créer un outil de pilotage et de responsabilisation adapté pour les musées nationaux à statut de service à compétence nationale en vue de leur changement de statut.

Proposition n°5 : Inscrire, dans le cadre des contrats de performance, l’engagement des opérateurs du ministère de la Culture et de la communication à respecter les orientations et les critères de la politique immobilière de l’État.

Proposition n°6 : Harmoniser les objectifs et indicateurs assignés aux différents musées nationaux toutes les fois que cela est possible et pertinent.

B.– AMÉLIORER LA GESTION DES RESSOURCES HUMAINES

Proposition n°7 : Conduire une expérimentation sur des commissions administratives paritaires préparatoires locales instituées au niveau des musées nationaux à statut d’établissement public administratif les plus importants, et qui formuleraient des avis préalables sur les questions de discipline, de détachement et d’avancement des agents.

Proposition n°8 : Étendre le principe de gestion directe de leurs ressources humaines à tous les musées nationaux ayant statut d’établissement public administratif.

Proposition n°9 : Initier une réflexion quant à la création, au profit des musées nationaux, de structures équivalentes aux centres de gestion.

Proposition n°10 : Adopter le texte d’application relatif à la prime de fonctions et de résultats.

Proposition n°11 : Engager une réflexion sur les professions liées à la recherche de mécénat. Élaborer des contrats types et des grilles de rémunération coordonnées pour les musées nationaux.

Proposition n°12 : Veiller à la maîtrise de la masse salariale et des effectifs de l’établissement public du musée du Louvre.

Proposition n°13 : Créer des outils nationaux de pilotage et de contrôle de la gestion des ressources humaines déléguée aux musées nationaux établissements publics administratifs.

C.– ÉVALUER LA POLITIQUE DE GRATUITÉ

Proposition n°14 : Procéder, un an après sa mise en œuvre, à l’évaluation de la gratuité d’accès aux musées et monuments nationaux. Analyser notamment ses conséquences en termes de démocratisation culturelle.

D.– MODERNISER LA GESTION DU PATRIMOINE CULTUREL NATIONAL

Proposition n°15 : Définir clairement la politique du ministère de la Culture et de la communication en matière de gestion du patrimoine culturel immatériel de l’État.

Proposition n°16 : Créer un outil de comptabilité analytique adapté afin que les principaux musées ayant statut d’établissement public administratif renseignent le coût de leurs « fonctions connexes ».

Proposition n°17 : Procéder sans délai à l’audit relatif à la politique d’édition de la RMN et des musées nationaux prévu par le contrat de performance 2007–2009 entre l’État et la RMN.

Proposition n°18 : Mener des audits sur les coûts comparés de la RMN et des musées nationaux dans l’exercice des « fonctions connexes » aux tâches des musées.

E.– FAVORISER L’ÉTABLISSEMENT DE RELATIONS PARTENARIALES ENTRE LES MUSÉES ET LA RMN

Proposition n°19 : Associer les musées ayant statut de service à compétence nationale à la négociation des conventions entre l’État et la Réunion des musées nationaux.

Proposition n°20 : Redéfinir la composition du conseil d’administration de la Réunion des musées nationaux en y accueillant un représentant des musées nationaux à statut de service à compétence nationale, élu par ses pairs.

F.– ASSURER LE DÉVELOPPEMENT EXTERNE DU LOUVRE

Proposition n°21 : Procéder à l’audition annuelle de la direction l’Agence France Muséums par les commissions parlementaires permanentes compétentes (Finances, Affaires culturelles et Affaires étrangères).

Proposition n° 22 : Mettre en place un dispositif de pilotage prévisionnel des prêts d’œuvres commun à l’ensemble des départements du musée du Louvre.

I.– AUTONOMIE ET RESPONSABILISATION : LES DEUX PILIERS DE LA RÉFORME DES MUSÉES NATIONAUX

Le musée du Louvre a souvent fait figure d’ « éclaireur » chaque fois qu’il s’est agi de réformer la gestion des institutions muséales françaises. Ainsi, le 1er janvier 1993, le musée devenait un établissement public administratif (EPA) (3), initiant un processus d’autonomisation – encore inachevé – des musées ayant statut de service à compétence nationale (SCN) par rapport à leur tutelle.

Dix ans plus tard, en 2003, c’est encore avec le Louvre que le ministère de la Culture et de la communication décidait d’expérimenter la gestion contractuelle en formalisant leurs engagements et obligations réciproques au sein d’un contrat d’objectifs et de moyens pluriannuel. Rappelons que le contrat d’objectifs et de moyens a changé de dénomination en 2006 pour devenir « contrat de performance ».

Ces deux mouvements, que dix ans ont séparés, doivent être le support de toute réforme des musées nationaux et ils doivent dorénavant être conduits de manière concomitante. L’autonomie, essentielle pour assurer un service public muséal de qualité et une gestion plus efficiente, n’est pas l’indépendance. Le processus d’autonomisation des opérateurs muséaux est une dynamique salutaire mais pas suffisante. Elle doit nécessairement s’accompagner d’une responsabilisation et d’un pilotage stratégique des établissements, dans le cadre de relations renouvelées avec leur tutelle. Les musées nationaux doivent marcher sur deux jambes.

A.– L’AUTONOMIE, UNE CHANCE POUR LES MUSÉES

1.– La réorganisation de l’administration centrale de la Culture dans le cadre de la RGPP

Sur les propositions du ministère de la Culture et de la communication, le Conseil de modernisation des politiques publiques a fixé les orientations de la réforme de la gouvernance des musées lors de sa séance du 12 décembre 2007. Il a ensuite arrêté les mesures de mise en œuvre de ces orientations au cours de sa réunion du 4 avril 2008.

La ministre de la Culture et de la communication l’a confirmé devant la mission : « Je souhaite que la tutelle soit plus intelligente et moins tatillonne » (4). De fait, les mesures décidées dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) concernent notamment le recentrage de l’administration centrale sur ses missions de pilotage stratégique et de contrôle.

Il est ainsi proposé de procéder à la réorganisation de la direction des Musées de France (DMF) et de l’administration centrale du ministère de la Culture et de la communication. L’administration centrale sera organisée en trois directions générales et un secrétariat général, les objectifs de cette réforme étant de « recentrer l’administration centrale du ministère de la Culture et de la communication sur ses fonctions plus prospectives de pilotage et de stratégie, en tenant compte de la nouvelle organisation budgétaire », de supprimer les « doublons entre la direction de l’administration générale, les directions opérationnelles et les opérateurs » et de « centraliser et rationaliser » les fonctions supports.

La DMF serait alors appelée à former avec la direction de l’Architecture et du patrimoine et la direction des Archives de France une direction générale du Patrimoine.

2.– La transformation de quatre musées nationaux SCN en établissements publics

Dans le cadre des mesures décidées le 4 avril 2008, il est prévu la transformation de quatre musées nationaux services à compétence nationale (SCN) en établissements publics administratifs (EPA). Les institutions concernées sont les suivantes :

– le château-musée de Fontainebleau devrait être érigé en EPA au 1er juillet 2009 (5) ;

– le musée national de la Céramique de Sèvres (aujourd’hui SCN), sous tutelle de la DMF, et la Manufacture nationale (EPA), sous contrôle de la délégation aux Arts plastiques, devraient être regroupés au sein d’un même établissement public d’ici le 1er janvier 2010 ;

– le musée national Picasso devrait passer du statut de SCN à celui d’EPA courant 2010, pendant sa période de fermeture au public pour travaux de rénovation ;

– le rattachement du musée de l’Orangerie au musée d’Orsay devrait être effectif au 1er janvier 2010.

Comme le soulignait la ministre de la Culture et de la communication lors de son audition par la mission d’évaluation et de contrôle, « nous aurons alors franchi une étape très importante, ces quatre établissements représentant plus de 50 % de la fréquentation de l’ensemble des services à compétence nationale et 44 % des subventions qui leur sont allouées par la direction des Musées de France ». 

3.– Pour la généralisation du statut d’établissement public

Les Rapporteurs tiennent à saluer ce mouvement d’autonomisation et estiment qu’il conviendrait d’étendre le statut d’établissement public à l’ensemble des musées nationaux afin de leur faire bénéficier des bienfaits de l’autonomie.

Soulignons à ce propos que selon le deuxième rapport d’étape RGPP, l’état d’avancement de la mesure « Fin de la gestion de musées par la Direction des musées de France » n’est guère satisfaisant (6). Une nouvelle étape doit être résolument franchie pour libérer les initiatives.

Proposition n° 1 : Généraliser le statut d’établissement public administratif à l’ensemble des musées nationaux.

La mission ne méconnaît pas le caractère novateur de sa proposition. Elle la sait pourtant réaliste, au bénéfice de mesures pragmatiques d’accompagnement, associant recomposition du paysage muséal, mutualisation des moyens et contractualisation.

Les musées nationaux étant de tailles diverses, leurs besoins, leurs compétences et leurs moyens humains et financiers sont très hétérogènes. En l’état, tous les musées nationaux SCN ne sont pas dotés de structures propres suffisantes en matière de gestion des ressources humaines, de maîtrise d’ouvrage ou de développement culturel.

Aussi le principe de généralisation du statut d’EPA doit-il s’accompagner d’une recomposition du paysage des musées. Il convient notamment d’identifier les futurs musées nationaux EPA qui pourraient être regroupés (modèle du musée national de la Céramique de Sèvres et de la Manufacture nationale) et ceux qui devraient plutôt être rattachés à des établissements plus importants, dans le respect de la cohérence des collections (modèle du musée de l’Orangerie et du musée d’Orsay). De telles opérations s’appuieraient sur des critères de pertinence culturelle, scientifique et géographique.

Proposition n° 2 : Procéder, chaque fois que cela est pertinent, au regroupement des musées nationaux établissements publics administratifs ou à leur rattachement à des établissements plus importants.

Autre mesure d’accompagnement vers l’autonomie, les musées concernés devraient, avec l’aide du ministère, mutualiser certaines fonctions support, notamment en matière de gestion des ressources humaines, au sein de structures équivalentes aux centres de gestion de l’administration territoriale (voir ci-après Proposition n° 9).

LES 34 MUSÉES NATIONAUX RELEVANT DE LA DIRECTION DES MUSÉES DE FRANCE

I. 10 musées à statut d’établissement public administratif

● Musée du Louvre

● Musée national Eugène Delacroix (par rattachement au musée du Louvre)

● Musée d’Orsay

● Musée Auguste Rodin

● Musée du Quai Branly

● Musée Gustave Moreau

● Musée et domaine national de Versailles

● Musée Jean-Jacques Henner

● Musée national des Arts asiatiques – Guimet

● Cité nationale de l’histoire de l’immigration

II. 24 musées à statut de service à compétence nationale

A) La transformation prochaine de 4 SCN en EPA

 Musée national du Château de Fontainebleau : deviendrait EPA au 1er juillet 2009

 Musée de l’Orangerie : deviendrait EPA au 1er janvier 2010 par rattachement au musée d’Orsay

● Musée national de la Céramique : deviendrait EPA au 1er janvier 2010 par regroupement avec la Manufacture nationale

● Musée Picasso : deviendrait EPA courant 2010

B) 20 SCN

● Musée national du Moyen Âge – Thermes et Hôtel de Cluny

● Musée Hébert

● Musée d’Ennery

● Aquarium de la Porte Dorée

● Musée d’archéologie nationale

● Musée national de Port-Royal des Champs

● Musée national des Châteaux de Malmaison et Bois-Préau

● Musée national de la Renaissance

● Musée national du Château de Compiègne

● Musée national de la Coopération franco-américaine

● Musée national des Deux Victoires – Clemenceau et de Lattre de Tassigny

● Musée national de la porcelaine Adrien Dubouché

● Musée Magnin

● Musées de l’Ile d’Aix (musée napoléonien et musée africain)

● Musée national de Préhistoire

● Musée national du Château de Pau

● Musée national Message biblique Marc Chagall

● Musée national Fernand Léger

● Musée national Picasso « La Guerre et la Paix »

● Musée national de la Maison Bonaparte

B.– L’AUTONOMIE DES MUSÉES IMPLIQUE UNE RESPONSABILITÉ ACCRUE

La responsabilisation des musées nationaux est le pendant nécessaire à leur plus grande autonomie. Gardons-nous en effet d’oublier que le ministère de la Culture et de la communication a vocation à piloter une politique muséale nationale, et donc à mettre en cohérence les différentes actions portées par les institutions dont il assure la tutelle.

Pour autant, l’exercice de cette tutelle ne saurait avoir un effet stérilisant sur les musées. Ainsi que le relevait la Cour des comptes (7), une révision des modalités d’exercice du pilotage des opérateurs est nécessaire pour en finir avec « une tutelle déresponsabilisante ». Celle-ci doit faire place à une approche partenariale de définition stratégique et de surveillance des résultats fondée sur la dynamique de contrats (d’objectifs et de moyens, de performance) passés entre le ministère et ses opérateurs.

1.– Généraliser la contractualisation aux musées nationaux établissements publics

La contractualisation constitue un formidable outil de développement. En effet :

– l’opérateur concerné est responsabilisé ;

– les priorités sont définies en commun dans le cadre de la politique muséale nationale ;

– les engagements en termes de moyens financiers et humains donnent une visibilité pluriannuelle à l’opérateur, indispensable pour mener à bien des projets de moyen-long terme ;

– l’évaluation régulière et partagée des performances est bénéfique à l’opérateur comme à sa tutelle.

De fait, l’amélioration du pilotage par la performance des musées nationaux se poursuit, la DMF s’efforçant de mettre en œuvre avec chacun d’entre eux un dialogue de gestion. La contractualisation avec les musées, initiée avec le Louvre en 2003, a ainsi connu une accélération notable en 2007, le ministère de la Culture et de la communication ayant conclu des contrats de performance avec les musées du Quai Branly et d’Orsay et avec le château de Versailles.

La mission ne peut que souscrire à cette démarche de responsabilisation, qui permet l’établissement de relations plus saines, plus équilibrées, moins conflictuelles et partant, plus efficaces, entre l’administration centrale et les musées nationaux. Aussi soutient-elle le principe d’une généralisation de la contractualisation à tous les musées nationaux établissements publics, dans les meilleurs délais.

Proposition n° 3 : Mettre en œuvre dans les meilleurs délais le principe de la contractualisation pour tous les musées nationaux ayant statut d’établissement public administratif.

2.– Étendre le pilotage par la performance aux musées nationaux SCN 

S’ils jouissent d’une autonomie moindre que les EPA par rapport à la tutelle, les musées nationaux ayant statut de service à compétence nationale ne sauraient pour autant rester en marge du pilotage par la performance.

La mission estime donc qu’une réflexion doit être menée en vue de la création d’un outil de responsabilisation pour les musées nationaux SCN. La mise en place de tels instruments, adaptés à la situation de chaque musée, serait le préalable nécessaire à la généralisation du statut d’établissement public (Proposition n° 1 supra).

Proposition n° 4 : Créer un outil de pilotage et de responsabilisation adapté pour les musées nationaux à statut de service à compétence nationale en vue de leur changement de statut.

3.– Veiller au respect des orientations de la politique immobilière de l’État par les ministères et leurs opérateurs

Le rapport n° 2457 de la MEC, présenté en 2005 par M. Georges Tron et relatif à la gestion et la cession du patrimoine immobilier de l’État et des établissements publics, avait recensé les carences de la gestion immobilière de l’État, tant au niveau des administrations centrales que de leurs démembrements.

La MEC avait notamment relevé qu’une part conséquente du patrimoine immobilier de l’État bénéficiait à ses multiples opérateurs. Et comme l’avait souligné le rapport de suivi n° 923 présenté en 2008 par MM. Yves Deniaud et Jean-Louis Dumont au nom de la MEC, « L’exemple de l’Établissement public du musée du Louvre, qui souhaiterait louer un immeuble dans le Louvre des Antiquaires - le même qui avait été refusé à la direction de la Musique, de la danse, du théâtre et des spectacles du ministère de la Culture  -, montre comment des ministères tentent de contourner les disciplines imposées à leurs services administratifs. »

Rappelons qu’à la suite de la forte opposition tant de la commission des Finances que du Conseil de l’immobilier de l’État (CIE) à la réimplantation de la DMDTS dans l’immeuble du Louvre des Antiquaires, une localisation alternative avait finalement été trouvée pour cette direction, rue Beaubourg à Paris.

Après analyse de l’opération envisagée par le musée Louvre, France Domaine avait émis un avis négatif quant au projet de prise à bail. En particulier, deux points avaient été jugés non conformes au regard des critères de la politique immobilière de l’État :

– la localisation, relevait France Domaine, « demeure centrale donc forcément onéreuse ». Si les conditions financières de la prise à bail – 550 euros HTHC (8) le m² en valeur réelle sur la période considérée de 9 ans – restent conformes aux prix pratiqués dans ce quartier, il n’en demeure pas moins que des immeubles de bureau banalisés, aux normes HQE, sont disponibles dans les quartiers périphériques de Paris, et à des prix de l’ordre de 200 ou 300 euros le m², soit un coût moitié moindre que celui de l’opération finalement effectuée. Au demeurant, la référence à un loyer taxes et charges comprises aurait permis une analyse plus fine du coût complet réel de la prise à bail que la référence à un loyer HTHC ;

– également, selon France Domaine, une telle opération entraînait une extension nette de surface, la prise à bail de surfaces supplémentaires n’étant pas gagée par la libération à due concurrence de surfaces précédemment occupées : « la prise à bail n’est pas intégralement compensée, que ce soit par cet établissement [le musée du Louvre], un autre établissement de la tutelle du ministère de la Culture et de la communication voire par ce ministère lui-même, dans le cadre d’un schéma d’ensemble qui permette effectivement d’apprécier globalement le bien fondé de cette opération ».

La prise à bail du Louvre des Antiquaires constituait une des premières opérations menées pour la mise en œuvre de la réforme initiée par le rapport de la MEC. À ce titre, elle faisait figure de test quant à la conduite de la nouvelle politique immobilière de l’État. On peut en outre s’étonner que cette opération n’ait pas fait l’objet d’une consultation du CIE.

La réforme dessinée par le rapport de la MEC visait à faire gagner la gestion patrimoniale de l’État en cohérence et en lisibilité, et à la libérer d’arbitrages politiques erratiques et peu économes des deniers publics. Il est donc tout à fait regrettable que France Domaine ait été ainsi court-circuité par un arbitrage politique au niveau primo-ministériel, pratique insatisfaisante que la réforme visait précisément à faire disparaître.

Le ministère de la Culture et de la communication doit rappeler à ses opérateurs l’obligation qui leur est faite de se conformer aux orientations et aux critères de la politique immobilière de l’État. L’engagement des opérateurs en ce domaine doit être clairement formalisé dans le cadre de leurs contrats de performance.

Proposition n° 5 : Inscrire, dans le cadre des contrats de performance, l’engagement des opérateurs du ministère de la Culture et de la communication à respecter les orientations et les critères de la politique immobilière de l’État.

4.– Assurer la cohérence des objectifs et indicateurs de performance d’un établissement à l’autre

La direction du musée du Louvre a pu signaler aux Rapporteurs l’existence de différences inexpliquées entre les indicateurs renseignant la performance d’équipements muséaux pourtant comparables. Ainsi des indicateurs associés à la performance de son auditorium et ceux assignés au même équipement d’autres établissements. Selon la direction du Louvre, il est en effet demandé au musée, « dont l’auditorium accueille à peu près 75 000 visiteurs par an, d’en tirer la recette la plus élevée possible tandis qu’on demande à un autre établissement d’augmenter la fréquentation du sien, ce qui l’incite à proposer des places gratuites. » (9).

Sans évidemment chercher à uniformiser les contrats de performance des différents établissements, il importe de garantir la cohérence des politiques suivies. Dès lors que cela est possible et pertinent eu égard à spécificité de chaque musée, il convient donc que les objectifs et indicateurs de performance assignés aux différents établissements soient harmonisés. La représentation nationale, par l’intermédiaire des commissions permanentes compétentes (Finances et Affaires culturelles), devrait être associée à ce processus.

Proposition n° 6 : Harmoniser les objectifs et indicateurs assignés aux différents musées nationaux toutes les fois que cela est possible et pertinent.

II.– LES RESSOURCES HUMAINES : CONCILIER SOUPLESSE DE GESTION ET ACCOMPLISSEMENT DES MISSIONS DE SERVICE PUBLIC TOUT EN PRÉVENANT L’INFLATION DES EFFECTIFS

En 2003, l’établissement public du musée du Louvre s’est vu confier la gestion de ses ressources humaines, pleinement effective avec l’inscription au budget du musée des emplois de fonctionnaires titulaires exerçant des fonctions d’accueil et de surveillance, lesquels étaient précédemment pris en charge par le budget de l’État.

Par ailleurs, en 2004, le musée a été autorisé à recruter directement ses agents de surveillance, en procédant à des recrutements innovants, lesquels sont moins fondés sur une sélection de type concours tendant à favoriser les connaissances « scolaires » et font davantage appel à l’expérience professionnelle des candidats.

De fait, le dynamisme de la politique de recrutement couplé à sa gestion directe par l’établissement public n’est sans doute pas étranger aux bons résultats du musée tant en matière de gestion des ressources humaines qu’en ce qui concerne la qualité du service rendu au public du musée.

Ainsi, le taux de vacance pour les emplois antérieurement inscrits au budget de l’État a été divisé par plus de trois en cinq ans, passant de 13,5 % à 4,1 %, tandis que le taux de vacance global des emplois du musée a très fortement diminué, d’environ 7,5 % en 2002 à 0,5 % en 2008. Parallèlement, le taux d’ouverture des salles s’est nettement amélioré, passant de 75 % en 2002 à 90,3 % en 2008. La fréquentation, quant à elle, a connu une hausse de 37 % entre 1994 (10) et 2008 ; 6,2 millions de visiteurs se rendaient au Louvre en 1994, ils étaient plus de 8,5 millions l’année dernière, plaçant ainsi le musée en tête des institutions muséales internationales (11). Si l’on considère l’année 2003 (12) comme année de référence, l’augmentation de la fréquentation jusqu’en 2008 est alors de 46,5 %.

Pour autant, il apparaît que des efforts supplémentaires puissent être consentis afin d’améliorer la gestion des ressources humaines. Si les musées ayant statut d’établissement public doivent pouvoir jouir d’une certaine souplesse de gestion en la matière, ils doivent se garder de toute inflation non contrôlée de leur masse salariale et de leurs effectifs.

A.– REPENSER LES LEVIERS D’ACTION À LA DISPOSITION DU MUSÉE-EMPLOYEUR

1.– Un contrôle encore trop partiel du volet « ressources humaines »

Ayant bénéficié d’un large transfert de personnels et partant, de leur gestion, en 2003, le Louvre plaide pour une déconcentration plus forte de la gestion des personnels titulaires. Il déplore l’existence de certains blocages à la politique de recrutement, de promotion et de rémunération qui ne lui permettraient pas d’agir pleinement sur le levier « ressources humaines ». Ainsi :

– le musée du Louvre n’est pas responsable de la promotion de ses agents titulaires, laquelle reste de la responsabilité du ministère de la Culture et de la communication via des commissions administratives paritaires (CAP) auxquelles le musée n’est pas associé. De plus, les délais de publication des postes et les calendriers des CAP contraignent parfois le musée à attendre quatre à six mois avant l’arrivée effective d’un titulaire sur un poste ;

– d’importantes disparités de traitement, fruit des différences statutaires, demeurent. De fait, l’appartenance statutaire prime sur l’exercice des responsabilités ;

– l’absence d’un régime indemnitaire adapté et compétitif empêche notamment de mieux valoriser certains emplois spécifiques, tels les emplois « mécénat ».

De manière générale, il semble que la multiplicité des employeurs – ministère de la Culture, RMN, établissement muséal lui-même – puisse être source de tensions, de lenteurs et de viscosité dans la gestion des personnels.

Ainsi que le soulignait la directrice du musée Picasso, « Nous nous voyons attribuer des personnels de la DMF et de la RMN qui ne nous reconnaissent pas comme étant au sens strict leur employeur et dont les carrières sont administrées parallèlement selon des appartenances et dans des hiérarchies parfois incompatibles les unes avec les autres. Le système de corps ou de filières souvent limités à des plans de carrière déjà obsolètes et formant parfois des « castes », est rarement ancré dans la culture professionnelle des sites de détachement ou d’affectation des agents. Pourtant c’est bien à partir de ceux-ci, précisément, qu’une mobilisation effective des énergies est possible – laquelle, d’ailleurs, conditionne aussi notre travail sur le plan international. ». (13)

2.– Encourager une déconcentration plus poussée de la gestion des ressources humaines

S’il serait malaisé, dans le cadre du présent rapport, d’ébaucher la réforme de règles statutaires par nature relativement complexes et rigides, la mission estime possible d’envisager une déconcentration plus poussée des CAP. Ainsi, il serait pertinent d’expérimenter l’institution de CAP « locales » au niveau des établissements et dotées de compétences propres, ou, à tout le moins, de CAP préparatoires « locales » qui formuleraient des avis préalables en matière de promotion et de discipline notamment.

Au demeurant, le musée du Louvre n’est pas seul demandeur en la matière. D’autres établissements d’envergure accueilleraient une telle expérimentation avec bienveillance (14). Or il semble que la réglementation issue du décret n° 2007-953 du 15 mai 2007 rende désormais possible une telle déconcentration des CAP (15).

Par ailleurs, le ministère de la Culture et de la communication ne paraît pas a priori opposé à une déconcentration de gestion plus poussée. Ainsi Mme la ministre a-t-elle pu déclarer devant la mission que « l’autorité de proximité [étant la] plus à même d’avoir une appréciation sur les agents […] je pense que tout ce qui relève de la gestion des ressources humaines de premier niveau doit être du ressort des établissements. » (16)

Aussi, dans un premier temps, des CAP préparatoires « locales » avec compétence d’avis préalable pourraient–elles être expérimentées au sein des musées nationaux établissements publics les plus importants.

Proposition n° 7 : Conduire une expérimentation sur des commissions administratives paritaires préparatoires locales instituées au niveau des musées nationaux à statut d’établissement public administratif les plus importants, et qui formuleraient des avis préalables sur les questions de discipline, de détachement et d’avancement des agents.

Plus globalement, il semble légitime que l’ensemble des musées nationaux ayant statut d’établissement public puissent gérer leurs ressources humaines. Ainsi que le soulignait M. Jean–Jacques Aillagon, initiateur, lorsqu’il était ministre de la Culture, de la déconcentration de gestion des ressources humaines au profit du Louvre, « La conséquence logique du mouvement d’autonomisation est de donner aux établissements une responsabilité sur leur personnel, contractuel ou titulaire » (17).

Aussi, la dynamique inaugurée avec le musée du Louvre en 2003, et dont l’établissement public du musée et du domaine national de Versailles a vocation à être le prochain bénéficiaire, doit pouvoir être étendue à tous les musées nationaux établissements publics. Parallèlement, comme pour tous les opérateurs publics, il est nécessaire de rester vigilant quant à la croissance de la masse salariale et des effectifs. Par conséquent, une telle mesure doit se doubler de la création d’instruments de pilotage et de contrôle au niveau de la tutelle (Cf. infra Proposition n° 13).

Proposition n° 8 : Étendre le principe de gestion directe des ressources humaines à tous les musées nationaux ayant statut d’établissement public.

La mission est consciente de la grande hétérogénéité des musées nationaux établissements publics, notamment en termes de personnel. Une telle diversité serait du reste renforcée par la mise en œuvre de la Proposition n° 1. Aussi estime-t-elle qu’il doit être envisagé, à terme, d’instituer un modèle de gestion des ressources humaines de ces musées inspiré du système des « centres de gestion » existant au sein des collectivités territoriales.

En vertu de la législation en vigueur (18), sont obligatoirement affiliés aux centres de gestion les communes et leurs établissements publics employant moins de 350 agents titulaires et stagiaires à temps complet. L’affiliation est facultative pour les autres collectivités territoriales et établissements publics locaux.

Il convient d’engager la réflexion en vue de définir un système similaire –définition d’un « plancher » d’emplois déclenchant une affiliation obligatoire, possibilité d’affiliation facultative – au profit des musées nationaux établissements publics.

Proposition n° 9 : Initier une réflexion quant à la création, au profit des musées nationaux, de structures équivalentes aux centres de gestion.

3.– Adapter le système de rémunération

Le musée du Louvre se heurte en outre à deux autres difficultés dans sa politique de recrutement et de gestion des personnels.

La première tient à la différence entre les régimes indemnitaires applicables aux agents employés par le musée d’une part, et à d’autres agents de l’État ou de la fonction publique territoriale d’autre part. Cette différence de régime peut conduire à un différentiel de traitement de 120 %, dans certaines conditions, pour des agents de catégorie A. Or une telle situation est susceptible de nuire à l’attractivité de postes de responsables proposés par le Louvre.

Le musée a mis en place une politique d’intéressement dès 2004, et le contrat de performance 2006–2008 de l’établissement prévoit que « la possibilité de récompenser les résultats obtenus par l’établissement grâce aux efforts de ses personnels sera reconduite sous la forme d’une rétribution de l’effort collectif ». Cependant, si le musée a reconduit cette pratique, le ministère n’a pas défini à ce jour la forme que peut prendre cette rémunération. Il serait souhaitable que les modalités de la politique d’intéressement soient approuvées par la tutelle, ou que des modifications, si elles s’avéraient nécessaires, soient suggérées.

Le seconde difficulté est relative à la nécessité pour l’établissement de proposer des rémunérations suffisamment attractives pour les chargés de mécénat, nouvelle catégorie de personnels contractuels dont l’activité – appelée à se développer – est d’ores et déjà un atout majeur pour le financement des musées. Le Louvre se heurte en ce domaine à la concurrence des autres musées établissements publics parisiens qui, ayant eu recours aux chargés de mécénat plus tardivement, ont pu dans l’intervalle adopter des grilles de rémunération plus élevées.

● Harmoniser les régimes indemnitaires entre l’administration centrale de la Culture et ses services déconcentrés

Le régime indemnitaire des agents du Louvre apparaît en deçà du régime de l’administration centrale. Les cadres sont exclus du dispositif de la prime de rendement ; cette exclusion engendre une différence indemnitaire de 40 à 50 % suivant les catégories. Ainsi, la rémunération d’un attaché s’établit à 2 300 euros nets mensuels alors qu’elle atteint 3 000 euros en administration centrale, à un niveau de responsabilité identique.

La mise en œuvre, dans les administrations et établissements publics culturels, de la prime de fonctions et de résultats (PFR) instituée par le décret n° 2008-1533 du 22 décembre 2008 pourrait avoir pour effet de réduire cette inégalité. On rappellera que cette prime a pour finalité, d’une part, d’harmoniser les régimes indemnitaires disparates existant dans les différentes administrations centrales et déconcentrées de l’État en leur substituant un dispositif indemnitaire unique et, d’autre part, d’introduire les résultats individuels comme critère d’établissement de la rémunération indemnitaire. Elle a vocation à être généralisée à l’ensemble des corps de catégorie A et B de la filière administrative à la suite de la publication d’arrêtés interministériels fixant, pour chaque ministère, les corps et emplois concernés.

La prime de fonctions et de résultats comprendra une part fonctionnelle, affectée d’un coefficient multiplicateur compris entre 1 et 6, déterminé au regard des responsabilités, du niveau d’expertise et des sujétions spéciales liées aux fonctions. La part variable sera affectée d’un coefficient de modulation de 0 à 6 lié à l’évaluation individuelle et à la manière de servir. L’application de ces dispositions permettra une revalorisation des plafonds indemnitaires ce qui pourrait améliorer l’attractivité des rémunérations offertes par le musée. Une meilleure continuité des carrières pourrait s’établir entre administration centrale, services déconcentrés d’autres ministères et administration territoriale.

Il convient donc que le ministère de la Culture adopte sans tarder les dispositions d’application du décret précité du 22 décembre 2008 afin que la prime entre en vigueur pour les agents des établissements publics comme pour ceux de l’administration centrale. D’après les informations transmises à la mission, la PFR devrait être mise en place progressivement, de 2009 à 2010.

Proposition n° 10 : Adopter le texte d’application relatif à la prime de fonctions et de résultats.

● Définir le nouveau métier de chargé de mécénat et assurer à ces personnels les conditions d’une mobilité équilibrée

Parmi les 400 agents contractuels d’établissement titulaires de contrats de droit public recrutés par le Louvre, figure une catégorie d’agents récemment apparue : les chargés de mécénat, qui constituent actuellement une équipe de 14 personnes. Pour ces fonctions orientées vers la production culturelle – édition, expositions – les agents sont recrutés sur des profils ciblés, émanent souvent de grandes écoles telles que l’École Normale Supérieure ou HEC, et sont diplômés de plusieurs cursus prestigieux. La rémunération moyenne d’un chargé de mécénat est de 1 940 euros nets mensuels hors part variable et 2 262 euros en incluant la part variable versée au titre des résultats 2008. Le recrutement s’effectue actuellement à 1 718 euros nets mensuels.

Si les candidats à ces postes ne manquent pas, il est en revanche difficile au musée, faute de rémunérations compétitives, de retenir dans ses cadres les meilleures compétences qui sont rapidement tentées par des postes plus rémunérateurs proposés par d’autres établissements publics parisiens. Ainsi que le souligne le président-directeur du Louvre, ce sont plusieurs millions d’euros qui sont collectés, chaque année, par chacun de ces agents auprès des mécènes.

Le Louvre, ayant été le premier à constituer une équipe « mécénat », établit ces rémunérations sur une grille de salaires adoptée en 2003 pour les personnels contractuels. Ceux-ci voient leur rémunération revalorisée en fonction de l’ancienneté et du mérite. Malgré la réforme de cette grille en 2008 et l’établissement, pour les chargés de mécénat, d’une part variable de rémunération assise sur des objectifs chiffrés en fonction des résultats individuels et collectifs, les conditions restent moins attractives que celles offertes par d’autres musées. Cette différence fausse les conditions de la mobilité entre les établissements publics, le Louvre devenant le lieu où se forment les chargés de mécénat mais n’étant pas attractif pour des agents déjà expérimentés.

Il appartient à la tutelle d’engager une réflexion sur le statut qui pourrait être conféré à ces agents. Sans rendre rigides les conditions de recrutement et de gestion de ces personnels, il serait nécessaire d’établir un cadre pour les contrats d’embauche, ainsi qu’une coordination transversale dans la définition et l’évolution des rémunérations pour tous les musées nationaux. Il importe en effet que les recrutements et les choix de mobilité ne soient pas faussés par une inégalité quant aux règles applicables dans les différents établissements.

Proposition n° 11 : Engager une réflexion sur les professions liées à la recherche de mécénat. Élaborer des contrats types et des grilles de rémunération coordonnées pour les musées nationaux.

B.– MAÎTRISER LES RESSOURCES HUMAINES

1.– Surveiller la croissance de la masse salariale et des effectifs

S’il est indéniable qu’une politique de recrutement dynamique et gérée directement par le musée a permis au Louvre d’enregistrer de bons résultats –fréquentation, taux d’ouverture des salles, taux de vacance (cf. supra) – les Rapporteurs demeurent toutefois attentifs à la maîtrise par l’établissement de sa masse salariale et de ses effectifs.

ÉVOLUTION DE LA MASSE SALARIALE DU MUSÉE DU LOUVRE DE 2003 À 2008

(en euros)

Catégorie

2003

2004

2005

2006

2007

2008

Titulaires

41 089 069

43 865 666

48 173 926

51 116 060

55 873 007

61 824 667

dont pension civile

6 856 347

7 328 385

8 011 546

8 336 344

11 188 188

14 433 606

taux de pension civile

33 %

33 %

33 %

33 %

39,5 %

50 %

Contractuels

11 256 306

12 238 903

13 940 258

16 356 274

19 802 471

22 334 999

dont mécénés

139 267

357 831

729 142

Vacations

8 637 746

9 263 595

9 390 696

10 047 580

9 043 771

8 916 780

dont mécénés

1 294 877

1 046 293

858 159

TOTAL

60 983 122

65 368 165

71 504 880

77 519 914

84 719 249

93 076 446

Source : Établissement public du musée du Louvre.

ÉVOLUTION DES EMPLOIS DU MUSÉE DU LOUVRE DE 2003 À 2008

[En équivalents temps plein travaillé (ETPT)]

Catégorie

2003

2004

2005

2006

2007

2008

Titulaires

1 167,05

1 235,50

1 312,80

1 343,70

1 392,60

1 469,20

Contractuels

237,30

255,00

257,20

353,60

392,70

448,50

dont mécénés

4,00

15,00

30,20

Vacations

291,58

308,18

321,01

301,70

275,10

260,76

dont mécénés

3,54

29,97

35,29

42,42

Apprentis

13,00

16,00

15,00

Mis à disposition

62,50

35,50

24,50

55,50

25,50

5,00

TOTAL

1 758,43

1 834,18

1 915,51

2 067,50

2 101,90

2 196,46

Source : Établissement public du musée du Louvre.

En effet, tous deux ont connu des augmentations importantes depuis 2003. C’est ainsi que la masse salariale a crû de moitié (+ 53 %), passant d’environ 61 millions d’euros à 93 millions d’euros entre 2003 et 2008. Les effectifs, quant à eux, ont augmenté de 25 % : le Louvre comptait 1 758,43 équivalents temps plein travaillé (ETPT) en 2003 ; il en employait 2 196,46 en 2008.

Selon la direction du musée, plusieurs facteurs justifient une telle inflation, notamment :

– des « effets de périmètre » : intégration du musée Delacroix, du jardin des Tuileries, acquisition de nouvelles compétences en matière de maîtrise d’ouvrage, création du département des arts de l’Islam, mise en place d’équipes dédiées aux projets Louvre-Lens et Louvre-Abou Dabi ;

– la prise en compte et le développement des priorités définies avec les tutelles : mécénat, diffusion culturelle, développement international, politique scientifique, conservation préventive etc. ;

– le développement global de l’activité du musée, dont témoigne l’évolution de la fréquentation.

Si de tels facteurs ont légitimement pu amener le musée du Louvre à procéder à des recrutements, il n’en demeure pas moins que la hausse spectaculaire de la masse salariale et des effectifs peut susciter des interrogations. La Cour des comptes, également attentive à cette évolution, souligne d’ailleurs : « il n’est pas établi que ces nouvelles activités ne pouvaient être prises en charge par des redéploiements d’effectifs ou une amélioration de la productivité, ou grâce à des recrutements moins nombreux que ceux auxquels le Louvre a procédé » (19).

À l’évidence, la maîtrise de ses ressources humaines est l’un des enjeux majeurs pour le musée. Aussi, la mission souligne que le Louvre doit rester particulièrement vigilant en ce domaine, tout en renvoyant à sa Proposition n°13 de doter la tutelle d’outils de pilotage pertinents et efficaces en la matière. Plus généralement, le Parlement sera attentif, dans le cadre du prochain projet de loi de finances, au niveau du plafond d’emplois des opérateurs du ministère de la Culture et de la communication.

Proposition n° 12 : Veiller à la maîtrise de la masse salariale et des effectifs de l’établissement public du musée du Louvre.

2.– Améliorer le pilotage par la tutelle de la gestion des ressources humaines

L’autonomie accordée en matière de gestion des ressources humaines ne peut être exercée sans contrôle. Aussi, en contrepartie, si la dynamique de déconcentration devait se poursuivre et afin de prévenir toute inflation non contrôlée des effectifs, des outils d’information et de pilotage efficaces doivent être créés au profit de la tutelle. La mise en place de tels outils doit constituer un préalable nécessaire à toute délégation ultérieure de la gestion de leurs ressources humaines aux musées nationaux établissements publics.

La mission sera par ailleurs attentive aux résultats de l’inspection conjointe menée par les ministères de l’Économie et de la Culture et chargée de dresser un bilan des transferts déjà effectués. Il s’agira notamment d’évaluer si ceux-ci ont effectivement permis une économie de moyens ou si au contraire ces transferts ont produit des « doublons » entre les structures et les personnels d’administration centrale et ceux des établissements concernés.

En effet, ainsi que le rappelait M. Georges Tron, président de la MEC et Rapporteur spécial des crédits relatifs au programme Fonction publique de la mission Gestion des finances publiques et des ressources humaines dans le cadre du projet de loi de finances pour 2009 (20), « Depuis 1996, les effectifs de la FPE ont progressé en moyenne annuelle de 0,5 % par an. L’essentiel de cette hausse est à imputer à la croissance des établissements publics administratifs (EPA) auxquels sont transférées des compétences spécifiques. Leurs effectifs ont augmenté en moyenne de 3,9 % par an, alors que ceux des ministères n’ont augmenté que de 0,2 % par an. La part des agents rémunérés par les EPA ne représentait que 7,1 % des effectifs de l’État en 1996 ; elle atteint 10 % en 2006. Les EPA ont contribué pour 66 % à la croissance des effectifs de la FPE entre 1996 et 2006 ».

Le Rapporteur spécial relevait par ailleurs que « certains ministères ont pratiqué ces transferts [des administrations centrales vers les opérateurs] plus que d’autres. Le résultat est par exemple que le ministère de la Culture disposera en 2009 d’un plafond d’autorisation d’emplois de 11 652 ETPT alors que le plafond d’autorisation d’emploi de ses opérateurs sera de 17 874 ETP… ». Le contrôle parlementaire se devait de s’adapter à cette situation singulière : l’appréciation du plafonds d’emplois des opérateurs le lui permet désormais.

Proposition n° 13 : Créer des outils nationaux de pilotage et de contrôle de la gestion des ressources humaines déléguée aux musées nationaux établissements publics administratifs.

ÉVOLUTION DES EFFECTIFS PHYSIQUES DES MINISTÈRES
ET DE LEURS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS ADMINISTRATIFS
(EPA) RATTACHÉS ENTRE 1996 ET 2006, AU 31 DÉCEMBRE

   

1996

2005 (1)

2006 (1)

Évolution en moyenne annuelle sur 1996/2006
(en %)

Affaires étrangères

Ministère

19 763

19 049

19 207

– 0,3

ÉPA

11 502

13 802

13 717

1,8

Total

31 265

32 851

32 924

0,5

Agriculture

Ministère

36 853

36 920

34 126

– 0,8

ÉPA

19 189

23 271

22 774

1,7

Total

56 042

60 191

56 900

0,2

Culture

Ministère

12 598

13 862

14 180

1,2

ÉPA

6 785

9 139

10 016

4

Total

19 383

23 001

24 196

2,2

Défense

Ministère

393 863

437 366

433 954

1

ÉPA

5 183

7 193

7 040

3,1

Total

399 046

444 559

440 994

1

Économie et finances

Ministère

210 127

193 449

186 594

– 1,2

ÉPA

6 349

11 077

11 878

6,5

Total

216 476

204 526

198 472

– 0,9

Éducation et Jeunesse et sports

Ministère

1 172 082

1 200 873

1 171 999

0

ÉPA

80779

122 393

129 141

4,8

Total

1 252 890

1 323 266

1 301 140

0,4

Équipement, écologie et aménagement

Ministère

121 841

114 417

112 533

– 0,8

ÉPA

12336

12 842

12 412

0,1

Total

134 177

127 259

124 945

– 0,7

Intérieur

Ministère

166 947

187 489

186 039

1,1

ÉPA

6

37

63

26,5

Total

166 953

187 526

186 102

1,1

Justice

Ministère

63225

75 042

74 425

1,6

ÉPA

774

1 376

1 354

5,8

Total

63999

76 418

75 779

1,7

Outre-mer

Ministère

3 144

2 506

2 523

– 2,2

ÉPA

337

0

0

– 100

Total

3 481

2 506

2 523

– 3,2

Services du Premier ministre

Ministère

2 838

3 412

8 636

11,8

ÉPA

1 381

1 557

1 307

– 0,5

Total

4 219

4 969

9 943

9

Travail et emploi et Santé

Ministère

26 891

28 807

27 954

0,4

ÉPA

26 969

39 119

42 568

4,7

Total

53 860

67 926

70 522

2,7

Total

Ministère

2 230 172

2 313 192

2 272 170

0,2

ÉPA

171 619

241 806

252 270

3,9

Total

2 401 791

2 554 998

2 524 440

0,5

Total
(hors Éducation et Jeunesse et sports)

Ministère

1 058 090

1 112 319

1 100 171

0,4

ÉPA

90 840

119 413

123 129

3,1

Total

1 148 930

1 231 732

1 223 300

0,6

(1) Les volontaires militaires sont comptabilisés dans les effectifs de l’État (militaires) à partir de 2004. Ils sont 18 464 en 2004, 17 219 en 2005 et 18 124 en 2006

Champ : emplois principaux, tous statuts. Hors bénéficiaires d’emplois aidés.

Source : Rapport n° 1198, annexe 25, de M. Georges Tron.

III.– LES ENJEUX DE FINANCEMENT DU LOUVRE : ENTRE RÉUSSITES ET INTERROGATIONS

Les changements qu’a connus le Louvre quant à son financement – évolution du budget, diversification des ressources, politiques de gratuité – touchent ou sont susceptibles de toucher l’ensemble des musées nationaux. De même, la crise actuelle risque d’avoir des répercussions sur l’ensemble des institutions muséales.

Aussi, l’analyse ici conduite pour le musée du Louvre peut-elle s’appliquer aux autres établissements.

A.– L’ÉVOLUTION DES FINANCEMENTS DU MUSÉE

1.– Le Louvre a réussi à développer et à diversifier ses ressources

En moins de dix ans, le budget du musée du Louvre a considérablement évolué. À cet égard, les deux faits marquants sont d’une part l’augmentation et la diversification des ressources du musée avec la croissance de ses ressources propres (billetterie et mécénat notamment), et d’autre part la réduction concomitante de la part du budget assurée par l’État via les subventions pour charge de service public accordées au Louvre.

Aujourd’hui, financement public et ressources propres s’équilibrent. Ainsi, en fonctionnement, le compte financier 2008 devrait présenter un taux d’auto-financement de près de 49 %. Soulignons toutefois que la diminution en pourcentage de la part du budget assurée par l’État, effet mécanique de l’augmentation considérable du budget global du musée, n’est en rien synonyme de désengagement de l’État. En effet, au cours des exercices 2004 à 2006, la subvention de fonctionnement versée au Louvre au progressé en moyenne de 5 %, tandis qu’entre 2006 et 2007 elle avait augmenté de 14 %. Dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2009, les subventions pour charges de service public versées au Louvre s’élevaient à 118,7 millions d’euros en autorisations d’engagement et 118,8 millions d’euros en crédits de paiement.

S’agissant de l’évolution des ressources propres en fonctionnement sur la période 2006–2008 :

– la billetterie des collections permanentes, première des ressources propres, a progressé de 6,7 %, passant de 36,5 millions d’euros à 38,9 millions d’euros ;

– après environ 13 millions d’euros en 2006, le montant du mécénat collecté pour le fonctionnement du musée et les acquisitions s'est établi à 57,7 millions d’euros en 2007 – dont 25 millions d’euros de mécénat exceptionnel au titre du projet Abou Dabi – et à 25,4 millions d’euros en 2008 ;

LES RECETTES DU MUSÉE DU LOUVRE EN 2008

Source : Établissement public du musée du Louvre.

– les recettes des concessions commerciales des espaces ont, quant à elles, augmenté de près de 15 % entre 2006 et 2008, passant de 7,2 millions d’euros à 9,5 millions d’euros.

2.– La gratuité, une mesure pertinente ?

Le 13 janvier 2009, à l’occasion de ses vœux au monde de la culture, le Président de la République annonçait que l’accès aux musées et monuments nationaux serait rendu gratuit pour les moins de 26 ans et les enseignants. Cette mesure est entrée en vigueur le 4 avril dernier. Elle fait suite à l’expérimentation menée entre le 1er janvier et le 30 juin 2008 au sein de 18 musées et monuments nationaux.

L’EXPÉRIMENTATION DE LA GRATUITÉ AU SEIN DES INSTITUTIONS MUSÉALES : DES RÉSULTATS CONTRASTÉS

Entre le 1er janvier et le 30 juin 2008, deux dispositifs de gratuité ont été testés, en fonction du contexte, des situations, des enjeux :

– les quatre musées parisiens les plus fréquentés se sont engagés dans un dispositif ciblé à destination du jeune public, avec l’accueil à titre gratuit des visiteurs âgés de 18 à 25 ans un soir par semaine entre 18 heures et 21 heures : au musée national d’Art moderne le mercredi, au musée d’Orsay le jeudi, au Louvre le vendredi et au Quai Branly le samedi ;

– par ailleurs, un échantillon de 14 établissements se voulant représentatif de la diversité des musées et monuments nationaux (situation géographique, thèmes et périodes traités, contexte local) a été retenu pour une expérience de gratuité totale. Étaient concernés, à Paris et en région parisienne, le musée Guimet, le musée de Cluny, le musée des Arts et métiers, le musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye, le musée national de la Renaissance d’Ecouen et le musée de l’Air et de l’Espace du Bourget. En province, les institutions retenues étaient le musée de la Marine de Toulon, le musée national Adrien Dubouché à Limoges, le musée Magnin à Dijon, le palais du Tau à Reims, le palais Jacques Cœur à Bourges, le château d’Oiron, le musée national du château de Pau et le château de Pierrefonds.

Alors que l’expérimentation s’est achevée au 30 juin 2008, elle a fait l’objet d’un dispositif d’études quantitatives et qualitatives d’observation des publics, avec la participation d’un prestataire extérieur et l’apport du Centre de recherche sur les liens sociaux (CERLIS), unité mixte de recherche du CNRS et de l’université Paris-V.

● Concernant d’abord l’expérimentation de gratuité totale, ces études révèlent les résultats suivants. Le taux moyen d’augmentation du volume de fréquentation sur les six derniers mois est de + 52 %, avec un pic à + 73 % en février et une relative stabilisation pour les mois de mai et juin autour de + 40 %.

Le taux moyen d’augmentation cache d’importantes disparités selon les sites concernés par l’expérimentation, avec des taux allant de + 21 % pour le musée Guimet à + 138 % pour le musée de la Marine de Toulon. À cet égard, on peut faire une typologie des établissements selon leur fréquentation « normale ».

Pour étudier l’impact de l’expérimentation de la gratuité sur la composition des publics, il a été tenu compte des variables suivantes : le groupe social (niveau de diplôme, de revenu, activité professionnelle ou inactivité), les pratiques culturelles et la familiarité avec les musées et les monuments. Il ressort de l’analyse que les visiteurs des 14 établissements « test » se répartissent ainsi :

– 21 % sont issus de groupes sociaux de catégorie supérieure ;

– 38 % sont issus de groupes sociaux de catégorie moyenne ;

– 32 % sont issus de groupes sociaux de catégorie populaire ;

– 9 % sont des étudiants.

Ces chiffres sont à mettre en relation avec les statistiques des enquêtes de l’INSEE, selon lesquelles les étudiants représentent 9,5 % de la population totale française, les employés et ouvriers représentant 53 % de la population active, les professions intermédiaires 22,6 %, les cadres 14,6 % et les artisans commerçants 6 %.

L’expérimentation de la gratuité totale fait donc apparaître une composition sociologique légèrement différente de celle habituellement constatée dans les musées et monuments. Cependant, les groupes sociaux de catégorie moyenne et supérieure restent très majoritaires. L’évolution la plus nette concerne les jeunes et les étudiants.

● Concernant l’expérimentation de la gratuité en nocturne pour les 18-25 ans un soir par semaine, on note :

– une très forte croissance de la fréquentation : en moyenne, la part des 18-25 ans par rapport à l’ensemble des visiteurs de la nocturne atteint 70 % au Louvre, 54 % au Quai Branly, 44 % au musée d’Orsay et 43 % au Centre Pompidou ;

– un élargissement du public à des jeunes ne fréquentant pas ou fréquentant peu les musées : les 18–25 ans venant dans l’un des quatre musées pour la première fois à l’occasion de la nocturne gratuite représentent 80 % du public au Quai Branly, 35 % au musée d’Orsay, 31 % au Centre Pompidou et 11 % au Louvre ;

– un élargissement du public à des jeunes d’origine sociale modeste : on note un effet d’attraction non négligeable sur les jeunes issus des milieux sociaux les plus éloignés de la culture. Les jeunes dont le père appartient à l’une des catégories suivantes « ouvrier, employé, agriculteur, artisan, commerçant ou inactif » représentent 34 % du public pour l’Ile-de-France, 40 % pour les régions et 33 % pour les jeunes étrangers. Cependant, par rapport aux références nationales, les jeunes issus de familles modestes restent sous-représentés et les jeunes issus de familles de cadres demeurent sur-représentés, notamment en Ile-de-France ;

– un élargissement du public à des jeunes n’ayant pas fait d’études supérieures : sur l’échantillon, 10 % des jeunes ont un niveau d’études qui ne dépasse pas le baccalauréat.

Source : Ministère de la Culture et de la communication.

Soulignons qu’un tiers des visites du Louvre sont déjà effectuées à titre gratuit. Le rappeler peut fait figure de lapalissade, mais la gratuité représente une perte de recettes. Et cette perte doit être compensée, si l’on veut maintenir la qualité du service public muséal. Or in fine c’est l’État, donc le contribuable, qui a vocation à compenser cette perte, et il n’est pas certain qu’une telle mesure soit très pertinente dans la conjoncture actuelle de tensions sur les finances publiques et de crise économique.

Le ministère de la Culture et de la communication évalue le coût de cette gratuité ciblée à une trentaine de millions d’euros dont :

– 22 millions d’euros à la charge du ministère de la Culture ;

– 7 millions d’euros pour le ministère de l’Éducation nationale du fait de la gratuité pour les enseignants ;

– 3 millions d’euros pour les autres ministères exerçant la tutelle sur certains musées (ministères de la Défense et de l’Enseignement supérieur et de la recherche notamment).

La direction du Louvre évalue le coût d’une telle mesure pour le musée à 10 ou 11 millions d’euros en année pleine.

Les résultats de l’expérimentation menée en 2008 n’ayant pas été totalement probants, la mission considère qu’il serait pertinent de convenir d’une clause de rendez-vous un an après la mise en œuvre de la gratuité partielle afin d’en évaluer les effets, notamment quant à la composition sociologique du public. En effet, la gratuité n’est pas une fin en soi. Elle n’est qu’un moyen au service d’une fin : la démocratisation culturelle. Par conséquent, si la gratuité devait se traduire par des effets d’aubaine au profit de jeunes déjà familiers des musées et prêts en tout état de cause à acquitter le prix d’entrée, une telle mesure n’aurait alors guère de raison d’être. Par ailleurs, l’engouement initial pour la gratuité pourrait s’amenuiser à plus long terme. Aussi, une évaluation à un an permettrait de neutraliser un tel « effet nouveauté » et de mesurer la pertinence réelle de la mesure.

Au demeurant, il convient de rappeler que les mesures de gratuité ne sauraient à elles seules donner le goût des musées. Aussi, il est indispensable de poursuivre les politiques d’accompagnement culturel et d’éducation artistique afin d’assurer la compréhension et l’appropriation des œuvres par le public. De telles actions doivent viser les jeunes publics tout d’abord, via le développement des nouveaux modes de visite (ouvertures nocturnes, mise à disposition d’audio guides) et des nouveaux médias (Internet notamment), l’organisation d’animations in situ, et une politique de fidélisation adaptée. Elles doivent également bénéficier aux enseignants, « passeurs de savoir », en mettant à leur disposition les ressources nécessaires pour transmettre l’envie de musée à leurs élèves.

Proposition n° 14 : Procéder, un an après sa mise en œuvre, à l’évaluation de la gratuité d’accès aux musées et monuments nationaux. Analyser notamment ses conséquences en termes de démocratisation culturelle.

B.– LA CRISE FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE ACTUELLE FAIT PESER UNE TRIPLE INCERTITUDE SUR LA SITUATION FINANCIÈRE FUTURE DU LOUVRE

Le musée, accompagné par l’État, a fait preuve d’un dynamisme certain afin d’augmenter et de diversifier ses ressources. Pour autant, la bonne santé financière de l’établissement ne doit pas occulter certaines réalités qui pourraient à terme peser sur ses finances.

1.– Première incertitude : le niveau de fréquentation

En premier lieu, soulignons que si le musée du Louvre a atteint en 2008 un record de fréquentation avec 8,5 millions de visites, il n’est pas acquis, du fait de la crise financière et économique actuelle, qu’un tel niveau de fréquentation se maintienne.

Par ailleurs, l’excellent résultat de 2008 recouvre une réalité contrastée. En effet, la bonne tenue de la fréquentation a été portée par des expositions temporaires qui ont connu un succès retentissant (« Babylone » au printemps et « Mantegna » en fin d’année). En revanche, le nombre de visiteurs payants sur les collections permanentes a enregistré une baisse de 3 % sur l’année, à cause d’un renversement de tendance du tourisme international qui s’est accentué à l’automne avec la crise.

Pour 2009, les premiers chiffres des mois de janvier et février indiquent une diminution de la fréquentation des collections permanentes par rapport à 2008, confirmant la tendance baissière. Or si le musée devait « perdre » 500 000 visiteurs payants, son résultat d’exploitation deviendrait négatif et sa situation financière pourrait ainsi devenir problématique.

Par ailleurs, au-delà de la fréquentation, la crise pourrait affecter deux autres sources de financement : le mécénat et les produits réalisés via le fonds de dotation créé à l’occasion de l’opération Louvre-Abou Dabi.

2.– Deuxième incertitude : le montant des ressources de mécénat.

Concernant le mécénat, même s’il est pour l’heure malaisé d’effectuer des prévisions fiables, il est probable que le retournement de conjoncture rende difficile la conquête de nouveaux donateurs et affecte à la baisse les montants versés. Il est également possible que le mécénat culturel pâtisse d’un effet de report vers d’autres formes de mécénat plus sociales et solidaires.

Ainsi, selon l’Association pour le développement du mécénat culturel et commercial (ADMICAL), 22 % des entreprises mécènes dans le domaine culturel envisagent de réduire les budgets qu’elles consacrent à ce type d’actions (21).

3.– Troisième incertitude : le rendement du fonds de dotation.

Quant au fonds de dotation, deux craintes se font jour. D’une part la crise financière a rappelé les risques inhérents aux opérations de placement sur les marchés. Il s’agira donc pour le fonds d’opérer des placements prudents. D’autre part, le retournement des marchés alimente l’incertitude quant aux rendements futurs des placements effectués et par conséquent, assombrit les perspectives d’augmentation et de diversification des ressources du musée du Louvre.

De fait, la situation des institutions muséales américaines, très dépendantes du mécénat et de leurs endowment funds, nourrit les inquiétudes. Selon M. Ford W. Bell, président de l’American Association of Museums (AAM), les dotations ont chuté de 30 à 40 %. Le fonds de dotation du Metropolitan Museum of Modern Art de New York (Met) aurait ainsi enregistré près de 800 millions de dollars (620 millions d’euros) de pertes, contraignant le musée à réduire son budget de 10 %. La fondation Getty, quant à elle, fait état de quelque 1,5 milliard de dollars de pertes, soit 25 % de ses fonds. (22)

Cependant, ainsi que la direction du Louvre l’a assuré à la mission, « Nous n’avons pas encore complètement défini la politique d’investissement mais elle devra se conformer à deux principes. D’un côté, nous chercherons des placements très prudents permettant de garantir le capital. Les sommes qui seront placées dans le fonds de dotation seront issues d’accords intergouvernementaux et nous ne pourrons nous permettre une perte de capital, à la différence des endowment funds américains. D’un autre côté, nous chercherons néanmoins à diversifier suffisamment les classes d’actifs pour bénéficier d’un rendement satisfaisant. » (23)

Une gestion prudente apparaît en effet une exigence absolue. Raisonnablement optimiste, la direction du musée n’en reste pas moins consciente des réalités actuelles du marché, reconnaissant devant la mission : « Quand nous avons commencé à travailler sur ce dossier, il y a plus d’un an et demi, les perspectives transmises par les institutions américaines faisaient état de taux à 10 ou 12 %. Ce n’est plus le cas. Dans les projections financières que nous avons établies pour boucler notre financement, les taux envisagés sont plutôt à 4,5 ou 5 %. ». (24)

LA CRÉATION DU FONDS DE DOTATION DU LOUVRE

L’article 140 de la loi n° 2008-776 de modernisation de l’économie du 4 août 2008 institue la possibilité de créer un fonds de dotation, outil de financement du secteur philanthropique permettant de « sanctuariser » le capital pour en tirer les intérêts. Cet outil juridique donne la possibilité de constituer un mode de financement complémentaire permettant de répondre durablement aux nouvelles exigences et contraintes budgétaires.

En collaboration avec ses tutelles, le Louvre a exploré la possibilité de créer un fonds de dotation afin de pérenniser ses sources de financements privés. Cette éventualité s’est concrétisée le 4 février 2008 avec l’annonce par la ministre de la Culture et de la communication de la création d’un tel fonds.

Ce fonds de dotation constitue une nouvelle source de financement sur le très long terme qui pourrait contribuer à la pérennité financière du Louvre et lui permettre de maintenir sa tradition d’excellence en matière d’offre patrimoniale et culturelle. Il sera alimenté par un capital lié au projet Louvre Abou Dabi et versé à l’établissement à titre dérogatoire de façon irrévocable, d’autres types de contributions étant envisageables. Seuls les revenus financiers du capital seront versés au budget de l’institution, le montant en capital étant préservé.

La mise en place du fonds de dotation suppose la définition d’une gouvernance de celui-ci qui garantisse le contrôle de l’établissement sur sa gestion. La composition et le fonctionnement des organes dirigeants du fonds doivent donc répondre aux besoins propres du Louvre, sans discordance entre la gouvernance du musée et celle du fonds.

Trois instances sont prévues pour la gouvernance du fonds de dotation :

– un conseil d’administration de 6 membres, présidé par le président-directeur du musée du Louvre. Le conseil d’administration règlera les affaires du fonds et notamment, il arrêtera le quantum des ressources disponibles du fonds affectés au financement des projets du Louvre et les règles d’investissement du fonds. Il vérifiera également que les ressources du fonds sont bien affectées au Louvre, conformément à l’objet de ce dernier ;

– un conseil d’orientation stratégique, composé de donateurs et mécènes, donnera des avis et formulera des recommandations sur la politique du fonds de dotation ;

– un comité d’investissement composé de 5 membres, particulièrement compétents dans le domaine de la finance, sera chargé de proposer des règles et une politique d’investissement au conseil d’administration du fonds et de superviser les opérations d’investissement menées par le fonds.

L’adoption d’un tel dispositif devrait permettre au Louvre de bénéficier d’un effet de levier grâce aux fonds du projet Abou Dabi, en vue notamment de mobiliser d’autres donateurs et d’être compétitif par rapport aux institutions anglo-saxonnes sur le marché du mécénat.

Au total, si la crise devait entraîner une baisse des ressource propres via la baisse de la fréquentation, la diminution des recettes de mécénat et des taux de rendement du fonds de dotation plus faibles qu’initialement prévus, le musée du Louvre pourrait connaître une période de tensions financières qui fragiliserait la conduite de ses projets – notamment le plan « Louvre 2020 ».

IV.– LA RMN ET LES MUSÉES NATIONAUX : JE T’AIME, MOI NON PLUS ?

Créée en 1895 et transformée en établissement public à caractère industriel et commercial par le décret 90–1026 du 14 novembre 1990, la Réunion des musées nationaux (RMN) a pour mission première d'acquérir des oeuvres d'art destinées à enrichir les collections nationales.

Elle a considérablement développé ses missions de diffusion culturelle à travers l'organisation de grandes expositions, l'édition et la commercialisation d'ouvrages et de reproductions (elle est devenue aujourd'hui l'un des premiers éditeurs d'art en France).

En outre, la RMN gère les espaces commerciaux et édite guides et catalogues de plusieurs musées de région. Les recettes de la RMN proviennent de la perception de tout ou partie du droit d'entrée et de la contrepartie de prestations diverses (visites, conférences, etc.) dans 34 musées nationaux, et du résultat de ses activités commerciales (éditions de guides, de catalogues, d'images, de films vidéo, de CD-Rom, de moulages et autres produits dérivés).

LA RÉFORME DE LA RÉUNION DES MUSÉES NATIONAUX

A.– Les orientations envisagées dans le cadre de la RGPP

Le Conseil de modernisation des politiques publiques (CMPP) a fixé les orientations de réforme de la RMN. Les deux axes sont :

1 – Le renouvellement des liens entre la RMN et les musées nationaux services à compétence nationale.

Le CMPP du 4 avril 2008 a décidé la création de 4 nouveaux établissements publics administratifs sur les 24 musées nationaux services à compétence nationale (SCN) : le château de Fontainebleau, le musée Picasso et le musée de Sèvres, ce dernier étant regroupé avec la Manufacture de Sèvres en un seul EP. Le musée de l’Orangerie des Tuileries sera pour sa part rattaché à un établissement public existant, le musée d’Orsay. Avec ces établissements, la RMN poursuivra ses activités dans un nouveau cadre contractuel.

Pour ce qui est des liens avec les SCN qui ne changent pas de statut, le CMPP du 11 juin 2008 est venu confirmer la volonté de resserrement et de rénovation des liens entre ces musées et la RMN.

2 – La filialisation de certaines activités commerciales

La RMN a engagé une réflexion quant à l’intérêt d’une telle opération au regard des enjeux stratégiques de ses activités, sur son périmètre éventuel et sur ses modalités. À ce jour, aucune décision n’a encore été prise.

B.- Le redressement de la situation financière

L’année 2007 marque l’aboutissement du redressement d’activités commerciales auparavant déficitaires. Le réseau commercial présente ainsi pour la première année un résultat bénéficiaire de 1,1 million d’euros.

Les résultats 2007 montrent un résultat excédentaire de 3,1 millions d’euros et une capacité d’autofinancement de 7,9 millions d’euros, pour un chiffre d’affaires de 93,7 millions d’euros.

Le montant des reversements aux musées nationaux et établissements publics du ministère de la Culture et de la communication est en nette progression (+ 24 %) et s’établit à 5,7 millions d’euros.

La RMN a procédé à un investissement d’importance en 2007 avec l’acquisition du siège social de l’établissement, situé au 254 rue de Bercy dans le XIIème arrondissement et offrant une surface de bureaux de 6 936 m². Elle va permettre de regrouper en 2009 les trois immeubles parisiens logeant le siège social : les immeubles de la rue Etienne Marcel, de la rue Saint-Fiacre et de l’Abbaye. La première tranche a été versée pour un montant de 26 millions d’euros et sera complétée en 2009 avec la seconde tranche de 20 millions d’euros. Des études en vue de travaux de rénovation ont également été lancées.

A.– LES RELATIONS ENTRE LA RMN ET LE LOUVRE : DÉPASSER LES DIFFÉRENDS

Au fil de ses auditions, la mission a constaté que les relations entre le musée du Louvre et la Réunion des musées nationaux (RMN) restaient tendues. Plusieurs points de friction demeurent, qui exigent des arbitrages clairs de la part du ministère de la Culture et de la communication.

De telles querelles pourraient prêter à sourire – l’affaire des « tongs de la Joconde » (25) est à ce titre révélatrice – n’étaient en jeu des fonds publics (26) et la qualité du service rendu au public des musées.

1.– Les publications : une concurrence coûteuse et source d’inefficacités

En 2005, le musée du Louvre s’est vu reconnaître par sa tutelle une certaine autonomie quant à sa politique éditoriale, bénéficiant de fait d’une subvention auparavant versée par le ministère de la Culture à la RMN.

Or il semble que le Louvre ait investi ce domaine au-delà de ce qu’envisageait sa tutelle à l’origine. Ainsi, comme le rappelle la Cour des comptes (27), si le ministère de la Culture et de la communication avait entendu limiter cette autonomie éditoriale « aux seules éditions scientifiques subventionnables », il reconnaissait dorénavant que le musée avait « de facto investi l’ensemble de l’activité de publication, sans avoir été rappelé à l’ordre ». Les différentes auditions menées par la mission corroborent cette constatation. Mise en quelque sorte devant le fait accompli, la tutelle estime que les compétences éditoriales reviennent au musée du Louvre.

Si la question semble donc a priori tranchée, il n’en demeure pas moins que des tensions persistent, lesquelles trouvent à s’exprimer au travers d’une concurrence qui paraît à bien des égards non seulement stérile, mais dommageable et coûteuse pour le Louvre et la RMN.

La publication concurrente de fascicules d’aide à la visite est à ce titre révélatrice. Jusqu’à l’acquisition par le musée du Louvre de son autonomie éditoriale, la RMN assurait la publication de ce type de produit, qu’elle proposait au prix de 15 euros. Fort de sa nouvelle compétence an matière éditoriale, le Louvre a alors publié et commercialisé un produit similaire vendu 12 euros. Forcée d’aligner son prix à la baisse, la RMN estime par ailleurs que son volume de ventes a été divisé par deux (de 70 000 à 35 000 exemplaires), les deux effets conjugués entraînant une diminution conséquente de sa marge.

Si le Louvre peut légitimement exciper d’une offre éditoriale riche et renouvelée (une cinquantaine d’ouvrages édités par an contre une dizaine avant 2003), il n’en demeure pas moins que les prétentions parfois concurrentes du musée et de la RMN en matière de publications peuvent être source d’inefficacité – avec la commercialisation de produits similaires – et d’inefficience – la RMN estimant la « destruction de valeur pour l’État […] à 500 000 euros environ » (28).

2.– Le fonds photographique : en attente d’une clarification de la part de la tutelle

La gestion du fonds photographique au Louvre soulève les mêmes interrogations qu’en matière de publications. Ainsi, deux équipes de photographes coexistent au Louvre : celle de la RMN et celle du musée, celui–ci faisant par ailleurs appel à des photographes privés.

Les dirigeants du Louvre soulignent la nécessité de prendre en charge directement, en interne ou par externalisation, la couverture photographique des œuvres du musée, avançant que la RMN n’assure que le quart de la couverture photographique annuelle (soit 2 000 œuvres sur 8 000 photographiées annuellement).

Les Rapporteurs tiennent ici à faire part de leur indignation sur ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Lessing ». Selon les informations dont ils disposent, il apparaît que le musée du Louvre a autorisé un photographe privé à photographier des œuvres et à en diffuser les clichés à titre commercial, ceux-ci ayant ultérieurement été utilisés par certaines agences étrangères telle l’allemande AKG-Images. Il n’est pas normal que des reproductions du patrimoine culturel national puissent ainsi être exploitées sans contrôle ni contrepartie – si ce n’est pour le Louvre …

La RMN, quant à elle, s’estime doublement lésée du fait de ce recours à des photographes privés. Concurrencée sur son activité de diffusion photographique, elle l’est également quant à son activité éditoriale, le Louvre bénéficiant gratuitement pour ses publications des photographies ainsi prises.

La tutelle semble avoir arrêté son choix en matière d’exploitation photographique. Ainsi, la directrice des musées de France assure que « le ministère [de la Culture et de la communication] réfléchit à faire de la RMN l’agence photographique patrimoniale du ministère chargée d’exploiter les fonds photographiques des collections nationales » (29). En effet, selon la tutelle, les collections nationales « étant donné[e]s en garde aux musées mais appartenant à l’État, il est légitime d’arrêter une politique globale ».

Confier l’exploitation commerciale des fonds photographiques des musées à une agence mutualisée unique – la RMN – apparaît la meilleure solution car il n’est pas souhaitable, au moins pour des raisons financières, que cette exploitation qui comporte de nombreuses tâches (gestion des contrats, facturation, suivi et surveillance des publications et supports de toute nature français, mais aussi étrangers), soit effectuée par les équipes des musées qui seraient ainsi éloignées de leurs missions fondamentales.

Mais au-delà des intentions, encore faut-il que le ministère de la Culture définisse et fasse connaître clairement sa position en la matière et que les opérateurs – la RMN comme les musées – respectent les principes ainsi établis et adaptent leur politique en conséquence.

En effet, actuellement, plusieurs fonds photographiques coexistent : celui constitué historiquement par la RMN ; les fonds constitués par différents musées et qui sont confiés à la RMN pour leur exploitation commerciale ; enfin, le fonds constitué par le Louvre avec ses photographes et dont il revendique la propriété.

De manière générale, il ne paraît pas souhaitable que les musées s’attribuent ou se voient confier la propriété de fonds photographiques d’œuvres qui appartiennent aux collections nationales. En outre, ceci risquerait de remettre en cause, à terme, la mission de diffusion conférée à la RMN.

En revanche, assurer un partage égal des droits issus de la diffusion des clichés est une solution envisageable. Les deux parties, RMN et musées dépositaires des œuvres, y trouveraient un intérêt financier, les seconds étant en outre incités à développer les occasions de diffusion.

Telle est la pratique mise en œuvre entre la RMN et l’établissement public du musée d’Orsay, laquelle pourrait être généralisée aux autres établissements muséaux. Le partage égal des droits, soit 50 % pour la RMN, diffuseur, et 50 % pour le musée dépositaire des œuvres semble en effet de nature à aplanir les dissensions.

Proposition n° 15 : Définir clairement la politique du ministère de la Culture et de la communication en matière de gestion du patrimoine culturel immatériel de l’État.

3.– La boutique du Carrousel : rétablir le dialogue

La gestion et l’assortiment de la boutique du Carrousel est un autre sujet à controverses entre le musée du Louvre et la RMN, chaque partie rejetant sur l’autre la responsabilité des tensions.

Ainsi, alors que la RMN assure faire systématiquement valider par le Louvre les lignes de produits proposées à la vente et ne pas les maintenir contre le gré du musée, celui-ci soutient que la RMN « a oublié pendant deux ans de faire valider formellement les produits dérivés par la commission produits » (30).

Il apparaît donc que même lorsque des instances de dialogue existent – les commissions produits – qui devraient permettre aux deux parties d’atteindre un consensus et de collaborer sereinement, des tensions stérilisantes trouvent à s’exprimer.

La mission ne saurait évidemment croire en la mauvaise foi de l’une ou l’autre partie. Elle ne peut que constater que ces difficultés récurrentes sont non seulement dommageables pour les deux parties mais qu’elles ont également un coût. Une telle situation n’est donc pas satisfaisante du point de vue de la gestion, d’autant que le musée du Louvre comme la RMN bénéficient de fonds publics.

Aussi, il est indispensable de dépassionner ces débats afin de déterminer clairement les domaines dans lesquels telle partie a vocation à agir. Les arbitrages dans le domaine des « fonctions connexes » aux musées – et en particulier en matière d’édition ou de gestion des fonds photographiques – doivent être le résultat d’une analyse des coûts comparés de la RMN et des musées afin de déterminer la solution la plus efficace et la plus efficiente et partant, l’opérateur le plus légitime à agir. Or si les coûts de la RMN sont connus, tel n’est pas le cas pour les musées.

4.– Déterminer l’opérateur le plus efficace : la nécessité d’une analyse des coûts comparés

La tutelle doit donc, si la création d’un tel outil est techniquement envisageable, demander aux musées ayant investi ce champ des « fonctions connexes » de tenir une comptabilité analytique adaptée afin de permettre une meilleure appréciation des coûts de telles fonctions.

Certes la direction du musée du Louvre avance des arguments quant à l’inadaptation de tels outils de gestion eu égard à la vocation d’un établissement public administratif culturel (31). Toutefois, il est parfaitement légitime, dès lors que le musée a choisi d’investir ces champs connexes, de lui demander d’en renseigner les coûts.

Proposition n° 16 : Créer un outil de comptabilité analytique adapté afin que les principaux musées ayant statut d’établissement public administratif renseignent le coût de leurs « fonctions connexes ».

Par ailleurs, rappelons qu’en vertu du contrat de performance 2007-2009 signé entre l’État et la RMN, un audit devait être mené, relatif à la politique d’édition de la RMN et des musées nationaux. Programmé depuis deux ans, il est depuis resté lettre morte. Il apparaît nécessaire de l’engager et de le mener à terme.

Proposition n° 17 : Procéder sans délai à l’audit relatif à la politique d’édition de la RMN et des musées nationaux prévu par le contrat de performance 2007–2009 entre l’État et la RMN.

Au-delà, dans l’optique d’éventuels nouveaux transferts en la matière au bénéfice des musées, il convient que le ministère de la Culture et de la communication procède, activité par activité, à des évaluations relatives aux coûts comparés de la RMN et des musées nationaux pour l’ensemble des « fonctions connexes ».

Proposition n° 18 : Mener des audits sur les coûts comparés de la RMN et des musées nationaux dans l’exercice des « fonctions connexes » aux tâches des musées.

B.– RÉÉQUILIBRER LES RELATIONS ENTRE LA RMN ET LES MUSÉES SCN

Pour spectaculaires qu’elles puissent être, les manifestations d’un déficit de communication entre le Louvre et la RMN ne semblent pas spécifiques à ce musée. Les marques d’un dialogue insuffisamment poussé entre la RMN et le premier musée national peuvent en effet se retrouver, à un degré moindre du fait de la taille des établissements, au niveau des musées sous statut de service à compétence nationale (SCN). Au cours de ses auditions et à la lecture des contributions qui lui ont été adressées, la mission a ainsi pu constater que blocages, incompréhensions et différends subsistaient du fait d’une organisation insatisfaisante des relations entre la RMN et les musées SCN.

1.– Le constat partagé d’un dialogue insuffisant entre la RMN et les musées SCN

L’année 1993, avec le passage du musée du Louvre au statut d’établissement public, a initié une dynamique d’autonomisation progressive des musées nationaux par rapport au ministère de la Culture et à la RMN. De plus en plus de musées bénéficient, ou souhaitent bénéficier, d’un tel statut. Ainsi, en avril dernier, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), le Conseil de modernisation des politiques publiques a prévu le passage de quatre établissements du statut de SCN à celui d’établissement public (cf. supra).

Pour autant, face à une telle évolution, le ministère de la Culture et de la communication ne semble pas avoir suffisamment cherché à clarifier le rôle de la RMN dans un paysage muséal ainsi renouvelé. La RGPP a prévu l’élaboration d’un plan stratégique concernant la RMN, qui devrait aborder cette problématique. Sans attendre la concrétisation de ce plan, la mission tient à faire part de plusieurs interrogations quant aux relations entre la RMN et les musées SCN.

Au demeurant, soulignons que la tutelle est consciente de certaines difficultés, admettant que « la culture quasi-monopolistique de cette institution [la RMN], qui date de 1895, doit encore évoluer » (32). Ainsi, certains établissements ont pu faire part de blocages, conséquences d’un « centralisme excessif » de la RMN qui l’empêcherait de prendre en compte les situations et besoins locaux (politique tarifaire, ouvertures exceptionnelles, etc.). D’autres musées sont allés jusqu'à évoquer une véritable « guerre de tranchées » avec la RMN.

De fait, il semble que les relations entre les musées SCN et la RMN restent largement déséquilibrées, aux dépens des premiers. Les établissements peinent ainsi à faire entendre leur voix et à porter leurs revendications.

Mme Anne Baldassari, directrice du musée national Picasso, a fait état de telles difficultés en ces termes : « Je tiens à rendre hommage à M. Jean–Ludovic Silicani (33), qui a organisé fin 2007 la première réunion – cela en dit long – au cours de laquelle l’ensemble des chefs d’établissements des musées nationaux à statut de SCN ont pu s’exprimer librement sur leurs relations avec la RMN. Pour le reste, les commissions existantes se réduisent le plus souvent à des chambres d’enregistrement des décisions de la RMN : nous [musées nationaux SCN] n’avons pas la parole, et lorsque nous la prenons, nos remarques ou nos projets ne sont de fait pas ou peu pris en compte. » (34).

Et si plusieurs établissements louent la qualité du service rendu par la RMN, il n’en demeure pas moins que certains musées déplorent un manque de concertation en aval des actions menées, source de rigidité voire d’inadaptation des politiques conduites. La ministre de la Culture et de la communication semble désireuse de répondre à ces inquiétudes, plaidant pour « l’établissement de relations contractuelles plus égalitaires qu’elles ne le sont aujourd’hui entre la RMN et les établissements publics et SNC » et assurant que sa « volonté est justement de passer d’une sorte de mutualisation unilatérale à une véritable contractualisation partenariale entre les différents musées et la RMN » (35).

2.– Associer pleinement les musées SCN à la politique de la RMN

Les musées SCN ne bénéficient pas de la personnalité morale. Aussi, en vertu de l’article 2 (36) du décret n° 90-1026 du 14 novembre 1990 relatif à la Réunion des musées nationaux, « les musées nationaux concourent à l’accomplissement des missions [de la RMN] dans le cadre de conventions conclues entre l’État et la Réunion des musées nationaux, ou entre cette dernière et lesdits musées lorsqu’ils sont dotés de la personnalité morale ».

Les modalités de la collaboration entre les musées SCN et la RMN sont donc formalisées dans le cadre de conventions conclues entre l’État et celle–ci. Cependant, si ces musées, puisqu’ils sont dépourvus de personnalité morale, ne sauraient signer de telles conventions, à tout le moins pourraient-ils être associés à la négociation préalable à la conclusion de celles-ci ainsi qu’à leur reconduction. Il apparaît que tel n’est pas le cas, du moins pas systématiquement. Or il semble étrange et assez peu logique que les destinataires finaux des services et des compétences de la RMN soient ainsi mis « hors-jeu ».

Nul doute que les politiques menées gagneraient en qualité et les relations entre les musées SCN et la RMN en sérénité si les établissements étaient mieux associés à des décisions qui, en dernière analyse, influent sur leur offre scientifique et culturelle ainsi que sur leur fonctionnement quotidien.

Aussi la mission propose-t-elle d’instituer une réelle concertation entre les musées SCN, l’État et la RMN préalablement à la conclusion de toute convention.

Proposition n° 19 : Associer les musées ayant statut de service à compétence nationale à la négociation des conventions entre l’État et la Réunion des musées nationaux.

De même, il convient de revoir la composition du conseil d’administration de la RMN. Certes le président du conseil d’administration « peut appeler à participer aux séances toute personne dont il juge la présence utile, et notamment les responsables des musées nationaux » (37). Ainsi trois musées à statut d’établissement public – Guimet, Orsay et Versailles – participent systématiquement aux réunions, tandis que deux musées SCN – musée de la porcelaine Adrien Dubouché de Limoges et musée de la céramique de Sèvres – y sont actuellement invités.

Toutefois, en dehors du président-directeur du musée du Louvre, aucun dirigeant de musée national n’est membre à part entière du conseil d’administration (38). La mission estime qu’un représentant des musées nationaux à statut de SCN, élu par ses pairs, pourrait légitimement y siéger.

Proposition n° 20 : Redéfinir la composition du conseil d’administration de la Réunion des musées nationaux en y accueillant un représentant des musées nationaux à statut de service à compétence nationale, élu par ses pairs.

V.– LE LOUVRE HORS LES MURS : ASSURER LES COOPÉRATIONS

Le Louvre n’est pas un musée figé, prisonnier des murs de son palais. Conformément à sa vocation et à ses missions, il déploie ses collections et son savoir-faire non seulement sur le territoire national mais également à l’étranger.

Ce faisant, il participe au renforcement de la démocratisation culturelle sur le territoire national et au rayonnement de la France à l’international.

A.– LA DÉCENTRALISATION CULTURELLE : LE PROJET LOUVRE-LENS

1.– Un projet ambitieux mené en partenariat avec le territoire

Le Louvre, depuis sa création en 1793, est un musée national, dont les collections et le savoir-faire doivent être au service de l’ensemble de la Nation et qui ont vocation à irriguer tout le territoire. C’est pour renouveler et revivifier cette tradition d’action territoriale que le Louvre, sous l’impulsion de M. Henri Loyrette, a engagé en 2004 le projet Louvre-Lens, qui se traduira par l’ouverture d’un Louvre « hors les murs » dans la ville de Lens, située dans le Pas-de-Calais, à proximité de la frontière belge.

Le Louvre-Lens s’inscrit dans la politique de décentralisation et de démocratisation culturelles voulue par le ministère de la Culture et de la communication. Il est un élément particulièrement novateur et exemplaire offrant aussi au Louvre l’occasion de repenser son rôle.

Lors de leur déplacement à Lille et Lens, les Rapporteurs ont pu mesurer l’enthousiasme des collectivités parties au projet. Ils tiennent notamment à saluer l’implication et le dynamisme de M. Daniel Percheron, président du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais.

En vertu du protocole d’accord signé le 12 mai 2005 entre l’État, le musée du Louvre et les collectivités locales du Nord-Pas-de-Calais, la région apparaît d’ailleurs comme le plus important contributeur au projet. Ainsi, elle prend en charge 60 % d’un budget d’investissement évalué à 150 millions d’euros (39) et devra assurer 60 % du budget de fonctionnement du futur musée. Le département du Pas-de-Calais financera 10 % du budget d’investissement, de même que, solidairement, la communauté d’agglomération Lens-Liévin (40) et la ville de Lens, l’Union européenne contribuant à hauteur des 20 % restants via le FEDER (41). La même répartition vaut pour le partage du budget de fonctionnement.

De l’avis de l’ensemble des parties au projet que les Rapporteurs ont pu interroger, il semble que le pilotage de cette opération d’envergure ait été exemplaire, une conduite réellement partenariale de celle-ci ayant été favorisée. Ainsi, le protocole d’accord entre l’État, le musée du Louvre et les collectivités locales a clairement précisé les missions et responsabilités de chacun. Il a notamment institué un comité de pilotage, véritable outil de décision composé à parité de six représentants de l’État et du Louvre et de six représentants des collectivités territoriales, un comité technique où les collectivités sont représentées par leurs directions générales et un comité scientifique, des groupes de travail thématiques complétant le dispositif.

Le musée du Louvre, quant à lui, s’est engagé à apporter 15 millions d’euros au titre du mécénat, la moitié de cette somme ayant d’ores et déjà été réunie.

2.– La nécessité de dépasser les blocages

Insistant sur le « miracle » qu’avait constitué le choix de la ville de Lens pour l’accueil du Louvre, le président du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais n’aura cependant pas caché les difficultés et blocages qui se sont fait jour à mesure que le projet prenait corps :

– des relations difficiles avec le cabinet d’architectes Sanaa : depuis deux ans, des tensions récurrentes opposent la région au cabinet japonais lauréat du concours international d’architecture organisé en 2005. Sanaa s’est longtemps révélé hors d’état de traduire sur le plan technique le projet architectural qu’il avait présenté. En outre, son association avec le cabinet américain d’architectes-muséographes Imrey-Culbert fut infructueuse. Ainsi, le projet muséographique, ne correspondant en rien aux attentes du Louvre, fut refusé par deux fois par la direction du musée. Les difficultés semblent aujourd’hui aplanies, les problèmes de faisabilité architecturale ayant été résolus et une nouvelle équipe de maîtrise d’œuvre muséographique ayant récemment été désignée ;

– un territoire marqué par le cloisonnement entre les acteurs : le président du conseil régional l’a rappelé, le territoire n’abrite pas une forte tradition de dialogue et d’échange entre ses différentes composantes, les collectivités faisant preuve d’un individualisme poussé. Afin de surmonter les blocages territoriaux et de créer un effet fédérateur permettant de cristalliser les dynamiques locales, la région a alors pris l’initiative de créer Euralens, une structure de gouvernance qui rassemblera l’ensemble des collectivités intéressées au projet Louvre-Lens ;

– un projet qui souffre encore d’un défaut de visibilité : le terrain est prêt à la pose de la première pierre. Mais tant que rien n’est sorti de terre, le Louvre-Lens reste une initiative relativement confidentielle. L’enjeu majeur est que les populations s’approprient un projet qui rompt avec le cours de l’histoire socio-économique et culturelle de la région.

Au total, le projet Louvre-Lens aura pris un retard certain – d’abord envisagée en 2009, l’ouverture du musée a été repoussée à 2012 – tandis que son coût augmentait considérablement – de 117 millions d’euros le budget d’investissement a successivement été réévalué à 127 puis à 150 millions d’euros (42). Ceci démontre une fois encore que, dans le cadre de projets d’une telle ampleur, les personnes publiques doivent faire preuve d’une extrême vigilance relativement aux devis et aux délais initiaux.

Toutefois, pour la région Nord-Pas-de-Calais, l’initiative Louvre-Lens constitue l’opportunité unique de profiter d’un « effet Bilbao » en transposant le modèle de développement de la capitale basque : un projet architectural et culturel ambitieux s’accompagnant d’un réaménagement et d’une ouverture du territoire.

Les terrils 11 et 19 – les plus hauts d’Europe – qui surplombent l’agglomération de Lens-Liévin, pourraient alors devenir les nouvelles pyramides du Louvre.

B.– LE DÉVELOPPEMENT DU MUSÉE À L’INTERNATIONAL 

Conformément à sa vocation universelle, le musée du Louvre mène une action internationale soutenue et diversifiée.

Au-delà des échanges scientifiques qui existent entre le musée et ses homologues étrangers, le Louvre participe à des projets internationaux structurés (organisation d’expositions) et joue un rôle de conseil et d’assistance au profit d’institutions culturelles sises dans les pays partenaires.

1.– Des partenariats traditionnels aux nouvelles formes de coopération

Des coopérations anciennes existent, notamment au Proche et au Moyen Orient, que le Louvre s’efforce de renouveler et d’élargir.

Ainsi, après avoir rénové le temple de Jerash en Jordanie, le Louvre a conduit au printemps 2007 des opérations de restauration d’œuvres venues de Pétra et s’apprête à signer une convention avec les autorités jordaniennes. Par ailleurs, le musée participe à d’importants travaux de fouilles archéologiques en Egypte, notamment sur les sites de Saqqara, Deir El Medineh, Baouit et sur le tombeau royal de Merenptah dans la vallée des rois. Depuis 2006, le Louvre apporte également son expertise au musée d’art islamique du Caire, en cours de rénovation.

Des conventions ont en outre été signées avec l’Iran, le Yémen et la Libye. L’accord-cadre conclu en 2004 avec l’Iran prévoyait l’organisation d’une exposition au Louvre. Intitulée « Le Chant du monde, l’art de l’Iran safavide », elle s’est tenue dans le hall Napoléon du musée à l’automne 2007, accueillant près de 130 000 visiteurs. Une exposition en Iran doit par ailleurs avoir lieu. La convention signée en décembre 2006 avec le Yémen prévoit quant à elle une expertise du Louvre au profit du musée de Sanaa, ainsi que la restauration et la mise en valeur d’œuvres. Enfin, l’accord-cadre conclu avec la Direction des antiquités de Libye le 10 décembre 2007 institue une coopération scientifique et culturelle, rend possible l’organisation d’expositions ou d’événements culturels, et prévoit la participation du Louvre à un programme de fouilles dans le pays.

Par ailleurs, le Louvre s’efforce de renouveler ses actions de partenariat, étendant celles-ci à de nouveaux pays tels que le Soudan ou l’Arabie Saoudite.

Au-delà de ces partenariats « traditionnels », de nouvelles formes de coopération, spécifiques par leur nature comme par leur ampleur, ont été engagées, notamment le partenariat avec le High Museum d’Atlanta ou encore le projet Museum Lab au Japon.

Inauguré en octobre 2006, le partenariat de trois ans (2006–2009) qui lie le Louvre au High Museum d’Atlanta connaît un grand succès de fréquentation : 770 000 visiteurs se sont rendus aux expositions présentées au cours des deux premières années du partenariat (43). Une série de neuf expositions temporaires auront ainsi été organisées, retraçant l’histoire du musée du Louvre, de sa création à nos jours.

Le projet Louvre-Atlanta est entièrement financé par des mécènes américains (individuels et sociétés). Au soutien de Mme Ann Cox Chambers, mécène principal de l’opération, s’ajoute celui d’Accenture, UPS, Turner, Coca-Cola, Delta et AXA. Plusieurs fondations ont également contribué à la réussite du projet. En outre, le directeur du High Museum s’est engagé à mobiliser ses trustees et donateurs, en concertation avec les American Friends of the Louvre, pour mener une campagne active de recherche de mécénat afin d’apporter une contribution complémentaire à la réalisation des travaux de rénovation du département des Objets d’art.

Le projet Museum Lab, quant à lui, s’inscrit dans la volonté d’expérimenter de nouvelles approches muséographiques fondées sur les technologies les plus avancées. Ainsi, en 2006, le Louvre a engagé une coopération de trois ans avec la société japonaise Daï Nippon Printing (DNP). Cette initiative expérimentale est destinée à mobiliser les technologies de l’information et de l’image les plus sophistiquées pour les mettre au service de la découverte d’œuvres issues des collections du Louvre.

Six présentations seront proposées (44) au sein d’un espace d’expérimentation dédié de l’immeuble DNP à Tokyo. Il s’agit de tester sur le public de nouveaux dispositifs multimédias (utilisation d’écrans tactiles, salles de projection très haute définition, instruments de personnalisation de la visite) afin de renouveler et de renforcer les dispositifs de médiation culturelle. Dans la perspective du développement de ces outils multimédias culturels innovants, la poursuite du projet Museum Lab est envisagée après 2009.

Mais s’il est un projet qui résume la vitalité et le rayonnement du Louvre à l’international, c’est la création du Louvre-Abou Dabi, dont les travaux de construction ont officiellement été lancés par le Président de la République le 26 mai, jour où la MEC examinait le présent rapport.

2.– Le Louvre-Abou Dabi : porte-drapeau du rayonnement culturel de la France

Les Émirats Arabes Unis entendaient créer un musée universel dont les collections présenteraient des œuvres majeures dans les domaines de l’archéologie, des beaux-arts et des arts décoratifs, couvrant toutes les périodes et toutes les aires géographiques. La France a mis son expertise au service de cette ambition et, le 6 mars 2007, était signé entre les deux partenaires un accord intergouvernemental formalisant cette coopération. L’architecte français Jean Nouvel a été retenu pour réaliser le bâtiment du futur musée dont l’ouverture est prévue en 2013.

Le rôle de la France sera multiple. Dans un premier temps, elle aidera son partenaire à concevoir le futur musée. Puis elle prêtera des œuvres issues de l’ensemble des collections nationales, par rotation et pour une durée maximale de dix ans (300 œuvres les trois premières années à compter de l’ouverture du musée, 250 les trois années suivantes et 200 les quatre dernières années). Ces prêts s’effectueront exclusivement sur la base du volontariat, sous le contrôle d’une commission scientifique. Parallèlement, les Émirats Arabes Unis acquerront des œuvres afin de constituer leur propre collection.

En outre, afin de souligner l’ambition universelle de ce projet et le rôle de l’expertise française dans la conception du musée, celui-ci portera le nom de Louvre pendant une période de 30 ans, cette appellation participant au rayonnement international du Louvre et de la France. Ce geste exceptionnel s’accompagne d’une contrepartie importante, sous la forme d’une rémunération du prêt du nom du Louvre à hauteur de 400 millions d’euros. Ces sommes seront versées au musée du Louvre afin de financer des projets scientifiques, culturels et pédagogiques.

En application de l’accord intergouvernemental du 6 mars 2007, une agence internationale des musées de France, baptisée France Muséums, a été créée en juillet 2007 afin de porter le projet du Louvre-Abou Dabi pour le compte des musées français. Douze établissements publics culturels sont associés à son capital (45).

Les contreparties financières du projet sont importantes. Outre les 400 millions d’euros accordés au Louvre pour l’utilisation de son nom, les Émirats Arabes Unis verseront pas moins de 550 millions d’euros à l’Agence France Muséums : 195 millions d’euros pour le financement d’expositions temporaires, 190 millions d’euros au titre de l’apport des musées français préalablement à la constitution des collections émiriennes, et 165 millions d’euros en rémunération des prestations fournies par l’Agence France Muséums (expertise, assistance à maîtrise d’ouvrage etc.). Au total, c’est un milliard d’euros sur 30 ans qui bénéficieront à l’ensemble des musées français participants.

Aussi, eu égard aux sommes en jeu et à l’importance du projet pour le rayonnement culturel de la France, la mission estime qu’il serait légitime de procéder à une audition annuelle de la direction de l’Agence France Muséums par les commissions parlementaires permanentes compétentes (Finances, Affaires culturelles et Affaires étrangères).

Proposition n° 21 : Procéder à l’audition annuelle de la direction l’Agence France Muséums par les commissions parlementaires permanentes compétentes (Finances, Affaires culturelles et Affaires étrangères).

C.– LA NÉCESSITÉ D’UNE GESTION PRÉVISIONNELLE ET COORDONNÉE DE LA POLITIQUE DE PRÊTS

1.– Les craintes d’une tension sur les collections du Louvre

Chaque année, plus de 1 500 demandes de prêts émanant de différentes institutions du monde entier sont adressées au musée du Louvre. Près de la moitié de ces demandes sont honorées, puisque environ 700 prêts – sont accordés. Près d’un tiers des œuvres sont prêtées à des institutions françaises, plus de 55 % à des institutions européennes, et environ 15 % à des institutions américaines ou japonaises.

Par ailleurs, outre ces prêts qui viennent enrichir les expositions organisées par les établissements muséaux partenaires du Louvre, le musée organise lui-même des expositions de ses propres collections dans le monde entier.

Au total, environ 2 000 œuvres sont mobilisées chaque année dans le cadre d’expositions. Or les partenariats récemment développés par le Louvre, notamment les projets Louvre-Lens et Louvre-Abou Dabi, sont d’une toute autre ampleur et d’une toute autre ambition que les partenariats « traditionnels ».

Ainsi, à son ouverture, le Louvre-Lens présentera 300 œuvres « majeures et significatives de l’ensemble des collections du Louvre, renouvelées régulièrement » (46) au sein de l’exposition permanente de la « Galerie du temps ». En outre, des expositions temporaires, « de niveau national ou international » (47) devront être organisées selon un rythme annuel, ce qui suppose d’autres prêts réguliers d’œuvres importantes.

Dans le cadre du projet Louvre-Abou Dabi, si l’ensemble des collections nationales seront mises à contribution (cf. supra), il n’en demeure pas moins que l’accord intergouvernemental signée avec les Émirats Arabes Unis stipule que les œuvres prêtées « seront d’une qualité comparable à celles présentées au Musée du Louvre et dans les grands musées français » (48). Par ailleurs, eu égard à l’importance des sommes en jeu, il pourra être difficile à l’Agence France Muséums de refuser le prêt de telle œuvre majeure si la partie émirienne en fait la demande insistante.

Par sa politique active de prêts, le Louvre est fidèle à sa vocation en assurant le rayonnement des collections nationales. Mais il convient de veiller à ce que cette politique obéisse à des principes clairement définis en fonction d’une vision globale du patrimoine et de sa gestion.

2.– Mettre en place un « guichet unique » pour assurer le développement futur du musée

Or le musée du Louvre ne dispose d’aucune structure centralisant et gérant les demandes de prêts. En effet, chaque département de conservation traite ces demandes et accorde les prêts en fonction de différents critères (pertinence du projet d’exposition, disponibilité et fragilité de l’œuvre etc.). L’augmentation tendancielle des demandes de prêts en vue d’expositions temporaires, les dépôts d’œuvres dans des musées de province et les engagements sur de grands projets créent un risque de tensions sur les collections. Dès lors, il convient de donner une visibilité aux priorités de la direction du musée en matière de prêts.

La mise en place d’un système unique de pilotage et de planification de la politique de prêts permettrait au Louvre d’honorer les engagements ambitieux qu’il a contractés, mais également de poursuivre de manière sereine sa politique de partenariats et de développement externe. L’enjeu dépasse le cas particulier du musée du Louvre : il relève de la bonne gestion du patrimoine artistique de l’État.

Proposition n° 22 : Mettre en place un dispositif de pilotage prévisionnel des prêts d’œuvres commun à l’ensemble des départements du musée du Louvre.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa séance du mercredi 3 juin 2009 à 12 heures, la commission des Finances a procédé à l’examen des conclusions du présent rapport.

M. le Président Didier Migaud. L’ordre du jour appelle l'examen du rapport de la mission d'évaluation et de contrôle sur le musée du Louvre, l’un des opérateurs du ministère de la Culture dont nous souhaitons suivre les comptes avec une attention soutenue. Le bureau de la Commission, saisi d'une demande de notre Rapporteur spécial, M. Nicolas Perruchot, a choisi d'engager l’évaluation de la politique des musées, en se concentrant sur le premier des musées français, pour éviter la dispersion.

La richesse de ses collections et une affluence record au cours des dernières années contribuent à expliquer la puissance financière du musée du Louvre. Cette capacité et la qualité de son encadrement en font une sorte de laboratoire à l'avant-garde des réformes des musées, qu'il s'agisse du statut d'établissement public, de la gestion des ressources humaines, de la politique de mécénat, de l'ouverture sur la province ou l'étranger, ou encore de la gratuité. Il était donc intéressant pour la MEC d'évaluer les expérimentations susceptibles d'être étendues à d'autres musées nationaux.

Pour conduire ce travail, le choix de trois Rapporteurs s'est imposé tout naturellement : les deux Rapporteurs spéciaux de la commission des Finances sur la mission Culture, MM. Nicolas Perruchot et Richard Dell'Agnola, et le Rapporteur pour avis sur la même mission pour la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales, M. Marcel Rogemont. Vous aurez noté qu'ils représentent trois des quatre groupes politiques composant l'Assemblée nationale. Le rapport qui nous est présenté aujourd’hui résulte donc de ce travail collectif qui fait tout l’intérêt de la MEC.

Le rapport s'ouvre sur des propositions très ambitieuses. Visiblement, la MEC a été impressionnée par les bienfaits que l'autonomie peut apporter aux musées nationaux. Les trois Rapporteurs vont nous présenter le document.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Le Louvre est non seulement le premier des musées nationaux français, mais aussi le premier musée du monde par sa fréquentation, avec près de 8,5 millions de visiteurs l'an dernier. Il a souvent fait figure d’« éclaireur » quand il s'est agi de réformer la gestion et la gouvernance de nos musées, comme en témoignent son accession au statut d'établissement public en 1993 et le développement du pilotage des musées par la performance, dont il fut le précurseur en 2003. La richesse de ses collections, sa vocation universelle et sa capacité d'innovation font de lui le miroir grossissant des enjeux politiques, administratifs et financiers qui intéressent l'ensemble des musées nationaux, si bien que le Louvre fait figure d'exemple, et parfois de contre-exemple, pour qui s'interroge sur le paysage muséal français.

Au terme de nos travaux, nous avançons vingt-deux propositions qui nous paraissent propres à libérer les initiatives de nos musées nationaux en leur permettant de devenir plus autonomes – mais non pas indépendants – et plus responsables. La MEC est en effet convaincue que l'autonomie est essentielle pour assurer un service public muséal de qualité et une gestion plus efficace, et que cette autonomie doit nécessairement s'accompagner de la responsabilisation des établissements, dans le cadre de relations renouvelées avec une tutelle assumant pleinement son rôle de pilote.

Tel est le fil conducteur des propositions que nous vous présentons et qui s’articulent autour de six thèmes.

Il faut, en premier lieu, renforcer l'autonomie des musées et leur donner les moyens de l'assumer. À ce sujet, notre proposition cardinale est de généraliser le statut d'établissement public administratif à l'ensemble des musées nationaux. C’est le sens de la première proposition, dont nous n’ignorons pas le caractère novateur. Nous la savons pourtant réaliste, si elle est associée à des mesures pragmatiques d'accompagnement tendant à la recomposition du paysage muséal, à la mutualisation des moyens et à la contractualisation, toutes mesures qui se traduisent dans les propositions 2 à 6.

Les musées nationaux étant de tailles diverses, leurs besoins, leurs compétences et leurs moyens humains et financiers sont hétérogènes. En l'état, tous ne disposent pas des structures de gestion ou de développement culturel suffisantes. Aussi préconisons-nous dans la proposition 2 de regrouper des musées, lorsque cela est pertinent et dans le respect de la cohérence des collections, ou de rattacher les plus modestes à des établissements plus importants. À titre d'exemple, le musée Delacroix a été rattaché au Louvre et le musée de l'Orangerie sera bientôt rattaché au musée d'Orsay. La solution du regroupement a été retenue pour le musée national de la céramique de Sèvres et la Manufacture nationale, qui devraient former un seul établissement public au 1er janvier 2010. Par ailleurs, comme je l’ai indiqué, la responsabilisation des musées nationaux, quel que soit leur statut, doit être encouragée et développée. C'est ce que visent les propositions 3, 4 et 6.

Conformément à la proposition 3, des contrats de performance devraient être passés, dans les meilleurs délais, avec tous les musées nationaux ayant statut d'établissement public. Actuellement, seuls quatre musées nationaux établissements publics sur dix – le Louvre, Orsay, le Quai-Branly et l'Établissement public du musée et du domaine de Versailles – disposent d'un tel outil. En outre, trois nouveaux établissements publics doivent être créés d’ici à 2010 : le château-musée de Fontainebleau, le « couple » musée national de la céramique de Sèvres et Manufacture nationale, le musée national Picasso. Le musée de l'Orangerie enfin, devrait être rattaché au musée d'Orsay.

Il est nécessaire de généraliser la contractualisation à tous les musées nationaux établissements publics, « anciens » comme « nouveaux ». Parallèlement, on ne saurait laisser en dehors du pilotage par la performance les musées ayant le statut de service à compétence nationale – SCN. Aussi, dans la perspective de la généralisation du statut d'établissement public, il convient de créer un outil adapté à ces établissements. C’est l’objet de la proposition 4.

La proposition 6 s'attache à affirmer la cohérence de la politique muséale : sans chercher à uniformiser les contrats de performance des établissements, il faut, lorsque cela est possible et pertinent, harmoniser les objectifs et les indicateurs de performance assignés, pour pouvoir les comparer, de même que l'on peut comparer les collectivités territoriales par-delà leurs différences d'échelle.

La proposition 5, plus spécifique, a trait à certains dysfonctionnements constatés dans la gestion de la politique immobilière de l'État. En effet, alors que la prise à bail par le musée du Louvre de locaux sis dans l'immeuble du Louvre des Antiquaires avait recueilli un avis négatif de France Domaine, un arbitrage ultérieur rendu à Matignon a rendu cet avis sans objet. Il est regrettable que France Domaine ait été ainsi court-circuité par un arbitrage politique. La réforme issue du rapport de la MEC relatif à la politique immobilière de l'État présenté en 2005 par M. Georges Tron, co-président de la Mission d’évaluation et de contrôle, visait précisément à faire cesser de telles pratiques. Il s'agit donc d'enjoindre aux opérateurs du ministère de la Culture de respecter les orientations et les critères de la politique immobilière de l'État, en inscrivant cet engagement de bonne pratique dans leur contrat de performance.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Le deuxième axe de nos propositions vise à moderniser, pour l’améliorer, la gestion des ressources humaines des musées établissements publics en la rendant plus souple tout en prévenant les risques d'une inflation non contrôlée de leur masse salariale et de leurs effectifs. C’est l'objet des propositions 7 à 13. À partir du moment où les musées acquièrent leur autonomie en devenant établissement public, il est logique de leur déléguer la gestion de leurs ressources humaines et de les impliquer davantage dans l’évolution de carrière de leurs agents. Mais ce qui paraît logique ne va pas de soi, puisque trop souvent encore la gestion des ressources humaines dépend directement du ministère de la Culture.

Aussi prévoyons-nous par les propositions 7 et 8 l’instauration de commissions administratives paritaires « locales » préparatoires aux CAP de niveau ministériel, et chargées de formuler des avis préalables en matière de discipline, d'avancement et de détachement. Il paraît en effet anormal que les établissements ne soient pas associés aux décisions rendues par les CAP de niveau ministériel et que, par une étrange particularité française, leur propre personnel ne dépende pas d’eux sur le plan disciplinaire.

La proposition 10 vise à adapter le système de rémunération des agents des établissements publics et d'administration centrale par l'adoption du texte d'application relatif à la prime de fonctions et de résultats.

La proposition 11 tend à engager la réflexion sur les conditions de mobilité et de rémunération des agents chargés du mécénat au sein des musées. Alors que ces agents, souvent formés dans les écoles les plus prestigieuses, comme l'École normale supérieure ou HEC, aident grandement à diversifier les ressources des musées – rappelons que 25,4 millions d’euros ont été, en 2008, recueillis par le Louvre au titre du mécénat –, leur rémunération mensuelle moyenne, hors part variable, est inférieure à 2 000 euros ; ils sont actuellement recrutés à raison de 1 700 euros nets mensuels. Le décalage est considérable entre la rémunération offerte et les résultats obtenus.

Enfin, si une souplesse de gestion accrue est indispensable, il est tout aussi impératif que les musées maîtrisent leurs effectifs. Nous rappelons dans la proposition 12 que le Louvre doit rester vigilant à cet égard, ses effectifs ayant augmenté de 25 % entre 2003 et 2008. En rappelant que le statut d’établissement public ne signifie pas augmentation systématique de la masse salariale, nous espérons être entendus par le musée.

Par la proposition 13, nous demandons la création d'outils de pilotage et de contrôle efficaces au profit de la tutelle, afin de prévenir tout risque d'inflation non contrôlée des ressources humaines au sein des musées établissements publics.

La proposition 9 a une valeur plus prospective. Considérant la grande hétérogénéité des musées nationaux, notamment en termes de personnel et de structures propres à le gérer, on pourrait envisager de créer un système inspiré des « centres de gestion » existant au sein des collectivités territoriales, ce qui permettrait de mutualiser la gestion des ressources humaines.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Le troisième thème de réflexion de la MEC a été l'évaluation de la politique de gratuité d'accès aux musées et monuments nationaux. C’est l'objet de la proposition 14. Nous estimons en effet qu'il serait pertinent de convenir d'une clause de rendez-vous, un an après la mise en œuvre de la gratuité partielle, pour en évaluer les effets notamment quant à la composition sociologique du public. De fait, si la gratuité d’accès aux musées suscite un engouement initial, il peut ne pas durer – cela m’a été confirmé, ce matin encore, par la direction du Centre Pompidou. Or la gratuité n'est pas une fin en soi mais un moyen au service de la démocratisation culturelle.

Par ailleurs, le rappeler peut paraître une lapalissade, mais la gratuité ciblée représente une perte de recettes de l'ordre de 30 millions d’euros par an dont 11 millions pour le Louvre. Cette perte doit être compensée si l'on veut maintenir la qualité du service public. Or, in fine, c’est l’État, donc le contribuable, qui a vocation à compenser cette perte, et il n’est pas certain qu’une telle mesure soit pertinente dans la conjoncture actuelle de tensions sur les finances publiques. De plus, la gratuité étant déjà acquise pour les moins de 18 ans, la mesure ne concerne que la tranche d’âge des 18-25 ans et les enseignants. Or, au Louvre, 5 millions sont consacrés chaque année à l’éducation artistique, par l’accueil de 700 000 scolaires. Autant dire que, si les 11 millions précédemment cités étaient affectés à cette action ciblée, ce seraient près de 2 millions de scolaires qui pourraient être accueillis au Louvre. On peut donc considérer qu’en matière de démocratisation culturelle, d’autres initiatives auraient pu être prises que celle qui a été décidée.

Notre étude a eu pour quatrième axe la gestion du patrimoine culturel national.

La question des « fonctions connexes » éventuellement assurées par les musées et la plupart du temps par la Réunion des musées nationaux, la RMN– publications et gestion des fonds photographiques notamment – a été la base de notre réflexion. Il est impératif que les musées qui choisissent d'investir ces champs connexes soient en mesure d'en mesurer les coûts par une comptabilité analytique adaptée, ce qui n’est pas le cas pour le Louvre. Tel est l’objet de la proposition 16.

Par ailleurs, dans le souci d'une bonne gestion des deniers publics, il faut déterminer l'opérateur le plus efficace et donc le plus légitime pour prendre en charge de telles fonctions. Des audits doivent être menés afin de comparer les coûts de la RMN, opérateur historique en la matière, et des musées. C’est le sens des propositions 17 et 18.

Plus globalement, conformément à la proposition 15, il est indispensable que le ministère de la Culture et de la communication arrête une politique claire quant à la gestion et à la valorisation du patrimoine culturel immatériel de l'État, afin de prévenir toute exploitation non contrôlée de celui-ci. L'« affaire Lessing », du nom de ce photographe autorisé par le Louvre à prendre des clichés des œuvres puis à en assurer une diffusion commerciale, notamment au bénéfice d'agences photographiques étrangères, ne doit pas se reproduire.

La mission a également tenu à faire le point sur les relations entre les musées services à compétence nationale et la RMN. Des mentions répétées ayant été faites, au cours des auditions, de relations parfois très conflictuelles, il nous a paru nécessaire de favoriser l'établissement de relations partenariales entre ces musées et la RMN. En effet, si plusieurs établissements louent la qualité du service rendu par celle-ci, certains musées déplorent un manque de concertation – et c’est une litote. Le défaut de dialogue est une source de rigidité, sinon d'inadaptation des politiques conduites.

Par la proposition 19, la mission demande que les musées services à compétence nationale soient pleinement associés à la négociation des conventions qui les lient à la RMN, ce qui paraît la moindre de choses. Or, actuellement, ces musées ne bénéficiant pas de la personnalité morale, c'est l'État qui conclut ces conventions pour leur compte et il apparaît qu’ils ne sont pas systématiquement associés à la négociation du contrat.

Nous proposons aussi, par la proposition 20, qu’un représentant des musées services à compétence nationale soit membre du conseil d'administration de la RMN. Pour l'heure, hormis le président-directeur du musée du Louvre, aucun dirigeant de musée national n'en est membre à part entière. D'autres musées établissements publics – Guimet, Orsay et Versailles – participent systématiquement aux réunions, et deux musées services à compétence nationale –le musée de la porcelaine Adrien-Dubouché de Limoges et le musée de la céramique de Sèvres – y sont actuellement invités. La mission estime qu'un représentant des musées nationaux à statut de SCN, élu par ses pairs, devrait légitimement y siéger en tant que membre à part entière.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Le dernier groupe de propositions a trait à la politique de développement externe du Louvre. Le projet Louvre-Abou Dabi est porté, pour le compte des musées français, par l'Agence France Muséums qui, aux termes de l'accord intergouvernemental signé entre la France et les Émirats Arabes Unis, doit recevoir quelque 550 millions au titre des prestations qu'elle fournira – financement d'expositions temporaires, expertise culturelle, assistance à maîtrise d'ouvrage. Eu égard aux sommes en jeu et à l'importance du projet pour le rayonnement culturel de la France, la mission estime qu'il serait légitime de procéder à l’audition annuelle de la direction de l'Agence France Muséums par les commissions parlementaires permanentes compétentes – Finances, Affaires culturelles et Affaires étrangères. C’est l’objet de la proposition 21. Le Parlement doit pouvoir s’assurer que des sommes aussi considérables servent à la mise en œuvre de la politique muséale nationale et éventuellement à des acquisitions, et à cela seulement.

Le dernier point que nous avons souhaité aborder concerne la politique de prêts du Louvre. En moyenne, 2 000 œuvres sont mobilisées chaque année dans le cadre de prêts à d'autres musées ou d'expositions extérieures organisées par le musée. Fidèle à sa vocation, celui-ci a développé une politique de partenariats très ambitieuse, que nous tenons par ailleurs à saluer. Cependant, il convient de veiller à ce que la politique de prêts qui en découle obéisse à des principes clairement définis en fonction d'une vision globale du patrimoine et de sa gestion. Or, actuellement, la conduite de cette politique reste assumée par les différents départements du Louvre, ce qui peut faire craindre à l'avenir des défauts de concertation et, par suite, des tensions sur les collections.

Aussi, afin d’assurer un développement dynamique et maîtrisé des coopérations du Louvre, la mission préconise-t-elle la mise en place d'un dispositif de pilotage prévisionnel des prêts d’œuvres commun à l’ensemble des départements du musée. C’est l’objet de la proposition 22.

Vous l'aurez compris, les trois Rapporteurs, qui appartiennent à trois groupes politiques différents, sont en plein accord pour souhaiter libérer les énergies et les initiatives. La mission nous a suivis sans réticence.

M. le Président Didier Migaud. Je remercie les Rapporteurs pour la qualité et la pertinence du travail qu’ils ont réalisé sous l’autorité des deux présidents de la MEC, M. Georges Tron et M. David Habib.

M. Alain Rodet. J’ai lu le rapport avec un grand intérêt ; j’espère qu’il aura plus d’impact que celui que M. Chartier a consacré à l’immobilier de l’État en Italie !

Nos collègues insistent sur l’importance du resserrement des liens entre les différents acteurs de la politique muséale française. Peut-être, toutefois, n’est-il pas dit de manière assez explicite que cela doit concerner aussi les musées de province. Ces établissements ont beaucoup investi pour se moderniser et pour acquérir des œuvres nouvelles, mais leurs relations avec le musée du Louvre demeurent parfois chaotiques. Les musées, en régions, se sont agrandis, et ils doivent faire tourner leurs collections. Celles du Louvre étant considérables, il faudrait rendre leur rotation systématique. Ne pourrait-on transposer, pour les musées, le mécanisme de « pôle associé » qui associe la Bibliothèque nationale de France et les bibliothèques de province ? Un tel système, qui repose sur des relations contractualisées en matière de prêts, permet une programmation définie largement à l’avance. Pour préparer l’ouverture de l’antenne d’Abou Dabi, les conservateurs du Louvre ont fait le tour de tous les musées de province afin de recenser les œuvres arabo-musulmanes qui pourront être exposées à Abou Dabi. Fort bien, mais des contreparties s’imposent. Pourquoi ne pas envisager une contractualisation et un label ?

M. Georges Tron, Président de la Mission d’évaluation et de contrôle. Cette mission a été particulièrement intéressante et je rends hommage à la manière dont les trois Rapporteurs l’ont conduite. Ils ont en effet souhaité ne pas se limiter au Louvre, mais étudier à partir de cet exemple l’organisation de tout notre système muséal. Dans cette perspective, ils ont procédé à l’audition des représentants de musées de toutes tailles et il m’apparaît que les conclusions du rapport tiennent dûment compte de ce qui leur a été dit.

J’insiste sur la nécessité de réduire la dépense publique autant que faire se peut. Pour ce qui concerne le Louvre, et même si cet aspect peut paraître marginal, il n’en est pas moins symbolique et il serait donc bon que le Louvre nous explique sa politique immobilière et, plus généralement, comment il conçoit ses rapports avec sa tutelle. Si, comme j’en suis d’accord, les musées doivent tendre vers l’autonomie, cette autonomie doit avoir pour corollaire un contrôle renforcé destiné à empêcher que les opérateurs ne s’exonèrent des règles auxquelles ils sont soumis. C’est ce que souligne le rapport et notamment la proposition 5. On le sait, le musée du Louvre a jugé bon de prendre à bail des locaux situés dans l’immeuble du Louvre des Antiquaires, locaux qui avaient été refusés à la direction de la Musique, de la danse, du théâtre et des spectacles du ministère, après que la MEC et le Conseil de l’immobilier de l’État s’y furent opposés. Bien que France Domaine ait émis un avis négatif à ce sujet, l’opération s’est effectuée, l’analyse de son coût réel ayant par ailleurs été compliquée du fait de la prise en compte d’un loyer hors taxes hors charges.

En bref, les opérateurs, parce qu’ils gagnent en autonomie, ne doivent pas pour autant se sentir exonérés du respect des règles qui s’imposent à toute administration publique.

M. le président Didier Migaud. Il s’agit là d’un sujet de toute première importance, que nous avons évoqué ce matin avec le Premier président de la Cour des comptes. Pour aucun opérateur, l’autonomie ne peut signifier l’affranchissement des règles. L’État doit continuer de fixer les objectifs. Les opérateurs sont si nombreux et les sommes en jeu si considérables que ces principes doivent être réaffirmés.

M. Michel Bouvard. Je remercie à mon tour nos collègues pour ce travail de fond.

Ma première observation portera sur le pilotage des opérateurs, quels qu’ils soient. La lecture du rapport, qui appelle à « dépasser les différends », montre que les relations entre la RMN et le Louvre sont si tendues que la nécessité d’un arbitrage est manifeste. Le responsable du programme s’est-il intéressé aux rapports entre les opérateurs concernés ?

Par ailleurs, l’évolution des dépenses a été retracée, mais l’on ne sait si l’opérateur a contracté des dettes. Enfin, le Louvre a-t-il bénéficié de dations ?

M. François Scellier. L’instauration de la gratuité d’accès aux musées pour les jeunes gens âgés de moins de vingt-six ans a évidemment pour conséquence une perte de recettes, mais celle-ci doit être mise en balance avec la fréquentation plus large que la mesure suscite.

S’agissant de la décentralisation culturelle, je constate, comme notre collègue Alain Rodet, que les collectivités territoriales s’attachent à promouvoir la vie culturelle dans tous les domaines. Quelles liaisons peut-on envisager entre les musées des territoires et les grands musées nationaux ? Par exemple, le rapport ne dit rien des réserves du Louvre, que l’on sait considérables. Comment les utiliser ailleurs qu’à Paris ?

M. Jean-Yves Cousin. Ma question rejoindra celle de M. François Scellier.

Les rapporteurs ont évoqué les prêts d’œuvres et la MEC formule des propositions à ce sujet. Mais selon quels critères les prêts faits sous la forme de dépôts dans les musées de France sont-ils décidés ?

M. Laurent Hénart. Mes remerciements vont aux Rapporteurs pour leur travail approfondi sur un sujet délicat.

S’agissant des actions à visée pédagogique, il faut en effet mettre en relation le coût de la médiation culturelle et celui de la gratuité partielle d’accès aux musées. Cela étant, des études qualitatives sont-elles conduites auprès des enseignants qui accompagnent les enfants ?

Pour ce qui est de l’utilisation des réserves du Louvre, ne peut-on envisager des « coproductions » de grandes expositions en régions, comme en fait le Musée d’Orsay ? Il s’agit d’une autre forme de décentralisation culturelle.

Enfin, a-t-on évalué le coût du budget de fonctionnement du Louvre-Lens pour les collectivités locales ?

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. M. Alain Rodet s’en sera rendu compte, la question des regroupements est au cœur du rapport, et nous avons formulé des propositions visant à ce qu’un grand musée, sorte de vaisseau amiral, travaille en synergie avec une flotte de musées plus petits. Cela vaut aussi pour les musées de province, qui auraient intérêt à fonctionner en réseaux.

Les relations entre la RMN et le Louvre nous ont paru de plus en plus complexes au fil des auditions. Les rapports sont extrêmement tendus, avec la tentation, de part et d’autre, de maintenir des chasses gardées. Les relations entre la RMN et les autres musées sont tout aussi conflictuelles – c’est notamment le cas avec le musée Picasso, dont la directrice nous a expliqué que les rapports entre les deux institutions sont difficiles. Dans le même temps, la Réunion des musées nationaux est une institution très bien gérée. Ce qui pèche, d’évidence, est le manque de concertation, et le manque de volonté de concertation. Enfin, la tutelle doit prendre ses responsabilités et trancher, ce qu’elle ne fait pas. Nous abordons toutes ces questions dans le rapport.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Entre les musées parisiens et les musées de province, les relations sont nourries : dépôts d’œuvres et coproductions d’expositions se pratiquent déjà. Nous avons été frappés par la passion et l’enthousiasme qui animent aussi bien le président-directeur du musée du Louvre, M. Henri Loyrette, que M. Daniel Percheron, président du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais, dans la mise en œuvre du projet Louvre-Lens. Le Louvre, qui a déjà mis au point des partenariats avec Atlanta et Abou Dabi, est tout à fait disposé à en créer de nouveaux.

On parle beaucoup des réserves du Louvre. Elles sont considérables, c’est vrai, mais il serait illusoire de penser qu’elles comptent plusieurs Jocondes… La quantité ne fait pas tout, et ce que souhaiteraient pouvoir exposer les autres musées, ce sont les œuvres majeures, celles qui, justement, ne sont pas dans les réserves !

Les dépôts se font, bien sûr, en fonction de critères prédéfinis. Ainsi, le musée de Rennes s’est spécialisé dans les peintures du XVIIe siècle, et ses contacts avec le Louvre portent sur des œuvres de cette époque. Il en va de même pour les autres musées dont les collections sont centrées sur d’autres périodes. Autrement dit, on ne met pas une œuvre en dépôt au hasard : si on le fait, c’est parce que son exposition correspond à un projet local.

En matière de pédagogie, le Louvre est en contact étroit avec plus de 10 000 enseignants. Autant dire que, si l’action pédagogique était fautive, ils seraient prompts à le faire savoir : 650 000 scolaires ne sont-ils pas accueillis chaque année au Louvre dans le cadre d’un parcours pédagogique ?

Les relations entre la RMN et les musées sont conflictuelles car les personnalités ne sont pas les mêmes : à la RMN, il y a de bons gestionnaires, et plutôt des intellectuels dans les musées. Les bons gestionnaires ne doivent pas empiéter sur le domaine des intellectuels ; or, ces derniers se plaignent de leur peu de poids dans les décisions prises qui les concernent. Le problème provient de ce qu’il n’y a pas de définition réelle de ce qu’est la Réunion des musées nationaux. Si, comme nous le proposons, tous les musées nationaux deviennent des établissements publics, l’approche sera différente. Cela dit, il faut refuser que la RMN se mette à gérer certains musées. Ce n’est pas son rôle : le pilotage revient au ministère.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. À nos collègues Alain Rodet et François Scellier, je rappelle que, lors de l’examen du projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales, le sénateur Pierre Fauchon avait présenté un excellent amendement permettant, à titre expérimental, le prêt des œuvres du Louvre aux musées de France relevant des collectivités territoriales. Cette mesure gagnerait à prendre de la vigueur – 35 000 œuvres sont exposées au musée du Louvre, dont les réserves contiennent environ 400 000 œuvres, certes de qualité inégale. Notre proposition 22, qui tend à instaurer un pilotage centralisé, devrait permettre une politique de prêts plus dynamique en faveur des musées de province. M. Loyrette nous a indiqué qu’un partenariat étroit existe déjà entre le Louvre et les musées d’Arles, de Castres, le musée des Beaux-Arts de Lyon et que, de plus, une collaboration est projetée notamment avec les musées d’Autun et de Reims.

M. Laurent Hénart nous a interrogés sur le budget de fonctionnement de l’antenne du Louvre à Lens. Quatorze millions environ sont prévus, dont la répartition entre les différents financeurs est analogue à celle retenue pour le budget d’investissement : 60 % par la région Nord-Pas-de-Calais, 10 % par le département du Pas-de-Calais, 10 % par la ville de Lens et la communauté d’agglomération Lens-Liévin, 20 % par des fonds européens reçus du FEDER.

M. Michel Bouvard souhaitait des précisions sur les acquisitions du Louvre. En quatre ans, 678 acquisitions ont été faites à titre onéreux et 14 œuvres sont entrées dans les collections par voie de dation – c’est assez peu, mais, par ailleurs, un grand effort est fait pour favoriser le mécénat.

S’agissant du pilotage, on sait que le ministère de la Culture revoit actuellement son organisation. Une nouvelle direction générale du Patrimoine doit être créée, ce qui va dans le sens de nos propositions.

M. Laurent Hénart. Des fonds FEDER peuvent-ils servir à financer un budget de fonctionnement ?

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Ces fonds sont prévus pour financer investissement et fonctionnement.

M. Jean-François Mancel. Il y a quelques années, j’ai déposé une proposition de loi qui m’a valu l’inimitié durable des conservateurs de musée, en effet bien conservateurs : je proposais que l’on puisse vendre les œuvres des collections nationales. J’entends que 35 000 œuvres sont exposées au Louvre mais que les réserves en contiennent 400 000, qui ne sont donc jamais vues. Il n’est évidemment pas question de vendre la Joconde, mais pourquoi ne pas envisager de vendre certaines œuvres pour en acheter d’autres ? Il y aurait là une possibilité de trouver des ressources supplémentaires pour les musées.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. C’est une fausse bonne idée car n’est en réalité vendable que ce que chaque musée souhaite conserver. Le reste ne l’est pas, ou s’il l’est, il ne rapportera pas grand-chose. À une époque, le musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg avait envisagé de mettre en vente des œuvres de ses collections qui avaient une valeur commerciale certaine. Ce projet avait suscité une levée de boucliers internationale.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Nous avons interrogé M. Loyrette sur la question de l’inaliénabilité des collections. Sa réponse, qui traduit notre sentiment à ce sujet, a été la suivante : « Nous sommes les héritiers d’une collection qui a été fondée en quelque sorte, comme je l’ai rappelé d’entrée, par les rois de France et, principalement, par François Ier à l’aube du XVIe siècle. La richesse, la profondeur, la densité des collections du musée du Louvre, comme celles d’autres musées, tient à cette histoire. Comme le disait Cézanne, on trouve tout, on comprend tout et on apprécie tout à travers les collections du musée du Louvre. L’État n’a jamais vendu le moindre trésor de cette collection. On doit souligner cette permanence de l’État au fil des siècles. Même la Révolution ne l’a pas fait. »

Ce serait porter atteinte à l’image de la France que de mettre en vente certaines des œuvres conservées au Louvre. Imaginez l’émoi si le musée Guggenheim procédait ainsi !

M. Jean-François Mancel. Mais il le fait !

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. S’il le fait, c’est parce que ses collections sont très récentes. Le poids de l’Histoire n’est pas celui que nous connaissons.

La Commission adopte les propositions de la MEC et autorise, en application de l'article 145 du Règlement, la publication du rapport sur le musée du Louvre.

M. le président Didier Migaud. Je transmettrai le rapport à Mme la ministre de la Culture et de la communication.

——fpfp——

I.– LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

4 février 2009

16 h 30 : MM. Henri LOYRETTE, président-directeur du musée du Louvre, et Didier SELLES, administrateur général, accompagnés de Mme Catherine SUEUR, administratrice générale adjointe, et M. Noël CORBIN, directeur juridique et financier

19 février 2009

11 heures : M. Guillaume BOUDY, secrétaire général du ministère de la Culture et de la communication et Mme Marie Christine LABOURDETTE, directrice des musées de France (DMF), accompagnée de Mme Marielle RICHE, secrétaire générale de la DMF

19 mars 2009

9 h 30 : Mme Marie-Cécile FOREST, directrice du musée national Gustave-Moreau, accompagnée de M. David BEN SI MOHAND, secrétaire général

10 h 30 : M. Thomas GRENON, administrateur général de la Réunion des musées nationaux (RMN), accompagné de Mme Élodie PERTHUISOT, administratrice générale adjointe, et de M. Franck BEAUGENDRE, directeur administratif et financier

31 mars 2009 : déplacement des Rapporteurs à Lille et Lens

11 heures M. Daniel PERCHERON, président du conseil régional Nord-Pas-de-Calais, M. Jérôme DARRAS, directeur de cabinet du président, M. Bernard MASSET, directeur général adjoint en charge des grands projets, M. Gilles PETTE, directeur de la coordination du projet Louvre-Lens, et M. Didier PERSONNE, directeur en charge des grands équipements

15 heures Mme CLIN, conseillère générale, directrice de cabinet de M. Guy DELCOURT, maire de Lens, et Mme Carole BOGAERT, directrice de l’aménagement du territoire

7 avril 2009

16 h 30 : M. Henri LOYRETTE, président-directeur du musée du Louvre, accompagné de M. Hervé BARBARET, administrateur général adjoint, Mme Catherine SUEUR, administratrice générale adjointe, et M. Noël CORBIN, directeur juridique et financier

9 avril 2009

10 h 00 : Mme Anne BALDASSARI, directrice du musée national Picasso, accompagnée de M. Fabien DOCAIGNE, secrétaire général

11 h 00 : M. Jean–Jacques AILLAGON, président de l’établissement public du musée et du domaine national de Versailles

14 h 30 : Mme Christine ALBANEL, ministre de la Culture et de la communication

Autres contributions

M. Rémi CARIEL, directeur du musée national Magnin, Dijon.

M. Thierry CREPIN–LEBLOND, directeur du musée national de la Renaissance, Écouen.

M. Patrick PÉRIN, directeur du musée d’Archéologie nationale, Saint-Germain-en-Laye.

Mme Elisabeth TABURET–DELAHAYE, directrice du musée national du Moyen Age, Paris.

II.– COMPTE RENDU DES AUDITIONS

Audition du 4 février 2009

À 16 h 30 : MM. Henri Loyrette, président-directeur du musée du Louvre, et Didier Selles, administrateur général.

Présidence de M. Georges Tron, puis de M. David Habib

M. Georges Tron, Président. Je vous souhaite la bienvenue à cette première audition de la mission d'évaluation et de contrôle relative au musée du Louvre. Le bureau de la commission des finances souhaitait travailler sur la politique des musées, comme l'avait proposé notre Rapporteur spécial, M. Perruchot. Eu égard à l'ampleur du sujet, il a été décidé d'examiner plus particulièrement le musée du Louvre, premier musée français et à ce titre porteur de problématiques nombreuses et variées qui intéressent l'ensemble de nos institutions muséales. Il a en outre souvent fait figure de précurseur, notamment en matière de modernisation de la gestion et de la gouvernance de nos musées. Ainsi, érigé en établissement public dès le 1er janvier 1993, il a, dix ans plus tard, initié la démarche de contractualisation avec le ministère de la Culture et de la communication via les contrats de performance pluriannuels. Le troisième de ces contrats de performance, couvrant la période 2009–2011, est en cours de préparation.

Aujourd’hui, le Louvre continue d'être à la pointe des changements et des innovations. La recherche de modes de financement originaux, via le mécénat notamment, l'ouverture à l'international, avec l'emblématique projet Louvre-Abou Dabi, le renforcement des actions de démocratisation culturelle constituent autant de preuves du dynamisme de cette institution.

Mais cela pose aussi toute une série de questions, et il était naturel qu’au seuil de ses travaux, la mission d’évaluation et de contrôle entende son président-directeur, M. Henri Loyrette, et son administrateur général, M. Didier Selles. Ils sont accompagnés Mme Catherine Sueur, administratrice générale adjointe, et de M. Noël Corbin, directeur juridique et financier.

Vous savez que la MEC a pour objet, de façon non partisane et en associant la commission des Finances et les autres commissions intéressées, de dégager des propositions consensuelles d'amélioration des politiques publiques.

Nos Rapporteurs sont les trois députés plus particulièrement chargés de suivre le budget de la mission Culture. Ce sont d'abord les deux Rapporteurs spéciaux de la commission des Finances, M. Nicolas Perruchot, chargé du programme Patrimoines, qui est à l'origine de cette mission, et M. Richard Dell'Agnola, chargé des programmes Création et Transmission des savoirs et démocratisation de la culture. M. Marcel Rogemont, Rapporteur pour avis de la mission Culture au nom de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales, nous fera également bénéficier de son expérience.

Je signale enfin que la Commission des Affaires étrangères, dont une mission d'information s'apprête à travailler sur la configuration géographique du réseau culturel et d'enseignement de la France, nous a fait savoir qu'elle suivrait nos auditions avec intérêt. À ce titre, je salue la présence de Mme Martine Aurillac. Je remercie également de leur présence les représentants de la troisième chambre de la Cour des comptes : MM. Noël Mayaud, président de section, Emmanuel Giannesini, conseiller référendaire, responsable du secteur « Culture », et Emmanuel Marcovitch, auditeur, qui fut le rapporteur d'un récent contrôle de la Cour sur le Louvre.

M. Henri Loyrette, Président-directeur du musée du Louvre. S’il est en effet un tout jeune établissement public, puisqu’il n’a ce statut que depuis 1993, le Louvre est aussi une institution bicentenaire, et l’une des difficultés qu’il a pu connaître dans le passé a été d’assurer la continuité avec la vocation historique de l’institution. Nous ne devons jamais oublier d’être fidèles à notre mission originelle, telle qu’elle a été définie par la Révolution et l’Empire, tout en ayant le souci constant de l’adapter au monde d’aujourd’hui.

C’est à cette histoire que le Louvre doit sa place dans le paysage des musées français. C’est en effet la Convention qui, en 1793, en a fait un « muséum central », seul dépositaire des œuvres insignes de la Nation et des collections des rois de France. Cette vocation universelle a été quelque peu amendée au fil du temps : ses collections s’arrêtent désormais en 1850, le musée d’Orsay et le musée national d’art moderne prenant ensuite la relève. Sur le plan géographique, si le Louvre a été véritablement universel jusqu’en 1945, l’universalité d’origine a été progressivement limitée et le Louvre est aujourd’hui « bordé » par le musée Guimet pour les arts d’Extrême-Orient et par le tout récent musée du Quai Branly pour les arts d’Afrique, d’Océanie et d’Amérique précolombienne.

Parmi ces cinq musées constituant le cœur des collections nationales, le Louvre reste le plus insigne. « Musée des musées » par l’ampleur de ses collections, symbole du musée universel et encyclopédique, il a constitué, tout au long du xixe et du xxe siècle le modèle de bien des institutions muséales dans le monde, telles que le Metropolitan Museum de New York.

Mais ce paysage muséal est inachevé, la solidarité des collections n’ayant pas forcément entraîné la solidarité des politiques. Cela pose la question du rôle de la tutelle. Si leur nouveau statut d’établissement public leur confère une très large autonomie, les musées nationaux ne sont pas pour autant indépendants : des questions telles que la gratuité, l’accessibilité aux publics, la tarification relèvent d’une politique nationale globale et de la tutelle. Celle-ci ne doit pas être une férule tatillonne, mais une tutelle stratégique, définissant les grandes lignes de la politique nationale en matière de musées.

Le musée du Louvre est donc autonome et non pas indépendant. Cette autonomie peut sans doute être encore améliorée. Il conviendrait notamment de renforcer le rôle des personnalités qualifiées au sein du conseil d’administration. Cette autonomie se traduit également dans son financement. À mon arrivée à la tête du musée, il y a huit ans, son budget, qui était alors de 80 millions d’euros, était assuré à 70 % par l’État ; aujourd’hui, l’État n’assure que 47 % d’un budget de 230 millions d’euros, 53 % provenant de ses ressources propres et du mécénat.

Le Louvre s’inscrit également dans un paysage international en constante évolution, marqué par la hardiesse de certaines initiatives, comme celles du musée Guggenheim de New York, la place de plus en plus importante des expositions temporaires et l’intensification des échanges entre musées. Aujourd’hui, ce ne sont plus seulement les collections du musée qui sont sollicitées, mais aussi son expertise, muséale, muséographique, architecturale, en matière de restauration ou de conservation préventive, le Louvre jouant le rôle d’un véritable conservatoire des métiers.

C’est dans ce contexte qu’il s’agit de repenser les missions fondatrices de cette grande institution nationale. La première question qui se pose à elle est celle de l’accessibilité. Le musée n’est plus seulement un lieu artistique réservé à une élite cultivée : c’est aussi une institution ayant une vocation éducative et sociale. Cet objectif ne doit donc pas s’entendre seulement en termes d’accessibilité physique, quoique nous fassions beaucoup d’efforts dans ce domaine – il ne faut pas oublier que le Louvre est aussi un palais ! Il s’agit plus fondamentalement de donner accès à des collections difficiles et érudites à un public nombreux et versatile, de plus en plus éloigné des connaissances historiques, mythologiques ou religieuses nécessaires à la compréhension des œuvres.

Il convient également de repenser la dimension nationale du musée. Le Louvre n’est pas un musée parisien, mais une institution au service de l’ensemble de la Nation : c’est sa « part sacrée », selon les mots de Chaptal. Cette mission ne saurait se réduire, comme par le passé, à l’envoi de dépôts aux musées de province. Nous essayons aujourd’hui de renouveler cette mission fondamentale, notamment à travers le projet emblématique « Louvre-Lens ».

Le rôle international du musée est tout autant à repenser, à l’heure de la mondialisation. Conçu dès l’origine comme un projet encyclopédique, héritage des Lumières, il a vocation à s’intéresser à tous les domaines et à toutes les civilisations. C’est pourquoi nous nous efforçons de faire leur place à des territoires et des civilisations jusqu’ici négligés, tels le Soudan, l’Asie centrale, la Russie ou l’Amérique latine. Le projet d’Abou Dabi est emblématique du renouveau de cette politique, mais nous avons également le souci de renouveler nos collaborations avec nos partenaires traditionnels, la Syrie, l’Égypte, l’Iran, à travers notamment des missions d’assistance technique.

Telle est la problématique fondamentale du Louvre : concilier la fidélité à notre mission initiale tout en la renouvelant, afin que le Louvre soit « à l’aise dans son époque », pour reprendre la belle expression de Zola.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. La mission d’évaluation et de contrôle s’est assigné comme objectif de vous accompagner dans votre réflexion stratégique sur le rôle et la place du Louvre dans le champ culturel français et international, conformément à sa vocation universelle. Tirant profit notamment du travail très important de la Cour des comptes en la matière, nous nous efforcerons d’aller au fond des problèmes, au regard notamment des enjeux de la politique culturelle.

Je commencerai par vous interroger sur vos relations avec la tutelle, sujet qui me tient particulièrement à cœur tant ces relations sont cruciales. On a parfois le sentiment que vous ne partagez pas toujours la même appréhension des enjeux et de la stratégie nécessaire à la réussite de votre projet.

Qu’attendez-vous de la réorganisation de la direction des Musées de France, la DMF, prônée par le Conseil de modernisation des politiques publiques et comportant notamment la création d’une direction des patrimoines, afin de recentrer l’administration centrale sur ses missions prospectives, de supprimer les doublons et de rationaliser les fonctions support ?

J’aimerais également connaître votre point de vue sur les relations du Louvre avec la Réunion des musées nationaux, la RMN. L’autonomie progressivement acquise par rapport à la RMN est-elle une évolution spécifique au Louvre, autorisée par sa taille et son importance, ou pourrait-elle bénéficier à d’autres institutions muséales ?

M. Henri Loyrette. Je répète que l’autonomie n’est pas l’indépendance : étant donnée la solidarité des collections nationales, le Louvre ne saurait s’isoler de l’ensemble des musées nationaux. Dans le passé, nous avons entretenu avec notre tutelle des rapports mitigés, mais qui n’étaient pas entièrement négatifs. À partir de 2003, le contrat d’objectifs et de moyens non seulement a favorisé notre autonomie, mais nous a permis d’entretenir d’excellents rapports avec la tutelle. Nous ne pouvons que nous réjouir du modèle de tutelle préconisé par la revue générale des politiques publiques : non une férule tatillonne, mais une tutelle véritablement stratégique, qui indique aux établissements les grandes orientations, des questions telles que celles de l’unité des collections nationales, de l’inaliénabilité ou de la tarification devant être pensées au niveau national.

La RMN traduit un paysage muséal ancien : la nouvelle autonomie que le statut d’établissement public a donnée aux grands musées nationaux a rendu caduc ce système de fédération mutualiste. La réponse que l’État apportera au problème posé par certaines institutions, telles que le musée de Cluny, qui ne sont pas des établissements publics alors qu’elles ont atteint la taille critique, décidera du sort de la RMN. Il faudra aussi résoudre les questions de la filialisation des boutiques de la RMN, de la gestion de la propriété des fonds photographiques ou encore du Grand Palais, dont les expositions, tributaires des grands musées, souffrent d’une organisation quelque peu erratique.

La RMN ne doit certes pas devenir la RPMN, la « Réunion des petits musées nationaux », mais retrouver une véritable vocation. L’État doit tenir compte de l’évolution du paysage muséal et ne pas laisser subsister un « entre-deux » insatisfaisant et générateur de tensions et de frustrations. Je plaide, pour ma part, en faveur d’une autonomie grandissante des musées nationaux. Une solution serait de réunir les établissements dont la vocation est voisine, sur le modèle du rattachement du musée de l’Orangerie au musée d’Orsay.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Quel avenir voyez-vous donc pour la RMN ?

M. Henri Loyrette. Je n’en vois pas vraiment. C’est l’État qui doit devenir le « mutualisateur » des musées nationaux. Les questions de personnels ne sont pas négligeables, mais on ne peut pas renforcer l’autonomie de ces établissements sans leur donner des moyens supplémentaires. La situation complètement infantilisante dans laquelle on laisse aujourd’hui des établissements aussi importants que le musée national du Moyen âge ou le musée national de la Renaissance ne peut pas durer.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Vous plaidez donc pour une organisation « en archipel » autour des musées les plus importants ?

M. Henri Loyrette. Non : je préconise simplement le rattachement pour les petits établissements, et le statut d’établissement public pour les musées qui ont atteint la taille critique, tels Cluny ou Écouen.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Quelle est aujourd’hui la « valeur ajoutée » de la RMN ?

M. Henri Loyrette. La RMN joue un rôle dans l’exécution de certains métiers que nous ne possédons pas, tels que la gestion des produits dérivés. En revanche, l’organisation des expositions temporaires pour le compte du musée du Louvre donnait lieu à des absurdités : alors même que celles-ci étaient organisées par le Louvre, les demandes de prêt devaient passer par la RMN. La politique éditoriale donnait lieu au même genre de tracasseries. Et encore le Louvre a-t-il une plus grande autonomie par rapport à RMN que les autres établissements publics. Or la RMN n’offre pas de compétences spécifiques dans ces domaines.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. La politique de contractualisation et de pilotage des musées par la performance s’est intensifiée en 2007, le ministère ayant signé des contrats de performance avec le Quai Branly, Orsay et Versailles. Quels enseignements tirez-vous de cette dynamique de contractualisation ? Quelles améliorations peuvent-elles être apportées ? La contractualisation peut-elle être généralisée, ou doit-on la réserver à des établissements d’une certaine envergure ?

M. Henri Loyrette. Le Louvre est pionnier en la matière, depuis la signature du premier contrat d’objectifs et de moyens. La contractualisation s’est révélée bénéfique pour le musée, et dans ses rapports avec la tutelle, et sur le plan des résultats. Elle a également introduit de la cohésion dans une institution jusqu’alors atomisée, en la dotant d’un projet scientifique et culturel unique – je rappelle qu’avant 1993 le Louvre était dépourvu d’une direction unique et divisé en sept départements vivant quasiment en autarcie.

De tels contrats permettent de responsabiliser l’opérateur, par une définition commune des objectifs et des moyens nécessaires à leur mise en œuvre, ainsi que par une évaluation régulière des performances de l’établissement. Les résultats atteints par le Louvre depuis 2003 – tels qu’un taux d’ouverture des salles passé de 74 % en 2001 à 90 %, ou le développement d’une véritable politique nationale et internationale – sont à mettre au crédit du contrat d’objectifs et de moyens.

M. Georges Tron, Président. Quels sont les critères d’évaluation ?

M. Henri Loyrette. Le contrat nous assignait des objectifs très clairs et tout à fait mesurables, comme la proportion des jeunes dans la fréquentation – aujourd’hui près de 40 % des visiteurs du Louvre ont moins de 26 ans – le taux d’ouverture des salles ou le taux de satisfaction du public. L’évaluation est plus complexe dans des domaines comme la recherche scientifique, également visée par le contrat de performance. Les indicateurs que nous élaborons en accord avec la tutelle pourront s’appliquer à l’ensemble des musées nationaux.

M. Georges Tron, Président. Les performances financières et administratives sont-elles également évaluées, et selon quels critères ?

M. Didier Selles, Administrateur général du musée du Louvre. La modernisation et l’optimisation de la gestion du musée sont le quatrième axe tracé par les deux contrats de performance – les CP – qui ont été signés par le ministre de la Culture, le ministre du Budget et le président du Louvre. Le premier CP comportait une quarantaine d’indicateurs définis en commun accord avec la tutelle. Tirant les leçons du renforcement de la direction du Louvre, le deuxième mettait davantage l’accent sur la politique scientifique et culturelle, dont le prochain CP devrait permettre l’évaluation. C’est le Louvre qui, par un dialogue avec sa tutelle, va créer des outils d’évaluation jusqu’ici inexistants au niveau national.

La modernisation de la gestion est évaluée par de nombreux indicateurs, tels que le taux d’absentéisme des agents, le nombre d’agents nécessaires pour chaque poste, ou le taux d’autofinancement du musée, qui a considérablement progressé : les ressources propres du musée ont doublé depuis six ans, et nous avons multiplié par dix les ressources provenant du mécénat, dont le montant, grâce aux versements exceptionnels liés au projet d’Abou Dabi, a pu atteindre entre 35 et 40 millions d’euros.

Nous avons également pris des engagements très importants en matière de ressources humaines : dès l’année 2003, l’établissement a financé sur ses ressources propres la totalité du glissement vieillesse technicité des titulaires ; les ressources propres du musée ont également financé les deux tiers des soixante emplois prévus par le deuxième CP.

Ce contrat s’est accompagné de la négociation par le musée du Louvre d’un projet social. Cet accord a permis de mettre fin aux piquets de grève qui pouvaient auparavant bloquer le musée pendant plusieurs semaines et, par exemple, le Louvre était ouvert durant le mouvement national de grève du 29 janvier dernier. Nous avons également instauré au bénéfice de l’ensemble du personnel une prime de rendement, calculée sur la base de critères tels que le taux de fréquentation, le niveau des ressources propres, la satisfaction du public ou le nombre d’heures d’ouverture au public.

Le contrat de performance est un document très précis, et la performance peut être évaluée chaque année par l’inspection générale du ministère ou un auditeur extérieur.

M. Georges Tron, Président. Souhaitez-vous dire un mot d’autres aspects des contrats de performance, en particulier, des dépenses de logistique immobilière ?

M. Didier Selles. Je précise auparavant que les engagements de moyens étaient réciproques : ces moyens étaient apportés non seulement par l’État mais aussi par le Louvre, notamment dans le développement de ses ressources propres ; ils ne sont pas uniquement humains et financiers mais se déclinent également en marges de manœuvre supplémentaires. Le Louvre a été le premier établissement public administratif du ministère à bénéficier de la déconcentration de la gestion du personnel. La Bibliothèque nationale de France – la BNF – l’a suivi l’an dernier. C’est très important : avant, nous n’étions pas considérés comme des interlocuteurs crédibles par les agents et par les organisations syndicales du musée. Tout se réglait au ministère et nous apprenions par les syndicats les décisions qui avaient été prises. Aujourd’hui, nous traitons directement avec ces derniers. Les projets sociaux que nous avons signés sont la garantie d’une dynamique interne et d’un bon dialogue permettant d’atteindre les objectifs qui nous sont fixés.

Il est important de développer l’autonomie de la quasi-totalité des musées nationaux. Le musée Picasso, dont la directrice est pourtant très dynamique, ne gère ni les agents de surveillance, qui dépendent de la Direction des musées de France, ni les agents d’accueil, ni les caissiers, ni le libraire, qui dépendent de la Réunion des musées nationaux. La directrice ne gère que sa secrétaire et un secrétaire général, qu’elle a depuis quinze ans. Les personnes travaillant à la RMN au développement du mécénat ou à l’organisation de sessions de ressources humaines trouveraient tout à fait leur place dans les musées dotés d’une nouvelle autonomie. Cette dernière ne nécessiterait pas des créations d’emplois. Il suffirait d’opérer un transfert de la RMN vers les nouveaux établissements.

La politique immobilière est un autre exemple du manque de stratégie de l’État. Quand le musée du Louvre a bénéficié du programme « Grand Louvre », on a tout simplement oublié les espaces de services. Si des préfabriqués ont enlaidi pendant quinze ans le jardin du Carrousel – ils n’ont été retirés qu’il y a deux ans –, c’était pour abriter des services comme le département des antiquités orientales, le département des arts de l’Islam et les services techniques. En 2002, nous avons élaboré un plan de schéma directeur des espaces tertiaires, qui a été exécuté, avec l’accord de nos tutelles, sur plusieurs années, en fonction des possibilités qui se présentaient dans l’environnement direct du musée du Louvre. Ainsi, nous avons été autorisés, en 2005, à acheter un immeuble situé juste à côté du Louvre des Antiquaires, rue de Rivoli, mais il nous a manqué 3 millions d’euros car le service des domaines avait plafonné la dépense et nous n’en sommes aujourd’hui que locataires…

Le musée a aujourd’hui achevé la mise en œuvre de son schéma directeur des espaces. L’ensemble des services a trouvé place dans des locaux tertiaires, mais avec des normes bien inférieures à celles préconisées par le code du travail, c’est-à-dire 8 à 9 mètres carrés par agent, au lieu de 12.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. La gestion des ressources humaines du musée du Louvre fait beaucoup de jaloux. Ce n’est plus le cas de la BNF, depuis l’an dernier, mais tous les musées rêvent de copier ce modèle, non par caprice mais parce que les résultats que vous présentez sont éloquents. Ils devraient ouvrir les yeux de la tutelle sur la nécessité de prendre rapidement les décisions permettant aux autres musées de se développer correctement.

Votre gestion des ressources humaines se rapproche de celle d’une entreprise. Pensez-vous qu’il y ait une « masse critique » en dessous de laquelle cette autonomie de gestion ne peut être pratiquée ou, au contraire, que ce modèle peut être copié quelle que soit la taille de l’établissement public ?

Vous avez aussi une gestion des carrières assez exemplaire, ainsi, vous versez une prime de 240 euros en fonction des performances. Pensez-vous que ce modèle soit exportable et dans quelle mesure ?

Pouvez-vous également préciser votre politique d’intéressement ? Utilisez-vous d’autres moyens que les primes pour associer le personnel à l’effort collectif que vous demandez depuis plusieurs années et qui, manifestement, porte des fruits ?

M. Henri Loyrette. Le musée du Louvre a encore des efforts à faire en matière de gestion des ressources humaines, notamment de déconcentration. Des commissions administratives paritaires locales pourraient par exemple émettre des avis sur les mutations les détachements.

M. Didier Selles. L’organisation des concours est aussi à améliorer. Le musée du Louvre a essentiellement des corps de fonctionnaires – ce dont nous sommes très satisfaits – dont la charge de travail est plus élevée, avec 8,5 millions de visiteurs, que dans un musée qui en accueille douze par jour. Or, nous sommes totalement tributaires du ministère quant à l’organisation des concours.

Il y a cinq ans, nous avons obtenu l’autorisation de recruter directement les agents de surveillance, ce qui nous a permis de modifier complètement leur mode de recrutement. Une sélection fondée uniquement sur un concours très scolaire faisait entrer des gens qui, une fois dans les salles du musée, étaient incapables de gérer des situations de risque ou de mise en cause de la sécurité. Nous avons décidé de recruter des gens moins diplômés mais ayant une expérience professionnelle prouvant qu’ils sont capables de gérer des situations exceptionnelles.

Nous souhaitons pouvoir élargir cette possibilité à d’autres catégories de personnel.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Dans le dialogue que vous avez avec la tutelle, sentez-vous une ouverture en ce sens ?

M. Didier Selles. Aucune pour l’instant.

Pour ce qui est des rémunérations, nous sommes actuellement dans l’impossibilité, en dehors des règles statutaires de chaque corps, d’attribuer des primes aux agents particulièrement méritants, notamment dans les nouvelles fonctions de mécénat orientées vers la production culturelle : édition, exposition. Cela entraîne, d’ailleurs, un important turn over. Un chargé de mission mécénat passé par HEC ou Normale Sup, est payé 1 700 euros quand il arrive. Au bout de trois ans, après avoir aidé à récupérer 10 millions d’euros, il va inévitablement exercer ses talents ailleurs, ce qui nous oblige à recommencer à former du personnel. Le mérite n’est pas valorisé.

La rémunération d’un responsable d’établissement n’est pas décidée par le président du musée mais par le ministre du Budget. Pour obtenir une augmentation, il faut en faire la demande au ministre de la Culture, qui la transmet à son collègue du Budget, et attendre que ce dernier réponde. Cela peut prendre des années. Au musée du Louvre, il existe une très grande disparité entre les traitements des directeurs car chacun est payé suivant son corps d’origine. Le directeur de la surveillance, qui encadre à peu près 1 200 personnes, a un salaire d’environ 3 000 euros, à 52 ans – et encore parce que nous avons négocié une augmentation exceptionnelle avec le contrôleur financier – alors qu’un directeur ancien gagne plutôt 4 500 euros. Ce ne sont pas des salaires très attractifs. On voit là que le personnel reste très attaché au service public.

Oui, les établissements publics doivent pouvoir jouir d’une plus large autonomie de gestion du personnel. Il existe certainement une taille critique. Est-ce en dessous de quarante ou cinquante agents, je ne saurais le dire. Il faut savoir que les musées nationaux ne sont que trente, de tailles diverses. Tous les musées de région n’entrent pas dans cette catégorie. Une vingtaine de musées pourraient bénéficier du statut d’établissement public.

Cette déconcentration et cette autonomie de gestion doivent s’accompagner d’un contrat de performance avec l’État fixant les priorités à atteindre, sur la base desquelles sera évaluée la gestion de l’établissement. Les contrats de performance doivent donc être généralisés mais dans une plus grande cohérence car des établissements publics sont actuellement jugés sur des résultats contraires. Par exemple, il est demandé au musée du Louvre, dont l’auditorium accueille à peu près 75 000 visiteurs par an, d’en tirer la recette la plus élevée possible tandis qu’on demande à un autre établissement d’augmenter la fréquentation du sien, ce qui l’incite à proposer des places gratuites. Ces logiques divergentes empêchent la tutelle d’être pleinement stratège et pilote.

Enfin, le dispositif d’intéressement joue beaucoup dans la perception qu’ont les agents du travail qu’ils effectuent car cela le valorise. La prime de fin d’année de 240 euros n’est pas négligeable pour les agents de surveillance et d’accueil, qui touchent des salaires de l’ordre de 1 500 euros.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Pensez-vous que la réorganisation d’une grande direction générale au sein du ministère peut faire évoluer les choses ?

M. Henri Loyrette. C’est le but visé à la fois par la LOLF et par la RGPP.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Il n’y a aucune certitude quant au résultat ?

M. Henri Loyrette. Pour l’instant, il n’y a pas de changement.

M. Didier Selles. C’est une couche supplémentaire par rapport aux directions existantes.

M. Henri Loyrette. Nous avons maintenant un directeur des musées de France mais nous ne savons pas par qui il est chapeauté.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. La limitation du nombre de fonctionnaires vous gêne-t-elle pour recruter ? Avez-vous tendance à faire appel à plus de contractuels ?

M. Didier Selles. Cette question est pertinente. D’une part, l’absence d’organisation de concours fait que, même si vous avez des postes à pourvoir, vous ne pouvez pas recruter. C’est actuellement le cas dans les filières techniques du musée. D’autre part, les compétences demandées pour certains concours sont complètement déconnectées de celles dont ont besoin les musées. C’est le cas pour les conservateurs. Le Louvre compte huit des quinze départements patrimoniaux français. Or les départements archéologiques attendent en vain qu’on leur fournisse des spécialistes des antiquités orientales, grecques, étrusques et romaines. De plus, depuis huit ans, il n’y a aucun contact entre la Direction des musées de France et le Louvre et, j’imagine, les autres musées nationaux. On affectera un sortant spécialiste des antiquités égyptiennes au musée de Cluny parce qu’un poste y est libre. Il risque d’attendre ensuite cinq ans pour revenir au Louvre.

Le Louvre emploie environ 400 contractuels sur quelque 1 400 titulaires, le reste étant des vacataires liés notamment à la saisonnalité des activités du musée. De nombreux contractuels occupent des fonctions administratives, financières et juridiques qui devraient être tenues par des titulaires. Les concours visent, en effet, en priorité à pourvoir les postes d’agents de l’administration centrale, lesquels bénéficient de primes supplémentaires par rapport aux agents des services déconcentrés – et le Louvre est considéré comme un service déconcentré. Du coup, tout le monde reste au ministère puisqu’il y a un écart d’environ 400 euros quand on traverse la rue de Rivoli.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Vous menez une politique de mécénat très active. Combien de personnes s’en occupent-elles aujourd’hui ? Sont-elles suffisamment nombreuses ?

M. Henri Loyrette. Actuellement, vingt-deux personnes s’occupent du mécénat. Elles étaient quatre au départ. Bien que ce soit un travail considérable, je considère que ce nombre est suffisant, d’autant que le fonds de dotation est un nouveau pilier de cette action.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Une bonne partie de vos fonctions, monsieur Loyrette, s’exerce dans ce domaine.

M. Henri Loyrette. C’est exact et je les exerce avec beaucoup de plaisir et d’intérêt. Le mécénat n’est pas qu’une question d’argent. C’est aussi un soutien apporté par la société civile à un musée. Sa vocation a considérablement changé au fil des ans : lors de ses balbutiements, le mécénat semblait résulter du caprice d’un patron et était pratiquement vécu à l’intérieur de l’entreprise comme du blanchiment d’argent ! On ne comprenait pas ce que les entreprises avaient à se reprocher pour venir dans cette grande institution culturelle. C’est devenu, on le voit avec nos partenaires fidèles – Total, Axa –, un projet d’entreprise. Les contreparties que nous offrons, notamment, la gratuité d’accès au musée, pour une durée fixée, permet de fidéliser un public. C’est un point méconnu qu’il convient de souligner.

M. Georges Tron, Président. Avant que je ne sois contraint de vous quitter, j’aimerais revenir sur la question immobilière. Quel est l’état d’avancement du recensement de l’immobilier de l’établissement ? Quelle a été la politique immobilière de prise à bail de ces dernières semaines ou de ces derniers mois ?

Par ailleurs, quelles relations entretient le musée avec, d’une part, la tutelle et, d’autre part, les domaines ? Quelles sont les raisons pour lesquelles un arbitrage conclut à une acquisition ou à une prise de bail ? Quelles sont les raisons qui conduisent, quand on prend à bail, de le faire plutôt ici qu’ailleurs ? Quelles sont les dernières opérations réalisées à ce titre ? À quel coût ont-elles été tranchées ? Pourquoi l’ont-elles été de cette façon ?

M. Jean-Louis Dumont. Deux questions complémentaires. Premièrement, quelle est l’utilisation de l’immobilier actuel ? Les espaces et les volumes sont-ils complètement occupés ? Deuxièmement, quels types de services ont éventuellement besoin de locaux ? Doivent-ils être à proximité ? Beaucoup de locaux de l’État ont été libérés dans le secteur ces derniers temps ? En quoi ne répondent-ils pas aux besoins ?

M. Yves Deniaud. Toujours sur ce sujet : comme à tous les opérateurs de l’État, il est demandé au musée du Louvre de fournir un état complet et détaillé des emprises immobilières. Ce travail est-il terminé ? Dans ce cas, il serait utile que la MEC dispose de ces informations. Si ce travail est en cours, quand sera-t-il terminé et transmis à France Domaine et au ministère du budget ?

En dehors du Palais du Louvre, de quels autres locaux disposez-vous ? Quels sont ceux dont vous auriez éventuellement besoin ? Une implantation à proximité du Palais est-elle vraiment nécessaire ?

M. Henri Loyrette. Les deux problèmes fondamentaux auxquels nous sommes confrontés sont, d’une part, que le Louvre est un palais malcommode pour l’aménagement de bureaux, d’autre part, qu’il n’est pas une administration, mais une maison, ce qui rend très importantes la proximité et la cohésion du personnel qui y travaille.

M. Didier Selles. C’est à la mi-février que nous transmettrons au ministère du Budget les informations requises.

Le musée conduit sa politique immobilière en étroite liaison avec ses tutelles, notamment avec l’administration générale du ministère et la direction du Budget. En 2002, nous avons présenté au conseil d’administration un schéma directeur des espaces tertiaires qui détaillait les besoins en espaces tertiaires par rapport aux espaces occupés et aux effectifs prévisionnels de l’établissement. C’est dans ce cadre que l’ensemble des décisions ont été prises – à l’unanimité à l’exception de la dernière, pour laquelle le représentant du Budget s’est abstenu, et qui portait sur l’allocation au Louvre des Antiquaires de 1 316 m2. Nous avons été soutenus par le ministère de la Culture et de la communication qui a demandé un arbitrage au cabinet du Premier ministre. Nous avons toujours eu d’excellentes relations avec le service des domaines. Je me suis moi-même entretenu avec le directeur général des Finances publiques, M. Parini à plusieurs reprises au téléphone.

M. Georges Tron, Président. Vous l’aurez compris, ce sujet nous tient particulièrement à cœur. Il y a eu une abstention au conseil d’administration du Louvre mais vous avez eu une voix positive du ministère de la Culture.

M. Didier Selles. Tout à fait et nous avons bénéficié d’un arbitrage du cabinet du Premier ministre, en date du 28 février.

Les services instructeurs de Paris ont été présents tout au long de la négociation – difficile compte tenu des prix initiaux – avec le centre d’affaires du Louvre des Antiquaires. L’avis donné par le receveur général des finances a été favorable sur les conditions financières mais négatif par rapport à la politique immobilière de l’État, critère introduit en 2007 dans l’appréciation de ce type de dossiers. S’en est suivie entre le ministère de la Culture et le ministère du Budget une discussion sur la cohérence de cette location avec la politique immobilière de l’État qui a abouti, après la réunion qui s’est tenue à Matignon, à un projet de prise à bail de l’établissement public du musée du Louvre.

Ce dernier a obtenu des conditions financières extrêmement favorables – six mois de franchise et la prise en charge des travaux, y compris ceux d’installation dans les locaux, par la société qui gère le centre d’affaires du Louvre. Comme cela nous avait été demandé par le receveur général des finances, nous avons affiché, en contrepartie, la suppression de 1 316 m2, notamment par l’abandon de bâtiments préfabriqués à hauteur de 630 m2, par le déménagement des services situés en infrastructure – c’est-à-dire sans lumière naturelle dans les sous-sols du musée du Louvre – correspondant à vingt agents et à 200 m2. Cela a eu pour conséquence d’améliorer le ratio de mètres carrés par agent, qui n’était alors que de 7 m2. Tous ces éléments ont été fournis par le ministère de la Culture au cabinet du Premier ministre.

M. Georges Tron, Président. À quel montant l’opération revient-elle par mètre carré ?

M. Didier Selles. À 530 euros par mètre carré, suivant le calcul effectué par le service des missions domaniales, qui conclut que les conditions financières convenues peuvent être acceptées.

M. Georges Tron, Président. Quel est le ratio de mètres carrés par agent ?

M. Didier Selles. Il est maintenant de l’ordre de 9 m2 par agent. Je pourrai vous le confirmer plus précisément.

M. Yves Deniaud. Les conditions paraissent favorables, notamment les six mois de franchise.

M. Didier Selles. C’est assez classique dans ce type de négociation.

M. Yves Deniaud. Ces conditions sont-elles plus favorables que celles qui étaient proposées au ministre de la Culture lui-même quand il voulait louer les mêmes locaux et que le Conseil de l’immobilier de l’État s’y est opposé ?

M. Didier Selles. Je suis ignorant en la matière.

M. Georges Tron, Président. Une opération a été soumise au Conseil de l’immobilier de l’État, où MM. Dumont, Deniaud et moi-même siégeons. Le ministère de la Culture était très désireux de prendre à bail des mètres carrés dans la rue des Bons Enfants. Après étude du dossier, nous avons considéré que France Domaine pouvait proposer d’autres solutions. À l’issue d’un bras de fer mémorable, le ministère de la Culture est finalement allé s’installer rue Beaubourg. Les prix présentés à l’époque étaient le double de ceux que vous indiquez et le ratio de mètres carrés par agent était assez différent. Dans le cadre des missions de la MEC, nous nous sommes interrogés sur la façon dont un opérateur du ministère de la Culture a pu prendre la succession quasiment immédiate du ministère lui-même sur un emplacement que nous avions justement souhaité qu’il ne prenne pas. Vous nous apportez des éléments intéressants.

M. Didier Selles. Nous avons appris après que la direction de la Musique, de la danse, du théâtre et des spectacles souhaitait louer dans le même immeuble mais il ne s’agissait pas des mêmes espaces.

M. Georges Tron, Président. La prise à bail était-elle plus intéressante que la recherche d’une acquisition, fût-elle un peu déconcentrée ?

M. Didier Selles. Nous étions alors dans une période – 2005 – où les prix immobiliers avaient considérablement augmenté par rapport au projet d’acquisition initial. Nous souhaitions acheter un immeuble situé le long de la rue de Marengo et de la rue de Rivoli où nous louons aujourd’hui des espaces. Le service des domaines avait fixé le plafond de dépense à 40 millions d’euros. Morgan Stanley l’a acheté 43 millions. Nous avons perdu là une occasion : après avoir remboursé l’emprunt en vingt-cinq ans, nous aurions été propriétaire.

M. Georges Tron, Président. Sur le plan de la méthodologie, est-ce vous qui avez négocié ou êtes-vous passés par France Domaine ?

M. Didier Selles. Nous avons négocié tout seuls mais toujours en lien avec les services instructeurs et France Domaine, dont je peux montrer les mails.

M. Georges Tron, Président. Est-ce vous qui avez choisi l’emplacement…

M. Didier Selles. Oui.

M. Georges Tron, Président. …et qui avez négocié ensuite ?

M. Didier Selles. Oui.

M. Georges Tron, Président. France Domaine ne vous a jamais dit que c’était sa mission ?

M. Didier Selles. Pas du tout. J’ai eu un jour M. Dubost au téléphone qui m’a proposé comme autre solution de louer quelques mètres carrés rue de Bercy dans l’immeuble que la RMN a acheté l’année dernière pour environ 60 millions d’euros. Louer rue de Bercy au sein de la RMN ne correspondait pas du tout à nos besoins, d’autant que nous avions obtenu des conditions favorables pour l’emplacement que nous briguions.

C’est le service juridique et financier du Louvre, sous la direction du prédécesseur de Noël Corbin, qui a négocié, mais en lien direct avec le service instructeur de France Domaine pour Paris. Nous avons toujours procédé ainsi. Nous demandons ensuite l’avis de France Domaine, que nous suivons toujours.

M. Georges Tron, Président. Si je comprends l’intérêt de l’opération, celle-ci soulève par rapport à la politique immobilière de l’État quelques questions qui, pour être éclaircies, nécessiteront une audition de la tutelle et de France Domaine. Je vous demanderai de bien vouloir nous transmettre à cet effet tous les éléments concernant cette opération.

(M. David Habib remplace M. Georges Tron à la présidence de la MEC)

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Nous allons maintenant évoquer les financements. Ceux-ci se regroupent sous quatre têtes de chapitres : le recensement de l’immobilier, le mécénat, le budget du Louvre et le fonds de dotation.

M. Loyrette a indiqué qu’il avait multiplié par deux les recettes propres et par dix le mécénat. Les effets de la crise sont-ils à redouter quant au volume de fréquentation du Louvre ? Le cas échéant, êtes-vous en mesure d’estimer l’impact qu’aurait une baisse de la fréquentation sur la situation financière du musée ? Par ailleurs, la gratuité ne risque-t-elle pas d’ajouter à la fragilité du budget ?

En matière de mécénat, quel est le poids du Louvre par rapport aux autres institutions muséales internationales ? La concurrence est-elle forte ou le marché est-il ouvert ? Offre-t-il encore des marges de progression ?

Le mécénat culturel est de plus en plus concurrencé par le mécénat sportif, humanitaire ou écologique. Le nombre de mécènes potentiels n’est-il pas trop restreint ? Si l’on compte plusieurs grandes entreprises, comme Total ou de riches donateurs, peu de PME s’impliquent.

Quels intérêts les mécènes retirent-ils de ces opérations ? Faut-il développer davantage ce mode de financement ? De quelle manière ?

Jusqu’où peut-on aller raisonnablement dans l’incitation fiscale au mécénat ? Sachant qu’un grand nombre de niches fiscales contrevient à l’équité devant l’impôt.

Le mécénat n’accentue-t-il pas la différence en termes de financement et, partant, en termes d’offre culturelle, entre les grands musées, qui ont les moyens d’y faire appel, et les musées plus modestes qui n’ont pas la même force de frappe ?

Le 4 février 2008, la ministre de la Culture annonçait la création du fonds de dotation. Comment en seront assurés la gouvernance et le pilotage ? Comment fera-t-on fructifier les fonds ? Qui décidera des placements ? Sur quelle base ? Qui les contrôlera ?

Outre les ressources tirées du projet Abou Dabi que l’on cerne bien aujourd’hui, d’où proviendront les fonds ? Dans un contexte de crise économique et financière, ce mode de financement sera-t-il pérenne ? N’est-il pas exagérément aléatoire et risqué ? Quels enseignements peut-on tirer des comparaisons internationales à ce sujet ?

M. Henri Loyrette. Le Louvre a connu une hausse spectaculaire de la fréquentation entre 2001 et 2008 : + 67 %. Aucune institution culturelle au monde ne peut se vanter d’une telle embellie. Nous sommes ainsi passés d’un étiage de 5 millions de visiteurs à plus de 8 millions.

L’année dernière, nous avons connu un record de fréquentation, dû à un bon maintien de la fréquentation des collections permanentes accompagné d’une embellie spectaculaire de la fréquentation des expositions temporaires, notamment de celles consacrées à Babylone et à Mantegna qui ont connu un très grand succès public.

Cela étant, nous voyons depuis quelques mois, du fait de la crise, une tendance à la baisse de la fréquentation des collections permanentes, fréquentation qui est due majoritairement à un public étranger : 70 % contre 30 % de Français. Les proportions sont inverses pour les collections temporaires qui touchent plus un public de proximité. Nous avons constaté, dans les derniers mois de 2008 et dans les premiers mois de 2009, une baisse de l’ordre de 3 % de la fréquentation des collections permanentes. On peut, dès lors, s’interroger sur la suite des événements.

On a noté une baisse de la fréquentation américaine alors que j’ai coutume de dire que le Louvre est le second musée américain dans le monde, juste après le Metropolitan Museum of Art de New York. C’est un public extrêmement régulier et fidèle. On voit que l’impact de la crise est beaucoup plus fort que l’effet du dollar faible.

Nous avons connu une baisse comparable à la suite des événements du 11 septembre. Il y a eu tout d’un coup une brusque cassure de la fréquentation internationale. Le Louvre n’est pas le seul touché. Orsay et tous les autres grands établissements culturels à large vocation touristique sont soumis à des aléas qu’ils ne maîtrisent pas nécessairement.

Le musée du Louvre avait conforté, à cette époque, la fréquentation d’un public de proximité. Nous avions tout fait pour qu’un public national puisse venir… et revenir. Nous avons obtenu, en ce domaine, des succès assez marquants.

Les expositions temporaires ont connu, ces derniers mois, des succès faramineux, et pas seulement « Picasso et les grands maîtres », ce qui montre que la fréquentation de proximité, nationale et limitrophe, n’est pas touchée par la crise.

Pour l’instant, nous avons observé une légère baisse de la fréquentation internationale. Se stabilisera-t-elle ou continuera-t-elle à baisser, on ne le sait pas exactement.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Vous n’avez pas anticipé l’impact de cette baisse de fréquentation sur la situation budgétaire du Louvre ?

M. Henri Loyrette. Les droits d’entrée représentent environ 42 millions d’euros sur un budget de 230 millions. La gratuité décidée par le Président de la République nous aura coûté à peu près 10 millions d’euros en 2009. Mais elle est théoriquement compensée.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Si la crise se traduisait par une réduction de l’ordre de 500.000 du nombre de visiteurs payants, le résultat d’exploitation deviendrait négatif. Il y aurait donc bien là une incidence financière.

M. Henri Loyrette. En matière de mécénat, nous sommes partis de pas-grand-chose, pour arriver aujourd’hui à lever à peu près 25 millions d’euros par an, ce qui place le musée, malgré son expérience récente, dans le peloton de tête des institutions internationales qui débusquent du mécénat : Guggenheim – 27 millions d’euros en 2006 –, le Metropolitan Museum of Art – 40 millions d’euros –, la Tate Gallery – 22 millions d’euros –, le British Museum – 10 millions d’euros.

Il existe une disparité en la matière non seulement entre les grands et les petits musées mais également entre les grands musées eux-mêmes puisque le centre Pompidou, par exemple, ne draine que 4 millions d’euros de mécénat.

D’expérience, je dirais que ce n’est pas la taille de l’établissement qui compte, mais le projet que l’on est capable d’apporter et de vanter. L’exemple des musées de Cluny et d’Écouen, qui me sont chers, le prouve. Il n’y a pas besoin d’une équipe de trente personnes. L’important est d’être capable de prouver la nécessité de trouver de l’argent pour son établissement et la politique que l’on conduit. De ce point de vue-là, je suis très optimiste. La taille du musée du Louvre n’a aucun effet stérilisant sur les institutions culturelles françaises.

M. Didier Selles. Au contraire. On observe aujourd’hui que l’ensemble des établissements comparables se dote d’équipes pour développer le mécénat, comme le centre Pompidou, qui a quadruplé ses effectifs – au détriment d’ailleurs du Louvre – et il y a de nombreux échanges entre les établissements publics sur le sujet.

Le mécénat culturel constitue-t-il un mode de financement pérenne ? À côté du mécénat de projet, Mme Lagarde a ouvert une nouvelle perspective intéressante dans la loi de modernisation de l’économie d’août dernier, avec l’introduction des fonds de dotation, qui sont un mode de financement pérenne puisque le capital est préservé. L’institution finance des projets sur les revenus financiers de ces fonds sur le modèle américain. Les musées français et les autres grandes institutions culturelles vont avoir accès, par là même, au « marché du mécénat » des pays anglo-saxons dont ils étaient jusqu’alors totalement exclus, celui des endowment funds des mécènes qui veulent financer, non pas un projet, mais le développement d’une institution.

Grâce à la création d’un fonds de dotation, le musée du Louvre établira un financement pérenne sur lequel il pourra asseoir le programme d’investissement présenté par Mme la ministre, au Louvre même, en février 2008. Ce programme comprend un ensemble de projets qui étaient déjà prévus et que nous avions pris l’engagement de financer totalement par mécénat ainsi que le financement d’un peu plus de la moitié du futur centre de réserves, de recherche, de restauration et d’études du patrimoine des musées de France, prévu depuis cinq ans et destiné à mettre en sécurité les réserves des musées qui sont aujourd’hui stockées dans des conditions précaires et assez peu rigoureuses à la périphérie de Paris.

Le musée a déjà préparé les statuts permettant la création du fonds de dotation. Nous avons prévu que soient affectés à ce fonds les 400 millions d’euros que doit nous rapporter l’accord de licence de la marque « Louvre » que nous avons signé avec les autorités émiraties.

Nous nous engagerons vis-à-vis des ministères de la Culture et du Budget à trouver chaque année cinq à dix millions d’euros de ressources complémentaires auprès de mécènes privés – entreprises ou individus – pour financer le plan d’investissement que nous avons présenté au ministère. Cela se substituera pour partie au mécénat que nous cherchons aujourd’hui. Pour le département des arts de l’Islam, nous avons trouvé près de 35 millions d’euros de financement dont 17 millions versés par le prince Al Waleed. Une fois que les salles sont réalisées, les mécénats disparaissent tandis que, dans le cas des fonds de dotation, le capital reste.

M. Henri Loyrette. Pour nous, le mécénat ne se limite pas à l’hexagone. The American Friends of the Louvre est une organisation qui marche très bien et qui rapporte des ressources importantes au musée. La création subséquente d’International Friends of the Louvre permet également des rentrées de mécénat importantes.

Ce qui nous a incités à créer un fonds de dotation, c’est tout à la fois l’accord que le gouvernement français a signé avec les Émirats et l’étonnement de beaucoup de nos partenaires américains de ne pas trouver en France des endowment funds leur permettant de soutenir le musée du Louvre.

Mme Catherine Sueur, administratrice générale adjointe. Le lancement de ce chantier répond à deux motivations principales : compléter l’offre de mécénat – afin d’avoir à la fois du mécénat de projet, non affecté, fondé sur un cercle de mécènes et d’adhésions à un certain nombre de projets, et un fonds de dotation – et ajouter une quatrième source de financement pérenne, grâce aux revenus du capital du fonds de dotation, aux trois dont dispose déjà le musée : la subvention, la billetterie et le mécénat. Compte tenu des chantiers annoncés par la ministre de la Culture en février 2008, nous avons besoin d’une visibilité et d’une pérennité des ressources.

Mais, si l’article 140 de la loi de modernisation de l’économie prévoit bien la création de fonds de dotation, nous attendons toujours la parution du décret d’application, Mme Lagarde s’étant engagée devant vous à ce qu’elle intervienne à la fin du mois de décembre 2008.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Il y a effectivement quelques décrets en attente, dont celui qui nous occupe aujourd’hui. Nous relaierons votre remarque auprès de Mme Lagarde.

Les auditions de la commission des Finances nous rendent attentifs à l’incertitude sur les rendements futurs des placements financiers. Sur quoi se fondent vos décisions de placement ? Comment sont-elles contrôlées ? Qu’en attendez-vous ?

Mme Catherine Sueur. Aux termes de la loi, le fonds de dotation doit être assorti d’un conseil d’administration et d’un comité d’investissement, composé de personnalités particulièrement compétentes dans le domaine de la finance.

Nous n’avons pas encore complètement défini la politique d’investissement mais elle devra se conformer à deux principes. D’un côté, nous chercherons des placements très prudents permettant de garantir le capital. Les sommes qui seront placées dans le fonds de dotation seront issues d’accords intergouvernementaux et nous ne pourrons nous permettre une perte de capital, à la différence des endowment funds américains. D’un autre côté, nous chercherons néanmoins à diversifier suffisamment les classes d’actifs pour bénéficier d’un rendement satisfaisant.

Quand nous avons commencé à travailler sur ce dossier, il y a plus d’un an et demi, les perspectives transmises par les institutions américaines faisaient état de taux à 10 ou 12 %. Ce n’est plus le cas. Dans les projections financières que nous avons établies pour boucler notre financement, les taux envisagés sont plutôt à 4,5 ou 5 %. Comme le financement est bâti sur quinze ans, ces taux sont crédibles.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. C’est ce que nous vous souhaitons tous.

Je peux citer un exemple, signalé par la Cour des comptes, qui montre que la collecte de fonds n’est pas nécessairement fonction de l’importance d’un musée ou de la diversité de ses œuvres. La directrice du musée Gustave Moreau, qui est également conservateur, a, en nouant des liens avec des institutions de presse japonaises, collecté des ressources tout à fait importantes. Il est vrai que les Japonais sont fous de Gustave Moreau mais cela confirme que, dans la recherche de mécènes, ce n’est pas la taille qui compte mais le projet et les réseaux.

M. Didier Selles. Le plan de financement sur quinze ans du musée du Louvre est fondé sur l’affectation à l’endowment fund des fonds issus de l’accord sur la licence de la marque « Louvre » entre le musée du Louvre et les Émirats arabes unis – les 400 millions d’euros plus 25. Les 175 millions que nous avons déjà reçus sont remboursables aux Émirats si, pour une raison ou un autre, l’accord devait être dénoncé. C’est pourquoi un arrêté des ministres de l’Économie et du Budget est en préparation, pour autoriser l’affectation de ces fonds, qui sont en fait devenus publics, au fonds de dotation. Nous avons acquis le soutien de Mme Lagarde. Nous essayons actuellement de convaincre le ministère du Budget.

Dans le cadre de ce plan, le Louvre financera entre 75 et 80 % de ses investissements, l’État ne gardant à sa charge que la sécurité et l’investissement courant. Dans les autres établissements du ministère, le taux d’autofinancement des investissements ne dépasse pas 20 % en moyenne.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Qui est propriétaire de l’argent ?

M. Didier Selles. Le Louvre. L’accord prévoit que les fonds sont versés au Louvre. Mais, comme l’a sans doute relevé la Cour des comptes, il y a des tentations assez fortes de réduire d’autant la subvention qui nous est versée.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Une autre tentation pourrait être de récupérer tout ou partie de la somme pour faire autre chose !

M. Didier Selles. D’autres responsabilités que celles du Louvre seraient alors engagées.

Les 175 millions d’euros qui ont déjà été versés par les Émiratis à la demande expresse du Louvre l’ont été pour financer le fonds de dotation.

M. Henri Loyrette. Cet argent est devenu de l’argent public puisqu’il a été versé dans le fonds de roulement. Normalement, le fonds de dotation ne peut pas accueillir d’argent public sauf dérogation accordée par les deux ministres.

M. David Habib, Président. Cela dépendra de la façon dont sera rédigé le décret.

Mme Catherine Sueur. Je pense que le décret sera muet à ce sujet car la loi prévoit d’ores et déjà qu’une dérogation peut être prévue par arrêté.

M. Didier Selles. L’un des « mécènes » du Louvre est moins allant que les autres aujourd’hui : l’État – ce qui pousse à s’interroger sur son rôle de stratège et de pilote. En 2008, le musée a subi une réduction très importante de ses subventions d’investissement, liée à son opération d’Abou Dabi. Contrairement à ce que prévoyait le contrat de performance, le Louvre a obtempéré, compte tenu des difficultés du ministère. Nous avons subi cette année une nouvelle baisse de 5 % de la subvention de fonctionnement attribuée par l’État. Plus que le montant, c’est la méthode qui nous choque : l’État traite de la même manière le Louvre, qui paie sur son fonctionnement la totalité de sa masse salariale, et les autres établissements dont la masse salariale est prise en charge par le ministère : 5 % sur le fonctionnement ne sont pas comparables à 5 % sur la masse salariale !

Dans le même temps, le ministère se réserve un traitement tout à fait différent puisque, sur sa propre masse salariale – correspondant à la mise en réserve –, il s’applique une baisse de 0,5 %, contre 3 % pour le musée du Louvre, la subvention de fonctionnement de celui-ci étant considérée par l’État comme une dépense d’intervention. Donc, bien que payant sa masse salariale sur son fonctionnement, le Louvre n’est pas non plus traité de la même manière que le ministère se traite lui-même. Du coup, nous nous retrouvons étranglés : d’une part, comme nous prenons en charge le personnel, la baisse de la subvention de fonctionnement est ingérable et, d’autre part, la mise en réserve accroît encore le handicap financier que constitue pour nous aujourd’hui le fait de gérer notre personnel. Après avoir montré tout à l’heure tous les avantages de cette autonomie de gestion, nous en voyons maintenant les inconvénients.

M. David Habib, Président. Quelle somme cela représente-t-il ?

M. Didier Selles. Environ 6 millions d’euros à périmètre constant.

L’abattement s’applique à tous les établissements mais le Louvre est celui qui subit la réfaction la plus importante alors qu’il prend en charge son personnel.

Par ailleurs, à l’exception d’un ou deux musées, les emplois diminuent de manière homothétique pour tous les établissements, sans tenir aucun compte de l’évolution de l’activité des uns et des autres : chacun est soumis à la règle du non-remplacement d’un départ sur deux à la retraite alors que l’idée de base prévoyait une modulation suivant les priorités du ministère et les établissements.

Alors que la fréquentation du Louvre s’est accrue d’un million de visiteurs en deux ans et que la décision prise par le Président de la République relative à la gratuité accroît encore cette fréquentation d’un demi-million de personnes en année pleine, nos effectifs vont diminuer de 50 personnes au cours des prochaines années.

Le Louvre se retrouve avec une baisse de sa subvention de fonctionnement et de ses effectifs au moment où son activité est en plein développement. Cela va le conduire à fermer des salles alors qu’il devrait, au contraire, améliorer l’accueil du public et accroître l’amplitude d’ouverture du musée. Nous en avons fait la proposition au ministère mais nous n’avons eu aucune réponse.

Enfin, une tutelle qui jouerait son rôle de stratège songerait à affecter au Louvre des agents provenant des quelque 200 musées actuellement fermés ou sur le point de fermer. Eh bien, cela ne vient même pas à l’esprit de l’État.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Quand vous posez la question à la tutelle, quelle réponse obtenez-vous ?

M. Didier Selles. Aucune. Il y a un refus total d’en parler.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Entre les exercices 2003 et 2007, les effectifs du Louvre ont progressé de 445 ETP – équivalents temps plein. Jusqu’à maintenant, on ne peut pas dire que l’État se soit désengagé puisque, au cours des exercices 2004, 2005, 2006, la subvention de fonctionnement versée au Louvre a progressé en moyenne de 5 %. En 2007, la progression a été de 14 % par rapport à 2006, ce qui n’est pas négligeable.

D’après les éléments que nous tenons de la Cour des comptes, le musée pourrait entrer dans une période de tension avec sa tutelle. Le plan « Louvre 2020 » présenté par l’établissement repose sur l’hypothèse d’un taux de rendement de 6 % du fonds de dotation. Nous ne savons pas ce qu’il en sera. Les besoins de financement sont divisés en deux parties distinctes. La première correspond aux investissements que le Louvre considère comme participant à son rayonnement et à son développement et qu’il estime légitime d’autofinancer. La seconde partie, la plus importante, correspond aux frais de fonctionnement qu’il considère devoir être financés, pour l’essentiel, par des subventions publiques. Des assurances ont été données sur la « sanctuarisation » des ressources accordées au Louvre dans le cadre de l’accord d’Abou Dabi. On sait la fragilité de tels engagements. Si l’on ajoute les risques d’une baisse de ressources propres du fait de la diminution de la fréquentation, d’une baisse des ressources de mécénat à cause de la gravité de la crise et d’une diminution éventuelle des taux de rendement du fonds, les conditions d’une période tension sont réunies.

M. Didier Selles. L’augmentation des effectifs du Louvre a été décidée en 2002 à la suite du projet « Grand Louvre » qui a doublé les surfaces ouvertes au public. Les effectifs du musée n’avaient été augmentés que de 3 % par rapport au temps où un quart des salles étaient fermées. Par ailleurs, 130 personnes ont été titularisées.

L’augmentation des frais de fonctionnement est essentiellement liée à l’impact de mesures décidées en dehors du musée : augmentation du taux de pension, effets du GVT – glissement-vieillesse-technicité – et des mesures salariales prises par l’État.

Nous n’avons jamais dit que l’État se désengageait. Ce que nous déplorons aujourd’hui, c’est que l’évolution de la subvention de fonctionnement du musée ne soit plus déterminée comme auparavant dans le cadre d’une stratégie négociée entre l’établissement et l’État. Soumis à une contrainte budgétaire, celui-ci la répercute de manière homothétique à tous les établissements quels que soient leurs priorités et leurs besoins réels.

La Cour des comptes a relevé qu’au cours des cinq premières années, qui ont vu se succéder quatre ministres différentes, le Louvre a quand même obtenu de l’État qu’il tienne ses engagements tels qu’ils étaient inscrits dans le contrat de performance.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux entraîne-t-il une baisse des effectifs ?

M. Didier Selles. Les effectifs du musée du Louvre diminueront de douze personnes en 2009, de quinze l’année prochaine, de dix-huit l’année suivante, et ainsi de suite. Normalement le principe du dialogue de gestion consiste à partir des priorités que l’État fixe à l’établissement et de déterminer ensuite les moyens pour y parvenir, qu’ils soient publics ou tirés des ressources propres de l’établissement, tout en tenant compte des contraintes qui ont été rappelées. Ces moyens seront sans doute plus difficiles à obtenir. Une autre chose est de vérifier la manière dont l’État partage les moyens contraints dont il dispose entre les différents établissements.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Il ne faudrait pas qu’Abou Dabi soit l’arbre qui cache la forêt. Tout le monde peut imaginer le développement fabuleux qu’il va permettre au Louvre, qui a déjà tellement fait que je me demande s’il y a encore des marges de progression.

M. Henri Loyrette. Il y en a toujours !

M. Didier Selles. Le projet Abou Dabi et le financement d’Abou Dabi sont l’avenir du Louvre. Nous tenons l’engagement que nous avons pris avec l’État en 2003 de financer nous-mêmes les prochains projets d’investissement du Louvre. Ces sommes serviront à des investissements et non à payer les salariés du musée ou les marchés de maintenance. Cela n’aurait aucun sens. C’est là que se pose le problème car la diminution de l’argent affecté au Louvre nous contraint.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Il nous reste de nombreuses questions à évoquer, et je souhaite que nos invités puissent revenir devant notre mission.

M. David Habib, Président. La proposition me paraît judicieuse. Il faudra prévoir une autre réunion, pour approfondir les premières réponses que vous avez pu nous donner et pour poursuivre la conversation sur les thèmes qui n’ont pas pu être abordés, auxquels j’ajoute une question sur les problèmes de décentralisation.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Avant de vous interroger sur l’accueil du public, je reviens à la question que je vous ai posée sur l’impact du non-renouvellement d’un départ à la retraite sur deux. Compensez-vous la diminution des effectifs ETP par le recrutement de vacataires ou y a-t-il une diminution générale des effectifs du musée ?

M. Didier Selles. Cela entraîne une diminution des effectifs du musée, quels que soient les statuts des personnels.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. S’agissant de l’inaliénabilité des œuvres, quelle est votre approche de la question ? La loi relative aux musées de France a introduit un droit au déclassement qui n’est pas utilisé. Pourquoi ?

Par ailleurs, avez-vous développé une politique de circulation des œuvres dont vous avez la responsabilité, notamment dans les autres musées de France ?

M. Henri Loyrette. Sur la question de l’inaliénabilité des collections, ma position est très claire et est d’ailleurs reflétée dans le rapport de M. Jacques Rigaud. Nous sommes les héritiers d’une collection qui a été fondée, comme je l’ai rappelé d’entrée, par les rois de France et, principalement, par François 1er à l’aube du XVIe siècle. La richesse, la profondeur, la densité des collections du musée du Louvre, comme celles d’autres musées, tiennent à cette histoire. Comme le disait Cézanne, on trouve tout, on comprend tout et on apprécie tout à travers les collections du musée du Louvre. L’État n’a jamais vendu le moindre trésor de cette collection. On doit souligner cette permanence de l’État au fil des siècles. Même la Révolution ne l’a pas fait. Elle a vendu du mobilier meublant, du « Louis XVI », mais pas un seul trésor. Au contraire, elle les a préservés dans le musée central qui était le musée du Louvre.

Cette fidélité depuis cinq siècles est très importante. On voit dans certains musées américains ce que peuvent donner les aléas de l’histoire du goût. Au XIXe siècle, on aurait vendu tout le XVIIIe siècle parce qu’il n’était plus de mode. On entassait dans les réserves les Boucher et les Fragonard. Si le musée d’Orsay a pu être constitué à partir des collections du musée du Luxembourg dispersées avant la guerre, c’est parce qu’on n’avait pas bradé tout un pan de l’histoire du XIXsiècle pour ne sauvegarder que l’impressionnisme et le post-impressionnisme. On a récemment exhumé des réserves du musée du Louvre des œuvres qui avaient été négligées jusque-là.

C’est au mécène Marc de Lacharrière que nous devons la magnifique salle des antiques redécouverts à Rome à partir du XVIsiècle et restaurés par les grands artistes. Ils étaient considérés, en raison même de leur restauration, comme dénaturés, en tout cas, comme ayant perdu leur pureté originale. Je sais, en tant que conservateur, combien ces renouveaux, ces aléas de l’histoire du goût, sont importants.

Ce qui fait la force incomparable des collections du musée du Louvre, c’est cette profondeur et cette densité. Nous avons eu un débat très intéressant au musée du Louvre sur la question des acquisitions, au cours duquel la directrice d’un grand musée américain a souligné avec justesse que, si elle avait des chefs-d'œuvre, il lui manquait tout ce qui faisait que telle œuvre était un chef-d'œuvre, tout ce qui le contextualisait, lui donnait sa véritable dimension. C’est ce que nous avons la chance d’avoir au musée du Louvre, grâce à pratiquement six siècles d’enrichissement des collections.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Comment évaluez-vous le taux de satisfaction du public ? Quels moyens mettez-vous en œuvre pour améliorer l’accueil des visiteurs ? En quoi cela modifie-t-il les rapports avec le public ?

M. Henri Loyrette. Cette question a considérablement évolué depuis une trentaine d’années, même s’il reste énormément de progrès à faire. Dans les années 1970, un musée ouvrait le matin et fermait le soir sans que personne ne se soucie de qui venait pendant ses heures d’ouverture. La médiation, la préparation et l’accompagnement de la visite, la fidélisation n’étaient pas pris en compte. Nous accusions un retard considérable sur les musées anglo-saxons où les questions d’education étaient depuis longtemps prioritaires.

L’accessibilité, au sens large du terme, aux œuvres est une question essentielle. Tout grand musée joue à la fois un rôle en matière artistique et d’éducation artistique et un rôle social d’intégration. Les classes Louvre que nous avons créées le prouvent. Elles visent à fidéliser un public très éloigné de l’art et des pratiques culturelles puisqu’il s’agit d’élèves de quartiers défavorisés.

La politique d’un grand établissement comme le musée du Louvre ne se limite plus à recevoir passivement ceux qui viennent naturellement au musée, sont formés pour y aller et en connaissent le mode d’emploi. Elle consiste aussi à prendre par la main ceux pour qui le musée peut apparaître lointain, voire rebutant. Compte tenu de la spécificité des collections du musée du Louvre et de leur relative difficulté, c’est pour moi un enjeu essentiel.

Les tableaux qui se trouvent au musée d’Orsay sont d’un abord facile. Lorsque vous êtes devant La Pie de Monet, vous comprenez immédiatement de quoi il retourne. Lorsque vous êtes devant un tableau de Poussin ou de Mantegna, l’enjeu est tout autre. Comment rendre les collections artistiques actuelles et faire du Louvre un musée toujours vivant ? Tels sont les défis que nous devons relever aujourd’hui. Nous y répondons en multipliant les efforts de médiation : direction des publics, utilisation de nouveaux médias - sites Internet, parcours audioguidés –, organisation de projets, comme le projet Louvre-Lens, qui est emblématique.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Pouvez-vous donner des exemples de vos actions dans le domaine de la médiation culturelle ?

M. Henri Loyrette. J’ai cité l’audioguide qui est un instrument de compréhension des collections, proposant des parcours différents de ceux ordinairement suivis.

Un autre exemple est l’organisation de nocturnes gratuites pour les moins de 26 ans. Le Louvre a joué un rôle moteur en ce domaine. Tous les vendredis soirs, sont proposées aux 18-25 ans des nocturnes gratuites accompagnées. Cela ne sert à rien de rendre l’accès du musée gratuit si vous ne faites rien pour accompagner la visite des publics visés et leur donner l’envie de revenir. Quelque 6 000 jeunes de moins de 26 ans participent à ces nocturnes du vendredi.

Outre le développement des classes Louvre destinées aux jeunes des quartiers défavorisés, nous menons également des actions en direction des prisons.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Par quels moyens établissez-vous les taux de satisfaction ?

M. Didier Selles. Nous utilisons, depuis une douzaine d’années, un institut de sondage, l’observatoire des publics. Nous avons changé plusieurs fois d’entreprise mais le cahier des charges n’a pas sensiblement évolué, ce qui permet d’avoir des séries très longues.

Nous interrogeons par méthode statistique environ 8 000 personnes par an. Le dépouillement de ces questionnaires fournit des informations sur nos publics, leur nationalité, leur origine, leur âge et leur taux de satisfaction. Les résultats sont publiés chaque année dans notre rapport de performance, lequel est lui-même édité par l’inspection générale des ministères.

Nous établissons plusieurs taux de satisfaction. Les uns portent sur les services rendus au public : les caisses, l’accueil, les délais d’attente, les vestiaires. Les autres, introduits depuis deux ans, concernent la qualité des visites, la compréhension de l’information, les contenus.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Nous avons encore beaucoup de questions à vous poser sur la politique tarifaire, sur le Louvre numérique, sur la gestion des espaces, sur la décentralisation, sur l’action internationale du Louvre. Je vous propose donc de fixer une date pour une nouvelle réunion.

M. David Habib, Président. Nous pourrions la programmer en avril ou mai, vers la fin des travaux de la mission sur ce thème.

Nous vous remercions.

Audition du 19 février 2009

À 11 heures : M. Guillaume Boudy, secrétaire général du ministère de la Culture et de la communication, et Mme Marie-Christine Labourdette, directrice des Musées de France.

Présidence de M. Georges Tron,

M. Georges Tron, Président. Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui, dans le cadre de la MEC qui, à la demande de Nicolas Perruchot, travaille cette année sur les musées, M. Guillaume Boudy et Mme Marie-Christine Labourdette, respectivement secrétaire général du ministère de la Culture et de la communication depuis mai 2008 et directrice des Musées de France depuis juillet 2008.

Je salue la Cour des comptes en la présence de MM. Emmanuel Gianesini et Emmanuel Marcovitch, qui ont contribué au rapport de la Cour consacré au musée du Louvre, et je les remercie de s’associer à nos travaux.

L’établissement public du musée du Louvre, compte tenu de sa taille et de son rayonnement, occupe une place particulière dans la politique des musées. À cet égard, l’audition, il y a une quinzaine de jours, de son président, M. Henri Loyrette, s’est révélée particulièrement intéressante et a suscité chez nous bien des questions que nous allons, Madame, Monsieur, vous poser.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Dans son rapport, la Cour des comptes conclut notamment : « Les frictions trop nombreuses entre le Louvre d’une part, ses tutelles et la RMN de l’autre, témoignent […] de la persistance de la part de l’établissement public d’habitudes héritées de la phase précédente de conquête de son autonomie. » Quel a été, du point de vue de ceux qui ont la charge de la politique muséale, l’impact de cette réforme ? Quelle réorganisation découlera de la RGPP, et quelles en seront les conséquences sur l’autonomie des musées ?

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Quelles modifications la réorganisation de la direction des Musées de France va-t-elle entraîner ? La direction du Patrimoine qui va être créée ne verra-t-elle pas son champ d’action se rétrécir ? Que deviendront alors les relations avec les musées, notamment avec le Louvre ?

Mme Marie-Christine Labourdette, directrice des Musées de France. La direction des Musées de France, je crois utile de le rappeler, n’est pas la direction des musées nationaux. Elle couvre l’ensemble des musées situés sur le territoire national qui bénéficient du label « Musée de France », lequel reconnaît le respect de certaines règles concernant la constitution des collections, leur présentation et la proposition scientifique qui les sous-tend. Environ 1 200 musées sont concernés, les plus importants par le public qu’ils accueillent étant les musées nationaux qui appartiennent à l’État – une petite cinquantaine, dont trente-cinq figurent dans le périmètre du ministère de la Culture, les autres dépendant d’autres ministères, tels le Muséum d’histoire naturelle rattaché au ministère de la Recherche, et les musées des armées à celui de la Défense. Dès lors, le Louvre n’est pas seulement le plus grand musée national : c’est aussi la locomotive d’un ensemble. Il n’est pas traité différemment des autres musées, même si sa taille et son importance lui confèrent une spécificité. Il s’inscrit dans une politique nationale fixée par la ministre de la Culture qui vise à la démocratisation culturelle et à l’enrichissement des collections.

La direction des Musées de France joue un double rôle. Sur l’ensemble des musées de France, elle exerce un contrôle scientifique et technique. Elle offre une assistance aux musées qui appartiennent aux collectivités territoriales et assure la tutelle scientifique sur les musées nationaux, qui est rarement déconnectée des aspects administratifs. C’est dans ce cadre que la direction est en lien étroit avec le secrétariat général du ministère.

Avec la RGPP, la tutelle va évoluer puisque la direction des Musées de France, la direction de l’Architecture et du patrimoine et la direction des Archives de France seront regroupées au sein d’une direction générale du Patrimoine. L’importance des métiers demeure, l’objectif étant de gagner en efficacité en mutualisant les fonctions transversales, tout en préservant, voire en renforçant, la richesse du dialogue avec les établissements sur leur pilotage scientifique. La direction actuelle, mise en place au début de 1991, était organisée sur une base fonctionnelle et divisée en départements : public, collections, muséographie, secrétariat général.

La RGPP a offert aussi l’occasion de réfléchir différemment à l’organisation, en déroulant la chaîne muséale. Au fond, un musée, ce sont d’abord des objets exceptionnels réunis en collection et qui, de ce fait, deviennent inaliénables, bénéficient d’une mise en contexte scientifique et sont présentés au public. Le nouveau service s’articulera donc autour d’une sous-direction des collections chargée de leur enrichissement et de leur circulation, de leur mise en valeur et de leur diffusion numérique, et d’une sous-direction de la politique des musées qui veillera au propos scientifique propre à chaque musée ainsi qu’à la stratégie du réseau. Sera créé en son sein un bureau pour assurer la tutelle et le pilotage des musées nationaux, ce qui prouve que le ministère n’a nullement renoncé à exercer une tutelle rénovée sur les établissements publics ni à travailler de manière approfondie avec les musées territoriaux. La chaîne muséale sera bouclée avec le rattachement au directeur en charge des musées de France du département des publics.

Quant aux relations entre le Louvre, la RMN et la direction des Musées de France, il faut bien mesurer que le Louvre est à la fois le musée le plus important et le premier à avoir bénéficié du processus d’autonomie par le biais de sa transformation en établissement public. Il est en quelque sorte l’aîné de la famille, avec les avantages et les inconvénients que cela représente. Après des tensions excessives par moments, il faut établir un nouvel équilibre dans les relations entre la RMN, qui avait une position de quasi-monopole, et un musée autonome qui assure désormais lui-même son développement. Ces relations sont en voie de normalisation. Ce tandem doit également être examiné à la lumière des liens plus normaux qui unissent la RMN aux autres grands établissements publics créés par la suite tels que le Château de Versailles, le musée d’Orsay, le musée du Quai-Branly ou le musée Guimet, qui reposent sur une base contractuelle et sont beaucoup plus sereins.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Quand les musées deviennent des établissements publics, ne sont-ils pas tentés, bien que restant dans le cadre d’une politique nationale, d’affirmer leur singularité ? À quoi sert alors la RMN ? À un moment donné, elle s’est révélée un outil très utile, mais la mettrait-on en place aujourd'hui si elle n’existait déjà ?

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. La question est importante puisqu’elle est au cœur des réflexions menées depuis quelques années. Mais les décisions politiques n’ont jamais été prises. J’espère que ce rapport permettra de les prendre. Je ne partage pas entièrement votre point de vue optimiste sur les relations entre la RMN et les autres musées. Bien que plus mesurés dans leurs propos que le Louvre, ils ne m’ont pas donné l’impression de tirer une réelle valeur ajoutée de leur obligation de travailler avec la RMN, qui apparaîtrait plutôt comme une bizarrerie historique. Avez-vous des directives de la ministre de la Culture en la matière ? La RMN a été sauvée du désastre financier par Thomas Grenon, mais je m’étonne, dans un tel climat d’incertitude, qu’elle ait perduré. Elle s’est même développée, y compris sur le plan immobilier. Qu’en dit la tutelle politique ? Que va-t-on faire de la RMN demain ? Avez-vous l’intention de faire évoluer les relations entre le Louvre et la RMN ?

Tout le monde semble d’accord sur le constat, mais aucune décision n’est prise.

Mme Marie-Christine Labourdette. Telle la Turquie à la fin du XIXe siècle en Europe, la RMN est-elle l’homme malade du monde muséal ? Je ne le pense pas. La ministre de la Culture reste attachée à la RMN tout en soulignant la nécessité de la voir évoluer.

Pourquoi la RMN ? Elle assure une fonction de mutualisation qui n’est pas négligeable. La création d’un établissement public peut engendrer des coûts de structure qui ne plaident pas toujours pour la « démutualisation », surtout dans un contexte de rareté de la subvention publique. Si un service d’édition au Louvre se justifie, en raison de l’importance de son activité, la question se pose pour Orsay mais elle n’a aucun sens pour Guimet. La RMN travaille à la valorisation et à la diffusion des œuvres, et les compétences qu’elle centralise, et qui n’existent pas toujours dans un musée, contribuent à une mise en valeur dynamique du patrimoine. L’édition des catalogues et le management des grandes expositions, la gestion des boutiques, l’agence photographique et la diffusion des fonds patrimoniaux des collections nationales, les acquisitions complexes, tout cela est important. Éclatées dans les musées, ces fonctions auraient un coût très supérieur pour les finances publiques.

En outre, la RMN offre l’image d’un champion français à l’international. Ainsi, pour monter l’exposition « Picasso et les maîtres », elle s’est révélée un véritable atout pour obtenir des prêts remarquables contribuant ainsi au succès public. La RMN est un élément de la compétitivité culturelle de la France et donne à Paris, en enchaînant les manifestations importantes, une visibilité internationale dans le temps. La gestion des galeries du Grand-Palais par la RMN renforce son lien avec les musées. Un montage réunissant le service des expositions du Louvre et d’Orsay autour d’un projet spécifique serait possible ; mais serait-il aussi efficace et moins coûteux sur le long terme ?

Les autres établissements peuvent être critiques à l’égard de la RMN, c’est vrai, et la culture quasi monopolistique de cette institution, qui date de 1895, doit encore évoluer. Cependant, la contractualisation est une démarche volontaire, qui donne lieu à des échanges et à une mise en concurrence, et il est arrivé que la RMN apparaisse comme le candidat le plus opérationnel et le plus efficace, dans le cadre d’une mise en concurrence. L’attribution à la RMN de la gestion des boutiques du musée du Quai-Branly le prouve.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Les musées sont fortement incités à travailler avec elle !

Mme Marie-Christine Labourdette. Ce n’était pas le cas du musée du Quai-Branly.

Par ailleurs, l’incitation peut relever d’un choix politique. Il peut être de bonne gestion de mutualiser les moyens. Les musées n’ont pas toujours envie d’entendre ce discours, mais la RMN peut porter des projets qui n’auraient pas le même impact sans elle. Le ministère de la Culture est attaché au rôle de cet acteur de la politique muséale. Cette plate-forme de mutualisation rend tangible la cohérence de certains éléments de la politique nationale, les établissements publics obéissant eux, au principe de spécialité et à des objectifs de développement spécifiques. Il est normal de se demander qui est le mieux placé pour valoriser le cœur scientifique du musée sur lequel la RMN n’intervient pas mais peut apporter son soutien par ses compétences sur des domaines complémentaires. Souvenez-vous, par exemple, qu’il ne lui a pas fallu plus de deux mois pour monter « La force de l’art », à la satisfaction de tout le monde, parce qu’elle était reconnue des professionnels, et cela même si la création contemporaine n’est pas du tout sa spécialité. Elle apporte donc une vraie complémentarité.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Les musées disent que les relations sont parfois difficiles. La Cour des comptes indique qu’il existe des tensions entre le Louvre et la RMN et recommande d’assigner des limites à chacun des acteurs. Quel est le bon équilibre à trouver dans l’intérêt de la politique muséale nationale ? Elle a constaté des tensions récurrentes entre la RMN et le Louvre à propos du logo, de l’édition et de la production des expositions. Là-dessus, les parties se sont entendues, mais subsiste le conflit à propos des droits sur les photos et de l’agence photographique.

Il semble manquer encore au Louvre une comptabilité analytique en coût complet de certaines activités désormais développées en propre, alors qu’elle existe à la RMN.

Mme Marie-Christine Labourdette. L’acmé des tensions a permis des avancées. Le transfert à titre gratuit de la marque semi-figurative du Louvre a été proposé par la RMN, mais il reste à trancher un vrai sujet de politique globale, à savoir l’agence photographique et l’exploitation du fonds photographique. Le ministère réfléchit à faire de la RMN l’agence photographique patrimoniale du ministère chargée d’exploiter les fonds photographiques des collections nationales. Si leur utilisation à des fins scientifiques ne pose pas de problème, il n’en va pas de même de leur exploitation à des fins commerciales. Les objets représentés étant donnés en garde aux musées mais appartenant à l’Etat, il est légitime d’arrêter une politique globale. Il faut créer un acteur dont le poids soit suffisant pour se positionner sur le marché et résister à la concurrence internationale. Ce pourrait être la RMN, à condition que les relations avec les établissements soient définies dans un cadre contractuel très clair.

M. Guillaume Boudy, secrétaire général du ministère de la Culture et de la communication. Je voudrais rassurer la MEC. Une réflexion intense est en cours sur la RMN, d’autant que la RGPP prévoit un plan stratégique la concernant et un réexamen de ses relations avec les services à compétence nationale. C’est l’occasion de se demander qui doit porter aujourd'hui les quatre grandes fonctions de la RMN.

La première de ces fonctions est la mutualisation. Elle est remise en cause par la création d’établissements publics, qui ne constitue cependant pas une solution pour les derniers petits SCN au-dessous de la taille critique. Faut-il alors opter pour la gestion directe par le ministère – mais ce n’est pas le sens de l’histoire – ou faire appel à un opérateur qui, après restructuration, pourra gérer efficacement un plus petit nombre de SCN ?

Deuxième fonction : l’ingénierie culturelle. Dans ce domaine, la RMN fait bien son travail. Elle dispose d’un vrai savoir-faire pour obtenir des prêts de la part de grandes institutions et assurer la logistique qui va de pair. Elle gère avec beaucoup d’efficacité les galeries nationales du Grand Palais.

Troisième fonction : la gestion des bases de données publiques numériques, que nous nous faisons un devoir de diffuser, en particulier par le biais de l’agence photographique. À cet égard, les relations entre la RMN et les autres établissements ne sont pas clarifiées. Il s’agira dans les mois qui viennent d’affirmer la politique de l’État quant à la gestion du fonds photographique. Le fonds, très important, ne demande qu’à être valorisé. Le différend avec le Louvre qui, fort de son autonomie, a pris position, soulève le problème de la valorisation des collections numériques qui sont mises en ligne sur le site « culture.fr ». Devra-t-elle être assurée en régie directe par l’État ou confiée à un opérateur ? Après le rapport de la Cour des comptes, la ministre devra décider s’il faut procéder en interne – la RMN a développé un très beau site, L’histoire par l’image, qui prouve un vrai savoir-faire – ou mobiliser une agence de l’État.

Quant à la commercialisation – quatrième fonction –, c'est-à-dire la gestion des boutiques, la réflexion en cours explore deux pistes : la filialisation des activités, avec les coûts immédiats qu’elle implique en regard du potentiel de création de valeur, sachant que la fin des concessions au Louvre et à Versailles signifie une perte de 60 % du chiffre d’affaires, ou la prise en charge par un EPIC, à la condition que celui-ci puisse faire aussi bien. Avec l’autonomie et la création d’établissements publics, le contexte change, et le moment est venu de conduire une réflexion que nous devons au contribuable, aux musées et aux personnels de la RMN. Avec son statut d’EPIC, la RMN rendait des services aux SCN rattachés hiérarchiquement au ministère en faisant tout ce que l’État ne souhaitait pas gérer directement.

Comment donner aujourd’hui plus de transparence à la relation entre la RMN et les musées ? Par des relations financières plus claires et plus équilibrées, en particulier en mettant fin aux restitutions forfaitaires. Le circuit était tel qu’une augmentation de la fréquentation d’un musée ne se traduisait pas immédiatement dans ses ressources. Le chantier est ouvert et la ministre en rend compte devant le comité de suivi de la RGPP que tiennent le secrétaire général de l’Élysée et le directeur de cabinet du Premier ministre.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Venons-en à la mise en place d’une dynamique partenariale entre la tutelle et les musées par le biais des contrats de performance. Quel bilan tirez-vous des six ans de contractualisation avec le Louvre ? Une contractualisation de ce type peut-elle s’envisager avec d’autres établissements et, le cas échéant, à partir de quelle « masse critique » ?

Mme Marie-Christine Labourdette. Le Louvre a été le premier – une fois de plus – à bénéficier d’un contrat de performance et il a essuyé les plâtres des nouvelles modalités de la tutelle. Les éléments sont suffisamment positifs pour envisager la généralisation de la contractualisation à tous les musées ayant statut d’établissement public. Cela étant, le Louvre a signé un contrat particulier qui porte non seulement sur les performances, mais aussi sur les moyens.

Pour les opérateurs de moindre importance, un contrat est essentiel : il leur permettra de se projeter à moyen terme, de construire une stratégie en fonction des exigences de la tutelle, et aussi de tracer des perspectives en adaptant leur politique scientifique, d’investissement et de personnel. À cet égard, la programmation triennale des lois de finances, en offrant plus de visibilité, facilitera l’exercice. Cette programmation permet de sortir du cadre annuel où se négocie une hausse autour de la moyenne, et de s’interroger, au premier euro, sur la politique suivie par le musée.

S’agissant de la contractualisation, la question n’est pas tant la taille que la fonction assignée au musée dans la politique culturelle. De petits musées comme Fontainebleau ou Picasso vont prendre leur autonomie, et le contrat de performance sera utilisé notamment pour leur donner des objectifs en matière d’ouverture et de politiques des publics. La politique culturelle se construit mieux avec les contrats de performance. Ils sont l’occasion d’un dialogue stratégique de meilleure qualité sur la base d’une évaluation partagée en précisant les responsabilités respectives. En outre, ce contrat de performance donne lieu à une évaluation a posteriori qui sert à définir les besoins. Quelle que soit la taille du musée, ce mode de gouvernance globale présente un intérêt.

Cela étant, la contractualisation doit donner lieu à des échanges plus fréquents entre la tutelle et les établissements de grande taille. C’est pourquoi, en accord avec Guillaume Boudy, nous avons mis en place depuis six mois des conférences de tutelle faisant intervenir le directeur de cabinet de la ministre, les responsables des établissements publics et les directions de tutelle pour dialoguer autour du contrat et des objectifs.

M. Georges Tron, Président. Ces conférences portent-elles sur ce que l’on attend de l’établissement ou sont-elles l’occasion d’exposer les objectifs propres du ministère en termes de gestion, notamment immobilière, et de ressources humaines ?

M. Guillaume Boudy. Le contrat de performance ne fait pas tout. La négociation est un moment fort, mais, ensuite, il faut garder le contact. Une réflexion transversale aux directions du ministère est menée sur la modernisation de la tutelle. Il convient de renouveler les outils qui existent et de les généraliser. Les objectifs du contrat de performance sont repris dans une lettre de mission adressée au président de l’établissement public au moment de sa nomination, et se décline annuellement en lettre d’objectifs assortis d’indicateurs, lesquels servent à fixer les éléments variables de rémunération. Cette procédure est en train de se généraliser. Mais au quotidien, il n’y avait pas de lien structuré et l’on a voulu, dans le cadre de la réforme du ministère, clarifier le rôle de chacun et mettre en place des outils de dialogue.

La répartition des rôles dépend quant à elle de la taille des établissements. Après de nombreuses discussions avec les directions de « métier », nous nous efforçons – nous y travaillons avec Bercy – que la responsabilité des programmes budgétaires incombe aux directeurs généraux. Cette fonction devra aller de pair avec l’exercice de la tutelle, en termes de « métier », mais aussi sur le plan administratif et financier. Or, aujourd'hui, la tutelle administrative et financière est assurée principalement par le bureau des opérateurs au sein du secrétariat général. Nous souhaitons donc modifier le schéma par une montée en puissance des directions générales, qui mutualiseront leurs moyens en personnel. Un premier mouvement est engagé puisque, dès 2009, la tutelle administrative et financière des petits établissements devrait être transférée aux directions de métier. Outre son rôle d’arbitrage, d’expertise, de support et de coordination de la politique transversale, qu’il gardera, le secrétariat général conservera la charge de l’identification et de la maîtrise des risques, qu’ils soient d’ordre budgétaire ou juridique. Ce sera son cœur de métier.

Pour la vingtaine de gros établissements publics qui demeureront dans un premier temps sous la tutelle administrative et financière du secrétariat général, le pragmatisme prévaut et la montée en puissance des directions générales prendra du temps. Nous nous acheminons vers une responsabilisation plus grande des directions générales, le secrétariat général assurant la cohérence d’ensemble de la tutelle et la surveillance de deuxième niveau.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Le secrétariat général souhaite-t-il une direction spécialisée dans le contrôle ?

M. Guillaume Boudy. Oui. Le bureau des opérateurs, soit une dizaine d’agents, exerce déjà une tutelle effective en siégeant aux conseils d’administration. Mais cela prend du temps et n’aide pas à réfléchir à la doctrine de la tutelle administrative et financière. La cellule concernée pourra analyser les résultats remontés par les systèmes d’information, en faire la synthèse, et évaluer les risques. Des indicateurs lui serviront à améliorer les comparaisons entre établissements, y compris au niveau international. Cela suppose la mise en place d’une comptabilité analytique dans les établissements publics – elle fait défaut au Louvre, mais elle fera partie du contrat de performance.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Pour décider de l’opportunité de contractualiser, la taille n’importe pas autant que la dimension culturelle.

Mme Marie-Christine Labourdette. Exactement. Le principe du contrat, c’est surtout la responsabilisation de l’opérateur, et il vaut quelle que soit sa taille. Mais on n’aura pas les mêmes exigences pour tout le monde.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. En matière de ressources humaines et de gestion, le Louvre a été un précurseur puisqu’il est responsable de ses ressources humaines depuis 2003. Quelle appréciation portez-vous sur cette délégation ? L’étendrez-vous à d’autres, qui « trépignent » d’impatience ? La gestion des ressources humaines est contrainte parce qu’elle s’inscrit dans un cadre unique commun à tous les musées. Ainsi, le Louvre éprouverait des difficultés à pourvoir des postes entre deux concours. Faut-il lui donner plus de souplesse ?

M. Georges Tron, Président. Sur ce sujet, M. Loyrette s’est montré très précis, et très critique.

M. Guillaume Boudy. Le sujet est important compte tenu du nombre de personnes en jeu. Le Louvre et la BNF ont bénéficié de plus de liberté, Versailles et Orsay la réclament, mais les syndicats dénoncent un démantèlement du ministère. Nous sommes placés entre le marteau et l’enclume. La doctrine est difficile à définir, notamment à cause du problème de la masse critique des effectifs. Le ministère de la Culture est un petit ministère, comptant environ 30 000 agents, dont à peine 12 000 en gestion directe. Quel est le seuil au-dessous duquel il ne faut pas passer ? Se pose également la question de la cohérence des statuts et du traitement différencié entre les petits établissements et les grands. Il y a urgence à décider. Bercy a été sollicité pour diligenter une inspection conjointe avec les affaires culturelles, qui sera chargée de faire un bilan des transferts déjà engagés. A-t-on dédoublé les équipes en créant des directions des ressources humaines dans les établissements ? A-t-on tiré toutes les conséquences de ce transfert au niveau de l’administration centrale ? Doit-on aller plus loin pour rationaliser le système ?

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Un grand pas a été franchi en 2003. Et l’histoire va plutôt dans ce sens.

M. Guillaume Boudy. Certes, un retour en arrière serait difficile, mais faut-il aller plus loin ? Le débat avec le Louvre et la BNF tourne autour des commissions administratives paritaires chargées de la discipline et des promotions. Faut-il en créer au niveau local ou instituer des pré-CAP ? Par ailleurs, cette délégation pose la question de l’égalité de traitement, à laquelle les syndicats sont très sensibles et qu’il est d’ores et déjà difficile d’assurer puisque les régimes indemnitaires diffèrent selon que les agents sont fonctionnaires ou contractuels. Faudrait-il créer un statut propre aux grands musées ?

M. Georges Tron, Président. Il s’agit là d’un vrai sujet. Au-delà du cas des musées, le ministère de la Culture est emblématique de l’évolution de la gestion du personnel des établissements publics. On y constate une diminution rapide et drastique des effectifs de l’administration centrale, qui sont passés de 17 000 à 12 000, tandis que ceux des établissements publics augmentaient dans le même temps de 7 000 ou 8 000 à 17 000. Indépendamment de l’importance incontestable de la politique culturelle, la commission des Finances doit envisager la question sous l’angle de la dépense publique.

Mme Marie-Christine Labourdette. Parmi les avantages à porter au crédit de la gestion directe du personnel par l’établissement, figure la souplesse qui contribue à améliorer l’efficacité du système.

Concernant les difficultés de recrutement du Louvre, je rappelle que cet établissement est autorisé à recruter des vacataires entre les concours, de sorte que la continuité du service public n’est pas rompue.

Quant aux inconvénients, le rapport de la Cour des comptes a souligné que la générosité de la politique sociale du Louvre pouvait susciter l’envie de la part d’autres personnels du ministère. La faculté de créer des emplois doit aller de pair avec le devoir de rendre compte à la tutelle de leur rentabilité et de leur optimisation. Le Louvre et le ministère travaillent ensemble sur ce chantier.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Au Louvre, justement, il y a tout de même moins de jours de fermeture et quasiment plus de grève. En dépit de la grève nationale du mois de janvier, le musée est resté ouvert, ce qui aurait été impossible il y a quelques années. Les gages donnés en matière salariale ont permis de modifier l’image du musée. Une comptabilité analytique permettrait de savoir si l’on a acheté la paix sociale, et à quel prix.

M. Guillaume Boudy. La mobilité entre l’administration centrale et les établissements est également examinée, et elle est d’autant plus nécessaire que les effectifs de l’administration centrale se réduisent. Il reste à mettre en place des outils de partage, une sorte de bourse ministérielle de l’emploi, et nous y travaillons.

M. Georges Tron, Président. La loi sur la mobilité entre les fonctions publiques va vous y aider.

M. Guillaume Boudy. Sûrement, mais à la condition d’organiser la fluidité de l’information. On a décentralisé les emplois au Louvre et à la BNF, mais sans créer en contrepartie d’outils de pilotage suffisants. Il y a certes des plafonds d’emplois, mais ce qui existe est soit tatillon, soit incomplet. La délégation, si elle se poursuit, se doublera de la mise en place d’outils d’information et de contrôle.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. La diminution des emplois publics a-t-elle, ou aura-t-elle, un impact sur l’ouverture des établissements ? Si aujourd’hui le Louvre ouvre bien davantage ses salles, et sur une plus grande amplitude horaire, n’est-ce pas grâce à des recrutements ?

M. Guillaume Boudy. Au-delà du dynamisme des dirigeants, qui a beaucoup compté dans le développement du Louvre, l’État a, depuis six ans, consenti en sa faveur des efforts importants, sur le plan financier comme sur le plan humain. Les ressources propres ont donné de l’air et des recrutements, dits emplois « mécénés », ont pu être autofinancés. Mais nous sommes entrés dans une phase de maîtrise accrue des dépenses et la question que vous posez sera abordée avec le Louvre dans le cadre de la négociation de son prochain contrat de performance. Il portera aussi sur les gains de productivité et l’éventualité de transferts complémentaires de responsabilité en matière de gestion de ressources humaines. Aujourd'hui, l’accroissement des ouvertures de salles et de l’amplitude horaire se traduit mécaniquement par des demandes de recrutement. Or le plafond d’emplois du ministère accuse, pour 2011, une baisse très sensible.

M. Georges Tron, Président. Le contrôle, en loi de finances, des plafonds d’emplois chez les opérateurs va modifier considérablement la donne, et le Parlement y gagnera des pouvoirs substantiels.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. En ce qui concerne les gains de productivité, j’avais mentionné, dans mon premier rapport spécial, le statut très particulier des veilleurs de nuit du Louvre. J’ai visité beaucoup de musées et de fondations, et je pense que le régime de récupération du travail de nuit au Louvre et à Orsay atteint un record mondial. Il faudra expliquer à la MEC pourquoi il est si favorable.

M. Guillaume Boudy. Ce point d’organisation du travail relève de la négociation établissement par établissement. Il est plus facile, je le sais pour avoir dirigé un EPIC, de négocier avec les syndicats quand on a la pleine responsabilité de la politique du personnel. Le Louvre a l’ambition d’ouvrir davantage, y compris en nocturne, et il faudra bien mettre sur la table la question du coût, d’autant que les emplois sont désormais sous plafond.

Mme Marie-Christine Labourdette. La mise sous tension des effectifs a pu se traduire, notamment dans les services à compétence nationale qui entrent dans les plafonds du ministère, dans les horaires d’ouverture des salles au public pour tenir compte de la raréfaction de la force de gardiennage dans certains établissements. Les établissements publics aussi vont devoir se soumettre à l’exercice.

Le régime des agents de nuit est un sujet dont les motifs sont historiques. Nous sommes conscients qu’une évolution est nécessaire, le Louvre également, et les discussions avec les organisations syndicales sont ouvertes, mais le sujet est récurrent. Les expériences d’externalisation menées dans certains SCN sont sans doute une piste à creuser.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Je ne dis pas que c’est simple, mais c’est choquant.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Abordons la question du mécénat. Il permet de desserrer des contraintes financières fortes, mais peut-il encore s’étendre ? Nous sommes prisonniers d’un dilemme : favoriser la culture ou créer une niche fiscale. Pour nous éclairer, existe-t-il une typologie des mécénats, par exemple entre grandes et petites entreprises ? Avec quel accompagnement fiscal faut-il le développer ? Comment se positionnent les grands musées français par rapport à leurs homologues étrangers ? Quels avantages y voyez-vous, et quels inconvénients tels que le risque de « cannibalisation » du mécénat par les grands établissements ?

Mme Marie-Christine Labourdette. Le mécénat est une source de financement extrêmement précieuse et très complémentaire des ressources propres et des subventions de l’État. Il est un recours dans trois domaines.

On distingue, premièrement, le mécénat d’investissement, qui permet de mobiliser des ressources dans des délais plus resserrés pour financer un investissement prioritaire. Il s’agit par exemple de la restauration de la Galerie des Glaces par Vinci ou de la création d’un département des arts de l’Islam au Louvre. Ces opérations améliorent substantiellement la qualité de l’offre muséale, ce qui est très important pour les grands musées, qui gagnent en attractivité. Dans des musées plus petits, mais au prestige réel, ce mécénat reste possible – Fontainebleau a ainsi trouvé un mécène pour restaurer son théâtre impérial – puisqu’il est le fruit d’un objectif partagé entre le musée et le mécène.

Deuxièmement, le mécénat contribue, par le biais de dispositifs fiscaux, à l’enrichissement des collections par le biais des trésors nationaux et des objets d’intérêt patrimonial majeur. Il revêt toujours une grande importance et notre partenariat avec le ministère du Budget est très fructueux. L’article 238 bis OA du code général des impôts a servi à acquérir, en 2007 et 2008, une dizaine d’œuvres, dont une moitié est allée aux musées nationaux, et l’autre aux musées des collectivités, ce qui prouve que les premiers n’ont pas capté la procédure à leur profit. Le quarantième anniversaire de la loi sur les dations vient d’être célébré. La première œuvre à avoir rejoint les collections publiques dans ce cadre a été le portrait de Diderot par Fragonard, et la dernière un portrait de Martial Raysse qui appartenait à Georges Pompidou. Cette loi a prouvé sa pertinence et sa très grande sélectivité dans le choix des œuvres.

M. Georges Tron, Président. Où situez-vous le point d’équilibre au regard de l’impact fiscal ? Faut-il aller plus loin et créer d’autres niches ?

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Avez-vous pu évaluer le coût du mécénat pour l’État ?

Mme Marie-Christine Labourdette. Chaque année, il est procédé à l’évaluation de la dépense fiscale correspondante et le système a atteint un point d’équilibre satisfaisant, à un ou deux détails près. Les musées et les acteurs économiques se sont approprié le mécanisme, et le marché est mûr – il l’était du moins avant la crise. En tout cas, le dispositif a servi à ce pour quoi il était conçu. Il n’y a eu ni abus ni détournement.

Troisièmement, il existe un mécénat spécifique autour des grandes expositions, qui correspond à un partenariat de notoriété utile aussi à la cohérence interne de l’entreprise. Nous avons un excellent retour, tant des entreprises que des musées. Les équipes de Vinci ont ainsi été frappées par l’utilisation exceptionnellement élevée par les salariés du groupe de la carte de visite gratuite de la Galerie des Glaces. C’était du jamais vu dans la politique sociale de l’entreprise. Cette opération a rencontré une adhésion véritable du personnel.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Venons-en à la gratuité. Quel est son coût, maintenant qu’elle ne s’applique plus qu’aux visiteurs de moins de vingt-six ans, du moins provisoirement ? Comment la compenser quand l’argent public se fait rare ? Cette mesure ne crée-t-elle pas un effet d’aubaine pour les touristes étrangers, qui sont nombreux ? Au Louvre, ils représenteraient les deux tiers des visiteurs. Par ailleurs, la gratuité ne dissimule-t-elle pas l’idée que la culture ne vaut rien, avec les conséquences que cela peut avoir, notamment sur les droits d’auteur ? Enfin, n’a-t-elle pas pour contrepartie le relèvement du prix des expositions temporaires, afin de compenser le manque à gagner ?

Bref, la gratuité était-elle la meilleure façon de dépenser de l’argent en faveur de la démocratisation culturelle ? Autrement dit, le prix est-il la vraie barrière à l’entrée au musée ?

Mme Marie-Christine Labourdette. Les mesures annoncées à Nîmes par le Président de la République sur la gratuité sont fondées sur le résultat de l’expérimentation qui a eu lieu entre le 1er janvier et le 30 juin 2008. Celle-ci a confirmé que le prix n’est pas l’obstacle majeur à la démocratisation culturelle. L’expérience révèle néanmoins que la gratuité ciblée sur la jeunesse a parfois un effet déclencheur en donnant un caractère festif à la visite, qui ne relève plus alors de l’acte marchand. En conclusion, la démocratisation ne passe pas par la gratuité pour tout le monde, laquelle se traduirait en effet, pour compenser les pertes de recettes, par un relèvement du tarif des expositions temporaires tel qu’il produirait un effet d’éviction, comme on l’observe en Grande-Bretagne où les collections permanentes sont gratuites. La France a choisi une autre voie, plus équilibrée. L’accès est gratuit jusqu’à 18 ans, mais cela ne se sait pas suffisamment, modique au-delà pour les collections permanentes, tandis que le tarif des expositions temporaires reste raisonnable.

L’analyse montre également que la tranche 18-25 ans correspond au moment où les parents cessent d’être prescripteurs en même temps que le pouvoir d’achat se tend. Et là, le prix devient le critère de choix le plus sensible. Dès lors, permettre non seulement aux étudiants, mais aussi aux jeunes actifs, de continuer à bénéficier de la gratuité contribue à faire entrer le musée dans leurs pratiques culturelles et leur donne le goût de poursuivre au-delà de vingt-six ans.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Combien cela coûte-t-il ?

Mme Marie-Christine Labourdette. En année pleine, 24 millions d’euros.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Était-ce la meilleure mesure à prendre ?

Mme Marie-Christine Labourdette. C’est un pari sur l’avenir, mais qui se fonde sur un constat scientifique. La réponse viendra dans quelques années, quand nous examinerons la courbe de fréquentation de ceux qui auront bénéficié de cette mesure.

Cela étant, il n’est pas question de dévaloriser la culture en rendant son accès gratuit. Les expositions temporaires restent payantes pour les 18-25 ans ; l’accès libre est seulement un moyen de les inciter à aller au musée. Par ailleurs, près de 30 % des visiteurs entrent déjà gratuitement dans les musées nationaux : les jeunes, mais aussi les RMIstes, les chômeurs, les handicapés. On ne peut contester que notre patrimoine soit mis à la disposition de nos concitoyens par des tarifs différenciés.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Ces publics, qui bénéficiaient déjà de la gratuité, fréquentaient-ils les musées auparavant ? Si oui, dans quelles proportions ? Les chiffres vous ont-ils aidés à étayer une mesure qui a été très discutée ?

Mme Marie-Christine Labourdette. L’expérimentation a eu au moins le mérite de faire connaître la gratuité à ceux qui pouvaient en bénéficier et qui, souvent, l’ignoraient.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. C’était de la « com » ?

Mme Marie-Christine Labourdette. Pas seulement. L’expérimentation nous a donné la possibilité de faire connaître à certains publics des droits qu’ils ignoraient. Ils ont saisi l’occasion de la gratuité pour aller au musée. Nous leur avons montré, billet en main, qu’ils pourraient continuer à entrer au musée gratuitement. Nous leur avons ainsi appris que le patrimoine national était la propriété de l’ensemble des citoyens.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Y a-t-il des publics qui ne vont jamais dans les grands musées, notamment au Louvre ?

Mme Marie-Christine Labourdette. En moyenne, entre 55 % et 60 % de la fréquentation des musées est le fait des catégories socioprofessionnelles supérieures et moyennes comprises largement. Les catégories populaires vont beaucoup plus au musée qu’on ne l’imagine : elles représentent environ 30 % de la fréquentation.

L’effet d’aubaine pour les étrangers ne nous a pas échappé, mais nous appliquons strictement le principe communautaire : les jeunes de 18-25 ans de l’Union européenne bénéficient du même avantage que les Français.

Mais il n’est pas question d’entrer dans un musée comme dans une galerie marchande, pour faire sécher son parapluie pendant une averse en regardant trois tableaux. Un billet sera délivré, pour donner au jeune l’impression d’être en quelque sorte invité après une démarche volontaire de sa part. Ce ne sera pas l’acte gratuit de consommation que vous craignez.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Le Louvre s’est doté d’une maîtrise d’ouvrage propre. Qu’en pensez-vous ?

Mme Marie-Christine Labourdette. Le rapport de la Cour des comptes est exhaustif à ce sujet. Du point de vue de la tutelle, la création d’un tel service est apparue comme légitime compte tenu de l’échelle des projets et de la taille du palais. La Cour a préconisé un audit de la maîtrise d’ouvrage après l’ouverture du département des arts de l’Islam, en 2011. Et nous respecterons sa recommandation. Pour le moment, notre diagnostic est plutôt positif, mais nous sommes d’avis de réserver cette faculté aux très grands établissements : le Louvre et Versailles. Pour Orsay, c’est déjà moins légitime. Il existe au sein du ministère une structure – l’ÉMOC, l’établissement public de maîtrise d’ouvrage des travaux culturels – dont c’est la vocation, et il n’y a pas de raison de ne pas utiliser les compétences mutualisées.

M. Guillaume Boudy. Il y a un effet « taille », mais il faut s’assurer aussi de la pérennité du besoin.

M. Georges Tron, Président. Le rapport de la Cour des comptes sur les grands chantiers culturels décrit les différents systèmes expérimentés ces dernières années, c'est-à-dire le Service national des travaux, l’ÉMOC et le Quai-Branly. À l’époque, aucun n’avait apporté les preuves de sa supériorité sur les autres. Le problème résidait dans les pratiques professionnelles, notamment la programmation, plutôt que dans le dispositif institutionnel. La Cour appelait donc à un audit très attentif du transfert de la maîtrise d’ouvrage au Louvre, sur lequel elle paraissait quelque peu circonspecte. Il conviendra d’examiner attentivement ses résultats.

M. Guillaume Boudy. Nous sommes en train de mettre en place, comme la Cour des comptes le préconisait dans son rapport sur les grands projets chantiers culturels, un comité d’instruction et de suivi des grands projets. Présidé par le secrétaire général, il réunira la maîtrise d’ouvrage et des spécialistes. Il validera la programmation et suivra les réalisations.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Passons à la décentralisation culturelle. Un grand quotidien économique titrait récemment : « Louvre-Lens : la dynamique de développement au point mort ».

Mme Marie-Christine Labourdette. C’est excessif !

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Sans doute. Mais où en est le projet ? L’effet de levier qu’on en attendait sur le territoire est-il observable ? Et si, d’aventure, vos conclusions étaient positives, envisageriez-vous d’autres projets de ce type ? Quel serait le rôle du ministère dans les initiatives qui pourraient éclore ?

Mme Marie-Christine Labourdette. Le Louvre-Lens est un projet très intéressant, qui marque une évolution de la politique muséale. Il prolonge une politique très ancienne de projection sur le territoire des collections nationales qui a pris la forme au XIXe siècle de dépôts de l’État dans les musées de province. Le Louvre-Lens en est en quelque sorte le dernier avatar. L’initiative en revient au ministère de la Culture, qui entend affirmer la responsabilité des grands établissements publics comme tête de réseau de la politique d’aménagement culturel du territoire et de mise à la disposition de zones déshéritées des richesses de notre patrimoine national. La mobilisation des collectivités partenaires est très forte puisque la totalité de l’investissement et du fonctionnement sera financée par les collectivités locales. Le problème vient de ce que l’on construit toujours des bâtiments qui sont des prototypes dont la finalisation est complexe. Des réajustements sont en cours, pour mieux cadrer avec les prévisions budgétaires, et le chantier va démarrer avec un peu de retard.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. C’est plus simple pour Abou Dabi !

Mme Marie-Christine Labourdette. Nous n’en sommes pas au même stade. À Lens, la mobilisation des acteurs est telle qu’elle simplifie les choses. Quant à l’effet Bilbao, il devrait se produire d’autant que, lors du dernier comité de pilotage, il y a dix jours, le président de la région Nord-Pas-de-Calais a annoncé la création de l’association Euralens, qui rassemblera l’ensemble des acteurs impliqués dans l’aménagement des infrastructures destinées à accompagner l’implantation du musée. Le Centre Pompidou suivra la même démarche en s’installant à Metz. Faut-il en faire un système ? C’est difficile à dire, car il faut prendre la mesure de la mobilisation que de tels projets requièrent. Une voie d’avenir pourrait consister en des formules plus souples et plus légères de partenariat, qui permettent à des musées nationaux de se projeter en région, comme Orsay à Giverny autour d’un établissement public de coopération culturelle. Le ministère de la Culture est convaincu, tout comme les collectivités territoriales, qu’il est dans l’intérêt de tous de faire des musées un vecteur de développement, pourvu que la démarche soit partenariale.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Au vu de tous ces éléments, le Louvre est-il en train de devenir une marque ?

Mme Marie-Christine Labourdette. Il l’était déjà ! Pensez aux difficultés du transfert de son logo ! Plus généralement, au-delà de la marque commerciale, le Louvre est surtout un symbole et un emblème, jadis d’un conservatisme poussiéreux – songez à la noce qui se promène au Louvre dans Germinal –, aujourd'hui de l’hyperdynamisme et de la compétitivité de la culture française. Tout le monde est fier du Louvre, qui a prouvé que les musées portent au plus haut la qualité de la culture française en alliant exigence et efficacité, y compris sur le plan international. La projection du Louvre à l’étranger a donné lieu à un accord intergouvernemental qui atteste du lien avec la politique étrangère.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Nous vous transmettrons par écrit nos questions sur Abou Dabi.

M. Georges Tron, Président. Je remercie chacun d’entre vous.

Audition du 19 mars 2009

À 9 h 30 : Audition de Mme Marie-Cécile Forest, directrice du musée national
Gustave-Moreau, et de M. David Ben si Mohand, secrétaire général

Présidence de M. Georges Tron, Président

M. Georges Tron, Président. Mesdames, messieurs, je vous souhaite la bienvenue pour la poursuite des auditions de la mission d’évaluation et de contrôle relative au musée du Louvre. Je remercie tout particulièrement de leur présence fidèle les représentants de la Cour des comptes, M. Emmanuel Giannesini, conseiller référendaire, et M. Emmanuel Marcovitch, auditeur.

Dans le cadre de l’évaluation du musée du Louvre et, plus largement, de la politique muséale française, nous avons déjà entendu le président-directeur du musée du Louvre, ainsi que le secrétaire général du ministère de la Culture et la directrice des Musées de France. Nous souhaitions également recueillir le point de vue d’autres directeurs de musées, afin d’apprécier dans quelle mesure l’expérience particulière du Louvre leur était applicable. Peut-être, réciproquement, leurs expériences et leurs réussites pourront-ils servir de source d’inspiration pour le Louvre.

Le directeur du musée Magnin de Dijon a répondu par écrit au questionnaire que nous lui avons adressé. Nous entendrons dans les prochaines semaines madame Anne Baldassari, directrice du musée national Picasso. Aujourd’hui, nous avons le plaisir d’accueillir Madame Marie-Cécile Forest, directrice du musée national Gustave-Moreau, accompagnée de M. David Ben si Mohand, secrétaire général.

Le musée que vous dirigez, madame, est, comme le Louvre, doté du statut d’établissement public. Le nombre de ses visiteurs – un peu supérieur à 30 000 par an – est naturellement sans commune mesure avec celui du musée du Louvre, mais vous avez la particularité, qui fut d’ailleurs longuement évoquée au cours de l’audition des responsables du Louvre, de mener une politique active de financement par le mécénat. Cette politique tendrait notamment à tirer toutes les conséquences de l’intérêt du public japonais pour le peintre symboliste qu’était Gustave Moreau.

Je vous propose de répondre sans plus attendre aux questions de nos rapporteurs, qui sont aussi les deux rapporteurs spéciaux de la commission des Finances sur le budget de la culture, MM. Richard Dell’Agnola et Nicolas Perruchot. Le troisième rapporteur de la mission, M. Marcel Rogemont, m’a demandé de l’excuser auprès de vous : il ne peut participer aujourd’hui à nos travaux.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Nous commencerons par vos relations avec l’autorité de tutelle.

Il est envisagé, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, de réorganiser le ministère de la Culture et de créer une direction générale des Patrimoines intégrant l’actuelle direction des Musées de France. Qu’attendez-vous de cette réforme, notamment en ce qui concerne la définition et le pilotage de la politique muséale nationale ?

Par ailleurs, que pensez-vous des établissements ayant le statut de service à compétence nationale, les SCN, dont certains estiment qu’ils sont dans une situation « infantilisante » ? Le Louvre a été le premier musée doté du statut d’établissement public. Pensez-vous qu’un plus grand nombre d’institutions muséales devrait en bénéficier ?

Mme Marie-Cécile Forest, directrice du musée national Gustave Moreau. Pour l’heure, nos relations avec la direction des Musées de France, la DMF, sont excellentes. La directrice des Musées de France, ou son représentant – en général son adjoint, M. Rodolphe Rapetti –, assistent régulièrement à notre conseil d’administration.

Nous disposons pour l’instant d’assez peu de renseignements sur la nouvelle structure. Nous sommes dans l’expectative, voire dans l’inquiétude, car nous craignons de perdre la relation de proximité que nous avions avec le personnel de la DMF. Ainsi, en matière de gestion du personnel, nous obtenons des réponses plus rapides et plus précises de la part du département des professions et des personnels de la DMF que de la direction des Affaires générales, la DAG. Il existe en outre à la DMF un département de la muséographie et un département des publics. Nous espérons ne pas avoir affaire à une administration de tutelle trop distante.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. De combien d’équivalents temps plein disposez-vous dans votre établissement ? Cet effectif est-il stable ? Vous semble-t-il satisfaisant ?

M. David Ben si Mohand, secrétaire général du musée national Gustave Moreau. En tout, nous sommes vingt-quatre : cinq personnes sont rémunérées directement par le musée, les autres sont des fonctionnaires payés par la DAG.

Mme Marie-Cécile Forest. L’effectif a beaucoup évolué depuis mon arrivée, en 2001. Quand j’ai pris la direction de l’établissement en 2002, le musée souffrait d’un déficit de personnel : il n’y avait que le directeur-conservateur, un secrétaire général à temps plein, un chef de la surveillance et des agents de surveillance. Si l’on souhaitait mener des opérations d’envergure, il fallait recruter du personnel. C’est pourquoi nous avons lancé, avec succès, une politique de recherche de mécénats. Grâce à ceux-ci, nous avons embauché des contractuels pour des fonctions de régie d’œuvre, capitales pour l’organisation d’expositions, et de récolement – puisque nous avons une obligation de récolement décennal. Une personne a également été recrutée pour la documentation, la communication et la recherche de mécénats avec le secrétaire général.

Ce personnel supplémentaire, payé par le musée – je préférerais qu’il le soit par le ministère ! –, est absolument indispensable. Certes, le musée Gustave-Moreau renvoie l’image d’un petit musée, en raison du nombre de ses visiteurs, mais il possède une collection très importante, riche de 20 000 œuvres. Sachant qu’une aquarelle de Gustave Moreau peut valoir 600 000 euros sur le marché, c’est un trésor national ! Il nous faut donc un personnel suffisant.

Je suis très satisfaite de l’équipe actuelle, que j’ai en partie recrutée. L’intérêt des petits musées, c’est qu’on peut y faire beaucoup de choses ; le personnel y est heureux et motivé.

La particularité des musées français, c’est leur immense diversité, en matière de fonctionnement administratif comme de création. Il faut préserver cette diversité, donc les petites structures – de même que, du point de vue économique, il est important qu’il y ait dans un même pays des petites entreprises, des moyennes entreprises, des grandes entreprises et des multinationales. Chaque musée est une aventure particulière. Nous avons la chance, nous autres conservateurs, de faire des métiers qui répondent à des passions. Quelle que soit la structure administrative, il est toujours possible de valoriser une collection.

M. David Ben si Mohand. En matière d’effectifs, nous sommes actuellement à l’équilibre. Il y a un poste administratif vacant depuis deux ans, faute de candidat, mais nous avons pallié ce manque. En revanche, nous devons être polyvalents et toucher à un peu tous les domaines. C’est d’ailleurs tout l’intérêt de notre travail !

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Pensez-vous que, du côté du ministère, on ressente les choses de manière identique et que l’on craigne que les liens ne se distendent ?

M. David Ben si Mohand. Le rapport de proximité s’établit surtout avec les services de la DMF. Comme nous n’avons pas de service administratif, juridique ou financier, ils nous apportent conseil et assistance. Avec la DAG, nos rapports sont beaucoup moins étroits ; ils sont essentiellement liés à des décisions de gestion : avec le bureau des opérateurs culturels nationaux pour les affaires financières et avec le service du personnel.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Abordons, si vous le voulez bien, les problématiques liées à la RMN, la Réunion des musées nationaux. Quelle valeur ajoutée apporte-t-elle aux institutions muséales ? Remplit-elle de façon satisfaisante son rôle de mutualisation, qui devrait profiter en priorité aux établissements de taille moyenne et petite, les grands musées ayant tendance à vouloir s’en affranchir ?

Quelle appréciation portez-vous sur votre collaboration avec la RMN, en matière d’exposition, de politique commerciale, de gestion de la billetterie ? Si la RMN semble fondée à agir dans des domaines qui ne ressortissent pas directement aux métiers des musées, comme la vente des produits dérivés, doit-elle continuer à s’impliquer dans la politique culturelle menée par l’institution muséale, notamment via l’organisation d’expositions temporaires ?

Les relations entre les musées et la RMN sont régies par des conventions. Pensez-vous que la RMN soit aujourd’hui en situation de monopole ? Est-il possible, voire souhaitable, de recourir à d’autres prestataires ? Au moment où l’autonomie des établissements progresse et où le paysage muséal change, la RMN a-t-elle encore une raison d’être ?

M. David Ben si Mohand. Vis-à-vis de la RMN, le musée Gustave-Moreau a un statut particulier : contrairement aux autres musées nationaux, nous gérons directement notre librairie et notre billetterie.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Voilà qui tranche une grande partie de mes questions…

Mme Marie-Cécile Forest. Autre particularité du musée : comme nous conservons le fonds d’atelier de l’artiste – il a lui-même accroché les œuvres exposées –, nous n’achetons pas d’œuvres d’art. De surcroît, nous avons en réserve des œuvres d’une qualité bien supérieure à celles que l’on trouve sur le marché.

Le musée travaille avec la RMN pour les photographies, qu’elle réalise et dont elle gère la vente, pour les visites-conférences, pour certains catalogues – en mai paraîtra notamment le Catalogue sommaire des dessins de Gustave Moreau, fruit d’un travail de sept années –, pour des publications ponctuelles, ainsi que pour des opérations de communication : nous louons, via la RMN, des espaces dans le métro ou sur les murs de Paris.

En ce qui concerne les expositions, il n’y en avait pas au musée Gustave-Moreau jusqu’en 2007, date à laquelle la Société Huysmans m’a proposé de faire quelque chose à l’occasion du centième anniversaire de la mort de Huysmans. J’ai accepté. C’était une gageure : il n’y avait ni salle d’exposition, ni cimaises. Grâce à mon expérience antérieure, nous avons pu le faire entièrement par nous-mêmes. Il n’y a qu’en matière de communication que nous avons eu besoin de compétences extérieures ; nous avons donc fait appel à la RMN. Nous organiserons l’année prochaine une autre exposition sur le thème : « Gustave Moreau et la sculpture ».

Vis-à-vis de la RMN, je me sens donc extrêmement libre. Quand on veut travailler avec elle, on le fait, mais on n’y est pas obligé. C’est une relation à la carte. À mes yeux, la RMN n’est pas du tout en situation de monopole.

M. David Ben si Mohand. Je précise que, notre boutique n’étant pas gérée par la RMN, nous avons avec elle une relation normale d’éditeur à libraire. Nous ne bénéficions pas de remises particulières.

La seule convention qui existe entre l’EPA Gustave-Moreau et la RMN définit les conditions pour les visites-conférences. Ancienne, elle doit être révisée cette année.

Disposant de notre propre fonds, de notre propre librairie et de notre propre billetterie, nous sommes donc par nature assez indépendants de la RMN. Seul le comptable du musée Gustave-Moreau se trouve être l’agent comptable de la RMN.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Comment s’effectue l’édition des catalogues ? Y a-t-il mise en concurrence ?

Mme Marie-Cécile Forest. Oui. Par exemple, pour le Catalogue sommaire des dessins, nous avons fait appel à d’autres éditeurs mais tous, sauf un, ont renoncé. Et il était plus cher.

Ce catalogue comprendra 4 800 photographies, ce qui est très onéreux. La RMN a vocation à éditer ce genre d’ouvrages, elle reçoit d’ailleurs de l’argent du ministère pour cela. Il était plus intéressant de passer par son intermédiaire, d’autant qu’elle a accepté de financer l’édition Internet. Le musée Gustave-Moreau n’avait pas publié de catalogue scientifique depuis 1987 !

M. David Ben si Mohand. L’an dernier, nous avions fait une mise en concurrence pour l’édition du catalogue de l’exposition sur Huysmans. Finalement, ce sont les Éditions du Regard qui ont été retenues.

S’agissant de l’exposition de l’année prochaine, le choix n’a pas encore été fait. Il y aura également mise en concurrence.

La RMN conserve toutefois le monopole pour les reproductions et le catalogue du musée. Pour la librairie, elle est notre fournisseur le plus important.

Mme Marie-Cécile Forest. Il existe indéniablement à la RMN un savoir-faire, accumulé depuis des décennies, en matière de réalisation d’expositions et de catalogues.

En outre, dans ce type de projets, l’intérêt, l’enthousiasme comptent énormément. Si l’on sent qu’il y a chez un éditeur un réel intérêt pour Gustave Moreau et le dessin, cela fera pencher la balance de son côté. Les aspects financiers ne sont pas tout. À budget égal, on choisira le plus passionné !

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Venons-en à la gestion des ressources humaines, qui dépend aujourd’hui de la tutelle. Pensez-vous que ce soit un facteur de rigidité ? Les personnes issues des concours sont-elles en adéquation avec les postes et avec vos besoins ou souhaitez-vous l’introduction d’un autre système de recrutement ?

Mme Marie-Cécile Forest. Comme je l’ai dit, les deux cas de figure existent. La majorité de notre personnel est recrutée sur concours, selon la voie statutaire normale ; le reste est composé de contractuels, recrutés par moi et par le secrétaire général, et payés par l’établissement. Cette mixité est appréciable.

M. David Ben si Mohand. Le seul problème que nous ayons rencontré, c’est de pouvoir rémunérer les personnes que nous souhaitions recruter. C’est pourquoi nous avons engagé une politique active de recherche de mécénat et de livraison d’expositions « clefs en main » à l’étranger.

Nous sommes satisfaits du dispositif actuel. Contrairement à d’autres établissements publics, nous ne gérons pas l’ensemble du personnel – et nous ne souhaitons pas le faire, car ce serait trop compliqué à mettre en œuvre.

Mme Marie-Cécile Forest. Notre structure est trop petite ! Nous préférons que la gestion du personnel, notamment la gestion des carrières, particulièrement complexe, reste au ministère.

Le cadre unique de recrutement ne nous pose pas de problème : le concours est bien souvent la garantie d’une certaine qualité.

M. David Ben si Mohand. Au musée, le recrutement de fonctionnaires par voie de concours concerne essentiellement les agents de surveillance et les conservateurs. Les épreuves correspondent assez bien aux missions confiées. L’essentiel du personnel scientifique et de documentation est constitué de contractuels – sauf une secrétaire de documentation recrutée par concours.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Vous disiez tout à l’heure que vous avez développé la polyvalence.

Mme Marie-Cécile Forest. Cela s’est fait naturellement. Il faut bien s’adapter : nous souffrons quand même d’un certain déficit de personnel ! Par exemple, nous n’avons pas de service technique, alors que normalement, tous les musées en ont un. Moi-même, je n’ai pas de secrétaire : je traite mes courriers moi-même.

M. David Ben si Mohand. Nous devons donc, soit faire appel à des prestataires extérieurs, soit réaliser nous-mêmes. Ce n’est d’ailleurs pas inintéressant : quand on lance un projet, on s’en occupe de A à Z. Même si certains aspects ne sont pas très agréables, cette diversité est l’un des intérêts du métier.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Quand vous comparez vos moyens avec les dotations des grands musées, ne les enviez-vous pas un peu ?

Mme Marie-Cécile Forest. Pas du tout. Nous ne nous sentons pas en concurrence.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Dans les choix budgétaires et les affectations de postes, vous n’avez pas le sentiment de passer après les autres ?

M. David Ben si Mohand. Non : je l’ai dit, tous les postes dévolus au musée sont pourvus, sauf un. Cela a été bien calculé par le ministère.

Mme Marie-Cécile Forest. Ma seule inquiétude fut, en septembre 2008, le départ à la retraite de la secrétaire générale. J’ai craint qu’elle ne soit pas remplacée ou qu’elle le soit à temps partiel, ou encore que le secrétariat général soit mutualisé avec un autre musée. Je me suis battue. J’ai rencontré à plusieurs reprises Mme Mariani-Ducret, la directrice des Musées de France de l’époque. Finalement, le ministère nous a entendus et le poste a été pourvu – probablement au vu de nos réalisations antérieures. Dans le cas contraire, nous aurions été en grande difficulté. Il ne faudrait pas que l’effectif descende au-dessous du niveau actuel ou que le personnel soit à cheval sur deux établissements.

M. Richard dell’Agnola, Rapporteur. La Cour des comptes a contrôlé le musée Gustave-Moreau au début de l’année. La procédure en est au stade de la contradiction et la Cour devrait rendre ses observations définitives d’ici quelques semaines.

Cependant, nous croyons d’ores et déjà savoir que sur deux points au moins, le musée aurait pu bénéficier d’un plus grand appui de la part de sa tutelle, eu égard aux investissements nécessaires.

Tout d’abord, l’informatisation des collections est longtemps demeurée à l’état latent puisque, lors de son précédent contrôle, au début des années 2000, la Cour avait déjà souligné la nécessité d’accélérer les choses. Il semble que le chantier ait enfin été engagé. Vu la dimension du musée, les sommes en jeu n’étaient pourtant pas colossales. Cette collection remarquable aurait pu bénéficier d’une priorité un peu plus élevée.

Ensuite, bien que la location d’un appartement ait permis de desserrer quelque peu les contraintes spatiales, la situation des réserves demeurerait insatisfaisante. Le musée Gustave-Moreau possède des œuvres d’une immense valeur, en grand nombre – 20 000, ce qui le place, en termes de réserves, au niveau des grands musées français –, mais conservées dans des conditions qui ne sont probablement pas optimales. Le musée est-il impliqué dans le projet de centre commun de réserves pour les musées situés en bord de Seine – sachant que, sauf erreur, les dispositions testamentaires de Gustave Moreau n’évoquent qu’une obligation d’exposition, et non de conservation, sur place ?

Mme Marie-Cécile Forest. Sur ce dernier point, ma position est très ferme.

Premièrement, la volonté du donateur, Gustave Moreau, est que toute la collection reste dans le musée qu’il a lui-même aménagé ; cela concerne non seulement les œuvres présentées, mais aussi celles qui sont dans les réserves.

Deuxièmement, Henri Rupp, son légataire universel, a reversé à l’État la somme d’argent, très importante pour l’époque, que Gustave Moreau lui avait donnée pour l’ouverture du musée, à condition que la collection reste au musée.

Il s’agit d’une question déontologique. Si la volonté des donateurs du musée Gustave-Moreau n’était pas respectée, cela pourrait faire réfléchir d’autres donateurs. L’État doit tenir parole. En l’occurrence, il avait accepté le testament et s’était engagé à en respecter les conditions par un décret d’application de 1902.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Avez-vous évoqué la question avec votre autorité de tutelle ?

Mme Marie-Cécile Forest. Nous en avons parlé en conseil d’administration.

M. David Ben si Mohand. Depuis un an, nous avons engagé des études de programmation pour le réaménagement des réserves, avec le concours d’un représentant de la conservation préventive et d’une architecte-conseil de la DMF. Nous en sommes aux études de faisabilité. Il semblerait que l’on puisse réaménager les réserves de façon optimale afin que tout soit conservé sur place dans de bonnes conditions. D’ailleurs, le ministère a accepté une partie du plan de financement et va nous accorder une subvention pour engager les travaux en 2010.

Mme Marie-Cécile Forest. Une délocalisation des réserves poserait en outre des problèmes d’organisation du travail. Les services de conservation et d’administration ont déménagé à dix minutes du musée, ce qui, certes, était une nécessité, mais constitue aussi une contrainte. Surtout, les expositions présentées à l’étranger, au Japon, en Hongrie, ou à Melbourne, sont conçues à partir de la collection tout entière, ce qui suppose de pouvoir opérer un choix parmi les œuvres en réserve.

Par ailleurs, le récolement – obligatoire – est en cours. Nous avons embauché un contractuel pour le faire, mais il ne sera pas achevé avant 2014. Certaines œuvres ne sont même pas inventoriées ! À l’heure actuelle, seulement 7 000 œuvres sur 20 000 ont été récolées. On ne peut songer à une externalisation des réserves dans ces conditions.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. S’agissant maintenant du financement, vous menez une politique de mécénat originale et reconnue. Comment a-t-elle été mise en place ? Qu’apporte-t-elle à votre établissement ?

Mme Marie-Cécile Forest. Nous avons la chance de posséder une vaste collection d’œuvres d’un artiste très connu à l’étranger. Spontanément, des conservateurs étrangers viennent me demander des expositions « clefs en main ». Il y a quelques années, nous avons fait au Japon une exposition itinérante, qui nous a rapporté 500 000 euros. Je souhaite poursuivre cette politique, même si les conditions financières ne sont pas toujours aussi avantageuses. À chaque fois, je demande un renouvellement des thèmes, afin que ces expositions s’inscrivent dans une perspective scientifique, servent l’histoire de l’art et ne se réduisent pas à de simples opérations commerciales. Il serait extrêmement facile de faire une présentation itinérante des chefs-d'œuvre de Gustave Moreau, mais je m’y refuse : je veux que nous gardions notre vocation, qui est d’étudier et de faire connaître l’œuvre de Gustave Moreau.

Nous avons également engagé l’an dernier une politique de location d’espaces du musée. Les bénéficiaires sont triés sur le volet – de toute façon, nous ne pouvons pas accueillir plus de cent personnes. À cette occasion, nous essayons de mettre le musée en valeur à l’aide d’une visite guidée ciblée.

Cet argent nous permet de lancer des actions propres, comme des expositions. Certes, celles-ci ont un coût – environ 100 000 euros pour l’exposition Huysmans –, mais il y a des retombées médiatiques et un afflux de visiteurs.

M. David Ben si Mohand. Le budget du musée est constitué pour deux tiers de ressources propres et pour un tiers de subventions. Les expositions vendues « clefs en main » à l’étranger rapportent beaucoup d’argent, mais il n’y en a que tous les deux ans environ et il est rare qu’elles soient aussi lucratives que celle présentée au Japon. Le plus gros des revenus vient de la billetterie et de la librairie.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Dans ce cadre, que pensez-vous de la gratuité des musées ?

Mme Marie-Cécile Forest. Par principe, nous sommes favorables à la gratuité pour les 18-25 ans. Le musée Gustave-Moreau a par ailleurs toujours maintenu la gratuité pour les enseignants ; j’y tiens beaucoup, car c’est par eux que nous pouvons toucher les enfants et les adolescents. Toutefois, le manque à gagner devra être compensé de manière pérenne par l’État.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Selon vous, une gratuité ciblée est plus adaptée qu’une gratuité totale ?

Mme Marie-Cécile Forest. Oui. Les conservateurs des musées de la Ville de Paris, qui a accordé la gratuité totale, trouvent que les visiteurs sont plus négligents et qu’il y a davantage de dégradations. Quand je vais au cinéma, je paie ma place, et ça me paraît normal !

Par ailleurs, nous faisons attention de pratiquer des tarifs raisonnables : l’entrée au musée Gustave-Moreau coûte 5 euros, sans augmentation annuelle. Elle est en outre totalement gratuite le premier dimanche de chaque mois.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Avez-vous aujourd’hui la possibilité de recourir à des entreprises mécènes ?

M. David Ben si Mohand. Nous avons un partenaire de proximité, dans le neuvième arrondissement : une entreprise privée qui nous verse régulièrement de l’argent. Mais il ne s’agit pas de sommes énormes. Nous n’avons pas de service de mécénat : c’est moi, le secrétaire général, et la jeune femme chargée de la communication qui nous en occupons avec Mme Forest. Nous débutons à peine. Pour ma part, j’ai pris rendez-vous rue de Valois avec la mission du mécénat, où l’on m’a donné des pistes et des modèles. Mme Forest, de son côté, s’est lancée dans une politique de recherche de mécénat pour financer l’exposition de 2010.

Mme Marie-Cécile Forest. Je suis en lien avec Robert Fohr qui dirige la mission du mécénat au ministère de la Culture. Évidemment, un musée comme le nôtre a plus de mal que le Louvre à attirer les mécènes : notre prestige est moindre et il nous est impossible d’accueillir plus de cent personnes à la fois.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. La petite taille du musée Gustave-Moreau représente donc une difficulté.

Mme Marie-Cécile Forest. C’est à la fois une difficulté et notre charme. Le musée Gustave-Moreau est resté intact depuis le XIXe siècle. Le nombre de ses visiteurs n’est pas excessif, on peut le visiter dans de bonnes conditions. Un musée n’est pas une entreprise comme les autres mais un lieu particulier d’esprit et de culture, de méditation et de proximité avec les œuvres et les peintres. Il convient de le préserver.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Il vous faudrait trouver un mécène prospère qui serait passionné par Gustave Moreau. Pensez-vous que ce soit réalisable dans les années à venir ?

Mme Marie-Cécile Forest. Nous devons plutôt nous appuyer sur les expositions « clés en main », que nous organisons à partir de notre fonds. Elles sont un produit sûr, alors que la recherche de mécénat est plus compliquée, surtout avec la crise.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Vous la ressentez ?

Mme Marie-Cécile Forest. Non.

M. David Ben si Mohand. Nous avons fini l’année 2008 en positif. C’est bien parti pour 2009.

En effet, la politique de la direction du musée passe d’abord par la vente d’expositions clés en main à l’étranger. La recherche de mécénat n’est pas ce que nous privilégions.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Votre dynamique d’expositions et le nom de Gustave Moreau à l’étranger vous permettront peut-être de trouver des mécènes.

M. David Ben si Mohand. De fait, nous insistons sur la vocation internationale du musée. Les fonds que nous recevons proviennent pour moitié de l’étranger – surtout du Japon.

M. Nicolas Perruchot Vous avez bien fait de distinguer le mécénat du partenariat. On constate que l’essentiel du mécénat est capté par les grands musées pour les opérations les plus prestigieuses. Les petits musées restent assez largement en dehors du phénomène pour les deux raisons que vous avez mentionnées : différence de prestige et de contreparties. Le régime du mécénat autorise des contreparties à hauteur de 25 %. Ces contreparties se traduisent en général par la mise à disposition des lieux, que les petits musées ne peuvent pas assurer.

M. Richard dell’Agnola, Rapporteur. Il semble que vous viviez heureux : le musée Gustave-Moreau a sa propre image, son propre impact et ses propres ressources. Mais parlons du Louvre, qui peut apparaître comme l’enfant gâté du ministère de la Culture. Sa réussite est-elle transposable ? Y a-t-il une « recette » particulière du Louvre qui puisse être adaptée à votre musée ? Le Louvre est-il l’idéal sur le plan muséal ? Peut-être ne vous sentez-vous pas directement concernés par de telles questions, mais qu’en pensez-vous, en tant que professionnels ?

M. David Ben si Mohand. Il est difficile de répondre. Nous sommes sur une échelle tellement différente. Comment se comparer au Louvre ?

Mme Marie-Cécile Forest. L’important pour un musée est d’avoir une grande collection. Lorsque c’est le cas, comme au musée Gustave-Moreau, beaucoup de choses sont possibles. Par rapport au Louvre, je ne me sens pas « mal aimée ». Pour moi, il est essentiel de préserver la diversité des musées, qui doivent garder leur identité et leur structure propres. Je suis très attachée à l’autonomie du musée Gustave-Moreau, qui n’a pas besoin d’être rattaché à une autre grande institution. Être indépendants nous évite d’être noyés dans une politique et une image qui ne serait pas les nôtres. Dans la mesure où le personnel et le budget sont suffisants, on peut travailler. Il existe des musées de petite taille, de moyenne taille et de grande taille, et je ne suis pas sûre que big is beautiful

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Vous nous dites plutôt que small is beautiful !

Pourriez-vous nous dire un dernier mot de votre politique d’acquisition ?

Mme Marie-Cécile Forest. Le musée Gustave-Moreau conserve le fonds d’atelier de l’artiste, qui a lui-même accroché ses œuvres. Nous ne faisons pas d’acquisitions, sauf si l’on trouve des pièces d’archives, comme de la correspondance, ce qui est rarissime. Acquérir une œuvre et la présenter perturberait la muséographie voulue par Gustave Moreau. L’intérêt d’un musée comme le nôtre, comme celui du musée Condé de Chantilly, est d’être le témoin essentiel de la muséographie d’une époque. Plus le temps passera, plus on nous sera reconnaissant d’avoir préservé ce témoin.

M. Georges Tron, Président. Nous vous remercions.

Audition du 19 mars 2009

À 10 h 15 : M. Thomas Grenon, administrateur général de la Réunion des musées nationaux (RMN), accompagné de Franck Beaugendre, directeur administratif et financier, et de Mme Élodie Perthuisot, administrateur général adjoint

Présidence de M. Georges Tron, Président

M. Georges Tron, Président. Je suis heureux de vous accueillir.

Nous souhaitons, au cours de votre audition, évoquer la réforme de la RMN et le rôle qu’elle peut assumer à l’égard du musée du Louvre, premier musée de France. Cette audition a lieu en présence de deux représentants de la troisième chambre de la Cour des comptes : MM. Emmanuel Giannesini, conseiller référendaire et Emmanuel Marcovitch, auditeur.

Monsieur Grenon, vous avez la parole.

M. Thomas Grenon. La RMN est un établissement public industriel et commercial qui emploie environ 850 personnes. Son budget est de l’ordre de 150 millions d’euros. Elle est très faiblement subventionnée par rapport à d’autres institutions, dans la mesure où sa part d’auto-financement est supérieure à 85 %. C’est un opérateur transversal au service de la diversité des musées, qui incarne une forme de centre de services partagés pour les musées et s’oriente autour de cinq grandes activités : les acquisitions, les expositions, l’édition et la vente de produits dérivés culturels, la photographie et l’accueil du public.

La RMN acquiert des œuvres d’art pour l’ensemble des directions patrimoniales et des établissements publics du ministère, en particulier les trésors nationaux. Ses acquisitions se montent à une trentaine de millions d’euros par an.

Nous réalisons chaque année une trentaine d’expositions, ce qui fait de nous l’un des premiers producteurs d’expositions au monde. Depuis le 1er septembre 2005, nous gérons les Galeries nationales du Grand Palais où nous présentons d’importantes expositions qui contribuent à la renommée culturelle internationale de la France. Je citerai l’exposition « Picasso et les maîtres » qui vient de se terminer et « Le grand monde d’Andy Warhol », que nous venons d’ouvrir. Nous sommes par ailleurs membres et fondateurs du Bizot Group, du nom d’une de mes prédécesseures, qui réunit deux fois par an les principaux dirigeants de musées du monde, organisateurs d’expositions.

Nous publions un peu plus de 150 titres chaque année : la moitié en partenariat, un tiers en langue étrangère. Nous sommes un des principaux éditeurs d’art en Europe et le premier en France, avec des livres, des catalogues, des ouvrages pour la jeunesse, des aides à la visite, des publications scientifiques, sur papier comme sur support multimédia ou audiovisuel, et des produits dérivés. Nous vendons par exemple plus de 6,5 millions de produits image par an, mais aussi des produits d’art comme des bijoux, des textiles, de la chalcographie et des moulages produits dans nos ateliers d’art.

Nous diffusons et nous vendons ces produits dans un réseau de quarante librairies boutiques : à Paris, notamment dans celle du Louvre – qui est la première librairie d’art de France et même d’Europe avec un peu plus de 23 000 références de livres – mais aussi en région. Nous vendons au total plus de 2,4 millions de livres par an. Ces produits sont également commercialisés dans des librairies et des boutiques extérieures à la RMN : vente en gros, réseaux extérieurs en France ou à l’international.

Notre agence photographique est la première de France et la deuxième d’Europe en matière de diffusion d’images d’art. Nous diffusons dans cent soixante pays les images de nos collections nationales. Plus de 500 000 images numérisées sont actuellement accessibles en haute définition sur notre site Internet. Toutes les photos sont prises à plus de 40 millions de pixels, ce qui est un gage de haute qualité.

Notre dernier métier est l’accueil du public. Cela va de l’aménagement des espaces d’accueil et de billetterie à la gestion des droits d’entrée et des abonnements, en passant par l’organisation de visites conférences et d’ateliers pour enfants. Nous participons donc à la qualité de l’accueil des visiteurs parmi les musées partenaires et clients. Nous valorisons également l’ensemble des événements culturels auxquels nous participons au travers d’opérations de promotion adaptées. Nous accompagnons et nous soutenons les expositions, notamment par la recherche de mécénat et d’autres ressources propres. Nous assurons les relations avec la presse s’agissant des manifestations que nous organisons ou auxquelles nous sommes associés et nous communiquons auprès du grand public sur ces événements.

L’établissement a conduit de profondes transformations depuis 2004. Il a connu un redressement financier extrêmement important, pour devenir un opérateur solide et bien géré.

Il y a cinq ans, le déficit structurel de la RMN était de 4 à 5 millions d’euros par an, et ses pertes cumulées de 46 millions d’euros. En moins de quatre ans, les résultats ont été redressés. Depuis 2007, nous gagnons un peu plus de 3 millions d’euros par an. Sur ces quatre dernières années, nous avons dégagé un peu plus de 32 millions d’euros d’autofinancement – en 2008, nous avons atteint un niveau record, avec une capacité d’autofinancement de plus de 12,5 millions d’euros. Nous sortons de la crise plus forts, avec des outils adaptés et une meilleure appréhension des risques.

Cette santé financière recouvrée nous a permis d’acquérir notre siège social et de devenir performant en matière de gestion immobilière. Des arbitrages immobiliers ont eu lieu et nous avons obtenu le quitus de France Domaine pour inscrire nos biens au patrimoine de l’État.

Ces résultats sont le fruit d’un travail structurel profond : introduction d’un pilotage par la marge, avec des marges en très forte croissance depuis 2004, au-delà même de ce que l’on peut constater dans le privé ; pression permanente sur les effectifs, avec une réduction de 191 ETP entre 2004 et 2008, malgré une extension de notre périmètre d’activité – gestion des Galeries nationales, ouverture d’une boutique au Quai Branly ; importante réduction – de l’ordre du tiers – du coût de l’ensemble des fonctions support, qui ne représentent plus que 10 % de nos charges décaissables. En quatre ans, nous avons diminué globalement notre structure de coûts de l’ordre de 10 millions d’euros.

Parallèlement, nous avons fait évoluer notre culture d’entreprise et notre cadre social, en généralisant la rémunération au mérite et les entretiens individuels d’évaluation. Nous nous sommes engagés dans une démarche de responsabilité sociale de l’entreprise avec, récemment, une labellisation « égalité professionnelle » ; nous avons signé une convention avec l’AGEFIPH et fait progresser notre taux d’emploi de personnes handicapées de 1,5 % en 2004 à plus de 5,6 % en 2008. Nous avons développé le sens du client, mené d’importantes actions de formation auprès de nos équipes – c’est une de nos priorités actuelles. Nous avons su monter en quelques semaines une opération de démocratisation culturelle inédite en France : l’ouverture des Galeries nationales 83 heures non stop pour la clôture de l’exposition « Picasso et les maîtres ». Cette opération montre la réactivité de notre maison, la motivation de notre personnel – nous avons fait appel au volontariat – et le sens du service rendu aux visiteurs.

Nous nous sommes imposés comme un outil performant au service des grandes politiques du ministère de la Culture et comme un grand acteur de démocratisation culturelle : le nombre des visiteurs dans tous nos musées nationaux s’est accru de 42 % en cinq ans ; la fréquentation des Galeries nationales a augmenté de 53 %.

Un de nos axes forts de développement est le soutien d’expositions en région. « Cézanne en Provence », il y a trois ans, a attiré 450 000 visiteurs à Aix-en-Provence et l’on a estimé à 65 millions d’euros ses retombées indirectes sur l’économie locale. Il y a eu ensuite « Philippe de Champaigne » à Lille « Van Gogh et Monticelli » à Marseille, puis « Courbet » à Montpellier. Il y a maintenant « Nolde » à Montpellier. Bientôt, l’exposition « Picasso et Cézanne », cet été à Aix-en-Provence, donnera lieu à un événement tout à fait exceptionnel : l’ouverture au public du château de Vauvenargues, acheté par Picasso il y a cinquante ans.

Nous avons fait évoluer profondément nos relations avec les musées. Nous avons signé depuis 2004 avec les musées établissements publics plus de 38 conventions (conventions cadres outre les conventions ad hoc) qui portent sur l’ensemble de nos activités : expositions, éditions, photographie, marques, boutiques. Entre 2004 et 2008, les produits et les redevances que nous versons aux musées sont passés de 2,7 à 5,5 millions d’euros. Nous sommes ainsi devenus un contributeur important au développement des ressources propres des musées. Enfin, nous avons signé en 2007 avec l’État un contrat de stratégie qui fixe les grands principes de notre intervention auprès des musées.

Après ce redressement, nous abordons une nouvelle phase, une phase de développement. Nous souhaitons capitaliser sur nos savoir-faire, en étant un opérateur culturel global au cœur de nos métiers à forte valeur ajoutée ; en étant un opérateur économique aux standards d’efficacité du privé, capable d’affronter la concurrence comme nous l’avons fait récemment avec le Quai Branly ou en reprenant la boutique du Palais de la découverte.

Notre spécificité tient au fait que nous sommes un opérateur transverse. Nous ne sommes pas intimement liés à un lieu. Nous avons trois grandes missions transverses : la diffusion du patrimoine des musées ; l’éducation artistique et culturelle, qui est un de nos axes forts ; tout ce qui relève du numérique, avec par exemple le développement de notre agence photographique et les catalogues scientifiques en ligne, pour lesquels nous sommes leader mondial.

Nous travaillons en réseau, au service de la diversité muséale, en particulier au service des plus petites institutions et des institutions en région. Notre savoir-faire, notre capacité à organiser des expositions, à emprunter des œuvres et à communiquer autour d’elles, à lever du mécénat est un atout pour la diversité culturelle de notre territoire, dans un monde où la concurrence entre établissements culturels est croissante et où il est de plus en plus difficile pour les petits de faire entendre leur voix.

Nous développons enfin notre action aux Galeries Nationales, notre « vaisseau amiral », lieu phare de nos savoir-faire, lieu emblématique de la culture française et de notre rayonnement à l’international. Nous avons d’ailleurs un important projet de rénovation de ces Galeries, qui sont encore largement dans l’état où Malraux nous les a livrées il y a maintenant plus de 40 ans.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Votre exposé fut brillant et intéressant. Je constate, au fil des années, qu’il y a de plus en plus à dire à propos de la RMN et que ses résultats sont de plus en plus positifs. Merci à vous car on peut dire qu’elle « revient de loin ».

Néanmoins, de nombreuses questions se posent encore. Plus la taille des musées avec lesquels vous collaborez est importante, plus les relations que vous avez avec eux semblent difficiles. À l’évidence, les petits musées ont besoin de la RMN. C’est moins le cas pour ceux d’une certaine taille, notamment pour le Louvre, auquel s’intéresse notre mission.

Nous essayons de comprendre pourquoi ces relations sont assez difficiles et de proposer des solutions susceptibles de clarifier la situation. Il ne s’agit pas de mettre en cause telle ou telle personne, mais il nous paraît nécessaire que le ministère procède à certains arbitrages.

Vous avez redressé la situation, vous êtes devenu un acteur incontournable dans le paysage culturel français et international, votre savoir-faire en matière d’expositions est important et vous enchaînez les réussites brillantes. Mais on a parfois le sentiment que, avec les musées en général et avec le Louvre en particulier, vous vous marchez encore beaucoup sur les pieds.

M. Thomas Grenon. Merci pour vos appréciations. En effet, la RMN « revient de loin », mais nous sommes revenus plus aguerris et plus forts. Nous pouvons espérer que la crise est derrière nous et, dotés des outils de pilotage nécessaires, envisager l’avenir avec plus de sérénité. De son côté l’État, dont nous sommes un des opérateurs, a la garantie qu’il pourra s’appuyer sur nous.

La RMN est pour le Louvre, dans des domaines d’ailleurs de plus en plus réduits, un centre de services partagés et de mutualisation. Mais il se trouve que nous vivons dans un monde où les établissements, surtout quand ils prennent une certaine importance, préfèrent agir eux-mêmes.

Il convient de s’interroger, métier par métier, sur l’activité de la RMN. Faut-il avoir des services d’acquisition dans tous les musées ou les confier à un opérateur unique ? Faut-il avoir des activités d’édition – qui sont complexes et donnent lieu à des contrats très spécifiques – dans tous les musées ou les regrouper ? Faut-il une agence photographique dans chaque musée, avec ses photographes et des salariés qui s’occupent de la diffusion ? Faut-il que chaque musée organise des expositions ou faut-il s’adresser à centre de services partagé ? Cela crée de la compétence et, par le volume généré, permet de faire des économies d’assurance ou de transport, s’agissant par exemple des expositions.

L’État s’est rendu compte qu’il serait stupide que chaque ministère se charge de vendre ou d’acheter son immobilier, et il a créé France Domaine au service de l’ensemble des ministères. De la même façon, nous intervenons dans notre domaine, qui peut avoir des aspects très « pointus » – organisation d’expositions, assurances, transports, édition, etc. Cela provoque parfois des rejets. Plus les musées sont gros, plus ils ont envie de faire eux-mêmes, plus ils sont persuadés qu’ils feraient aussi bien qu’un organisme mutualisateur.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Parfois mieux. C’est en tout cas ce que l’on entend.

M. Thomas Grenon. Un centre de services partagés présente deux avantages : d’une part, il fait faire des économies, dont profite in fine le contribuable ; d’autre part, il bénéficie aux petits musées, comme vous l’avez fait remarquer.

Prenez l’exemple de la direction informatique d’un groupe privé. Si vous allez voir les grosses filiales, elles vous expliquent toutes à quel point cette direction informatique est mal gérée et lente, qu’elles feraient tellement mieux elles-mêmes si on les laissait faire. Mais pourquoi ce type d’organisation ? Parce qu’il permet d’acheter des produits standardisés, de dialoguer, d’acheter en masse et de faire des économies.

Cela ne signifie pas que nous ne devons pas améliorer notre fonctionnement, nous tourner vers le client et améliorer notre qualité. C’est d’ailleurs ce que nous voulons faire.

Il convient, pour les pouvoirs publics, de faire des comparaisons, activité par activité. Ils peuvent décider d’imposer un centre de services partagés, et cela se traduira forcément par des forces centrifuges qu’il faudra contrarier. Mais parce que cela présente aussi des avantages, ils peuvent décider qu’il vaut mieux que telle activité soit assurée par chaque musée, et modifier l’organisation.

Mutualisation, services partagés ou non ? Des audits et des comparaisons s’imposent, fondées sur des analyses économiques, au nom de l’intérêt général. Nous y sommes tout à fait ouverts.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Le Louvre bénéficie depuis quatre ou cinq ans d’une certaine autonomie de gestion, s’agissant notamment des publications. Les relations entre le Louvre et la RMN doivent-elles évoluer ? Comment ? Faut-il clarifier vos champs d’action respectifs ? Si oui, dans quel sens ? Vos deux institutions doivent-elles collaborer davantage, mieux, différemment, plus du tout ? Que suggérez-vous ?

Y a-t-il matière à discussion ? Le Louvre a pu déplorer la qualité de certains produits de la boutique du Carrousel. Y a-t-il une concertation entre le Louvre et la RMN sur les produits et sur l’assortiment proposé ?

Notre mission d’évaluation et de contrôle porte sur le Louvre. Il nous a semblé, au fil de nos entretiens, que certaines questions, entre le Louvre et la RMN, n’étaient pas encore tranchées.

M. Thomas Grenon. La RMN aime le Louvre, elle a envie de travailler avec lui, elle souhaite collaborer de la façon la plus fructueuse et la plus pacifiée avec un des plus grands musées du monde. L’inverse serait stupide.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Vous pensez que la réciproque n’est pas vraie ?

M. Thomas Grenon Je ne me prononce pas sur ce point, je me contente de vous donner la position de la RMN.

Nous travaillons avec le Louvre, malgré certaines zones de friction qui peuvent parfois cacher les bonnes relations que nous entretenons avec lui. Depuis 2002, nous avons co-organisé plus de treize expositions. Nous faisons quasiment une exposition par an avec lui aux Galeries Nationales. L’exposition « Picasso et les maîtres », même si elle a donné lieu à quelques débats sur le partage des bénéfices, est une réussite populaire. Au printemps prochain, nous ferons avec lui une exposition sur Turner et ses peintres, en collaboration avec la Tate Gallery et le Prado ; nous en ferons une autre l’année suivante sur le paysage italien au dix-septième siècle, en collaboration avec le Prado ; nous avons un projet d’exposition sur Mignard. Notre collaboration scientifique avec les équipes de conservation du Louvre est donc tout à fait excellente. C’est pour moi le principal, car c’est ce que voient la plupart de nos visiteurs.

Pour autant, on ne peut pas nier les zones de friction. Celles-ci sont d’ailleurs beaucoup plus sensibles avec le Louvre qu’avec d’autres établissements. Les relations avec Versailles sont parfaitement pacifiées ; nous avons fait, il y a quelques mois, avec Jean-Jacques Aillagon, une conférence de presse pour annoncer tous les projets que nous menions en commun. De même, nous avons tenu avec le musée Guimet une conférence de presse commune sur nos activités. Il en est de même avec le musée d’Orsay ; j’ai encore déjeuné hier avec son président.

Dans le paysage, le Louvre est un peu à part, sans doute en raison de sa taille. C’est avec lui que les problèmes se matérialisent et que les nécessités de réviser des frontières apparaissent le plus souvent.

Vous avez abordé plusieurs thèmes, à commencer par celui de l’édition. Le Louvre a maintenant une indépendance éditoriale complète, c’est-à-dire qu’il ne travaille plus avec la RMN. Cela nous a d’ailleurs amenés à nous interroger. Nous ne comprenons pas en effet qu’en ayant répondu systématiquement à dix-sept de ses appels d’offres, nous n’ayons jamais été retenus ! Cela ne correspond ni à notre part de marché, ni à ce qui se passe avec les autres musées.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. En parlez-vous avec le Louvre ?

M. Thomas Grenon. Bien sûr. Nous essayons de comprendre.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Et quelle explication vous donne-t-on ?

M. Thomas Grenon. Que les choses étant ce qu’elles sont, il sera difficile que nous puissions éditer un catalogue avec eux. J’espère que cela changera. La contrepartie de la concurrence est qu’elle soit ouverte à tous. À partir du moment où ils lancent des appels d’offre, nous souhaitons avoir une chance d’être retenus.

Nous rencontrons un deuxième petit problème. Nous publions de très longue date « Le petit journal des grandes expositions », un petit fascicule à 3,50 euros qui constitue, pour un rapport qualité-prix admirable, un grand outil de diffusion culturelle, dans un créneau de prix très abordable. Voilà maintenant deux ou trois fois que le Louvre nous interdit de publier notre Petit journal à l’occasion des expositions qu’il organise. Je trouve cela stupide, d’autant qu’il encourage par ailleurs d’autres publications accompagnant les expositions comme certains hors-série. Nous sommes traités de façon différente et cela me soucie. Tout cela mérite clarification. Je suis peut-être un peu trop concret aujourd’hui, mais la vie est faite de petits détails qui empoisonnent les relations.

Autre problème, dont il me semble que la Cour des comptes s’est emparée lors d’un de ses précédents rapports : celui des aides à la visite. En termes d’organisation globale des pouvoirs publics et en termes d’intérêt général, nous sommes devant une situation peu satisfaisante.

Nous éditions depuis trente, quarante ou cinquante ans des aides à la visite, avec l’une de nos filiales qui s’appelle « Artlys ». Nous faisions ceux du Louvre. Ce dernier, lorsqu’il a acquis sa liberté éditoriale, s’est rendu assez rapidement compte qu’il s’agissait d’un créneau rentable. Il a proposé à 12 euros un produit concurrent du nôtre, que nous vendions à 15 euros, qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Nous avons dû aligner nos prix. Nous en vendions 70 000. Nous en vendons maintenant 35 000 et le Louvre 35 000. Notre marge a été divisée par deux, du fait des coûts de production. Pourquoi cette concurrence entre opérateurs publics ? Les comptoirs deviennent trop petits et c’est la guerre pour savoir quel guide sera mis en avant. Tout cela a un effet négatif sur le plan commercial. Trop d’offre tue l’offre : devant deux produits vous commencez par hésiter et, finalement, vous n’en prenez aucun. Une clarification s’impose.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. À cet égard, qu’attendez-vous de la tutelle ?

M. Thomas Grenon. Qu’elle décide qui édite, ou sinon qu’elle nous dise de coéditer : c’est la solution simple et rentable que nous avons proposée au musée du Louvre.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. La tutelle n’a pas encore rendu d’arbitrage sur ce point de friction ?

M. Thomas Grenon. Pas à ma connaissance. Nous sommes entre opérateurs publics, dans un domaine largement subventionné. La destruction de valeur pour l’État est estimée à 500 000 euros environ. Dans notre secteur, c’est une somme importante. Nous souhaitons qu’un audit statue sur les services d’édition. Notre contrat de stratégie le prévoyait. La révision générale des politiques publiques (RGPP) a amené à utiliser à d’autres fins les capacités d’audit. Il faut étudier, avec calme et distance, les avantages et les inconvénients d’un centre de services partagés et de services rattachés aux musées.

M. Georges Tron, Président. Quelle est la part du chiffre d’affaires de la boutique du Carrousel dans l’ensemble de votre réseau commercial ?

M. Thomas Grenon. La boutique du Louvre est une librairie de référence en matière d’art. Son chiffre d’affaires est de plus de 20 millions d’euros. Cela en fait la dixième librairie de France et la plus importante librairie d’histoire de l’art d’Europe. Elle offre plus de 23 000 références et représente environ le tiers de notre chiffre d’affaires commercial. Nous souhaitons rendre notre activité moins sensible à cette boutique.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. L’assortiment de cette boutique fait-il l’objet d’une concertation avec le musée du Louvre ?

M. Thomas Grenon. Oui. Notre souci du service au client nous a amenés à professionnaliser nos relations avec les établissements publics.

Nous avons, c’est la spécificité de notre métier, deux types de clients. Le premier est le musée partenaire, le client institutionnel dont nous sommes concessionnaire. Il faut qu’il soit satisfait du service que nous lui rendons. Les seconds clients, beaucoup plus nombreux, sont les visiteurs qui achètent dans nos boutiques. L’un de nos savoir-faire est la gestion de ces deux « clients ». Les musées nous demandent des produits souvent haut de gamme, des livres très pointus et de référence. Ces produits ne correspondent pas toujours à la demande du public. Cependant, leur importance est grande en termes d’image ; la librairie, la boutique est un élément de référence dans un musée. Nous devons donc répondre à cette demande des musées. En même temps, il faut que le client final nous achète des produits qui nous permettent de gagner notre vie et de payer des redevances aux musées.

M. Georges Tron, Président. Lorsqu’un musée formule une demande de produits haut de gamme, est-ce à finalité de vente, ce qui voudrait sans doute dire que votre appréciation de la politique commerciale et celle du musée ne sont pas les mêmes, ou est-ce plutôt à finalité de référence pour les administrateurs du musée lui-même ? Cela pourrait alors signifier qu’il peut y avoir confusion entre un outil à vocation professionnelle et un produit dont j’ai cru comprendre, d’après les chiffres que vous nous avez donnés, qu’il avait pour objectif de rapporter des fonds. J’aurais tendance à déduire de votre propos que la demande formulée par le musée laisserait de côté l’intérêt porté par le client final.

M. Thomas Grenon. Le souci premier du musée, ou de son directeur – c’est une constatation pragmatique – est souvent l’image que la boutique va donner. Il sera donc plus intéressé par les produits à forte valeur d’image – un beau Sèvres, un beau moulage, une belle chalcographie –, que par ce qui fait la marge et nous nourrit au quotidien : la ligne destinée au touriste qui souhaite rapporter un souvenir.

Pour gérer ce type de contraintes, nous avons professionnalisé notre processus de décision. Des commissions dites « produits », tenues avec chaque musée, se réunissent désormais trois ou quatre fois par an. Des dossiers sont préparés. Nous y faisons le bilan des actions menées depuis la précédente réunion et le point des produits qui peuvent poser aux musées des problèmes d’image. Ces produits étant assez souvent ceux qui se vendent le mieux, nous débattons du nécessaire équilibre entre la profitabilité économique de la boutique et l’image du musée. Enfin, la RMN soumet systématiquement lors de ces réunions toutes les nouvelles lignes de produits qu’elle envisage de développer, le cas échéant à la demande du musée ; celui-ci peut souhaiter voir éditer une carte postale particulière ou une ligne de produits correspondant à une exposition.

Pour répondre à une demande spécifique du Louvre, nous avons réalisé une ligne jeunesse, dite « Joconde décalée ». Cette ligne inclut une paire de tongs, dont nous vendons 4 000 ou 5 000 exemplaires par an. Le Louvre semble critiquer cette ligne. Cependant, cette ligne a été approuvée, par courrier électronique, par le président-directeur du Louvre. Ce n’est pas non plus la ligne la plus contestée par la conservation. Le Louvre, ayant constaté que nous ne vendions pas aux jeunes des déclinaisons classiques de la Joconde et souhaitant développer cette clientèle, nous avait demandé d’élaborer à son intention une ligne un peu décalée. Il l’a approuvée lors d’un comité produits. Cette ligne se vend bien ; pourtant, après coup, la direction du Louvre a considéré qu’elle n’aurait peut-être pas dû l’approuver, ou qu’elle posait problème au musée.

Mme Élodie Perthuisot, administrateur général adjoint de la RMN. Nous avons remis à la Cour des comptes, à sa demande, tous les documents montrant que cette ligne a bien été validée par le musée du Louvre. Le Louvre a beaucoup développé sa clientèle des 18-25 ans. Le développement de cette ligne était dans cette logique. Il s’inspirait aussi de l’action de certains musées américains. Il s’agissait, à la demande du musée, de proposer des lignes de produits pour s’adapter à l’évolution de sa fréquentation.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Cette ligne est-elle spécifique au Louvre, ou peut-on retrouver ailleurs ce type de produits ?

M. Thomas Grenon. La ligne « Joconde décalée » est très spécifique au Louvre. Elle ne constitue pas la masse des ventes : elle est destinée à un public jeune. Il s’agit d’accompagner le musée dans sa démarche d’attraction de ce public. En parallèle, nous continuons à développer tous les produits classiques.

M. Franck Beaugendre, directeur administratif et financier de la RMN. Cette ligne représente 100 000 euros de chiffre d’affaires par an. Ce montant n’est pas très important, mais il vient en plus : aucune offre à destination de ce public n’existait. C’est la raison pour laquelle le Louvre nous avait demandé de développer cette ligne.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Lorsque la direction du Louvre se plaint des répercussions que la vente de ces tongs dans sa boutique peut avoir sur l’image du musée, que répondez-vous ? Que le produit se vend bien ?

M. Thomas Grenon. Oui. La direction du Louvre ne nous a du reste jamais demandé de retirer ce produit. Elle l’a validé et elle connaît les chiffres de vente.

Mme Élodie Perthuisot. Aucun produit n’est maintenu à la vente sans l’aval du Louvre. Lorsque, lors des commissions produits, le musée nous demande de retirer un article de la vente, nous nous exécutons. Aucun produit n’est en vente dans la boutique du Louvre contre son avis. C’est une règle fondamentale que nous avons instituée dans ces commissions.

M. Thomas Grenon. Les conservateurs aussi sont présents dans ces commissions produits. Les tongs Joconde ne sont pas l’article le plus contesté. Elles sont perçues comme un produit clin d’œil, décalé. Qui plus est elles sont d’excellente qualité ! Certaines gammes beaucoup plus classiques, des stylos à effigie de la Joconde, des souvenirs à un euro, posent plus de difficultés ; cela dit, c’est aussi grâce à ces produits que l’on peut faire vivre une librairie de référence.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Pour obtenir cet équilibre, cette diversité doit donc être présente dans la boutique ?

M. Thomas Grenon. Le musée du Louvre a conduit une enquête de satisfaction des visiteurs envers sa boutique de souvenirs. Le taux de satisfaction envers l’assortiment proposé est de 96 %. Le Louvre était très étonné de ce taux remarquable, bien supérieur à celui relatif à la restauration.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Attendez-vous cependant à ce que la tutelle tranche. Comme la Cour des comptes, dont le rapport sur la RMN est en phase de contradiction, nous avons ressenti ces difficultés. Nous avons été au cœur de ces discussions.

Rappelons toutefois qu’en 1998, une « circulaire Jospin » avait recommandé de ne pas multiplier les maisons d’édition publiques et qu’elle demandait même qu’il n’en soit pas créé de nouvelles. Or, la tendance à créer des maisons d’édition dans les musées, notamment au Louvre, a justement multiplié leur nombre.

J’ajoute que la différence fondamentale entre le Louvre ou les autres musées et la RMN est la connaissance par celle-ci de tous ses registres de coûts, aussi bien directs qu’indirects. Cette connaissance a paradoxalement desservi la RMN. Le monde des musées, dans une sorte de préjugé, l’accuse de coûts de structures importants, tout simplement parce qu’elle les chiffre et les affiche.

Il eût été souhaitable que les arbitrages opérés en matière de missions d’édition, voire de photographie aient été fondés sur des données de coûts précises, permettant de connaître le système le plus efficient. Tel n’a pas été le cas. D’après les informations dont nous disposons, voilà deux ans que le ministère a programmé un audit des coûts comparés des différentes fonctions connexes aux tâches des musées. Cet audit n’a toujours pas été engagé. Même si depuis un certain temps, les mouvements se font de façon relativement univoque, il paraît indispensable, avant tout nouveau transfert, de disposer d’une étude des coûts comparatifs des musées et de la RMN.

M. Thomas Grenon. S’agissant du fonds photographique, on y retrouve à peu près les mêmes éléments qu’ailleurs, notamment la nécessité de mesurer les avantages et les inconvénients de la centralisation ou de l’éclatement. S’y ajoute cependant un aspect culturel spécifique. Une bonne diffusion et une bonne valorisation du patrimoine immatériel de l’État, en l’occurrence des fonds photographiques, présentent non seulement un intérêt économique mais aussi un enjeu culturel très fort : la diffusion dans le monde de l’image de nos collections nationales, donc de notre culture.

L’agence photographique de la RMN doit répondre à cette double problématique. Sur le plan économique, dans un domaine en forte concentration du fait du développement du numérique, mettre ensemble les œuvres et acquérir une taille critique permet un accès beaucoup plus facile à des commandes que la gestion de fonds fractionnés. Il faut savoir que quatre-vingt pour cent des demandes d’images qui nous sont adressées ne sont pas spécifiées. Autrement dit, contrairement à ce qu’on pourrait penser, les demandes ne portent pas sur une image précise mais sur un type d’image : par exemple une femme au bord de l’eau. L’obtention du marché dépend alors de la capacité à proposer une telle image rapidement et au meilleur prix. Le professionnalisme de l’outil, l’exposition offerte à travers le site Internet, la capacité à réagir sont donc des éléments économiquement très importants.

Notre diffusion internationale couvre 186 pays. Nous avons récemment repris le fonds de la médiathèque de l’architecture et du patrimoine, qui était diffusé de façon assez traditionnelle. En moins d’un an, nous en avons multiplié par trois le chiffre d’affaires, simplement en lui offrant une exposition sur le site Internet de la RMN. Notre agence photographique diffuse désormais beaucoup de fonds internationaux : ceux du MET, le Metropolitan museum of arts de New-York, du British Museum, bientôt ceux de la National Gallery. Nous disposons, je crois, d’un outil dont la qualité fait référence : en liaison avec le MET, nous avons élaboré des normes colorimétriques pour la reproduction aussi fidèle possible d’une image d’art. Cet outil est vraiment à la disposition de la collectivité publique.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Quelle est votre position sur le droit de propriété ?

M. Thomas Grenon. C’est pour moi un faux problème. Nous avons hérité d’une difficulté historique. Les photographies avaient été prises par la RMN. Pendant longtemps, dans le monde des musées, la RMN a été le seul établissement public apte à percevoir des recettes ; la question de leur partage ne se posait donc pas. Elle percevait les droits d’entrée, mais aussi, entre autres, les droits des images photographiques. Elle servait aussi de caisse de mutualisation, y compris financière, et réinvestissait les fonds ainsi perçus dans la réalisation d’expositions ou l’acquisition d’œuvres d’art.

La création des établissements publics a fait émerger une lutte pour les ressources propres. Le Louvre, par exemple, a trouvé anormal, détenant des œuvres, de ne rien percevoir lorsqu’une image de ces œuvres était vendue. La « circulaire Jospin » comportait des dispositions pour que la concurrence ne soit pas faussée. Le Louvre, retrouvant sa capacité éditoriale, devait donc payer à la RMN, au même tarif qu’un autre éditeur, les droits des photographies des œuvres qu’il détenait. La RMN se vend du reste elle aussi à elle-même ces droits lorsqu’elle exerce des activités d’édition.

Face à ce système, le Louvre a autorisé des photographes, notamment M. Erich Lessing – pour connaître l’identité de ces photographes, il suffit de consulter les crédits photographiques de l’ouvrage Les mille et un chefs-d’œuvre du Louvre – à prendre et à diffuser gratuitement des photographies – on les retrouve chez notre principal concurrent allemand AKG-Images – et en contrepartie à lui en laisser l’usage gratuit pour son activité éditoriale.

Cette politique a mis la RMN dans une position difficile : elle était concurrencée sur deux terrains à la fois. Elle l’était d’abord sur son activité de diffusion photograhique, qui constitue l’essentiel de ses revenus et lui permet de financer les photographies pour l’inventaire ; alors que, à cette fin, la RMN photographie toutes les pièces, AKG-Images et M. Lessing se concentraient sur « les mille et un trésors », c’est-à-dire les plus belles pièces, comme la Joconde. La RMN était aussi concurrencée sur son activité d’éditeur, le Louvre bénéficiant désormais d’images gratuites. Un exemple de cette utilisation d’images du Louvre à des coûts qui ne sont pas les coûts réels est fourni par la parution d’un almanach, illustré de la photographie d’une œuvre d’art par jour de l’année. En raison du coût des photographies, un tel produit n’existe nulle part ailleurs dans le monde. Il n’a pu être édité que parce que les photographies n’étaient pas payées à leur juste prix.

Face à cette difficulté, nous avons décidé avec nos tutelles – c’était notre contrat de stratégie – d’intéresser les musées, en leur reversant 50 % du produit de la diffusion. L’idée était ainsi d’aligner les intérêts financiers des musées et les nôtres, de façon à éviter une concurrence destructrice de valeur.

Dès lors, même si la propriété des fonds peut rester une question théorique, ce n’est plus un problème pratique : le musée perçoit la moitié du produit de la commercialisation, que le fonds photographique soit sa propriété ou celle de la RMN.

Les fonds photographiques de la RMN lui appartiennent. Pour que tel cesse d’être le cas, il faudrait les transférer. L’État – c’est, en dernière analyse, lui qui en est le propriétaire – estime-il qu’ils sont mieux protégés dans une structure où il les a centralisés, ou préfère-t-il en disperser le contrôle, en courant le risque de diffusions parasites ?

M. Georges Tron, Président. D’après les informations dont nous disposons, l’« affaire Lessing » pourrait appeler des observations assez critiques de la Cour des comptes : il se peut qu’une erreur de valorisation du capital immatériel de l’État ait été commise.

Toujours d’après nos informations, le musée du Louvre emploie aujourd’hui six photographes à temps plein, soit le même effectif que la RMN. En très peu d’années, il s’est ainsi doté en quelque sorte d’une agence photographique équivalente à celle que la RMN affecte à l’ensemble des autres musées. Il reste à déterminer dans quelle mesure cette évolution a été portée à la connaissance de la tutelle. Il se peut qu’il y ait eu un défaut d’arbitrage en temps utile.

Je vous rejoins sur la complexité du droit de propriété. La propriété initiale des œuvres des collections nationales appartient à l’État ; c’est à lui de la répartir suivant le mode qu’il estime le plus efficient. Cependant, des droits d’auteur s’attachent aussi aux photographies elles-mêmes. La problématique du droit de propriété sur la photographie, en tant qu’elle est elle-même une œuvre d’art, ne peut donc pas être écartée. De plus, le débat qui a abouti dans le domaine de l’édition à une partition très nette entre coûts relevant du service public – comme les coûts « subventionnables » d’établissement des catalogues raisonnés – et coûts commerciaux a apparemment moins été présent pour les photographies. C’est peut-être ce qui brouille les choses.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Nous avons évoqué l’effort important consenti par la RMN en matière de gestion du personnel. Vous avez gagné 191 emplois équivalents temps plein travaillés (ETPT). Vous fixez-vous aujourd’hui un nouvel objectif ? Considérez-vous au contraire que l’essentiel de l’effort a été fait ? Ce gain est important et va dans le sens de ce que beaucoup avaient pointé du doigt il y a quelques années, c’est-à-dire que les effectifs de la RMN étaient peut-être un peu excessifs au regard de ses missions. Quelle stratégie poursuivez-vous à terme ? Comment ces départs ont-ils été organisés : départs volontaires, départs à la retraite non remplacés ?

M. Thomas Grenon. L’essentiel de l’effort est accompli. Un chemin important a été fait. Pour moi, il reste encore quelques marges de manœuvre. Mais les zones que nous atteignons sont plus difficiles et plus longues à exploiter et nécessitent sans doute des actions d’une nature plus complexe.

Notre approche n’est pas dogmatique mais pragmatique. Si la RMN prend la charge d’une boutique nouvelle, elle devra recruter ! Il faut alors déterminer si la boutique est rentable ou non. Ainsi, la notion de plafond d’emploi n’est pas très adaptée à notre activité. L’emploi doit suivre cette activité ; nous allons y adapter nos effectifs. Si nous développons plus d’expositions en région, il faudra aussi recruter ; si au contraire nous en diminuons le nombre, nous devrons réduire notre personnel.

Pour diminuer nos effectifs, nous nous sommes servis de tous les leviers à notre disposition, hormis celui du licenciement économique, que nous ne pouvons pas utiliser.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Si vous l’aviez pu, vous l’auriez fait ?

M. Thomas Grenon. Très ponctuellement. Les boutiques que nous avons fermées ont été en général reprises. Nous travaillons alors sur les bases de l’article L. 122-12 du code du travail, qui pose le principe, lorsqu’une activité change de mains, du transfert des contrats de travail au nouvel employeur. Dans ces cas, le transfert des effectifs suit.

Nous n’avons pas remplacé des départs à la retraite, ainsi que les départs volontaires dus au turnover, normal dans une maison telle que la nôtre : cela représente 50 départs par an. Pour pourvoir aux remplacements des partants, nous avons intensément privilégié la formation, les mutations internes. Quelques licenciements se sont ajoutés : nous n’hésitons pas à licencier en cas de faute grave. La capacité de réduction des effectifs ainsi créée a été exploitée et continuera à l’être.

Désormais, la RMN est pilotée par la marge : nous regardons d’abord le compte de résultat. Notre marge brute – tous nos conseils nous le disent – est d’un niveau très élevé. Nous achetons de façon efficace ; nos marges et nos prix de vente sont élevés – cela nous est assez reproché – car nous sommes à même de pouvoir vendre cher des produits de qualité ; nos vendeurs et opérationnels gardent les yeux fixés sur les coûts, notamment la masse salariale. C’est ainsi que nous pouvons optimiser le résultat.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Quel est l’effectif actuel de la RMN ?

M. Thomas Grenon. 850 salariés.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Mais le chiffre dont nous disposons pour le budget 2009 est de 1 001 équivalents temps plein travaillés (ETPT).

M. Thomas Grenon. Le chiffre de 850 est celui des salariés sous contrat à durée indéterminée ; celui de 1 001 inclut les salariés sous contrat à durée déterminée. Une partie de nos activités, comme les expositions, sont saisonnières et nous faisons appel à des collaborateurs temporaires.

Notre optique n’est pas d’aller à notre plafond d’effectifs, mais de maîtriser nos coûts et notre masse salariale. Si nous sommes en dessous du plafond, nous nous en réjouirons.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Vous avez rencontré beaucoup de succès dans les importantes expositions que vous avez citées. Considérez-vous qu’ils sont de nature à faire de la RMN un acteur qui peut être jalousé par d’autres ?

M. Thomas Grenon. Deux éléments peuvent appeler la jalousie. Le premier est le succès des expositions. Le second est le fait que nous avons effectué notre révolution organisationnelle, et que nos efforts, contrôle des effectifs, développement d’outils de pilotage, sont derrière nous. À un moment, le regard porté sur nous peut être en effet teinté d’envie. C’est humain.

Sans obliger personne, nous souhaitons coproduire, en particulier aux Galeries Nationales. Nous avons déjà coproduit une exposition Courbet avec le musée d’Orsay ; nous lui avons reversé un million d’euros. Nous allons recommencer cet automne, avec une exposition Renoir. Nous coéditons le catalogue. Comme dans le cas de l’agence photographique, nous souhaitons aligner les intérêts financiers.

Notre point faible, c’est que nous ne disposons pas d’une collection permanente, qui est la matière première d’une exposition, d’abord parce que l’exposition aura pour base des œuvres tirées de cette collection, ensuite parce que les œuvres qui la composent constituent une monnaie d’échange pour obtenir des prêts d’autres musées. Nous sommes à cet égard démunis. Pour pallier cette difficulté très importante, nous, en tant qu’opérateur national, gestionnaire des Galeries Nationales, souhaitons co-organiser des expositions avec les grands musées, en nous adossant aux collections nationales. C’est ce que nous avons fait pour l’exposition Picasso et les Maîtres. Cet adossement change du tout au tout notre profil de demandeurs de prêts. La capacité d’emprunt sur le marché international, si je puis m’exprimer ainsi, de la RMN, du musée Picasso, du musée d’Orsay, et du musée du Louvre fédérés est colossale. Le nombre de chefs-d’œuvre que nous avons réunis pour l’exposition Picasso et les Maîtres est, je pense, inédit dans le monde.

Ne serait-ce que pour pouvoir organiser de belles expositions dans les Galeries Nationales, je souhaite avoir de bonnes relations avec le Louvre. Le public de ces expositions est à 90 % français ; c’est le rapport inverse de celui des collections permanentes. Pour pouvoir organiser ces belles expositions, il nous faut pouvoir adosser nos demandes de prêts à la richesse des collections permanentes. Pour cela, nous voulons travailler avec les grands musées ; nous avons décidé de coproduire et de partager les risques et les bénéfices avec ceux qui le souhaitent. Le musée d’Orsay le souhaite, nous travaillons avec lui. Le musée du Louvre n’a jamais souhaité coproduire ; nous le regrettons mais nous ne pouvons pas le lui imposer.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Merci. Ces éléments sont très clairs et nous sommes satisfaits des réponses que vous nous avez fournies, ainsi que de l’ambition que vous avez décrite pour la RMN. Notre souhait serait maintenant que la tutelle puisse se saisir complètement des problématiques que vous avez évoquées, et trancher. C’est, me semble-t-il, l’intérêt commun pour le bon équilibre de vos rapports avec les grands musées, notamment le Louvre.

M. Georges Tron, Président. Merci infiniment.

Audition du 7 avril 2009

À 16 h 30 : M. Henri Loyrette, président-directeur du musée du Louvre, accompagné de M. Hervé Barbaret, administrateur général adjoint, Mme Catherine Sueur, administratrice générale adjointe, et M. Noël Corbin, directeur juridique et financier.

Présidence de M. David Habib, Président

M. Henri Loyrette, président-directeur du musée du Louvre. Je vous souhaite la bienvenue dans le Palais du Louvre, plus précisément dans les appartements du comte Fleury, Grand écuyer de l’empereur Napoléon III.

Je voudrais ensuite vous prier d’excuser M. l’administrateur général Didier Selles, qui n’a pas pu être parmi nous. Je suis persuadé que les deux administrateurs adjoints, M. Hervé Barbaret et Mme Catherine Sueur sauront répondre avec moi à vos questions.

M. David Habib, Président. Nous sommes, M. le président-directeur, très sensibles à votre accueil et très heureux d’être dans ces murs.

Se trouvent à mes côtés M. Richard Dell’Agnola et M. Marcel Rogemont, qui devront, à l’issue des auditions de la MEC, rédiger, avec M. Nicolas Perruchot, le rapport sur le musée du Louvre, ainsi que M. Jean-Pierre Kucheida, de la commission des Affaires étrangères. Vous me permettrez enfin d’excuser le président Georges Tron, qu’un deuil a empêché d’être parmi nous.

Je salue enfin la présence à nos côtés de M. Emmanuel Giannesini et M. Emmanuel Marcovitch, magistrats à la Cour des comptes.

Je laisse aux deux Rapporteurs le soin de vous interroger.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Je vous remercie, M. le président-directeur, de votre accueil et des réponses que vous nous avez déjà apportées. Nous souhaitons vous interroger sur quelques points à titre complémentaire, pour tenir compte des éléments recueillis au fil de nos travaux.

Nous souhaiterions ainsi quelques précisions à propos du régime des « agents de nuit » et des tarifs des expositions temporaires.

Pouvez-vous nous préciser, par ailleurs, le contenu de la convention de financement signée avec le Louvre, le 16 mars, par Christine Albanel et Patrick Devedjian, dans le cadre du plan de relance ?

M. Hervé Barbaret, administrateur général adjoint. L’organisation du temps de travail des agents de nuit du Louvre ne relève pas d’un dispositif particulier, mais résulte de l’application du décret n° 2002-1327 du 6 novembre 2002. Celui-ci détermine les conditions dans lesquels les agents de nuit travaillent dans l’ensemble des musées nationaux : il fixe le nombre de nuits à travailler sur l’année, l’amplitude maximale de la journée de travail, soit quinze heures trente, les pauses minimales et le temps de travail annuel.

M. Henri Loyrette. En vertu de la convention signée le 16 mars dans le cadre du plan de relance, le Louvre bénéficiera de 2 millions d’euros de travaux. Les uns concerneront le Palais lui-même : le ravalement de la façade du Palais côté Seine, mais aussi l'expérimentation de nouvelles techniques de nettoiement. Les autres porteront sur les Tuileries : il s’agit d’abord du remontage, au cours de l’année 2009, des arcades de l’ancien palais des Tuileries – c’est un vieux projet que le plan de relance nous permet de réaliser. L’autre projet est la stabilisation des sols du jardin des Tuileries.

M. Hervé Barbaret. 400 000 euros doivent être consacrés à cette stabilisation, et 800 000 euros au remontage des arcades, le solde de 800 000 euros devant être utilisé pour les deux autres projets.

Le plan de relance constitue pour le Louvre une chance exceptionnelle. Ainsi, l’expérimentation de nouvelles méthodes de nettoyage de façades lui permettra de tester la politique de ravalement préconisée depuis longtemps par l’architecte des monuments historiques : celui-ci juge préférable de consacrer chaque année des sommes modiques à un entretien régulier des façades plutôt que d’entreprendre tous les vingt ans une vaste entreprise de ravalement.

M. Richard Dell'Agnola, Rapporteur. Je souhaiterais vous interroger sur la politique de décentralisation culturelle, et plus particulièrement sur le projet Louvre-Lens. Reçus à Lens le 31 mars par Daniel Percheron, président de la région Nord-Pas-de-Calais, nous avons pu voir le site du futur établissement et mesurer son intérêt pour le bassin minier.

Mais la crise ne risque-t-elle pas de provoquer un désengagement des entreprises mécènes ? Les 15 millions d’euros que le Louvre doit verser ont-ils été débloqués ?

Que pensez-vous de la proposition du président Percheron d’augmenter d’un euro le prix du billet d’entrée au Louvre pour financer le budget de fonctionnement de l’institution lensoise, aujourd’hui évalué à une dizaine de millions d’euros par an ?

Comment comptez-vous communiquer pour sortir ce projet de la confidentialité et l’ouvrir sur le reste de la région et sur l’ensemble de la France ?

Où en est le projet d’association « Les villes du Louvre » ?

Enfin, quels enseignements tirez-vous de la conduite de ce projet ? Envisagez-vous d’autres actions de décentralisation culturelle ?

M. Henri Loyrette. Le projet Louvre-Lens est certes un projet important pour la région Nord-Pas-de-Calais ; mais c’est également un projet phare pour le Louvre, en ce qu’il est emblématique de la vocation originelle du musée : mettre ses collections et son expertise au service de la Nation. En effet, dès sa création en 1793, celui-ci a été imaginé et conçu comme un musée national, un « musée des musées » dont les collections et le savoir-faire ont vocation à irriguer l'ensemble du territoire français. Le Louvre-Lens renouvelle et réinvente cette mission fondamentale.

Ce sont les collectivités locales qui le financent à hauteur de 150 millions d’euros, mais le Louvre s’est engagé à apporter 15 millions d’euros au titre du mécénat. La moitié de cette somme est d’ores et déjà réunie, ce qui est d’autant plus encourageant que ce projet est encore confidentiel, comme vous l’avez vous-même souligné.

Le Louvre et les collectivités territoriales partenaires ont entrepris une série d’actions visant à accompagner progressivement l’appropriation du projet Louvre-Lens par le public, sur le plan local comme sur le plan national : des expositions intitulées « les Beffrois du Louvre-Lens » à Louvroil ou à Bruay-la-Bussière ; une initiation à l’histoire de l’art dispensée tout au long de l’année par l’École du Louvre au public lensois ; le site Internet du projet, « louvrelens.fr » ; des expositions préfigurant le Louvre-Lens, telles que l’exposition « Les arts et la vie » à Québec, qui permettent une présentation diachronique des collections du Louvre. Il y a aussi des actions plus ludiques, telles que la course « La route du Louvre », ou plus particulières, en direction des élus, de la communauté d’affaires, par l’intermédiaire des chambres consulaires, ou d’un public plus large, par le biais d’associations locales.

Mais c’est la pose de la première pierre, à l’automne, qui donnera au projet une visibilité constante.

L’association « Les villes du Louvre » fédère, à l’initiative du président de la région Nord-Pas-de-Calais, les villes qui ont le Louvre en partage, telles Lens, Atlanta ou Abou Dabi. Il s’agit de fédérer ces initiatives fort différentes et de coordonner les synergies entre les deux établissements. Nous envisageons pour la suite des collaborations plus étroites avec la région, notamment en égyptologie, ainsi que le développement d’un réseau : deux grandes expositions internationales sont d’ores et déjà programmées à Lens.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Et que pensez-vous de la proposition d’augmenter d’un euro le tarif du billet d’entrée au Louvre pour financer le Louvre-Lens ?

M. Hervé Barbaret, administrateur général adjoint. La politique tarifaire d’un établissement tel que le Louvre relève d’une alchimie complexe : le prix d’entrée doit satisfaire à la fois le souci d’assurer au plus large public, notamment aux moins de vingt-six ans, l’accès à nos collections, et la nécessité d’assurer notre équilibre financier en cette période de très fortes restrictions budgétaires. Dans ces conditions, la proposition d’augmenter d’un euro le prix du billet d’entrée sans que l’augmentation de la recette soit versée au budget de l’établissement semble une solution trop radicale pour être envisageable. Il faut considérer ce genre de solutions avec la plus grande prudence.

En ce qui concerne les effets de la crise que nous traversons, ils peuvent être à la fois positifs et négatifs pour le projet Louvre-Lens. Il est vrai qu’elle fait peser un risque de défaillance des mécènes. Avoir déjà réuni la moitié des 15 millions d’euros attendus au titre du mécénat alors que ce projet est encore confidentiel est dans ces conditions un succès en soi, qui nous incite à un optimisme raisonnable.

En revanche, la crise peut se révéler positive pour nos marchés de travaux, qui devraient se révéler plus fructueux que l’an passé, où nous étions dans un marché d’offreurs. L’indice du bâtiment a déjà baissé de façon significative depuis trois mois, et nous pourrions avoir de bonnes surprises en matière de prix.

Les relations entre le Louvre et les collectivités locales, notamment la région, se sont révélées exemplaires : « la mayonnaise a pris », en dépit des difficultés, notamment sur le plan économique et financier, qui sont la vie normale d’un projet de cette ambition. La création de l’association Euralens, qui regroupe l’ensemble des partenaires du projet, concrétise cet engagement des collectivités locales et la crédibilité croissante du projet.

M. Richard Dell'Agnola, Rapporteur. Au-delà de ce projet, envisagez-vous d’autres actions de décentralisation culturelle ?

M. Henri Loyrette. Les deux projets Louvre-Lens et Louvre-Abou Dabi doivent d’abord être menés à bien, avant qu’on puisse évaluer leur pertinence.

Cela dit, le projet de Lens n’affaiblit en rien nos partenariats avec les autres régions par le biais de dépôts dans les musées, d’expositions et, de façon plus générale, via le rôle des départements patrimoniaux. Nous avons même développé des partenariats plus particuliers, qui s’inscrivent dans le temps. J’en veux pour exemple le partenariat déjà établi avec le musée de l’Arles antique ou encore avec le musée de Castres, dont la très riche collection espagnole nous intéresse particulièrement, ainsi que le partenariat en voie de finalisation avec le musée des Beaux-Arts de Lyon, où doit être déposé « La fuite en Égypte » de Poussin, acquis en commun puis restauré par le Louvre. Nous envisageons également des collaborations avec Autun et Reims.

Nous poursuivons par ailleurs notre politique traditionnelle de dépôts. Je citerai à ce propos la réouverture du musée des beaux-arts d’Angers, entre bien d’autres exemples.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Nous avons été impressionnés par votre très forte implication personnelle dans ce projet Louvre-Lens, au point qu’on peut parler d’une véritable histoire d’amour.

M. Henri Loyrette. C’est à mes yeux un projet capital pour le Louvre.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Quel est l’état d’avancement du projet Louvre - Abou Dabi ? Quelle est la stratégie du Louvre à l’international ? Va-t-il engager d’autres actions comparables au projet Louvre-Abou Dabi, ou se recentrer sur des partenariats plus « conventionnels » ?

Le recul dont vous disposez grâce à cette expérience vous permet-il de dire si on doit et si on peut améliorer l’accompagnement des institutions culturelles françaises dans leur stratégie à l’international ?

Par ailleurs, comment seront partagées les contreparties financières entre le Louvre et les autres institutions muséales présentes au sein de l’Agence France Muséums ? Un suivi de l’utilisation des crédits a-t-il été prévu ? Ne serait-il pas légitime d’envisager un compte rendu annuel de gestion des responsables de l’Agence devant les commissions parlementaires compétentes – Culture, Affaires étrangères et Finances ?

Enfin, l’accord entre la France et les Émirats Arabes Unis stipulant que les œuvres prêtées « seront d’une qualité comparable à celles présentées au musée du Louvre », je vous poserai la question récurrente : n’y a-t-il pas un risque de priver les visiteurs du musée du Louvre de l’accès à des œuvres majeures ? Quelle serait votre capacité de résistance face aux demandes pressantes d’un bailleur de fonds aussi puissant ?

M. Henri Loyrette. Le projet Louvre - Abou Dabi avance conformément aux engagements pris dans le cadre de l’accord intergouvernemental du 6 mars 2007. Ce projet est piloté par l’Agence France Muséums, qui rassemble plusieurs institutions publiques, dont le Louvre. L’ensemble des documents « livrables » a été remis en temps et en heure à nos partenaires émiriens, notamment le projet scientifique et culturel, validé par le conseil scientifique de l’Agence, que je préside.

En ce qui concerne la maîtrise d’œuvre, le projet de Jean Nouvel progresse également dans le respect des délais initialement prévus, France Muséums jouant pleinement son rôle d’assistance à la maîtrise d’ouvrage. Nathalie Crinière, jeune architecte de talent, a été choisie comme muséographe de l’ensemble des espaces du musée en octobre 2008, par voie de concours.

Ce n’est qu’en octobre 2009 qu’on pourra dresser un bilan complet de notre collaboration avec Atlanta, qui en est déjà à sa troisième année. Mais nous pouvons déjà observer des résultats dépassant nos prévisions (plus d’un million de visiteurs).

Au-delà de ces deux projets, Le Louvre prolonge autant qu’il renouvelle la vocation universelle et les missions qui furent les siennes dès l’origine. C’est le cas à travers nos collaborations avec le Proche et le Moyen Orient, en Égypte, en Syrie et en Iran, pays où nous sommes très présents. Les compétences de nos équipes scientifiques y sont reconnues et sollicitées. Le Louvre y joue un rôle de conservatoire des métiers, notamment à travers les travaux de ses services de restauration dans de nombreux pays. Le Louvre a ainsi assuré pour le Yémen, et de façon bénévole, la restauration et la présentation d’œuvres récemment découvertes dans ce pays. Cette action a été permise grâce à l’appui d’un mécène.

La vocation universelle du musée se renouvelle également à travers de nouveaux partenariats, tels que le Soudan ou l’Arabie saoudite.

L’impact médiatique de projets tels que le Louvre - Lens ou le Louvre - Abou Dabi tend à occulter l’importance de l’action que nos services de conservation, d’architecture, de restauration, entre autres, conduisent dans de très nombreux pays, conformément à l’une de nos missions fondamentales.

Nous entretenons d’excellents rapports avec le ministère des Affaires étrangères et les ambassades de France, dont nous ne saurions nous passer. Mais l’action du Louvre se trouve parfois battue en brèche par l’intervention d’équipes d’autres pays qui bénéficient de soutiens publics. Ainsi, la restauration du musée de Téhéran, pourtant construction française, sera assurée par des équipes italiennes. Selon les informations dont nous disposons, ces dernières bénéficient en effet d’un système efficace, en vertu duquel une taxe est versée par les entreprises italiennes travaillant dans un pays étranger pour financer des projets culturels dans ce pays. Un tel dispositif assure une présence très forte de l’Italie dans des pays comme la Syrie ou l’Iran.

M. Richard Dell'Agnola, Rapporteur. Dans cet esprit, ne pourrait-on pas envisager de recourir au mécénat d’entreprises qui auraient intérêt à entretenir des relations commerciales avec tel ou tel pays ?

M. Henri Loyrette. Les entreprises auxquelles nous pouvons nous adresser sont en nombre relativement limité. C’est le cas de Total, qui soutient l’opération au Yémen ou des projets en Syrie. Il y a cependant, tant du côté du ministère de la Culture que de celui des Affaires étrangères, une réflexion à mener sur les moyens d’une telle politique internationale.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. La fonction de conservation des savoir-faire que vous évoquez nécessite-t-elle une présence renforcée du Louvre hors de ses murs ?

M. Henri Loyrette. Il y a en effet à l’étranger une forte demande de notre expertise, non seulement scientifique, mais également technique et muséographique. À la différence de nos partenariats traditionnels, strictement scientifiques, des conventions signées avec des pays tels que l’Iran, l’Arabie saoudite, le Soudan, prennent en compte toutes les dimensions du Louvre.

C’est aussi un moyen de faire connaître notre savoir-faire, à travers notamment la formation de jeunes de ces pays. Nous n’avons pas les moyens, hélas, de satisfaire toute la demande en matière de transmission de nos savoir-faire. Pour la même raison, notre action en direction des prisons, financée par le mécénat, reste à un stade de prototype alors que nous souhaiterions qu’elle soit généralisée. Il conviendrait de capitaliser sur les expériences réalisées afin de pouvoir les dupliquer facilement et, de cette manière, de multiplier notre capacité à organiser des partenariats.

Sur les questions financières, je me permets de passer la parole à M. Hervé Barbaret.

M. Hervé Barbaret. Les contreparties financières attendues des Émirats Arabes Unis sur la période 2007-2026 se répartissent selon quatre éléments structurants : premièrement, 400 millions d’euros seront versés au titre de l’accord de licence de marques ; deuxièmement, au titre des expositions temporaires, 5 millions d’euros par an pour la contribution de soutien aux musées français et 8 millions d’euros par an, de 2009 à 2026, pour l’organisation des expositions temporaires, censés couvrir les frais engagés par les organisateurs ; troisièmement, 190 millions d’euros, versés de 2009 à 2022, au titre des contributions spécifiques liées à l’apport des musées français pour la constitution progressive des collections émiriennes ; quatrièmement, environ 165 millions d’euros au titre de l’expertise de l’Agence France Muséums, c’est-à-dire de sa mission d’assistance à maîtrise d’ouvrage et de ses prestations intellectuelles. Cette rémunération lui permettra d’assumer les charges de fonctionnement qu’elle expose pour remplir ses missions. Elle pourra par ailleurs rémunérer les institutions muséales auxquelles elle sous-traite certaines tâches. Enfin, un résultat vraisemblablement bénéficiaire lui permettra, en tant que société par actions simplifiée de distribuer des dividendes à ses actionnaires.

Aujourd’hui, l’Agence France Muséums, les institutions actionnaires et le ministère de la Culture poursuivent la réflexion pour déterminer une clé de répartition équitable des sommes versées au titre des expositions temporaires et des prêts d’œuvres.

L’accord de licence de marques, en revanche, concerne exclusivement le Louvre. Ces ressources permettront au Louvre d’abonder assez rapidement le fonds de dotation qu’il est en train de constituer en application de la loi de modernisation de l’économie votée en août 2008. L’objectif est de financer le programme « Louvre 2020 », qui doit permettre d’achever l’effort entamé dans le cadre du projet Grand Louvre.

Ces ressources contribueront également au financement d’un projet très important du ministère de la Culture : le centre de recherche et de conservation des patrimoines, que la perspective de la crue centennale rend particulièrement nécessaire. Il permettra d’accueillir les œuvres situées dans les réserves inondables dans un lieu adapté concentrant les moyens des laboratoires du ministre de la Culture et de la communication, ainsi qu’un volet formation, proposé par l’Institut national du patrimoine. Il s’agirait donc d’un lieu unique au monde sur le plan de la formation et de la recherche.

Le contrôle de l’utilisation de ces crédits se fait, en ce qui concerne la société par actions simplifiée Agence France Muséums, par le biais de son conseil d’administration, dont les comptes sont certifiés par un commissaire aux comptes, soumis à la mission de contrôle économique et financier. Les comptes de l’Agence sont publiés dans les conditions du droit commercial commun.

Le suivi des sommes versées aux musées est assuré par le biais de la gouvernance normale de ces institutions.

L’information du Parlement est légitime, et les dirigeants de l’Agence France Muséums sont à la disposition des commissions parlementaires si elles estiment utile de disposer d’éléments complémentaires. Bruno Maquart, son directeur général, a d’ailleurs été auditionné le 4 mars dernier par la commission des Affaires culturelles du Sénat.

M. Richard Dell'Agnola, Rapporteur. Nous souhaitons maintenant vous interroger sur la question sensible des relations du Louvre avec la Réunion des musées nationaux. Comme l’a relevé la Cour des comptes, l’absence de définition claire du périmètre d’action du Louvre en matière de publications et de gestion des fonds photographiques conduit à une certaine concurrence entre ces deux établissements. Une telle concurrence a un coût et n’est donc guère satisfaisante du point de vue de la gestion : attendez-vous de la tutelle qu’elle tranche ce nœud gordien ?

Mme Catherine Sueur, administratrice générale adjointe. Il y a là deux questions différentes.

Dans le domaine de l’édition, il n’y a pas de véritable concurrence. Avant 2003, la RMN éditait une dizaine d’ouvrages par an concernant le Louvre, aujourd’hui le Louvre en édite une cinquantaine. Le Louvre assure donc, par des coéditions avec des éditeurs privés, une offre qui n’existait pas auparavant. Cette offre est aujourd’hui extrêmement diversifiée : non seulement quatre guides d’aide à la visite, dont un avec la RMN et un avec Artlys, filiale de la RMN, mais aussi une vingtaine de catalogues d’exposition et une dizaine de catalogues raisonnés par an, des ouvrages à destination du grand public ou de la jeunesse, de la bande dessinée, des beaux livres, toutes publications que la RMN ne réalisait pas.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Devons-nous conclure à une marginalisation de la RMN ?

Mme Catherine Sueur. Je veux simplement dire que le Louvre a la taille critique pour poursuivre une politique éditoriale propre, dans le strict respect de la « circulaire Jospin » relative à l’activité éditoriale des administrations et des établissements publics de l’État. Ainsi nous transmettons chaque année à la médiatrice de l’édition publique l’ensemble de nos comptes de coédition et le bilan de notre activité éditoriale.

M. Richard Dell'Agnola, Rapporteur. Pouvez-vous démontrer par une comptabilité d’analyse des coûts que le Louvre serait plus efficace que la RMN ?

Mme Catherine Sueur. Notre travail n’est pas comparable. Alors que la RMN réalise elle-même ses ouvrages, le Louvre passe par des coéditions avec des éditeurs privés, choisis par voie d’appels d’offres - auxquels la RMN peut se porter candidate. Nous avons pu comparer ainsi, sur dix-sept appels d’offres, les coûts de la RMN et ceux des autres éditeurs. Si elle n’est pas retenue, c’est que ses coûts de production sont souvent plus élevés. Ainsi, pour la réalisation du catalogue d’une exposition récente, la RMN nous a fait une proposition à 150 000 euros, quand un éditeur privé se contentait de 113 000. Comment le Louvre pourrait-il accepter de tels surcoûts payés sur les deniers publics ?

M. Richard Dell'Agnola, Rapporteur. Attendez-vous un arbitrage de la tutelle ?

M. Henri Loyrette. Je déplore qu’on se focalise sur les sujets qui fâchent, alors que notre coopération se passe très bien dans de nombreux domaines, tels que le réaménagement de la librairie.

Le ministère poursuit cependant, depuis plusieurs années, une politique de « décroisement » des partenariats de la RMN. Si les catalogues des deux dernières grandes expositions du musée d’Orsay sont coédités avec d’autres éditeurs que la RMN, n’est-ce pas parce que cet établissement y trouve plus d’intérêt que dans un partenariat obligé avec cette dernière ? Du fait de ce décroisement, la RMN n’est plus qu’un prestataire de services parmi d’autres. Sa gestion de la Boutique du Carrousel est excellente, mais on peut s’interroger sur la stagnation de son chiffre d’affaires, alors que la fréquentation du musée a crû de façon spectaculaire.

En ce qui concerne les fonds photographiques, nous en revendiquons la propriété, même si nous devons passer par un prestataire pour leur commercialisation.

L’erreur est en réalité de regarder l’ensemble du paysage des musées nationaux à travers le seul prisme de la RMN. Celle-ci est un prestataire de service dont on doit se soucier, notamment de ses personnels.

M. Richard Dell'Agnola, Rapporteur. C’est que nous avons ressenti des frictions.

M. Henri Loyrette. La politique de décroisement des activités du Louvre et de la RMN date de moins de dix ans. Encore tout récemment, le directeur des musées de France était aussi président de la RMN. La véritable question, c’est de savoir ce qu’on va faire, dans un paysage muséal inachevé, d’établissements aussi importants que Cluny ou Écouen. Au regard de cette question, celle de la RMN est secondaire.

Il est évident que la mutualisation de certains services peut être bénéfique pour les musées qui n’ont pas atteint une dimension suffisante pour être des établissements publics. Ce n’est pas le cas du Louvre. Il faut clarifier ce point une fois pour toutes.

M. Richard Dell'Agnola, Rapporteur. Même quand il y a dialogue, il semble qu’il y ait malgré tout des tensions, comme c’est le cas pour la Boutique du Carrousel.

M. Henri Loyrette. Il y a eu des tensions passagères, la RMN ayant oublié pendant deux ans de faire valider formellement des produits dérivés par la commission produits.

Mme Catherine Sueur. Depuis lors, la commission produits se réunit régulièrement, et le président-directeur valide les produits avant leur commercialisation.

M. Henri Loyrette. Voilà un bon exemple, M. le député : ce n’est pas à nous de créer des produits dérivés. C’est le rôle de la RMN, qui doit le faire avec nous et pour nous.

Mme Catherine Sueur. En ce qui concerne les photographies, il convient de distinguer la couverture des collections nationales de la commercialisation des fonds photographiques. Aujourd’hui, le Louvre compte à peu près 460 000 œuvres, dont 290 000 sont photographiées, soit un taux de couverture photographique de 62 %. Chaque année, 8 000 œuvres sont photographiées, et la RMN n’en photographie que 2 000. La RMN n’assurant que le quart de la couverture photographique des œuvres, le Louvre a besoin de recourir à des photographes extérieurs. L’enjeu est énorme.

M. Henri Loyrette. La vocation de cette couverture photographique est strictement scientifique, et non pas commerciale.

Mme Catherine Sueur. C’est au Louvre d’arbitrer entre le recours aux photographes de la RMN ou à d’autres photographes selon les départements : il n’y a jamais de doublons.

C’est la coexistence de deux fonds photographiques, un fonds RMN et un fonds Louvre, qui est absurde. C’est pourquoi nous demandons que ces deux fonds soient réunis dans un seul dont la propriété sera confiée au Louvre, comme c’est le cas de beaucoup d’autres établissements : le centre Pompidou et le musée du Quai Branly ont leur propre fonds.

M. Richard Dell'Agnola, Rapporteur. On en revient à la question de la tutelle puisque apparemment la « circulaire Jospin » ne suffit pas.

Mme Catherine Sueur. Elle suffit pour l’activité d’édition : dans ce domaine, on va vers un décroisement total. Pour le reste, un arbitrage de la tutelle est indispensable pour que la propriété des fonds soit rendue au musée du Louvre.

M. Richard Dell'Agnola, Rapporteur. La Cour des comptes fait valoir que la RMN dispose d’une comptabilité analytique, et non le Louvre. Si le décroisement doit se poursuivre jusqu’à son terme, ne serait-il pas judicieux que le Louvre puisse s’appuyer sur un tel outil ?

En ce qui concerne la gestion du fonds photographique, si le concept de collection nationale semble en effet imposer un opérateur unique, il convient d’être prudent et d’attendre des chiffres plus précis.

M. Hervé Barbaret. Je m’inscris en faux contre cette analyse. Premièrement, une comptabilité analytique n’est pas nécessairement en coûts complets : il y a des systèmes analytiques dits marginalistes.

Deuxièmement, il faut s’interroger sur l’adaptation de l’outil comptable à la vocation de l’établissement. Ainsi, un établissement public à vocation commerciale doit disposer d’une analyse en coûts complets, afin de pouvoir déterminer la marge tirée de la vente de chacun des produits qu’il vend.

Tel n’est pas le cas d’un établissement public à vocation scientifique et culturelle comme le Louvre, à qui une compatibilité analytique de type direct costing suffit.

Prenons l’exemple d’une fouille en Égypte, entreprise depuis une ou deux décennies et qui a fait avancer la science sur de nombreux points : elle aboutit à une exposition dont le catalogue coûte peu marginalement. En revanche, il est onéreux du point de vue d’une comptabilité analytique en coûts complets puisqu’il repose sur des années de travaux scientifiques, de recherches, de fouilles. Mais ces efforts constituent la vocation même d’un établissement comme le Louvre et devraient en tout état de cause être entrepris et financés.

Mme Catherine Sueur. Par ailleurs la « circulaire Jospin » n’impose pas la comptabilité analytique.

M. Jean-Pierre Kucheida. Je suis heureux que cette mission d’évaluation attire l’attention des parlementaires sur le projet Louvre - Lens. Ce projet traduit une véritable histoire d’amour entre le président de la région et le président-directeur du Louvre. Et il est précieux pour cette région sinistrée et en grande difficulté financière. Il devrait attirer des investisseurs vers un territoire bien placé par rapport aux grandes routes d’Europe.

Quant au projet Louvre - Abou Dabi, il est un moyen de faire rayonner la présence française dans le monde et d’y regagner l’influence que nous sommes en train de perdre, en dépit des rodomontades de circonstance. La question est de savoir si vous en aurez les moyens. À ce propos, je soumettrai à la commission des Affaires étrangères, qui réfléchit en ce moment au rayonnement culturel de notre pays, la solution italienne que vous venez d’évoquer à propos du musée de Téhéran.

M. David Habib, Président. Votre intervention, cher collègue, est doublement précieuse. Vous rappelez, en tant que membre de la commission des Affaires étrangères, le rôle éminent du Louvre en matière de rayonnement international de la France. Et vous nous donnez aussi le témoignage du député du Nord – Pas-de-Calais, maire de Liévin, à propos de la mutation culturelle qui accompagne la mutation économique dans votre région.

Il me reste, M. le président-directeur, à vous remercier pour votre disponibilité et à vous proposer de conclure.

M. Henri Loyrette. Notre objectif est de renouveler les missions fondamentales qui avaient été originellement assignées au Louvre par la République et l’Empire : musée à vocation nationale, dont les compétences, les savoir-faire et les collections doivent être au service de l’ensemble de la Nation ; mais aussi vocation universelle et ouverture vers le monde.

Ce renouvellement fait de ce musée, à l’image du palais qui l’accueille, une institution en perpétuelle métamorphose, toujours capable d’intégrer la modernité la plus récente. C’est la fidélité même à nos traditions qui nous impose d’être à l’aise dans notre époque. Dans tout ce que j’ai pu proposer, et qui a pu parfois être discuté, rien, je le proclame, n’était contraire aux missions fondamentales de cet établissement.

Audition du 9 avril 2009

À 10 heures : Mme Anne Baldassari, directrice du musée national Picasso

Présidence de M. Georges Tron, Président

M. Georges Tron, Président. Dans le cadre de la Mission d’évaluation et de contrôle (MEC) de la commission des Finances, nous sommes très heureux de recevoir aujourd’hui Mme Baldassari, directrice du musée national Picasso, ainsi que M. Fabien Docaigne, secrétaire général, afin qu’ils nous donnent leur point de vue sur la situation de ce musée et sur ses perspectives de développement.

Indépendamment de tout esprit partisan, nos Rapporteurs, qui sont les Rapporteurs spéciaux de la commission des Finances sur le budget de la Culture, M. Nicolas Perruchot et M. Richard Dell’Agnola, ainsi que le Rapporteur sur le même budget au nom de la commission des Affaires culturelles, M. Marcel Rogemont, vous poseront les questions qu’ils jugeront nécessaires. Les représentants de la 3ème chambre de la Cour des comptes, MM. Emmanuel Giannesini, conseiller référendaire et Emmanuel Marcovitch, auditeur, feront de même s’ils le souhaitent.

J’ajoute que nous avons d’ores et déjà entendu deux fois le président-directeur du musée du Louvre – ce dernier musée est-il d’ailleurs selon vous, Madame, Monsieur, un cas particulier ou a-t-il une valeur exemplaire par rapport aux problèmes qui nous préoccupent ? – mais aussi des représentants du ministère de la Culture et de la Réunion des musées nationaux (RMN).

Nous avons également tenu à recueillir le point de vue d’autres institutions muséales. Il importe, pour la mission, de déterminer dans quelle mesure le Louvre est un cas particulier ou peut être un exemple.

Madame la directrice, votre audition est importante pour nous à plusieurs égards, et pas seulement parce que vous avez été commissaire d’une exposition, organisée par la Réunion des musées nationaux, qui vient de connaître un brillant succès : « Picasso et les maîtres ».

Par ailleurs, il est prévu que le musée national Picasso change de statut en 2010 pour devenir un établissement public. Vous êtes donc bien placée pour vous prononcer sur la question du statut au regard de la taille critique d’un musée, qu’il s’agisse de son public, de son fonds ou de sa capacité à mobiliser des mécénats. Je ne doute pas, enfin, que nos Rapporteurs soient intéressés par la question de vos relations avec la tutelle.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. La commission des Affaires culturelles de l'Assemblée nationale, voilà quelques années, avait eu l’occasion de conduire une mission sur les musées nationaux au cours de laquelle elle avait préconisé la transformation du statut de ces établissements, de services à compétence nationale (SCN) en EPA. En ce qui vous concerne, Madame, êtes-vous satisfaite d’une telle décision et qu’en attendez-vous ? Pourrait-il par ailleurs en être de même pour l’ensemble des musées nationaux ?

Mme Anne Baldassari, directrice du musée national Picasso. Je suis d’autant plus satisfaite d’une telle transformation qu’elle était attendue depuis longtemps. Depuis ma nomination, en novembre 2005, et ainsi que le ministre de la Culture et de la communication, M. Donnedieu de Vabres, me l’avait demandé par une lettre de mission, j’ai beaucoup travaillé en ce sens, de même qu’au projet de rénovation et d’extension du musée ou encore au développement de nos ressources propres en prévision des futurs contrats de performance entre l’État et l’EPA.

Après trois ans de travail intensif, nous sommes enfin à la veille d’une mutation statutaire qui interviendra dans une situation difficile de « repli » puisque le musée doit être fermé au public pour des travaux impératifs et ses personnels partiellement redéployés pendant cette période. Nous nous sommes engagés à réaliser dans des délais particulièrement courts –estimés à 18–24 mois par l'établissement public de maîtrise d'ouvrage des travaux culturels, l’EMOC – des travaux à hauteur de 23 millions d’euros dont nous devons financer les deux tiers. À ce jour, nous avons réuni 12 millions d’euros – ce qui permet de garantir la première tranche de rénovation et de mise aux normes de l’Hôtel Salé –, mais nous travaillons encore à trouver les fonds nécessaires à l’extension du musée. Je ne vous cache pas que la situation est très tendue financièrement, techniquement, administrativement et scientifiquement. Si cette perspective de modernisation de notre statut, de nos espaces et de nos moyens est pleinement soutenue par la direction des Musées de France (DMF) qui est notre tutelle, la RMN, quant à elle, a décidé d’en ignorer les aléas comme de prendre en compte les difficultés de gestion qui en découlent au quotidien en matière de programmation culturelle, d’information et d’accueil des publics.

Si le Louvre pourrait avoir valeur paradigmatique pour les musées nationaux, le musée Picasso est en revanche unique en son genre puisqu’à l’exception du Musée national d’art moderne fusionné dans l’entité du Centre Pompidou et qui bénéficie à ce titre d’un statut particulier depuis sa création, il est le seul d’entre eux spécifiquement dédié à l’art moderne. Parmi les 15 musées nationaux à statut de SCN, il est par ailleurs le seul à recevoir près de 500 000 visiteurs chaque année, son patrimoine étant exceptionnel et d’un intérêt mondial.

Néanmoins, force est de constater que nous ne disposons pas des moyens nécessaires (administratifs, techniques et financiers) qui nous permettraient d’assumer pleinement notre rôle comme notre mission de rayonnement international. En effet, sans en avoir de retour véritablement significatif (environ 90 000 euros annuels), le musée fait bénéficier bon an mal an la RMN de 3 millions d’euros grâce à sa billetterie et à son chiffre d’affaires commercial (librairie, produits dérivés, concession restaurant), ce dernier étant d’ailleurs insuffisant au regard de notre potentiel. La RMN ne voulant considérer que le domaine des « expositions temporaires » (une exposition est coproduite annuellement par le musée et la RMN), rien n’est fait pour accroître la fréquentation générale du musée et des collections permanentes ; le bâtiment n’a bénéficié d’aucun investissement en maintenance (c’est au contraire le musée qui doit prendre en charge l’entretien des espaces mis à la disposition de la RMN) ; 65 % de nos visiteurs viennent de l’étranger sans qu’aucun service public digne de ce nom ne leur soit dédié ; 35 000 à 50 000 jeunes et scolaires français et européens sont reçus par le musée sans qu’un véritable service d’accueil et éducatif ne leur soit consacré ; les actions commerciales, enfin, sont globalement médiocres.

Avec 800 000 euros octroyés par l’État et dépensés dès le 1er janvier – puisqu’ils ne couvrent que les seules charges fixes – le musée national Picasso se trouve dans un état de pauvreté endémique. Par ailleurs, il ne bénéficie d’aucune véritable dotation culturelle et scientifique.

Pour toutes ces raisons, le passage au statut d’EPA était une question vitale pour l’avenir du musée.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. La situation est si catastrophique ?

Mme Anne Baldassari. Oui. Pour revenir sur la question du bâtiment qui reste cruciale, alors que la commission de sécurité voulait, il y a deux ans déjà, demander la fermeture du musée dans les quinze jours après sa venue, nous étions finalement parvenus à faire surseoir à cette décision en menant des travaux d’urgence très modestes et des améliorations muséographiques (1,5 million d’euros financés sur nos crédits mécénat), en obtenant le lancement d’un chantier de rénovation des décors, façades et murs d’enceinte de l’Hôtel Salé (2,3 millions d’euros financés par la DMF, maîtrise d’ouvrage SNT) et en nous engageant à mener à bien une mise aux normes générale dans le cadre du grand chantier de rénovation à venir.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Ce constat est d’ores et déjà alarmant, mais une fermeture de 18 mois pour cause de travaux n’arrangeant pas la situation, il importe de réfléchir à différents moyens permettant de faciliter le passage de cette période délicate.

Par ailleurs, qu’en est-il de la dynamique partenariale entre les musées et leur tutelle et, donc, des contrats de performance ? Quid de la contractualisation initiée voilà six ans avec le Louvre ?

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. La fougue avec laquelle vous vous êtes exprimée, Madame, laisse à penser que le passage d’un statut de SCN à celui d’EPA serait, selon vous, souhaitable pour tous les musées nationaux.

M. Fabien Docaigne, secrétaire général du musée national Picasso. Sachant la force de frappe du Louvre, il est légitime de se demander si des musées plus modestes peuvent assumer l’autonomie et la responsabilité que confère le statut d’EPA. La comparaison avec le musée Rodin me semble en l’occurrence plus appropriée puisque celui-ci, dès l’origine, a bénéficié de ce statut et qu’il ne s’en porte pas plus mal.

Le principal atout du musée national Picasso repose dans le caractère extraordinaire de sa collection et dans une fréquentation qui ne s’est jamais démentie. Sans doute la situation est-elle en revanche plus difficile pour des établissements de taille comparable, comme celui de Rueil-Malmaison par exemple.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Ce dernier aurait-il selon vous intérêt néanmoins à bénéficier du statut d’EPA ?

M. Fabien Docaigne. Le principal intérêt de ce statut résiderait dans l’unité de gestion qu’il pourrait apporter aux établissements bénéficiaires. La RMN percevant les droits d’entrée et animant les comptoirs commerciaux, la présence de ses personnels complique en effet la gestion administrative des musées.

Quoi qu’il en soit, la situation du musée national Picasso n’est pas absolument comparable avec celle que connaissent d’autres établissements, puisque nous pouvons dégager plus facilement des ressources propres et donc parvenir plus facilement à un équilibre financier de notre fonctionnement.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Quid des contrats de performance ?

Mme Anne Baldassari. S’il est toujours délicat, pour un musée comme le nôtre, de porter un jugement sur la situation d’autres établissements dont l’histoire est par définition différente, il importe selon moi d’abandonner la logique consistant à raisonner en termes macro-économiques. J’entends parler de « mutualisation », de « gestion directe », de « valeur ajoutée », d’ « économies d’échelle », mais les collections sont des objets concrets et nous sommes confrontés à des contraintes élémentaires de fonctionnement qui impliquent une gestion au plus près du terrain.

Sans doute la crise économique que nous connaissons pourrait-elle être l’occasion de repenser les catégories d’analyse de l’économie culturelle de manière à raisonner d’abord à partir du « micro » pour ensuite aller vers le « macro » ; c’est en effet à partir de la proximité physique des œuvres qu’il convient de penser la gestion.

Comme on disait dans les années soixante-dix, « small is beautiful » : et c’est de cela, paradoxalement, que dépend notre rayonnement européen et international. Toute la jeunesse d’Europe vient étudier au musée Picasso ! Telle me semble être la meilleure « culture d’entreprise » que nous puissions promouvoir !

Par ailleurs, comme l’a dit M. le secrétaire général, nous nous voyons attribuer des personnels de la DMF et de la RMN qui ne nous reconnaissent pas comme étant au sens strict leur employeur et dont les carrières sont administrées parallèlement selon des appartenances et dans des hiérarchies parfois incompatibles les unes avec les autres. Le système de corps ou de filières souvent limités à des plans de carrière déjà obsolètes et formant parfois des « castes », est rarement ancré dans la culture professionnelle des sites de détachement ou d’affectation des agents. Pourtant c’est bien à partir de ceux-ci, précisément, qu’une mobilisation effective des énergies est possible – laquelle, d’ailleurs, conditionne aussi notre travail sur le plan international.

Pour revenir au financement du chantier et à notre politique de recherche de ressources propres, il faut préciser que les 12 millions d’euros dont je vous ai parlé précédemment ne proviennent pas du grand mécénat français mais sont exclusivement dus à notre expertise pour créer des expositions originales et de très haute tenue scientifique et culturelle avec nos partenaires internationaux. En l’occurrence, ils proviennent plus précisément de quatre projets menés en 2008 avec Madrid, Abou Dabi, Tokyo et Brisbane. Nous avons chaque fois travaillé avec les ministères de la Culture et des Affaires étrangères des pays concernés (en Espagne ou aux Émirats Arabes Unis), comme avec de grandes agences gouvernementales (en Australie), ainsi que de grands mécènes privés (notamment au Japon). Les ambassades de France à l’étranger ont joué un rôle essentiel dans ces montages. Nous sommes ainsi intervenus en Espagne à l’occasion des commémorations de l’invasion napoléonienne et au Japon, dans le cadre des célébrations des 150 ans de la présence française.

Pendant la fermeture prochaine du musée, nous organiserons un véritable tour du monde d’environ 200 œuvres de notre collection - qui se compose de 5 000 œuvres de Picasso et de 200 0000 pièces d’archives dont des photographies et des manuscrits – témoignant non seulement de l’œuvre de Picasso mais aussi de la vie artistique et culturelle du XXe siècle, d’Apollinaire à Diaghilev, Stravinski, Massine, Brassaï, Lacan ou Clouzot. Le capital des œuvres concernées par ce tour du monde oscille selon l’importance des expositions entre 1 et 2 milliards d’euros. Des protocoles de suivi, de restauration et d’encadrement ont été mis en place pour un budget en investissement de 1 million d’euros que nous avons financé sur nos crédits mécénat et qui a, de plus, bénéficié d’une aide exceptionnelle de la direction des Musées de France (DMF).

Nous travaillons actuellement à la mise en place de ce programme international qui commencera à l’Atheneum Museum d’Helsinki au mois de septembre et se poursuivra au Musée Pouchkine de Moscou, puis à la Kunsthalle de Hambourg, au Seattle Art Museum de Seattle, au Museo Oscar Niemeyer de Curitiba (Brésil), au De Young Museum de San Francisco, et à la National Gallery of New South Wales de Sydney. Nous travaillons également à un autre circuit d’expositions en Chine et au Japon autour de projets plus spécifiques. Ces actions nous permettront de recueillir une somme équivalente à celle dont nous disposons déjà et qui garantira la conduite de notre chantier à son terme. Ces prévisions n’exonèrent pas l’État d’apporter la contribution attendue au financement du chantier du musée Picasso.

J’ajoute, enfin, que nous accomplissons ce travail dans le cadre d’une très petite équipe qui compte globalement une vingtaine d’agents scientifiques, administratifs et techniques.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Vous arrive-t-il de parler de cette « ingérence » de la DMF et de la RMN avec le ministère de la Culture ?

Mme Anne Baldassari. S’agissant de la DMF, le terme est impropre. La DMF exerce une tutelle politique et administrative sur le musée Picasso et le fait dans l’intérêt des missions de service public qui sont les nôtres. De façon pionnière, la DMF a déconcentré, dès 1993, aux musées nationaux « centres de responsabilité » (ancien statut SCN) la quasi-totalité de leurs moyens de fonctionnement et d’entretien. Le musée Picasso a bénéficié de ces mesures et sa revendication actuelle d’un statut EPA lui assurant une plus grande autonomie et une meilleure gestion s’inscrit dans la droite ligne de cette politique de « responsabilisation ». Je me réjouis par ailleurs de la nomination de la nouvelle directrice des musées de France, Mme Marie-Christine Labourdette, qui a accompagné notre projet de chantier et soutient activement notre politique internationale.

Par ailleurs, j’entretiens bien entendu des liens avec le ministère de la Culture et de la communication, avec le directeur de cabinet, M. Jean-François Hébert qui est attentif au projet de développement du musée, le directeur adjoint, M. Christophe Tardieu, qui suit personnellement l’élaboration du projet de décret EPA, le conseiller pour les musées, Mme Sophie Durrleman, en charge du dossier du musée Picasso, ou le secrétaire général du ministère, M. Guillaume Boudy, avec qui j’ai eu récemment l’occasion d’évoquer en particulier nos problèmes récurrents de sous-effectifs.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Vous semblerait-il opportun qu’à l’instar du Louvre vous puissiez gérer vous-même vos personnels ?

Mme Anne Baldassari. Assurément, comme tous les EPA.

M. Georges Tron, Président. Ce qui ne va d’ailleurs pas sans soulever certains autres problèmes.

Mme Anne Baldassari. Peut-être le soutien d’un nouvel outil de gestion interministériel serait-il bienvenu ?

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Quelle « valeur ajoutée » la RMN apporte-t-elle aux institutions muséales ? Est-elle en situation de monopole ? Son intervention est-elle encore légitime ? Est-ce à la tutelle de trancher les problèmes qui se posent ?

Mme Anne Baldassari. Je tiens tout d’abord à dire que nous veillerons à faire respecter les délais de conduite du chantier comme à limiter au minimum la fermeture du musée au public. Celui-ci restera présent à travers des prêts à différents projets d’exposition en cours, le montage d’expositions réalisées par le musée Picasso dans des institutions culturelles parisiennes et des collaborations (événements, expositions dossiers) coproduites avec l’État ou la Ville de Paris qui est par ailleurs le propriétaire de l’Hôtel Salé (bâtiment et jardin).

S’agissant de la RMN, il serait temps, en effet, de trancher. Je tiens à rendre hommage à M. Jean-Ludovic Silicani, qui a organisé fin 2007 la première réunion – cela en dit long – au cours de laquelle l’ensemble des chefs d’établissement des musées nationaux à statut de SCN ont pu s’exprimer librement sur leurs relations avec la RMN. Pour le reste, les commissions existantes se réduisent le plus souvent à des chambres d’enregistrement des décisions de la RMN : nous n’avons pas la parole, et lorsque nous la prenons, nos remarques ou nos projets ne sont, de fait, peu ou pas pris en compte. Par ailleurs, la seule convention passée en 1994 qui contractualisait les rapports économiques et culturels entre le musée Picasso et la RMN - et recherchait un premier équilibre de ces rapports dans le cadre de la nouvelle donne des « centres de responsabilité » -, légalement caduque au bout de trois ans, a néanmoins été reconduite « tacitement », n’a pas été respectée dans son contenu qui reconnaissait au musée Picasso une plus grande latitude d’action et de décision, et lors d’un amendement effectué en 2000, a acté, au détriment du musée, une réduction du taux de retour des recettes en billetterie de 5 % à 3,5 %.

S’agissant de la « valeur ajoutée » ou des « plus-values » apportées par les services de la RMN, j’ignore dans les faits à quoi vous faites allusion exactement. L’expérience du fonctionnement du musée Picasso permet de vérifier que si nous sommes légalement contraints par notre statut SCN de déléguer notre responsabilité juridique (signature de contrat), financière (gestion de nos crédits mécénat) ou notre expertise technique (organisation d’appel d’offre) à la RMN cela reste pour nous une formalité qui vient alourdir les protocoles de gestion sans pour autant nous être d’un apport en contenu ou en expertise. Pour prendre a contrario un exemple particulièrement révélateur, c’est le musée Picasso qui a objectivement « organisé » l’exposition « Picasso et les maîtres ». Nous avons mené la négociation d’un mécénat d’1 million d’euros avec LVMH, nous avons prêté plus de 100 œuvres de nos collections sur les trois sites de l’exposition (15 œuvres ont été prêtées par le Louvre et 7 par le musée d’Orsay) en gérant directement tout le processus de ces prêts, nous avons aussi « contre-prêté » plus de 250 œuvres. Car aucune œuvre n’est prêtée par les grandes institutions muséales étrangères sans qu’elle ne soit gagée par un prêt équivalent des collections françaises. La France est, à ce propos, le seul pays à financer les politiques de ces grands partenaires internationaux aux frais du contribuable – paiement des frais annexes aux convoiements, de l’encadrement, du montage, de la restauration des œuvres prêtées, etc. Au musée Picasso, sur 20 agents, l’équivalent de deux emplois à plein temps sont dédiés au seul convoyage des œuvres consenties en prêt. Continuons donc à nous montrer généreux mais, de grâce, évitons de nous montrer naïfs ! Eh bien, malgré cet exceptionnel investissement, le musée Picasso n’aurait reçu aucun retour sur cette exposition « Picasso et les maîtres » si finalement la DMF n’avait obtenu de nous faire bénéficier d’un retour partiel sur les billets groupés estimé à une centaine de milliers d’euros.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Face à une telle situation, que vous répond la tutelle ?

Mme Anne Baldassari. Sa logique est différente. Absente du terrain, elle en ignore les contraintes et n’a pas toujours conscience des enjeux et des risques que la situation critique qui est la nôtre sur le site nous oblige à prendre au quotidien.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Que dit la tutelle de cette convention de 1994, pourtant caduque et qui continue de s’appliquer ?

Mme Anne Baldassari. La révision de cette convention de 1994 a été contresignée par la DMF en 2000. À l’époque, elle a donc donné son aval à une mesure disqualifiante pour le musée. Aujourd’hui la perspective a changé et la DMF accompagne fermement le musée dans sa politique d’émancipation.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Il faut qu’une nouvelle discussion ait lieu.

Mme Anne Baldassari. Il n’est plus véritablement temps puisque nous allons devenir un EPA et que désormais nous pouvons considérer la situation comme virtuellement réglée. Reste à rédiger un décret qui confère pleinement au futur EPA du musée national Picasso de réels moyens juridiques et financiers ainsi qu’une réelle latitude d’action. Si, en revanche, la situation antérieure de pauvreté endémique et de dépendance chronique à l’égard de la RMN notamment liées au statut SCN avait dû se perpétuer, j’aurais été plus offensive dans mes propos, plus détaillée dans les multiples exemples que j’aurais eus à citer et sans doute aurais-je même démissionné.

Pour ce qui relève des contrats de performance, nous en avons besoin autant que la tutelle pour cadrer nos actions et nous fixer des objectifs triennaux. Il serait souhaitable que ce contrat stipule que pour chaque euro apporté par le musée Picasso, l’État fasse de même et nous garantisse durant la période d’élaboration (cinq années) les moyens nécessaires à la consolidation en emplois et en fonctionnement de l’EPA du musée national Picasso.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Selon les informations que nous tenons de la Cour des comptes, l’analyse des conditions d’organisation de l’exposition « Picasso et les maîtres », sur un plan strictement juridique, tend à conclure que la RMN en a bien été le producteur. La Cour a constaté que les musées du Louvre et d’Orsay ont accepté le schéma initial élaboré en 2007, et que, si le musée Picasso n’a jamais été associé à ces décisions, c’est en raison de son statut de service à compétence nationale.

Mme Anne Baldassari. Je souhaite justement que nous en changions le plus rapidement possible !

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Je rappelle par ailleurs, sur un sujet qui nous est cher, que dans un référé du 12 juin 2008, la Cour des comptes s’est inquiétée auprès de Mme la ministre de la Culture de la multiplication des opérateurs lesquels, avec le musée Picasso et le château de Fontainebleau, passeront prochainement de 78 à 80. Or, la Cour estimait que tous n’ont pas la taille idoine pour assumer les fonctions d’un EPA dont, par exemple, la maîtrise d’ouvrage.

Par ailleurs, comment concevez-vous la future configuration de vos services ?

Mme Anne Baldassari. Nous avons élaboré une plateforme de gestion des ressources humaines et d’un schéma financier directeur dont nous serions ravis de discuter avec vous ou avec la Cour des comptes. Pour ce qui est de la maîtrise d’ouvrage du chantier de rénovation, l’EMOC est par convention en charge de sa conduite.

M. Georges Tron, Président. Si, assurément, je comprends Mme Baldassari, les problèmes soulevés par la Cour des comptes dans ce référé n’en sont pas moins très importants. Par ailleurs, nous nous souvenons que l’autonomie du Louvre s’est accompagnée d’une augmentation de 25 % de ses effectifs en six ans.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Qu’en est-il de la politique de la RMN en matière d’achats des œuvres ?

Mme Anne Baldassari. Le musée Picasso finance ses acquisitions à hauteur de 50 % sur ses crédits mécénat et ce sont des crédits d’État (crédits DMF, Fonds du patrimoine, dons et legs pour environ 2,3 millions d’euros annuellement) que la RMN gère pour le compte de la DMF. Une fois encore, sa « valeur ajoutée » est simplement celle d’un opérateur de gestion qui par son statut d’EPIC peut faire ce que ni la DMF ni les SCN ne peuvent actuellement mettre en œuvre.

Je rappelle qu’environ 16 millions d’euros de subventions sont attribués chaque année par l’Etat à la RMN au bénéfice des 15 musées nationaux SCN dont elle est censée assurer la gestion commerciale et soutenir les actions de développement économique et culturel. Je souligne également que le musée national Picasso SCN rapporte à lui seul par son activité scientifique et culturelle environ 3 millions d’euros chaque année à la RMN. Je me suis déjà exprimée sur l’insignifiance des retours financiers et logistiques (90 000 euros annuels sur la billetterie et le chiffre d’affaires ; coproduction d’une exposition annuelle dont le budget moyen peut être estimé à 150 000 euros et qui est généralement compensé par la majoration du billet d’entrée). Je remarque enfin que la RMN vient d’acquérir un immeuble de bureau pour loger ses très nombreuses équipes pour 60 millions d’euros… Alors que le musée national Picasso doit garantir le financement des 23 millions d’euros de la rénovation du bâtiment qui conserve et présente au public la plus importante collection au monde de l’œuvre de Picasso.

Il y a là quelque chose qui m’échappe.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Qu’il y ait « de l’eau dans le gaz » n’est pas une surprise pour nous et on ne peut que se féliciter, compte tenu de ce que représente le musée Picasso sur un plan national et international, que le grand public l’ignore.

Mme Anne Baldassari. Je remercie en tout cas l’ensemble des tutelles qui ont su reconnaître la spécificité du musée Picasso et qui ont décidé récemment de lui donner enfin les moyens de son autonomie juridique et de son futur développement.

J’ajoute qu’à l’avenir nous développerons deux fondations – France-Monde, présidée par Bernard Arnault – ainsi qu’une fondation basée à New York plus spécifiquement liée au droit américain avec Claude Picasso. Elles devraient nous rapporter chaque année plusieurs millions d’euros et, ainsi, nous permettre de développer une politique d’exposition de très haut niveau, de financer des bourses de recherche, de lancer le chantier scientifique et la mise en ligne du « Catalogue raisonné » des collections et de financer des acquisitions.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. De nombreuses œuvres sont-elles disponibles sur le marché ? Pourquoi en acquérir plus encore ?

Mme Anne Baldassari. Elles sont très nombreuses mais de valeur et d’intérêt patrimonial inégal. Cependant, l’enrichissement des collections nationales fait partie intégrante, jusqu’à nouvel ordre, de nos missions essentielles. Étant donné le montant annuel (2,3 millions d’euros) consacré par la DMF à l’ensemble des acquisitions des 15 musées nationaux (hors grands EPA et Beaubourg qui disposent de lignes budgétaires autonomes), nos ambitions en la matière ne sont pas très dispendieuses. Le musée national Picasso a engagé annuellement durant les dix dernières années environ 100 à 150 000 euros de crédits en acquisition. Les valeurs des œuvres de Picasso sur le marché étant extrêmement élevées, nous avons dû nous limiter à l’achat de dessins, manuscrits, pièces documentaires. Nous avons de plus financé ces acquisitions à 50 % sur nos crédits mécénat. L’enrichissement de nos collections provient majoritairement – et ce dès la création du musée – de la dation. C’est en effet grâce aux dations Pablo Picasso de 1979 et de Jacqueline Picasso de 1990 que le musée a constitué sa collection. Plus récemment, les dations Dora Maar (1998) ou Rosenberg-Sinclair (2008) ont permis de nouveaux enrichissements considérables de nos collections.

Nous disposons aujourd’hui de 5 000 œuvres parmi les 70 000 que Picasso avait conservées dans sa seule collection personnelle. Puisque nous parlions de « valeur ajoutée », la dation Pablo Picasso était évaluée en 1979 à 100 millions de francs ; elle est aujourd’hui estimée à environ 7 milliards d’euros. Vous avez ainsi une idée des potentialités économico-scientifiques du musée Picasso et de ses futures fondations.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Pourriez-vous préciser à nouveau le financement des travaux que vous allez réaliser ?

Mme Anne Baldassari. Ils s’élèvent à 23 millions d’euros dont nous devons assumer les deux tiers. À ce jour, 12 millions d’euros ont été réunis et nous espérons que le « tour du monde » de notre collection permettra de réunir la totalité de la somme. Nous espérons également que le tiers de ce montant (environ 5 millions d’euros) restant à la charge de l’État soit bien inscrit aux budgets de 2010 et de 2011 par le ministère de la Culture. Ainsi, in fine, nous pourrions tenter d’acquérir une parcelle de terrain limitrophe de l’Hôtel Salé. Une partie du projet actuel d’extension est en effet fondé sur l’externalisation des bureaux et locaux techniques dans des espaces à la périphérie du site. Or, à cette étape, tout reste à faire en la matière : recherche de locaux et financement de location ou acquisition.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Les grands musées ne mobilisent-ils pas à leur profit tout le mécénat ?

Mme Anne Baldassari. La lecture du rapport d’activité 2007 du Louvre tendrait à l’attester. Les chiffres mentionnés (57 millions d’euros en mécénat et parrainages) sont impressionnants. Bien entendu, si on exclut la valorisation des dons et legs ou les valorisations d’espaces, et que l’on considère des actions comparables, on revient à des chiffres plus conformes à la réalité des apports en mécénat. Notamment, sur le poste « production d’expositions internationales », le Louvre affiche 2 millions d’euros de donation pour la production de 6 opérations et je rappelle que nous avons, avec une équipe extrêmement réduite, réussi à réunir 12 millions d’euros pour 4 expositions. Chacun peut donc faire valoir ses spécificités. Néanmoins, on pourrait souhaiter que par souci d’équité, un meilleur équilibre de la subvention, de la dotation en effectif et de l’investissement public prévale au bénéfice des moyennes et petites structures culturelles.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Le ministère de la Culture vous accompagne-t-il dans la recherche de financements innovants ?

Mme Anne Baldassari. Nous sommes très encouragés à aller de l’avant en développant de nouveaux secteurs d’activité mais le ministère lui-même ne dispose pas des moyens ni des outils nécessaires à la conduite de pratiques innovantes en la matière.

Ainsi, si les autres SCN étaient maintenus dans leur statut actuel, on pourrait réformer la RMN (inflationniste en personnel et dévoratrice de subventions et de ressources) en un outil véritablement utile qui ressemblerait à une petite structure coopérative, flexible et réactive, dont les différents musées nationaux SCN seraient les actionnaires, les décisionnaires et aussi les principaux bénéficiaires.

M. Georges Tron, Président. Je vous remercie.

Audition du 9 avril 2009

À 11 heures : M. Jean-Jacques Aillagon, président de l'établissement public du musée et du domaine national de Versailles

Présidence de M. Georges Tron, Président

M. Georges Tron, Président. J’ai le plaisir d’accueillir maintenant M. Jean-Jacques Aillagon. Nous avons voulu entendre non seulement l’actuel président de l’établissement public du musée et du domaine national de Versailles, mais aussi l’ancien ministre de la Culture qui, à ce titre, avait fait souffler un vent nouveau sur la politique française des musées. Plusieurs des grands axes de la stratégie du musée du Louvre reflètent d’ailleurs ce renouveau.

Le principe de la mission d’évaluation et de contrôle est qu’un libre dialogue s’instaure entre notre invité et les Rapporteurs de la mission. Je salue également la présence de deux représentants de la Cour des comptes.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Monsieur Aillagon, il y a quelques semaines, lors d’un entretien désormais célèbre donné au journal Le Monde, vous avez déclaré que la question de la suppression du ministère de la Culture pouvait se poser. Pouvez-vous préciser votre pensée ? En tant qu’ancien ministre chargé de ces questions, quel regard portez-vous sur l’évolution de la gestion des établissements publics, notamment de celui du Louvre ?

M. Jean-Jacques Aillagon, président de l'établissement public du musée et du domaine national de Versailles. C’est évidemment par boutade que j’ai évoqué, dans cet entretien, l’hypothèse de la suppression du ministère de la Culture, dans la mesure où j’affirmais simultanément mon attachement au principe même d’une action culturelle significative de l’État – laquelle, additionnée à l’action considérable des collectivités locales, permet à nos concitoyens de bénéficier d’un large accès à la culture.

Si j’ai évoqué cette disparition, c’est parce que j’étais agacé de constater que, pour un grand nombre de nos concitoyens, l’action culturelle ne serait née qu’avec la création d’un ministère de la Culture, alors que la IIIe et la IVe Républiques, qui ne disposaient pas de cet instrument, avaient déjà mis en œuvre des politiques significatives dans ce domaine.

Par ailleurs, je suis dubitatif face à l’adulation sans discernement qu’a fini par susciter ce portefeuille. La nomination d’un ministre de la Culture doit servir à mener une politique, et non à faire plaisir à la personne concernée, même si je comprends fort bien que cela puisse faire plaisir.

Je constate enfin que ce ministère, devenu politiquement très vulnérable, est trop souvent tenté de n’être que le relais de l’opinion des populations dont il a la charge plutôt que d’être en mesure de travailler en toute indépendance aux objectifs d’une action culturelle de l’État. Ainsi, la loi relative aux droits des créateurs dont les œuvres sont diffusées sur Internet, dont vous avez récemment débattu, donne certes satisfaction aux artistes, inquiets du mépris qui pourrait frapper leurs droits légitimes. Mais elle restera cependant, à mes yeux, largement inapplicable. Comme toujours, les usages l’emporteront. Dès lors, n’aurait-il pas mieux valu promouvoir d’autres modes de rémunération du droit des auteurs ? Je n’évoque cet exemple que parce qu’il est symptomatique du besoin auquel ce ministère est sans cesse exposé de devoir donner aux artistes des gages de sa totale orthodoxie.

Bien sûr, une telle décision de supprimer le ministère de la Culture serait, politiquement, impossible à prendre, car perçue comme le signe d’un désengagement culturel de l’État. Elle constituerait un symbole fâcheux. Continuons donc à pourvoir le poste de ministre de la Culture, mais sans perdre de vue les objectifs qu’il doit viser en sachant faire preuve d’une nécessaire liberté.

J’en viens au Louvre, qui est l’objet même de votre réflexion. Ce très grand musée, l’un des plus grands du monde, bénéficie d’un regain d’énergie depuis que l’État a engagé en sa faveur la réalisation d’un grand projet immobilier, avant de le doter, par étapes successives, d’une réelle responsabilité et d’une réelle autonomie. J’ai connu l’époque où il existait une totale et intime cohabitation entre la direction des Musées de France, la Réunion des musées nationaux et le musée du Louvre : en effet, le directeur des musées de France, qui logeait au Louvre, était le patron de fait de la RMN, dont l’administrateur général avait un bureau voisin du sien.

L’émergence du Louvre comme institution culturelle singulière a été un phénomène culturel important. Elle s’est inscrite dans le mouvement plus général inauguré avec la création du Centre national d’art et de culture Georges Pompidou. Le Musée national d’art moderne avait en effet bénéficié d’emblée d’une très large autonomie culturelle et d’une autonomie totale en matière d’acquisitions.

Depuis, le phénomène a gagné l’ensemble du paysage des musées nationaux, et j’ai tenu à l’étendre lors de mon passage rue de Valois. Les musées d’Orsay et Guimet sont ainsi devenus des établissements publics ; quant au musée du Quai Branly, il l’était dès sa création. Je pense qu’il aurait fallu pousser encore plus loin le processus, même si tous les musées nationaux ne disposent pas de la taille critique justifiant la création d’un établissement public spécifique.

La situation de Versailles est plus complexe, puisqu’il s’agit à la fois d’un musée et d’un monument. C’est pourquoi son statut d’établissement public, créé en 1995, reste un peu bancal et est appelé à évoluer.

La création d’établissements publics, l’émergence de la personnalité des grands musées, le développement de leurs activités, leur succès public – chacun connaît la fréquentation du Louvre, du musée d’Orsay, du Musée national d’art moderne ou de Versailles –, l’excellence de leur bilan culturel, tout cela finit par poser la question de leurs relations avec la Réunion des musées nationaux.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Justement : pourquoi n’avez-vous pas, dans cet entretien avec Le Monde, évoqué plutôt la suppression de la RMN, dont le fonctionnement suscite de nombreuses interrogations ? Ses apports sont-ils vraiment essentiels pour les musées nationaux, grands ou petits ? Par ailleurs, n’est-ce pas une mauvaise chose de condamner des établissements à avoir deux patrons ?

M. Jean-Jacques Aillagon. Si je n’ai pas évoqué cette hypothèse, c’est parce je crois justement qu’il ne faut pas supprimer la Réunion des musées nationaux. Longtemps, la RMN a été un organe de mutualisation, prélevant sur les recettes des gros pour, en théorie, redistribuer des moyens aux petits. La revendication légitime des musées-établissements publics à maîtriser la totalité de leurs recettes met certes fin à ce rôle, mais il reste néanmoins un certain nombre de domaines où cette institution peut garder une utilité.

Le premier domaine est la gestion de la photothèque des musées nationaux. En effet, aucun musée, pas même le Louvre, n’a la taille critique nécessaire pour maîtriser de manière efficace la diffusion commerciale des clichés de ses collections. Rappelons que les musées ne sont pas propriétaires de ces dernières, ils ne font qu’en assurer la garde pour le compte de l’État.

Le deuxième est la gestion, l’administration et la programmation des Galeries nationales du Grand palais – à condition que les musées nationaux concourent à cette programmation, notamment par le prêt d’œuvres dont ils ont la garde. Je regrette d’ailleurs qu’à l’occasion de la rénovation du Grand palais, l’État ne soit pas allé jusqu’au bout de sa logique et n’en ait pas profité pour rénover les Galeries nationales. Cet équipement, qui date de l’époque Malraux, est en effet vétuste et mal distribué. Il aurait fallu avoir le courage d’étudier le repositionnement des Galeries et du Palais de la découverte, et d’entreprendre un grand projet culturel global, quitte à le faire financer en partie par le concessionnaire auquel aurait été confiée l’exploitation de la nef. L’État a préféré renoncer à ce choix, en achevant rapidement les travaux de la seule grande nef. On a négligé le chauffage, la climatisation, l’installation de monte-charges ou d’aires de livraison – pour exploiter rapidement la nef sans se préoccuper du reste du bâtiment. La Réunion des musées nationaux aurait pourtant pu jouer là aussi un rôle spécifique. On a préféré susciter la création d’un nouvel établissement.

Un troisième domaine dans lequel la RMN aurait pu trouver une utilité – si l’État n’avait pris le parti contraire – est le développement de la politique internationale des musées nationaux. Alors que la RMN aurait pu assurer la gestion du projet de Louvre à Abou Dabi – ce qui aurait été dans le sens de la simplification –, le choix a été fait de créer une autre structure, l’Agence France Muséums.

Enfin, la RMN peut et doit rester un organe mis à la disposition des petits musées, nationaux ou locaux, qui n’ont pas nécessairement la capacité, faute des professionnels requis, à produire seuls des expositions. La grande différence est que la relation entre la RMN et les musées, longtemps marquée par l’obligation, serait désormais contractuelle. Si les deux partenaires se respectent, une telle relation peut permettre de bâtir des projets.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Pourquoi serait-il plus logique de confier le projet d’Abou Dabi à la RMN plutôt qu’au Louvre lui-même ? Le musée n’est-il pas le mieux placé pour piloter cette opération – notamment en ce qui concerne la négociation des contreparties ?

M. Jean-Jacques Aillagon. De deux choses l’une : soit on considérait qu’il appartenait au Louvre de mettre en œuvre un tel projet, soit on estimait que l’État, propriétaire des collections, devait être le premier concerné. Dans ce dernier cas, plutôt que de créer un organisme supplémentaire, il aurait été préférable de confier le dossier à une institution existante – la RMN, en l’occurrence. Mais on a préféré échapper à cette alternative et créer l’Agence France Muséums.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Pourquoi ? Pour ne fâcher personne ?

M. Jean-Jacques Aillagon. Je l’ignore. La décision a été prise après mon départ du ministère. Parfois, derrière la création d’une institution nouvelle, se niche la volonté de trouver des débouchés pour les gens qui en assureront la direction…

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Dans le cadre de ces auditions, nous avons entendu à plusieurs reprises des directeurs de musée parler de la grande misère des musées de France. À l’instant, Mme Baldassari, directrice du musée national Picasso, évoquait l’étranglement financier dans lequel se trouve son établissement, dont la fréquentation assure pourtant à la RMN des revenus non négligeables.

Dans un tel contexte, nous nous interrogeons sur la politique du ministère de la Culture en termes d’investissements et d’acquisitions. Ainsi, était-il opportun de créer un auditorium symphonique à Paris, alors que l’on dispose déjà de la Salle Pleyel ?

M. Jean-Jacques Aillagon. Comme les autres politiques de l’État, les politiques culturelles peuvent être motivées par des convictions profondes et se traduire par des engagements de long terme, mais elles peuvent aussi chercher à satisfaire l’émotion du moment ou l’influence de certains. Ainsi, d’éminentes personnalités telles que Pierre Boulez mènent depuis longtemps campagne en faveur de la création d’un grand auditorium à Paris. Pour ma part, j’avais fait remarquer qu’un tel projet ne devait pas relever seulement de l’État. En France, on a fini par considérer qu’un équipement national devait nécessairement être parisien. La conséquence c’est qu’en province, la participation de l’État aux projets est souvent marginale en comparaison de celle des collectivités locales. De toute évidence, la création d’un auditorium à Paris servirait très largement à la satisfaction musicale des habitants de la région parisienne. Il était donc logique – et l’idée a d’ailleurs fini par s’imposer – que la ville de Paris et la région Île-de-France prennent leur part au financement de cet équipement.

Par ailleurs, en tant que ministre, j’ai toujours jugé plus sage de mobiliser les moyens pour permettre le développement des institutions existantes plutôt que d’en créer de nouvelles. C’est pourquoi j’avais résisté aux pressions en faveur de la construction d’un nouvel auditorium. Cependant, comme la vie musicale parisienne avait besoin d’un outil plus adapté, je m’étais engagé dans la voie d’une location à long terme de la Salle Pleyel, alors vacante. Depuis, j’ai appris que l’État envisageait de l’acheter. Il me semble qu’il aurait fallu choisir entre cette acquisition et la construction d’un auditorium. Il ne suffit pas de construire un équipement ; encore faut-il, ensuite, assurer la programmation. Or un plateau artistique, un orchestre, des voix, tout cela coûte très cher. On ne gagne pas d’argent avec une programmation ambitieuse de musique classique.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Vous avez dit que la RMN avait vocation à prendre une partie des recettes des grands musées pour la redistribuer aux petits. Mais les subventions attribuées par l’État aux différents établissements contribuent déjà à assurer un certain équilibre. À quoi sert cette double péréquation ? Ne pourrait-on pas imaginer que chaque établissement conserve ses recettes, les subventions servant à compenser la faiblesse des ressources dans les petits musées ?

Par ailleurs, pouvez-vous nous parler de la réforme des ressources humaines telle qu’elle est appliquée au Louvre ? Jugez-vous nécessaire qu’un établissement comme celui de Versailles – ou d’autres musées nationaux – puisse gérer son propre personnel ?

M. Jean-Jacques Aillagon. Cette péréquation mécanique a vocation à disparaître. Rappelons que le Musée national d’art moderne a été, dès la création du Centre Pompidou, dispensé d’y participer. Par la suite, la création de l’établissement public du musée et du domaine national de Versailles, en 1995, a rendu cette institution totalement maîtresse de ses recettes. Il en est de même des musées du Louvre, d’Orsay et Guimet depuis mon passage rue de Valois. Il me semblait en effet malsain de priver d’une partie de leurs recettes des établissements désireux de développer leurs activités. Ce n’est pas ainsi qu’on les inciterait à progresser.

La péréquation ne subsiste donc que pour les petits musées, dont les recettes de billetterie sont faibles. Je crois comme vous que les subventions de l’État doivent se concentrer de façon prioritaire sur les institutions isolées, ou sur celles dont les collections n’ont pas autant d’attrait que celles des grands musées nationaux. Cette fonction de solidarité doit être clairement distinguée de la maîtrise des recettes. Elle peut être assurée soit par un établissement fédérateur comme la RMN, soit par l’administration centrale. Ainsi, la direction des Musées de France développe un programme national destiné à subventionner des expositions d’intérêt national dans les musées relevant de collectivités locales.

À cet égard, la situation de Versailles est la plus claire, puisque l’établissement ne vit que de ses recettes propres – billetterie, locations, concessions, mécénat – et ne reçoit pas de subventions de fonctionnement. Cependant, pour la première fois, il recevra cette année une compensation pour la perte de recettes due à la décision d’étendre aux moins de vingt-six ans l’accès aux collections nationales. Cette aide sera d’autant plus nécessaire que les jeunes – européens, notamment – représentent une grande part de notre public. L’État prend également directement en charge la rémunération des agents titulaires mis à la disposition de l’établissement. La valorisation de cette prise en charge s’élève à environ 20 millions d’euros.

Le Louvre est dans une situation plus complexe : il a désormais la maîtrise de ses recettes, mais reçoit de l’État une subvention appréciable de 122 millions d’euros. Ainsi, chaque visiteur de Versailles coûte 3 euros à l’État, tandis que chaque visiteur du Louvre, lui, coûte environ 15 euros.

J’en viens à la question relative aux ressources humaines. La conséquence logique du mouvement d’autonomisation est de donner aux établissements une responsabilité sur leur personnel, contractuel ou titulaire. C’est très largement le cas pour le Louvre, même si les progressions de carrière ou les mesures disciplinaires dépendent toujours du ministère de la Culture. À Versailles, l’autorité du président sur le personnel n’est que fonctionnelle : elle ne concerne pas les carrières, ce qui est regrettable. Elle ne concerne notamment pas la relation disciplinaire, ce qui est regrettable également.

S’agissant de Versailles, le transfert progressif de la responsabilité sur le personnel est pourtant prévu dans le contrat de performance, mais le service concerné du ministère de la Culture marque de la réticence quant à une mise en œuvre rapide de cette perspective.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Pour quelle raison, selon vous ?

M. Jean-Jacques Aillagon. Par habitude, et aussi, de la part de l’administration, pour légitimer son existence et ses missions. Mais puisque nous disposons désormais, dans le domaine culturel, d’un éventail très large d’établissements publics, nous devons veiller à leur laisser une pleine responsabilité à l’égard des personnels qu’ils emploient, qu’ils soient contractuels ou titulaires.

J’ai évoqué le contrat de performance. Je regrette que l’État privilégie ce type d’accord, qui fixe des objectifs généraux à l’établissement, au détriment des contrats d’objectifs et de moyens qui eux, engagent les deux contractants. Une administration plus adulte devrait recourir plus volontiers à de tels contrats, qui imposent une règle du jeu claire et lisible par tous.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Vous avez été un artisan de la décentralisation culturelle, puisque le lancement du projet Louvre Lens date de l’époque où vous étiez ministre. Ne faudrait-il pas aller plus loin ? Cette première étape n’était-elle pas motivée par le constat d’une culture trop « parisienne » ? Nous autres, élus de province, avons en effet parfois le sentiment que les Parisiens sont très gâtés par les choix culturels du ministère.

M. Jean-Jacques Aillagon. En ce domaine, la première étape a été, en fait, la décision de créer une antenne du Centre Pompidou à Metz.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Un projet qui vous tenait particulièrement à cœur.

M. Jean-Jacques Aillagon. En effet. J’étais président du Centre Pompidou lorsqu’il a fallu fermer l’établissement pendant vingt-sept mois pour rénovation, et je n’ai pas voulu que l’institution reste inactive. Nous avons donc maintenu une activité à Paris et lancé un programme « hors les murs ». En liaison avec des musées dépendant de collectivités locales, nous avons ainsi présenté une grande partie des collections du Musée national d’art moderne. Une trentaine d’expositions ont été réalisées : Kandinsky à Nantes, Picasso à Toulouse, Matisse au Cateau-Cambrésis, etc. Lors de la réouverture du Centre Pompidou, nous nous sommes dit que ce mouvement de collaboration avec les collectivités locales devait être poursuivi sous d’autres formes, d’abord grâce à une politique de dépôt systématique d’œuvres importantes dans des musées de province – ainsi, la quasi-totalité des sculptures du musée de Villeneuve d’Ascq ou des œuvres de Kandinsky du musée des beaux-arts de Nantes est constituée de dépôts du Musée national d’art moderne –, ensuite avec la création, en région, d’antennes permanentes du musée.

Les maires d’Albi ou de Lille se sont montrés intéressés, mais Martine Aubry comptait un peu trop sur l’État pour le financement. C’est finalement le maire de Metz, Jean-Marie Rausch, qui a réalisé le projet, en liaison avec la communauté d’agglomération, le département de la Moselle et la région Lorraine.

L’histoire de notre pays a conduit à ce que presque tous les musées nationaux soient installés à Paris. À mon arrivée au ministère de la Culture, j’ai donc jugé nécessaire que ces établissements engagent des actions de décentralisation. Le Louvre s’est lancé le premier en créant une antenne dans le Nord de la France. À mes yeux, de tels projets devaient constituer des instruments de développement culturel du territoire. Il ne s’agissait donc pas de se substituer à la responsabilité des collectivités locales, mais plutôt d’aller là où aucun équipement significatif n’existait, de façon à apporter une chance supplémentaire au territoire concerné. J’aurais souhaité que d’autres établissements, lorsqu’ils sont délocalisables – ce qui n’est pas le cas, par exemple, de Versailles –, s’engagent dans des projets de ce type. Ainsi, le Musée des arts et traditions populaires, dont le site d’origine est désormais fermé, pourrait répartir ses collections en quatre grands lieux répondant à des logiques géographiques et culturelles, quitte à conserver une structure centrale pour la gestion scientifique.

En tout état de cause, l’action des musées nationaux ne doit pas se limiter au territoire parisien, même si c’est là que se trouve leur siège. Ils doivent avoir des relations avec les musées locaux, mais aussi innover en matière d’animation culturelle du territoire, dès lors qu’il existe une demande de la part des collectivités locales.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Il y a quelques jours, avec mon collègue Marcel Rogemont, nous nous sommes rendus sur le site du Louvre-Lens. Nous y avons rencontré des acteurs passionnés par ce projet, comme le président de la région Nord-Pas-de-Calais. Dans un bassin minier qui a souffert, ce nouvel équipement représente une chance.

M. Jean-Jacques Aillagon. L’enthousiasme de Daniel Percheron a en effet beaucoup compté dans le choix de Lens. De même, Jean-Marie Rausch avait mis tout son poids dans la balance pour que l’antenne du Centre Pompidou soit installée à Metz. Ses successeurs ont d’ailleurs pris la relève.

Il faut cesser d’envisager la culture comme le seul résultat de ce que fait le ministère. La culture ne se réduit pas à l’empilement des initiatives publiques. Une telle vision ne tient pas compte du changement qu’a connu le paysage culturel français, marqué par la prise de responsabilité des collectivités locales, à travers une action à la fois volontaire et qui transcende largement les appartenances politiques. Loin de demeurer le tabernacle où se conçoit la politique culturelle de l’État, le ministère doit se demander comment s’appuyer sur la vigueur, la volonté et le sens de la responsabilité des collectivités locales pour mettre en œuvre des projets.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Le Louvre n’est-il pas l’enfant gâté du ministère de la Culture ? Sa situation singulière ne tend-elle pas à cacher la dure réalité vécue par les autres musées ?

M. Jean-Jacques Aillagon. Incontestablement, le Louvre n’a pas à se plaindre de la façon dont il est traité par l’État. Celui-ci lui a marqué son soutien lorsqu’il a engagé, à l’époque de François Mitterrand, un vaste programme de réaménagement du palais du Louvre, puis en augmentant les moyens de fonctionnement du musée et en lui donnant la maîtrise de ses recettes.

Le Louvre pourrait parfois se montrer plus généreux à l’égard des autres musées. Rappelons que le château de Versailles a été vidé au moment de la Révolution : le mobilier a été vendu, et les œuvres ont été retirées pour constituer les collections du futur musée du Louvre. Ainsi, la plupart des grandes peintures, comme la Joconde, étaient d’abord à Versailles. Je regrette que le Louvre tienne à conserver certaines œuvres qui formaient le décor du château et qui gagneraient à retrouver leur lieu d’origine. Ainsi, dans l’appartement du roi, des photographies maladroites figurent sur certains murs, rappelant les peintures qui s’y trouvaient et qui sont actuellement conservées au Louvre. Mais le Louvre ne consentirait que difficilement à s’en séparer, sauf dans le cadre d’un échange ou s’il y avait une volonté politique très forte de régler ce type de problème …

Mais si le Louvre est gâté, il est aussi une immense chance pour notre pays. C’est le plus grand musée du monde, l’affluence y est très grande, et à l’instar des autres grands musées nationaux, il contribue largement à la bonne santé de l’activité touristique en France – à Paris, en particulier –, dans un contexte où la concurrence étrangère s’accroît. Hier, à Versailles, nous avons dû recevoir environ 30 000 personnes, dont probablement 22 000 étrangers. Les grands sites muséaux, à commencer par le Louvre, sont donc une chance pour le pays. Certes, l’État doit clarifier sa relation avec ces institutions. Il a notamment intérêt à préciser le rôle de la Réunion des musées nationaux, en laissant à tous ces établissements le libre choix de coopérer ou non avec elle. Il doit également clarifier sa position s’agissant de la relation entre subventions et maîtrise des recettes, de façon à concentrer l’effet de la solidarité nationale sur des institutions moins à même d’attirer un large public.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Selon vous, le Louvre est-il une institution à part ?

M. Jean-Jacques Aillagon. Il fait partie, avec Versailles, Orsay, le Centre Pompidou ou – à un degré moindre – Guimet, de cette famille des très grands établissements muséaux, dont les responsables se rencontrent régulièrement pour échanger leurs points de vue. Ainsi, il y a quelques semaines, nous avons été très alarmés du risque de chute de la fréquentation touristique en région parisienne, avant d’être rassurés par les résultats du printemps.

Mais selon moi, le Louvre ne serait un objet exceptionnel que si l’on plaçait le Château de Versailles dans la même catégorie… (Sourires.)

M. Georges Tron, Président. Merci infiniment.

Audition du 9 avril 2009

À 14 h 30 : Mme Christine Albanel, ministre de la Culture et de la communication

Présidence de M. Georges Tron, Président

M. Georges Tron, Président. Nous sommes très heureux d’accueillir Mme Christine Albanel, ministre de la Culture et de la communication, pour cette ultime audition de la mission d’évaluation et de contrôle – la MEC – sur le musée du Louvre.

Madame la ministre, la MEC, émanation de la commission des Finances, réalise des travaux visant à concourir à la maîtrise des finances publiques. À ce titre, elle s’intéresse tout particulièrement à la façon dont les dépenses sont engagées. Sur chacun des sujets que nous abordons, des Rapporteurs issus des différents groupes politiques de l'Assemblée nationale sont désignés. Pour nos travaux relatifs au Louvre, ce sont MM. Nicolas Perruchot, Richard Dell'Agnola et Marcel Rogemont, MM. Perruchot et Dell’Agnola au titre de la commission des Finances et M. Rogemont au titre de la commission des Affaires culturelles.

Nos travaux bénéficient de la présence de membres de la Cour des comptes. Je suis heureux de saluer aujourd’hui M. Jean Picq, président de la troisième chambre, ainsi que MM. Emmanuel Giannesini et Emmanuel Marcovitch.

Dans le cadre de l’évaluation du musée du Louvre et, plus généralement, de la politique muséale, nous avons déjà auditionné à deux reprises le président-directeur du musée du Louvre, le secrétaire général du ministère de la Culture, la directrice des musées de France, aujourd’hui présente, les représentants de la Réunion des musées nationaux – RMN –, ainsi que ceux d’autres institutions muséales relevant de divers statuts. Ce matin même, nous avons auditionné la directrice du musée Picasso et le président du musée de Versailles, M. Aillagon, ancien ministre de la Culture. Par ailleurs, deux de nos Rapporteurs se sont rendus à Lille et à Lens pour constater l’état d’avancement du projet Louvre-Lens.

Votre audition, Madame la ministre, nous permettra de conclure des travaux lancés il y a plusieurs mois. Je vais tout de suite donner la parole aux Rapporteurs pour vous interroger.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Ma première question porte sur l’impact de la révision générale des politiques publiques sur l’organisation des musées et leur tutelle. Qu’attendez-vous de la RGPP de ce point de vue ?

Mme Christine Albanel, ministre de la Culture et de la communication. La RGPP va se traduire de plusieurs façons.

Tout d’abord, l’administration centrale du ministère est réorganisée en trois directions générales, dont l’une dédiée aux patrimoines de France. Celle-ci comprendra en son sein un service des musées ; il sera dirigé par un directeur adjoint au directeur général, afin de clairement identifier cette responsabilité, la politique des musées faisant partie des grandes missions historiques du ministère. Ce service des musées comprendra une sous-direction des collections et une sous-direction de la politique des musées.

En deuxième lieu, nous allons créer de nouveaux établissements publics. C’est l’une des caractéristiques de ce ministère d’en compter un grand nombre – 78, dont 13 musées. Le mouvement a été lancé au début des années 1990, d’abord avec la BNF, puis en 1993 avec le Louvre et en 1995 avec le domaine de Versailles. L’étape suivante a été la suppression du reversement des droits d’entrée du Louvre et de Versailles à la RMN, ce qui a permis d’accroître l’autonomie de ces deux établissements. Ce modèle a ensuite été appliqué aux établissements publics d’Orsay et de Guimet. Toutes ces expériences ayant été très concluantes, en termes de ressources propres comme de rayonnement culturel, nous avons décidé de modifier le statut de quatre services à compétence nationale – SCN – : le château de Fontainebleau et le musée Picasso deviendront des établissements publics à part entière ; le musée de l’Orangerie sera rattaché au musée d’Orsay, selon un schéma déjà utilisé pour les musées Delacroix et Hébert, respectivement rattachés au Louvre et à Orsay ; enfin, le musée national de la Céramique va constituer un établissement public avec la Manufacture de Sèvres.

Le décret fixant le nouveau statut du château de Fontainebleau est paru au Journal officiel du 13 mars dernier, et l’établissement public verra le jour le 1er juillet 2009. Le rattachement de l’Orangerie au musée d’Orsay sera effectif au 1er janvier 2010. C’est également pour cette date qu’est prévu l’établissement public réunissant le musée et la manufacture de Sèvres. Enfin, la transformation du musée Picasso en établissement public se fera dans le courant de l’année 2010. Nous aurons alors franchi une étape très importante, ces quatre établissements représentant plus de 50 % de la fréquentation de l’ensemble des services à compétence nationale et 44 % des subventions qui leur sont allouées par la direction des Musées de France – la DMF. Pour l’instant nous n’envisageons pas d’aller plus loin car il faut atteindre une masse critique pour assumer l’autonomie résultant du statut d’établissement public.

En troisième lieu, nous voulons faire évoluer le triptyque formé par la DMF, la RMN et les SCN. Jusqu’à présent, la RMN reversait à chaque service à compétence nationale 4 % des recettes, mais avec un transit par la DMF. Nous nous orientons vers un système beaucoup plus simple et plus souple : le reversement aux SCN sera direct, et à partir d’un certain seuil de ressources la part qui leur reviendra sera portée à 50 %, afin de les intéresser davantage à leur propre développement et d’encourager leurs initiatives. Quant à la DMF, nous souhaitons qu’elle abandonne la tutelle quotidienne et parfois tatillonne sur toutes les décisions, pour exercer une tutelle stratégique sur les grandes politiques nationales – telles que, par exemple, la gratuité des musées pour les jeunes âgés de 18 à 25 ans, entrée en application samedi dernier, ou la politique en direction des handicapés, ou encore les critères d’acquisition des œuvres.

Nous avons écarté certaines évolutions majeures qui avaient été un temps envisagées dans le cadre des travaux autour de la RGPP, notamment la réunion du Centre des monuments nationaux et de la RMN. Notre seul but est d’aller vers plus de souplesse, plus d’autonomie, plus d’efficacité, et de faire jouer à l’administration centrale un rôle plus stratégique.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Cette évolution importante était attendue depuis longtemps par certains, et il faut sans doute se féliciter qu’elle ait enfin lieu.

On entend assez souvent dénoncer une déconnexion entre la DMF et les acteurs de terrain, chargés de relayer au quotidien dans les musées la politique décidée par le ministère. Le confirmez-vous, et pensez-vous que l’on parviendra à rapprocher les points de vue, qui paraissent parfois inconciliables – étant précisé qu’il y a sans doute des différences de perception selon la taille des musées ?

Mme la ministre. Il y a en effet des différences selon les établissements. La DMF doit à la fois avoir une bonne connaissance du terrain et éviter un interventionnisme excessif : c’est un équilibre à trouver. Les contrats de performance sont déjà un outil pour cela. Pour avoir dirigé Versailles, je sais que l’on s’est souvent interrogé sur la nature de la tutelle s’exerçant sur les établissements publics ; je pense qu’elle a vocation à apporter du sens. Par exemple, sans remettre en cause l’autonomie très large dont jouissent les musées pour l’organisation des grandes expositions, il pourrait être judicieux que s’exerce une tutelle scientifique, visant tout simplement à assurer une cohérence sur le territoire et à éviter les doublons. Il serait également possible de fixer des objectifs en matière de récolement et d’inventaire des collections et de coordonner les actions internationales. On peut également envisager des interventions dans des domaines techniques lorsque l’enjeu dépasse le cadre de l’établissement : je pense par exemple à la question du « rafraîchissement » à Versailles et du choix des moyens pour parvenir à la température adéquate. De façon plus générale, la tutelle, qui est aussi un partenariat, peut porter sur les grandes politiques transversales – telle, aussi, celle qui concerne les personnes handicapées.

Je ne crois pas que l’administration centrale méconnaisse ce qui se passe sur le terrain. Elle doit apporter un accompagnement, opérer des choix stratégiques, tout en laissant l’autonomie la plus grande possible aux établissements. Après avoir traversé une phase d’affirmation vis-à-vis du ministère et de la RMN, les établissements publics arrivent à l’âge adulte, et leurs relations avec l’administration centrale devraient être désormais plus fécondes, plus claires et plus apaisées. C’est d’ailleurs l’un des buts de la RGPP.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Pour vous, donc, il revient au ministère de définir une stratégie à moyen et long terme, et aux établissements de gérer le quotidien.

Mme la ministre. Il appartient au ministère de conduire diverses politiques transversales, mais les choses se présentent différemment selon la taille des établissements : les plus grands peuvent bien entendu avoir eux aussi des projets à moyen et long terme ; toutefois, l’impératif de mise en cohérence implique que le ministère dispose d’un pouvoir de validation.

M. Jean Picq, Président de la troisième chambre de la Cour des comptes. La Cour des comptes, qui a récemment effectué un contrôle du musée du Louvre et qui est en train d’achever celui de la RMN, est frappée par le changement spectaculaire qui s’est produit en une décennie. Il y a dix ans, la DMF présidait la RMN, les établissements publics n’étaient pas réellement autonomes ; il y a cinq ans, les effectifs étaient encore gérés par le ministère. Le passage de la tutelle d’hier à l’« accompagnement stratégique » de demain ne se fera pas non plus en un jour : ce changement de culture administrative demandera un peu de temps.

La phase d’ajustement crée toujours des tensions. Vis-à-vis du Louvre, le ministère s’est parfois trouvé dans une situation inconfortable ; néanmoins le dispositif du contrat de performance triennal a donné beaucoup de fruits, en permettant une vision partagée des objectifs et de la trajectoire financière. Le passage d’un contrat à un autre peut certes imposer des arbitrages, comme cela fut le cas à propos du décroisement des financements. Le ministère est également appelé à arbitrer les inévitables conflits ; concernant les relations entre la RMN et le Louvre, son arbitrage aurait sans doute gagné à être plus rapide car il y a eu des guerres inutiles et coûteuses, notamment en matière d’activités éditoriales. Pour être en situation d’arbitrer les conflits sur des bases objectives, il faudrait qu’il dispose d’outils de comparaison dans tous les domaines – activités éditoriales, photographie, expositions –  et à cet égard, il reste des progrès à faire.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Quelle plus-value attendez-vous de la nouvelle organisation qui se dessine, madame la ministre ?

Mme la ministre. C’est un fait établi que la création de nouveaux établissements publics est un mouvement vertueux. Il en résulte certes des coûts supplémentaires, mais on y gagne en rayonnement, en « puissance de feu » culturelle, en visibilité – et donc, aussi, en emplois et en attrait touristique. Je suis sûre, par exemple, que la transformation du château de Fontainebleau en établissement public va le dynamiser.

Je souhaite que la tutelle soit plus intelligente et moins tatillonne. La maturité à laquelle les établissements sont parvenus doit permettre qu’elle fonctionne à travers des relations partenariales, en fixant de grandes lignes directrices. La tutelle doit rester plus directe sur les SCN, auxquels il faut néanmoins laisser beaucoup d’autonomie, mais avec les grands établissements publics il faut qu’elle prenne surtout la forme d’une mise en cohérence. En ce qui concerne l’administration centrale, je crois qu’il faut allier l’affirmation des métiers et la mutualisation de fonctions de support, laquelle permettra de réaliser des économies et d’améliorer les performances.

M. Richard Dell'Agnola, Rapporteur. Il ressort de nos précédentes auditions que les relations ne se sont pas apaisées entre la RMN et certains établissements, notamment le Louvre. Certains dénoncent un centralisme excessif de la RMN, avec laquelle les directeurs de musées livrent une véritable « guerre de tranchées » pour défendre la politique de leur établissement. Par ailleurs, les SCN sont écartés de toute concertation pour la rédaction des conventions qui les lient à la RMN, directement négociées entre celle-ci et l’État ; c’est du moins ce que la directrice du musée Picasso nous a laissé entendre. Sur ces questions, il paraît indispensable que le ministère exerce un arbitrage.

Mme la ministre. Il y a effectivement eu des tensions entre la RMN et certains établissements, mais la situation est très variable. À Versailles, elle n’était pas du tout conflictuelle. Je ne crois pas qu’il y ait eu beaucoup de tensions non plus avec le musée d’Orsay. Il existe aussi des cas très particuliers, comme celui du quai Branly, pour lequel la RMN intervient parce qu’elle a remporté l’appel d’offres. C’est avec le Louvre qu’il y a eu le plus de difficultés.

Un certain nombre de sujets ont été tranchés par le ministère. Ainsi, la marque « Louvre » revient au musée. Il en va de même pour les compétences éditoriales ; il s’agit d’ailleurs souvent de coéditions avec des partenaires privés, ce qui me paraît une bonne chose. La RMN participe aux appels d’offres via ses filiales et nous souhaitons qu’elle puisse être retenue dans l’avenir. En matière de photographie, enfin, nous considérons que la RMN a vocation à conserver son rôle d’opérateur. Par ailleurs, certains conflits sont liés aux personnes et devraient s’apaiser dans l’avenir.

Quant aux relations entre la RMN et les SCN, je souhaite qu’elles soient directes. C’est le sens de l’histoire.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. À vous entendre, Madame la ministre, on a l’impression que, puisque tout fonctionne à peu près, vous admettez « de guerre lasse » la situation qui prévaut dans les établissements publics, notamment la dualité de commandement en matière de gestion du personnel. Mais celle-ci ne pose-t-elle pas réellement problème ? La RMN a des missions à remplir, certes, mais les questions de personnel sont-elles vraiment de sa compétence ? Elle n’a pas à exercer une deuxième tutelle sur les musées !

M. Richard Dell'Agnola, Rapporteur. Quant aux musées qui ne sont pas dotés de la personnalité morale, ils estiment être insuffisamment associés à la préparation des conventions qui organisent leurs relations avec la RMN et que celle-ci négocie directement avec l’État. C’est le cas du musée Picasso.

Mme la ministre. Notre volonté est justement de passer d’une sorte de mutualisation unilatérale à une véritable contractualisation partenariale entre les différents musées et la RMN. Chaque directeur de SCN aura autorité sur les personnels de la RMN travaillant dans le musée. La RMN doit être considérée comme un prestataire de services en matière d’organisation d’expositions, de photothèque, de boutiques et de produits dérivés, la tutelle stratégique et scientifique revenant par ailleurs à la DMF. L’établissement de relations contractuelles plus égalitaires qu’elles ne le sont aujourd’hui entre la RMN et les établissements publics et SCN doit s’accompagner d’une mutualisation des services permettant d’en supporter plus facilement le coût.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Voilà plus de trois ans que je travaille sur le sujet, et je me suis souvent demandé combien de fois par semaine on dérangeait le ministre de la Culture pour régler ces problèmes de relations avec la RMN ! Sans doute sont-ils traités à un autre niveau, mais force est de constater ces tensions, qui ne peuvent s’expliquer simplement par des divergences concernant la stratégie ou des mésententes personnelles. C’est souvent, me semble-t-il, l’absence de décision de la part du ministère qui conduit à des situations aberrantes. Les relations entre la RMN et les musées, marquées par l’incompréhension mutuelle, apparaissent comme des combats d’enfants gâtés qui en oublieraient parfois que leur mission première est de servir le public des musées.

Mme la ministre. Il est vrai que l’on a tendance, en France, à créer des structures nouvelles sans toucher à celles qui existent ; c’est ce qui s’est passé avec la création des établissements publics, qui a constitué un changement majeur mais qui, au départ, ne s’est accompagnée d’aucun changement concernant la DMF et la RMN. En général, les choses se font ensuite dans la douleur. Mais la révision générale des politiques publiques nous offre un cadre pour opérer une clarification, une redistribution et une simplification.

M. Georges Tron, Président. La commission des Finances et la mission d’évaluation et de contrôle ont exprimé à plusieurs reprises leur inquiétude au sujet de la marge de manœuvre laissée aux opérateurs, notamment les établissements publics – du moins avant la loi de finances pour 2009, qui instaure un contrôle sur les emplois –, aboutissant à un transfert à leur profit d’effectifs et de moyens des ministères. Le ministère de la Culture est de ce point de vue emblématique : ces dernières années, les effectifs de l’administration centrale ont diminué substantiellement, et les effectifs des opérateurs ont augmenté tout aussi substantiellement. Au-delà de la réorganisation du ministère, comment prenez-vous en compte les impératifs de la RGPP et de la maîtrise de la dépense publique ?

Mme la ministre. Les effectifs des établissements publics ont en effet augmenté. Les 35 heures et la volonté d’ouvrir au public les espaces les plus larges possible – au Louvre, par exemple – ont contribué à l’accroissement du personnel.

Mais la RGPP marque une phase nouvelle : non seulement l’administration centrale du ministère va accentuer ses efforts, notamment grâce à la mutualisation, et deux départs à la retraite sur trois – et non pas un sur deux – ne seront pas remplacés, mais il est demandé aux établissements publics de participer à l’effort ; il ne s’agit en aucun cas de faire « maigrir » l’administration centrale à leur bénéfice.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Nous avons tous relevé les efforts du ministère. S’agissant de la gestion du personnel, cependant, nous n’avons guère obtenu de réponses concrètes. Pourquoi le personnel d’un établissement public a-t-il plusieurs patrons ? Pour moi qui ai travaillé douze ans dans le privé sur les organisations, c’est totalement incompréhensible. Qu’est-ce qui empêche de simplifier le dispositif ? Les tensions viennent largement de là. Vous arguerez sans doute de la question des statuts et de l’héritage du passé, mais mieux vaut que ce système ne soit pas trop connu à l’extérieur… La commission des Finances est très sensible à ce sujet et elle veut avoir des réponses précises.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. La commission des Affaires culturelles souscrit à ces remarques.

Mme la ministre. Que des personnels affectés dans les établissements continuent d’être gérés par l’administration centrale peut en effet paraître surprenant, mais un mouvement a été lancé sur ce point : au Louvre, 1 233 emplois imputés sur le budget de l’État ont été transférés sur le budget propre de l’établissement depuis le début de 2003 ; à la BNF, 1 660 emplois étaient transférés au 1er janvier 2007. On a ainsi pu donner à ces établissements la responsabilité de l’ensemble des actes de gestion de proximité. Pour certains emplois, notamment dans la filière accueil et surveillance, ils peuvent maintenant organiser des recrutements sans concours, ce qui leur a permis d’« absorber » de nombreux vacataires. Cela étant, les établissements n’ont pas leurs propres corps de fonctionnaires. À l’exception des agents que je viens de mentionner, les personnels sont des fonctionnaires du ministère de la Culture et il n’est pas rare qu’ils passent toute leur carrière dans un seul établissement – c’est le cas à Versailles, où l’existence de 220 logements accroît encore la sédentarisation.

Si la gestion la plus directe est souhaitable, elle a aussi un coût : un transfert complet de la paye impliquerait que les établissements acquittent la taxe sur les salaires, par exemple. Ce qui a été fait pour la BNF et le Louvre va néanmoins dans le bon sens.

En matière disciplinaire, le premier niveau – avertissement, blâme – doit revenir à l’autorité de proximité, qui est plus à même d’avoir une appréciation sur les agents.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Cela veut-il dire que vous voulez vous engager dans cette voie ?

Mme la ministre. Oui. Je pense que tout ce qui relève de la gestion des ressources humaines de premier niveau doit être du ressort des établissements. En revanche, que tous, petits et grands, deviennent des payeurs n’est ni possible, ni souhaitable car on se priverait d’économies d’échelle.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Le système des collectivités territoriales n’offre-t-il pas des solutions adaptées aux petits comme aux grands ?

Mme la ministre. Un rattachement, voire un transfert à certaines collectivités fait partie des options que nous envisageons, d’autant qu’il existe une demande.

M. Richard Dell'Agnola, Rapporteur. Nous souhaiterions maintenant aborder le sujet de la décentralisation culturelle, avec le Louvre-Lens et le Louvre-Abu Dabi.

L’État reste financièrement à l’écart de l’opération Louvre-Lens. C’était d’ailleurs, au départ, l’une des clés de son acceptation par la région Nord-Pas-de-Calais. Celle-ci souhaiterait néanmoins une participation à hauteur de 6 à 10 millions d’euros. Donnerez-vous une suite à cette demande ? Le cas échéant, dans quel cadre – contrat de plan État-région ou autre – ? Quelle appréciation portez-vous sur le pilotage de ce projet, qui devrait apporter une forme de renaissance à un bassin minier sinistré ? Est-ce un modèle à suivre ? Comptez-vous renouveler l’expérience ailleurs ? Quelles ont été les difficultés rencontrées ?

De même, envisagez-vous des opérations comparables au projet Louvre-Abu Dabi ? Quels enseignements en tirez-vous ? Plus généralement, comment l’accompagnement des institutions culturelles françaises dans leurs stratégies à l’international peut-il être amélioré ?

Mme la ministre. Le Louvre-Lens est une belle opération, emblématique et très importante pour la région. L’investissement des collectivités est fort, conformément au projet initial. L’État ne devait pas s’engager financièrement, il apportait sa marque, son expertise, ainsi que les collections, et les collectivités jouaient une carte culturelle, comme ailleurs dans le monde, à Bilbao par exemple. On peut regarder ce que l’État peut faire en plus, mais dans l’équilibre de départ, il n’apportait pas son soutien financier direct.

Il s’agit d’un projet exceptionnel. L’idée n’est pas de réaliser un peu partout des antennes du centre Pompidou ou du Louvre. Il existe d’autres modèles de coopération, comme les groupements d’intérêt public – GIP –, tels ceux de Port-Royal des Champs ou des Eyzies, les établissements publics de coopération culturelle – EPCC –, tel le Centre national du costume de scène à Moulins, ou encore les participations intellectuelles ou les prêts.

Même réponse au sujet du Louvre-Abu Dabi, projet très particulier. L’émirat a joué résolument la carte culturelle et architecturale et a fait également appel au musée Guggenheim, à la Sorbonne et à diverses autres institutions.

Le projet scientifique a été validé il y a quelques mois. J’ai pu constater sur place il y a trois semaines que les choses avancent bien, même s’il peut y avoir de petites incompréhensions liées aux différences de culture. Abu Dabi essaie de se constituer une collection permanente. Nous réfléchissons à une exposition de préfiguration pour le mois de mai, au moment de la visite du Président de la République, où seraient exposées des œuvres récemment acquises, avec l’aide active de l’Agence France Muséums, et des œuvres prêtées par les musées qui prennent part au projet. L’ouverture devrait se faire en une seule fois – et non en trois fois comme on l’envisageait auparavant – à l’horizon 2014. Mais là encore, notre idée n’est pas de reproduire l’expérience en créant des « Louvre » à divers endroits du monde. Ce projet-là, auquel tous les grands établissements participent, mobilise déjà beaucoup d’énergie.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Il va aussi rapporter des devises.

Mme la ministre. Oui, avec les 400 millions d’euros de la marque Louvre, les 165 millions de l’agence, les 195 millions des expositions temporaires et les 190 millions des expositions semi-permanentes, organisées sur deux ans afin que l’établissement dispose du temps nécessaire pour constituer ses propres collections, on arrive à un montant considérable. Une partie de ces ressources pourra permettre notamment de réaliser le fameux centre de réserve pour nos institutions parisiennes.

M. Richard Dell'Agnola, Rapporteur. Le ministère met en place la gratuité des musées pour les moins de 26 ans. Dans le contexte actuel de crise, cela ne va-t-il pas grever leurs comptes et, par ricochet, ceux de l’État ?

Par ailleurs, la politique de prestige menée par l’État appelle quelques remarques. Au moment où se mettent en place les réformes issues de la RGPP, au moment où certains musées se plaignent de la précarité de leurs moyens, on s’apprête à réaliser un auditorium, la Philharmonie de Paris, qui va coûter très cher. La salle Pleyel, qui est louée par l’État, n’est-elle pas suffisante ? On a parfois le sentiment que la politique de prestige fait oublier le fonctionnement quotidien des institutions.

Mme la ministre. Au départ, nous nous étions interrogés sur la possibilité d’instaurer la gratuité générale pour l’accès aux collections permanentes des musées de l’État. À titre personnel, je n’ai jamais soutenu cette idée, non seulement à cause du coût qu’elle représente mais aussi parce que la gratuité n’est pas forcément gage de désir de voir les collections. Dans les très rares pays où elle est pratiquée, elle est compensée par des tarifs souvent très élevés sur les expositions temporaires.

L’expérimentation qui a été menée a certes montré que cela permettait d’attirer plus de monde et de diversifier quelque peu le public, mais pas dans des proportions considérables. En revanche, les soirées gratuites pour les 18-25 ans dans les grands établissements ont eu beaucoup de succès, et la diversification sociologique a été plus importante – avec 37 % d’enfants d’employés et d’ouvriers. En outre, ce système est supportable financièrement. Nous avons donc choisi cette gratuité ciblée, dont le coût est d’environ 22 millions d’euros pour le ministère de la Culture, de 7 millions d’euros pour le ministère de l’Éducation nationale – du fait de la gratuité pour les enseignants, qui sont considérés comme des « passeurs » – et de 3 millions d’euros pour les autres ministères. Au total, une trentaine de millions d’euros ont été prévus au budget afin d’assurer le remboursement aux musées.

Concernant la Philharmonie de Paris, le Président de la République a rendu un arbitrage favorable parce que nous ne disposions pas encore d’un équipement de cette ampleur, qui de plus doit s’articuler avec l’ensemble pédagogique de la Cité de la musique. Il est prévu que le projet repose sur un partenariat à égalité entre la Ville de Paris et l’État, avec une participation de la région Île-de-France. La décision a été prise, nous en sommes là pour l’instant.

S’agissant de la salle Pleyel, l’État active la clause d’achat anticipé qui avait été prévue. À l'issue des négociations menées en mars, le prix a été fixé à 60,5 millions d’euros.

M. Richard Dell'Agnola, Rapporteur. Raison de plus pour revenir sur le projet de la Philharmonie.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Quel est votre sentiment sur l’important investissement immobilier – une soixantaine de millions d’euros – que la RMN a réalisé récemment, dont la pertinence ne semble pas évidente ? L’audition de son administrateur général, M. Thomas Grenon, a confirmé que la gestion de l’établissement est exemplaire, mais n’y a-t-il pas d’autres priorités budgétaires ?

Mme la ministre. La RMN a estimé qu’il était plus avantageux de réaliser cette acquisition que de maintenir la situation actuelle. L’opération s’est faite grâce à un emprunt et à un prélèvement sur les recettes. France Domaine, dont on connaît l’exigence, l’a validée.

M. Georges Tron, Président. Au sujet de France Domaine, j’aurai l’occasion de redire quelques mots le moment venu.

M. Jean Picq. Chacun ici connaît les observations de la Cour des comptes au sujet du Louvre.

En ces temps de morosité, je voudrais d’abord souligner l’extraordinaire changement qui s’est produit entre le contrôle précédent et celui de cette année. Dans son rapport public de 2003, la Cour relevait des choses invraisemblables. Cette année, nous commençons nos conclusions définitives en soulignant que l’autonomie souhaitée par la Cour a été accomplie et s’est traduite par un succès remarquable. Le premier indicateur en est la fréquentation, qui place le Louvre en tête des grands musées du monde. Les projets ambitieux que sont Lens et Abu Dabi, de même que le développement des ressources propres, attestent ce dynamisme.

De plus, on ne dit pas assez que cette politique de développement s’est accomplie sans que l’État se désengage puisque sa subvention est passée de 89 à 103 millions d’euros.

Le bilan est donc remarquable, tant pour les responsables du musée du Louvre que pour les ministres de la Culture qui ont accompagné ce mouvement.

Pour l’avenir, la vigilance de la Cour portera sur plusieurs points, et d’abord sur la « soutenabilité » du développement. Nous ignorons en effet quel sera l’impact de la crise financière sur le niveau des ressources propres et sur la gestion de ces ressources.

Ensuite, à l’occasion du nouveau contrat de performance, il faudra bien accorder les perspectives en matière de moyens et la stabilisation ou la décrue des effectifs, et corréler l’augmentation des ressources propres de l’établissement – notamment du fait de la hausse du prix du billet – et la stratégie de réduction du soutien budgétaire de l’État. Dans la phase de pacification qui s’est ouverte dans les relations entre les établissements publics devenus autonomes et le ministère, désireux d’exercer un accompagnement stratégique, il est indispensable de disposer de bases objectives de discussion. C’est le cas pour le suivi des effectifs, dont on n’est pas en mesure de connaître l’évolution exacte du fait de l’existence de plusieurs référentiels. Il doit n’y en avoir qu’un seul, sur lequel tout le monde s’accorde. De même, dans la difficile tâche d’arbitrage entre la RMN et les musées, il faut disposer de référentiels comparables pour mesurer les coûts. La RMN a engagé un effort considérable de comptabilité analytique ; il est souhaitable que les musées, du moins en ce qui concerne les activités dites commerciales – expositions, éditions, photographies –, puissent rendre compte des coûts complets, afin que l’on puisse savoir si la RMN est compétitive en tant que prestataire de services. Sinon, on continuera d’ajouter la querelle à l’opacité.

Enfin, si le Louvre est à un tournant de son développement et si, dans bien des domaines, il fait preuve d’une ambition qui ne peut qu’être saluée, il faut néanmoins rester attentif à la gestion des œuvres. La tutelle doit veiller à ce que l’on ne cherche pas à trop embrasser sans pouvoir étreindre, s’agissant en particulier des demandes émanant d’Abu Dabi, de Lens ou d’Atlanta.

Mme la ministre. Je remercie la Cour des comptes, dont les observations confortent la politique d’autonomie, de responsabilisation, d’apaisement et de clarification que nous menons. Nous ferons tout pour nous doter, comme elle le demande, des outils les plus modernes et les plus performants pour gérer nos musées, dont la fréquentation n’a jamais été aussi forte qu’aujourd'hui.

M. Georges Tron, Président. Merci à tous.

1 () La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

2 () Donnant lieu à un relevé d’observations définitives transmis le 13 février 2009 par le Premier président de la Cour des comptes.

3 () Décret n° 92–1338 du 22 décembre 1992.

4 () Mme Christine Albanel ministre de la Culture et de la communication, audition du 9 avril 2009.

5 () Voir le décret n° 2009–279 du 11 mars 2009.

6 () RGPP : deuxième rapport d’étape, 13 mai 2009.

7 () Référé du 6 juin 2008 relatif aux enjeux de gestion au ministère de la Culture et de la communication.

8 () Hors taxes hors charges.

9 () MM. Henri Loyrette et Didier Selles, audition du 4 février 2009.

10 () Première année du musée sous statut d’établissement public.

11 () À titre de comparaison, le British Museum accueille environ 5 millions de visiteurs et le Metropolitain Museum de New York 4,5 millions.

12 () En 2003, le musée du Louvre acquiert la maîtrise de la gestion de ses ressources humaines.

13 () Mme Anne Baldassari, audition du 9 avril 2009.

14 () M. Jean–Jacques Aillagon, audition du 9 avril 2009.

15 () Article 4 du décret n° 82-451 du 28 mai 1982 relatif aux commissions administratives paritaires modifié par le décret n° 2007-953 du 15 mai 2007 :

« Lorsque l'importance des effectifs le justifie, des commissions administratives paritaires locales dotées de compétences propres peuvent être créées auprès des directeurs généraux, directeurs d'administration centrale, directeurs d'établissements publics, chefs de services centraux, chefs de services à compétence nationale ou chefs de services déconcentrés, pour connaître d'actes pour lesquels les pouvoirs de gestion sont retenus par le ministre. Toutefois, les arrêtés constitutifs, mentionnés à l'article 2 du présent décret, ne peuvent leur attribuer une compétence propre à l'égard des actes pris pour l'application des articles 26 (2°), 57 et 58 (1° et 2°) de la loi du 11 janvier 1984 précitée.

Lorsque l'importance des effectifs le justifie, des commissions administratives paritaires locales préparatoires peuvent être instituées auprès de ces mêmes autorités par arrêté du ministre. »

16 () Mme Christine Albanel, ministre de la Culture et de la communication, audition du 9 avril 2009.

17 () M. Jean–Jacques Aillagon, audition du 9 avril 2009.

18 () Notamment la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, la loi n° 2007-209 du 19 février 2007 relative à la fonction publique territoriale et le décret n° 85-643 du 26 juin 1985 relatif aux centres de gestion institués par la loi n° 84-53 modifiée.

19 () Relevé d’observations définitives relatif à l’établissement public du musée du Louvre du 28 novembre 2008.

20 () Rapport n° 1198, annexe 25, de M. Georges Tron.

21 () Enquête ADMICAL-CSA réalisée fin février auprès d’un échantillon représentatif de 300 responsables d’entreprises de 100 salariés et plus.

22 () « Les musées américains privés de cagnotte », Libération, 20 avril 2009 et « Les musées américains cherchent à survivre », Le Monde, 2 mai 2009.

23 () MM. Henri Loyrette et Didier Selles, audition du 4 février 2009.

24 () Idem.

25 () M. Thomas Grenon, audition du 19 mars 2009.

26 () Dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2009, la RMN bénéficie de 24,45 millions d’euros en autorisations d’engagement (AE) et de 20,95 millions d’euros en crédits de paiement (CP). Le musée du Louvre quant à lui reçoit des subventions pour charge de service public à hauteur de 118,7 millions d’euros en AE et 118,8 millions d’euros en CP.

27 () Relevé d’observations définitives relatif à l’établissement public du musée du Louvre du 27 novembre 2008.

28 () M. Thomas Grenon, audition du 19 mars 2009.

29 () M. Guillaume Boudy et Mme Marie-Christine Labourdette, audition du 19 février 2009.

30 () M. Henri Loyrette, audition du 7 avril 2009.

31 () M. Henri Loyrette, audition du 7 avril 2009.

32 () M. Guillaume Boudy et Mme Marie–Christine Labourdette, audition du 19 février 2009.

33 () Président du conseil d’administration de la RMN.

34 () Mme Anne. Baldassari, audition du 9 avril 2009.

35 () Mme Christine Albanel ministre de la Culture et de la communication, audition du 9 avril 2009.

36 () Article modifié par l’article 2 du décret n° 2007-174 du 8 février 2007.

37 () Article 3 du décret n° 90-1026 relatif à la Réunion des musées nationaux.

38 () Idem .

39 () La première évaluation telle qu’inscrite au protocole d’accord du 12 mai 2005 était de 117 millions d’euros.

40 () L’emprise du futur musée, principalement située à Lens, s’étend aussi sur la commune de Liévin.

41 () Fonds européen de développement régional.

42 () Évaluation de janvier 2009.

43 () « The Louvre and the ancient world », « Les Antiques de Joséphine », « Houdon en France et en Amérique ».

44 () Se tient actuellement la cinquième présentation : « Van Hoogstraten, Les Pantoufles, la place du spectateur réinventée ».

45 () Le Louvre, le Quai Branly, le Centre Pompidou, Orsay, la RMN, la BNF, Guimet, Versailles, Rodin, Chambord, l’EMOC, l’École du Louvre.

46 () Article 2 du protocole d’accord du 10 mai 2005 relatif à la création du musée du Louvre dans la ville de Lens.

47 () Idem.

48 () Article 11 de l’accord intergouvernemental du 6 mars 2007 relatif au musée universel d’Abou Dabi.


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